Savan David. La séméiotique de Charles S. Peirce. In Langages, 14e année, n°58, 1980. pp. 9-23.

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David Savan La séméiotique de Charles S. Peirce In: Langages, 14e année, n°58, 1980. pp. 9-23. Citer ce document / Cite this document : Savan David. La séméiotique de Charles S. Peirce. In: Langages, 14e année, n°58, 1980. pp. 9-23. doi : 10.3406/lgge.1980.1844 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1980_num_14_58_1844

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David Savan

La séméiotique de Charles S. PeirceIn: Langages, 14e année, n°58, 1980. pp. 9-23.

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Savan David. La séméiotique de Charles S. Peirce. In: Langages, 14e année, n°58, 1980. pp. 9-23.

doi : 10.3406/lgge.1980.1844

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1980_num_14_58_1844

David Savan Université de Toronto, Département de philosophie

LA SÉMÉIOTIQUE * DE CHARLES S. PEIRCE

En 1867, Charles Sanders PEIRCE, alors âgé de vingt-huit ans, publie On a New List of Categories (1.545-1.559) 2. Dans ce texte étonnant, il esquisse le fondement métaphysique d'une philosophique séméiotique et il entreprend l'élaboration d'une définition et d'une classification scientifique des signes. Le texte commence par une étude de la substance et de l'être et PEIRCE y formule l'hypothèse de l'existence des trois catégories fondamentales de l'être, qu'il nommera ultérieurement Priméité, Secondéité et Tiercéité, et grâce auxquelles il définit le representamen. Un represen- tamen est une relation triadique dans laquelle un fondement est relié à un objet par le biais d'un interprétant 3. La définition peircéenne du representamen est intentionnellement formelle et générale. PEIRCE prétendait alors que la séméiotique était une science de base et qu'elle constituait le fondement de la logique, de la psychologie et de la sociologie. Dans ses écrits ultérieurs, il a indiqué qu'il préférait utiliser le mot « signe » pour désigner les representamen dont la pensée et l'action humaines sont les interprétants.

Comme il existe trois types de representamen ou de relations-signe, il s'ensuit qu'il existe trois sciences séméiotiques subsidiaires. Premièrement la grammaire formelle qui est l'étude des fondements des signes étudié*; en eux-mêmes et indépendamment de leurs relations avec leurs objets ou leuiS interprétants. Deuxièmement la logique ou critique qui est l'étude de la relation des signes à leurs objets. Troisièmement la rhétorique formelle qui est l'étude de la relation des signes et de leurs interprétants. PEIRCE a repris ces termes à la philosophie grecque et à la philosophie médiévale, mais il est évident qu'il a anticipé sur la syntaxe, la sémantique et la pragmatique. C'est également dans cet article de 1867 que PEIRCE a introduit la tri- partition des signes en « indice », « icône » et « symbole ». Il tient la séméiotique pour une science première par rapport à la logique et il considère qu'elle constitue

1. PEIRCE a suivi l'orthographe grecque et il a habituellement écrit « séméiotique » et non « sémiotique ». Comme cet article est une présentation du système de PEIRCE, je me conformerai à cette orthographe. Les travaux des éxégôtes de PEIRCE m'ont été de la plus grande utilité et je tiens à les en remercier ici : Max BENSE (Stuttgart), Hanna Buczynska-Garewicz (Varsovie), Gérard DELEDALLE (Perpignan), Max FlSH (Indiana) et Elizabeth WALTER ^Stuttgart).

2. Les références entre parenthèses qui suivent les citations renvoient au volume et au numéro de paragraphe des Collected Papers de PEIRCE, sélectionnés et présentés par Paul WEISS et Charles HARTSHORNE, et publiés par Harvard University Press en 8 volumes, 1932- 1954. (Lorsque cela nous a été possible, nous avons utilisé pour les fragmente de PEIRCE cités la traduction en français de Gérard DELEDALLE, Charles S. PlERCE. Ecrits sur le signe, Éditions du Seuil, Paris, 1978, N. d. T.)

3. En 1867, PEIRCE n'a pas encore mis au point sa logique des relations ni décidé «Tune terminologie caractéristique. Je ferai appel à la terminologie qu'il a développée ultérieurement dans son œuvre.

une base pour la logique des termes, des propositions et des arguments. La séméioti- que fonde également les trois formes de raisonnement qu'on utilise dans les sciences : hypothèse, la déduction et l'induction.

A la même époque que cet article sur les catégories, PeirCE a écrit et publié toute une série d'articles particulièrement brillants dans lesquels il a développé sa théorie de manière plus détaillée, et dégagé plus complètement ses applications à l'étude de la logique, de l'histoire et de la méthodologie des sciences. Il a également appliqué cette séméiotique à la psychologie et à la théorie des sociétés 4. L'homme est un signe. En fait l'homme est un signe extérieur, un signe dans le monde. Le corps de l'homme et ses actions constituent le médium matériel de l'homme-signe, tout comme l'encre et les sons constituent le médium matériel du langage. Les sensations et les émotions sont des « mots constitutionnels » (2.426, 5.291). Pendant les six années qui suivirent, PEIRCE en vint à penser que l'homme est un dialogue de signes, dans lequel le doute pose les questions tandis que les actions et les croyances sont les interprétants. Ces croyances et ces actions seront ultérieurement traduites en une conversation avec la société des signes. PEIRCE a esquissé une théorie de l'éthique dans laquelle ce sont des normes séméiotiques qui régissent la communauté en expansion où cette conversation a lieu.

PEIRCE a consacré tout le reste de son existence, jusqu'à sa mort, en 1914, à développer cette philosophie séméiotique tout en l'appliquant à d'innombrables domaines. Il avait reçu de son père, professeur de mathématiques à Harvard, une excellente éducation en philosophie, en logique, en mathématiques et dans les sciences en général. Il travailla pendant trente ans comme astronome, chimiste, physicien et mathématicien et il produisit une œuvre expérimentale et théorique d'une valeur éternelle. Mais dans le même temps il poursuivit ses recherches en séméiotique, en logique et en philosophie et, vers la fin de sa vie, il écrivit à Lady WELBY quelques remarques à propos de son article de 1867 : « ... Je n'ai jamais été capable d'étudier quoi que ce fût, les mathématiques, la métaphysique, la gravitation, la thermodynamique, l'optique, la chimie, l'anatomie comparée, l'astronomie, la psychologie, la phonétique, l'économie, l'histoire de la science, le whist, les hommes et les femmes, le vin, la métrologie... comme autre chose que comme de la séméiotique 5 ». Il ne semble pas qu'il ait connu l'œuvre de Ferdinand de SAUSSURE. « Je suis, autant que je sache, un pionnier ou plutôt un défricheur de forêts, dans la tâche de dégager et d'ouvrir des chemins dans ce que j'appelle la séméiotique... et je trouve que le champ est trop vaste et le travail trop lourd pour le premier que je suis à entreprendre une telle tâche » (5.488).

I. La séméiotique de PEIRCE est systématique parce qu'elle est fondée sur une analyse catégorielle de l'être. Dans ce chapitre, je compte présenter schématiquement les catégories de l'analyse triadique de la relation -signe fondée sur ces trois catégories. Dans le chapitre suivant, j'expliquerai la classification peircéenne des dix types de signes.

A la fin du XVIIIe siècle, K.ANT a posé une question célèbre : « Comment la connaissance synthétique a priori est-elle possible ? ». PEIRCE soutient qu'il existe une ques-

4. Voir ses trois articles de 1868, dans les Collected Papers : « Questions Concerning Certain Faculties Claimed for Man » (5.213, 5.263) ; « Some Consequences of Four Incapacities » (5.264, 5.317) ; et « Grounds of Validity of the Laws of Logic » (5.318, 5.357).

5. Dans Semiotics and Signifies, the correspondance between Ch. S. PEIRCE and Victoria Lady WELBY, édité par Charles S. HaRDWICK (Indiana University Press, 1977, pp. 85-86).

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tion préalable et plus fondamentale : « Comment la synthèse est-elle possible de quelque façon que ce soit ? » (2.680). Comment ramener le multiple à l'unité ? Il s'agit d'une question qui remonte à PLATON et qui a pris bien des formes. Comment peut- on réunir de nombreuses choses jusqu'à ce qu'elles n'en forment plus qu'une nouvelle ? Comment de nombreuses idées peuvent-elles s'organiser en une seule structure ? Comment un prédicat est-il uni à son sujet ? Comment la connaissance se trouve-t-elle liée à son objet ? Il s'agit là d'une question cruciale en ce qui concerne le changement, l'évolution et la croissance. Comment le développement est-il possible ? Comment la science, l'art et la technologie évoluent-ils ? PeircE répond que la synthèse n'est possible que grâce à la représentation. Etre et devenir, c'est être représentable (5.257), et il affirme que la représentation est une succession ordonnée. Pourquoi en est-il ainsi ?

Prenez une unité simple et non différenciée. PLATON a montré dans le Parmé- nide qu'il n'existe rien qui puisse être dit vrai d'une unité absolument simple. Pour prédiquer quoi que ce soit à son sujet il faut la diviser en une dyade constituée d'un sujet et d'un prédicat. On ne peut pas dire d'elle qu'elle est une, ni même qu'elle est. Il n'y a rien à gagner à supposer deux unités de ce genre ou davantage. Si rien n'est vrai de l'une ou de l'autre, leur différence est fausse (3.464, 4.319). PEIRCE ne commence donc pas par les êtres cardinaux mais par les ordinaux, non par un, mais par premier.

N'importe quoi peut être isolé et considéré comme le premier terme d'une série. Ces termes diffèrent les uns des autres de toutes les manières possibles. Que disons- nous d'eux lorsque nous affirmons que chacun d'entre eux peut être premier ? Etre premier, c'est être un nouveau commencement, une origine. Rien ne prédétermine ce qui est premier. Supposons, par exemple, que « 5 » soit premier. Qu'est-ce qui sera second ? Le second n'est pas encore déterminé, ce pourra être « 6 » ou « 4 » ou bien « 10 »... Ou bien encore ce que vous voudrez. Le premier est libre et indéterminé. La catégorie de la Priméité est cejle du commencement, de la nouveauté, de la liberté, de la possibilité et de l'indétermination. On peut prendre n'importe quoi comme point de départ et donc comme premier. Les exemples de premiers que PEIRCE donne de préférence sont la qualité et la conscience. Certains auteurs ont supposé, à tort, que ce sont les catégories de la Priméité. Ce sont des premiers et non des Priméités. Ce que PEIRCE nomme le fondement de la relation-signe est un premier.

Le second membre d'une série commence par limiter et déterminer le premier. Il pose une limite. Il ferme une porte. Seul, le premier n'est que la possibilité d'une série. Le second actualise la série. Le second introduit l'existence. Dans cette progression dyadique élémentaire le second membre termine la série. C'est une frontière. Si l'être n'était analysé qu'en termes de Priméité ou de Secondéité, ni la loi, ni la régularité n'existeraient. Le second serait arbitraire, imprévisible, ce serait une question de chance. D'après KOLMOGOROV et CHAÏTIN, une série de hasards est une série dans laquelle il n'est d'autre détermination des membres que leur enumeration. Une série élémentaire de deux membres est une série de hasards. La Secondéité est donc la catégorie de l'existence, des frontières, de la limitation et de l'arbitraire. Comme exemples de seconds, PEIRCE nous propose la réaction, la résistance brute, le fait brut, les événements arbitraires ou dus au hasard. L'objet d'une relation -signe est un second.

Il existe deux formes de Secondéité car, bien que le premier et le second diffèrent l'un de l'autre, leur différence n'est pas symétrique. Le premier n'est pas marqué, le second l'est. Le premier, qui n'est qu'une possibilité, est agi et déterminé par le second. Le second est un agent et le premier un patient. Il existe, selon PEIRCE,

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deux objets d'un signe. L'un est actif et dynamique et l'autre est passif et intérieur au fondement du signe.

L'ajout d'un troisième terme dans la série introduit la possibilité d'une progression régulière non -hasardeuse. La loi minimale d'une série peut être, par exemple, « n + 1 ». La loi qu'introduit le troisième terme fait le lien entre le premier et le second et entre le second et le troisième. C'est le principe de synthèse puisqu'il unifie la série : (a) II représente la relation entre le premier et le second ; (b) il représente sa propre relation au second et (c) il représente le fait que la relation entre le premier et le second est la même que celle entre le second et le troisième. Le troisième terme introduit une relation triadique authentique parce que chacun des trois termes est représenté par les deux autres. Bien qu'un quatrième et qu'un cinquième terme puissent à leur tour modifier la règle, c'est le troisième, qui, le premier, introduit le principe d'une synthèse authentique.

La Tiercéité est la catégorie de la synthèse, de la médiation et de la continuité. Tout ce qui est intermédiaire entre deux choses et qui les réunit est un troisième. Les exemples que PeircE nous en propose sont, entre autres : une route entre deux points, un messager, le moyen terme d'un syllogisme, un interprète. Les habitudes, les lois et le langage sont également des troisièmes.

La Tiercéité est la catégorie séméiotique parce que, comme nous l'avons vu, le troisième synthétise en se représentant lui-même comme représentant un second à travers sa représentation d'un premier. Un interprétant est un troisième parce qu'il est médiateur entre le fondement et l'objet d'un signe en se représentant lui-même comme représentant du fondement et de l'objet. Comme l'interprétant est le troisième terme d'une relation triadique authentique, il se présentera sous trois formes. Premièrement, l'interprétant interprète le signe à partir de l'intérieur du fondement du signe. Deuxièmement, l'interprétant interprète le signe extérieurement au fondement comme son effet dynamique. Et troisièmement, l'interprétant s'interprète et se corrige lui-même. Nous étudierons plus avant les deux formes de l'objet du signe, et les trois formes de son interprétant ultérieurement.

Comment PEIRCE définit-il le signe ? Il nous propose deux types de définitions. La première est la plus formelle, elle est explicitement fondée sur les trois catégories : « Un Signe ou Representamen est un premier qui entretient avec un second appelé son objet une relation triadique si authentique qu'elle peut déterminer un troisième, appelé son interprétant, à entretenir avec son objet la même relation triadique qu'il entretient lui-même avec ce même objet » (2.274). PEIRCE, fréquemment, définit également le signe en termes de pensée et d'interprétation humaine. « Un Signe, ou Representamen, est quelque chose qui tient lieu pour quelqu'un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre. Il s'adresse à quelqu'un, c'est-à-dire crée dans l'esprit de cette personne un signe équivalent ou peut-être un signe plus développé. Ce signe qu'il crée, je l'appelle l 'interprétant du premier signe. Ce signe tient lieu de quelque chose : de son objet. Il tient lieu de cet objet non sous tous rapports, mais par référence à une sorte d'idée que j'ai appelée quelquefois le fondement du representamen » (2.288). PEIRCE préfère le premier type de définition qui est plus formel parce que ce ne sont pas, à strictement parler, l'esprit et les idées qui expliquent les signes, mais plutôt la théorie des signes qui explique l'esprit, la pensée et les idées. La séméiotique n'est pas à la base de la seule logique, mais aussi de l'anthropologie et de la psychologie. L'homme est un signe, et l'esprit est une suite logique d'interprétants. J'utiliserai dans cet article le mot « signe », comme le faisait habituellement PEIRCE, plutôt que le néologisme « representamen ». Par « signe », j'entends la relation triadique du fondement, de l'objet et de l'interprétant. Comme notre usage habituel du mot est parfois plus proche de ce que PEIRCE entend par

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« fondement », j'écrirai parfois « signe-fondement » lorsqu'il s'agira de clarifier la signification.

Les signes ne constituent donc pas une classe d'entités parmi d'autres, comme par exemple les souris parmi les animaux ou les tables dans l'ensemble du mobilier. Tout peut participer de la relation -signe, que ce soit comme fondement, objet ou interprétant. Tout dépend de la place occupée dans le signe : comme premier, second ou troisième. Lorsqu'il est seul, le fondement est un signe virtuel, mais ce n'est pas encore un signe. Lorsqu'ils sont ensemble, le fondement et l'objet constituent également un signe virtuel. Sans l'interprétant, ce ne sont pas encore véritablement des signes.

On comprendra mieux que ce Peirce entend pas « signe », « fondement », « objet » et « interprétant », si l'on examine l'une après l'autre les deux catégories de signes. PEIRCE a affirmé que l'on pouvait analyser complètement n'importe quel signe si l'on parvenait à le classer dans l'une des dix classes. Un signe peut être classé selon la nature de son fondement (une classe). Il peut être analysé en fonction de la nature de ses objets et de la relation entre le fondement et son objet (trois classes). Enfin un signe peut être classé selon la nature de ses interprétants et de ses relations à ses interprétants (six classes). Dans chaque classe il y a trois sous-classes : ce qui constitue donc trente sous-classes en tout. Tout signe, lorsqu'il aura été complètement analysé, trouvera sa place dans l'une des sous-classes de l'une des dix classes principales 6. ~

II. Commençons par le fondement. Nous parlons souvent du signe en termes de signe-véhicule. Le fondement est pour PEIRCE ce point de vue ou ce caractère particuliers en fonction desquels le signe-véhicule est interprété comme signe de son objet. Le fondement n'est pas le signe-véhicule, parce que le signe-véhicule possède de nombreuses caractéristiques qui ne sont pas pertinentes en ce qui concerne sa fonction signe. Un exemple nous permettra d'éclairer ce que PEIRCE veut dire. Je peux utiliser un échantillon de couleur comme signe de la couleur de la peinture que je désire acheter. Cet échantillon peut être carré ou rond. Il peut être en papier ou en plastique. Tout ceci n'est pas pertinent au regard de la fonction de l'échantillon dans le signe. Seule la couleur de l'échantillon constitue le fondement, parce que c'est la couleur qui est le point de vue en vertu duquel l'échantillon peut être interprété comme un signe de la couleur de la peinture que je veux acheter.

6. Afin d'aider le lecteur, voici rassemblées les dix classes de signes, accompagnées рощ- chaque classe de leurs trois sous-classes. Les signes peuvent être classés selon les dix principes suivants :

1) en fonction du fondement du signe : qualisigne, sinsigne, légisigne ; 2) en fonction de l'objet dynamique : abstr actif, concrétif, collectif ; 3) en fonction de l'objet immédiat : descriptif, désignatif, copulant ; 4) en fonction de la relation dyadique entre l'objet dynamique et le signe : icône, indice,

symbole ; 5) en fonction de l'interprétant immédiat : hypothétique, catégorique, relatif ; 6) en fonction de l'interprétant dynamique : sympathique, percutant, usuel ; 7) en fonction de la relation dyadique entre l'interprétant dynamique et le signe : suggestif,

impératif, indicatif ; 8} en fonction de l'interprétant final : gratifique, pratique, pragmatique ; 9) en fonction de la relation dyadique entre l'interprétant final, l'objet dynamique et le

signe : rhème, dicent, argument ; 10) en fonction de la relation triadique entre l'interprétant final, l'objet dynamique et le

signe : assurance de l'instinct, assurance de l'expérience, assurance de la forme.

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Il existe trois sous-classes de fondements que PEIRCE nomme les Qualisignes, les Sinsignes et les Légisignes 7. Un qualisigne n'est un signe -fondement que par sa seule qualité et indépendamment de toute relation spatiale ou temporelle à son objet. On pourrait croire que le feu rouge qui signale un stop aux automobilistes, la flamme jaune qui permet d'identifier le sodium ou le chant d'un oiseau signalant son territoire sont des quasilignes, mais ce serait une erreur. Ce sont en fait des sinsignes qui subordonnent des qualisignes. En effet dans ces cas comme dans d'autres semblables, ce n'est pas la qualité mais un fait ou une connexion additionnelle qui constitue le point de vue à partir duquel la lumière rouge, etc., fonctionnent comme signes-fondements pour leurs interprétants. La lumière rouge fonctionne comme signal pour l'automobiliste en vertu de conventions légales, psychologiques et autres qui lui sont associées lorsqu'on la rencontre à tel endroit sur la route. Le jaune est le signe du sodium parce que l'interprétant connaît le lien physique entre l'oxydation du sodium et la production d'une lumière d'une certaine longueur d'onde. Le chant de l'oiseau est un signal territorial grâce à certaines structures de réponse héréditaires ou apprises. Par contre la couleur de l'échantillon est un quasiligne. La couleur seule, interprétée comme un signe-fondement, suffit à identifier la couleur de la peinture. Si j'enseigne la natation à quelqu'un, l'exemple des mouvements de mes bras et de mon corps est une qualité qui peut être interprétée en elle-même comme le signe-fondement des mouvements qualitativement semblables de mon élève. A chaque fois qu'une qualité est un signe-fondement qu'il s'agit de copier, d'imiter, de mimer ou de refléter, cette qualité est un qualisigne. Le camouflage et le mimétisme animal sont, en grande partie, des interprétants de qualisignes. Les qualisignes ont une importance primordiale. A vrai dire ils sont indispensables à la communication des qualités. Les qualisignes sont à l'origine de la métaphore, du semblable et de l'analogie.

Il est important de se souvenir que, par qualité, PEIRCE désigne tout caractère qui peut être considéré comme une unité et qui est susceptible d'être abstrait de son occurrence particulière. La qualité est générale et elle peut être instantifiée de nombreuses fois par de nombreux individus. Elle peut avoir la complexité d'un paysage alpin ou d'un final de BEETHOWEN. Les qualités sont floues, elles n'ont pas de limites précises, elles s'interpénétrent et ne sauraient être comptées. On ne peut pas leur appliquer rigoureusement le principe de non -contradiction. Cette nuance de brun est peut-être rouge bien qu'elle ne le soit pas vraiment. Ce qui est épouvantable attire et repousse dans le même temps. C'est cet aspect contradictoire et non-individué du qualisigne qui permet ce que FREUD appelle les « processus primaires » de la pensée, et c'est la raison pour laquelle ils sont souvent vagues et se contredisent eux-mêmes.

Le second type de fondement est le sinsigne. Dans ce cas, ce sont les circonstances particulières qui entourent un événement ou la chose isolée qui constituent le fondement du signe. Le coup de pistolet soudain qui donne le signal du départ d'une course est un sinsigne. L'odeur de la poudre brûlée et le poids du pistolet ne sont pas pertinents en ce qui concerne le signe -fondement. Il s'agit d'un événement particulier ; la brusque déchirure du silence à ce moment précis ou un officiel tire, tel est le signe-fondement. Les échantillons de pierres lunaires sont des sinsignes. La singularité de ces pierres, l'endroit exact et la position dans lesquels on les a trouvées, les indications quant à leur âge constituent un indice des processus historiques de formation de la lune, de la terre et du système solaire. Assurément les pierres lunaires com-

7. Comme autres termes, PEIRCE suggère : ton, marque et type. Mais les mots « marque » et « type » ayant été adaptés depuis dans un sens différent de celui voulu par PEIRCE, ils ne nous sont guère utiles.

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portent également des qualisignes, mais les qualisignes sont subordonnés au fondement en tant que fait réel.

Les « déclencheurs » des animaux constituent une autre variété de sin signes. La phéromone qui signale sa partenaire sexuelle au papillon mâle, ou bien la posture et les mouvements d'un oiseau en face d'un autre, déclenchent ou inhibent des réponses en fonction des circonstances particulières de leur occurrence. Les qualités de ces signes ne serviront pas de signaux, ou alors elles signaleront quelque chose de différent si elles sont considérées en dehors de leur contexte, si celui-ci est modifié ou si l'animal qui répond n'a pas atteint un stade déterminé de son cycle diurne ou saisonnier.

Les mots que l'on utilise dans des cérémonies rituelles sont des sinsignes. Le pouvoir des mots qu'on utilise pendant un mariage, ou lorsqu'on prête serment devant un tribunal, ou bien encore lorsqu'un juge profère la sentence, dépend du contexte, de la position de la personne qui énonce ces mots et parfois de l'intonation qu'elle utilise. Redisons-le, ces signes rituels et performatifs ne sont en fait essentiellement que des sinsignes. Les légisines et les qualisignes leur sont subordonnés.

Le légisigne est le troisième type de fondement. Un légisigne est avant tout un signe dont le fondement est une loi, une règle, une convention ou une habitude. Le langage, les gestes, les structures culturelles et sociales d'une société sont essentiellement des légisignes. Chaque exemple est un signe parce qu'il s'agit de l'échantillon d'un type, de la réplique d'une règle. Sans la loi ou la règle qui sert à l'interpréter, chaque exemple n'est qu'un acte momentané et dépourvu de sens.

Il est évident qu'il serait erroné de penser que les qualisignes, les sinsignes et les légisignes sont trois entités distinctes. Il s'agit plutôt de trois fonctions distinctes qui prennent divers aspects en vertu desquels n'importe quoi peut devenir le fondement d'un signe. Une seule et même chose peut être en même temps, d'un certain point de vue un qualisigne, d'un autre un sinsigne et d'un autre encore un légisigne.

III. Le second terme de la relation -signe est Y objet. Comme l'objet occupe la seconde place dans la relation -signe, la catégorie de Secondéité suggère l'existence de deux types d\>bjets. Un second est extérieur au premier et indépendant de lui. Mais, par ailleurs, le second limite et détermine le premier. PeiRCE distingue l'objet extérieur et indépendant de l'objet intérieur, l'objet tel qu'il existe dans le fondement du signe. Il nomme le premier « objet dynamique », et le second « objet immédiat ». La relation entre l'objet dynamique et le fondement de la relation est dyadique. On peut donc classer les signes en fonction de leur objet dynamique, de leur objet immédiat et enfin de la relation dyadique entre le fondement et l'objet dynamique.

Nous parviendrons peut-être à éviter les malentendus si, avant d'expliquer ce qu'est l'objet du signe, nous indiquons ce qu'il n'est pas. L'objet n'est pas nécessairement ce à quoi le signe réfère. La référence concerne l'interprétant du signe. C'est lorsque nous nous demandons à quoi réfère un signe que surgissent les fameuses questions : qu'est-ce que le réfèrent d'une conjonction, d'une phrase, d'un mensonge, d'une question, d'un ordre ?

PEIRCE définit l'objet d'un signe comme « ce dont il (le signe) présuppose la connaissance afin d'apporter une informaton supplémentaire à son sujet » (2.231). Il poursuit : « S'il existe une chose qui transmet une information sans avoir absolument aucune relation avec rien de ce que connaît directement ou indirectement la personne qui comprend cette information quand elle lui est communiquée (ce qui serait une curieuse espèce d'information), le véhicule de cette sorte d'information n'est pas appelé, dans ce volume, un signe » (2.231). Il faut qu'il existe un environnement ou un contexte qui limite le fondement et le détermine à être un signe pour un interpré-

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tant de quelque chose qui existe dans ce contexte. Le fondement et l'interprétant ne surgissent pas du néant. Ils surgissent au sein d'un monde, d'un contexte, auxquels ils sont liés par une expérience collatérale. Il faut que ce contexte existe indépendamment du signe et que, pourtant, il affecte le signe-fondement et tous ses interprétants de telle sorte qu'ils puissent tous servir d'indices de l'existence de ce contexte. L'objet n'est pas ce qui est désigné par le signe, mais ce qui, indépendamment du signe, harmonisera, en fin de compte, tous ses interprétants. Prenez par analogie l'exemple des masses des planètes et du soleil ; il s'agit là d'objets dont les mouvements peuvent être interprétés comme en étant les signes. Penons un autre exemple : un patient présente certains symptômes névrotiques. Ces symptômes sont, pour un interprétant, les signes de quelque chose qui existe dans le contexte du comportement ou, du moins, qui est anaphoriquement relié à quelque chose d'autre qui existe dans le contexte des symptômes. Le contexte n'est pas donné par le signe. Il est déjà présent et il est partagé par le signe et ses interprétants. Au sein de ce contexte vécu, les interprétants successsifs identifient et fixent l'objet avec une précision croissante. Le signe -fondement peut être considéré comme un échantillon détaché de cet objet et, par conséquent, comme un indice pour l'identification de l'objet. Comme ces échantillons et ces indices se trouvent au sein du signe -fondement lui-même, PeirCE les nomme « objets immédiats ».

Quel est l'objet d'un ordre ? Un officier donne à ses hommes l'ordre de reposer les armes. L'ordre crié est le fondement du signe et les actions des hommes en sont les interprétants. L'objet dynamique est la volonté de l'officier dûment autorisé, manifestée dans le contexte qui convient, par exemple sur le champ de tir militaire. L'objet immédiat est l'indice ou l'aspect de cet objet dynamique qui est dans le sinsi- gne, c'est-à-dire : le ton, le timbre et la force de la voix qui donne l'ordre.

Une question a-J^elle un objet ? PEIRCE écrit : « Supposons qu'un matin je m'éveille avant ma femme, puis que, s 'éveillant à son tour, elle me demande : « Quel temps fait-il ? ». Il s'agit d'un signe dont l'objet, tel qu'il est exprimé, est le temps qu'il fait à ce moment précis, mais dont l'objet dynamique est l'impression que j'en ai préalablement gardée en jetant un coup d'oeil entre les persiennes » (8.314). L'objet dynamique est cet aspect qui, dans le contexte, induit et détermine le signe : nommément PEIRCE regardant par la fenêtre le temps qu'il fait.

Quel est l'objet du mot écrit : « et »? Cela dépend évidemment du contexte. S'il est écrit par un patient dyslexique qui l'a toujours préalablement écrit « te » et qui l'écrit correctement pour la première fois, l'objet serait alors une amélioration de son état. L'objet immédiat pourrait être la bizarrerie du mot écrit dont l'épellation est par ailleurs correcte. Si, en regardant Jean et Marie qui viennent au devant de moi, je dis : « Voici Jean et Marie », l'objet sera Jean et Marie et l'objet immédiat sera la conjonction des noms « Jean » et « Marie ».

Les catégories nous suggèrent l'existence de trois sortes d'objets dynamiques. En premier lieu, un objet dynamique peut être un possible. Un possible est une propriété ou un ensemble de propriétés comme, par exemple, la blancheur, la beauté ou la masse. (PEIRCE considère que la masse physique est un possible parce qu'elle n'existe pas en dehors de l'action des corps qui la rendent manifeste.) Un signe, considéré comme signe-fondement d'un objet dynamique possible est, pour PEIRCE, un signe abstr actif. Le second type d'objet dynamique est un événement occurrent ou une entité spatio-temporelle réelle. CHARLEMAGNE en est un exemple tout autant qu'un éclair de lumière. Le signe d'un tel objet est un signe concrétif. En troisième lieu, l'objet dynamique peut être une loi, une habitude, une continuité ou un principe. Les signes de ces objets sont dits collectifs.

On peut également classer les signes en fonction de leurs objets immédiats. Les

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possibles ne peuvent apparaître dans le signe quïn propria persona, par leur exemplification propre ou par une description. Un signe qui comporte un tel objet immédiat est un signe descriptif. L'occurrence concrète d'un objet produit un certain effet dans le signe. Quand je rencontre mon ami, je l'appelle par son nom. Lorsque je vois un éclair, je peux le montrer du doigt en m 'écriant : « là ! ». Les signes qui comportent des objets immédiats de ce genre sont des signes désignatifs. L'objet immédiat d'une loi, d'une habitude ou d'une classe collective d'objets sera une conjonction logique, une disjonction ou un conditionnel. On peut représenter une pyramide de fruits en disant : celui-là et celui-ci et... ». Si je désire en acheter quelques-uns, je dirai peut-être : « celui-ci ou celui-là ou... ». Une loi ou une habitude est exprimée dans le signe par : « si ceci se produit, alors... ». Peirce nomme ces signes des copulants.

La relation entre l'objet dynamique et le signe-fondement est séméiotique. Comment l'objet est-il lié à son signe ? PEIRCE parle parfois de l'objet comme de Yénon- dateur du signe. Entre l'énonciateur et renonciation il existe une relation dont l'interprétant doit faire usage s'il veut identifier l'énonciateur. On peut classer les signes de trois manières différentes selon les trois formes que prend cette relation dyadique. C'est ici que nous rencontrons la plus célèbre des tripartitions de PEIRCE : l'icône, l'indice et le symbole. Un objet dynamique qui est une qualité possible est relié à son signe descriptif par une similarité qualitative ou ressemblance. Un signe dont la liaison à l'objet est de ce genre est une icône. L'échantillon de tissus que me montre mon tailleur est une icône. Mais il en va de même pour une peinture ou une sonate. Lorsqu'un objet occurrent concret est relié à son signe désignatif par quelque action directe ou quelque réaction, comme l'action du vent sur les ailes d'un moulin, alors le signe est un indice. L'action de l'objet occurrent peut passer par une chaîne anaphorique. Ainsi CHARLEMAGNE est un indice parce qu'il se trouve relié par toute une série de documents, de monuments, etc., à un individu qui a existé. Un indice peut subordonner une icône. Ainsi un portrait peint qui porte comme titre le nom du modèle est d'un certain point de vue un indice, et d'un autre une icône.

Enfin une loi, une règle ou une habitude peuvent n'être reliées à leur signe que par l'interprétant du signe. Ce signe est alors un symbole. Le lien à son objet par le biais de l'interprétant est un élément essentiel pour la définition du symbole. Un symbole est un type, une loi, un légisigne. Le mot imprimé sur une page n'est pas un symbole mais un valant-pour ou une réplique du symbole. Ainsi le symbole « homme », par exemple, n'est-il relié à son objet, la classe collective des hommes, que par le fait qu'il est interprété comme le signe de cette classe. Sans les symboles, on ne pourrait pas représenter les classes et les lois. Un poème est un symbole tout autant que la classe générale des protocoles sociaux, la signature d'un document légal, le drapeau national, l'argent comme médium agréé d'échanges, etc. Le symbole doit subordonner les icônes et les indices.

Il est évident que tout comme les signes peuvent être complexes et structurés hiérarchiquement (un poème, une nouvelle, le geste politique d'un gouvernement), le signe sera lui aussi une série d'objets organisé hiérarchiquement. L'objet d'un signe complexe est un petit univers qui subordonne en son sein des soleils et des planètes.

IV. Nous avons décrit jusqu'à présent quatre des dix classes que donne l'analyse des signes. L'une en fonction du fondement du signe et les trois autres en fonction des objets. Nous allons nous occuper maintenant du troisième facteur de la relation- signe qui est aussi le plus important : l'interprétant. PEIRCE dégage six autres classes qui sont essentielles pour l'analyse des signes.

Qu'est-ce qu'un interprétant ? Dans la relation -signe triadique, le fondement est

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le terme premier, l'objet ou énonciateur est second et l'interprétant est troisième. En tant que troisième, l'interprétant est ce terme de la série qui introduit la règle ou le principe général qui relie les trois termes les uns aux autres. On peut analyser l'interprétant sous trois conditions. Premièrement l'interprétant est un signe-règle qui représente une relation entre le signe-fondement et un objet. Deuxièmement, l'interprétant représente le fait que les relations entre le signe-fondement et l'objet et entre' l'interprétant et l'objet relèvent de la même règle. Bref, l'interprétant est un signe- règle qui est relié à son objet par son signe -fondement.

Quelques exemples nous aideront à clarifier cette conception fondamentale de PeircE. Supposons qu'un Anglais qui étudie le français rencontre pour la première fois le mot « homme ». Il sait, bien sûr, que cette juxtaposition d'« homme » et de « man » est une convention de lecture des dictionnaires. Selon les conventions lexico- graphiques, « man » est une règle -interprétante qui convertit « homme » en un signe- fondement de cette même classe de bipèdes déplumés que « man » représente également. L'interprétant est un médiateur entre le signe-fondement et son objet (la classe des bipèdes sans plumes), puisque c'est grâce à l'interprétant qu'ils sont pris dans une relation séméiotique. Si nous écartions pour un moment l'hypothèse peircéenne du primat de la séméiotique sur la psychologie et que nous nous autorisions à parler de l 'interprétant-règle comme d'une idée dans l'esprit, nous pourrions dire que le signe-fondement « homme » est représenté par l'idée dans l'esprit de l'interprète comme étant également son objet propre. Mais il faut se souvenir qu'il ne s'agit que d'une façon de parler. Ce ne sont pas, selon PEIRCE, les idées et les esprits qui expliquent les signes, mais les signes qui doivent expliquer les idées et les esprits.

Prenons un autre exemple de PEIRCE. Si l'on fait tourner la lettre « p » autour de la ligne sur laquelle elle est imprimée et qu'on la fasse ensuite glisser sur un « b », les deux lettres coïncideront exactement. La règle de la rotation du « p » est alors l'interprétant médiateur entre le signe-fondement « p » et l'objet « b ». La règle interprète la lettre « p » comme étant le signe-fondement de « b ». Nous pourrions • également dire que l'interprétant -règle représente « b » par « p ». Bien sûr, si l'on modifie légèrement l'interprétant et que l'on substitue « b » à « p » dans l'interprétant, on pourra faire de l'objet un signe et du signe un objet ; de même que pour un francophone qui apprend l'anglais, les règles du dictionnaire feront d'« homme » l'interprétant de « man » et de « man » le signe-fondement d'« homme ».

L'interprétant est le paradigme qui comporte une règle de traduction. Comme le mètre étalon à Paris, il est ce par rapport à quoi tous les autres sont mesurés. Il est général et peut être appliqué à l'infini. « Man », comme règle du dictionnaire, n'est pas seulement l'interprétant d'« homme », mais également celui d'« anthropos », d'« uomo », etc. Il n'existe en principe aucune limitation au nombre de signes- fondements que l'interprétant peut interpréter comme signes du même objet. Entre tout signe et son objet, l'interprétant peut, théoriquement, toujours introduire un autre signe. Mais l 'interprétant-règle peut également être lui-même interprété par un autre interprétant -règle. Tout interprétant peut devenir le signe-fondement d'un autre interprétant. Nous avons remarqué que l'interprétant « man » peut être le signe-fondement de l'interprétant « homme » du français. Mais par ailleurs « man », pour un biologiste anglais, peut être un signe -fondement qui sera interprété par : vertébré-mammifère-anthropoïde. En bref, tout signe -fondement peut devenir un interprétant et tout interprétant peut devenir un signe -fondement. Il faut décider de la différence entre les deux pour chaque cas particulier en répondant à la question suivante. De ces deux signes, lequel est le signe paradigmatique qui porte la règle (ou le principe) par laquelle l'autre signe est relié à l'objet du signe paradigmatique ? Nous devons nous demander dans chaque cas particulier lequel de ces deux signes

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est nécessaire si l'autre doit être le signe -fondement de son objet. Lequel interprète l'autre ? Lequel traduit l'autre ?

Il s'ensuit que les signes forment un continuum. Entre deux signes on peut toujours, en principe, en insérer une infinité, de même qu'après tout signe on peut en ajouter également une infinité. PeircE souligne ceci en disant que chaque signe est infiniment traduisible. Il n'existe pas en principe un seul interprétant pour un signe, mais une succession infinie d'interprétants. Il résulte également de cette relation dialectique entre le signe-fondement et l'interprétant, et de cette permutation constante des places entre le premier et le troisième, que toute séméiose est un dialogue. « II ne s'agit pas tout simplement d'un fait de la psychologie humaine, mais d'une nécessité de la Logique si toute évolution logique de la pensée est dialogique » (4.5511. Mais c'est la séméiotique qui est la logique de base, et PEIRCE répète que la séméiose est une fonction du dialogue.

Le dialogue séméiotique assume plusieurs formes. On sait toute l'importante que PEIRCE accorde au dialogue du doute et de la croyance. Le doute pose des questions auxquelles la croyance répond non sans parfois quelques hésitations. Une croyance interprétante peut être bouleversée et modifiée du fait de sa rencontre avec un fait brut qui lui résiste. L'objet pose une question à la croyance interprétante par le biais du signe-fondement. Il y a aussi dialogue entre une croyance et les actions qui en sont les interprétants. Le dialogue est une danse dans laquelle les deux partenaires peuvent permuter. En vérité le dialogue va jusqu'à la conversation des signes. Le continuum des signes est également une société ou une communauté de signes. Chacun parle à tous ceux qui l'entourent et chacun répond à ses voisins. La conversation est constamment modifiée par de nouvelles actions, introduites ab extra, et par de nouvelles hypothèses. Néanmoins, du fait de ces modifications constantes et de ces accommodations mutuelles, la conversation s'oriente vers un accord éventuel et idéal. En fait il se peut que cet accord ne soit jamais atteint. Il fonctionne comme le destin, comme un vis a fronte qui anime la conversation des signes.

PEIRCE distingue trois sortes d'interprétants qu'il nomme l'« Interprétant Immédiat », l'« Interprétant Dynamique » et l'« Interprétant Final ». On peut classer un signe en fonction de chacun de ces trois interprétants. Les relations de l'interprétant dynamique et de l'interprétant final à leurs signes-fondements sont dyadiques. Mais, de surcroît, la relation de l'interprétant final à son objet par son signe-fondement est triadique. Si un signe est classé selon chacune de ces trois relations à ses interprétants, nous obtiendrons trois classes supplémentaires, soit six en tout. Esquissons-en la description seriatim.

Qu'est-ce qu'un interprétant immédiat ? Tout signe comporte une signification minimale, ou signifiance, qui lui vient de son histoire. La signification est dans le signe-fondement à la surface duquel il peut être vu. Il peut être lu directement à même le signe. L'interprétant immédiat est donc « tout ce qui est explicite dans le signe indépendamment de son contexte et des circonstances de son énonciation » (5.473). Ou bien encore, c'est ce qui « permettrait à quelqu'un de dire si oui ou non le signe peut être assigné à quelque chose dont cette personne aurait une connaissance suffisante ». Par exemple l'interprétant immmédiat de la danse des abeilles est l'information apportée par cette danse quant à la distance et à la direction dans laquelle se trouve le nectar. L'interprétant immédiat de la cérémonie de mariage est la signification que tout le monde connaît, à savoir que deux personnes, ses objets, sont légalement unies l'une à l'autre.

On peut classer les signes en fonction de leurs interprétants immédiats. Si l'interprétant immédiat interprète un qualisigne, on peut appeler le signe un « signe hypothétique ». Par exemple, l'interprétant immédiat du pas de danse d'un maître de bal-

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let interprète le pas comme un signe du pas semblable que doit esquisser tel danseur. Mais ce second pas n'a pas besoin d'avoir lieu et il se peut même qu'il ne soit jamais esquissé. Le pas du maître de ballet est un signe hypothétique. Toutefois, l'interprétant immédiat peut interpréter le signe comme un sinsigne. Le signe peut alors être classé parmi les signes catégoriques. Ainsi la danse des abeilles, par exemple, est-elle un signe catégorique parce que, pour son interprétant immédiat, il s'agit d'un événement particulier et limité qui fournit directement une information au sujet d'un objet réel. Finalement l'interprétant immédiat peut interpréter son signe comme un type, une loi ou une liaison générale. Un tel signe est un signe relatif. La cérémonie de mariage est un signe relatif parce qu'elle est immédiatement interprétée comme un exemple de loi ou de règle qui établit une relation légale entre ses deux objets.

Le second type d'interprétant est l'interprétant dynamique. Les interprétants dynamiques d'un signe-fondement sont les effets séméiotiques réels que le signe produit de facto. Les interprétants dynamiques sont ces interprétants qui ont une existence indépendante réelle. Il va de soi qu'un signe peut produire des effets non- séméiotiques. L'envol des abeilles en réponse à la danse peut produire un effort bourdonnement, la cérémonie de mariage peut endormir certains invités. L'effet séméioti- que, et non l'effet physique, est l'interprétant dynamique. Le signe peut produire des interprétants dynamiques qui sont des sentiments, des émotions ou des humeurs. On peut classer un signe en fonction de ces interprétants affectifs parmi les signes sympathiques. Une cérémonie de mariage est un signe sympathique mais il en est de même pour une insulte, un geste moqueur, un éclair de lumière ou une mauvaise nouvelle. Tous ont également des interprétants dynamiques qui sont des émotions et des sentiments.

Peirce classe certains signes parmi les signes percutants si les interprétants sont des actions musculaires ou énergétiques. L'envol des abeilles est un interprétant énergétique et la danse des abeilles est donc un signe percutant. Le verdict d'un juge est également un signe percutant ; son effet séméiotique sera peut-être l'emprisonnement d'une personne ou le paiement d'une amende.

Troisièmement, l'interprétant dynamique d'un signe peut être une idée ou une pensée ou encore un raisonnement particuliers. Il sera donc intellectuel ou logique. Toutefois, dans la vie de tous les jours et dans les circonstances habituelles, notre pensée n'est pas réfléchie et critique. Nous ne jugeons pas nos pensées en appliquant consciemment les principes généraux des conclusions vraies. Quand un signe est classé en fonction de ces interprétants logiques non-critiques, PEIRCE le nomme signe usuel.

Tout comme la relation entre un signe et son objet dynamique (icône, indice et symbole), la relation d'un signe à son interprétant dynamique est dyadique. Premièrement, l'interprétant affectif émerge sans critique de son signe, auquel il n'est relié que par le sentiment non -analysé d'une ressemblance ou d'une similarité. Le signe ne peut que suggérer son interprétant dynamique affectif. Un tel signe, classé en fonction de cette relation de suggestion, est un signe suggestif.

Un signe ne fait jaillir son interprétant énergétique que sous la contrainte d'un ordre ou d'une question. PEIRCE prétend qu'une question est un ordre d'un genre moins contraignant et qui n'entraîne qu'une légère punition, voire qui n'en entraîne aucune si l'on manque à y obtempérer. Tout sinsigne contraint son interprétant énergétique jusqu'à obtenir, à tout le moins, l'attention nécessaire pour qu'il réponde activement au signe. L'envol des abeilles en réponse à la danse est une réponse à un ordre, tout comme le poing qui se serre en réponse à une insulte. Si un signe produit son interprétant dynamique sur un ordre ou une question, on peut classer le signe parmi les signes impératifs.

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Enfin un signe peut être relié à son interprétant logique de manière cognitive ; lorsqu'il est relié de cette manière à l'interprétant dynamique, PeircE propose de le nommer signe indicatif.

Outre les interprétants dynamiques et immédiats, il existe un troisième type d'interprétant : l'interprétant final. PEIRCE le nomme également l'interprétant normal, fatal ou ultime. Le mot « final » doit être pris dans son acception aristotélicienne de « cause finale ». Pour comprendre la conception peircéenne de l'interprétant final, il convient de se souvenir que tout signe est membre d'une communauté continue de signes. Il faut prendre en considération les conséquences de cette théorie sociale des signes pour comprendre ce qu'est l'interprétant final.

Tout interprétant est un signe qui peut être interprété par un autre interprétant. Mais PEIRCE va plus loin car non seulement tout interprétant est traduisible, mais, pris dans le cours du temps, tï est réellement traduit. « II n'y a donc aucune exception à la loi suivant laquelle toute pensée-signe est traduite ou interprétée dans une pensée-signe subséquente, sauf le cas où toute pensée s'abîmerait d'une manière abrupte et définitive dans la mort » (5.284). La raison en est que tout interprétant est lui-même un signe réel et que nul signe n'existe s'il n'est interprété. Sans son interprétant, un signe-fondement n'est qu'un signe virtuel. PEIRCE fondait son hypothèse sur ses études empiriques en psychologie, en histoire et plus particulièrement en histoire des sciences. L'homme est un signe et tout interprétant contribue séméioti- quement aux interprétants subséquents dans la vie de l'être humain. Même les révolutions les plus radicales subissent l'influence séméiotique du passé. Tout souvenir, toute espérance et toute habitude est un interprétant qui est indéfiniment traduit et interprété. La mort elle-même n'est pas une fin puisque nous sommes membres d'une communauté de signes. L'histoire est une conversation des signes, une conversation qui n'est assurément pas toujours paisible. L'histoire est une réinterprétation continuelle du passé. Au sein de l'histoire, il existe un facteur réactif dont les signes, tout comme les interprétants, doivent s'arranger. La résistance brute, les objets butés et indépendants des signes exercent une pression constante qui donne forme au développement de leurs interprétants et le dirige.

La méthode scientifique a introduit dans l'histoire un processus conscient-de-soi, autocritique et autocorrecteur. Les méthodes scientifiques sont sans doute des habitudes, mais d'une nouvelle sorte plus complexe. Elles ont en commun une caractéristique générale qui est au fondement de toutes les sciences et de leurs pratiques. Le trait commun de toutes les méthodes scientifiques est une autocorrection constante, délibérée et critique. Il s'agit d'une habitude vivante car elle opère sur elle-même pour se modifier. La méthode autocorrectrice est à la fois guidée et animée par le désir d'atteindre à la vérité, bien qu'il ne soit pas nécessaire à la méthode scientifique que la vérité soit en fait jamais atteinte. Il suffit qu'il y ait quelque espoir qu'elle puisse être approfondie à long terme grâce à une méthode de perpétuelle autocritique. C'est cette méthode vivante de l'autocritique qui, selon PEIRCE, constitue l'interprétant final vers lequel tend la chaîne historique des interprétants dynamiques. L'idéal de vérité, peut-être inaccessible, est le critère de valeur de cet interprétant final. C'est ainsi que PEIRCE réinterprète les trois transcendantaux : unum, verum et bonum en Priméité, Secondéité et Tiercéité.

L'interprétant final de n'importe quel signe est cette habitude finale et normative d'interpréter qui serait atteinte si le signe était interprété selon un procédé scientifique et constamment autocorrecteur. PEIRCE affirme que l'interprétant final d'un signe est en fait un facteur qui contribue activement à former l'évolution des interprétants d'un signe. Même dans des sociétés primitives et relativement peu critiques, les interprétants se développent, selon lui, en accord avec les normes et les critères

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acceptés sans critique. Toutefois ces critères eux-mêmes sont progressivement modifiés, tout d'abord sans critique, et ces changements sont eux-mêmes guidés par des normes plus compréhensives. PeiRCE se réfère à l'opinion de RenoUVIER, pour qui les lois de la nature évoluent, ce qu'il réinterprète comme étant l'évolution des interprétants.

Il existe trois formes d'interprétants finals. Il peut s'agir premièrement d'une qualité d'excellence et d'admirabilité qui exprime le mieux le mot grec « Kalos ». Un signe peut être classé comme un signe gratifique, si son interprétant final est une qualité d'excellence. Les démonstrations et les systèmes mathématiques élégants sont des signes gratifiques. Deuxièmement, l'interprétant final peut être l'excellence et l'efficacité d'une conduite. Lorsque l'interprétant final est une action efficace et belle, le signe est dit pratique. Troisièmement, l'interprétant final peut être une autocritique et une autocorrection méthodologique. Le signe classé en fonction de cet interprétant final méthodologique est pragmatique.

Comment le signe influence-t-il et affecte-t-il son interprétant final ? La relation entre le signe et son interprétant final est dyadique. PEIRCE a montré que c'est sous les espèces de la logique formelle qu'un signe est relié à son interprétant final. L'interprétant final interprète l'action du signe sur lui-même en fonction de sa structure logique. C'est en ce point, au sein du domaine général de la pragmatique, que PIERCE a introduit la science de la logique formelle 8. Il distingue dans la logique trois domaines fondamentaux : à un premier niveau le calcul quantificatoire (celui des fonctions dont le prédicat n'a qu'une place), à un second niveau le calcul des fonctions à plusieurs places, et enfin l'étude des principes du raisonnement vrai. En conséquence, les signes peuvent être classés en rhèmes, dicents et arguments.

Finalement l'interprétant est lié triadiquement à son objet par le biais de son signe. La relation purement formelle entre un signe et son interprétant final ne donne aucune assurance quant à la vérité du signe en rapport à son objet. Conclure que la vie existe sur quelque lointaine planète peut être la conclusion valide d'un certain nombre de prémisses, toutefois il se peut que par ailleurs cette conclusion soit fausse. La logique formelle traite de la validité. Mais c'est la méthode scientifique qui doit s'assurer de la vérité autant que faire se peut. La méthode scientifique examine et interprète les signes comme une évidence de l'existence et des caractéristiques de leurs objets.

Nous ne pouvons examiner ici les analyses peircéennes de la méthode scientifique. Il convient de se souvenir que durant toute sa vie PEIRCE fut un scientifique parfaitement au fait des pratiques expérimentales et théoriques. Il a maintes fois répété que la science repose sur trois processus distincts mais complémentaires : l'hypothèse (qu'il nomme ordinairement abduction), Vinduction et la déduction. Tout d'abord, il n'existe pas de science sans hypothèse. C'est par des théories, des modèles et des intuitions imaginatives mais informés que nous répondons en première instance à cet étonnement qui, selon PLATON et ARISTOTE, est le commencement de la sagesse. Pour dénouer les mystères du monde, nous avons besoin d'une imagination fertile qui nous permettra d'élaborer un modèle qui introduira quelque unité. La première hypothèse sera certainement loin d'être correcte, mais sans hypothèse aucune explication n'est possible. Seules les hypothèses permettent l'apparition de nouvelles idées et ce n'est que grâce à ces hypothèses que de nouvelles vérités seront dévoilées. Certes le nombre d'hypothèses qui peut logiquement vérifier et expliquer une série déroutante de données est, en principe, infini. Comment se fait-il donc que l'humanité soit si rapi-

8. Il s'agit d'une prise de position plus tardive de PEIRCE. Dans son texte de 1867, il classait la logique dans ce qu'on appelle aujourd'hui la « sémantique ».

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dement parvenue à construire de si nombreuses théories, face à un nombre infini dЪypothèses à prendre théoriquement en compte, et qui semblent si proches de la vérité ? Pour expliquer il lume naturale, comme l'appellent DESCARTES et GALILÉE, grâce à quoi l'homme a l'intuition des théories vraies, PeiRCE fait appel à l'instinct. L'homme a évolué dans une interaction intime et constante avec son environnement. Ce processus évolutif a produit des réponses instinctives à la faim et au besoin sexuel, mais également aux puzzles intellectuels et pratiques qui se répètent tout au long de toute vie humaine. On peut donc classer les signes en fonction de leur assurance instinctive de la vérité de leur interprétant final.

Il faut tester les hypothèses par induction en faisant recours à l'expérience. L'interprétant final peut traiter son signe -fondement comme un échantillon inductif de l'objet. On classe ce signe parmi ceux qui assurent le lien entre l'interprétant final et son objet, par expérience. C'est finalement par le processus formel de la déduction que nous inférons, à partir de l'hypothèse, les conséquences empiriques que l'induction peut vérifier. La déduction est intermédiaire entre les hypothèses et l'induction. Un signe qui relie son interprétant final à son objet par une déduction formelle s'assure formellement de la vérité. Cette classification des signes en fonction de leur rôle instinctif, expérimental ou formel dans la liaison de l'interprétant final à l'objet est la dixième et dernière des classes de signes de PEIRCE.

PEIRCE s'st passionnément intéressé à la linguistique toute sa vie, et l'une de ses toutes premières publications porte sur la phonétique shakespearienne. Il ne fait toutefois aucun doute qu'il a développé sa séméiotique dans une interaction continuelle avec son travail en logique, dans les sciences naturelles et les sciences humaines. Ce n'est qu'à un âge avancé que PEIRCE tenta une analyse séméiotique systématique de l'éthique et de l'esthétique. Il savait bien qu'il était un pionnier embarqué dans une vaste entreprise. Il a émis explicitement le souhait que son système soit critiqué et qu'il s'accroisse grâce au travail des explorateurs qui oseraient le suivre sur ce nouveau continent.

(Traduction de F. Peraldi.)

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