KADOC NEWSLETTER INTERNATIONALE 2014 - KU Leuven

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KADOC NEWSLETTER INTERNATIONALE 2014

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COLOPHONCOLLABORATEURSLieve ClaesJoris CollaJan De MaeyerCarine DujardinKarim EttourkiJo Govaerts Vera HajtóRoeland HermansPeter HeyrmanGodfried KwantenDominique LasonIngrid QuixKristien SuenensKaren Van DijckTine Van OsselaerLuc Vints

MISE EN PAGESAlexis Vermeylen

ILLUSTRATIONS KADOC

ANNUELLEMENT

TRADUCTIONAnne-Laure Vignaux

CONTENU« Mon triste métier de fossoyeur »Journal de guerre de Valerius Claes (1914-1915) 3

Un demi-siècle de migration marocainePatrimoine et recherche migratoire 5

Suppression, dispersion, rétablissementL’ordre des jésuites, 1773-1850 7

Les « petits Hongrois »Actions belgo-hongroises au profit des enfants (1923-1927 et 1946-1948) 10

Eugène Yoors et les rosicruciens.Une facette méconnue de la vie de l’artiste 12

« Chantez et soyez pieux »Patrimoine musical 15

Piété à grande échelleLigues du Sacré-Cœur/Kerk en Wereld 19

La banque de données ODIS Un instrument familier dans un habit neuf et plus ample 22

Christian HomesNouvelle publication du KADOC 25

Publications récentes 27

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nauséabonde… ». Pendant plusieurs semaines, ils déterrent des corps d’hommes, de femmes et d’enfants. Bien souvent, ils sont obligés d’enterrer les cadavres sans cercueil. Seules les prières rituelles donnent l’apparence de funérailles dé-centes. « Je regrette de devoir traiter ainsi les morts. »

Au début 1915, on demande à Claes de déterrer les corps des soldats allemands dans les environs de Louvain. Il hésite – « Je n’ai pas envie d’effectuer ce travail pour le compte de l’ennemi (…) » – mais décide qu’« une œuvre de charité et de sacrifice au service des morts ne doit connaître ni natio-nalité, ni politique ». Les semaines qui suivent, les sous-offi-ciers allemands l’emmènent notamment dans les communes voisines de la ville universitaire. Les regards curieux que lui jettent les habitants parce qu’il est en compagnie d’Alle-mands confronte le père à l’équilibre délicat de sa mission.

TRAVAIL MENTAL

Les hésitations initiales de Claes concernant l’enterrement des corps allemands et sa décision d’accepter tout de même cette tâche révèlent deux des grands thèmes caractérisant ce journal : la question de la responsabilité allemande et le rôle des convictions religieuses dans l’accomplissement de sa mission. Claes constate que lorsqu’il évoque les atrocités de la fin août avec les Allemands croisés lors de ses inter-ventions, cela débouche sur un dialogue de sourds : à sa vive indignation, l’occupant rejette la responsabilité de ses actes sur la population civile. Pire, il accuse les citoyens qui auraient tiré sur les troupes allemandes, des soi-disant « francs-tireurs ». Un jour où il est en route pour ramener deux jeunes filles blessées, un sous-officier allemand lui demande de rassembler en priorité les corps de soldats al-lemands, argumentant de façon laconique : « Elles ont sûre-ment tiré sur nous les premières, sinon elles ne seraient pas blessées ! »

« MON TRISTE MÉTIER DE FOSSOYEUR »JOURNAL DE GUERRE DE VALERIUS CLAES (1914-1915)DOMINIQUE LASON & ROELAND HERMANS

Le souvenir du début de la Première Guerre mondiale est largement commémoré en ce moment. Expositions, livres, documentaires et séries télévisées présentent les aspects connus et méconnus du conflit. L’ensemble de ces initiatives appelle à un « retour aux sources ». Au KADOC, les collections patrimoniales sont abon-damment consultées et, parmi celles-ci, les journaux de guerre suscitent un intérêt particulier. Ils semblent en effet rendre plus tangibles les événements du front ou dans le pays occupé. Nous en avons un bel exemple dans le journal, peu connu, de Valerius Claes, qui couvre la période comprise entre le 26 août 1914 et le 1er mai 1915 et a pour cadre la ville de Louvain. Il constitue un témoignage unique de l’histoire du « sac de Louvain », insistant sur les ravages humains et l’assimilation per-sonnelle des événements par un jeune religieux.

Valerius Claes (1884-1958) se trouve à Louvain lorsque la Première Guerre mondiale éclate. Le capucin a en effet élu domicile dans la ville universitaire depuis quelques années déjà. Après son ordination en 1907, il a décroché un doctorat en sciences politiques et est devenu la figure clé du mouve-ment ouvrier chrétien local. Le 19 août 1914, les troupes al-lemandes s’emparent de la ville. Les premiers jours d’occu-pation se déroulent sans incidents graves, mais la situation bascule le 25 août au soir : les soldats allemands se mettent à tirer aveuglément, pillent les maisons et traînent les habi-tants dans la rue. Ils font des prisonniers et en exécutent plu-sieurs dizaines sur la place de la gare. Cette nuit-là, le centre de la ville part en flammes. Le lendemain, Claes entame son journal : « Parfois, je suis là à regarder sans voir, impuissant et hébété. »

PAS UN RÔLE DE FIGURANT

Ce n’est pas un hasard si Claes commence son récit à ce moment. Les premiers blessés parviennent à l’hôpital Saint-Thomas, où il travaille comme volontaire. L’hôpital a été aménagé dans les bâtiments de l’Institut supérieur de philosophie et dans le séminaire Léon XIII, attenant. Tout le monde n’étant pas en état d’atteindre l’hôpital d’urgence par ses propres moyens, Claes et d’autres bénévoles par-courent la ville ravagée avec un brancard. Lors de ces inter-ventions, ils perdent un temps précieux à cause des soldats allemands, avec lesquels ils se querellent régulièrement. Une autre mission leur est confiée quelques jours plus tard pour des raisons de santé publique : ils sont chargés de dé-placer les corps se trouvant sous les décombres ou enter-rés à la va-vite. Équipés de deux chevaux, d’un corbillard, d’un « brassard de la Croix-Rouge, d’un tablier et, en guise de désinfectant, d’un peu de chlorure de chaux et d’acide phénique », ils sillonnent les rues, cette fois avec l’aide d’un volontaire supplémentaire. Claes ne nous épargne pas les détails : « Un peu plus loin, dans les buissons, nous aper-cevons une autre forme humaine ; ici, la décomposition est plus avancée encore, il ne reste pratiquement plus rien des muscles de la tête, puis il y a les mouches, les vers, l’odeur

Valerius Claes au travail à Korbeek-Lo et Boutersem au prin-temps de 1915.[Archives des Capucines – Province flamande]

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APRÈS LA GUERRE

Le journal de Claes est fait de pages libres rassemblées dans un dossier en carton. Des corrections et des adaptations ont été apportées entre les lignes et, à quelques reprises, l’auteur revient sur les événements dans une note infrapaginale. Il ne s’agit donc pas d’un journal original. Sans doute Claes l’a-t-il rédigé à partir de brèves notes prises pendant les pre-miers mois de guerre. Peut-être répondait-il même à l’appel lancé par le cardinal Mercier en 1919, qui avait demandé au clergé de consigner ses expériences de guerre afin d’illustrer l’attitude solidaire de l’Église envers la patrie plongée dans la souffrance ?

Le journal n’a jamais fait l’objet d’une véritable édition. On en trouve une traduction française manuscrite dans les ar-chives et, d’autre part, le récit de Claes a été repris dans les volumineux Rapports sur les attentats commis par les troupes allemandes pendant l’invasion et l’occupation de la Belgique (1922-1923). Ceux-ci ont été établis par la commission créée par les autorités belges en 1919 pour enquêter sur les actes de barbarie des Allemands, instance devant laquelle Claes a témoigné. La version manuscrite conservée dans les archives permet toutefois un accès plus direct aux expériences de Claes, ne fût-ce que parce que certains détails horribles sont décrits de façon plus neutre dans le rapport officiel.

[KADOC-Nieuwsbrief 2014/5, 4-9]

Au début septembre, Claes vit un moment particulièrement pénible avec Carl Sonnenschein (1876-1929), dont il a fait la connaissance lors d’un voyage d’étude effectué outre-Rhin en 1911. Pendant ses études à Louvain, Claes s’est intéres-sé à la politique sociale allemande, un intérêt devenu fasci-nation lors de ses voyages à Berlin et à Mönchengladbach. Considérant la protection sociale des ouvriers allemands comme un modèle pour le reste de l’Europe, il tente à son re-tour de mettre en pratique les connaissances réunies. Il reste en contact avec Sonnenschein, actif dans le mouvement ou-vrier chrétien en Rhénanie. « Nous étions même amis », écrit Claes. Sa déception est d’autant plus grande en constatant que, même après avoir vu les destructions occasionnées à Louvain, Sonnenschein continue à défendre les actions al-lemandes. Les soldats se sont défendus de manière légitime, estime ce dernier. « Il n’y a pas d’excuses à donner, seule-ment des explications. »

Non seulement ces « explications » ne correspondent la façon de voir de Claes (et de bien des observateurs), mais elles dépassent aussi son sens de la justice, inspiré par la foi. À la réponse cynique, calculée des Allemands, il oppose une explication théologique : « Pourquoi tant de souffrance ? Pourquoi priver de leur vie tant d’innocents ? (…) Non, tous ces corps, toutes ces larmes ne peuvent pas être vains ! La justice doit triompher ! La miséricorde de Dieu nous sauvera, notre pauvre pays et toutes ces malheureuses âmes ! » Cette vision fournit une explication tout en inspirant réconfort et ténacité dans les moments de doute. En route pour l’hôpi-tal avec une femme gravement blessée, la peur et le chagrin submergent Claes : « (…) instinctivement, j’implore l’aide et la miséricorde de Dieu. Il est maître de notre destin, je m’en remets entièrement à lui et cela me permet de retrouver la liberté intérieure et un sentiment de sécurité. »

Dans les notes du 1er mai 1915 qui tiennent manifestement lieu de conclusion à son journal, Claes regarde en arrière – « en tout, j’ai manipulé 309 cadavres » – et envisage l’ave-nir. Il espère une victoire finale des alliés, mais compte éga-lement bien que les sacrifices des morts, des blessés et des survivants ne resteront pas inutiles : « La bonté et la bien-veillance, l’amour du prochain règneront à nouveau entre les humains ; les caractères seront devenus plus forts et plus profonds, ils auront renoué avec la volonté et le sens du de-voir ; grâce à la souffrance des victimes, nous serons deve-nus meilleurs. »

Valerius Claes et son assistant Lucien Speder déterrent une victime dans le jardin du collège des joséphites au mois de sep-tembre 1914.[Archives des Capucines – Province flamande]

Une page du journal de Valerius Claes.[Archives des Capucines – Province flamande]

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PATRIMOINE ET HISTORIOGRAPHIE

Les projets multiples organisés autour des 50 ans de migra-tion montrent que la Flandre a clairement amorcé un mou-vement de rattrapage dans le but de se mettre au niveau des pays voisins. Que ce soit en France, en Angleterre ou aux Pays-Bas, de passionnants projets, axés en particulier sur le patrimoine, ont été mis en œuvre ces dernières années. Le lien entre patrimoine et recherche y est évident. Les projets patrimoniaux identifient, rassemblent et valorisent diverses collections patrimoniales.

On peut citer comme exemple le projet néerlandais Rif Tour. Du 8 juillet au 12 août 2009, un bus a sillonné le nord du Maroc avec un exposition itinérante spécialement organisée pour l’occasion, une initiative du Museon de La Haye, du Centre d’histoire migratoire et du Groupement des Néerlan-dais marocains. Le but était notamment de célébrer le 40e anniversaire de l’accord bilatéral entre Pays-Bas et Maroc, signé le 14 mai 1969 en vue de recruter des ouvriers pour l’industrie néerlandaise. Rif Tour racontait à l’aide de patri-moine matériel et immatériel l’histoire des premiers ouvriers marocains aux Pays-Bas. Dans le nord du Maroc, les collabo-rateurs du projet ont enregistré des récits supplémentaires d’autochtones restés ou retournés au pays. Le trajet du bus pouvait être suivi pas à pas via un weblog. Le projet a donné lieu non seulement à une exposition, mais aussi à un pro-gramme éducatif et à une publication intitulée Marokkanen in Nederland. De pioniers vertellen (Les Marocains aux Pays-Bas. Les pionniers racontent).

L’historienne néerlandaise Nadia Bouras, impliquée dans l’événement, a coécrit cet ouvrage. Le 13 février 2014, elle a

UN DEMI-SIÈCLE DE MIGRATION MAROCAINE PATRIMOINE ET RECHERCHE MIGRATOIRE

KARIM ETTOURKI

La commémoration des accords bilatéraux signés entre Maroc et Belgique en 1964, l’an dernier, n’est pas passée inaperçue. Le KADOC était étroitement impliqué dans diverses initiatives. Cela paraît logique étant donné sa mission. En tant qu’institution patrimoniale, notre Centre s’intéresse en effet à l’interaction dynamique et multiforme entre religion, culture et société depuis le milieu du XVIIIe siècle. Les influences réciproques des domaines religieux, culturels et sociaux y sont définies, étudiées et expliquées dans une perspective résolument multiculturelle et interreligieuse. Nous constatons no-tamment que les associations chrétiennes se sont, bien plus qu’on ne pourrait le croire, engagées dans l’accueil des migrants au sein de la société flamande.

Les initiatives impliquant le KADOC étaient de natures très diverses. Nous en présentons deux ici. L’exposition itiné-rante DAKIRA-HERINNERING. 50 jaar Marokkaanse migratie, (DAKIRA-SOUVENIR. 50 ans de migration marocaine) qui a été montrée à Anvers, Bruxelles, Gand et Genk et sera héber-gée au KADOC cet été, est d’une grande importance. Il s’agit d’une initiative de la Fédération (flamande) des associations marocaines, élaborée avec l’aide du KADOC en tant que par-tenaire patrimonial opérationnel. L’exposition illustre la mi-gration marocaine en mettant en avant une série d’aspects, comme le développement démocratique et les modèles d’établissement, les contextes économiques et sociaux, les initiatives d’accueil et la politique migratoire. Le dévelop-pement d’organisations civiles au sein de la communauté marocaine est également abordé. L’exposition se concentre aussi, interviews à l’appui, sur le parcours personnel des Marocains de Flandre. Une publication d’accompagnement raconte l’histoire de la migration de façon accessible. Elle n’est cependant pas complète. Vu le peu de recherches his-toriographiques approfondies réalisées sur le sujet, le cata-logue comporte quelques hiatus. Il peut donc être considéré comme un encouragement à d’autres travaux.

Le 27 novembre 2014, les deux partenaires de l’exposition ont organisé une journée d’études interdisciplinaire avec le Centre d’étude sur la migration et l’interculturalité et le dé-partement d’histoire de l’Université d’Anvers. Une série de chercheurs venus des différentes universités de Flandre ont présenté leurs travaux sur la migration et la communauté marocaines. Ils ont pointé les lacunes de la recherche et in-diqué d’intéressantes pistes de travail.

Le KADOC était également impliqué dans le cycle de confé-rences organisé par Nadia Fadil, de l’Interculturalism, Migra-tion and Minorities Research Centre (IMMRC - KU Leuven). Les participants se sont penchés dans leurs divers exposés sur la façon dont la Flandre et la Belgique étaient devenues une société multiculturelle et multiconfessionnelle. En 2014, on célébrait les 50 ans de la signature des accords écono-miques, mais la reconnaissance de l’islam, intervenue en 1974, il y 40 ans, était également commémorée.

Couverture de Dakira. 50 jaar Marokkaanse migratie, le cata-logue de l’exposition du même nom.

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bilatéral après la Seconde Guerre mondiale est également un sujet sous-éclairé. Marie-Claire Foblets a analysé le pro-tocole en soi, mais beaucoup de questions restent sans ré-ponse. Qui étaient les travailleurs émigrés marocains attirés par l’accord et d’où venaient-ils ? Quel était leur profil, com-ment étaient-ils sélectionnés et où aboutissaient-ils ? Les ar-chives de Fédéchar, la Fédération du patronat minier belge, qui avait ouvert un bureau de recrutement à Casablanca en 1963, n’ont presque pas été étudiées à ce jour.

Le KADOC conserve également des collections offrant un regard unique sur cette histoire migratoire. Les archives du Mouvement ouvrier chrétien (ACW) et de la Confédération des syndicats chrétiens (ACV) renferment de très nombreuses références à ce passé et illustrent les nombreux défis relevés par le monde associatif catholique ainsi que ses relations avec les différents groupes de migrants. Des périodiques comme Le Travailleur arabe, de la section arabe de l’ACV, et les do-cuments des groupes de travail consacrés aux travailleurs émigrés offrent de nombreuses possibilités d’approfondisse-ment de la recherche. Le KADOC conserve aussi les archives de Johan Leman et de Paula Van Opdenbosch-D’Hondt, deux figures-clés du Commissariat royal à la politique des immi-grés. Ce matériel est révélateur de la politique menée dans les années 1990. Les archives de Leman contiennent en outre des informations sur les liens entre la politique et la représenta-tion des communautés musulmanes.

Les initiatives d’accueil spécifique n’ont pas davantage fait couler d’encre. Les efforts fournis dans le domaine caritatif en faveur des travailleurs émigrés marocains, comme ceux des sœurs franciscaines de Malines, qui ont mis à disposi-tion un lieu de prière dans leur couvent, l’aide sociale pro-diguée par les petites sœurs de l’Assomption à Boom ou l’initiative pour la jeunesse du rédemptoriste Paul Steels à Bruxelles, qui a débouché sur l’actuel centre d’intégration Le Foyer, n’ont pas été étudiés systématiquement. Si les ar-chives de ces communautés religieuses offrent certainement des points d’ancrage pour des futures recherches, les témoi-gnages de la première génération de Marocains sont incon-tournables. Il est d’ailleurs grand temps de les recueillir.

La recherche sur la culture matérielle de la communauté marocaine est également presque inexistante en Flandre. Il n’existe pratiquement pas d’analyses approfondies de la culture festive et musicale, des styles et des comportements vestimentaires fluctuants ou des préférences dans divers autres domaines, alors qu’elles ont été réalisées aux Pays-Bas. Même la recherche sur l’islam, principalement motivée par les événements du 11 septembre, reste principalement limitée au sujet complexe du vécu identitaire et du radicalisme. L’his-toire de la genèse et de l’évolution des mosquées marocaines, les vastes défis de la modernité au sein de l’islam, l’évolution ou la transformation des rituels et pratiques religieux, n’ont, sauf exception, pas été abordés sous l’angle académique.

La commémoration d’un demi-siècle de migration a donné une impulsion à diverses initiatives patrimoniales réparties dans tout le pays. Après 50 ans, la recherche consacrée à la migration et à la communauté marocaines semble prête pour une mise à jour.

[KADOC-Nieuwsbrief 2014/2, 4-10]

donné une conférence au KADOC dans le cadre du cycle de séminaires multidisciplinaires sur la religion et la société de-puis 1750. Dans son dernier ouvrage, Het Land van Herkomst. Perspectieven op verbondenheid met Marokko, 1960-2010 (Le pays d’origine. Perspectives et connexions avec le Maroc), les liens des migrants marocains avec leur pays natal jouent un rôle central. L’auteur y décrit le changement d’attitude à la fois du côté des autorités néerlandaises et du côté maro-cain. Pour cette recherche, Bouras est retournée à la source. Contrairement aux études antérieures consacrées à la migra-tion marocaine, elle a largement exploité les documents po-litiques, comme les archives du Service d’immigration et de naturalisation, mais aussi des interviews approfondis et les récits et témoignages personnels rassemblés dans le cadre du projet patrimonial décrit plus haut. Cela lui a permis de démonter quelques clichés tenaces. Le recrutement officiel de Marocains n’était par exemple pas centré sur le Rif, mais plutôt sur des villes comme Casablanca, Tétouan, Fez, Aga-dir et Marrakech. L’image du travailleur émigré non instruit et célibataire ne correspond que partiellement à la réalité. De plus, la grande majorité de ces Marocains a quitté le Ma-roc spontanément ou, en d’autres mots, n’a pas été recrutée.

PERSPECTIVES DE RECHERCHE EN FLANDRE

En Flandre, la recherche historique spécifiquement consa-crée à la communauté marocaine est quasiment inexis-tante. Les rares études et rapports de recherche déjà réalisés portent généralement sur des problématiques concernant différentes minorités. Le 19 février 2014, le Centre d’étude sur la migration et l’interculturalité de l’université d’Anvers a organisé en collaboration avec la Fédération des associa-tions marocaines et le KADOC une journée d’étude sur un demi-siècle de migration marocaine. À cette occasion, Chris Timmerman a brièvement fait le point sur la recherche mi-gratoire en Belgique. Les thèmes les plus souvent abordés sont notamment la problématique de l’enseignement et de la langue, le chômage et la pauvreté, l’évolution démogra-phique et la participation politique, la politique migratoire et la migration matrimoniale, la coopération au développe-ment et les sujets idéologiques. Les projet récents, souvent élaborés dans un contexte politique précis, sont généra-lement de nature sociologique. Ces études et ces rapports abordent évidemment certains aspects de l’histoire et la communauté marocaine, mais il n’y est pas question d’ana-lyse historique approfondie.

La présence des migrants marocains remonte à l’entre-deux-guerres. À l’exception de quelques études réalisées en Bel-gique francophone, cette période reste un terrain inexploré dans l’historiographie nationale. L’élaboration de l’accord

L’historienne néerlandaise Nadia Bouras a donné une confé-rence au KADOC sur la migration marocaine aux Pays-Bas.

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des autorités civiles et, dans quelques cas, ecclésiastiques au lendemain de la suppression. Les biens de la Compagnie furent confisqués avec une évidente avidité, tandis que les pères et les frères furent condamnés à la diaspora – à la-quelle ils se résignèrent d’ailleurs sans grandes protesta-tions. Le sort de ces ex-jésuites n’a pas encore été étudié en profondeur, mais les orateurs cités plus haut ont souligné l’importance des réseaux existants pour la survie des indi-vidus.

Chassés de la zone géographique où ils vivaient – le monde latin, les Pays-Bas méridionaux et les régions catholiques d’Allemagne – les jésuites trouvèrent étonnamment refuge en dehors du monde catholique et dans une série d’enclaves. Michel Hermans a évoqué l’hospitalité relative du prince-évêque de Liège, qui accepta d’intégrer les ex-jésuites dans la structure de l’enseignement supérieur de sa principauté. Le père Frans Chanterie a confirmé ce constat en décrivant le périple forcé de la communauté jésuite anglaise de Saint-Omer, qui passa notamment par Bruges, Liège et l’Angle-terre. Haas a quant à lui parlé des possibilités d’émigration des ex-jésuites allemands vers la Prusse, où les décrets de suppression papaux n’avaient jamais été ratifiés. Ainsi que

SUPPRESSION, DISPERSION, RÉTABLISSEMENT L’ORDRE DES JÉSUITES, 1773-1850

KRISTIEN SUENENS

Quelque peu éclipsés par le flot de commémorations consacrées à la Première Guerre mondiale, le bicente-naire de la restauration de la Société de Jésus était égale-ment à l’agenda de 2014. En 1814, le pape Pie VII rétablit par une bulle intitulée Sollicitudo omnium ecclesiarum la Compagnie de Jésus, supprimée par l’un de ses prédé-cesseurs en 1773. Du 23 au 25 octobre 2014, le KADOC a or-ganisé en collaboration avec la Faculté de théologie de la KU Leuven, l’Université de Namur, la Société Ruusbroec (UA), les Archives générales du royaume, les provinces jésuites flamandes, néerlandaises et wallonnes-luxem-bourgeoises et l’Institut néerlandais pour les études jésuitiques un colloque international sur le rétablisse-ment des jésuites dans les Pays-Bas.

Pendant une quarantaine d’années, l’ordre des jésuites, qui avait compté sous l’Ancien Régime parmi les congrégations internationales les plus influentes, se retrouva donc entre la vie et la mort. Les recherches sur la façon dont les (ex-)jésuites vécurent cette période et jetèrent – dans le contexte de changements sociaux radicaux – les bases du rétablisse-ment de la Compagnie en sont encore à leurs balbutiements. Le colloque a permis d’engager le débat au sujet du sort ré-servé à la Compagnie dans nos régions. Des récits concer-nant d’(ex-)jésuites et partisans aussi bien de l’ancienne que de la nouvelle Compagnie ont été confrontés aux développe-ments structurels intervenus au cours des phases de la sup-pression, de la dispersion et du rétablissement, avec comme fil rouge la question de l’existence d’une « identité jésuite » inchangée et l’importance d’une « identité de groupe » pour la survie de la Compagnie. Dans cette perspective, Pierre-An-toine Fabre (EHESS, Paris) a ouvert le colloque par un plai-doyer pour une contextualisation systématique de toutes les données importantes liées à la suppression et à la restaura-tion de la Compagnie de Jésus. À l‘aide d’une série d’écrits de l’époque, il a également illustré la façon dont les (ex-)jésuites avaient tenté d’interpréter ces quatre décennies troublées de leur propre histoire.

SUPPRESSION ET DISPERSION

L’« ancienne » Compagnie sombra en 1773 sous l’effet conju-gué de querelles intra-ecclésiastiques, de manœuvres poli-tiques des grandes puissances catholiques et de l’influence croissante de la pensée des Lumières. Joep van Gennip (Ar-chives jésuites des Pays-Bas), Michel Hermans (Université de Namur), André De Winter et Reimund Haas (Archidiocèse de Cologne) ont esquissé, respectivement pour la province jésuite flamande, la province jésuite wallonne, le diocèse de Gand et l’archidiocèse de Cologne l’image d’une Compagnie en proie à des graves problèmes internes à la veille de la sup-pression. Un parallélisme frappant peut être observé entre, d’une part, la diminution du nombre des membres et des élèves dans les collèges – qui formaient le cœur même de l’apostolat jésuite – et, de l’autre, les problèmes financiers. S’ajoutait à cela la réaction musclée et parfois opportuniste

Image publiée dans Ph.-J. Maillart, Collection de costumes de tous les ordres monastiques, supprimés à différentes époques, dans la ci-devant Belgique (1811).[Collection d’images]

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persé de part le monde et dans la survie de la mission jésuite hollandaise. Sous la République des Pays-Bas, les jésuites purent en effet, à partir de la fin du XVIIIe siècle, transformer leurs anciennes stations clandestines en églises reconnues. L’historien de l’art Peter van Dael a expliqué comment, à tra-vers leur architecture d’églises classique – et souvent avec la contribution d’artistes flamands – les jésuites néerlandais avaient à nouveau donné une forme concrète à leur présence au cours de la première moitié du XIXe siècle.

Pendant la période de suppression, le centre de l’activité jé-suite ne se trouvait cependant pas à Liège, aux Pays-Bas, en Angleterre ou en Prusse, mais bien dans la lointaine Russie. Dans l’Empire orthodoxe russe, la suppression de l’ordre de 1773 ne fut en effet jamais promulguée. Marek Inglot (Ponti-ficia Università Gregoriana) a donné un aperçu de la façon dont la Compagnie avait pu survivre en Russie. D’ex-jésuites et de nouvelles recrues venues de toute l’Europe partirent en effet pour ce pays. C’est dans la province jésuite de Düna-burg (Daugavpilz, Lettonie) que fut formée la première gé-nération de la future « nouvelle » Compagnie. Parmi eux, il y avait le Néerlandais Jan-Philip Roothaan (1785-1853), qui serait engagé à Amsterdam par Beckers et deviendrait le gé-néral de la Compagnie après son rétablissement. Pierre-An-toine Malou-Riga (1753-1827), ancien industriel du textile de Flandre-Occidentale et vocation tardive, fut également for-mé dans cette ville. Vincent Verbrugge a raconté l’histoire de ce jésuite aventurier envoyé en 1911 de Russie aux États-Unis, où il se heurta de plein fouet aux structures hiérarchiques, en pleine restauration, de la nouvelle Compagnie.

LES PÈRES DE LA FOI : DES JÉSUITES « DÉGUISÉS » ?

Le prêtre belge Joannes Vrindts (1781-1862), présenté par Jo Luyten (KADOC), fut à l’origine également attiré par le cha-risme des jésuites. Il rejoignit en 1814 le noviciat français de

Joep van Gennip l’a démontré, quelques ex-membres de la Société purent également survivre dans la « mission hollan-daise », où des jésuites œuvraient déjà clandestinement de-puis le XVIIe siècle.

SURVIVRE À LA PÉRIPHÉRIE

Depuis ces lieux d’asile, les ex-jésuites des Pays-Bas par-vinrent à consolider un réseau international et à mainte-nir certains aspects de leur identité et de leur influence. À Liège et, à partir de 1794, en Angleterre, ils poursuivirent leurs activités d’enseignement. Frank Judo a montré l’in-fluence possible du réseau conservateur formé autour de François-Xavier de Feller (1735-1802), ex-jésuite séjournant à Liège, sur la pensée de Balthazar de Villegas, chancelier du duché de Brabant pendant la Révolution brabançonne (1789-1790), insurrection conservatrice dirigée contre la politique de l’empereur autrichien Joseph II (1780-1790). Paul Begheyn (Archives jésuites des Pays-Bas) s’est penché sur la figure du père Adam Beckers (1744-1806), qui joua depuis Amsterdam un rôle crucial dans la communication entre les jésuites dis-

Médaille d’argent commémorative de la suppression de la com-pagnie de Jésus en 1773.[Nijmegen, Archives des jésuites néerlandais (ANSI), Penningen-collectie]

Passeport russe de Theodorus van Monfort, entré chez les jé-suites à Dünaburg en 1805.[Nijmegen, Archives des jésuites néerlandais (ANSI): OHP, 109]

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charisme et l’ardeur spirituelle de Roothaans allaient don-ner un élan décisif à la nouvelle Compagnie.

Au sein de la Société, Roothaan devint un héros, quelque-fois paré du titre de « deuxième fondateur de la Compagnie». À l’extérieur, sa nomination suscita de nombreuses cri-tiques, en particulier aux Pays-Bas, ainsi que l’a illustré Joep van Gennip dans un second exposé. Les théories du complot anti-jésuites héritées de l’Ancien Régime refirent surface. Le caractère militant, international et résolument ultramon-tain de la Société se heurta au nationalisme du XIXe siècle et beaucoup de protestants virent là une grande menace.

La Compagnie de Jésus était-elle aussi indestructible et im-muable que ses ennemis voulaient le faire croire dans leurs campagnes anti-jésuites ? Plusieurs exposés ont montré qu’en 1773, les jésuites se trouvaient effectivement au bord du précipice. La dispersion des ex-jésuites, la survie dans des régions et des enclaves non-catholiques et la naissance de groupes de pseudo-jésuites ou de jésuites « déguisés » pesèrent lourdement sur l’identité collective de l’ancienne Compagnie et de ses ex-membres. Certains éléments, comme la forte dimension apostolique, le modèle d’organisation ef-ficace et le militantisme spirituel, se transmirent néanmoins à la nouvelle Compagnie. Mais une véritable « restauration » de la Compagnie de l’Ancien Régime n’était plus possible dans le contexte, fondamentalement modifié, de 1814. Le colloque n’a pas permis de décider dans quel sens la balance avait finalement penché, entre continuité et discontinuité. Cela reste une question importante pour les nombreuses autres initiatives internationales organisées à l’occasion de l’anniversaire de la restauration de la Compagnie.

[KADOC-Nieuwsbrief 2014/6, 18-23]

la Compagnie, mais buta sur la politique, fortement axée sur l’enseignement, de ses supérieurs. Fait important, Joannes Vrindts avait été membre de la congrégation française des pères de la Foi, née en 1799 de la fusion de deux associations de prêtres s’inspirant de la Compagnie de Jésus, alors sup-primée. Considérés par les autorités françaises comme des jésuites « déguisés », ils suscitaient la méfiance. Jo Luyten et Kristien Suenens (KADOC) ont reconstitué le vaste réseau des pères de la Foi en France et dans les Pays-Bas. Ils ont no-tamment montré leurs liens étroits avec le groupe de prêtres proches du président du séminaire, Jean-Hubert Devenise (1757-1814), qui résidait à Louvain et à Namur – groupe dont Vrindts faisait également partie.

Le réseau des pères de la Foi joua un rôle important dans le rétablissement de la Compagnie dans les Pays-Bas méri-dionaux, auquel il procura à la fois des bienfaiteurs, des re-fuges et des recrues. Les pères de la Foi s’impliquèrent aussi très activement dans la fondation des congrégations fémi-nines apostolique, d’orientation ignacienne. Les dames du Sacré-Cœur (1800, fondées par Sophie Barat), les sœurs de Notre-Dame (1803) de Namur, les filles de Marie-Paridaens (1805) à Louvain, et d’autres virent le jour à leur impulsion.

UNE NOUVELLE IDENTITÉ ?

Bien que les pères de la Foi se soient joint après 1814 à la nou-velle Société, leur « cura monialium » intensive ne fut pas re-pris, sinon sous une forme très mitigée, dans la politique du nouvel ordre jésuite. D’autres sujets menèrent à des confron-tations entre les anciens pères de la Foi et les membres de la nouvelle Compagnie, dont les débuts furent profondément marqués par deux généraux successifs, Luigi Fortis (1820-1829) et Roothaan (1829-1853) déjà cité. Le père Mark Lindei-jer a étudié en détail la figure de Roothaan, et sa formation de bon administrateur jésuite en tant que supérieur du col-lège de Turin (1826-1829). Des principes ignaciens éprouvés, comme la foi profonde en Dieu et en ses capacités propres, l’implication étroite dans le monde et la flexibilité d’enga-gement lui furent transmis par Fortis, son prédécesseur. Le

Note sur l’usage de l’écriture secrète pendant la période de la suppression. [Archives des jésuites de la province belge et flamande: 224]

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du côté hongrois, la demande est toujours aussi grande. Im-pliquer la Belgique « catholique » paraît dès lors logique.

La migration vers la Belgique est organisée à la fois par le pays d’origine et par le pays hôte. La Ligue d’État hongroise pour la protection des enfants (Magyar Országos Gyermek-védő Liga), une institution caritative fondée en 1905, est res-ponsable des formalités administratives, de la procédure de sélection, du contrôle médical et du départ des enfants de-puis Budapest. En Belgique, l’Œuvre de l’enfance hongroise est fondée sous la protection officielle du cardinal Mercier. Son secrétariat est établi à Turnhout, sans doute parce que cette ville frontalière est proche de Tilburg, où arrivent les premiers enfants.

Au début, les diplomates et les organisateurs hongrois ne sont pas rassurés quant à la réussite de l’action en Belgique. Bien que l’engagement militaire hongrois ait été limité sur le front de l’Ouest, en particulier en Belgique, les deux pays sont d’anciens ennemis. La population n’a jamais eu de contact avec les soldats hongrois et en sait généralement très peu sur la Hongrie, sa langue et ses traditions culturelles. Mais les Hongrois vont être agréablement surpris et soulagés face au succès de l’initiative. De 1923 à 1927, entre 20 000 et 22 000 enfants sont accueillis pendant quelques mois en Bel-gique. Le premier train arrive le 1er mai 1923 à Turnhout. En-

LES « PETITS HONGROIS »ACTIONS BELGO-HONGROISES AU PROFIT DES ENFANTS (1923-1927 ET 1946-1948)VERA HAJTÓ

C’est une histoire oubliée aujourd’hui, mais il y a no-nante ans, chaque commune flamande (et, dans une moindre mesure, wallonne) hébergeait au moins un « petit Hongrois », ainsi que l’on désignait ces enfants, avec un sentiment de compassion et un zeste de pater-nalisme. Plus de 10 000 enfants hongrois séjournèrent ainsi pour quelques mois dans une famille d’accueil belge dans le cadre d’un projet humanitaire internatio-nal, afin de s’y « fortifier ». L’opération se répéta, à une échelle plus modeste et dans un autre contexte, après la Seconde Guerre mondiale. Le KADOC prépare pour 2016 une exposition sur ces deux actions d’aide aux enfants. Nous sommes donc à la recherche de documents et de récits.

Après la Première Guerre mondiale, le double Empire aus-tro-hongrois se démantèle. La Hongrie indépendante étant affaiblie par des crises politiques internes, des troupes étran-gères envahissent le pays. En vertu du traité de paix conclu en 1920 au Trianon de Versailles, celui-ci perd en outre une partie considérable de son territoire. Ces événements ont de fortes retombées sur la société et l’économie hongroises. Une grande partie de la population se retrouve plongée dans la pauvreté. Le chômage, la faim, le manque de médicaments et la médiocrité du logement touchent de nombreuses fa-milles, en particulier les enfants. Il ne faudra heureusement pas longtemps avant que des organisations internationales s’intéressent au pénible sort des enfants hongrois.

Cette réaction rapide découle de l’intérêt croissant accordé depuis la fin du XIXe siècle au bien-être des enfants en Eu-rope et en Amérique du Nord. En 1900, l’auteur féministe suédoise Ellen Key baptise à juste titre le XXe siècle « siècle de l’enfant ». Des milliers d’enfants vont (temporairement) quitter leur famille dans le cadre de programmes d’aide hu-manitaire. Les deux exemples les plus connus sont les ac-tions entreprises en faveur des enfants basques pendant la guerre civile espagnole et le « Kindertransport » britannique destiné aux enfants juifs en 1938-1939. Le programme d’aide aux enfants hongrois est l’un des premiers exemples de ce type de programme d’aide humanitaire.

L’ŒUVRE DE L’ENFANCE HONGROISE

Ce programme d’aide débute aux Pays-Bas en 1920. Les en-fants sont placés pendant quelques mois dans des familles néerlandaises, afin de compenser les privations dont ils sont victimes chez eux. D’autres pays, comme la Suède, le Dane-mark, la Grande-Bretagne, la Suisse et, enfin, la Belgique, suivent cet exemple. À leur arrivée, en train, aux Pays-Bas, les enfants sont répartis entre des familles catholiques et protestantes en fonction de leur confession. En 1923, les organisateurs néerlandais constatent que le nombre de fa-milles catholiques participant à l’Œuvre diminue alors que,

Photo de la ‘situation’ en Hongrie, publiée dans Met de Belgische pleegouders naar Hongarije (1925).[KB8776]

Des enfants hongrois qui séjournèrent dans des familles d’ac-cueil à Denderleeuw en 1925.[Collection privée de Vera Hajtó]

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ans, et ne bénéficiera qu’à quelques milliers d’enfants. Après la mise en place du rideau de fer, les autorités hongroises refuseront désormais que des enfants viennent en Belgique et aux Pays-Bas.

Malgré sa courte durée et les débats politiques qu’il suscite, ce second projet belgo-hongrois d’aide aux enfants connaît lui aussi un vif succès. Beaucoup de familles qui ont partici-pé à la première édition se portent à nouveau candidat. Et, comme vingt ans auparavant, certains de ces enfants vont rester définitivement dans leur famille belge.

APPEL

Le KADOC prépare pour 2016 une exposition consacrée à ces deux projets humanitaires. Il y sera question du contexte dans lequel les initiatives ont eu lieu et de leur organisation, mais l’accent sera mis sur la façon dont les enfants et les fa-milles d’accueil ont vécu ces séjours. Nous sommes encore à la recherche d’archives (photos, brochures, souvenirs…) et de témoignages d’enfants et de familles. Vous êtes invi-té à prendre contact avec Vera Hajtó ([email protected]) et/ou Roeland Hermans (roeland.hermans@kadoc. kuleuven.be ou 016 32 35 00).

[KADOC-Nieuwsbrief 2014/6, 4-9]

suite, 400 ou 500 enfants sont accueillis chaque mois dans notre pays. Suite à l’évolution de la situation politique et éco-nomique en Hongrie, l’action est arrêtée en 1927.

LES FAMILLES D’ACCUEIL

Outre le secrétariat national de Turnhout, des sections lo-cales sont également créées. Les curés de paroisse prennent la tête du mouvement. Ils font la promotion de l’action au-près des familles belges et se chargent de répartir les enfants. Parfois, les familles peuvent choisir le sexe et le statut social de leurs protégés. « Turnhout » assure avec les familles la réussite financière du projet, qui, du côté hongrois, est par-tiellement soutenu par les autorités et des fonds caritatifs. En Belgique, on rassemble de l’argent grâce à la vente de pu-blications, dont des petits dictionnaires ou des catéchismes pour enfants hongrois-néerlandais. Les familles belges paient aussi une partie des frais de voyage.

Lorsque les trains arrivent dans les gares belges, les enfants sont répartis en groupes. Selon leur destination, ils sont ac-cueillis directement par leur famille d’accueil ou, ce qui est plus fréquent, transférés vers d’autres localités. Là, ils font la connaissance de leurs parents belges à la salle paroissiale ou à la salle des fêtes. Les congrégations religieuses accueillent également des enfants.

RETOUR EN HONGRIE ?

Le projet de vacances a des conséquences inattendues. Se-lon les directives officielles, les enfants restent six mois en Belgique, puis retournent chez eux. La date de retour est en revanche fixée par les parents hongrois et belges. Pour gar-der un enfant plus longtemps en Belgique, il suffit que la fa-mille d’origine donne son autorisation informelle. La durée des séjours varie donc fortement. Certains retournent après les six mois prévus, d’autres restent un ou deux ans. D’autres encore viennent en Belgique à plusieurs reprises et font des allers et retours réguliers entre les deux pays.

Il y a aussi des enfants qui ne retournent jamais en Hongrie. Leur séjour en Belgique change leur existence de manière décisive. Certains sont des orphelins qui ont trouvé une nou-velle famille. Beaucoup restent ici avec l’autorisation des pa-rents hongrois. Souvent, il s’agit d’une veuve (de guerre) qui s’est remariée et n’a plus de place dans sa nouvelle vie pour les enfants de son ancien mariage. Il y a aussi des veuves que ne sont tout simplement pas à même de s’occuper de leurs enfants. Un séjour permanent en Belgique constitue alors la meilleure garantie pour le bien-être physique et matériel de l’enfant.

UN SECOND PROJET

En 1946-1948, un nouveau projet humanitaire en faveur des enfants hongrois est lancé en Belgique (et aux Pays-Bas). Il diffère par son organisation de celui des années 1920. Les Hongrois ne sont plus que l’un de groupes d’enfants qui passent des vacances dans une famille belge. Le projet est géré par l’organisation Caritas Catholica et ses sections na-tionales. Les circonstances et le contexte politique général de l’Europe d’après-guerre sont déterminants pour le projet d’aide belge. Il va durer moins longtemps, seulement deux

Des familles d’accueil et enfants en voyage en Hongrie en 1925.[KB8776]

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tiens voient dans la passion de Jésus la beauté du sacrifice total. Sâr Péladan s’applique notamment à organiser des ex-positions montrant de l’art qui met cette vision en pratique. Eugène Yoors compte parmi les nombreux visiteurs de ces manifestations. Dans les idées de Péladan, il reconnaît sa propre expérience en tant qu’artiste ; le chemin de l’art est dur, mais le résultat est la beauté divine. Ses futures expé-riences pendant la Première Guerre mondiale ne feront que le conforter dans cette conviction.

FLOR ET FÉ EN TÊTE

Dans un entretien avec Joos Florquin sur le cercle artistique Streven, de Boechout, dont il a fait partie à partir de 1907, Flor Van Reeth fait également référence à l’influence de Sâr Péladan : « Nous y étions totalement sous l’influence du let-tré français Joséphin Péladan, surnommé le Sâr. Il préten-dait que sa lignée descendait d’un roi babylonien, dont il avait hérité du titre de « sâr » (grand prêtre). C’était l’époque de Bloy, de Huysmans, qui s’étaient lancés dans une croi-sade contre les idées positivistes de leur époque. Péladan était également symboliste et auteur de L’art idéaliste et mys-tique. Nous lisions tous ses livres. Eugène Yoors est resté l’un de ses plus fidèles disciples. Le Fé [Felix Timmermans, ndlr] est également devenu un disciple de Péladan et nous avons conservé quelque chose de son influence pendant toute notre vie : spirituellement, nous sommes différents, nous cherchons une signification plus profonde sous la surface. Timmermans a dépeint cela dans ces livres, je l’ai traduit dans l’architecture. »

De même qu’après la Première Guerre mondiale, le prénom d’Eugène Yoors est flamandisé en « Eugeen », Denijs Peeters omet dans sa biographe de l’artiste (1955) ses années pari-siennes. L’influence de Sâr Péladan est de moins en moins mentionnée. Tout au plus le philosophe Jacques Maritain (1882-1973), successeur de Sâr Péladan dans le domaine du recrutement d’artistes pour la cause catholique, est-il encore évoqué comme influence française sur Eugène Yoors. Dans le volume d’hommage offert en 1930 à l’artiste, ses confrères de Pelgrim renvoient pourtant de différentes manières à Sâr Péladan. Dans son article, Felix Timmermans décrit en dé-tail la « période Sâr Peladan » : « L’époque temps de l’ado-ration, de la barbe et des longs cheveux, du végétarisme, de l’amour lohengrinnien et de la mystique parsifalesque ; des nuits passées dehors pour jouer du Beethoven au violon ;

EUGÈNE YOORS ET LES ROSICRUCIENS UNE FACETTE MÉCONNUE DE LA VIE DE L’ARTISTE

JO GOVAERTS

Le verrier flamand Eugène Yoors (1879-1975) a laissé à sa mort des archives particulièrement riches, mais aussi complexes, qui sont conservées au KADOC. On y trouve entre autres des notes pour une autobiographie jamais achevée, d’innombrables coupures (de presse) souvent annotées, des notes de lecture et, surtout, des liasses de lettres. Tout ce matériel donne une image nuancée des conceptions de Yoors, à la fois dans le domaine poli-tique et dans celui de la religion ou de l’art. Jo Govaerts a consacré l’article qui suit à un aspect particulièrement fascinant de la longue vie de l’artiste. Elle travaille à une biographie de Jan Yoors (1922-1977), le fils d’Eugène, lui aussi artiste aux multiples facettes, qui a travaillé prin-cipalement aux États-Unis, notamment comme photo-graphe et lissier. En fouillant dans les archives du père, elle est tombée sur des documents concernant la Rosace et les rosicruciens, une société artistique inspirée pour une part par l’écrivain et esthète français Joséphin, alias Sâr Péladan (1858-1918).

Eugène Yoors a été le plus ancien membre fondateur du mouvement de Pelgrim (Pélerin), qui milita vers 1930 pour un renouveau de l’art religieux. Bien qu’il n’ait pas été un théoricien du mouvement et ait rarement couché sur papier ses idées à propos de l’art, il avait à ce sujet des vues pré-cises, auxquelles il est longtemps resté fidèle. Yoors était un disciple de Sâr Péladan, fondateur du mouvement rosicru-cien catholique « Rose-Croix esthétique » (1890), qui était proche du symbolisme et de l’ésotérisme. Il était aussi un lecteur assidu d’un autre disciple de Péladan, l’écrivain fran-çais Léon Bloy (1846-1917). Eugène Yoors fit personnellement la connaissance de ces deux hommes et initia à leur œuvre d’autres membres importants du mouvement de Pelgrim, comme l’architecte Flor Van Reeth (1884-1975) et l’écrivain Felix Timmermans (1886-1947). Ses archives renferment un document témoignant de cette appartenance : la déclaration de fondation de la Rosace.

LES ANNÉES PARISIENNES D’EUGÈNE YOORS

En 1905, Eugène Yoors emménage à Paris pour y étudier, selon ses propres dires, à l’Académie des beaux-arts. En particulier l’anatomie, précise la Biographie nationale de Belgique. Sans doute s’agit-il de cours du soir ou d’ateliers libres, car son nom ne figure nulle part dans la liste des anciens étudiants, ainsi qu’il ressort de nos contacts avec l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Mais il est clair que la vie parisienne laisse une impression durable sur Eugène ; il y fait connaissance avec des figures illustres comme l’écrivain Joris Karl Huysmans (1848-1907), Léon Bloy et, surtout, Sâr Péladan.

Sâr Péladan est le fondateur d’un ordre rosicrucien, dont la devise est : « Ad rosam per crucem, ad crucem per rosam ». La rose symbolise à travers ses épines l’enchevêtrement de la beauté et la souffrance, de la même façon que les chré-

Eugène Yoors devant un œuvre de lui.[Collection des photos Ons Volk]

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tistique Streven à Boechout et se fait un nom en tant que portraitiste grâce à ses participations à diverses expositions, il entraîne les artistes dans ses visites à Paris. Le facteur de Boechout ne cesse de colporter les cartes postales échangées par les amis artistes au sujet de voyages à Paris. Boechout, ou plutôt Bouchout, comme on peut lire sur le cachet d’une série de missives conservées au KADOC ; à l’époque, la com-mune porte encore un nom francophone.

LA VISION DE EUGÈNE YOORS AU SUJET DE L’HISTOIRE DE L’ART

Selon Felix Timmermans – toujours dans le volume d’hom-mage de 1930 –, Eugène est un « véhément péladaniste, un membre enflammé des ardents rosicruciens ». Ce que cela signifie précisément, l’artiste le décrit lui-même en 1928 dans une conférence sur le mouvement artistique français de l’Arche et son porte-drapeau, Valentine Reyre, qui sera

l’époque de J. K. Huysmans, des visites de monastères, de la recherche des symboliques, le temps des livres de magie, des béguinages, des cathédrales et de la liturgie. Mais c’était quand même une belle époque, une époque de liberté, de bohème, d’ardente admiration et de profond mépris, d’épa-nouissement spirituel, d’enrichissement du cœur, d’audace et de défis. Elle brûlait d’enthousiasme, il y avait de la mu-sique, la chaleur du cercle d’apôtres, et il y avait surtout du bonheur ! C’étaient des jours pleins, riches, chargés d’émo-tions, d’idéalisme. Il nous arrive de penser : ”Bah, ce n’était que de la mousse.” Bien sûr, c’était de la mousse, mais en-dessous, il y avait un vivifiant champagne ! Ces jours ont laissé leurs traces et je suis encore heureux aujourd’hui de les avoir connus. »

Tant Flor Van Reeth que Felix Timmermans étaient déjà liés à Eugène Yoors pendant ses années parisiennes. Lorsqu’en 1907, Yoors quitte Paris, entre en contact avec le cercle ar-

L’acte de fondation de la Rosace, avec le nom de frère Eugène Yoors.[Archives Eugène Yoors et Magda Peeters]

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de Memlinc. Comme plus tard dans le cas du mouvement de Pelgrim, qui aura également saint François comme patron, l’objectif est d’exprimer la gloire de Dieu à travers l’art et de rapprocher l’homme de Dieu par le biais de celui-ci. À ce su-jet, Eugène Yoors écrit dans Vrouwenleven : « À la tête du mouvement, il y avait le peintre Jacques Brasilier ; le sculp-teur Charlier faisait partie des membres, ainsi que le peintre russe Polisédif. Il y avait aussi des Flamands, à savoir René Lombaerts, Flor Van Reeth et moi-même, ainsi qu’une di-zaine de jeunes artistes français et italiens. Notre première exposition a eu lieu en 1909 à Paris ; les spectateurs ont été pris par les œuvres, mais il n’en est rien ressorti ; aucune coopération ne s’est engagée entre le public et notre groupe, cela en est resté à une admiration passive. La Rosace elle-même était un cercle fermé ; elle n’avait pas d’« énergie mo-trice ». Le temps des « mouvements » ne viendrait qu’après les grands bouleversements de la guerre mondiale. Tous les pays avaient leurs artistes qui promouvaient l’art religieux, mais ils se battaient chacun dans leur coin. La France avait Puvis de Chavannes, la Hollande Jan Toorop, le Pologne Von Mehoffer. Il y avait aussi Wispiansky, Moser, etc. ; il n’y avait de mouvement nulle part. Puis 1914 est arrivé. Soudain, comme dans un rêve, nous étions (comme dit Léon Bloy) « au seuil de l’Apocalypse, face à face avec la mort ». Les peuples chrétiens se massacraient entre eux ; des millions de gens étaient assassinés, mutilés, désemparés, et pendant quatre ans, l’humanité a vécu dans l’horreur. Mais le monde n’a pas disparu, cette fois non plus. La fin a été reportée. La paix est venue et comme en l’an mille, l’humanité a respiré et les artistes, les catholiques en particulier, ont senti en eux l’élan créatif qui les poussait à l’action. »

En 1916, les artistes catholiques français fondent le mouve-ment de l’Arche, qui organise une première exposition en 1917. « Comme symbole, ils ont pris l’Arche (l’arche de Noé) qui porte la beauté au-dessus des eaux chaotiques du monde moderne. » Lorsqu’en octobre 1928, le mouvement artistique flamand de Pelgrim organise à son tour une exposition, des œuvres de membres de l’Arche, comme Valentine Reyre et Dom Bellot, y sont incluses. Cela n’a rien d’étonnant dès lors que plusieurs membres du mouvement de Pelgrim ont aussi été péladanistes.

Sâr Péladan disparaît en 1918, un an après Léon Bloy, dans les livres duquel ses idées avaient trouvé un puissant écho. Au décès de l’écrivain, la toute récente épouse d’Eugène Yoors écrit à la veuve. La réponse de celle-ci figure égale-ment dans les archives de Yoors. Lorsqu’en 1947, Eugène Yoors sera opéré après une période de cécité et retrouvera enfin la vue, le premier livre qu’il réclamera sera une œuvre de son vieil ami Léon Bloy.

[KADOC-Nieuwsbrief 2014/5, 10-15]

publiée plus tard dans la revue Vrouwenleven : « Avant de parler de Valentine Reyre et du mouvement de l’Arche, je voudrais retourner 1000 ans en arrière. En l’an mille, le monde était censé disparaître. On en était sûr. Cela avait été prédit et c’était écrit. Les gens en étaient tellement certains qu’ils étaient morts de peur. L’an mille est arrivé et le monde n’a pas disparu, les gens se sont réjouis et, par reconnais-sance, ils se sont mis à construire des églises. Les architectes avaient des grandes ambitions et le peuple collaborait. Tout le monde participait et l’on voyait même des moines, des prêtres et des évêques porter des pierres et des poutres. Quand un sculpteur voyait un beau bloc de pierre, il y sculp-tait une Vierge à l’Enfant. Puis, le temps de saint François est venu. François a jeté ses habits de riche, revêtu une bure à capuche et parcouru l’Italie pieds nus pour encourager les gens à la pureté, à la simplicité, à l’amour et à la bonté. […] Un nouveau printemps se levait sur le monde. »

Selon Eugène Yoors, la Renaissance a mis fin au temps de la foi, de l’espoir et de l’amour et tout est devenu décadent. Il a fallu attendre Eugène Delacroix et l’école romantique en France et Ruskin et les préraphaélites en Angleterre pour que la quête de l’émotion et de la beauté reprenne dans l’art. Sâr Péladan a décrit dans ses textes cette quête renouvelée de l’art vrai. « En 1890, l’écrivain français Josephin Péladan publie L’ Art idéaliste et mystique, où il explique que pour lui, l’art n’a pas de raison d’être s’il n’est pas religieux et s’il n’a pas pour ressort de servir un idéal supérieur. Il s’emporte aussi violemment contre ceux qui peignent des portraits, des natures mortes, des rues, des animaux ou des fleurs, af-firmant avec indignation : ” Ce sont des peintres, pas des ar-tistes.” Dans L’ Art idéaliste et mystique, Péladan donne donc la règle qu’un artiste doit appliquer s’il veut promouvoir l’art religieux : son art doit être ”idéalement beau et profondé-ment mystique”. Convaincu de la nécessité d’un renouveau spirituel à travers l’art, Péladan a écrit plusieurs ouvrages expliquant son idéal, qui a été un fil conducteur pour beau-coup de jeunes de son époque. »

Eugène Yoors voit une filiation logique entre le groupe ré-uni à la fin du XIXe siècle autour de Sâr Péladan et, au XXe siècle, les mouvements de la Rosace et de l’Arche ou encore le mouvement flamand de Pelgrim : « Pour plusieurs raisons, ce groupe d’artistes s’est dissous une dizaine d’années plus tard, et nous, les jeunes de l’époque, avons créé à Paris un nouveau groupe, appelé « La Rosace ». Nous avons repris les règles de l’ancienne Rose-Croix, mais nos aspirations étaient exclusivement de nature religieuse. »

LA ROSACE

La fondation du mouvement rosicrucien La Rosace a laissé une trace concrète dans les archives de Yoors : l’acte de fon-dation, daté du 29 mars 1908, de la « confrérie rosicrucienne de la Rosace ». Sa devise est « Artes ad Christum ! Artes ad Deum », suivie de « Soit Loué! Soit Loué/Le Dieu d’Amour et de Beauté/Soit Loué ! » Le fondateur est frère Angel, le saint patron François d’Assise, frère Eugène – Eugène Yoors – est le « zélateur d’Anvers » et frère Florent – Flor Van Reeth – est inscrit en tant qu’ « affilié ». Les deux Belges prennent part à l’exposition qui doit soutenir la fondation du nouveau mou-vement, Yoors avec une toile intitulée Sainte Marie-Made-leine au tombeau et Van Reeth avec la peinture Cité mystique

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depuis le premier siècle a reçu une structure définitive ; de là, l’expression de « chant grégorien ». Il y a trois types de recueils de chant grégoriens : les antiphonaires, les graduels et les processionnaux. Les antiphonaires sont des livres de chœurs réunissant les chants des prières rituelles dites ou chantées à heures fixes au cours de la journées (matines, laudes, quatre petites heures, vêpres et complies). Dans les graduels, on trouve les chants de messe, tandis que les processionnaux comprennent les chants liés aux autres cé-rémonies, comme les processions. La collection du KADOC renferme en outre des tirés à part et des compilations de ces trois « types standard », par exemple le Cantuarium ad Usum Scholarum, une compilation de chants grégoriens destinée aux écoles. Certains tirés à part, présentés dans un petit for-mat pratique, précurseurs des éditions de poche, étaient ré-servés aux solennités particulières, comme la messe de Noël (In Nocte Nativatis Domini), les offices de la semaine sainte (Officium Hebdomadae Sanctae) ou les funérailles (Missa pro Defunctis). Parmi les principaux recueils de chant gré-goriens, on compte aussi les partitions, le plus souvent pour l’accompagnement à l’orgue, comme l’Organum comitans ad Graduale. Les cérémonies particulières avaient également leur accompagnement à l’orgue. De plus, de nombreuses pièces indépendantes étaient composées pour permettre à l’organiste de rehausser et de personnaliser les offices. Des exemples intéressants de cette catégorie sont également conservés dans notre collection.

RENOUVEAU LITURGIQUE ET RESTAURATION GRÉGORIENNE

Au XIXe siècle, la musique liturgique entre dans une période de renouveau. La quête d’authenticité musicale qui va de

« CHANTEZ ET SOYEZ PIEUX » PATRIMOINE MUSICALCARINE DUJARDIN & INGRID QUIX

Le titre du recueil de chants Singhet ende weset vro (Chantez et soyez pieux), publié en 1941 par le musi-co-pédagogue flamand Ignace De Sutter (1911-1988), illustre d’une manière frappante le contenu de la col-lection musicale conservée dans la bibliothèque patri-moniale du KADOC. Cet ensemble comprend de la mu-sique liturgique et religieuse, mais aussi de la musique populaire profane et des chants de mouvements, non seulement en néerlandais et en français, mais aussi en latin et même, étant donné notre passé missionnaire, en langues africaines. On y trouve aussi bien des livres de chants liturgiques que des chansonniers profanes, avec ou sans notations musicales. Le fond comprend en outre des éditions musicales, le plus souvent de la mu-sique pour orgue accompagnant les offices, et une large collection de partitions, certaines manuscrites, le plus souvent imprimées, et, dans une série de cas, dans de très belles éditions.

Ce large éventail de musique religieuse et profane offre de nombreuses possibilités de recherche. Les musicologues et les historiens de la culture y trouvent un échantillon impres-sionnant de plus de deux siècles et demi de patrimoine mu-sical (à partir de 1750), correspondant à une époque où la religion faisait encore partie intégrante de la vie quotidienne en Flandre et en Belgique. Pour les théologiens et les histo-riens de l’Église, il y a là un passionnant matériel permettant d’étudier l’influence de certaines prescriptions normatives (par exemple dans le domaine de la standardisation et de l’utilisation du latin ou de la langue vernaculaire) sur la pra-tique liturgique et religieuse. Les historiens du livre et les bibliophiles peuvent aussi trouver leur bonheur dans cette collection. Les aspects formels, comme le format, la typogra-phie, la reliure, l’iconographie ou les informations relatives au prix d’achat, au tirage ou à l’éditeur, renseignent en ef-fet sur l’usage, la diffusion et l’impact de certains courants historico-culturels. La diversité de maisons d’édition et de centres liturgiques nationaux, régionaux et locaux (plus de 250) illustre la rentabilité et la large diffusion des collections liturgiques en Flandre. La notation musicale, neumatique dans les livres de chant grégoriens, écriture chiffrée et/ou portées dans les éditions populaires, concerne plutôt les mu-sicologues ou les exécutants. Enfin, les personnes intéres-sées peuvent aussi chercher dans ce fond un chant religieux ou profane spécifique et/ou son exécution.

MANUELS DE CHANT GRÉGORIENS

Il va de soi que la musique qui était chantée pendant les cé-lébrations eucharistiques représente un élément important du patrimoine musical conservé au KADOC. Le terme de « musique grégorienne » désigne de manière générique des chants à une voix introduits officiellement dans la liturgie catholique romaine sous le règne du pape Grégoire le Grand (590-604). Lorsque le latin est devenu la langue officielle de la liturgie, vers 300 ap. J.-C., il a fallu créer des chants reli-gieux dans cette langue. C’est sous Grégoire le Grand que le chant sacré liturgique qui s’était développé progressivement

Couverture du livre Een Suyverlic Boexken voor Scoene Sieltjens, une édition de Willem De Meyer, s.d.[KZ4.12KE-250/s.d.]

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turgique. À travers la personne de dom Lambert Beauduin, l’abbaye du Mont-César occupe une place important dans le mouvement liturgique, notamment à par le biais de la revue La Vie liturgique et les Semaines liturgiques qui sont orga-nisées dans cette abbaye. D’autres centres, comme l’abbaye bénédictine d’Affligem et l’abbaye des norbertins à Tongerlo, jouent également un rôle important.

Les recueils liturgiques continuent d’être édités en latin, mais avec une traduction en langue populaire et une nota-tion musicale plus accessible. Nous en trouvons un exemple dans Kerkzangen ten gebruike der geloovigen (Chants d’Église à l’usage des croyants), édité par Dessain, qui en est déjà à sa dixième édition en 1935. Le chanoine Floris Willlems y dé-veloppe une dizaine de règles pratiques concernant la par-ticipation du peuple à l’événement sacré de la messe. Sous l’influence du mouvement liturgique, on voit aussi paraître plusieurs recueils en langue populaire, souvent édités par la paroisse ou une imprimerie locale. Certains connaissent une grande diffusion, comme Hosannah ! Les Anges du ta-bernacle (1902-1908) ou Vlaamsch Hosanna (1916), qui ren-ferment à la fois des chants en latin, en néerlandais et en français avec notation musicale moderne et seront réédités jusque dans les années 1950. Bien que les missels populaires se répandent largement à l’époque, l’usage du chant popu-laire est loin d’être généralisé. Le débat « grégorien contre langue du peuple » ne sera tranché que lors du concile Va-tican II.

VATICAN II EN TANT QU’AGGIORNAMENTO MUSICAL

En 1955, Pie XII publie l’encyclique Musicae Sacrae, suivie trois ans plus tard par une instruction reconnaissant le chant

pair est principalement soutenue par l’ordre des bénédic-tins et l’abbaye de Solesmes. Le pape Pie X, qui attache une grande importance à la dévotion et à la liturgie, sympathise avec Solesmes et mise sur ce mouvement de renouveau. Son décret sur la musique sacrée, Motu Proprio : Tra le sollecitu-dini (1903), confirme le grégorien comme standard pour la musique ecclésiastique sacrée. Craignant la contamination de l’Église par le modernisme, il souhaite aussi que la litur-gie soit renforcée. Le décret prévoit certes une participation plus active des croyants, mais les chants en latin sont main-tenus. La langue populaire ne fait qu’une timide entrée, cela, au moment où le mouvement liturgique commence à se po-pulariser en Europe occidentale.

La contribution belge dans ce domaine est considérable. Jacques-Nicolas Lemmens et Pierre-Jean Van Damme jouent un rôle clé dans la fondation de l’institut Lemmens (1879), une « école de musique religieuse pour organistes, maîtres de chapelle et chanteurs ». Edgar Tinel succède à Lemmens en tant que directeur. Le chanoine Van Damme est la che-ville ouvrière d’une association Saint-Grégoire belge (1880) et de la revue Musica Sacra (1881-1964), consacrée au chant d’Église et à la musique religieuse. Leurs efforts pour im-pliquer plus activement les croyants dans les offices se traduisent par une recherche créative de nouvelles compo-sitions (e.a. de Jules Van Nuffel, Gaston Feremans et Edgar Tinel). Les suppléments mensuels de la revue sont une ex-cellente source à ce sujet.

CHANT RELIGIEUX EN LANGUE POPULAIRE

De la parution du Motu Proprio (1903) aux années 1950, de nombreux efforts sont fournis pour améliorer la musique li-

Couverture du Geestelijke Liederkrans (Recueil de chants spiri-tuels) (1923), édité par Alfons Moortgat.[KB41556]

Couverture du Een nieuw lied (Une chanson nouvelle) (édition de 1965) d’Ignace De Sutter.[KZ4.8NL-42]

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et la variété (Elly et Rikkert, Boudewijn de Groot) font aussi leur entrée dans la célébration liturgique, par exemple lors des messes de mariage. Ces nouveaux développements sont illustrés dans les nombreuses éditions ou livrets de messe « faits maison », représentatifs de la culture contemporaine du stencil et de la photocopie.

MUSIQUE RELIGIEUSE : « CHANTER, C’EST PRIER DEUX FOIS »

Jusque tard dans les années 1960, la religion et le chant font en Flandre intégralement partie de la « riche vie catholique ». Au-delà de la musique de messe, la collection renferme aus-si beaucoup de musique de circonstance, chantée en dehors des cérémonies liturgiques. L’influence du mouvement li-turgique y est à nouveau sensible. En 1904, Alfons Moortgat (1881-1962), compositeur et organiste connu, édite un recueil de chants spirituels en néerlandais pour les principales fêtes de l’année ecclésiastique. Son Geestelijke liederkrans uit de Bloemen onzer Vlaamsche Toon- en Letterkundigen samengesteld (Recueil des meilleures chansons spirituelles de nos compositeurs et écrivains flamands) va être remanié, enrichi et réédité à plusieurs reprises. En 1923, un synopsis destiné à l’usage quotidien paraît sous le titre de Geestelijke liederkrans : voor kerk, school en huisgezin (Recueil des chan-sons spirituelles pour l’Église, l’école et la famille).

La collection du KADOC contient aussi des partitions indé-pendantes, classées par thème. Bien des compositeurs fla-mands ont écrits des chants spirituels sur des textes latins ou néerlandais. Quelques exemples. Het kerksken van te lande (La petite église à la campagne) sur un texte de Paul Fierens avec une « version flamande » de Maurits Sabbe est à présent mis en musique par August De Boeck. En 1955, Lo-dewijk de Vocht compose une musique pour le psaume 30, verset 15 In te speravi (Op U heb ik mijn hoop gesteld / En vous, Seigneur, j’ai mis mon espérance). Remi Ghesquiere écrit la musique du Pie Jesu du requiem « pour un enterre-ment ou une messe du souvenir ».

Dans les chants de messe, nous distinguons les chants de com-munion, chantés à l’occasion de la première communion ou de la communion solennelle, les chants de prêtres, destinés à la « première messe » d’un prêtre fraîchement ordonné, des chants de fête, de joie et de grâce, chantés lors d’un jubilé monastique. Les nombreux chants de Noël ou mariaux présents dans la col-lection sont aussi chantés en dehors de la messe. Nous en re-trouvons aussi bien dans les recueils que dans la collection de partitions avec accompagnement au piano.

Les chants de mission ont évidemment surtout rapport avec l’ancienne colonie, c’est-à-dire le Congo. À côté de la Marche congolaise, un composition pour piano d’Antoine Gilis, la col-lection renferme notamment De kleuterkens van Congoland (Les petits enfants du Congo) sur un texte de P. Symphoria-nus et une musique de P. Quirinus Jacquens, deux frères mi-neurs flamands. Dans certains instituts religieux, comme les missionnaire du Sacré-Cœur, composer de la musique était même considéré comme une forme d’apostolat, une manière de rapprocher les cultures occidentales et non chrétiennes. Dans les années 1930, Alfons Walschap (1903-1938), frère de Gerard Walschap, compose ainsi un oratorio de Noël, cinq messes bantoues et un recueil de motets latins en congolais.

populaire religieux. Le concile Vatican II (1962-1965) confirme le latin comme langue universelle de l’Église et le grégorien comme musique de la liturgie romaine, mais accorde aussi une plus grande place à la langue populaire et à la participa-tion active des croyants aux célébrations. À côté des œuvres chorales en latin, de nouveaux chants sont composés dans la langue du peuple. Les textes ne sont pas tant inspirés de la dévotion populaire, comme c’était le cas jusque-là, que de la Bible et en particulier des psaumes. Maurits van Vossole, Jan Willem Schulte Nordholt, Ad den Besten, Marcel Wee-maes, Huub Oosterhuis et Willem Barnard sont d’importants paroliers. Pour les mélodies, on trouve souvent l’inspiration dans de vieux hymnes ou mélodies chorales. Parmi les com-positeurs de la période précoce, on peut citer Jozef Hanoulle, Lodewijk de Vocht, Marcel Weemaes et Ignace De Sutter.

La fondation, en 1958, de la Commission interdiocésaine pour le soin liturgique des âmes (ICLZ), qui comprend une sous-commission pour la musique ecclésiastique, représente un jalon important dans cette évolution. La revue Adem (1965-2013), de l’Institut Lemmens, remplace Musica Sacra (1910-1964), publication finissante, dans son rôle d’orientation du renouveau liturgique. Chaque numéro contient un supplé-ment avec accompagnement de chants ou nouvelles œuvres pour chorales du répertoire de l’ICLZ. En 1969, la fédération de chorales Het Madrigaal (1955-1968) et Adem engagent une collaboration définitive. D’autres revues de l’époque, comme Ad te levavi (1959-1967) et Woord en Toon (1971-2002) de l’ab-baye de Male, qui s’intéresse notamment aux textes néerlan-dais des prières rituelles, ont aussi leur importance. L’École d’orgue limbourgeoise (H. Claes, Paul Schollaert, Guido Phi-lippeth) participe à ce renouveau. En 1965, le premier kyriale en néerlandais de Philippeth est couronné.

Dans la collection du KADOC, ce mouvement se traduit par une nouvelle catégorie de recueils de chants liturgiques non standardisés en langue populaire, comme Een nieuw lied (Une chanson nouvelle) (1962) d’Ignace De Sutter, édité chez Patmos, ou Zingenderwijze (En chantant) (1973). À partir de 1978, le recueil Zingt jubilate (Chantez jubilate) (1977) de-vient le recueil de chant officiel de la liturgie pour les évê-chés flamands à côté du Graduale Romanum. Parallèlement à l’évolution de l’Église flamande, des messes et des céré-monies de prière personnalisées apparaissent en lien avec certains rituels de vie, comme la première communion ou les funérailles. Dans les années 1970, la musique moderne

Partition manuscrite et signée d’Alfons Walschap.

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Nous retrouvons des chansons enfantines dans des recueils petits et grands. E. Gernaey en a composé de très nom-breuses. Les partitions contiennent aussi des indications permettent aux petits de représenter les chansons. Enfin, la collection renferme de la musique à exécuter lors de repré-sentations théâtrales, voire d’opérettes. La Garnaalmeisje (La fille crevette), « jeu chanté » en 1 acte sur une musique de Richard Bogaert, est un exemple typique.

AU SERVICE DE L’UTILISATEUR

L’engagement d’un volontaire a permis d’accélérer consi-dérablement le traitement de cette collection au cours des dernières années. Le fonds des partitions, en particulier, est désormais conservé et consultable dans de meilleures condi-tions. Chaque partition est rangée séparément dans une en-veloppe cristal transparente en papier non acide, conciliant qualités de conservation et facilité d’accès.

La collection fait l’objet d’un double dépouillement. Les re-cueils de chant publiés sont décrits dans la banque de don-nées Aleph. Le gros de la collection est classé par thèmes (par type de document, éditeur et date de publication) et, en ce qui concerne les partitions, par genre. Étant donné la valeur unique de ce patrimoine, toutes les éditions ont été conservées. On a également tenu compte des aspects for-mels, comme la couverture, la reliure et la typographie, les annotations, les dédicaces et la provenance. La bibliothèque entend par ce biais garantir une conservation aussi exhaus-tive que possible de ces témoignages de notre passé musical.

Pour que l’utilisateur s’y retrouve encore plus facilement dans ce matériel complexe, on réfléchit en ce moment à une mise à disposition plus efficace et plus intégrée du pa-trimoine musical des collections du KADOC. La première étape consistera à dépouiller les partitions musicales et les recueils de chants morceau par morceau, ce qui nécessitera à nouveau l’engagement d’un bénévole. Ce travail nous per-mettra de mieux valoriser la collection. Les partitions seront à terme associées à des fragments visuels et sonores conser-vés dans la collection audiovisuelle, actuellement en cours de numérisation. Les derniers développements technolo-giques permettent en effet une intégration plus fluide du texte, de l’image et du son. Grâce à notre catalogue, un utili-sateur pourra sans doute, dans le futur, consulter le texte et la partition d’un chant déterminé, mais aussi ses différentes exécutions avec image et son, tout cela à son domicile.

[KADOC-Nieuwsbrief 2014/3, 8-17]

Outre les chants de messe, de Noël et les chants mariaux, des chants à thèmes sont présents dans la collection. Il y a par exemple des chansons consacrées à des missionnaires connus, comme le père Damien (Damiaanlied de Arthur Meulemans sur un texte de J. Simons) ou à des événements marquants, comme la grande guerre (1914. Naar de Oorlog, texte de Carlos Danneels, musique de Gustaaf van Melle).

CHANTS DE MOUVEMENTS : « CHANTER PAR ENGAGEMENT »

Il n’y a pas que dans la liturgie que le chant occupe une place centrale. C’est aussi le cas dans la vie sociale et communau-taire. Le chant y est considéré comme une attitude de vie, un mission sociale : une façon de rendre le monde « meilleur ». Chaque organisation sociale se constitue sa propre tradition de chants et édite son propre chansonnier.

Les plus anciens « chants de mouvements » de la collec-tion sont sans doute les chants de zouaves des années 1861-1870. Ils étaient chantés par les soldats pontificaux qui parcouraient l’Italie pour défendre les États du pape contre les troupes libérales de Garibaldi. En 1869, De Vlaamsche Zouaaf (Le zouave flamand), sur un texte d’A. Bausart et une musique de Th. Kuy, est imprimé à Malines. Il s’agit d’une très belle édition.

La Croisade eucharistique (flamande) fondée en 1920 par les norbertins d’Averbode, dans le but de promouvoir les dé-crets sur la communion de Pie X (1910), avait par exemple ses « chants de lutte ». Plusieurs mouvements de jeunesse (patro, scouts et guides catholiques), les organisations pour la jeunesse des associations sociales (étudiants, jeunesse ouvrière catholique, etc.), des organisations (comme les Mutualités chrétiennes) voire de groupes professionnels, comme les infirmières catholiques flamandes, avaient leurs propres recueils de chants et/ou leur chant de mouvement. Beaucoup d’écoles disposaient de carnets de chants adap-tés. La Liederenkrans (Recueil des chansons) (1945-) de Jo-zef Ghesquière, éditée chez Desclée De Brouwer, a été uti-lisé jusqu’en 1980 dans l’enseignement. Les soldats avaient aussi leur carnet de chants. Les associations estudiantines possédaient des recueils qui étaient utilisés lors des soirées festives et dont certains ont encore cours aujourd’hui.

MUSIQUE POPULAIRE FLAMANDE

Dans la collection des chants flamands, on trouve des chan-sons populaires anonymes, comme Vier weverkens (Les quatre petits tisserads), mais aussi les créations d’écrivains et de compositeurs connus. Ils sont parfois appelés « chants culturels ». La majeure partie de cette musique date de la première moitié du XIXe siècle. Les recueils et partitions conservés d’Armand Preud’homme et d’Emiel Hullebroeck frappent par leur nombre. Peter Benoît (par ex. Mijn moe-derspraak) (Ma langue maternelle) et August De Boeck (par exemple Het groetend kindje) (L’enfant saluant) sont égale-ment bien représentés. Les qualités mélodiques de la poésie de Guido Gezelle sont confirmées par les partitions compo-sées pour accompagner ses poèmes, huit au total. L’édition des dix-neuf Kleengedichtjes (Petites poèmes) de Catharina van Rennes mis en musique, est particulière. Elle est dédiée à Hugo Verriest, un élève de Gezelle.

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amis du Sacré-Cœur, dont le nom renvoie à l’ancestrale dé-votion du Sacré-Cœur, qui connaît au XIXe siècle une écla-tante renaissance.

Gand est suivi de Lierre et très vite, la nouvelle initiative se répand dans le pays. Lorsqu’en 1909, la maison de retraite de Lierre fête ses dix ans, le cardinal Mercier se rallie égale-ment à l’œuvre et encourage le regroupement des hommes croyants au sein de ces ligues. Ces « zélateurs » doivent in-citer leurs co-paroissiens de même sexe à devenir membres actifs et à se montrer plus pieux. Dans les ligues, Jésus et l’amour qu’on Lui porte sont centraux. Le Sacré-Cœur est le symbole de cet amour. Dans beaucoup de foyers, on « in-tronise » d’ailleurs une représentation du Sacré-Cœur. Les ligues s’intéressent tout particulièrement aux prières collec-tives à l’occasion des messes mensuelles de la Ligue, avec eucharistie, organisées les premiers vendredis ou dimanches du mois. Diverses activités sont organisées en marge de cet office : diffusion des intentions mensuelles, consécrations de drapeaux, de familles, de communes, de paroisses au Sa-cré-Cœur, fête annuelle, mais aussi pèlerinages, congrès et voyages eucharistiques ou réunissant les zélateurs. Tout cela s’adresse aux hommes catholiques, mais aussi aux familles. Des actions comme « Retour à la messe du dimanche » sont par exemple mises sur pied, ainsi que des festivités aux-quelles toute la famille est conviée. Il existe aussi des ligues

PIÉTÉ À GRANDE ÉCHELLE LIGUES DU SACRÉ-CŒUR/KERK EN WERELD

GODFRIED KWANTEN & KAREN VAN DIJCK

Il y a quelques années, le KADOC a reçu en tant que com-posante des archives des jésuites les documents des li-gues du Sacré-Cœur, une importante œuvre apostolique dépendant de l’ordre. Les archives de leur successeur, Kerk en Wereld (Église et Monde), qui a cessé ses acti-vités en 2012, s’y sont récemment ajoutées. La disponi-bilité de ce fond offre un regard unique sur le fonction-nement et les objectifs de cette œuvre pastorale et ouvre de nouvelles perspectives pour une recherches systéma-tique et approfondie.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’Église et la religion sont mises sous pression. Dans le sillage des Lumières, les nouvelles idéologies, dont le libéralisme, ne séduisent pas seulement l’élite sociale, mais, dans le cas du socialisme, la masse populaire. Les ouvriers sont très nombreux à se dé-tourner de la foi. Sécularisation et laïcisation se poursuivent inexorablement, le risque étant évidemment que la situation n’entraîne une perte considérable d’influence catholique au niveau politique.

Dans sa contre-offensive, l’Église utilise une nouvelle straté-gie : armée de formes d’apostolat « modernes », elle se tourne résolument vers le peuple. La religion et l’Église doivent im-primer leur cachet sur la vie spirituelle et religieuse du plus grand nombre de croyants possibles. Une mobilisation de grande envergure étant nécessaire pour stopper la déchris-tianisation, une campagne de propagande systématique est mise sur pied. Une série d’ordres et d’organisations religieux anciens et nouveaux, comme les jésuites, passent à l’offen-sive. Ils organisent à grande échelle des messes populaires, des retraites, des confréries et des congrégations pieuses. Les vénérations particulières et la dévotion individuelle sont massivement encouragées. Les croyants, leurs familles et leurs organisations sont abordés d’une façon ciblée et impli-qués dans la dynamique.

LA FONDATION DES LIGUES DU SACRÉ-CŒUR

C’est dans ce cadre qu’il faut envisager le large succès des ligues du Sacré-Cœur à la fin du XIXe siècle. Elles doivent être situées dans le contexte plus large de l’Apostolat de la prière, fortement soutenu et propagé par les Églises de tous les pays. En Belgique, cet apostolat prend la forme de ligues du Sacré-Cœur, qui s’inscrivent plus concrètement dans le prolongement des retraites ouvrières. Ces retraites ont lieu depuis 1894 dans la maison de retraite des jésuites gantois sous la direction du père Victor Van de Put et avec le soutien des patrons catholiques. Ceux-ci sont en effet soucieux du salut spirituel de la population ouvrière, dont ils souhaitent renforcer la discipline morale. Ils n’ont pas d’aspirations sociales ou politiques, si ce n’est qu’ils souhaitent des rela-tions harmonieuses et une société stable, imprégnée par la religion. Pour former les ouvriers et se les lier de façon plus permanente, un travail de persévérance semble nécessaire. C’est ce dont vont se charger à partir de 1897 les ligues des

Affiche de la consécration de drapeau et la procession du ligue du Sacré-Cœur de Luithagen (Mortsel) en 1929.[KCC228]

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plus grande implication dans les Églises du tiers-monde et une plus grande attention pour des thèmes comme la jus-tice et la redistribution des biens. Le changement de cap ne suffira toutefois pas à juguler la diminution du nombre d’adhérents, pas plus que la fondation en 1985 d’une section information audiovisuelle, qui implique surtout l’usage de vidéos dans l’apostolat. Le nombre de membres diminue à tel point que, fin 2012, l’organisation met un terme à ses acti-vités, contrainte et forcée.

LES ARCHIVES

L’histoire longue de plus d’un siècle des Ligues du Sacré-Cœur/Kerk en Wereld a donné lieu à la formation d’un fond d’ar-chives volumineux et précieux, récemment rendu accessible. Il renferme les documents du secrétariat central. Parmi eux, on trouve de nombreux dossiers relatifs à la gestion administrative et financière, ainsi que le courrier entrant et sortant. D’autres dossiers concernent la création et la diffusion de publications et de matériel de propagande. Les rapports des conseils de ré-daction et de concertation de promoteurs y occupent une place importante. D’autres pièces encore permettent de reconstituer les fluctuations du nombre de membres et la diffusion géogra-phique des ligues. Les diverses activités récurrentes (consécra-tions, retraites, exposés, soirées thématiques, etc.) et les ma-nifestations y sont bien illustrées. Les documents relatifs au fonctionnement des ligues locales sont présents, à l’exception de ceux de l’évêché de Liège-Hasselt.

Le matériel de propagande constitue une part importante des archives : il s’agit de cartes (de prière), de dépliants et de pamphlets, de marque-page, de calendriers, de petits écus-sons et signes distinctifs, de textes liturgiques, etc. Quelques milliers (!) d’affiches (1938-2011), de nombreuses vidéos et photos illustrant les voyages, des congrès eucharistiques, des pèlerinages en Belgique ou à l’étranger, des fêtes du Sacré-Cœur, des processions et des messes de la ligue do-cumentent non seulement les activités, mais aussi l‘esprit et l’essence de l’œuvre apostolique.

Les publications diffusées à partir du secrétariat, qu’elles soient périodiques ou uniques (essentiellement des bro-

féminines, mais elles concernent plutôt à une élite, alors que leurs pendants masculins font appel à la masse.

ESSOR ET DÉCLIN

Pendant et juste après la Première Guerre mondiale, le nombre de ligues du Sacré-Cœur augmente fortement. La nécessité d’un secrétariat central se fait donc sentir. Celui-ci est créé à Malines et placé sous la direction du père Joseph Hardy, auquel succède en 1924 le père Jozef Meeûs, qui en restera la cheville ouvrière jusqu’en 1955. Le secrétariat n’est pas censé diriger, mais bien coordonner et stimuler. Il s’occupe aussi de la rédaction et de la diffusion de revues – Maandelijkse mededelingen pour les administrateurs et les zélateurs (1924) et Het Bondsblad pour les membres (1930). En 1922, les ligues sont dotées de leurs propres « règles de corps ». C’est ainsi que se développe un mouvement de masse porté par plusieurs dizaines de milliers de membres, axé sur l’approfondissement de la foi, de la prière, de la vie sacramentale et de la spiritualité personnelle. Il se distingue de l’Action catholique, dont il possède le caractère de masse, mais pas la signature résolument militante et offensive.

Après la Seconde Guerre mondiale, les ligues conservent pendant quelques années encore cette approche, mais les évolutions fondamentales intervenues au sein de la société et de l’Église, en particulier après le concile Vatican II, en-traînent un renouvellement. L’accent est mis non plus sur la mobilisation de masse, mais sur l’accompagnement de la réflexion et de la prière personnelles, l’encouragement de la vie chrétienne à travers « une connaissance et une expérience personnelles de qui est Jésus-Christ ». L’aspect dévotionnel, à savoir la vénération du Sacré-Cœur, perd du terrain. La célébration eucharistique mensuelle de la ligue reste importante, mais on accorde aussi de l’importance à la prière quotidienne individuelle, à la prière en famille et à l’intention mensuelle du pape.

À partir de 1967, les ligues du Sacré-Cœur son rebaptisées « Kerk en Wereld » en Flandre ; jusqu’en 1971, les deux ap-pellations sont utilisées conjointement, après quoi, seule la seconde a encore cours. Ce changement de nom trahit une

Procession des ligues du Sacré-Cœur à Grimde, 1937.

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ciennes ? À quel point le contenu et l’approche évoluaient-ils avec ceux des œuvres religieuses et pieuses parallèles, or-ganisées par des laïcs ou par le clergé ? Existait-il une inte-raction entre ces œuvres ? Étaient-elles complémentaires ou concurrentes ? Les ligues étaient-elles représentatives d’un type de foi et d’Église précis, liés à l’époque, comme une vi-trine de la stratégie ecclésiastique ? Et quel idéal, quel « mo-dèle » de croyants les responsables des ligues avaient-ils à l’esprit ? À ce sujet, on peut notamment consulter The Pious Sex, publié par Tine Van Osselaer au KADOC.

Troisièmement, les ligues doivent être interprétées dans leur contexte historique et social. Comment le cadre chronolo-gique explique-t-il l’essor et la popularité des ligues, puis la perte de membres et le déclin à partir des années 1960 ?

Enfin, le chercheur « local » pourra aussi trouver son bon-heur dans les archives. Des micro-études peuvent être réa-lisées sur les ligues locales, de même que sur le fonctionne-ment de l’œuvre à l’échelon régional ou diocésain.

Les archives des Ligues du Sacré-Cœur/Kerk en Wereld ont été décrites dans l’inventaire global des archives des jésuites flamands. Cet inventaire peut être consulté en ligne (http://abs.lias.be/Query/suchinfo.aspx). La consultation des ar-chives est soumise à l’autorisation du déposant.

[KADOC-Nieuwsbrief 2014/2, 14-19]

chures dans ce cas), sont indissociablement liées aux ar-chives. Elles informent mieux que toute autre source sur les messages internes adressés aux ligues.

RECHERCHE

Tout d’abord, les archives des Ligues du Sacré-Cœur/Kerk en Wereld offrent de larges possibilités dans un domaine de recherche encore relativement vierge. Elles permettent avant tout une étude approfondie des aspects institutionnels et structurels du mouvement. Comment et par qui cette œuvre apostolique était-elle dirigée et coordonnée ? Quels étaient ses ambitions et comment celles-ci ont elles évolué au cours des années ? Quelles méthodes utilisait-on dans le domaine du recrutement des membres, de la communication et de la propagande et quel rôle jouait l’iconographie à cet égard ? Quels mécanismes propres aux mouvements de masse in-tervenaient-ils dans cette initiative ? Sur quels membres mi-sait-on ? Quel était leur profil social et quelle était la diffu-sion géographique des ligues ? Quel était l’apport du clergé paroissial ? Une analyse de contenu de la presse et des en-vois périodiques est également possible.

Deuxièmement, une meilleure compréhension de cette œuvre apostolique n’est possible que dans le cadre plus large de l’histoire de l’Église et de la foi en Flandre. Dans quelle mesure les ligues étaient-elles une initiative originale ou prolongeaient-elles des pratiques de dévotion plus an-

Affiche du jour de fête du Sacré-Cœur à Roeselare, 1938.[KCC2031]

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En 2006, cette collaboration a été ancrée par la fondation de l’asbl ODIS. Les années suivantes, de nombreux partenaires s’y sont joints, comme le Centre flamand des archives d’ar-chitecture (CVAa), les Archives et le musée de la vie flamande à Bruxelles (AMVB), le Centre d’art et de culture religieux (CRKC), le Centre d’archives et de documentation protestant évangéliste (Evadoc) et les Archives de la KU Leuven. Toutes ces organisations collaborent à l’intérieur d’un seul environ-nement technique, mais choisissent leur angle d’approche et travaillent à des ensembles de données spécifiques.

ODIS facilite les échanges entre conservation du patrimoine et recherche scientifique. Cela mène à des résultats intéres-sants. La qualité de la recherche sur les structures intermé-diaires s’en trouve renforcée, tout comme la connaissance du patrimoine documentaire. Souvent, les étudiants et les chercheurs utilisent ODIS comme une encyclopédie. Ils y trouvent des données claires et fiables sur les personnes et les organisations. Mais ils apprécient également les réfé-rences exhaustives aux archives, publications périodiques et autres sources (en ligne). Depuis son lancement officiel en novembre 2003, la notoriété du système a rapidement aug-menté. En 2012, ODIS a été visité par plus de 106 000 lec-teurs, qui ont consulté ensemble quelque 620 000 fiches.

RENOUVELLEMENT D’ODIS GRÂCE À LA « HERCULESSTICHTING »

Après dix ans d’utilisation intensive, ODIS avait évidemment besoin d’un bon lifting. Si la banque de données voulait se connecter à la nouvelle technologie internet, il fallait non seulement renouveler le matériel hardware et software, mais aussi s’occuper des interfaces. Parallèlement, le consor-tium ODIS a également été encouragé à élargir la portée du

LA BANQUE DE DONNÉES ODIS UN INSTRUMENT FAMILIER DANS UN HABIT NEUF ET PLUS AMPLE

JORIS COLLA & PETER HEYRMAN

Au cours de ces dernières années, la banque de données ODIS a été entièrement rénovée. ODIS permet une com-pilation de connaissances durable et soutient ainsi la recherche sur l’histoire de la société civile. Le système a été mis au point par plusieurs organismes flamands dédiés aux archives, au patrimoine ou à la recherche. Il offre un outil permettant le dépouillement du matériel conservé et la prestation de services en salle de lecture et en dehors. Les acteurs patrimoniaux s’en servent pour enregistrer le matériel conservé in situ et en docu-menter le contexte. Les séries de données et les analyses ODIS soutiennent différents projets de recherche. Le re-nouvellement du système permet d’accroître l’efficacité de ces nombreuses fonctions. Grâce à une nouvelle in-terface plurilingue et à la portée plus large (ouest-euro-péennes) des thesauri et autres listes de choix, un avenir international attend également la banque de données.

Des séries de données (anciennes et récentes) très diverses sont réunies, reliées entre elles et mises à disposition en ligne grâce à ODIS. Le système a vu le jour en 2000-2003 grâce au soutien du Fonds flamand de la recherche scien-tifique (FWO-Max Wildiers). Quatre centres d’archives et de recherche privés de Flandre ont uni leur force : l’ADVN, l’Am-sab-ISG, le KADOC-KU Leuven et le Liberaal Archief. Leur projet a été soutenu par des promoteurs scientifiques des principales universités flamandes.

Page d’accueil d’ODIS 2.

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flamand, à Bruxelles. Après la présentation et la démonstra-tion proprement dites, une série d’institutions faisant partie du groupe des utilisateurs d’ODIS se sont réunies. Sofie De Caigny (CVAa), Koen De Scheemaeker (ADVN), Gerrit Van-den Bosch (Archives de l’Archevêché de Malines-Bruxelles), Donald Weber (Amsab-ISG) et Walter Ysebaert (VUB et des Archives libérales) ont parlé de leurs expériences avec ODIS, des séries de données qu’ils gèrent et de leurs projets en cours. Malgré les parcours divers effectués en collaboration avec ODIS et les accents différents mis dans l’introduction des données, de nombreuses correspondances ont égale-ment pu être trouvées.

Tous les membres du panel ont ainsi insisté sur le rôle cru-cial d’ODIS dans le dépouillement de leur patrimoine et l’obtention rapide et adéquate d’informations contextuelles. La collaboration entre des communautés très diverses au sein du système est décidément féconde. Le fait que l’ap-pareil permette de replacer les données dans un contexte plus large et prévienne le morcèlement de l’information est également perçu comme une plus-value importante. Enfin, les participants se sont montrés enthousiastes concernant les nombreuses autres possibilités offertes par la nouvelle banque de données pour leurs divers projets de patrimoine et de recherche.

ANALYSES DES RÉSEAUX INTERNATIONAUX

Dans l’après-midi, nous avons évoqué quelques projets in-ternationaux qui utiliseront ODIS en tant que plateforme de données et instrument de travail. Xosé Manoel Núñez Seixas, professeur à la Ludwig-Maximilians-Universität de Munich, a présenté le réseau National movements & Inter-mediary Structures in Europe. NISE souhaite stimuler la re-cherche comparative sur les nombreux mouvements natio-nalistes européens. Une étude internationale et comparative de mouvements dont l’ancrage est par excellence régional ne

système, tant du point de vue thématique que du point de vue géographique. Différents groupes de recherche souhai-taient en effet utiliser ODIS pour cerner et étudier une série de réseaux et de phénomènes internationaux. En 2009, un vaste projet de rénovation a donc été mis en route. L’inves-tissement n’a été possible que grâce à la Herculesstichting, agence flamande pour le financement de l’infrastructure de recherche.

La nouvelle banque de données ODIS, communément appe-lée ODIS-2 ou ODIS-Hercule, dépasse en effet son prédéces-seur par sa large offre de composantes et de fonctionnalités neuves. Elle permet de réunir des données sur les organisa-tions, les personnes et les familles ayant été actives dans la société civile, les événements et les bâtiments de leur his-toire, ainsi que des archives cruciales pour explorer tout cela. Toutes ces entités peuvent être liées entres elles, ce qui permet des renvois et des analyses détaillés.

Le système s’internationalise de plus en plus. À côté de l’in-terface en néerlandais d’ODIS, des fiches peuvent désor-mais être établies en anglais et, dans le futur, des interfaces dans d’autres langues pourront également être créées d’un manière simple. ODIS-2 offre des listes de choix et des the-sauri divers, basés sur les normes internationales et axés sur le contexte historique des principaux pays d’Europe oc-cidentale. La nouvelle banque permet d’analyser des séries de données plus en profondeur et aussi de les reconstituer dans l’espace. Elle dispose en outre des fonctionnalités né-cessaires pour établir des liaisons durables avec d’autres instruments en ligne. ODIS devient donc progressivement un portail d’information pour l’histoire de la société civile.

LA PAROLE À NOS PARTENAIRES

Le 29 novembre 2013, la nouvelle version du système a été pré-sentée pour la première fois à un large public au Parlement

La présentation d’ODIS 2 au Parlement flamand, à Bruxelles, le 29 novembre 2013.

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Mais la valorisation de ce potentiel international exige na-turellement les efforts nécessaires de la part des divers par-tenaires et projets internationaux. Leurs séries de données doivent être constituées pas à pas. Les répertoires, catalogues et autres instruments de travail doivent être introduits dans ODIS ou être connectés à la banque de données. La pros-pection des ensembles de données réunis dans des projets plus anciens, puis oubliés, constitue un autre axe. La noto-riété d’ODIS à l’étranger peut certainement être renforcée. Il faudra donc investir dans la communication et dans les for-mations de nouveaux groupes d’encodeurs. Les possibilités actuelles du système font déjà rêver à de nouvelles fonctions analytiques et connexions, à des traductions automatiques et à divers outils susceptibles de soutenir la recherche.

Comme Jan De Maeyer (KADOC-KU Leuven, président d’ODIS) l’a signalé dans son introduction, ODIS reste un tra-vail en construction. Il a besoin d’une politique d’investisse-ment équilibrée et tournée vers l’avenir. C’est le professeur et ingénieur louvaniste Bart De Moor, président de la Her-culesstichting, qui a clôturé la journée d’étude. La Fondation salue les efforts fournis par les sciences humaines pour créer leur propre infrastructure de recherche et l’intégrer dans des réseaux internationaux. La collaboration interuniversitaire, la construction d’outils durables et leur usage multifonction-nel sont encouragés. De Moor a loué l’approche intersecto-rielle d’ODIS et constaté que le système avait considérable-ment « mûri ».

Pour les gestionnaires d’ODIS, le lancement du nouveau système représente un jalon important. Les louanges récol-tées et les perspectives prometteuses évoquées par les par-tenaires les renforcent dans la conviction que la banque de données doit continuer à être développée. Bref, les contours d’un ODIS 3 se dessinent déjà à l’horizon.

[KADOC-Nieuwsbrief 2014/1, 16-21]

va pas de soi. NISE organise des réunions de recherche et réalise des publications. Pour soutenir l’étude du « transna-tionalisme du nationalisme », un inventaire des sources et un répertoire des périodiques ont notamment été constitués dans ODIS. Des séries de données biographiques et organi-sationnelles y sont réunies.

Thomas Kroll, de l’Historisches Institut de la Friedrich-Schil-ler-Universität à Iéna, a présenté les activités du réseau de recherche Encounters of European Elites in the 19th Century, dirigé par Andrea Ciampani (Lumsa). Cet accord de coopéra-tion a pour sujet de recherche la formation de réseaux trans-nationaux (sociaux, politiques, économiques, scientifiques) en Europe. Il s’intéresse aussi aux structures formelles dans lesquelles les leaders des divers segments de la société se re-trouvaient, par exemple les congrès et les assemblées d’orga-nisations internationales. Mais Kroll a aussi exprimé l’ambi-tion de recenser les lieux de rencontre plus informels de ces cercles élitistes, comme les lieux de cure, les festivals cultu-rels internationaux et les événements sportifs. La réunion et la connexion dans ODIS de séries de données existantes sur les élites nationales et régionales peuvent sans aucun doute ouvrir de nouvelles perspectives.

L’historien Christophe Verbruggen, lié au groupe de re-cherche « Histoire sociale après 1750 » de l’université de Gand, a exposé les projets du réseau TIC-Collaborative. A Virtual Research Environment for the study of 19th- and early 20th-century international organisations and congresses. Les séries de données constituées dans le cadre de cet projet in-ternational (par ex. sur les organisations internationales, les congrès, etc.) seront versées dans le nouvel ODIS à partir du système propre du réseau.

Enfin, le réseau Civitas : Forum of Archives and Research on Christian Democracy, a été présenté par le président et pro-fesseur Hanns Jürgen Küsters de la Konrad-Adenauer-Stif-tung à Sankt Augustin (Bonn). Cet accord de coopération ouvert créé en 2012 compte le KADOC parmi ses partenaires. Il souhaite rassembler les institutions patrimoniales et de recherche qui travaillent sur les collections liées à l’histoire de la démocratie chrétienne en Europe. Par le biais de sa plateforme internet, Civitas veut donner accès aux séries de données reprises dans ODIS sur ce sujet. Elles comprennent à nouveau des informations à la fois biographiques et or-ganisationnelles, des données sur les événements (inter-nationaux) comme les congrès et bien entendu aussi de nombreuses références heuristiques, par exemple sur les archives et les périodiques.

LES GRANDS AXES DU FUTUR

Les quatre orateurs ont ensuite discuté de la « vocation » internationale d’ODIS et de la façon dont la banque de don-nées pouvait conquérir une place dans l’infrastructure de recherches européenne, en expansion rapide, des digital hu-manities. Le potentiel du système a été souligné à plusieurs reprises. ODIS est parfaitement conçu pour documenter des relations et des interactions transnationales et recenser les réseaux internationaux. La banque de données peut d’ail-leurs aussi jouer un rôle important dans l‘identification et la justification de nouveaux thèmes de recherche.

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explicitées (par exemple, un père de famille peut bénir ou maudire ses enfants et c’est lui qui représente sa famille dans la prière). Les pratiques religieuses structurent également la vie familiale, de petits usages religieux, comme la prière du soir, pouvant être intégrés dans la routine quotidienne.

Les neuf cas repris dans ce recueil offrent une approche nuancée des conceptions chrétiennes des XIXe et XXe siècles sur la famille, la religion et la maison. La maison et le foyer chrétiens étaient fortement promus sous des dénominations et dans des pays divers. Mais ces termes avaient-ils la même signification et étaient-ce les mêmes priorités qui étaient mises en avant ? Les différents chapitres abordent le thème de la conceptualisation de la maison et de la famille, leur rapport avec d’autres idéaux (de genre, de famille et domes-tiques) et des évolutions sociales dont elles subissent peut-être l’influence. Le vécu de l’espace domestique est envisagé (par exemple comme locus de l’éducation chrétienne), ainsi que l’expression matérielle des idéaux religieux et l’interac-tion de ces maisons chrétiennes avec le monde au sens plus large.

La plupart des articles de ce recueil traitent de cas relevant de la sphère catholique. Ils rétablissent donc un certain équi-libre dans la recherche sur l’idéalisation de la famille et du foyer, dans laquelle l’accent était jusqu’ici principalement mis sur les dénominations protestantes. Les deux premiers articles portent sur les perceptions de la paternité chrétienne au XIXe siècle. Bernhard Schneider étudie l’idéal du pater fa-milias dans le catholicisme allemand du début du XXe siècle et explique comment il a été exploité pour rallier les hommes à l’Église. Alexander Maurits se penche sur sa signification dans le discours du High Church Movement suédois (Lund) au milieu du XIXe siècle et montre que la mise en avant de cet idéal patriarcal était une réaction plutôt conservatrice

CHRISTIAN HOMES NOUVELLE PUBLICATION DU KADOC

TINE VAN OSSELAER

Au milieu du XIXe siècle, on assiste au développement d’un « culte de la domesticité », exaltation de l’atmos-phère du foyer familial. La « maison » devient à la fois expression matérielle et image idéale, la « famille » n’est plus seulement un noyau de personnes liées par les liens du sang, mais devient un idéal romantisé, vécu et établi à travers des pratiques (« dîner de famille », « temps pas-sé en famille »). Dans la recherche sur l’histoire religieuse des XIXe et XXe siècles, le développement de ces images est souvent associé à la privatisation de la religion et à l’idéal maternel de l’« ange du foyer ». Le foyer chrétien est assimilé à un refuge sûr, loin du monde public, sécularisé. Une figure maternelle angélique fait de cet environnement domestique un lieu attirant pour ses enfants et son époux, qui gagne l’argent du foyer en travaillant à l’extérieur.

Mais cette répartition des tâches est-elle si strictement ap-pliquée dans les milieux chrétiens ? Ce recueil étudie les « maisons » chrétiennes des XIXe et XXe siècles et jette un nouvel éclairage sur la distinction stéréotypée établie entre les sphères publique et privée et leurs occupants. Les articles montrent aussi clairement que l’image idéale du pater fami-lias chrétien reste prépondérante. De plus, les foyers chré-tiens vivent non pas en dehors de la société, mais forment au contraire – idéalement – les fondements solides d’une société profondément chrétienne. Ces idéaux chrétiens et familiaux s’expriment dans les pratiques religieuses à usage domestique. Celles-ci sont aussi des occasions où la diffé-renciation des genres et la hiérarchie sont confirmées et

Une retraite ouvrière à Gand, 1910.[KFA6339]

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Comme ce bref aperçu l’indique, les chapitres du recueil traitent de contextes historiques et géographiques très di-vers, ce qui n’empêche pas que des ressemblances, des continuités et de nouvelles définitions n’émergent de cette diversité. Étant donné son intérêt particulier pour le pater fa-milias chrétien, le recueil contribue aussi à rééquilibrer une histoire religieuse très sexuée (pas uniquement la « mère ange »). Les belles études qu’il contient sur les rituels et dis-positions domestiques nous offrent une image un peu plus précise de la pratique religieuse « vécue ». Ce voyage dans les maisons et foyers chrétiens invite le lecteur à réfléchir sur la relation complexe entre vie familiale, rôles de genre, conceptions de la domesticité et dévotion spirituelle et ma-térielle.

Vous trouverez le sommaire de l’ouvrage et les possibilités de commande via le lien suivant : http://kadoc.kuleuven.be/nl/publ/istud/i14.php

[KADOC-Nieuwsbrief 2014/5, 20-23]

aux réformes libérales et à la modernisation de la société. Les deux articles suivants ne se concentrent pas tant sur la promotion des idéaux que sur la façon dont ceux-ci ont pu prendre forme dans les pratiques quotidiennes familiales et domestiques. Bertrand Goujon esquisse un portrait de la fa-mille Arenberg et des aspects formels, spatiaux et sociaux de sa vie religieuse, tandis que Matthieu Brejon de Lavergnée évoque les activités caritatives des membres masculins de la bourgeoisie française. Dans les deux chapitres suivants, on présente des cas qui mettent à mal le stéréotype de la dichotomie entre sphères privée et publique. Paula Kane étudie les « maisons » publiques pour femmes stigmatisées (assidument fréquentées, notamment par des croyants cu-rieux) et les idéaux de genre qui s’y rattachaient. En effet, l’idéal de la femme confinée dans son foyer était dans ce cas justement remis en cause au nom de la religion. Jonathan Ebel s’intéresse à l’implication américaine dans la Première Guerre mondiale et décrit comment, dans cette configura-tion particulière, une idéologie domestique protestante est promue (cantines « familiales » pour les soldats, défense des foyers chrétiens). Un quatrième duo d’articles est consacré à l’utilisation de l’idéologie domestique et aux métaphores familiales dans la promotion de changements sociaux (d’inspiration religieuse). Magali della Sudda se penche sur les dames conservatrices de la Ligue patriotique des Fran-çaises, qui considéraient leur engagement politique comme le prolongement de leur rôle domestique (« nettoyage » des ruines) et décrivaient leur foyer comme une « petite patrie ». Dans un article sur l’« intronisation » du Sacré-Cœur dans les foyers belges, Tine Van Osselaer montre qu’une telle cé-rémonie domestique s’inscrivait dans une vision politisée de la religion. Alana Harris, enfin, étudie la christologie et la dévotion populaires catholiques en Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale. Elle explique que les croyants anglais utilisaient la rhétorique familiale pour décrire leur relation à Dieu et au Christ. Le contenu de ces images dif-férait fondamentalement de ce qu’il avait été au XIXe siècle et reflétait les préoccupations culturelles des générations post-1960, selon lesquelles Jésus était, en tant que « frère », présent et solidaire dans un monde victime des conflits, de la faim et de la guerre froide.

La famille Arenberg dans le cabinet à écrire d’Engelbert-August, comte d’Arenberg, au château d’Heverlee, 1873.[Enghien, Archives d’Arenberg, © Arenberg Foundation]

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PUBLICATIONS RÉCENTESLa série KADOC-Studies on Religion, Culture & Society s’est enrichie d’un ouvrage intitulé Religious Institutes and Catho-lic Culture in 19th- and 20th-Century Europe, dirigé par Urs Altermatt (Université de Fribourg), Franziska Metzger (Uni-versité de Fribourg & Pädagogische Hochschule Luzern) et Jan De Maeyer (KADOC-KU Leuven). La publication est cen-trée sur le rôle des instituts religieux en tant que médiateurs dans la construction et la diffusion d’une Catholic Culture (« identité catholique ») en Europe occidentale pendant les XIXe et XXe siècles. Une séries d’articles théoriques analysent la contribution des instituts religieux en tant qu’acteurs ayant, par le biais de ce discours idéologique, de leur mode de vie et de leur œuvre apostolique, largement influencé la socialisation à la fois de la population dans son ensemble et de groupes très spécifiques, comme la jeunesse, au sein de la « culture catholique ». Quelles stratégies les instituts religieux utilisaient-ils et quels réseaux internationaux en-gageaient-ils, par exemple, dans la diffusion et l’institu-tionnalisation de l’idéal ultramontain et du catholicisme social ? Une série d’articles éclairent le rôle de leurs organes de presse et la diffusion de la littéraire populaire catholique grâce à des maisons d’édition religieuses. D’autres auteurs montrent comment les catholiques étaient socialisés via les institutions d’enseignement et de soins, non seulement à travers le discours qui y était tenu, par exemple sur le rôle social de la femme, mais aussi par le biais de rites et de pra-tiques de foi quotidiennes. Dans ce recueil, les instituts re-ligieux ne sont pas tant envisagés sous l’angle de leur rôle spirituel et pastoral classique que dans une perspective théorique, en tant que médiateurs de transition culturelle et de construction identitaire. Plus d’information et possi-bilités de commande sur cette page web : http://kadoc.ku-leuven.be/publicaties/i-studies/istudies13.

Le recueil Mass Theatre in Interwar Europe. Flanders and the Netherlands in an International Perspective a paru dans la série KADOC-Artes. Sous la direction de Thomas Crombez (Universiteit Antwerpen/Sint-Lucas Antwerpen) et Luc Van den Dries (Universiteit Antwerpen), une équipe interuniver-sitaire de germanistes, d’historiens et d’historiens de l’art, tous spécialisés dans l’histoire du théâtre et de la danse, commentent diverses facettes du « jeu de masse » en Flandre et aux Pays-Bas pendant l’entre-deux-guerres. Les bases de cet « art communautaire » ont été jetées dès avant la Pre-mière Guerre mondiale, mais le théâtre de masse se déve-loppe principalement au lendemain de ce conflit. C’est no-tamment le cas en Union soviétique et en Allemagne, pays sur lesquels de nombreuses recherches ont été effectuées. Le fait que le théâtre de masse se soit aussi répandu en Flandre et aux Pays-Bas et, surtout, sur une base idéologique très différente, est moins connu. Cet ouvrage du KADOC jette un nouvel éclairage sur ce phénomène à partir d’une large pers-pective internationale. Plus d’information et possibilités de commande sur cette page web : http://kadoc.kuleuven.be/publicaties/artes/artes15.