La Fabrique Du Cretin Brighelli Jean Paul

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    Jean-Paul Brighelli

    La Fabrique du Crtin

    La mort programme de lcole

    Prface de Bernard LecherbonnierGallimard

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    Les idiots ne sont pas ceux quon croit.

    MALRICK T. MASCHINOVoulez-vous vraiment des enfants idiots ?Hachette, 1984.

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    PRFACE

    Crtin !

    Crtin ! Jai toujours aim cette invective peine une insulte dfinaffectueuse. Oui, affectueuse. Le crtin, ctait autrefois lidiot du village, linnocecrivains en ont fait un type : le dos vot, le regard fuyant, un chien en maraude.

    lpoque o jtais lve de khgne, au lyce Condorcet, le crtin se rvlait enlumire loccasion de la terrible preuve de thme latin. Le crtin commenait trente. Jai vu ainsi lun de mes excellents camarades, aujourdhui journaliste fort

    longer dans les profondeurs inexplores du moins soixante-huit. Un crtin hors pDe nos jours, ce mot est un peu oubli. Merci donc Jean-Paul Brighelli de

    ressuscit, davoir intitul son livre La Fabrique du Crtin. premire vue, prlecture, jai naturellement commis le faux pas, le contresens attendu. Jai cru que

    Paul Brighelli nous expliquerait que lcole est devenue une fabrique de Rapidement, jai corrig mon erreur de lecture. Le Crtin dont il sagit nest pas le p

    de la fabrique, mais son ingnieur, son directeur, son patron. Je my retrouveainsi, je lavoue.Mais quest-ce donc quun crtin aujourdhui ? Il y a de moins en moins de v

    donc de moins en moins didiots du village. Il ny a plus de thmes latins, par conson manque cruellement de crtins abyssaux. En bon citoyen, je me suis tourn discours prsidentiel o lon trouve souvent des perles. Et je nai pas t du. Justede rencontrer le Premier ministre britannique autour dun triste saumon en papichef de ltat franais se plaignit de devoir supporter une heure durant ce cr

    Tony Blair , qualifi tout aussitt de con prtentieux .Jtais sauv. Mtait soudain fournie une dfinition moderne, actuelle, efficcrtin. Il suffit ensuite de la dcliner sur le mode scolaire. Exercice trop facile pourasse perdre le temps de mon lecteur. Une seule constatation : le crtin en chef de

    de moins en moins longtemps en selle sur son cheval de rodo. Ce qui nest pas encas du crtin de bureau, de fait le plus dangereux.

    Ce que je reproche au crtin grenellien, quel que soit son niveau de responsdirresponsabilit, ce nest pas son ambition. Chacun a le droit de la placer osouhaite. Ce nest pas non plus le scoutisme un peu ballot qui lui sert en gn

    hilosophie. Ce que je lui reproche, cest davoir cass le formidable ascenseurqutait lcole de la Rpublique.Moi, fils de facteur, jai autorit le dire, le proclamer Sans lcole rpublicain

    de lgalit des chances, je serais encore, comme mes aeux, au cul des vaches. ctait dur, lcole, le collge, le lyce des annes 60. Les petits-bourgeois ne nous fa

    as de cadeau. Mais une fois quon avait franchi la porte de ltablissement, uquon avait pris ses marques sur limpitoyable terrain de la comptition scolaiexamens et des concours, on se sentait enfin galit avec les rejetons des classes s

    suprieures. Et pour nous, ctait une question de survie. Tu tombais, tu ne redoas, tu te retrouvais apprenti boucher.

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    Depuis lors, le Crtin, sous le fallacieux prtexte de la dmocratisation, a de faune cole deux vitesses. Celle des beaux quartiers, avec ses tablissements privslyces de centre-ville, celle des bestiaux pour les autres. On en est revenu aux princlcole coloniale. lapartheid social et culturel. Dun ct ceux qui sentent bon, auon distribue les morceaux choisis De lautre ceux qui sentent mauvais, vous la

    opulaire. Chaque anne on invente lintention du ghetto un nouveau gadgetanne, la discrimination positive . Sans doute, lanne prochaine, sera-ce un Baet Religion

    Apartheid social. Pdagogie coloniale.

    Je sais que je nai pas t compris lorsque, dans un rcent livre, jai rapproobjectifs de lcole actuelle de ceux qui guidaient lcole coloniale. Quon me pardodapporter quelques prcisions utiles.Les dbats sur lcole coloniale sont aisment accessibles : ils forment la mat

    Bulletin de renseignement des Indignes de lAcadmie dAlger,publi partir d

    diffuse auprs des instituteurs, des inspecteurs et du Rectorat. Indignophoindignophiles sy opposent. Les premiers regrettent quon prodigue lenseignnotamment lapprentissage du franais, aux indignes : La langue franaise, bide nous faire aimer des populations indignes, leur fournit les plus fortes raisnous har. Notre langue nest pas un instrument mettre entre les mains des popuque lon veut gouverner sans leur consentement. Les indignophiles ont obtenu,lavis de leurs adversaires, quon enseigne le franais aux coloniss. Il sagit nandun franais purement fonctionnel : Nous ne voulons faire des indignes onctionnaires, ni des ouvriers dart, mais nous croyons que lindigne sans instr

    est un instrument dplorable de production. Les indignophiles, qui se recrutenarmi les partis de gauche, sont daccord avec la droite indignophobe sur un

    essentiel : La colonisation a tout intrt voir le fellah devenir meilleur cultiest-ce pas lindigne qui fournit abondamment au colon une main-duvre

    march et indispensable ? Le dsaccord ne porte pas sur la fin, mais sur les moyeLe fellah alphabtis est-il ou non plus rentable que le fellah analphabte ?Victorieux, les indignophiles seront appels btir des programmes scolaires

    excluront les disciplines dangereuses : les sciences, lhistoire, la gographi

    revanche seront amplement enseignes lhygine et lagriculture. La premire plaaccorde la morale : Il ne suffit pas dinstruire les indignes, il faut aumoraliser. Pourquoi cet effort particulier de moralisation ? Le fameux Tralgislation algrienne dE. Larcher (1903) est explicite : Les Franais sont aujouen Algrie dans des conditions semblables o se trouvrent les Francs en Gaule. Uvictorieuse impose son joug une race vaincue.

    Le franais sera donc enseign lindigne. Mais quel franais enseigner ? Lesacadmiques rpondent avec clart cette question : une langue simple . Sur

    dagogique, cela signifie un rejet pur et simple de la grammaire explicite :

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    napprend pas dans nos coles le franais par la grammaire mais par la mthode de la conversation et des exercices de langage : tout par la pratique, pour la prat

    Loral est systmatiquement privilgi. Par consquent, la dicte est rejete : rserve aux coles des colons. Les instructions insistent sur le fait que les mdoivent parler le moins possible, se soucier de faire parler dabondance les lvaucun cas ils ne doivent exprimer la moindre ide : rien dabstrait, rien de comrien de savant , prcisent les programmes. Interdiction daborder la littrature :

    ersonne nayant que des besoins matriels nest gure prte pour goterlittrature. Ce nest pas du Viala, ce pourrait en tre. Les concepteurs des progracoloniaux ne dissimulent pas leurs sources pdagogiques. Les programmes de 19

    erfectionnent ceux de 1893, revendiquent leur ressemblance avec la mthode Bercherchent sopposer point point aux programmes rservs la bourgeoisie coloceux-ci ne privilgient-ils pas lcrit, nexigent-ils pas la matrise de lorthographe grammaire, ne prconisent-ils pas la culture des belles-lettres ?Ai-je besoin de filer la mtaphore ? Cette cole deux vitesses, cest la nt

    indignes sont nos portes en banlieue. eux les beauts de lexpression orale

    spontanit, du savoir au compte-gouttes.En face, dans les lyces des hritiers , de la culture pleines louches.Quand lcole se scinde en deux cest la Rpublique qui est en danger. Rptons-

    cesse :cest au meilleur de la connaissance que tous les enfants scolariss en Franlgalement droit.Je ne suis pas toujours enchant quand je vois dfiler dans la rmilliers de lycens sous des pancartes de carnaval. Cependant, il faut entendmessage. Ils savent, eux, que le Crtin tient les rnes. Au moins, pour cela, solidaires de leurs luttes. Rien ne nous dit que, demain, le dfil ne se scindera deux : dun ct ceux qui croient lavenir, de lautre ceux qui ny croient plus.

    La lutte des classes, vous aimez ? Vous allez tre servi.

    Bernard Lecherbonnier22 juin 2005

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    Prologue

    Aujourdhui, lcole est morte. ducation nationale dcde. Lettre suit Ainsi tais-je tent de commencer ce livre. Jaurais ensuite dmontr que tout ce

    bti depuis les lois Ferry (Jules) a t ananti progressivement jusquau ministre(Luc). Peut-tre me serais-je laiss aller la nostalgie des blouses grises et des corgle sur les doigts

    Mais le constat de cette mort programme, annonce, constat partag par tous, plves et enseignants, ne suffit plus. Encore faut-il comprendre pourquoi on sciemment lcole. Ce qui est chec aux yeux de lopinion correspond un projet chec savre, pour certains, un succs.

    La nostalgie, que ne manqueront pas de nous reprocher les tenants de la moderest la seule voie srieuse pour prparer le futur sans renoncer massivement la cul

    Qui ne voit que la modernit est en fait un retour vers lobscurantisme ?Les mots, dans le monde de Big Brother, comme notre poque de totalitarism

    doivent tre pris lenvers. Le ministre de la Paix soccupe de la guerre, et lIgno

    cest la force. Le succs de la nouvelle pdagogie , cest la mort programmSavoir ; son objectif : la fabrique du Crtin.

    Au dbut des annes 80, Maurice T. Maschino posait ingnument la que

    Voulez-vous vraiment des enfants idiots[1]? . Il liait la baisse de niveau quil condj aux dcisions prises la fin du septennat de Giscard dEstaing, et dcrivasituation annonciatrice de la catastrophe actuelle :

    La faillite de lenseignement nest un secret pour personne : ni pour les enseig

    bien entendu, qui constatent chaque jour ltat de dlabrement intellectuel delves, leur incapacit rflchir, leur totale allergie aux activits de lesprianalphabtisme profond ; ni pour les parents, rgulirement stupfaits de constatleurs enfants, mme en terminale, savent peine lire et crire ; ni pour les lvsennuient longueur de cours, bafouillent quelques monosyllabes quand interroge, puis retombent en lthargie, ne se rveillant que pour courir au troquet oleur moto.

    Longtemps je me suis indign de bonne heure. Mais faisant, la mme poq

    mme constat que Maschino, javais peu peu cess de minsurger quoi bon ? cette mise en sommeil de ma capacit critique, ctait un peu de ma vocation premisombrait.

    Puis, durant ces annes de gouvernement de gauche qui ont prcipit les chodlibrment englouti lcole dans le marasme, je me suis rappel que rien nesthasard. Derrire lanantissement de toutes les facults de lesprit, il y a unprojet.

    Un projet nest pas un complot. Nul besoin dimaginer que lon a calcul la mlcole. Une civilisation a lducation quelle mrite, et uvre globalement

    fabriquer.Pour mettre genoux ce qui fut lun des meilleurs systmes ducatifs du mon

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    fallu une singulire conjuration de volonts perverses et de bonnes intentions imbOn ne dtruit pas sans effort, en une vingtaine dannes, ce que la Rpublique a sicle difier.

    Des projets, en fait, il y en eut deux.Le premier prit naissance peu aprs mai 68 dans les cerveaux des plus na

    libertaires. Il sagissait den finir avec lcole de papa chacun se dbarrasse dipe comme il peut, ceux-l turent instituteurs et professeurs pour se sentiadultes, et souvrir le champ du crtinisme patent. Ces utopistes dvoys ont enles no-pdagogues qui envahissent dsormais lenseignement. La cultureprobablement une affaire bien trop srieuse pour la laisser aux seuls enseignants,rpudi le savoir, et mis en ses lieu et place la Didactique, cette science pdagogie qui a t substitue lart dapprendre et lapprentissage rel.

    Le second projet, peu prs la mme poque, mergea avec le no-libralismefrayait un chemin aprs les deux chocs ptroliers et la rvolution informatisagissait, cette fois, de formater lindividu dont lconomie moderne avait, pa

    besoin : un tre sans pass, sans histoire, sans bases. Un epsilon polyvalent, caurait dit Huxley[2], susceptible de passer, sans protester, de CDD en intrim et en Un crtin, taillable et corvable merci, au nez duquel on agiterait le chiffon routrois millions de chmeurs qui, peu ou prou, sont ncessaires la parfaite obissantravailleurs intrimaires.

    Tiraille entre utopistes et opportunistes, lcole avait bien peu de chances dsortir.

    Le systme a produit ce qui lui tait ncessaire : une main-duvre bon march, m

    concurrence avec un sous-proltariat exotique (est-europen, dans la versiopurement CEE du projet), forme une tche prcise, et surtout, dbarrasseculture globale qui lui permettait, jadis, danalyser le systme, de se reprsenter dsystme et, in fine, de le critiquer.

    Formation / qualification : les officiels nont que ces mots la bouche. Qui ne vola formation acquise dans lcole moderne quivaut une dqualification maQui ne sait que, tout rcemment, le nombre doffres demplois non qualifis a augen France, passant, en 2004, de 4,5 5 millions ?

    Lcole est aujourdhui le moteur de cette dqualification.Bien entendu, elle dit le contraire. Elle qualifie mme tour de bras. En trente aninvent les BEP, les Bac pro, les BTS, les filires courtes, les formations qualifiantstages de formation tout un arsenal charg de combattre le chmage ingalits en offrant chacun une capacit conforme aux besoins de lindustrie

    Poudre aux yeux : les spcialisations choisies au collge ou au lyce ne sont enquavec les besoins immdiats de lindustrie certainement pas avec ceux qui sersiens quatre ou cinq ans plus tard. Les informaticiens aujourdhui en formation serterme de leur cursus, rudement concurrencs par les spcialistes indiens ou pakisqui tiennent dj le haut du pav mondial dans le secteur, et pour une fraction de

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    cote leur homologue franais.Le rve de lindustriel, cest lilote, lesclave sans conscience des socits antiq

    Crtin des socits modernes. La socit industrielle uvre le peaufiner.Le no-libralisme a rtabli la misre ; il tait logique que paralllement il rha

    lignorance.Mais une ignorance diplme. Jamais les rsultats au Bac nont t aussi brillants

    dune classe dge ! Jamais le nombre de formations Bac + 2 ou 3 na t aussi levPour quel profit ? Les plus gs savent bien quun Bac des annes 2000 nest

    lointain cousin dgnr du Bac des annes 60, quand 15 % dune classe dge attce niveau. Les diplmes ne sanctionnent plus, comme autrefois, une comptendlimitent, au mieux, une tranche dge. Mme si les lves de terminale ftent enBac, ils constatent, tout tonns davoir russi un examen si rput en ayant travaill, quil ne sagit plus dun rite de passage, mais dune invitation aller se faiailleurs en universit, par exemple. Le tri qui se faisait autrefois en cinquitroisime, on charge dsormais les formations suprieures de leffectuer. En douc

    possible. Autant laisser les tudiants vivre encore un peu dans lillusion quils ont quelque chose. Quils sont quelque chose.On forme ainsi des gnrations de frustrs qui revendiqueront leur formation

    3 , tout en se voyant proposer des emplois trs subalternes. Un employ de brecrut il y a quinze ans au niveau Bac, lest aujourdhui au niveau licence. Non

    banque ait besoin de comptences nouvelles, mais parce quune licence daujouvaut exactement un Bac dil y a quinze ans.

    Les coles normales dinstituteurs, dans les annes 50 et 60, recrutaient fin troou au niveau du Bac. Aujourdhui, les IUFM slectionnent en licence, et donnent trois ans de formation leurs heureux bnficiaires. Un professeur des coles , Bac + 5 ou 6, en sait-il davantage quun instituteur lancienne ? Est-il plus cdapprendre lire et crire ses ouailles ? Forme-t-il des lves plus comptents ?

    Questions rhtoriques : chacun sait bien que les IUFM, depuis 1989, servenlessentiel faire dsapprendre le peu de savoir accumul dans les cursus prcdenInstituts Universitaires de Formation des Matres apprennent apprendre riprofesseurs des coles comptents ne doivent leur comptence qu leur valeur pro lart de la ruse, qui leur a permis de survivre en milieu hostile, parmi les didactic

    toutes farines qui imposent leurs vues sur la pdagogie, en sefforant de faire croisagit dune science, quand il sagit dun art[3].Un IUFM, cest labus du privilge quont les Pdants de gter la raison , c

    disait ce bon La Fontaine[4].Les parents, sidrs souvent de voir leurs rejetons si savamment ignorants, incrim

    volontiers ce (ux) quils ont sous les yeux. Cest la faute des matres, disent-ils.Ce nest pas toujours faux, mais cest un peu vite dit. Il y a peu de matres incapa

    y a peu dlves idiots. Quen revanche on se soit efforc de les rendre tels, les unautres, l est le fond du problme. Le Crtin (et jentends par l aussi bien le prodsystme llve que son initiateur linstance enseignante) ne lest pas par n

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    il est le produit dun systme alors mme quil sen croit parfois producteur.Un mot encore, avant de commencer lautopsie.

    Voil trente ans que jenseigne. Je suis pass par un collge rural, par divers lycbanlieue parisienne, la plupart situs dans des ZEP (Zones dducation Prioultimes, par luniversit, puis par un grand lyce de province, et je moccupe aujoude classes prparatoires aux grandes coles. lcole primaire prs, jai parcouru tgamme. Jai enseign surtout des lves issus de milieux dfavoriss ceux-lqui sont aujourdhui le cur de cible des Nouveaux Pdagogues, qui se sont donnmission dabtir dfinitivement les populations venir, afin de les conformer au pldes aspirations industrielles.

    Par ailleurs, jai bourlingu travers le monde de ldition scolaire et parascdurant toute cette priode. Je me suis battu contre la crtinisation en marcheparfois, jy ai particip.

    Ce qui suit est tout autant tmoignage dun parcours que rflexion sur ltat pprsent du milieu ducatif. Cest aussi un cri dalarme. Je serai la retraite da

    dizaine dannes ; autour de moi les baby-boomers entrs dans lenseignement dannes 60 glissent en grandes vagues du professorat vers le papy-boomQuelle cole allons-nous laisser derrire nous ?

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    Au centre du systme

    Llve au centre du systme ! En vingt ans de pouvoir plus ou moins partgauche a eu pour seule ide en matire denseignement ce slogan si discrtdmagogique, que lui ont souffl les nouveaux ayatollahs de la pdagogie. Et qusinscrire en faux contre un si beau mot dordre ? Lcole nest-elle pas faite pour lNest-elle pas son service ? Nest-il pas le petit chri de linstitution scolaire ?

    Disons tout de suite que lenseignant au centre du systme serait un slogaaussi imbcile. Le savoir est un cercle dont le centre est partout, et la circonfrencpart. Il ne sagit pas dtablir une prpondrance, mais de fonder des rciprocits. comme matres ont des droits et des devoirs. Leur lien est dialectique, et non subor

    Llve est en droit dexiger un savoir. Et lenseignant a le devoir de linstruire. doit tre pris au srieux : il est l pour travailler. Lenseignant a le devoir de ltrimer : il nest pas l pour faire garderie ni pour animer des dbats, ou encadtravaux personnels pomps sur Internet[5].

    L est la vraie demande : apprendre Revenir chez soi le soir plus riche quil n

    parti. Quas-tu appris aujourdhui lcole ? Si cette question des parents, lou ladolescent na rien rpondre, cest quil a perdu sa journe. Que les psourient, de manire complice, en reconnaissant ce queux-mmes ont appris soou quils soient interloqus, courroucs parfois, devant des enseignements toutnouveaux, peu importe. lves et profs appartiennent une chane de transmission

    Il en rsulte que lenseignant nest pas un copain. On ne lappelle pas par son pon ne le tutoie pas pas plus dans les petites classes quen universit. Lorsque ddicaa ses premiers livres son instituteur de CM2, il crivit : M. Louis Germ

    Pas Louis , ni mme Louis Germain . Il lui devait sans doute des coups dsur les doigts, quelques tiraillements doreille, et sa russite lexamen dentsixime parce qu cette poque, on devait mriterlentre en sixime. Louis Gprta des livres au futur prix Nobel, il se rendit mme chez lui pour convaincre sa msa grand-mre de laisser le petit Albert faire des tudes rien qui sortt de sa mpremire : enseigner. De la mme manire, en premire suprieure (nous aujourdhui terminale), son professeur de philosophie, Jean Grenier, passa aufootballeur, fils dune femme de mnage, des livres et des revues quil ne risquait se procurer avec sa maigre bourse de pupille de la nation. Parce quil tait l pour

    progresser. Et rien dautre.Profitons-en pour faire remarquer aux partisans des hritiers que lon pouva

    natre et grandir dans le quartier Belcourt dAlger et monter jusquau sommet de laNous y reviendrons.

    Lenseignant nest pas une assistante sociale, mme sil doit tre attentif ces

    riens qui trahissent de vrais dsarrois. Les demandes des lves sont relpermanentes, mais doivent tre entendues de faon ramener sans cesse lenfant

    tche premire : apprendre. Nous enseignons, nous nduquons pas ou fort peu. tre lcoute des lves est lune des fumisteries la mode imposes aux

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    pour justifier le fait que les lves, eux, ncoutent plus. Le systme, cest le savoitransmission du savoir est verticale, de professeur lve. Que lenseignant soit aau feed-back, fort bien. Quil laisse polluer cette communication savante qutransmission du savoir par des considrations sentimentales est une aberration. pas un substitut de pre ou de mre. Il ne peut pas ltre.

    De nombreux lves, la fin dun cours, cernent le professeur pour lui extorquecouleur dune question sur lexercice en cours, laumne dune relation personnalest parfois difficile de sesquiver, mais il faut sans cesse ramener la discussion sur scolaire. Sinon, pourquoi privilgier celui-ci, et pas celui-l ? Llve nest une peque dans la mesure o il est un lve. Cest tout, et cest dj beaucoup.

    lves et enseignants doivent apprendre dposer leurs affects la poltablissement, en entrant, et les reprendre en sortant. Trop denseignants joueou moins malgr eux un rle de nourrice. Cela tient peut-tre la dmission de cparents. Ce nest mme pas sr. Les enfants les plus abandonns sont souvent lesdemandeurs, car ils ont du monde des adultes une vision volontiers hostile.

    Non : les pots de colle dgoulinant de sensibilit, dont raffolent certains collgue

    le plus souvent des gosses choys qui rptent lcole les attitudes qui leur russi bien la maison.

    Alors, autant rgler tout de suite une question simple dont on a voulu faproblme : llve nest pas en classe pour sexprimer . Il est l pour couter, appet prendre des notes.

    Dautant quil arrive lcole charg jusquaux oreilles du bruit extrieurconfusion de messages tombant de la tlvision, de la rumeur, ou dInternet. Cdsire, au fond, ce nest pas continuer ce brouillage sonore ; cest obtenir, enfinformations diffrentes, srieuses, et qui se tiennent.

    Il est prt, pour cela, faire silence. On doit dailleurs le lui demander et non soson avis, pratique parfaitement strile.

    Pythagore exigeait cinq ans de silence de ses nouveaux disciples. Un professeur een droit de demander neuf mois dattention.

    Mais, dira-t-on, les publics ont chang Les lves ne sont plus si attentifsclasses sont surcharges

    Foutaises et je pse mes mots. Les enfants du baby-boom taient quarante par

    dans le primaire, quarante indiffrencis , et ils se taisaient.La diffrence tenait au discours descorte de lcole. Le savoir en constituait le Nous ntions pas assez infatus pour penser que ce que nous aurions balbuti ava

    valeur quelconque.Cela ne signifie pas que nous ne devons pas tre attentifs aux souffrances relles

    cest justement l quil faut savoir passer la main. Tout enseignant qui a pu remapar exemple, quun gosse de sa classe tait anormalement couvert de bleus sait qinstances administratives, de la direction de ltablissement jusqu la DDASS, pour prendre le relais.

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    Mais exiger que lenseignant soit autre chose quenseignant, cest lui demdaccomplir une vaine tche.

    Un lve appartient, en classe, une communaut dlves. peine sil est un inmme sil reste une personne. Lenseignant se dbat, comme il peut, entre cevidences. Qui a prtendu que ctait un boulot facile ?

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    Spontex

    Cela fait presque trente ans quil nest plus question dapprendre quoi que ce solves rien, en tout cas, quils naient sollicit. Toutes les instructions offiparticulirement en primaire, vont dans ce sens. Lapprentissage doit venir dudapprendre lequel est, on ne sen doutait pas, spontan.

    Drive soixante-huitarde, diront les demi-habiles

    Que les plus btes des libertaires se soient repus dune ide ramasse chez PiaRousseau, et mal assimile, cest possible. Quune minorit agissante ait investi csyndicats, phagocyt la recherche pdagogique, et tir les ficelles de qugroupuscules qui ne reprsentent queux-mmes, cest probable. Que, ponctuellquand elle y trouve un avantage, la droite fasse chorus avec la gauche, cest videntque les gouvernements successifs de Pompidou et de Giscard dEstaing aientlextrme gauche noyauter le systme ducatif, au point que la droite, peu expearcanes de lducation, se soit laiss souffler les mauvaises solutions que lui sulopposition, est-ce mme possible ?

    Bien sr, lHistoire est le produit dun combat permanent entre intrts antagoMais penser que les forces progressistes lemporteront, in fine, sur la raction ,dune vision magique et incantatoire. Les lendemains ne chantent pas pour monde, et dans un pur rapport de forces, seul le pire est toujours sr.

    Pire ? Pire destin ! Vous le dites, roseaux,Qui reprtes des vents ma plainte vagabonde[6]

    Que sest-il pass vers la fin des annes 70 ?Le capitalisme lancienne tait mort avec Pompidou. Le libralisme moderne net inventait la mondialisation. Une nouvelle conomie se mettait en place, quicomposer avec deux ou trois millions de chmeurs (en France), une bonne dizamillions demplois prcaires et incertains, mais structurels, et quelques centaimillions daffams qui frappaient la porte, et allaient permettre cette mervecapitalisme renaissant les dlocalisations.

    Que, dans un tel contexte, qui perdure et saggrave depuis trente ans, aucun mouvsocial nait trouv les ressources populaires pour simposer, voil qui est tonnant

    demande explication.Ce furent moins les journes de Mai que les accords de Grenelle qui firent trs pe

    droite. Il fallait absolument prvenir, dsormais, des insurrections lancienne modle de 1936), qui dsorganisent toujours durablement les affaires.

    Quelques intellectuels de droite qui avaient lu Lnine se sont pos la questionfaire ?

    La riposte vint en deux temps, et fut gre par la droite et par la gauche, dont les iconomiques, ce niveau, sont videmment les mmes. On capta la bienveillan

    leaders du baby-boom, soit en les achetant (tel enrag de Mai 68 devint ainsi, assInspecteur gnral de lducation, tel directeur de journal dextrme gauche d

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    aujourdhui des subsides de Rothschild), soit en les regroupant dans des cologiques les IUFM, par exemple o ils pourraient leur gr se pavaner, poet pondre des rapports et des propositions. Cela commena laube des annes 8Legrand. Cela continua avec dinnombrables commissions. Jusquau rapport dernier en date, qui fixe par le bas le minimum culturel destin construiconsciences desclaves. Jen reparlerai.

    Deuxime temps : les tudiants de 68 avaient t forms par le systme ducatif place aprs la Seconde Guerre mondiale, bas sur le savoir. Depuis le B. A.- BA (msyllabique) jusquaux grandes coles et au-del, llve apprenait. On emppatiemment ses lacunes, on rduisait ses friches. On lui demandait patience, applet obissance.

    Le systme tait si bon quil navait pas manqu de produire, et en grand nchercheurs, enseignants, cadres et dirigeants la plupart des minences qui nousen sont issues. Si bien que les ouvriers, les paysans, sortis parfois fort tt dun squi ne faisait aucun cadeau, en savaient largement assez, pour progresser par eux-mCombien de dirigeants dentreprises actuels senorgueillissent dtudes rates

    rates que a.On entrait dans la vie avec un certificat dtudes (niveau cinquime) qui sanctionsavoir rel. On intgrait une cole normale dinstituteurs avec le brevet. Et on savaide choses pour avoir lambition de les enseigner dautres. Avec le Bac (moins ddune classe dge au cours des annes 60), on accdait un systme universitairemonde entier nous enviait dailleurs, non seulement les francophones, manombre dtrangers non francophones venaient poursuivre chez nous leurs tudSorbonne des annes 70, ctait Babel.

    Quen est-il aujourdhui ?80 % dune classe dge accde dsormais au Bac et lobjectif de la Comm

    europenne est de 90 %. Pour parvenir ce rsultat qui satisfait si fort les famillemultipli les Bacs il y en a aujourdhui prs dune trentaine. Et on a instademand aux correcteurs de baisser leurs exigences. On apprcie ce qui est juste,sanctionne plus ce qui est faux.

    Les instituteurs se recrutent dsormais dans les IUFM avec une licence, et ont deux ou trois annes de formation sans compter les stages. Cela les rend-il meille

    (Jai dit instituteurs . Pardon : on dit dsormais professeurs des coles comme les Basses-Alpes sont devenues Alpes-de-Haute-Provence, ce qui videmment tout.)

    Les professeurs passent des concours de recrutement dont le niveau lui-mconsidrablement baiss. Cest que lon a besoin dignorants pour enseigner aux ilola France a aujourdhui un systme ducatif qui fait rire les Finlandais ou les Corese pavanent dsormais en tte de classe.

    Pourquoi ? Parce que notre socit a compris quil tait de toute premire urgefabriquer les personnels acculturs dont le march avait besoin. Dans ces deannes, et pour la premire fois depuis trois dcennies, la demande de travailleu

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    qualifis a notablement augment en France. Moins ils en savent, plus facilemseront taillables et corvables merci. Ajoutez cela le poids psychologique des CDont tendance se gnraliser[7], les facilits faites aux entreprises pour licencdlocaliser, et vous obtenez ce que nous avons aujourdhui : une classe ouparfaitement dpourvue de tout moyen de sinsurger. Ajoutez encore le dceconcoct par des mdias qui pataugent entre mdiocre et minable, et le tablecomplet. Plus personne ne peut mme envisager de manifester sa mauvaise huTrente ans de rformes habiles ont rpudi lintelligence parce que lintelligemoins ladaptation que la contestation.

    On na pas besoin de beaucoup dides lorsquon en tient une bonne : on a orchebaisse de niveau en interdisant tout simplement defaire apprendre.Lapprentissadsormais venir de llve qui, avouons-le, lorgne plutt par la fentre, et nattela rcration. Plus rien ne permet de lui imposer un savoir : lesclave habilement faouit de son ignorance, et sinsurge mme contre les fauteurs de trouble tous ce

    voudraient encore lui apprendre sortir de sa torpeur. Avec laval de linstitution, pllve est plus important que lenseignant. La spontanit rige en dogme est

    beau facteur dalination moderne.Jexagre ? Peut-tre. Peut-tre ny a-t-il pas dinterdit explicite. On sest conteremplacer le travail par le ludique. Cest un procd vieux comme le mondesassujettir les consciences, et les couper de toute revendication. Dj en 1574, La rappelait :

    Cette ruse de tyrans dabtir leurs sujets ne se peut pas connatre plus claireme

    Cyrus fit envers les Lydiens, aprs quil se fut empar de Sardes, la matresse vLydie () : on lui apporta des nouvelles que les Sardains staient rvolts ; il bientt rduits sous sa main ; mais, ne voulant pas ni mettre sac une tant belle vtre toujours en peine dy tenir une arme pour la garder, il savisa dun grand exp

    our sen assurer : il y tablit des bordeaux, des tavernes et jeux publics, et il fit pune ordonnance que les habitants eussent en faire tat. Il se trouva si bien dgarnison que jamais depuis contre les Lydiens il ne fallut tirer un coup dp

    auvres et misrables gens samusrent inventer toutes sortes de jeux, si bien Latins en ont tir leur mot, et que ce que nous appelons passe-temps , ils lapLUDI, comme sils voulaient dire LYDI[8][9].

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    Dsapprendre, mode demploi

    vous tous qui croyez, mes trop candides, quun tablissement scolaire est de savoir et de culture, le no-pdagogue, fier de son importance et de son imp

    vous rpond haut et fort, depuis presque trois dcennies, quil est dabord un LIVIE.

    Non aux lyces-casernes, scandaient les utopistes de mai 68, non aux verrous faux pions dans les couloirs, aux surgs terroristes, aux concierges froces, aux bgrises ou roses, aux lves en rangs, aux retenues, aux exclusions, aux dimanches dau sacro-saint respect de lautorit. Oui au tabac en classe, la libert vestimentaiminijupes, au maquillage, aux permanences autogres. bas la rpression, jousans entraves, et prenons nos dsirs pour des ralits.

    Rimbaud frappait la porte de notre socit cadenasse. Le programme tait bcondition de savoir le lire. Mais les pseudo-libertaires reconvertis en pdagogues uont fait un gchis pour la plus grande joie des ultra-libraux qui avaient eu tr

    en ce mois de mai, et qui se demandaient comment rprimer dfinitivement la libpenser, puisque la matraque et ltat policier en semblaient incapables.

    Les pdagogues, nouvelle police de la pense, sont arrivs au secours du conservaSans vouloir noircir le paysage, force est de constater quen une gnration, lc

    passe de rglements grotesquement moyengeux[10] un nouveau statut qui rellescroquerie.

    Sous la pression conjointe des babas, des bobos, des psychos, des tena

    lpanouissement personnel, des cathos compassionnels, du SGEN-CFDT, des syn( ?) lycens, et dassociations de parents dlves fantoches, plus soucieuses du conleur progniture que de la qualit des enseignements dlivrsAvec la bndiction des gestionnaires, trop contents dconomiser sur les pos

    surveillants et dimposer aux enseignants des tches autres que celle, sans doulgre, de dispenser du savoir

    Et parfois avec la complicit active de ladministration et de certains enseignantsLyces et collges sont devenus des LIEUX DE VIE. croire quils ntaient que l

    mort, tant le mot culture , pour le pdagogue rogue, sassocie lobsole

    vaguement poussireuse, des choses du pass.Manque dhabitude, sans doute. On dblatre sur ce que lon ne connat que p

    dire.Lieux de vie lves gisant sur les pelouses, crouls sur le moindre banc tels des

    patates, vautrs dans les couloirs, tranant les pieds comme des forats pour gagnsalle de cours la sueur de leur front blme, vots, affals, rpandus, clope acheveux gras en bataille, baggysur les hanches, vitant le soleil de peur davoir y

    leur ombreO donc est la vie ? O est lenvie ? O est le dsir ?

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    Voil le tableau de chasse des libertaires fous qui hantent aujourdhui les IUFont tu le dsir, et la vie.

    Sous limpulsion des psycho-socio-pdagogues, on a cr et dvelopp des FSE (

    Socio-ducatifs), organis des activitsdiversifies comme si sinstruire ntaitsoi une activit suffisante , et mis en place toutes sortes de procdures dinformcar linformation doit remplacer le savoir, afin de transformer llve (p lapprenant [11]) en citoyen un beau mot devenu, depuis le rgne de

    Allgre, dune parfaite obscnit. douceurs du foyer Prvention routire, ducation la sant, sensibilisa

    lcologie, info SIDA, dangers du tabac, de lalcool, des sucreries, mangez des podites non la drogue et peignez la girafe : toutes initiatives censes duquer lappdans le sens de la conscience collective, sans pour autant, videmment, lui retirindividualit. Et cela bien sr, en majeure partie, sur les heures de cours, ces mheures perdues que lon reproche acerbement au moindre professeur en grve ou emaladie.

    Enseigner, ce nest pas seulement faire cours , disent les fervents de ce vangile. Corollaire : ce nest pas en cours que lon doit apprendre. Et de fait, le crel des programmes sappauvrit, au fur et mesure que prosprent les incontour activits , supposes suppler de faon progressiste la dlivrance ex cathe savoirs savants dpasss.

    Cest au nom de la mme idologie pdagogiste du lieu de vie que la S

    SCOLAIRE est devenue le must, le ssame, le nec plus ultra, le schibbollducation : centrale nuclaire, savonnerie, forum des mtiers, muse, chocolateriemazoute, salon de ltudiant, parc naturel rgional, Comdie Franaise, marais sFuturoscope, raffinerie de ptrole, cin-club, Schtroumpfland, levage de ratons l tout est bon, mme et surtout nimporte quoi, pourvu que lon puisse elapprenant de son environnement scolaire, contraignant et restrictif, forcment reTant il est vrai que pour le pdago, qui le mprise par principe, le monde des livlimit.

    Seule limite cette dbauche de sorties , la responsabilit pnale des enseigen cas de problme. Ou, au plus fort des alertes terroristes, les questions de scurit

    Brve parenthse autobiographique : jai enseign sept ans au collge du NeubouNormandie. Javais en classe les enfants des ouvriers agricoles, principalement des cadres et des propritaires fonciers, des patrons de la FNSEA, allaient Evreuune cole prive confessionnelle, jignorais tout du Neubourg, en cette fin des annsinon que ce gros village fut la patrie de Dupont de lEure (1767-1857), un dput qaprs 1830, ne pas cder aux sirnes du Enrichissez-vous de Guizot. Une rfren

    Jignorais en revanche que le Neubourg abritait les plus grands abattoirs de FrancLa sortie pdagogique obligatoire consistait donc amener les lves du collge, c

    anne, visiter ces lieux de mort do nous ressortions imbibs jusquaux cheveux

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    odeur de sang que tous les parfums de lArabie taient bien impuissants conjurlves ny prenaient quun plaisir modr. Mais dans ces abattoirs travaillaient nomleurs parents et il tait important de dresser les enfants lide quon les y attenqui doit tre moins vrai aujourdhui, lembauche se rarfiant chez les viandards cailleurs.

    Je compris ainsi, ds le dbut des annes 80, que lcole tait la gare de tri des h les nantis dun ct, les dshrits de lautre. La promotion au mrite sestompaElle a aujourdhui presque totalement disparu, mme haut niveau : lENS deCloud, dsormais sise Lyon, recrutait dans les annes 50-60 prs de 5 % dlvdans des milieux dfavoriss. Aujourdhui, elle nen a plus qu doses homopathtant la direction sest vertue privilgier les privilgis (en clair, les khparisiennes), et discrditer ce que lun de ses directeurs appelait rcemmenlgance, nos khgnes rurales par quoi il entendait lensemble de ce qui arriprovince.

    Car il nest bon bec que de Paris, cest bien connu. Aux huit ou dix bons lycecapitale, ajoutez un lyce de banlieue (Lakanal, Sceaux), quelques lyces de prov

    Strasbourg, Nice ou Toulouse, et le tour est jou : la France est coupe en deuxingales, le rservoir des lites et le bassin des pauvres.La sortie scolaire, avantage non ngligeable, permet au professeur zl non seu

    de sarer mais aussi de prendre lair important, de faire de la mousse, dtre bienlinspection, apprci des lves, estim des parents, surnot par son chef, aim concierge bref, de se rendre populaire peu de frais. Du coup, perversit sucest lenseignant lambda, modestement concentr sur ses cours et sa progressioapparat ringard, pel, galeux, pauvre besogneux dpourvu du rayonnement ncesla bonne marche du systme, puisque, rappelons-le, lessentiel, dsormais, cSORTIR.

    Ouvrir sur lextrieur. Quel extrieur, peu importe, car tout se vaut, de DisneylOpra Garnier. Ce qui compte, pour la nouvelle pdagogie, cest de discltablissement comme lieu dapprentissage culturel et, lentement mais srdinculquer aux chres ttes blondes lide que lon peut sinstruire sans travailler.

    Car, cest chose reconnue, collgiens et lycens croulent sous le travail, en cr

    chur compact des vierges pdagogiques. Rythmes scolaires, poids des carcalendrier des congs, horaire des bus, planning des devoirs sur table, tout y passele bagne, les Latomies, Biribi, Lle du Diable. Rester assis en classe couter ? Vifaite llve. Il faut, martle comme un mantra le Nouveau Pdago, des AC-TI-Vmme en cours (exercices bidon, prises de parole alatoires, pseudo-recherches

    web, travaux de groupe o un seul travaillote, TPE, ttonnements expriminductifs), mais surtout pas chez soi ! Prparer un devoir, lire un texte, ou mmextraits de texte, rdiger un commentaire, repasser sa leon, deviennent des exinon seulement maximalistes mais politiquement incorrectes. Ne vous demandpourquoi, de plus en plus, des sances de rmdiation mthodologique sont m

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    place en classe prpa : on y explique doctement ces tudiants, pourtant tris sur lquils doivent dabord et avant tout apprendre leurs leons.

    Curieusement, les coles et lyces dlite ne sont pas concerns par ce pdagogique. Ni, vrai dire, par les rformes successives des programmes. On y lancienne, avec des rsultats lancienne.

    Lieu de vie, lieu denvie, lieu de dsir ? Lcole fabrique dsormais flux ten

    anaboliss de la pense, gavs aux activits , aux animations et aux sorties diconstamment stimuls se disperser dans lphmre. Un divertissement qui divertit mme pas.

    Ce dploiement fbrile dactivits tue le dsir dapprendre il a mme t invcette intention. Il nest plus question de laisser place au silence, la pause, la rfNi mme de relier entre elles toutes ces agitations brouillonnes. Institutionnalicoq--lne au nom de la transversalit disciplinaire, le pdago a russi son lessentiel, cest que lapprenant soit OCCUP. Occup quoi ? Vous sortezquestion.

    Et comme disaient nos grands-mres : Quatre ans doccupation, cest long. pensez, douze ans dtudes passes ne rien faireEt cest ainsi que, de classe verte en dcouverte dentreprise, de forum des orien

    en recherche Internet, datelier macram en muse du sel gemme ou de la poirellve stiole et se dlite dans la futilit, le copi-coll, le bavardage et lessemblants. Tout ce qui compte pour le pdagogue institutionnel, cest quaulapprenant nait rien appris, puisque tel est lobjectif ultime profondractionnaire sous ses oripeaux modernistes.

    Une anecdote en passant.Ladministration saperut, il y a peu, que la Bretagne avait dinsolents rsult

    Baccalaurat. Les lves semblaient y russir mieux quailleurs supinsupportable quand on dsire des statistiques uniformes. On smut, on sinterrogcourut aux nouvelles : une dlgation inspecta ces refuges du savoir quapparemment Rennes, Morlaix, ou Saint-Brieuc.

    Et lon saperut quil y avait en Bretagne nombre denseignants proches de la requi taient venus l, aprs des prgrinations diverses, pour y passer leurs de

    annes dactivit. Que lesdits trublions, qui navaient rien craindre des foudlinspection, a fortiori de leurs chefs dtablissement, faisaient en cours exactemquils voulaient. Ou plutt, ce quils savaient faire : ils enseignaient landonnaient des leons et des devoirs, prconisaient le savoir, et pensaient, sottemenlon est en classe pour tudier, pas pour tailler une bavette.

    Que croyez-vous quil arriva ? La haute administration, outre de tant daudace, pour que lon forme ces rfractaires la sortie pdagogique, aux travaux dirigrecherches sur ordinateur, aux devoirs dirigs en classe puisque les devoirs la msont interdits depuis belle lurette , afin de ramener le niveau, et les rsultattiage normal national.

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    Bref, on dcida de crtiniser le Breton, comme on avait crtinis le BasqueProvenal.

    Lieu de vie Quelle vie le pdagogisme leur prpare-t-il, ces adolescents aneurones en panne, sans apptence ni comptence, victimes du systme, dj fadtre avant davoir t, et que lcole, au lieu de les leverau sens le plus noble et strict du mot, entretient dans leur marasme en refusant de leur donner matirrflchir ? Laisss aux portes de la pense, trahis par linstitution, sans dsir ni rvoseront les braves petits soldats du libralisme triomphant et de la social-dmmolle, pain bnit pour les confdrations patronales et les partis qui les soutiendroite comme gauche.

    Pourtant, la premire revendication des lves est le savoir. Ils veulent apprendcollges les plus marginaux voudraient bien bnficier de la mme attention q bons tablissements. moins de croire, ou de vouloir faire croire, que les pauvres sont, par dfinitio

    btes[12] Aprs tout, comme la rappel Bernard Lecherbonnier dans la Prfacelivre, on en pensait tout autant des indignes de nos honntes colonies

  • 5/28/2018 La Fabrique Du Cretin Brighelli Jean Paul

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    Lennui

    Les lves, dplorait rcemment un ministre, sennuient lcole[13] JesprRien de plus formateur que lennui, pourvu quil ne soit pas continu. Lennui, cchamp libre limagination :

    Mais voil loiseau-lyrequi passe dans le ciel

    lenfant le voitlenfant lentendlenfant lappelle :

    Sauve-moi[14]Cest ainsi, on sen souvient, que le porte-plume de Prvert redevient oiseau.Lide de mettre fin lennuipar dcret ne peut germer que dans le crne du

    enseignant, et non-parent : les vrais parents savent bien que les enfants sennuien la maison particulirement le dimanche, comme les taureaux.

    Tout cela serait anecdotique, si lide dune corrlation entre ennui et chec sc

    encore plus farcesque, navait germ dans les ttes creuses qui nous gouvernent. Lelves sennuient bien plus encore que les autres, puisquils ont compris avant les Que fait llve qui sennuie ? Il songe, comme le livre en son gte. Saine occupatio

    Lennui du mauvais lve , cet idal du systme lenvers qui sest mis endepuis vingt-cinq ans, est dune autre nature : cest un ennui existentiel. Le vide iau discours du matre[15] fait cho en lui sa propre vacuit. Dans ses millianeurones vacants, lenseignement la mode ninsinue rien ou plutt, si didactique.

    Quest-ce que la didactique ? Cest lart dapprendre apprendre ce que lon ne saiLa pdagogie prtend combattre lennui avec de luniformit. Tous les enseicouls dans le mme moule, produisant le mme discours squence d progression autre matre mot de la nouvelle pdagogie [16] se veut ncessailogique.

    Mais la logique du neurone vide (et qui aspire ne plus ltre) nest pas celle dpdagogue. Lesprit fonctionne par liaisons htrodoxes. Il procde selon un sdarwinien, par sauts qualitatifs, bien plus que selon une progression mesurcartsianisme ne fut jamais quune recombinaison de neurones dj pleins, non le

    de remplissage dun cerveau vierge.Pour viter que les neurones trop peu sollicits de llve zappent vers lincoh

    faut le stimuler sans cesse, quitte mme le bombarder de propositions contradictoParce que, paralllement cette fonction positive du dsordre opratoire, il conv

    dynamiter les certitudes de llve. Il arrive en classe accroch comme un arapde[1ides reues, et elles ne sont en rien a priorirespectables. Respecter llve, ce nlui donner raison, ou tolrer ses incongruits. Il faut lobliger reconsidrer le msous dautres facettes. Lamener se remettre en cause. revoir, au moins, ses cert

    Mais, clament les hypocrites, la libert de conscience, le respect de la personnalenfant

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    Billeveses. Lenfant est en devenir, il nest pas un bloc organis de conscience. Drappeler que ceux dont on souligne volontiers quils ont une sacre personnaliten gnral de fichus imbciles et quel que soit leur ge ? Des ides bien arrttoujours, comme leur nom lindique, des ides qui navancent pas.

    Nimporte quel prof de philo vous dira que la rflexion (rflexion, vraiment lagace le plus, cest le sempiternel : Cest votre avis, ce nest pas le mien Dollve qui tient ce discours ? De quelle comptence fait-il tat ? De quel calme b

    btise chu dun dsastre obscur tire-t-il son assurance ?Nous avons pris (au terme dun dbat qui a souvent permis de dbusqu

    hypocrites) la sage dcision de dvoiler les jeunes musulmanes, dinterdire les croikippas en classe dexclure en un mot le religieux du domaine laque[18]. Nous

    bien fait. Darwin est un fait, lvolution une ralit, et les tenants du crationnismdes crtins accrochs des certitudes davant Copernic. La Bible prtend que letourne autour de la Terre : un enseignant a-t-il le droit, sous prtexte de tolranlaisser snoncer des contrevrits ?

    Lennui se combat avec une arme unique : la connaissance. Il est de toute prurgence de tolrer nouveau le savoir dans les coles. De refaire de lencyclopdismfin dernire loin derrire la ligne dhorizon. Cest Mozart quon assassiprtendait jadis un adversaire acharn de lavortement. Mais ce que nous savoncest quen tolrant lignorance, cest Vinci que lon tue.

    Preuve par labsurde : la vogue des tablissements spcialiss dans laccuesurdous un thme la mode. Je ne dbattrai pas de la question de savoir si tecancre dclar est effectivement un surdou que lon ignore et qui sennuie. Ce vident, cest que de plus en plus dlves ont trop de temps libre, en classe, trop consignes, trop peu de travail. Tout lve un tant soit peu veill sennuie ds la deuminute de cours. Je faisais plus haut allusion ces bons lves qui ont compquart dheure avant les autres. qui la faute sils sennuient, sinon la fiction du unique et des classes indiffrencies ?

    Une pdagogie pour tous est une pdagogie indiffrente ce qui constitue relun lve sa spcificit.

    Globalement, une classe, quelle quelle soit, se rpartit en trois tiers plus ou gaux : quelques bons lves, un marais fluctuant denfants plus ou moins accro

    selon les matires, et quelques gosses en relle difficult. Parler tous en mmeest un exercice de haute voltige qui participe de la beaut du mtier, mais en maussi les limites. Les instituteurs qui ont dans une mme classe deux ou pluniveaux le savent bien et le filmtre et avoir[19]a fait la brillante dmonstratiogestion de tels groupes.

    Nous devons dores et dj considrer une classe de collge ou de lyce clquivalent dune classe primaire qui accueillerait trois ou quatre niveaux, et ne paastreindre apprendre tous la mme chose. Quitte rpartir les lvesenseignants, en dterminant des passerelles, en cours danne, entre les clasniveaux diffrents. Lide que tous les lves se valent est une fiction dangereuse.

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    quils sont naturellement cancres ou gnies en est une autre. Il est plus que temrhabiliter, mais sans dogmatisme, les classes de niveaux : le collge unique apreuve de son extraordinaire pouvoir de destruction.

    Nous ne le rpterons jamais assez : une incapacit sanctionne par lexpriencepersiste, rpond forcment unplan.

    Il faut accepter lide que tous les lves ne sont pas faits pour apprendre lachose en mme temps, ni aussi longtemps. Dcider que lapprentissage de la lecfera six ans est aussi absurde que daffirmer que 80 % dune classe dge doit paau Bac, cote que cote ce qui marque dun ostracisme abominable ces 20parviennent quoi ? Nimporte quel enseignant vous expliquera quun asseznombre dlves nest pas apte des tudes longues mme moyennement loQuen revanche on permette tous, tous les ges de la vie, de reprendre des ttous les niveaux, la bonne heure ! Ce sera certainement plus enrichissant que dindes stages qualifiants pour chmeurs en fin de droits[20].

    Un mot encore.

    Sous prtexte dtudes longues , on a discrdit, dans le courant des annes formations dapprentissage. On a prfr inventer des sections bon march , au tout tertiaire , alors mme quil tait vident que nous allions manquer dardans tous les domaines. Si nous en avions form nous-mmes, la fiction du plopolonais ne se serait pas diffuse une telle rapidit. Il est urgent de rhabitravail manuel. Tous les enfants ne sont pas faits pour des tudes longues qle critre du long , par ailleurs ? Le Bac ? Bac + 3 ? Ou + 10 ?

    Et ce critre est-il vraiment un critre de russite ?

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    Lchec scolaire

    La vrit, lpre vrit, la voici : lchec scolaire nest pas un chec du systme, mraison ultime. Si lon accepte cette prmisse, le reste va de soi. Et comment laccepter ? Si le but tait vraiment la russite, y aurait-il autant dchecs ?

    80 % dune classe dge au Bac, objectif autrefois fix par Jean-Pierre Chevnemmartel depuis par tous ses successeurs, que leur fonction amne rpter les mau

    ides ds quils en reprent une, cet objectif est un objectif dchec. Comment ? 80 % dune classe dge au Bac ! Vous appelez a un chec ? Dabord, 20 % en dessous du Bac, quand on sait jusquo est descendu le Bac, c

    pas rien. Bon an mal an, cest 100 000 jeunes la rue en attendant les autres. Echez ces 80 % dheureux ( ?) lus, combien accderont une formation relqualifiante ? Pas plus quil y a trente ans, quand 16 % dune classe dge parvena bachot qui ntait pas alors une plaisanterie.

    La grande masse des checs ne stale plus avant le Bac, comme autrefois, maisOn a dplac le problme, on ne la pas rgl.Mutatis mutandis,les 65 % de laisss

    compte de la formation universitaire correspondent aux 65 % de jeunes jadis envole march du travail entre la fin de la cinquime et la seconde. La diffrence ? On raujourdhui au niveau licence ceux que lon recrutait il y a quinze ans au niveau BacAu mme prix. Doit-on vraiment expliquer que cest le salaire, et non le diplm

    dtermine la valeur, dans notre socit ?Le systme, bien sr, y trouve abondamment son compte. Outre quil fabriq

    travailleurs frustrs qui remchent longtemps leur rancur, mais finissent par linet acceptent un destin de CDD vie et salaire instable, lchec programm gn

    masse norme de sous-qualifis auxquels on vendra aisment de la formation tlong de leur existence. Mais comment est-ce possible ? Lcole ne prtend-elle pas avoir calibr la form

    initiale, ces vingt dernires annes, sur les besoins dclars de lindustrie et des serAvec plus de 30 Bacs diffrents, tous cibls sur des projets professionnels comment peut-on laisser tant de jeunes aux marches du palais ?

    Vous avez raison, et vous avez demble mis le doigt sur la grande superchesystme. Une formation scolaire pr-professionnelle ne sera jamais adquate,

    quelle enferme llve dans des bornes toujours trop troites. On le calibre pomtier la mode qui ne le sera plus lorsque sa formation sera acheve. Aussi parque cela puisse paratre, cest avec de solides connaissances gnrales, non avspcialisation pointue, que lon peut sadapter.

    Des formations gnralistes ? Comme au temps des trois Bacs ? Cest un principe naturel que les croyants des filires professionnelles ignorent

    que leur formation gnraliste a t fort nglige. Les animaux ultra-spcialisdisparu ds que les conditions de vie ont chang et elles changent tout le tem

    lhomme a survcu, cest quil est la bte la plus polyvalente qui soit. Voyez la ldEpimthe et Promthe : lhomme na rien, ni griffe, ni crocs, mais il a un cerv

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    les moyens de transmettre une culture. Ce qui nous rend forts, ce nest surentranement dun rflexe prcis. Cest notre capacit de rflexion, de comparaidduction et, surtout, de transmission. Nous sommes des passeurs, et les pdune culture. Et lon voudrait nous en priver !

    Le feu promthen, cest, si lon prfre, les Lumires. Et cela seul fait la diffrela fourrure, ni les dents de sabre, ni la dextrit au clavier. Toutes les espces spci(les BEP, les Bac pro, les options de faon gnrale) ne survivent, linstar des pque de perfusions. Le seul Bac encore gnraliste (le Bac S, en loccurence, puisqusont le fourre-tout des inclassables, et ES le choix des mdiocres universels exception), qui reprsente environ 15 % du total, fournit les gros bataillons descadres.

    15 % de Bacs gnralistes : le chiffre na donc pas chang depuis trente ans. Mai

    que les bacheliers des annes 50-70 arrivaient de tous les horizons sociaux, puisquceux qui intgraient les lyces bnficiaient peu ou prou de la mme culture gnllite actuelle nest compose que dhritiers. Le systme, clos sur lui-mme, i

    lendogamie dune classe dirigeante plus cadenasse encore sur ses prrogativesprivilges que laristocratie du XVIIIe sicle. Une petite minorit sautoperptregardant de loin une grande masse taillable et corvable merci les futurs titdune licence made in ANPE.

    la veille de la Rvolution, un futur membre du club des Jacobins crivait dj :Apprenez quon ne sort de lesclavage que par une grande rvolution[21]En tout cas, on nen sort pas par la pdagogie.

  • 5/28/2018 La Fabrique Du Cretin Brighelli Jean Paul

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    Orthographe

    Dicte ! Cette annonce a terroris des gnrations dlves et elle est faite pour

    napprend pas beaucoup lorthographe grce aux dictes. On apprend contrlstress.

    Mais comme il est prsent interdit de choquer en quelque manire que ce s

    chres ttes blondes, la dicte est lentement remise au magasin des accesLexercice est en effet fortement dcri par les nouveaux pdagogues, ces professide la pdagogie qui ne sont pas sur le terrain, et qui, souvent, ont tout fait pour le qLa dicte serait source de traumatismes. Et lorthographe est un concept dpasspoque o les logiciels de correction facilitent tant la vieAh oui ?Faisons une exprience.Soit le dbut dune phrase complexe, emprunte une dicte clbre[22]: Quelles que soient, quelque exigus quaient pu paratre, ct de la somme d

    arrhes qutaient censs avoir verses maint et maint fusilier la douairire ainsimarguillier

    Le logiciel orthographique de mon ordinateur, pas plus bte quun autre, compre taient censs : le pluriel masculin linquite, et il souligne lensemble dun trapremptoire, qui minvite officiellement vrifier ma syntaxe

    Puis, dans un second temps, devant mon obstination, il rflchit et se dit quaprlensemble pourrait bien tre cohrent. Mais si je joue avec la phrase : Quelle ququelles quexigus quait pu paratre, ct de la somme du, les arts qutait cens

    vers la douairire maint et maint fusills Ou, plus mallarmen encore : Quelque soie, quelle exigu, quait pu par tre,deux la somme du lzard qut sens avoir vert sait

    Rien ne le trouble, dans lune ou lautre de ces deux versions constelles dimproet de fautes. Il ne souligne rien, ni en vert, ni en rouge. Cest que la machine a alire, comme llve, en mthode globale : elle photographie le mot, vrifie quil exle rpute bon pour le service.

    Avant tout, disons nettement quune bonne orthographe reste un critre discrim

    lembauche. 90 % des patrons affirment rejeter les lettres de candidature motivation lorthographe douteuse. Quant aux lettres damour enrichies de fautconnu des maniaques qui les renvoyaient, corriges et notes, aux lgitimes propride ces innovations lexicales. Et voil comment de belles histoires peuvent tre tueluf.

    La marquise de Merteuil ne conseille-t-elle pas la jeune Ccile : Voyez donc soigner davantage votre style. Vous crivez toujours com

    enfant ?

    En janvier 2005, lassociationSauver les Lettresa fait refaire 2 500 lves de tro

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    une dicte donne en 1988 au BEPC[23]. Les rsultats sont loquents, et la presse slargement fait lcho : 56 % des lves, avec des critres de notation inchangs, obtezro.

    Faut-il prciser que le mme texte, donn quatre ans auparavant, avait occasionnde copies nulles ? Et lon prtend que le niveau monte ?

    Quatre ans encore, et nous atteindrons ces 80 % qui paraissent plaire aux minist

    Alors, supprimer les dictes ? A-t-on jamais soign un malade en cassthermomtre ? Mais lhypocrisie institue par les no-pdagos a trouv une paradsimple encore : ne plus noter en enlevant des points, mais en en ajoutant tant pexact. La pense positive et la positive attitude continuent leurs exactions. On nplus compte des mots inexacts, sauf quand ils appartiennent la liste (soigneusressasse avant) des cinq ou six termes nouveaux que la dicte est cense apprelimptrant. Notons les mots exacts, ne disons rien du reste

    On peut aussi diminuer sensiblement la taille de la dicte. En juin 2000 (comrelat LeMonde),le texte de la dicte propose au BEPC comptait 63 mots, contre p

    150 prcdemment. Mais lorthographe ne prouve rien ! scrient les partisans du Crtin. Flfaisait des fautes, et le jeune Sartre, sa premire dicte, na-t-il pas crit tout de glapen ovache me le ten[24] ?

    Il serait frivole de chercher disculper Sartre ou Flaubert face de telles accusatifutur auteur deLa Nausetait pour ainsi dire un autodidacte et lcole, justemremit bien vite sur les rails, parce quelle avait alors la capacit de rectifdysorthographies, ce quelle ne fait plus. Flaubert tait un grand bourgeois, un gailleurs, et len croire, lidiot de la famille , qui avait appris lire et crirerythme. En aucun cas, il ntait un produit dun systme scolaire qui, de surcrot, pas encore en place son poque. Faut-il rappeler que les aristocrates des prcdents navaient tout simplement pas dorthographe du tout, parce quils nen que faire ? Il y a une flagornerie invraisemblable comparer Montaigne, ou Louis Xllve lambda. Quels sont les intrts respectifs dun grand seigneur et duncontemporain ? En quoi sont-ils comparables ?

    Second rappel : lorthographe a t invente (jentends : normalise) au dXIXe sicle. Jusque-l, mme les bons auteurs ) sen souciaient fort peu e

    lecteurs pas davantage. Voltaire, jamais en retard dune innovation, tentait dimpoimparfaits en ai , pendant que Rousseau et nombre de ses contempsobstinaient les orthographier oi , alors quon les prononait dj [e], audans la rgion parisienne. La langue ne saccorda la prononciation quen 1830

    Le matre de la langue, cest lusage. On nimpose pas une rforme de lextrieudes grammairiens, depuis le XVIesicle, ont tent dimposer en franais une orthophontique, plus ou moins copie sur celle de litalien. Tous sy sont cass les dentsque le gnie propre de notre langue saccorde avec des difficults (orthographiqgrammaticales) particulires. En 1900, on essaya de mme de lgifrer sur laccparticipe pass conjugu avec lauxiliaire avoir une rgie qui a fait transpirer n

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    dlves. Ce ne fut pas une conjuration de puristes qui fit reculer le gouvernemenle dsaccord gnral. Le peuple est matre de sa langue, et aucune rforme dcihaut lieu ne peut le contraindre adopter massivement une nouvelle graphie. Oaccorder lorthographe la prononciation, et dcider que vnement sdsormais vnement tout en admettant les deux accentuations, parce prononciation saccorde avec le []. On peut mme, comme on le fera bientt (et

    bien que je vais ici faire hurler les plus classiques) dcider que aprs que dsormais rgir un subjonctif, ou que se rappeler se construira dsormais modle envahissant de se souvenir de . Aprs tout, on sobstine bo champagne tout en admirant les toiles de Philippe de Champaigne prononant [p], ce qui est une faute selon la langue, en thorie. Et jai connlinguistes qui, forts de la rgle selon laquelle le [i] slide devant gn , puisquil que pour marquer la mouillure du groupe, parlaient de pognard comme nous pdo(i)gnon.

    Snobisme et combats darrire-garde. La langue fait ce quelle veut, et les grammfinissent tt ou tard par entriner lusage. Grvisse, qui passe tort pour un p

    rpertorie dans sonBon usagetous les usages littraires y compris les plus fauplus invraisemblables, les plus malsonnants. Il recense sans tat dme les crivaont multipli les malgr que inlgants et alors ?

    Cela dit, une rforme globale de lorthographe est tout aussi invraisem

    aujourdhui quil y a trois sicles. Mais les no-pdagos, qui se soucient si fort dpun quelconque stress aux lves, et prtendent simplifier les rgles, ne savent rienqui sest fait avant eux ou, plus souvent, dcident de lignorer. Je les souponpresque de proposer des changements linguistiques par hubrispure, dmesure vanqui les amne penser quils sont les matres du langage, et que quiconque dilangue dirige le peuple. Un tyran de Sicile avait projet dinterdire le mot dmocrpensant que si lon interdisait lexpression de la chose, la chose elle-mme pourradisparatre. Les didacticiens contemporains saccommoderaient assez dune rduite 800 mots, comme le basic english que lAngleterre apprenait ses serindignes, du temps de lEmpire. Mme souci, mme punition : il sagit aujourdformer les manuvres de lEurope future et 800 mots sont bien suffisants pour et se taire[25].

    Lorthographe a t fixe au XIXe sicle parce quelle a t ressentie comme un opromotion sociale, aprs que la Rvolution et lEmpire eurent fait miroiter au lesprance dune telle promotion. Un apprenti boucher (Murat) pouvait biemarchal dEmpire et ctait tant mieux.

    On veut lannihiler aujourdhui parce que justement, il nest plus question de faun quelconque mouvement sur lchelle des rangs de fortune. Prolo tu es n, presteras et si possible deviendras, car nous navons pas besoin de toi au soCulture dhritiers frileux, qui ne cherchent qu se prserver. Lortograf est la gdes futurs ilotes, semi-esclaves enchans jamais par leur manque de comptence

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    sira une socit qui, ostensiblement, traite le problme du chmage en propocration demplois de gens de maison : Dumas dcrit, dans la trilog

    ousquetaires, lascension sociale de Planchet, valet devenu bourgeois et rentiernous sommes plus futs, et Jean-Louis Borloo propose aujourdhui de multiplemplois de laquais. Grce lcole moderne, lchelle sociale pourrait bien, trs bfonctionner lenvers.

    Car cest bien de valets quils ont besoin, l-haut. Alors on condamne des enfanfaute perptuelle, dabord en leur apprenant lire selon des mthodes dont odepuis trente ans, quelles gnrent une clientle massive pour les orthophonisteen leur autorisant les graphies phontiques, sanction logique de leur incompprogramme. Le Crtin format par les contempteurs de lorthographe naura plusles moyens dcrire aux prudhommes pour protester contre son licenciement. Da terme, on pourra se passer de prudhommes moins quon ne les orthog prudoms

    Quelques enseignants rsistent, encore et toujours, linvasion des Barbares. Imme de plus en plus nombreux non seulement au nom de la langue et des pri

    mais parce que pour avoir la paix dans sa classe, il est plus efficace denseigner faire garderie. Parce quil est plus simple dimposer des rgles que dautoriser toufacilits. Tolrer les fautes, cest encourager le dsordre. Alors

    Dicte !

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    De la lutte des classes et autres vieilleries

    Mais si tu continues comme a jai peurQue tu ne passes pas dans la classe suprieure Les diffrences de classe nous les abolirons,Cest pour a quon fait la rvolution.

    VARISTE, juin 1968

    Le Crtin pontifiant, qui est ordinairement de gauche, mais qui peut tre de droila droite sextasie volontiers des balourdises conceptuelles de la gauche tout comgauche brle de concurrencer la droite dans le domaine conomique) salue granles trouvailles verbales des jeunes. Autant de preuves, assure-t-il, de leur inventivleur dynamisme potique. Sans doute lcole est-elle en faute, qui ne sait intrespetits gnies du verlan

    Le Crtin, bien entendu, se leurre. Les mots la mode, les mots des groupes

    gangs, ne tmoignent que dune chose : la pauvret absolue de la langue pratiqutous les damns du systme. Les jeunes se serrent autour dun langage schtrcomme Erectus se pelotonnait dans son abri sous roche. Il est le plus petit codnominateur des morts de faim de la culture. Les quelques mots du groupe sont tout faire et cest tant mieux, puisquon leur prvoit un emploi tout faire rien dire.

    Aux dfis que posait la mixit sociale, le collge unique impos par la rform

    (1975) na trouv que deux solutions. Soit, dans quelques tablissements tris sur let protgs par une carte scolaire aussi ingnieuse quune carte lectorale, labsemixit sociale. Le succs du quatuor infernal Henri IV / Louis-le-Grand / Fnelon /Louis, ce nest pas des enseignants plus aptes que les autres que nous le devonaux prix de limmobilier entre les Veet VIearrondissements de Paris.

    Cest sans doute ce que lon appelle la lutte contre les ingalits.Soit, ailleurs, le grand ailleurs des campagnes et des banlieues abandonnes, la

    gnrale des exigences. Mettons-nous au niveau de ces nouvelles populationsfaisant, on enclenche une spirale ngative, o la baisse des exigences entrane n

    hausse, mais une baisse des rsultats, et, en corollaire, une dsaffection des jeunecette cole qui, force de leur parler leur langue, ne leur apprend plus rien.

    Nous avons dj voqu les modalits pratiques de cette droute culturelle. Maisreste prciser, ce sont les consquences de la dsertification des cerveaux.

    La littrature est modle etanti-modle. tudier ce qui sest dit et crit de mi

    cours des sicles, on forme son propre jugement par admiration de lun, mlautre, indiffrence pour un troisime. Au moins, on les connat : on sait dsorm

    dire, et quen dire. Lenseignement de lHistoire, de mme, renseigne lavenir. Les passs, en bref, donnent tous les mots et toutes les cls du prsent.

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    En revanche, en sinterdisant, pratiquement, daller voir de prs ce qui fut penautorise cette drive permanente du relativisme non argument. Cest votre anest pas le mien.

    On a commenc par limiter renseignement de la littrature ou de la philoso

    quelques textes sans danger. Bientt, comme les professeurs de langues vivdsormais interdits de Shakespeare, Cervantes ou Goethe, nous ne ferons plus qu communication .

    En coupant les jeunes de la culture, on les a confins dans le ghetto dune rarfie, o les quelques mots subsistants sont affubls de tous les smantismmme temps. Cest gant / cest nul : entre ces deux jugements, toute la gintermdiaire tout ce qui permet daffiner la pense a disparu.

    La vraie novlangue dOrwell est l. Et elle rsulte elle aussi dun calcul dtatcraint, mec ! beugle le jeune con(temporain). Cest double-plus-bon , devaieles pigones de Winston, le hros de 1984.

    Les inventions verbales, dans ce contexte dappauvrissement gnral, ne tmo

    nullement de la vigueur de la langue, mais de son extinction. Le mot branch (chblca, ce que vous voulez) est largot dune secte, dun gang, dun clan. Il nenrichitlangue, il entrine lexclusion.

    Les jeunes nont plus les mots pour organiser ne serait-ce quun embryon de penLu rcemment dans un rapport dinspection :

    La mission du professeur a volu en fonction de lvolution [sic] des mentalitsbesoins de la socit ; il ne sagit plus de dgager une lite capable dabsorber et d

    ar elle-mme des connaissances valorises par les rfrences familiales ou ldaccession sociale

    On ne le lui fait pas dire. Les lites se dgagent delles-mmes, dans des

    spcialiss. Plus exactement, elles se clonent. Jamais lchelle sociale, qui tait la bnotre dmocratie, na t si peu parcourue : chacun stagne son chelon. Lascolaire, habilement utilise, a fait de la gntique une science exacte : les alphasreprendre la terminologie de Huxley que nous voquions plus haut) engendrealphas dlite, et les epsilons des ouvriers non qualifis et des bonnes tout fai

    enfant de cadre suprieur ne saurait tre quun esprit suprieur.Au nom dune dmagogie monstrueuse, on a prtendu lutter contre llitisme mme est devenu grossier. Ce faisant, on a permis aux lites au pouvoir de perdlaurait-on fait exprs ? La Rpublique, en anantissant lcole de la Rpubliqredevenue une oligarchie fige. Un enfant des banlieues dfavorises a autant de cdaccder aux grandes coles quun Noir de Harlem de devenir Michael Jordaprobabilit existe, sur le papier, mais elle est nulle, dans la ralit. Je dirais mme mles ghettos nord-amricains ont, peu peu, dgag une bourgeoisie noire, laquell

    Woods vend des quipements de golf. Mais les ghettos du paysage urbain franproduisent que de la misre, parce que lcole du quartier a pour but ultime de fab

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    de la pauvret intellectuelle. Et de la fixer l.

    Ainsi, les meilleurs lves (voir plus haut leurs lieux de recrutement) se retrvolontiers reprsentants de lensemble de leurs condisciples, puis cadres du attendant, le gros des troupes, recrut dans les banlieues, forme larme des cocus.

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    Du nouveau Bac de franais et autres calembredaines

    la fin des annes 90 fut institu, par ce quil est aujourdhui convenu dappelcommission Viala[26] , un Bac aussi nouveau que le Beaujolais du mme nom, aussi frelat.

    On renona au rsum / discussion, jug si difficile quil est aujourdhui au concorecrutement de plusieurs grandes coles scientifiques en fait, parce que le

    dentre, en franais tout au moins, desdites coles est celui dun bachelier dil y a ans. Et on institua la place un sujet dinvention , la plus populaire des preuveavant le commentaire de texte (alatoire, car tout dpend du texte que lon vous pret qui, sans doute, ne vous inspirera rien) ou la dissertation (rarement choisie, puisimplique un minimum culturel aujourdhui non garanti).

    Je ne suis pas port la polmique, et je veux bien croire que les intentio experts de la commission (qui comportait nombre duniversitaires qui navaie

    vu un lve de lyce depuis des lustres sinon leurs propres enfants, abonns des lyces parisiens) furent pures. Admettons que ces spcialistes aient voulu r

    avec lpreuve de rhtorique du XIXesicle, qui encourageait les la manire dqui nous a donn Proust et sesPastiches,entre mille autres.

    Mais llve daujourdhui na rien voir avec ceux, saturs de littrature, du XIXet de la premire moiti du XXe. Mais les professeurs de cette poque avaient acrire, et appris apprendre crire. Mais les programmes (librement fixs penseignants eux-mmes, dans des cadres assez peu rigides) mettaient en anthologies et florilges, comme disent les amateurs de synonymes, qui exaltaigrands textes, et imposaient une chelle des valeurs littraires quelque peu contraig

    De la contrainte nat limagination. On ne croyait pas, cette poque, aux ver Exprimez-vous ! de commande. On ne savait pas quil ne faut plus dire texte discours , que tout est discours et que, partant, tout se vaut. On ne pensait pas, caujourdhui, que cest aux lves donner du sens au texte, qui en manque certainOn disait, comme Valry, que rien de plus soi que de se nourrir dautrui , par le lion est fait de mouton assimil. On rvrait les matres Montaigne, RacBruyre , et du coup, on ne mprisait pas ceux qui les enseignaient. Tant il est vle savoir, et la transmission de ce savoir, sont les clefs de la paix scolaire.

    La mme commission Viala, en suggrant, via des objets dtude (largumen

    le biographique, lpistolaire, etc.) que tous les crits (pardon : les discours) se vasupprim la notion de hirarchie littraire. Non seulement les lves, maenseignants eux-mmes, parfois, ne savent plus faire la distinction entre les Confede Rousseau et lesMmoires de Loana. Tout se vaut, prtendent nos rformateuslogan publicitaire et un pome de Mallarm. Soyons plus exacts : la publicit vaut car son message est plus lisible.

    Lide que la littrature puisse elle aussi convoyer du courrier ne les fait pas rirest le support, disent-ils, du sens que cre en dfinitive llve.

    Et nos pdagogues modernes daffirmer hautement quun lve daujourdhui lquun lve dautrefois textes daffiches, rclames, modes demploi, grafs sur les

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    et sites Internet choisis.Quantitativement, cest certainement vrai. Mais nous avons vu que lon fait app

    quantit chaque fois que lon veut congdier la qualit.Lide que tout est discours, et plus prcisment argumentation, a des rpercu

    graves. Si tout se vaut du point de vue formel, tous les contenus se valent : llhabile identifier le fond la forme or, toutes les ides ne se valent pas. La denseigne envers le texte dautrui gnre automatiquement une adhsion au sien pquel que soit son niveau, comme dit fort bien Danielle Sallenave. Et dajouter :enfants, des adolescents, se voient immdiatement dtourns de ce qui tait la leon de la paideia : on se trouve travers les grands textes, on se forme avec laila leon de ceux qui vous ont prcd. Tout au contraire, la pratique du dargumentatif vise tablir le soi non avec lappui et sous la bnfique influelautre, mais dans le refus pralable de toute ouverture au discours dun matrLlve arriverait prform il suffirait dsormais de le formater.

    Cest bien du temps de gagn

    Grard Genette remarquait dj, la fin des annes 60, que du XIXe

    au XXe

    Snous avions substitu la critique la potique[28]. Nous avons dsormais rempcritique par limpressionnisme , tout en exigeant thoriquement des lvesmatrisent la potique (lcriture dinvention) et la critique (le commentaire de text

    Matrise acquise spontanment, sans doute, vu quen vingt ans, le nombre dconsacres au franais en collge et en lyce sest rduit comme peau de chagrin. DIl fallait bien faire de la place aux nouvelles technologies, si utiles puisquelleobsoltes ds la sortie de lcole.

    Plus exactement, ce nest pas loutil qui est hors dge, cest lusage que lon en a Le sujet dinvention , tarte la crme du Bac, convient sans doute une soc

    tout le monde, parat-il, est crivain : le Crtin de tous ges voit dfiler dans les tlucarnes un cortge infini dacteurs, de sportifs, de tmoins dici et dailleugourgandines et de chenapans, qui viennent prsenter leur livre. Le Crtin ignoplus de 50 % des ouvrages quon lui donne admirer sont crits ou rcrits par unemercenaire un ngre, comme on dit. Conclusion : le Crtin se croit lui aussi autcrire. Et lcole, la socit, le quatrime pouvoir, ly encouragent, en prtendant

    spontanit de lexpression vaut toutes les longues patiences.Le plus stupfiant, cest que nous acceptions, nous enseignants, de couvriprtention exorbitante. Nous qui, sauf exception, navons jamais appris crire crivons fort peu. Nous qui devrions savoir ce quil a fallu de sueur au gnie laccompli pour parvenir la phrase sans parler de la phrase suivante.

    Comment faire comprendre des lves, spectateurs bats des impostures mdiaque Flaubert schinait chaque jour produire dix lignes satisfaisantes et rapiduges insatisfaisantes ? Comment leur faire admettre quil mit des annes pour

    chacune de ses uvres, quand le moindre vnement gnre dix livres en deux moiDemander ce gosse qui lit peu, en moyenne, de produire ne serait-ce que deux

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    dinvention est une fiction malhonnte. Demander ensuite des correcteurs effarnoter (avec la plus grande indulgence) est une impudence.

    Le plus sidrant, cest que lon trouve parfois de bonnes choses dans ce jeu de maPreuve, sil en tait besoin, que des ppites sommeillent sous la gangue grossirpdagogie qui lgifre. Mais que de vrais talents engloutis sous des couches paisuperficialit et de didactique !

    Cest Rimbaud que lon assassine.Le niveau monte

    Aujourdhui, lundi 6 juin 2005. Montpellier. Un groupe dlves de deuxime anBEP vient de passer lpreuve de franais, et commente voix haute leurs trou Tas parl du racisme ? Eh oui

    Je mapproche, menquiers du sujet : un extrait de lHistoire dun merle blaMusset. Rapide enqute : aucun dentre eux na entendu parler du pote. Aucun nrflexe de prendre en compte la date de la signature (1842). Aucun ne connat lhdu vilain petit canard dAndersen, qui nest pas sans ressemblance avec le co

    Musset.Outre quelques rponses approximatives aux questions les plus techniques, unanimement rpondu, linterrogation sur le sens du texte, que lhistoire parracisme. Que le merle blanc qui sifflait diffremment de son pre, et se faisait jeterfamilial, tait probablement noir forcment, puisquil est blanc. Lexercice dinvqui suivait ( rdiger un court article de journal pour tmoigner dune discriminane risquait pas de les mettre sur la voie : les rdacteurs du sujet avaient fabriqummes le contresens espr.

    Comment faire comprendre que cette histoire de merle blanc est une fable sur lele pote victime de lordre bourgeois, puisque tout lenseignement que lon prodigchres ttes blondes, sur ordre, ne vise qu les confronter leur propre ralit ?

    Jai demand son ge au leader de la bande. Il avait dix-neuf ans. Il avait redoubfois en quatrime, mexpliqua-t-il, parce quil tait dboussol par son arrive rgion, qui ne ressemblait pas sa Seine-Saint-Denis originelle (ZEP, nous voil !seconde, puisquil repiqua en premire anne de BEP. Ce garon avait donc treidenseignement dans la tte maternelle non comprise. Treize ans pour rien.

    Ou plutt, pour ce quon attend de lui : peu dimagination, peu de vocabulaire,

    bon sens, et de lobissance.Trois jours plus tard, Bac de franais. Sries STT et STI, ces techniques qui, e

    que telles, ont forcment besoin dune connexion lactualit que la litt classique noffre pas forcment, sauf en forant les significations, comme on vle voir. Le sujet rassemble Beaumarchais, Hugo et Pierre Perret. Ce nest pas faire ilinoubliable auteur des Jolies colonies de vacances que de dire que ses vers flle mirliton. Les examinateurs avaient choisi Lily , une chanson antiraciste quidsormais dans tous les manuels scolaires de collge et de lyce, chanson des annqui relate le combat des Noirs amricains de lre Luther King et Angela Da

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    parfaitement incomprhensible par des lycens actuels.Sous la chanson, cette prcision invraisemblable : Pour cette chanson, Pierre

    [] a reu le prix de la LICRA (Ligue contre le racisme et lantismitisme). Cest entendu, nous sommes tous antiracistes, mais pourquoi diable prouver le

    de dlivrer ce certificat de bonnes vie et murs ? Sommes-nous revenus lhepoque o les sujets taient viss par larchevch ? La dissertation propose auxne faisait rien pour dissiper le malentendu : Pensez-vous quil est plus efficdfendre une cause ou de dnoncer une injustice travers un personnage invent, cle font Hugo et les autres auteurs de ce corpus ? Je passe sur lincorrection syntde la phrase, que Marie-Christine Bellosta a justement fustige dans un article rcMais le sujet dinvention passait les bornes de la neutralit scolaire pour tlourdement dans le politiquement correct : Lily, un an aprs son installation crit sa famille reste en Somalie. Elle dnonce lintolrance et le racisme dont

    victime. Vous rdigerez cette lettre en tenant compte des situations voques dtexte de Pierre Perret et en dveloppant largumentation de Lily.

    Nous y voici. Toutes les argumentations se valent. Donc, on peut transfr

    exemples pris dans lAmrique sgrgationniste la France contemporaine, qforcment, intolrante et raciste. Comme dit Marie-Christine Bellosta : La menote ira au candidat qui aura le mieux dnigr son pays () La discipline franaist-elle encore ? Ou nest-elle que loccasion de vrifier des connaissances ddisciplines (ici, linstruction civique), ou des convictions politiques et sociales quoriger en consensus ?

    Le politiquement correct qui a remplac la culture a fait de lantiracisme le ntoute littrature. Tout converge vers le Zola de Jaccuse que ne leur donne-Zola deLArgent,pour comparer ? Comme si largumentation tait lalpha et lomglittrature

    Cest bien de formatage quil sagit ici. Les programmes mettent en place de notopoi, ces ides reues sur lesquelles se btit un consensus mou, pour qugnrations.

    Inviter les lves donner leur opinion, dans ce contexte, revient en fait les dcpuis leur demander de penser comme les autres.

    Et lancien soixante-huitard que je suis est bien oblig de constater que les utopiesoixante-huitardes, mal digres, mal recraches par quelques pdagogues, s

    principale source du conformisme contemporain deux mots qui commencent ma

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    Des ZEP

    Institues partir de 1981 (par Alain Savary, alors ministre de lducation), leinventes pour rduire les ingalits sociales , prtexte toujours commode [30],trs vite le laboratoire gnral du Crtin.

    Non que les lves concerns par ces Zones dducation Prioritaire fussent en qmanire plus btes que dautres. Mais le dterminisme sociologique des qu

    concerns par ces plans durgence devait naturellement engendrer, grands frvrais laisss-pour-compte du systme. Par ailleurs, les techniques duexprimentes dans ces Zones dExclusion Programme allaient, en deux dcennietendues lensemble du territoire : pourquoi ne pas gnraliser ce qui russissait cest--dire si bien, dans un systme dont lambition suprme est de fabriquexclus du savoir ?

    Dans la novlangue des no-pdagos, il faut, nous lavons vu, prendre les mots l

    Les Zones dducation Prioritaire ne sont ni prioritaires, ni ducatives. Une ZEP

    ghetto organis, en gnral sur les priphries des grands centres urbains, de faoque les meilleurs lves tudient tranquillement dans les bons lyces du centrsans tre drangs par une racaille descendue de quelque banlieue louche. Deaussi contrler, tape par tape, les lves naturellement destins alimengros bataillons analphabtes.

    Cest aussi une pompe phynances , comme disait Ubu : rien de mieux lotitablissement class en ZEP. On alloue des primes aux enseignants pour les convde supporter les insultes et les coups, et les proviseurs, qui mesurent leur pouv

    nombre dordinateurs inutiles confis leur garde, sefforcent dobtenir cette titout en intriguant pour se faire muter ailleurs. Preuve, sil en fallait, que, dcivilisation ( ?) du Crtin, le quantitatif a officiellement pris le relais du qualitatiun pige dans lequel on a aussi enferm les syndicats : plus de postes, plus de mdemandent-ils, au lieu de se pencher sur la qualit de lenseignement enseignants eux-mmes.

    En change de leurs primes, les enseignants renoncent tout dveloppemcarrire, puisque lInspection, qui seule dtermine la promotion au mrite, ne se dpas dans ces lieux du mrite oubli. La ZEP, cest lapostolat contemporain, la te

    mission ultime. Baptisez-moi ghetto ! Tel est donc le cri de ralliement des administratifs nom

    zone sensible , et qui aspirent ce quelle soit classe ZEP part entire. systme o le qualificatif le plus dvalorisant est revendiqu voix haute. Les lZEP sont mieux forms / dforms que les autres, et ils sont mieux lotis ric

    biens matriels, cache-misre de leur pauvret intellectuelle concerte.Jai travaill prs de quinze ans dans ces taches blanches de la carte scol

    Montgeron, aux Ulis, enfin au lyce des Tarterts de Corbeil-Essonnes, trois grandde ce que le systme peut fabriquer de pire. Jai cum les tablissements le

  • 5/28/2018 La Fabrique Du Cretin Brighelli Jean Paul

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    difficiles de la banlieue parisienne, dans des quartiers quartiers de haute inscurLa police elle-mme hsite y mettre le pied, et ngocie la paix sociale avec les

    frres quelle laisse vaquer leurs petits trafics. Mais on y envoie des profs.Une Inspectrice Gnrale, bien plus tard, comme je lui demandais pourquoi je

    pas t inspect en quinze ans, me rpliqua, avec ce quelle croyait tre un humoudlicat : H ! Qutes-vous rest en ZEP ? Par militantisme ? sous-entendaseul un engagement quasi humanitaire pouvait expliquer cette dviance dun agrlettres, normalien de surcrot, dans le plus sordide des culs-de-basse-fosse du sy Mais il faut bien que quelquun apprenne quelque chose ces gosses , expliqElle haussa les paules : Il y a les jeunes certifis pour a, lana-t-elle. Ils ont appdagogie, nest-ce pas ?

    Nous nous quittmes fchs

    Anecdote.Premier poste en ZEP, premire heure. Une classe de premire techniqu

    curieusement les deux tiers des lves sont redoublants. Je leur deman