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80 | La Lettre du Neurologue • Vol. XX - n° 4 - avril 2016 ÉDITORIAL Patients souffrant de SEP et sous traitement : place de la surveillance systématique en IRM MR examination in MS patients under treatment Pr Pierre Labauge Unité de prise en charge de la sclérose en plaques, CHU de Montpellier. L es critères d’efficacité des traitements de fond, dits de première ligne − immunomodulateurs injectables ou par voie orale −, reposent habituellement sur une surveillance clinique : absence de nouvelle poussée, nette diminution du taux annuel de poussées comparativement à celui de l’année précédant la mise sous traitement, absence de poussées sévères et stabilité du score EDSS. L’objectif est de modifier l’histoire naturelle de la sclérose en plaques (SEP) et, notamment, de réduire l’importance du handicap résiduel après les poussées ainsi que le risque et le délai de survenue de la forme progressive (1, 2). L’IRM cérébrale apparaît comme une aide supplémentaire à l’évaluation de la maîtrise du risque inflammatoire, notamment par la détection de nouvelles lésions asymptomatiques. Il est admis que près de 90 % des lésions rehaussées par le gadolinium sont asymptomatiques. En dehors de l’apparition de nouvelles lésions ou de lésions rehaussées par le gadolinium, d’autres critères d’analyse peuvent être évoqués : augmentation de la taille des lésions, rehaussement de lésions anciennes, majoration du volume lésionnel, survenue de “black holes”, ou encore mesure de l’atrophie. Ces 2 derniers critères d’analyse restent pour l’instant du domaine de la recherche clinique ou thérapeutique. Les modifications visibles à l’IRM sans traduction clinique peuvent-elles être un critère suffisant d’échappement thérapeutique, et donc inciter à la modification du traitement de fond ? R.A. Rudick et al. (3) ont suivi pendant 3 ans 172 patients sous interféron. Au total, 67 étaient classés non répondeurs (survenue de 2 poussées ou, à l’IRM, apparition de 3 nouvelles lésions ou de 2 lésions rehaussées par le gadolinium) ; 105 étaient répondeurs, car ils ne remplissaient pas ces critères évolutifs. Après un suivi à 1 an et à 2 ans, l’augmentation moyenne du score EDSS entre ces 2 groupes à 3 ans était de 0,78 dans le groupe répondeur. R.A. Bermel et al. (4) ont suivi sur 15 ans les patients issus des études pivots interféron β-1a 30 μg i.m. Les paramètres d’analyse étaient les suivants : clinique : 0-1 poussée/2 poussées sur 2 ans ; IRM : 2 lésions rehaussées par le gadolinium à 1 an et à 2 ans ; apparition de 3 nouvelles lésions la deuxième année. 1. Leray E, Yaouanq J, Le Page E et al. Evidence for a two-stage disability progression in multiple sclerosis. Brain 2010;133:1900-13. 2. Lublin FD, Baier M, Cutter G. Effect of relapses on development of residual deficit in multiple sclerosis. Neurology 2003;61(11):1528-32. 3. Rudick RA, Lee JC, Simon J et al. Defining interferon beta response status in multiple sclerosis patients. Ann Neurol 2004;56(4):548-55. 4. Bermel RA, You X, Foulds P et al. Predictors of long-term outcome in multiple sclerosis patients treated with interferon β. Ann Neurol 2013;73(1):95-103.

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80 | La Lettre du Neurologue • Vol. XX - n° 4 - avril 2016

ÉDITORIAL

Patients souffrant de SEP et sous traitement : place de la surveillance systématique en IRMMR examination in MS patients under treatmentPr Pierre LabaugeUnité de prise en charge de la sclérose en plaques, CHU de Montpellier.

Les critères d’efficacité des traitements de fond, dits de première ligne − immunomodulateurs injectables ou par voie orale −, reposent habituellement sur une surveillance clinique : absence de nouvelle

poussée, nette diminution du taux annuel de poussées comparativement à celui de l’année précédant la mise sous traitement, absence de poussées sévères et stabilité du score EDSS. L’objectif est de modifier l’histoire naturelle de la sclérose en plaques (SEP) et, notamment, de réduire l’importance du handicap résiduel après les poussées ainsi que le risque et le délai de survenue de la forme progressive (1, 2).

L’IRM cérébrale apparaît comme une aide supplémentaire à l’évaluation de la maîtrise du risque inflammatoire, notamment par la détection de nouvelles lésions asymptomatiques. Il est admis que près de 90 % des lésions rehaussées par le gadolinium sont asymptomatiques. En dehors de l’apparition de nouvelles lésions ou de lésions rehaussées par le gadolinium, d’autres critères d’analyse peuvent être évoqués : augmentation de la taille des lésions, rehaussement de lésions anciennes, majoration du volume lésionnel, survenue de “black holes”, ou encore mesure de l’atrophie. Ces 2 derniers critères d’analyse restent pour l’instant du domaine de la recherche clinique ou thérapeutique.

Les modifications visibles à l’IRM sans traduction clinique peuvent-elles être un critère suffisant d’échappement thérapeutique, et donc inciter à la modification du traitement de fond ?

R.A. Rudick et al. (3) ont suivi pendant 3 ans 172 patients sous interféron. Au total, 67 étaient classés non répondeurs (survenue de 2 poussées ou, à l’IRM, apparition de 3 nouvelles lésions ou de 2 lésions rehaussées par le gadolinium) ; 105 étaient répondeurs, car ils ne remplissaient pas ces critères évolutifs. Après un suivi à 1 an et à 2 ans, l’augmentation moyenne du score EDSS entre ces 2 groupes à 3 ans était de 0,78 dans le groupe répondeur.

R.A. Bermel et al. (4) ont suivi sur 15 ans les patients issus des études pivots interféron β-1a 30 μg i.m. Les paramètres d’analyse étaient les suivants :

➤ clinique : 0-1 poussée/2 poussées sur 2 ans ; ➤ IRM : 2 lésions rehaussées par le gadolinium à 1 an et à 2 ans ; ➤ apparition de 3 nouvelles lésions la deuxième année.

1. Leray E, Yaouanq J, Le Page E et al. Evidence for a two-stage disability

progression in multiple sclerosis. Brain 2010;133:1900-13.

2. Lublin FD, Baier M, Cutter G. Effect of relapses on development of residual deficit in multiple sclerosis.

Neurology 2003;61(11):1528-32.

3. Rudick RA, Lee JC, Simon J et al. Defining interferon beta response

status in multiple sclerosis patients. Ann Neurol 2004;56(4):548-55.

4. Bermel RA, You X, Foulds P et al. Predictors of long-term outcome in

multiple sclerosis patients treated with interferon β. Ann Neurol

2013;73(1):95-103.

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ÉDITORIAL

5. Rio J, Castilló J, Rovira A et al. Measures in the first year of therapy

predict the response to interferon beta in MS. Mult Scler 2009;

15(7):848-53.

6. Rio J, Rovira A, Tintoré M et al. Evaluating the response to glatiramer

acetate in relapsing-remitting multiple sclerosis (RRMS) patients.

Mult Scler 2014;20(12):1602-8.

7. Bates D, Bartholomé E. Treatment effect of natalizumab on relapse

outcomes in multiple sclerosis patients despite ongoing MRI activity.

J Neurol Neurosurg Psychiatry 2012;83(1):55-60.

8. Carra-Dalliere C, Menjot de Champfleur N, Deverdun J et al.

Use of quantitative susceptibility mapping (QSM) in progressive

multifocal leukoencephalopathy. J Neuroradiol 2016;43(1):6-10.

Les 2 groupes, patients traités et non traités, ont été réévalués en fin d’étude. Dans le groupe traité initialement, le critère IRM était un facteur pronostique de majoration du score du handicap à 15 ans : l’odds-ratio de majoration du handicap était de 8,96 pour le critère Gd+, de 2,89 pour le critère nouvelle lésion, et de 4,44 pour le critère clinique. Ces paramètres d’analyse n’étaient en revanche pas discriminatifs dans le groupe placebo.

En 2009, J. Rio et al. (5) ont défini des critères composites de patients répondeurs et non répondeurs, avec l’élaboration d’un score (survenue de poussées, majoration du score EDSS et modifications de l’IRM) chez des patients traités par interféron, évalués à l’issue de 12 mois de traitement, puis réévalués 3 ans plus tard. Les modifications IRM survenues pendant la première année n’étaient prédictives de la majoration du score EDSS à 3 ans que si elles étaient associées à une évolution clinique. Des résultats identiques ont été retrouvés par la même équipe chez des patients traités par acétate de glatiramère (6). D. Bates et al. (7) ont retrouvé les mêmes résultats chez des patients traités par natalizumab.

Ces études soulèvent la question de la pertinence des critères d’indication des traitements de deuxième ligne. En effet, en suivant l’autorisation de mise sur le marché (AMM), l’indication d’une deuxième ligne chez des patients traités par interféron ou acétate de glatiramère repose sur la durée du traitement (1 an), une évolution clinique (pas de modification du taux annuel de poussées ou persistance de poussées sévères), ou une évolution clinique et IRM (1 poussée et l’apparition d’une lésion rehaussée par le gadolinium ou au moins 9 lésions à l’IRM). Néanmoins, certaines AMM évoluent aujourd’hui, avec une modification des résumés des caractéristiques du produit (RCP) et l’indication de certains traitements en deuxième ligne : fingolimod (échappement sous traitement bien conduit), alemtuzumab (activité clinique ou neuroradiologique de la maladie). Actuellement, une étude de phase III (avec l’ocrélizumab) est en cours d’élaboration, dont le critère d’inclusion des patients devrait être la présence d’une évolution clinique ou IRM.

Que penser de tout cela ? Il manque certaines données pour proposer systématiquement une intensification du traitement en cas de modifications asymptomatiques visibles à l’IRM au bout de 1 an sous traitement de première ligne. La valeur prédictive au long cours de ces modifications à 1 an, le choix et la sécurité des traitements de deuxième ligne, le choix des traitements en cas d’échec en deuxième ligne ne sont pas clairement définis.

Quelle est la place de certaines modifications observées en IRM : augmentation de la taille de lésions préexistantes, apparition de black holes ? Quelle est la place de l’IRM médullaire dans le suivi des patients traités ? Aucune étude à ce jour n’a déterminé sa valeur prédictive. L’apparition de symptômes non moteurs, majoration des troubles cognitifs ou de la fatigue, n’est pas retenue comme critère d’évolution clinique.

On peut cependant proposer un algorithme chez des patients traités par immunomodulateurs : évaluation clinique à 1 an − incluant le score EDSS, la vitesse de marche, le test des 9 trous, l’évaluation cognitive − et IRM cérébrale, échappement clinique avec ou sans modifications visibles à l’IRM (passage en deuxième ligne)

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et modifications IRM sans traduction clinique (nouvelle lésion ou prise de gadolinium, contrôle IRM à 18 mois et proposition d’une deuxième ligne si persistance d’une évolution IRM ; 2 nouvelles lésions ou 2 lésions rehaussées par le gadolinium, proposition d’une deuxième ligne).

Pour les patients en deuxième ligne, nous proposons de réaliser une IRM cérébrale de suivi à 6 mois, puis à 1 an. La stratégie de troisième ligne en cas d’échappement IRM sans traduction clinique n’est pas, à ce jour, clairement définie. L’alemtuzumab a l’indication européenne chez ces sujets. L’arrivée de nouvelles molécules, notamment l’ocrélizumab, permettra à terme de pouvoir recommander une attitude thérapeutique dans de telles situations.

Une situation particulière reste celle des patients sous natalizumab. Autant la décision du maintien ou non du natalizumab après 24 mois d’exposition est difficile, autant le suivi en IRM des patients traités et JC+ avec un index supérieur à 1,5 est homogène : IRM cérébrale incluant des séquences de diffusion tous les 6 mois jusqu’au dix-huitième mois, puis tous les 3 mois si le traitement est maintenu. Le  positionnement de l’écho de gradient et du SWI (Susceptibility Weighted Imaging) est cependant posé pour améliorer la détection : nous avons rapporté en 2015 une série de leucoencéphalo pathies multifocales progressives (LEMP) associées à un hyposignal sous-cortical en écho de gradient et SWI, en regard du front de démyélinisation (8), aspect confirmé par l’équipe de Lille.

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Copenhague, 28-31 mai 2016

Directeur de la publication : Claudie Damour-Terrasson - Rédacteur en chef : Pr Thibault Moreau (Dijon)Attention, ceci est un compte-rendu de congrès et/ou un recueil de résumés de communications de congrès dont l’objectif est de fournir des informations sur l’état actuel de la recherche ; ainsi, les données présentées sont susceptibles de ne pas être validées par les autorités de santé françaises et ne doivent donc pas être mises en pratique. Le contenu est sous la seule responsabilité du coordonnateur, des auteurs et du directeur de la publication qui sont garants de son objectivité.Ce fl ash-infos est édité par Edimark SAS, 2, rue Sainte-Marie - 92418 Courbevoie Cedex - Tél. : 01 46 67 63 00 - Fax : 01 46 67 63 10

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0082_LNE 82 21/04/2016 16:58:52