Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

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Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale fmnqaise Karen Lyda McCrindle A thesis submitted in conformity with the requirements for the degree of Doçtor of Philosophy Graduate Department of French Language and Literature University of Toronto C Copyright by Karen Lyda McCrindle 1999

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Temps, mode et aspect:

Ies créoles des Caraïbes Q base tericale fmnqaise

Karen Lyda McCrindle

A thesis submitted in conformity with the requirements for the degree of Doçtor of Philosophy

Graduate Department of French Language and Literature University of Toronto

C Copyright by Karen Lyda McCrindle 1999

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ABSTRACT

Temps, mode et aspect: les créoles des Caraïbes à base lexicale française

Karen Lyda McCrindle

Graduate Department of French Language and Literature

University of Toronto

Doctor of Philosophy

1999

This thesis examines tense, mood and aspect (TMA) in French-based Caribbean

creoles. The goal of the resewh is to identi@ certain problems and ambiguities in the

verbal systems of these languages in order to contribute to the field of creolistics as well

as to accepted TMA theories.

Categorizing these notions is challenging since the traditional divisions are rather

arbitrary and the semantic fields to which TMA refer overlap considerably. Nevertheless,

the thesis begins by defullng tense, mood and aspect as notions that refer to a point on the

temporal dimension. Tense situates the event in time; aspect characterizes the intemal

structure of the event; mood describes the reality of the event.

ï h e particular TMA system found in French-based creoles is a distinctive feature

of these creole languages and their verbal systems give priority to aspectual and modal

differences. These languages have little morphological inflection; tense, mood and aspect

are thus expressed by fiee morphemes that are preposed to invariable verbal forrns.

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This thesis sheds light on the ambiguity of TMA categories and analyzes the

manifestations of these notions. Through an examination of the nature of preverbal

morphemes, we l e m that the value of these particles is often quite general and abstract.

It becomes evident that a centrai TMA system exists, but that French-based Caribbean

creoles are not homogeneous languages.

The thesis has a largely synchronie approach to its cornparison of various creoles.

Although T'MA notions are universal, the results of this study ver* that the character of

temporal, modal and aspectual fùnctioning is distinct to the languages in question.

Despite certain surface similarities, the thesis confimis the existence of several

independent creole verbal systems which are specific to each individual lmguage.

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RÉsUMÉ

Temps, mode et aspect: les créoles des Caraïbes à base lexicale fiançaise

Karen Lyda McCrindle

Graduate Department of French Language and Literature

University of Toronto

Doctor of Philosophy

1999

Cette thèse examine temps, mode et aspect (TMA) dans les créoles des Caraïbes à

base lexicale française. Le point central de cette recherche est de soulever quelques

problèmes et de relever certaines des ambiguïtés de ces systèmes verbaux particuliers afin

de contribuer à la créolistique ainsi qu'aux théories générales de TMA.

La catégorisation de ces notions est difficile à cerner puisque la division classique

est arbitraire et que les champs sémantiques auxquels TMA réfèrent se chevauchent

beaucoup. Cependant, nous prenons comme point de départ que le temps, le mode et

l'aspect font référence à un point sur la dimension temporelle. Le temps situe

I'événement dans la temporalité; l'aspect caractérise la structure temporelle interne de

I'événement; le mode décrit la réalité de l'événement.

Nous voyons que la réalisation de TMA telle qu'on la retrouve dans les créoles à

base lexicale française est un trait caractéristique de ces langues et que leurs systèmes

verbaux donnent la priorité aux différences aspectuelles et modales. Ces langues

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connaissent peu de flexion morphologique et te temps, le mode et l'aspect sont exprimés

par des morphèmes libres qui se trouvent préposés aux formes verbales invariables.

Cette thèse met en lumière 1'ambigui"té des catégorisations de TMA et analyse les

manifestations de ces notions. En examinant la nature des morphèmes préverbaux, nous

découvrons que la valeur de ces particules est souvent très généraie et abstraite. 11 devient

évident qu'il existe un système TMA central, mais qu'il n'est pas valable de parler des

créoles des Caraïbes a base lexicaie h ç a i s e comme de langues homogènes.

Une des caractéristiques de cette thèse est son approche surtout synchronique de

la comparaison des langues créoles différentes. Alors que les notions de TMA sont

universelles, nos résultats vérifient que le caractère du fonctionnement temporel,

aspectuel et modal de ces langues est propre aux langues en question. Malgré certaines

similitudes de surface, il n'existe pas un système verbal créole unique, mais plusieurs

systèmes indépendants qui sont en fait spécifiques à chaque langue particulière.

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This thesis is ddicated to the memory of

Mrs. Lydia Hampton (1899-1995), whose wisdom and generosiîy

were immeasurable. Gram, if only you were here now.

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Remerciements / Acknowledeements

Avec le plus grand respect, je remercie le professeur Yves Roberge qui a dirigé cette thèse et qui m'a encouragé et m'a guidé tout au long de mes recherches.

Tous mes remerciements vont aux professeurs Anne-Marie Brousseau et Emmanuel Nikiema qui m'ont apporté de précieux conseils facilitant la réalisation de cette thèse.

Je remercie la professeure Claire Lefebvre de l'université du Québec à Montréal pour ses commentaires très pertinents.

II m'incombe de mentionner le professeur Paul Laurendeau de l'Université York qui a suscité mon enthousiasme pour la linguistique et qui m'a incitée à entreprendre des études supérieures.

Je tiens égaiement a remercier tous mes informateurs qui ont partagé leur vastes connaissances des langues étudiées, m'ont fourni des données et ont vérifié mes exemples. En particulier, je remercie Lucien à Petit Bourg, Guadeloupe.

I am deeply grateful to my parents, David and Tmdy McCrindle, who taught me the importance of perseverance and who encouraged me fiom the beginning. Without theu aid, the realization of this thesis would not have k e n possible.

Heartfelt thanks to many volunteers and listeners of CIUT 89.5 FM - University of Toronto Radio, my refuge during the completion of this degree.

I would like to express my appreciation to my fnends for their endless support and understanding, especially when 1 was "in the cave". In particular, rny thanks go to Frances Giarnpapa, Luba Szkambara, Bruce Cattle, Kim Levis, Edith Fraser and Bill Green. Thanks also to Tim Barkley for his support in the early stages and to rny musical fi-iends for feeding my spirit.

Finally. much love and gratitude to "mon chum" Max Hancock, for giving me the space to complete this dissertation, for sharing both rny excitement and my anxiety, and for cheering me to the finish line.

vii

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Table des matières

Résumé ...........................................................................e................................................. iv Dédicace ........................................................................................................................... vi . . Remerciements ............................................................................................................... vil ... Table des matières ........................................................................................................ VIII

Liste des tableaux ............................................................................................................ si . . Liste des abréviations .................................................................................................... XII ... Citation .......................................................................................................................... UII

Introduction

0.0. Introduction génCrale .............................................................................................. 1 0.1. Résumé de l'hypothèse ............................................................................................ 2

................................................................................... 0.2. Résumé de ia problématique 3 ............................................................................... 0.2.1. Les créoles en général 3

........................................................................ 0.2.2. Le concept de temporalité 4 ....................................................................... 0.2.3. Brèves définitions de TMA 8

0.3. Remarques méthodologiques ..............................................e................................. 11 ............................................................................. 0.4. Le contexte morphosyntaxique 15

........... 0.5. Les créoles à base lexicale franqatise sont-ils des dialectes du français? 15

Chapitre 1 O Problèmes de la catkorisation de temms. mode et a s ~ e c t .

1 . 0. Comment catégoriser ces notions? ....................................................................... 22 1.1. Le temps .................................................................................................................. 24 1.2. L'aspect ........................................................................... ........f.~...........o.............o.. 31

1.2.1. La dynamicilé («dynamiciQw): les verbes statifs et les verbes non- statifs ........................................................................................................ 35

.......................................................... 1.2.2. La délimitation («delimitedness») 39 1.23. Le perfectif et I'impedectif .................................................................... 43 1.2.4. L'itérativité .............................................................................................. 49 1.2.5. La durée ................................................................................................... 50 12.6. Le progressif ............................................................................................ 51

1.3. L e mode (et la modalité) ...................................................................e... ...... ........... 52 1 . 3. 1 . Quelques propositions antérieures ....................................................... 54 1.3.2. Le mode épistémique ...,........................................................................ 57 1.3.3. Le mode déontique ................................................................................. 59

.......................................................... 1.3.4. D'autres sous-catégories modales 60 O ..................................................................................... 1.4. La relation temps aspect 61

1.5. La relation temps O mode ....................................................................................... 67 1.6. La relation aspect . mode ...................................................................................... 70 1.7. L'ambiguïté sémantique ........................................................................................ 71

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Chapitre . 2 O Statut svntaxiaue et momholonjaue des ~rrticules TMA

2.0. Introduction ............................................................................................................ 74 2.1. L'interface avec la sémantique ............................................................................. 76

........................................................................................... 2.2. L'interface aspectamelle 79 2.3. Les constructions dynamiquts (non-statives) et statives .................................... 85 2.4. L'évolution des morphèmes grammaticaux ........................................................ 85 2.5. Les créoles: des systèmes auxiliaires non-marqués? .......................................... 90 2.6. La structure de INFL ............................................................................................. 96

Cha~itre 3 . Le svstème verbal du créole haïtien

3.0. Introduction .......................................................................................................... 101 3.1. La morphologie verbale en bartien ..................................................................... 103 3.2. Le système verbal créole prototypique ................................ .. ............................. 104 3.3. Le système aspecto-temporel de l'haïtien (Vddman 1978) .............................. 107 3.4. Le système aspecto-temporel de I'haWïen (Lefebvre 1992a. 1996) .................. 109

3.4.1. Bref résumé de la relexification ........................................................... 109 3.4.2. Les formes qui encodent TMA en haîtien .... ..................................... 112

3.5. Classes aspectuelles verbales en haPtien ............................................................. 114 3.6. Le temps en haïtien .............................................................................................. 116

" . 3.7. Le mode en baitien ............................................................................................... 118 " . 3.7.1. ap en baiben ........................................................................................... 119

" 3.7.2. a-va en baitien ........................................................................................ 120 3.7.3. pou en haïtien ........................................................................................ 120

3.8. L'aspect en haïtien ............................................................................................ 123 .. . 3.8.1. ap aspectuel en haihen ................... ............................................. . 123 " . 3.8.2. apr-al en baitien ..................................................................................... 127

3.9. Un système TMA cohérent ................................................................................ 128 3.10. Temps complexes ................. , ............................................................................. 129

............................................................. 3.1 1 . Phrases dépouillées (abare sentences») 134 3.12. Le morphème se ................................................................................................. 137 3.13. Comparaison entre l'haïtien et le français ..................................................... 141

.......................................................... 3.14. Comparaison entre l'haïtien et le fongbè 149 ........................................ 3.15. L'évolution des morphèmes grammaticaux créoles 153 ........................................ 3.16. Les modaux sont-ils des auxiliaires ou des verbes? 155

...................................................... 3.17. Le mouvement verbal et la flexion verbale 156 .................. . 3.18. Les formes fléchies et non-fléchies ................................................ 165

3.19. Conclusion .................................................................................................... 171

Chapitre 4 . Limites de la variation dans d'autres créoles Q base lexicale francaise aux Caraïbes

................................................................. 4.0. Introduction O CG. CM. CSL et CGy 171

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4.1. Les systèmes aspecto-temporels ....,..............m~.....mm~.~~. ....................................... 173 4.2. Le temps en guideloupéen et m a ~ a i q o a i s ...................................................... 173 4.3. L'aspect et le mode en guadeloupéen et martiniquais ...................................... 175 4.4. Le marqueur ka en guadeloupéen et martiniquais .......................................... 179 4.5. Le saint-lucien ...................................................................................................... 180

4.5.1. Le morphème zdro (0) ...........,...........................................a................. 180 4.5.2. Le marqueur ka .................................................................................. 182 4.5.3. Le marqueur kay .. .......... ...... ................................................................. 182 4.5.4. Le marqueur te .................................................................................... 183 4.5.5. Le marqueur anou .- ..............,o................o...........œ...........m....o............. 184 4.5.6. Les auxiliaires prédicatifs ..................................................................... 184

4.6. Le guyanais .. ...,.............m.~.~~.~~~~~~~~~~~~~m~~~~..~.m~~~~~œ~~..~o.~-..~HH- ~ - ~ H ~ ~ * ~ ~ ~ O O 188 4.6.1. Le marqueur te ., ................................................................................. 188

4.6.1 . 1. te avec des verbes non-statifi .......................m........................ 188 ........................................................ 4.6.1.2. te avec des verbes statifs 191 ........... ............................................. 4.6.1 3 . te. marqueur de i'irréel .. 192

...... ........................................*......................... 4.6.2. Le morphème &O (0) .. 192 4.6.2.1. 0 avec des verbes non-statifs ....................................m.......... 193

........................................................ 4.6.2.2. 0 avec des verbes statifs 194 ......................... 4.6.3. ka. marqueur aspectuel de l'inaccompli .................... 195

..................................................... 4.6.3.1. ka et les verbes non-statifs 196 ............................................................. 4.6.3.2. ka et les verbes statifs 200

.................................................................... 4.6.4. Les marqueurs du futur ., 202 4.6.5. Temps complexes .......1...............e....................œ.................................... 208

.................................... 4.6.5.1. te dans les temps complexes 208 ................................................................................... 4.7. La syntaxe des marqueurs 212

....................................................... 4.8. Résumé de TMA en CG. CM. CSL et CGy 215

.................................................................................................................... Conclusion 217

Références ..................................................................................................................... 226

Ouvra~es . littéraires ..................................................................................................... 239

Sources musicales ......................................................................................................... 239

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Liste des tableaux

1 Une classification des prédicats ............................................................................. 41 2 Catégories verbales ., ..........M........ ............................................................................ 42

................................................................................................... 3 Catégories modales 56 4 Types de modes ......................................................................................................... 57 5 Relations temps O aspect ........................................................................................... 65

6 Hiérarchie des temps ,., .......,.......o.......................~.......................m.......................... 95 7 Catégories aspectuclles ............................................................................................. 95

8 TMA dans six c r io lu ............................................................................................. 107 ............................................................ 9 L e système aspecto-temporel de l'haïtien 108

10 L'inventaire des marqueurs de TMA en haïtien ..,........................................ 113 11 La projection de TMA en haïtien ........................................................................ 114

................................................. 12 L'inventaire des marqueurs de TMA en fongbè 150 ............................. 13 Comparaison des marqueurs de TMA en haïtien en fongbè 151

Chapitre 4

14 Les systèmes TMA des créoles d a Petites Antilles et de la Guyane .................. 173 15 L'inventaire des marqueurs de TMA en CG. CM. CSL et CGy .................... ... 216 ............... 16 L'inventaire des marqueurs de TMA en CG. CM. CSL. CGy et CH 220

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Liste des abréviations

CH - le créole haïtien CG - te créole guadeloupéen CM - le créole martiniquais CSL - le créole saint-lucien CGy - le créole guyanais FP - te fiançais parlé PA - Petites Antilles ANG - anglais

TMA - temps, mode, aspect TPS- temps MOD - mode ASP - aspect PRES - présent ANT - antérieur FUT - f i i t ~ V - verbe DET - déterminant Adv - adverbe NEG - négation PROG - progressif PF - perfectif IMPF - imperfectif IMPÉR - impératif HAB - habituel GÉN - générique ITÉR - itératif INCH - inchoatif FUT-DEF - fiitur défini FUT-IND - fütur indéfini PROSP - prospectif POSS - possibilité IRR - irréel SUB - subjonctif OBL - obligatoire EXCL - exclamation gram - morphème grammatical AGR - accord («agreement») AUX - auxiliaire iNFL - la flexion («inflectiom) COMP - complément («complementizen)) Re1 - marqueur d'un syntagme relatif (((relative clause markern)

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Se Kreyo '2 nou ye nou pap janm wont sa ...

Se Kreyo '1 nou ye! Se Kreyo '2 nou ye!

traduction: Nous sommes créoles

nous n 'en aurons jamais honte Nous sommes créoles! Nous sommes créoles!

Boukman E kspery ans, groupe musical haïtien

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Introduction

0.0. Introduction ginénk

Cette thèse examine les systèmes de temps, mode et aspect (désormais TMA) des

langues créoles à base lexicale Erançaise aux Caraïbes. Notre objectif est d'étudier des

hypothèses qui ont été déjà développées dans la documentation, de recueillir des données

et enfin de comparer les systèmes verbaux des créoles ce qui mettra en évidence la

nécessité de cette recherche en créolistique. Nous tenterons de soulever quelques

problèmes et de relever cenaines des ambiguïtés de ces systèmes verbaux particuliers afin

de contribuer à la créolistique ainsi qu'aux théories générales de TMA.

Un thème important de notre thèse est l'interaction entre le sens d'une forme

temporelle, aspectuelle ou modale et la valeur morphosyntaxique de cette forme. Le

processus sera de présenter quelques problèmes de la catégorisation de T'MA, d'examiner

le statut syntaxique et morphologique des particules de TMA, de discuter le système

verbal de l'haïtien et ensuite de présenter les systèmes du guadeloupéen, du martiniquais,

du saint-lucien et du guyanais dans le but de fonnuler des conclusions sur la nature du

temps, mode et aspect dans ces langues.

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0.1. Résumé de l'hypothèse

Toutes les langues représentent une certaine grammaticalisation de nos concepts

du monde et elles le font par des moyens variés. En ce qui concerne des notions

temporelles, François-Geiger (1 988:23) constate «que certaines langues présentent une

dominante temporelle du filtre tandis que d'autres privilégient le crible aspectuel». Cela

veut dire que l'un ou l'autre est essentiel dans l'énoncé.

Si nous considérons spécifiquement les créoles, nous verrons que le système de

TMA est le trait le plus cararacténstique de ces langues et que leurs systèmes verbaux

donnent la priorité a w différences aspectuelles et modales. Les notions de temps, mode,

et aspect sont exprimées par des morphèmes libres qui se trouvent préposés aux formes

verbales invariables et non par des suffixes flexionnels ou des transformations de

radicaux comme en français. Les actions habituelles et répétitives sont réalisées par le

morphème zéro' qui peut faire référence au présent ou au passé selon la classe du radical

et les divers facteurs contextuels. Ainsi, les morphèmes libres ou les marqueurs

préverbaux (qui se caractérisent par [+antérieur] [+irréalisé] [+non-ponctuel]) se

combinent les uns avec les autres et avec zéro pour créer des catégories verbales.

Cette étude présente une double hypothèse - une qui traite des catégories de TMA

de manière universelle et une autre qui se réfère plutôt à la créolistique. Tout d'abord?

certaines catégories et manifestations de TMA sont toujours ambiguës, même s'il y a une

longue tradition linguistique liée à l'étude des systèmes verbaux et une documentation

. - .. - - - - -

1 Comme nous le verrons, zéro change la sdrnantique d'un dnoncé; par conséquent, nous incluons ce morphème comme marqueur preverbal de TMA. Par exemple, I'énoncé CG Pol maboul est au présent et correspond à FP Paul est fou, tandis que l'dnoncé CG P6l refou est au passé et correspond à FP Paul était fou.

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prolifique qui traite du sujet. Si nous considérons plus spécifiquement la nature des

morphèmes préverbaux dans les langues créoles, nous voyons que la valeur de ces

particules est trés générale et abstraite. En second lieu, malgré les similitudes de surface

et en admettant l'existence d'un système de TMA centrai, les systèmes verbaux des

créoles s'écartent en partie des descriptions traditionnelles. Par conséquent, nous

proposons qu'il n'existe pas un système verbal créole, mais bien plusieurs systèmes

indépendants qui sont en fait spécifiques à chaque langue en question. Certes, les

catégories de TMA sont encodées par des morphèmes préverbaux dans toutes les langues

de notre étude. Toutefois, l'inventaire et la sémantique de ces marqueurs se distinguent

souvent et les combinaisons des particdes n'ont pas toujours des sens consistants parmi

les langues.

0.2. Résumé de la problématique

0.2.1. Les créoles en général

Un des aspects principaux du présent travail consiste a éviter la tendance

généralisatrice suivant laquelle toutes les langues créoles à base lexicale française

disposeraient d'un système temporel et aspectuel identique. C'est que les systèmes

créoles ne sont pas tout à fait homogènes et, comme l'explique Michaelis (1993: 146),

«les ressemblances frappantes entre les différentes langues créoles, comme (...] dans le

domaine des marques préverbales, ne nous permettent pas d'en déduire que ces particules

assument en même temps exactement ies mêmes fonctions». De plus, Bemabé

(1 983 : 1496) déclare que «chaque locuteur est inconsciemment amené ii penser qu'il

connaît du créole, mais pas le créole>). C'est-à-dire qu'il existe maints systèmes créoles

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autonomes et, par conséquent, qu'il faut étudier indépendamment la grammaire de chaque

langue. En étudiant les systèmes verbaux de divers créoles, nous sortons aussi de ce que

Tersis et Kihrn (1 988 : 1 8) appelle «des ornières indo-européennes».

Cette thèse traite de certains déments linguistiques, plus spécifiquement les

morphèmes grammaticaux associés avec les verbes. Dans le cas des créoles, ce sont des

morphèmes libres préposés aux verbes invariables. Nous avons dans des travaux comme

ceux de Bybee, de Givon, de Hopper et de Comrie une approche substuntive. où des

catégories linguistiques telles que sujet, verbe, nom, aspect et temps sont des phénomènes

universaux avec des manifestations propres à certaines langues (Bybee et al 1994:2). De

la même façon, certaines propriétés sémantiques se voient dans les catégories verbales

des langues non-reliées et, par conséquent, même si les langues créoles ne sont pas

homogènes, il y a quand même plusieurs similitudes.

0.2.2. Le concept de temporalité

Un deuxième aspect du travail consiste à expliquer les ambiguïtés dans la

catégorisation temporelle. Alors que des linguistes, parmi d'autres chercheurs, ont déjà

fait beaucoup de recherche sur le sujet. les définitions de TMA restent toujours

incomplètes. Deux millénaires et demi de recherche ne nous ont pas menés à une théorie

de temps et d'aspect qui soit consistante, claire et généralement acceptée (Binnick 1991

dans Klein 1994:2) mais à un niveau global, la plupart des linguistes ont une certaine

image du fonctionnement de ces notions. En effet, définir les catégories de TMA est une

véritable gageure. D'une part, le concept de temporalité2 lui-même est complexe, et

2 La dualité lexicale en anglais (timeheme) cause une certaine confusion en français et souvent nous voyons ie mot temps comme expression de la nialité ainsi que de la notion grammaticale. Pour cette

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d'autre part, le chevauchement entre les catégories les rend obscures. De plus. les

paramètres de TMA sont réalisés différemment dans des langues du monde.

Benveniste (1966:82) constate que d a temporalité est un cadre inné de la

pensée ...[ et qu'elle] est produite en réalité dans et par I'énonciatiom. Pour Thomas

(1 988:58), d e vécu temporel et spatial participe a la fois du naturel et du social [... et ...]

l'expression linguistique des notions temporelles et spatiales reste insaisissable en

l'absence d'une profonde connaissance de ces différents aspects du vécu de chacune des

sociétés dont on étudie la langue». Puisque la sémantique des catégories de TMA est liée

aux concepts qui sont fondamentaux a la pensée humaine, les philosophes ont souvent

réfléchi à leurs usages. Nous verrons que les points de vue sont variés, mais qu'ils

servent à élargir notre propre perspective.

Les travaux scientifiques et philosophiques soulignent le problème de la

catégorisation et de la définition du sujet. Einstein, par exemple, n'avait pas cessé de

soupçonner les restrictions de la pensée linéaire. Il a conclut que les propositions qui

dérivent des moyens purement logiques étaient complètement vide de réalité même si on

pouvait expliquer correctement ce que c'est «la réalité». Pour Einstein, l'intuition a été

cruciale a la pensée, ce qui est évident dans sa théorie de relativité. 11 a constaté

(Matthiessen 1978:62) qu'on pourrait aisément expliquer la théorie de relativité aux

aborigènes des langues Uto-Aztèques, comme les Pueblo et les Hopi. C'est-à-dire que les

pensées d'un Hopi englobent toujours l'espace et la temporalité, puisque ni l'un ni l'autre

ne se trouve seul dans sa vue du monde. Matthiessen (1 978:62, d'après Whorf 1 950)

raison, j'employerai le terme temporalité pour exprimer la rCalite (rime) et temps pour exprimer la notion grammaticale (terne). Quand il faut plus de clarification, je mettrai entre parenthèses le terme anglais.

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nous explique qu'un Hopi ne dit pas «la lumière a clignoté)), mais seulement ~clignoten,,

sans sujet ou élément temporel; le temps ne peut pas se déplacer parce qu'il est

également l'espace. Les deux sont inséparables; il n'y a aucun mot ou expression qui se

réfèrent au temps ou à l'espace comme séparé i'un de l'autre.

C'est en effet assez proche du concept de champ (((field concept») en physique

moderne. Par ailleurs, il n'y a pas de fùtur temporel; c'est déjà avec nous, en train de se

mani/eteer. Ce qui sont en anglais (ou en fiançais) des diffërpnces temporelles sont en

Hopi des différences de validité. Whorf (dans Carroll 195657) dit que la langue hopie

n'a pas de futur temporel et qu'un Hopi n'a pas de notion ou d'intuition de temps comme

continuum coulant dans lequel tout l'univers procède à une vitesse égale d'un futur, à

travers un présent à un passé ou dans un courant duratif continuel d'un passé à un futur.

S'il est correct, il faudrait subséquemment dire que toute culture n'ayant pas d'item

lexical pour exprimer une notion, n'a pas cette notion a l'esprit, ce qui est sûrement

contestable. Le hopi grarnmaticalise des distinctions modales plutôt que des distinctions

temporelles déictiques ou non-déictiques. Dans ce sens, une telle langue est plus

subjective que des langues qui grammaticalisent le temps (Lyons l977:8 16). Nous

discutons le mode et la subjectivité plus en détails dans la section 1.3.

Nous pouvons observer quelques parallèles entre la théorie d'Einstein et le

concept bouddhiste de temporalité et d'espace qui, comme dans la cosmologie hindoue,

dérive des enseignements anciens des Vedas. Mattheisen (1978:64) explique que les

mécanismes humains de perception, retardés par les écrans de formation sociale qui

excluent tout, à l'exception des éléments pratiques, nous donnent une image limitée de

Page 21: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

notre existence et de nos perceptions du monde. Il déclare (1978:65) que l'intuition

ancienne disant que toute matière (et toute réalité) est de l'énergie, que tous les

phénomènes. y compris le temps et l'espace, ne sont que des cristallisations de l'esprit,

est une idée que peu de physiciens ont disputée depuis que la théorie de relativité a remis

en question les identités séparées de l'énergie et de la matière.

De plus, il y a des rapprochements intéressants entre la relativité et les

enseignements de Dogon, sans aucun doute le plus brillant des maîtres bouddhistes

japonais. Vivant entre 1200 et 1253, il a proposé des analyses expliquant notre

incompréhension partielle du concept de temps. D'après Dogon (Kapleau 1989:309), les

traces du flux et du reflux de temps sont si évidentes qu'on ne les remet pas en cause;

pourtant, on ne peut pas conclure qu'on les comprend. Le temps peut sembler passer

mais Dogon nous suggère que ce n'est que dans notre imagination. Le passage du temps

n'est pas la seule fonction de temps. De plus, pour que le temps passe, il faudrait séparer

le temps d'autres choses dans le monde (comme l'espace et le changement), ce qui ne

serait même pas possible.

11 est utile de reconnaître l'existence de ces problèmes philosophiques, surtout

parce que nous tentons d'éclaircir la catégorisation des temps verbaux. Toutefois, une

discussion philosophique ne répond pas aux questions linguistiques, au niveau de la

comparaison des langues particulières. Par exemple, l'absence de catégories marquant le

passé, le présent et le fiitur en hopi illustre la variation de l'étendue d'expression dans les

langues humaines. Le fait qu'une langue n'ait aucune unité qui exprime le temps ne veut

pas dire toutefois que cette culture n'a aucun concept de temporalité ou qu'elle a un

Page 22: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

concept tout à fait distinct d'autres cultures (Comrie 19894). Par exemple, même si une

culture avait une conceptualisation cyclique de la temporalité, il existerait une

chronologie des événements qui serait au fond linéaire.

Ainsi, nous représenterons la temporalité de façon linéaire avec le passe a gauche

et le futur à droite d'un point de référence qui est le présent3. Nous essayerons de

comprendre non seulement le concept de temporalité, mais plus spécifiquement la façon

dont quelques langues du monde le représentent en examinant les trois catégories de

temps, mode et aspect dans certaines langues créoles. Nous réviserons au plan

épistémique ces notions de TMA et l'ensemble des diverses sous-catégories variées.

Le concept de temporalité sera toujours discutable; les langues different en

fonction dans les sens temporel, aspectuel et modal qu'elles peuvent exprimer et tous les

sens ne sont pas grammaticalisés dans les catégories manifestes (aovem) ou non-

manifestes («covert»). Les catégories temporelles (comme spatiales) ne dépendent pas

des langues, mais sont plutôt basées dans Ies aptitudes cognitives humaines; ces notions

auraient même pu se former indépendamment du langage. Nous espérons que cette étude

illustrera au moins la diversité de l'expression de ces concepts, démontrée par les

distinctions des systèmes verbaux des langues (et donc, des peuples) différentes.

0.2.3. Brèves définitions de TMA

En dépit des problèmes philosophiques, il faut s'efforcer de définir les catégories

verbales et de les inclure dans un cadre spécifique. Si non, il ne serait pas possible

3 Cornrie nous présente le schéma suivant comme représentation de la temporalité: I

passé O futur

Page 23: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

d'expliquer le fonctionnement et la sémantique des marqueurs de TMA dans les langues

de notre étude. Plus loin, nous examinerons en détails ces notions, mais dans cette

introduction nous ne présentons que de brèves définitions. Nous verrons dans le premier

chapitre que ces catégones posent plus de problèmes qu'on ne pourrait le croire à

première vue. C'est en grande partie à cause de la division arbitraire de la sémantique

verbale en trois catégones qui ne sont pas aus i séparables que ne le suggère la littérature.

D'après Tersis et Kihm (19883)'

la linguistique connaît un petit nombre de problèmes qu'on pourrait qualifier d'éternels dans la mesure où leur étude - ne disons pas leur solution - recoupe la totalité des activités de recherche qui construisent la science du language. Le temps et l'aspect sont de ceux-là.

Comme point de départ, on peut définir ces deux catégories ainsi que le mode en

tant qu'expressions grammaticales de sens qu'on ne peut pas en pratique étudier

séparément l'un de l'autre. Le temps, le mode et l'aspect sont des catégones qui

spécifient ou caractérisent le prédicat ou l'événement et une propriété saisissante est que

toutes les trois font référence à un point sur la dimension temporelle. Le temps situe

I'événement dans ta temporalité; l'aspect caractérise la structure temporelle interne de

I'événement; le mode décrit la réalité de l'événement, en employant des termes tels que Ia

possibilité, la nécessité ou le désidératif.

Pour décrire les systèmes TMA de langues différentes, il faut identifier et

comparer les usages des catégories morphologiques interlinguistiques en fonction d'un

cadre descriptif universel. Néanmoins, le lien entre le cadre universel et les systèmes

particuliers est fréquemment indirect et ne peut pas, dans tous les cas, décrire chaque

système avec précision. En effet, la division classique entre les trois catégones est

Page 24: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

arbitraire et les champs sémantiques auxquels les catégories de temps, mode et aspect se

réfêrent sont mélangés. Par exemple, notre cadre définit le passé comme l'antériorité

d'un événement à un point de référence sur la dimension temporelle. Dans des langues

particulières. la forme morphologique qui exprime des événements antérieurs peut

également exprimer d'autres relations temporelles dans certains contextes (comme la

durée): par contre, des formes morphologiques employées plus généralement pour

d'autres relations temporelles peuvent p d o i s exprimer des événements antérieurs

(Chung et Timberlake 1985:202). Ceci dit, la catégorisation en trois de ces notions est un

bon point de départ d'ou nous pouvons mieux comprendre les chevauchements.

Comme le dit Wallace (1982:202), le triplet de TMA a des relations importantes

avec d'autres catégories verbales (ex. la voix et la transivité), ainsi qu'avec des catégories

non-verbales (ex. la personne et le nombre). En fait, nous devons être d'accord avec

Lyons (1 977:690) quand il dit que, dans la grammaire universelle, il n'y a pas de

distinction entre le temps et l'aspect d'une part et entre le temps et le mode de l'autre. En

effet. il n'est même pas possible de séparer complètement ces notions. Waugh ( 1 979:229)

soutient également ce point de vue dans son étude de la sémantique de la morphologie

verbale en français quand elle déclare que les trois temps étudiés (le présent, l'impdait et

le futur. et on pourrait inclure le conditionnel aussi) ont des usages qui se trouvent dans le

domaine du temps (les usages temporels), de I'aspect (la forme de l'événement) et du

mode (évaluation subjective du locuteur). Pour elle, il n'y a aucune différence entre le

temps, l'aspect et le mode; il n'y a qu'une seule catégorie.

Page 25: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

De plus, Givon (1982: 155) constate que la distribution universelle de temps est

exagérée, due à certaines tendances culturelles et linguistiques eurocentriques et

occidentales. Il postule que la plupart des langues du monde, les cultures moins

alphabétisées et sans tradition littéraire en particulier, n'ont souvent pas de système

temporel. Ces langues sont donc essentiellement aspectuelles et modales, ce qui est

clairement le cas pour les créoles de notre étude comme nous le verrons aux chapitres 3 et

4.

0.3. Remarques méthodologiques

Dans le premier chapitre sur la catégorisation sémantique de TMA, nous

examinons divers travaux sur chacune des notions et sur leurs relations. Nous essayons

d'établir des définitions précises des catégories temporelles, modales et aspectuelles a

l'aide de la littérature; Bybee (1985 à 1995), Chung et Timberlake (1985), Cornrie (1976,

l985), Dahl (1 98S), Dowty (1979), Givon f l982), Hopper (1 982), Lyons (1977), Palmer

( 1 985). Tersis et Kihm (1 988)' et Vendler (1 967) en particulier.

Nous commençons avec une discussion sémantique de TMA pour ensuite passer

au deuxième chapitre à une étude fonctionnelle de ces catégories, en gardant a l'esprit les

définitions formulées dans le premier chapitre. Le statut syntaxique et morphologique

des particules TMA du deuxième chapitre est formulé a partir des travaux d' Alleyne

(1 996)' de Bybee, Perkins et Paglica (1994), de Muysken (1 98 l), de Temy (1994) et de

Vinet (1 986), parmi d'autres. Ce chapitre est plutôt théorique qu'empirique. Nous

employons des exemples de langues bien connues comme l'anglais et le fiançais dans ce

chapitre avant de passer en détails aux langues créoles dans les chapitres suivants.

Page 26: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Dans le troisième chapitre, traitant du système verbal haïtien (du point de vue de

la morphologie, de la syntaxe et de la sémantique), nous considérons la multitude de

travaux qui ont déjà été faits, par Claire Lefebvre et Le Groupe de recherche sur le créole

hai'tien de I'UQAM en particulier. Nous nous référons aux ouvrages de Bernabé (1983),

de Bickerton (1975, 198 1 et 1984)' de Degraff (l997), de Joseph (1992)' de Lefebvre

(1 982, 1986b, 1992 et 1 996)' de Lumsden (1 993), de Magloire-Holly (1 982)' de Spears

(1 990 et 1993)' de Valdrnan (1978) et de Wingerd (?). L'haïtien constitue la base de

I'etude empirique servant a comparer les autres créoles mentionnés. Il y a quelques

variations dialectales de l'haitien, mais nous nous concentrons sur la variété de la région

centrale (Port-au-Prince).

Dans le quatrième chapitre, nous examinons TMA dans les créoles de

Guadeloupe, de Martinique, de Sainte-Lucie et de Guyane. Les données utilisées dans

cette anal y se se basent sur trois sources fondamentales - des travaux déjà publiés, des

proverbes et contes et des transcriptions du discours que nous avons recueillies.

Certaines données viennent d'ouvrages descriptifs et théoriques; parmi d'autres, nous

avons consulté Valdrnan (1978) pour les créoles des Petites Antilles; Cérol(1991) pour le

guadeloupeen, Damoiseau (1 985) pour le martiniquais, Carrington (1 984) pour le saint-

lucien et Schlupp (1 997) pour le guyanais. A l'aide d'informateurs, nous employons

également de petits contes créoles (dont quelques titres figurent à la fin de la

bibliographie).

Des enregistrements du guadeloupéen ont été recueillies au mois d'août 1994 dans

plusieurs régions de la Guadeloupe. Des mots, syntagmes et énoncés ont été recueillis

Page 27: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

directement du discours de locuteurs discutant la politique, l'économie et la culture

guadeloupéennes. Les enregistrements contiennent égaiement des narrations de contes

traditionnels et de la conversation naturelle. Plusieurs conversations ont été enregistrées,

mais la plus utile est un monologue de Lucien B. (âge 45, pêcheur). Les enregistrements

ont été faits dans des restaurants ou chez les informateurs. Les idormateurs parlaient

français mais, dans tous les cas, ils étaient plus à l'aise avec le créole, qu'ils employaient

la plupart de temps dans la vie quotidienne.

En plus de ces enregistrements sur cassette, des informateurs à Montréal et a

Toronto ont contribué à l'étude de chaque créole en question: deux informateurs

guadeloupéens, deux informateurs martiniquais, un informateur saint-lucien, un

informateur guyanais et un informateur haïtien, qui nous ont fourni des données et qui ont

vérifié nos exemples. Leurs noms, âges et métiers sont les suivants:

Guadeloupéen: F.L., 4 1, musicien J.L., 38, femme de ménage

Martiniquais: B.L., 27, musicien H.B., 36, épicier

Saint-Lucien: B.D., 32, musicien Guyanais: D.M., 36, musicien Haïtien: J.B., 34, musicienne

En comparant les langues, il aurait peut-être mieux valu mettre en parallèle des

énoncés exactement identiques, mais une série de phrases comparables pour chacune des

langues n'était pas toujours accessible dans les enregistrements, contes, etc. De plus, une

telle procédure nous a semblé trop artificielle. Dans le troisième chapitre, nous avons

élicité auprès de nos informateurs des phrases stnicturellement identiques à celles de

Page 28: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

l'article de Lefebvre (1996) afin de ressortir la similitude entre les deux ensembles de

données provenant de locuteurs différents.

En outre, la méthode employée par Waugh (1975) dans son étude sémantique du

système temporel fiançais, qui attribue un sens absaait à chaque morphème, n'est pas très

utile parce qu'elle présume qu'un sens grammatical est déterminé par des oppositions

propres aux langues particulières, qui ne sont pas comparables directement

interlinguistiquement. II est plus juste ici de suivre Anderson (1982) qui traite des

morphèmes grammaticaux du point de vue des usages ou des fonctions. Avec cette

approche, les divers usages d'un morphème sont assez accessibles aux linguistes et aux

locuteurs natifs. De plus, les grammaires utilisées consistent en une explication des

usages des morphèmes particuliers.

Des données d'autres travaux sont parfois modifiées dans le but d'avoir une

orthographe cohérente toute au long de [a présente thèse. Pour les voyelles nasales, notre

système ressemble en partie a l'orthographe du français (FP demain, CGy dimèn). La

cédille n'est pas utilisée; nous mettons plutôt un /SI dans des mots comme CM sa (FP ça).

I l n'y a pas d'accent aigu pour marquer le phonème /e/ dans des exemples tels que CG

gade (FP regarder). L'accent grave distingue I d de /el dans des exemples tels que CGy

sizè (ïP six heures) et CGy dernarre (FP démarrer). De plus, nous mettons un accent

grave sur Io1 pour faire la distinction entre, par exemple, CG chapo (FP chapeau) et CG

Po2 (FP Paul).

Page 29: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

0.4. Le contexte morphosyntaxique

Comme le dit Lefebvre (i996:237), les entrées lexicales d'un système T M . d'une

grammaire constituent un sous-système cohérent de cette grammaire. Elle constate que

les systèmes TMA discutés dans son travail (l'haïtien et le fongbè) définissent la

grammaire d'un sous-ensemble de locuteurs de ces langues ce qui souligne l'importance

des systèmes TMA pour une catégorisation de ces langues. Par extension, on pourrait

aisément dire que les créoles étudiés dans le présent travail ont aussi des systèmes TMA

cohérents qui les catégorisent.

Il y a des correspondances entre l'interprétation sémantique et la structure

morphologique et syntaxique dans le domaine de TMA. De plus, nous nous demanderons

comment ces notions se réalisent dans des langues et dans des créoles en particulier. 11 y

a des projections générales proposées au chapitre 2 et des projections plus spécifiques sur

l'haïtien présentées au chapitre 3. Nous venons au chapitre 4 que les créoles des Petites

Antilles et de la Guyane suivent le modèle de l'haïtien discuté au chapitre 3.

0.5. Les créoles à base lexicale fmnqaise sont-ils des dialectes du franqais?

Récemment les linguistes ont avancé maintes hypothèses en ce qui concerne les

langues créoles et le remplacement des modèles statiques par des modèles dynamiques est

devenu une innovation importante. Cela veut dire que nous n'avons plus besoin de

construire des systèmes abstraits pour décrire ces langues. Par exemple, une définition

traditionnel le et statique disait que les créoles possèdent une structure grammaticale

simple. Bien que le h ç a i s et l'haïtien soient tous les deux des langues SVO, nous

voyons plusieurs distinctions importantes en comparant ces langues.

Page 30: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Surtout important pour ce travail, les créoles étudiés ici possèdent peu de

variations morphologiques en comparaison avec le fiançais. C'est à cause de cette

absence de morphologie flexionnelle qu'on les considêre souvent comme des versions

réduites et corrompues du français. Cependant, Mülhausler déclare (1 980:20) que

l'absence de formes grammaticales marquées rend une langue simple dans un sens absolu

plutôt que dans un sens relatif. De plus, une grande partie de cette confusion semble être

due à la tendance très répandue d'assimiler la simplification à l'appauvrissement et

l'expansion à l'élaboration. Ainsi, il faut étudier les créoles de manière dynamique avant

de les comparer avec les langues de leur base lexicale. Comme l'explique Thomas

une des difficultés majeures de nos recherches réside dans le fait que non seulement nous avons affaire à des structures sociales qui nous sont fon étrangères, mais que la réflexion linguistique doit se faire en se détachant le plus possible des équivalents de la langue envisagée dans notre propre langue maternelle. Ces deux «étrangetés» socio-cuiturelle et linguistique contribuent trop souvent à une mésappréhension de systèmes originaux que la simple apparence formelle nous permet de réinterpréter dans une perpective notionnelle et fonctionnelle plus familière, mais fausse.

Sans trop entrer dans une discussion historique détaillée des créoles, nous

remarquons que la phonologie et le lexique montrent plusieurs similitudes entre les

langues créoles et le français. Si on analyse le lexique de ces langues, on trouve que

moins de dix pour cent du lexique provient de sources autres que le français et qu'à peu

près trois pour cent est dérivé de sources africaines. Archer (1987:472) affirme que «le

créole et le fiançais sont étroitement apparentés historiquement et génétiquement » et que

dans le vocabulaire de l'haïtien, ((40% des mots ressemblent au français par la forme

écrite exacte [et] 95% des mots se ressemblent par la sémantique)). Toutefois, qu'entend-

Page 31: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

t-elle par ((ressemblen)? Ce n'est pas du tout clair. Archer n'a pas fait une enquête

détaillée sur les langues en question et elle n'a même pas travaillé avec des données. Elle

ajoute (1 987:472) que «l'évolution du créole a modifié des mot étrangers et créé des

formes nouvelles par analogie», mais il n'y a pas d'explication appuyant cette proposition

non plus.

Nous verrons qu'il existe en effet plusieurs hypothèses différentes a propos de la

provenance des mots haïtiens. Nous en présentons quelques-unes ci-dessous, mais la plus

valable se trouve à la section 3.4.1. ou nous résumons l'hypothèse de la reflexification de

Lefebvre. Brousseau, Filipovich et Lefebvre (1 989: 28 1-2) concluent que les matrices

phonétiques des mots haïtiens sont d'origine française, mais que les règles syntaxiques se

basent généralement sur le modèle du fon, par un processus de reiexification. Kihm

(1 989:352) parle aussi de la conflarion, pour qualifier l'origine multiple du matériel

lexical (((multiple origin of lexical materiab) de Müihhsler (1 982: 103)- C'est-à-dire que

les lexiques créoles incluent des items de langues superstrates, des items de langues

substrates ainsi que des items des deux et à partir desquels fonctionne la relexification.

Mülhausler (1982: 103) donne des exemples tels que bluf (FP sang, sève) en tok pisin qui

provient du mot anglais blood (FP sang) et du mot tolai bulit (FP sève).

Filipovich (1987:2) remarque que ({malgré la auantité de mots haïtiens d'origine

fiançaise, il existerait une différence qualitative au niveau des types de processus

morphoiogiques opérationnels dans les deux langues». Elle parle plutôt de la

morphologie dérivationnelie dans le cadre d'une approche lexicaiiste, mais cette

déclaration est aussi valable a propos de la morphologie flexionnelle. De ce point de vue,

Page 32: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

le lexique n'est pas intéressant pour lui-même mais par rapport aux changements

morphologiques et syntaxiques dans l'évolution du fiançais. C'est ici ou nous voyons les

grandes distinctions entre le fiançais et les créoles à base lexicale fiançaise. Plusieurs des

concepts grammaticaux qui sont exprimés par la morphologie (et surtout la flexion) en

fiançais se trouvent dans des combinaisons syntaxiques dans les langues créoles. Alors

que la morphosyntaxe contrastive de l'haitien et du fiançais soulève les différences, une

comparaison de I'haitien et des langues ouest-africaines montre maintes similitudes. Il ne

faut donc pas considérer les créoles comme des dialectes du français mais comme des

langues distinctes qui sont plus proches des langues ouest-africaines du point de vue

morphosyntaxique.

Le développement des préfixes de TMA semble être dQ aux langues africaines,

dans lesquelles l'aspect est plus proéminent que le temps. Sylvain suggère (1 936: 143)

que te ressemble au préfixe yoruba ri- et qu'ma correspond au préfixe éwé ma-. Holm

constate aussi (1 988: 149) que le système aspecto-temporel ressemble aux marqueurs

aspectuels et temporels dans les langues substrates ahsi que dans d'autres créoles.' Dans

les quelques exemples suivants, les particules se ressemblent phonologiquement (Holm

( 1) a. CH te - Sao Tomé créole portugais fa - Yoruba ri b. CH aha - Cape Verde créole portugais ta - Yoruba a c. CH t-a - Cape Verde créole portugais ta-ba -

Palenquero créole espagnol tan-ba

4 Néanmoins, c'est la ressemblance lexicale qui a aussi dte utilisde comme argument pour dire que le créole est une variété de français.

Page 33: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Il y a également des marqueurs qui se ressemblent non pas de manière phonologique mais

par leurs similitudes fonctiomelles. En générai, ils ne se présentent pas comme des

verbes principaux.

(2) a. CH rn le vini - FP je suis venu b. Sranan (anglais) m e waka - FP je marche c . Crioulo (portugais) ng na bay - F P je vais d. Seychelles mô pu vin ris ê nrr - FP peut-éîre que je deviendrai riche un

jour e. Negerhollands (néerlandais) yu sa ka: dra: di a ya han -

FP tu l'a p o ~ é à la main

Bentolila (1 97 1, cité dans Valdrnan 1977: 180) affirme que le système verbal de

l'haïtien provient du fongbè et que le fongbè possède des marqueurs qui ont des champs

sémantiques comparables a ceux du créole. Voici quelques corrélations:

(3) a. CH ap - Fongbè do b. CH t ap - Fongbè ko do c. CH av ap - Fongbè nà do d. CH t av ap - Fongbè n a ko do

Ka, le marqueur de l'aspect imperfectif des créoles des Petites Antilles, a une origine

inconnue (mais ce morphème se trouve dans plusieurs langues bantues). Hull dit que les

créoles-ka - le guadeloupéen (CG), le martiniquais (CM), le saint-lucien (CSL) et le

guyanais (CGy) - ont une histoire distincte de celle de l'haïtien. Il constate (1 979:206)

que le créole haïtien est intermédiaire chronologiquement entre les créoles des Antilles (la

Guadeloupe, la Martinique, Sainte-Lucie) et de Guyane d'un côte et du créole louisianais

ou mauricien de I'autre, une théorie qui correspond bien à la preuve historique. Il affirme

que les créoles-ka (les créoles antillais et guyanais) précèdent les après-créoles (l'haïtien)

5 La lettre /dl ici réfere a /dr implosif.

Page 34: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

et leurs systèmes verbaux doivent représenter des types originaux et non pas des

innovations.

De plus. Hull (1979:207) affirme qu'un créole portugais est la seule source

possible des particules ka et k. Henry Funk (cité dans Goodman 1964:85) déclare que ka

existe en hai'tien et en louisianais sous la forme plus longue de kap et kapab qui vient du

mot fiançais capable. Cependant, Goodman constate que la genèse de ce marqueur est

plus complexe; d'après lui, ka vient du portugais et a existé dans tous les créoles a base

lexicale française. II dit qu'à un certain moment, ka a changé au marqueur op dans tous

les créoles sauf les créoles-ka, mais ce processus est invraisemblable. Rattier (1990:70)

reconnaît également l'influence d'autres langues sur l'évolution d'une langue. Par

exemple, « le pluri linguisme guyanais, avec les langues de communautés amérindiennes et

bushi ningué (noirs des bois), une grande variété de langues allogènes mais aussi et

surtout la présence du français, langue officielle du pays, crée une diversité linguistique

d'une extrême complexité».

Comme le mentionne Damoiseau (1988:54), ail est toujours difficile d'analyser,

sur un point quelconque, le fonctionnement des créoles sans faire référence aux

conditions particulières de leur formation». Par conséquent, une courte exploration de la

genèse est utile pour reconnaître l'existence des distinctions syntaxiques entre les langues

créoles à base lexicale française (bien que cette thèse soit surtout un travail

synchronique). Dans le corps de la thèse, nous ne nous concentrons pas sur toutes les

différences entre les créoles et le français parce qu'il nous semble justifié de décrire les

Page 35: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

créoles pour ce qu'ils sont et non en prenant pour base le h ç a i s ou des langues

africaines.

Comme le dit Alleyne (1996: 105-6), «si le système ou les systèmes TMA français

sont le point de départ pour examiner la genèse et le développement du système aspecto-

temporel créole [ou, plus précisément les systèmes aspecto-temporels créoles], l'on

devrait admettre une restructuration considérable dans le champ de la structure syntaxique

mais, en même temps intéressante dans le champ cognitive-sémantique, pour arriver au

système créole». Pourtant, la brève comparaison entre l'haïtien et le h ç a i s et l'haïtien

et les langues africaines du troisième chapitre décrit des caractéristiques semblables et

distinctes entre ces langues. Le reste du chapitre est consacré a l'étude de l'haïtien qui

est, en fait, la base à laquelle nous comparons les autres langues créoles au chapitre 4.

Page 36: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Problèmes de la catéeorisatioa de tem~s. mode et as~ect

1 .O. Comment catégoriser ces notions?

Ce chapitre se concentre surtout sur les domaines sémantiques marqués

morphologiquement sur les verbes, c'est-à-àire, temps, mode et aspect. On commence

souvent par la sémantique pour essayer de définir les termes de TMA, ce qui n'est pas

sans problèmes car beaucoup d'ambiguïtés et de chevauchements existent. Par exemple,

des catégories traitées comme aspectuelles ont d'habitude aussi une référence temporelle.

Néanmoins, la sémantique est un bon point d e départ puisqu'elle nous aide à reconnaître

ce que les domaines de TMA représentent dans des langues.

Il existe plusieurs opinions par rapport à la description de ces catégories. Il y a

toutefois un accord général sur quelques points en ce qui concerne les catégories et la

nature des expressions. Une étude typologique d'une catégorie grammaticale implique

deux étapes fondamentales. Premièrement, on doit identifier certaines catégories dans

des langues différentes et deuxièmement, on doit identifier ces catégories comme étant

les mêmes à travers les langues (Palmer 1986:2). il y a toujours certains traits fonnels

qui sont propres à la langue en question, mais l'identification se base sur les traits

sémantiques partagés par les langues. Pour Thrane (1983: 155)' ce sont des classes

Page 37: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

d'équivalence interlinguistique («cross-linguistic equivalence classes»). On suppose

qu'il y aura une correspondance de sens entre un système et un autre et qu'il y aura de

l'équivalence translatiomelle (Palmer l986:3). La définition ultime d'une catégorie

typologique se fait donc par rapport au sens, bien qu'il ne soit pas toujours possible

d'établir une défuiition. II y a de la variation interlinguistique, mais il y a également des

traits fondamentaux qui sont les mêmes pour toutes les langues (c'est-à-dire, des traits

protoiypiques). Pour Palmer (1 986:3), le f a . que nous soyons capables d'apprendre des

langues étrangères et de traduire d'une langue à une autre avec une certaine fidélité

suggère trois points essentiels: des langues différentes ont beaucoup en commun; on peut

identifier des sens interlinguistiquement; et on peut demander comment des langues

distinctes traitent des phénomènes semblables. Ces idées sont essentielles dans notre

analyse des systèmes verbaux des langues créoles de cette étude.

Bickerton (1 975, dans Givon 1982: 155) propose que les trois traits marqués du

système TMA créole se basent sur trois aptitudes perceptuelles-cognitives générales et il

avance trois types de fonctions principales pour l'acte de communication. C'est-à-dire,

(1) connaître l'ordre temporel des événements au passé (l'opposition perfectif :

imperfectif); (2) être capable de distinguer entre les entrées de sens et notre imagination

(entre un fait et un procès irréel); et (3) être capable de distinguer entre un événement qui

s'est passé une seule fois à un moment particulier ou s'est prolongé sans interruption

(duratif / continu) ou avec interruption (itératif). Nous considérons conséquemment ces

fonctions comme les catégories: perfectif / imperfectif, réel / irréel, et ponctuel / non-

ponctuel.

Page 38: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Comme l'expliquent Bybee et Fleischan (1995: 13), des langues classent souvent

l'information temporelle, modale et aspectuelle dans ce qu'ils appellent la morphologie

«portmanteau» et il est donc dificile de décider comment donner des étiquettes à de telles

catégories. En effet, les situations variées d'un événement - le passé, le présent, et le

hitur - sont liées aux différences en mode et en aspect. Par exemple, un événement qui se

déroule après le moment du discours est kée l et potentiel. Ainsi, il y a une corrélation

entre le temps futur et le mode irréel et potentiel et entre le temps non-futur et le mode

réel (ou non-irréel). Un événement qui est en cours pendant le moment du discours n'a

pas été complété. Il existe donc une corrélation entre le temps présent et l'aspect

inachevé (imperfectif ou progressif) qui implique une corrélation entre le temps passé et

I'aspect achevé (perfectif ou non-progressif). Toutes ces cordations illustrent qu'on

peut exprimer des distinctions temporelles par des catégories morphosyntaxiques qui ont

des fonctions aspectuelles ou modales plus larges.

1.1. Le temps

Une référence temporelle se définit comme une relation entre un point de

référence et le moment signalé par l'énoncé. Le point de référence est souvent le moment

de l'énonciation, mais peut également être le moment d'un grand événement historique

qui est enraciné dans le milieu culturel des interlocuteurs (une référence temporelle du

calendrier) ou le temps d'un événement déjà mentionné (une référence temporelle

anaphorique). Il y a essentiellement deux moyens linguistiques qui permettent au

locuteur l'expression de référence temporelle. Le premier est le temps, c'est-à-dire une

marque grammaticale et systématique du verbe (par des affixes, l'alternance des voyelles,

Page 39: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

des auxiliaires et dans certains cas des particules). D'autres moyens impliquent le recours

à divers types d'adverbes (par exemple. hier et la semaine prochaine) qui sont soit

déictiques, soit anaphonques.

Une autre notion fondamentale, la déixis, est le repérage et l'identification des

personnes, des objets, des événements, des processus et des activités dont on parle

relativement au contexte spatio-temporel créé et maintenu par l'acte de l'énonciation et la

participation dans l'énoncé, ghéralement par un seul locuteur et au moins un destinataire

(Lyons 1977:637). Autrement dit, des expressions déictiques sont des éléments

linguistiques qui font référence aux propriétés du contexte extralinguistique de l'énoncé

dans lequel ils se trouvent (Anderson et Keenan 1985:259). Par exemple, l'énoncé Je

suis rentrée il y a trois jours est déictique parce que je se réfère directement au locuteur et

il y a trois jours se réfêre a un point de référence qui est dans ce cas le moment de

l'énonciation. C'est-à-dire, l'action s'est passée trois jours avant l'énonciation de la

phrase. Le verbe suis rentrée est une expression déictique temporelle, puisqu'elle

spécifie que le temps de la rentrée est avant le moment de l'énonciation.

On arrive à la construction et la reconstruction de Ia perspective de I'encodeur

(c-à-d. le locuteur) via des expressions déictiques. Cela veut dire que des expressions

déictiques sont reliées a la situation de I'encodeur ou en dépendent. Par conséquent, la

déixis est la partie de la grammaire qui traite de la description des termes déictiques; la

dépendance des expressions déictiques de la situation de I'encodeur suggère que la

description de la déixis appartient à la sous-catégorie de la grammaire de la pragmatique

(Rauh 1983:9-10).

Page 40: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Dans les expressions anaphoriques (à la différence des expressions déictiques),

l'antécédent ou le temps d'un événement déjà mentionné est le point de référence.

Examinons l'énoncé Paul était à Toronto le premier janvier, mais la semaine d'avant il

était à Paris. L'expression adverbiale lu semaine d 'avant a comme point de référence la

date mentionnée dans la première partie de la phrase, c'est-à-dire le premier janvier; il se

réfere à Pouf, aussi mentionné explicitement dans la première partie de l'énonce.

Retournons maintenant à notre discussion de temps, qui joue un grand rôle dans

les langues indo-européennes et donc dans notre manière d'analyser la grammaire.

Cornrie (1 976: 1-2) affirme que le temps relie la temporalité d'une situation à un autre

moment, d'habitude au moment du discours. Les temps les plus communs trouvés dans

les langues du monde sont le présent, le passé et le htur, mais les temps ne sont pas tous

lexicalement encodés dans les langues particulières. Certaines langues ne distinguent pas

entre le présent, le passé et le htur et quand on dit que ces langues n'ont pas de temps,

cela veut dire qu'elles ne relient pas le moment de la situation décrite au moment du

discours par une variation systématique dans la structure de l'énoncé (Lyons 1977:678-9).

Nous verrons qu'il y a plusieurs façons d'interpréter le temps.

Dans son hypothèse présentiste, Quentin Smith (1 993) fait face à la théorie de

relativité d'Einstein en disant que le temps n'est pas relatif mais absolu. II propose un

argument pour un certain type d'universel sémantique substantif qui explique que dans

n'importe quelle langue humaine, il existe un morphème qui attribue une propriété du

présent. Pour Comrie (1985:9), le temps est l'expression graaimaticalisée du repérage

temporel qui est donc déictique. D'après lui aussi, le passé, le présent et le futur sont les

Page 41: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

temps absolus possibles et ils ont une relation chronologique précise avec le moment de

I'énonciation (le présent), malgré l'inclusion du plus-que-parfait, de l'imparfait, du passé

composé. du futur simple. etc. en français qui marquent plutôt des différences

a ~ ~ e c t u e l l e s . ~

Chung et Timberlake (1985:256) préferent une seule catégorie pour le temps et

lkspect (TA) parce que les deux caractérisent la relation entre un événement et des points

saillants sur la dimension temporelle. Il existe un chevauchement entre le temps et

I'aspect dans plusieurs langues et il est important d'avoir une terminologie qui maintient

la distinction entre les deux; les notions de temps et d'aspect ont des différences

sémantiques et il sera donc possible de voir où se trouve exactement le chevauchement.

Quand il relie le temps et l'aspect, Comrie (1976:3) parle des différentes manières de voir

la structure temporelle interne d'une situation, une définition qui est évidemment très

générale.

D'après Tersis et Kihm (1 988: 19), le temps est plus objectif que L'aspect, mais

qu-est-ce que cela veut dire exactement? Le temps est défini comme la traduction de la

temporalité et l'aspect exprime plutôt le point de vue ou une représentation du locuteur.

Une !angue. cependant. est elle-même une représentation de la réalité. Dire donc qu'une

catégorie est plus objective qu'une autre ne clarifie rien à propos de ces catégories. Nous

6 Pour Comrie. i l y a deux types de temps, le temps absolu et le temps relatif. II explique que temps absolu est un terme traditionnel qui s'appiique aux temps qui prennent le présent (le moment de I'énonciation) comme centre déictique. Effectivement, le temps absolu est impossible puisqu'un moment donné est toujours relatif à un autre moment ou point de référence. Le présent n'est, en effet, qu'un seul point de référence parmi le nombre infini de points qu'on aurait pu choisir. Par conséquent, le temps est en principe toujours relatif. Cependant, dans cette thèse (d'après Comne 1985:36, 56), le remps absolu réfère a un temps ou le moment du present est le centre déictique. Par contre, dans un remps relatif; le point de référence est donné par le contexte et n'est pas nécessairement le moment du présent.

Page 42: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

discutons le chevauchement ainsi que quelques problèmes propres à la catégorisation du

temps et de l'aspect en 1.4. et nous proposons qu'il est souvent difficile de maintenir des

distinctions.

Nous ne tentons pas de décrire chaque distinction de TMA qui est logiquement

possible. Nous n'examinons que des distintions signalées concrètement par la

morphologie verbale des langues en question, et Chung et Timberlake (1985) nous

donnent un cadre pour la description de chaque catégorie de TMA. Ils nous suggèrent

(1 985:îO3) qu'on peut décrire le temps en fonction d'une dimension temporelle qui est

directionnelle, avec un point ou un intervalle de temps nommé le point temporel («teme

Iocus))); un événement se passe dans un intervalle de temps, c'est-à-dire dans le cadre

événementiel (~event thne»). Le temps situe l'événement en comparant la position du

cadre par rapport au point temporel, qui suit le schéma présenté par Cornrie en 0.2.2.

Les deux considérations les plus importantes dans les systèmes temporels sont la

sélection du point temporel et la nature de sa relation avec le cadre événementiel.

D'abord, les systèmes temporels où le moment du discours sert de point temporel sont

nommés traditionnellement le temps absolu; des systèmes ou un autre point est le point

temporel sont nommés Ie temps relatif. Le deuxième facteur concerne la relation entre le

point temporel et le cadre événementiel. Le cadre peut être antérieur ou postérieur au

point temporel, ou peut l'inclure. Ces distinctions définissent les trois temps verbaux: le

passé, le présent et le futur. 11 y a également plus de subtilités. Par exemple, si le point

temporel est un événement qui dure (et non pas un point unique sur la dimension

Page 43: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

temporelle), il y a plus de possibilités: un événement peut inclure l'autre, ils peuvent

coïncider exactement ou ils peuvent se chevaucher partiellement.

La dimension temporelle a une directionalité du passé au funv qui implique que le

passé est COMU OU établi (réel) tandis que le funu est inconnu et potentiel (irréel). Cela

implique donc un rapport entre le temps et le mode. En fait, I'encodage direct de trois

temps n'est pas très commun dans les langues; il y a plus souvent une distinction binaire,

comme le futur versus le non-funu ou le passé versus le non-passé. Dans ces cas-là, le

mode ajoute un sens plus spécifique à l'énoncé.

Bickerton (1 98 158) divise la notion de temps en deux parties - l'antérieur et le

non-antérieur. Par contre, Comrie propose que le temps comprend trois sous-catégories -

le passé, le présent et le futur. Comrie (1985: 123) illustre le temps au moyen de trois

formules courtes @as si différentes de ce qu'expliquent Chung et Timberlake), où E

réfère au moment de l'événement ou de la situation, S est le moment du discours et sirnul

est une abréviation de simultaneous:

(4) présent E simul S passé E avant S tùtur E après S

II existe toutefois des langues qui ont moins de trois temps. C'est donc dire que

certaines langues n'en ont que deux (le présent, le passé) alors que d'autres n'en ont qu'un

(le présent). Puisque des temps comme non-passé et non-futur se retrouvent dans

quelques langues du monde, Comrie (1 985: 124) nous donne encore deux représentations:

(5) non-passé E pas-avant S non-fütur E pas-après S

Page 44: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Lyons (1 9779309) nous suggère que dans la plupart des langues temporelles, la distinction

passé : non-passé est plus importante que les distinctionsprésent : non-présent oufutur :

non-futur. II souligne que la distinction tripartite entre le passé, le présent et le fûtur n'est

pas inhérente à la structute des langues.

Le temps est aussi relatif à d'autres situations de l'énoncé. Ainsi, le temps de la

situation se trouve soit avant, pendant, ou après un certain point de référence (R), comme

dans l'exemple (6) ci-dessous (Cornrie 1985: 124):

(6) présent relatif E simul R passé relatif E avant R futur relatif E après R

Le non-passé relatif et le non-futur relatif sont aussi représentés suivant ces paramètres:

(7) non-passé relatif E pas-avant R non-futur relatif E pas-après R

La terminologie employée par Cormie semble adaptée de la théorie de temps de

Reichenbach (1947). Suivant cette conception, il n'y a que trois points temporels

pertinents au choix de temps dans une phrase donnée: S. le point de discours; E, le point

de l'événement; et R, le point de référence. Il faut noter que le point de référence n'est

pas associé à un moment déictique particulier.

Bernabé (1 987: 1 2 1 ) nous signale que ((chaque langue a une organisation

grammaticaie qui lui est propre». Néanmoins, si une langue peut se contenter de n'avoir

qu'un ou deux temps, comment pouvons-nous rendre compte de tous les ensembles de

temps qui dépassent trois? La réponse se trouve dans l'étude des notions d'aspect et de

mode, des notions qui se combinent sémantiquement avec le temps pour le rendre plus

complet et polyvalent.

Page 45: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

1.2. L'aspect

Certaines langues n'ont pas de catégorie grmat icale pour les distinctions

sémantiques aspectuelles mais, pour celles qui en ont, la différence avec le temps est

évidente (malgré que les deux catégories soient liées). L'aspect n'est pas déictique

comme le temps, parce qu'il ne traite pas de la relation entre la temporalité d'une

situation et un point de référence temporel. Cependant, RafKerty (1 982:66) affimie que

l'aspect est déictique dans le sens qu'il définit la perspective spatio-temporelle du

locuteur sur l'événement, l'état ou l'activité. Selon Cornrie (1 W6:3), les aspects

correspondent à différentes façons de voir la composition temporelle interne d'une

situation. C'est une définition basée sur celle de Holt (1943, cité dans Comrie 1976:3)

qui affirme que les aspects sont de s manières diverses de concevoir I'écoulernent du

procès même».

L'aspect (qui est souvent confondu avec le temps) traite donc de la temporalité

interne de la situation alors que le temps traite de la temporalité externe de la situation.

C'est-à-dire que l'aspect caractérise la relation d'un prédicat à l'intervalle temporel ou il a

lieu, indépendamment du temps que l'événement, l'action ou le procès occupe sur l'axe

temporel. Cette définition inclut deux types de relations distinctes. En premier lieu, le

changement est une notion centrale; des prédicats décrivent des états, des situations, des

propriétés, etc., qui restent constants ou qui changent. Deuxièmement, l'aspect

caractérise les diverses relations d'un prédicat au cadre événementiel. En général, il y a

deux possibilités: soit que le cadre est interne à l'événement (le prédicat dure avant,

pendant et après le cadre) soit que le cadre inclut l'événement (le prédicat n'a lieu qu'à

Page 46: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

I'intérieur du cadre). Autrement dit, l'aspect traite de la relation d'un événement ou d'un

état à un point de référence précis; il se trouve avant (rétrospectif). après (prospectif).

autour de (progressif) ou simplement a (aoriste) un point temporel particulier. Les

aspects sont donc des temps relatifs ou secondaires (Anderson 197359-40). De plus, les

distinctions aspectuelles sont des distinctions temporelles qui sont indépendantes d'une

référence au passé. au présent ou au fiitur. Tandis que les morphèmes temporels ont une

relation concrète avec l'observateur, les structures aspectuelles sont fort abstraites et plus

un morphème est abstrait, plus le contexte est important pour son interprétation (Hopper

l982:4).

L'aspect est exprimé par la morphologie, les adverbes et des particules

spécifiques. Vinet (1 989: 171) constate que d e marqueur aspectuel ... permet d'identifier

le temps interne de l'événement, il marque l'accompli et est lié à l'aspect perfectifo. La

notion originelle d'aspect grammatical est étroitement liée à l'opposition morphologique

systématique entre l'aspect perfectif et imperfectif dans les langues slaves (Klein

1994: 16). Cependant, la plupart des chercheurs ont une perspective plus libérale et ils

supposent que d'autres langues possèdent la même catégorie. qu'elles expriment de

façons différentes.

En plus du terme aspect. il existe le terme alcrionsart (pluriel aktionsurten);

introduit en 1908 par le linguiste allemand Agrell, ce terme se réfère au mode d'action.

Bien que plusieurs linguistes aient confondu les deux termes (De Colombe1 et François-

Geiger. dans Tersis et Kihm 1988, panni d'autres), ukzionsart se distingue de l'aspect de

deux manières principales. D'abord, l'aspect est la grarnmaticalisation des distinctions

Page 47: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

sémantiques. alors que ukiiomart représente la lexicalisation des distinctions (ce qui

ressemble à la notion de sens inhérent), indépendamment des ses réalisations

grammaticales. Par exemple, le verbe donmir exprime un procès impliquant une certaine

durée et le procès est appellé duratif: Cet aspect lexical constitue donc une «qualité

sémantique invariante» (Bartsch 1980 dans Confais 1990: 148) du verbe et le locuteur n'a

aucun moyen de le modifier. Par contre, t'aspect grammatical se présente comme une

variation signifiante du verbe. Que le verbe soit duratif (étudier) ou ponctuel (smrter), le

locuteur choisit de présenter le procès dans une perspective résultative de l'accompli (par

exemple, le passé composé) ou de l'inaccompli (par exemple, le présent).

La deuxième distinction, employée par la plupart des slavistes et par des

chercheurs des pays slaves qui travaillent sur d'autres langues, traite l'aspect comme la

grammaticalisation de la distinction sémantique et aktionsart comme la lexicalisation de

la distinction si la lexicalisation se fait par ie moyen de la morphologie dérivationnelle

(Cornrie 1976:6-7). Van Valin (1 990:25 1-2) identifie l'aspect lexical inhérent

(aktionsart) et 1 'agentivité (<<agentiveness») comme les paramètres sémantiques primaires

gouvernant Z 'intransitivité divisée («split intransivity~) et il dit que les langues varient par

rapport a quel paramètre gouverne la division. Ainsi, les modes d'action et les aspects

«se manifestent sur deux plans différents, l'un qui lie de façon plus ou moins lâche des

unités lexicaies distinctes, l'autre où se manifeste paradigrnatiquement le fonctionnement

essentiel qui fait du lexème un verbe» (Cohen 1989:33).

11 existe toutefois un lien direct entre l'aspect et ahionsari et ils s'influencent

mutuel lement. L'aspect fait traditionnellement référence à la présentation des

Page 48: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

événements par des points de vue tels que le perfectif et l'imperfectif. Récemment, on

s'est rendu compte de l'inter-relation qui existe entre le point de vue (l'aspect) et la

structure de la situation (akiionsart). L'usage du terme aspect s'est donc élargi et inclut

souvent les propriétés temporelles des situations elles-mêmes, c'est-à-dire la structure

interne de l'événement ou aktionsart. Dans cette thèse, l'aktiomart et I'a~pect se

trouvent dans une catégorie unique appellée 1 'aspect.

Il est possible d'étudier les catégories verbaks d'une perspective interlinguistique

mais d'après Bybee et ai (1994:2), l'aspect est la notion la plus difficile a traiter. En

effet, il serait trop difficile de formuler une théorie de l'aspect; selon Cohen (1989:7),

«une théorie demanderait un accord sur le terme lui-même, sur la notion qui lui

correspond, sur son champ d'application». Un tel accord n'existe pas. Pour certains

linguistes, toute valeur introduite par le verbe qui ne relève pas du temps ou du mode est

caractérisée comme aspectuelle. Cette position est toutefois incomplète et ne nous dit

presque rien à propos des langues dans lesqueIles l'aspect est plus proéminent que le

temps ou le mode (comme les langues créoles que nous examinerons aux chapitres 3 et

4). De plus, tandis qu'une définition de la notion est indispensable, nous ne sommes pas

d'accord qu'un accord est absolument essentiel. Il vaut mieux observer les

fonctionnements de l'aspect et caractériser les phénomènes présentés selon quelques

critères établis.

L'aspect voit le processus ou l'état sous l'angle des critères suivants: le début, la

fin, la durée, la répétition, l'habitude, l'achèvement, le caractère ponctuel (ou

événementiel), la fin récente, etc. Selon Temy (1994:3), l'aspect est un terme qui

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englobe tous les phénomènes reliés à la structure temporelle interne des événements

décrits par les verbes. On parle ainsi de plusieurs types d'aspect (Grund Larousse

encyclopédique, dans Cohen 1989: 17):

a) aspect ponctuel ou aoristique b) aspect duratif C) aspect perfectif ou terminatif ou achevé ou aspect imperfectif 01

(ex. il est battu - valeur perfective; il est aimé - valeur imperfective) d) aspect résultatif (ex. amasser => résultatif ramasser) e) aspect déterminé ou indétermin6 (pour indiquer soit l'implication ou

la non-implication d'un aboutissement, soit le fait que le procès est lié ou non à une ditennination quelconque @arler, dire)

f) aspect itératif, pour marquer la répétition de l'action g) aspect ingnssif ou inchoatif, qui marque l'entrée dans l'action h) aspect intensif pour marquer telle ou telle forme d'insistance sur le procès

Pour de nombreux linguistes, travaillant avec la langue aspectuelle par excellence, le

russe, il existe vingt-trois types différents d'aspect ainsi que dix autre termes qui se

trouvent dans la catégorie de sous-aspect. A l'autre extrême, Bickerton (198 1) ne

propose que deux aspects: le non-ponctuel (habituel) et le ponctuel.

1.2.1. La dynamicité (adynamicitym): les verbes statifs et les verbes non-statifs

La distinction la plus saillante de notre classification aspectuelle est entre une

situation dynamique et un état; nous verrons que cette distinction est fondamentale dans

les systèmes verbaux des langues créoles. En générai, n'importe quel prédicat décrit une

situation à un moment donné. Comme nous l'avons déjà établi, une situation peut rester

constante ou peut changer. Un événement qui ne change pas ou qui change peu est un

état; un événement qui change est un événement dynamique ou un procès. Du point de

vue des systèmes de TMA, la plupart des langues divisent leurs syntagmes prédicatifs en

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au moins deux types de consmictions qui, du côté sémantique, correspondent souvent à

une ciassi fication dynamique : statif(ou starif: non-statifl des prédicats.

Certains verbes décrivent des états ou des procès fondamentaux, bien qu'il soit

généralement possible de modifier la valeur de dynamisme d'un prédicat domé.

Quelques exemples des verbes statifs incluent ceux qui décrivent des propriétés (grand,

content, riche) et la connaissance ou la perception (connaine. voir. comprendre).

Quelques exemples des procès ou des verbes non-statifs incluent des verbes tels que lire.

battre, courir. (Chung et Timberlake l985:2 14-5).

Une façon de distinguer entre les états et les procès est de voit si un événement a

un agent (un instigateur conscient et responsable, avec volonté). Si oui, il s'agit d'un

procès et non pas d'un état. Le verbe sentir, par exemple, peut être statif et non-statif.

C'est-à-dire que dans Ça sent bon la soupe, sentir est un état, tandis que dans Je sens

(renzye) la soupe, sentir est plutôt un procès. Pourtant, cette manière de distinguer les

états des procès est très limitée car il y a de nombreux procès qui n'ont pas d'agents (des

inchoatifs). Par exemple, certains verbes ne sont pas statifs à l'impératif (Ne soispas

malade!) ou subordonnés à certains verbes gouvernants (Elle a persuadé/forcé/perrnis

à/dernandé à Jean de/à connaître la réponse) parce que ces contextes modaux nécessitent

un agent qui est responsable de l'événement. De plus, dans des énoncés impératifs

exclamatifs, il y a un agent même si cet agent n'est pas mentionné. L'agent existe plutôt

dans le contexte du discours comme dans Ecoute! (le son du train qui arrivera bientôt en

gare) et Regarde? (î 'aflche dans le métro dont je t 'oi parlée hier).

Page 51: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Le critère d'agentivité est utile, mais unilatéral: un événement avec un agent est

dynamique, mais il existe des événements sans agents (au progressif) qui ne sont pas

statifs (Le crime augmente). (Chung et Timberlake 1985:214-5). II y a aussi le test de la

pseudo-clivée comme dans l'exemple Ce qui est orrivé, c ést que beaucoup de neige est

tombée. D'après Dowty (1979:55), les verbes statifs ne se trouvent pas dans des

constructions pseudo-clivées. En outre, les -tifs ne se trouvent pas au progressif (ANG

*I a m Zoving you versus David isflshing) ni comme des compléments des verbes forcer et

persuader (*Il a forcé Jean à connaître la réponse versus h' a persuadé Marie de

regarder le match de football).

Dans certaines langues, les états ont des propriétés morphosyntaxiques

particulières. Par exemple, en chamorro les verbes intransitifs ont des modèles d'accord

(((agreement patterns») différents pour décrire des états et des procès. Ce qui est plus

important, c'est que l'opposition entre les états et les procès peut jouer un rôle dans la

sélection de la morphologie aspectuelle, spécifiquement le progressif. Le progressif

affirme qu'un événement est dynamique durant le cadre événementiel. Ainsi, en

chamorro. en angIais, en français et dans les langues créoles des Caraïbes à base lexicale

française, les états n'apparaissent pas au progressif.

Si on varie le dynamisme d'un prédicat donné, il est possible de changer sa

capacité d'apparaître au progressif. Pour transformer un verbe non-statif (un procès) en

un verbe statif, il faut enlever le sens du changement graduel et présenter le verbe comme

la propriété de ses arguments, Par exemple, ouvrir est un procès dans Jean ouvre la

fenêtre, mais on peut la présenter comme une propriété statique dans L a clé ouvre la

Page 52: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

porte ou Lafenêtre ouvre sur le jardin. Si on modalise le verbe (c-à-ci, le voir en

succession), comme dans l'énoncé n court vite (n'importe quand, il est capable de le

faire), on le présente comme une propriété du présent générique ou bien un état.

D'habitude, courir est un procès, mais dans l'exemple ci-dessus, le verbe ressemble

plutôt à un état.

Par contre, pour transformer un verbe statif en un procès, on peut ajouter un sens

de changement véritable ou possible. Il y a trois mécanismes particuliers par lesquels on

peut réaliser cette transformation. D'abord, si la proposition présente l'état comme ayant

des degrés de manifestation différents qui changent graduellement, on peut interpréter

l'état comme un procès qui peut donc sélectionner de la morphologie progressive.

Comparons le statif Je comprenh ce problème à Je commence à comprendre mes

problèmes avec plus de clarfé chaque jour, qu'on peut interpréter comme non-statif.

Deuxièmement, si on interprète le sujet comme un agent, l'état se transforme en

un procès (ex. tu es odieux = tu te comportes de manière odieuse). Troisièmement, un

verbe statif devient un procès si le concept d'un changement est modalisé; c'est-à-dire

s'il y a une possibilité que l'état changera it une date ultérieure. Prenons, par exemple, le

verbe vivre qu'on peut interpréter comme un état (qui apparaît au non-progressif) ou

comme un procès (qui apparaît comme un progressif). Le sens non-statif est, cependant,

plus naturel s'il y a une indication que la situation est temporaire (ex. ANG Karen is

working/ltworks ar the Iibrary unril shefinishes her thesis). De façon similaire, on peut

interpréter les verbes de position comme des statifs (et employer la morphologie non-

progressive) si l'état est permanent, mais comme des non-statifs (et employer la

Page 53: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

morphologie progressive) si l'état est accidentel, temporaire, ou peut être modifie. (ex.

ANG Toronto lies/*is lying on Lake Ontario versus The pillow is fying/*lies on the floor).

Pourtant, il existe une distinction entre le prédicat permanent et le prédicat transitoire ou

l'état ponctuel et non-ponctuel.

Le dynamisme est un paramètre fondamental de l'aspect qui se voit à plusieurs

niveaux de la structure sémantique, pas seulement au niveau lexical. Au niveau narratif,

les événements peuvent être présentés comme des faits statiques ou des procès

dynamiques relatifs à d'autres événements.'

1.2.2. t a délimitation (ccdelimitednessn)

Un autre concept fondamental de l'aspect est la délimitation des événements.

Quand un événement est limité, on parle de la propriété de délimitation (üdelirnitedness»)

et en linguistique on décrit les événements qui ont une durée finie ou définie comme des

événements délimités (Lefebvre 1 992a:Z 1). Suivant Tenny (1 994:4), la délimitation est

la propriété qui nous fait entrer dans la nature de l'interface syntaxe / sémantique. C'est

une propriété sémantique (et non syntaxique) qui se réfère à la fin d'un événement, une

fin distincte et fixe. Par exemple, Michel a fait ses devoirs décrit un événement délimité,

car l'acte de le faire nécessite une certaine quantité de temps ayant une fin définie; par

contre, Michel a dormi ne décrit pas un événement délimité, puisque le fait de dormir

peut durer pendant une période indéfinie.

La propriété de délimitation dépend du verbe mais également des éléments du

syntagme verbal. Au niveau propositionnel, elle implique qu'un événement se termine

7 Cf. Chung et Timberlake ( 1 985:2 16) pour des exemples specifiques en russe.

Page 54: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

avant un point temporel quelconque (ex. Ciaire a nagé jusqu a onze heures du soir) ou à

l'intérieur d'un intervalle temporel (ex. Claire a nagé du matin a u soir). Tenny (1987,

cité dans Lefebvre 1992a:221) affinne qu'un événement peut être délimité par l'argument

interne qui impose un point finai à l'événement. Par exemple, si on dit Pierre a mangé lu

pomme, l'événement est fini quand la pomme a été mangée. De plus, Voorst (1988, cité

dans Lefebvre 1992a:22 1) constate que l'objet marque la fui de l'événement, mais que le

sujet marque le commencement de l'événement. Au niveau propositionnel, la

délimitation implique donc qu'un événement est limité ou complètement contenu à

l'intérieur du cadre événementiel. Au niveau du prédicat, le sens de la délimitation

differe pour les procès et pour les états.

Un procès peut se poursuivre indéfiniment ou peut avoir une fiontiere naturelle ou

une limite sur le degré du changement que l'événement ne peut pas dépasser.

Traditionnellement, un procès sans limite inhérente est nommée «atélique» et un procès

avec une limite est appelée télique, venant du grec telos (FP limite, Fn. but). En

employant la terminologie ci-dessus, un procès sans limite est ouvert au niveau du

prédicat; un procès avec une limite est fermé.

La notion d'une limite inhérente dépend du contenu sémantique d'un verbe et du

contenu de ses arguments au niveau du prédicat. Les verbes de mouvement, comme

courir sont téliques quand les limites spatiales sont spécifiées. mais atéliques autrement.

Sylvie court dans le parc au Sylvie court de sa maison au parc sont des phrases nettement

distinctes. Certains verbes décrivent des procès atéliques quand ils sont intransitifs, mais

caractérisent un changement total d'état de l'objet direct quand ils sont transitifs.

Page 55: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Comparons des phrases atéliques comme Elle a chanré ou Elle a chanté des chants de

Noël (pluriel, indéfini) à la phrase Elle a chanté l Xve Maria (singulier, défini). De plus,

les verbes qui décrivent un effet sur un argument (objet direct ou sujet intransitif) peuvent

devenir téliques s'ils spécifient que l'argument est modifié complètement. Comparons

the f i e burned, thejire burned the log (atélique) versus the fire burned out, the fire

burned the log iip (télique). Ces derniers exemples nous suggèrent que les verbes téliques

dérivent fréquemment des moyens morphologiques, en employant des affixes ou des

particules avec des sens spatiaux. Comme le mentionne Cummins (1996), le passé

composé a souvent un effet télique.

La délimitation focalise l'attention sur l'achèvement certes, mais aussi sur son

début, A propos des états, la délimitation implique un changement d'état complet, plus

spécitiquement le commencement au lieu de la cessation. Par conséquent, des langues

qui ont une catégorie morphologique (le perfectif) pour spécifier la délimitation des

procès utilisent souvent la même catégorie pour indiquer le début d'un état. Le schéma

ci-dessous (adapté de Chung et Timberlake 1985:2 18) combine la délimitation avec la

dynam icité:

Tableau 1 - Une classification des ~rédicats

Ouvert FermC

&a t enceinre voir mort

début de I'Ctat devenir enceinte apercevoir mourir

procés atélique procès ttliquc voyager voyager de x à y lire lire le roman chercher trouver

Page 56: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Vendler (1967) f i t le premier à séparer quatre catégones distinctes de verbes: des

états, des activités, des accomplissements et des achèvement^.^ La question du

groupement des quatre catégones était, toutefois, problématique. D'après lui, les états et

les achèvements forment un groupe et les activités et les accomplissements appartiennent

à un autre groupe parce que les deux premiers n'ont pas de temps progressifs tandis que

la deuxième paire les permet. Cependant, il remarque également que les achèvements et

les accomplissements ont certaines propriétés en commun que les activités et les états

n'ont pas. (Par exemple, ils permettent des adverbiaux temporels avec le mot FP dam

/ANG in, comme dans FP dans une heure / ANG in an hour). Dowty (197954) adopte

cette terminologie et présente quelques exemples de verbes correspondant aux quatre

catégories de Vendler:

Tableau 2 - Caténories verbales

E ta ts Activités Accom~lisscments Acb4vemen ts

connaître courir faire une peinture recon~ifre croire marcher fabriquer une chaise remarquer avoir nager prononcer un sermon trouver dksirer pousser un charior h s i n e r un cercle per&e aimer conduire une voiture guérir d'une maladie mourir

D'après Tenny, la distinction délimité / non-délimité est une propriété centrale des

langues et constitue le paramètre central de l'aspect. Pour Lefebvre, cette composante de

l'aspect est centrale pour une compréhension de la grammaire haïtienne. Nous verrons au

chapitre 4 que cette notion est également centrale dans les systèmes de TMA des créoles

des Petites Antilles et de la Guyane.

8 Kenny (1963) appelle les accomplissements des «performatifs»; Ryle (1949) les appellent «achievements with an associated taskn. Pour Ryle, les achCvcments sont des ((achicvements without an associated tasbj.

Page 57: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Dans la littérature, le perfectif et le parfait sont souvent associés avec

la notion de délimitation d'une situation. Il n'est pas logique de parler de la délimitation

sans implicitement la relier a un temps. (Quand la situation s'est-t-elle terminée?). Par

exemple, si on parle d'un poisson cuit, on fait référence au moment où l'acte de cuire a

été complété. Il ne faut pas nécessairement mentionner l'heure précise, mais elle est

sous-entendue. Comparons l'énonce perfectif Nadége a domi au plusque-parfait

Nadège avait dormi. Ces énoncés illustrent deux interprétations possibles de la notion de

«quand». Dans le premier énoncé, l'action finit à l'intérieur du cadre événementiel; dans

le deuxième, l'action finit à l'intérieur du cadre événementiel, mais il y a une deuxième

action qui se déroule aussi dans le même cadre (ex. Nadége avait dormi avant de sortir /

Nadège avait dormi avant que Paul sorte). Par conséquent, on d é f ~ t la notion de

délimitation en fonction des relations temporelles nonnales, mais elle distingue

également entre la délimitation perfective et la délimitation parfaite (Klein 1994: 109-

1 10).

1.2.3. Le perfectif et I'imperfktif

La perfectivité est souvent interprétée (pour les slavistes en particulier) comme la

catégorie la plus importante de l'aspect. Pour Dahl (1 985 :69), l'opposition perfectif:

imperfectg(PF : IMPF) differe d'autres catégories de TMA interlinguistiques

puisqu'aucune des deux n'est clairement non-marquée. Dans d'autres cas, un des

membres d'une opposition est marqué universellement et ce choix ne sera pas contredit

par plus d'un ou deux contre-exemples. Il faut aussi noter l'usage de plusieurs termes

représentant le perfectif (achevé, terminatif', accompli) et l'imperfectif (inachevé,

Page 58: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

inaccompli). Cette instabilité terminologique du domaine aspectuel reflète la difficulté

des chercheurs à rendre compte de leurs analyses de manière généralisable.

(8) F P M a faisait la vaisselle quandje lui ai téléphoné.

Dans la phrase ci-dessus, Ie premier verbe présente le cadre de l'événement et le

deuxième verbe introduit I'événement lui-même. Le deuxième verbe présente la totalité

de la situation (c'est-à-dire, mon appel) sans faire référence aux constituants temporels

internes- Par conséquent, la situation entière est présentée comme un tout. La forme

verbale a un sens perfectif et dans une langue qui a une forme verbale pour exprimer ce

sens, on 1' appel le l'aspect perfectif. L'autre forme verbale (celle qui s'applique à l'action

de faire la vaisselle) ne présente pas la situation de cette manière, mais fait référence

plutôt à la composition temporelle interne (aimer constituency~) de la situation, étant à

l'imperfectif. Dans l'exemple (8). on se réfère à une partie interne de l'action ou Max fait

la vaisselle, mais il n'y a pas de référence explicite au commencement ou à la fin de cette

action. C'est pour cette raison que notre interprétation est la suivante: mon appel

téléphonique est un événement qui se passe pendant la période où Max fait la vaisselle;

c'est-à-dire, son action précède et suit mon appel.

Le perfectif voit donc la situation de l'extérieur, sans nécessairement distinguer la

structure interne de la situation, tandis que l'imperfectif voit la situation de l'intérieur; la

structure interne de la situation est donc cruciale (Comrie 1976:2-3). Cela ne veut pas

dire qu'il existe une différence objective entre les situations. II est possible, par exemple,

pour un locuteur de se référer à la même situation en employant tantôt une forme

perfective, tantôt une forme imperfective sans aucune contradiction:

Page 59: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

(9) FP Max a fait la vaisselle hier soir. Pendant qu 'il la /aisaif, je lui ai téléphoné.

Les deux phrases se réfiirent à la même situation, mais dans la première, l'acte de faire la

vaisselle est un événement terminé et dans la deuxième, le locuteur se situe au milieu de

la situation où se passe également un autre événement (Comrie 1 976:4).

On peut distinguer une action achevée (perfective) d'une action inachevée

(imperfective). Une forme perfective indique souvent l'achèvement d'une situation

quand il se contraste explicitement avec une forme imperfective (Comrie 1976: 19).

L'imperfectif indique une situation en cours et le perfectif indique une situation qui a une

fin. Le perfectif se réfere à une situation entière, mais l'imperfectif traite plutôt des

éléments constitutifs internes- Dans l'énoncé François chanmit quandje suis arrivée, les

deux verbes expriment le passé absolu. Cependant, le premier verbe traite d'une action

inachevée et le deuxième d'une action achevée. C'est ce que Dahl (198574) appelle ta

perspective de totalité (~totality))), une vue qui n'est pas. selon lui, sufisante pour toutes

les catégories propres aux langues auxquelles on l'a appliquée.

On peut également définir le perfectif comme le résultatif, qui indique

I'achèvement d'une situation, une sous-catégorie de la perfectivité. En effet, le perfectif

représente l'action propre et cette forme est le membre non-marqué d'une opposition

binaire perfectif / imperfectif (Cornrie 1 W6:2 1).

Une remarque terminologique: il y a une différence claire entre le perfectif et le

parfait, malgré le fait que les deux termes dérivent du même mot latinperfectus (C. Smith

199 1 : 164). Le perfectif s'applique à un point de vue aspectuel fermé et présente une

situation comme un tout unique, tandis que le parfait implique le repérage temporel ainsi

Page 60: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

que de l'information aspectuelle. L'envergure du perfectif inclut le point initial et le

point fmal de la situation et l'information est donc fennée entre ces deux points. C'est la

propriété fondamentale du perfectif comme le schéma général ci-dessous l'illustre (C.

Smith 199 1 : 103):

(1 0) Point initial Point final ////////////////////////////////////////////////////////;//////////

Ce schéma général représente le point de vue perfectif non-marqué. Par

conséquent, il ne s'applique pas aux situations statives, parce que les points finals

n'apparaissent pas dans le schéma temporel. De même, ce schéma n'inclut pas de

perfectifs avec une envergure plus grande que celle du schéma. Les perfectifs ayant ces

propriétés additionnelles sont marqués. Les perfectifs marqués ont une envergure qui

inclut plus que la situation réelle et ils existent dans beaucoup de langues. Les points de

vue perfectifs présentent des situations comme ponctuelles, c'est-dire dans une structure

fermée. Le sens linguistique d'une présentation ponctuelle n'est pas effectivement limité

à un seul point. En fait, comme le dit Lyons (1 977: 709), la durée peut être affirmée

explicitement dans des phrases avec un point de vw perfectif. De plus, elle peut être

lexicale ou morphémique:

(1 1 ) J'ai écrit le poème en 5 minutes II regna pendant trente ans Elle me pariait lentement

En ce qui concerne le lien entre le perfectif et le parfait. les points de vue

perfectifs marqués se trouvent dans une constniction appellée le parfait; les phrases

parfaites sont typiquement perfectives et elles ont une envergure au-delà du point final de

Page 61: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

la situation dont on a parlé. Les constructions parfaites communiquent généralement les

sens reliés suivants (C. Smith 1991 : 146):

a) la situation précède le temps référentiel (me ference tirne» ) b) la constuction a un point de vue -tif c) une propriété spéciale est attribuée au sujef due à la participation dans

la situation

Smith (1 99 1 : 148) appelle la propriété sp6ciale en (c) La propriété du participant

(((participant property~), ce qui réfère au fait que le sujet a participé aux événement

antérieurs. Examinons les exemples suivants qui illustrent des parfaits au présent, au

passé et au futur en anglais. (Notez bien que les adverbiaux évitent l'arnbigdté et

spécifient le moment de référence-)

( 1 2) a, No w Frances has arrived b. Last Friday Frances had already arrived c. Next Friday Frances will have already arrived

Les constructions parfaites ont également une valeur stative. C'est-à-dire que l'état au

présent est le résultat des événements mentionnés. De plus, les parfaits au présent

donnent aux participants une propriété qui résulte de leur participation dans la situation

précédente:

(1 3) a. Bruce has been il1 b. Luba has lost George c . Eric has gone to Vancouver

C o d e (1 976: 19) mentionne quelques langues (te grec ancien, l'espagnol, le

russe et Ie mandarin) dont les formes perfectives indiquent, avec des verbes statifs en

particulier, le début d'une situation (un sens ingressif). Par exemple, la forme aoriste du

verbe grec basiletio (FP je règne) peut se référer au règne complet comme dans

ebasileusa déka ére ( F P j 'ai regné pendant dix ans), mais peut également indiquer le

Page 62: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

commencement du règne comme dans ebosi2eusa (FP je suis devenu roi - non-statif). Par

contre, ebasileuon (FP j'étais roi) marque l'imperfectif. Ainsi, on peut dire que ces types

de verbes se réfèrent en général soit à l'état soit à l'entrée dans cet état, ceci est déterminé

par le contexte (Comrie 1976: 19-20). Puisque les formes perfectives décrivent des

événements (y compris l'entrée dans des états) plus souvent que des états, une valeur

fonctionnelle est associée à l'emploi de formes perfectives de verbes statifs pour dénoter

l'entrée dans un état particulier; autrement, les formes perfectives de ces verbes ne

serviraient pas a grand-chose (Cornrie 1 W6:îO). Cependant, une telle explication est,

pour l'instant, spéculative.

Certaines langues n'ont qu'une catégorie pour exprimer l'imperfectivité, d'autres la

subdivisent en deux parties: l'habituel et le continuatif. Le continuatif est encore

subdivisé en nonprogressif et progressif. Par exemple, en anglais, l'action habituelle She

runs (souvent ou chaque jour) se distingue du progressif She is running (maintenant).

Toutefois. ces distinctions verbales n'existent pas en français. On voit donc Elle court

dans les deux cas ou Ie progressif périphrastique Eue est en pain de courir.

En conclusion, une distinction entre le perfectif et l'imperfectif (PF : IMPF)

suggère que le perfectif spécifie (en partie) des événements majeurs, séquentiels, et au

premier plan (foregrounded) et que l'aspect non-perfectif (l'imperfectif en particulier)

donne de l'information du fond (background). Les termes habituel, progressif: durat$

itératifet non-ponctuel se trouvent dans la sous-catégorisation de l'aspect imperfectif.

Alors qu'ils signifient des catégories séparées dans certaines iangues, ils provoquent de la

confùsion dans d'autres.

Page 63: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

1.2.4. L'itérativité

Parfois, les événements incluent plusieurs sous-événements (asub-events~ )

équivalents qui se répétent. De tels événements ont une structure complexe, où les

événements individuels (chacun avec son propre cadre événementiel) forment

collectivement un macro-événement (amacro-evenm) plus grand (Chung et Timberlake

1985:221).

Au niveau du prédicat, un verbe comme faire en combinaison avec un objet direct

singulier caractérise un événement unique (R a fait un gâteau). Une proposition avec le

même verbe peut être itératif si, par exemple, elle inclut un adverbe de quantité et un

objet direct indéfini au pluriel (II a souvent fait des gâteaux). Un verbe tel que cligner

(les yeux) désigne généralement un événement répétitif.

L'itérativité peut varier selon plusieurs paramètres. La répétition peut être

fréquente ou rare; elle peut aussi être d é f ~ e (six fois) ou indéfinie (plusieurs fois); et un

événement peut se répéter plus ou moins régulièrement (parfois versus d'habitude versus

toujours). Dans certaines langues, ces variations jouent un rôle dans la sélection de la

morphologie aspectuelle. Nous déterminerons plus loin si c'est le cas dans les créoles de

notre étude.

Les événements itératifs peuvent être exprimés par une morphologie distincte

(comme en lithuanien) ou par la même morpholgie employée pour les événements non-

répétitifs. Dans Ie deuxième cas, on peut évaluer l'aspect soit en fonction du macro-

événement soit en fonction des sous-événements individuels ou bien les deux ensemble.

Page 64: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Au niveau du macro-événement, un répétitif est généralement statif (qui implique le non-

progressif) et ouvert (qui implique l'imperfectif).

On peut évaluer les sous-événements individuels en fonction de leur dynamicité

ou délimitation. En anglais, par exemple, l'aspect se trouve aux deux niveaux. En

général, le non-progressif est employé dans les événements itératifs, parce que le macro-

événement est statif et parce que les sous-événements individuels sont fermés sur leurs

cadres événementiels (ANG On Saturdqys I o&n workPam working in the garden ou

The mail usually arrivesPis arriving late; FP Le samedi je travaille souvent/*suis en

train de souvent travailler dans le jardin ou D'habitude le courrier arrivePest en train

d Qrriver en retard). Le progressif est toutefois possible si les sous-événements sont en

progrès sur leurs cadres (ANG On Saturdays l am oBen working in the garden when she

returns) ou si nous voyons le macro-événement comme un procès qui change

graduellement (ANG These days the mail is arriving later and Mer). (Chung et

Timberlake 1985:22 1-2).

1.2.5. La durée

Tandis que la répétition détermine la quantité de I'événement, la durée est un

second type de quantification aspectuelle. Dans la plupart des langues, il est possible de

mesurer la durée des événements ouverts (imperfectifs) ou fermés (perfectifs).

Comparons Stéphane a lu le livre pendant une heure (ouvert) au Stéphane a lu le livre en

une heure (fermé). L'expression morphologique de la durée varie toutefois d'une langue

à une autre. Puisque les langues peuvent mesurer la durée si l'événement est ouvert ou

fermé. l'aspect est apparemment déterminé indépendamment de la durée. Il faut donc se

Page 65: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

demander s'il existe une corrélation directe entre l'aspect et la durée et si les événements

perfectifs sont fondamentalement ponctuels ou nonduratifs (Chung et Tïmberlake

l985:222).

Dans d'ûutres travaux comme ceux de Dowty et de Ventiler, les événements

téliques peuvent étre ponctuels (des achèvements) ou duratifs (des accomplissements).

La répétition semble être plus remarquable que la durée parce que dans certaines langues

(comme le lithuanien et certaines langues bantues) il y a une expression morphologique

distincte qui marque la répétition (Chung et Timberlake 1985240).

1.2.6. Le progressif

La progressivité implique le dynamisme et la durée et il y a donc une

incompatibilité de la progressivité avec la stativité (Lyons 1977:707-8). C'est donc dire

que le progressif n'est pas employé pour les constructions statives; on le trouve plutôt

avec une référence temporelle ponctuelle. D'après Dahl (1985:90), le progressif est plus

fréquent parmi certaines langues indo-européennes que d'autres. Comrie (1976) parte de

la progressivité comme un cas spécial de l'imperfectivité et il y a en effet certains traits

qui distinguent le progressif de l'imperfectif.

En premier lieu, à la différence de PF : IMPF, qui est fortement lié avec la

distinction entre la référence temporelle du passe et du non-passé, le progressif est

généralement indépendant d'une référence temporelle; on le voit au présent, au passé et

moins fréquemment au fûtur. Deuxièmement, le progressif a rarement un sens habituel.

Finalement, le progressif est d'habitude employé pour des situations dynamiques (ou

non-statifs). Dahl (198593) nous donne l'exemple du mot know qui ne montre aucune

Page 66: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

marque du progressif dans les langues (plus de cinquante) étudiées dans son investigation

typologique de TMA.

1.3. Le mode (et la modalité)

Nous avons déjà confinné que le temps et l'aspect sont des notions relativement

vagues mais vaiables du point de vue de la grammaire. De la même façon, en dépit des

problèmes de terminologie et des perspectives théoriques variées, nous comprenons le

mode comme une forme d'expression spécifique. Toutes Les langues ont un système

modal, mais elles divisent ce champ sémantique de diverses manières. Parfais un

système formel est marque par des morphèmes ou des lexèmes qui sont clairement

modaux et, dans d'autres cas, le mode apparaît comme un amalgame avec le temps ou

l'aspect.

Un des problèmes fondamentaux dans la formulation d'une définition précise de

cette notion est la relation entre le mode et la modalité. D'après Bybee et FIeischman

(1 995 :2). le mode est une catégorie du verbe qui est grammaticalisée formellement et qui

a une fonction modale. Il s'exprime par la flexion, en général dans des sous-ensembles

de paradigmes verbaux comme l'indicatif, le subjonctif, l'optatif, l'impératif, le

conditionnel, etc. qui varient selon la langue par rapport aux distinctions sémantiques

qu'ils marquent. Par contre, la modalité est Ie domaine sémantique retatif aux éléments

de sens qu'expriment les langues. L'étendue des nuances sémantiques de modalité est

assez large et inclut le jussif, le désidératif, l'intentif, l'hypothétique, le potentiel,

l'obligatoire, le dubitatif, I'hortatif, l'exclamatif, etc. Ces nuances ne sont pas toujours

marquées sur le verbe, mais le sont dans certaines langues.

Page 67: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Le mode est associé formellement, comme le temps et l'aspect, au système verbal

d'une langue. Pourtant, la modalité, n'est pas Liée sémantiquement au verbe seul, mais a

la phrase entière (Palmer 1986:2). Dans certaines langues, la modalité est donc marquée

hors du système verbal. On peut distinguer entre le mode qui est une catégorie purement

grammaticale (c-ad, flexionnelle) et la modalité qui traite plutôt de l'incertitude et du

devoir. La modalité s'applique aux fonctions langagières (y compris, entre autres, les

divers types de déductions et de présuppositions). Lyons (1977:739) affinne que la

notion de subjectivité est très importante pour une compréhension de la modalité

épistémique et déontique. Ainsi, le mode, qui est essentiellement la modalité marquée

par la morphologie verbale, semble être subjectif. Le mode traite des caractéristiques

subjectives d'un énoncé, ce qui nous suggère que la subjectivité est un critère nécessaire

au mode. Ce qui nous intéresse dans la présente thèse sont les distinctions sémantiques

marquées sur le verbe qui se trouveraient sous la catégorie de mode (comme le sont le

temps et l'aspect) et non pas la modalité.

En linguistique, les sens de modalité en fiançais et modaiity en anglais ne sont pas

exactement les mêmes. En anglais, modality est un terme technique qui correspond a Ia

logique. Modality est reservé aux expressions de possibilité, de nécessité, de permission

et de devoir (déontique et épistémique). Par contre, en linguistique française, le terme

modalité a un sens plus large. En effet, modalité est un substantif qui veut dire «forme

particulière d'un acte, d'un fait, d'une pensée, d'un objet» (Robert Méthodique}. Par

exemple, on référerait aux «modalités de paiemenb en français alors qu'en anglais on ne

dirait jamais «the payment modalitiesn (Herslund 1 989:9).

Page 68: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

La notion de mode est même plus vague que celle de temps et d'aspect et

plusieurs perspectives sont possibles. II est souvent proposé que le mode est la

grammaticalisation des opinions et des attitudes du locuteur (d'après Lyons 1977). De ce

point de vue, le mode est la manière dont l'énonciateur conçoit le degré de réalité de

l'action ou de l'état indiqué par l'énoncé. Le mode situe le processus et l'état dans une

échelle qui inclut: le réel, l'irréel, le possible, le probable, le certain, l'incertain, le

nécessaire, l'éventuel (dont le futur), le souhait (l'optatif), le désidératif et la fùturité, etc.

Néanmoins. comme le mentionnent Bybee et al (19%: l76), une définition simple de

mode est impossible et la plupart des définitions proposées n'expliquent pas toutes les

possibilités sémantiques.

Dans le système TMA créole prototypique proposé par Bickerton (1 981) il n'y a

que deux oppositions modales: l'irréel et le non-irréel, que Wallace (1 982:218) appelle

« non-eventive modalitp et aeventive modality)) . Autrement dit, le mode caractérise la

réalité d'un événement en comparant le monde de l'événement (l'irréel) à un monde de

référence (le réel).

1 Al. Quelques propositions antérieures

Jespersen a discuté du mode dans les années vingt et sa définition de cette notion

differe en partie de celle que nous avons établie ci-dessus. II affirme (1924:3 13) que les

modes indicatif, subjonctif et impératif expriment certaines attitudes de pensée du

locuteur envers le contenu de la phrase, mais que dans certains cas, le caractère du

syntagme verbal lui-même et sa relation avec la phrase entière (non pas l'attitude du

locuteur) détermine le choix modal. Selon lui, on parle du mode seulement si l'attitude

Page 69: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

55

est marquée sur le verbe; le mode est donc syntaxique et non pas une catégorie

notionnelle. Il présente une liste de sous-catégories qu'il met dans les deux sous-

ensembles suivants en terminologie anglaise (Jespersen l924:32O- 1 ):

(1 4) 1. Qui contient un élément de volonté («will») Jussive Compulsive Obligative Advisory Precative Hortative Permissive Promissive Optative (realizable) Desiderative Intentional

go (cornmand) he has to go he oughr to go / he should go you should go go, please let us go you rnay go, ifyou like I wiil go / it shall be done may he still be dive would he were sri11 alive in order ihat he rnay go

2. Qui ne contient pas d'élément de volonté Apodictive îwice îwo musr be four Necessitative he must be rich (or he could not spend so much) Assertive he is rich Presumptive he is probably rich / he would (will) h o w Dubitative he may be (is perhaps) rich Potential he can speak Conditional ïfhe is rich H ypothetical ifhe were rich Concessional though he is rich

Jespersen se demande toutefois si le conditionel et le concessif sont en fait des modes et il

suggère qu' on devrait ajouter le subordonné.

Plus tard, Von Wright (1 95 1 :1-2) ne distingue que quatre modes: l'aléthique

(mode de vérité), l'épistémique (mode de co~aissance), le déontique (mode

d'obligation) et l'existentiel (mode d'existence). Toutes les possibilités modales se

trouvent sous les quatre catégories présentées dans le tableau ci-dessous:

Page 70: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Tableau 3 - Catkones modales

alérhi~ue éoistémiaue déontiaue existentiel

nécessaire vérifié possible contingent indécis impossible falsifié

obligatoire universel permis existant

indifférent - interdit vide

Il mentionne de plus le mode dynamique aussi (h'peutparler italien) qui représente la

capacité d'une personne. Néanmoins, la distinction la plus importante est entre les modes

épistémiques et déontiques, qui correspondent à peu prés aux deux types de Jespersen.

En outre, Bybee et al (1994) distinguent quatre types de mode, encore avec des

sous-catégorisations. Ils incluent ce qu'ils appellent des modes subordonnants

(((subordinating moods))), c'est-à-dire des conditionnels, des concessifs, des syntagmes

d'intention («purpose clauses») et d'autres syntagmes compléments qui se trouvent dans

de nombreuses langues. Notez que les termes «agent-oriented» (mé sur 1 agent) et

((speaker-oriente& (mré su r le locuteur) de Bybee et al correspondent à une catégorie

unitaire du mode déontique dans d'autres travaux (ex. Lyons 1977).

Page 71: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Tableau 4 - TV- de mode (Bvbee et al 1994)

A. Axé sur l'agent: (c<Agent-oriented»)

C. Axé sur le locuteur (as pea ker-oriented~)

D. Modes Subordonnants

Obligation Nécessité Aptitude Possibilité («rwt possibilit.>) Désir Possibilité Probabi tité Certitude insinuée (~inferred certaintyn) Directifs (ex. Impératifs) Permissif optatif Hortatif Admonitif Conditionnels

(~Subordinating Moods~) Concessifs Syntagmes d'intention («Purpose clauses») Compléments aux désidératifs, etc.

1-32. Le mode épistémique

Le terme épistémique réfère aux systèmes modaux qui impliquent des notions de

possibilité et de nécessité et également à n'importe quel système modal qui indique le

degré d'engagement du locuteur envers son énoncé. Le mode épistémique traite de la

vérité. la croyance et la connaissance des propositions (c-à-d, le langage comme de

l'information) et on le divise traditionnellement en deux sous-catégories: les jugements

et les évidenfiels.

Dans bien des langues, il y a deux degrés de jugements épistémiques - faible et

fort. Les verbes modaux may (FP pouvoir) et must (T!P devoir) de l'anglais sont des

exemples typiques (she rnay be going = je ne suis pas sûre si elle ira ou non versus she

musr be going = j 'en suis sûre). 11 y a des verbes semblables dans d'autres langues, dans

Page 72: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

les langues germaniques en particuliers, tandis que dans les langues romanes les verbes

correspondants sont moins grammaticalisés (Palmer 198657-8).

Le terme «evidential» a été introduit par Jakobson (1957) comme étiquette

provisoire pour une catégorie verbale indiquant la source de l'information sur laquelle un

locuteur base son énoncé. En réalité, 2 'évidentialité (((evidentiaiity~) inclut toutes les

distinctions impliquées dans l'identification de la source de la connaissance de quelqu'un

(B ybee et Fleischman 1995 : 13). Plusieurs langues ont des marqueurs évidentiels

grammaticalisés qui indiquent si le locuteur se porte garant personnellement de

l'information de l'énoncé. Par exemple, quelqu'un entend de la pluie sur le toit et déclare

ensuite Il pleut.

Chung et Timberlake (1 985:243) postulent que les morphèmes du fitur ont des

sous-entendus modaux parce que le mode implique des degrés d'incertitude et que le

futur est incertain. Cependant, Bybee et al (1994:3)) soulèvent une objection; ils

constatent que l'association entre le mode et les morphèmes du futur n'a rien à voir avec

la certitude, mais traite plutôt des sources lexicaies spécifiques des morphèmes

grammaticaux du futur et des inférences disponibles dans les contextes où ils s'utilisent9.

Les sens modaux des morphèmes du futur sont toutefois secondaires venant du contexte

discursif; le sens dominant est tout simplement une référence temporelle à l'avenir. Par

conséquent, nous les catégorisons plutôt dans le domaine de temps bien qu'un

chevauchement des catégories soit visible.

9 Nous discuterons le développement des morphémes grammaticaux au Chapitre 2.

Page 73: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

1.3.3. Le mode déontique

Le terne déontique (axé sur l'agent) s'applique au mode qui contient un élément

de volonté. Les notions de déontique et d'épistémique sont subjectives (c-à-â, elles

impliquent le locuteur) et elles ne se basent pas sur les faits (non-factuel), mais il y a

certaines différences entre le mode déontique et le mode épistémique. Tandis que le

mode épistémique implique des notions de possibilité et de nécessité, le mode déontique

traite des fonctions sociales de pennission et d'obiigation et implique des actions du

locuteur ainsi que d'autres personnes.

Selon Palmer (1986:97), les modes déontiques les plus importants sont les

directifs et les cornmissifs ((~comrnissives~~). Les directifs impliquent des notions de

possibilité et de nécessité et la distinction entre l'anglais may et rnust l'illustre bien;

toutefois, le point de vue est différent de celui du mode épistémique. Ceci démontre

l'ambiguïté de ces verbes modaux ou le parallélisme entre la nécessité épistémique et

l'obligation déontique et entre la possibilité épistémique et la permission déontique

(Chung et Timberlake 1985:246). En outre, pour Bybee et al (1994)' la nécessité se

trouve dans la catégorie du mode déontique (((agent-oriente&).

Dans le cas du mode déontique, may (FP pouvoir) exprime la pennission et must

(FP devoir) exprime une obligation (par exemple, You mqy come in now versus You must

come in now). Les comrniss~s expriment une obligation ou une promesse du locuteur.

Par exemple, dans Si j *ai toujours mai aux dents demain, j 'irai chez le dentiste, le

locuteur promet d'y aller.

Page 74: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

L'impératif est étroitement lié au système déontique est il est souvent interprété

comme le plus direct et le plus fort des directifs. Pourtant, nous hésitons à l'inclure dans

la catégorisation modale de ce travail puisqu'il est rarement marque par la morphologie.'0

A la différence d'autres catégories modales, on le trouve dans la plupart de langues du

monde sans grandes divergences. L'impératif est presque toujours la forme verbale la

moins marquée du point de vue morphologique et il est souvent identique au radical

verbal.

En plus des distinctions traditionnelles de déontique et d'épistémique cidessus,

Bybee (1 985) divise la catégorie de mode déontique en deux: aagent-orienteh et

((speaker-oriente&. Dans sa classification, le mode axe sur l'agent (agent-oriente&>)

inclut l'obligation, le désir, la capacité, la permission et la possibilité; le mode axé sur le

Iocuteur (~~speaker-oriented») indut les directifs (ex. les impératifs), les optatifs, les

hortatifs, les admonitifs ou les permissifs qui représentent les actes de discours où le

locuteur essaye de faire agir l'interlocuteur.

1.3.4. D'autres sous-catégorisations modales

En plus des modes épistémiques et déontiques, Palmer (1 986: 102) reconnaît un

troisième type - le mode dynamique - qui traite de la capacité et de la disposition. Par

exemple, Ro beri peut nager (il est capable de mger) indique l'aptitude de Robert. Dans

I'énoncé Trudy corne ifyou ask her (elle viendro si tu lui demandes), la volonté

(«will») de Trudy est illustrée. D'autres modes sont les volitifs (l'optatif et le désidératif!

et les évaluatifs (la certitude, la doute, le scepticisme) où le locuteur exprime ses

'O Ceci dit, nous venons au chapim 4 que le morph&me <inu marque l'impératif B la première p m o ~ e du pluriel dans certaines langues créoles.

Page 75: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

sentiments (la peur, un souhait, le =gret, etc.). Ces modes ne sont pas nécessairement

épistémiques car les sentiments n'expriment pas clairement le degré d'engagement du

locuteur envers son énoncé; ils ne sont pas des véritables modes déontiques non plus

puisqu'ils ne sont ni directifs ni commissifs. Néanmoins, parce que les sentiments sont

en effet des attitudes (mais non pas à propos des faits), nous incluons les volitifs et les

évaluatifs sous la catégorie de mode déontique.

Pour B y bee (1 995 : 1 3), les catégories dynamique, déthique et existentiel se

rapportent moins à une analyse de mode dans les langues humaines que les modes

épistémiques et déontiques. Même si cela est vrai, cela ne veut pas dire que les catégories

de déontique et épistémique sont bien précises. Les deux modes impliquent des mondes

dtematifs et ils ont des sous-types parallèles. Néanmoins, le mode épistémique traite

d'un monde donné @as nécessairement le monde du réel) à un moment donné, tandis que

le mode déontique traite de mondes alternatifs qui se développent à partir du monde

donné (Chung et Timberlake 1985 :246). Le mode est ainsi la plus abstraite des notions

de TMA, et a peut-être la plus grande complexité interne.

1.4. La relation temps - aspect

Dans une étude comme celle-ci, une des difficultés concerne l'interprétation

théorique de temps, mode et aspect comme catégories. Bien que la catégorie nommé

temps ait souvent une référence déictique assez directe (avec les sens plus problématique

nommé modaux), la catégorie d'aspect est plus difficile à analyser. Au temps passé, il

faut mentionner la chose ou l'événement avant de le décrire et l'aspect contribue de

l'information cruciale sur l'architecture temporelle de l'information descriptive. Par

Page 76: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

exemple, il est évident qu'une différence fondamentale de la classe aspectuelle de

l'information descriptive (qui détermine en grande mesure comment l'information qu'on

reçoit plus tard est liée aux événements pour lesquels on a déjà de l'information) cause la

différence observée entre les deux exemples suivants:

( 1 5 ) a. F P Marcel est tombé par terre. Quelqu 'un a téiéphoné a l 'hôpital. Une ambulance est arrivée.

b. FP Michelle était si contente. EIIe a chanté et dansé pendant toute la soirée.

Dans l'exemple (1 Sa), trois événements se sont passés, un après l'autre tous au

passé composé; l'exemple (1 Sb) est également au temps passé, mais les deux actions de

Michelle, ainsi que son état de contentement sont simultanés et ils durent. Les décisions

interprétatives a propos de la simultanéité et de la durée dépendent de la classe

aspectuelle que nous attribuons au syntagme. La classification des syntagmes fléchis aux

classes aspectuelles contribue de l'information essentielle sur les relations temporelles

entre les événements et les états décrits. Ceci, à son tour, détermine l'architecture

temporelle de la représentation de l'information descriptive sur ce qui s'est passé.

La catégorie grammaticale de l'aspect ne situe pas temporellement un contenu

propositiomel. mais «elle est considérée comme participant à l'expression du "temps-

référence")) (Confais 1990: 150). Dans le temps verbal, il existe donc deux dimensions

temporelles, le temps impliqué (l'aspect) et le temps expliqué (Conf'ais 1990: 150). Le

temps expliqué «pose un moment et met le procès décrit en relation avec le monde en le

localisant sur l'axe du temps», donc le sens étroit du terme temps. Le temps impliqué ou

l'aspect est, par contre, «une qualité interne à l'événement ou au prédicat ... conçu comme

Page 77: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

une qualité abstraite indépendante d'une relation concrète au monde)). C'est-à-dire que

l'aspect est une sorte de temps abstrait qui décrit une perspective subjective du locuteur.

Par conséquent, ((l'aspect apparaît ... comme un auxiliaire du temps-référence et contribue

sinon a positionner le procès, du moins à sélectionner un type de positionnement

temporel)) (Confais 1990: 152).

II y a certaines distinctions sémantiques comme le ponctuel versus le duratif,

l'achevé versus l'inachevé et le partiel versus le total, mais il y a également plusieurs

difficultés comme l'intersection de l'aspect et du type sémantique du verbe. Par exemple,

en anglais le verbe non-statif drive (FP conduire) peut aisément se trouver à l'aspect

progressif, tandis que le verbe statif feel (FP sentir) ne peut pas. Le temps et l'aspect sont

donc liés au moment donné mais de façon différente et Bybee (198521) affirme que

l'aspect est la catégorie ayant un rapport plus directement et exclusivement au verbe.

De plus, Tersis et Kihm (1988: 19) déclarent que l'aspect est plus subjectif que le

temps parce qu'il est moins tangible, représentant le point de vue du locuteur. Une autre

perspective similaire vient d'une définition de dictionnaire (Dubois et al, 1973) qui

constate:

L'aspect est une catégorie grammaticale qui exprime la représentation que se fait le sujet parlant du procès exprimé par le verbe (ou par le nom d'action), c'est-à-dire la représentation de sa durée, de son déroulement, ou de son achèvement (aspect inchoatif, progressif, résultatif, etc.), alors que les temps, les modaux et les auxiliaires de temps expriment les caractères propres du procès indiqué par le verbe indépendamment de cette représentation du procès par le sujet parlant.

Page 78: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Cette définition souligne le caractère subjectif de l'aspect opposé au caractère considéré

comme objectif du temps. l ' Cependant, toute langue est une représentation de la réalité.

Par conséquent, définir le temps comme objectif et l'aspect comme subjectif ne présente

pas de distinction significative entre les deux catégories. A cause du chevauchement

fonctionnel du temps et de l'aspect dans plusieurs langues, on pourrait se demander s'il

faut tenter de distinguer davanîage ces deux catégories. Alexandre et Rombi (1 988:20)

décrivent le temps comme un aspect de l'aspect. De même, nous pourrions interpréter

l'aspect comme une expression du temps.

Le temps caractérise le repérage d'un événement par rapport à un point temporel.

L'aspect caractérise la dynomicifé ou la délimitation d'un événement par rapport a un

point ou un intervalle de temps, c'est-à-dire le cadre événementiel. Le point temporel est

généralement fixe au moment du discours, tandis que le cadre événementiel est variable.

Ceci nous suggère qu'il ne faut qu'une seule catégorie pour le temps et l'aspect, qui

caractérise la relation entre un événement et les points saillants sur la dimension

temporelle (Chung et Timberlake 1985).

Selon Comrie (1 976:71), une des relations intéressantes entre l'aspect et le temps

est quand une distinction aspectuelle est limitée à un certain temps. Il dit que le passé

montre des distinctions aspectuelles. Par exemple, dans plusieurs langues indo-

européennes, la différence entre I'aoriste et l'imperfectif existe seulement au passé et il

n'y a pas de distinction correspondante dans d'autres temps. Comrie se réfere au fait que

11 I I faut noter que le mode est dgalement ires subjectif.

Page 79: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

des catégories de TMA non-hitures forment souvent un système tripartite, comme dans le

système TMA indo-européen classique (Dahl l985:8 1):

présent

Ces formulations suggèrent une analyse comme ci-dessous (Dahl 198533):

Tableau 5 - Relations temps - as~ec t r ?

l'aspect perfectif l'aspect imperfectif

le temps passé

Dahl suggère que cette analyse pose des problèmes fondamentaux et c'est sûr

qu'il existe une incompatibilité logique entre l'aspect perfectif et le présent. En regardant

aoriste I

le présent

1

le Tableau 5 ci-dessus. nous attendons un marqueur du passé partagé par l'aoriste et

le temps présent *

l'imparfait ainsi qu'un marqueur aspectuel qui les distinguent. D'après Dahl. cette

imparfait

le présent

situation n'arrive pas très souvent. Nous voyons plutôt que l'imparfait et le présent

I

dérivent du même radical. ce qui suggère une autre analyse (Dahl 1985:82):

NON-PASSE PASSE

Aoriste présent ~mparfai t

Page 80: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Dans un tel système, il n'y aura pas de catégorie marquant le passé qui inclut

l'aoriste et l'imparfait. L'aoriste est tout simplement perfectic par contre, l'imparfait est

analyseé comme une combinaison de l'imperfectif et du passé. De plus, bien que

l'aoriste ait souvent une référence temporelle au passé, ce n'est pas toujours le cas dans

tous les contextes. Dahl ajoute que l'analyse proposée en (1 8) illustre des similitudes

entre le système indo-européen et le système sémitique où il y a également trois

catégories.

Les catégories linguistiques traditionnelles de temps et aspect interagissent

concrètement du point de vue morphosyntaxique. Les limitations les plus évidentes

concernent l'élaboration morphosyntaxique des catégories. Par exemple, dans un cadre

descriptif universel, Chung et Timberlake (1 985256) constatent que l'aspect imperfectif

a plus de distinctions temporelles que le perfectif, que l'aspect neutre a plus de

distinctions temporelles que le parfait ou le progressif et que le temps passé fait plus de

distinctions aspectuelles que le présent ou le futur." De plus, dans un recueil présentant

une série d'articles analysant quelques marqueurs empruntes traditionnellement associeés

à la catégorie d'aspect, Culioli (19865) remarque que «la prise en charge par la seule

catégorie de l'aspect de toute une série de valeurs associées aux marqueurs étudiés

apparaît arbitrairement et icutilement réductrice)). Ceci nous suggère que l'aspect est

étroitement lié aux catégories de temps et de mode.

- - - -

12 Chung et Timberlake (1985:239) admettent qu'il est difficile de trouver des généralisations interlinguistiques gouvernant la structure des systèmes aspectuels. Ils constatent qu'on peut traiter des paramètres aspectuels plus ou moins indépendamment dans leur expression comme des catégories morphologiques aspectuelles. Toutefois, ils essayent de domer des interprdtations générales pour tes langues discutées dans leur enquête.

Page 81: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

1.5. La relation temps - mode

Les domaines sémantiques de temps et de mode montrent un chevauchement

considérable, quant au fùtur en particulier qui n'est pas si certain que le passé ou le

présent. En anglais. l'auxiliaire du fùtur wiZZ peut également exprimer le désir ou

l'intention; en français, le futur indique la futurité ainsi que l'inférence (ex. Si ru ne fais

pas afrention, tu tomberas).

On connaît rarement ce qui se passera au funir. Quand on parle du funu, on parle

soit des plans, des intentions ou des obligations de quelqu'un ou on prédit ou extrapole

quelque chose de l'état présent du monde. Par conséquent, une phrase qui se réfère au

futur a un sens modal différent d'une phrase avec une référence temporelle au non-fùtur.

Puisque la futurité n'est jamais un concept purement temporel et inclut une notion modale

(Lyons 1977:677), la distinction entre le temps et le mode devient floue au fûtur.

Cependant, les temps du passé et du présent portent des sens modaux aussi. Par

exemple. i'usage poli ou indirect du passé en anglais et en français ou nous attendons le

présent est plus hésitant (ANG Didyou want sorne soup? versus Do you want some

soup?). I I y a donc une illusion du présent (Cornrie 1976:74) et nous devons nous

demander à ce moment-là si la distinction entre le présent et le passé dans les langues

mentionnées n'est pas plutôt modale que temporelle ce qui n'est pas une nouvelle

proposition. En fait, Wallace (1 982:203), Waugh (1975:444) et Lyons (1 977:809-23)

parmi d'autres discutent le temps comme étant le mode. Par exemple, Waugh (1975:444)

propose que le temps en français caractérise la situation narrative (l'événement narratif)

par rapport à la situation discursive (l'événement discursif) et par rapport à l'attitude

Page 82: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

subjective du locuteur envers la relation entre la situation narrative et le situation du

discours en particulier.

On peut effectivement se demander s'il existe des langues pour lesquelles le

temps ne se réfère qu'à la temporalité. Un bon exemple d'une langue qui ne

grammaticalise pas le temps est le hopi, une langue aborigène américaine. Cette langue

ne relie pas la situation décrite au moment du discours par une variation systématique

dans la structure de l'énoncé. Autrement dit, les distinctions modales (épistémiques, en

particulier) que la langue grammaticalise sont plus remarquables que le repérage

temporel.

En ce qui concerne l'interaction morphosyntaxique de ces catégories, Chung et

Timberlake (1 985:256) constatent que le mode réel (indicatif) fait plus de distinctions

temporelles que l'irréel (subjonctif, conditionnel, hypothétique). On le voit si on

compare le subjonctif et le conditionnel en fiançais aux formes du réel. Le subjonctif n'a

qu'une forme pour exprimer l'action. C'est le premier syntagme (qui est à L'indicatif) qui

nous dit si l'événement est au passé. au présent ou au fiitur. Au conditionnel. il y a deux

formes. Si on veut exprimer le futur irréel, la phrase n'est plus au subjonctif ni au

conditionnel. Cependant, il y a cinq formes du réel pour exprimer cet événement.

Examinons les exemples suivants:

(1 8) Irréel Il faut que Millie joue avec sa souris (SUBPRES) Il fallait que Millie joue avec sa souris (SUBIPRES) II a fallu que Millie joue avec sa souris (SCTE3/PRES) Il faudra que MiZZie joue avec sa souris (SUB/PRES) II va falloir que Millie joue avec sa souris (SUB/PRES) Millie jouerait avec sa souris (CONDiNon-passé) Millie aurait joué avec sa souris (COND ANT/Passé) Millie jouera (peut-étre) avec sa souris (FUT)

Page 83: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Millie aura joué (jwut-êlre) avec sa souris (FUT)

Réel - Millie avait joué avec sa souris (Passé) Millie a joué avec sa souris (Passé) Millie jouait avec sa souris (Passé) Millie joue avec sa souris (PRES) Millie va jouer avec sa souris (FUT) Millie jouera mec sa souris (sans aucun doute) (FUT)

Si nous considérons l'anglais, le réel et l'irréel peuvent tous les deux exprimer le passé, le

présent et le fiitur (ou le non-passé), mais une seule forme du non-passé exprime le htur

et le présent.

(19) Irréel Millie should have pfayed with her mouse (Passé) Millie shouldplay with her m o u e (now/tomorrow) (FUT ou PRES)

Réel - Millie plays with her mouse (PRES) Millie is playing with her mouse (PRES) Millie does play with her mouse (PRES) Millie was playing with her rnouse (Passé) Millie pkayed with her mouse (Passé) Millie had played with her mouse (Passé) Millie is going to play with her rnouse (FUT)

De plus. l'usage des conjonctions adverbiales nous suggère que le temps et le

mode lient des paires d'événements de façon analogue. Bien des langues ont certaines

conjonctions qu'on peut employer pour les séquences temporelles ainsi que pour le mode

conditiomeI (ex. FP quand, ANG whenever); les deux usages ont tendance à produire

l'aspect perfectif dans le syntagme qui exprime l'événement secondaire:

(20) ANG We would eat carrots whenever we had no peas F P J 'allais au cinéma quand j 'ai vu Paul

Page 84: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Par contre, on emploie d'autres conjonctions pour la simultanéité temporelle et le mode

concessif (ex. ANG while. FP pendant que. même si); les deux usages ont tendance à

produire l'aspect imperfectif dans le syntagme qui exprime l'événement secondaire:

(2 1 ) ANG I are the cookie while I was reading F P J 'ai regardé la téfé pendant qu'il travaillait FP J'ai aimé le bistrot rnéme si notre salle était pop enjumée

1.6. La relation aspect - mode

Plusieurs linguistes ont discuté les corrélations complexes entre le temps et

l'aspect, mais la relation entre l'aspect et le mode a été presque complètement négligée

dans la littérature. Si nous avons établi certains parallèles entre le temps et l'aspect, nous

pouvons également le faire pour l'aspect et le mode qui se définissent comme des

relations qui se forment entre le locuteur et son énoncé. 11 y a deux manières

fondamentales suivant lesquelles le locuteur peut envisager son énoncé; dans les cas de

l'aspect et du mode, I'énonciateur impose sa propre perspective à un processus.

En particulier. nous avons tendance à associer l'aspect imperfectif (l'inachevé,

duratif) avec des modes irréels. Cela a du sens parce que l'aspect imperfectif et le mode

irréel servent tous les deux à donner de l'information de fond dans le discours. Nous

pouvons aussi noter l'usage de l'aspect progressif avec des verbes de cognition (Wallace

1982:204). Par exemple, l'anglais /'rn hoping he 'II succeed est moins certain que I hope

he 'il succeed qui illustre la relation entre le certain (mode) et le progressif (aspect). De

plus. la répétition peut interagir avec le mode irréel. Cela arrive si les sous-événements

sont indéfinis en nombre et dans leur position sur la dimension temporelle et donc se

voient également dans le monde du possible. Par exemple, en anglais la répétition au

Page 85: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

passé se réalise soit par un verbe indépendant (used to) soit par le mode irréel (He would

bake cakes [on occasion]).

En outre, ces deux catégories interagissent dans la morphosyntaxe. Chung et

Timberlake (1 985 :2%) proposent qu'en général l'aspect perfectif se voit plus

fréquemment au mode irréel (le mode déontique en particulier) qu'au mode réel. Par

exemple, le tagalog distingue l'aspect perfectif / imperfectif et le mode réel / irréel. On

emploie l'imperfectif irréel pour des événements fiiturs ordinaires, mais le perfectif irréel

pour les impératifs (c'est-à-dire pour le mode déontique) (Chung et Timberlake

(22) Tagalog Wawalis-an mo ang sahig sweep (IRR/IMPF)-LOC you SUB jloor

ANG You will sweep the Jloor FP Vous balayerez le plancher

(23) Tagalog Wdis-an mo ang sahig! sweep (1RIUPF)-LOC you SUB jloor

ANG Sweep the floor! F P Balayez le plancher!

1.7. L'ambiguïté sémantique

L'ambiguïté des expressions est très répandue dans les langues naturelles. Au

niveau sémantique, un seul énoncé peut exprimer plusieurs propositions différentes.

L'ambiguïté sémantique provient de diverses sources comme le lexique (l'homonymie et

la polysémie lexicale), la syntaxe (quand une expression a plus d'une dérivatim

syntaxique) et le contexte (les ambiguïtés anaphonques).

Il est souvent très dificile de choisir l'interprétation voulue pami une multiplicité

d'interprétations possibles, c'est-à-dire le procès de disombiguisafion (((disarnbiguatiom,

Page 86: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Deemter 1996:xv). Toutefois, la notion d'ambiguïté est aussi étroitement liée a u

problèmes essentiels de la théorie sémantique. Par exemple, la disambiguisation

présuppose qu'on est capable de percevoir des interprétations différentes d'une

expression donnée, ce qui n'est pas toujours facile. En effet, même des phrases simples

ont souvent plusieurs interprétations possibles.

Ceci dit, ce qui est ambigu pour le linguiste est généralement assez clair pour la

personne qui se trouve dans la situation car le contexte l'aide à interpréter L'énoncé.

Ainsi. une situation ne nécessite pas toujours la disambiguiîotion complète bien que les

mécanismes d'interprétation humains soient assez obscures. La communication ne

requiert pas de clarté absolue; une grammaire partielle est parfois suffisante pour une

compréhension totale. Quand on communique, on ne dit pas tout explicitement; le

locuteur et l'interlocuteur emploient de l'information donnée par le contexte situatiomel.

L'énoncé n'est ambigu que si on ne tient pas compte du contexte linguistique ou non-

13 linguistique. Nous verrons aux troisième et quatrième chapitres que la sémantique des

marqueurs de TMA créoles nous paraît parfois ambigüe mais, dans la plupart des cas, les

locuteurs créoles comprennent aisément le sens voulu.

Nous avons commencé par la sémantique pour tenter de définir les notions de

TMA. Ces définitions nous aident a reconnaître ce que les domaines de TMA

représentent dans des langues, mais nous illustrent également qu'il existe beaucoup

d'ambiguïtés et de chevauchements. Il y a donc certains problèmes de la catégorisation

de TMA dans les langues. Dans les chapitres qui suivent, nous examinerons le statut

l 3 Selon Barwise et Perry (1983, cite dans Deemter 1996:203). les phrases peuvent être ambigues, mais les énoncés ne le sont pas. Enoncer une phrase enlève toute ambiguïté.

Page 87: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

syntaxique et morphologique de TMA et nous considérerons Io façon dont ces notions se

manifestent dans les créoles des Caraïbes a base lexicale fiançaise.

Page 88: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Statut svntaxiaue et mor~holoeiaue des articules TMA

2.0. Introduction

Comme nous l'avons vu, le système temporel, modal et aspectuel figure parmi les

parties les plus complexes du système d'une langue, notamment parce que les interfaces

entre la morphologie, la syntaxe et la sémantique sont tout à fait évidentes dans les

analyses verbales. Dans ce chapitre. nous considérerons diverses perspectives et

hypothèses concernant les systèmes verbaux, de manière universelle ou plus spécifique

aux langues créoles de notre étude.

Nous avons aussi VU au premier chapitre que la sémantique joue un rôle important

dans une étude de TMA, mais qu'il ne suffit pas de décrire ces notions sans les traiter de

façon fonctionnelle (par exemple, de traiter de I'opposition entre l'aspect terminatif ou

délimité et duratif de manière structurale). Les questions principales sont les suivantes:

1 ) Quelles sont les correspondances entre l'interprétation sémantique et la structure

morphologique et syntaxique dans le domaine de 'T'MA?; 2) Comment les notions de

TMA sont-elles réalisées dans le langage? Nos trois derniers chapitres sont donc

consacrés à une étude détaillée des correspondances entre les représentations sémantiques

décrites au premier chapitre et I'encodage des classes temporelles, aspectuelles et

modales encodées dans des langues créoles.

Page 89: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

La théorie syntaxique traite de la structure du sens et nous tentons toujours de

garder ce principe à l'esprit. Ceci dit, la nature syntaxique de cette thèse se manifeste

dans le caractère indirect entre les fonctions des morphèmes temporels, aspectuels et

modaux et les interprétations sémantiques de ces morphèmes. Les gammaires des

langues naturelles n'interprètent pas directement les morphèmes. Puisqu'il y a un module

syntaxique autonome, on ne peut pas définir les principes d'organisation syntaxique par

des notions sémantiques (Hornstein 1990:s). Cela ne veut pas dire que la syntaxe de

TMA n'a aucun effet sur l'interprétation sémantique; nous avons déjà établi que la

syntaxe et la sémantique interagissent. Cependant, le fait qu'il y ait une interaction

n'annule pas le statut indépendant de la syntaxe.

D'après Dahl (1985:34-S), qui fait une enquête interlinguistique de TMA, il est

possible de caractériser le fonctionnement morphosyntaxique typique d'une catégorie

TMA interlinguistique donnée de manière sembable à la caractérisation de la sémantique.

Une catégorie TMA interlinguistique est donc associée à un groupe de traits sémantiques

et morphosyntaxiques bien qu'on ne puisse pas distinguer un sous-ensemble de ce groupe

qui fournirait des conditions nécessaires et suffisantes pour rendre une définition claire de

la catégorie.

Selon Alleyne (1 996: 12 1 ), les marqueurs TMA des langues créoles se divisent en

deux catégories morphosyntaxiques. La première catégorie inclut des particules aspecto-

temporelles invariables. Nous pouvons interpréter les marqueurs préverbaux comme

relevant de la syntaxe ou de la morphologie @uisqu'ils sont des particules ou des

clitiques). A part les marqueurs, il y a toutefois d'autres stratégies qui indiquent TMA.

Page 90: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Ce sont des expressions adverbiales, des règles de mouvement du verbe (le clivage du

prédicat et le redoublement verbal) et des verbes modaux et sériels. Pour Alleyne

(1 996: 12 1), la deuxième catégorie de TMA comprend une série de verbes avec une

réanalyse syntaxique. Les verbes haïtiens dwè (FP devoir), fok (FP falloir; il faut que),

fouti ou pe (FP pouvoir), mèt (FP mettre, poser), gen (FP avoir), gen dwa (FP avoir le

droit) et plede (FP ne pas arréter de), que Spears (1 990: 1 19- 120) appelle des semi-

auxiliaires, se combinent avec une des particules préverbales pour créer une marque

aspectuelle. Sont-iis toujours des verbes principaux ou plutôt des verbes soit principaux

soit auxiliaires selon le contexte? A première vue, il est difficile de décider si un

marqueur fait partie du système TMA central ou s'il appartient à un autre type de

construction syntaxique. Néanmoins, Magloire-Holly (1 982), Sterlin (1 988) et Lefebvre

(1 996) affirment qit'il y a des tests qui permettent de distinguer les marqueurs TMA des

verbes ou auxiliaires. Nous verrons au Chapitre 3 que pou, le marqueur du subjonctif en

haïtien se comporte comme d'autres marqueurs TMA tandis que le verbe modal dwe (FP

devoir) partage certains traits avec les verbes principaux.

2.1. L'interface avec la sémantique

Pour comprendre une phrase, il faut être capable de distinguer les parties de la

phrase. Si nos pensées se composent de parties plus simples qui correspondent aux

parties d'une phrase, il est logique de dire que plusieurs pensies créent plusieurs parties

de la phrase et donc plusieurs phrases. Comment avançons-nous donc la construction de

la pensée et par quels moyens combinons-nous les parties pour créer un tout qui est plus

que la somme de ses parties? Quelle est la relation de ces parties avec la structure de la

Page 91: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

phrase? Bien sûr, si on change l'ordre des parties d'une phrase, le sens peut se modifier.

Ceci dit, il est clair que la composition sémantique est étroitement liée à la

composition syntaxique. La théorie syntaxique moderne nous donne la représentation des

phrases dans des arbres structurés. Les parties de la phrase sont des sous-arbres de ces

arbres. Dans cette section, nous nous intéressons à ce lien entre les arbres syntaxiques (et

donc les parties syntaxiques de la phrase) et le sens de la phrase.

En ce qui concerne le rôle de la syntaxe, Montague a constaté qu'un élément

syntaxique sert à générer exactement les arbres awquels un élément sémantique attribue

des dénotations (Heim et Kratzer 1998:47)14. Dans un tel cadre, on ne peut pas dire

qu'un arbre a été généré par la syntaxe mais plutôt qu'il n'est pas dans le domaine de

l'interprétation sémantique; de même, on ne peut pas dire qu'un arbre est dans le domaine

de l'interprétation sémantique mais qu'il n'est pas généré par la syntaxe. La forme

syntaxique et l'interprétation sémantique coïncide donc complètement. Toutefois, on

peut trouver des exemples «agrammaticaux» dont les sens sont assez clairs. Il est

égaiement possible de construire des phrases grammaticales qui n'ont aucun sens.

(25) * FP La fourchette maintient 1 'oiseau.

La phrase ci-dessus est syntaxiquement correcte, mais elle n'a pas de sens. D'après Heim

et Kratzer (1 998:48), s'il est impossible d'interpréter une structure, elle fait partie de

1 'agramaticalité.

Dans le cadre minimaliste développé par Chomsky (1 995). Giorgi et Pianesi

(1 997) propose une théorie de traits qui explique la variation interlinguistique dans les

14 Cf. aussi Charnbreuil 1989, Dowty 1979, Davis et Mithun 1979.

Page 92: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

systèmes temporels et aspectuels des langues romanes et germaniques. Dans ce cadre,

nous pouvons considérer l'interprétation des phrases du point de vue de l'interface entre

la syntaxe et la sémantique. Il y a beaucoup de documentation sur l'interprétation

temporelle et aspectuelle des énoncés au niveau sémantique ainsi que morphosyntaxique.

mais beaucoup moins sur le rapport entre ces deux niveaux. Cependant, Giorgi et Pianesi

posent certaines questions importantes sur la nature de cette interaction (1997:xiiv):

(a) Comment les valeurs sémantiques sont-elles exprimées au moyen des morphèmes?

(6) Quelles règles gouvernent l'interface entre les niveaux sémantique et syntaxique?

(c) Où se trouve la variation linguistique dans ce scénario? (d) Comment les enfants acquierent-ils le système temporel et aspectueI de leur

langue?

On ne peut avancer que des réponses partielles et toutes ces réponses ne sont pas

pertinentes à cette thèse. Ce qui est important pour nous est cette interaction entre la

morphosyntaxe et la sémantique, c'est-à-dire la relation entre la morphologie et la

syntaxe d'un côté et temps. mode et aspect de l'autre.

En somme. cette thèse voit la grammaire comme un tout où la morphosyntaxe et

la sémantique sont des modules indépendants mais reliés. Chacun impose ses propres

contraintes sur les structures grammaticales d'une langue; il existe des structures faciles à

interpréter mais incorrectes d'un point de vue syntaxique ainsi que des structures bien

formées mais n'ayant aucun sens. Ce principe sera essentiel à notre analyse des notions

de TMA aux chapitres 3 et 4.

Page 93: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

2.2. L'interface aspectuelle

Tenny (1994) développe une théorie qui traite de l'interface entre la syntaxe et la

sémantique lexicale et l'existence d'une interface implique une autonomie limitée de la

syntaxe et de la sémantique kxicale. En décrivant la syntaxe et la sémantique lexicale,

on utilise des règles et des systemes différents, mais ces règles et systèmes interagissent.

Temy (1 994: 1) maintient qu'une interface nécessite la connexion d'un élément d'un

système à un élément de t'autre système. La syntaxe est liée à une série de propriétés

aspectuelles du côté de la sémantique lexicale (reliée à la propriété de la délimitation, en

particulier). L'intersection entre la syntaxe et la sémantique lexicale est donc aspectuelle.

De plus, les interactions entre les deux éléments s'organisent autour d'un vocabulaire

limité de notions aspectuelles. La syntaxe est autonome. mais il y a une intersection

précise entre la syntaxe et la sémantique lexicale.

Cette théorie de Tenny n'est pas tout à fait nouvelle. Depuis longtemps, certains

linguistes ont discuté du problème de liage (linking) et de la question des rôles

thématiques et des positions syntaxiques.'s Des généralisations interlinguistiques existent

à propos des types de rôles thématiques qui se trouvent dans des espaces (((slots)))

syntaxiques et Tenny développe une hypothèse générale sur les principes de liage

universels ou interlinguistiques (1 994: 1 15):

(26) Aswctual interface Hvmthesis

The universal principles of mapping between thematic structure and syntactic argument structure are govemed by aspectual properties relating to measuring- out. Constraints on the aspectual properties associated with direct interna1 arguments, indirect intemal arguments, and extemal arguments in syntactic

--

15 Cf. Fillmore (1 968), Ostler (1 979), Carter (1 988), L. Levin (1 985). Carrier-Duncan (1985), Dowty (1 99 1 ). Jackendoff (1 990), Grimshaw (l990), Wechsler (199 1 ).

Page 94: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

structure constrains the kinds of event participants that can occupy these positions. Only the aspectual part of thematic structure is visible to the universal linking prùiciples. l 6

Dans cette proposition, T e ~ y relie l'aspect et la structure d'argument- Elle ne présente

ni une théorie générale de l'aspect ni une théorie générale du rôle de l'aspect dans la

syntaxe. mais plutôt une théorie qui traite de l'intersection entre la syntaxe et la

sémantique lexicale et qui dépend d'une petite série de propriétés aspectuelles

(notamment la propriété de délimitation qui réfère à la propriété d'un événement ayant

une fin distincte, définie et inhérente dans le temps).

En général, une discussion du liage doit se concentrer sur la structure de

l'argument comme point d'intersection entre la syntaxe et la sémantique lexicale. Les

verbes ne prennent pas n'importe quel argument et l'information lexicale associée à un

verbe doit inclure le nombre d'arguments qu'il nécessite, la nature sémantique de ces

arguments et les types de structures syntaxiques dans lesquelles le verbe et ses arguments

17 peuvent apparaître. Récemment. certains linguistes se sont concentrés sur l'importance

des propriétés lexicales dans la syntaxe et les représentations de la structure de l'argument

sont devenues de plus en plus sophistiquées (Tenny 1994:7). Pour représenter la structure

de l'argument. on doit reconnaître que l'information sémantique et syntaxique doit être

séparée.

-

'6 L'hypothèse de l'interface aspecnielle: Les principes universels entre la structure thématique et la structure syntaxique de l'argument sont gouvernes par des propriétés aspectueiles qui relient a la distribution. Des conraints sur les propriétés aspectuelles contrainent les types de participants événementiel qui peuvent remplir ces positions. Seulement la partie aspectuelle de la saucture thématique est &vident aux principes universels de liage. 17 Cf. le «Theta Criterion and Projection Principle)) de Chomsky (198 1) et le «Lexical Functional Gramman) de Bresnan (1 982).

Page 95: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Williams (1 98 1) introduit le concept d'un argument externe qui est cetui du

syntagme nominal (NP) qui est projeté dans la structure de la phrase à l'extérieur de la

projection maximale du verbe. 11 reçoit un rôle thématique du syntagme verbal par

prédication. Cet argument devient toujours le sujet syntaxique (Tenny 1 994:9). Il se

distingue d'autres arguments parce que c'est le seul argument qui n'est pas rattaché à

autre chose. Les autres arguments verbaux sont des arguments internes, qui apparaissent

à l'intérieur du syntagme verbal (en structure-D).

Nous pouvons également distinguer entre les arguments internes directs et

indirects, où l'argument interne direct du verbe est l'argument NP qui est gouverné par le

verbe en structure-D et qui reçoit son rôle thématique directement du verbe. Cette

distinction tripartite entre les arguments externes, internes directs et internes indirects est

purement syntaxique et, en effet, ces arguments sont essentiellement syntaxiques ou

définis a l'interface de la sémantique lexicale et de la syntaxe. Ils sont par contre aussi

indépendants des cadres syntaxiques et on peut les traduire en plusieurs cadres.

L'argument interne direct (désormais l'argument direct) joue un rôle fondamental

dans la structure aspectuelle puisque c'est l'argument qui peut distribuer (measure out)

l'événement auquel le verbe se réfere. Tenny (94: 1 1) fait l'hypothèse suivante quant aux

arguments directs:

(27) Measwinn-Out Constraint on Direct Intemal Arguments

(a) The direct intemal argument of a simple verb is constrained so that it undergoes no necessary intemal motion or change, unless it is motion or change which 'measures out the event' over time (where 'measuring out' entails that the direct argument plays a particular role in delimiting the event.

(b) Direct interna1 arguments are the only overt arguments which can

Page 96: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

'measure out the event' .

(c) There can be no more than one measuring-out for any event described by a verbal8

Dans une typologie aspectuelle de verbes, la délimitation et la distinction entre le statif et

le non-statif sont très importantes. Les verbes statifs n'expriment jamais des événements

délimités tandis qu'on peut diviser les verbes non-statifs en deux parties: cew qui

expriment des événements délimités et ceux qui expriment des événements nondélimités.

Regardons quelques exemples des trois classes aspectuelles:

(28 j Verbes statifs: FP Odette aime Norbert

Franço ise connait l 'histoire

(29) Verbes non-statifs non-délimités: FP Béatrice a étudié I 'allemand (* dans un mois /pendant un mois)

Théophile a frappé à la porte (*dans une heure /pendant une heure)

(3 0) Verbes délimités (non-statifs) : FP Emile a construit un bateau (en un jour / *pendant un jour)

La distribution de l'événement par un argument interne se voit dans deux classes

de verbes - les verbes à thème graduel (theme-incremental verbs) et les verbes de

changement d'état (change-of-state verbs). (Tenny 1994: 1 5).

(3 1) Verbes à thème graduel (verbes de consommation, verbes de création): FP boire du vin

construire un vélo

(32) Verbes de changement d'état (accomplissements, achèvements): FP mûrir la banane

le couteau a coupé le pomage

l8 Contrainte distributionnelle sur les arguments internes directs: (a) L'argument interne direct d'un verbe simple est contraint et ne subit aucun déplacement que

si c'est le déplacement ou changement qui distribue l'événement dans le temps. (b) Les arguments internes directs sont les seul arguments manifestes (uoverb) qui peuvent

distribuer I'événement. (c) I I n'y a qu'une dismbution pour un CvCnement décrit par un verbe.

Page 97: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

La distribution (ameasuring out>)) contient deux éléments: un barème de distribution

((cmeasuring scale))) associé a un argument et une délimitation temporelle. A l'inverse, la

délimitation fait partie de la distribution, une condition nécessaire mais pas suffisante. La

délimitation n'implique pas la distribution (Tenny 1994: 15). Les objets des verbes

trajectoires («path objects of route verbs») distribuent également l'événement (Tenny

(3 3 ) FP Patrice a escaladé la colline Suzanne a chanté Z 'hyme national

Les verbes à thème graduel, les verbes de changement d7état et les verbes trajectoires

avec des objets de chemins illustrent trois types de distribution d'un événement par un

argument interne direct.

Tenny (1994933) postule également la contrainte de non-distribution sur les

arguments externes (Non-Measuring Constraint on extemal arguments) qui est la

suivante:

(34) Un argument externe ne peut pas participer dans Ia distribution ou la délimitation de l'événement décrit par le verbe. Un argument externe ne peut pas être une mesure, un chemin ou un terminus.

Les arguments externes se trouvent donc à l'extérieur de la partie de la syntaxe où existe

la distribution et la délimitation de l'événement décrit par le verbe. Puisqu'ils sont

externes à cette structure aspectuelle, les arguments externes ont peu de contraintes

aspectuelles qui limitent le type de rôles thématiques qu'ils peuvent avoir. En

comparaison avec les arguments internes, les contraintes thématiques sur les arguments

externes sont beaucoup plus lâches. Il y a plusieurs types de rôles thématiques qui

Page 98: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

peuvent apparaître dans la position de l'argument externe (un agent, une force naturelle,

un instrument, une cause d'une émotion, un but, etc.) (Tenny 1994:84).

En ce qui concerne notre étude, il importe de poser la question suivante: quelle

est la relation entre les rôles aspectuels et les rôles thématiques? D'après Tenny

(1994:99), les rôles aspectuels ne remplacent pas les rôles thématiques, parce qu'ils ne

contiennent qu'un sous-ensemble de l'information contenue dans un rôle thématique.

L'information aspectuelle contenue dans un rôle aspectuel traite de la distribution à un

terminus d'événement. Les rôles thématiques contiennent d'autres informations qui ne se

trouvent pas dans les rôles aspectuels, des informations de type non-aspectuel. Par

exemple, la distinction entre un agent et un instrument n'est pas aspectuelle. De plus,

certains rôles thématiques (tels que les repérages spatial et temporel) ne contiennent

aucune information aspectuelle pertinente. S'il y a de l'information aspectuelle dans un

rôle thématique, c'est de l'information linguistique, pertinente a la structure syntaxique

de l'argument (syntactique argument structure) tandis que l'information non-aspectuelle

est plus générale.

Suivant Tenny (1 994: 1 05)' une typologie aspectuelle des rôles hématiques tire

l'information grammaticale/aspectuelle de l'information extra-linguistique et le résultat

est une simplification de notre vision de l'interface entre la syntaxe et la sémantique

lexicale. De ce point de vue, la syntaxe est précise et explicite; la projection du lexique à

la syntaxe et de la sémantique a la syntaxe (mapping) est clair. Les contraintes

aspectuelles sur la structure de l'argument créent une base de conditions nécessaires qui

contraignent la connexion entre la syntaxe et la sémantique lexicale. Certaines langues

Page 99: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

particulières ont des règles plus spécifiques gouvernant les propriétés syntaxiques des

classes verbales et nous verrons le cas de l'haïtien dans le prochain chapitre.

2.3. Les constructions dynamiques (non-statives) et statives

Une construction dynamique a typiquement un verbe complet à sa tête, tandis

qu'une construction stative a tendance à inclure des noms ou des adjectifs dans la

fonction prédicative, avec ou sans une copuIe qui n'a d'autres fonctions que d'être la tête

syntaxique (durnmy head) du syntagme prédicatif @ah1 198528). Dans certaines

langues, cette distinction se manifeste comme une distinction entre des prédicats verbaux

et nominaux et dans d'autres, entre des verbes statifs et non-statifs. Cependant, la

fiontière exacte entre ~statifb et ((dynamique)) varie selon les langues. Aux chapitres 3 et

4. nous considérons des verbes statifs et non-statifs relativement à l'usage des marqueurs

préverbaux dans les créoles. Nous verrons que certains marqueurs ne se trouvent jamais

avec des verbes statifs et que le morphème zéro s'y voit souvent.

2.4. L'évolution des morphèmes grammaticaux

Dans cette section. nous discuterons certains éléments linguistiques spécifiques.

c'est-a-dire les morphèmes grammaticaux («grams», d'après Pagliuca cité dans Bybee

1 986) associés avec les verbes. A la différence des classes ouvertes telles que les noms et

les verbes, les «grams)) sont des éléments d'une classe fermée, déterminés par un

comportement grammatical unique, tel que la position ou les interactions distinctives

avec d'autres éléments linguistiques (Bybee et al 1994:2). Formellement, les morphèmes

grammaticaux peuvent s'exprimer comme des affixes, des changements du radical, de la

Page 100: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

reduplication, des auxiliaires, des particules ou des constructions plus complexes (comme

«be going t o ~ en anglais).

Dans cette thèse, nous n'examinons que les auxiliaires ou les particules préposés

aux verbes dans quelques langues créoles; la réalisation particulière du système de TMA

est le trait le plus caractéristique de ces langues et une étude de toutes les manifestations

de TMA possibles dans les langues du monde nécessiterait encore plusieurs années de

recherche. Nous étudions la façon dont la substance sémantique de ces domaines se

rapproche de la morphologie et de la syntaxe. Ces particules ont une position fixe par

rapport au verbe. Dans ce travail, nous faisons une analyse qui est surtout synchronique.

mais il faut remarquer que les langues évoluent constamment et, par conséquent, le sens

grammatical change continuellement aussi. Il se peut, par exemple, que les langues

créoles de mon étude démontrent plus de similitudes ou de différences entre elles

maintenant qu'il y a cinquante ans.

Un phénomène associé avec la grammaticalisation est l'augmentation de

fréquence qui continue bien après que le morphème ait obtenu un statut grammatical. En

effet. Bybee (1994:8) déclare que la haute fréquence des grams (morphèmes

grammaticaux) est partiellement due à leur généralité sémantique qui leur permet de se

trouver dans tant des contextes différents, mais cette fréquence est également attribuable a

l'usage des grams dans des contextes où leur contribution est en fait redondante. Nous

employons des grams non seulement là où les sens qu'ils fournissent sont strictement

nécessaires. mais aussi quand le sens est compatible avec le contexte général et les

intentions du locuteur. Ainsi, en anglais le passé est employé non seulement quand il

Page 101: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

fournit l'information que la situation s'est produite dans le passé, mais aussi quand cette

information a été déjà donnée, soit explicitement soit par le contexte. Des qu'un gram ou

une classe de g ram commence à être utilise dans tous les contextes pertinents, même s'il

est redondant, le manque d'un gram de cette classe dans le même contexte devient

significatif. Par conséquent, si un gram au temps passé se dévéloppe et commence à être

employé dans des situations redondantes et non-redondantes, dans les cas où il n'apparaît

pas, nous interpréterons le sens du non-passé. La catégorie de temps dans cette langue

sera devenue obligatoire, avec un gram manifeste pour le passé et une marque zéro pour

le présent.

Nous avons déjà affirmé que les changements sémantiques qui mènent à la

grammaticalisation et qui continuent en cours de la grammaticalisation augmentent la

généralité du sens des grams. Cependant, si nous considérons toutes les sources des

grarns, nous trouvons qu'elles ne manifestent pas de généralité de sens de la même façon.

Par exemple, un prélèvement dechantillons des sources lexicales des marqueurs

temporels. aspectuels et modals rapporterait. en plus des verbes très généraux- d'autres

verbes d'un sens moins général. Bybee nous offie quelques exemples de l'anglais: les

antérieurs qui proviennent dejinish (finir), throw away (jeter), et pass by (passer par);

les futurs de ruant (vouloir) ou desire (désirer); et les marqueurs d'obligation de be

proper (être correct) et owe (devoir à).

A la différence de go (aller), be (être) et hme (avoir) qui décrivent le mouvement

spatial général, le repérage, l'existence, ou la possession,jinish, desire et owe encodent

des propriétés et des relations du monde plus complexes. Comme le dit Bybee (1 994: IO),

Page 102: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

ils encodent des points d'orientation de l'expérience humaine. Ils sont équivalents en

statut aux verbes les plus généralisés d'existence, de possession, de repérage physique,

d'attitude ou de mouvement. Ce sont donc les notions de base, qui décrivent l'existence

ou le mouvement. les états psychologiques ou sociaux, les perspectives et les événements,

qui servent comme base de sens grammatical dans les langues humaines.

D'autres chercheurs sont arrivés à une conclusion semblable. Traugon

(1 982:246), par exemple, postule que les notions de source (source notions) sont

essentielles au discours; Heine, Claudi, et Hünnemeyer (1 99 1 :38) observent qu'il a été

bien établi qu'un seul concept de source (source concept) peut produire plus d'une

catégorie grammaticale et inversement qu'une catégorie grammaticale peut provenir de

plusieurs concepts ou structures de source. Ils affirment (1 991 :33) que les concepts de

source qui entrent dans la gmmmaticalisation sont fondamentaux à l'expérience humaine

et, par conséquent, qu'ils sont indépendants du point de vue culturel. Nous avons

tendance à les concevoir d'une manière semblable à travers des frontières linguistiques et

éthiques. Cette observation explique en partie les nombreuses similitudes entre les

processus de gramrnaticalisation entre des langues qui n'ont aucun rapport génétique ou

géographique les uns avec les autres.

Selon Bybee et al (1 994: IO), quand on identifie les propriétés des items lexicaux,

il est toujours difficile de déterminer à que1 point exact on peut dire que la

grammaticalisation a commencé. Il se peut que des verbes tels quefinish (fznir), throw

away (jeter) et même want (vouloir) et owe (devoir E ) se soient généralisés au-delà de

leur sens lexical et qu'ils soient devenus abstraits avant que la grammaticalisation ait

Page 103: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

commencé. Considérons l'usage des termes des parties du corps dans des constructions

grammaticales pour signaler des relations spatiales. Heine, Claudi et Hiinnemeyer (1991)

documentent des phénomènes tels que l'usage du mot face (visage) dans une construction

qui veut dire infiont of (en face de) dans un grand nombre de langues qui n'ont aucun

lien historique. Néanmoins, il faut noter que ce n'est pas face avec le sens d'une partie

spécifique du corps qui entre dans les constructions grammaticales. C'est plutôt le face

qui se généralise par une extension métaphorique avec le sens defiont (devant) comme

dans l'anglais the face of the clrfl(lçr face de la falaise). C'est seulement après cet

élargissement du sens, que le mot prend le chemin de grammaticaiisation pour devenir

une adposition spatiale.

En plus des items lexicaux, les constructions qui subissent la gramrnaticalisation

incorporent certaines unités qui sont déjà grammaticales comme les marqueurs de temps,

mode et aspect qui contribuent sémantiquement à la construction. La position des unités

qui entrent dans une construction grammaticale (soit en relation I'une avec l'autre soit par

rapport à l'unité lexicale ou syntagmatique qu'elles modifient) contribuerait également du

sens grammatical à la construction. Ainsi, nous devons considérer en détails la syntaxe et

la morphologie de la construction et non pas simplement le sens référentiel des items

lexicaux.

D'après Bybee et al (1994: 1 1)' les constnictions impliquant des verbes de

mouvement sont les sources des marqueurs du htw, du passé et du progressif. Si nous

pensons seulement au radical lexical, nous n'offrirons rien qu'une liste des morphèmes

grammaticaux possibles provenant de verbes tels que go (aller) et corne (venir).

Page 104: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Toutefois, les de mouvement (movement futurs) évoluent généralement des

constructions qui signalent un mouvement spatial vers un but qui, à leur tour, nécessitent

une marque directionelle et temporelle/aspectuelle appropriée sur le radical verbal.

Heine. Claudi et Hünnemeyer (1 991 :38) constatent qu'un seul concept de source

(source concept) peut produire plus d'une catégorie grammaticale. Néanmoins, Bybee et

al. (1 994: 1 1 ) se trouvent en désaccord avec cette conclusion en disant que c'est la

construction entière. et non pas simplement le sens lexical du radical, qui est le précurseur

et donc la source du sens grammatical. Ils déclarent que même l'exemple du mot face

donné par Heine et al. illustre une unité lexicale qui entre dans deux constructions

grammaticales très différentes.

Bien que cette thèse soit surtout une étude synchronique, une perspective

diachronique peut devenir utile parce qu'elle explique en partie d'où viennent les

marqueurs de TMA ce qui nous aide a distinguer les particules préverbales (et leur

fonctionnement) des langues créoles differentes. Nous examinons ce sujet plus en détails

dans la section 3.15. où nous discutons l'évolution des morphèmes grammaticaux créoles.

2.5. Les créoles: des systèmes auxiliaires non-marqués?

En examinant la structure universelle interne de AUX, Muysken (198 1) propose

des analyses impliquant que les particules TMA préverbales des langues créoles

constituent des systèmes auxiliaires non-marqués qui ont émergé dans le processus de

!'acquisition des pidgins par des locuteurs natifs. 11 présente quelques exemples tirés de

divers créoles (y compris l'haïtien). De plus, il considère quelques explications

Page 105: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

universalistes (Bickerton 1975, Labov 197 1, Steele 1 978) et il formule une conclusion

disant que très peu de créoles se conforment au modèle simple de Bickerton.

Nous avons déjà mentionné les trois catégories de Bickerton: [+/- antérieur]

[+/- irréalis] [+/- nonpontuel] qui ne tente pas d'expliquer la position des particules

préverbales dans la phrase. Comme le souligne Muysken (1 98 1 : 1 85). puisque Bickerton

présume un déroulement des procès de gauche à droite, l'ordre [a antérieur] avant

[B irréel] est un peu anormal. C'est que le locuteur doit d'abord décider si une action se

passe avant une autre action avant même qu'il décide si l'action se passe.

En effet, Bickerton ne suggère que trois traits sémantiques et il n'explique pas

pourquoi ces traits se réalisent comme des particules préverbales dans les langues SVO.

pourquoi elles sont préposées au verbe et pourquoi il faut les mettre dans un ordre

spécifique. Labov (1 97 1) insiste sur le fait que les langues doivent avoir plusieurs choix

stylistiques disponibles pour exprimer une notion donnée, la fiturité, par exemple, et il

déclare que la phonoiogie des auxiliaires (mais pas des adverbes temporels) est souvent

réduite pour satisfaire l'exigence de la compétence stylistique. Ce besoin provoque une

chaîne d'expansion auxiliaire et des processus phonologiques de réduction. Comme le dit

Muysken (1 98 1 ), cette hypothèse de Labov contribue à une explication de l'existence

d'une catégorie AUX et de la position des particules a côté du verbe (elles ne sont pas

indépendantes et elles sont cliticisées au verbe). Cependant, Labov n'explique pas

l'inclusion et l'exclusion de certains éléments dans cette catégorie.

Muysken (1 98 1 : 186) signaie que les contraintes universelles sur la structure des

phrases ne spécifient pas les éléments constitutifs dont AUX a besoin. Du point de vue

Page 106: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

syntaxique. AUX peut dominer n'importe quel élément. Deux principes développés par

Woisetsc hlaeger ( 1 977)' 9, en combinaison avec un principe de grammaire universelle qui

spécifie que l'aspect est interprété avant le mode et le mode avant le temps. donnent deux

possibilités de structure aux éléments de AUX (Muysken 198 1 : 188):

(35) a. T M A / VP. VP => V ...

b. . 4 M T / . VP => ... V

Dans les deux cas ci-dessus. l'aspect est en contact avec le radical. Dans (35a). AUX

précède le verbe (le cas SVO). et dans (35b). AUX suit le verbe (le cas SOV). Si AUX

n'est pas en contact avec le verbe, cette langue n'est pas dans la catégorie non-marquée

des langues. mais pour le moment nous ne savons pas exactement ce que ceci implique.

Muysken (1 98 1 : 189) remarque qu'il y aura trois interprétations possibles de la notion de

proximité au radical («closeness to the stem») de Woisetschlaeger:

Dans le premier cas. les catégories de TMA sont exprimées comme des suffixes du verbe

(aussi possible à l'inverse avec des préfixes) et le principe de position («ordering

Les principes de Woisetschlaeger (1977) sont les suivants (Muysken 198 1 : 188): A. Le ~r incipe de vosition (The TMA Ordering Princivle): Si a. et b. sont chacun des formatifs

syntaxiques qui représentent une catégorie verbale, et a. est <(plus prochen du radical que b.. la règle de traduction de a, précède celle de b.

B. L'hvpothèse de la hiérarchie verbale [((The Verbal Hierarchv Hmothesis»): Supposons que a. et b. sont des catégories verbales. Si A et B sont les mêmes domaines associés avec eux. la grammaire universelle fixe l'étendue (scope) de la relation entre A et B.

Page 107: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

principlen) de Woisetschlaeger s'appliquerait dans la morphologie. Nous définissons les

créoles traités par Muysken comme dans le deuxième cas ci-dessous. où les catégories

sont exprimées par des éléments dominés par AUX:

Dans le troisième cas, les catégories de TMA se voient comme des éléments (ici des

préfixes) d'un complexe VP:

Quand les trois catégories appartiennent a un AUX qui est syntaxiquement séparé.

elles représentent ce que Muysken appelle le cas non-marqué («the unmarked casen).

Dans chaque catégorie sémantique de TMA, il y a une hiérarchie de distinctions,

gouvernées par une théorie de la marque («markedness))). Cette hypothèse affirme que,

pendant les premières étapes du développement d'un système TMA (chez Muysken, dans

un système créole), seules les distinctions non-marquées apparaissent et les distinctions

plus complexes ne surgissent que plus tard. Pour la catégorie de temps, Muysken

Page 108: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

(1 981 : 190) donne un système de représentation qui ressemble a celui de Homstein

(1 977), d'après Reichenbach (1 947):

(39) passe simple E, R S passé parfait E R S présent simple S, R, E présent parfait E S, R tùtur simple S R E fiitur parfait S E R

Dans ce schéma, S réfêre au moment du discours (S correspond à «speech»), E au

moment de l'événement, et R au point de référence. Ainsi, nous interprétons la notation

S, R, E comme un temps oir le point de référence, le moment du discours et le moment de

I'événement coïncident temporairement (c'est-a-dire. le présent). Par contre,

S E R est interprété comme un temps où l'événement est postérieur au

moment du discours, mais antérieur au point de référence (c'est-à-dire, le fùtur parfait).

Suivant Muysken, ia «disassociation» est la séparation ( ) entre deux

moments et l'«association» est la coïncidence de deux moments. Il propose (1 98 1 : 1 90)

que la disassociation est marquée et l'association est non-marquée. II postule en outre

que tous les cas où le moment de l'événement est postérieur au moment du discours

(s- E) sont marqués. Il présente une hiérarchie de six temps suivant laquelle le

présent est le cas non-marqué, suivi par le passé simple qui est le moins marqué

(Muysken 1981:191):

Page 109: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Tableau 6 - Hiérarchie des t em~s

dissoc. 1 dissoc. 2 S E index de marque («markedness»)

passé simple u passé parfait m présent simple u présent parfait rn futur simple m futur parfait m

m - marqué, u - non-marqué («unmarkech)

En ce qui concerne l'aspect, Muysken (1 98 1 : 192) donne neuf catégories qui sont

distinguées à l'aide de six traits binaires:

Tableau 7 - Caténories as~ectuelles

information référence index de marque séquentie1 le aux pauses (a markedness)) )

imperfectif interromptif inceptif complétif cessatif continuatif resompti f déteminatif perfectif

II y a deux catégories aspectuelles qui sont non-marquées (l'imperfectif et le perfectif).

Ce système se distingue du cadre de Bickerton où le non-ponctuel est la seule catégorie

non-marquée.

Page 110: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Muysken conclut que la catégorie AUX est spécifiée universellement dans la

syntaxe, mais que ses constituants ne le sont pas. Ces éléments de AUX sont donc

déterminés par la sémantique qui contient de façon centrale des concepts reliés à TMA.

Nous sommes conscients de n'avoir pas traité de tous les problèmes existants,

mais le point de départ est plus clair. En ce qui concerne cette étude, nous reconnaissons

que l'interaction entre temps, mode et aspect est dificle à saisir et que les systèmes

créoles sont beaucoup plus complexes que nous ne l'avion cru à première vue. Muysken

(198 1 : 197) affirme que peu de langues créoles se conforment de façon précise au système

ternaire soutenu par Bickerton. C'est-à-dire que plus de trois distinctions sont possibles

dans les systèmes préverbaux créoles. Les subtilités et ambiguïtés sémantiques des

marqueurs préverbaux sont devenues également évidentes. Aux prochains chapitres,

nous examinerons les particules des créoles des Caraïbes à base lexicale française d'une

manière séparée et détaillée pour voir comment les notions de ?'MA se manifestent et

pour mieux comprendre le fonctionnement de ces notions.

2.6. La structure de INFL

Une proposition bien établie dans la littérature postule que le nœud MFL sert à

indiquer les caratéristiques flexionnelles d'une phrase (Chomsky 198 1). Quand INFL est

marqué [+ temps], les traits de [+ AGR) caractérisent les traits nominaux associés avec le

sujet par rapport a la personne et au nombre. Cependant, si nous acceptons l'analyse de

Vinet (1 986) que AGR est un élément terminal, il serait acceptable de dire que ce nœud

est soit présent soit absent dans la grammaire. Quand il est absent, il n'y aurait en

principe aucun élément terminal dans MFL puisque le temps (à la différence de AGR)

Page 111: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

principe aucun élément terminal dans INFL puisque le temps (à la différence de AGR)

n'est pas nominal. Il est possible d'illustrer la présence ou l'absence des traits de

[+ AGR] dans INFL si nous supposons que les traits de nombre et de personne sont

aitribués à iNFL de l'extérieur et que ceriaines langues n'ont pas ces valeurs de traits

spécifiques (Kitagawa 1 984, dans Vinet 1 986: 1 ).

Puisque l'haïtien (ainsi que les autres créoles de notre étude) n'a pas de marques

de personne sur le verbe tensé, Vinet (1 986: 1 ) propose que AGR n'aurait pas de traits et

que conséquemment, il n'y aurait pas de nœud AGR en haitien. Comme nous l'avons

précisé, le système verbal de l'haïtien n'est jamais marqué de façon morphologique et il

n'y a pas d'accord entre le sujet et le verbe. Suivant Muysken (1981), l'existence des

marqueurs TMA justifie la présence d'un constituent syntaxique comme INFL en hatien.

Néanmoins, la structure interne de MFL differe de ce qui existe dans les langues

européennes ou même en chinois ou japonais qui n'ont pas de traits AGR non plus.

Nous discutons l'haïtien au chapitre 3, mais pour l'instant nous nous concentrons

sur l'universalité de cet argument. Dans la littérature, il est souvent constaté que

certaines langues ne montrent pas de formes infinitives et, comme le mentionne Vinet

(1 986: 3), les grammariens traditionnels donnent souvent I'exemple de l'arabe. Bien qu' il

ne soit pas évident à première vue, il y a toujours certains critères pour distinguer les

formes fiéchies des formes non-fléchies dans une grammaire abstraite. D'abord, une

forme verbale non-fléchie est toujours une forme dépendante dans la structure de la

phrase (Vinet 1986:3). En français, une telle forme se trouve: a) dans une position

enchâssée; b) dans une position adjointe à S' (4'-adjointed))); c), est introduite par une

Page 112: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

exclamation; ou d) par un marqueur interrogatif. Elle ne se trouve jamais dans une phrase

matrice de base (((plain root SB>). (Vinet 1986:3):

(40) a. FP il veut connaître la vérité b. FP Aller en Italie, ce serait bien c. FP Ah! Partir en vacances! d. FP Que Faire? e. * F P Inviter des amis

De plus, d'autres méthodes peuvent distinguer une forme fléchie d'une forme

non-fléchie. Par exemple, il se peut qu'une proposition non-hie (anon-finiten)

n'accepte pas d'auxiliaire modal. Par exemple, puisque AGR est toujours présent dans

tous les types de propositions en chamorro, le fait d'être fini (((finiteness))) correspond à

la présence de mode Chung (1983 dans Vinet 1986:4).

Vinet (1 986:6) propose la structure générale suivante pour iNFL, opposée à la

description courante TEMPS * AGR]:

+TEMPS AUX +AGR

(NEG) (TEMPS) (MODE) (ASPECT)

Une deuxième manière de représenter la structure interne de iNFL se trouve ci-

dessous (Vinet 1986: 12):

(42) INFL = > [+ TEMPS ] (AUX)

AUX = > (NEG) (TEMPS) (MODE) (ASPECT)

Page 113: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Si les verbes non-fds n'ont jamais de particule temporelle sous M L , ils permettent

toutes les autres particules de AUX (la négation, le mode et l'aspect) (Vinet 1986:8).

La structure interne de INFL et la différence observée entre les propositions

tensées et les propositions non-tensées devient cruciale pour l'attribution du cas

nominatif. Chung (1983, cité dans Vinet 1986:8), par exemple, postule que la présence

de AGR même dans des infinitifs en chamorro correspond à la présence de [+ Mode]

plutôt que AGR dans MFL. Le sujet dans cette langue est donc gouverné par

MFL[+ Mode]. Koopman (1984) propose qu'en vata et gbadi, qui n'ont également pas de

[+ AGR], le cas nominatif est attribué par une flexion verbale. Elle présente plusieurs

arguments pour appuyer cette proposition. Premièrement, il y a une asymétrie entre les

deux types de nœuds iNFL dans ces langues. La structure interne du nœud INFL

[+ TEMPS] montre un certain nombre de traits tandis que le nœud INFL [- TEMPS] ne

peut pas permettre ces particules (Kooprnan 1984:72):

(43) Vata

a.

I [- TEMPS]

Koopman propose qu'un mouvement-V du type NP (NP-type V-movement) dans des

propositions tensées justifie l'attribution du cas nominatif et ce mouvement verbal

Page 114: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

devient obligatoire dans des propositions tensées qui n'ont pas d'auxiliaire. Ceci

correspond aux paramètres suivants en vata et gbadi (Kmpman 1984: 137):

(44) i) Les rôles-théta (rôles-@ sont attribués à gauche ii) Le cas est attribué à gauche iii) L'ordre NP INFL VP

Par conséquent, la structure S après l'application du mouvement verbal correspond au

schéma suivant (Vinet l986:9):

Nous verrons dans la section 3.18. qu'il n'y a pas de mouvement verbal en haïtien et que

le nœud MFL [+ TEMPS] ne présente pas de distinction claire avec le nœud [-TEMPS].

Bien que les marqueurs préverbaux different dans les autres langues créoles, la situation

concernant le mouvement verbal est la même.

Page 115: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Cha~itre 3

Le svstème verbal du créole haïtien

3.0. Introduction

Une interprétation trés générale dirait que des buts p ~ c i p a u x de la linguistique

est de découvrir les similitudes et les différences entre les langues humaines et de

proposer et de tester des théories qui expliquent ces similitudes et différences (Bybee,

Perkins et Pagliuca t 994). Suivant ce point de vue, une comparaison des langues créoles

des Caraïbes à base lexicale française devrait nous donner des indices pour la

compréhension de la logique de la grammaire. Certes, il existe un certain penchant vers

les langues plus étudiées (comme le français, par exemple), puisqu'on en connaît

davantage à propos de ces langues et qu'on a, par conséquent, tendance à baser nos

représentations théoriques sur celles-ci. Cependant, certains dévéloppements attestés ici

ne se trouvent pas en français et ne méritent pas de comparaison détaillée avec le français.

Nous pouvons ainsi distinguer le fiançais, comme langue temporalisante, du

créole haïtien, comme langue aspectuaiisante et rnodalisante (comme le berbère, l'arabe

et le grec ancien). Dans le premier cas, nous voyons un découpage du temps en tranches

(présent, passé, fbtur), mais dans le second cas, le déroulement du procès se trouve sur

l'axe du temps en fonction de son achèvement ou inachèvement. Bien que nous ayons

inclus les sections 3.13. et 3.14. où sont comparés l'haïtien, le français et le fongbè, notre

Page 116: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

but est d'examiner le système verbal haïtien et de le comparer à plusieurs autres créoles

français des Caraïbes. C'est donc l'haïtien et non pas le fiançais qui devient la langue

servant de base aux comparaisons.

De nos jours, on considère l'haïtien comme une langue distincte du fiançais et des

autres créoles français. Quand nous appelons cette langue l 'haïtien (au lieu de le créole

haztien), nous soulignons l'insuffisance du terme créole et c'est grâce à cette perspective

que nous parlons maintenant des langues créoles en employant des noms distincts, teis

que le guadeloupéen et le martiniquais. Cette perspective ainsi que tous les travaux qui

ont été faits sur l'haïtien servent de baiises pour les études comme celle-ci.

En général, on traite le temps, le mode et l'aspect comme des catégories

morphologiques, mais certains linguistes (Cornrie 1976) veulent restreindre le terme

(catégorie TMA» aux catégories qui sont marquées par la flexion à l'exclusion des

catégories dites périphrastiques (c'est-à-dire, des catégories exprimées par des moyens

syntaxiques, comme les auxiliaires ou les particules). Cette perspective limitera toutefois

le champ d'investigation puisqu'il y a fréquemment des cas où il existe une équivalence

fonctionnelle interlinguistique des catégories exprimées par la syntaxe et la morphologie.

Il serait mieux de voir l'expression morphologique comme un trait qui caractérise les

catégories qui sont centrales au système TMA d'une langue. De ce point de vue, nous

pourrions dire que le système TMA et les systèmes grammaticaux ont généralement un

centre et une périphérie. Il serait donc possible de réduire la multitude de catégories des

langues du monde à une série de catégories interlinguistiques assez restreinte, caractérisée

par des propriétés morphosyntaxiques et sémantiques; c'est-à-dire par des contextes

Page 117: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

(proto)typiques ou on les emploie et par des manifestations typiques ou elles se

manifestent dans la syntaxe et dans la morphologie (Dahl 1985: 182).

Avant d'aborder des exemples concrets, nous devons répéter que les défhtions

des notions linguistiques de TMA sont toujours discutables. Ceci dit, nous comptons

uniquement représenter les particules grammaticales ou lexicales contribuant à

l'expression des notions spatio-temporelles et leurs rapports avec les définitions qui ont

été établies dans le premier chapitre. Sinon, une enquête sur les manifestations et le

fonctionnement des marqueurs préverbaux serait une gageure trop risquée.

3.1. La morphologie verbale en haïtien

Une caractéristique bien connue des langues créoles est qu'elles manifestent peu

de flexion morphologique. Chaque tête fonctionnelle (fùnctional head) est lexicalisée

individuellement au lieu de se fusionner avec le verbe. Ceci semble être le résultat d'une

diminution de la morphologie flexionnelle pendant la pidginisation via l'acquisition

langue-seconde des adultes avec une contribution (input) restreinte (Bickerton 1977:49)

ou le résultat d'une ressemblance à la gammaire des langues substrates. Ainsi. en haïtien

il n'y a aucune flexion verbale ni pour l'accord entre le sujet et le verbe ni pour TMA.

Au lieu des affixes, l'haïtien présente des morphèmes Iibres préposés au verbe invariable

pour indiquer TMA.

(46) (DeGraff 1997:7 1): a. CH Boukinèt te renmen Bouki

Boukinèt ANT renmen Bouki F P Bouquinette aimait Bouqui

b. CH Boukinèr ap renmen Bouki Boukinèt FUT renmen Bouki

F P Bouquinerre aimera Bouqui

Page 118: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

c. CH Boukinèr a renmen Bouki si ... Boukinèt IRR renrnen Bouki si .. .

F P Bouqinetfe aimerait Bouqui si ...

Nous voyons que le haïtien et le français (bien qu'il soient liés diachroniquement)

se trouvent aux limites opposées d'un continuum interlinguistique de la flexion verbale.

Le français est évidemment très riche en comparaison avec la morphologie réduite de

l'haïtien.

3.2. Le système verbal créole prototypique

Bickerton (198 1) avance l'hypothèse d'un système TMA prototypique des langues

créoles; nous pourrions donc dire que «dans une situation où les conditions socio-

culturelles donnant lieu a un processus de créolisation sont réunies, seul Ie système

linguistique prototypique qu'il préconise peut émergem (Michaelis 1993:24). Le principe

d'un système prototypique fait partie de l'hypothèse d'un bioprogramme. D'après

Bickerton, ce programme linguistique inné doit se développer lorsqu'une première

génération d'enfants créoles doit créer sa propre langue maternelle. Plus tard (1984),

Bickerton attache plus d'importance aux rôles du substrat et du superstrat dans le

processus de créolisation, mais il déclare quand même (1 984: 173) que les aspects

innovateurs de la grammaire créole sont des inventions de la première génération

d'enfants (ayant des parents qui parlent un pidgin) et non pas des traits transmis des

langues préexistantes. De plus, il constate que de telles inventions ont beaucoup de

parallèles même si elles ont des histoires linguistiques très variées. C'est ici où se trouve

son explication que la grammaire créole provient d'une structure cachée du cerveau

humain, ce qu'il appelle l'hypothèse du bioprogramme (Language Bioprogram

Page 119: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

H ypothesis) .

Bickerton présente le système TMA des langues créoles comme évidence pour le

bioprograrnrne. 11 postule que les créoles encodent TMA de manière identique: 1) les

catégories de temps, mode et aspect sont encodées par des marqueurs préverbaux:

2) l'inventaire et leur sémantique sont semblables dans tous les créoles; et 3) les

combinaisons de ces marqueurs ont des sens consistants parmi les créoles plus radicaux.

Nous verrons dans le Chapitre 4 que les deuxième et troisième suppositions sont

discutables car il y a certaines différences entres les systèmes verbaux des créoles étudiés

dans la présente thèse. Ceci dit, nous pouvons reconnaître les contributions importantes

de cette hypothèse aux études de TMA sans nécessairement Ilétendue au domaine de la

genèse de langues créoles. 11 est Mai que l'hypothèse de Bickerton est assez

problématique et nous verrons que certains linguistes (Lefebvre en particulier) en

postulent d'autres sur la genèse. Avant de passer aux autres perspectives, il importe

d'examiner le système verbal créole prototypique, d'après Bickerton, et qui se subdivise

en trois oppositions fondamentales:

(47) i) Temm: antérieur / non-antérieur

ii) Mode: irréel / non-irréel

iii) As~ect: non-ponctuel (habituel) / ponctuel

Dans chacune de ces oppositions, le premier élément est marqué formeiiement à l'aide

d'une particule qui est préposée a la forme verbale non-fléchie et ces marqueurs se

combinent dans l'ordre TMA. Ce système se base sur des interfërences entre l'aspect / le

mode d'action et le repérage temporel. Les modes d'action y jouent un rôle essentiel,

Page 120: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

puisque le sens pourrait changer et dépend des marqueurs combinés.

Lacerte (1 987:3) présente dix prédictions faites par le traitement de Rickerton

pour le système verbal créole prototypique:

(48)

i) La forme 0 d'un verbe marque le passé pour les verbes d'action et le non-passé pour les

verbes d'état;

ii) Le marqueur d'antériorité indique le passé-avant-passé pour les verbes d'action et le

passé pour les verbes d'état;

iii) Le marqueur [+irréalisé] indique le temps non-réel, c'est-à-dire le futur, le

conditionnel, le subjonctif etc. pour tous les verbes;

iv) Le marqueur [+non-ponctuel] indique l'aspect duratif ou itératif pour les verbes

d'action;

v) Tous les marqueurs sont en position préverbale;

vi) Tous les marqueurs peuvent se combiner mais dans un ordre invariant, c'est-à-dire,

1. antérieur 2. irréalisé 3. non-ponctuel;

vii) antérieur + irréalisé + ponctuel signifie «une condition irréalisée dans le passé));

viii) antérieur + irréalisé + non-ponctue! signifie «une condition irréalisée dans le passé et

de nature non-ponctuelle)) (Si seulement X avait continué à faire K. .);

ix) antérieur + non-ponctuel signifie «une action qui dure ou encore une série d'actions

non-duratives qui ont lieu soit avant un autre événement dont il est question ou pendant

un laps de temps définitivement terminé»;

x) irréalisé + non-ponctuel a le sens du futur progressif.

Page 121: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Un résumé des propriétés de TMA dans six créoles se voient dans le Tableau 8 ci-

dessous (Bickerton 1984: l 83):

Tableau 8 - TMA dans s u cdoles

I A ~ I * N ' Saramaccan Sranan Haïtien Guyanais (ang.) Cr Hawaïen Cr des Petites Antilles

0 fa

O

0-14

b i bi-ta bi-O bi-0-10

0 e sa sa-e ben ben-e ben-se ben-sa*

0 OP av

av-ap re t 'ap t 'av f 'av-pp

@ a

sdgo - bin bina bin sdgo -

A = temps antérieur; 1 = mode irréel; N = aspect non-ponctuel b = formes qui sont actuellement très rares c = forme empruntée de l'anglais qui ne fait pas partie du système créole original

Nous verrons plus loin les variantes dans les créoles traités dans cette thèse.

3.3. Le système aspecto-temporel de l'haïtien (Valdman 1978)

En gardant les propriétés du Tableau 8 à l'esprit, considérons le système aspecto-

temporeI de 1' haïtien ci-dessous (Vddman 1 978:2 1 5 ) :

Page 122: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Tableau 9 - Le svstème as~ectoltemmrel de I'brïtien

As~ects Non-continuatif Continuatif

(non-antérieur)

Passé

(antérieur)

(non-antérieur)

ta t avap Passé

(antérieur)

D'après Valdman ( 1 W8), les marqueurs préverbaw de l'haïtien sont les suivants:

le morphème zéro (0) exprime plusieurs sens: l'aspect accompli, le présent continuatif

et l'habituel.

(49 ) a. CH Mouen 0 manje FP Je mange, j'ui mangé

b. CH Lapli 0 tonbe isit FP Il pleut ici (en général)

0 le marqueur ap signale une action en cours, c'est-à-dire le non-ponctuel.

(50) CH M'op manjefig FP Je mange des bananes (Je suis en train de les manger)

r la particule te désigne l'antérieur (le passé et le plus-que-parfait).

( 5 1) CH Mouen te manje F P J'ai mangé

le marqueur a h d v a indique le prospectif (le futur et l'irréel)

(52) CH M a manje zaboka-yo

Page 123: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

FP Je mangerai les avocats

a la combinaison de te + ap (t'ap) exprime une action habituelle.

(53) CH M t'ap manje anpil lé rn te rnalad FP Je mangeais beaucoup quand j'étais malade

la combinaison de te + a (ta) désigne le conditionnel et le subjonctif (la possibilité au

(54) CH Si m te gen anpil lajan, m ta achté-l F P Si j'avais beaucoup d'argent, je l'acheterais

3.4. Le système aspecto-temporel de l'haïtien (Lefebvre 1992a, 1996)

3.4.1. Bref résumé de la relexification

Selon l'hypothèse du bioprogramme de Bickerton présenté en 3.2.' la créolisation

implique une interruption de la transmission de la grammaire. C'est-à-dire que le

mécanisme humain inné n'est activé que quand il n'y a pas suffisamment de données

disponibles à l'enfant pour créer un système TMA. Bickerton propose que c'est le cas

des enfants dans des communautés multilingues créoles et il considère ceci comme une

interruption de la transmission de la grammaire car l'exposition a la langue est

généralement suffisante pour transmettre la granunaire. Thornason et Kaufinan

(199 1 : 152) soutiennent également que les langues créoles ne proviennent pas d'une

transmission directe.

Par contre, d'après Lefebvre (1 986a, 1993)' la relexification joue un rôle

important dans la formation des langues créoles. Elle propose (1996:234) que les

données du système TMA de l'haïtien montrent que la relexification a joué un rôle

essentie1 dans la formation du créole haitien. De plus, Lefebvre et Lumsden (1 989:268)

Page 124: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

déclarent que «la théorie de la relexification foumit les bases d'une théorie explicative de

l'origine des langues créoles, qui est compatible avec les faits historiques entourant leur

création».

La relexification est un processus qui construit un nouveau lexique en deux

étapes. D'abord, le locuteur copie les entrées lexicales d'un lexique qui a déjà été établi.

Deuxièmement, il remplace les représentations dans ces entrées lexicales par des

représentations phonologiques prises des suites phonétiques d'une langue différente ou

par une suite qui est phonologiquement nulle (appellé arelabelling~). La relexification est

donc un processus qui crée un nouveau lexique à partir d'un lexique qui est déjà établi.

Ainsi, ce processus mental est disponible aux locuteurs qui possèdent déjà une grammaire

mûre. Si la relexification est le processus central de la génèse des langues créoles, les

locuteurs adultes doivent être les agents de la créolisation. (Lefebvre lW6:303).

Suivant l'hypothèse de la relexification, la créolisation est la création de nouveaux

lexiques qui possèdent certaines propriétés générales. Les propriétés sémantiques et

syntaxiques de nouvelles entrées lexicales sont celles des entrées lexicales

correspondantes dans les langues substrates, le résultat d'une copie. Les représentations

phonologiques de ces nouvelles entrées lexicales ressemblent aux suites phonétiques de la

langue superstrate, le résultat de l'attribution de nouvelles étiquettes. Cette dernière

propriété des entrées lexicales créoles signale que la créolisation est la création d'une

nouvelle langue, tandis que la première propriété indique que la créolisation ne crée pas

de nouvelle grammaire. Au contraire, la créolisation implique de la continuité dms les

propriétés sémantiques et grammaticales des entrées lexicales et donc de la continuité

Page 125: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

grammaticale (Lefebvre 1996:304).

Pour Lefebvre (1996:23 l), les propriétés du système TMA haïtien reflètent de

manière systématique celles de ses langues sources. Par conséquent, les propriétés

syntaxiques et sémantiques des particules TMA haïtiennes sont équivalentes à celles du

fongbè tandis que les formes phonologiques des marqueurs semblent dériver des suites

phonétiques de la langue superstrate (dans ce cas, le fiançais). En effet, l'hypothèse que

la relexification a joué un rôle essentiel dans la formation de l'hatien prédit cette division

systématique des propriétés. Le fait que les entrées lexicales haïtiennes ont des

représentations phonologiques qui dérivent des suites phonétiques de la langue

superstrate illustre que la créolisation implique la création d'une nouvelle langue. Les

données historiques de l'hatien démontrent clairement que ce sont des adultes et non pas

des enfants qui ont créé le créole. De plus, le fait que les entrées lexicales de l'haïtien

montrent des parallèles avec les propnétés sémantiques et syntaxiques des langues

substrates illustre qu'il n'y a eu aucune interruption dans la transmission de la grammaire

pendant la formation de ce créole. En outre. le fait que le système TMA haïtien soit si

similaire au système TMA fongbè, après 250 ans d'histoire, démontre que les enfants

exposés à ce lexique relexifié n'ont pas inventé leur propre système TMA. Ils ont tout

simplement app& le système auquel ils étaient exposés (Lefebvre 1996:304).

Le but de cette thèse n'est pas de discuter la genèse ou de débattre l'hypothèse de

la relexification. mais je trouve indispensables les hypothèses de Lefebvre du point de

vue d'autres créoles de cette étude. Le processus de relexification prédit que les systèmes

TMA des créoles provenant de familles linguistiques substrates diffërentes montreront

Page 126: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

une variation qui reflète les grammaires des langues substrates qui ont participé à leur

formation. De plus, le système TMA haïtien suit celui du système des langues ouest-

africaines qui ont participé à sa foxmation tandis que le système TMA du Tok Pisin suit le

système des langues austronésiennes qui ont participé à sa formation (Lefebvre

1996:303). Nous verrons donc que les systèmes TMA du guadeloupéen, du martiniquais,

du saint-lucien et du guyanais sont conformes à ceux des langues qui ont participé à leur

formation. Ainsi, nous prédisons que, là où les langues substrates sont les mêmes qu'en

haïtien, nous trouverons des systèmes verbaux semblables et, là où il y a des langues

substrates diflerentes, nous trouverons de nettes distinctions.

3.4.2. Les formes qui encodent TMA en haïtien

Le système TMA haïtien établi par Lefebvre (1996) s'écarte beaucoup de celui de

Bickerton. Lefebvre établit une liste de temps complexes de cette grammaire et elle

illustre l'attribution d'une interprétation temporelle à des phrases dépouillées («bare

sentences))). Le système qu'elle décrit est donc plus complexe que celui proposé par

Bickerton ou Valdman. En plus d'autres marqueurs, elle présente pou, le marqueur du

subjonctif ainsi que cpr-al. le marqueur du prospectif, des marqueurs qui n'apparaissent

pas chez Bickerton ou Valdman. Lefebvre identifie également deux marqueurs de l'irréel

qui impliquent une interprétation du futur au lieu d'un seul; c'est-à-dire ap «fùtur défini»

et a-va «futur indéfini>).

Valdman ne propose que trois temps complexes qui proviennent des

combinaisons des marqueurs préverbaux et Bickerton n'en identifie que quatre.

Lefebvre, d'un autre côté, présente quatorze temps complexes dans la grarnmaire des

Page 127: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

locuteurs haïtiens. L'interprétation d'une phrase dépouillée est aussi plus complexe chez

Lefebvre puisque B ic kerton interprète toujours une phrase dépouillée comme étant au

présent général. Nous verrons dans cette section que le système TMA établi par Lefebvre

est beaucoup plus exhaustif que ceux de Bickerton ou de Valclman et il explique plus de

subtilités de la langue. Pour cette raison, nous employerons le système TMA haïtien

établi par Lefebvre comme base de l'étude comparative des systèmes du guadeloupéen,

du martiniquais, du saint-lucien et du guyanais. L ' inventaire des marqueurs de Lefebvre

(1 996:239) est le suivant:

Tableau 10 - L'inventaire d a maraueurs de TMA en haïtien

TEMPS RELATIF MODE ASPECT ANTÉRIEUR IRRÉEL INACCOMPLI

PasséPlus-que-parfait Futur défini Imperfectif r e OP aP

Futur indéfini Prospectif a-vu apt-ale

Subjonctif po tr

Allomorphes du fiitur indéfini hai'tien: va, av, a Allomorphes du marqueur de l'imperfectif haïtien: apr, pr, ape, apo, pe Allomorphes du marqueur du prospectif haïtien: apr-al, pr-ale, pr-al

En ce qui concerne la syntaxe de ces marqueurs, il est généralement accepté que le

nœud INFL est une catégorie syntaxique engendrée à la base suivant la théorie X' par la

règle suivante (N'guessan 1987:46):

INFL ---> [ + tps 1 AGR

A cause de l'universalité de la théorie X', toutes ces composantes devraient être

Page 128: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

présentes, au moins en structure de base. Par conséquent, INFL est une catégorie

syntaxique dans toutes les langues, bien qu'elles n'aient pas la même morphologie ni la

même configuration. C'est dans W L que nous trouvons Les éléments de TMA, mais le

contenu varie selon la langue. Lefebvre (1 986b:3) constate qu'en haïtien les particules du

système TMA se situent dans une des catégories syntaxiques mineures (défmies par des

traits mineurs) par opposition aux catégories syntaxiques majeures (établies à partir des

critères syntaxiques). Elle donne la projection de TMA ci-dessous (1986a):

Tableau 11 - La ~roiection de TMA en haïtien

De plus, Vinet (1994:4) présume l'architecture suivante pow une phrase en haïtien:

(56) a. AGRs NEG T MOD/ASP AGRo VP b. CH Mari pa te ap manje diri

Mari NEG T ASP manger riz F P Marie ne mangeait pas de riz

3.5. Classes aspectuelles verbales en haïtien

D'après Lumsden (1 993, qui reprend la classification de Damoiseau 1988), il y a

trois classes d'expressions verbales:

i) les verbes dynamiques;

ii) les verbes résultatifs;

iii) les verbes statifs (ou mon-process~).

Page 129: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Les verbes dynamiques décrivent un procès qui dure (CH manje FP manger, CH

ale F P aller); les verbes résultatifs décrivent une situation qui est le résultat d'un tel

procès (CH wè FP apercevoir, CH jwenn FP trouver); les verbes statifs ne réferent pas à

un procès (CH konnèn FP connaître, CH bezwèn FP uvoir besoin de). Les propriétés

sémantiques qui caractérisent ces classes se voient dans la variation systématique de

l'interprétation aspectuelle et temporelle des phrases. Lumsden (1 993: 1) propose de

dériver les interprétations des phrases haïtiennes de l'interaction entre les valeurs

temporelles et aspectuelles et les représentations sémantiques. Selon lui, les données

haïtiennes illustrent l'existence de deux niveaux de structures conceptuelles lexicales (tel

que proposé par Jackendoff 1990): un niveau thématique et un niveau d'action. Lumsden

(1 993 : 1 ) constate que les traits aspectuels sont interprétés en combinaison avec un des

deux niveaux et ceci explique l'ambiguïté des marqueurs aspectuels en haïtien.

Chaque expression verbale se trouve dans une des trois classes aspectuelles, mais

la plupart des morphèmes pourraient se situer dans plus d'une classe. Par conséquent, les

représentations verbales sémantiques représentent deux types de catégories conceptuelles:

i) générale: qui définit des propriétés sémantiques

ii) spécifique: qui définit des propriétés spécifiques

Ces catégories sont indépendantes dans le lexique et il faut les combiner dans la

dérivation à la surface de l'expression verbale. A cause de la séparation de ces concepts

généraux et spécifiques. nous voyons certaines généralisations émergeant des données.

Toutes les expressions verbales se trouvent donc dans une des trois classes aspectuelles

car elles doivent relever d'une catégorie conceptuelle générale et il n'y en a que trois.

Page 130: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Lumsden propose que les catégories conceptuelles qui d é f ~ s s e n t les classes générales

sont composées d'un répertoire de fonctions prédicatives. Ce répertoire se limite aux

prédicats qu'on peut discerner dans l'interprétation temporelle ou aspectuelle des phrases.

11 y a très peu de ces prédicats et ils font partie de la grammaire universelle.

3.6. Le temps en haïtien

Le marqueur te exprime l'antériorité dans un système de temps relatif et nous

interprétons les énoncés qui ie contiennent comme le passé ou le plus-que-parfait, suivant

la classe aspectuelle du verbe. Les énoncés qui contiennent te dans le contexte d'un

verbe dynamique sont toujours interprétés comme le plus-que-parfait, qui situe un

événement avant un point de référence qui est lui-même au passe par rapport au moment

de l'énonciation.

(5 7) Verbe dynamique CH Lè Pyè pati, Adel re fi mennaj

Quand Pierre partir, Adèle ANT faire ménage F P Qzmd Pierre est parti, Adèle avait fair le ménage

Les énoncés qui contiennent te et un verbe résultatif sont ambigus. Nous

pourrions les interpréter comme étant au plus-que-parfait ou au passé et ceci dépend du

contexte. Comme nous l'avons expliqué au premier chapitre, le passé indique que

l'événement est simultané au point de référence qui est au passé par rapport au moment

de l'énonciation.

(58) Verbe résultatif CH Adel te jwenn Pol

Adèle ANT trouver Paul F P Adèle a trouvé Paul

Adèle avait trouvé Paul

Nous interprétons les énoncés qui contiennent re et un verbe statif comme étant au

Page 131: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

passé ou au plusque-parfait, ce qui dépend également du contexte.

(59) V e r k statif CH Adel te bezwèn sik -la

Adèle ANT avoir besoin sucre DET F P Adèle a eu besoin de sucre

Adèfe avait eu besoin de sucre

Ces exemples illustrent que te situe toujours un événement au passé par rapport au

moment de l'énonciation. Parfois, le temps de l'événement coïncide avec un point de

référence (c-à-d, le passé), mais dans d'autres cas, le temps de l'événement précède le

point de référence (c-a-d, le plus-que-parfait). Nous pouvons attribuer différents types de

passé (c-à-d, le passé ou le plus-que-parfait) à un énoncé qui contient te ce qui nous

suggère que la meilleure analyse de te est comme marqueur du temps relatif plutôt que du

temps absolu.

Nous avons décidé d'inclure le morphème zéro (0) dans l'inventaire des

marqueurs parce qu'il est plus commode du point de vue de l'orthographe de l'inclure

comme représentation d'un syntagme dépouillé. De ce sens, 0 change le sens de

l'énoncé comme n'importe quelle autre particule préverbale. Ainsi. dans cette thèse nous

le considérons comme un marqueur aspecto-temporel. Zéro marque le passé pour les

verbes non-statifs et le non-passé pour les verbes statifs.

(60)a. CH m w e n 0 manje je ANT manger

F P j 'ai mangé

b. CH li 0 malad il PRES malade

F P il est malade

Ce morphème indique également l'aspect accompli.

Page 132: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

3.7. Le mode en haïtien

Nous comprenons que le mode exprime l'attitude du locuteur à propos d'un

énoncé. Par exemple. le locuteur considère qu'une proposition va définitivement se

passer, pourrait se passer ou qu'il souhaite qu'elle se passe. L'expression du mode est

plus complexe qu'il ne parait même si la plupart des linguistes acceptent les définitions

traditionnelles de mode.

D'après Bickerton (1 975:42), l'irréel refere au temps nonoréel, c'est-à-dire aux

hturs, aux conditionnels et aux subjonctifs. Il constate que le système irréel inclut tous

les états et actions qui ne se sont pas au passé, qu'ils soient exprimés par des temps futurs

ou conditionnels, ou par des modaux. Toutefois, pour Winford (1996: 1). cette étiquette

d'irréel est mal choisie parce qu'elle suggère que la futurité (parmi d'autres notions

sémantiques) se trouve dans la catégorie unitaire de l'irréel. Singler (l990:xiii)

qu'en général les études de mode dans les langues créoles ne se concentrent que sur des

futurs et des conditionnels et on a tendance à accepter qu'ils sont des manifestations de

même catégorie. Pourtant. Winford (1 996: 1) nous rappelle que tous les créoles

distinguent les catégories temporelles du futur des autres catégories qui expriment

différents types de sens irréels associés au mode. A l'exception de Christie (1991) qui

présente une analyse détaillée du mode en créole jamaïcain, il n'existe pas d'étude

complète sur ces aspects des systèmes verbaux créoles. Néanmoins, nous avons décidé

de traiter seulement des morphèmes préverbaux qui expriment TMA. Nous ne tentons

pas d'examiner d'autres manifestations du mode (comme les adverbes et les verbes ou

auxiliaires modaux); nous les réservons pour une étude ultérieure.

Page 133: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

D'après l'inventaire de Lefebvre (1996), il y a trois marqueurs du mode irréel en

haïtien: le marqueur du futur défuii ap, le marqueur du fitw indéfini a-va et le marqueur

du subjonctifpou. Dans les cas du fiitur défini et indéfini, il existe plusieurs usages

modaux externe à l'emploi temporel (comme la certitude, l'incertitude, la possibilité, le

désir, le souhait, etc.). Ces marqueurs se trouvent donc dans le domaine du mode plutôt

que du temps.

3.7.1. ap en haïtien

En haïtien, ap est le marqueur du fiitur défini qui exprime que l'événement auquel

l'énoncé se réfère arrivera sûrement dans un proche avenir.

(6 1) CH Adel up ale Adèle FUT-DEF aller

FP Adèle ira sans aucun doufe

Le marqueur ap peut se voir avec des verbes des trois classes aspectuelles:

(62) a. Verbe dynamique CH Adel ap jè mennaj

Adèle FUT-DEF faire ménage FP Adèle fera le ménage

b. Verbe résultatif CH Adel ap jwenn P d

Adèle FUT-DEF trouver Paul FP Adèle trouvera Paul

c. Verbe statif CH Adel ap bezwèn sik -la

Adèle FUT-DEF avoir besoin sucre DET FP Adèle aura besoin de sucre

Avec un verbe dynamique, nous pourrions également interpréter ap comme marqueur de

l'aspect progressif, mais nous discuterons de cette interprétation dans la section 3.8. où

nous traitons de l'aspect plus en détails.

Page 134: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

3.7.2. a-va en haïtien

A la différence de ap, a-va (et ses allomorphes va, uv, a), qui est le marqueur du

futur indéfini, exprime l'attitude du locuteur suivant laquelle l'événement auquel

l'énoncé se réfère pourrait éventuellement se passer a un point indéterminé de l'avenir.

La distinction entre la sémantique de ce marqueur et celle de ap se voit si nous

comparons l'exemple (6 1 ) à l'exemple cidessous:

(63) CH Adel a ale Adèle FUT-IM> aller

FP Adèle ira @eut-être) un jour ANG Adele wilUmight eventually go one day

Comme ap, a-va peut se trouver avec des verbes des trois classes aspectuelles:

Verbe dynamique CH Adel a-va fi mennaj

Adèle FUT-ND faire ménage FP Adèle fera @eut-être) le ménage ANG Adele willlmight eventually do (the) house work

Verbe résultatif CH Adel a-va jwenn P d

Adèle FUT-IND rrouver Paul FP Adèle trouvera @eut-être) Paul ANG Adele wilVmighr eventually jind Paul

Verbe statif CH Adel a-va kontan

Adèle FUT-IND content FP Adèle sera (peut-étre) contente ANG Adele will/might eventually be happy

3.7.3. pou en haïtien

La troisième particule marquant le mode est pou. Ce marqueur est employé pour

exprimer un souhait (I'exhortatif), une obligation ou un ordre (l'injonctif). Pou est le

marqueur du subjontif et voici quelques exemples repris de Lefebvre (1 996:243) qui

Page 135: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

illustrent l'usage de cette particule.

(65) a. CH Dye pou profeje u Dieu SUB protéger toi

FP (Que) Dieu te protège

b. CH Mari pou prepate put Mari SUB préparer pâte

F P Il faudrait que Marie prépare de la pûte

c. CH Tut solda pou vini laplas kunyè Q

Tout soI&!s SUB venir lu place maintenant DET F P Ilfaut que tous les soldat viennent (Sylvain, l936:9O)

D'après Alleyne (1 996: 129)' le marqueur pou désigne premièrement l'obligation,

mais se développe vers l'expression d'un futur mais dans certains cas, ce morphème

pourrait également être une préposition:

(66) (Alleyne 1996: 129): CH ou kwè l pou mouri ?

tu croire il FUT mourir FP crois-tu qu 'il va mourir ?/crois-fu qu 'il est pour mourir?

De plus, il est parfois difficile de distinguer entre pou comme marqueur modal

d'obligation et pou comme marqueur du fiitw (Alleyne 1996: 129):

(67) CH tout moun pou mouri tout le monde OBL mourir tout le monde FUT mourir

FP tout le monde doit mourir toul le monde va mourir / tout le monde est pour mourir

D'après la littérature, pou fait partie du système TMA et doit être analysé comme

élément de ce système et non pas comme verbe modal. D'abord, les données de

Koopman et Lefebvre 1982, de Magloire-HoHy 1982 et de Sterlin 1988 montrent que les

propriétés de pou different de celles des verbes modaux (le verbe modal dwe en

particulier). Le verbe modal dwe partage certains traits avec les verbes principaux. II

Page 136: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

peut être suivi d'un complément contenant un marqueur temporel et peut prendre un

complément S'. Dans une phrase avec deux verbes où la première est dwe. le deuxième

peut être omis en surface. Par contre, le marqueur TMA pou ne peut être suivi par un

complément qui contient un marqueur temporel (suivant l'ordre invariable des marqueurs

TMA). De plus, pou ne peut prenâre de complément S' et le dewième verbe ne peut être

omis après pou en structure de surface." Par conséquent, a la différence des verbes

modaux. pou n'est pas un verbe. De plus, pou et les autres marqueurs irréels ap et a-va

s'exclüent l'un l'autre, ce qui nous suggère que pou est en relation paradigrnatique avec

ces autres marqueurs (Lefebvre 1996:243).

(68) a. CH *Mari ap pou /pou ap vini Marie FUT-DEF SUE3 1 SUB FUT-DEF venir

b. CH *Mari a-va pou /pou a-va vini Marie FUT-ND SUB / SUB FUT-ND venir

Troisièmement, comme les autres particules TMA, pou peut se combiner avec

d'autres marqueurs du système pour former des temps complexes.

A la différence des autres marqueurs de TMA, pou n'est pas toujours un marqueur

préverbal de TMA. Ce morphème a aussi un statut de préposition et possède les mêmes

traits que d'autres prépositions en haïtien.

(69) CH li pote sa pou li (Sterlin 1 988:2) il apporter cela PREP lui

F P il apporte cela pour lui

En outre, pou est également associé avec certains verbes tels que gen (FP avoir),

wè (FP voir), pran (FP prendre), jwenn (FP trouver) etfer (FP naître) et se trouve dans la

phrase entre ces verbes et un deuxième verbe.

20 Cf. Koopman et Lefebvre (1982:72-73) pour des exemples spécifiques.

Page 137: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

(70) CH li gen pou l vini (Sterlin 1988:22) il avoir POU il venir

FP iI doit venir

3.8. L'aspect en haïtien

En haïtien, il existe deux marqueurs aspectuels. Le morphème ap exprime

l'imperfectif et apr-al marque le prospectif. L'aspect, comme nous l'avons établi au

premier chapitre, marque différentes façons de voir les constituants temporels internes

d'une situation. En haïtien, les deux marqueurs d'aspect décrivent une situation

inaccomplie. L'aspect imperfectif décrit une situation qui a déjà commencée, mais qui

est inachevée au moment de l'énonciation ou du point de référence. L'aspect prospectif

décrit une situation qui va bientôt arriver au moment de l'énonciation ou du point de

référence.

3.8.1. ap aspectuel en haïtien

Lefebvre (1 Wîa) décrit plusieurs façons d'exprimer l'aspect. Elle réitère la

conclusion de Damoiseau (1988) selon laquelle ap est un marqueur temporel et aspectuel

qui a une interprétation soit du futur soit du progressif. Elle propose que le morphème ap

est en distribution complémentaire avec le morphème [+perfectifJ et que des verbes

auxiliaires peuvent aussi exprimer l'aspect (d'après Valdman 1978).

Nous poumons interpréter cette particule comme marqueur du progressif. mais

cela n'est valable que si l'énoncé contient un verbe dynamique. Si les énoncés

contiennent un verbe résultatif comme jwenn (FP irouver) ou wè (FP apercevoir) ou un

verbe statif comme benuèn (FP avoir besoin de), nous ne pouvons pas interpréter ap

comme marqueur du progressif.

Page 138: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

(7 1 ) a. Verbe résultatif I: CH Adel ap jwenn Pol

Adèle IMPF trouver Paul F P Adèle est en rrain de trouver P d /Adèle trouvera Paul ANG Adele isfinding Paul

b. Verbe statif # CH Adel ap bezwèn sik -la

Adèle IMPF avoir besoin de sucre DET F P Adèle est en train d'avoir besoin du sucre ANG Adele is needing sugar

Ces énonces ne sont toutefois pas agrammaticaux puisqu'on peut les interpréter comme

étant au futur (ap futur-défini). C'est donc dire que les représentations phonologiques du

marqueur du futur défini et du marqueur de l'imperfectif sont homophones. Sans entrer

dans des discussions sur le sujet, nous allons traiter le marqueur du futur défini ap et le

marqueur de l'imperfectif comme des entrées lexicales séparées qui peuvent se trouver

dans le même énoncé.

(72) CH Adel ap ap pari Adèle FUT-DEF IMPF partir

FP Adèle sera sur le point de parîir ANG Adele will be leaving

Dans les travaux sur ap, le point de départ est souvent l'article de Damoiseau

(1 988) qui montre que ap + prédicat peut avoir une valeur aspectuelle d'inaccompli ou

une valeur temporelle du futur. Suivant Damoiseau, Joseph (1 992:93) classe les verbes

en deux catégories:

(73) i) Ceux qui peuvent apparaître avec ap a valeur aspectuelle;

ii) Ceux qui ne le peuvent pas.

En essayant de trouver les contraintes qui forcent une des deux interprétations de ap, et en

examinant ce marqueur en combinaison avec différentes sortes de verbes, Joseph arrive à

Page 139: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

la conclusion que ap est une marque aspectuelle.

D'abord, iI y a plusieurs types de prédicats possibles:

Puisque nous pouvons employer un nom sans la copule en haïtien. ap peut le

précéder. Le sens varie toutefois selon le type de nom utilisé.

(74) a. CH Jan ap dokre F P Jean sera médecin (FUTPPROG)

b. CH Jan ap granrnoun F P Jean vieillit /Jean vieillira (FUTPROG)

Puisque être médecin est un état accompli, la valeur aspectuelle du progressif n'est pas

possible, mais la valeur temporelle du futur est acceptable. Par contre, dans le deuxième

exemple, le processus de vieillir rend acceptable l'interprétation du progressif ou du futur.

ii) ap et les prédicats adiectivaux:

Un adjectif peut également se combiner avec ap et former un prédicat sans la

copule.

(75) a. CH Jan ap konfan F P Jean sera confent (FUT/*PROG)

b. CH Fè aapcho F P Le fer chaufle /deviendra chaud (FUTPROG)

De même, une interprétation du progressif n'est pas possible avec l'adjectif konran, mais

tout à fait acceptable avec le processus de devenir chaud. (Il est difficile d'imaginer un

processus graduel de contentement.)

iii) LI et les prédicats locatifs:

(76) a. CH Jan ap nanfet la F P Jean sera a Zafete (FUTPPROG)

b. CH Jan ap kay Pyè a FP Jean sera chez Pierre (FUTPPROG)

Page 140: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Nous voyons dans ces deux exemples que les prédicats locatifs sont incompatibles avec

une valeur progressive.

iv) ar, et les verbes statifs:

(77) a, CH Jan ap renmen kado a FP Jean aimera le cadeau (FUTPPROG)

b. CH Jan ap konnen leson fi FP Jean saura sa leçon (FUTPPROG)

Nous ne voyons pas non plus de progression dans les verbes statifs.

v) ap et les verbes non-statifs:

(78) CH Janapiravay F P Jean est en train de travailler / travaillera (FUTIPROG)

Cet exemple illustre que les verbes non-statifs sont compatibles avec la valeur du

futur ou du progressif.

En considérant le rôle des arguments et de certains adjoints, «ap peut prendre

deux valeurs, une valeur aspectuelle et une valeur [-réalisé]» (Joseph 1992: 107).

L'emploi du marqueur ap est ambigu puisque les deux valeurs sont acceptées dans une

classe et seule la valeur temporelle est possible dans une autre classe. L'interprétation de

ce marqueur dépend aussi de facteurs comme la nature et le nombre de l'objet. De plus,

en comparant ap à la forme ambiguë -hg en anglais, Joseph illustre que le phénomène

n'est pas spécifique à l'haïtien (1 992: 107).

Le morphème ap peut aussi avoir une interprétation d'habituel. Dans l'exemple

suivant, la présence de l'adverbe toufan (FP tout le temps) empêche une interprétation

progressive du syntagme.

(79) CH Jann o p chante toutan Jeanne IMPF chanter tout le temps

Page 141: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

FP Jeanne chante tout le temps

L'ambiguïté du marqueur ap est donc évidente et nous pourrons nous attendre à la

même conclusion pour ce qui est des autres panicules préverbales en haïtien puisque les

notions de TMA sont en effet ambiguës. L'étude sémantique des marqueurs dans d'autres

créoles a base lexicale française au chapitre 4 sert également à élargir notre connaissance

des systèmes verbaux créoles.

3.8.2. a p r 4 en baïtiea

Apr-al (et ses allomorphes 4pr-ale, pr-ale, pr-aï) marque le prospectif en haïtien.

Ce morphème exprime qu'un événement n'a pas encore commencé et que l'événement va

bientôt arriver.

(80) CH Jann apr-al chante Jeanne PROSP chanrer

FP Jeanne est pour chanter /Jeanne est sur le point de chanter ANG Jean is about to sing

La sémantique de apr-al est ambiguë parce qu'elle se situe entre celle d'un marqueur

modal et cetle d'un marqueur aspectuel. Si notre interprétation est que l'événement est

sur le point de se passer, apr-al est un marqueur modal; si nous pensons que l'événement

n'a pas encore commencé au moment de l'énonciation, upr-al est plutôt un marqueur

aspectuel.

Dans le tableau 10 (en 3.4.2,)' apr-al semble avoir une relation paradigrnatique

avec le marqueur imperfectif ap parce qu'il est en distribution complémentaire avec

celui-ci. Bien que apr-al soit en distribution complémentaire avec certains marqueurs

modaux, il n'est pas en distribution complémentaire avec tous les marqueurs. Lefebvre

(1 996:247) nous propose plusieurs propriétés de apr-al qui démontrent que cette entrée

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lexicale doit être analysée comme faisant partie du système TMA de l'haïtien.

Premièrement, a la difference des verbes, il a plusieurs allomorphes. Alors que

I'allomorphie est très répandue parmi les marqueurs de T M . de l'haïtien, ce n'est pas

une propriété commune des verbes modaux ou aspectuels de la langue. Deuxièmement, à

la différence des verbes, apr-al ne permet pas l'effacement de son complément verbal

(averb phrase complemenb>). Troisièmement, comme d'autres marqueurs de TMA, apr-

al se combine avec d'autres marqueurs dans la création des temps complexes.

( 8 1 ) CH Jann te pr-al chante Jeanne ANT PROSP chanter

FP Jeanne était pour chanter /Jeanne était sur le point de chanter ANG Jean was about tu sing

3.9. Un système TMA cohérent

De toute évidence, les marqueurs haïtiens discutés dans ce chapitre créent un

système TMA logique. D'abord, ils se trouvent tous entre le sujet et le verbe et les

marqueurs préverbaw de la même colonne en 3.4.2. s'excluent l'un l'autre ce qui

démontre leur relation paradigrnatique. Deuxièmement, les verbes modaux (CH dwe FP

devoir) permettent l'effacement de leur complément VP, alors que les marqueurs

préverbaux ne l'autorisent pas. Comparons l'exemple (82) aux exemples en (83):

(82) CH Esk Jann dwe chante? Li dwe Q Jeanne devoir chanter 3' devoir

FP Est-ce que Jeanne doit chanter? Elle le doit ANG Must Jean sing? She must

(83) a. CH Esk Jann te chante? *Li te Q Jeanne ANT chanter 3' ANT

FP Est-ce que Jeanne a chanté? * Elle a (chanté) ANG Has Jean sung? She has

b. CH EskJann ap chante? * L ' ap Q Jeanne FUT-DEF chanter 3' FUT-DEF

Page 143: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

FP Est-ce que Jeanne chantera? + Elle (chantera) ANG Will Jean sing? She wiff

c. CH EskJann a-va chante? Li a-va Q 3' FUT-MD chanter 3' FUT-IND

F P Est-ce que Jeanne chantera éventue fiement? Elfe (chantera) ANG Will Jean eventually sing? She might

d . CH EskJannpouchante? *Lipou Q Jeonne SUB chanter 3' OBL

FP Est-ce qu 'il faut que Jeanne chante? R faut ANG Must Jean sing? She musr

e. CH Esk Jann ap chante chante la? L ' ap Q Jeanne IMPF chanter chanson DET 3' IMPF

FP Est-ce que Jeanne chante fa chanson? * Elle (chante) ANG 1s Jean singing the song? She is

f. CH Esk Jann pral chante? Li p a f Q Jeanne PROSP chanter 3' PROSP

FP Est-ce que Jeanne est pour chanter? * Elle (est) ANG Is Jeanne about to eut? She is

De plus, les marqueurs préverbaux du tableau 10 n'ont pas de sens hors du système

TMA. En dernier lieu. les marqueurs TMA peuvent se combiner pour former des temps

complexes.

3. f O. Temps complexes

Comme le montre Lefebvre (1996:249), on peut créer des temps complexes en

hai'tien en combinant divers marqueurs préverbaux. Les combinaisons suivantes reflètent

la grammaire des locuteurs qui acceptent La production de deux aps de suite. Le

marqueur du futur défini ap peut se combiner avec le marqueur aspectuel de l'imperfectif

ap, pour obtenir une interprétation du fùtur progressif.

(84) CHKfè ap ap pari dèmen Claire FUT-DEF IMPF partir demain

FP Claire sera en train de partir demain ANG Claire will be leaving tomorrow

Page 144: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Le morphème ap peut également se combiner avec le marqueur aspectuel du prospectif

apr-al, ce qui donne une interprétation du htur prospectif. Cette combinaison

n'existe pas dans tous les dialectes haïtiens.

( 8 5 ) C H K l è ap apral zouke Claire FUT-DEF PROSP danser

FP Claire sera sur le point de damer ANG Claire will be about to dance

La combinaison du marqueur du fûtur défini avec le marqueur de l'antériorité

produit une interprétation du conditionnel défini (qui, d'après Lefebvre 1 996:249.

correspond à l'anglais would et non pas rnight). Cette combinaison est possible avec des

verbes de toutes les classes aspectueiles. On peut l'interpréter comme le présent ou le

passé suivant le contexte.

Verbe dynamique CH Adel t ' ap jè mennaj

Adèle ANT FUT-DEF faire ménage FP Adèle ferait le ménage

Adèle aurait fait le ménage A N G Adele would do (the) housework

Adele ~ w l d have done (rhe) housework

Verbe résultatif CH Adel t ' ap jwenn Pùl

Adèle ANT FUT-DEF trouver Paul FP Adèle trouverait Paul

Adèle aurait trouvé Paul ANG Adele wouldfind Paul

Adele would have fiund Paul

Verbe statif CH Adel t ' op benuén sik- la

Adèle ANT FUT-DEF besoin sucre DET FP Adèle aurait besoin du sucre

Adèle aurait eu besoin du sucre ANG Adele would need sugar

Page 145: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Adele would have needed sugar

Le marqueur du fùtur indéffi a-va peut également se combiner avec le marqueur

de l'antériorité, avec comme résultat une interprétation du conditionnel indéfini (qui,

d'après Lefebvre 1996:250, correspond à l'anglais mighr à la différence de would). Nous

incluons les traductions anglaises pour distinguer entre would et might parce que les

différences de sens ne sont pas évidentes dans les traductions fiançaises. Il faut noter

qu'il y a d'autres constructions en h ç a i s qui exprimeraient le sens de might: il est

possible que + SUB, il se peut que + SUB, etc. C'est le contexte qui détermine si

l'énoncé est interprété comme le présent ou le passé.

(89) Verbe dynamique CHAdel t ' a fi mennaj

Adèle ANT FUT-IND faire ménage FP Adèle ferait @ut-être) le ménage

Adéle aurazt @eut-étre) fair le ménage ANG Adele might do (the) housework

Adele might have done (the) housework

(90) Verbe résultatif CH Adel t ' a-va jwenn P d

Adèle ANT FUT-MD trouver Pol FP Adèle trouverait @eut-être) Paul

Adèle aurait @eut-être) trouvé Paul ANG Adele rnighf find Paul

Adele might have fomd Paul

(9 1) Verbe statif CH Adel t ' a-va kontan

Adèle ANT FUT-IND content FP Adèle serait @eut-étre) contenre

Adèle aurait @eut-être) été contente ANG Adele might be happy

Adele might have been happy

Le marqueur du futur indéfini a-vu et ses allornorphes peuvent se combiner avec

Page 146: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

le marqueur de l'imperfectif ap. Cette combinaison est interprétee comme un fiitur

indéfini progressif.

(92) CH Adel a-va ap fi mennaj Adèle FUT-IND IMPF faire ménage

F P Adèle fera éventuellement le ménage ANG Adele will eventually be doing (the) housework

Puisque le futur indéfini décrit une situation qui pourrait se passer éventuellement (dans

un avenir lointain), et puisque l'aspect prospectif décrit une situation qui est sur le point

d'arriver dans un proche avenir, nous ne nous attendons pas à la cooçcurrence de a-va et

de apr-al. L'exemple suivant nous montre qu'un te1 énoncé serait agrammatical.

(93) CH * Klè a-va praf zouke Claire FUT-ND PROSP damer

F P Je serai éventuellemenr sur le point de damer ANG I will eventually be about to dance

Le marqueur du subjonctif pou peut se combiner avec le marqueur aspectuel de

l'imperfectif ap, mais Lefebvre (l996:Z 1) affirme que tous les locuteurs haïtiens ne

permettent pas cette combinaison.

(94) CH Adel pou ap fi mennaj Adèle SUB IMPF faire ménage

F P L? four qu 'Adèlefasse le ménage ANG A dele may/should/must be doing (the) housework

Cependant, pou ne se combine jamais avec le marqueur du prospectif apr-al. Cette

incompatibilité vient directement du fait que pou est uniquement déontique.

(95) CH *Klè pou pral zouke Claire SUB PROSP danser

FP Claire serait sur le point de danser ANG Claire may/shoult/must be about to eut

En dernier lieu, pou peut se combiner avec le marqueur d'antériorité te. Pou précède ou

Page 147: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

suit te, mais les interprétations different légèrement. D'après Lefebvre (1 996% 1 ),

l'exemple en (96b) ne serait pas accepté par tous les locuteurs haïtiens.

(96) a. CH Adel te pou fi m e n ~ j Adèle ANT SUB faire ménage

FP R fallait qu 'Adèle fase le ménage Il fallait qu 2dèle ait fait le ménage

ANG Adele had to do (the) housework Adele had to have done (the) hotrsework

b. CHAdel pou te fi mennaj Adèle SUB ANT faire ménage

F P Il faut qu 'Adèle ait fait le ménage ANG Adele has to have done (the) housework

Le marqueur de l'antériorité peut se combiner avec les deux marquews aspectuels

ainsi que les marqueurs modaux.

(97) CH Adef t ' ap fi mennaj Adèle ANT IMPF faire ménage

FP Adèle faisait le ménage ANG Adele was doing (the) housework

(98) CH Adel t ' apral f è mennaj Adèle ANT PROSP faire ménage

F P Adèle était sur le point de faire le ménage ANG Adele was about to do (the) housework

II y a des temps complexes qui impliquent des marqueurs des trois paradigmes -

temps, mode et aspect. La combinaison des trois marqueurs suivants produit une

interprétation au conditionnel défini progressif.

(99) CH Adel t ' ap ap fi mennaj Adèle ANT FUT-DEF IMPF faire ménage

F P Adèle aurait été en train de faire le ménage ANG Adele would have been doing (the) housework

La combinaison de te, ap et pral rend une interprétation du conditionnel défini prospectif.

(100) CHAdel t ' ap pral fi mennaj Adèle ANT FUT-DEF PROSP faire ménage

Page 148: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

FP Adèle serait sur le point de faire le ménage ANG Adele would be about to do (the) housework

La combinaison de te, av et ap peut être interprétée comme le conditionnel indéfini

progressif.

(101) CHAdel r ' av ap fi mennaj Adèle ANT FUT-iND IMPF faire ménage

FP A&le serait éventueflemenf en train de faire le ménage ANG Adele might eventually be doing (the) housework

Enfin. 1 a combinaison suivante, la dernière combinaison possible avec ces

marqueurs de T'MA, produit une interprétation du progressif obligatoire au passé.

(102) CH Adel te pou ap fe mennaj Adèle ANT SUB IMPF faire ménage

FP Il fallait qu Adèle soit en m i n de faire le ménage ANG Adele had to be doing (the) housework

3.11. f hrases dépouillées (abare sentences»)

Dans certains énoncés haïtiens, il n'y a aucun marqueur préverbal; Ie verbe est

non-marqué ou, dans le présent travail, nous disons qu'il est marqué par le morphème

zéro. L'interprétation temporelle de ces énoncés est formée par les divers composants qui

établissent les propriétés aspecnieltes d'un syntagme.2' Ces composants comprennent la

classe aspectuelle du verbe, la spécificité de l'objet direct du verbe et la spécificité du

sujet. Un syntagme nominal est spécifique s'il possède le déterminant posmominal la ou

ses allomorphes a, an, ou nan (Lefebvre 1992b). Par exemple, une phrase dépouillée

(«bare sentence))) qui contient un verbe dynamique avec un objet spécifique est

interprétée comme le passé composé en français ou le présent parfait en anglais. Le

présent parfait exprime le résultat d'un événement qui est amive au passé et indique que la

21 Cf. Lefebvre 1996, d'après Bentolila 1987; Damoiseau 1988; Dechaine 199 1 .

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situation passée est toujours pertinente. Dans l'exemple ci-dessous, la spécificité de

l'objet impose un point fmai à l'événement dénoté par le verbe. A cause de cette

propriété de l'objet, nous interprétons la phrase dépouillée comme l'accompli.

(103) CH Adel bwè byè a Adèle boire biere DET

F P Adèle a bu la bière ANG Adele has dmnk the beer

Une phrase qui contient un verbe dynamique avec un objet non-spécifique est ambiguë

et peut être interprétée comme le présent ou le passé.

(104) CH Adel bwè byè Adèle boire bière

F P (D'habitude) Adèle boit de la bière Adèle but de la bière

ANG Adele (generally) drinks beer Adele drank beer

Dans l'exemple ci-dessus, l'objet n'est pas déterminé. Les syntagmes nominaux sont

génériques et les objets génériques n'imposent aucun point final à l'événement dénoté par

le verbe. Par conséquent, nous interprétons l'événement de la phrase dépouillée soit

comme I 'accompl i (c-à-d. le passé) soit comme 1 ' inaccompli

(c-a-d, le présent général).

La propriété [I spécifique] du sujet peut également avoir un effet sur

l'interprétation d'une phrase dépouillée. Comparons les deux exemples suivants

(Bentolila 1987: 107):

(105) a. CH Mayi a ba nou bon garanti Maïs DET 0 donner nous bon projit

FP Le maïs (en question) nous a rapporté de 1 'argent ANG The corn has brought us good morrey

b. CH Mayi bu nou bon garanti

Page 150: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Maïs 0 donner nous bon profir F P Le maïs (en général) nous rapporte de l 'argent ANG Corn (generaliy) brings us good money

Dans I'exemple (105a), la spécificité du sujet force une interprétation de l a phrase au

passé composé en français et au présent patfait en anglais, tandis qu'en (105b),

l'interprétation générique du sujet crée une interprétation générique de la phrase

dépouillée (c-à-d, le présent général).

Une phrase dépouillée qui contient un verb résultatif est ambiguë (que l'objet soit

défini ou non) se trouve entre une interprétation du présent et du passé composé (du

présent par& t en anglais).

( 1 06) CH Adel jwenn chat (la) Adèle trouver chat DET

FP Adèle trouve le chat Adèle a trouvé le chat

ANG Adele fin& the cat Adele hm found the cat

En dernier lieu. une phrase dépouillée qui contient un verbe statif est toujours interprétée

comme le présent.

( 1 07) CH Adel konnèn Pyè Adèle connaître Pierre

FP Adèle connais Pierre ANG Adele knows Peter

Nous voyons que les divers composants qui définissent les propriétés aspectuelles d'un

syntagme déterminent l'interprétation temporelle d'une phrase nue. De plus,

l'interprétation d'une phrase dépouillée s'étend du passé au présent général au present

perfect (en anglais) et ceci dépend des autres composants aspectuels présents.

Page 151: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

3.12. Le morphéme se

En ce qui concerne la prédication de la copule en b-tien, il n'y a pas de marque

d'accord visible sur le verbe et les phrases statives au présent sont généralement formées

au moyen du morphème zéro qui est, en fait un marqueur temporel non-manifeste.

(108) CH Pol 0 janti Paul PRES gentil

F P Paul est gentil

Toutefois, dans des prédicats non-verbaw, on trouve l'élément se (qui n'est pas

l'équivalent du français c 'est). Ce morphème ne se voit jamais quand le prédicat a des

traits [+VI (verbes et adjectifs) et des NP dépouillées (abare NPs») peuvent être

interprétés de façon ambiguë comme des prédicats verbaux en haïtien (Vinet 19945).

( 1 09) a. CH Pd (*se) manje P a d S E manger

b. CH Pol (*se) janti Paul S E gentil

c . CH Pol (*se) nan travay Paul S E au travail

d. CH Pd (se) pwofésè Paul S E professeur

F P Paul est un professeur

Comme on le voit dans des prédicats non-verbaux, se n'est pas un marqueur préverbal de

TMA, mais Vinet (1 994:20) déclare que la prédication de la copule dans la grammaire

universelle se fait toujours dans les limites des traits flexionnels comme le temps, AGR et

l'aspect.

Lefebvre (1 989) discute de l'interaction entre l'aspect et le prédicat clivé

(((predicate clefb)) en haïtien. Elle montre qu'iil existe une sorte de prédicat clivé en

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haïtien qui est employé pour le contraste ou l'accentuation. Dans un tel cas, l'item se,

suivi par le verbe (est seulement le verbe) apparaît au début du syntagme et le prédicat ne

laisse aucun intervalle. Il est explicité («spelled oub) bien clairement dans le syntagme

infërieur (dower clause») (Lefebvre 1989: 17):

( 1 10) CH Se kouri, Jan kouri C est courir, Jean courir

FP C'est courir que Jean a fait (pas marcher) ANG It 's nrnning that John did (not walking)

(1 1 1) CH Se te manje li te di Jan t ap manje pen an C 'est T manger il T dire Jean T A manger pain DET

F P C'était manger @Lis jeter) il a dit que Jeun mangeait du pain ANG It wus eating (not throwing awuy) he said that John was eating

bread

Si une phrase clivée contient un marqueur açpectuel (tel que ap, progressififin, achevé;

ou pal , au point de), il y a trois interprétations possibles du prédicat clivé. Le clivage se

concentre sur le contenu du marqueur aspectuel(l1 Za), ou il peut se concentrer sur le

contenu du syntagme verbal entier du syntagme inférieur, y compris l'objet direct (1 12b).

ou il peut se concentrer sur l'événement représenté par le verbe seul, à l'exclusion de

1 'objet direct ( 1 1 Zc). Ces éléments sont soulignés dans les exemples suivants (Lefebvre

( 1 1 2) CH Se rnanje Jan ap manje pen F P C 'est manger Jean manger pain ANG That-is eaf John bread

a. Ir is eut in^ bread that John is doing (not drinking water) b. If is e a t m bread thar John is doing fie has not finishedyet) c. Ir is eating (not throwing away) fhat John is eating bread

Si la phrase ne contient aucun marqueur aspectuel, la dernière interprétation, qui

concentre sur le prédicat seul, est la seule interprétation possible.

Page 153: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Si l'événement décrit par le verbe est un événement délimité, où la délimitation

est imposée par un argument affecté (et qui introduit le rôle aspectuel distributionnel

(a measme)))), une portée («scope») sur tout le syntagme verbal est possible (Lefebvre

(1 13) CH Se manje Jan manje pen an C 'est manger Jean manger pain DET

FP C 'est manger le w i n que Jean a fait ANG It is eatinn the bread that John did

Si l'événement décrit par le verbe est un événement nondélimité qui a un objet non-

affecté, la seule interprétation possible est celle qui se concentre sur le prédicat seul

(Lefebvre 1989:27):

(1 14) CH Se etidye Jan etidye fianse C ést étudier Jean étudier fiançais

F P C'est étudier que Jean a étudié le fiançois (ïi ne 1 'a pas encore parlé) ANG It is studving that John studied French fie did not speak it yei)

Si le syntagme verbal contient un événement délimitant, le syntagme clivé se concentre

sur cet élément délimitant. Cet élément délimitant peut être un objet affecté. Cette

interprétation est possible avec un argument affecté (1 15a). mais pas avec un argument

non-affecté (1 1 Sb). (Lefebvre 1989:28-29):

(1 15) a. CH Se manje Jan manje pen an C 'est manger Jean manger pain DET

FP C 'est le ~ a i n que Jean a mangé @as la pomme) ANG It 's the bread that John ate (not the apple)

b. CH Se eridye Jan etidye fiartse C ést étudier Jean étudier fi-ançais

FP + C 'est le fiançais que Jeun a étudié ANG II is study that John studied French (he did not speak it yet)

L'élément délimitant peut être également un syntagme de but (((goal phrase))) qui

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introduit le rôle aspectuel tenninus. La focalisation («focus») est possible avec un

syntagme obj ectival délimitant (1 1 6a), mais pas avec un syntagme locatif non-délimitant

(1 16b) (Lefebvre l989:D):

(1 1 6) a. CH Se mache Jan mache al lekol C ést marcher Jean marcher à école

F P C'est à 2 'école que Jean a marché ANG It is to school thar John walked

b. CH Se mache Jan mache MPI Iari a C'est marcher Jean marcher dans rue DET

F P C'est marcher @as courir) que Jean a fait dans la rue * C'est dans la rue que Jeun a marché

ANG It is walk (not run) that John did in the Street * It is in the street rhat John waiked

Il est bien clair dans les exemples ci-dessus que l'interprétation des phrases

impliquant le clivage du prédicat en hàitien dépend de la délimitation. Plusieurs

interprétations sont possibles, qui se concentrent sur divers éléments de la phrase qui

délimitent l'événement. Ces éléments incluent les marqueurs aspectuels, les arguments

qui introduisent les rôles aspectuels distributionnels (~measuren) et terminus, et la

combinaison d'un verbe avec son argument distributionnel («measuring»).

L'interprétation d'un clivage du prédicat doit faire référence aux éléments dans la

sémantique du syntagme verbal. Ces phénomènes impliquent donc la délimitation etiou

les rôles aspectuels. Par conséquent, la structure aspectuelle et le noyau événementiel

(((event nucleus>)) doivent être visibles à la syntaxe pour entrer dans une telle interaction.

Les faits relatifs à l'interprétation des clivages du prédicat en haïtien illustrent que

certains types de règles interprétatives pour la syntaxe peuvent être également sensibles

au noyau événementiel et à la présence des rôles aspectuels. Les éléments distincts de la

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structure aspectuelle de l'événement (tels que les marqueurs aspectuels, les arguments qui

portent des rôles aspectuels ou le noyau événementiel lui-même) peuvent être focalisés

(« focusable»).

3.13. Comparaison entre I'haYtien et le français

Si nous comparons brièvement le système TMA de l'haïtien au système TMA du

fi-ançais, la langue superstrate de l'haïtien, certains faits se dégagent quant à la genèse du

système haïtien. D'abord, les gens qui ont créé l'haïtien n'ont pas identifié la flexion

morphologique française dans le système TMA du français et l'organisation sémantique

des deux systèmes n'est pas parallèle. Deuxièmement, bien que les particules de T'MA

haïtiennes aient des représentations qui paraissent dériver de lexèmes fiançais semblables

sémantiquement (CH te, FP était), les détails sémantiques des paires d'entrées Iexicales

se distinguent souvent nettement (Lefebvre 1996:257).

En français, le marqueurs de TMA sont encodés par des affixes flexiomels sur le

verbe. Dans les exemples suivants, les terminaisons verbales (ou le verbe non-marqué)

distinguent entre trois temps différents, c'est-à-dire entre le passé simple, le présent (non-

marqué) et le futur simple: il arriva, il arrive, il arrivera. D'autre part, la désinence

distingue entre le mode indicatif et le mode subjonctif; ainsi, il y a une différence

sémantique entre je fais et que je farse. L'aspect peut être encodé par des semi-

auxiliaires ou des adverbes et l'aspect est quelquefois inclus dans le sens du verbe.

L'aspect est également encodé par des suffixes. Je marchais est un exemple de l'aspect

imperfectif encodé par un suffixe flexionnel sur le verbe. En outre, l'accord de personne

et de nombre entre le sujet et le verbe est obligatoire; la morphologie flexionnelle d'un

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verbe le reflète (elle écouter-a et vous écouterez). Le h ç a i s n'autorise pas de phrases

dépouillées; chaque verbe d'un syntagme tensé doit porter une morphologie flexionnelle

qui montre le temps, le mode, la personne et le nombre. Par contre, l'haïtien n'a pas de

morphologie flexionnelle sur le verbe, que ce soit pour le temps, le mode, l'aspect, la

personne ou le nombre. LYhai"tien exprime T ' A seulement au moyen de marqueurs

préverbaux et il n'y a que des verbes dépouillés. Une interprétation temporelle peut être

attribuée aux phrases dépouillées en haïtien.

En français, si on combine une forme de l'auxiliaire être ou avoir avec le participe

passé du verbe, on crée des temps complexes. Dans ces cas-là, c'est l'auxiliaire (avec le

participe passé si l'auxiliaire est étre) qui porte la morphologie flexionnelle. On forme le

passé composé, le ffutur antérieur et le plus-que-parfait en changeant l'auxiliaire: j 'ai

travaillé, elle est montée; jaurai travaillé, elle sera monfée; j 'avais fravaillé, elle était

montée. Les exemples ci-dessus expriment des temps complexes au mode indicatif, mais

on peut créer des temps complexes similaires au mode subjonctif avec les affixes

appropriés sur l'auxiliaire. Par contre, en haïtien il n'y a pas d'auxiliaires qui

correspondent à avoir et à étre en fiançais et les temps complexes se forment a partir de

combinaisons de particules préverbales.

Des expressions périphrastiques encodent également TMA en fiançais. Dans les

exemples en ( I 1 7), la phrase (a) nous illustre le htur périphrastique et la phrase (b)

montre l'usage courant de la préposition pour avec un sens prospectif. La phrase (c) est

un exemple de l'usage de la préposition après /à / en train de avec un sens progressif.

La phrase (d) illustre que l'aspect prospectif est encodé par l'expression étre sur le point

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de. La phrase adjectivale en (e) montre l'usage de été, une forme du verbe être.

(1 1 7) a. FP Marc va partir b . FP Marc est pour arriver c. F P Marc est après /à / en train de travailler d. F P Marc est sur le point de danser e. FP Marc a été heureux

Les expressions périphrastiques fiançaises ci-dessus ressemblent aux particules

préverbales haïtiennes. C'est-à-dire que les expressions périphastiques se trouvent,

comme les marqueurs de ïMA haïtiens, entre le sujet et le verbe et dans plusieurs cas, les

représentations phonologiques des expressions périphrastiques sont semblables a celles

des marqueurs de T ' A haïtiens. Par exemple, du point de vue de la phonologique, a-va,

pou, ap, et te en haïtien ressemblent à va, pour, après, et été en fiançais. Comme Sylvain

(1 936), Goodman (1964) et Lefebvre (1996), parmi d'autres, le proposent, il est probable

que tes représentations phonologiques des marqueurs TMA haïtiens proviennent de ces

expressions périphrastiques h ç a i s e s . Pourtant, quand nous comparons la sémantique

des ces paires d'items lexicaux, nous découvrons que les membres de chaque paire sont

remarquablement différents.

En français, le funir périphrastique exprime un futur proche, tandis que le fuhu

simple (où le verbe porte un sufixe) exprime un htur plus lointain. A la différence du

futur périphrastique en fiançais, a-va en haïtien est employé pour transmettre l'attitude du

locuteur suivant laquelle l'événement auquel le syntagme réfere peut éventuellement ou

potentiellement se passer à un moment indéterminé. Par conséquent, bien que les deux

formes expriment le mode irréel, leurs valeurs s'opposent par rapport à la propriété de

l'avenir proche / lointain. De plus, en combinaison avec te, a-va en haïtien forme le

Page 158: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

conditionnel; va en f'rançais ne montre pas cette propriété. Finalement, a-va en haïtien

n'est pas compatible avec la négation. Aiors que la forme hàitienne du futur indéfuii a-va

est semblable phonologiquement a la forme hçaise du fûtur périphrastique va, et

malgré le fait que ces entrées lexicales se partagent le sens irréel, les détails de leur

sémantique et de leur distribution ne sont pas parallèles (Lefebvre 1996:26 1 , repris de

Grévissse 1975).

Grévisse (cité dans Lefebvre 1996:261) constate que «êtrepour peut servir a

indiquer un fait prochain, a présenter une action comme convenue, préparée, ou encore a

marquer la nuance qu'exprimeraient 'être de nature à, être disposé 4 destiné à'». Pou en

haïtien est employé pour exprimer l'attitude du locuteur suivant laquelle l'événement

auquel le syntagme réfere peut, pourrait ou doit se passer. Le français être pour et

l'haïtien pou sont donc sémantiquement distincts même s'ils se partagent le sens irréel.

En français, il y a trois expressions périphrastiques qu'on emploie pour exprimer

le fait qu'un événement est inachevé: être après, étre en train de, et érre à.

Les deux premières formes veulent dire 'être en cours de faire quelque chose' et la

troisième forme veut dire 'être dans l'état de faire quelque chose'. Être après et être en

train de exprime l'aspect progressif tandis que être à exprime l'aspect imperfectif. De

plus, nous pouvons interpréter êire à comme l'habituel, ce qui n'est pas le cas avec étre

après et être en train de (Lefebvre l996:26l, repris de Grévisse 1975).

La représentation phonologique de l'imperfectif haïtien np provient selon toute

probabilité de la forme fiançaise après (Lefebvre l996:26 1). La sémantique du marqueur

haïtien ap est reliée à celle de l'imperfectif. Ce terme inclut les interprétations

Page 159: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

progressive et habituelle de ap. Tandis que ap et après encodent le progressif, a la

différence de ap, après ne peut pas être interprété comme l'habituel. Les deux formes

peuvent égaiement se combiner avec divers temps, mais en fiançais c'est l'auxiliaire être

qui porte la morphologie temporelle. Par exemple, Adèle était / sera aprés travaiZZer.

Nous voyons toutefois que l'expression périphrastique après ne peut pas être employée

dans un contexte semblable à celui de l'exemple haïtien suivant:

( 1 1 8) CH Nou ap jwènn AdeZ apfe mennaj Nous FUT-DEF trouver Adèle IMP faire ménage

F P Nous trouverons Adèle aprés faire le ménage

Pour communiquer le même sens que la phrase haïtienne, les locuteurs fiançais emploient

une expression périphrastique différente de après. On dirait Nous trouverons Adéle en

train de faire le ménage ou, avec une forme participiale au présent, Nous trouverons

Adèle faisant le ménage. Ainsi, la forme haïtienne ap a quelque-unes, mais pas toutes les

propriétés sémantiques de l'expression périphrastique fknçaise être après.

L'expression française qui ressemble sémantiquement le plus au marqueur

imperfectif ap est être ù. mais comme le dit Lefebvre (1 996262). les créateurs de

l'haïtien l'ont ignorée. Elte propose une analyse impliquant que à dans Eire à est une

catégorie fonctionnelle, une expression du cas, par exemple. Les créateurs de l'haïtien

ont identifié après, qui est un item de la catégorie lexicale et ceci démontre une fois de

plus que les créateurs de l'haïtien n'ont pas identifié un item correspondant à une

catégorie fonctionnelte du fiançais.

La forme phonologique de l'expression périphastique fiançaise être sur le point

de, qui est employée pour exprimer l'aspect prospectif, n'a rien en commun avec la forme

Page 160: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

prospective haïtienne apr-al.

La forme été de l'auxiliaire être est utilisée pour créer des temps complexes avec

des adjectifs statifs. Cette forme de l'auxiliaire se voit dans des temps complexas tels que

le plus-que-parfait (Marc ovait été heureux), le passé composé (Marc a été heureux), le

fûtur antérieur (Marc aura été heureux), et le conditionnel passé (Marc aurait été

heureux). La distribution du marqueur d'antériorité te de l'haïtien montre deux grandes

distinctions en comparaison avec la forme française été. Premièrement, à la différence de

été, te se trouve avec des verbes de toutes les classes aspectuelles. Deuxièmement, te ne

participe pas à l'expression du futur antérieur. Bien que les deux formes soient

phonologiquement semblables et se partagent la propriété de l'antériorité, les détails de

leurs sémantiques ne sont pas complètement parallèles. Ceci suggère que le

fonctionnement du marqueur te de l'haïtien ne provient pas de la forme française été.

En dernier lieu, il n'existe pas d'expression périphrastique fiançaise qui

corresponde au marqueur du htur défini haïtien op.

Une comparaison du système TMA haïtien et de celui de sa langue superstrate

révèle des traits saillants de la genèse du système haïtien. Premièrement, il est évident

que les créateurs de l'hai'tien n'ont pas identifié la morphologie flexionnelle et les

catégories fonctionnelles impliquées dans le système TMA du français. En outre, alors

que les marqueurs TMA haïtiens ont des représentations phonologiques qui proviennent

des matrices des items lexicaux français avec qui elles partagent quelques éléments de

sens, les détails des sémantiques des paires d'entrées lexicales sont souvent bien distincts.

Ainsi, le français a contribué les matrices phonétiques (desquelles les représentations

Page 161: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

phonologiques des marqueurs de TMA haïtiens proviennent) au système TMA haïtien.

Les créateurs de l'haïtien ont réinterprété les suites phonétiques k ç a i s e s ; c'est-à-dire

qu'ils les ont basées sur leur propre système phonémique avec une adaptation au fiançais

(Brousseau 1994, cité dans Lefebvre 1 996:263).

Il est évident qu'il n'y a pas de correspondance systématique entre une marque en

français et une marque en haïtien. C'est ainsi que la forme zéro exprime plusieurs sens

qui sont déterminés par le contexte et que le marqueur up de l'haïtien se traduit en

français soit par le présent, soit par le fiitur, soit (en combinaison avec te) par l'imparfait.

Cependant, la première valeur de a p est la plus importante - sa valeur aspectuelle du

duratif, de l'inaccompli. Nous le traduisons normalement par le présent en français, mais

ceci n'est pas entièrement satisfaisant. Nous employons ap avec des verbes qui sont

susceptibles de durer et non pas avec ceux qui correspondent à des procês plutôt

ponctuels. C'est-à-dire que gade en créole exprime un procès duratif alors que wè

exprime un procès ponctuel.

( 1 1 9) a. FP je vois la voiture CH m'wè machin nan (non pas m'ap wè machin nan)

b. FP je regarde la voiture CH m 'ap gade machin non

Il y a quand même une incompatibilité de ap avec certains verbes créoles qui

semblent être duratifs. Par exemple, aimer, détester, et avoir peur se rapprochent plus

d'un état que d'un procès. Ainsi, on n'emploie pas op avec ces verbes qui sont des verbes

statifs.

( 1 20) FP il a peur du chien CH l i p è chen an (non pas fi ap pè chen an)

Page 162: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Au niveau du passé, il existe également des différences entre Phaïtien et le

fiançais. La notion de temps passé en haïtien est marquk par le morphème te qui semble

dérivé de la forme participiale du verbe être en fkançais. Antéposé à une racine verbale

ou employé seul à la place de la copule, te exprime le passé composé, le passé simple, le

plusque-parfait et l'imparfait fiançais. Néanmoins, les ressemblances superficielks sont

trompeuses. Par exemple, l'énoncé Pyè te vini signifie que Pierre est venu mais qu'il est

reparti. Pour indiquer qu'il est toujours là, il faudrait ciire Pyé vini, sans employer le

marqueur te. En fiançais, on employera le passé composé pour exprimer ces deux idées

en créole. (Un h c o p h o n e ne se servirait pas du plus-que-parfait quand un fait s'est

passé peu avant le moment de l'énonciation. Au contraire, un créolophone qui parle

français dirait probablement Pierre était venu pour exprimer Pyè te vini.) Spears

(1993:262) dit que te est un marqueur anti-parfait («ad-perfecb). Il affirme que la

fonction de te n'est pas seulement de marquer une situation comme le passé par rapport à

une certaine référence dans le temps. Ce marqueur, dit-il, nie la connexion de cette

situation avec le présent. De cette manière, son effet est l'inverse de celui des parfaits

qui, dans la plupart des langues, servent essentiellement à relier une situation au présent.

SingIer (1 990:xi) ajoute que les systèmes temporels créoles ne marquent pas le

temps absolu, à la différence de ceux de leurs langues lexificatrices de l'Europe de

l'Ouest. Dans un système de temps absolu, le temps repère une situation quant au

moment du discours. En anglais, le passé localise une situation avant le moment du

discours. Par opposition au systèmes de temps absolu sont ceux de temps relatif. Dans

un temps relatif «pur», une situation se repère vis-à-vis un point de référence, qui à son

Page 163: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

tour est généralement établi à l'intérieur du discours. Plus commun que les temps relatifs

«purs» sont ceux qui relient une situation a un point de référence qui est a son tour établi

relativement au moment du discours; te antérieur en haïtien est un bon exemple, il est

défini comme le passé qui précède le passé.

En général, I'hai'tien donne une plus grande importance a l'aspect que le fiançais et

c'est la particule préverbale qui marque l'aspect puisque le verbe est invariable. Par

contre, en français l'auxiliaire au passé composé a fa forme du présent et le participe nous

informe que l'énoncé est au passé. Il est donc évident que, malgré la proximité lexicale

entre les verbes haïtiens et les verbes fiançais, L'usage est spécifique à chacune de ces

langues.

3.14. Comparaison entre I'haftien et le fongbè

Selon Singier (1996 dans Lefebvre 1996:236), il y aurait eu plusieurs langues

africaines substrates en Haïti au moment de sa genèse. La plupart de ces langues venaient

du groupe Niger-Congo et plus précisément des familles kwa (gbe et akan) et bantu.

Selon Lefebvre (1996:236). il y avait plus de locuteurs gbe que d'autres groupes; le

fongbè (qui fait partie du groupe gbe) était une langue parlée en Haïti a cette époque et

qui a eu une grande influence sur l'évolution de l'haïtien.

Pour Lefebvre (1996:263), la sémantique des marqueurs TMA haitien proviennent

des langues substrates et en présentant des d o ~ é e s du fongbè, une des langues substrates

de l'haïtien, elle souligne des parallèles entre les dewt langues. Avant de les comparer,

examinons l'inventaire des marqueurs de TMA du fongbè dan le tableau 12 ci-dessous

(Lefebvre lW6:263):

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Tableau 12 - L'inventaire des mrraueurs de TMA en fonnbé

TEMPS RELATIF MODE ASPECT ANTÉRIEUR IRRÉEL INACCOMPLI

Passé/Plusque-parfait Futur défini Habituel Imperfectif ko na n o d l ... wÈ

Futur indéfini Prospectif &-wu ... nb ... wÈU

Subjonctif ni

Lefebvre soutient que ces marqueurs sont des traits saillants du système TMA fongbè.

Elle constate également que le fongbè a des verbes dépouillés et que le temps, le mode et

l'aspect sont encodés par des marqueurs qui se trouvent entre le sujet et le verbe. D'autre

part, la combinaison de ces marqueurs forme les temps complexes. Le fongbè comporte

aussi des phrases dépouillées. Qu' une phrase contienne un marqueur préverbal manifeste

ou non, on l'interprète toujours comme le temps relatif au lieu du temps absolu. En

gardant toutes ces observations à l'esprit, nous pouvons maintenant revenir à une brève

comparaison des systèmes TMA de l'haïtien et du fongbè.

Bien que les représentations phonologiques des entrées lexicales des systèmes

verbaux de l'haïtien et du fongbè soient clairement distinctes, il existe des

correspondances systématiques entre les propriétés sémantiques d'un système et celles de

l'autre. Ainsi, il apparaît évident que la sémantique du système TMA de l'haïtien

provient des langues substrates.

En haïtien et en fongbè, le verbe d'une phrase tensée est invariable; ceci est une

propriété de nombreuses langues de 1'Afnque de l'Ouest. Dans les deux langues, le verbe

- - -- - - -

22 O symbolise le /O/ ouven; È symbolise le /el ouven.

Page 165: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

se voit toujours dans sa forme dépouillée; il n'y a pas d'accord entre le sujet et le verbe

pour la personne ou le nombre et pas d'affixes qui encodent temps, mode et aspect. Dans

les deux langues, le temps, le mode et l'aspect sont tous encodés par des marqueurs qui se

trouvent entre le sujet et le verbe.

L'inventaire des marqueurs TMA dans ies deux langues est remarquablement

parallèle. Nous le voyons dans le tableau 1 3 (Lefebvre 1 996:28 1 ):

Tableau 13 - Com~araison des maraueurs de TMA en bartien et en f on~bè

ANTÉRIEUR IRRÉEL INACCOMPLI Passé/ Futur Habituel Imperfectif Plus-que-parfait défini H F H F H F H F te ko ap nii - n o ap do ... WÈ

Futur indéfini Prospectif H F H F a-va na-wci apr-ale d0 . . . na . . . WE

Subjonctif H F pou ni

Les deux langues possèdent un marqueur qui encode l'antériorité. Elles

distinguent entre les marqueurs modaux défini et indéfini du futur et ont un marqueur

subjonctif. L'haïtien et le fongbè encodent les aspects imperfectif et prospectif aussi.

Nous voyons dans le tableau t 3 qu'il y a une correspondance univoque entre les

marqueurs préverbaux dans les deux langues (sauf que le fongbè a un marqueur préverbal

qui encode l'habituel et l'haïtien n'en a pas). Lefebvre nous explique qu'en comparant

les propriétés détaillées des paires de marqueurs dans le tableau ci-dessus, il existe des

paralleIes bien intéressants.

Page 166: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Dans les deux langues, une phrase qui contient un marqueur d'antériorité est

interprétée comme le passé ou le plusque-parfait suivant la classe aspectuelle du verbe.

Par exemple, les phrases qui contiennent un marqueur d'antériorité et un verbe

dynamique sont toujours interprétées comme le plus-que-parfait (Lefebvre 1996:282):

(1 2 1 ) Verbes dynamiques CH Mari te preparepat Fongbè Mari ko da w 0

Marie ANT préprrrer pâle FP Marie avait préparé de la pâte

Nous voyons les mêmes types de rapprochements avec les verbes résultatifs et les verbes

statifs qui démontre que la sémantique de te en haïtien correspond à ko en fongbè. Nous

voyons également que les marqueurs du fûtw défini ap en CH et nu en fongbè ont des

propriétés morphologiques et sémantiques semblables. Même quand un syntagme

contient le marqueur d'antériorité et le marqueur du htur défini, il y a des parallèles; on

l'interprète comme le conditionnel pour les trois classes de verbes. Considérons

l'exemple suivant (Lefebvre l996:283):

(122) CH Mari te ap prepare paf Fongbè Mari kh na dà w d

Marie ANT FUT-DEF préparer pâte F P Marie préparerait de la pâte

En fait, l'organisation générale de la grammaire relativement à l'expression de

TMA en haïtien et en fongbè est en gros la même. Les deux langues ont des verbes

dépouillés et un inventaire fini de morphèmes libres qui encodent temps, mode et aspect.

A la seule exception du marqueur de l'habituel, l'inventaire de marqueurs de TMA est le

même dans les deux langues et en combinaison, ils forment des temps complexes de la

même façon. Les propriétés sémantiques et distibutionnelles sont parallèles dans les deux

Page 167: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

langues. Elles ont des phrases dépouillées et l'interprétation temporelle de ces phrases est

la même. En outre, ces deux langues expriment le temps relatif plutôt que le temps

absolu. Il faut cependant se demander si le fongbè est la seule langue africaine qui a

influencé la syntaxe et la sémantique de l'haïtien. Par exemple, Alleyne (1996: 106)

constate que ((l'existence de uvu comme variante de va appuierait la thèse d'une influence

ou d'une origine éwé-fom. Une discussion détaillée de la genèse de l'haïtien n'est pas le

but de cette thèse, mais les faits décrits cidessus illustrent que le système TMA de

l'haïtien provient sans doute de ses langues substrates.

3.15. L'évolution des morphèmes grammaticaux créoks

En rapport avec 3.13. et 3.14., (Bybee et al 199457) les morphèmes

grammaticaux («grams») sont les descendants des items lexicaux qui ont perdu une

grande partie de leur sens lexical. Le sens qui reste est très général, souvent caractérisé

comme abstrait ou re l a t io~e l et la particule dépend phonétiquement et sémantiquement

du matériel qui l'entoure. Plus le gram perd son contenu sémantique original. plus son

interprétation dépend du sens en contexte et ce contexte éventuellement commence à

l'affecter. Nous voyons une réduction sémantique ainsi que phonétique qui implique que

la position syntaxique du morphème et ses relations avec d'autres éléments sont plus

rigides. Par exemple, nous ne pouvons pas modifier ou accentuer le suffixe -ed qui

exprime le passé en anglais. Pour accentuer ou modifier le sens, il faut changer la phrase,

en omettant -ed et en ajoutant do.

(1 23) ANG I washed my bike.. I certainiy did wash my bike.

*I certain& waskd my bike.

Page 168: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Comme nous l'avons établi au deuxième chapitre (2.3 .), une perspective

diachronique nous explique la provenance des morphèmes grammaticaux et donc des

marqueurs de TMA. Nous verrons au quatrieme chapitre qu'une telle perspective nous

aidera également à distinguer les particuIes préverbales d'une langue créole de celles

d'une autre. En ce qui concerne 1' hai'tien en particulier, Lefebvre ( l996:296) déclare que

les formes phonologiques des items lexicaux proviennent des matrices phonétiques

françaises mais que les propriétés sémantiques de ses formes proviennent de celles des

entrées lexicales correspondantes dans Idles languels substrate/s. La division des

propriétés est prédite par l'hypothèse de relexification (Voir 3.4.1 .) et, par conséquent, les

propriétés des entrées lexicales haïtiennes discutées dans cette thèse reflètent celles des

langues ayant contribué à sa formation. Les créateurs de l'haïtien n'ont pas identifié la

morphologie flexionnelle qui est pertinente a l'expression de temps, mode et aspect dans

cette langue.

Dans I'hypothèse de la relexification de Lefebvre et Lwnsden (1 994)' les

locuteurs attribuent une forme phonologique au mots fonctionnels du lexique copiés en

fonction de la forme phonétique des items de la catégorie lexicale de la langue

superstrate. Certains items lexicaux sont plus saillants (Mufkene 1986) et donc plus

faciles à identifier. Comme l'illustre Lefebvre (1996), toutes les formes phonologiques

des marqueurs de TMA de l'haïtien proviennent des items de la catégorie lexicale

impliqués dans des expressions françaises périphrastiques. Par exemple, les créateurs de

l'haïtien ont donné une nouvelle étiquette (te, une forme réduite du français ére) à l'entrée

lexicale qu'ils avaient copiée du fongbè ko. Cette dérivation explique avec clarté le fait

Page 169: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

que les propriétés de te dans le lexique haïtien correspondent à celles de ko dans le

lexique du fongbè (Lefebvre l996:îW). Pour conclure, le processus de relexification a

joué un rôle essentiel dans la formation du système TMA haïtien et cette hypothèse

explique la genèse de toutes les entrées lexicales des marqueurs de TMA (à l'exception

du marqueur de l'aspect prospectif).

3.16. Les modaux sont-ils des auxiliaires ou des verbes?

Les verbes modaux - mèt, kapab et dwe - sont classés avec les particules

préverbales dans les travaux classiques sur l'haïtien (Faine 193 7, Sylvain 1936, Hall

1953) et on les considère souvent comme des auxiliaires ou des semi-auxiliaires.

Pourtant, dans son étude de leur distribution et de leur statut syntaxique, Magloire-Holly

(1982:94) propose que «mèt. kapab et dwe appartiennent à AUX, quant a leur

comportement sémantique, mais doivent être considérés comme des verbes principaux en

ce qui concerne leur comportement syntaxique)).

Dans cette analyse, Magloire-Holly soulève le fait que les particules TMA te,

a(v)(a), ap et pic sont dominées par AUX et analysées comme une catégorie syntaxique

mineure sous S (1 98~:93)*~ :

(124) S - - > N P AUX VP

AUX => TEMPS (MODE) (ASPECT)

TEMPS =>{ t(e) ) [+/-antérieur]

MODE => {a, va, m a } ( ap ) [-réalisé] { PU 1

23 Ces règles de base sont élaborées par Kooprnan et Lefebvre (1982) et elles se conforment à la structure universelle interne de AUX proposée par Muysken (198 1 ) .

Page 170: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

ASPECT => op [+prospectifJ

Suivant cette hypothèse, les modaux ne peuvent être en cooccurrence qu'avec

certaines particules préverbales. C'est-à-dire que kapab peut apparaître avec le temps (te)

et le mode (a, ap), mais pas avec l'aspect (clp), à cause de son trait [+statifJ. Dwe ne peut

apparaître qu'avec te et mèr avec te et a. Il existe des «variations sémantiques qui sont

liées non seulement à la nature même du modal mais aussi à ses propriétés syntaxiques»

(Magloire-Holly 1982: 107). Par exemple, kapab et dwe précédés de te et de pa ont un

sens déontique (pouvoir et devoir) qui illustre certaines ambiguïtés sémantiques propres

aux modaux, mais également aux marqueurs préverbaux.

3.17. Le mouvement verbal et la flexion verbale

L'ordre des mots ou, plus précisément, l'ordre des morphèmes marque la

grammaire verbale en haïtien. Il y a une série de places (slots) distributionnelles, chacune

associée à une fonction grammaticaie particulière. En haïtien, les unités qui ont une

composition sémantique flexible ne sont pas marquées formellement (c'est-à-dire, par la

flexion). Nous avons plutôt affaire à l'interaction de deux variables:

i) les propriétés fonctionnelles d'ordre dans la phrase

ii) la variation sémantique des formes qui sert à mieux caractériser le sens

DeGraff (1 997) examine un sous-ensemble localisé de différences systématiques

de surface entre l'haïtien et le français et il tente de réduire ces différences aux propriétés

plus fondamentales des langues en question. Les données impliquent des distinctions

syntaxiques remarquables entre les deux langues. Ces configurations, qui tournent autour

de l'emplacement des verbes, correspondent au statut de la morphologie verbale

Page 171: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

flexionnelle de ces langues (Degraff l997:64). Cette corrélation entre la morphologie et

24 la syntaxe se base théoriquement sur les travaux de plusieurs linguistes. Suivant cette

approche, les propriétés de certaines têtes flexionnelles provoquent un mouvement du

verbe hors du VP. Les résultats de sa comparaison appuient une approche suivant

laquelle la morphologie est a la base des opérations syntaxiques (((morphology 'drives'

synta>o)).

D'après Pollock (1989), la morphologie verbale (flexionnelle) se fabrique au

niveau de la syntaxe. Belletti (1990) et Chomsky (1991) raffinent cette proposition de

Pollock et suggèrent que l'accord verbal (du sujet et de l'objet) et les marqueurs TMA

sont générés comme les têtes de leur propres projections (AgrP, TenseP, etc.). Par

conséquent, en fiançais, dans la forme aimera, -a '3SG' est en A@, -er 'FUT' en TO et le

radical - a h en VO. Ces têtes affixales AgrO et T0 produisent la montée4

(«V-raising))), c'est-à-dire la montée manifeste (((overt raising))) du verbe principal du VP

vers une tête flexionnelle plus haute. Au niveau syntaxique, le radical du verbe fléchi

part du VP et subit un mouvement de tête cyclique («successive-cyclic head-movemenb,)

vers diverses têtes flexionnelles (c-a-d, -er en TO, puis -a en AgrO) afin d'accumuler ses

affixes flexionnels, comme dans les exemples suivants (DeGrafT 1997:7 1-72):

24 Cf. Emonds 1978, Pollock 1989, Platzack et Holmberg 1989, Belletti 1990, Chomsky 1991 et 1993, Vikner 1997 et Haegeman 1997, parmi d'autres.

Page 172: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

(125) a. Avant la montée du verbe -

/*@< Agr'

/ \ tao ,7, '3SG'

/r\ 2 /w\ 'FUT'

/\ vO NP aim Bouquinette

b. Après la montée du verbe -

t i Bouquinette

C'est le mouvement illustré en (125) qui provoque la syntaxe française V& ADV

NPobj, comme dans IZ aimera bien Bouquinette. Notez bien qu'en (125b), quand le

radical verbal (transitif) part du VP, les nœuds hiérarchiquement plus bas que TP et plus

haut qu V' et tout le matériel dominé par ces nœuds (y compris les adverbes adjoints a la

gauche du VP) interviendront entre le verbe et son objet dans la suite superficielle.

Page 173: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

(126) Après la montée du verbe en fiançais (avec un syntagme adverbial) -

jamais V" presque tellement POP beaucoup bien mal ...

Williams (1994: 189) rejette l'analyse de Pollock (1 989) que les adverbes et

d'autres modifieurs comme la négation occupe des positions fixes et qu'une alternance

dans leur position par rapport aux verbes doit donc être due au mouvement verbal. II n'y

a pas de places universelles oii se trouvent des adverbes de divers types. De plus. les

adverbes ne sont pas distribués de la même façon dans les langues. Les modes de

modification sont plus divers que cette analyse ne te suggère. Néanmoins, pour Williams

il y a une simple série de notions qui contrôle la position des adverbes. Pour lui, les

différences entre l'ordre des mots du fiançais et de l'anglais sont attribuables aux

différences des combinatoires («combinatoncs») des éléments de base des deux langues,

non pas au mouvement.

Dans la même veine, Iatridou (1990) argumente que les preuves de l'existence de

Page 174: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

la projection maximale appellée par Pollock «AgrP» ne sont pas si incontestables qu'on

ne pourrait le croire à première vue. Elle présente d'autres explications pour les données

de l'anglais que Pollock attribut à AgrP. En ce qui concerne le français, Iatridou constate

que l'analyse de Pollock est insuffisante. Elle dit qu'en anglais, il n'y a jamais de

mouvement verbal avec les infinitifs, ce qui differe de la position de Pollock (1 989) que

les auxiliaires se déplacent (vers la projection maximale AgrP). Elle demande également

pourquoi, puisque les auxiliaires anglais se déplacent à AgrP, ils ne montent pas plus

haut, vers le temps (une question qui est pertinente seulement à la proposition de Pollock

puisque sa propre hypothèse n'invoque pas de mouvement verbal court (((short Verb

Movement~). En outre, Iatridou remarque que le statut non-&xal du temps infinitif

anglais explique pourquoi les auxiliaires ne se déplacent pas, ce qui est compatible avec

l'analyse de Pollock. Ouhalla (1 99O:306) déclare que d'un point de vue morphologique,

not @as) en anglais est une catégorie autonome qui n'est pas dépendante du verbe comme

le temps et les éléments AgrS.

Pour Chomsky (1995). il y a plusieurs questions à poser à propos du statut de

AGR. Suivant Pollock, il présume que le temps (T) domine AGR. Toutefois, si nous

supposons que ces éléments ne sont pas associés, il est possible de penser que AGR

domine le temps. C'est-à-dire que AGR est dans une relation de gouvernement avec le

sujet dans des propositions tensées. Belletti (1 990) discute de l'évidence morphologique

qui suggère que dans certaines langues où il est possible d'obtenir de l'évidence

pertinente, l'élément d'accord est à l'extérieur de l'élément tensé dans la morphologie

verbale. Toutefois, à propos de tels faits, Pollock postule une position intermédiaire entre

Page 175: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

T et VP, ce qu'il appelle la position AGR.

Chomsky (1 995: 147) propose que ces conflits peuvent être résolus par

l'observation qu'il y a en fait deux types d'accord Verbe-NP, un avec le sujet et un autre

avec l'objet. Ainsi, en étendant l'analyse de Pollock, il y aura deux éléments AGR:

l'élément d'accord du sujet AGRS et l'élément d'accord de l'objet AG%. AG& se

trouverait proche du verbe (V) et AGRs proche du sujet, donc plus éloigné du verbe. Par

conséquent, l'élément AGR dans la structure de Pollock serait AG&, qui fournit une

position intermédiaire pou. la montée. II ne serait donc pas nécessaire de présumer que

les infinitifs porte l'accord sujet, mais AG& serait présent même pour les intransitifs.

Chomsky donne une représentation plus riche à la structure de Pollock ou AGRs = 1, la

tête de IP, et F (z T) est [* fini] (Chomsky 1995: 147):

Les catégories fonctio~elles jouent un rôle central dans notre conception du

langage. Si AGR est une des catégories fonctionnelles, il faut se poser deux questions

précises: où se trouve AGR et quelle est la composition des traits de AGR?

Page 176: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Si nous acceptons les propositions actuelles à propos de la structure-D, nous

trouvons que l'haïtien et le fiançais ont la même structure sous-jacente, avec les

adverbiaux adjoints au VP tandis que le verbe et l'objet sont générés, sous V'. Il a déjà

été établi qu'en haïtien (comme dans la plupart des langues créoles) les marqueurs de

TMA sont des morphèmes indépendants (et non pas des affixes) et qu'il n'y a pas

d'accord entre le sujet et le verbe. Par conséquent, nous prédisons que le verbe ne

montera pas en haïtien. C'est-àdire qu' il n'y a pas d'affixes verbaux accumulés hors du

VP et que le verbe (fini ou non-fini) reste uniformément a l'intérieur du VP. Le verbe

haïtien reste donc linéairement («string-adjaceno)) a son objet, avec les adverbes deja,

toujou, etc. devant le verbe en surface (Degraff 1997:73). Cependant, pour Joseph

(1 999). il y a certains adverbes qui se placent entre le verbe et son objet.

(1 28) Structure-D et Structure-S: adjacence entre le verbe et l'objet en CH - (Uegraff 1 997: 73)

rrè *O byen mal .

Les contrastes entre l'emplacement de l'adverbe en haïtien et en fiançais sont le

résultat direct de la montée du verbe en français pour l'affsxation des suffixes flexionnels

Page 177: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

versus l'absence d'un tel mouvement en haïtien en absence de tels suffixes. Remarquons

de plus que le verbe ne se déplace pas dans les interrogations en haïtien. Nous voyons

l'inversion du sujet et du verbe dans les questions directes en français (forme écrite), mais

pas en haïtien, comme prévu en absence de la montée du verbe en haïtien.

En général, il existe une dichotomie entre les verbes finis et non-finis. C'est-à-

dire que les verbes principaux non-finis en fhnçais different des verbes finis.

Premièrement, ils montent ou ne montent pas à travers les adverbes internes à I'IP;

deuxièmement, ils ne montent pas au delàpas. Ceci illustre que, dans la même langue,

les degrés de flexion correspondent à l'étendue de la montée verbale. Les exemples

suivants se basent sur Degraff (1 997:74):

(1 29) a. Verbes finis: FP Luba parle bien ukrainien

Claire ne parle pas fbien) ukranien * Luba bien parle ukrainien * Claire ne p a ~ parle @en) ukrainien

b. Verbes infinitifs: F P Bien parler ukrainien .. .

Parler bien ukrainien . . . Ne pas fbien) parler (bien) ukrainien ... 25

* Ne parler pas (bien) ukrainien

Un résumé de la distribution des verbes finis et des verbes principaux infinitifs se voit

dans les schémas suivants (Degraff 1997:74-75):

(130) a. Verbes finis: ... (ne) Verbnni ... ... Adv ... [VP ti ...]...

b. Verbes infinitifs: 1. . . Pas Adv Verhinitif 11. pas Verbinfiniiif Adv . . . 111. *Verbinfinitil pas Adv

25 II n'y a qu'un seul bien dans l'exemple, mais il peut apparaître dans l'une ou l'autre des deux positions.

Page 178: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

D'après Pollock (1989), pos se trouve en Spec du syntagme de négation (NegP) avec ne

comme la tête (clitique) de NegP (ne peut se cliticiser et se déplacer avec des verbes

frnis). De plus, nous supposons que NegP se trouve entre AgrP et TP (Degraff 1 9 9 7 ~ 7 5 ,

d'après Belletti 1 990, Chomsky 1 99 1 ):

La distribution superficielle des marqueurs de négation en français et en haïtien

suggère que les verbes infinitifs français sont proches des verbes principaux haïtiens.

Comme pas en français avec des verbes principaux infinitifs, pu en haïtien («négation

sententielle))) précède le verbe principal, soit fini soit infinitif (Degraff 1997:75):

( 1 3 2 ) CH a. Boukinèt ~ [ w r e n r n e n B o u k i ] . Bouquinette NEG aimer Bouki

b. * Boukinèt renmeniE [* ti B o w . Bouquinette n 'aime pas Bouki

Ces exemples suggèrent le schéma suivant (Degraff 1997:75):

(133) a. NEG iV, Verb ... ] b. * Verbi NEG LVP ti .-.]

Il y a une différence principale entre les verbes haïtiens et les verbes infinitifs en

français. Comme les verbes infinitifs en fiançais, les verbes en haïtien ne montent pas au

delà de la négation. mais les verbes haïtiens (fuiis ou infi~nitifs) sont encore moins

mobiles que les verbes infilnitifs en français. Les verbes haïtiens ne se déplacent tout

simplement pas; ils restent uniformément à la droite de la négation et des adverbes

internes à IP.

Si c'est la morphologie qui conduit la montée du verbe26, nous prévoyons la

- -

26 Cf. Pollock 1989, Betleni 1990 et Chomsky 199 1.

Page 179: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

différence suivante: les verbes non-finis en fiançais ressemblent aux verbes en haïtien

parce qu'ils sont moins fléchis que les verbes finis en fiançais. Plus précisément, les

verbes infinitifs ne sont pas fléchis pour l'accord entre le sujet et le verbe. Ainsi, ils ne

doivent pas monter à Ag0. Les verbes infinitifs français sont donc moins mobiles

(comme les verbes hai'tiens) que les verbes finis. Les verbes principaux non-finis ne

montent qu'à la tête qui porte le marqueur infinitif TO. En ce qui concerne Les verbes

principaux en hai'tien, ils ne sont jamais séparés de leurs objets par des adverbiaux (a la

différence des verbes infinitifs en fiançais). Ceci correspond au fait que les infinitifs

français ont de la fiexion, c'est-à-dire le suffixe infinitif, tandis que l'haïtien n'a aucun

suffixe. Les verbes haïtiens ne manifestent pas de morphologie infmitive caractéristique;

par conséquent, les verbes haïtiens ne se déplacent pas dans le VP.

3.1 8. Les formes fléchies et non-fléchies

Comme le dit Vinet (1986:2), les verbes à montée sans sujet (~subjectless raising

verbs))) n'existent pas en haïtien. Un verbe comme sâble n'a donc jamais d'argument

thématique externe. à la différence du verbe fiançais sembler:

( 1 34) * CH Piil sanble vini Ff Pol semble venir

Les formes non-fléchies en haïtien n'apparaissent que dans des propositions

complément («complement clauses))) ou dans des positions adjointes à S («S-adjointed~)

(Vinet l986:4):

(135)a.CH li vle [vini] 3e vouloir venir

F P Il veuf venir

b. CH [domi] ala oun bon baguy dormir EXCL DET bonne chose

Page 180: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

FP Dormir est une bonne chose

Les infinitifs sont impossibles dans les phrases matrices («mot sentences)>). Il ne faut pas

confondre l'exemple suivant avec une forme impérative (Vinet 1986:4):

(136)*CH vfe zami vouloir amis

FP vouloir des amis

A propos des distinctions entre une forme fléchie et une forme non-fléchie, Vinet

(1 986:4) constate qu'en haïtien la distinction qui correspond au mode ne sert pas à

identifier des propositions non-fléchies car le marqueur de mode a p peut apparaître dans

des propositions finies et non-finies:

( 1 3 7) a. CH m wè [rwa fi-moun ap chante] je voir trois enfants MODE chanter

FP je vois chanter trois enfants

b. CH m wè twa ri-moun [k t ap chante] je voir trois enfants qui TEMPS MODE chanter

FP je vois trois enfants qui chantent

Vinet constate que les verbes de perception et les verbes causatifs sélectionnent

le complément S ou S' en haïtien. Par conséquent, dans l'exemple (1 37a) ci-dessus, le

NP hua fi-moun ne reçoit pas de rôle théta du verbe wè, mais il est quand même un

argument de ce verbe.

Selon la structure générale de N F L proposée par Vinet et discutée au Chapitre 2

(2.6.), l'haïtien serait caractérisé par [- AGR] (Vinet 1986:6).~' Un critère évident pour

l'absence de AGR sous iNFL est l'absence de pronoms sujets ~ l i t i ~ u e s . ~ ' Si nous

27 Lillis (1 987) propose qu'il n'y a pas de catdgorie N F L et qu'il n'existe pas de morphkmes de temps ou d'accord en haïtien. 28 Vinet (1 986) appuie cette idée par l'interprétation des anaphores de typeyoun lot (FP l'un i'uutre).

Page 181: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

acceptons une représentation différente de W L en haïtien, Koopman (1 985 dans Vinet

1 986: 6) postule que l'extraction-wh du sujet d'une proposition tensée, c'est-à-dire un

sujet nominatif, nécessite l'apparence de ki dans le COMP immédiatement adjacent au

site d'extraction. Elle constate que la présence de ki serait autrement interdite.

(l38)a. CH m f e [I vini] je faire 3e venir

FP je le fais venir

b .CHki moun ou fe(*ki)tvini quel personne vous faire venir

FP quelle personne avez-vous fait venir

Néanmoins,fi est le seul verbe causatif qui montre un tel fonctionnement. Tous les

autres verbes perceptifs ou causatifs comme kire (FP quitter, laisser), wè ( F P voir), tande

(FP entendre). etc. nécessitent la présence de ki dans la position COMP immédiatement

adjacent au site d'extraction (Vinet 1986:7):

(139) CH ki- moun ou kite*@)ap kouri quel personne vous laisser AS P courir

FP quelle personne laissez-vous courir

Si les verbes non-finis n'ont jamais de particules tensées sous N F L . ils

permettent toutes les autres particules de AUX. c'est-à-dire la négation. le mode et

l'aspect (Vinet 1986:8):

(1 40) a. CH m ta byen renmen [pu konnen je TPS bien aimer NEG connaître 3e

FP j 'aimerais bien ne pas lada connaître

b. CH m wè [ma fi-moun ap chanre] je voir trois enfants MODE chanter

F P je vois chanter pois enfants

c. CH li saye [ap sove] 3e essayer ASP se sauver

Page 182: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

FP Welle essaye de se sauver

Cette discussion illustre avec clarté qu'il est possible d'identifier minimalement

les propositions non-finies en haïtien comme des propositions marquées [- TEMPS].

La structure interne de M L et la différence observée entre les propositions

tensées et les propositions non-tensées deviennent cruciales pour l'attribution du cas

nominatif. La notion d'une marque du cas («case-rnarking~) en haïtien est basée

sedement sur la théorie interne puisque les NP n'ont pas de manifestation morphologique

de cas, même dans les formes pronominales.

II n'y a pas de mouvement verbal en haïtien. Le nœud INFL [+ TEMPS] ne

présente pas de distinction nette avec le nœud INFL [- TEMPS]. L'ordre linéaire des

divers éléments dans INFL et dans VP l'illustre. Il est généralement accepté que l'haïtien

est une langue SVO; on ne trouve pas de tête dans la position finale (ahead final»). Pour

illustrer certaines caractéristiques de INFL en haïtien, Vinet considère l'anaphore VP

dans cette langue. Elle conclut que l'anaphore VP est possible en anglais, mais pas en

français ni en haïtien (Vinet 1986: 10):

(1 4 1 ) a. ANG Mary has eaten the apples and John has O too b. F P Marie a mangé les pommes et Jean (* a) O aussi c . CH mari te mange pom-laJan (*te) O fou

En haïtien, la classe d'adverbes générés sous INFL, se place toujours après la

particule verbale et avant le verbe. Le mouvement du V de VP à AUX ne serait pas

motivé puisqu'il générerait un ordre linéaire impossible (Vinet 1986: 1 1):

(142) a. CH mari te toujou vini Marie TPS toujours venir

b. * CH mari roujou te vini c.* CH mari vini toujou

Page 183: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Par conséquent, l'absence de l'anaphore VP en haïtien est le résultat du fait que

mFL[+ TEMPS] ne peut pas être réalisé par un auxiliaire verbal car les particules de AUX

n'ont jamais de propriété verbaie (Vinet 1986: 1 1 - 12):

(1 43) a. CH mari te b. CH li ap

En outre, le mouvement verbal ne peut pas être motivé et la phrase (CH mari te mange

pom-la Jan (*te) O tou) est rejetée puisque la position vide sous V ne peut jamais être

gouvernée correctement.

Pour conclure cette discussion de la structure interne de iNFL en haïtien, l'ordre

des différentes particules de AUX dans cette langue donne la représentation suivante

(Vinet 1986: 12):

(1 44) M L => [+ TEMPS] (AUX)

AUX => (NEG) (TEMPS) (MODE) (ASPECT)

Les particules de temps ne se n'apparaissent que dans des propositions tensées et, au

temps présent. il n'y a aucune particule sous AUX. L'aspect et le mode apparaissent dans

des phrases finies et non-finies. Ainsi, on identifie les phrases finies par le trait abstrait

[+ TEMPS] qui est également responsable de l'attribution du cas nominatif. C'est donc

dire qu'une phrase qui présente M L sans une particule temporelle manifeste peut

toujours attribuer le cas nominatif au NP dans la position d'un argument externe (Vinet

(145) CH Janrenmenli Jean aimer 3e

FP Jean I 'aime

Dans l'exemple ci-dessus, la représentation de iNFL est la suivante:

Page 184: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

(146) INFL => [+ TEMPS] AUX

AUX => O

3.19. Conclusion

Nous avons vu dans ce chapitre que l'haïtien est une langue aspectualisante et

modalisante et qu'il manifeste peu de flexion morphologique. Au lieu des affixes comme

en français, l'haïtien présente des morphèmes libres préposés au verbe invariable pour

exprimer TMA. Nous avons discuté le fonctionnement de chaque marqueur de TMA et

nous avons établi que temps, mode et aspect apparaissent dans l'ordre TMA à l'intérieur

du nœud INFL. Selon Degraff (1 997), les verbes haitiens ne se déplacent pas dans le VP

qui ressemble en partie l'argument de Vinet (1986) qui dit qu'il n'y a pas de mouvement

verbal en haïtien.

Au chapitre 4, nous verrons que, dans les créoles des Petites Antilles et de la

Guyane, les notions de TMA sont également encodées par des marqueurs préverbaux et

que le même ordre syntaxique existe. C'est du côté sémantique que nous trouvons les

différences principales. C'est que l'inventaire et la sémantique des particules se

distinguent souvent et les combinaisons de ces marqueurs n'ont pas toujours des sens

identiques dans tous les créoles.

Page 185: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Limites de la variation dans d'autres créoles à base

lexicale fran-ise aux CaraTbes

4.0. Introduction - le guadeloupéen, le martiniquais, le saint-lucien et le guyanais

Le premier chapitre nous a démontré qu'il est difficile de proposer des définitions

précises des notions linguistiques de temps, de mode et d'aspect. Dans La littérame, les

définitions sont «aussi diverses que les chercheurs qui s'y son attachés» (Thomas

198859). Dans ce chapitre, comme dans le troisième, je compte indiquer les procédés

morphologiques et syntaxiques contribuant à l'expression de ces notions dans des créoles

des Petities Antilles et de la Guyane. Bien que d'autres créoles du monde aient des

marqueurs préverbaux TMA qui sont utilisés de f a ~ o n sernblab~e,'~ je ne traite pas des

créoles à base lexicale autre que le fiançais ni des créoles hors des Caraïbes.

En gros. les marqueurs préverbaux situent l'événement, le procès ou l'état décrit

par le verbe relatif à une dimension temporelle. Les sens aspect des marqueurs peuvent

Par exemple. le creole angolar de SPo Tomé P base lexicale portugaise a une structure crdole prototypique ou des particules de TMA précèdent le verbe. Ces marqueurs expriment I'antérioritd et la futurité, l'aspect progressif, habituel, inchoatif et accompli et le mode irréel. Des combinaisons de marqueurs créent, par exemple, les syntagmes conditionnels et hypothétiques (Lorenzino 1998: 1 55- 170).

Page 186: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

fournir le contexte approprié et les marqueurs modaux expriment l'attitude (volitive ou

épistémique) du locuteur. Ces genéraiites dans les systèmes TMA ne se trouvent pas

dans toutes les langues créoles et ne sont pas exclusives aux créoles. De plus, tous les

créoles n'ont pas les mêmes types de marqueurs préverbaux puisqu'il y a des différences

de quantité et de distribution. Dans le cadre de mes études, les catégories de temps, mode

et aspect sont exprimées en surface par un sous-ensemble d'unités linguistiques, ici par

des particules préposées aux verbes invariables comme en hai'tien. Toutefois, nous

verrons que certains marqueurs different de ceux de l'haïtien et que leurs fonctions aident

à distinguer chaque créole comme langue indépendante l'une de l'autre.

I l faut noter que la diversité des usages selon les créolophones rend difficile des

descriptions exactes des fonctions de chaque particule pré-verbale. C'est dire que

certains emplois qui sont acceptés par des locuteurs d'une région d'une île ou d'un pays

sont rejetés par d'autres locuteurs. De plus, le sens pragmatique encodé sur une forme

grammaticaie peut changer graduellement, ce qui indique une interaction entre le sens

pragmatique et la forme grammaticale.

Comme le dit Thomas (198858)' ((l'expression linguistique des notions

temporelles et spatiales reste insaisissable en l'absence d'une profonde connaissance

[des] différents aspects du vécu de chacune des sociétés dont on étudie la langue ... [Une]

des difficultés majeures de nos recherches réside dans le fait que non seulement nous

avons affaire à des structures sociales qui nous sont fort étrangères, mais que la réflexion

linguistique doit se faire en se détachant le plus possible des équivalents de la langue

envisagée dans notre propre langue maternellefi.

Page 187: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Comme l'explique Bybee et al (1 994:8), quand le sens d'un morphème

grammatical gram>)) se généralise, il devient pertinent dans des contextes dans lesquels

un autre gram était précédemment employé. Nous pourrions donc nous demander si les

particules préverbales des créoles autres que le haïtien ont bien changé leur forme.

Il faut souligner qu'en comparaison avec l'haïtien, il y a très peu de documentation sur les

autres créoles. Pour cette raison, l'haïtien sert de base à nos comparaisons.

4.1. Les systèmes aspecto-temporels

Voici les systèmes aspecto-temporels des parlers des Petites Antilles et de la

Guyane d'après Valdman (1 W8:î 1 9):

Tableau 14 - Les svstèmes TMA des créoles des Petites Antilles et de la Cuvane

As~ects Non-continuatif Continuatif Temps

ke / kai

Pros~ectif

te ke

Passé

keka Non-passé

te ke ka Passé

4.2. Le temps en guadeloupéen et martiniquais

Comme L'haïtien, le guadeloupéen (y compris le marie-galantais, un dialecte du

guadeloupéen) et le martiniquais distinguent entre le présent (ou le non-passé) et le passé.

Page 188: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Il existe trois marqueurs de temps. Le morphème zéro (0) est un marqueur du passé avec

les verbes indiquant une action, c'est-à-dire les verbes non-statifs.

(147)a.CG Chyen 0 rive la kay Char (Césaire198959) Chien ANT arriver la maison Chat

F P Chien est arrivé chez Chat

b. (Rutil 1981 56-57, conte marie-galantais) CG i 0 kouri, i 0 Aouri

il ANT courir il ANT courir F P il courut, il courut / il a couru, il a c o r n

ZZro est aussi un marqueur du présent avec les verbes indiquant non pas une

action mais un état, c'est-à-dire les verbes statifs.

( 1 48 ) CG Pol 0 maboul (Cérol 1991 :75) Paul PRES fou

F P Paul est fou

Les phrases dépouillées se trouvent souvent dans des proverbes , comme dans les

exemples ci-dessous (Ludwig et al 1990~440):

( 149) a. CG lè ou 0 byen abiye, .... quand on PRES bien habiller

F P quand on est bien habillé, .,.

b. CG lè on moun 0 savan, i savan toupatou quand quelqu 'un PRES intelligent il intelligent partout

F P quand on est intelligent, on 1 'est pour tout

Comme en haïtien, le marqueur te indique le passé et cette particule est utilisée

d'une part pour indiquer l'antériorité d'une action par rapport a une autre et d'autre part,

pour situer un état dans le passé.

( 1 50) a. CG an te manje lè i rive (Cérol 1991 :75) je ANT manger lorsque il arriver

F P j'avais mangé larsqu'il est arrivé

b. CG Te ni on madarn ki te malerèz, malerèz, malerèz .... ANT avoir DET femme qui ANT malheureuse malheureuse ....

Page 189: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

FP n y avait une femme qui étaii très malheureuse

4.3. L'aspect et le mode en gurdeloupécn et martiniquais

Comme l'haïtien, ces langues expriment les nuances aspectuelles par des moyens

différents de ceux du fiançais. Cependant, les marqueurs aspectuels ne sont pas les

mêmes que ceux de l'haïtien. 11 y a trois marqueurs aspectuels. D'abord, ka marque

l'aspect inaccompli et progressif où l'action est montrée dans son déroulement.

(151) CGJil ka zouke Gilles PROG danser

FP Gilles est en train de danser

En combinaison avec le marqueur d'antériorité te, on peut situer cet événement

dans le passé.

( 1 52) C G Jil te ka zouke Gilles ANT PROG danser

FP Paul était en train de danser

Le sens du marqueur ka semble être pius large que ap en haïtien. Dans l'exemple

suivant, ka marque le progressif en martiniquais (et. d'après nos informateurs, en

guadeloupéen et en saint-lucien aussi). tandis que le morphème 0 le marque avec des

verbes non-statifs en haitien.

(153) CM Leon ka ba Pye CH Leon 0 bat Pye

Léon PROG battre Pierre FP Léon bat Pierre

Malgré des différences dialectales (plutôt lexicales), te + ka indique également le

progressif dans le passé en créole guadeloupéen de Marie-Galante.

(1 54) (Rutil 198 1 56-57, conte marie-galantais) CG pannan i te ka kouri, pye a > rantre adan on nich a fourni e

i kase tèk pendant il ANT PROG courir Pierre il y rentrer dans DET

Page 190: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

fourmilière et il casser net FP pendant qu 'il courait. Pierre ne rentre pas dans une fourmilière,

sa jambe s 'y enfonça et elle se cassa net

Ka est aussi un marqueur de l'aspect habituel où l'idée rendue par ka (ka plere et ka pati)

est celle d'une habitude.30

(155) CGPOZ ko plere lè manmany ka pati(Cérol1991:75) Paul HAB pleurer lorsque mère sa HAB s 'en aller

FP Paul pleure lorsque sa mère s'en va

Cette habitude peut être située dans le passé au moyen du marqueur d'antériorité te.

(156) (Cérol 1991:75): CG Pol te ka plere Zè manrnany te ka pati

Paul ANT HAB pleurer lorsque mère sa ANT HAB s 'en aller F P Paul pleurait lorsque sa mère s 'en allait

Cette particule est très répandue dans des proverbes, où elle indique l'itérativité (Ludwig

(1 57) CG Tousa i bèl ka vin Ièd four ce qui beau ITÉR devenir laid

FP Tout ce gui est beau devient laid (La beauté est éphémère)

Les marqueurs ke et kay sont des allomorphes qui marquent l'aspect prospectif où

l'action ou l'état sont présentés comme a venir.

(158) CG Erik ke zouke si Kasav Eric FUTPROSP danser sur Kassav

FP Eric v a danser /dansera a u rythme de l'orchestre Kassrrv

Ke peut être employé avec le marqueur du progressif ka, pour présenter une action

comme se déroulant progressivement dans l'avenir.

(1 59) a. CG Erik ke ka zouke si K m Eric PROSP PROG danser sur Kassav

30 I l est remarquable qu'en créole angolar de Sao Tom& B base lexicale portugaise, on trouve le même marqueur ka pour indiquer l'habituel. Poumt, i l faut une combinaison de deux marqueurr. ta et ka, pour exprimer le progressif (Lorenzino 1998: 161, 165).

Page 191: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

FP Eric sera en train de damer au &me de l'orchestre Kassuv

b. CG A Zè - l m an ke ka travay (Ludwig 1990: 169) à heure cette je PROSP PROG travailller

FP A cette heure-ià, je serai en train de travailler

On peut également situer ces actions dans le passé au moyen de te. La combinaison des

deux marqueurs te et ke indique le mode irréel, l'hypothétique en particulier. Si te est un

marqueur du passe et ke du futur; nous pourrions interpréter re + ke comme l'équivalent

français du conditionnel (ex. FP mang-er-ais). Ces derniers exemples ainsi que le suivant

nous montrent les variations sémantiques qui se produisent quand on combine ces

marqueurs.

(160)a.CGErik te ke zouke Eric ANT PROSP danser

F P Eric danserait

b . C G a n te ke bwè on fiko (Alleyne1996:llO) je ANT PROSP boire DET coco

F P je boirais bien un coco

De façon similaire. la combinaison des trois marqueurs le, ke et ka nous dome un

événement au conditionnel qui se déroule progressivement.

(16l)a.CG Erik te ke ka zouke Eric ANT PROSP PROG danser

F P Eric serait en train de danser

b.CG A Zè -lasaan te ke ka travay à heure cette je ANT PROSP PROG ailler

FP A cette heure-lu, je serait en de trcwailler

Même si on présente ke comme marqueur de l'aspect prospectif, Germain (1976).

Bemabé (1 973) et Valdman (1978) disent que ke est un marqueur temporel de la fûturité.

Toutefois, l'aspect prospectif suggère qu'il y a une certitude ou une incertitude à propos

Page 192: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

de l'avenir. Cette particule peut donc aussi exprimer le mode - l'intention, la potentialité,

le désir et le souhait en particulier. Nos informateurs nous disent que le temps (le futur).

l'aspect (le prospectif) ou le mode (l'intention, etc.) sont tous exprimés par ke suivant le

contexte de l'événement. De plus, Hazaël-Massieux (1 986: 124) constate que ke est

l'équivalent guadeloupéen du h ç a i s va.

En outre, le morphème se est un marqueur modal en martiniquais. Pour

Waterman (1 994:78), se «n'est rien d'autre que la copule» qui doit apparaître avec un

article indéfini dans une phrase attributive.

(162) CM Mari se an pwofesè Mari PRES DET professeur

F P Marie est un professeur

Cependant, nos informateurs martiniquais nous indiquent que la combinaison de

se + ke (ou se seul préposé au verbe) a le même sens que te + ke en guadeloupéen.

(1 63) CM man se ke bwè an koko (Alleyne 1996: 1 10) C M man se 0 bwè an kùkd

je IRR boire DET coco FP je boirais bien un coco

La combinaison de se + ke n'existe pas en guadeloupéen, qui n'a que te + ke pour

ce sens (Bemabé 1983: 1067). Ceci illustre une des différences principales entre ces deux

systèmes verbaux qui sont d'autre par pareils.

En ce concerne le mode en guadeloupéen et en martiniquais, la particule anou

précède le verbe pour indiquer l'impératif ( l e personne du pluriel). Ce morphème n'est

pas mentionné par Lefebvre, Valdman ou Bickerton, peut-être parce qu'ils ne considèrent

pas anou comme un marqueur préverbal de TMA. N o m informatrice haïtienne nous dit

que anou marque également l'impératif à la première personne du pluriel.

Page 193: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

(1 64) CG anou ri! IMPÉR rire

FP rions! ANG Let S laugh!

4.4. Le marqueur ka en guadeloupéen et martiniquais

Cérol(199 1 :76) affirme que nous ne pouvons pas employer ka, marqueur de

l'aspect progressif, avec des prédicats qui ne sont pas des verbes en guadeloupéen.

Autrement dit, un état, a la différence d'une action, ne peut pas être progressif. C'est

pourquoi on dit An ka manje (FP Je suis en train de manger), mais on ne dit pas *An ka

la (FP Je suis en train d'ëtre là). Nos informateurs martiniquais constatent que cette

fonction de ka est la même qu'en créole martiniquais. Ce morphème marque également

le mode réel puisqu'il indique la certitude de l'action en cours.

Dans une discussion du marqueur ka dans les (dialectes km, Goodman déclare

(1964: 81) que ce marqueur differe de ap en haïtien parce que les locuteurs l'utilisent

également pour exprimer le présent habituel. Dans les dialectes ka. le verbe seul (préposé

par le morphème zéro) est employé exclusivement avec un sens perfectif, à l'exception de

certains verbes qui désignent un état ou une condition, tel que aimer, vouloir, savoir, etc.

Avec ces verbes, on peut employer ka pour indiquer l'achèvement ou la répétition et on

peut l'utiliser de la même façon avec des adjectifs et parfois d'autres prédicats non-

verbaux. Par contre, ap et ses variantes en haïtien ne pane pas ce sens et on ne l'emploie

qu'avec des verbes.

En haïtien, ap fonctionne comme marque du fiitur défini et de l'aspect inaccompli,

mais Damoiseau (1985: 147) dit que le ka martiniquais, ((marque aspectuelle de

Ifinaccompli. a ... un domaine d'emploi plus large que la marque aspechielle ap du créole

Page 194: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

haïtien». Comme nous l'avons illustré en 4.3. (1 59), ka a aussi une valeur itérative ou

généraie dans les énoncés ou il n'y aurait pas de marque formelle en haïtien. Nous

voyons cette valeur générale dans des proverbes, par exemple:

(165) C M char pa larat ka bay bal chat NEG Zà rat ITÉR donner bal

FP le chat n'est pas là, les rats donnent un bal FP quand le char n'est pas Z a les souris dansent

En outre, il y a des prédicats verbaux hai'tiens qui ne sont pas compatibles avec ap

et avec lesquels on trouve le morphème zéro (0). Comme le dit Damoiseau (1985: 159):

Une telle catégorie n'apparaît pas en créole martiniquais: cela tient d'une part à la valeur de &a qui n'est pas la marque du déroulement d'un procès strictement «hic et nunc».

4.5. Le saint-lucien

Comme les autres créoles de cette étude, la présence ou l'absence des particules

prédicatives dans le créole de Sainte-Lucie exprime les catégories grammaticales de

TMA. D'après Carrington (1 984: 1 16). ces particules expriment un temps (le passé). deux

modes (le prospectif et l'impératif) et deux aspects (l'achevé et l'inachevé). Chaudenson

(1 9%:98) affirme que «le créole saint-lucien présente [...], du fait de sa coexistence avec

l'anglais, des évolutions récentes, différentes de celles du martiniquais dont il est pourtant

très proche, mais qui subit, lui, l'influence du français».

4.5.1. t e morphème zéro (0)

Le morphème zéro préposé au verbe exprime soit l'aspect achevé soit le mode

impératif. L'impératif est exprimé par le morphème zéro sans sujet nominal (Carrington

(166) a. CSL 0 ba mouen lajan mouen IMPÉR donner moi argent moi

Page 195: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

F P donnez-moi mon argent

b.CSL 0 oublie s a i te fi ou IMPÉR oublier ça il ANT faire vous

F P oubliezcequ'ilvousa fait

L'aspect achevé (accompli) differe du mode impératif par la présence d'un sujet avant

le prédicat. Les énoncés cidessous sont tous équivalents du point de vue aspectuel,

même s'ils n'expriment pas nécessairement le même temps. Nous venons plus loin dans

la discussion du marqueur de l'aspect inachevé ka I'importance des différences

aspectuelles en saint-lucien, qui est en effet comparable aux autres langues traitées ici.

(167) a. CSL mwen 0 tonbe moi ACC tomber

F P je suis tombée

b.CSL i 0 pran zafe i èk i 0 pari il ACC prendre affaires DET et il ACC partir

FP il a pris ses affaires et il est parti

c. CSL mwen 0 malad moi ACC malade

F P je suis malade

Suivant Frank (1 990b: 16). le morphème zéro avec des verbes non-statifs indique le passé

(ce qu'il appelle le temps non-marqué). mais le passé est exprimé par le marqueur te avec

des prédicats statifs.

( 1 68) a. Prédicat non-stati f: CSL i 0 kouwi

il ANT courir F P ilacouru

b. Prédicat statif: CSLyo te dèyèy

ils ANT derrière lui F P ils étaient derrière lui

Page 196: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

4.5.2. Le marqueur ka

L'aspect inaccompli ou inachevé est exprimé par le morphème ka. Nous pouvons

interpréter un énoncé avec ka comme habituel, semi-habituel, progressif, itératif ou

continu. Ces interprétations peuvent se référer aux états, aux attributs, aux actions ou aux

repérages (Carrington 1 984: 1 1 8).

(169) a. CSL chak bonmatin, i ka leve, i ka monte an jadin a chaque matin il MACC lever il MACC monter au jardin DET

FP chaque matin, il se fève et ii monte au jardin

b.CSL sa ou ka fi? ça vous NACC faire

FP qu 'esf-ce que vous faites?

c. CSL pli gro mango ka anho pie bwa a plus gros mango iNACC en haut arbre DET

FP la plus grosse mangue est d'habitude au sommet de f k b r e

Pour distinguer entre des événements habituels et ceux qui se passent parfois. on

inclut des expressions telles que delè (FP &ois) et souvan ( F P souvent).

( 1 70) C S L delè i ka monte an jadin a parfois il INACC monter au jardin DET

F P parfois ilmonte au jardin

4.5.3. Le marqueur kay

Le mode prospectif est indiqué par le morphème k4y (comparable à ke en

guadeloupéen et martiniquais) et les prédicats introduits par koy expriment la fiiturité,

l'intention ou la potentialité (Cartîngton 1984: 1 18):

(171)a .CSLs iou mete t d p s è f , i k a y depaje kan na si vous mettre trop engrais il PROSP éplucher canne DET

FP si vous mettez trop d'engrais. ii épluchera les feuilles de la canne

b . C S L i di y o i kay vire il dire leur il PROSP revenir

FP il leur a dit qu 'il reviendrait

Page 197: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Pour Frank (1990a: l) , c'est la particule kay (kaj dans Frank 1990a), qui possède ces

fonctions.

( 1 72) CS L WeZl, listwa-a mwen ka- di la-a se about an jan gaje papa mwen degaje, tchèk tan ki pase alors histoire DET je P ROSP dire là c 'est à propos de D ET sorcière papa mon dégager quelque temps qui passer

FP alors, 1 'histoire que je vais vous dire traite d'une sorcière que mon papa a dégagé il y a quelque temps

4.5.4. Le marqueur te

En saint-lucien, l'antériorité est indiquée par la particule te, comme dans les autres

créoles déjà étudiés. Ce morphème se trouve également en combinaison avec zéro, ka, et

kuy. Pour exprimer le passé et l'aspect accompli, on combine te + zéro (Carrington

(173) CSL mwen te 0 ni moso té garan je ANT ACC DET morceau terre Garrand

FP j 'ai eu un morceau de terre à Garrand

Pour exprimer le passé et l'aspect inaccompli (qui correspond à l'imparfait en

français). on combine le + ka:

(174)a.CSL i te ka sere dèè piebwa sa a il ANT MACC cacher derrière arbre DET

FP il se cachait derrière cette arbre

b. CSL Se la i te ka sewe ti koutla- a (Frank 1990a: 1 ) C 'est Zà il ANT PROG cacher petit coutelas DET

FP C 'est là O& il cachait le petit coutelas ANG It is there he used to hide the little cutlass

Pour indiquer le mode irréel (le conditionnel en hçais ) , on combine le marqueur

d'antériorité te et le marqueur du prospectif koy (Carrington 1984: 1 19):

(175)a.CSL si koj la pa te fit anbwa,i pa te kay brile si maison DET NEG ANT faire en bois elle NEG ANT PROSP bruler

Page 198: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

FP si la maison n 'était pas fait en bois, elle n'aurait pas brulé

b.CSL tansa a mwen te kay kyoumso temps DET je ANT PROSP Curaçao

FP a ce temps-là, je devrais être ci Curaqao

Notre discussion sur ce marqueur continue dans la section 4.5.6.

4.5.5. Le marqueur aMou

La particule anou exprime le mode impératif, ainsi que des notions reliées a la

première personne du pluriel et indique que le locuteur s'adresse à un groupe qui l'inclut

lui-même. En général, ce morphème introduit un prédicat verbal.

(1 76) a. CSL anou swiv li IMPER suivre lui

F P suivons-le

b. CSL anou ale IMPÉR aller

FP allons

4.5.6. Les auxiliaires prédicatifs

Les auxiliaires prédicatifs sa et pe indiquent la possibilité et l'aptitude quand ils

sont introduits dans un prédicat. Leurs usages se chevauchent beaucoup.

On peut introduire sa (FP pouvoir, être capable) dans un prédicat verbal avec le

morphème zéro. le temps passé ou le mode prospectif. La particule ou les particules de

TMA précèdent toujours l'auxiliaire sa.

( 1 77) CSL mwen O s a naje je pouvoir nager

F P je peux nager

Cet auxiliaire est également introduit dans un prédicat adjectival avec le morphème zéro,

ou au temps passé et dans un prédicat locatif avec le morphème zéro ou au temps passé.

L'auxiliaire pe peut être introduit dans n'importe quel type de prédicat. On le

Page 199: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

voit préposé à un prédicat ayant le morphème zéro, la particule du temps passé, la

particule du mode prospectif ou ces deux demiers marqueurs ensemble.

(178) C S L u pe mete i l a vous pouvoir mettre le là

FP vous pouvez le mettre là

On voit cet auxiliaire entre le prédicat et la particule de TMA ou entre deux particules.

(179) CSL i te pe an jadin a il aurait pu être dans jardin DET

F P il aurait pu être dans le jardin

D'après Carrington (1 984: 1 2 1 ), il est extrêmement difficile d'expliquer le

fonctionnement de chacun de ces auxiliaires sans risquer des contradictions et des

incohérences. Cependant, il y a certaines différences claires entre eux.

D'abord, les locuteurs saint-luciens emploient sa beaucoup plus que pe. Sa

exprime la possibilité et l'aptitude de faire une chose décrite par le prédicat verbal, d'être

dans l'état décrit par le prédicat adjectival ou d'être dans le repérage décrit par le prédicat

locatif. Par contre, pe peut aussi mettre l'emphase sur un point donné (Carrington

( 1 80) C S L a. piski i te telman malad i pu sa mache b. piski i te telman malad i pa pe mache

puisque il ANT fellement malade il NEG pouvoir marcher F P puisqu 'il était si malade, il ne peut pas marcher

Les deux phrases de (1 80) se traduisent de la même façon, mais la deuxième (avec pe)

insiste sur la nature sérieuse de la maladie et la totalité de l'invalidité. Carrington affirme

(1 984: 122) que cette distinction est plus remarquable au négatif qu'à l'affirmatif.

Néanmoins, c'est le locuteur qui juge la sévérité et l'urgence d'une situation, donc

Page 200: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

l'usage des deux auxiliaires peut sembler complètement interchangeable.

Deuxièmement, pe peut introduire une notion de permission que sa ignore.

(1 8 1) CSL mwen g naje me mwen pu jodi a je pouvoir nager mais je NEG P O S S aujourd'hui

F P je p e u nager mais il est possible que je ne nage pas aujourd'hui

Dans l'énoncé ci-dessus, pe exprime la possibilité ou l'impossibilité de nager,

c'est-à-dire la décision du locuteur de se permettre de nager ou non aujourd'hui.

Comme nous l'avons établi dans 4.5.4., le saint-lucien emploie te pour référer à

quelque chose dans le passé. Prenons l'exemple du verbe statif ni (FP avoir):

(182) a. CSL mwen 0 ni f i n je PRES avoir faim

FP j'aifaim

b.CSL mwente ni fin je ANT avoir faim

FP j a i eu faim

Se (FP être) est également un verbe statif, mais sa présence avec le marqueur te

est un cas spécial; le passé est sere et non pas te se. Comme dans d'autres créoles, une

règle sur Ie marqueur d'antériorité re en conjonction avec un verbe statif ou non-statif

s'applique et il faut donc distinguer les verbes statifs des verbes non-statifs pour établir

son fonctionnement. Avec des verbes non-statifs, le passé n'est pas dénoté par te plus le

verbe au début d'un énoncé. Puisque te se trouve souvent au début d'un texte ou d'un

énoncé, il faut se demander ce qui est la fonction du marqueur. Si le verbe est statif. te le

précède pour le mettre au passe. Par exemple, les contes commencent souvent avec L a te

ni an nonm ... ( F P Il y avait un homme...). De plus, si on réfêre a un événement duratif au

passé, te se combine avec ka pour indiquer un passé au progressif ou une condition au

Page 201: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

passé. Comme dans d'autres créoles, un énonce peut être au passé avec le marqueur zéro.

Par exemple (Frank l999:2):

(183)a.CSL Mwen 0 fet SenrLis Je ANT naître Sainte-Lucie

FP Je suis né(e) à Sainte-Lucie

b. CSL i 0 mo II GNT mourir

F P II est morr

D'après Mondesir et Carrington (1 992:8), les valeurs des particules TMA sont les

suivantes: ka marque l'inachevé, le progressif, le duratif et l'itératif; te marque

l'antériorité et le passé; kay (ou ka13 marque la fùturité et le prospectif. Un prédicat qui

n'est pas marqué (c-à-d. qui a le morphème zéro) réfêre à un état réel ou achevé par

rapport à la valeur déjà établie par le discours. Examinons quelques exemples de verbes

non-statifs en saint-lucien (Mondesir et Carrington l992:9):

(184) CSL mwen manje mwen ka manje

mwen te manje mwen kay manje mwen se ka manje mwen te kay manje

FP j 'ai mangé je mange (d 'habitude) ; je suis en train de manger j a i mangé; j 'avais mangé je mangerai je mangeais j aurai mangé

Dans le cas des prédicats qui sont classifiés comme statifs, les valeurs

grammaticales des particules sont identiques, mais les interprétations exprimées dans des

langues telles que le français ou l'anglais nécessitent une modification de la traduction

des formes non-marquées. Par conséquent, s'il n'y a pas de réalités discursives ou

lexicales indiquant d'autres interprétations, mwen b n f a n veut dire je suis contente plutôt

que j 'dais contente et i ni veut dire il a plutôt que il avuit/il a eu (Mondesir et Carrington

Page 202: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

1992:9).

4.6. Le guyanais

Il existe très peu de recherches linguistiques (mais beaucoup de littérature) sur le

guyanais, mais la documentation disponible suggère que ce créole est très proche du

guadeloupéen et du martiniquais. Rattier (1 990: 84) affirme que «leur proximité, au

niveau de leur genèse d'abord puis à travers la dynamique de leur contact sur plus &un

siècle, a établi une frontière commune difficilement contournable». Le créole guyanais

n'est pas le mieux documenté de la zone atlantique, mais la comparaison des données

nous permet de porter un jugement sur les similitudes entre les divers systèmes verbaux

créoles. Goodman (1964: 16) établit une classification typologique des créoles à base

lexicale française de la zone atlantique qui se fonde sur des considérations géographiques

et morphologiques. Ainsi, «le guyanais est un créole en ka puisqu'il partage avec les

créoles des Petites Antilles la modalité aspective ka, mais en même temps aussi un créole

en bay (FP donner), trait partagé avec les créoles en ka et le créole haïtien» (Schlupp

1997:2). Néanmoins, une classification ne se fait pas aisément car le guyanais présente

d'autres traits caractéristiques, ceux-là du créole louisianais.

4.6.1. Le marqueur te

4.6.1.1. te avec des verbes non-statifs

La particule le peut entrer en combinaison avec tous les autres éléments de

l'auxiliaire. Le comportement de ce marqueur correspond en partie à celui prévu par

Bickenon pour les autres créoles. C'est-à-dire que dans le système temporel, te marque

la catégorie [i antérieur] et, comme pour les autres créoles de notre étude, le guyanais fait

Page 203: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

une distinction entre les verbes non-statifs et les verbes statifs. D'après Saint-Quentin

(1 872: 192), «te correspond à était et uvait: il marque une action passée, complète et finie

au moment dont on parle, c'est-à-dire le plus-que-parfait fkuqaisn. En fait, ce marqueur

d'antériorité indique le plusque-parfait pour des verbes d'action et le passé pour des

verbes statifs. Comme le m e n t i o ~ e Schlupp (1997:30), le sens porté par cette marque

«dépend ... essentiellement du semantisme que véhicule le verbe auquel elle est

I l y a des domaines d'emploi où te s'écarte beaucoup du système aspecto-

temporel décrit par Bickerton. Suivant les commentaires de Lefebvre à propos de

l'haïtien. il faut dire qu'avec ce créole aussi, il existe une complexité sémantique plus

grande de ce marqueur. Voici quelques exemples qui illustrent l'emploi de cette particule

en guyanais (Bricault 1976~60):

( 1 85) CGy Tig te doumande Chyen pou fi oun tyenbwa pou 'i, pou i te pouve pran vyand.. . . Tigre ANT demander Chien pour foire DET niaié!ce pour qu'il pouvoir prendre viande

FP Tigre avait demandé au Chien de lui faire un maléfice pour qu'il puisse attraper du gibier

Selon Schlupp (1 997:32), la narration (( constitue un type particulier en ce qui

concerne le repérage de procès antérieurs [et] ... te peut aussi renvoyer à des procès

antérieurs qui sont repérés par rapport au moment de I'énonciatiom. C'est dans cette

fonction que nous voyons te antéposé à un verbe non-statif (Tchang 1988:23.2):

( 1 86) CGy i di: «Haau ... sa mo te di to»? iIielie dire ctHaaah ...ç a je ANT dire toi

FP elle adil: rrHaaah ...q u'est-cequejet'avaisditw?

Le marqueur te peut aussi s e ~ r de point de repère temporel à un autre procès

Page 204: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

antérieur (Parépou 1885: 154):

(1 87) CGy Madanm Atipa te fi so bougnon miiat ia, ke oun poui, fi te roti la vèy Madame Atipa ANT faire DET bouillon mulâtre avec DET poule elle ANT rhtir DET veille

FP Madame Atipa avait préparé son bouillon mulâtre avec une poule qu'elle avait rôtie la veille

Quelquefois, quand te est antéposé a un verbe non-statif, il désigne un procès qui

s'est terminé à un moment assez précis dans le passé. Dans ces contextes, sa valeur

ressemble à celle du morphème zéro ([+accompli]) et désigne un événement qui s'est

déroulé dans le passé et est accompli par rapport au moment de l'énonciation. Les cas où

te désigne l'aspect accompli du présent sont très rares. (Tchang l988:33.2):

( 1 88) CGy Tour so Zatchyo boul. ye boul toupatou ... 10 ye chode 7, sa ye tef i? Ye iargé'l .... Tout DET queue brriler il brûler partout ... lorsque il brûler ça ils ANT faire? ils libérer le

FP Toute sa queue a été brtilée, il 1 'ont brdé partout ... lorsqu 'ils l'eurent brdé, qu 'est-ce qu 'ils ont fait? Ils 1 'ont libéré ....

Schlupp (1 997:34) discute des exemples de Tchang (1 988: 15.2) ou une phrase est

deux fois répétée par I'énonciateur. une fois avec te et une fois sans te, sans différence de

sens.

(189) CGy Fanm-adesann bwàa ... idit: ((Merno ... rno te rnete to a leprèv ... to ka voye chyen pou devore mo»? I dit: «Me wi! To mete mo a leprèv! Wi . . . mo Save . . . me mo d'to desann bwa-a»! Femme DET descendre arbre DET ... elle dire mais je ... je ANT meitre toi a I 'épreuve ... tu envoyer chien pour dévorer moi Elle dire: mais oui tu mettre moi à l'épreuve oui ... je savoir ... mais je dire toi descendre arbre DET

F P La femme est descendue de l'arbre ... elle a dit: «Mais je ... j e t'ai mis à l'épreuve [eu tu envoies tes chiens afin qu'ils me

dévorent»? Il a dit: cMais oui! Tu m'as mis à l'épreuve! Oui ...

Page 205: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

je sais ... mais je t 'ai dir de descenclre de 1 'arbre»!

4..6.1.2. te avec des verbes statifs

Antéposé à un verbe statif. ce marqueur renvoie a un état achevé à un moment

déterminé du passé. L'accompli, qui est exprimé par le morphème zéro, est bloqué dans

le contexte des verbes d'état. En comparaison avec les verbes non-statifs, les verbes

statifs sont en minorité. II s'agit des verbes suivants, qui n'en pas nécessairement une

liste exhaustive (Schiupp 1 997:36-7): gen (FP avoir), le (FP vouloir), m i (FP avoir

envie de). benzwen (FP avoir besoin de), enmen (FP aimer), kontan (FP aimer), miyo (FP

préférer), konnèt (FP connaîîre), save (FP savoir), krè (FP croire), konprann (FP

s'imaginer), h a u i (FP haïr), fen (FP avoir faim), swèf (FP avoir soin, ronte (FP moir

honte). valho (FP valoir), pè (FP avoir peur), pouve (FP pouvoir), pwè, ve, pe, divèt (FP

devoir) :

( 1 90) a. CGy Timoun-yan te fen (Bricault l976b:36) enfants DET ANT faim

FP Les enfants avaient faim

b. (Saint-Quentin 1 872:3): CGy Lontan, lonfon tour moun te nwè

longtemps longtemps tout le monde ANT noir FP Ilyalongtemps, longtemps, tout le mondeétait noir

Toutefois. il existe des contextes où le verbe statif marqué par te n'indique pas un

état qui a été accompli à un moment précis du passé mais un état qui a été accompli par

rapport à un autre événement situé dans le passé. Dans ce cas, te exprime l'antériorité

comme avec les verbes non-statifs et correspond au plus-que-parfait en fiançais (Schlupp

(1 9 1) CGy Sa tan -an, li te kontan 'I bokou me apre, ye lese DET temps DET elle ANT aimer lui beaucoup mais après ils laisser

Page 206: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

FP A cette époque, elle avait été très amoureuse de lui mais après, ils se sont séparés

Te peut aussi renvoyer à un état événementiel. A la différence de l'exemple ci-

dessus, l'état a eu lieu dans le passé sans qu'on ne tienne compte non tenu de la durée.

Cependant, Schlupp (1 997:37) signaie que cet emploi de te n'est pas très répandu et

qu'en général, le morphème zéro exprime cette nuance. Notre informateur guyanais est

d'accord avec ses observations.

(192) CGy Al6 la,rno te Save saki te rive '1 Alors là je ANT suvoir ce qui ANT arriver lui

F P Alors là, j a i su ce qui lui était arrivé

4.6.1.3. te, marqueur de l'irréel

Parfois, le marqueur te exprime l'irréel dans des phrases autres que les

propositions principales de phrases conditionnelles irréelles. Néanmoins, la combinaison

des marqueurs te ke est beaucoup plus répandue (Schlupp 1997:37):

( 1 93) CGy .... Eloiz te byen pouve lese sa rankont-a pou mo! Éloise 1 RR bien pouvoir luisser cette opportunité pour moi

FP ~2oise aurait bien pu me laisser cette opportunité!

4.6.2. Le morphème zéro (0)

En général, le morphème zéro sur le verbe marque le non-antérieur et l'accompli.

Ce marqueur s'oppose à te qui exprime l'antériorité et ka qui indique l'inaccompli.

Comme avec le marqueur te, il convient d'établir une distinction entre les verbes statifs et

les verbes non-statifs puisqu'ils ont un comportement différent. Bickerton (1 979:309)

constate que le morphème zéro signifie le passé avec les verbes non-statifs et le non-passé

avec les verbes statifs. Cependant, Schlupp (1997:39) affirme que cette d é f ~ t i o n m'est

que partiellement conforme a ce qu'on constate en guyanais».

Page 207: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

4.6.2.1. 0 avec des verbes non-statifs

Quand un verbe non-statif se combine avec le morphème zéro. il renvoie au non-

antérieur, au non-irréel et à I'accompli. Cette combinaison indique un procès qui s'est

déroulé dans le passé. Ce procès «peut être terminé à la limite du présent et constituer

une variante rétrospective du présent [... ou ...] le verbe peut renvoyer à un procès achevé

dans le passé compte non tenu de sa durée auquel cas il n'y a pas de relation avec le

moment de l'énonciation présenb (Schlupp 1997:39). Dans ce cas, le morphème zéro

indique un procès évenementiel ou ponctuel et exprime l'aspect aoriste. L'interprétation

d'un verbe marque par le morphème zéro dépend en grande partie du contexte et

correspond généralement au passé composé ou au passé simple en français. Dans

l'exemple suivant, le morphème zéro exprime le passé composé et l'aspect accompli du

présent et suit la définition de Bickerton (1 979) décrite en 4.6.2. (Schlupp l997:4O, repris

de Stephenson l978b:28):

(194) CGy t o p a 0 wè ke lo i 0 fika tu NEG ANT voir quel heure i f ANT être

F P tu n 'as pas vu quelle heure il est

En revanche, l'accompli a une interprétation d'événementiel dans l'exemple ci-

dessous (Rattier l 988:II):

(195) CGy Roun bonmanten, Tipolo 0 leve DET matin Tipolo ANT lever

FP Un matin, Tipolo s 'est levé/se leva

L'exemple suivant présente les deux interprétations du présent: événementielle et

inaccomplie (Rattier 1988:II):

(1 96) CGy ((Kirnoun ki 0 fi mo sa»? Tipolo 0 rele ke raj qui ANT foire moi ça Tipolo ANT hurler avec rage

Page 208: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

FP «Qui m 'a fait ça))? hurla Tipolo avec rage

11 faut noter que le morphème zéro est plus complexe que ne le laisse croire

l'analyse de Bickerton (1 984: 1 8 1 ) quand il constate que l'accompli n'indique que des

événements achevés simples. Par exemple, si le verbe est accompagné de certains

circonstants, l'interprétation est celle de l'habituel ou l'itératif (Schlupp 1997:41):

( 1 97) CGy Dipi laj douzan li pu 0 fini manje e bwè depuis ûge douze ans il NEG ANT cesser manger et boire

FP Depuis I Zge de douze ans. il n 'a cessé de manger et de boire

4.6.2.2. 0 avec des verbes statifs

Les verbes statifs en combinaison avec le morphème zéro désignent normalement

un état dans le présent. En général. zéro renvoie au mode réel et au temps non-antérieur.

mais l'accompli apparaît parfois avec ce type de verbe. A la différence des verbes non-

statifs. les verbes statifs au présent ne peuvent jamais être accompagnés du marqueur

aspectuel ka au progressif. C'est-à-dire que les états sont incompatibles avec la

progression (Schlupp 1 997:32):

(1 98) a. CGy i 0 fatige VS. i ka futige mo elle PRES fatigué elle PROG fatiguer moi

F P elle est fatiguée elle me fatigue

b. CG- manje-a 0 tchwit vs. munje-a ka tchwir repas DET ACC cuit repas DET PROG cuire

FP le repas est cuit le repas cuit

Voici deux autres exemples (un d'un texte moderne. l'autre d'un texte ancien) qui

illustrent 1-emploi du morphème zéro:

(1 99) a. (Schlupp 1997:43. requis de Rattier 1987): CGy i 0 miyo rete ke so fanmi

ii PRES préférer rester avec DET famille FP il préfire rester avec sa famille

Page 209: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

b. CGy Li 0 save tout taffe Cayen (Patépou l885:4) II PRES sait tout affaire Cayenne

FP il sait tout ce qui se passe à Cayenne

Il existe également deux contextes où le morphème zéro avec un verbe statif

n'exprime pas un état dans le présent. Premièrement, avec les verbes konnèr (FP

connaitre), Save ( F P savoir) et kè ( F P croire), le morphème zéro désigne l'aspect

(200) a. CGy mo 0 konnèt so marÏ je ACC connaître DET femme

FP j 'ai connu son mari /fait la connaissance de son mari

b. CGy al6, m o 0 Save sa repons -a alors je ACC savoir ça réponse DET

FP alors, je me suis rendu compte de cette réponse

c.CGy mo 0 krè li te pari je ACC croire il ANTpartir

F P j 'ai cru qu 'il était parti

4.6.3. ka, marqueur aspectuel de l'inaccompli

Il y a une distinction entre l'aspect accompli et l'aspect inaccompli en guyanais.

Le morphème zéro désigne l'aspect accompli et, comme en guadeloupéen et martiniquais,

la particule ka (et ses formes élidées k ' et 'a) exprime l'aspect inaccompli au présent

(Fauquenoy 1972:78):

(20 1 ) CGy li ka dromi il iNACC dormir

F P il dort (il est en train de dormir)

Selon le contexte et la nature sémantique du verbe, ce marqueur exprime le

présent actuel ou progressif, l'itératif, l'habituel ou l'inchoatif, comme ci-dessous:

(202) a. CGy rno ka manje je PROG manger

FP je suis en train de manger

Page 210: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

b. CGy mo ka manje souvan je HAB manger souvent

FP je mange souvent

Alleyne (1996: 1 17) affirme qu'une ((différence importante entre les langues

créoles, qui implique des évolutions difldrentes, est le traitement de l'aspect imperfectifi

Il propose que, dans la sous-catégorisation de l'imperfectif, les créoles se divisent en

deux groupes fondamentaux. II dit qu'en haïtien, le marquew de l'imperfectif op (qui a

un sens plus large que L'imperfectif) n'exprime que le progressif, puisque l'habituel est

marqué par le morphème zéro ou par un auxiliaire qu'on interprète comme marqueur

aspectuel (par exemple, CH konn). " Pourtant, Lefebvre (1 996:246) constate que op a

une interprétation de l'habituel dans un énoncé quand la présence d'un adverbe tel que

toutun (FP tout le temps) ne permet pas une interprétation du progressif (ex. CH P d ap

danse foutan; F P Paul danse tout le temps). De même, l'imperfectif dans les créoles des

Petites Antilles et de la Guyane est exprimé par hl marqueur du progressif ainsi que de

l'habituel. Comme nous le verrons dans la section 4-64.' en plus de sa valeur

aspectuelle. le marqueur modal ka (comme CH ap) peut également désigner le futur,

c'est-à-dire un procès postérieur au moment de l'énonciation.

4.6.3.1. ka et les verbes non-statifs

Avec des verbes non-statifs, ka peut exprimer le présent général ou le progressif,

c'est-à-dire un procès qui est en train de se dérouler, et qui se traduit en français par

l'expression être en train de ou par le présent.

3 1 Cependant, Alleyne (1 996: 1 18) présume que «la fréquence très faible et l'apparition récente de la forme [du progressi0 avec op -pe au sens de l'habituel (les textes anciens de l'haïtien ... n'en révèlent pas d'exemples) pourraient nous amener a nous demander s'il ne s'agit pas d'un changement sémantique en cours, selon lequel la valeur de la forme du progressif subirait une extension aux contextes de l'habitueb. De plus, il constate que cela peut représenter également «l'émergence d'une catégorie générale de l'imperfectif en contraste avec un perfectif (accompli)».

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(203) a. CGy A kournan ye ka aple ou? Comment vous PRES appeler

FP Comment vous appelez-vous?

b. CGy mo ka rnache je PROG marcher

FP je marche / j e suis en train de marcher

D'autres constituants de la phrase peuvent spécifier le début du procès et le

moment de l'énonciation peut constituer la fin du procès.

(204) (Schlupp lW7:48): CGy Dipi bonmanten, mo ka travay. Atchoiman mofini

depuis matin je PROG travailler maintenant je jinir FP Depuis ce matin, je suis en train de travailller. Maintenant j 'ai

terminé

Il est aussi possible qu'avec certains verbes tels que demare (FP démarrer) et dekole (FP

décoller). le début du procès coïncide avec le moment de l'énonciation.

(205) (Schlupp l997:48): a. CGy kar*a ka demare

car DET PROG démarrer FP le car démarre

b. CGy lavyon-a ka dekole avion DET PROG décoller

I 'avion décolle

Les procès ponctuels ressemblent aux exemples ci-dessus, mais le déroulement du procès

n'est guère perçu:

(206) CGy ka fe sizè3' PROG faire six heures

F P il est six heures

Schlupp (1 997:49) affirme que la fonction de ka change avec des verbes promissifs ou

déclaratifs comme promèt (FP promettre), joure ( F P jurer), di (FP dire), et asoure (FP

32 Cette phrase a le rnëme sens que i skè (FP il e . sir heures)

Page 212: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

assurer). Dans ces cas, ka perd ses fonctions aspectuel les [+progressif] [+habituel]

pitératif] et le moment de l'énonciation et le déroulement du procès sont simultanés

(Schlupp 1 997:49):

(207) CGy Mo ka promèt ton fe tou sa to le (requis de AGPEM 1988) je PRES promertretoi faire foutceque tu vouloir

FP je te promets de faire tout ce que tu veux

Quand ka marque l'aspect itératif, il désigne un procès qui n'est pas limité au

cadre de l'énonciation et qui est répété plusieurs fois. Des circonstants tels que &an (FP

parfois), plisyérfiua (F P plusieurs fois), ké fkefiva (F P quelque fois), et tanzantan ( F P de

temps en remps) peut spécifier la fréquence.

(208) (Tchang 1988:41.1): CGy A! Ma f i a ... tanzantan moun ka rnouri

ahh DET foi de temps en temps gens ITÉR mourir FP ahh! ma foi ... de temps en temps les gens meurent

Le marqueur ka indique aussi l'aspect habituel. Comme dans le contexte des

phrases itératives, le procès n'est pas limité au cadre de l'énonciation et se répète, mais

cette fois-ci. le procès est plus fréquent. Il y a souvent des circonstants tels que OU le jou

( F P tous les jours), tout tan ( F P tout le temps) et toujou ( F P toujours) qui spécifient la

fréquence exacte, mais le contexte ne les nécessitent pas toujours.

(209) a. CGy Li ka kriye tou le jou il HAB pleurer tous les jours

FP il pleure tous les jours

(Schlupp 19975 1, requis de Palade 1987): b. CGy LiI c h l o ke limidite ka bay, a konsidere ou ka viv toulong anan

oun kar kifionmen. Lala-a i kajè apeprè 28 degre. lorsque chaleur avec humidiié HAB donner ce considérer vous HAB vivre tout le temps dans DET maison qui fermer alors là il faire à peu près 28 degrés

F P Lorsqu rl fait chaud et humide, c 'est comme si vous viviez tout le temps dans une maison qui est fermée. Alors lh, il fait à peu près

Page 213: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

28 degrés.

Ka peut aussi désigner la valeur habituelle et générique d'une vérité générale,

comme dans les proverbes, les définitions scientifiques et les règles.

(2 1 0) a. CG y Isi nou ka roule adret (Barthélemi 1995:38) ici nom HAB-GÉN rouler à droite

FP Ici nous roulons à droite

b .CGyou ka pran kart kredi? vous HAB-GÉN prendre carte crédit

FP vous acceptez les cartes de crédit?

La valeur générique de ka se voit également quand il n'y a pas de déterminant

avec des syntagmes nominaux sujet indiquant une classe et non pas des individus. S'il y

a un déterminant avec un tel sujet, ka n'a plus de valeur générique.

(2 1 1) (Schlupp l997:52, repris de Tchang 1988): a. CGy Moun ka mouri ... tou le jou moun ka mouri

gens HAB-GÉN mourir tour ies jours gens HAB-GÉN mourir FP Les gens meurent ... tous les jours les gens meurent

b.CGy Moun-yan ka mouri gens DET PROG meurent

FP les gens (en question) meurent

Le marqueur ka est employé avec un sens impératif à valeur stylistique, surtout

dans les contes créoles. En effet, la structure de la phrase en (21 2a) est celle d'un présent,

mais elle est caractérisée comme l'impératif Le sens est le même que celui d'une phrase

avec le morphème zéro et sans pronom personnel (Schlupp 1997:53):

(2 12) a. CGy wou ka ale laba vous IMPÉR aller là-bas

FP vous allez là-bas (allez là-bas)

b. CGy 0 ale laba IMPÉR aller là-bas

F P allez là-bas

Page 214: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Ka est parfois interchangeable avec ke a valeur de futur mais, d'après notre

informateur, cet emploi n'est pas accepté par tous les locuteurs guyanais.

(2 13) CGy WOU ke foute wouko a dlo, rnwen ... mo ka bare pwason-yu .... vous FUT jeter vous-corps (réflexif) à l 'eau moi je FUT empêcher poisson DET

FP vous vous jetterez à l'eau, moi ... je vais empêcher les poissons [de s 'enfirir]

Dans la langue parlée, ka peut référer au passé dans le cadre du présent quand iI y

a un circonstant (comme tulo-a, FP à tour à 1 'heure) qui a une vaieur du passé (SchIupp

199754. exemple de Verderosa, manuscrit non-publié):

(2 14) CGy Li 0 vin talo-a poté oun 1èt bay ou. Li ka di mo a pou mo signen. / il PRES/ANT venir tout à 1 'heure apporter D ET lettre donner vous il PRES/ANT dire je devoir je signer

FP Tout à l 'heure il est venu t 'apporter une lettre. II me dit [m a dit] que je dois [devais] signer.

Ka apparaît aussi avec des lexèmes qui peuvent fonctionner comme des verbes

non-statifs. Toutefois. cet emploi de ka n'est pas admis par tous les locuteurs et notre

informateur nous dit que cet emploi n'est pas très répandu. Dans la phrase ci-dessous,

ka imperfectif est interprété comme un tùtur dans le contexte de négation. Notez que le

marqueur de négation pu se trouve toujours avant les marqueurs TMA.

(2 15) (Tchang 1988: 123.3): CGy to pu ka M l

ru NEG FUT école FP tu ne vas pas à 1 'école

Nous présenterons un traitement plus détaillé de kn au futur en 4.6.4.

4.6.3.2. ka et les verbes statifs

Le marqueur kn peut accompagner certains verbes statifs pour indiquer l'itératif

Page 215: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

ou l'habituel, mais cet emploi de ka n'est pas fréquent. Cette fonction de la particule se

voit généralement dans des phrases complexes qui ont une subordonnée temporelle qui

exprime avec clarté le contexte itératif ou habituel. Notez que le progressif est

incompatible avec les verbes statifs.

(2 16) (Schlupp I997:63): CGy Chak fWé li ka vini, mo (;ka) malad

chaque fois il HAB venir je (HAB) malade FP Chaque fois qu 'il vient, je suis malade.

Le marqueur ka a le même fonctionnement dans des phrases simples qui renvoient à une

vérité générale. Dans le contexte de l'exemple suivant, une mère de deux filles est

souvent absente de la maison et, par conséquent, elle ne connaît pas ce qui se passe dans

la vie de ses filles (Schlupp l997:64, repris de Verderosa, manuscrit non-publié):

(2 17) CGy Ou Save a rnanman dèrnyè ki ka konnèt tu savoir c 'est maman dernier qui HAB connaître/apprendre

FP Tu sais que c est la mère qui apprend [les choses] la dernière

La particule apparaît parfois avec des adjectifs sans un verbe copule.

(2 18) (Tchang l988Al.2): CGy wou ka rnalere laro syèl

nous/on HAB malheureux/pauvre au ciel FP on est pauvre au ciel

L'emploi de ka avec certains verbes commepouve (FP pouvoir), le (FP vouloir) et

mzyo ( F P préférer) ou le présentatif a (FP c 'est) est agrammatical (Schlupp 199756):

(219) CGy *moka pouve fe sa mole I o fi pa la je HAB pouvoir faire ce que je vouloir lorsque il NEG là

F P je peux faire ce que je veux quand il n ésr pas ki

Lorsque ka est antéposé à un verbe statif, il peut désigner l'aspect inchoatif; c'est-

a-dire que la forme indique le début d'une action qui va progresser (Dubois et al

Page 216: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

1973:252). Les lexèmes qui apparaissent avec ka désignent une évolution; ces verbes ou

adjectifs renvoient a une sorte de comportement (fou, FP fou; save. FP savoir

/apprendre/se rendre compte) ou une caractéristique physique (vye, FP vieux; prop, FP

propre). Selon notre informateur, cet emploi de ka est très répandu en guyanais.

(220) a. (Schlupp 1997:67-68, repris de Lohier 1960): CGy alci to ka fou

alors ru iNCH fou F P alors tu deviens fou

b. (Fauquenoy/Stephenson 1988: 14) CGy mu ka vye, me pi mo chive ka vin blan. pi rno ka wè kZè

je lNCH vieillir, mais plus DET cheveux INCH devenir blanc puis je INCH voir clair

F P je vieillis, mais plus mes cheveux deviennent blancs, plus je vois clair

4.6.4. Les marqueurs du futur

Le guyanais emploie plusieurs marqueurs pour indiquer le fûtur: va, a, wa; ke;

ka; k ale; et k 'ay. Nous considérons premièrement les marqueurs va, u, et wa avant de

traiter des autres particules mentionnées.

Les marqueurs archaïques va, a et wa. caractéristiques principalement du guyanais

du XVIII' et XIXe, se voient rarement dans la langue actuelle (Schlupp 1997:78). De nos

jours. w a et a apparaissent dans des locutions figées indiquant l'éventualité, dans des

proverbes et dans des chansons. Toutefois, notre informateur constate que ce sont des

proverbes et chansons du siècle précédent. Ces trois marqueurs sont des allomorphes

renvoyant à l'emploi du futur périphrastique; cette fonction ressemble au funu proche en

fiançais (verbe aller suivi de l'infinitif). D'après ScMupp (1997:84), a et wa expriment

l'aspect accompli du futur. Pourtant, cette proposition est disputée par Fauquenoy

(1 986: 1 17) et Saint-Quentin (1 872: 134) qui déclarent que le guyanais ne distingue pas

Page 217: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

formellement entre l'aspect accompli et inaccompli du fiitur (ce qui est discutable).

Saint-Quentin (1 872: L 92) affirme que wu correspond au français serai et aurai et marque

toute action fùture. (Par exemple, CGy mo wa manje, FP je mangerai; CGy mo wafzni,

F P j 'aurai fino. Fauquenoy (1 986: 1 1 7) constate que a est une fonne élidée de wa, mais

dans les autres créoles des Caraïbes, on dit la même chose à propos de la forme va.

(22 1 ) a. (Parépou l885:U): CGy Nous wa mange tout le de

nous FUT manger tous les deux FP Naus allons manger les deux [les choses que j 'ai préparées]

b. (Schlupp lW7:83, repris de La Landelle 1 842): CGy Loin de ou trop comment m * a fè rete?

loin de vous trop comment je FUT faire rester FP Loin de vous, trop longtemps, comment ferai-je pour rester?

c. (Tchang l988:28.l): CGy Asou kouri n ' a wè 'Z

selon courir nous FUT voir le FP C'est notre manière de courir qui nous départagera /

Selon la manière de faire nous verrons

La forme va est très rare en guyanais et quand on la rencontre, c'est en général

dans l'expression sa va (FP ça va) ou dans des phrases où elle fonctionne comme le verbe

de mouvement alier en français (Schlupp 1 W7:88, exemple repris de Tchang

(222) CGy Apre i va so pu kote après il aller son par côté

FP après il va chez lui

Selon notre informateur, a / wu / va apparaissent très rarement dans la langue de

nos jours. A est le plus fréquent de ces marqueurs, mais n'est employé que par des

personnes âgées.

Page 218: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Ke a deux fonctions: c'est une particule de TMA qui marque le fùtur et un verbe

de mouvement qui correspond au FP s 'en aller au présent.

(223) a. Verbe de mouvement: CGy to ke lachasse (Parépou 1885:130)

tu aller la chasse FP tu vas à la chasse

b. Particule de TMA: CGy nou ke rive ta (Jadfard l997:2O)

nous FUT arriver fard FP nous arriverons tard

Comme particule de TMA, ke correspond au fiitur proche et au fiitur simple en

français et Schlupp (1997:94) nous suggère qu'elle indique un avenir plus proche que wa.

Avec des circonstants dans la phrase, elle indique le futur défini ou indéfini:

(224) a. Futur défini: CGy Mo ke pari dimèn (Parépou 188552)

je FUT-DEF partir demain F P je vais (dois) partir demain

b. Futur indéfini: CGy Nou ke kontre ke l i ' n jou

nou FUT-IND rencontrer FUT-IND le DET jour F P nous la rencontrerons un jour

Ke est aussi un marqueur modal qui marque le certain, le probable et l'incertain. En

général. des adverbes modaux accompagnent le marqueur ke dans de tels cas.

(225) a. Le certain: CGy Sa pa mo ki ke touche ye, atch8 la, pu (Parépou 1 885: 130)

c est NEG moi qui MOD toucher y encore NEG FP Ce n 'est pas moi qui y toucherai encore, non

b. L'incertain: CGy Pitèt mo ke vini (Barthélemi 1995: 159)

peut-être je MOD venir F P je viendrai peut-être

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Schlupp constate que ce marqueur indique égaiement l'aspect accompli du fiitur,

mais Fauquenoy (1972:84) note que ke n'exprime jamais l'accompli du futur. Elle dit

que c'est plutôt la combinaison de te + ke qui l'exprime. Toutefois, notre informateur dit

que ire seul avec ce sens est possible mais n'est pas très répandu. Schlupp (1 997:93,

repris de Contout 1973) nous donne l'exemple suivant de ke comme marqueur de l'aspect

accompli du fiitur:

(226) CGy Mo ke mache pou angnen je ACC marcher pour rien

F P j 'aurai marché pour rien

En plus de sa valeur aspectuelle, ka a une valeur modale du futur. Puisqu'il y a

plusieurs marqueurs indiquant le fiitur, il est difficile d'établir les critères de l'emploi de

chaque particule. Pourtant, Fauquenoy (1972:78) signale qu'en guyanais (à la différence

du guadeloupéen et du martiniquais), ka n'a pas de valeur de futur sans un adverbe de

temps du type diman. Par contre, Boretzky (1983: 14) se demande si les locuteurs

guyanais suivent de manière rigoureuse cette règle.

(227) a. CG y dimèn mo pu ka soti di rno k m demain j e NEG FUT sortir de ma maison

FP demain, j e ne sortirai pas de chez moi

b.CGy mo ka pati jodla je PRES / FUT partir aujourd'hui

FP je pars /partirai aujourd'hui

Selon Horth (1949:47), ka peut remplacer ke lorsque d'action est donnée comme

certaine ou comme conséquence d'une autre action». Schlupp (1 997:95-96) déclare qu'à

l'exception de Horth (1949), «tous les auteurs semblent d'accord sur le fait que par

rapport à ke, ka revoie à des procès fbturs [+ proche] et [+ défini]». Ceci dit, il croit que

Page 220: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

cette définition n'est pas complètement correcte car il y a beaucoup de cas où ka et ke

sont interchangeables sans différence sémantique.

(228) a. (Tchang l998:3.l): CGy moka vin touswit

je FUT venir toute de suite F P je vais venir toutede suite

b. (Schlupp 1997:96): CGy mo ke vin touswit

je FUT venir toute de suite FP je vais venir toute de suite

Les deux marqueurs ka et ke peuvent aussi exprimer des futurs qui sont assez

doignés du moment de I'énonciation; par conséquent, il n'y a pas d'opposition entre un

futur proche désigné par ka et un futur non-proche désigné par ke. De plus, une définition

qui dit que ka exprime un futur plus défini que kz ne serait pas acceptable. C'est que les

deux particules peuvent apparaître avec des circonstants comme dimèn (FP demain) ou

vandredi ( F P vendredi), qui localisent un moment défini dans l'avenir. En outre, le

déroulement des procès fiiturs par rapport au moment de l'énonciation exprimé par ka est

parfois très vague. Selon notre informateur, l'emploi de ka ou ke comme marqueur du

futur est un choix stylistique qui ne change pas le sens de la phrase. Toutefois, Schlupp

( 1 997:99) propose qu'il y a des différences du point de vue énonciatif; quand le locuteur

pense que le déroulement du procès est certain, il choisit ka et quand il croit que son

déroulement est probable. il utilise plutôt ke. Cette variation stylistique est annulée quand

ka apparaît avec un verbe statif et de plus, ka ne se voit pas dans des phrases copulatives

(avec le morphème zéro au présent) où on verrait plutôt le morphème ke (Schlupp

Page 221: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

(229) CGy *Mo ka bèl Mo ke bèl je FUT belle

FP je serai belle

Dans des phrases exprimant la permission ou une promesse, ka peut être interprété

comme très énergique, formel ou même impoli. Avec ke, le contenu de la phrase est

certain, mais avec ka, le même énoncé est un peu douteux. (Schlupp 1997: 1 0 1 ):

(230) CGy Mo ka promèt to mo ke fe 'Z / Mo ke promèt to mo ke fi '1 je te promets de le faire / je te promets que je le ferai

Dans certains contextes (dans la littérature ainsi qu'a l'oral), les morphèmes du

futur sont omis. Bien que ce phénomène ne soit pas très répandu. on le voit parfois quand

la fùturité a été établie auparavant,

(23 1 ) (Bricault 1976a:6O): CGy Si mo te pase la, Tig ke wè mo. i ke manje mu, al6r mo Da ale FP Si je passe devant sa porte. Tigre me verra et me mangera.

Alors je n y vais pas.

Le marqueur k 'ale (contraction de ka ale) marque le fiitur très proche et ne

s'utilise qu'avec des verbes non-statifs. Ce marqueur ne se voit pas souvent avec des

circonstants tels que dimèn (FP demain).

(232) (Tchang l988:38.2): CGy a sa i k'alefè

c 'est cela il FUT faire F P c 'esr cela qu 'il va faire

Le marqueur k 'ay. contraction de ka ay (ka + FP aller) indique aussi le futur

imminent. mais a la différence de k'ale, il apparaît avec des circonstants exprimant le

non-proche, I'indéfmi et l'incertain. D'après Fauquenoy (1 972:83), cette forme «se

rencontre en variante individuelle chez certains sujets d'origine antillaisen et Tchang

Page 222: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

(1 988) présente plusieurs énoncés par un locuteur d'origine sainte-lucienne établi de

longue date en Guyane. Schlupp (1 997:77) note que ((certains locuteurs utilisent k 'uy

parfois comme pur et simple substitut de ... ken. Notre informateur nous dit que k'ale

peut être également un substitut de ke ou k 'ay dans certains contextes.

(233) (Tchang l988:43.I): CGy mwen k'ay jwe vyolon bu WOU

je FUT jouer violon pour vous FP je vais jouer du violon pour vous

4.6.5. Temps complexes

Comme dans d'autres langues créoles, certains marqueurs se combinent pour

exprimer des temps complexes.

4.6.5.1. te dans les temps complexes

Tous les marqueurs du firtur (Voir 4.6.4.) peuvent se combiner avec le marqueur

de l'antériorité te. Certaines combinaisons renvoient à des événements imaginaires et

hypothétiques. au futur par rapport au passe, au futur imminent par rapport au passé ou à

l'irréel. suivant le contexte.

La suite te wu ne se trouve que dans des textes anciens. Cette combinaison

exprime l'irréel du présent et du passé (c-à-d, le conditionnel présent et passé) et du futur

par rapport au passé. Elle n'indique jamais un futur imminent. (Schlupp 1997: 1 13,

exemple de Saint-Quentin 1872:35):

(234) CGy Kouman rno te-wa pouve antre pou mo touche ou bagay? comment je IRR pouvoir entrer pour moi toucher vous quelque chose

FP Comment aurais-je pu entrer chez vous et y toucher quelque chose?

La combinaison t 'a (te + a) est très rare et archaque, mais indique un futur dans

Page 223: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

l'exemple suivant de Saint-Quentin (1 872: 17):

(235) CGy ki moun t'a bay -mo lamori? qui FUT donner moi morue

FP qui me donnera de la morue?

Te ke indique les mêmes sens que te wu, mais cette combinaison est beaucoup

plus répandue et on la trouve dans la langue actuelle en Guyane. L'exemple ci-dessous

exprime I'inéel au présent:

(236) (Tchang l988:52.l): CGy mo te kz byen kontan

je IRR bien content F P je serais biedtrès content

Cette combinaison exprime également le futur proche par rapport au passé

(Schlupp 1997: 1 16, exemple repris de Jean Louis 1986437):

(23 7 ) CGy mo te ke propoze ' w marye ke l t 3 je FUT proposer vous mariage avec elle

FP je voulais vous proposer mon mariage avec elle

La suite te ka exprime l'inaccompli dans le passé et, selon le contexte. cette

combinaison exprime l'aspect progressif, itératif ou habituel dans le passé.

(238) a. (Tchang 1988:81.1): CGy Me i gen 'n jou, Makuk te ka pase ....

mais il y a DET jour Macaque PROG passer F P Mais un jour, Macaque était en train de passer.. . .

b. (Schlupp l997:6O, repris de Fauquenoy/Stephenson 1988): CG y i te k a vini souvan kote to tonton, ke to kouzen Sonson

il I TÉR venir souvent côté ton oncle avec ton cousin Sonson F P il venait souvent chez ton oncle et avec ton cousin Sonson

c. (Tchang 1988: 1.2): CGy Me tou le midi ... Obàni te ka ale obo dilo-api te ka

chante, poson-a te ka vini, ye te ka manje, ye te ka fi lasyès .... / mais tous les midis Obani HAB aller au bord de eau DET puis HAB

33 Notez que ke correspond égaiement au mot FP avec.

Page 224: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

chanter poisson DEL HAB venir ils HAE3 manger ils HAB faire sieste

F P Mais tous les midis, Obani allait au bord de 1 'eau et chantait, le poisson venait, ils mangeaient, ils faisaient la sieste .. ..

D'après Schlupp (1 997:64), te ka peut souligner le caractère habituel ou itératif

d'un état dans le passé, mais ce n'est pas très répandu; te ka est souvent remplacé par te

seul dans ces cas-là. Cette combinaison apparaît dans des phrases simples ou

subordonnées, avec un deuxième verbe accompli marqué par le morphème zéro ou avec

un deuxième verbe aussi a i'inaccompli.

(239) a. (Schlupp 1 997:58, repris de Rattier 1988): CGy Tipolo te ka fini so twalèt, Ib so so Elodi 0 vini di li: . ...

Tipolo INACCfinir sa toilette lorsque sa soeur Elodie ACC venir dire fui

FP Tipolo terminait sa toilette lorsque sa soeur Élodie vint lui dire

b. (Schlupp l997:58, repris de Verderosa 1928): CGy Pov Mouche fi te ka kriye lb ii te ka di mo sa

pauvre Monsieur il iNACC pleurer lorsque il MACC dire moi ça FP Le pauvre Monsieur. il pleurait lorsqu 'il me disait cela

On voit te ka avec le verbe existentiel gen (FP i iy a ) et aussi antéposé aux adjectifs.

(240) a. CGy li te ka gen bari divin ... . (Parépou 1 885 : 1 52) il PROG y a barils vin

FP il y avait des barils de vin . . . .

b. CGy .... guiambel yela teka bel (Parépou 1885:lOO) guiambelle DET PROG belle

FP ... . les guirrmbelles3i étaient belles

Te ka marque également le mode irréel du présent et du passe où le déroulement

du procès est considéré comme certain du point du vue de l'énonciateur. D'après

Schlupp ( I 997: 1 17), cette suite exprime «un degré de réalité plus élevé)) que te ke, mais

Y guiambel: danse traditionnelle des femmes

Page 225: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

ce sens de te ke n'est pas accepté par tous les locuteurs guyanais. Pour certains locuteurs,

la combinaison te ke exprime plutôt l'inaccompli dans le passé. Dans les exemples

suivants, la suite te ka a la valeur de l'irréel, mais dans le même texte de Tchang (1 988) et

dans d'autres références, la combinaison te ke ou le verbe seul (le contexte ayant établi

antérieurement) a une nuance sémantique de l'irréel.

(241)a.CGy motekaba li~y-a(Tchang1988:31.1) je IRR donner luijîlle DET

FP je lui donnerais la fille

b. CGy mu te ke le rere m e - a (Jadfard 1997:ZO) je I R R vouloir rester soir DET

F P je voudrais rester encore une nuit /je voudrai rester encore une nui**

De plus, Contout (1973, dans Schlupp 1997:62) dit que cette combinaison peut exprimer

le futur imminent par rapport au passé, mais nous n'avons trouvé aucun exemple dans des

corpus modernes. Notre informateur ne connaît pas cette valeur de te ka; il emploie

plutôt te ke, te k 'ale ou te k 'W.

Les suites te k 'ale, te ka ale et te k 'ay avec un verbe non-statif peuvent exprimer

le futur imminent par rapport au passé. Te k'ay est aussi employé (surtout par des

locuteurs d'origine sainte-lucienne) pour exprimer l'irréel du présent et du passé ou le

futur repérés par rapport à un repère passé. Schlupp (1997: 1 19) affirme que te k'ay a

depuis longtemps supplanté te ke en saint-lucien, un phénomène qui se trouve aussi en

martiniquais.

(242) (Tchang 1988: 128.3): CGy Mo pu te k'ay dako pou maye epi fiy wu

je NEG IRR d 'accordpour marier mecfille roi

-

'' Jadfard (1 997:20) dit que le verbe en b. se traduit en FP voudrtzj, mais nos informateurs nous disent que c'est plutôt FP voudrais.

Page 226: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

FP je ne serais pas d'accord de me marier avec la fille du roi

Il y a certaines combinaisons qui ont tendance à apparaitre dans d'autres créoles

des Petites Antilles qui n'existent pas en guyanais. Par exemple, Fauquenoy (1 972:84)

affirme que la séquence ke + ka est toujours agrammaticale en guyanais et Schlupp

(1 9997: 1 2 1 ) ajoute que te ke ka ne se voit pas non plus. Ke seul exprime l'aspect

inaccompli dans le funu.

(243) C G y m o k e manje je WACC mangé

F P je mangerai

Pour présenter une action qui signale le progressif futur, le guyanais peut

employer la forme archaïque wa à côté de ke, mais cette combinaison est assez rare.

Bernabé (1 983: 1067) affirme que «cela ne peut que conforter notre analyse selon laquelle

ke ne doit pas être mis sur le même plan que les morphèmes de présent et de passé». Ceci

souligne aussi «la tendance haïtiencentrique)) (Bernabé 1983: 1035) de plusieurs créolistes

qui adaptent le modèle descriptif de l'haïtien a l'étude des autres langues créoles.

4.7. La syntaxe des marqueurs

Nous avons maintenant analysé le fonctionnement des marqueurs préverbaux de

TMA dans chaque créole de l'étude. Comme point de départ, nous avons accepté I'ordre

des marqueurs où «T (temps) occupe une position priviligiée, M (mode) ... est en position

intermédiaire ... [et] A (aspect) se trouve en dernière position)) (Waterrnan 1994:74). Les

autres créoles de notre étude suivent la projection de TMA de l'haïtien proposée par

Lefebvre (1 986a. Tableau 1 1, page 1 17). L' ordre invariable dans tous les créoles

examinés ici suit l'hypothèse de Bemabé (1 987) qui suppose que cette configuration

Page 227: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

apparait dans tous les créoles de la zone atlantique. D'après Givon (l982: 127):

This ngid order ... seems to clearly correspond to a scope gradation: The non-punctual aspect has oniy the verb under its semantic scope. The modal operator has the larger proposifion/sentence scope. whi le the anterior has the widest, discourse ~ c o p e . ~ ~

Cependant, une question fondamentale se pose à propos de cet ordre: est-ce que cette

organisation indique que le temps a une plus grande importance que l'aspect dans les

langues créoles? Autrement dit, est-ce que cette configuration désigne une véritable

représentation du rôle des marqueurs préverbaux?

Le morphème zéro marque le présent dans des phrases ou il n'y a pas de verbe en

surface. De plus, te indique le passé dans des énoncés du même type. Par contre, dans

les créoles des Petites Antilles, ka marque le présent et le morphème zéro marque le passé

des phrases avec un verbe non-statif. Selon Waterman (1994:74), il y a une dissymétrie

dans les systèmes verbaux et le statut des marqueurs n'est pas évident. Elle présente trois

principes pour expliquer les tendances syntaxiques des marqueurs en martiniquais

(244) Principe 1 : Dans une phrase simple ou V = copule, ka ne peut apparaître en surface. En revanche. dans une phrase complexe, ka apparaît en surface si la phrase enchassée est introduite par le morphème Iè FP lorsque].

Princim 2: Lorsque les constituants immédiats d'une phrase constitutent un système d'équation a deux X=Y, V (= copule) n'apparaît pas en surface.

Principe 3 : Lorsque les constituent5 immédiats d'une phrase P constituent une équation à deux X = Y, V (copule) n'apparaît en surface que si P a une valeur attributive auquel cas SN comporte

36 La configuration TMA semble correspond nettement à une gradation de portée: L'aspect non-ponctuel n'a que le verbe dans sa portée; l'opérateur modal a une plus grande ponée phrastique; et l'antérieur a la plus large ponée du discours.

Page 228: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

obligatoirement un article.

D'après ces principes, ka peut être interprété comme un marqueur aspectuel de

l'inaccompli et cette valeur aspectuelle semble dominer la valeur temporelle du présent.

Suivant le Principe 1, CM Pd ka chaman serait agrammatical tandis que Pd ka chaman

Zè i ka di sa (FP Paul est charmant Iorsqu 'il dit cela) serait accepté par des locuteurs

martiniquais. Lè a une valeur aspectuelle de l'habituel et il semble que la présence de ko

est liée à celle du mot lè (Wateman 1994:76). Par conséquent, ko est une particule

aspectuelle dans cet exemple. De même, le morphème te, qui est généralement considéré

comme un marqueur temporel du passé, a une valeur aspectuelle de l'inaccompli dans des

énoncés où il n'y a pas de verbe en surface (ex. CG gato-a te bon, FP le gâteau est bon).

Néanmoins, dans un exemple du type CG Ji1 te ka zouke (FP Gilles damait), te est dans

la position temporelle et ko est dans la position aspectuelle. Puisque l'ordre des

particules ne peut pas être inversé (CGICMICSWCGy *kt2 te?, nous pouvons dire que ka

marque l'aspect tandis que te marque le temps.

De la même façon. en haïtien la configuration grammaticaie ie a p (t 'ap) ne peut

pas être inversée non plus (ex. Adel t 'apfe mennaj, FP Adèle faisait le ménage); té

marque le temps (l'antériorité) et ap marque l'aspect (imperfectif). L'ordre des

marqueurs, maigré quelques différences de manifestation (ex. PA ka vs. CH ap; PA/CGy

ke vs. kaj vs. kaj), est donc te même dans tous les créoles de notre étude. Ainsi, le

mouvement verbal et la flexion verbale de l'haïtien décrits en 3.17. ont des

correspondances exactes en guadeloupéen, martiniquais, saint-lucien et guyanais.

Les deuxième et troisième principes proposés par Wateman (1 994). ils se

Page 229: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

rapportent aux similitudes sémantiques et aux différences syntaxiques des phrases CM

Mari pwofesè et Mari se an pwofisè (FP Marie est un proj-,~~eur).37 Dans la première

phrase, le complément apparaît sous SA (syntagme attributif) tandis que, dans la

deuxième, le complément apparaît sous SN (syntagme nominal). Le système est

redondant parce qu'il y a deux structures syntaxiques différentes qui expriment le même

sens. De plus, la présence ou l'absence de la copule en surface est cruciale dans les

systèmes verbaux créoles et, en effet, Waterman m e que le morphème zéro est «le

pivot>} du système martiniquais. Nous élargissons cette déclaration en disant que ce

morphème (qui nous rend des phrases dépouillées) joue un rôle important dans tous les

créoles. En outre, il est évident que les formes verbales «temporelles» comprennent

également les notions aspectuelles et modales ce qui illustre non seulement l'ambiguïté

de temps, mode et aspect mais aussi leurs chevauchements fonctionnels.

4.8. Résumé de TMA en CG, CM, CSL et CGy

Nous avons vu qu'il existe plusieurs similitudes entre les créoles des Petites

Antilles et de la Guyane. mais qu'il existe également certaines distinctions, surtout au

niveau de la sémantique. Le tableau récapitulatif ci-dessous illustre où se trouve ces

similitudes et différences.

37 CM Mari an pwofesè et Mari se profit? seraient des phrases agrammaticales.

Page 230: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Tableau 15 - L'inventaire des marcmeurs de TMA en CG. CM. CSL et CGV

- - --

* A * 1 * ~à Guadeloupéen Martiniquais Saint-lucien Guyanais

6 A = temps antérieur; 1 = mode irréel; N = aspect non-ponctuel (inaccompli). b = formes qui sont assez rares

Page 231: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Conclusion

La réalisation de TMA telle qu'on la retrouve dans les créoles est caractéristique

de ces langues. Elles connaissent peu de flexion morphologique et temps. mode et aspect

sont exprimés par des morphèmes libres préposés aux verbes invariables. En fait. les

créoles donnent prionté aux différences aspectuelles et modales. II y a toujours des sous-

entendus modaux avec les morphèmes temporels ou aspectuels. La futurité. par exemple.

n'est jamais un concept purement temporel et inclut les notions modales de la certitude et

l'incertitude. Un chevauchement entre le temps et le mode est donc évident dans les

morphèmes de futur. De plus. il y a une tendance à associer l'aspect imperfectif avec des

modes irréels puisque tous les deux servent à donner de l'information de base dans le

discours.

Nous admettons l'existence d'un système TMA central, mais il n'est pas valable

de parler des créoles des Caraïbes à base lexicale française comme des langues

homogènes: leurs systèmes verbaux se séparent en partie des descriptions traditionnelles.

Damoiseau ( 1 985: 159) signale que les unités préverbales de chaque langue. «chacune

ayant une valeur spécifique au sein d'un système. fonctionnent comme des révélateurs

d'un certain type de rapports existant entre sémantique et syntaxe sur un point particulier

Page 232: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

du fonctionnement de chacune des ... langues». Certes, la grammaire est un tout où la

morphosyntaxe et la sémantique sont indépendantes mais reliées; la morphosyntaxe et la

sémantique imposent leurs propres contraintes sur les structures grammaticales de la

langue en question. Il existe des traits prototypiques créoles, une correspondance de sens

entre un système et un autre et ce que Palmer (1986:3) a nommé l'équivalence

translatiomelle. Pourtant, il y également une certaine variation interlinguistique.

Les notions de TMA ne sont pas aisément définies, malgré toute la littérature

disponible. On peut dire que le temps situe l'événement dans la temporalité, l'aspect

caractérise la structure temporelle interne de l'événement et le mode décrit la réalité de

l'événement. Toutefois, ce sont des d e f ~ t i o n s très simples qui ne tiennent pas compte

de toute la complexité de ces notions. Le concept de temporalité lui-même est abstrait et

des chevauchements entre les catégories de TMA les rendent ambiguës. Une

compréhension claire nécessite souvent un contexte qui est naturellement disponible dans

le discours, mais qui est parfois dificile à établir pour un seul énoncé hors du contexte.

I l y a parfois des cas où un marqueur est sous-entendu et la disambiguisation est

facile. Nous avons illustré, par exemple, qu'en guyanais. un locuteur ne doit pas

nécessairement toujours répéter une deuxième fois une particule de TMA dans une phrase

complexe. L'usage du marqueur dans la première partie de la phrase implique que le

temps est le même dans la deuxième partie. Nos informateurs nous disent que le même

phénomène se voit dans les autres créoles étudiés.

La dynamicité du verbe est un trait qui est essentiel a la catégorisation de TMA.

La plupart des langues divisent leur syntagmes prédicatifs en au moins deux types de

Page 233: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

constructions qui, du point de vue sémantique, correspondent souvent à une classification

dynamique (non-statz%) : statifdes prédicats. Dans les langues créoles de cette étude, la

dynamicité est fondamentaie car certains morphèmes ont un sens différent s'ils

apparaissent avec un verbe statif ou non-statif. Par exemple, en guyanais le marqueur

d'antériorité te indique un procès antérieur par rapport a un autre procès pour des verbes

dynamiques (FP plus-que-parfait) et renvoie au passé pour des verbes statifs (FP passé

composé ou impatfait). Dans la même veine. un marqueur du progressif te1 que CGy ka

n'apparaît pas avec des verbes (ou prédicats) statifs. Par exemple, un locuteur guyanais

dirait rno ke mafad plutôt que mo ka malad, en empioyant le marqueur du prospectif ke.

Bickerton (1981) propose que les créoles encodent T'MA de façon identique, ce

qui n'est correct qu'en partie. Bien sûr, les catégories de TMA sont encodées par des

marqueurs préverbaux dans chaque langue de notre étude. Chaque système verbal créole

est construit à partir de morphèmes qui s'emploient seuls ou en combinaison pour

renvoyer à des significations de TMA. Néanmoins, l'inventaire et la sémantique des

marqyeurs se distinguent souvent et les combinaisons de ces morphèmes n'ont pas

toujours des sens identiques dans tous [es créoles.

En fait, c'est plutôt du côté sémantique que du côté syntaxique que nous trouvons

les différences principales. Dans chacune de ces langues, les éléments de TMA se

trouvent dans INFL et tous les marqueurs sont en position préverbale. La configuration

correspondant à la combinaison des morphèmes préverbaux est fixe et commune à toutes

ces langues; l'ordre est toujours TMA (temps, mode, aspect) et ce sont des notions qu'on

Page 234: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

ne peut pas isoler complètement l'une de l'autre.38 Ceci dit, le contenu varie selon la

langue.

Tableau 16 - L'inventaire des marcpeurs de TMA en CG. CM, CSL. CGV et CH

~ A = I + N ~ Guadeloupéen Martiniquais Saint-Lucien Guyanais Haîtien

av ap/apral?ipou? te r 'ap r 'ait 'a-va

Ci A = temps anterieur: 1 = mode irréel: N = aspect non-ponctuel (inaccompli) b = forme qui sont assez rares

Des morphèmes de TMA. deux sont communs à toutes les langues de l'étude: le

morphème zéro et te. Il existe égaiement d'autres marqueurs de TMA: CH a-va (et ses

a allophones vu. m7 et a). ap (et ses variantes pe et ape), apr-al (et ses allophones pr-ale et

pr-al) et poli: CG/CM/CGy ka et ke/k 'ay; CM se; CSL kay et anou; et CGy a/va/wa et

k 'ale. Dans certains cas. les particules de TMA ne se ressemblent pas de manière

phonologique mais par leurs similitudes fonctionnetles. Dans d'autres cas. elles ont

certains fonctionnements qui démontrent ta diversité sémantique et sptaxique des

systèmes verbaux créoles.

" Cependant. i l est possible d-avoir deux marqueurs aspectuels dans un seul énoncé. comme dans CG Eric re ke k a zouke (te ke ko = ANT PROSP PROG, FP Eric serait en train de danser). Par contre, i l csr possible que ke est un marqueur de l'aspect prospectif dans la combinaison te ke. mais que ce morphème expriment le mode irréel du fiinir dans la combinaison te ke ka. Ceci illustre l'ambiguïté des catégorisations et le chevauchement des notions.

Page 235: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

Tandis que les langues traitées ont plusieurs similitudes, il y a quand même

certaines distinctions. Par exemple, le morphème te exprime l'anté~iorité dans tous les

créoles de notre étude, mais en guyanais cette particule marque parfois l'irréel aussi (bien

que te ke soit plus répandu). Même plus notable est l'usage du marqueur ka dans les

créoles des Petites Antilles et de la Guyane à la différence de ap en haïtien. Ka marque le

futur ainsi que l'aspect inaccompli, progressif, habituel et itératif dans ces langues. Ka

marque aussi l'inchoatif et l'impératif à valeur stylistique (surtout dans les contes) en

guyanais, et est parfois interchangeable avec ke. D'après nos informateurs, le morphème

zéro est le marquetir de l'impératif et de l'inchoatif dans les créoles des Petites Antilles.

Ap en haïtien marque aussi le futur défini39 et l'aspect progressif et habituel.

Néanmoins. la littérature ne mentionne aucun usage de ap comme marqueur de l'itératif,

de l'impératif ou de l'inchoatif. Notre informatrice haïtienne nous dit que les adverbes et

le morphème zéro marquent l'itérativité, l'inchoativité et l'impératif en haïtien. Les

marqueurs ka et ap correspondent pour la plupart, mais si nous acceptons que ka marque

I'itérativité. l'inchoativité et l'impératif, le sens du marqueur ka semble être légèrement

plus vaste que celui de ap (imperfectif) en haïtien. Cependant, il y a deux ap en haïtien,

un qui marque l'imperfectif et l'autre qui marque le futur défini. Dans ce sens. la

sémantique de ap est plus large que celle de ka.

En ce qui concerne CH pou, marqueur du subjonctif. nous ne trouvons aucun

exemple de ce morphème avec le même sens dans les autres créoles. D'après nos

informateurs, on constate que pou se trouve parfois comme marqueur du prospectif

- -- - - - - 39 Les marqueurs du Futur CH ap et CG/CM/CGy/CSL ke/kuy se trouvent dans la catégorie du mode irréel, re étant le seul marqueur temporel (distinguant l'antérieur du non-antérieur).

Page 236: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

(CG Jan pou pari; FP Jean est pour partir /Jean est sur le point de partir) aux Petites

~ n t i l l e s . ~ ~ Schlupp (1 997: 133-135) &me qu'en guyanais, pou se voit dans les

combinaisons pou ka et pou ke, des variantes stylistiques du fiitur, et dans la combinaison

te pou ka, qui marque l'inaccompli dans le passé et l'irréel du présent ou du passé.

Néanmoins, notre informateur déclare que ces combinaisow sont assez rares. Il n'y a

aucun marqueur du subjonctif dans les créoles autre que l'haïtien. Des constructions avec

fok et le morphème zéro expriment l'équivalent aux Petites Antilles (CGfik lipati; FP il

faut qu 'il parte). Dans d'autres exemples, zéro seul marque le subjonctif (CG Dye

proteje vou; FP Que Dieu vous protège) et la combinaison te ke situe un subjonctif dans

le passé (CG fok li re ke pari; F P il faudrait qu 'il parte).

Le marqueur apr-al en hai'tien indique l'aspect prospectif et il n'existe pas de

marqueurs correspondants dans les autres créoles de l'étude. En effet, la sémantique de

ce marqueur est ambiguë parce qu'elle se situe entre celle d'un marqueur modal et celle

d'un marqueur aspectuel. Si nous pensons que l'événement est sur le point de se passer,

apr-al est un marqueur modal; si nous croyons que l'événement n'a pas encore

commencé au moment de l'énonciation, apr-al est plutôt un marqueur aspectuel. Ce

morphème a aussi des sous-entendus temporels puisqu'il marque le futur très proche.

Dans les créoles des Petites Antilles et de la Guyane, k e h y marque le prospectif, mais

seulement avec un sens d'une action ou un état présenté comme a venir. La sémantique

de ke et kay n'est pas si spécifique que celle de apr-al en haïtien; avec ke/kuy,

l'événement peut être sur le point de se passer ou peut se passer beaucoup plus tard.

" Un exemple se trouve également dans Ludwig et al 1990:265.

Page 237: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

On peut parfois identifier des sens communs intedinstiquement dans l'ordre

invariable des particules préverbales. Par exemple, la combinaison CG/CM/CSL/CGy te

ka ( M T PROG/HAB) correspond a CH f 'ap (ANT IMPF); les deux indiquent le

progressif au passé qui correspond à l'imparfait en français. Pourtant, quand nous

examinons les temps complexes dans chacune de ces langues, il devient évident qu'il

existe piusieurs distinctions sémantiques aussi.

Il y a beaucoup de différences entre les temps complexes avec CH ap et PA kn.

D'abord, il faut réitérer qu'il y a deux ap en haïtien, un qui marque le futur défini (et la

certitude) et l'autre qui marque l'imperfectif. Il y a un deuxième morphème a-va qui

indique le fitur indéfini (et l'incertitude). Par contre, dans les créoles guadeloupéen et

martiniquais. ke seul (qui correspond a CSL kay) indique le mode du htur défini ou

indéfini (l'intention, la potentiaiité, le désir et le souhait en particulier) ainsi que l'aspect

prospectif. Suivi du marqueur du progressif ka, ke exprime le progressif au futur défini

ou indéfini. En haïtien, il y a deux combinaisons qui correspondent à CG/CM ke ka. CH

ap ap marque le futur progressif et ap aprai marque le futur prospectif (FP sera sur le

point de). La combinaison kay ka en saint-lucien correspond à CGKM ke ka, une

combinaison qui est agrammaticale en guyanais.

En guyanais, il y a plusieurs marqueurs du futur: CGy ke/k'ay seul exprime la

futurité, un marqueur qui est souvent interchangeable avec ka pour des raisons

stylistiques; CGy k aie marque le tittur très proche avec des verbes non-statifs; CGy te ka

exprime parfois la hturité; dans des textes anciens, CGy va, a, ou wa exprime la fiturite;

et CGy te wa exprime le fiitur progressif. En ce qui concerne le mode, ka exprime la

Page 238: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

certitude alors que ke exprime le probable.4'

Dans des temps complexes avec trois marqueurs préverbaux. il y a également des

distinctions entre tes divers créoles. A première vue, le sens de la combinaison PA te ke

ka semble correspondre au sens de CH i 'op pal. Pourtant, les deux combinaisons ne

sont pas équivalentes. La combinaison PA te ke ka (ANT PROSP PROG) marque le

conditionnel progressif (FP serait en train de); CH t 'ap ap (ANT FUT-DEF IMPF) rend

une interprétation du conditionnel défini progressif (FP aurait été en train de); CH t 'ap

pral (ANT FUT-DEF PROSP) marque le conditionnel défini prospectif (FP serait sur le

point de).42 En guyanais, la combinaison te ke ka est agrammaticale; te ke exprime le

conditionnel, soit prospectif, soit progressif.

Dans cette thèse, nous avons examiné les systèmes verbaux des langues créoles

afin de mieux comprendre le fonctionnement de ces systèmes. Nous avons soulevé

certaines ambiguïtés sémantiques des systèmes verbaux et nous avons illustré co rnen t

les notions de temps, mode et aspect se manifestent dans chacune de ces langues. Alors

que les notions de TMA sont universelles, nos résultats vérifient que te caractère du

fonctionnement temporel, aspectuel et modal de ces langues est particulier aux langues en

question, ce qui apporte une contribution importante a la créolistique ainsi qu'aux

théories générales de TMA. En concentrant sur les morphèmes libres préverbaux, nous

n'avons pas traité de toutes les manifestations de TMA qui expriment ces notions, comme

des adverbes et des verbes ou auxiliaires modaux. Ce sera peut-être un sujet à considérer

pp - --

4 1 Dans les énoncés avec un verbe (ou un prédicat) statif, cependant, le choix est toujours ke (ex CGy Mo ke bè1; *Mo ka bèi) puisqu'un marqueur du progressif n'apparaît pas avec les verbes statifs. 42 Notez qu'il y a un marqueur temporel et deux marqueurs aspectuels dans la combinaison des Petites Antilles, alors qu'en haïtien, il y a un marqueur pour chaque notion de TMA.

Page 239: Temps, mode et aspect: Ies créoles des Caraïbes Q base tericale ...

à une date ultérieure.

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