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    Isaac Asimov

    Les cavernes dacier(The caves of steel)

    1953

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    Entretien avec un commissaire

    Lije Baley venait datteindre son bureau quand il se rendit

    compte que R. Sammy lobservait, et que, manifestement, illavait attendu.Les traits austres de son visage allong se durcirent. Quest-ce que tu veux ? fit-il. Le patron vous demande, Lije. Tout de suite. Ds votre

    arrive. Entendu !R. Sammy demeura plant sa place.

    Jai dit : entendu ! rpta Baley. Fous le camp !R. Sammy pivota sur les talons, et sen fut vaquer sesoccupations ; et Baley, fort irrit, se demanda, une fois de plus,pourquoi ces occupations-l ne pouvaient pas tre confies unhomme.

    Pendant un instant, il examina avec soin le contenu de sablague tabac, et fit un petit calcul mental : raison de deuxpipes par jour, il atteindrait tout juste la date de la prochainedistribution.

    Il sortit alors de derrire sa balustrade (depuis deux ans, ilavait droit un bureau dangle, entour de balustrades) ettraversa dans toute sa longueur limmense salle.

    Comme il passait devant Simpson, celui-ci interrompit uninstant les observations auxquelles il se livrait, sur uneenregistreuse automatique au mercure, et lui dit :

    Le patron te demande, Lije. Je sais. R. Sammy ma prvenu.

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    Un ruban couvert dinscriptions serres en langage chiffrsortait sans arrt des organes vitaux de l enregistreuse ; ce petitappareil recherchait et analysait ses souvenirs , afin defournir le renseignement demand, qui tait obtenu grce

    dinfinies vibrations produites sur la brillante surface dumercure.

    Moi, reprit Simpson, je flanquerais mon pied au derrirede R. Sammy, si je navais pas peur de me casser une jambe ! Tusais, lautre soir, jai rencontr Vince Barrett...

    Ah oui ?... Il cherche rcuprer son job, ou nimporte quelle autre

    place dans le Service. Pauvre gosse ! Il est dsespr ! Mais que

    voulais-tu que, moi, je lui dise ?... R. Sammy la remplac, et faitexactement son boulot : un point cest tout ! Et pendant cetemps-l, Vince fait marcher un tapis roulant dans une desfermes productrices de levure. Pourtant, ctait un gosse

    brillant, ce petit-l, et tout le monde laimait bien !Baley haussa les paules et rpliqua, plus schement quil ne

    laurait voulu : Oh ! tu sais, nous en sommes tous l, plus ou moins.

    Le patron avait droit un bureau priv. Sur la porte enverre dpoli, on pouvait lire JULIUS ENDERBY.

    Ctait crit en jolies lettres, graves avec soin dans le verre ;et, juste en dessous, luisait linscription : COMMISSAIREPRINCIPAL DE POLICE DE NEW YORK.

    Baley entra et dit : Vous mavez fait demander, monsieur le commissaire ?Enderby leva la tte vers son visiteur. Il portait des lunettes,

    car il avait les yeux trop sensibles pour que lon pt y adapterdes lentilles normales adhrant la pupille. Il fallait dabordshabituer voir ces lunettes, pour pouvoir, ensuite, apprcierexactement le visage de lhomme lequel manquait tout faitde distinction. Baley, pour sa part, inclinait fort penser que lecommissaire tenait ses lunettes parce quelles confraient saphysionomie plus de caractre ; quant aux pupilles de son chef,il les souponnait srieusement de ne pas tre aussi sensibles

    quon le prtendait.

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    Le commissaire avait lair extrmement nerveux. Il tira surses poignets de chemise, sadossa son fauteuil, et dit, tropcordialement :

    Asseyez-vous, Lije. Asseyez-vous !

    Lije sexcuta, trs raide, et attendit. Et comment va Jessie ? dit Enderby. Et votre fils ? Bien, rpondit Baley sans chaleur, tout fait bien. Et

    votre famille ? Bien, fit Enderby, comme un cho, tout fait bien. Cest un faux dpart, se dit Baley ; il y a quelque chose

    danormal dans son visage ! Et, tout haut, il ajouta : Monsieur le commissaire, je vous serais reconnaissant de

    ne pas menvoyer chercher par R. Sammy. Mon Dieu, Lije, vous savez bien ce que je pense ce

    sujet ! Mais on me la impos : il faut donc que je lutilise pourcertaines besognes.

    Cest fort dsagrable, monsieur le commissaire ! Ainsi, ilvient de mavertir que vous me demandiez, et puis il est restdebout, plant l ; vous savez ce que c est. Et il a fallu que je luidise de sen aller, sans quoi il naurait pas boug !

    Oh ! cest ma faute, Lije ! Je lui ai donn lordre de voustransmettre un message, mais jai oubli de lui prciserquaussitt sa mission remplie il devrait revenir sa place.

    Baley soupira, et les petites rides que l on remarquait aucoin de ses beaux yeux brun fonc saccenturent.

    Quoi quil en soit, dit-il, vous mavez fait demander... Oui, Lije, rpliqua le commissaire, et ce nest pas pour

    quelque chose de facile, je vous le garantis !

    Il se leva, pivota sur ses talons, et fit quelques pas jusquaumur qui se trouvait derrire son bureau ; puis il appuya sur unbouton peine visible, et aussitt une partie du panneau devinttransparente.

    Baley cligna des yeux, sous lirruption inattendue delumire grise qui inonda la pice.

    Le commissaire sourit : Jai fait installer a spcialement lan dernier, Lije, dit-il.

    Je crois que je ne vous lavais pas encore montr. Approchez etjetez un coup dil. Dans le temps jadis, toutes les pices des

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    maisons taient ainsi quipes. On appelait a des fentres .Vous le saviez ?

    Baley nignorait pas ce dtail, car il avait lu beaucoupdouvrages historiques.

    Jen ai entendu parler, dit-il. Alors, venez ici !Baley hsita un peu, mais finit par sexcuter. Il trouva un

    peu indcent dexposer ainsi une pice prive aux regards dumonde extrieur. Dcidment, il y avait des moments o lecommissaire poussait par trop loin sa passion bien connue delpoque mdivale : cen devenait stupide !... Ctait toutcomme ses lunettes... Ah ! mais oui ! Voil ce qui lui changeait

    le visage ! Ctait cela qui lui donnait lair anormal ! Excusez-moi, monsieur le commissaire, dit-il. Mais il me

    semble que vous portez de nouvelles lunettes, nest-ce pas ?Le commissaire, lgrement surpris, le dvisagea un instant

    sans rpondre ; puis il ta ses lunettes, les examina, et regardade nouveau Baley. Sans ses verres, sa figure semblait encoreplus ronde et son menton un peu plus massif. Et, du coup, sonregard devenait plus vague, car il ne parvenait plus distinguer

    nettement les objets.Il remit ses verres sur son nez et, dun ton trs agac, il

    rpondit enfin : Oui, jai cass les autres il y a trois jours ; et avec tout ce

    que jai sur les bras, je nai pu les remplacer que ce matin. Jedois vous dire, Lije, que ces trois dernires journes ont tinfernales.

    A cause des lunettes ?

    Et dautres choses aussi... Jen prends lhabitude !Il se tourna vers la fentre, et Baley, limitant, ne put cacherson tonnement la vue de la pluie qui tombait du ciel. Ildemeura un long moment immobile la contempler, tandis quele commissaire lobservait avec une sorte de fiert, comme s ilavait lui-mme cr le phnomne auquel il lui donnait leprivilge dassister.

    Cest la troisime fois, ce mois-ci, que jai pu voir tomber

    la pluie, dit Enderby. Cest trs remarquable, nest-ce pas ?

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    Malgr lui, Baley dut savouer que ctait impressionnant.Au cours de ses quarante-deux annes dexistence, il avaitrarement vu pleuvoir, ou contempl la nature, dans ses diversesmanifestations.

    Pour moi, rplique-t-il, quand je vois tomber toute cetteeau sur la ville, a me parat vraiment du gaspillage : on devraitsarranger pour en limiter la chute dans les rservoirsdalimentation.

    Ah ! vous, Lije, vous tes un moderne, et cest dailleurs lacause de vos soucis. A lpoque mdivale, les gens vivaient enplein air, non seulement ceux qui exploitaient des fermes, maisgalement les citoyens des villes, mme ceux de New York.

    Quand la pluie tombait, ils ne trouvaient pas que c tait dugaspillage deau. Ils sen rjouissaient, comme de toutes lesmanifestations de la nature, car ils vivaient dans une sorte decommunion intime avec elle.

    Ctait une existence plus saine et meilleure, croyez-moi !Tous les ennuis que nous vaut la vie moderne sont dus ce quil

    y a divorce entre la nature et nous. Quand vous en aurez letemps, vous devriez lire des ouvrages dhistoire sur lAge du

    Charbon.Baley, effectivement, en avait lu. Il avait entendu bien des

    gens se lamenter sur la cration de la pile atomique. Il avait lui-mme maudit souvent cette invention, quand les vnementsavaient mal tourn, ou quand il tait fatigu. Mais, tout au longde lhistoire de lhumanit, lhomme na jamais cess de gmirainsi : cest inhrent sa nature. A l Age du Charbon, les gens

    vitupraient linvention de la machine vapeur. Dans une des

    pices de Shakespeare, un de ses personnages maudit le jour olon dcouvrit la poudre canon. De mme, dans quelque milleans, les gens jugeraient nfaste linvention du cerveaupositronique...

    Mais Lije naimait pas se laisser aller des rflexions de cegenre ; elles le dprimaient. Au diable, tout cela !

    Ecoutez, Julius... dit-il.Pendant les heures de service, il navait pas lhabitude de

    sentretenir familirement avec le commissaire, en dpit delinsistance avec laquelle celui-ci lappelait par son petit nom.

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    Mais, ce jour-l, sans trop savoir pourquoi, il prouva, pour unefois, le besoin de lui rendre la pareille.

    Ecoutez, Julius, vous me parlez de tout, sauf de la raisonpour laquelle vous mavez fait venir, et cela me tracasse. De quoi

    sagit-il ? Jy arrive, jy arrive ! rpondit le commissaire. Mais

    laissez-moi vous exposer la chose ma faon. Car il sagit desrieux ennuis.

    Oh ! je men doute bien ! Quest-ce qui nest pas unesource dembtements sur cette sacre plante ? Avez-vousencore plus de difficults avec les R ?

    Dans une certaine mesure, oui, Lije. A vrai dire, jen suis

    me demander jusqu quel point le vieux monde pourracontinuer supporter les preuves qui lui sont imposes. Quand

    jai fait installer cette fentre, ce ntait pas seulement pour voirle ciel de temps autre ; ctait pour voir la ville. Je lacontemple souvent, et je me demande ce quelle va devenir, aucours du prochain sicle !

    Ces remarques mlancoliques dplurent vivement Baley,mais il ne se lassa pas de regarder par la fentre, avec une sorte

    de fascination. En dpit du mauvais temps qui diminuaitsensiblement la visibilit, la ville offrait un spectacle sans pareil.Les services de la police occupaient la partie suprieure du CityHall Building, lequel slevait dans le ciel une trs grandehauteur. Vues de la fentre du commissaire principal, les toursdes gratte-ciel voisins jouaient le rle de parents pauvres, et londistinguait leurs sommets. On et dit de gros doigts points versla vote des cieux. Les murs taient nus, sans caractre.

    Ctaient autant de ruches contenant dimmenses essaimshumains. A un certain point de vue, dit le commissaire, je regrette

    quil pleuve, car nous ne pouvons apercevoir Spacetown1.Baley jeta un regard vers louest, mais, comme venait de

    lindiquer Enderby, la vue, de ce ct-l, tait bouche. Les toursde New York sestompaient dans un nuage de pluie, et lhorizonprsentait laspect dun mur blanchtre.

    1 Space = espace. Town = la ville. (N.d.T.)

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    Je sais de quoi Spacetown a lair, rplique Baley. Jaime assez la vue que lon en a dici, reprit son chef. On

    peut juste la distinguer dans lespace compris entre les deuxparties du quartier de Brunswick. Cest une vaste agglomration

    de dmes relativement bas. Ce qui nous diffrencie de nosvoisins, cest prcisment que nos immeubles sont levs etserrs les uns contre les autres. Chez eux, au contraire, chaquefamille a sa propre maisons dont le toit est arrondi, et, entrechacun de ces dmes, il y a du terrain. Avez-vous jamais euloccasion de vous entretenir avec un des Spaciens, Lije ?

    Quelquefois, oui, rpondit Baley, patiemment. Il y a unmois environ, jai parl lun deux, ici mme.

    En effet, je men souviens maintenant. Si je me laissaisaller philosopher sur eux et nous, je dirais que nous avons desconceptions diffrentes de lexistence.

    Baley commenait se sentir un peu mal laise ; il savaitque plus le commissaire prenait de prcautions pour exposerune affaire, plus celle-ci promettait dtre grave. Toutefois,

    jouant le jeu, il rpondit : Daccord. Mais quoi de surprenant cela ? Vous ne

    pouvez tout de mme pas parpiller huit millions de personnesdans un petit espace, en affectant chaque famille unemaisonnette ! Les gens de Spacetown ont de la place : tantmieux pour eux ! Il ny a qu les laisser vivre comme bon leursemble !

    Le Commissaire revint sasseoir son bureau, et dvisageasans sourciller son collaborateur. Celui-ci fut gn par leslunettes dEnderby, qui dformaient un peu son regard.

    Tout le monde nadmet pas avec autant de tolrance quevous, dit-il, les diffrences de culture dont vous venez de parler.Ce que je dis l sapplique autant New York qu Spacetown.

    Bon ! fit Baley. Et quest-ce que a fait ? Ca fait quil y a trois jours un Spacien est mort.Il y arrivait quand mme ! La commissure des fines lvres

    de Baley se plissa trs lgrement, sans pour cela modifierlexpression naturellement triste de son visage.

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    Cest vraiment dommage, dit-il. Il a d attraper unmicrobe, jimagine, ou quelque chose de contagieux... ouprendre froid, peut-tre !

    Le commissaire parut choqu dune telle supposition :

    Quallez-vous donc chercher ? fit-il.Baley ne prit pas la peine de dvelopper plus avant son

    hypothse. La prcision avec laquelle les Spaciens avaient russi liminer toute maladie de leur communaut tait bienconnue ; et lon savait mieux encore avec quel soin ils vitaient,autant que possible, les contacts avec les habitants de la Terre,tous plus ou moins porteurs de germes contagieux. Au surplus,ce ntait certes pas le moment de se montrer sarcastique avec le

    commissaire. Aussi Baley rpondit-il tranquillement : Oh ! jai dit a sans intention particulire. Alors, de quoi

    est-il mort ? fit-il en regardant par la fentre. Il est mort dune charge dexplosif qui lui a fait sauter la

    poitrine.Baley ne se retourna pas, mais son dos se raidit, et, son

    tour, il rpliqua : Quest-ce que vous me racontez l ?

    Je vous raconte un meurtre, dit doucement lecommissaire. Et vous, un dtective, vous savez mieux quepersonne ce que cest !

    Cette fois, Baley se retourna. Mais cest incroyable ! Un Spacien ? Et il y a trois jours de

    cela ? Oui. Mais qui a pu faire a, et comment ?

    Les Spaciens disent que cest un Terrien. Impossible ! Pourquoi pas ? Vous naimez pas les Spaciens, et moi non

    plus. Qui sur la Terre les encaisse ? Personne. Quelquun lesaura dtests un peu trop, voil tout !

    Je ladmets. Cependant... Il y a eu lincendie des usines de Los Angeles. Il y a eu la

    destruction des R de Berlin. Il y a eu les meutes de Shanghai...

    Cest exact.

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    Tout a indique un mcontentement croissant, qui peutfort bien avoir donn naissance une sorte dorganisationsecrte.

    Je ne vous suis pas, monsieur le commissaire, dit Baley.

    Seriez-vous par hasard en train de me mettre lpreuve, pourquelque raison que jignore ?

    En voil une ide ! scria Enderby, sincrementdconcert.

    Mais Baley reprit, ne le quittant pas des yeux : Ainsi donc, il y a trois jours un Spacien a t assassin, et

    ses compatriotes pensent que le meurtrier est un Terrien.Jusqu ce moment prcis, fit-il en tapant du doigt sur le

    bureau, rien na transpir de ce crime. Cest bien cela, nest-cepas ? Eh bien, monsieur le commissaire, cette histoire estinvraisemblable ! Ca, alors ! Mais si ctait rellement vrai, uneaffaire comme celle-l entranerait la disparition de New Yorkde la plante : elle nous ferait tous sauter !

    Non, Lije, rpliqua le commissaire en hochant la tte. Cenest pas si simple que cela. Ecoutez-moi. Voil trois jours que jenarrte pas de circuler. Jai eu de longs entretiens avec le maire,

    je suis all moi-mme Spacetown, jai t Washingtonconfrer avec le Service des recherches terrestres.

    Ah ! Et quest-ce quon en dit, au S.R.T. ? Ils disent que cest notre affaire... Elle sest produite

    lintrieur des limites de la ville, et Spacetown dpend de lajuridiction de New York.

    Sans doute, mais avec des droits dextra-territorialit. Je sais, et jy arrive, prcisment.

    Le regard dEnderby vita celui, trs perant, de Baley. Onet dit que soudain les rles staient renverss, et que lecommissaire tait devenu le subordonn du dtective. Quant celui-ci, il semblait, par son attitude, trouver le fait tout naturel.

    Eh bien ! dit-il tranquillement, les Spaciens nont qu sedbrouiller !

    Doucement, Lije ! plaida Enderby. Ne me bousculez pas.Jessaie de vous exposer le problme, en amis que nous

    sommes. Et dabord, il faut que vous sachiez exactement dansquelle position je me trouve. Car jtais prcisment l-bas

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    quand on a appris la nouvelle. Javais rendez-vous avec lui, avecRoj Nemennuh Sarton.

    La victime ? Oui, la victime, rpondit le commissaire dune voix

    sinistre. Cinq minutes de plus, et c est moi qui, en personne,aurais dcouvert le corps. Vous imaginez ce que saurait t ?Mais telle que la chose sest passe, elle a dj t suffisamment

    brutale, bon sang ! Au moment mme o jarrivais, ils mont misau courant, et ce fut le point de dpart d un cauchemar qui adur trois jours. Avec cela, tout tait trouble autour de moi,puisque je ne disposais pas dun instant pour faire remplacermes sacres lunettes. En tout cas, cette histoire-l ne marrivera

    plus de sitt ! Jen ai command trois paires.Baley se reprsenta lvnement, tel quil avait d se

    produire. Il simagina les hautes et lgantes silhouettes desSpaciens savanant vers le commissaire, et lui annonant ledrame, du ton positif et dpourvu de toute motion qui leurtait habituel. Julius avait d ter ses lunettes et les essuyer ;mais, sous le coup de la nouvelle, il les avait laisses tomber ; ilen avait invitablement contempl ensuite les morceaux briss,

    en marmottant dinintelligibles paroles entre ses grosses lvres ;et Baley tait bien convaincu que, pendant cinq minutes aumoins, le commissaire avait t beaucoup plus proccup par laperte de ses lunettes que par le meurtre.

    Oui, reprit Enderby, je suis dans une position impossible.Comme vous venez de le rappeler, Spacetown jouit de lextra-territorialit. Ils peuvent donc insister pour mener eux-mmesleur enqute, et faire leur gouvernement nimporte quel

    rapport sur laffaire. Les Mondes Extrieurs pourraient se baserl-dessus pour nous rclamer dimportantes indemnits. Etvous voyez dici comment notre population ragirait !

    Si la Maison-Blanche consentait payer la moindre deces indemnits, elle se suiciderait politiquement.

    Elle commettrait un autre genre de suicide en ne payantpas.

    Oh ! fit Baley, vous navez pas besoin de me faire un

    dessin !

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    Il tait encore tout enfant, lorsque les croiss des MondesExtrieurs avaient, pour la dernire fois, atterri et dbarquleurs troupes Washington, New York et Moscou, Pour se faireremettre ce quils estimaient tre leur d.

    Alors, dit Enderby, toute la question est l : payer ou nepas payer. Et le seul moyen den sortir, cest de trouver nous-mmes lassassin, et de le livrer aux Spaciens. Ca ne dpend quede nous.

    Pourquoi donc ne pas passer tout le dossier au S.R.T. ?Mme en tenant compte du point de vue lgal, selon lequel cestnotre juridiction qui est en cause, il faut considrer la questiondes relations interstellaires...

    Le S.R.T. refusera toujours dy fourrer son nez. Ils ontbien trop peur de sy brler. Non ! Nous ne pouvons pas ycouper : cest pour nos pieds !

    Redressant la tte, il fixa longuement du regard sonsubordonn, et, pesant ses mots, il ajouta :

    Et cest une sale histoire, Lije. Cest une histoire qui peutnous coter nos situations, tous, tant que nous sommes !

    Allons donc ! scria Baley. Il faudrait nous remplacer

    tous, et cest impossible, car on ne trouvera pas en assez grandnombre des gens spcialiss comme nous !

    Si, dit le commissaire. Ils existent : Les R ! Quoi ? R. Sammy nest quun dbut. Il fait le mtier de garon de

    courses. Il y en a dautres qui surveillent les tapis roulantsexpress. Crnom de nom, mon vieux ! Je connais Spacetown unpeu mieux que vous, et je sais ce quon y fait ! Il y a des R qui

    peuvent btement excuter votre travail et le mien. On peutnous dclasser, mettez-vous bien a dans la tte ! Et, notrege, nous retrouver en chmage, vous voyez a dici !

    Je vois ce que cest, en effet, grommela Baley. Je suis dsol, Lije, reprit le commissaire principal, trs

    dprim. Mais il fallait vous dire la vrit !Baley acquiesa dun signe de tte, et seffora de ne pas

    penser son pre. Bien entendu, Enderby connaissait toute

    lhistoire.

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    Mais voyons ! dit-il. Quand cette question deremplacement a-t-elle commenc venir sur le tapis ?

    Allons, Lije, rplique Enderby, ne faites pas linnocent !Vous savez bien que a na jamais cess ! Voil vingt-deux ans

    que a dure ! a remonte au jour o les Spaciens sont venus ici,vous ne lignorez pas ! Seulement, aujourdhui, a commence atteindre des couches sociales plus leves, voil tout ! Si nousne sommes pas capables de mener cette enqute bien, a nouscotera cher : ce sera une tape de plus et quelle tape ! quenous aurons parcourue sur le chemin nous conduisant auchmage ; et bientt nous naurons plus, et pour cause, nousproccuper de nos cotisations mensuelles la Caisse des

    retraites, cest moi qui vous le dis ! En revanche, Lije, si nousmenons lenqute avec succs, cela aura pour effet de repousser,dans un avenir lointain, le jour fatal que je viens dvoquer. Deplus, ce serait pour vous, personnellement, une occasioninespre de percer.

    Pour moi ? Oui, car cest vous que jai lintention de dsigner pour

    mener lenqute, Lije.

    Mais voyons, monsieur le commissaire, ce nest paspossible ! Je ne suis encore que de la catgorie C. 5, et je nai pasdroit une mission de cette envergure...

    Mais vous dsirez passer dans la catgorie C. 6, pas vrai ?Quelle question ! Baley connaissait les avantages affrents

    la catgorie C. 6 : place assise, aux heures de pointe, dans lestransports express, et pas seulement entre dix et seize heures ;droit une plus grande varit de plats sur les menus des

    cuisines communautaires ; peut-tre mme un logementamlior, et, de temps en temps, une place rserve pour Jessieau solarium...

    Bien sr que je le dsire ! rpliqua-t-il. Pourquoi pas ?Mais si je narrive pas dbrouiller laffaire, quest-ce que je vaisprendre !

    Pourquoi ne russiriez-vous pas, Lije ? dit Enderby dunevoix enjleuse. Vous en avez toutes les capacits. Vous tes lun

    de mes meilleurs dtectives.

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    Nempche que, dans mon service, jai une demi-douzaine de collgues plus anciens que moi et de catgoriesuprieure. Pourquoi les liminer ainsi priori ?

    La raction de Baley prouvait, sans quil et besoin de

    lexprimer plus clairement, quil ntait pas dupe pour que lecommissaire droget ce point aux rgles de la hirarchie, ilfallait que laffaire ft vritablement exceptionnelle et grave.

    Pour deux raisons, Lije, rpondit Enderby en joignant lesmains. Pour moi, vous le savez, vous ntes pas seulement un demes collaborateurs. Nous sommes deux amis, et je noublie pasle temps o nous tions au collge ensemble. Parfois, jai peut-tre lair de ne pas men souvenir, mais cest uniquement d aux

    ncessits du service et de la hirarchie : vous savez bien ce quecest que dtre commissaire principal. Il nen est pas moins vraique je reste votre ami. Or, je le rpte, cette enqute-lreprsente, pour celui qui va en tre officiellement charg, unechance formidable, et je veux que ce soit vous qui en bnficiiez.

    Bon, fit Baley, sans aucun enthousiasme. Voil donc lapremire raison. Et la seconde ?

    La seconde, cest que je pense que vous tes mon ami

    autant que je suis le vtre : alors, jai un service vousdemander, au titre dami et non de chef.

    Quel service ? Je dsire que vous preniez, pour mener votre enqute, un

    associ spacien : Spacetown la exig. Cest la condition quilsont pose pour ne pas rendre compte de lassassinat leurgouvernement, et pour nous laisser seuls dbrouiller laffaire.Un de leurs agents devra, dun bout lautre, assister toute

    lenqute. Autant dire quils nont aucune confiance en nous. Il y a videmment de a, Lije. Mais il faut reconnatre

    que, si lenqute est mal mene, de nombreux fonctionnairesspaciens responsables seront blms par leur gouvernement. Ilsont donc intrt ce que tout se passe correctement, et je leuraccorde le bnfice du doute, Lije. Je suis, pour ce motif,dispos croire que leurs intentions sont bonnes.

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    Oh ! mais, pour ma part, je nen doute pas un instant,monsieur le commissaire ! Et cest bien cela qui me tracasse leplus, dailleurs !

    Enderby se refusa relever la remarque et poursuivit :

    Alors, Lije, tes-vous prt accepter de prendre avec vousun associ spacien ?

    Vous me le demandez comme un service personnel ? Oui. Je vous prie de prendre en main lenqute, dans les

    conditions exiges par Spacetown. Eh bien, cest daccord, monsieur le commissaire. Merci, Lije. Il va falloir quil habite avec vous. Ah ! non, alors ! Je ne marche plus !

    Allons, allons, Lije ! Vous avez un grand appartement,voyons : trois pices, avec un seul enfant ! Vous pouvez donctrs bien linstaller chez vous. Il ne vous drangera pas !... Pas lemoins du monde, je vous assure ! Et cest indispensable.

    Jessie va avoir horreur de a ! Jen suis sr. Vous lui expliquerez ! rpliqua le commissaire avec tant

    dardeur et dinsistance que, derrire ses lunettes, ses yeuxsemblrent deux cavits sombres enfonces dans leurs orbites.

    Vous lui direz que vous faites cela par amiti pour moi, et que, sitout marche bien, je mengage, aussitt aprs, user de toutmon crdit pour vous faire sauter une catgorie, et obtenir pour

    vous une promotion la classe C. 7. Vous entendez, Lije, C. 7 !... Entendu monsieur le commissaire. Jaccepte le march.Baley se leva moiti, mais quelque chose dans la

    physionomie dEnderby lui montra que tout ntait pas dit. Y a-t-il dautres conditions ? demanda-t-il en se

    rasseyant. Oui, fit Enderby en baissant lentement la tte. Il sagit dunom de votre associ.

    Oh ! peu importe ! dit Baley. Que ce soit Pierre, Jacques,ou Paul...

    Cest--dire... murmura le commissaire. Enfin... lesSpaciens font... ils ont de drles dides, Lije. En fait, lassociquils vous destinent nest pas... nest pas...

    Baley carquilla les yeux et scria : Un instant, je vous prie !... Vous ne prtendez pas ?...

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    Si, Lije !... Cest bien a !... Il le faut, Lije !... Il le fautabsolument !... Il ny a pas dautre moyen de nous en tirer !...

    Et vous avez la prtention que je mette dans monappartement un,... une chose pareille ?

    Je vous le demande, comme un ami, Lije. Non !... Non ! Ecoutez-moi, Lije. Vous savez bien que, pour une affaire

    pareille, je ne peux faire confiance personne. Ai-je besoindentrer dans tous les dtails ? Nous sommes absolumentcontraints de travailler, la main dans la main, avec les Spaciens,dans cette enqute. Il faut que nous russissions, si nous

    voulons empcher les flottes ariennes des Mondes Extrieurs

    de venir rclamer au Monde Terrestre de nouvelles indemnits.Mais nous ne pouvons russir par le seul jeu de nos vieillesmthodes. On va donc vous associer un de leurs R. Si cest luiqui trouve la solution de lnigme, nous sommes fichus jentends : nous, services de police. Vous comprenez ce que je

    veux dire, nest-ce pas ? Vous voyez donc combien votre tcheva tre dlicate : il faut que vous travailliez avec lui, en pleinaccord, mais que vous veilliez ce que ce soit vous et non lui qui

    trouviez la solution du problme qui vous est pos. Est-ce bienclair ?

    En dautres termes, je dois cooprer cent pour cent aveclui, ou lui couper le cou. De la main droite je lui taperai dans ledos, et de la gauche je me tiendrai prt le poignarder. Cest

    bien a ? Que pouvons-nous faire dautre ? Il ny a pas dautre

    solution.

    Je ne sais pas du tout comment Jessie va prendre lachose, fit Baley, indcis. Je lui parlerai, si vous le dsirez. Non, monsieur le commissaire. Inutile !... Et, ajouta-t-il

    en poussant un profond soupir, comment sappelle monassoci ?

    R. Daneel Olivaw. Oh ! fit tristement Baley. Ce nest plus la peine,

    dsormais, duser deuphmismes, monsieur le commissaire !Jaccepte la corve. Alors, allons-y carrment, et appelons les

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    choses par leur nom ! Je suis donc associ Robot DaneelOlivaw !

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    Voyage en tapis roulant express

    Il y avait comme toujours foule sur le tapis roulant express ;les voyageurs debout se tenaient sur la bande infrieure, et ceuxqui avaient droit aux places assises montaient sur limpriale.Un flot mince et continu de gens schappait de lexpress pourpasser sur les tapis de dclration , et de l gagnait les tapis

    roulants secondaires ou les escaliers mcaniques, quiconduisaient, sous dinnombrables arches et par autant deponts, au ddale sans fin des divers quartiers de la ville. Unautre flot humain, non moins continu, progressait en sensinverse, de la ville vers lexpress, en passant par des tapisacclrateurs.

    De tous cts des lumires tincelaient ; les murs et lesplafonds, tous lumineux, semblaient irradier dunephosphorescence non dnue de fraicheur ; partout desplacards aveuglants attiraient lattention, et, telles de gros versluisants, les indications se succdaient, crues et impratives :DIRECTION DE JERSEY POUR LA NAVETTE DEAST RIVER : SUIVEZ LESFLECHES DIRECTION DE LONG ISLAND : PRENDRE LETAGE SUPERIEUR.

    Mais ce qui dominait cet ensemble, ctait un bruitformidable, insparable de la vie mme, le colossal brouhaha demillions de gens parlant, riant, toussant, criant, murmurant, etrespirant.

    Tiens ! se dit Baley. On ne voit indique nulle part ladirection de Spacetown !

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    Il sauta de tapis roulant en tapis roulant, avec l aisance etladresse acquises au cours dune vie entire passe ce genredexercice. Les enfants apprenaient sauter dun tapis surlautre ds quils commenaient marcher. Cest peine si Baley

    sentait lacclration progressive du tapis, et il avait une tellehabitude de ce mode de transport quil ne se rendait mme pluscompte que, instinctivement, il se penchait en avant pourcompenser la force qui lentranait. Il ne lui fallut pas trentesecondes pour atteindre le tapis roulant cent kilomtres lheure, lequel lui permit de sauter sur la plate-forme

    balustrades et parois vitres qui sintitulait lexpress.Mais il ny avait toujours pas de poteaux indicateurs

    mentionnant Spacetown. Aprs tout, cela sexpliquait. A quoibon indiquer ce chemin-l ? Si lon avait affaire Spacetown, onsavait srement comment y aller. Et si lon nen connaissait paslitinraire, il tait parfaitement inutile de s y rendre. QuandSpacetown avait t fonde, quelque vingt-cinq ans auparavant,on avait dabord inclin en faire un centre dattraction, etdinnombrables foules de New Yorkais staient rendues l-bas.

    Mais les Spaciens navaient pas mis longtemps stopper

    cette invasion. Poliment (ils taient toujours polis), maisfermement, ils dressrent entre eux et la grande ville une

    barrire fort difficile franchir, forme dune combinaison desservices de contrle de limmigration et de linspection desdouanes. Quand donc on avait affaire Spacetown, on tait tenude fournir toutes indications didentit dsirables ; on devait, deplus, consentir une fouille intgrale, un examen mdicalapprofondi, et une dsinfection complte.

    Bien entendu, ces mesures suscitrent un vifmcontentement, plus vif mme quelles ne le justifiaient, et ilen rsulta un srieux coup darrt dans le programme demodernisation de New York. Baley gardait un souvenir vivacedes meutes dites de la Barrire. Il y avait particip lui-mme,dans la foule, se suspendant aux balustrades de l express,envahissant les impriales, au mpris des rglements quirservaient certaines personnes privilgies les places assises ;

    il avait parcouru pendant des heures les tapis roulants, sautantde lun lautre au risque de se rompre le cou et pendant deux

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    jours, il tait demeur avec les meutiers devant la Barrire deSpacetown, hurlant des slogans, et dmolissant le matriel de la

    ville, simplement pour soulager sa rage.Sil voulait sen donner la peine, Baley pouvait encore

    chanter par cur les airs populaires de cette poque-l. Il yavait entre autres : Lhomme est issu de la Terre, entends-tu ?un vieux chant du pays, au refrain lancinant.

    Lhomme est issu de la Terre, entends-tuCest sa mre nourricire, entends-tu

    Spaciens va-ten, disparaisDe la Terre qui te hait !

    Sale Spaciens entends-tu ?

    Il y avait des centaines de strophes du mme genre,quelques-unes spirituelles, l plupart stupides, beaucoupobscnes. Mais chacune delles se terminait par : Sale Spacien,entends-tu ? Futile riposte, consistant rejeter la figure desSpaciens linsulte par laquelle ils avaient le plus profondment

    bless les New Yorkais : leur insistance traiter les habitants de

    la Terre comme des tres pourris par les maladies.Il va sans dire que les Spaciens ne partirent pas. Ils neurent

    mme pas besoin de mettre en jeu leurs armes offensives. Il yavait belle lurette que les flottes dmodes des PuissancesTerrestres avaient appris quapprocher dun vaisseau arien duMonde Extrieur, ctait courir au suicide. Les avions terrestresqui staient aventurs dans la zone rserve de Spacetown, auxpremiers temps de son tablissement, avaient purement et

    simplement disparu. Tout au plus en avait-on retrouv quelqueminuscule dbris daile, ayant fini par retomber sur la Terre.Quant aux armes terrestres, aucune foule, si dchane ft-

    elle, ne perdrait jamais la tte au point doublier leffet desdisrupteurs subthriques portatifs, utiliss contre les Terriensdans les guerres du sicle prcdent.

    Ainsi donc les Spaciens se tenaient isols derrire leurbarrire, produit de leur puissance scientifique, et les Terriens

    ne disposaient daucune mthode leur permettant desprerquun jour ils pourraient dtruire cette barrire. Pendant toute

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    la priode des meutes, les Spaciens attendirent sans broncher,jusqu ce que les autorits de la ville fussent parvenues calmer la foule, en utilisant des gaz somnifres et vomitifs.Pendant quelque temps, les pnitenciers regorgrent de

    meneurs, de mcontents, et de gens arrts uniquement parcequil en fallait dans les prisons... Mais, trs rapidement, ilsfurent tous relchs.

    Puis, au bout dun certain temps, les Spaciens assouplirentprogressivement leurs mesures restrictives. Ils supprimrent la

    barrire, et passrent un accord avec les services de police deNew York, qui sengagrent faire respecter les loisisolationnistes de Spacetown et qui ils assurrent aide et

    protection. Enfin, dcision plus importante que toutes lesautres, la visite mdicale obligatoire devint beaucoup moinsdraconienne.

    Mais maintenant, se dit Baley, les vnements pouvaientsuivre un cours tout diffrent. Si les Spaciens croyaientsrieusement quun Terrien avait russi pntrer dansSpacetown pour y commettre un meurtre, il ny aurait riendimpossible ce quils dcident de rtablir la barrire : et a, ce

    serait un coup dur.Il se hissa sur la plate-forme de lexpress, se fraya un

    chemin parmi les voyageurs debout, et gagna le petit escalier enspirale qui menait limpriale ; l, il sassit, mais sans mettredans le ruban de son chapeau sa carte de circulation ; il nelarbora quaprs avoir dpass le dernier quartier delarrondissement de lHudson. En effet, aucune personneappartenant la catgorie C. 5 navait droit aux places assises,

    pour les parcours lintrieur dune zone limite lest par LongIsland et louest par lHudson. Sans doute, il y avait, cetteheure-l, beaucoup de places assises disponibles, mais si un descontrleurs lavait vu, il laurait automatiquement expuls delexpress. Les gens deviennent de jour en jour plus agacs par lesystme de classement de la population en catgories distinctes,plus ou moins privilgies. Et, en toute honntet, Baley devaitsavouer quil partageait entirement le sentiment des masses

    populaires sur ce point. Il affectait dailleurs, non sanssatisfaction, de se considrer comme un homme du peuple.

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    Le dossier de chaque sige tait surmont dun paravent auxlignes courbes et arodynamiques, contre lequel lair glissait enfaisant entendre un sifflement caractristique. Cela rendaittoute conversation quasi impossible, mais, quand on y tait

    habitu, cela nempchait pas de rflchir.La plupart des Terriens taient, des degrs divers,

    imprgns de civilisation mdivale. En fait, rien ntait plusfacile que de rester fidle ce genre dide, si lon se bornait considrer la Terre comme le seul et unique monde, et non pascomme un monde perdu au milieu de cinquante autres et leplus mal loti dailleurs...

    Tout coup, Baley tourna vivement la tte vers la droite, en

    entendant une femme pousser un cri perant. Elle avait laisstomber son sac main, et il aperut, le temps d un clair, le petitobjet rouge qui se dtachait sur le fond gris du tapis roulant.Sans doute un voyageur press, quittant lexpress, avait-il dlaccrocher au passage et le faire tomber sur le tapisdclrateur : toujours est-il que la propritaire du sac filait toute vitesse loin de son bien.

    Baley fit une petite grimace du coin de sa bouche. Si la

    femme avait eu assez de prsence desprit, elle aurait d passertout de suite sur le tapis dclrateur le plus lent de tous, et elleaurait pu retrouver son sac, la condition que d autres

    voyageurs ne sen soient pas empars ou ne laient pas envoyrouler dans une autre direction. De toute manire, il ne saurait

    jamais ce quelle avait dcid de faire dj lendroit o staitproduit lincident disparaissait dans le lointain. Il y avaitdailleurs de fortes chances pour quelle net pas boug. Les

    statistiques prouvaient quen moyenne toutes les trois minutesquelquun laissait tomber, en un point quelconque de la voie, unobjet quil ne retrouvait pas. Cest pourquoi le bureau des objetstrouvs tait une entreprise considrable : il ne reprsentait, enfait, quune des nombreuses complications de la vie moderne.

    Et Baley ne put sempcher de savouer quau temps jadis lavie tait plus simple. Tout tait moins compliqu ; et ctait pourcela que beaucoup de gens prconisaient le retour aux murs

    des temps mdivaux. On les appelait des mdivalistes. LeMdivalisme se prsentait sous diffrents aspects ; pour un

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    tre dpourvu dimagination, comme Julius Enderby, celasignifiait la conservation dusages archaques, tels que deslunettes et des fentres ; pour Baley cela se rsumait destudes historiques, et tout particulirement celles ayant pour

    objet lvolution des coutumes populaires.Il se laissa aller mditer sur la ville, cette cit de New York

    o il vivait et o il avait trouv sa raison dtre. Elle tait la plusimportante de toutes les villes dAmrique, lexception de Los

    Angeles, et sa population ntait dpasse, sur la Terre, que parcelle de Shangha. Or, elle navait pas trois cents ans dge.

    Bien entendu, il y avait eu, autrefois, sur ce mme territoiregographiquement dlimit, une agglomration urbaine que

    lon appelait New York City. Ce rassemblement primitif depopulation avait exist pendant trois mille, et non pas troiscents ans. Mais, en ces temps-l, on ne pouvait appeler cela une

    VILLE.Il ny avait pas alors de villes au sens moderne du terme. On

    trouvait, parpilles sur la Terre par milliers, desagglomrations, dimportance plus ou moins grande, cielouvert, et ressemblant un peu aux dmes spaciens, mais trs

    diffrentes de ceux-ci tout de mme. Ces agglomrations-l necomprenaient que rarement un million dhabitants, et la plusimportante de toutes atteignait peine dix millions. Du point de

    vue de la civilisation moderne, elles avaient t incapables defaire efficacement face aux problmes conomiques ns de leurdveloppement.

    Or, laccroissement constant de leur population avait obligles Terriens rechercher une organisation rellement efficace.

    Tant que cette population navait pas dpass le chiffre de deux,puis trois, mme cinq milliards dhabitants, la plante avaitrussi la faire vivre en abaissant progressivement le standardde vie de chacun. Mais quand elle atteignit huit milliards, ildevint clair quune demi-famine la menaait invitablement.Ds lors, il fallut envisager des changements radicaux dans lesprincipes fondamentaux de la civilisation moderne, et celadautant plus que les Mondes Extrieurs (qui, mille ans plus tt,

    navaient t que de simples colonies de la Terre) devenaient

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    danne en anne plus hostiles toute immigration de Terrienssur leurs territoires.

    On aboutit ainsi la formation progressive des grandesvilles. Pour que celles-ci fussent efficacement organises, elles

    devaient tre trs grandes. On lavait dj compris dailleurs, lpoque mdivale, mais dune faon confuse. Les petitesentreprises et lartisanat local cdrent la place de grossesfabriques, et celles-ci finirent par se grouper en industriescontinentales.

    La notion defficacit et de rendement ne pouvait tre mieuxillustre que par la comparaison de cent mille familles vivantdans cent mille diverses maisons, avec cent mille familles

    occupant un bloc prvu cet effet dans une cit moderne ; aulieu dune collection de livres films pour chaque famille, danschaque maison, on crait dans le bloc une cinmathqueaccessible tous ; de mme pour la tlvision et la radio.Poussant plus avant la concentration des moyens, on avait misun terme la folle multiplication des cuisines et des salles de

    bains, pour les remplacer par des restaurants et des salles dedouches communautaires grand rendement.

    Ce fut ainsi que, petit petit, les villages, les bourgs, et lespetites villes du temps jadis disparurent, absorbs par lesgrandes cits modernes. Les premires consquences de laguerre atomique ne firent que ralentir un peu cetteconcentration. Mais ds quon eut trouv les mthodes deconstruction capables de rsister aux effets des bombesatomiques, ldification des grandes villes sacclra.

    Cette nouvelle civilisation urbaine permit dobtenir une

    rpartition optimum de la nourriture, et entrana lutilisationcroissante de levures et daliments hydroponiques. La ville deNew York stendit sur un territoire de trois mille kilomtrescarrs, et le dernier recensement faisait ressortir sa population plus de vingt millions. La Terre comprenait environ huit cents

    villes semblables, dont la population moyenne tait de dixmillions.

    Chacune de ces villes devint un ensemble quasi autonome

    qui parvint se suffire peu prs lui-mme sur le planconomique. Et toutes se couvrirent de toits hermtiques,

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    sentourrent de murs infranchissables, et se tapirent dans lesprofondeurs du sol. Chacune devint une cave dacier, uneformidable caverne aux innombrables compartiments de btonet de mtal.

    La cit ainsi conue tait scientifiquement difie.Lnorme complexe des organes administratifs en occupait lecentre. Puis venaient, tout autour, les vastes secteursrsidentiels soigneusement orients les uns par rapport auxautres, et relis par tous les tapis roulants, conduisant eux-mmes lexpress. Dans la priphrie se trouvaient lesfabriques de toutes espces, les installations productricesdaliments base dhydroponiques et de levures, et les centrales

    dnergie. Et, au milieu de tout cet enchevtrement, serpentaitun prodigieux rseau de conduites deau, dgouts, de lignes detransport de force, et de voies de communications quidesservaient une quantit dcoles, de prisons et de magasins.

    On nen pouvait douter : la Cit moderne reprsentait lechef-duvre accompli par lhomme pour sadapter au milieudans lequel il lui fallait vivre et dont il devait se rendre matre. Ilntait plus question de voyager dans lespace, ni de coloniser

    les cinquante Mondes Extrieurs, qui jouissaient maintenantdune indpendance jalousement dfendue, mais uniquementde vivre dans la Cit.

    On ne trouvait pratiquement plus un Terrien vivant endehors de ces immenses villes. Car, dehors, c tait le dsert ciel ouvert, ce ciel que peu dhommes pouvaient dsormaiscontempler avec srnit. Certes, toute cette tendue deterritoires sauvages tait ncessaire aux Terriens, car elle

    contenait leau dont ils ne pouvaient se passer, le charbon et lebois, dernires matires premires do lon tirait les matiresplastiques, et cette levure dont le besoin ne cessait jamais decrotre. (Les sources de ptrole taient depuis longtemps taries,mais certaines levures riches en huile le remplaaient fort bien.)Les rgions comprises entre les villes contenaient encore denombreux minerais, et on en exploitait le sol, plus intensmentque la plupart des citadins ne le savaient, pour la culture et

    llevage. Le rendement en tait mdiocre, mais la viande de

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    buf ou de porc et les crales se vendaient toujours commedenres de luxe et servaient aux exportations.

    Mais on navait besoin que dun trs petit nombredhommes pour exploiter les mines et les fermes, ou faire venir

    leau dans les Cits : les robots excutaient ce genre de travailmieux que les hommes, et ils causaient beaucoup moins desoucis.

    Oui, des robots ! Ctait bien l lnorme ironie du sort !Ctait sur la Terre que le cerveau positronique avait t inventet que les robots avaient pour la premire fois t utiliss laproduction. Oui, sur la Terre et non dans les MondesExtrieurs ! Mais cela nempchait pas ceux-ci daffirmer que les

    robots taient les produits de leurs propres civilisations.Dans une certaine mesure, on devait videmment

    reconnatre aux Mondes Extrieurs le mrite davoir russi pousser lorganisation conomique par robots un haut degrde perfection. Sur la Terre, lactivit des robots avait toujourst limite lexploitation des mines et des fermes ; mais,depuis un quart de sicle, sous linfluence croissante desSpaciens, les robots avaient fini par sinfiltrer lentement

    lintrieur mme des villes.Les Cits modernes taient dexcellents ouvrages. Tout le

    monde, lexception des tenants du Mdivalisme, savait fortbien quon ne pouvait raisonnablement les remplacer par aucunautre systme. Leur seule faiblesse : elles ne conserveraient pastoujours leurs exceptionnelles qualits. La population terrestrecontinuait crotre, et un jour viendrait, tt ou tard, o, malgrtous leurs efforts, les grandes villes ne pourraient plus fournir

    chacun de leurs ressortissants le minimum vital de caloriesindispensable pour subsister.Or, cet tat de choses se trouvait considrablement aggrav

    par la proximit des Spaciens, descendants des premiersmigrants venus de la Terre. Ils vivaient dans lopulence, grceaux mesures quils avaient prises, dune part pour limiter lesnaissances, dautre part pour gnraliser lusage des robots. Ilsse montraient froidement rsolus conserver jalousement leurs

    confortables conditions dexistence, dues la faible densit deleur population. Il tait vident que le meilleur moyen de

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    conserver leurs avantages tait de maintenir un niveau trsbas le rythme des naissances, et dempcher toute immigrationdes Terriens...

    Spacetown en vue !

    Une raction de son subconscient avertit Baley que lexpressapprochait du quartier de Newark. Or, il savait que, sildemeurait sa place, il se trouverait bientt emport toute

    vitesse en direction du sud-ouest, vers le quartier de Trenton,o lexpress virait pour passer en plein centre de la rgion, fortchaude et sentant le moisi, o lon produisait la levure.

    Ctait une question de temps, quil fallait soigneusementcalculer. Il en fallait beaucoup pour descendre lescalier en

    spirale, pour se frayer un chemin sur la plate-forme infrieure,parmi les voyageurs debout et toujours grommelant, pour seglisser le long de la balustrade jusqu la sortie, enfin poursauter sur le tapis dclrateur.

    Quand il eut achev dexcuter toutes ces manuvres, il setrouva juste hauteur de la sortie quil comptait atteindre. Or,pas un instant, il navait agi ni progress consciemment ; et silavait eu pleine conscience de ce quil faisait, sans doute aurait-il

    manqu la correspondance.Sans transition, il se vit dans une solitude presque

    complte ; en effet, il ny avait, en plus de lui, sur le quai desortie du tapis roulant, quun agent de police en uniforme, et,compte tenu du bourdonnement incessant de lexpress, unsilence presque pnible rgnait dans ce secteur.

    Lagent, qui tait l, en faction, savana vers Baley, et celui-ci, dun geste nerveux, lui montra son insigne de dtective,

    cousu sous le revers de son veston : aussitt, le policier lui fit, dela main, signe de passer.Baley savana donc dans un couloir qui se rtrcissait

    progressivement, et comportait de nombreux tournants angleaigu. De toute vidence, ces sinuosits taient voulues, etdestines empcher les foules de Terriens de sy amasser, pourfoncer en force contre Spacetown.

    Baley se rjouissait de ce qui avait t convenu entre

    Enderby et les autorits de Spacetown, savoir quilrencontrerait son associ en territoire newyorkais. Il navait en

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    effet aucune envie de subir un examen mdical, quelle que ft lapolitesse rpute avec laquelle on y procdait.

    Un Spacien se tenait juste devant une succession de portes,quil fallait franchir pour accder lair libre et aux dmes de

    Spacetown. Il tait habill selon la meilleure mode terrestre :son pantalon, bien ajust la taille, tait assez large du bas etcomportait une bande de couleur le long de la couture dechaque jambe ; il portait une chemise ordinaire en Textron, col ouvert et fermeture clair, et fronce aux poignets.Nanmoins ctait un Spacien. Au premier coup dil, onconstatait une trs lgre, mais nette diffrence entre son aspectet celui dun Terrien. Attitude gnrale, port de tte, visage aux

    traits trop impassibles et aux pommettes saillantes, cheveuxplaqus en arrire, sans raie, et luisant comme du bronze : toutcela le distinguait incontestablement.

    Baley savana vers lui non sans raideur, et lui dit, dunevoix monocorde :

    Je suis le dtective Elijah Baley, de la police de NewYork catgorie C. 5.

    Il tira de sa poche quelques documents, et reprit :

    Jai ordre de rencontrer R. Daneel Olivaw lentre deSpacetown. Je suis un peu en avance, fit-il en regardant samontre. Puis-je demander que lon annonce mon arrive ?

    Il ne put se dfendre dun frisson qui lui parcourut tout lecorps. Certes, il tait maintenant habitu aux robots de modlesterrestres, et il savait quil devait sattendre trouver unesensible diffrence avec un robot de type spacien. Cependant ilnen avait jamais encore rencontr, et c tait devenu une

    banalit New York que dentendre colporter, de bouche oreille, dhorribles histoires sur les robots effrayants etformidables, vritables surhommes, que les Mondes Extrieursutilisaient dans leurs domaines lointains et scintillants. Et voicique Baley ne put sempcher de grincer des dents.

    Le Spacien, qui lavait poliment cout, rpliqua : Ce ne sera pas ncessaire. Je vous attendais.Baley, automatiquement, leva la main droite, mais la laissa

    aussitt retomber. En mme temps, sa mchoire infrieuresaffaissa lgrement, et son visage sallonges encore. Il ne put

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    russir prononcer un mot : il lui sembla que sa langue s taitsoudain paralyse.

    Je me prsente donc, dit le Spacien. Je suis R. DaneelOlivaw.

    Vraiment ? Est-ce que je me trompe ? Je croyais pourtantque la premire initiale de votre nom...

    Tout fait exact. Je suis un robot. Ne vous a-t-on pasprvenu ?

    Si, je lai t.Baley passa machinalement une main humide dans ses

    cheveux, puis il la tendit son interlocuteur, en rpliquant : Excusez-moi, monsieur Olivaw. Je ne sais pas quoi je

    pensais. Bonjour. Je suis donc Elijah Baley, votre associ. Parfait !La main du robot serra celle du dtective, exerant sur elle

    une douce et progressive pression, comme il est dusage entreamis, puis se retira.

    Cependant, reprit-il, il me semble dceler en vous uncertain trouble. Puis-je vous demander dtre franc avec moi ?Dans une association comme la ntre, on nest jamais trop

    prcis, et il ne faut rien se cacher. Cest pourquoi, dans notremonde, les associs sappellent toujours par leur petit nom.Jose croire que cela nest pas contraire vos propreshabitudes ?

    Cest que... rpondit Baley dun ton navr, cest que...vous comprenez... vous navez pas lair dun robot !...

    Et cela vous contrarie ? Cela ne devrait pas, jimagine, Da... Daneel. Est-ce quils

    sont tous comme vous dans votre monde ? Il y a des diffrences individuelles, Elijah, comme parmiles hommes.

    Cest que... nos propres robots... eh bien... on peut trsbien les reconnatre. Mais vous, vous avez lair dun vraiSpacien.

    Ah ! je comprends ! Vous vous attendiez trouver unmodle plutt grossier, et vous tes surpris. Et cependant nest-

    il pas logique que nos dirigeants aient dcid dutiliser un robotrpondant des caractristiques humanodes trs prononces,

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    dans un cas pareil, o il est indispensable dviter des incidentsfcheux ? Ne trouvez-vous pas cela juste ?

    Certes, ctait fort juste : un robot, facilementreconnaissable et circulant en ville, ne tarderait pas avoir de

    gros ennuis. Oui, rpondit donc Baley. Eh bien, dans ces conditions, allons-y, Elijah !Ils se dirigrent vers lexpress. Non seulement Daneel neut

    aucune peine se servir du tapis acclrateur, mais il en usaavec une adresse digne dun vieil habitu. Baley, qui avaitcommenc par rduire son allure, finit par laugmenter presqueexagrment. Mais le robot le suivit si aisment que le dtective

    finit par se demander si son partenaire ne faisait pas exprs deralentir son allure. Il atteignit donc, aussi vite quil le put,linterminable file du tapis roulant express, et bondit dessusdun mouvement si vif quil en tait vraiment imprudent : or, lerobot en fit autant, sans manifester la moindre gne. Baley taitrouge et essouffl. Il avala sa salive et dit :

    Je vais rester en bas avec vous. En bas ? rplique le robot, apparemment indiffrent au

    bruit et aux trpidations de lexpress. Serais-je mal inform ?On mavait dit que la catgorie C. 5 donnait droit une placeassise limpriale, dans certaines conditions.

    Vous avez raison. Moi, je peux monter l-haut, mais pasvous.

    Et pourquoi donc ne puis-je y monter avec vous ? Parce quil faut tre class en catgorie C. 5. Je le sais.

    Eh bien, vous ne faites pas partie de cette catgorie-l.La conversation devenait difficile ; la plate-forme infrieurecomportait moins de pare-brise que limpriale, en sorte que lesifflement de lair tait beaucoup plus bruyant ; par ailleurs,Baley tenait naturellement ne pas lever la voix.

    Pourquoi ne pourrais-je pas faire partie de cette catgorieC. 5 ? dit le robot. Je suis votre associ ; par consquent, nousdevons tous les deux tre sur le mme plan. On ma remis ceci.

    Ce disant, il sortit dune poche intrieure de sa chemise unecarte didentit rglementaire, au nom de Daneel Olivaw, sans la

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    fatidique initiale R ; il ny manquait aucun des cachetsobligatoires, et la catgorie qui y figurait tait C. 5.

    Cest bon, dit Baley, dun ton bourru. Montons !Quand il se fut assis, Baley regarda droit devant lui ; il tait

    trs mcontent de lui-mme et naimait pas sentir ce robot assis ct de lui. En un si bref laps de temps, il avait dj commisdeux erreurs ; tout dabord, il navait pas su reconnatre que R.Daneel tait un robot ; en second lieu, il navait pas devin quela logique la plus lmentaire exigeait que lon remt R. Daneelune carte de C. 5.

    Sa faiblesse il sen rendait bien compte ctait de ne pastre intgralement le parfait dtective rpondant l ide que le

    public se faisait de cette fonction. Il ntait pas immunis contretoute surprise. Il ne pouvait constamment demeurerimperturbable. Il y avait toujours une limite sa facultdadaptation ; enfin, sa comprhension des problmes qui luitaient soumis ntait pas toujours aussi rapide que lclair.Tout cela, il le savait depuis fort longtemps, mais jamais encoreil navait dplor ces lacunes et ces imperfections, inhrentes la nature humaine. Or, ce qui maintenant les lui rendait

    pnibles, ctait de constater que, selon toutes les apparences, R.Daneel Olivaw personnifiait vritablement ce type idal dudtective. Ctait, en fait, pour lui une ncessit inhrente saqualit de robot.

    Baley, ds lors, commena se trouver des excuses. Il taithabitu aux robots du genre de R. Sammy, celui dont on seservait au bureau. Il sattendait trouver une crature dont lapeau tait faite de matire plastique, luisante et blanchtre,

    presque livide. Il pensait trouver un regard fig, exprimant entoute occasion une bonne humeur peu naturelle et sans vie. Ilavait prvu que ce robot aurait des gestes saccades etlgrement hsitants...

    Mais rien de tout cela ne stait produit : R. Daneel nerpondait aucune de ces caractristiques.

    Baley se risqua jeter un coup dil en coin vers son voisin.Instantanment R. Daneel se tourna aussi, son regard croisa

    celui de Baley, et il fit gravement un petit signe de tte. Lorsquilparlait, ses lvres remuaient naturellement, et ne restaient pas

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    tout le temps entrouvertes comme celles des robots terrestres.Baley avait mme pu apercevoir de temps autre bouger salangue...

    Comment diable peut-il rester assis avec un tel calme ? se

    dit Baley. Tout ceci doit tre compltement nouveau pour lui : lebruit, les lumires, la foule...

    Il se leva, passa brusquement devant R. Daneel, et lui dit : Suivez-moi !Ils sautrent bas de lexpress, sur le tapis dclrateur, et

    Baley se demanda soudain : Quest-ce que je vais dire Jessie ? Sa rencontre avec le robot avait chass de son esprit cette

    pense ; mais voil quelle lui revenait, pressante etdouloureuse, tandis quils approchaient rapidement, sur le tapisroulant secondaire, du centre mme du quartier de Bronx.

    Il crut bon de donner au robot quelques explications. Tout ce que vous voyez l, Daneel, dit-il, cest une seule et

    unique construction, qui englobe toute la Cit. La ville de NewYork tout entire consiste en un seul difice, dans lequel viventvingt millions dindividus. Lexpress fonctionne sans jamais

    sarrter, nuit et jour, la vitesse de cent kilomtres lheure ; ilstend sur une longueur de quatre cents kilomtres, et il y a descentaines de kilomtres de tapis roulants secondaires.

    Dans un instant, se dit-il, je vais lui dire combien detonnes de produits base de levure on consomme par jour New York, et combien de mtres cubes deau nous buvons, ainsique le nombre de mgawatts-heure produits par les pilesatomiques.

    On ma en effet inform de cela, dit R. Daneel, et lesinstructions que jai reues comportent dautres renseignementsdu mme genre.

    Par consquent, se dit Baley, il est au courant de ce quiconcerne la nourriture, la boisson et l nergie lectrique. Il ny apas de doute ! Pourquoi vouloir en remontrer un robot ?...

    Ils se trouvaient dans la 182e Rue Est, et il ne leur restaitplus que deux cents mtres parcourir pour atteindre les

    ascenseurs qui desservaient dimmenses blocs de ciment etdacier contenant dinnombrables logements, y compris le sien.

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    Il tait sur le point de dire : Par ici ! quand il se heurta un rassemblement qui se tenait devant la porte brillammentclaire dun magasin de dtail, comme il y en avait beaucoupau rez-de-chausse des immeubles dhabitation. Usant

    automatiquement du ton autoritaire propre sa profession, ildemanda :

    Quest-ce qui se passe donc ici ? Du diable si je le sais ! rpondit un homme, debout sur la

    pointe des pieds. Je suis comme vous ; jarrive linstant. Moi, je vais vous le dire, fit un autre, fort excit. On vient

    de remplacer dans le magasin certains employs par ces salaudsde robots. Alors je crois que les autres employs vont les

    dmolir. Oh, l, l ! Ce, que jaimerais leur donner un coup demain !...

    Baley jeta un regard inquiet Daneel, mais si celui-ci avaitcompris ou mme entendu les paroles de lhomme, il ne lemontra pas.

    Baley fona dans la foule, en criant : Laissez-moi passer ! Laissez-moi passer ! Police !On lui fit place, et il entendit derrire lui :

    Mettez-les en morceaux ! Cassez-les comme du verre,pice par pice !...

    Quelquun rit, mais Baley, lui, nen avait aucune envie.Certes, la Cit reprsentait le summum des perfectionnements,au point de vue de lorganisation et du rendement. Mais elleimpliquait une collaboration volontaire de ses habitants luvre commune ; elle exigeait deux leur acceptation duneexistence conforme des rgles strictes, et soumise un svre

    contrle scientifique. Or, il arrivait parfois que desressentiments longtemps contenus finissent par exploser ; Baleyne se rappelait que trop bien les meutes de la Barrire !...

    Il ne manquait videmment pas de raisons pour motiver unsoulvement de masse contre les robots. La gnralisation deleur emploi entrainerait automatiquement le dclassement dunnombre correspondant dhommes, ce qui signifierait pour ceux-ci la perspective du chmage, c est--dire la portion congrue du

    strict minimum vital. Aprs une vie entire de travail, commentces gens, frustrs du bnfice de leur travail, ne verraient-ils pas

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    dans les robots la cause de leurs maux ? Il ntait que tropnormal de les voir dcids dmolir ces concurrents sans me.

    On ne pouvait pas, en effet, avoir de prise sur une formuledu genre la politique du gouvernement , ni sur un slogan tel

    que le travail du robot augmente la production . Mais onpouvait cogner sur le robot lui-mme.

    Le gouvernement appelait ces troubles les douleurs delenfantement. Il dplorait de tels faits, se dclarait dsol, maisassurait la population quaprs une indispensable priodedadaptation une nouvelle et meilleure existence commenceraitpour tout le monde.

    En attendant, le dclassement dun nombre croissant

    dindividus avait pour cause directe lextension du mouvementmdivaliste. Quand les gens sont malheureux et perdent toutespoir de voir venir la fin de leurs tourments, ils passentaisment de lamertume, ne de la spoliation, la fureur

    vengeresse et destructrice. Il ne faut alors que quelques minutespour transformer lhostilit latente dune foule en unefulgurante orgie de sang et de ruines.

    Baley, parfaitement conscient de ce danger, se rua

    farouchement vers la porte du magasin.

    3

    Incident dans un magasin

    Il y avait beaucoup moins de monde dans le magasin quedans la rue. Le directeur, prudent et prvoyant, avaitrapidement verrouill sa porte, empchant ainsi les fauteurs detroubles dentrer chez lui. Du mme coup, il empchait ceux qui

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    avaient cr lincident de sen aller ; mais ctait l uninconvnient moins grave...

    Baley ouvrit la porte en se servant de son passe-partout depolicier. A sa vive surprise, il constata que R. Daneel tait

    toujours sur ses talons, et quil remettait en poche un autrepasse-partout quil possdait ; or, Baley dut convenir que cetobjet-l tait plus petit, mieux fait et plus pratique que celui enusage dans les services de la police new-yorkaise.

    Le bottier vint eux, fort agit, et leur dit d une voix forte : Messieurs, cest la Ville qui ma impos ces employs. Je

    suis absolument dans mon droit.Trois robots se tenaient, raides comme des piquets, au fond

    du magasin. Six personnes taient runies prs de la porte ;ctaient toutes des femmes.

    Bon ! dit Baley, schement. Alors, quest-ce qui ne va pas,et pourquoi tout ce charivari ?

    Une des femmes lui rpondit, dune voix de tte : Je suis venue ici acheter des chaussures. Pourquoi ne

    serais-je pas servie par un vendeur convenable ? Nai-je doncpas lair respectable ?

    La faon extravagante dont elle tait habille, et surtoutcoiffe, rendait sa question superflue ; et, si rouge de colrequelle ft, on nen constatait pas moins quelle taitexagrment farde.

    Je ne demande pas mieux que de m occuper delle moi-mme, rpliqua le bottier, mais je ne peux pas servir toutes lesclientes. Il ny a rien reprocher mes hommes, monsieurlinspecteur. Ce sont des employs de magasins dment

    enregistrs ; je possde leurs spcifications graphiques et leursbons de garantie. Ah, ah ! scria la femme en ricanant, tourne vers les

    autres. Non mais, coutez-le donc ! Il les appelle ses employs !Quest-ce que vous en dites ? Vous tes fou, ma parole ! Ce nesont pas des hommes que vous employez. Ce sont des RO-BOTS,hurla-t-elle en dtachant avec soin les dernires syllabes. Et,pour le cas o vous ne le sauriez pas, je vais vous dire ce quils

    font : ils volent aux hommes leur place. Cest pour a que legouvernement les protge. Ils travaillent pour rien, et cause de

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    a, des familles entires sont obliges de vivre dans desbaraques, et de manger de la bouillie de levure pour toutenourriture. Voil quoi en sont rduites les familles honorablesde gens qui ont pass leur vie travailler dur. Si ctait moi qui

    commandais, je vous garantis quil ne resterait pas un robot New York ! On les casserait tous !

    Pendant ce temps, les autres femmes parlaient toutes lafois, et, dans la rue, la foule sagitait de plus en plus. Baleyprouva une sensation pnible, brutale mme, du fait quen detelles circonstances R. Daneel Olivaw se tenait tout contre lui. Ilexamina un instant les robots ; ils taient de constructionterrestre, et il fallait bien reconnatre quil sagissait de modles

    relativement peu onreux. Ctaient des robots ordinaires,destins ne savoir quun petit nombre de choses simples, tellesque les diffrentes catgories de chaussures, leurs prix, lestailles disponibles dans chaque modle, les variations desstocks, etc. Tout cela, ils le savaient sans doute mieux que leshumains eux-mmes, du fait quils navaient aucune autreproccupation extrieure ; de mme, ils taient certainementcapables denregistrer des commandes livrer la semaine

    suivante, et de prendre les mesures dun pied.Individuellement, ils taient inoffensifs, mais, groups, ils

    reprsentaient un terrible danger.Baley sympathisa avec la femme bien plus sincrement qu il

    ne sen serait cru capable la veille... ou plutt non... deux heuresauparavant. Conscient de la proximit immdiate de R. Daneel,il se demanda si celui-ci ne pourrait pas remplacer purement etsimplement un dtective ordinaire de catgorie C. 5... Et,

    songeant cette ventualit, Baley se reprsenta les baraquesdont avait parl la femme, il eut sur la langue le got de labouillie de levure, et il se souvint de son pre.

    Son pre tait un savant spcialis dans la physiquenuclaire, et il avait accd aux plus hautes fonctions dans saprofession. Mais, un jour, un accident stait produit lacentrale dnergie atomique, et son pre en avait t renduresponsable. On lavait dclass. Baley navait jamais su les

    dtails exacts du drame, car, lpoque, il navait quun an. Maisil se souvenait bien des baraques o il avait pass son enfance,

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    et de cette existence communautaire dans des conditions toutjuste supportables. Il navait aucun souvenir de sa mre, car ellenavait pas survcu longtemps cette ruine ; mais il se rappelait

    bien son pre, un homme au visage bouffi et morose, qui parfois

    parlait du pass dune voix rauque et saccade.Lije avait sept ans quand son pre, toujours dclass, tait

    mort son tour.Le jeune Baley et ses deux surs anes furent admis

    lorphelinat de la ville, car le frre de leur mre, l oncle Boris,tait trop pauvre pour les prendre sa charge. Alors, la vie avaitcontinu ainsi, trs pnible, car ctait dur daller lcole et desinstruire sans bnficier de laide et des privilges paternels.

    Et voil quil se trouvait au milieu dune meute naissante, etoblig de par ses fonctions, de faire taire des gens dont le seultort consistait, aprs tout, craindre pour eux et pour les leursce dclassement quil redoutait pour lui-mme...

    Dune voix quil seffora de garder calme, il dit la femme : Allons, madame, ne faites pas de scandale, je vous en

    prie, Ces employs ne vous feront aucun mal. Bien sr, quils ne men ont pas fait ! rtorqua-t-elle de sa

    voix de soprano. Et il ny a pas de danger quils men fassent,pour sr ! Vous vous figurez peut-tre que je vais me laissertoucher par leurs doigts glacs et luisants ? Je suis venue ici,mattendant ce quon me traite comme un tre humain. Je suisune libre citoyenne de cette ville, et j ai le droit dtre servie pardes tres humains normaux, comme moi. Et dailleurs, jai deuxenfants qui mattendent la maison pour djeuner. Ils nepeuvent aller sans moi la cuisine communautaire, comme sils

    taient des orphelins ! Il faut que je sorte dici ! Eh bien, rpliqua Baley, qui commenait perdre soncalme, si vous vous tiez laiss servir sans faire d histoires, il y alongtemps que vous seriez dehors. Toutes ces discussions neservent rien. Allons, maintenant, venez !

    Ca, cest le bouquet ! cria la femme, indigne. Vous vousfigurez peut-tre que vous pouvez me parler comme si j taisune trane ? Mais il est peut-tre temps, aussi, que le

    gouvernement comprenne que les robots ne sont pas les seuls

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    gens dignes dintrt. Moi, je suis une femme qui travaille dur,et jai des droits !...

    Elle continua sur ce ton sans que rien ne pt larrter. Baleyse sentit puis et dpass par les vnements. Il ne voyait pas

    comment en sortir, car, mme si la femme consentaitmaintenant se faire servir comme on le lui avait offert, la foulequi stationnait devant la porte pouvait fort bien faire dugrabuge. Elle devait slever maintenant une centaine depersonnes et, depuis lentre des dtectives dans le magasin, elleavait doubl.

    Que fait-on habituellement en pareil cas ? demandasoudain R. Daneel Olivaw.

    Baley faillit sursauter et rpliqua : Tout dabord, cest un cas tout fait exceptionnel. Bon. Mais que dit la loi ? Les R. ont t affects ce magasin par les autorits de la

    ville. Ce sont des employs enregistrs. Il ny a rien dillgaldans leur prsence ici,

    Ils staient entretenus mi-voix. Baley sefforant degarder une attitude officielle et menaante. En revanche, le

    visage dOlivaw demeurait impassible et inexpressif. Sil en est ainsi, dit R. Daneel, vous navez qu ordonner

    la femme de se laisser servir ou de sen aller. Cest une foule que nous avons affaire, grommela Baley

    entre ses dents, et non une seule femme. Nous ne pouvonsparer le coup quen appelant du renfort pour disperser ces gens.

    On ne doit tout de mme pas avoir besoin de plus dunofficier de police pour faire respecter la loi par un groupe de

    citoyens, dit Daneel.Il tourna vers le bottier son large visage, et lui ordonna : Ouvrez la porte du magasin, je vous prie !Baley tendit le bras, dans lintention de saisir R. Daneel par

    lpaule et de le faire se retourner. Mais il renona aussitt sonprojet, en songeant que, si, en un tel instant, deux reprsentantsde la loi se disputaient en public, cela supprimerait du couptoute chance de parvenir un rglement lamiable de

    lincident. Cependant le bottier, fort mcontent, se tourna versBaley, mais celui-ci vita son regard.

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    Au nom de la loi monsieur, rpta alors R. Daneel,imperturbable, je vous ordonne douvrir cette porte.

    Cest bien, rtorqua lhomme, furieux. Mais je vousprviens que je tiendrai la ville pour responsable de tous les

    dommages qui pourraient survenir. Je vous prie de prendre acteque jagis sous la contrainte !

    Ceci dit, il ouvrit, et une foule dhommes et de femmesenvahit le magasin, en poussant des cris joyeux : pour eux,ctait une victoire.

    Baley avait entendu parler dmeutes de ce genre, et il avaitmme assist lune delles. Il avait vu des robots saisis par unedouzaine de mains, se laissant emporter sans rsistance, et

    passant de bras en bras. Les hommes tiraient sur cette imitationmtallique de lhomme ; ils sefforaient den tordre lesmembres ; ils se servaient de marteaux, de couteaux, de ciseaux froid, et finalement ils rduisaient les misrables objets en untas de ferraille et de fils de fer. En un rien de temps, descerveaux positroniques de grand prix, les chefs-duvre les pluscompliqus que lhomme et encore invents, avaient t ainsilancs de main en main, comme des ballons de rugby, et rduits

    en mille morceaux. Puis, quand lesprit de destruction avaitainsi commenc joyeusement se donner libre cours, les foulesse tournaient invariablement vers tout ce qui pouvait tredmoli.

    Les robots employs dans le magasin de chaussures nepouvaient videmment rien savoir de ces prcdents.Nanmoins, quand la foule pntra dans la pice, ils seserrrent dans un coin et levrent les mains devant leurs

    visages, comme sils tentaient btement de les cacher. La femmequi avait dclench toute laffaire, effraye de la voir prendredes proportions bien plus importantes quelle ne lavait prvu,seffora denrayer le flot, en bredouillant des Allons !

    Allons ! inintelligible. Son chapeau bascula sur son visage etses cris se perdirent dans la cohue, cependant que le bottierhurlait :

    Arrtez-les, inspecteur ! Arrtez-les !

    Ce fut alors que R. Daneel parla. Sans effort apparent, illeva la voix sensiblement plus haut quune voix humaine :

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    Halte ! dit-il. Ou je tire sur le premier qui bouge !Quelquun cria dans les derniers rangs : Descendez-le !

    Mais nul ne bougea.R. Daneel grimpa avec aisance sur une chaise, et de l, sur

    un des comptoirs. Le magasin tait clair la lumiremolculaire polarise, laquelle donnait au visage du robotspacien un aspect irrel, que Baley trouva mme surnaturel.

    La foule fit tout coup silence, et R. Daneel, la dominant,sans bouger, donnait la fois une impression de calme et depuissance extraordinaires. Il reprit, schement :

    Vous tes en train de vous dire : ce type-l essaie de nousintimider, mais il na pas darme dangereuse ; il nous menace

    avec un jouet. Si nous lui tombons tous dessus, nous lemaitriserons facilement, et, au pire, un ou deux dentre nousrisqueront un mauvais coup, dont ils se remettront vite,dailleurs. Mais lessentiel, cest datteindre notre but, qui est demontrer que nous nous moquons de la loi et des rglements.

    Sa voix ntait pas dure ni colreuse, mais il en manait unetonnante autorit. Tout cela fut dit du ton de quelquunhabitu commander et sr dtre obi. Il poursuivit :

    Eh bien, vous vous trompez. Larme dont je dispose nestpas un jouet, loin de l. Cest un explosif, et des plus meurtriers.Je suis dcid men servir, et je vous avertis que je ne tireraipas en lair. Avant que vous soyez arrivs jusqu moi, jaurai tu

    beaucoup, et probablement mme le plus grand nombre dentrevous. Je vous parle srieusement, et je ne crois pas que jaie lairde plaisanter, nest-ce pas ?

    Dans la rue, aux abords du magasin, des gens remurent,

    mais plus personne ne franchit la porte. Quelques nouveauxvenus sarrtaient par curiosit, mais beaucoup se htrent departir. A quelques pas de R. Daneel, les assistants les plusproches de lui retinrent leur respiration et sefforcrent de nepas cder la pression de ceux qui, derrire, les poussaient enavant.

    Ce fut la femme au chapeau qui rompit le pesant silencedont lapostrophe de R. Daneel Olivaw avait t suivie. Elle

    hurla :

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    Il va nous tuer ! Moi, je nai rien fait ! Oh ! laissez-moisortir !

    Elle fit demi-tour, mais se trouva nez nez avec un murvivant. Elle seffondra genoux. Les derniers rangs de la foule

    silencieuse commencrent battre en retraite. R. Daneel sautaalors bas du comptoir et dclara :

    Je vais de ce pas gagner la porte, et vous prie de vousretirer devant moi. Je tirerai sur quiconque se permettra de metoucher. Quand jaurai atteint la porte, je tirerai sur quiconquestationnera ici sans motif. Quant cette femme...

    Non, non ! hurla celle qui avait caus tout ce dsordre. Jeviens de vous dire que je nai rien fait ! Je navais aucune

    mauvaise intention. Je ne veux mme pas de chaussures ! Je neveux que rentrer chez moi !

    Cette femme, reprit sans se troubler Daneel, va rester ici,et on va la servir !

    Il fit un pas en avant, et la foule le regarda, muette. Quant Baley, fermant les yeux, il se dit :

    Ce nest pas ma faute ! Non, vraiment, je ny suis pourrien ! Il va y avoir un ou mme plusieurs meurtres, et ce sera la

    pire des histoires. Mais voil ce que cest de mavoir impos unrobot comme associ, et de lui avoir donn un statut lgal,quivalent au mien !

    Mais cela ne lui servit de rien, car il ne parvint pas seconvaincre lui-mme. Il aurait fort bien pu arrter R. Daneelds que celui-ci avait commenc intervenir, et appeler durenfort par tlphone. Au lieu de cela, il avait laiss le robotprendre la responsabilit dagir, et il en avait lchement ressenti

    un soulagement. Mais quand il en vint s avouer que R. Daneeltait tout simplement en train de matriser la situation, il futsoudain submerg dun immense dgot de lui-mme. Un ROBOTdominant des hommes : quelle abjection !

    Il ne perut aucun bruit anormal, ni hurlements, ni jurons,ni grognements, ni plaintes, ni cris. Alors, il ouvrit les yeux : lafoule se dispersait.

    Le directeur du magasin, calm, remit de l ordre dans son

    vtement froiss ainsi que dans sa coiffure, tout en grommelantdinintelligibles et colreuses menaces ladresse des partants.

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    Le sifflement aigu dun car de police se fit entendre, et levhicule sarrta devant la porte.

    Il est bien temps ! murmura Baley. Maintenant que toutest fini !...

    Oh ! inspecteur ! fit le bottier en le tirant par la manche.Laissez tomber tout a maintenant, voulez-vous ?

    Daccord, rpliqua Baley.Il neut pas de peine se dbarrasser des policiers. Ils

    taient venus appels par des gens qui avaient cru bon designaler le rassemblement anormal dune foule dans la rue. Ilsignoraient tout de lincident, et constatrent que la rue taitlibre et tranquille. R. Daneel se tint l cart et ne manifesta

    aucun intrt pour les explications que Baley donna sescollgues, minimisant laffaire et passant compltement soussilence lintervention de son compagnon.

    Mais quand tout fut termin, Baley attira R. Daneel dans uncoin de la rue et lui dit :

    Ecoutez-moi bien, Daneel ! Je dsire que vouscompreniez que je ne cherche pas du tout tirer la couverture moi !

    Tirer la couverture vous ? Est-ce l une expressioncourante dans le langage des Terriens ?

    Je nai pas signal votre participation laffaire. Je ne connais pas toutes vos coutumes. Dans mon

    monde, on a lhabitude de rendre toujours compte de tout, maisil se peut que, chez vous, on procde autrement. Peu importe,dailleurs. Lessentiel, cest que nous ayons pu empcher unervolte dclater, nest-il pas vrai ?

    Ah ! vous trouvez ? rplique Baley, qui, malgr sa colreet lobligation de parler voix basse, seffora de prendre un tonaussi nergique que possible. Eh bien, noubliez jamais ce que je

    vais vous dire : ne vous avisez pas de recommencer ce petit jeu-l !

    Je ne vous suis pas, rpliqua R. Daneel, sincrementtonn. Ne dois-je plus jamais faire respecter la loi ? Alors, quoi est-ce que je sers ?

    Ne vous avisez plus de menacer un tre humain de votrearme : voil ce que je veux dire !

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    Je ne men serais servi sous aucun prtexte, Elijah, etvous le savez fort bien. Je suis incapable de faire du mal untre humain. Mais, comme vous lavez vu, je nai pas eu tirer ;

    je nai jamais pens que jy serais contraint.

    Que vous nayez pas eu tirer, c est une pure question dechance ! Eh bien, ne courez pas cette chance une autre fois !Jaurais pu, tout aussi bien que vous, menacer cette foule d unearme : jen avais une sur moi. Mais je ne suis pas autoris men servir de cette faon-l, et vous non plus, d ailleurs. Ilaurait mieux valu appeler du renfort que de jouer au hros,croyez-moi !

    R. Daneel rflchit un long moment et hocha la tte.

    Mon cher associ, rpliqua-t-il, je vois que vous voustrompez. Parmi les caractristiques principales des Terriens, quisont numres dans mes notes, il est prcis que,contrairement aux peuples des Mondes Extrieurs, les Terrienssont, ds leur naissance, levs dans le respect de lautorit.Cest sans doute une consquence de votre mode dexistence. Ilest certain, puisque je viens moi-mme de le prouver, quun seulhomme, reprsentant avec suffisamment de fermet lautorit

    lgale, a amplement suffi pour rtablir lordre. Votre propredsir dappeler du renfort a t la manifestation presqueinstinctive dun penchant vous dcharger de vosresponsabilits entre les mains dune autorit suprieure. Dansmon propre monde, je dois admettre que je n aurais jamais dagir comme je lai fait tout lheure.

    Il nempche, rplique Baley, rouge de colre, que si cesgens avaient dcouvert que vous tiez un robot...

    Jtais sr que cela narriverait pas. Eh bien, en tout cas, rappelez-vous que vous tes unrobot, rien de plus quun robot, tout simplement, comme les

    vendeurs du bottier ! Mais cest lvidence mme ! Et vous navez rien, vous mentendez, rien dun tre

    humain !Baley se sentit, malgr lui, pouss se montrer cruel. R.

    Daneel eut lair de rflchir un peu, puis il rpondit :

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    La diffrence entre ltre humain et le robot nest peut-tre pas aussi significative que celle qui oppose lintelligence la

    btise... Cela peut tre le cas dans votre monde, mais ce nest pas

    exact sur la Terre, dit Baley.Il jeta un coup dil sa montre et eut peine croire quil

    tait en retard dune heure et quart. Il avait la gorge sche, et sesentait hors de lui, la pense que R. Daneel avait gagn lapremire manche, et cela au moment prcis o Baley lui-mmestait montr impuissant.

    Il songea Vince Barrett, le jeune garon de courses que R.Sammy avait remplac au bureau. Pourquoi R. Daneel ne

    remplacerait-il pas de mme Elijah Baley ? Mille tonnerres !Quand son pre avait t dclass, ctait au moins cause dunaccident grave, qui avait entran la mort de plusieurspersonnes. Peut-tre mme, avait-il t rellementresponsable... Baley nen avait jamais rien su. Mais si son preavait t liquid pour faire place un physicien mcanique,pour cette seule et unique raison, il naurait pas pu sy opposer.

    Allons-nous-en ! dit-il schement. Il faut que je vous

    amne la maison. Je crois, rpliqua R. Daneel, sans changer de sujet, quil

    ne convient pas de faire des diffrences entre lintelligence... Ca suffit ! coupa Baley en levant la voix. Lincident est

    clos. Jessie nous attend !Il se dirigea vers une cabine publique proche et ajouta : Je crois quil vaut mieux que je lavertisse de notre

    arrive.

    Jessie ?... Oui. Cest ma femme ! fit Baley, qui se dit lui-mme : Eh bien, je suis de bonne humeur, pour la mettr