Spiritualites Et Religions Ressources Pour Le Vivre Ensemble Republicain

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RELIGIONS ET SPIRITUALITÉS Des ressources pour le vivre ensemble républicain ? (Document de travail) 1

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RELIGIONS ET SPIRITUALITSDes ressources pour le vivre ensemble rpublicain?(Document de travail)Introduction: INTRODUCTION

Lassociation Dmocratie et Spiritualit souhaite apporter sa contribution au dbat qui anime aujourdhui notre pays et plus largement lEurope sur la place des religions dans les socits dmocratiques. Cette question revt cependant un caractre spcifique en France du fait de la charge symbolique du thme de la lacit et de ses applications diffrentes selon les dfinitions que lon en donne.

Aussi lintitul de la contribution: Religions et spiritualits : quelles ressources pour le vivre ensemble rpublicain? pourra paratre provocateur certains. Celui-ci est mettre en perspective avec lobjet de notre association rfr lintuition fondatrice telle que la prsente son Prsident Jean-Baptiste de Foucauld: Lintuition fondatrice de Dmocratie et Spiritualit repose sur lide que la dmocratie, pour saccomplir pleinement, doit sappuyer sur des forces morales et spirituelles (au rang desquelles figurent les religions), ventuellement devenir elle-mme une source d'approfondissement spirituel, et que, paralllement, les religions et les spiritualits ont besoin dune rgulation dmocratique pour parer au pril de lintolrance ou de lvasion hors du monde qui les menace toujours ainsi que pour contribuer utilement au vivre ensemble. Une fcondation mutuelle est donc ncessaire et possible, tout en allant pas de soi et devant tre invente en chaque circonstance (Jean-Baptiste de Foucauld).

A quelles conditions linteraction entre dmocratie et spiritualit peut-elle enrichir la dmocratie, compte tenu de la crise actuelle des valeurs, sans nuire la lacit entendue comme sparation dans lespace public du politique et du religieux, cest lenjeu de notre rflexion.Aujourdhui nous sommes loin de cette fcondation mutuelle. La place des religions en France a volu: le christianisme a perdu de son audience et la baisse de la pratique est constante. En revanche lislam est devenu la deuxime religion en France; certaines de ses composantes cherchent imposer dans lespace public des normes culturelles lies lislam qui heurtent notre conception de la lacit.Ces volutions dordre religieux ne doivent pourtant pas occulter la crise morale et spirituelle sur fond de crise sociale et conomique qui affecte notre pays au sein dune Europe elle-mme traverse par des mouvements contradictoires. Louverture des frontires au sein de lUnion europenne, les migrations, et la mondialisation des changes contribuent dvelopper un multiculturalisme europen et non europen qui met lpreuve notre tradition rpublicaine. Laccroissement des ingalits cre un foss entre les classes sociales et en particulier avec les plus jeunes. Au sein de la population des jeunes adultes, les plus en difficult sont issus de limmigration post coloniale qui, ne se sentant pas reconnus, dveloppent un sentiment de rejet lgard de notre socit. Ils connaissent des formes de discrimination graves et les quartiers o ils habitent, en cours de ghettosation, deviennent souvent des espaces de relgation.Le consensus sur un certain nombre de comportements civiques et citoyens, transmis avec les principes dune morale rpublicaine et laque hrite de notre longue histoire, est remis en cause par la dnaturation du patrimoine culturel et symbolique de la socit et la perte du sens commun de nombre de ses membres. Plus profondment, il sagit pour certains dune crise de civilisation.TABLE DES MATIERES 1. NOTRE MODELE LAIC ET REPUBLICAIN CONFRONTE AUX MUTATIONS RELIGIEUSES ET AUX TENSIONS CULTURELLES

1.1 Les mutations du paysage religieux et lmergence de nouvelles formes de spiritualit.

Les mutations des comportements religieux.

Lmergence de nouvelles formes de spiritualit.

1.2 Tensions interculturelles

Une difficile prise en compte de la diffrence culturelle et religieuse

La diffrence culturelle intgre dans laction publique

Un regard diffrent de celui des mdias sur les religions et les spiritualits.

1.3 Un vivre ensemble difficile. Le modle dintgration la franaise remis en question

1.4 Des perspectives

2. CE QUE VEUT DIRELE VIVRE ENSEMBLE EN REPUBLIQUE ET LA CONSTRUCTION DU SUJET DEMOCRATIQUE.

Vivre ensemble dans un monde multiculturel, multi-religieux et fraternel.

La Rpublique et la construction du sujet dmocratique.

3. QUEL COMPROMIS REPUBLICAIN AUTOUR DE LA QUESTION CULTURELLE ET RELIGIEUSE?3.1 LEglise et lEtat sont-ils spars?

3.2 La culture une et indivisible de la Rpublique peut-elle rsister au multiculturalisme?

4 UNE QUESTION INCONTOURNABLE: CE NOUVEAU PAYSAGE RELIGIEUX ET SPIRITUEL PEUT-IL ETRE UNE RESSOURCE POUR NOTRE VIVRE ENSEMBLE?

4.1 Un regard sur les religions comme ressources.

Les deux facettes des religions

Il nen reste pas moins que les religions restent des ressources

4.2 Education familiale et apprentissages moraux

4.3 Les spiritualits comme ressources pour lhomme dmocratique

5 SI LES RELIGIONS ET LES SPIRITUALITES SONT DES RESSOURCES, COMMENT LES METTRE EN UVRE?5.1Problmatique pour la construction dun vivre ensemble multiculturel, religieux et spirituel

Problmatique pour la construction dun vivre ensemble intgrant les dimensions multiculturelles, religieuses et spirituelles

5.2 Les prconisations (pistes de travail discuter)Axe daction 1: Promouvoir un processus visant la dfinition dun cadre global, transculturel permettant un vivre ensemble intgrant la diversit culturelle, religieuse et spirituelle.

1.A Elaboration de lois et de rgles simposant tous

1.B Clarification des valeurs de comportements norms fondateurs du vivre ensemble1C Clarification des valeurs permettant chaque personne de se structurer et de souvrir

Axe daction 2: Actions concrtes dans les territoires permettant un vivre ensemble intgrant la diversit des cultures, des religions et des spiritualits.

2.A Elaboration locale daccommodements raisonnables avec formalisation rglementaire2.B Promotion de mthodes, de processus, de mode de collaboration facilitant laction communautaire et llaboration du vivre ensemble effectif

2.C Promotion de mthodes et de processus favorisant prise de conscience et implication personnelle

Axe daction 3: Actions pour le respect entre communauts nationales, religieuses et spirituelles et mise disposition du patrimoine religieux et spirituel

3.A Respect des communauts et mise disposition de tous des ressources religieuses et spirituelles

3.B Travail sur lapptence et la bienveillance culturelle, religieuse et spirituelle rciproque

3.C: Travail personnel sur louverture et la bienveillance culturelle et religieuse/spirituelle et personnelle1. NOTRE MODELE LAIQUE ET REPUBLICAIN CONFRONTE AUX MUTATIONS RELIGIEUSES ET AUX TENSIONS CULTURELLESLe vote de la loi sur la sparation des Eglises et de lEtat, en 1905, sest accompagn de tensions et de conflits avec lEglise catholique, alors dominante dans la socit franaise, mais peu peu des compromis ont t invents et accepts. LEglise catholique a fini par trouver sa place aprs les Eglises protestantes et la communaut juive, au sein de la Rpublique sur la base dune lacit accepte par tous.En 1984 le conflit propos du projet dun grand service public unifi et lac de l'ducation nationale et les manifestations de 1994 contre le projet rvisant la loi Falloux ont t les dernires grandes querelles sur la lacit mettant en cause directement les relations de lEglise catholique et de lEtat au sujet de lcole. Les mouvements rcents autour des questions thiques ne sont pas de mme nature que ceux lis la lacit au dbut du XXme sicle. Les religions sont entres dans le jeu dmocratique du lobbying au mme titre que les autres groupes de pression. Ainsi les rcentes manifestations sur le mariage pour tous, malgr leur vigueur, nont pas t accompagnes dune remise en cause de la lacit. Il convient cependant danalyser le processus adopt pour faire voter ce texte. Une mthode de dbat public plus participative aurait permis de faire avancer la qualit de notre vie dmocratique et denrichir notre capacit vivre ensemble sans anathme.Toutefois, aujourdhui, la fin de laffrontement ancien entre lEglise catholique et lEtat a laiss la place des difficults nouvelles qui tendent remettre en cause le compromis rpublicain entre lEtat et les religions pniblement construit au cours du sicle prcdent. Trois phnomnes socio-culturels importants expliquent cette situation, indite pour notre pays: dabord dimportantes mutations du paysage religieux et spirituel, avec notamment une affirmation croissante de lislam dans lespace public, ensuite lmergence de tensions interculturelles rendant plus difficiles le vivre ensemble sur un certain nombre de territoires; enfin la rsurgence de tensions entre les religions et le pouvoir politique actuel loccasion des rformes socitales en cours. Il convient donc de parler dune nouvelle crise du modle lac et rpublicain du fait du malaise croissant sur la place rserver aux religions dans la rpublique, non seulement celle de lislam qui est en phase de croissance, mais aussi celle de lEglise catholique qui cherche rsister. Bien entendu les tensions interculturelles actuelles intgrent et dpassent la question religieuse. Elles constituent une problmatique plus vaste qui pose la question des valeurs communes, des comportements norms, accepts par tous, ncessaires la paix sociale, lordre public et la bonne civilit. Il ne faudrait cependant pas sparer deux domaines, celui des religions-spiritualits et celui de la culture. Si lon nutilise pas le mot culture au sens dtre cultiv, mais au sens anthropologique, il est vident que le phnomne religieux est un phnomne culturel, un des traits culturels prsents ou pas dans une socit. Lhistoire des mentalits nous a montr combien le religieux est prsent dans lhistoire de la culture franaise.1.1. Les mutations du paysage religieux et lmergence de nouvelles formes de spiritualit.Les mutations des comportements religieux.Le tableau du paysage religieux franais est aujourdhui profondment diffrent de ce quil tait au dbut du XXme sicle et durant les trente glorieuses. LEglise catholique avait conserv il y a peu encore, une place importante dans la vie nationale. Aujourdhui son influence, en tant quinstitution productrice de normes, dcline rapidement. La pratique religieuse rgulire est devenue fort limite et les personnes se dclarant catholiques ne se sentent plus obliges de se soumettre aux rgles morales quelle prconise. Les valeurs philanthropiques du christianisme continuent cependant dtre souvent portes par de nombreuses personnes, mais en dehors de rfrences explicites lEglise. LOuest de la France comme dautres rgions fortes racines catholiques reste attach son hritage culturel, mais la frquentation des glises y est galement en forte rgression. Enfin, rappelons que le nombre de paroisses effectivement desservies ayant beaucoup diminu, les fidles sont regroups selon un nouveau dcoupage paroissial qui ne laisse souvent plus grand place la proximit et une relle vie communautaire. Le clerg desservant vieillit, la relve est, indpendamment du clerg venant dautres continents en particulier africain, problmatique. La crise des librairies et des diteurs catholiques est un indicateur parmi dautres de la baisse dintrt du public pour la pense catholique (Laccs aux tudes quantitatives existantes permettrait de confirmer ou de nuancer ces analyses rapides). Ceci ne signifie pas que le message chrtien ne serve plus de rfrence culturelle (il faut noter la persistance de mouvements se rfrant au christianisme) mais les liens avec linstitution Eglise ont tendance se distendre ou mme disparatre. Cet hritage culturel qui a pris son autonomie par rapport lEglise se manifeste dans la vie sociale, notamment travers lengagement militant dans des projets de solidarit et dans diverses associations sans toujours de liens avec lEglise. Au plan intellectuel un intrt existe pour certaines figures marquantes de la spiritualit catholique comme Matre Eckhart ou Fnelon par exemple, mais en dehors bien souvent, de lEglise. A linverse on peroit travers le recrutement des nouveaux sminaristes, une monte significative de la pense et de comportements catholiques traditionalistes.La notion de culture et dhritage culturel que nous utiliserons abondamment dans ce texte ne renvoie pas la culture savante apprise lEcole mais une approche anthropologique de la culture. Nous y intgrons le capital symbolique, les mythes, les rites, les valeurs, les comportements attachs une identit. Dans cette perspective, il ny a pas dhomme sans culture, linstruction ne se substitue pas la culture identitaire. Pour chaque personne, les mutations culturelles se caractrisent par labandon de certains traits culturels identitaires et lacceptation dautres traits culturels, mais sans pour autant quils radiquent totalement toutes leurs rfrences culturelles premires. La comprhension de ces mutations constitue le cur de linterrogation sur larticulation de nos identits, sur le multiculturalisme, et sur le respect des particularismes.

Dans le monde protestant traditionnel, nous avons assist rcemment un regroupement des communauts luthriennes et calvinistes, ce qui nempche pas, semble-t-il, la chute du nombre des pratiquants. Ces protestants qui ont moins lhabitude dexercer de pressions sur lappareil dEtat, se savent toujours relativement marginaux dans lespace national bien quils soient souvent trs engags dans des mouvements humanitaires comme la CIMADE. Aujourdhui, ils doivent faire face limportant dveloppement des glises vangliques qui ont cr leur propre Conseil national des vangliques de France.La communaut juive bien intgre dans la socit franaise est en gnral fort discrte lexception des moments de lutte contre lantismitisme. Elle est constitue de plusieurs courants refltant des pratiques religieuses et des sentiments dappartenance communautaires diffrents. Les vnements antismites en France entranent pour certains juifs la ncessit d'un attachement plus grand lgard dIsral. De faon globale la communaut juive ne reprsente pas un contre-pouvoir pour la Rpublique mais son influence sur la classe politique et lopinion demeure importante dautant plus quelle est lie aux questions concernant lEtat isralien, et au dveloppement dun antisionisme voire dun antismitisme de la part des jeunes gnrations dorigine maghrbine.Le tableau des mutations religieuses en France est complexe. Les communauts vangliques progressent rapidement dans des milieux sociaux dsertant les glises chrtiennes traditionnelles, mme si toute tentative de chiffrage est difficile tablir. Elles regroupent des franais mtropolitains et habitant les DOM-TOM, mais aussi des personnes dorigine africaine subsaharienne et des asiatiques en masse. Les chrtiens, en partie orthodoxes venus des pays de lEst et du Moyen-Orient commencent aussi reprsenter un nombre de fidles non ngligeable, probablement proche du million. Parmi ces migrants certains sont issus des immigrations russes, grecques, libanaises, ou syriennes implantes en France depuis longtemps. Les roumains arrivs plus rcemment, bnficient dun mtropolite qui soutient ses ressortissants, les nouveaux migrants comme les Gorgiens, cherchent sorganiser. Il faut noter aussi la prsence des diverses communauts de chrtiens dOrient que les conflits au Moyen-Orient (Irak, Syrie, Egypte) poussent venir stablir en France. Notons la prsence de chrtiens indiens Syro-Malankar.Ces nouvelles communauts chrtiennes constituent un cheveau complexe qui modifie profondment le rapport de lEtat aux Eglises. Toute tentation de type concordataire est inenvisageable.Les communauts religieuses dExtrme-Orient sont aussi nombreuses et trs diversifies selon les origines nationales et les courants religieux (hindouisme, bouddhismes de plusieurs traditions, shintosme, taosme)

Cependant la caractristique principale de lvolution du paysage religieux franais est incontestablement la monte continue de lislam qui proccupe et inquite aujourdhui toute la classe politique et une grande partie de lopinion. On estime la population musulmane 10% de la population franaise, mais il est ncessaire de faire la distinction entre arabes et musulmans. Tous les arabes ne sont pas musulmans et tous les musulmans ne sont pas arabes. Les chrtiens libanais vivant en France sont arabes, et tous les descendants des anciens franais musulmans ne se reconnaissent pas comme musulmans. On constate par ailleurs quun nombre important de musulmans sont des convertis dorigine franaise mtropolitaine. Il serait intressant de vrifier par une approche quantitative ce phnomne que lon peroit qualitativement. La politisation extrme de la question de lIslam et le danger que cette politisation constitue, ncessite plus qu dautres priodes, un rel travail de recherche.

La communaut musulmane franaise est trs htrogne en fonction de la diversit des origines nationales, mais aussi, de plus en plus, de la diversit des comportements sociaux et religieux. Les comportements modrs ou selon une autre formulation, les comportements appropris leur environnement voisinent avec des comportements intgristes. Ainsi les descendants souvent masculins des ressortissants des anciennes colonies franaises de seconde, ou de troisime gnration, se tournent souvent vers les mouvements salafistes particulirement lorsquils vivent des situations dinsertion difficiles. Lislam dans les pays occidentaux se caractrise par une dterritorialisation de son histoire. Le lien religion / nation / coutumes religieuses et communautaires svanouit. De ce fait, la tradition tend devenir lun des repres identitaires permettant de vivre dans un pays non musulman en faisant communaut. Du choix lgitime dune inscription dans une tradition il est cependant ais de faire le pas vers un traditionalisme qui tenterait dimposer des comportements obligatoires.Les gouvernements successifs ont essay de crer des liens structurels avec la population musulmane (Conseil Franais du Culte Musulman), mais sans parvenir rellement unifier lislam sous une seule bannire. La forte prsence dmographique des musulmans en France, leur clatement en groupes multiples, leur attachement leurs traditions culturelles et religieuses et leur non-reconnaissance dune organisation centrale avec laquelle lEtat pourrait cooprer, posent des problmes nouveaux que notre tradition rpublicaine centralisatrice peine grer. Pour achever notre prsentation des mutations, notons que le nombre de personnes qui se convertissent en passant dune communaut religieuse une autre semble, selon les travaux de Danile Hervieu-Lger, assez important. Ces plerins, ces convertis construisent de faon trs personnelle leur rapport leur nouvelle communaut. Cest souvent un choix libre, li une dynamique personnelle, de type dveloppement personnel ou philosophique, le nouveau rapport au religieux est alors plus spirituel, et moins identitaire. Certaines conversions dans les quartiers sensibles peuvent tre aussi lies la ncessit dintgrer la communaut localement dominante et de se trouver ainsi un groupe dappartenance.Lmergence de nouvelles formes de spiritualit.

ct de ces volutions du fait religieux, on assiste aussi, dans la socit contemporaine, un intrt croissant pour la spiritualit qui saccompagne de lmergence de nouvelles formes de spiritualit non lies directement des institutions religieuses traditionnelles, voire mme totalement extrieures la sphre religieuse.La spiritualit apparat de fait, au-devant de la scne, comme un nouvel lment important de notre paysage culturel. Sous le terme de spiritualit, nous mettons ce qui se rapporte pour certains l'opposition de la matire et de l'esprit ou encore pour dautres la distinction entre extriorit et intriorit. La spiritualit tant qute de sens, d'espoir ou de libration, on peut y associer toutes les dmarches et les techniques qui s'y rattachent. Une premire dfinition de la spiritualit pourrait tre : la recherche dun dialogue avec le tout autre, avec une parole qui ne soit pas sa parole propre, exigeant un effort de dcentrement, la recherche dun chemin pour vivre les tribulations de la vie comme des preuves qualifiantes .

Le mot spiritualit peut faire moins peur qu dautres poques, mme sil fait encore fuir certaines personnes. La priode actuelle redcouvre la ou les spiritualits. Espaces difficiles et mouvants quil faut regarder sous langle de lanthropologie et moins sous celui de la doctrine. La spiritualit est perue comme une dimension de la condition humaine, et au sens le plus large, comme la vie de lesprit. Michel Foucault qui utilisait abondamment dans ses derniers ouvrages le mot de spiritualit comme celui de conversion, dfinit la spiritualit comme: la recherche, la pratique, lexprience par lequel le sujet opre sur lui-mme, les transformations ncessaires pour avoir accs la vrit quil prsente non comme un corps de concepts, mais comme laboutissement dune dmarche existentielle du sujet. Le champ des spiritualits combine recherche de sens, pratique de sagesse, travail de lhomme intrieur et dveloppement personnel; il se distingue bien du champ thrapeutique li la sant mentale. Cest lhomme dans lpreuve qui cherche souvent une sortie existentielle une exprience douloureuse. Dans lpreuve il souhaite prouver la prsence du divin ou donner un autre sens sa vie. Il ne convient pas dopposer religions et spiritualits. De la sphre des Eglises, la spiritualit donne un nouvel lan et renouvelle le domaine du travail sur soi alors rserv au champ thrapeutique et aux professionnels du psy. Des auteurs comme Michel Foucault, Marcel Gauchet, Andr Comte-Sponville et Luc Ferry ont donn une lgitimit au concept de spiritualit qualifi par Luc Ferry de lac dans des milieux peu ouverts ce langage. La pratique de la mditation est tendance. Le psychiatre Christophe Andr remplit les salles des Zniths en voquant le travail sur soi et la mditation.

Il y a un dveloppement du travail de lhomme intrieur dans les religions, la priphrie des religions, dans lespace thrapeutique et lespace philosophique non religieux.Cette premire observation de la socit franaise que lon dveloppera plus loin montre que les communauts chrtiennes anciennement tablies sur notre territoire dclinent, que de nouvelles communauts chrtiennes marginales par rapport notre histoire nationale se dveloppent ainsi que des communauts dorigine extrme-orientales, mais surtout que lislam simpose comme la seconde religion de notre pays. On nassiste donc pas une disparition du religieux comme lespraient certains courants lacs, mais davantage sa mutation, mme si le nombre de personnes insres dans le religieux est plus limit quau dbut du XXme sicle. En effet le groupe qui progresse le plus dans notre pays, et qui tend devenir majoritaire dans les socits occidentales, est celui des indiffrents qui mnent leur vie dans le contexte dune absence pacifique de Dieu quon pourrait qualifier dattitude post-athe. On assiste aussi lmergence du champ des spiritualits qui occupe un espace socialement nouveau entre le religieux, le thrapeutique et le philosophique. Une vague culturelle de fond semble perceptible travers le nombre de publications qui y sont consacres et le nombre de rseaux qui sy intressent. La question de la spiritualit et du travail de lhomme intrieur ne peut plus tre vacue de la rflexion sur la lacit et le vivre ensemble rpublicain.1.2. Tensions interculturelles

Les mdias nous montrent jour aprs jour les manifestations de notre seconde rflexion: les tensions interculturelles. On observe la monte de comportements et dattitudes qui tmoignent que des valeurs qui taient considres comme universelles ne sont plus partages par tous. Des tensions, des violences voient le jour entre des groupes sociaux de cultures diffrentes et entre des personnes ne partageant pas les mmes valeurs: des profanations de cimetires juifs et musulmans, des agressions contre des synagogues et des mosques, des meurtres gratuits dont les mobiles relvent de la diffrence culturelle en sont les manifestations les plus extrmes. Il faut mentionner aussi la dlinquance dans les quartiers difficiles, sans oublier les incivilits diverses dont toute personne peut tre victime dans le mtro ou dans la rue. On pourrait ajouter cette liste les comportements violents au travail, les comportements de certains salaris indlicats, mais aussi ceux de certains gestionnaires des ressources humaines dentreprises publiques ou prives, soucieux defficacit mais en dehors de toute rfrence aux valeurs humanistes que lon croyait caractristiques de notre culture nationale. Il faudrait analyser les tensions entre la culture humaniste dont nous avons hrit et une nouvelle culture libertaire qui privilgie lautonomie individuelle et donc les droits de lindividu aux dpens des responsabilits personnelles et collectives (cf.les rformes socitales en cours).De multiples facteurs expliquent ces tensions. Les difficults conomiques et sociales, en particulier la monte de formes particulires dexclusion, souvent lies au chmage, mais pas exclusivement, sont des facteurs dterminants de ces comportements. La prcarit provoque des ractions violentes des groupes exclus de la socit. Les meutes dans les cits sont lies au sentiment de relgation. Les incivilits attestent par ailleurs que des changements de normes culturelles sont luvre. La bonne vieille et antique morale que nous avons reue de nos pres et mres, laquelle faisait allusion Jules Ferry au moment o il quitte le ministre de lEducation nationale pour se consacrer lexpansion coloniale, ne semble plus aller de soi.Les transports en commun sont des lieux privilgis de lobservation de cette volution de la politesse. Citons quelques comportements dincivilit : parler fort au tlphone portable (toutes les classes sociales sont concernes), sauter par-dessus les tourniquets des mtros, laisser un gobelet ou des restes de djeuner sur un sige, rentrer dans le wagon sans laisser descendre les autres voyageurs, ne pas se placer droite sur un tapis roulant ou un escalator, passer un tourniquet en se collant un autre voyageur sans le lui demander, rester assis sur son strapontin en priode d'affluence. La liste de ces incivilits qui minent la vie sociale et font oublier les gestes de solidarit, bien prsents eux aussi, est infinie.Laffirmation de la diffrence culturelle, ethnique et religieuse qui peut accompagner ces comportements donne une tonalit nouvelle aux conflits conomiques et sociaux. Un sondage rcent montre que pour les Franais les trois principales menaces sur la capacit bien vivre ensemble sont l'accroissement des ingalits sociales (38%), la crise conomique et financire (34%), les extrmismes religieux (28%), cette dernire menace tant lie celle des replis communautaires (8%).Les familles vivant dans des quartiers sensibles o la prcarit est forte mobilisent de faon gnrale leur nergie pour lutter contre les difficults de la vie quotidienne en respectant les normes du vivre ensemble. Cependant, certains jeunes optent aujourdhui pour une opposition, de type culturelle, aux valeurs franaises, opposition qui se manifeste par des incivilits et une dlinquance qui perturbent la vie de nombreux habitants de ces quartiers et posent de srieux problmes dordre public. Dans beaucoup de cits, paralllement la monte de la violence et de la dlinquance, on constate laffirmation croissante dun islam fondamentaliste que notre lacit rpublicaine ne parvient pas contenir. En effet la loi de 2004 interdisant les signes religieux lcole, puis celle de 2010 proscrivant le port du voile intgral dans lespace public, nont pas fait obstacle au dveloppement du salafisme dans les quartiers. La dterritorialisation de lislam dj voque, donnant le sentiment ces jeunes de ne pas tre de cette terre, de cette nation, les autorise chercher ailleurs, dans une tradition idologiquement reconstruite, les sources dune identit et la lgitimation de comportements violents.

Les comportements au travail tmoignent aussi dun dcalage culturel sur lequel il faut sarrter, mme si cette question est quelque peu, la marge de notre sujet. Si les jeunes gnrations peuvent paratre quelquefois arrogantes sur leurs lieux de travail, force est de constater que de trop nombreux dirigeants ont perdu lhabitude de saluer leurs secrtaires, nont de communication que via leur messagerie et dsorganisent sans cesse le travail de leurs collaborateurs par le changement permanent des temps de runion, les jeux infinis de lorganigramme en perptuel mouvement, et surtout, le recours frquent la mise au placard, aux licenciements, aux rductions deffectifs menaant la qualit du service. Dans les collectivits locales, des lus de droite comme de gauche mettent en place un management dont on ne voit pas toujours les fondements humanistes, ni tout simplement le bien-fond. Les syndicats, trop centrs sur les ngociations paritaires et les comits d'entreprise, ne sexpriment pas sur ces problmatiques qui relvent dun mpris de la personne, gnrateur de souffrance au travail. Les lus, les cabinets des collectivits locales et les quipes dirigeantes sont si soucieux de leffet de leurs dcisions en matire de communication externe quils ne sintressent plus la vie quotidienne dans les organisations quelles grent.Il ny a plus didentit culturelle partage dans le monde du travail, la lutte des classes devient selon lexpression de Vincent de Gaulejac, une lutte des places, mais aussi une lutte des castes.Une difficile prise en compte de la diffrence culturelle et religieuse?

De nombreux tmoignages montrent les difficults prendre en compte la dimension culturelle et religieuse de la personne dans le monde des services au public, notamment dans le secteur sanitaire et social et, contrairement aux ides reues, les intgrismes ny sont pas que religieux et musulmans. Un gynco obsttricien intervenant dans un hpital public de Marseille se plaint de la non-prparation laccouchement de certaines femmes musulmanes, de la thtralisation de leur souffrance dans la salle daccouchement et de la trop grande prsence des maris, pratiquant leurs prires dans lhpital et empchant le personnel de faire son travail. Il souhaite que ces femmes naccouchent plus dans son service. Un pdicure podologue doit raliser des semelles orthopdiques pour une femme portant un ample vtement traditionnel. La femme refuse de montrer ses jambes, il ne peut faire un bon diagnostic. Cest le mari qui vient la remise des semelles, le pdicure-podologue ne peut adapter les semelles faites aux pieds de la femme qui les portera.

Une cole primaire catholique dun quartier sensible a fait du respect des identits culturelles lun des axes de son projet pdagogique. Des enfants dorigines ethniques et religieuses diffrentes sy ctoient, mais la fte de fin danne scolaire est annule devant limpossibilit de trouver un accord tant sur les chants, les danses, les dmonstrations de gymnastiques et de chorgraphies enfantines. La dcision dinterdire le port du voile aux mres qui accompagnent des enfants dans des activits priscolaires et les dcisions contradictoires de justice concernant laffaire de la crche Baby Loup dans les Yvelines tmoignent des difficults, dans une socit laque comme la ntre, prendre en compte lidentit culturelle et religieuse des diffrents acteurs concerns. Dans les quartiers forte dimension multiculturelle, le port du voile gagnerait ne plus tre peru, par les autorits, comme une offense la Rpublique, mme sil peut interpeller, par ailleurs, sur la place de la femme dans lislam. Dans un service de griatrie dun hpital public, une personne ge demande une infirmire de rciter une prire avec elle. Linfirmire naccepte pas en lui expliquant la raison, mais revient aprs son travail, en ayant t son vtement professionnel, auprs de la personne et laide rciter ses prires. Linfirmire est lobjet dun blme pour non-respect de la dontologie professionnelle. Laccompagnement des personnes ges doit-il tre ainsi mdicalis au dtriment de toute humanit?La diffrence culturelle intgre dans laction publiqueAfin de ne pas focaliser notre rflexion sur la question trop vidente de lislam, citons quelques exprimentations portes par quelques personnalits ou groupes de professionnels.

Les services publics locaux et les associations remplissant des missions de service public inventent souvent des rponses pertinentes en intgrant une dimension multiculturelle dans leur offre de services. Larrive dans une grande ville dun nombre important de gorgiens et roumains a pos de nombreux problmes daccueil. Certaines personnes manifestant des troubles psychiatriques ont t prises en charge par le centre hospitalier spcialis de la ville. Devant la difficult daider ces personnes qui exprimaient leur souffrance travers des traits culturels qui ne sont pas les ntres, notamment en utilisant un vocabulaire religieux (orthodoxe), une permanence dethnopsychiatrie a t mise en place avec laide dune psychiatre dorigine serbe. Le pont ainsi cr entre deux cultures au sein du service public a facilit la rsolution des problmes.Autre exemple parmi tant dautres: un juge des enfants du nord de Paris entreprit un long travail de recherche pour traiter la question des enfants sorciers dorigine africaine que les familles nenvoient pas lcole. Aprs une formation en ethnologie, ce magistrat mit en place un service de mdiation culturelle.

Un regard diffrent de celui des mdias sur les religions et les spiritualits.Si de nombreux faits divers montrent les difficults de la vie quotidienne dans les quartiers sensibles, on constate que les communauts ethniques et religieuses et leurs associations, ces dernires souvent proches des mosques, contribuent dans les cits au maintien du vivre ensemble en offrant aux jeunes un cadre moral et culturel qui peut leur viter de sombrer dans la dlinquance ou lintgrisme. LIslam, comme toutes les religions forte dimension communautaire, ne doit pas tre rduit des particularismes, voire des extrmismes. Il y a dans les communauts ethniques et religieuses transmettant des valeurs et des normes des ressources morales quil ne faut pas mpriser. Tous les enfants de banlieues ne sont pas dans les fichiers de la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Dans de nombreux cas, la synergie entre culture communautaire et enseignement rpublicain fonctionne, pour les filles notamment. De nombreuses personnes originaires des anciennes colonies franaises dAfrique du Nord ou dAfrique subsaharienne, qui ne cachent pas leur appartenance religieuse, font de bonnes carrires de cadres, de professions librales et de professeurs duniversit. Les problmes dincivilit et les tensions culturelles ne renvoient pas la question religieuse ou ethnique.

Les tensions que nous avons dcrites ne concernent pas seulement les relations entre des personnes dorigines trangres et des franais de souche, ou entre des communauts religieuses diffrentes. Elles montrent aussi que, dans la socit franaise, des carts majeurs de comportement existent, lis sans doute au triomphe de lindividualisme contemporain, et que la rfrence une culture commune svanouit. Notre insistance sur les comportements au travail permet de penser que lincivisme nest pas quun problme de banlieues. Les difficults de lintgration la franaise concernent lensemble de la population. Nous transmettons de moins en moins bien des valeurs fondatrices comme le respect de lautre, le travail bien fait, la convivialit gnreuse, la coopration. Il faut analyser cette situation et, aprs avoir approfondi notre rflexion, proposer des perspectives.1.3 UN CONSTAT: UN VIVRE ENSEMBLE DIFFICILE, LE MODELE DINTEGRATION A LA FRANCAISE REMIS EN QUESTIONAu dbut du XXme sicle, le modle franais dintgration a vacu progressivement la plupart des rfrences lunivers religieux. La Rpublique devait se mfier de la volont de lEglise catholique de grer sa place les services publics. En sparant lEglise et lEtat, la Rpublique est sortie de la religion. Cependant, celle-ci a continu jouer son rle dans les relations prives, en particulier au sein des familles. Un quilibre dlicat stait ainsi tabli, que lvolution de lEglise catholique vers puis aprs Vatican 2 avait dailleurs favoris. Mais le dclin de ladhsion, de la pratique, et, par voie de consquence de cette forme de transmission, a rompu ce fragile quilibre. Sans que lon sen aperoive, le modle dintgration implicite, qui nest pas le moins important, sest ainsi appauvri.Le modle dintgration franais repose depuis lors sur laffirmation que la paix sociale, la civilit et le respect des uns et des autres sont possibles:

si lon dpasse les problmes lis la diversit des cultures, des expressions religieuses, des communauts ethniques vivant sur le territoire. La paix sociale doit tre a-culturelle et a-religieuse; Si lon prend en compte que les valeurs culturelles et religieuses qui relvent de ce que lon pourrait convenir dappeler la langue maternelle du sens sont par contre transmises par la famille, sans que lappui dune communaut culturelle et religieuse soit reconnue officiellement dans ce rle; Si lon reconnat que le vivre ensemble rpublicain est bas sur des valeurs universelles de Libert, dEgalit et de Fraternit dont lEcole est le principal porteur et lieu dapprentissage.

Les diverses tensions culturelles que nous avons notes montrent quune mme chane de comportements inciviques, voire violents, sont significatifs de leffondrement dune culture intgrative du respect mutuel. Ce dlitement traverse les banlieues difficiles, les rues et les transports en commun, le fonctionnement des services publics, le management des entreprises et des administrations publiques. Les comportements sociaux face lautorit (son exercice ou son acceptation), aux biens dautrui, aux diffrences culturelles et religieuses ne sont plus rguls par des valeurs universelles partages. Les simples mots de Libert, Egalit, Fraternit ne suffisent plus rappeler les valeurs fondatrices dun vivre ensemble rpublicain suppos aller de soi. La communaut nationale ne vit plus sur des fondements culturels partags, le vivre ensemble rpublicain se dlite. Comme si labsence dennemi extrieur nous obligeait inventer des ennemis intrieurs, pour se situer dans la problmatique politique de Carl Schmitt.Notre situation actuelle est ainsi radicalement diffrente de celle du dbut du XXme sicle. Les mutations du paysage religieux et spirituel sont importantes. Nous nassistons pas la fin des religions ou une sortie dfinitive de lespace religieux et des spiritualits, mais une mutation profonde des modes de construction de soi et dlaboration du sens de sa vie. Nous devons faire le constat de la fin de la prminence des Eglises et admettre lmergence de nouvelles formes de qute de soi et d'approfondissement de lhomme intrieur. Dans un monde marqu par le dsenchantement, beaucoup cherchent des voies nouvelles pour s'affranchir de la modernit, de lconomie capitaliste, du mode dorganisation bureaucratique, etc.

Les nouvelles manifestations du religieux et du spirituel procdent de mouvements culturels reposant plus sur la rflexion individuelle et collective et sur le travail de la socit sur elle-mme que sur l'impulsion dappareils clricaux unificateurs. Nous assistons un foisonnement multiple et complexe gnrant une dissmination des ressources de sens, une recombinaison individuelle de ceux-ci, une dispersion des charismes, et un ensemble de mouvements difficilement grables dans une logique concordataire de ngociation au sommet de lEtat entre lites rpublicaines et lites des cultes.Nous constatons enfin que, pour trouver des solutions pertinentes, des services publics sont amens intgrer la prise en compte du multiculturalisme dans leur offre de service, le plus gnralement sans laffirmer expressment.

NE FAUT-Il PAS ADMETTRE QUE NOTRE MODELE CULTUREL REPUBLICAIN EST REMIS EN QUESTION ET QUUNE MUTATION DOIT ETRE ENGAGEE?

1.4 DES PERSPECTIVES:

Cest dans ce contexte que nous nous demandons sil ne faut pas inverser le questionnement habituel et reconnaitre que:

le multiculturalisme, la diversit des religions et des spiritualits sont devenus des lments de notre culture nationale contemporaine?

Les religions et les spiritualits peuvent aussi tre des ressources pour notre vivre ensemble rpublicain et dmocratique ?

la richesse de la varit des cultures, des religions et des spiritualits, ne fait pas ncessairement obstacle ce que des principes gnraux, transculturels, dun vivre ensemble simposent tous. Prendre la voie dune lacit ouverte et inclusive respectant les diversits culturelles, religieuses et spirituelles, en les rgulant par des principes institutionnels (Constitution, Loi), dpasse toutefois le simple travail lgislatif ou rglementaire. En effet, dans une telle perspective, il est dabord ncessaire de mobiliser la socit civile, et les divers producteurs de sens, dans un processus dactualisation des valeurs fondatrices de notre vivre ensemble rpublicain pour faire voluer les mentalits. Ce nest quau terme dun tel processus socital quune formulation juridique pourrait tre envisage. Ce changement doptique nous parait essentiel pour sortir de laporie des dbats actuels

Aprs avoir dcrit la crise du modle culturel rpublicain, analys la fin de lintgration la franaise et propos trois perspectives il convient, avant de prsenter les prconisations finales de ce texte, de faire un dtour par trois rflexions plus construites sur:

lorigine de la rflexion contemporaine sur le vivre ensemble rpublicain et la place de la construction du sujet dmocratique aujourdhui;

la ralit du compromis rpublicain en lien avec la question culturelle et religieuse ; la question des religions et des spiritualits comme des ressources pour le vivre ensemble rpublicain?2. CE QUE VEUT DIRELE VIVRE ENSEMBLE EN REPUBLIQUE ET LA CONSTRUCTION DU SUJET DEMOCRATIQUE. Pour approfondir le constat propos et les perspectives envisageables, il convient de faire un dtour sur plusieurs termes largement utiliss dans ce dbat.Vivre ensemble dans un monde multiculturel, multi-religieux et fraternel.La popularit de lexpression vivre ensemble trouve sa source dans la lutte des noirs amricains pour lgalit des droits. Martin Luther King lance lors dun meeting, le 31 mars 1968 une phrase que lhistoire retiendra: Nous devons apprendre vivre ensemble comme des frres, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. La socit amricaine qui avait intgr de faon originale les cultures venant du vieux continent se devait dintgrer de faon courageuse les descendants des esclaves noirs. Martin Luther King lance deux concepts en mme temps: le vivre ensemble et la fraternit. Le mouvement amricain du vivre ensemble a abouti llection dun prsident de couleur en 2008.Roland Barthes consacre son cours au Collge de France en 1976-1977, la question du comment vivre ensemble en partageant de faon volontaire un espace commun. Sa rflexion aborde la vie en couple, les communauts de type phalanstre, la vie monastique et le vivre en socit. Barthes consacre beaucoup de ses propos aux discours asctiques que gnre, pour tre supportable, le vivre ensemble. Univers proche de celui quvoquera dans la mme institution, Michel Foucault dans son cours sur LHermneutique du sujet en 1981-1982.

En 1997 Alain Touraine publie Pourrons-nous vivre ensemble? Egaux et diffrents. Il conoit ce livre comme un complment et un dpassement des questions quil avait dj traites dans Critique de la modernit. Dans une longue rflexion sur la modernit et la culture rpublicaine Touraine dessine la rupture profonde qui se creuse sous nos pas. Les premiers temps de la modernit ont t ceux de lordre, de lEglise puis de lEtat. Un second temps a plac la question ouvrire et donc la question sociale au centre des dbats. Nous entrons dans un troisime temps, plus dramatique sans doute o ltre humain est dchir entre deux drives, un univers qui fait de lui un consommateur instrument dun monde conomique globalis et un autre lui proposant nouveau, comme issue face la logique de la globalisation, un enfermement dans des communauts culturelles tendant lintgrisme. Touraine pose la question du pourrons-nous vivre ensemble avec des accents qui rappellent ceux de Martin Luther King. Il en appelle la reconnaissance des diffrences culturelles, lacceptation du multiculturalisme, au cheminement du Sujet personnel qui se construit non plus dans lordre de lEtat, de lEglise, de sa communaut ou comme membre dune classe sociale sopposant une autre, mais comme sujet personnel, libre, devenant acteur dans la socit. Par ailleurs il faut faire mention des travaux de Jrgen Habermas. Dans plusieurs ouvrages Habermas traite la question de la place des religions dans la dmocratie. Pour lui les croyances sont porteuses de valeurs qui contribuent affermir la dmocratie : lamour, la rectitude morale, lexigence communautaire, lesprance. Pour peu, comme lcrit Foessel que les certitudes religieuses contribuent affermir les forces motivantes de la raison . La scularisation concerne aussi bien les croyants que les non-croyants. Elle est un processus rciproque dapprentissage. Les uns et les autres ont apprendre les uns des autres.Enfin le livre de Jean-Marc Ferry titrLes lumires de la religion, note que la cohabitation des communauts repose en France sur une tolrance relevant plus de la recherche du juste que du bien, ce dernier tant de plus en plus cantonn la sphre prive. Cela pose problme quand la notion du bien se dilue et/ou se disperse, rendant plus difficile la rsolution des questions socitales. Il ne lui semble plus possible de renoncer par principe dbattre publiquement du bien, pour lequel les traditions religieuses ont leur mot dire. Ceci suppose pour JM Ferry que les religions sortent de postures dogmatiques pour argumenter et dlibrer, la vrit s'laborant au cur de la relation et reposant sur la confiance en un autre capable d'entrer dans un libre dbat ; il s'agit de se dcentrer pour cultiver un "amour qui fait de la proccupation de l'autre une proccupation gale la proccupation de soi". Cette rflexion renvoie dos dos un lacisme qui, fuyant le spirituel, laisse passer les thses les plus librales/libertaires et un intgrisme religieux rvant de rinstaurer un pouvoir de la religion, du type chrtient ou Etat islamique.Diffrentes initiatives publiques ont remis au centre du dbat public le concept de vivre ensemble

En 1999, lObservatoire de laction sociale dcentralise (ODAS), organisme parapublic lie au champ de laction sociale, lance une rflexion nationale sur la Fraternit qui aboutit la cration du collectif Fraternit. La dmarche aboutit alors la signature, par plus de 500 personnalits de sensibilits politiques diffrentes, dun appel la Fraternit . Les journes de la Fraternit organises localement par lODAS dans cette dynamique, se sont transformes progressivement partir de 2011- 2012 en atelier du Vivre ensemble et de la Fraternit. En 2003 la commission Stasi, laquelle participe A. Touraine, statue sur la question du foulard islamique lcole, mais ne retient dans son rapport ni lexpression vivre ensemble, ni celle de fraternit. La mme anne la Jeunesse Ouvrire Chrtienne lance la charte du vivre ensemble lors dun rassemblement runissant Bercy 15000 jeunes. En 2003 galement le ministre en charge de la culture, Jean-Jacques Aillagon, demande la Cit des sciences et de lindustrie de piloter une mission Vivre ensemble pour lutter contre les discriminations dans le domaine de la culture.

A partir de 2008, face la crise, le Pacte Civique lance une dmarche pour penser, agir, vivre ensemble en dmocratie qui met en relation la notion de fraternit avec celles de crativit, de sobrit et de justice. 32 engagements permettent aux adhrents, personnes ou organisations, de cultiver et de mettre en uvre de manire systmique ces quatre valeurs dont aucune ne peut fonctionner seule et qui doivent donc tre conjugues simultanment. Cela tant au niveau des comportements personnels que des fonctionnements organisationnels et des institutions et politiques publiques En 2011-2012 la ville de Paris met en place un programme le Paris du Vivre ensemble. Le thme de ce programme est celui de la tolrance et de lacceptation du multiculturalisme. La diversit des cultures religieuses, leffort de les connatre et de se comprendre sont au cur de ce programme.

En 2012 la fondation de la SNCF lance un programme Vivre ensemble en partageant nos diffrences.

Pour clore cette liste non exhaustive, il faut mentionner lutilisation du concept de Vivre ensemble dans les dbats actuels sur la lacit. La cration de lObservatoire National de la Lacit prsid par Jean-Louis Bianco fait rfrence explicitement cette approche. J-L Bianco introduit la publication des premiers travaux de lobservatoire en rappelant les propos de Franois Hollande le 9 dcembre 2012, lors de la remise des insignes de chevalier de la Lgion dHonneur au sociologue et historien mile Poulat: La lacit nest pas un contrat, la lacit nest pas non plus une doctrine, elle nest pas un dogme de plus, elle nest pas la religion de ceux qui nont pas de religion. Elle est lart du vivre ensemble

Les propos de tous les hommes politiques au dbut de lanne 2013-2014 ont un recours abondant au concept de Vivre ensemble, la question est devenue incontournable.La Rpublique et la construction du sujet dmocratique. La Rpublique qui succde lAncien Rgime, au travers de plusieurs secousses, te le pouvoir dEtat une hirarchie hrditaire de droit divin et le confie des lus du peuple. Le respect dun ordre ancestral dont les fondements sont religieux laisse place au service du bien commun. La question religieuse hante cependant jusqu nos jours la Rpublique franaise. Elle recherche un esprit unique, fondateur, faisant le lien entre tous (religere). La lacit est dans cette perspective laffirmation de principes simples: lhomme rpublicain, sera libre, gal aux autres citoyens et plus tardivement fraternel. Cet homme libre na dautre culture et dautre religion que celle de lhomme nouveau dont Mona Ozouf, dans ses travaux sur la rvolution, a bien dcrit le cheminement. Cet homme nouveau se libre de la tutelle des corporations et de tous les corps intermdiaires qui font cran entre lui et lEtat, il se libre en mme temps de tout hritage culturel et religieux.

La Rpublique franaise par ailleurs est dans son essence mme, dmocratique. Elle est volont de donner le pouvoir aux citoyens. Tocqueville et de nombreux auteurs ont dcrit lavnement de la dmocratie et aussi ses crises possibles. La passion de lgalit peut ter tout esprit dinitiative et tout appel la crativit. La bureaucratie est la menace de tout rgime dmocratique o lEtat produit le service dont chacun a besoin. Mais lesprit dmocratique est aussi face linjustice, esprit de rvolte et de colre. Tocqueville dcrit dans les dernires pages de La Dmocratie en Amrique ces hommes qui vivront dans les sicles dmocratiques, qui auront naturellement le got de lindpendance, empcheront quaucun despotisme ne puisse sasseoir, et fourniront de nouvelles armes chaque gnration nouvelle qui voudra lutter en faveur de la libert des hommes. Il appelle les sicles futurs avoir de lavenir cette crainte salutaire qui fait veiller et combattre, et non cette sorte de terreur molle et oisive qui abat les curs et les nerve.

La question qui est la ntre est celle de la construction de lhomme dmocratique, de lacteur de la socit, du sujet dmocratique; elle se distingue radicalement des thories sur lindividu assujetti du service public, du bnficiaire de lEtat, de ladministr. Dans le livre dj cit, Alain Touraine consacre de nombreuses pages au concept de sujet. La crise de la modernit met au centre du dbat le sujet personnel alors que la sociologie est plus habitue manier les concepts de classes sociales, de groupes ou dinstitution. Sil ne veut plus tre lobjet des marchs et des stratges internationaux, ni tre prisonnier de sa communaut culturelle, le sujet doit sappuyer sur lhistoire des cultures, sur la diversit culturelle, sur le patrimoine culturel de lhumanit, pour rinventer son projet de vie personnelle et collective. Le sujet personnel pour Touraine, se construit dans la remobilisation, la remmoration des cultures et la lutte contre lenvahissement des marchs, linstrumentalisation des organisations. Il ne choisit pas entre linstrumentalisation des marchs ou linstrumentalisation des communauts culturelles, il doit pouvoir faire des choix de vie, se situer dans des rseaux, des communauts de projet dans lesquelles il sintgre librement. Le Sujet personnel doit pouvoir mobiliser lunivers des spiritualits, mais prendre distance avec les appareils dordre et de pouvoir des religions, des communauts. Nous sommes ici au cur dun dbat cl. Lhomme dmocratique est bien sujet de ses choix, mais ces choix ne sont pas production idiosyncrasique de valeurs dont il serait le seul rfrent, mais choix dans une diversit de traditions culturelles disponibles, de philosophies offertes, choix aussi de faire socit, de sassocier en rseau avec ceux avec lesquels il dcide de faire un bout de parcours. Ces choix ne sont pas monolithiques, mais souvent lobjet de mtissages culturels cratifs et complexes.Dans La fin des socits (Seuil, 2013), Alain Touraine s'interroge sur les moyens de refonder un sujet authentique, crateur de libert et d'galit. Une faon de faire face l'impuissance politiquede notre temps ?Patrick Boulte, membre de Dmocratie & Spiritualit, publie en 2011 un ouvrage dont lapproche est convergente avec celle de Touraine: Se construire soi-mme pour mieux vivre ensemble. Pour lauteur, lenjeu de notre dbat est bien de changer de paradigme et de trouver une alternative lhumanisme moderne. Il sappuie comme Touraine sur le tmoignage des dissidents sovitiques et dautres acteurs en souffrance pour construire une image du sujet, responsable, mobilisant le patrimoine symbolique sa disposition pour lutter contre la fragilit, la souffrance, lexclusion ou la domination. La construction de soi, en puisant volontairement et librement dans le patrimoine symbolique, dans lhritage culturel de notre histoire, est la condition ncessaire pour qumergent des acteurs capables de vivre ensemble.

Gilles Guillaud membre aussi de lassociation Dmocratie & Spiritualit dfend dans son dernier ouvrage, La promesse du prsent (2013), une lacit ouverte qui ne se cantonne plus un simple respect de la gographie des lieux dexpression de soi. Il en appelle aux croyants (parmi lesquels il place aussi les athes) pour quils expriment sur la place publique ce qui les mobilise profondment, ce qui donne souffle leur qute de sens, ce qui peut enrichir, dans le respect de chaque sensibilit, cette qute commune qui permettra un meilleur vivre ensemble . Musulmans ou chrtiens, athes, francs- maons, juifs, humanistes, pouvons construire un vivre ensemble, ense mobilisant chacun selon son inspiration particulire? On est ici aux antipodes dune lacit dexclusion des valeurs particulires, mais au contraire de leur expression et de leur mise en commun dans une vision humaniste et transculturelle.Le sujet de la modernit tardive (ou de la basse modernit pour reprendre le vocabulaire de Touraine) est donc dans une configuration bien diffrente de lhomme de la Rpublique naissante. Comme lui, il doit prendre distance pour tre libre vis--vis de lordre crasant de sa communaut premire, mais il ne peut, par contre, se construire comme sujet quen faisant des choix dans le patrimoine symbolique qui est sa disposition. Lhomme de la Rvolution choisit de se librer de la culture de l'ancien rgime (en devenant a-culturel), lhomme dmocratique contemporain se doit de choisir dans lunivers des cultures les traits culturels, les valeurs, les mythes et les rites qui lui permettent de se construire, de passer les preuves de sa vie, dexprimer la colre de lhomme dmocratique dcrite par Tocqueville, de rencontrer lautre, de vivre avec lui.3. QUEL COMPROMIS REPUBLICAIN AUTOUR DE LA QUESTION CULTURELLE ET RELIGIEUSE?Il nest pas possible de simplement conserver les fondements du pacte rpublicain de 1905 pour rsoudre les problmes actuels. Les compromis passs avec le catholicisme, le protestantisme et la communaut juive ne fonctionnent pas ou fort difficilement, pour les nouveaux acteurs du paysage contemporain religieux et spirituel. Il convient aussi de sinterroger sur la vocation de la culture franaise simposer tous comme elle sest impose contre les cultures rgionales au cours de notre histoire.3.1 LEglise et de lEtat sont-ils compltement spars?Alors que durant les dcades qui ont suivi lanne 1905, les tensions entre lEglise catholique et lEtat furent nombreuses, aujourdhui catholiques, protestants et juifs dfendent conjointement le modle de lacit la franaise. Essayons de comprendre pourquoi au fil du temps le compromis rpublicain a fonctionn.

LEglise catholique, du fait de son refus initial du compromis de 1905, se trouve bnficier aujourdhui de lentretien par la Rpublique des glises qui ont t construites avant cette date, cest--dire de lessentiel du parc immobilier dont elle dispose pour accueillir ses fidles. Par contre les communauts protestantes et juives, qui lavaient accept, sont depuis cette date, comme elles le souhaitaient, gnralement propritaires de leurs lieux de culte qui sont grs dans le cadre dassociations cultuelles. LEglise catholique, grce la loi Debr de 1959 a conserv un systme scolaire bnficiant dune autonomie relative au sein du service public dducation, recrutant elle-mme des professeurs pays par lEtat. Le secteur social et mdico-social dans lequel sest investie lEglise a t maintenu sous forme associative et financ totalement par lEtat et les collectivits locales depuis 1975; il en est de mme pour le secteur hospitalier priv rest dans la mouvance catholique ou protestante. La cration de la Scurit sociale a garanti le fonctionnement de lEtat-providence et laiss lEglise un secteur caritatif bien identifi et accept par tous les acteurs de la lacit.

Les relations protocolaires entre lEtat et lEglise font de lEglise catholique linstitution organisatrice de certaines grandes crmonies rpublicaines comme la clbration du dcs des grandes personnalits.

Point plus important, les relations entre lEtat, les collectivits locales et lEglise catholique font de celle-ci le partenaire privilgi de la Rpublique dans laffectation des glises. titre dexemple les nouvelles communauts chrtiennes orthodoxes, composes aujourdhui dmigrs des pays de lEst ou du Moyen-Orient, et les communauts protestantes vangliques, obtiennent difficilement des maires laffectation dglises non utilises. En effet, lvque du lieu dispose dun pouvoir de blocage par rapport toute dcision de nouvelle affectation. Il peut aussi proposer de nouvelles affectations dglises inutilises, mais, souvent, dans des conditions inacceptables pour les communauts concernes (des chapelles la campagne, loin des centres villes). Les communes entretiennent des glises vides alors que de nouvelles communauts chrtiennes cherchent des lieux de culte. De faon un peu thorique il ne serait pas impensable dimaginer que des demandes douverture de mosques pourraient recevoir une rponse favorable travers la reconversion dglises catholiques, romanes notamment, dont les dcorations souvent sobres apparaissent compatibles avec le culte musulman. A Istanbul comme en Algrie des glises ont t transformes en mosques avec, en gnral, un respect pour ldifice primitif. Il serait logique que, sur un plan diplomatique, la question de la rciprocit soit pose paralllement en sorte que les franais rsidents ou de passage ltranger soient mme de pratiquer librement leur religionEnfin point essentiel, la prsentation de lhistoire du christianisme faite dans les tablissements denseignement secondaire ou suprieur, mme si cet enseignement assez rduit ne favorise pas la comprhension relle de la place de la religion dans notre histoire culturelle, est de faon gnrale conforme la prsentation que lEglise souhaite prsenter de son histoire. Alain Touraine (1997) remarque que les courants les plus spirituels, les plus mystiques du christianisme, condamns par lEglise, sont absents des programmes officiels alors quils proposent des spiritualits auxquelles tous pourraient avoir accs dans leur itinraire de construction de soi.

Ce compromis rpublicain a fonctionn surtout parce que lEglise catholique et lEtat moderne partagent, malgr les conflits dans la gestion des coles ou dautres tablissements, des fondements communs. La modernit (la haute modernit crit A. Touraine) a t initie par lEglise dans la dynamique du Concile de Trente, quand le catholicisme soriente vers lenseignement dune commune vertu (Bossuet) et la correction des murs. Elle privilgie alors le travail intellectuel, lducation et le soin. Cette approche a t reprise son compte par la Rpublique dans les annes marques par Napolon et tous les gouvernements au cours du XIXme sicle. Les Lyces de lEmpire ressemblent aux collges des jsuites ou des oratoriens, la pdagogie de lEcole de la Rpublique ressemble celle des frres, les nouveaux hpitaux construits Paris au XIXme sont encore btis sur le modle conventuel. Michel Foucault a montr la continuit entre lhpital gnral de lAncien Rgime et lasile rpublicain. LEglise post-tridentine et la Rpublique ont partag progressivement des fondements communs, des valeurs communes, une mentalit partage, un mme sens de la nation et de la morale. Cette adhsion des valeurs communes pousse lEglise sidentifier lEtat (notamment dans les questions thiques). Les rpublicains lacs linverse ont quelque difficult accepter quils sont les gestionnaires dun hritage institutionnel dont ils ont peu modifi les fondements structurels, lis lEglise de lpoque moderne Notons aussi que les religieux, chasss de France une poque antrieure, ont vcu les tranches durant la Grande Guerre et ont ainsi gagn leur droit au retour en France. Par ailleurs de nombreux catholiques sont passs gauche; sans ces lecteurs porteurs dun christianisme social, les socialismes auraient perdu de trs nombreuses lections depuis la seconde guerre mondiale, et Franois Mitterrand ne serait sans doute pas devenu Prsident de la Rpublique en 1981.La sparation de lEglise et de lEtat nest sans doute pas aussi forte quon le pense gnralement mme en dehors de la situation concordataire de lAlsace et de la Lorraine. Un rel compromis a t trouv tant sur des normes culturelles gnrales qui se sont labores tout au long de lpoque moderne que dans les avantages dont bnficie lEglise catholique. Dans cet esprit, le gouvernement de Lionel Jospin a instaur le principe dun rencontre annuelle entre le Premier ministre et les ministres concerns avec les autorits catholiques, dialogue qui a t poursuivi par ses successeurs et concerne les autres confessions.La sparation des glises et de lEtat est un compromis tout fait spcifique aux relations entre un Etat centralis et un appareil religieux catholique qui lest tout autant. Il nest donc pas envisageable de le reproduire aujourdhui comme tel dans les relations que lEtat doit entretenir avec lIslam ou avec les nouvelles communauts chrtiennes ou celles venant dautres horizons religieux ou spirituels. Un nouveau compromis rpublicain doit tre trouv, mais il ne peut se faire que sur des bases diffrentes et avec dautres procdures de ngociation. Si le concordat sign par Bonaparte et le Pape en 1801, puis la sparation des glises et de lEtat en 1905 restent des temps de lhistoire prendre en compte, il est devenu ncessaire d'inscrire les rapports et les modalits de collaboration entre lEtat et les nouvelles communauts culturelles, religieuses et spirituelles dans un nouveau cadre. Les interfrences culturelles (voir par exemple les problmes lis au voile ou la viande Halal) et politiques (voir les influences trangres sur l'islam en France) rendent le problme encore plus complexe.3.2 La culture une et indivisible de la Rpublique peut-elle rsister au multiculturalisme?Mme si un compromis a t trouv au fil du temps, il ne faut pas oublier que la Rpublique a t fonde primitivement sur une volont dlimination des cultures rgionales, des cultures professionnelles lies aux corporations et des cultures religieuses. Chacun, dans la perspective de la Rvolution franaise, est libre parce quil est libr de son hritage culturel et religieux. La dmocratie est fonde alors sur une nouvelle culture rpublicaine caractrise par la relation individuelle du citoyen avec lEtat tant dans lacte politique du vote que dans celui tout aussi citoyen, de recevoir un service: Citoyens voil du pain! a-t-il t proclam lors des Journes rvolutionnaires doctobre 1789.

La culture rpublicaine est cependant aujourdhui dstabilise par les mouvements de populations lis la fin de la dcolonisation et ceux lis la globalisation de lconomie. Lexistence dune pluralit de cultures sur le territoire national est une ralit quil faut maintenant prendre en compte en sachant que la Rpublique aura plus de mal les dissoudre comme elle a su le faire dans le pass. Si lhistoire de France a toujours t traverse par une diversit de cultures rgionales -rappelons le dcoupage linguistique entre les langues dol et les langues doc, et les traits culturels des rgions priphriques intgres la France plus tardivement- le rouleau compresseur dune royaut de plus en plus centralisatrice et ensuite celui de la Rpublique ont russi les faire disparatre progressivement. Mona Ozoufa dcrit avec prcision le dchirement des bretons de gauche (communistes mmes) dfendant la culture bretonne contre la Rpublique. Sur le plan religieux, axe central de cette note, il faut se remmorer les guerres de religions et les multiples autres querelles religieuses en France (le catharisme, le jansnisme, le quitisme, le modernisme) qui ont laiss dans les mentalits des traces profondes. Elles ont fini par trouver une issue par une approche autoritaire de la question religieuse, lEglise catholique et lEtat grant de concert, un ordre centralis.

Depuis plusieurs dcades, les mouvements de population venant dautres pays vers la France, ou linverse les mouvements des jeunes diplms franais qui migrent ltranger, ne permettent plus de maintenir une vision si monolithique de la Rpublique, de la Nation, de lEtat et de lEglise de France. Les Etats et les nations ne sont plus au centre des mouvements de construction du monde. Les circuits financiers dominent, les stratges du march mondial ont les cls en main, les populations comme les capitaux se dplacent. LEtat national fait ce quil peut pour grer le pays, mais se heurte sa difficult de se rformer du fait de la perte de lgitimit du personnel politique et de sa difficult trouver le ton juste avec les impulsions de lUnion europenne. On peut comprendre les invocations rptes de lEtat sur la nation franaise une et indivisible, mais celles-ci deviennent drisoires quand cet Etat ne parvient plus grer les flux conomiques et maitriser les flux migratoires et quune diversit culturelle croissante se manifeste chaque jour dans la plupart de nos villes. Par ailleurs nous savons que les Grandes Ecoles exigent de plus en plus que leurs lves parlent plusieurs langues, aient des expriences ltranger et deviennent les stratges dune conomie globalise. Selon un rcent sondage, une part importante des lves de ces Ecoles envisage de faire carrire ltranger.Le rapport la culture rpublicaine fondant lidentit franaise nest plus celui des premires priodes de la Rpublique naissante. Chacun joue le jeu de sa place dans le march mondial du travail et se confronte plusieurs cultures, plusieurs sources identitaires. Toutes les classes sociales sont confrontes la ncessit de sadapter la pluralit culturelle. La situation des immigrs de premire ou seconde gnration fait la une des journaux. Les jeunes diplms franais qui travaillent ltranger modifient le rapport de leurs familles la culture nationale. Chacun apprend des langues et des usages diffrents des siens et tente dy tre suffisamment performant pour gagner sa vie et assurer lexistence de sa famille. Dans tous les cas, cest la culture de lchange choisi ou impos. Il reste pour chacun trouver sens sa vie, son projet de vie, sa place dans des socits aux frontires si poreuses et dans des organisations locales qui ne garantissent plus la scurit.

Face aux difficults rencontres, la tentation est sans doute, pour beaucoup dmigrs, celle du repli communautaire. Comme les migrants arrivant aux USA dans les annes trente, beaucoup sont contraints une vie double face. Il faut sefforcer de faire siens les usages de la culture dominante pour assurer sa subsistance, mais lon revient des valeurs ancestrales ou communautaires dans le repli de son intimit, de sa communaut pour continuer de trouver sens sa vie. Lorsque la prcarit devient lavenir probable, la culture communautaire devient la seule protection possible contre lanomie La culture communautaire peut devenir alors culture de la haine contre la Rpublique, son cole, divers services publics comme les transports, la police et mme certaines fois les pompiers.

Dounia Bouzar distingue bien les jeunes musulmans s'intgrant dans la socit avec plus ou moins de difficult de ceux qui rejettent la socit franaise et l'Etat rpublicain qui ne leur ont pas fait la place qu'ils escomptaient, distinguant chez ces derniers la minorit qui devient islamiste en s'abritant derrire un islam qui les institue comme justiciers pour combattre les drives de la civilisation occidentale. Dans cette obligation gnralise de multi culturalit, le facteur religieux joue de faon variable. Les migrants temporaires ou dfinitifs, originaires de pays de lEurope occidentale ou dAmrique, retrouvent en France des traits culturels auxquels ils sadaptent sans difficult, la religion y occupant peu prs la mme place que chez eux. Les migrants des pays de lEst, ou dAfrique noire ou du Maghreb, viennent en gnral de territoires o la vie est encore marque par une vie sociale et religieuse de type communautaire et ils nont pas une grande exprience des mcanismes de nos socits individualistes. Pour ceux qui habitent hors des villes, la religion traditionnelle occupe souvent tous les aspects de leur vie, ils ont une vision holiste du monde, la distinction entre le profane et le sacr est poreuse, laccs la modernit, telle que nous lentendons diffre selon les domaines de la vie. Leur arrive en France produit souvent un choc culturel important. La vie quotidienne de ces immigrs se caractrise par une tension entre la culture de leur communaut et leur ncessaire adaptation la vie en socit. La culture rpublicaine entre en dialogue avec la culture traditionnelle et la coexistence des deux peut provoquer chez certains un ddoublement identitaire extrme qui peut les conduire vers lanomie, la psychiatrie ou la prison. La question de lislam en France pose des problmes particuliers. Cette religion, proche de nous en raison de son ancrage dans les religions du livre, est en mme temps fort diffrente du christianisme. Si les spirituels musulmans et chrtiens ont beaucoup en commun, lorganisation des deux religions est radicalement diffrente. Le catholicisme est centralis et son organisation pyramidale est une des sources de lEtat moderne centralis et bureaucratique. La dynamique catholique depuis le Concile de Trente, est, traditionnellement, une dynamique autoritaire, descendante, exogne, par rapport la communaut locale, mme si, depuis le Concile Vatican 2, lEglise fait de plus en plus de place la collgialit entre vques. A linverse, lislam, plus endogne, tient d'abord par son caractre fortement traditionnel, et la forte implication dacteurs locaux autonomes relis des rseaux internationaux (notamment par internet). Face un Etat rpublicain jacobin en crise qui cherche ses territoires, lislam, en matrisant son ancrage territorial, rpond une demande locale dinvestissement dans une vie communautaire endogne. Des jeunes gens de familles catholiques, parfois pratiquantes, rejoignent en banlieue les rseaux musulmans en raison de la vie communautaire des groupes islamiques, ce que lEglise catholique et lEtat leur offrent moins. Les mouvements chrtiens de jeunesse daujourdhui font encore appel la mobilisation des jeunes, mais ils sont moins territorialiss et ils ne sinscrivent quassez peu dans des solidarits de voisinage. Le patro dantan est une histoire termine. Un mouvement de recommunautarisation de paroisses, sous limpulsion en particulier des mouvements charismatiques, est cependant visible depuis quelques annes en particulier en ville.Autre signe des temps, dans lentreprise elle-mme, des personnes demandent maintenant des salles de mditation ou de relaxation pour se recentrer sur elles-mmes, tandis que des musulmans demandent des salles de prires.

Face ces changements, le vivre ensemble rpublicain seffrite et dautres questions apparaissent. La Rvolution franaise voulait librer le citoyen des chanes des corps intermdiaires et des religions. Celles qui existaient lpoque se dlitent, mais de nouvelles communauts religieuses sont apparues. Comment conforter ce vivre ensemble dans une socit qui ne vit plus sur les fondements anciens de la modernit rpublicaine? Comment favoriser le vivre ensemble dans un espace culturel commun o, comme nous lavons indiqu, de nouveaux rapports au religieux sexpriment et de nouvelles formes de spiritualit prennent progressivement une place importante? Comment prendre en compte le risque delinstrumentalisation de la religion au service de luttes politiques qui constitue un pige redoutable pour les tats comme pour les communauts religieuses ?

Notre compromis rpublicain, bas sur la sparation de l'Eglise et de l'Etat et sur une culture franaise uniformisatrice et assimilationniste, est remis en cause par les nouvelles communauts religieuses et spirituelles comme par les multiples influences culturelles et politiques, dont certaines sont trs lies au religieux. Ce compromis laborieusement labor est confront des influences contradictoires d'une part de demande d'ouverture pour s'adapter aux dynamiques de la mondialisation et de ses multiples changes, d'autre part du besoin de scurisation autour de rgles et normes communes face un avenir incertain. C'est pourquoi il est important d'examiner ce que religions et spiritualits sont capables d'apporter une communaut nationale en recherche de nouveaux quilibres favorisant le vivre ensemble.

4. UNE QUESTION INCONTOURNABLE: CE NOUVEAU PAYSAGE RELIGIEUX ET SPIRITUEL PEUT-IL ETRE UNE RESSOURCE POUR NOTRE VIVRE ENSEMBLE? La rflexion sur le vivre ensemble prenant en compte la diversit culturelle et religieuse et leurs volutions doit prendre ses distances avec les lieux communs que lon rencontre trop souvent dans des milieux laques nostalgiques des combats du pass contre lEglise catholique. Il nous faut, bien sr, avoir un regard critique sur lhistoire des religions, mais reconnaitre aussi leur contribution fondamentale lhistoire humaine et leur possible apport fcond lhistoire qui se droule sous nos pas aujourdhui. Les spiritualits, lies de prs ou de loin ou sans aucun lien avec les religions, posent aussi une nouvelle srie de questions que lon ne peut pas ignorer.4.1 Un regard sur les religions comme ressources.Lhistoire de lhumanit est intimement lie lhistoire des spiritualits et des religions. Des premires peintures rupestres aux temples grecs, hindous ou bouddhistes les plus anciens, lhomme est un homo sapiens en qute de sagesse et de sens de la vie, qute qui dpasse le simple sens du respect dune morale personnelle et collective. Marcel Gauchet a rappel dans son fameux livre Le dsenchantement du monde (1985) lintrt intellectuel dune rflexion sur lhistoire politique des religions et sur le dplacement de la question des religions vers les spiritualits et le dveloppement personnel. Les travaux de Charles Taylor sur les mentalits modernes et linterculturalit ne font pas lconomie de lhistoire religieuse de lhumanit. On ne peut gommer dun revers de la main cet aspect de notre histoire au nom du progrs et de la modernit. La ncessit en France, davoir d lutter contre la volont de lEglise catholique de chercher imposer ses vues au pouvoir politique, a conduit la loi de sparation des glises et de lEtat, mais cette sparation tant aujourdhui acquise, il ny a plus aucune raison de rejeter le patrimoine de notre longue histoire religieuse. Il ne sagit pas seulement de sauver les monuments et les glises des sicles passs, mais de tenter de comprendre la mentalit des communauts qui y vivaient proximit. Les cathdrales peuvent nous intresser, mais aussi lesprit des cathdrales et celui de ceux qui les ont construites, de lhomme vivant au pied de la cathdrale. On peut visiter le Parthnon Athnes, mais il est intressant de tenter de comprendre lhomme du Parthnon comme celui de la civilisation des Cyclades qui enterre ses morts en mettant dans les tombeaux de si curieuses statuettes les yeux ouverts sur linfini. Il est difficile en histoire de lart de faire abstraction de lhistoire religieuse. Comment couter Bach sans aucune culture religieuse?Par ailleurs nous constatons une expansion du patrimoine culturel et religieux de lhumanit hors des communauts qui lont cr. La pianiste Zhu Xiao-Mei interprtant clandestinement dans son camp de travail sous la rvolution culturelle chinoise, le clavier bien tempr de J-S Bach, illustre cette dynamique. Le bouddhisme nappartient plus aux seuls asiatiques et le soufisme nest plus une proprit exclusive des musulmans. Le phnomne des conversions que nous avons mentionn, montre quil ny a plus automatiquement adquation entre territoire, culture, religion, et nation. Le rejet de la culture religieuse comme lment de domination culturelle et politique svanouit lorsque le religieux se dcommunautarise. Sous rserve que ce rejet ne conduise pas un auto enfermement de type sectaire, ce religieux peut constituer une ressource pour donner sens la vie, un patrimoine dont on peut faire son miel sans peur de la domination communautaire ou tatique.Lhomme qui refuse tout intrt culturel pour lhistoire religieuse de lhumanit risquerait non dapparatre comme un homme libr, mais comme une personne inculte et sans finesse desprit.Les deux facettes des religions

Les religions peuvent tre regardes sous au moins deux facettes. Elles proposent une vision du monde, une loi morale, des rituels, une ascse. Elles sont pourvoyeuses desprance et constituent ce titre un soutien dans les difficults du monde prsent, en gnrant des solidarits communautaires et extracommunautaires (laccueil de ltranger). Mais elles furent souvent aussi, et peuvent tre encore, dominatrices, rigoristes et sources dun ordre politique, au service, comme lEtat, des classes dominantes. La condition des femmes dans le monde des religions nest pas non plus sans poser problme, non seulement dans lislam contemporain, mais, des degrs divers, dans toutes les religions. On ne peut que sinterroger sur la pdagogie autoritaire des coles coraniques, mais on sait aussi que lenfermement de gnrations denfants dans les institutions catholiques comme pensionnaires a laiss dans les consciences beaucoup de mauvais souvenirs, de blessures profondes. Par ailleurs toutes les religions sont victimes des degrs variables du clricalisme. En effet, si lon peut comprendre le principe hirarchique dans lorganisation de la communaut et la clbration des rituels, il est difficile daccepter que les charismes et les vocations multiples soient de fait accapars par ce qui ressemble une caste. Les spirituels de toutes les religions limage emblmatique de St Franois dAssise qui ntait pas clerc, ont souvent d imaginer des scnarios multiples pour ne pas tre phagocyts par lInstitution. Beaucoup ont t victimes des perscutions.Le rapport des religions lEtat est complexe. Les empereurs romains et byzantins avaient fini par accepter le pouvoir autonome de lEglise et la non confusion des deux pouvoirs. Le csaro-papisme latin a illustr linverse lenvahissement de la sphre politique par le religieux et vice-versa. La question du rle de lIslam dans la sphre publique aujourdhui dans de nombreux pays peut tre lue comme une politisation de lislam, son utilisation politique par des lites voulant conqurir le pouvoir dEtat. Lintgrisme est tout autant une conviction religieuse radicale quune vision politique et universelle dun pouvoir religieux. Lintgrisme guette, des degrs divers, toutes les religions. Le csaro-papisme a t un intgrisme. Il faut se demander lucidement si lislam peut se dfaire dun imaginaire structurel: l o vivent des musulmans, lEtat ne pourrait-il qutre musulman! lIslam nest-il pas pour tout musulman un horizon politique? A une moindre chelle: dans un quartier o vivent des musulmans, la municipalit doit-elle tre en partie compose de musulmans? L o les Eglises ont mis des sicles se dtacher en Europe occidentale, sous la pression dmocratique, de limaginaire dun Etat chrtien, lislam peut-il en Occident ne pas prendre le chemin de la confusion entre le religieux et la norme socitale sappliquant tous? La capacit de lislam sintgrer dans un espace dmocratique constitue sans doute un enjeu majeur pour tous les musulmans, et notamment ceux vivant en France. Les tensions qui existent cet gard dans lislam franais entre les partisans dun islam la franaise et les tenants dislam soudien, le montreIl nen reste pas moins que les religions restent des ressources dans les temps prsents comme elles lont t toutes les poques de lhistoire, mme sil faut tre conscient des drives toujours possibles. La vie en socit ncessite le respect de rgles communes, de principes de comportement. Cette vie dans la loi commune repose non uniquement sur la loi elle-mme, mais sur un sens donn la vie, travers la loi. Les religions transmettent un patrimoine symbolique, que lon trouve peu ailleurs, sans lequel lhomme ne serait quexcuteur de la loi, agi par la loi, mais non pntr de son bien-fond. Entre le lieu de culte, la communaut cultuelle et la famille se tissent des liens ducatifs qui forment lesprit de beaucoup denfants et les prparent une vie en socit en offrant une alternative lanomie. Les religions apportent aussi un sens de la solidarit communautaire, et souvent aussi extracommunautaire, lment capital du vivre ensemble. Les religions ne senferment gnralement pas dans un systme de relations strictement marchandes, lthique religieuse dpassant lutilitaire, et mobilisent des sentiments de compassion. Les religions apportent une vision holiste du monde qui permet lindividu de se confronter au mal, la souffrance. Toutes les religions dveloppent un discours sur le mal (une kakologie) et un enseignement sur laffrontement au mal (une thrapein, une pharmak). Il ny a pas de socit sans mythe et sans rite disait Lvy-Strauss, sans rcit tragique sur le mal et lesprance.Notons aussi quil ny a pas de religions sans lieu de culte et de dvotion. Les hindouistes multiplient les lieux de dvotions de proximit, les musulmans habitent dans les pays musulmans, proximit des mosques pour pouvoir sy rendre plusieurs fois par jour, lglise du village ou la synagogue remplissent des fonctions similaires mme si le culte est surtout hebdomadaire. A ct des espaces de rassemblement toutes les religions ont recours des lieux de dvotion secondaires la maison mais aussi la croise des chemins. Toutes les religions ont aussi des lieux lointains de plerinage. Il est certainement utile dans la perspective de ce texte de comprendre la dimension cultuelle de toutes les religions, de faire dcouvrir ce qui se joue anthropologiquement, travers les rituels et les dvotions. Peut-on dcouvrir lhistoire de la musique sans saisir le sens des rituels liturgiques? Autre question: quels liens entre spiritualit et rituels?

Ne mconnaissons pas le sens de ces rituels, aujourdhui largement laciss dans la cration des temps humains. Dans la chrtient, les rituels scandent la rpartition des temps quotidiens selon le tryptique monastique, le repos, le travail et la prire. Dans nos socits, le troisime temps est devenu un temps de loisir o le travail sur soi peut prendre place. De mme la rpartition des jours fris dans lanne, qui correspondent pour la plupart en France aux ftes religieuses catholiques. Dans lislam les cinq prires quotidiennes structurent la journe.

Accepter davoir un regard sur les religions comme ressources dans lhistoire de lhumanit et comme ressources pour conforter notre vivre ensemble rpublicain exige que lon nvacue pas trop rapidement la question de la transmission du savoir des religions; le respect de ce qui doit tre transmis (la paradosis) est inhrent au fait religieux. Il faut dvelopper dans une perspective rpublicaine une rflexion sur les lieux lgitimes de transmission et dtude internes aux religions, destination de leurs divers publics, selon les ges et les responsabilits occupes au sein de la communaut. Le travail sur lhermneutique des textes et lhistoricit des rvlations que mnent conjointement les institutions acadmiques religieuses et civiles contribue au dialogue entre foi et raison, dialogue fondamental pour le dveloppement dun processus dmocratique intgrant de faon profane les richesses des traditions religieuses.Cette rflexion est distinguer de celle, plus large, que nous aurons plus loin sur la proposition faite tous les publics dune relecture, la lumire de la modernit, du patrimoine religieux et spirituel de lhumanit. Mais elle ouvre une interrogation sur le rapport entre appartenance religieuse et activits scolaires et priscolaires. La famille ne peut, rduite ses seules ressources, transmettre une tradition: ds lors, quel accs lui fournir des ressources communautaire de transmission dun patrimoine religieux dans lequel elle puisse se reconnatre?

4.2 .Education familiale et apprentissages moraux

Notons que certaines religions sont davantage centres sur linstitution et ses clercs, comme lEglise catholique; dautres religions, comme lislam, le judasme, sont plus familiales, plus personnelles: lapprentissage de la loi sy fait dans la famille et les liens communautaires. La famille et son environnement sont ducatifs et porteurs de la loi au sens biblique du terme, loi que lenfant va intrioriser et qui laidera se structurer, au moins dans un premier temps de sa vie. Nulle autre institution quela famille, puis lcole dans un second temps bien videmment, ne peuvent rellement lever lenfant et le prparer la vie en socit. Les expriences inverses, qui ont t exceptionnelles, ont t souvent lobjet de critiques car la tentation totalitaire y tait frquemment prsente. LEtat vite dailleurs aujourdhui, autant que possible, de dpossder les familles de leur droit lducation y compris dans les cas avrs de dfaillance parentale ou de maltraitance. Les familles contemporaines, structurellement (biparentales, monoparentales, recomposes, homoparentales, etc.) et culturellement (franaises de longue date, maghrbines, africaines sub-sahariennes, asiatiques, etc.), plus diverses, et de plus en plus rarement religieuses pour celles non issues de limmigration, continuent, elles aussi, transmettre des valeurs, mme si elles peinent parfois remplir leur fonction ducative dans un monde envahi par les logiques marchandes et lindividualisme auto-rfrenc.

Une vigilance rpublicaine est cependant ncessaire. Cest pourquoi, dans la France rpublicaine de la fin du XIXme, lEtat se substitue la religion pour lducation morale. Aprs le temps de lducation familiale et de concert avec elle, il y a linstruction et lacquisition de connaissances vise mancipatoires. Jules Ferry tait respectueux des familles de son sicle. Il sparait bien lducation familiale et religieuse de linstruction centre sur la morale et la connaissance, mais ne mconnaissait pas limportance de la famille, de la communaut et des valeurs traditionnelles quelles vhiculaient. Comment adapterions-nous la clbre lettre de Ferry chaque instituteur notre contexte actuel?Monsieur linstituteur

[] (Votre rle) ne vous demande rien quon ne puisse demander tout homme de cur et de sens. Il est impossible que vous voyiez chaque jour tous ces enfants qui se pressent autour de vous, coutant vos leons, observant votre conduite, sinspirant de vos exemples, lge o lesprit sveille, o le cur souvre, o la mmoire senrichit, sans que lide vous vienne aussitt de profiter de cette docilit, de cette confiance, pour leur transmettre, avec les connaissances scolaires proprement dites, les principes mmes de la morale, jentends simplement cette bonne et antique morale que nous avons reue de nos pres et mres et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie, sans nous mettre en peine den discuter les bases philosophiques. Vous tes lauxiliaire et, certains gards, le supplant du pre de famille : parlez donc son enfant comme vous voudriez que lon parlt au vtre ; avec force et autorit, toutes les fois quil sagit dune vrit inconteste, dun prcepte de la morale commune ; avec la plus grande rserve, ds que vous risquez deffleurer un sentiment religieux dont vous ntes pas juge. Si parfois vous tiez embarrass pour savoir jusquo il vous est permis daller dans votre enseignement moral, voici une rgle pratique laquelle vous pourrez vous tenir. Au moment de proposer aux lves un prcepte, une maxime quelconque, demandez-vous sil se trouve votre connaissance un seul honnte homme qui puisse tre froiss de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un pre de famille, je dis un seul, prs