l Egalite Introuvable

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Fait politique L’égalité introuvable Éléonore Lépinard La parité, les féministes et la République

description

L'introduction du livre l'égalité introuvable par E. Lépinard

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  • Fait politiqueFait politique

    23ISBN 978-2-7246-1013-0 - SODIS 953 583.3

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    Lgalit introuvable

    lonore Lpinard

    La par i t , les fmin istes et la Rpubl ique

    On a cru en France que lide de parit, en proposant une nouvelleconception de lgalit, permettrait den finir avec lexclusion politiquedes femmes. Dabord simple espoir de femmes politiques ou de militantesfministes, la parit est aujourdhui un remde unanimement acceptpar la classe politique pour rnover une reprsentation dmocratiqueet des institutions rpublicaines en crise. Pourtant, lgalit peine toujours se traduire dans les faits. Est-ce le signe dun manque devolont politique dans lapplication dune rforme par ailleurs bienpense, ou doit-on sinterroger sur les limites du concept de parit ?

    En analysant les termes qui ont successivement t utiliss pour dfiniret lgitimer la parit, louvrage dmontre comment cette conceptuali-sation de lgalit des sexes a abouti la subversion des objectifs radicaux des dbuts. Conjuguant la science politique, les tudes sur le genre et la sociologie du droit, lauteure analyse les facteurs qui ont transform la revendication paritaire, des tribunes internationales lespace public militant et mdiatique franais. En expliquant les raisons de lchec relatif de cette rforme, ce livre permet de comprendreles dfis poss par la parit au modle rpublicain, et par l mmedamorcer une rflexion sur ceux que soulvent les autres minorits.

    lonore Lpinard, ancienne lve de lcole normale suprieure de Cachan, estdocteure en sociologie de lcole des hautes tudes en sciences sociales deParis. Elle a enseign lUniversit Sorbonne-Ren Descartes et lUniver-sit du Qubec Montral. Ses travaux portent sur les politiques anti-discriminatoires, les mouvements fministes, la reprsentation politique et lemulticulturalisme.

    lonore LpinardLGALIT INTROUVABLELa parit, les fministes et la Rpublique

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    La parit, les fministeset la Rpublique

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  • Catalogage lectre-bibliographie (avec le concours des Services de documentation de laFNSP)Lgalit introuvable. La parit, les fministes et la Rpublique / lonore Lpinard Paris :Presses de Sciences Po, 2007.ISBN 13 / 978-2-7246-1013-0RAMEAU : Femmes en politique : France : 1990- galit des sexes : France : 1990-DEWEY : 306.3 : Sociologie de la vie politique 305.3 : Sexes Les femmes dans la socit Fminisme 323.2 : Droits civils et politiques Des autres groupes sociauxPublic concern : Public universitaire

    La loi de 1957 sur la proprit intellectuelle interdit expressment la photocopie usagecollectif sans autorisation des ayants droit (seule la photocopie usage priv du copiste estautorise).Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, du prsent ouvrage estinterdite sans autorisation de lditeur ou du Centre franais dexploitation du droit decopie (CFC, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris).

    2007, PRESSES DE LA FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES

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    ISBN - version PDF : 9782724682267

  • Table des matires

    Remerciements 7Introduction 9

    Lgalit, terrain de luttes 13

    Dynamique de lgitimation 17

    Les voies du changement 25

    Chapitre 1 /UNE GNALOGIE INTERNATIONALE 29 Un contexte international de lgitimation 30

    Du global au local : importation et traduction de la parit 53

    Chapitre 2 / LA PARIT, NOUVELLE VAGUE CONTESTE DU FMINISME FRANAIS 77

    La parit, nouvelle dfinition de lgalit des sexes 81

    Diffrence des sexes et reprsentation politique 89

    Lhritage contest et convoit du MLF 100

    Une revendication pour une alliance rformiste 110

    Chapitre 3 / LINVENTION DUNE EXCEPTION FRANAISE 129 Construire un problme public 132

    Contraintes et opportunits pour une rforme 145

    Au nom de la Rpublique. La parit sur le terrain des principes 156

    Stratgies discursives et rapports de pouvoir 179

    Chapitre 4 / LA PARIT AU PARLEMENT 185 Les voies de reprsentation parlementaires 188

    La bataille pour la formulation juridique 200

    Parit et changement social 218

    Conclusion 247

    Lgitimation et transformation sociale 248

    Politique identitaire et essentialisme 257

    Reprsentation, fminisme et dmocratie 264

    Bibliographie 271

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  • Remerciements

    Je tiens remercier les institutions dont les finance-ments ont rendu possible mon travail de recherchedoctorale puis lcriture de ce livre. Jai eu la chance debnficier dune allocation monitrice normalienne, alorsque jeffectuais ma thse au Centre dtudes des mouve-ments sociaux de lcole des hautes tudes en sciencessociales de Paris. Une bourse Fulbright dlivre par laCommission franco-amricaine ma permis de passer unan en tant que chercheuse invite lInstitute forResearch on Women de lUniversit de Rutgers (N. J.).LInstitut a constitu un cadre idal pour rdiger mathse et un formidable lieu dapprentissage et dmula-tion intellectuelle. Je souhaite particulirement remer-cier Dorothy Sue Cobble, qui en assurait alors ladirection pour son soutien et ses encouragements. Jaienfin bnfici dune bourse postdoctorale dlivre parla chaire de recherche du Canada en mondialisation,citoyennet et dmocratie dirige par Jules Duchastel lUniversit du Qubec Montral, ainsi que dunebourse Lavoisier dlivre par le ministre des Affairestrangres qui ma permis de complter ma formationpostdoctorale la chaire de recherche du Canada encitoyennet et gouvernance dirige par Jane Jenson lUniversit de Montral. Je tiens remercier lestitulaires de ces deux chaires qui mont fourni un cadreintellectuel extrmement stimulant et les moyens mat-riels de mener bien le passage de la thse au livre. Fina-lement, une bourse de la Fondation Robert-Schumanma permis de consulter les archives historiques delUnion europenne Florence.

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  • Ce livre naurait pu voir le jour sans le soutien et lagnrosit intellectuelle de Jacques Commaille, JacquelineHeinen, Jane Jenson, Rose Marie Lagrave et JanineMossuz-Lavau qui mont chacun apport une aideprcieuse des stades diffrents de cette recherche. Enoutre, jai galement bnfici des commentaires, desrflexions et des critiques de nombreux amis et collgues :Laure Bereni, Gwnale Calvs, Franoise Gaspard,Marylne Lieber, Anne Maria Holli, Amy G. Mazur, SylvainParasie, Eeva Raevaara, Anne Revillard, Daniel Sabbagh,Mariette Sineau, Yves Sintomer, Kathrin Zippel et EFIGIES.Quils en soient ici tous remercis. Merci enfin GrgoireMallard, premier relecteur et premier critique, pour sonenthousiasme intellectuel et son soutien inconditionnel.

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  • Introduction

    a campagne lectorale de 2007 aura t marque, pour la premirefois, par lapparition dune femme ayant une chance dassumer lafonction prsidentielle. Si cet vnement sanctionne logiquement

    la progressive implantation des Franaises sur le march du travail etdans lespace public1, il est aussi redevable aux dbats sur la parit,commencs une dcennie plus tt, et qui ont agit comme un formidablecatalyseur des demandes de participation politique des femmes.

    tes-vous favorable linscription dans la Constitution du principede parit entre hommes et femmes dans les assembles lues ? Cettequestion, pose par le journal Le Monde loccasion de la Journe inter-nationale des femmes du 8 mars 1997, invitait les parlementaires prendre position sur une rforme qui agitait la scne mdiatique depuisquelque temps dj : la parit politique entre les hommes et les femmes.Elle suscitait lpoque une rponse sans appel, 75 % des dputs sedclarant contre une telle initiative. Ceux-ci taient, dans leur crasantemajorit, opposs une loi et de faon plus tranche encore une rvi-sion de la Constitution qui seule, en raison de la jurisprudence du Conseilconstitutionnel de 1982, permettait de lgaliser des quotas par sexe dansla reprsentation politique2.

    Pourtant, le 8 juillet 1999, la loi constitutionnelle ajoutant larticle 3 de la Constitution la phrase la loi favorise lgal accs des

    1. Sur le lien entre la participation des femmes au march du travail et leursactivits politiques, voir Janine Mossuz-Lavau et Mariette Sineau, Enqute surles femmes et la politique en France, Paris, PUF, 1983, et Janine Mossuz-Lavau, Le vote des femmes en France (1945-1993) , Revue franaise descience politique, 43 (4), 1993, p. 673-689.2. Dcision n 82-146DC du Conseil constitutionnel quotas par sexe dclarant contraires la Constitution les quotas par sexe sur les listes decandidats aux lections municipales, la suite dun amendement dpos parAlain Richard et adopt par lAssemble nationale (un amendementrelativement similaire avait galement t dpos linitiative de Gisle Halimimais non adopt).

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    femmes et des hommes aux mandats lectoraux et fonctions lectives tait cette fois adopte une large majorit : 741 parlementaires affir-maient ainsi leur adhsion au principe de parit contre seulement42 ultimes rfractaires3. Cette rvision allait tre suivie dune loi ordi-naire adopte le 6 juin 2000, et modifiant le fonctionnement du systmelectoral de faon appliquer le principe de parit dans les candidaturespour certaines lections.

    Il est vrai que les dputs et snateurs sigeant lors de la rvision Versailles ntaient pas exactement les mmes que ceux qui avaientrpondu au sondage, puisque la gauche plurielle avait conquis la majo-rit lAssemble nationale, et que Lionel Jospin Matignon cohabitaitdsormais avec Jacques Chirac la prsidence de la Rpublique. Cepen-dant, bien que le gouvernement, sous la pression de son Premier ministresocialiste, ait uvr de faon active en faveur de la rvision, le change-ment dquilibre politique de 1997 ne saurait suffire expliquer cerenversement dopinion. En effet, les positions des dputs socialistesrvles par le journal Le Monde en 1997 montraient que ceux-ci taientcertes plus favorables aux quotas que leurs homologues de droite4, maisrestaient toutefois majoritairement dfavorables une rvision constitu-tionnelle pour les mettre en uvre. Par ailleurs, la droite, largementhostile aux quotas comme la rvision constitutionnelle, tenait encoreen 1999 un Snat qui devait finalement voter lui aussi en faveur de larvision. Les parlementaires avaient donc chang davis quant la dfi-nition de lgalit des sexes en politique quils souhaitaient promouvoir,adhrant en dfinitive massivement une nouvelle formulation baptise parit . Ils avaient galement lgitim de nouveaux moyens lgislatifspour parvenir la raliser, moyens auxquels ils sopposaient pourtantfarouchement peine deux ans plus tt.

    La parit na pas seulement interrog les parlementaires sur leur dfi-nition de lgalit des sexes, elle a aussi remis sur le mtier des fministeslobjet mme de leur lutte : pour quelle galit des sexes voulaient-elleslutter ? Devait-elle sappeler parit, et quels taient les moyens appro-pris pour la raliser ? Aprs les annes 1980 scandes par des avances

    3. Loi constitutionnelle n 99-569 du 8 juillet 1999.4. Lors de ce sondage, 86 % des dputs socialistes se dclarent en faveur desquotas, contre 25 % des dputs du parti communiste et 30 % des dputsRPR.

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  • Introduction11

    lgales en la matire, allant de la loi de 1980 sur la criminalisation duviol la loi de 1991 contre le harclement sexuel sur le lieu de travail,en passant par la loi Roudy de 1983 sur lgalit professionnelle, ladcennie suivante avait t marque par un reflux des succs du rfor-misme et du fminisme dtat instaur vritablement en Francedepuis 1981. Peu de gains avaient t concds par les tenants dupouvoir politique, et les mouvements fministes semblaient singulire-ment absents de la scne publique. Pourtant, de faon presque souter-raine, la rforme paritaire tait en train de se frayer un chemin jusquedans larne parlementaire, et le travail patiemment labor au cours desannes 1990 allait porter ses fruits et aboutir une loi lectorale contrai-gnant ou incitant, selon les chelons politiques, une galit numriqueentre hommes et femmes dans les candidatures aux lections politiques.

    Pour autant, la parit tait, et est toujours, loin de faire lunanimit ausein des diffrentes fractions du mouvement fministe. Au contraire, ellea t lobjet de vifs dbats et doppositions catgoriques rappelant lesluttes qui avaient caractris le Mouvement de libration des femmes(MLF). Les fministes se sont opposes non seulement sur les moyens deparvenir lgalit des sexes, mais aussi sur lobjectif quil sagissait delui assigner. La dfinition de lgalit des sexes contenue dans le termede parit na pas russi raliser chez les fministes le consensus quellea finalement impos aux parlementaires. Cet cart entre la contestationde la rforme chez les militantes des droits des femmes et son acceptationmassive par les reprsentants de la politique institutionnelle invite sinterroger sur la notion mme dgalit des sexes, sur la pluralit de sesdfinitions, et sur les conflits smantiques et politiques suscits par sesusages.

    En effet, si les conflits sur le sens des mots sont bien des conflits surles objectifs politiques dsirs et nomms travers eux5, le cas de laparit rvle de faon emblmatique que derrire lunit de lexpression galit des sexes se disent des utopies sociales et politiques, desconceptions du genre et des reprsentations des rles sexus trs diff-rentes. De ce point de vue, la rforme paritaire sinscrit de plain-pieddans lhistoire longue des mouvements fministes franais pour lesquels

    5. Carol Lee Bacchi, The Politics of Affirmative Action. Women , Equalityand Category Politics, Londres, Sage, 1996, p. 1.

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    lgalit des sexes se prsente la fois comme le principe sans cesse rac-tiv dune revendication de justice sociale capable de fdrer des femmeset des hommes derrire un mot, une utopie, et, dans le mme temps,comme lobjet central de leurs controverses. Tout la fois videnceincontestable et ralit insaisissable, la notion dgalit a donc t nouveau le terrain de luttes au sein des mouvements fministes, maisaussi le lieu partir duquel noncer une nouvelle revendication et unenouvelle utopie politique grce un nouveau mot : parit.

    Toutefois, malgr un succs politique important une rvisionconstitutionnelle la rforme paritaire na pas permis de raliser lgalittant rclame. Alors que lunanimit finale des parlementaires en phaseavec le gouvernement et le prsident de la Rpublique a donn larforme un caractre hautement symbolique ; alors que les ministres,hommes et femmes, se sont relays devant lAssemble nationale et leSnat pour dfendre avec force limportance politique et historique decette innovation politique ; alors que les mdias ont dcouvert pendantces dbats que labsence des femmes des assembles reprsentativesconstituait un dficit dmocratique et illustrait peut-tre une crise desinstitutions rpublicaines, les premires lections lgislatives pourlesquelles la parit est entre en vigueur, en juin 2002, nont vu que huitfemmes de plus siger au Palais-Bourbon, leur proportion passantde 10,9 12,3 %.

    Cet cart entre le caractre minemment symbolique donn la paritet une application dcevante6 invite sinterroger sur la formulation dela rvision constitutionnelle et de la loi lectorale : ny a-t-il pas, dans lafaon mme dont la parit a t dfinie, quelque chose qui empche saralisation ? La parit constitue une nouvelle stratgie pour demanderlinclusion des femmes dans la sphre politique qui sappuie sur unconcept original, savoir sur lide que lgalit des sexes et linclusiondes femmes dans la reprsentation dmocratique ne sont pleinementaccomplies que sil y a coprsence galit numrique des deux sexes

    6. La ralisation de la parit dans les instances lues, dpendante du degr decoercition dfini par la loi, est trs variable : dans les villes de 3 500 habitantset plus, la proportion de femmes lues est passe de 26,1 % en 1995 47,5 %en 2001, alors que le dernier renouvellement du Snat en 2004 a seulementfait progresser la proportion de femmes de 10,9 % 16,9 %, voir lechapitre 4 pour un bilan de la parit selon les scrutins lectoraux.

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  • Introduction13

    dans les assembles lues. Cependant, en dpit des avances ralises, lesrhtoriques et les normes mobilises pour la lgitimer nont-elles pasparticip forclore des changements possibles en matire dgalit dessexes ? Cest le paradoxe de cette galit qui demeure introuvable et ce,malgr une rforme majeure du systme lectoral franais, que ce livrese propose danalyser. Pour ce faire, il retrace la gense de cette nouvelleformulation de lgalit des sexes, et analyse ses effets discursifs et poli-tiques aussi bien sur les mouvements sociaux qui lont porte que sur lesinstitutions politiques franaises et mme plus largement sur le modlerpublicain contemporain7. Plutt que de faire un bilan quantitatif de larforme, dvaluer son impact ou son efficacit8, son succs ou son checen mesurant lcart entre les engagements symboliques de ltat enfaveur de lgalit et la ralisation concrte de celle-ci, il sagit ici dequestionner les normes juridiques et politiques partir desquelles unetelle revendication a pu tre labore.

    Lgalit, terrain de luttes

    Quest-ce que lgalit des sexes ? Comment peut-on la dfinir ?Comment peut-on la traduire juridiquement ? Comment, enfin, peut-onsassurer de sa ralisation ? Ces questions ont constitu le point focal de

    7. Le modle rpublicain est, pour reprendre les termes de Serge Berstein etOdile Rudelle, un modle politique et non une simple variation de ladmocratie librale. Cependant, les deux auteurs rappellent quil est ncessairede lhistoriciser de faon critique injonction qui sapplique particulirement la priode contemporaine dans la mesure o ses institutions, et seshistoriens, produisent des mensonges opratoires pour mieux fonder sesprincipes et occulter ses remises en cause, voir Serge Berstein et Odile Rudelle(dir.), Le Modle rpublicain, Paris, PUF, 1992, p. 8. Sur le rle central quejouent la gnralit et la loi dans ce modle politique, voir Pierre Rosanvallon,Le Modle politique franais. La socit civile contre le jacobinisme de 1789 nos jours, Paris, Seuil, 2004.8. Pour des analyses qui proposent des bilans, provisoires, de lapplication dela rforme, voir Joan W. Scott, Parit ! Luniversel et la diffrence des sexes,Paris, Albin Michel, 2005, en particulier le chapitre 6 ; Mariette Sineau, Parit an I : un essai transformer , Revue politique et parlementaire,1011, mars-avril 2001 et Parit 2004 : les effets pervers de la loi , Revuepolitique et parlementaire, 1031, juillet-septembre 2004. Pour un panoramaexhaustif de lapplication de la loi aux diffrents chelons lectoraux, voir lerapport annuel de lObservatoire de la parit, Effets directs et indirects de la loidu 6 juin 2000, un bilan contrast, rapport au Premier ministre de Marie-JoZimmermann, mars 2005.

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    la revendication et de la rforme lgislative qui ont abouti mettre enuvre la parit en politique. Cependant, elles nont toujours pas trouvde rponses satisfaisantes et continuent de mobiliser aujourdhui lesmilitantes et les femmes politiques qui ont soutenu la parit. La dyna-mique enclenche au dbut des annes 1990 nest donc pas acheve, etlaisse voir que lgalit des sexes peut faire lobjet de multiples dfini-tions, parfois conciliables mais aussi souvent contradictoires. Celles-ciimpliquent des stratgies de revendications diffrentes, voire opposes,et sont lenjeu dpres luttes politiques aussi bien du ct des groupes quise mobilisent pour lgalit des sexes que dans leurs rapports avec lestenants du pouvoir politique.

    Ces luttes discursives et politiques rvlent que la notion dgalit,figure centrale du rgime dmocratique qui semble relever de lvidence,nest en ralit pas fixe mais plutt en volution constante, quelle faitlobjet de ngociations et de reformulations. De nombreux termes exis-tent aujourdhui pour nommer et dfinir les diffrentes formes dgalit :galit des droits, galit des chances, galit de rsultat ou discrimina-tion positive. cette liste vient donc sajouter, lissue dune dcenniede mobilisation et de dbat politique, un nouveau mot, forg spcifique-ment pour dsigner lgalit des sexes, et dsormais institutionnalis parla loi, celui de parit9. Parce quelle rompt avec le principe de lgalitformelle, autrement dit lgalit de tous devant la loi10, la parit constitueune transformation majeure du cadre rpublicain. Parce quellesapplique en priorit la sphre politique en ouvrant une nouvelle voiede reprsentation politique pour un groupe historiquement exclu, laparit constitue galement une remise en cause de la conception tradi-tionnelle de la reprsentation dmocratique : lidentit sexue, laprsence numrique dun groupe, devient un critre de reprsentativitlgitime, au mme titre que la reprsentation des ides et des intrtspolitiques, ou reprsentation substantive.

    9. Le mot lui-mme ne figure toutefois pas dans les articles de loi modifis.10. En particulier, telle quexprime par exemple dans la Dclaration desdroits de lhomme et du citoyen de 1789, article 6, propos des reprsentantsdu peuple : Tous les citoyens [] sont galement admissibles toutesdignits, places et emplois publics, selon leur capacit et sans autre distinctionque celle de leurs vertus et de leurs talents.

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  • Introduction15

    Toutefois, les transformations de ces deux piliers centraux du rgimepolitique franais, la notion dgalit dune part, et la conception de lareprsentation politique comme reprsentation substantive11 dautrepart, ne se sont pas faites sans heurts, et ne sont pas acheves : elles ontt et sont toujours lobjet dintenses dbats, de reformulations et decontestations qui attestent que ces principes normatifs restent un enjeude lutte politique pour les groupes qui, linstar des femmes, nont pasvu les promesses de la Rpublique se raliser. En ce sens, la paritsinscrit dans lhistoire longue des relations conflictuelles que lesfministes franaises ont entretenues avec la Rpublique12.

    La parit est un mot dordre, un mot qui se fonde sur une identitsociale, lidentit de genre, et reformule la dfinition des intrts desfemmes, en faisant de lgalit numrique en politique une priorit de lalutte pour leurs droits. Cette lutte qui snonce au nom des femmes estdonc une lutte pour la reprsentation politique dune identit collectivequi est construite, en mme temps quelle cherche se faire entendre,mobilise des intrts, cherche des alliances, et tente ultimement de trans-former ce que Jane Jenson a appel lunivers du discours politique domi-nant13. Celui-ci constitue le terrain sur lequel les acteurs luttent pour leurreprsentation et pour transformer les termes mmes du dbat poli-tique14. Il dfinit le politique, ou tablit les paramtres de laction

    11. Selon lopposition classique en philosophie politique entre reprsentationdescriptive et reprsentation substantive, voir Hannah Pitkin, The Concept ofRepresentation, Berkeley (Calif.), University of California Press, 1967 et AnnePhillips, The Politics of Presence, Oxford, Clarendon Press, 1995, dans lequelelle propose la distinction entre politique des ides et politique de la prsence.12. Pour une histoire des demandes dinclusion des fministes franaises luniversel des droits de lhomme, voir Joan W. Scott, La Citoyenneparadoxale. Les fministes franaises et les droits de lhomme, Paris, AlbinMichel, 1998.13. Jane Jenson, Struggling for Identity : The Womens Movement and theState in Western Europe , West European Politics, 8 (4), 1985, p. 5-18 ainsique Gender and Reproduction : Or, Babies and the State , Studies inPolitical Economy, 20, 1986, p. 9-46, et Paradigms of Political Discourse :Protective Legislation in France and the United States Before 1914 , CanadianJournal of Political Science, 22 (2), 1989, p. 235-258.14. Le concept dunivers du discours politique dominant est proche de celui destructure dopportunit discursive dvelopp par Myra Marx Ferree. En effet,dans les deux cas, il sagit de sintresser la dimension discursive desinteractions entre les mouvements sociaux et les institutions, tout en prenanten compte les rapports de pouvoirs qui ne manquent pas de structurer cesinteractions, certains discours tant plus hgmoniques et plus recevables que

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    politique en limitant : premirement, lventail des acteurs qui le statutde participant lgitime est accord, deuximement, lventail des enjeuxconsidrs comme relevant du dbat politique pertinent, troisimement,les alternatives politiques considres comme pouvant tre mises enuvre, et finalement les alliances stratgiques disponibles pour faireadvenir un changement15 . En faisant appel la loi, le mouvement pourla parit a ainsi tent de dfier ltat sur son propre terrain, en lui inti-mant de rendre concrtes ses promesses dgalit et en lui demandantdoffrir un groupe social, les femmes, un nouvel espace de reprsenta-tion politique.

    La parit peut donc tre apprhende comme une tentative de donnerune nouvelle dfinition lgalit des sexes et de la traduire dans des

    15. Jane Jenson, Strugling for Identity , art. cit., p. 7. Le terme cadres , tel quil a t rcemment reconceptualis en science politique, parexemple dans Doug McAdam, John D. McCarthy et Mayer N. Zald (eds),Comparative Perspectives on Social Movements : Political Opportunities,Mobilizing Structures, and Cultural Framings, Cambridge, Cambridge Univer-sity Press, 1996, pourrait aussi tre mobilis ici. Voir en particulier lacontribution ce volume de William Gamson et David S. Meyer, FramingPolitical Opportunity , p. 275-290. Cependant, dans la mesure o le terme de cadre renvoie la sociologie interactionniste et une analyse de larsonance discursive, la notion dunivers du discours politique rend mieuxcompte de linteraction entre mouvements, institutions et discours.

    dautres dans un contexte donn. Au contraire, la notion de cadre restreintlanalyse la question de la rsonance culturelle sans problmatiser rellementles rapports de pouvoir qui contraignent les cadrages disponibles (cf. infra).Voir Myra Marx Ferree, Resonance and Radicalism : Feminist Framing in theAbortion Debates of the United States and Germany , American Journal ofSociology, 109 (2), 2003, p. 304-344. Sur le concept apparent dhgmoniediscursive, voir Marc Steinberg, The Talk and the Back Talk of CollectiveAction : a Dialogic Analysis of Repertoires of Discourse Among Nineteenth-Century English Cotton Spinners , American Journal of Sociology, 105 (3),1999, p. 736-780. Lapproche cognitive des politiques publiques a galementdvelopp des concepts apparents avec les notions de rfrentiel, dides et dercits permettant de dcrire comment les diffrents acteurs impliqus dans laformulation et la mise en uvre des politiques confrontent leurs intrtsspcifiques, tout en restituant ces activits dans des cadres cognitifs etnormatifs plus vastes (cf. Pierre Muller, Esquisse dune thorie duchangement dans laction publique. Structures, acteurs et cadres cognitifs ,Revue franaise de science politique, 55 (1), 2005, p. 155. Bien que cesconcepts soient proches bien des gards, celui dunivers du discoursdominant permet de placer la focale sur les interactions entre les groupes et lestenants du pouvoir dans lespace politique, et de poser au centre de lanalyse laquestion de la lgitimit. Sur les approches cognitives, voir le numro 50 (2),avril 2000, de la Revue franaise de science politique.

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    termes juridiques novateurs qui puissent assurer son efficacit politique.La voie de reprsentation16 politique choisie par les militantes, le recours la loi, tout comme lidentit, les intrts et les valeurs au nomdesquelles la parit a t justifie et rclame ntaient pas donns lavance. La parit soulve alors plusieurs questions cruciales : commentce nouveau discours a-t-il merg et quelle ncessit de reformulerlgalit des sexes rpond-il ? Comment ces transformations du conceptdgalit ont-elles affect le mouvement des femmes franais ? Et aussi,comment cette nouvelle revendication a-t-elle transform la maniredont les institutions politiques, et ltat au premier chef, dfinissentlgalit des sexes ? Les rponses donnes ces questions ont toutes taffectes par le processus de lgitimation de la parit qui a abouti soninscription dans la Constitution. Autrement dit, la faon dont une reven-dication dgalit est lgitime conditionne ses modalits dinstitution-nalisation, les possibilits quauront les acteurs concerns de se saisir dece nouvel outil pour faire avancer leur cause ainsi que les rsultatsconcrets qui pourront en dcouler.

    Dynamique de lgitimation

    Lanalyse de la dynamique paritaire propose ici rend compte desdeux dimensions qui caractrisent linteraction entre les groupes mobi-liss et les institutions qui sont la cible de leur demande, savoir dunct la capacit daction et de transformation des mouvements quirevendiquent et remettent en cause lunivers du discours politique domi-nant, de lautre la structure dopportunit politique17 et institutionnellequi contraint les choix stratgiques, les rpertoires daction collective18

    16. Lexpression est utilise par Jane Jenson et dsigne les diffrentes voies quisoffrent aux groupes sociaux pour faire reprsenter leurs identits et leursintrts, savoir les partis politiques, ladministration publique, les tribunaux,la manifestation, etc., voir Jane Jenson, Understanding Politics : Concepts ofIdentity in Political Science , dans James Bickerton et Alain-G. Gagnon (dir.),Canadian Politics, Toronto, Broadview, 2e d., 1999, p. 39-56.17. Sur ce concept et le courant thorique qui la dvelopp, voir SydneyTarrow, Power in Movement : Social Movements and Contentious Politics,Cambridge, Cambridge University Press, 1998.18. Charles Tilly, The Contentious French, Cambridge (Mass.), Belknap Pressof Harvard University Press, 1986.

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    ou encore les cadrages (framing)19 disponibles pour les mouvementssociaux.

    La premire dimension de la structure dopportunit politique qui aconditionn lmergence de la revendication paritaire est de natureglobale. Elle se situe au niveau des institutions internationales et euro-pennes qui, en promouvant une nouvelle dfinition de lgalit dessexes permettant de dpasser lgalit formelle et de lgitimer desmesures daction positive en faveur des femmes, ont contribu produireun cadre juridique et normatif international favorable la demande pari-taire. Le premier chapitre retrace ainsi lapparition dun discours globalsur lgalit des sexes qui a offert la parit une lgitimit internationale.

    Relaye en France par celles-l mme qui avaient contribu ladfinir au niveau europen, la parit a boulevers le paysage fministenational, en proposant de redfinir lidentit et les intrts communs quele mouvement fministe devait reprsenter20. En effet, lidentit du sujetcollectif au nom duquel la parit est demande, les femmes , nest pasdonne lavance21. La tentative de redfinir lgalit des sexes, et donclidentit du fminisme, a fait lobjet dpres discussions et de contesta-tions au sein des diffrentes fractions du mouvement. Le deuximechapitre sintresse ainsi aux controverses et aux transformations que laparit a suscites au sein des mouvements de femmes et, plus largement,dans la structure dopportunit politique. En effet, ce travail de reformu-lation des intrts que le fminisme doit dfendre et du sujet collectif

    19. David A. Snow, Burke E. Rochford, Steven K. Worden et RobertD. Benford, Frame Alignment Processes, Micromobilization and MovementParticipation , American Sociological Review, 51, 1986, p. 464-481. Pourun tat des lieux de ce courant thorique, voir Robert D. Benford et DavidA. Snow, Framing Processes and Social Movements : An Overview andAssessment , Annual Review of Sociology, 26, 2000, p. 611-639, ainsi queDaniel Cfai et Danny Trom (dir.), Les Formes de laction collective,mobilisations dans les arnes publiques, ditions de lEHESS, Raisonspratiques, 2001.20. Sur larticulation entre identit et intrts au sein des mouvementsfministes, voir Alexandra Dobrowolsky, Of Special Interest : Interest,Identity and Feminist Constitutional Activism in Canada , Canadian Journalof Political Science, 31 (4), 1998, p. 707-742.21. Sur limportance de la construction identitaire des mouvements sociaux,voir Jean L. Cohen, Strategy or Identity : New Theoretical Paradigms andContemporary Social Movements , Social Research, 52 (4), 1986, p. 663-716et dans le mme volume, Alain Touraine, An Introduction to the Study ofSocial Movements , p. 749-788.

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  • Introduction19

    quil reprsente a ouvert des possibilits dalliances originales entre desgroupes fministes de tradition radicale et des associations rformistes,alliance qui a en retour modifi le contexte politique dans lequel les pari-taires pouvaient noncer leurs demandes.

    Comment cette nouvelle coalition a-t-elle interagi avec les institu-tions de la Rpublique quelle prtendait transformer ? La dialectique delgitimation qui a transform la parit dune revendication minoritaireen une rforme institutionnelle majeure est analyse dans le troisimechapitre. Il est certain que de nombreuses dimensions de la conjonctureinstitutionnelle et politique des annes 1990 entrent en ligne de comptedans lexplication du succs de la rforme et de sa relative rapidit. Desvariables telles que larrive de la gauche au pouvoir22, son diagnosticdune crise de la reprsentation et la ncessit de moderniser son image23,les multiples points dentre dans le systme politique offerts par la coha-bitation, le centralisme tatique ou encore lexistence dadministrationscharges des droits des femmes et de la parit24 ont toutes contribu lafois limiter lventail des stratgies disponibles pour le mouvement et lui ouvrir des opportunits daction et de reprsentation. Cependant,pour comprendre la possibilit quune rforme telle que la parit ait pu

    22. Les recherches comparatives ont en effet montr que dans les dmocratiesoccidentales, la possibilit dune alliance entre mouvements fministes etpartis de gauche constitue un facteur important dexplication du succs ou delchec des revendications fministes. Voir en particulier Mary FainsodKatzenstein et Carol McClurg Mueller (eds), The Womens Movements of theUnited States and Western Europe, Philadephia (Penn.), Temple UniversityPress, 1987. Sur les transformations rcentes des configurations institu-tionnelles auxquelles les mouvements de femmes sont confrontes et leurs effetssur leurs stratgies, voir Ann Banaszack, Karen Beckwith et Dieter Rucht (eds),Womens Movements Facing the Reconfigured State, Cambridge, CambridgeUniversity Press, 2003.23. Isabelle Giraud et Jane Jenson, Constitutionalizing Equal Access : HighHopes, Dashed Hopes ? , dans Jytte Klausen et Charles S. Maier (eds), HasLiberalism Failed Women ? Assuring Equal Representation in Europe and theUnited States, New York (N. Y.), Palgrave, 2001, p. 69-88.24. Pour une analyse compare de limpact des administrations charges desdroits des femmes dans la mise en uvre de politiques en faveur de lgalitdes sexes, voir Dorothy McBride Stetson et Amy G. Mazur (eds), ComparativeState Feminism, Londres, Sage, 1995. Dans le chapitre conclusif de louvrage,les deux auteures proposent en particulier une typologie des diffrentesconfigurations possibles entre mouvements fministes, institutions chargesdes droits des femmes et administration publique qui permet dexpliquer quelles conditions une administration charge des droits des femmes peut avoirun rel impact en termes de politique publique pour lgalit des sexes.

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  • LGALIT INTROUVABLE20

    paratre lgitime et finalement tre lgalise, alors mme quelle allait lencontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la doxarpublicaine, et quelle ntait pas, au dpart, appuye par les partis poli-tiques25, il faut prter attention une dimension cruciale du politique, savoir la lutte sur le sens donner aux mots, la politique du discourslabore par les militantes pour faire prvaloir leur dfinition de laparit26.

    Comment largumentaire en faveur de la parit a-t-il contribu fairede celle-ci une revendication lgitime en France ? La production designification effectue par les militantes pour dfendre leurs intrtsvisait transformer la structure dopportunit politique. Ainsi, en rus-sissant cadrer la sous-reprsentation des femmes en politique commeun problme social, et mme un scandale, les militantes proparit en ontfait un indice du caractre non dmocratique des institutions rpubli-caines. Ds lors, labsence des femmes est devenue un enjeu lgitime dudbat politique, ce quelle ntait pas dix ans auparavant. La formulationde la revendication paritaire a galement transform son contexte derception en distinguant les femmes dautres groupes sociaux dans unespace de demandes concurrentielles. En dfinissant la parit commediffrente des quotas, les militantes ont dsign certaines solutions poli-tiques comme prfrables dautres et surtout compatibles avec ladoctrine rpublicaine qui leur tait oppose. Les paritaires ne se sont

    25. Les Verts furent les premiers dfendre le principe de parit (dans la prisede parole et dans le fonctionnement de leur parti) ds la fin des annes 1980.Les autres partis de gauche leur embotrent le pas partir des lectionseuropennes de 1994, lors desquelles six listes (dont celles du parti socialiste,mene par Michel Rocard, celle des Verts et celle de Jean-Pierre Chevnement)furent paritaires. Du ct des propositions de loi, les dputs du mouvementdes citoyens et les dputs communistes furent les premiers soumettre desprojets de lois visant une gale reprsentation des hommes et des femmesdans la vie publique, respectivement le 23 mars et le 13 avril 1994.26. Nancy Fraser utilise le terme de politique de linterprtation des besoins (politics of need interpretation) pour analyser les luttes de dfinitioncaractrisant les politiques de ltat providence vis--vis des femmes. Elle critainsi : linterprtation des besoins des personnes est en soi un enjeupolitique, en effet, parfois il sagit mme de lenjeu politique vritable . Cettelutte politique dfinit qui est dans le besoin et quels sont les groupes quidoivent bnficier de ltat providence. Voir Unruly Practices. Power,Discourse and Gender in Contemporary Social Theory, Minneapolis (Minn.),University of Minnesota Press, 1989, p. 145. Sauf indication contraire, lescitations extraites douvrages en anglais ont t traduites en franais par messoins.

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  • Introduction21

    donc pas simplement adaptes de faon stratgique une conjoncturepolitique statique et donne lavance. En reformulant leur demande, enrpondant leurs critiques, en laborant des rhtoriques de lgitimation,elles ont particip la transformation des paramtres de cette structuredopportunit politique, et cest cette dialectique qui a permis la lgitima-tion et le succs de la revendication27.

    Mettre ainsi laccent sur les oprations discursives par lesquelles lesacteurs collectifs crent des stratgies, des opportunits, et tentent delgitimer leur revendication, cest non seulement rendre compte de lacapacit du mouvement paritaire transformer les termes mmes dudbat sur lgalit des sexes, mais aussi se donner les moyens danalyserles rgles normatives, les contraintes juridiques et les grammaires delespace public qui contribuent faonner le travail de significationeffectu par les militantes et leurs opposants. Lopposition la parit sesten effet dabord et principalement nonce au nom de la Rpublique.Forcs de lgitimer leur refus de mcanismes daction positive en faveurdes femmes, mais obligs de reconnatre le caractre problmatique deleur sous-reprsentation politique, les adversaires de la parit ont mobi-lis non seulement la jurisprudence existante, mais aussi un ensemble devaleurs et de discours rpublicains articuls autour de lide dgalitformelle et duniversalisme abstrait. Analyser la dynamique de lgitima-tion de la parit permet ainsi de dessiner, en creux, les paramtres delunivers du discours politique dominant, voire hgmonique, de laFrance des annes 1990, que lon peut dfinir comme lunivers du

    27. Cette perspective rejoint les dveloppements rcents critiquant la notion destructure dopportunit politique comme trop statique, se prsentant comme un dj-l inexpliqu et ne permettant pas de rendre compte de la faon dontlactivit des mouvements sociaux contribue transformer le contexte danslequel ils noncent leur revendication, contexte qui, en retour, les contraint utiliser certaines stratgies, certains rpertoires de mobilisation et certainscadres plutt que dautres. Sur ce point, voir Doug McAdam, Sydney Tarrow etCharles Tilly, Dynamics of Contention, Cambridge, Cambridge UniversityPress, 2001. En outre, il sagit dun des apports principaux des recherches surles mouvements fministes que davoir mis en avant le rle de la productiondiscursive des mouvements sociaux dans la transformation de la structuredopportunit politique laquelle ils participent, voir Karen Beckwith, Womens Movements at Centurys End : Excavation and Advances inPolitical Science , Annual Review of Political Science, 4, 2001, p. 371-390et Alexandra Dobrowolsky, The Politics of Pragmatism. Women, Repre-sentation and Constitutionalism in Canada, Toronto, Oxford University Press,2000.

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