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Jean-Pierre
Ronfard
Le Bazar amoureux
COLL
ECTIO
NLIBERTÉGRANDE
BORÉAL
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Les Éditions du Boréal4447, rue Saint-Denis
Montréal (Québec) h2j 2l2www.editionsboreal.qc.ca
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Le Bazar amoureux
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du même auteur
Vie et mort du roi boiteux, Leméac, 1981.
La Mandragore, Leméac, 1982.
Don Quichotte, Leméac, 1985.
Les mille et une nuits, Leméac, 1985.
Le Titanic, Leméac, 1986.
Entretiens avec Jean-Pierre Ronfard (avec Robert Lévesque), Liber, 1993.
Cinq études, Leméac, 1994.
Le Nouveau Théâtre expérimental NTE (avec Claudine Raymond), Nouveau Théâtre expérimental, 1997.
Transit section no 20, suivi de Hitler (avec Alexis Martin), Boréal, 2002.
Écritures pour le théâtre, Dramaturges Éditeurs, 3 tomes, 2002 et 2003.
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COLL
ECTIO
NLIBERTÉGRANDE
Jean-Pierre Ronfard
Le Bazar amoureux
Boréal
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© Les Éditions du Boréal 2016Dépôt légal: 3e trimestre 2016Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Diffusion au Canada: DimediaDiffusion et distribution en Europe: Volumen
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et de Bibliothèque et Archives Canada
Ronfard, Jean-Pierre, 1929-2003
Le bazar amoureux
(Liberté grande)
isbn 978-2-7646-2457-9
I. Titre. II. Collection: Collection Liberté grande.
ps8585.o5b39 2016 c843’.54 c2016-940847-7
ps9585.o5b39 2016
isbn papier 978-2-7646-2457-9
isbn pdf 978-2-7646-3457-8
isbn epub 978-2-7646-4457-7
La collection «Liberté grande» est dirigée par Robert Lévesque.
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Je rêve de femmes nues, toutes blanches, les yeux dilatés par l’incompréhension, sur le quai d’une gare ferroviaire de l’ancien temps…
jean-pierre ronfard
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PRÉSENTATION
Il arrivait à Jean-Pierre Ronfard d’écrire de courts textes de fiction, la nuit, dans sa garçonnière de la rue Wolfe. «Face à la brasserie Molson», comme il
le mentionne au début d’un texte sans titre, mais qu’il indique avoir entrepris à minuit cinq le 8 novem-bre 1996: «Et il y avait en elle – brûlant et corrosif – ce sentiment […].»
Homme de vaste culture et de grand plaisir, libre penseur, Jean-Pierre Ronfard était à la fois un fami-lier des grands textes du répertoire antique et moderne et l’adepte hardi du théâtre le plus expéri-mental. Cet homme n’était pas du genre à dormir longtemps, car il aimait la féconde longueur des nuits (comme un frère de Schéhérazade) autant que la fructueuse clarté du matin (dès potron-minet, il lui arriva, avec ses camarades d’Espace libre, de servir aux matineux des textes du marquis, Matines: Sade au petit déjeuner); ses journées en salle de répétition terminées et les soirs de représentation assurés, le vieil ouvrage bien abattu – qu’il avait choisi à quinze ans, à Douai, avec Les Compagnons de la joie –, il aimait avoir ses heures à lui, devant lui, il s’assoyait à sa longue table de bois sur laquelle des objets lui par-laient, des textes l’observaient, des livres l’atten-
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daient, jonchés entre tasses de café et fillettes éclusées (je l’entends encore m’expliquer exquisément l’un des sens du mot fillette, évoquant les demi-litres de vin blanc pétillant qu’il avait tant bu dans sa jeunesse).
En 1993, lors de nos conversations matinales sur sa vie, son parcours, ses choix (Entretiens avec Jean-Pierre Ronfard, Liber, collection «De vive voix»), nous étions assis en vis-à-vis (en tête-à-tête) à cette table sur laquelle il avait dessiné tant d’esquisses, de dispositifs de scènes, et autour de laquelle il avait imaginé et discuté tant de projets avec sa troupe informelle, sa tribu égalitariste, et lancé des aventures ambitieuses et ludiques comme celle, démesurée, de Vie et mort du roi boiteux. Cette table, il l’avait fait transporter à l’Espace libre dans les années 1990 pour y jouer, comme s’il était rue Wolfe, le dialogue amical et corrosif de Tête à tête avec Robert Gravel, ce comédien qui fut son dissemblable et inséparable complice des décennies durant; «des pédés, ces deux-là», m’avait dit un jour l’abrupte moqueuse Marie Cardinal, sa femme, la femme de sa jeunesse, la grande camarade de sa vie, la mère de ses enfants, celle qu’il appelait Moussia et qui est disparue avant lui, devant lui.
Nuitard casanier, lorsqu’il était sans compagnie ni compagne, les camarades laissés au coin d’une rue ou repartis, enfin seul, l’homme de théâtre trouvait dans cette longue table un secrétaire secret, un burlin-gue intime, sa table d’ivoire, et jetait sur des feuilles de papier de toutes sortes (carnets noirs, feuilles volantes, versos de communiqués, blocs-notes, cahiers Claire-
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fontaine quadrillés, lignés ou unis) de petites his- toires roublardes à garder par-devers lui, des proses crues, on va dire ses brèves de nuit, de brefs portraits de couples, des historiettes brutales et drôles, lestes et libertines, cyniques, légères, hardies, véristes, ses variations pour stylo, autant de morceaux astu-cieusement tournés par cet agrégé de grammaire et de philologie qu’il était indécrottablement demeuré.
Il y avait en lui à la fois Ulysse, Callimaco, Fal-staff, Lear, Don Juan, Valmont, Dolmancé, Tête d’or, Till, Béranger, mais, dans sa solitude privilé- giée, il devenait alors – en lieu et place de l’homme-comédien Ronfard revenu de ses fréquentations avec Euripide, Machiavel, Shakespeare, Molière, Laclos, Sade, Claudel, Ibsen, Ionesco, ses maîtres anciens – l’espiègle Jean-Pierre, un galopin qui se permettait d’écrire la nuit, au fil de la plume, des textes comiques, concis, denses, des ébauches de romans ou des esquisses de débauches, presque toujours des histoires de couples, aléatoires et incertaines, des récits d’aven-tures singulières et communes, intrigues sexuelles parfois inachevées, parfois endiablées, des cavatines donjuanesques sans développement…, j’ai envie de dire des pépites de célibat si tant est que l’on puisse décrire en célibataire (mais tels Duchamp et Beckett, dans le genre fondamental) cet époux, ce père, ce saltimbanque, ce directeur de troupe, ce philanthrope du pauvre, ce contrebandier du cœur, ce prosateur nocturne.
Alice et Bénédicte Ronfard m’ont appris l’exis-tence de tels inédits courtois et coquins, et purement
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fictifs; quoique… Elles m’ont incité à ouvrir ces boîtes, nombreuses, qu’après la mort de leur père elles déposèrent aux Archives nationales du Québec, ave-nue Viger (à deux pas de l’appartement qu’habitait Marie Cardinal, et à trois rues du sien). Il y avait là un apanage contenant tout son barda textuel: curri-culum vitæ (il était né à l’hiver 1929 à Thivencelle, une commune du nord de la France), divers papiers administratifs, vieux passeports, agendas, notes de mises en scène, correspondance, réflexions, rapports appréciatifs de réunions, commentaires politiques, manuscrits de théâtre, listes de toutes sortes, idées de spectacles, chansons et rimes, poèmes de jeunesse (il fut un verlainien appliqué à quatorze ans), adresses de potes et de belles, critiques de films ou de pièces.
Jean-Pierre, cet apparent éparpillé, gardait tout et en effet, dans le lot, il y avait ce piquant butin fictif, ces textes, écrits la nuit, que vous allez lire. Sur le site de la BAnQ, on les désignait comme «un grand nombre de textes inédits», tous sans rapport direct avec la carrière professionnelle de l’homme de théâtre. Ils allaient nous révéler, à ses filles et à moi, une part littéraire secrète, fragmentaire et fascinante d’un homme qui était – on le voit bien – un écrivain à part entière, particulièrement sensible au caractère fur- tif et insaisissable de la vie amoureuse, la purement sensuelle et la franchement sexuelle, un impertur-bable observateur du pérenne trafic séducteur entre les hommes et les femmes, ces humains qui sont si différents, si dissemblables et si pareillement impli-qués dans la recherche du plaisir et la crainte de la
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solitude, dans l’attrait ou la peur de la mort, ancrés dans l’espérance ou la désespérance, filant leur vie dans la constance même de la vie et dans la doulou-reuse conscience muette de la fin.
Jean-Pierre Ronfard l’homme de théâtre, le pro-fesseur, le libertaire agrégé et le maître en liberté, le fin lecteur des Anciens et des Modernes, l’accoucheur scénique des œuvres de Gauvreau et de Ducharme, était au surplus ce prosateur épicurien, satiriste et nocturne, bref, un magnifique écrivain et, disons-le, un polisson de la fiction, comme Brassens était celui de la chanson… Vous pouvez vous en rendre compte et vous en délecter.
Robert Lévesque
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J’AURAIS ENVIE…
J’aurais envie de dédier ces histoires à tous les gens qui vont mourir, qui meurent, qui sont déjà morts avec au fond d’eux-mêmes un désir
inassouvi, un penchant refusé qui les a obligés à marcher à reculons, les éternels promeneurs des jetées ou des quais de gare qui ne prennent jamais leur élan, ne sautent jamais dans l’embarcation, les éternels Roland qui n’ont jamais trouvé leur Ron-cevaux, les Bovary sans amant ou les Jeanne d’Arc restées à Domrémy à faire chanter aux enfants du catéchisme: «Plus près de toi mon Dieu»…
À mon oncle Léon qui n’était guère plus vieux que moi et qui est mort d’une mauvaise grenade à la fin de la guerre d’Algérie. Un brave type comme on dit mais con comme ce n’est pas permis.
Au docteur Lapointe, le cardiovasculaire de l’hôpital Saint-Luc. Beau parleur, play-boy, sym-pathique et flou. Celui qui m’a raté le pontage de ma fémorale gauche. Six mois de cela, elle suppure encore de temps en temps. Mais je lui pardonne à cause de son indolence, sa lâcheté, son charme au milieu de tous ces gens en blanc qui se piquent d’ef-ficacité, se proclament roboratifs.
Et puisqu’on est sur le terrain des hôpitaux, à
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Anne-Marie la raseuse. J’ai souvent pensé à elle, rêvé à ce que doit être sa vision de l’humanité, toute cette masse de corps poilus qu’elle a pour charge de rendre glabres.
À Marceline qui m’a dit: «Soigne-toi bien. On ne veut pas que tu meures. On t’aime.» Et je me suis demandé si dans la vie éphémère des humains, le défi à la mort n’était pas l’enjeu final de l’amour. Tu ne dois pas mourir puisque je t’aime. Tu ne mourras pas parce que je t’aime. Si tu m’aimes, je ne mourrai jamais.
Tout cela est le langage des chansons popu-laires et la fausse conscience (ou non, plus exacte-ment la conscience faussée) des midinettes. Est-ce fina lement correct de continuer à propager l’illu- sion? Comme vient de me dire mon frère Claude, «quand on aime on arrive à tout…» Pourquoi dit-on cela? Pour se leurrer? Par ironie? Dérision?
À (peut-on dédier quoi que ce soit à des morts?) deux personnages de la mythologie occi-dentale. J’ai aimé l’un, détesté l’autre: le vieux beau combinard, syphilitique et podagre racontant ses conquêtes datées (d’un autre âge); le jeune étalon méprisant le temps, ne disant rien de ce qu’il a fait, brouillon et bouillonnant, maladroit par passion, efficace par désir, mort dans la vingtaine: Casa-nova et Don Juan.
Ils n’ont peut-être rien à voir dans les récits qu’en définitive il faudra bien que je raconte, mais qui sait? J’ai toujours cru que l’une des charges de chaque génération qui pousse un peu plus loin
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(un peu plus en avant sur la fiche du temps) l’aven-ture de l’humanité était de transmettre à d’autres les images mythologiques qui l’avaient nourrie. J’ai toujours cru devoir faire en sorte que ceux qui me succéderont connaissent Achille, Iphi - génie, Don Quichotte, le Christ, Médée, Antigone, Jean Valjean, Fantômas, Gordon Craig, Apolli- naire, madame Bovary… Don Juan et Casanova font partie de la horde. Voulant parler de l’amour, je leur dois ce salut préliminaire.
On ne peut pas parler de la mort autrement que par imagination. Les Lazare ne courent pas les rues et s’ils les couraient, il n’est pas sûr qu’ils portent témoignage de la situation exceptionnelle qu’ils auraient connue. Il y a d’ailleurs contradiction pro-fonde: quelqu’un qui aurait été mort et qui en par-lerait prouverait par là même qu’il n’était pas mort au moment où il croyait l’être, donc son témoi-gnage serait nul.
Je pense de la même manière que notre souve-nir (conscience) de la vie utérine du fœtus – quoique beaucoup plus préhensible, réelle, ne pourra jamais, malgré tous les efforts, et même les techniques d’anamnèse, échapper à l’influence du fictif.
Ce sera mon langage. Mais je sais. Je sais beau-coup de choses sur eux. Je les ai si bien connus sans que personne en sût rien. Je ne les dirai (n’en par-lerai) de vive voix à personne. Par l’intermédiaire d’un livre, oui. Un livre, un livre nommé roman, portant donc la couverture du mensonge, permet de dire la vérité.
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ADRIANA ET PAUL
Je raconte donc l’histoire de Paul et Adriana telle que je l’ai vécue. Je change seulement leurs noms. Déjà le roman est commencé.J’ai bien connu Adriana et Paul. À un moment
donné, ils ont habité chez moi. Ils m’en avaient chassé. Leurs amours bruyantes avaient besoin d’un lieu insonore et aveugle – je le leur ai fourni. Ils ont fui. Douze ans déjà. Tout le monde les croit morts. Je sais qu’ils ne le sont pas. Je ne les trahirai jamais.
Personne ne m’a encore interrogé à leur sujet. Si cela arrivait, je ne serais pas pris à l’improviste. J’ai préparé ma gueule et mon discours. Je menti-rais sans difficulté.
Adriana Van Cleef? Oui, je la connais. Une très belle femme. Je l’ai rencontrée il y a une quinzaine d’années au Centre américain de Bogotá. Puis par hasard en 1983 à Cartagena. Elle y passait ses vacances, je crois… Ensuite… Oui… J’ai appris ça… Cela m’a fait beaucoup de peine… La beauté devrait être éternelle.
Paul Galey? Non. Je ne sais pas. Un très vague souvenir… De toute façon, un type assez insigni-fiant. Peut-être… Non, pas moi. Aucune idée.
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Paul est maintenant lié à Charlotte, veuve, deux enfants. Une vieille histoire (vieille?). Six ans. Paul a quarante ans?
Charlotte vient de se marier à Edgar. Elle s’est aperçue très vite qu’elle s’était trompée. Edgar? Mais n’est-il pas de sexualité douteuse? Charlotte a vingt-huit ans. Comment vont-ils vivre leur amour? Caché – pour des raisons x ou y… l’exci-tation de la cachette, l’horreur de l’exhibition-nisme… Jusqu’à la fuite: le pseudo-accident – les complications – la difficulté de disparaître…
Mais finalement ça marche, après beaucoup d’histoires d’accidents, même de morts, de sui-cides, de folies.
On n’a jamais retrouvé leurs corps, mais eux ne s’en sont pas privés.
Et Charlotte – si étrange que ce soit – va tomber enceinte d’Edgar, un soir de pleine lune, l’alcool, l’oubli, l’imagination. Bref, la cloque!
Finalement il faut remercier toute la vie, les gens de la vie, grâce à qui on peut raconter des his-toires.
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BONHEUR EN DOUCE
Il y avait cette lettre qu’il venait de recevoir, et qui le bouleversait. Une lettre simple, douce et brûlante.
Pour le remercier de la nuit qu’elle avait passée avec lui.
Il pensa: le remercier, lui, d’avoir passé avec elle quelques heures molles, un peu sans but, dénuées de passion; bien, sans plus.
Une rencontre, un soir, dans un bar. Banal.Un homme et une femme qui bavardent aima-
blement.Il lui dit: tu, elle répond: vous.Et puis vers une heure du matin, sans attendre
que l’alcool et la mauvaise mélancolie viennent tout embrumer… Il commence à mettre son man-teau et, sans savoir exactement pourquoi, sans grand désir et encore moins de besoin, il dit: Veux-tu finir la nuit avec moi? – Vous m’invitez? – J’ai-merais ça – Je viens.
C’est inutile de décrire le reste, sauf peut-être un étrange sentiment d’absence. Pas son absence à lui. Absence de ce qui souvent chez lui, en présence de femmes, le falsifiait: le goût de séduire, d’éblouir, de se faire prendre en considération, au
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fond de pontifier; ou, au contraire, un penchant à choquer, à manier une certaine grossièreté sous couvert d’être authentique; ou encore un désir for-cené de jouir – peur de ne pas jouir? – comme cela lui était arrivé récemment avec Nicole la nuit où ils s’étaient saoulé la gueule ensemble et qu’elle avait dégobillé dans les toilettes.
L’absence de ces démons familiers, qu’il constatait, ouvrait le champ à d’autres envies immédiates, une autre envie incontestable: celle d’émouvoir ce beau grand corps qui était dans son lit, de jouer avec ses seins, sa peau de rousse mar-quée de taches, ses membres qui s’ajustaient facile-ment aux siens, les uns les autres s’emboîtant et se désemboîtant en constructions (en figures) qu’ils expérimentaient pour le plaisir, comme on fait et défait les agencements d’un cube de Rubik, son sexe calme qu’il caressait du bout des doigts et qu’il léchait attentivement, cherchant un point un peu plus compact au milieu des plis de douceur rose, ne le trouvant pas et, de son ignorance, au milieu des lèvres, se sentant sourire.
Une nuit douce, sans gravité, qui faisait croire ou du moins espérer qu’entre les hommes – ces gens qui peuplent un temps et un espace (je n’aime pas le terme: êtres humains) – d’autres accords se trouvent que ceux qui règlent les conflits, les par-tages de pouvoir, l’ambition, le calcul, la peur, la honte de soi, le refus du vieillissement et la mort.
Et au matin, un contentement assez humble mais plein. Pas celui – entaché de gloire – d’avoir
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vécu une grande chose et d’y avoir décroché conquêtes, médailles, blessures et triomphes, mais seulement l’image heureuse, déjà le souvenir d’un temps occupé et distribué avec justesse, d’un lieu – chambre et lit – jouant exactement son rôle de cabane, de nid, pour se blottir, avoir chaud, chu-choter, rire et s’étreindre.
Il avait joui de cette nuit et de ce réveil. Ils lui confirmaient sa capacité – dont il doutait parfois, dont il avait souvent douté – d’être heureux en douce, ni dans la grisaille, ni dans la tempête, isolé, jaloux même de sa solitude qu’il tenait pour une sauvegarde et une ascèse, mais lié aussi, de plus en plus profondément, au noyau dur de sa vie, lié à ceux – femme, enfants, amis, camarades de travail, disciples, connaissances, rencontres – dont l’amour (de lui envers eux, d’eux envers lui) lui paraissait indubitable.
Mais ce qui le bouleversait dans cette lettre était le «merci» alors qu’il avait l’impression de n’avoir rien donné, absolument rien. Il s’était contenté égoïstement «d’être avec», durant quelques heures. Il n’avait même pas eu besoin de récupérer ses billes car il n’en avait lâché aucune. Il avait fait acte de présence. Et pour cette simple présence, que sa simplicité à elle (sa timidité, écrivait-elle) lui avait sans doute dictée, il recevait, comme cadeau immérité, cette lettre touchante, un merci tout chaud, sans apprêt.
Et les derniers mots le troublaient encore plus. «Que Dieu vous garde.» D’où venait ce Dieu? De
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quel Dieu s’agissait-il? Pour une femme comme elle – il savait qu’elle avait un fils, des amants, des problèmes, une profession. Pour un homme comme lui – son âge, sa vie, ses pensées. L’irruption de Dieu, d’un dieu à la fin de la lettre! Un protec-teur, un gardien! De quoi? À moins que, malgré son cynisme – disons, sans aller si loin, son senti-ment du dérisoire des actions humaines –, il trans-portât à son insu, sans le vouloir, comme tout humain nu, dépouillé des masques et des codes, livré au pur instant, une image du sacré à laquelle s’accole et que recouvre le nom de Dieu.
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TABLE DES MATIÈRES
PRÉSENTATION 9
J’AURAIS ENVIE… 15
ADRIANA ET PAUL 18
BONHEUR EN DOUCE 20
ALLO… MAMAN ! 24
ALINE 27
ET IL Y AVAIT EN ELLE… 31
PAPIER FROISSÉ 34
LE SANGLIER 36
LUCE ET FRANÇOIS 41
LA FENÊTRE 44
LE CRI 49
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158
GEORGES ET ALINE 52
EMPOISONNER LA VIE 54
DOLORÈS 55
JE SUIS NÉ FEMME 58
JUAN MOLINA 60
IDÉE D’UN ROMAN EN LETTRES 63
SCÈNE DE MÉNAGE 65
DIANA ET MOI 67
L’HOMME PRESSÉ 69
LOUISE AFFIRME 74
ÉDOUARD LEPRINCE 78
LA GRANDE DORMEUSE 79
DERRIÈRE LA PORTE 82
LA DENTISTE DE DRAGUIGNAN 83
PARLER 84
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PASCALE 85
PHILIPPE ET JULIETTE 87
EMILIA 92
JE TE RÉVEILLE ? 95
MURIELLE FAIT SES COMPTES 98
L’EUPHORIE DES VEUVES 101
JEAN ROUSSEAU 105
ELLE ADORAIT LES CADAVRES 108
IL EST ÉNERVÉ 111
J’AIME LE SEXE 113
QUAND JE SORS… 117
DIS DONC 119
SUPPLÉMENT AUX VOYAGES DE RICHARD Ier DANS LES ÎLES DE PAPOUASIE 121
LA NUIT 126
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160
UTELIJIN ET LOUPIA 129
LOUIS LÉVEILLÉ 134
L’HOMME QUI A VÉCU 136
FUNÉRAILLES 138
LES JOURS ZOU 146
SAGESSE 147
ME FONT CHIER ! 148
BIOGRAPHIE 150
SORTANT DE CE BOURBIER 151
L’OMBRE 152
ÉPILOGUE 155
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crédits et remerciements
Les Éditions du Boréal remercient le Conseil des arts du Canada pour son soutien financier ainsi que le Fonds du livre du Canada (FLC).
Les Éditions du Boréal sont inscrites au Programme d’aide aux entreprises du livre et de l’édition spécialisée de la SODEC et bénéficient du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du gouvernement du Québec.
-
Mark Abley Parlez-vous boro?
Robert C. Allen Brève histoire de l’économie mondiale
Bernard Arcand Abolissons l’hiver! Le Jaguar et le Tamanoir
Margaret Atwood Cibles mouvantes Comptes et Légendes
Denise Baillargeon Naître, vivre, grandir. Sainte-Justine, 1907-2007
Frédéric Bastien La Bataille de Londres
Jacques Beauchemin La Souveraineté en héritage
Éric Bédard Années de ferveur 1987-1995Les Réformistes Recours aux sources
Carl Bergeron Un cynique chez les lyriques
Michel Biron La Conscience du désert
Michel Biron, François Dumont et Élizabeth Nardout-Lafarge Histoire de la littérature québécoise
Marie-Claire Blais Passages américains
Jérôme Blanchet-Gravel Le Retour du bon sauvage
Mathieu Bock-Côté La Dénationalisation tranquille Fin de cycle
Gérard Bouchard L’Interculturalisme Raison et déraison du mythe
Gérard Bouchard et Alain Roy La culture québécoise est-elle en crise?
Serge Bouchard L’homme descend de l’ourse Le Moineau domestique Récits de Mathieu Mestokosho, chasseur innu
Joseph Boyden Louis Riel et Gabriel Dumont
Georges Campeau De l’assurance-chômage à l’assurance-emploi
Claude Castonguay Mémoires d’un révolutionnaire tranquille Santé, l’heure des choix
Bernard Chapais Liens de sang
Luc Chartrand, Raymond Duchesne et Yves Gingras Histoire des sciences au Québec
Jean-François Chassay La Littérature à l’éprouvette
Julie Châteauvert et Francis Dupuis-Déri Identités mosaïques
extrait du catalogue
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Marc Chevrier La République québécoise
Jean Chrétien Passion politique
Adrienne Clarkson Norman Bethune
Marie-Aimée Cliche Fous, ivres ou méchants? Maltraiter ou punir?
Collectif La Révolution tranquille en héritage
Douglas Coupland Marshall McLuhan
Gil Courtemanche Le Camp des justes La Seconde Révolution tranquille Nouvelles Douces Colères
Tara Cullis et David Suzuki La Déclaration d’interdépendance
Michèle Dagenais Montréal et l’eau
Isabelle Daunais Le Roman sans aventure
Isabelle Daunais et François Ricard La Pratique du roman
Louise Dechêne Habitants et Marchands de Montréal au xviie siècleLe Partage des subsistances au Canada sous le Régime français Le Peuple, l’État et la guerre au Canada sous le Régime français
Benoît Dubreuil et Guillaume Marois Le Remède imaginaire
Renée Dupuis Quel Canada pour les Autochtones? Tribus, Peuples et Nations
André Habib La Main gauche de Jean-Pierre Léaud
David Hackett Fischer Le Rêve de Champlain
Dominique Forget Perdre le Nord?
Graham Fraser Vous m’intéressez Sorry, I don’t speak French
Alain-G. Gagnon et Raffaele Iacovino De la nation à la multination
Robert Gagnon Une question d’égouts Urgel-Eugène Archambault. Une vie au service de l’instruction publique
Bertrand Gervais Un défaut de fabrication
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Benoît Grenier Brève histoire du régime seigneurial
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Tracy Kidder Soulever les montagnes
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Robert Lacroix et Louis Maheu Le CHUM: une tragédie québécoise
Céline Lafontaine Nanotechnologies et Société
Yvan Lamonde et Jonathan Livernois Papineau, erreur sur la personne
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Claude Morin Je le dis comme je le pense
Michel Morin L’Usurpation de la souveraineté autochtone
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Christian Nadeau Contre Harper Liberté, égalité, solidarité
Kent Nagano Sonnez, merveilles!
Antonio Negri et Michael Hardt Multitude
Pierre Nepveu Gaston Miron
Geneviève Nootens Julius Grey. Entretiens
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Marcelo Otero Les Fous dans la cité L’Ombre portée
Jean Paré Conversations avec McLuhan, 1960-1973
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Daniel Poliquin René Lévesque Le Roman colonial
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Jeremy Rifkin L’Âge de l’accès La Fin du travail
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Antoine Robitaille Le Nouvel Homme nouveau
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François Rocher Guy Rocher. Entretiens
Simon Roy Ma vie rouge Kubrick
Ronald Rudin L’Acadie entre le souvenir et l’oubli
Michel Sarra-Bournet Louis Bernard. Entretiens.
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Martin Winckler Dr House, l’esprit du shaman
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mise en pages et typographie: les éditions du boréal
achevé d’imprimer en août 2016 sur les presses de l’imprimerie gauvin
à gatineau (québec).
Ce livre a été imprimé sur du papier 30% de fibres recyclées postconsommation et 70% de fibres certifiées FSC,
certifié ÉcoLogo et fabriqué dans une usine fonctionnant au biogaz.
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COLL
ECTIO
NLI
BERTÉG
RANDE
Écrits la nuit, dans sa garçonnière de la rue Wolfe, ces essais de fiction que l’homme de théâtre laissa au tiroir forment un précis d’érotomanie à l’usage ou à l’usure de tous, filles et garçons, hommes et femmes, loups solitaires et rats sociables, baiseurs d’occasion et veuves euphoriques, oiseaux de nuit et matineux, amoureux fous et misanthropes, adul-tères et onanistes, hétérosexuels au long cours. Explorateurs des frontières, routards au pays du désir, ces spécimens qui descendent d’Aristophane et relèvent de Laclos, de Marivaux et de Ionesco sont autant de créa tures inquiètes traversant à cloche- pied la vie des amours ludiques et hasardeuses. Courtes scènes, brèves rencontres, fiascos, extases, confessions, aveux, ivresse, ironie, aigreur, lucidité.
Le Bazar amoureux
Jean-Pierre RONFARD
PRÉSENTATIONJ’AURAIS ENVIE…ADRIANA ET PAULBONHEUR EN DOUCETABLE DES MATIÈRES