Violé par un prêtre - Amazon Web...

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J oël Devillet a grandi à Aubange, dans la Lorraine belge, à quelques kilomètres de la France et du Luxembourg. Dès son plus jeune âge, il parcourt, insouciant, les rues de son village. Sa famille est mo- deste, très modeste, sans doute une des plus pauvres de la commune. Son père est grutier dans un casse- automobiles situé à une centaine de mètres de la mai- son. Sa mère est femme au foyer. En 1981, le père de Joël est victime d’un grave accident de voiture, il a la vie sauve, mais ne peut plus travailler. A la maison, le quotidien devient encore plus difficile. Il y a quatre enfants et peu de place. Joël se sent de trop et ne veut pas être un poids pour les siens. Alors, il passe de plus en plus de temps à l’église, cette église qui l’attire tant… Le prêtre et le vicaire d’Aubange sont âgés et connaissent bien la situation familiale de Joël. Bien- veillants, ils le prennent sous leur protection. Joël va les assister durant les messes et au cours des visites à l’extérieur. Il devient enfant de chœur. L’église et le presbytère n’ont plus de secrets pour lui. Et après l’école, il court chez les sœurs du village, ce sont elles qui l’aident à faire ses devoirs. Ses week-ends et ses congés, Joël les passe à jardiner ou à rendre visite aux malades. L’enfant, livré à lui-même, a retrouvé un équilibre affectif auprès des prêtres. Sa voie paraît d’ailleurs toute tracée, il aime cette vie et veut servir Dieu. Un bonheur fragile comme du cristal. L’arri- vée du nouveau vicaire va le faire voler en éclats… Le temps a passé et les prêtres ont vieilli. En 1987, un nouveau vicaire arrive dans la paroisse. Joël va per- dre ses deux protecteurs, ses deux « grands-pères », comme il le dit. Le nouveau vicaire s’appelle Gilbert Hubermont, il est jeune (27 ans) et vit avec son temps. Très vite, il capte l’attention des enfants du village, il Joël a 32 ans, mais sa voix, elle, n’en a que 14. Il a un corps d’adulte, mais il parle comme un enfant. 14 ans ! C’est l’âge auquel un vicaire de son village lui a volé son innocence… parle comme eux et leur propose des jeux. Dans sa maison, il y a une console Nintendo, un baby-foot… Et cette télé qui les attire tant. Ils la regardent assis sur les genoux du vicaire, puisque dans son bureau, il n’y a qu’un seul fauteuil ! C’est dans ce bureau, à l’abri des regards, que cet homme de Dieu va lui voler son innocence… Comment se passe votre première rencontre ? Normalement. Il était très différent des deux au- tres prêtres. Il parlait beaucoup, organisait des ren- contres avec les jeunes chez lui. D’ailleurs, chez lui, des portraits d’enfants étaient accrochés aux murs. De quelle manière vos rapports vont-ils évoluer ? J’étais perdu sans mes «grands-pères». Tous mes repères étaient bouleversés… Et quand j’allais avec les autres chez Gilbert Hubermont, j’étais frustré, mal dans ma peau, car je n’avais plus le statut de privilé- gié. Le vicaire a vite compris mon malaise et m’a alors fixé des rendez-vous en tête à tête chez lui le soir… Naïvement, au début, j’étais heureux de retrouver une place particulière ! Je passais des soirées dans son bu- reau, il n’y avait qu’un fauteuil. Pour regarder la télé, il m’invitait à m’asseoir sur ses genoux. Il me serrait, je pouvais me blottir contre lui. Cette chaleur hu- maine, je ne l’avais jamais ressentie auparavant, elle me procurait un bien-être inconnu jusqu’alors. A la maison, on ne s’embrassait pas, on ne se disait pas « Je t’aime ». Les sentiments étaient là, mais on ne les ex- primait pas ! Quand les abus ont-ils commencé ? Après quelques soirées passées chez lui. J’étais sur ses genoux, il me caressait le visage et le haut du corps, cela me chatouillait et m’empêchait de m’endormir contre lui. Je lui retirais la main, il me disait alors : « Laisse-toi faire ! » Et il continuait. Petit à petit, ses mains sont passées sous mes vête- ments, elles exploraient tout mon corps. Je lui de- mandais d’arrêter, mais il répétait : « Laisse-toi faire, enfin ! » Ensuite, il m’a demandé de le caresser, par- tout… Sa bouche se posait sur moi, mes sentiments étaient confus… J’aimais l’attention que cet homme me portait, mais je n’aimais pas ce qu’il me faisait. J’avais 14 ans, je ne connaissais rien de la sexualité ni de la pédophilie. En 1987, l’affaire Dutroux n’avait pas encore éclaté. Je n’osais pas en parler à la maison, j’étais gêné, j’avais honte. Les abus sont devenus de plus en plus importants et presque quo- tidiens. A chaque fois, c’était le même rituel. Lorsqu’il avait obtenu ce qu’il voulait, c’est-à-dire son plaisir, il se rhabillait et me ramenait chez moi. J’étais un pantin, un objet sexuel. Face à lui, je ne parvenais pas à parler, alors je lui écrivais des pe- tits mots et il me répondait de la même manière. Des lettres qu’il laissait dans la sacristie pour me rassurer et me fixer un autre rendez-vous. Je les ai toutes conservées. Vous étiez un enfant de 14 ans. Comment sup- porte-t-on ces abus ? Mal, j’étais très mal… Il m’emmenait dans son lit, puis une fois la chose terminée, il allait dormir dans une autre pièce ou me demandait de le lais- ser. A chaque fois, j’étais anéanti. Je partais dor- mir dans la sacristie enroulé dans une couverture ou tout en haut du clocher avec sur les épaules un drapeau belge, comme pour me protéger. J’avais souvent des envies de suicide. J’espérais que les cloches me percutent et me fassent tomber dans le vide. Je ne pouvais parler à personne. L’église était devenue mon dernier refuge. Et le vicaire dé- tenait tous les pouvoirs au sein de la paroisse. A tout moment, il pouvait me réclamer les clés de l’église ou me dire que j’étais devenu trop grand pour être enfant de chœur. Violé par un prêtre LE DOSSIER DE GEORGES HUERCANO 26 Violé par un prêtre « Laisse-toi faire, enfin ! » Enfant qui avait retrouvé un équilibre affectif auprès des prêtres de sa paroisse, Joël Devillet a rencontré le pape à Rome et, devenu séminariste à Namur, secondé Mgr Léonard lors d’une célébration eucharistique. L’abbé parven CTRM0910_HUERCANO 3/03/09 11:02 Page 26

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Joël Devillet a grandi à Aubange, dans la Lorrainebelge, à quelques kilomètres de la France et duLuxembourg. Dès son plus jeune âge, il parcourt,

insouciant, les rues de son village. Sa famille est mo-deste, très modeste, sans doute une des plus pauvresde la commune. Son père est grutier dans un casse-automobiles situé à une centaine de mètres de la mai-son. Sa mère est femme au foyer.

En 1981, le père de Joël est victime d’un graveaccident de voiture, il a la vie sauve, mais ne peut plustravailler. A la maison, le quotidien devient encoreplus difficile. Il y a quatre enfants et peu de place. Joëlse sent de trop et ne veut pas être un poids pour lessiens. Alors, il passe de plus en plus de temps à l’église,cette église qui l’attire tant…

Le prêtre et le vicaire d’Aubange sont âgés etconnaissent bien la situation familiale de Joël. Bien-veillants, ils le prennent sous leur protection. Joël vales assister durant les messes et au cours des visites àl’extérieur. Il devient enfant de chœur. L’église et lepresbytère n’ont plus de secrets pour lui. Et aprèsl’école, il court chez les sœurs du village, ce sont ellesqui l’aident à faire ses devoirs. Ses week-ends et sescongés, Joël les passe à jardiner ou à rendre visite auxmalades. L’enfant, livré à lui-même, a retrouvé unéquilibre affectif auprès des prêtres. Sa voie paraîtd’ailleurs toute tracée, il aime cette vie et veut servirDieu. Un bonheur fragile comme du cristal. L’arri-vée du nouveau vicaire va le faire voler en éclats…

Le temps a passé et les prêtres ont vieilli. En 1987,un nouveau vicaire arrive dans la paroisse. Joël va per-dre ses deux protecteurs, ses deux «grands-pères»,comme il le dit. Le nouveau vicaire s’appelle GilbertHubermont, il est jeune (27 ans) et vit avec son temps.Très vite, il capte l’attention des enfants du village, il

Joël a 32 ans, mais sa voix, elle, n’en a que 14. Il a un corps d’adulte, mais il parle comme un enfant. 14 ans ! C’est l’âge auquel un vicaire

de son village lui a volé son innocence…parle comme eux et leur propose des jeux. Dans samaison, il y a une console Nintendo, un baby-foot…Et cette télé qui les attire tant. Ils la regardent assissur les genoux du vicaire, puisque dans son bureau, iln’y a qu’un seul fauteuil ! C’est dans ce bureau, à l’abrides regards, que cet homme de Dieu va lui voler soninnocence…

Comment se passe votre première rencontre?Normalement. Il était très différent des deux au-

tres prêtres. Il parlait beaucoup, organisait des ren-contres avec les jeunes chez lui. D’ailleurs, chez lui,des portraits d’enfants étaient accrochés aux murs.

De quelle manière vos rapports vont-ils évoluer?J’étais perdu sans mes «grands-pères». Tous mes

repères étaient bouleversés… Et quand j’allais avecles autres chez Gilbert Hubermont, j’étais frustré, maldans ma peau, car je n’avais plus le statut de privilé-gié. Le vicaire a vite compris mon malaise et m’a alorsfixé des rendez-vous en tête à tête chez lui le soir…Naïvement, au début, j’étais heureux de retrouver uneplace particulière! Je passais des soirées dans son bu-reau, il n’y avait qu’un fauteuil. Pour regarder la télé,il m’invitait à m’asseoir sur ses genoux. Il me serrait,je pouvais me blottir contre lui. Cette chaleur hu-maine, je ne l’avais jamais ressentie auparavant, elleme procurait un bien-être inconnu jusqu’alors. A lamaison, on ne s’embrassait pas, on ne se disait pas «Jet’aime». Les sentiments étaient là, mais on ne les ex-primait pas!

Quand les abus ont-ils commencé?Après quelques soirées passées chez lui. J’étais

sur ses genoux, il me caressait le visage et le hautdu corps, cela me chatouillait et m’empêchait dem’endormir contre lui. Je lui retirais la main, il medisait alors : « Laisse-toi faire ! » Et il continuait.Petit à petit, ses mains sont passées sous mes vête-ments, elles exploraient tout mon corps. Je lui de-mandais d’arrêter, mais il répétait : «Laisse-toi faire,enfin !» Ensuite, il m’a demandé de le caresser, par-tout… Sa bouche se posait sur moi, mes sentimentsétaient confus… J’aimais l’attention que cet hommeme portait, mais je n’aimais pas ce qu’il me faisait.J’avais 14 ans, je ne connaissais rien de la sexualiténi de la pédophilie. En 1987, l’affaire Dutrouxn’avait pas encore éclaté. Je n’osais pas en parler àla maison, j’étais gêné, j’avais honte. Les abus sontdevenus de plus en plus importants et presque quo-tidiens. A chaque fois, c’était le même rituel.Lorsqu’il avait obtenu ce qu’il voulait, c’est-à-direson plaisir, il se rhabillait et me ramenait chez moi.J’étais un pantin, un objet sexuel. Face à lui, je neparvenais pas à parler, alors je lui écrivais des pe-tits mots et il me répondait de la même manière.Des lettres qu’il laissait dans la sacristie pour merassurer et me fixer un autre rendez-vous. Je les aitoutes conservées.

Vous étiez un enfant de 14 ans. Comment sup-porte-t-on ces abus?

Mal, j’étais très mal… Il m’emmenait dans sonlit, puis une fois la chose terminée, il allait dormirdans une autre pièce ou me demandait de le lais-ser. A chaque fois, j’étais anéanti. Je partais dor-mir dans la sacristie enroulé dans une couvertureou tout en haut du clocher avec sur les épaules undrapeau belge, comme pour me protéger. J’avaissouvent des envies de suicide. J’espérais que lescloches me percutent et me fassent tomber dansle vide. Je ne pouvais parler à personne. L’égliseétait devenue mon dernier refuge. Et le vicaire dé-tenait tous les pouvoirs au sein de la paroisse. Atout moment, il pouvait me réclamer les clés del’église ou me dire que j’étais devenu trop grandpour être enfant de chœur.

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Violé par un prêtre

«Laisse-toi faire,enfin!»

Enfant qui avait retrouvé un équilibre affectif auprèsdes prêtres de sa paroisse, Joël Devillet a rencontréle pape à Rome et, devenu séminariste à Namur,secondé Mgr Léonard lors d’une célébrationeucharistique.

L’abbéparven

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