Gino Severini - Du Cubisme Au Classicisme: Esthetique du Compas et du Nombre

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(French) 1921 edition.

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  • DU CUBI5MEAU CLA55ICI5ME

  • Copyrtgt bv y. Potolozky et C'^, Paris 19:1,Tous droits ristrvis.

    IMP. UNION, PARIS4e. BO EAINT-JACQUES

  • /
  • A LA MMOIREDU PEINTRE

    UMBERTO BOGGIONI

    .Sif

  • PRFACE

    N'tant ni esthticien ni artiste, il ne m'appar-tiendrait gure d'crire une prface un livre commecelui-ci, si M. Severini n'avait pas largement dpass,comme il l'a fait, le domaine de la peinture propre-ment dite, qui m'est tranger, pour envisager lamthode scientifique en gnral et surtout l'impor-tance de l'arcane numrique, l'tude duquel j'aimoi-mme consacr beaucoup de mes loisirs.On peut dire que tout le rle de rintelhgence

    humaine, en face des phnomnes qui se prsentent elle, consiste mesurer ces phnomnes au moyendes nombres. La Physique n'a commenc d'existerqu'avec les premires mesures de longueur ou depoids; actuellement, toute sa perfection rside dansle choix des units convenables et dans lamesure de tous les lments analysables : la Phy-sique n'est d'ailleurs pas autre chose. L'Astronomieest ne quand la premire priodicit a t remarque,quand a t observ un rapport dfini entre certainsphnomnes sidraux comme le jour et l'anne. LaChimie ne mritait pas le nom de science avant la

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    dcouverte des poids atomiques et des valences.Les sciences naturelles elles-mmes, comme la Physio-logie ou la Biologie, ne tirent leur valeur que des loisqu'elles ont pu dduire de leurs courbes ou de leursmesures. Si la Mdecine, en tant que science, estreste vritablement dans l'enfance, c'est qu'elle n'apas encore trouv la loi, le rapport, le nombre, quicaractrise les ractions et les possibilits de l'orga-nisme, qui individualise le type morbide ; tous lesefforts de l'cole homopathique tendent prcisment cette dtermination de l'individualit ractionnelle,du temprament.

    Il est banal de prtendre que nous ne pouvonsconnatre que des choses relatives ; cette relativitest un rapport, or un rapport entre deux lmentsexactement connus (c'est--dire mesurs par un nom-bre quelconque d'units) est une proportion arithm-tique ou, si l'on veut, un nombre. Quand le rapportentre deux ordres de phnomnes s'exprime toujourspar le mme nombre, on reconnat qu'il y a l uneloi et nous savons assez de choses sur la nature pourconcevoir que tout obit des lois, lois dont la for-mule nous chappe souvent, mais que nous devinonspar l'exprience. En Mdecine, par exemple, l'as-sociation des symptmes le^ plus divers chez le mmesujet mme quand ceux-ci n'ont aucun rapporttiologique connaissable ne se fait jamais auhasard ; elle suit des rgles telles qu'on voit les plusmenus symptmes se grouper selon un canon quireste tout entier prciser, mais pour lequel lespathognsies fourniront les plus amples matriaux.

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    A la vrit, avant que le travail mental des gn-rations ait pu dgager la loi, c'est--dire le nombre, quicaractrise les rapports normaux des choses, une cer-

    taine intuition permet au praticien de deviner cesrapports sans connatre explicitement leur rgle.

    Ceci peut s'appeler, dans les sciences appliques,le flair et dans les arts, le got. De mme les ani-maux connaissent fort bien les rapports dans letemps, la succession des heures et des saisons, sans

    pourtant concevoir les lois de la rvolution terrestre,et ceci s'appelle l'instinct, mais tout le progrs hu-main consiste faire passer cette notion du vaguesubconscient la clart du mental et la rigueur deschiffres.

    Si ceci est incontestable pour les sciences, M. Seve-

    rini dit fort bien qu'il ne saurait en tre autrement

    pour les arts.Les oiseaux chantent sans connatre la gamme ni

    le nombre de vibrations de chaque note ; cependant,la Musique, pour voluer dans le sens de toutes les

    activits humaines, doit s'appuyer de plus en plus

    sur l'Harmonie qui est une science de rapports etde nombres. On peut mme arriver dfinir les rap-ports d'un mode musical donn avec telle impressionpsychologique ; il est prvoir qu'on connatra un

    jour une vritable musurgie codifiant ces rapportsencore mystrieux que la fantaisie de quelques-unsvoudrait fortuits et inanalysables entre la phrase

    musicale et l'tat d'me voqu.Les couleurs, caractrises par un nombre de

    vibrations dtermin, sont videmment susceptibles

  • io-des mmes rapports harmoniques ou dissonnants-que les sons : un mathmaticien comme Paul Flam-bard a pu tablir dans sa Chane des Harmonies, lesrapports du spectre visible et invisible avec lessept gammes perceptibles l'oreille, et M. Severini^dans son tude, apporte des ides nouvelles. D'autrepart, des biologistes, en jetant les bases de la photo-thrapie, ont tabli l'influence physiologique et psy-chologique de chaque couleur simple sur l'organismehumain.

    Quant aux formes, il est hors de doute que l'archi-tecture des civilisations antiques tait tout entirebase sur des canons. Non seulement les modules entaient tirs des proportions naturelles dans le corps-de l'homme, des animaux, ou des plantes, mais encoredes nombres eux-mmes considrs comme des sym-boles absolus. Le Temple de Salomon et tous ses orne-ments taient construits selon la mme Arithmologieque les visions de l'Apocalypse ou les rgles desdiverses Hturgies. Dans la revue amricaine Azoth(1920-1921), F. Higgins a montr le souci descorrespondances astronomiques (inchnaison del'axe de la terre, notamment) dans les constructionsantiques de l'Amrique ou de l'Egj^pte.' On saitque la grande Pyramide contenait dans ses propor-tions, la valeur de z (rapport de la circonfrence audiamtre) et une foule d'autres correspondances.Saint-Yves d'Alveydre, dans son Archomtrey artabli quelques unes de ces clefs.

    Certains auteurs ont cherch si la nature, dansl'infinie varit des formes qu'elle engendre, obissait

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    des lois. Hambridge dit, par exemple, que Texa-men des proportions des cristaux, des contours des

    formes vivantes telles que les fleurs, les diatomes, lesradiolaires, les papillons, etc., montrerait que ex-ception faite des modifications de croissance toutesles proportions et les courbes comprises dans ces-formes peuvent tre analyses comme suit :

    a) Une srie primaire de cercles ayant un rapportbinaire entre eux (1:2:4:8, etc.), en combinaisonavec :

    b) Une srie secondaire de cercles obtenus en em-ployant comme rayons les cts des triangles, carrs,pentagones, hexagones, inscrits dans les cercles dela srie primaire.De mme, les feuilles s'insrent sur la tige des vg-

    taux, selon des distances ordonnes et rgulires :1/2, 1/3, 2/5, 5/13, etc.

    Or, si la nature obit des lois, M. Severini soutientque l'uvre d'art, expression des harmonies ter-nelles de la nature, ne peut tre livre au hasard.La tendance universelle, aussi bien des sciences que

    des arts, est de retrouver les tbis de la nature pourpouvoir crer conformment ces lois. Or toute loise ramne en dfinitive un coefficient et une con-naissance humaine n'est parfaite que quand elle peutmettre un nombre et une mesure toutes choses.

    Le nombre subsiste toujours, dit Proclus, et setrouve en tout ; l'un dans la voix, l'autre dans sesproportions ; l'un dans l'me et la raison et l'autredans les choses divines. Malebranche dit de mme que les ides de nombre

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    sont les rgles immuables et les mesures communesde toutes les choses que nous connaissons et quenous pouvons connatre. Le nombre, en eflet, n'est pas seulement un ins-

    trument de mesure ; il a une valeur en soi. L'ided'isolement qui s'attache l'unit, de difrentiation la duaUt, d'organisation et de sriation la tri-nit, etc., conduisent des principes mtaphysiquestrs abstraits, les plus levs que nous puissionssaisir parce que les plus dnus de toute forme, etces principes sont les Archtypes qui impriment leursceaux sur toutes les choses sensibles. Leur connais-sance, par l'Arithmosophie, doit devenir la sourcenouvelle laquelle les arts et les sciences iront puiserleur inspiration quand, enfin, ils auront cess dese perdre dans les contingences complexes de lamatire pour se tourner vers la simplicit grandiosede l'esprit.En indiquant cette voie la Peinture, M. Seve-

    rini travaille au grand mouvement synthtique qui,aujourd'hui, tend unir toutes les activits et toutesles aspirations humaines en une grande synthsedomine par des lois immuables, simples dans l'in-finie complexit des choses comme les dix Sphirothkabbalistiques ou les dix Nombres de la Dcadepythagoricienne dans l'innombrable chaos des possi-bilits arithmtiques,

    Dr R. Allendy,

  • CHAPITRE PREMIER

    INTRODUCTION ET HISTORIQUE Ceux qui s'abandonnent une

    pratique prompte et lgre avantque d'avoir appris la thorie, res-semblent des matelots qui semettent en mer sur un vaisseauqui n'a ni gouvernail ni boussole v

    LEONARD.

    Au commencement du xx^ sicle, l'anarchie artis-tique est son comble malgr les trs louables effortsde quelques-uns. Cela tient des causes d'ordre moralet social, sans doute, mais ce n'est pas mon intentiond'examiner cet aspect du problme. Peut-tre detemps en temps serai-je forc d'y faire allusion,mais si je me dcide publier ces notes, c'est avanttout pour montrer et souligner aux artistes de magnration les causes esthtiques et techniques dece dsordre, et leur indiquer le chemin pour en sortir.

    Ces causes peuvent se rsumer en quelques mots :Les artistes de notre poque ne savent pas se servirdu compas, du rapporteur et des nombres.

    Depuis la Renaissance ItaUenne, les lois construc-tives sont graduellement rentres dans l'oubli. EnFrance le dernier peintre qui les a hrites des Italienset consciencieusement appliques, est Poussin. Aprslui on se sert de quelques rgles gnrales, mais de

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    plus en plus on s'loigne de la conception de l'espritet on se rapproche de la nature ou,pour tre prcis, del'aspect extrieur de la nature. On confond la Vie etl'Art, on devient d'une habilet monstrueuse, oncherche susciter l'admiration par la surprise etnon par la pure beaut des formes de l'esprit.

    L'art est ainsi tomb dfinitivement dans le do-maine sensoriel et, de nos jours, ce sensualisme estdevenu crbral.Au lieu de comprendre et dvelopper les moyens

    techniques des Matres par des notions scientifiquessrieuses, on a prfr se dbarrasser dfinitivementde ce qui restait de la vieille Ecole et chacun a tchd'exprimer et d'affirmer son individuaUt en dehorsde toute rgle ou mthode. On a cherch prementVoriginalii, mais n'ayant que la fantaisie et lecaprice comme base, on n'a atteint en gnral que lasingularit.

    Les meilleurs peintres, les plus dous, ont crusincrement et beaucoup le croient encore, pouvoirramener la peinture la construction et au style parla dformation.Mais dformer c'est corriger la nature selon la

    sensibilit. Cela n'a aucun rapport avec la constructiondont le point de dpart est l'oppos. L'esthtiquede la dformation va des dessinateurs humoristes oucaricaturistes jusqu' Daumier, lorsqu'elle est soute-nue par le talent. En ce cas, elle peut tromper lesgens inexpriments sur son essence sensorielle, maiselle ne reste pas moins un art infrieur.De toute faon, les peintres d'aujourd'hui ne savent

    plus rien des vraies lois de l'art plastique, ou ne saventque des vagues rgles gnrales ; je ne parle pas des formules mortes qu'on apprend l'Ecole desBeaux-Arts, dont l'insufisance est dmontre par lesrsultais.

    Les plus intelligents parmi les artistes commen-

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    cent cependant se rendre compte qu'il n'est paspossible d'difier quelque chose de solide sur le ca-price, la fantaisie ou le bon got, et qu'en somme,rien de bon n'est possible sans l'Ecole.On commence comprendre la ncessit imprieuse

    de rebtir l'Ecole ; videmment, non pas une vieilleEcole repltre et repeinte aux fraches couleurs im-pressionnistes, comme l'Ecole des Beaux-Arts, maisun Edifice^ un Monument tout neuf, depuis la basejusqu'au toit, tout en ayant comme gnratrices lesternelles lois de la construction, que nous retrou-vons la base de l'art de tous les temps, ce qui n'em-pche pas les poques de se difjrentier.Nous verrons plus loin comment le triangle gn-

    rateur qui s'inscrit sur le portique du temple deKhons Karnac (20^ dynastie), s'inscrit de nouveausur la faade du Parthnon d'Athnes, et sert plustard la construction de la grande nef de Notre-Dame de Paris.

    C'est pourquoi depuis quelques annes dj j'avaissoutenu cette thse : les moyens ne varient pas travers les poques, seulement l'aspect extrieur desuvres peut changer.La dmonstration en est faite par l'histoire : Les

    Grecs ont emprunt leurs moyens aux Egyptiens,les Romains aux Grecs, les Gothiques aux Romainsaux Orientaux et aux Grecs, la Renaissance partiel-lement aux Gothiques, gnralement aux Grecs.Et sur ces moyens ternels, bass sur les lois

    ternelles du nombre, chaque poque a pu crer sonstyle, et, au temps de la Renaissance, l'individu commenant vouloir s'isoler, s'lever de la collec-tivit, l'artiste a pu affirmer sa personnaht et at-teindre l'originaUt. Ce qui, soit dit en passant,a t le premier pas vers la dcadence. De ces consi-drations, je dduis qu'avoir la prtention d'inventerdes moj^ens nouveaux et forcment empiriques, sous

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    prtexte d'une recherche de nouveaut, d'originalit,c'est une pure fohe, et que vouloir se passer de toutmoyen mthodique bas sur la science, c'est galementabsuide et ne peut conduire qu'au nant.

    Trs peu de personnes comprennent aujourd'huices videntes vrits, tant le ftichisme de l'origina-lit est encore la mode, et, premire vue, on peuttre tonn de cette incomprhension gnrale, caril ne manque pas d'crivains et d'intellectuels trscultivs. La raison pour laquelle ces intellectuels nepeuvent pas voir clair dans l'art de notre poque etsont susceptibles de s'garer dans les sophismes lesplus contradictoires, est l'insuffisance de leur culturemathmatique.

    Aujourd'hui on lit et on tudie surtout les philo-sophes, les romanciers et les potes ; mais en gnralon s'intresse peu aux gomtres et aux mathma-ticiens. De leur ct ces derniers se dsintressenten gnral de toute question esthtique et artistique.

    Pendant les grandes poques de l'art, pourtant, lesphilosophes taient des gomtres, et les artistestaient avant tout des gomtres, et, aprs, des philo-sophes.Une des grandes causes de notre dchance artistique

    est sans aucun doute dans cette division de la Scienceet de VArt. La Science est cependant pour l'artisteun merveilleux jardin o il peut se promener et cueilUrles fruits les plus riches et les plus beaux dont il abesoin pour son uvre. Ils sont tous la porte desa main, mais il s'agit de pntrer dans le jardin.

    Aprs avoir mrement rflchi et interrog lesmatres, je soutiens cette thse : UAri ce n'est quela Science humanise.

    Si pour le mathmaticien, le nombre est une abs-traction, pour l'architecte, il devient le temple. Maisleur collaboration est ncessaire. L'art doit se dve-lopper ct de la Science ; ces deux manifestations

  • Bohmien jouant de l'accordon{Avril lUlt)

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    humaines sont insparables l'une de l'autre, et toutesles deux du principe unique et religieux qui est lecommencement du Tout. (1).La culture envisage ainsi serait sans doute acces-

    sible peu de monde. Mais est-il ncessaire queles intellectuels soient si nombreux ? Je crois pourma part que le dsordre de notre poque est dCi cetencombrement d'intellectuels incomplets, d'artistesincomplets.Tout le monde veut dire son opinion sur les arts anciens et modernes, sur les philosophies,etc.. ; n'importe qui, s'apercevant qu'il est dou d'unesensibilit raffine devant les spectacles de la nature,achte une bote couleurs et devient peintre. Etc'est ainsi que nous sommes submergs par le dilet-ianlisme et par r individualisme, taudis que le vraiartiste, le vrai homme de Science reste un isol,parfois mme mconnu,et que les grandes idjes gn-rales qui ont de tout temps dirig l'humanit n'ontplus d'chos dans l'me de l'individu. Celui-ci se-dirige dsormais selon son seul instinct ; dans la viecomme dans l'art chacun veut vivre sa vie . Cetteexpression de l'anarchiste Bonnot, synthtise admi-rablement notre vie sociale et artistique.A cette exaltation de l'instinct et d^s sens n'ont pas

    manqu des tentatives de raction dans le domaine del'Art.

    (1) Dans deux articles parus successivement au Mercurede France (1^' fvrier 1916 et l^r juin 1917), les seuls quej'aie crits, j'expose le mme principe d'un art bas sur lascience et exprimant la vie de l'Univers. L'ordre qui s'estfait depuis dans mon esprit par le dveloppement de mesconnaissances, et la sincrit absolue avec laquelle j'envi-sage les problmes de l'art, m'obligent reconnatre quecertaines conclusions htives auxquelles j'aboutissais, n'ontplus aujourd'hui mon approbation. Mais mes aspirationsvers une mthode scientifique et vers un art universel,taient les mmes en 1916 et aujourd'hui.

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    Aprs Ingres, dont l'influence heureuse nous-a beaucoup soutenus, des essais de plus en plushardis, souvent divergents et contradictoires, parfoisremplis de bonnes intentions et dignes de respect,ont t faits par Gauguin, " l'Ecole de Pont-Aven ",Van Gogh, etc. ; mais nous n'avons pu en tirer aucunbnfice notable cause de leur dsordre et insuiTi-sance. J'ai lu avec le plus grand intrt, (d'Esthtiquede Beuron )> du Pre Pierre Lenz, o le problme de lacration artistique est reconduit ses origines dunombre selon l'Enseignement des Egyptiens. Maisl'loquent expos esthtique de ce Moine n'est soutenupar aucune base scientifique nettement nonce, desorte qu'aucune loi technique prcise ne se dgage decette admirable dmonstration idologique, pas plusd'ailleurs que du trs beau livre : Thories deMaurice Denis, qui est esthtiquement, l'uvre laplus leve crite notre poque.

    Ces thories et ces ides restent malgr leur clartdans les hmites des intentions, parce qu'elles nesont pas appuyes sohdement sur des apphcationstechniques et pratiques.La thorie ne doit pas tre spare de l'exprience

    pour tre vraiment elicace et utile au peintre, ainsique toute exprience doit se rattacher une thoriepralable et dmontre.

    Ainsi, par exemple, toute l'uvre d'Ingres est uneprotestation contre le sensualisme et une aspirationvers le classicisme ; mais aucune thorie clairementnonce ne se dgage de l'uvre d'Ingres, c'est pour-^quoi son enseignement pour nous est vague, nous nepouvons qu'entrevoir des intentions et l'admirer, vi-demment (1).

    (1) Ces derniers temps on a fait autour de l'enseignementd'Ingres toute une littrature. C'est une caractristique denotre poque de partir fond de train sur une petite donne

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    Delacroix, par contre cherche toujours dvelopper,paralllement la rgle et l'exprience ; sous ce rap-port son enseignement est plus prcis pour nous.Il nous donne enfin quelques rgles gnrales clairessur les rapports des lignes et des couleurs, et sur lafaon de composer un tableau.

    Sur le mme ordre d'ides et du point de vuede l'Enseignement il faut placer au premier rang lelivre de Signac sur le no-impressionisme. Cette formed'art que nous devons Seurat, notre vritable pr-curseur, et ce livre de Signac qui en rsume les rglesgnrales, constituent les premiers essais srieux pourramener les peintres vers une mthode vraimentscientifique. Malheureusement, ici aussi, au sujet dela forme surtout^ ce ne sont que des rgles encoretrop gnrales , ne donnant aucune certitude etprcision.

    Ces dernires annes, enfin, nous avons cru trouverun point de dpart dans l'uvre de Czanne. Beau-coup de peintres, et on peut dire la presque totalit,ont encore cette conviction ; pour ma part, tout enmettant hors de discussion le talent de Czanne, jecrois que ce point de dpart est faux et que tout cequ'on voudra btir sur lui s'croulera, ayant comme

    juste et de la gonfler jusqu'au sophisme. En ralit, si ondbarrasse cet enseignement de tout ce qu'on lui attribue tort, on voit que l'aspiration d'Ingres se bornait vouloirse rapprocher des classiques, et particulirement de Raphal,le plus possible. Mais il s'en rapprochait par le sentimentet non par la science, aussi ce n'est que dans les portraitsqu'il atteignit un niveau trs haut, ses compositions sont des arrangements ou adaptations d'aprs lesmatres, et non le rsultat d'une rgle scientifique srieuse.

    C'est lui qui disait Amaury-Duval : Conservez toujourscette bienheureuse navet, cette charmante ignorance .Au sujet de la charmante ignorance , je crois qu'il taitvraiment impossible de suivre plus fidlement son conseil...

    y

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    base ce qu'il y a de plus phmre, de plus instable,de plus variable sur cette terre : nos propres sensations.

    J'ai cru comme tout le monde la tendance clas-sique )) de Czanne ; mais maintenant que je vois clairdans l'origine sensorielle de ses intentions , jene puis plus croire un homme qui veut faire duPoussin sur nature , qui veut redevenir classiquepar la nature, c'est--dire par la sensation .

    Je reste cependant son grand admirateur, et jelui suis reconnaissant de certaines indications queses uvres, toutes instinctives et qualitatives qu'ellessoient, m'ont donnes.

    Mais je crois pouvoir affirmer aujourd'hui que lechemin suivre est prcisment l'oppos de celuisuivi par Czanne.On ne devient pas classique par la sensation mais

    par l'esprit ; l'uvre d'art ne doit pas commencer parune analyse de l'effet, mais par une analyse de la cause,et on ne construit pas sans mthode et en se basantuniquement sur les yeux et le bon got, ou sur devagues notions gnrales.

    J'ai le plus grand respect et intrt pour les recher-ches qui se font autour de moi, et auxquelles j'aiparticip avec foi et enthousiasme depuis plus dedix ans. La discipline dont elles tmoignent constituedj un pas sur le vrai chemin, et la tendance laconstruction se prcisera sans doute un jour lorsqueles peintres sauront se servir davantage du compas etdu nombre. Mais jusqu' prsent, en toute franchise,malgr le talent et les excellentes intentions, les rah-sations restent en gnral dans le domaine de lasensation crbralise et n'atteignent pas Vesprit,et la rgle est encore de Vempirisme plus ou moinsinstinctif et sensoriel.

    Je crois sincrement que le cubisme, tout enconstituant la seule tendance intressante au pointde vue de la disciphne et de la mthode, et tout en

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    tant, de ce fait, la base du nouveau classicisme quise prpare, est nanmoins encore aujourd'hui ladernire tape de l'impressionnisme. Et, cela va de soi,on ne pourra effectivement surpasser cette priodeintermdiaire de l'art et construire vraiment selonles rgles, que lorsque les peintres auront la connais-sance absolu* de ces rgles : elles sont dans la go-mtrie et dans les nombres, comme nous le verronsdans l'expos de ces notes.

  • CHAPITRE II

    RGLES GNRALES Il faut dcrire la thorie et puis

    la pratique. Etudie d'abord la science, et

    puis tu suivras la pratique nede cette science.

    LEONARD.

    On peut donner de l'art et de la beaut beaucoupde dfinitions lgantes et profondes, philosophiquesou esthtiques, mais pour le peintre elles se rsumenttoutes dans cette phrase : Crer une harmonie.De tous les temps, deux chemins opposs se sont

    offerts l'artiste pour raliser cette harmonie : lesuns ont tch de l'atteindre en imitant l'aspect dela nature, esthtique de l'empirisme et de la sensi-bilit, les autres l'ont obtenue, en reconstruisantl'univers par Vesthtique du nombre et par Vesprit.

    Selon que l'une ou l'autre de ces deux conceptionsont triomph, nous avons eu les belles poques d'artou les poques barbares et dcadentes : celles-ci sonttoujours caractrises par l'exaltation de l'instinctet de la sensibiHt ; les poques que nous admirons,au contraire, doivent leur grandeur la conceptionde l'esprit et l'esthtique du nombre.

    C'est de cette esthtique qu'il est question dans cesnotes, car, d'une faon gnrale, je considre qu'un

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    ^ri n'obissant pas des lois fixes et inviolables est Vart vritable ce qu'est le bruit au son musical.En efiet, le bruit est le rsultat de vibrations irr-

    ^ulicres et dont on ne peut pas prendre l'unisson ;tandis que le son musical provient de vibrationsrgles selon le temps (isochrones) de dures ga-les ou proportionnelles et dont on peut prendjel'unisson.On a pu reconstruire les temples et les statues des

    gyptiens et des Grecs parce qu'on a pu en reprerl'unit de mesure '( l'unisson , et en retracer la rgle ;t il doit en tre ainsi pour les tableaux.

    Peindre sans ces lois fixes et trs svres seraitla mme chose que vouloir composer une symphoniesans connatre les rapports harmoniques et les rglesdu contre-point.La musique n'est qu'une application vivante de

    la mathmatique ; pour la peinture, comme pour tousles arts de construction, le problme se pose de lamme faon ; pour le peintre le nombre devient unegrandeur ou un ton de la couleur, alors que pour lemusicien il est une note, ou un ton du son.Pour l'un comme pour l'autre, il y a des lois chro-

    matiques bases sm' le nombre qu'il faut observer,ou alors il faut se rsigner improviser des chansons,parfois agrables, mais qui n'ont rien faire avecl'art musical et la construction.De ces considrations gnrales je conclus : L'uvre

    dort doit tre Eurytlimique ; c'est--dire que chacunde ses lments doit tre reh au tout par un rapportconstant satisfaisant certaines lois.On pourrait appeler cette harmonie vivante obte-

    nue par les rapports graphiques : un quilibre derelations, car ainsi l'quilibre n'est pas le rsultatd'galits ou d'une symtrie telle qu'on l'entendaujourd'hui, mais rsulte au contraire d'une rela-tion de nombres ou de proportions gomtriques

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    qui constituent une symtrie par quivalents, telleque l'entendaient les Grecs.

    Sur ces bases la composition peut atteindre lacomplexit et la varit de la symphonie.

    Cette esthtique base sur le nombre est conformeaux lois par lesquelles notre esprit a compris et expli-qu l'univers depuis Pythagore et Platon. Noussavons par eux que tout dans la cration estrythmique selon les lois du nombre, et par ces loisseulement il nous est permis de recrer, de recons-truire, des quivalents de l'quilibre et de l'harmonieuniversels.On peut dfinir ainsi le but de l'art : reconstruire

    Vunivers selon les mmes lois qui le rgissent.Car si nous remontons jusqu'aux premires mani-

    festations de l'art, nous voyons que V imitation, engnral, et l'imitation du corps humain, en parti-cuher, sont l'origine du sens artistique.Avant de savoir comment il tait construit,

    l'homme a donc commenc par s'imiter. Mais plusil a pris conscience de sa construction et de son iden-tit avec l'Univers et plus il s'est loign de l'imita-tion extrieure, pour se rapprocher de la recons-truction intrieure, c'est--dire de la cration.

    Il faut croire qu'en pntrant les lois du nombrequi rgissent le microcosme et le cosmos, l'hommea t frapp par Vunit et Yharmonie de la crationet, transport par l'admiration, la foi religieuse etle dsir de la perfection, a voulu suivre l'exemplede Dieu et recrer l'Univers son image.

    Cela expUque le plaisir indniable qu'prouvel'homme devant son image, surtout si cette imageest cre et construite selon les mmes rapports, lemme rythme que lui.Nous nous expliquons ainsi galement pourquoi,

    depuis les poques les plus recules de l'art gyptienou chalden, pour faire l'uvre de cration on a

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    toujours choisi de prfrence les rapports du corpshumain.

    Les rapports numriques simples peuvent tretraduits en tracs graphiques. On peut donc consi-drer en substance ces deux mthodes qui peuventse continuer mutuellement comme n'en formantqu'une.

    Les gyptiens faisaient en gnral concorder lesdeux (1) : leurs rapports numriques taient simples,nous pouvons les enrichir et les varier selon nosconnaissances mathmatiques, tout en tenant pr-sent l'esprit que la grandeur et la noblesse d'uneuvre dpend souvent de la simplicit.

    Cette question des rapports synthtise tous lesproblmes de la composition et de la construction.

    Se rattache elle la conception vivante, dynamiquede l'art, conception que j'ai toujours dfenduedepuis mes recherches futuristes, et qui se base surcette comprhension de l'Univers selon les lois ato-miques des vibrations ou ondulations .

    Les lois mathmatiques de l'harmonie me donnentles moyens de traduire ces vibrations d'abord ennombres et en accords, et puis en directions, courbes,formes et couleurs.

    Cela implique cette identit d'origine dont je parlaisplus haut entre la musique et la peinture, et que nousretrouvons dans la tradition, car les Grecs avaienttabli des rgles pour exprimer les sons par des lon-gueurs proportionnelles aux chilres (Aristoxne).

    Je crois utile de constater que souvent des litt-

    (1 ) Depuis Pythagore surtout, la fusion de l'arithmtiqueet de la gomtrie devient mthodique. Il fait aussi uneapplication de cette ide l'acoustique. Il ne faut doncjamais sparer ces deux lments de la mme science, maisles considrer toujours comme une seule base fondamen-tale, un seul principe d'harmonie.

  • 26

    Tateurs ont appel des tableaux : Pages de musique ,^t des peintres ont soutenu des analogies entre leurspeintures et la musique ; mais la Ijase de ces mani-festations littraires ou de ces tentatives il n'y aaucun systme numrique srieux, aucun sens vrai-ment scientifique et mathmatique.

    Aujourd'hui il ne pourrait donc tre questiond'une relation relle entre la musique et la peinture.

    Et, puisque aujourd'hui on en est rduit fairetat des intentions , qu'il me soit permis de dire ce sujet, que l'art ne devrait tre que le rsultatde Vinieniion et de l'excution, c'est--dire qu'ildoit constituer une action, un fait, et non un simplejeu de l'esprit ou de l'imagination.

    Si on l'envisage sous l'un ou l'autre de ces deux-aspects complmentaires et insparables, on ne peutaboutir qu' la spculation ou un art infrieur,'dnu de pense.

    C'est le drame de notre poque.

  • CHAPITRE III

    RAPPORTS.PROPORTIONS, ET LEUR APPLICATION

    DANS L'ART

    Quand on Le de l'art ce quiest mesure, nombre et poids, cequi reste n'est plus de l'art, maisun travail manuel.

    PLATON.

    Il m'est arriv bien souvent de parler avec despeintres et avec des personnes trs cultives, et devoir clairement que ces mots : rapports, propor-tions, etc., constituaient pour eux des choses vagues,indfinies, n'ayant pas un sens bien clair. C'est lersultat de cette insuffisante culture mathmatiquequi est l'erreur de notre poque.

    Je ne puis pas retracer ici toutes les rgles que lepeintre doit connatre et qu'il peut trouver dans toutbon trait de gomtrie ; cependant pour que lesides qui vont suivre soient claires pour tout lemonde, je tcherai d'expliquer ceux qui ne lesavent pas ou qui l'ont oubli, ce que c'est qu'unrapport et une proportion.

    Soient A et B deux grandeurs de mme espce,^eux longueurs, par exemple. Supposons qu'unemme longueur C, soit contenue un nombre entier

  • 28

    de fois dans chacune d'elles, pour fixer les ides,2 fois dans A et 5 fois dans B, comme l'indiquela figure ci-dessous : (fig. 1)

    -A'..H . Fig. I

    VC-;

    ^r ^

    On dit que le rapport de B A est la fraction 5 etl'on crit : 2

    A 2La longueur C contenue un nombre entier de fois

    dans chacune des longueurs A et B est dite partiealquote de chacune d'elles. On dit aussi que A etB sont des multiples de C.La notion de rapport s'tend au cas o il n'existe

    aucune longueur C qui soit la fois partie aliquotede A et de B, ce qui arrive par exemple pour le ctd'un carr et sa diagonale, ainsi que Pythagorel'avait dj reconnu. On dit alors que les longueursA et B sont irrationnelles, ou bien que leur rapportest un nombre incommensurable.

    Je dois me contenter de cette indication, dont ledveloppement m'entranerait trop loin.

    Quatre grandeurs A, B, A', B', forment une pro-portion, quand le rapport de la premire la secondeest gal au rapport de la troisime la quatrime.On crit :

    B B*A et B' sont les extrmes, B et A' les moyens de laproportion.

  • 29

    On dmontre en arithmtique qu'une proportionreste exacte quand on change les moyens entreeux, ou bien les extrmes entre eux, ou bien quandon fait simultanment ces deux oprations. Ainside la proportion crite plus haut on dduit les sui-vantes :

    A B B' A' B' BA' B' B A A' A

    La proportion suppose a aussi pour consquenceles suivantes :

    A+B_

    A'+B' A

    B

    _

    A' B'.

    B ~ B' B "~ B' '

    (La dernire suppose que A est plus grand que B,et par suite A' plus grand que B').

    Si les deux moyens d'une proportion sont gaux(A' = B), on dit que leur valeur commune est moyenneproportionnelle entre les extrmes.En remplaant A' par B dans la premire des

    galits crites, on a :

    B ~ B'

    ce qu'on crit aussi, en appliquant les rgles del'algbre :

    AB' = B2, ou B = /F"On peut remarquer que, m tant un nombre quel-

    conque, une grandeur B est toujours moyenne pro-portionnelle entre les grandeurs /n B et 1 B. On a eneffet videmment. "^

    m B XB = Bm

  • 30

    Un rapport intressant est le nombre d'or, qui se^prsente dans le problme de la section cVor ou divisionen moj'enne et extrme raison d'un segment de lignedroite AB. Diviser ce segment selon la sectiond'or )), c'est 3' marquer un point C tel que la lon-gueur du plus grand des deux segments ainsi dter-mins soit moyenne proportionnelle entre la lon-gueur du plus petit et celle du segment entier (fig.2).

    A C Bt

    :

    1 ,

    Fig. II

    Autrement dit on doit avoir la proportion :

    C B_A C

    AC ~ ABLa valeur commune des deux membres est le

    nombre d'or. On tablit par l'algbre que cette valeurI/5Z

    est le nombre incommensurable^- . On en obtient2

    des valeurs de plus en plus approches par le procdsuivant :

    Formons la suite de nombres (I) :

    1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21,

    dans laquelle chaque terme est la somme des deuxprcdents. Cette rgle de formation permet de pro-longer la suite autant qu'on veut. crivons succes-sivement le rapport de chaque terme au suivant.

    (1) Cette suite est dite : suite de Fibonacci.

  • 31

    On forme ainsi la suite de fractions :

    1_ J_2 3 5^ ^ 13

    1 2 3 5 8 13 21

    Chacune d'elles est une valeur approximative dunombre d'or, l'approximation augmentant rapide-ment avec le rang de la fraction. En gnral, on secontente de la fraction 3, trs suffisante dans lapratique. 5

    Il existe aussi des procds graphiques pourdiviser un segment la section d'or . On les trou-vera dans les traits de gomtrie.

    Je n'ai fait que survoler rapidement ces rgles dela gomtrie, pensant que ceux qui sont expertsdans cette science, s'ennuieraient relire ces chosesprimaires et, en mme temps, ceux qui les ont oubliesou qui les ignorent, ne comprendraient pas mieuxet s'ennuieraient encore davantage si je me lanaisdans tous les drivs et dmonstrations du thormede Pythagore qui est une des bases principales de laconstruction.

    D'ailleurs, je n'ai ni la prtention ni l'envie d'crireun trait de gomtrie ; mon but est de mettre lespeintres en got d'apprendre srieusement ce qu'ilfaut pour qu'ils puissent travailler vraiment selonl'esprit, et de leur signaler, d'aprs l'enseignementdes matres et ma propre exprience, les rgles essen-tielles de la construction.

    Car il est d'une trs grande vidence que le dfautprimordial de notre art moderne est un dfaut deconstruction.Me rendant compte de cela, je me suis instinctive-

    ment retourn, il y a quelques annes, vers l'tudede l'architecture, qui est la mre de l'art plastique.Je tiens affirmer que l'tude de Vitruve m'a tde la plus grande utilit. Mme en sachant, d'une

  • 32

    faon gnrale, que les constructions gomtriqueset les rapports de nombre des gyptiens et desGrecs taient le rsultat de rapports et de propor-tions dcouverts sur le corps humain, sur les animauxou sur les plantes, et que tout tait rgl selon ceslois, il est impossible de saisir l'esprit gnrateurde ces rgles constructives, sans aller un peu plusloin que des notions gnrales. En rentrant un peudans la question, on est saisi d'admiration par lalogique, l'unit et la svrit avec laquelle les loistaient conues et appliques. Et ces lois driventdu mme principe, qu'il s'agisse de btir un temple,lever une statue, dcorer un monument, ou mmeinventer une uvre d'art mcanique.

    Il y a donc plus qu'analogie, mais identit, entrela rgle relative l'architecture, la sculpture, l'art dcoratif, et finalement l'art pictural, qui at la dernire expression du gnie cratif des hommes.

    Aujourd'hui il y a encore des artistes qui, garspar des logiques sophistiques, ou par ignorance, oupar commodit, croient que les grands constructeurslanaient les votes dans l'espace par les moyensempiriques de l'instinct et du got et que les grandssculpteurs faisaient des dieux au hasard de leur temprament individuel, en les copiant, toutsimplement, d'aprs les hommes. L'tude de l'archi-tecture et de son histoire travers les poques et lesraces, les tirerait de cette erreur fondamentale.

    Car il est dsormais hors de discussion et hors dedoute, et il est douloureux de devoir insister l-dessus,que toute cration de l'art de l'antiquit obissaitaux lois fixes du nombre, que rien n'tait jamais liurau hasard ou n'tait le rsultai du bon got, et queles plus petits dtails taient toujours relatifs unecommune mesure ou module.On peut en faire aisment la dmonstration par

    une infinit d'exemples ; je choisis seulement quelques

  • X.VTrr.E MORTE

    (Juin l'.ir.i)

  • 33

    t:::i

    f-

    Fig. III. Temple d'Elephantine(Le triangle ABC est le triangle igypHtn)

    Fijj. IV. Parthenon.

    Fig. V. Coupe des pignoof et combles de Notre-Dame(Triangle gyptien et driv].

  • 34

    ^

    ^'"A

    fc-:'!-; ; I

    Fig. VI. Nef de Notre-Dame. Coupe transversale (d aprs Viollet-le-Duc).Lt triangle A E est U triangle gnrateur gyptien ( Voir tracs XIV et XV).

    ^ .

    / ^'..y^ ; ^N^ .- ' \"*

    -^ /.. i / ,A ,.--

    ;

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    "il-

    *c'""'T:r.;' /i \ ^:y:'f-"'y'

    \ .'\ : ,^---.;

    ..'

  • 35

    tracs d'architecture dans lesquels les formes gom-triques gnratrices et ks rapports simples quirglent les proportions rsultent clairement.

    Mais ceux qui sont soucieux de se documenterdavantage trouveront dans l'histoire le moyenfacile de le faire.

    Ils pourront galement retrouver les lignes gn-rales et les figures gomtriques gnratrices, dansles tableaux, depuis Giotto jusqu' Poussin.

    Je n'en donne pas des tracs, parce qu'il est trsdifficile et mme impossible de pousser ce travail dereconstitution sur des photographies, jusqu' retrou-ver les rapports exacts des proportions.

    Tandis que les tracs d'arcliitecture sont le rsultatde mesures faites sur place avec les plus grands soins,et ils sont donc indiscutables.

    J'ajoute une construction de nu, d'AlbertDurer, dont la rgle et l'esprit gomtrique rsul-teront clairement aux initis (de la fig. 3 lag. S ci-conirej.

  • CHAPITRE IV

    LA VRAIE SIGNIFICATION DE CETTE PHRASE r TRAVAILLER SELON L'ESPRIT .

    La pire erreur des hommes estdans leurs opinions.

    Rien au monde n'est plustrompeur que notre jugement .

    LEONARD.

    Si notre poque on ne s'tait pas tant garsdans les raisonnements les plus sophistiques, il n'yaurait pas besoin d'expliquer cette phrase : Tra-vailler selon l'esprit .

    Lorsqu'un peintre, qu'il travaille ou non d'aprsnature, fait et dfait son tableau jusqu' obtenirune harmonie satisfaisante l'il, c'est--dire que^selon la mthode empirique de Czanne, il enlvedans une surface de gauche une quantit pour l'ajouter une surface de droite, etc., ce peintre, mme s'ilparvient un quilibre, travaille-t-il selon l'esprit?En toute sincrit, je pense que non.J'ai souvent dit que cette faon de travailler,

    uniquement base sur des mouvements rflexes etinstinctifs, mettait le peintre au niveau de la coutu-rire et de la modiste.En effet, comment celle-ci ralise-t-elle un qui-

    libre sur un chapeau? Si elle place un ruban droite,elle mettra un quivalent gauche ; si le ruban esttrop grand, elle en enlve un morceau et ajoute

  • 37

    -quelque chose l'quivalent de gauche, et ainsijusqu' l'quilibre que son got lui permettra d'attein-dre. Il y a des modistes trs habiles et d'un gottrs raffin pour les quilibres des lignes et des cou-leurs, pourtant elles n'ont aucune prtention artis-tique et constructive.A la base de cette fausse interprtation du tra-

    vail selon l'esprit il y a une autre erreur trs grave,

  • 38

    a pourrait appeler V instinct gcomtrl, est si prononce que le dessin le plus grossier et le plus incorrect sufft l'imposer, peut-

  • 39

    oubliant que les conditions de notre poque sontbien diffrentes de celles des vrais primitifs.En effet, avant et pendant le xii^ sicle, les lois

    gomtriques portes par les Grecs jusqu' un niveautrs haut taient presque entirement oublies. Seulsles Byzantins en possdaient quelques-unes, et visi-blement l'tat de formule )>.En somme ces peintres, partir de Giotto, ont d

    rinventer l'art plastique. Tandis qu'aujourd'hui unegrande partie des lois de la gomtrie et du nombrese sont dveloppes et divulgues, et si, l'Ecole desBeaux-Arts, ou dans les ateliers on ne sait pas lesappliquer, ou on veut les ignorer, c'est uniquementla faute des peintres.

    Aprs avoir constat que les primitifs obissaienten gnral Y instinct gomtrat, il faut galementconstater, ce qui rsulte d'une simple promenadeau Louvre, que, de gnration en gnration, etmme de matre lve, ils tendent vers l'affran-chissement de cet instinct.

    Souvent ils auront mme l'intuition des lois go-mtriques qui seront correctement formules plus tard.En effet on commence voir chez Giotto (1276-

    1336), la notion intuitive du point de fuite l'horizon.On peut mme affirmer qu'on lui doit la rinvention

    de l'art plastique et la reprsentation spatiale selonles trois dimensions.Avant lui l'art tait dcoratif et les formes n'avaient

    effectivement que deux dimensions.Mais Giotto tait un construrteur.Pour faire des clochers il faut connatre certaines-

    lois gomtriques, celles par exemple, relatives auxplans et aux lvations, que Giotto a eu l'intuitiongniale d'apphquer la peinture.

    Plus tard, Filippo Brunelteschi (1377-1446) etLorenzo Ghiberti (1378-1455) commenceront appli-

  • 40

    quer les premires rgles de la perspective selon desprincipes mathmatiques.

    Pierre dlia Francesca (1420-1492) apportera lanotion des points de fuite de direction horizontale ;et Lon-Baptiste Alberti (1401-1472) commencerala reprsentation des lvations par le moyen despoints principaux de fuite et de distance. Au fur et mesure que les rgles se prcisent, on les retrouveapphques rigoureusement sur les tableaux.

    Ces matres nous montrent comment, par la pro-jeHion centrale et par les projections orthogo-nales on peut reconstruire les corps et les objets,ainsi que leur ombre, et les situer dans un miheudonn.De Paolo Uncello, Masaccio, Domenico Veneziano,

    Signorelli, jusqu' Lonard et Durer, c'est une mu-lation constante, une ascension assez rapide, quoi-qu'elle et dur environ trois sicles, vers un pointculminant, aprs lequel la descente recommencejusqu' l'abme d'aujourd'hui.En conclusion, l'art consiste dans la ralisation

    d'une dimension idale entre la ralit de connais-sance ou conception et la ralit de vision.

    Si nous reprenons l'exemple de la table, selon laconnaissance que nous en avons, il faudrait la fairecarre ; selon le sentiment des yeux, il faudrait lafaire comme un quadrilatre irrgulier.

    Pour raliser pratiquement l'quiUbre de ces deuxralits, nous ne pouvons compter que sur la Science.Elle nous donne les mo3^ens de raliser un quadri-latre qui puisse satisfaire l'ide, dans son besoind'absolu, et les yeux, dans leur besoin de vraisem-blance.A la dfense de la ralit de conception il est

    arriv d'entendre un argument tel que celui-ci :en faisant carre une table que nous savons carre,on la reprsente telle qu'elle est en ralit, elle est

  • 41

    donc vraie, tandis qu'en la reprsentant telle quenos yeux la voient, elle est fausse, on trompe les yeuxdu spectateur.

    L'apparente indiscutabilit de cet argument montrecombien la logique, lorsqu'elle se base sur l'ignorance,peut jouer de mauvais tours et garer le jugement.En efet, en traant sur une toile l'image d'une

    table parfaitement carre, elle ne parviendra pas nos yeux carre, mais rectangulaire ; pour que cecarr nous arrive parfaitement carr, il faut, selonHelmholtz, que sa hauteur soit plus petite que salargeur de 1 /40, et il en est ainsi de toutes les imagesque nous traons sur la toile, car il ne faut pas oublierque non seulement la ralit extrieure arrive dfor-me nos yeux, mais aussi les ralits que nous repr-sentons sur la toile.

    Ainsi, d'aprs Charles Plenry, la verticale nousparatra plus grande que l'oblique incline vers lagauche ; celle-ci plus grande que l'oblique inclinevers la droite ; celle-ci plus grande que l'horizontale.De mme un rectangle inclin gauche parat plusgrand qu'un rectangle inrlin droite.

    Il est donc d'une inexcusable navet de tracerdeux lignes parallles parce que dans la ralitnous savons qu'elles sont parallles et sous prtextede vouloir faire le vrai. N'oublions pas que pour lepeintre, les lignes ou les formes ne sont vraies quelorsqu'elles sont en quilibre parfait avec les autreslignes et les autres formes du tableau, et indpen-damment de toute comparaison, mme avec la ralitque nous connaissons. On a exprim cette ide pla-tonicienne ces derniers temps, mais elle est en contra-diction avec l'ide prcdente, relative la rahtde Vesprit et la vrit, ce qui prouve que l'on n'apas pntr le sens du platonisme. Peut-on, d'ail-leurs se vanter d'tre des platoniciens ou des pytha-goriciens, sans connatre les nombres?

  • 42

    Pour atteindre l'quilibre parfait, et, par l,.rharmonie et la vrit, les anciens commenaientpar bien poser le problme.

    lis connaissaient parfaitement les lois de l'optiqueet savaient corriger les dformations produites parla distance.

    C'est ainsi que les colonnes des Grecs ont le galbe,c'est--dire que les deux contours extrieurs secourbent lgrement vers le dehors pour qu'ils par-viennent parallles l'il.

    C'est galement en se basant sur les lois de l'optiqueque les Gothiques ont multipli les rapports destours, en les faisant paratre ainsi beaucoup plushautes qu'elles ne sont, et en les lanant vers le ciel.Ce seul exemple prouve indiscutablement, je

    pense, qu'on peut travailler selon l'esprit, et con-natre et appliquer les rgles de l'optique.Et en guise de conclusion, je crois pouvoir affirmer

    que le peintre doit connatre ces rgles, car une desparties les plus importantes de son art consiste juste-ment dans le pouvoir qu'il a d'veiller, par une mthodetablie d'avance, une sensation d'harmonie donne.En d'autres mots, il pourra susciter la sensation

    d'un mouvement ou d'un rythme par des combi-naisons de lignes et par des rapports de longueurs ;il pourra galement susciter une sensation coloredonne, par un accord prcis de couleurs.

    Ainsi, par exemple, il pourra donner une sensationcolore : orange, en choississant un accord tel, eten faisant subir aux couleurs de cet accord une telletransformation que la sensation : orange domineradans l'il du spectateur, mme si l'orange n'est pasdans le tableau.

    Travailler selon ces rgles et ces lois que l'espritpetit a petit dcouvertes et formules, constituele travail selon V esprit ; en dehors de cela c'est l'exp-dient , l'-peu-prs , et le bavardage .

  • CHAPITRE V

    LA COMPOSITION

    Notre organisation intrieure tant symtrique^-toute manifestation de l'art qui veut tre ordonne,commence par ^e sj^mtrique.En d'autres mots, chacun de nos mouvements,

    correspond un mouvement rflexe et contraire quiest son complmentaire.

    Plus les artistes sont instinctifs et ignorants deslois de l'harmonie, et plus ils sont navement sym-triques.

    Les Matres de Sienne et les Primitifs de Florencetout en construisant selon des rapports de nombres,cachaient mal la symtrie de leurs compositions ;celles-ci sont pourtant agrables parce qu'il se dgaged'elles une grande srnit et lvation de l'esprit,et aussi parce que la symtrie est toujours agrable.Cependant un tableau symtrique fatigue assez

    rapidement, comme toute chose dont on comprendtrop vite l'organisation.

    C'est pourquoi les Grecs avaient invent une sym-trie par quivalents.Pour que ce point soit clair, donnons une dfini-

    tion de la symtrie. Aujourd'hui en gomtrie, ondit que deux figures sont symtriques par rapport un axe, lorsque en faisant tourner l'une des deux

  • 44

    figures autour de cet axe, on la fait concider avecl'autre.

    Tandis que les Grecs entendaient par symtriele rapport constant qui relie les parties entre elles,t chaque partie au tout.

    Nous pourrions donc remplacer le mot symtriepar le mot: Eurythmie, que j'ai cru devoir adopterau commencement de cet expos. Donc, il ne s'agitpas de partager en deux parties gales la toile, defaire gauche ce qu'on a fait droite, ou mme defaire tourner autour d'un point central des figuresqui, ainsi se rpondraient des angles opposs dutableau.

    J'ai adopt un moment donn cette mthode,t quelques peintres l'adoptent encore ; c'est unbon commencement, mais il ne faut pas oublier quecette symtrie est d'abord trop primaire et ensuited'un ordre plutt dcoratif.

    Pour bien composer un tableau, il y a d'autresmoyens, la fois plus srs au point de vue scienti-fique et plus agrables au point de vue de l'effet.Une grande partie de la science du peintre rside

    justement dans la composition, et cette science esttoute contenue dans la sage, adroite et prcise distri-bution des contrastes.A ce sujet on peut lire dans les Sentences des

    plus anciens peintres de H. Testevin : A l'gard du contraste, ce mot tant italien, signifie en fran- ais, une douce contrarit ou diversit, on repr- sente qu'il s'tend gnralement sur toutes les parties de la peinture, mais qu'on le doit traiter fort discrtement, d'autant que l'excs en devient insupportable la vue.

    Cela revient dire que si sur une toile, dominentles contrastes maximum comme jaune et bleu, oules angles 90 degrs et les demi-cercles, cette toilesera dsagrable aux yeux.

  • 45

    En effet, elle produira sur notre organe visuel lemme effet que certaines trompettes et tambours^des ftes foraines produisent sur notre organe auditif.Mais cela n'exclut pas la possibilit d'obtenir des

    quilibres agrables avec des couleurs au maximumde la puret et de la saturation, ou avec des lignes^et des angles contrastant au maximum.

    Il s'agit avant tout de savoir varier les contrasteset de les tablir justes, selon les lois du nombre.On rapporte dans les propos des matres, plusieurs

    gnralits relatives la composition, comme parexemple : si la dominante du tableau est verticale,-on doit lui faire opposition par des horizontales, etvice-versa. On signale aussi la composition sur ladiagonale du tableau, ou celle que Poussin et Dela-croix employrent beaucoup, tablie sur une croixde Saint-Andr. Mais aucun trait de peinture,ni celui de Testevin, ou de Felibien, ni mme deLonard, n'apprend d'une faon claire la marche suivre pour composer un tableau. En voici la raison :la composition repose sur toutes les notions gom-triques et mathmatiques du peintre qu'il peut appli-quer avec une varit infinie. Mme en donnant plu-sieurs types de composition on ne pourrait pas donnerune ide de la multitude des applications gom-triques, et, en mme temps, on risquerait de crerun systme quoi les peintres n'ont que trop detendance.Ds lors, il valait mieux indiquer les rgles gnrales

    supposant que, par l'tude scientifique, on auraitpu en saisir les principes, et les dvelopper. Malheu-reusement, les artistes sont devenus de plus en plusrfractaires cette tude des sciences, et alors cesgnrantes, justes en elles-mmes, deviennent sivagues, que le peintre ignorant la gomtrie n'entirera aucun parti ; tout au plus pourra-t-il endduire un commencement de discipHne.

  • 46

    La diagonale du tableau, o la croix de Saint-Andrne sont en elles-mmes que des directions de lignes ;pour que ces directions se composent harmonieuse-ment, il faut d'abord qu'elles soient considres parrapport aux angles qu'elles forment les unes avec lesautres et, ensuite, que leurs IxDngueurs, ainsi quetoutes les divisions prises sur elles soient relies parun rapport.

    Ainsi, si nous prenons la composition de la diago-nale, le grand secret de la composition consiste savoir tirer parti des proprits des deux trianglesainsi forms sur la toile.

    C'est.par le rapporteur et par le compas qu'on com-pose, si on veut sortir des limites du bon got et del'adaptation.J'insiste donc particulirement, au coursde mon expos, sur les rgles gomtriques, et lesproprits des figures avec lesquelles les peintresdoivent se familiariser, et c'est l, je pense, le meil-leur service leur rendre, car une fois ces notionsacquises, le mystre s'claircira pour eux de lui-mme,et comme par enchantement.De toute vidence il faut commencer par choisir

    une direction dominante, qui sera suggre par lesujet qu'on veut reprsenter et cette dominantepourrait tre, si la composition se base sur la diago-nale, cette mme diagonale. Ensuite on commence partablir les contrastes cette dominante, car selonla rgle gnrale formule par Charles Henry : a Toutedirection voque sa complmentaire , ou bien toutedirection voque la complmentaire de l'autre .

    Thoriquement, deux lignes sont complmentaireslorsque l'une continue l'autre en sens inverse ; maispuisqu'elles rsulteraient nos yeux comme une seuledirection, on dit que deux lignes contrastent aumaximum lorsqu'elles sont spares par un angle de90 degrs, c'est--dire par un angle droit ou le quartde la circonfrence. Cet angle de 90 degrs pourrait

  • 47

    tre form par la verticale et par l'horizontale, quipourraient servir ainsi de point de dpart, surtoutpour une composition pyramidale . Mais si nousdplaons cette verticale jusqu' lui imprimer unerotation de plusieurs degrs, ou jusqu' la faireconcider avec la diagonale, la composition auraplus de mouvement et de vie. Mais, comme je l'ai dit,c'est le sujet qui conseillera le peintre sous ce rapport.

    Ce qui est vrai pour le contraste de deux lignes estvrai pour toutes les lignes du tableau.

    Quant aux angles qu'on peut additionner et par-tager comme les lignes, ils peuvent tre suppl-mentaires, complmentaires et adjacents.

    Ils sont supplmentaires lorsque leur somme estgale deux angles droits ; ils sont complmentaireslorsque leur somme est gale un angle droit. Ilspeuvent tre aussi alternes-internes, alternes-externes,correspondants, etc. Tous ces cas se prsentent dansla composition, il faut donc connatre fond cettepartie lmentaire de la gomtrie.Deux angles, comme deux lignes, comme deux

    couleurs, peuvent contraster au maximum et auminimum. Pour les couleurs, le contraste minimumest appel petit intervalle . Comme une couleurpeut tre renforce, modifie et module par une autrecouleur analogue situe un petit intervalle surle cercle chromatique, aussi une ligne et un anglepeuvent tre moduls, nuancs, par des contrastes minimum de 10, 15, 20, 40" etc., selon le besoin.Mais il faut appliquer cette rgle avec beaucoup

    de circonspection, car une division trop compliquepourrait dtruire les contrastes principaux.La beaut d'une composition dpend donc de la

    faon avec laquelle les hgnes et les angles contrastent-et se rpondent ; mais la difficult principale consiste bien distribuer les points de repre, les centres desymtrie et les poids, pour diriger l'il du spectateur

  • 48

    vers les points saillants, en lui mnageant des repos,des pauses ou intervalles.

    Ces points saillants ou points de repre peuventnous tre donns par les proprits des figures go-mtriques adoptes ou par des rapports de nombres.Nous avons dit que ces deux moyens peuvent con-cider et n'en former qu'un. On peut aussi seservir des rapports de nombre irrationnels tels qua

    .

    / ,

    ou i-,mais on aura les plus beaux rapports

    et plus simples en se servant des progressions, des troismdits de Pythagore, et, d'une faon gnrale, deslois d'harmonie qui rgissent le son. (Rapport dequinte k, de quarte ^, de sixte majeure f, de tierce

    5majeure

    ^,etc.. Voir chapitre XI). L'unit de l'uvre

    exige qu'une fois adopt un de ces rapports, on leretrouve partout, multipli ou divis ; cependant ilarrive qu'un rapport puisse tre la consquenced'un autre ou en driver, comme, par exemple, lerapport de quarte peut tre une consquence durapport de quinte. Seulement une longue pratique,et une patiente tude de cette partie de la math-matique peuvent donner au peintre la matrise deces moyens .Pour rsumer, complter, et rendre plus clair

    encore si possible ce que j'ai dit plus haut sur la nces-sit de bien distribuer les poids, j'ajouterai que,ainsi que dans la musique on alterne des notes avecdes silences correspondants, on peut dans une com-position linaire alterner des pleins et des vides pro-poriionnels entre eux, mas jamais gaux.

    Car lorsque l'il du spectateur peut se rendrecompte aisment que telle longueur ou telle surfaceest gale telle autre, ou presque, il se produit

  • 49

    ce que Viollet-le-Duc appelle un rapport de simili^iude, qui est fatigant et mme dsagrable. Et cesont ces rapports-ci qui dominent toujours dans lesoeuvres sans matrise et sans talent.

    Tandis que la sensation produite par des rapportsde proportion, ou dissemblance entre les dimen-sions, sera toujours agrable.On ne peut gure esprer la matrise dans la dispo-

    sition et le choix des rapports harmonieux qu'enconnaissant assez profondment la thorie desnombres et toutes les proprits des figures gom-triques.

    Car c'est par celles-ci qu'on commence gnrale-ment, pour tablir les premiers lments d'une char-pente eurythmique.

    * *

    Pour claircir ces thories, je montrerai en guised'exemple, la composition d'un de mes tableaux :Maternit. Le point de dpart de cette compositionest un triangle rectangle. L'ide de me servir desrapports proportionnels relatifs au triangle, m'taitvenue par intuition, et aprs beaucoup de ttonne-ments et de mditations sur les proprits du triangle,mais je crois pouvoir affirmer que les matres avaientfait une analogue application de ces proprits, etnotamment Raphal.Le triangle rectangle dont je me suis servi est

    form par les cts de la toile, mais de toute vi-dence, on peut commencer par construire un triangledonn et partir de ses rapports numriques, commenous le verrons plus loin.

    Voici les proprits de mon triangle rectangle,qui m'ont servi de base :

    Soit le triangle ABC, (fig. 10 ci-aprs).Si j'abaisse une perpendiculaire sur l'hypothnuse

    A B, nous avons :4

  • 50

    1 Les deux triangles ainsi forms sont semblables.2

  • 51

    Sur ce principe on peut composer avec les lignes,comme sur un clavier ; la difficult consiste avoirtoujours prsent l'esprit les rgles sur les propor-^tions et s'en servir avec aisance.Une fois tablies ces bases gomtriques, voil

    comment j'ai ralis pratiquement la composition.J'ai d'abord choisi comme dominante la perpendi-

    culaire sur l'hypotnuse d'un de mes triangles rec-tangles, et sur cette dominante j'ai situ le bras del'enfant. Je l'ai ensuite double par le bras de lamre, et je l'ai continue et rpte diffrentsendroits du tableau, mais non pas choisis au. hasard.Jamais une direction ou une lign ne doit tre situesur un tableau par le sentiment, mais toujours parun rapport numrique ou gomtrique prcis.

    Cette dominante est inchne 55 degrs de laperpendiculaire de la toile.Pour commencer tabhr des contrastes, je lui

    ai fait opposition par une hgne distante d'elle de70 degrs et qui fait la robe de l'enfant.

    C'est un contraste d'intervalle moyen, si j'avaisvoulu un contraste maximum j'aurais ouvert l'anglejusqu' 90 degrs, mais l'effet aurait t moinsagrable.

    Les plis de la robe de l'enfant intensifient cetangle de 70 degrs, par des angles analogues ou petits intervalles. Les lignes formant ces anglessont toujours spares les unes des autres de distancesproportionnelles. Ensuite l'paule gauche de lamre contraste galement ave la dominante parun angle de 90 degrs.

    Les phs du corsage sont tablis des intervallestrs rgulirement proportionnels, jusqu' 1 /72 prs.Ces phs forment des angles varis qui modulentle contraste principal, comme un rouge serait modulpar des orangs et des jaunes dans un sens, et pardes violets, des bleu dans l'autre, ou encore comme

  • 52

    si on passait du noir au gris et au blanc et vice-versa.Pour situer le rideau, j'ai partag le ct suprieur

    de la toile selon la Section d'Or , et la largeur de lafentre est tablie sur une moyenne proportionnelleentre le petit et le grand segment.

    Cette composition n'est pas symtrique, maiseurythmique ; il y a un centre de symtrie, mais onpourrait tout aussi bien en avoir tabli plusieurssur le mme tableau. Ce principe, qui est une desbases les plus simples, peut tre appliqu de faonsles plus varies, selon les triangles et leur disposi-tion sur la toile.

    Ces explications sont suffisamment claires, jecrois, pour ceux qui ont au moins une culture go-mtrique moyenne.

  • CHAPITRE VI

    LE TRIANGLE

    Pour la composition que j'ai prise pour exemple*je me suis servi comme je l'ai dit d'un triangle formavec les cts de la toile, et j'ai exploit les propritsrelatives un triangle rectangle quelconque.Mais on peut choisir un triangle donn, dont on

    connat la beaut des rapports, ces rapports ayantservi construire des temples, des cathdrales oudes statues, dans toutes les grandes poques de l'art.Par exemple, parmi ces triangles, un des plus

    anciens et des plus usits est le triangle gyptieriydont les cts sont respectivement gaux 3, 4, 5.Comme on a 3^ + 4- = 5- , ce qui dmontre que

    ce triangle est rectangle, en vertu d'un thormeconnu, les gyptiens s'en servaient pour l'arpentageet aussi les Hindous et les Chinois, puisqu'il en estquestion dans le Tcheou-pei (livre sacr du calcul).Dans l'antiquit on lui attribuait une significationreligieuse et sacre.

    Sur Isis et Osiris, Plutarque l'appelle le plus beaudes triangles : Et pourroit-on bon droit conjec- turer que les gyptiens auroient voulu comparer la nature de l'univers au triangle, qui est le plus

  • 54

    - appelle soutendue (hypotnuse), est de cinq, qui a autant de puissance comme les deux autres qui font l'angle droit, ainsi faut comparer la ligne qui* tombe sur la base plomb au masle, la base la femelle, et la soutendue, ce qui nat des deux.

    Plutarque num.re aussi d'autres caractristiquesde ce triangle, il dit par exemple que 3 est le pre-mier nombre impair (l'unit n'tait pas alors consi-dre comme un nombre), 4 est le carr du premiernombre pair 2, et 5 est la somme de 3 et de 2 ; 5- donnele nombre des lettres de l'alphabet g^^ptien et celuides annes que vivait le buf Apis. On peut ajouter que l'aire de ce triangle est 6,

    nombre entier qui suit 5, et que le cube de cetteaire est gal la somme des cubes des cts : 6^ =33 4.43+53^ fflg^ J2J^Un autre triangle employ par les gyptiens et

    que Plutarque considre comme l'un des plus satis-faisants aux yeux, est le triangle quilatral II ales trois angles et les trois cts gaux ; il divise lecercle en trois parties gales et dans le mme cercleon peut inscrire l'hexagone qui se compose de deuxtriangles quilatraux. Viollet-le-Duc dit qu'aucunefigure n'est plus satisfaisante pour l'esprit .Comme le triangle gyptien il a aussi une signi-

    fication religieuse, spcialement aprs Mose et Jsus.Mais mon rle n'envisage que la dmonstration

    constructive et technique;je ne fais donc que passer

    rapidement sur ce ct philosophique et religieux quiest pourtant de la plus haute importance.

    Envisag du point de vue de l'harmonie, M. PaulFlambart dmontre que sur une quelconque des84 divisions chromatiques du cercle, on peut appuyerun triangle quilatral 4ol8' prs, qui correspond un accord parfait majeur ou mineur .

    Encore une fois, la question est ramene an nombre,et, ainsi envisage, on voit toutes les apphcations possi-

  • 55

    y \

    Fig. XI.

    Fig. XII.

  • 56

    bls de ce triangle dans le domaine de l'art, (fig. 12).Un des triangles dont les proprits numriques

    ont donn, dans la pratique, les plus belles harmonies-architecturales, est un triangle obtenu en coupantpar un plan diagonal une pyramide telle que celle deCfiops, dont le profil est un triangle quilatral (1),,et la base est carre, (fig. 13).

    E

    Fig. XIII.

    Le triangle en question est celui-ci : A B E.On peut l'obtenir en vraie grandeur par l'opra-

    tion suivante : (fig. 14).Le triangle A', e' B'i est le triangle cherch.Si l'on appelle 1 le demi ct du carr a c b d on

    trouve que l'on a pour la base et la hauteur de cetriangle : C, D', = 2 \/2, e' h' = [/S'nombre dontrapport est 1,63 un centimtre prs.

    Ce rapport concorde avec celui de Viollet-le-Duc,dont voici la dmonstration : (fig. 15).

    (1) En ralit il n'est pas exactement un triangle quila-tral, quoique Viollet-le-Duc et Choisy l'affirment, puisque le

    146rapport entre la hauteur et la base est =r 0.63, Mais ce

    233nombre est trs rapporchc du nombre d'or , qui a pourvaleur peu prs 0.62, et justement Choisy attire l'attentionsur la presque identit du triangle en question avec untriangle dont la hauteur rsulterait du partage de la baseen moyenne et extrme raison.

  • 57

    Fig XIV,

  • 58

    Si l'on divise chacune des quatre parties de la baseA B en deux, et chacune de celles-ci en six nousobtenons 48. Divisant la perpendiculaire B C demme, nous avons 36 ; divisant les deux partieset demie de la hauteur D E nous obtenons 30 ; divi-sant A C de la mme manire on a 60.Nous avons donc les rapports numriques suivants,

    qui sont proportionnels par 4, par 3, par 5 et par2 1 /2 :

    A B = 48 = 4 X 12B C = 36 = 3 X 12DE = 30 = 2xl2 + 6A C = 60 = 5 X 12

    Le rapport entre la base et la hauteur est donc48^ = 1.6 sensiblement gal au rapport 1.63 indiqu

    ci-dessus.Quand il s'agit de proportions, le systme de divi-

    sion duodcimal, fait remarquer Viollet-le-Duc, faci-lite les partages par moiti, par quart et par tiers.

    Ce triangle s'inscrit sur la faade de temples gyp-tiens et grecs, et notamment sur la faade duParthnon (voir la figure IV). Il rgle en outrele trac de la grande nef de Notre-Dame de Paris{figure VI). On peut s'en rendre compte en tudiantl'histoire de l'architecture.On peut dire, d'une faon gnrale, que le triangle

    est une des figures les plus importantes pour laconstruction. A part ces triangles connus, le peintrepourra en crer selon des rapports lui, en sefamiharisant avec la mesure des arcs et des angleset les diffrents problmes relatifs cette partie dela mathmatique.

    Peut-tre aura-t-on l'ide de me reprocher l'appli-cation des principes de l'architecture la peinture.

  • 59

    en ce cas je serais heureux qu'on me dmontre quej'ai tort.Pour l'instant je considre l'architecture comme

    la mre de Ja peinture et de tout l'art plastique.Ces formes d'art ayant la mme grammaire, qui estla gomtrie, un triangle aura les mmes propritssur la faade d'un difice que sur la surface d'unetoile.

    De toute vidence les deux chemins identiqueset parallles au point de dpart s'loigneront gra-duellement un moment donn vers des buts diff-rents. Mais il est certain que pour construire vrai-ment, il faut oublier momenianment le ct reprsen-tatif et la peinture, pour ne voir que la construction.En d'autres mots, pour faire un compotier il fautoublier le compotier et ne voir qu'un cube. Ce solideest le mme, je pense, pour le peintre, pour le sculp-teur, pour l'architecte et pour le gomtre.

  • CHAPITRE VII

    CONSTRUCTIONPAR LES PROJECTIONS ORTHOGONALES

    CONJUGUESSelon l'esthtique que je dfends ici, il faut cons-

    truire, btir, un objet ou un corps avec la mmemthode et souvent par les mmes moyens, employspar l'architecte ou par l'ingnieur.

    J'ai dit, au sujet de la composition, que la beautet la perfection d'un tableau rsident dans la justerpartition des forces et des poids exactement commepour une machine ou pour un difice.

    Aprs avoir fix une conception d'ensemble, ilfaut donc commencer par tablir un chafaudage,selon toutes les rgles de l'art et puis des fondationset ensuite des lvations. On verra plus loin que celangage n'est pas un langage figur.

    Cette faon de procder implique un ordre et unediscipline rigoureuses ; le point de dpart est la sur-face blanche de la toile ; au fur et mesure que letableau se rahse, Vchafaudage tombe et disparat.

    Car il n'y a nullement besoin de soutenir ext-rieurement un difice bien construit sur des fonda-tions solides.

    Je m'excuse de rpter que ces fondations sont, pourtous les constructeurs, dans la gomtrie et dans lenombre.

  • 61

    Disons, pour prciser, que par la gomtrie engnral, et spcialement par certaines parties de lagomtrie de Monge qu'on appelle les projectionsorthogonales conjugues , on peut reconstruireun corps humain et son ombre et les mettre en mou-vement ; ensuite par la projection centrale ouperspective, on peut les situer dans un milieu ouambiance donn (intrieur, paysage, etc.). Je ferairemarquer que cette ambiance peut tre inventepar le peintre comme les rapports et proportions descorps ou objets. On peut dire de mme pour la lumirequi doit clairer le tableau ; le peintre peut choisirles directions qu'il voudra et qui correspondront lemieux sa conception d'ensemble.Au sujet du choix des rapports et proportions, il

    faut dire que de lui dpend la beaut du corps quel'on veut reprsenter. Car si celui-ci n'a pas desrapports harmonieux, ds son tat d'pur (projec-tion verticale et horizontale), les oprations gom-triques qui doivent par la suite le mettre en mouve-ment, c'est--dire le tourner ou le courber, ne l'am-lioreront pas, ces oprations ayant pour but de conser-ver dans le mouvement les mmes rapports tablisdans l'pure.Tout le secret est donc dans ce premier choix

    des rapports, et chaque peintre peut avoir les siensplus ou moins en accord avec certains canons fixeset connus.

    Les anciens taient trs jaloux de ces secrets, etattachaient, comme de juste, beaucoup d'importanceaux proportions.

    Albert Durer, propos de Jacopo de Barbari,qui ne voulut pas lui rvler le secret de ses rapports s'exprime ainsi : Il me fit voir un homme et une femme qu'il avait fait d'aprs certaines mesures. Acettepoque, il m'et t moins cur de voir des royaumes inconnus que de connatre ses thories...

  • 62

    Sur le canon gnral de Vitruve qui a servi Durer, Lonard et bien d'autres, connaissant les rglesde l'harmonie, chaque peintre peut se former unebase qu'il mettra au point par l'exprience person-nelle, et en vrifiant et contrlant sur nature. Jedirai mme que c'est sur la recherche et le choix denouveaux rapports et proportions que le peintrepourra mettre son individualit, se livrer son besoind'originalit et crer des nouvelles harmonies. Commeon le verra plus loin, il pourra galement composerun corps humain sur des rapports correspondantaux accords musicaux.

    Cette base tablie, les moyens gomtriquesentrent en jeu. Mais il ne faudrait pas leur attribuerun rle qu'ils n'ont pas, et surtout il ne faut pas lesconsidrer comme un but.En tant que moyens, surtout notre poque

    d'arbitre et de fantaisie, ils sont de la plus grandeijnportance

    ; je pense mme qu'ils sont le moyenle plus sr, et on peut dire le seul moyen, de repr-senter compltement et harmonieusement un corpsselon ses trois dimensions.

    C'est--dire que par les projections orthogonales nous pouvons raliser une forme unique qui serae rsultat de la surface et de la profondeur .

    ** *

    Je crois qu'une des principales intentions ducubisme en gnral et, vu notre poque il y a l ungrand mrite, est de reprsenter les corps, le pluscompltement possible.Du moins moi je l'ai cru, et c'est pourquoi, mettant

    de ct tout sentiment et intrt personnel, j'aidirig mes recherches vers le mme but.

    Bien sincrement, je pense aujourd'hui que le

  • 63

    chemin que nous avons pris au commencement, et surJequel marchent encore la plupart, est mauvais.

    Et je crois qu'en gnral les intentions trslouables, ont dpass de beaucoup les moyens ,pour les raliser. Et cela, en toute franchise, parce quenous n'avions pas les connaissances gomtriquesncessaires. Si l'on avait eu ces connaissances on neserait pas tomb dans l'erreur d'une analyse des diff-rents aspects ou profils d'un objet, et on n'aurait paseu la prtention d'atteindre la profondeur par unedescription du volume, sur une surface. On a confondusuperficie et volume.Pour que cela soit clair, voici d'une faon plus ou

    moins systmatise, comment on a cru reprsentercompltement un verre : (fig. 16).

    Fig. XVI.

    A ce profil gomtris on en a ajout d'autres,appartenant la matire ou couleur, etc., mais il estinutile de rentrer dans un examen dtaill qui m'en-tranerait trop loin.La question, pose du point de vue plastique, se

    rsume ainsi :On a voulu reprsenter un verre tel que nous le con-

    naissons, c'est--dire selon sa hauteur, largeur, pais-seur. On a commenc par tracer un profil ou silhouettegomtrise de ce verrf..

  • 64

    Sur ce profil qui est une surface on a mis la des-cription d'un cercle, pour montrer que ce verre estrond, c'est--dire pour donner son volume.

    Je pense que cette conception est antiplastiquecar, par ce moyen le profil reste une surface et nedevient pas un volume , et par consquent la syn-thse entre la surface et la profondeur ne se fait pas,mme si on lui ajoute un nombre quelconque de pro-fils ou surfaces. Cette erreur initiale, qu'on a par lasuite complique et systmatise, et, certes on nesaurait en faire tomber la responsabilit sur celuiqui l'a adopte le premier, empchera toujours, selonmoi, d'atteindre la vraie construction plastique.Le dveloppement logique d'une erreur semblable,mme si elle est cache avec talent, conduit l'artdcoratif et symboUque.

    Si, par contre on avait voulu vraiment exprimercompltement l'objet : verre, que j'ai pris pourexemple, en connaissant la gomtrie on auraitcommenc par faire un trac de cette sorte, (fig. 17),

    V

    .klJ,

    ikiiNi r

    Fig. XVII.

  • -Maternit(Avril 192n)

  • 65

    Voil les deux aspects de l'objet ; le profil vertical,qui donne sa hauteur et sa /arg^eur, et son contour hori-zontal, qui donne la profondeur ou paisseur.Pour faire la synthse , entre ces trois dimensions

    il ne suffit pas de mettre un rond quelque part sur laprojection verticale ; ceci est un pis-aller et nersout pas la question ; des oprations gomtriquesnous permettent, par contre, comme nous allons levoir, d'obtenir honntement cette synthse I

    Jusqu'ici, l'pure du verre ne parle qu' notreraison, elle nous fait connatre les dimensions rellesdu verre, mais pour le peintre cela ne constituequ'un chafaudage destin disparatre (1).Pour rendre clair le principe des projections je

    vais prendre un autre exemple, mettons une chaise :(fig.lS).En haut de la ligne de terre L T est la projection

    verticale qui me donne la hauteur et la largeur de lachaise, comme j'ai dit pour le verre. En bas est la projection horizontale qui m'en donne la pro-fondeur ou paisseur.Pour avoir une synthse vidente de ces 3 dimen-

    sions, il faut que je voie une chaise d'une certainefaon, tourne droite ou gauche ; et je puis obte-nir cela par une opration qui s'appelle changementde plan vertical .

    (1) Si des choses de ce genre nous avaient t dites ay a quelques annes par quelques critiques srieux, nousaurions gagn beaucoup de temps ; mais les uns nous onttraits de fous, sans comprendre, les autres nous ont peut-tre fait trop de crdit sur des intentions qui n'ont ja-mais t bien claires ; et aujourd'hui, il devient plus difficilede remettre les choses au point, quelques peintres aimanttrop s'installer dans le provisoire. Tout le mal vient de l'ab-sence de culture gomtrique, chez les peintres, comme chezles critiques.

  • Fig. XVIII.

    KotatioB autour d'un axe verticale. Rotation autour d'une droite debout.

    rir. XIX.

  • G7

    La ligne de terre L' T' explique sufiisamment lanouvelle position de la chaise.

    Maintenant, je puis pencher en avant, en arrireet en mme temps le tourner, ce mme objet dont jepuis obtenir tous les aspects que j 3 veux par les op-rations suivantes : (fig. 19).

    Ainsi qu'il rsulte clairement j'ai d'abord donnl'inclinaison voulue au profil de la chaise ; ensuitej'ai tourn la chaise de trois-quart, en lui conservantson inclinaison, et aprs je l'ai fait pivoter sur unpied s'appuyant au point Z sur la ligne de terre. Cepoint Z est la trace verticale de la droite autour delaquelle pivote la chaise.

    Malgr les mouvements que j'ai imprim cet objet,les rapports de sa construction resteront toujours lesmmes

    Ce qu'on peut faire pour un objet tel qu'une chaiseest possible pour tous les objets et pour le corps hu-main.

    Les oprations par lesquelles on arrive aux diff-rentes synthses des trois dimensions s'appellent :changement de plan vertical et horizontal, rotationautour d'un axe vertical et rotation autour d'unedroite debout.N'ayant pas la prtention de faire un trait de

    gomtrie descriptive, je n'insisterai pas davantagesur ces oprations ; lesquelles, simples en elles-mmes,deviennent de toute vidence trs compliques lors-qu'il s'agit de reprsenter un objet plus compliqu,tel qu'un corps humain.

    Je me bornerai donc montrer comment je les aiappUques dans la pratique, (fig. 20, 21 et 22).Ce qu'on a fait pour deux parties du corps humain

    on peut le faire pour toutes les parties.

  • M

  • Fig. XXII.

  • a

    Puisque chaque section est le rsultat d'une coni'mune mesure, d'un rapport unique, qui rgle l'ensembledu corps, en faisant la mme opration pour chaquesection, la fm, les parties doivent parfaitementconcider, une fraction de millimtres prs.

    Ainsi j'ai imprim la tte prise comme exempleune rotation de 25, la mme rotation je l'ai efTectuepour le buste, et je n'ai eu aucune peine mettrela tte sur le cou, ensuite les bras aux paules etc.

    Ainsi le corps est construit pice par pice, commeun

  • 72

    leurs de pierre connaissaient plus de gomtrie quecertains grands peintres, et mme que la presquetotalit des peintres de notre poque.

    Ces tailleurs de pierre pratiquaient courammentce systme des projections orthogonales, ainsi quetoutes les oprations relatives aux sections dessolides par un plan et aux rabattements, ce quiconstitue un ensemble de connaissances faireplir d'effroi nos peintres modernes.On croit aujourd'hui que la gomtrie est une

    science aride indigne de la sensibilit d'un artiste,Si on la connaissait, on saurait qu'au contraire la sen-sibiht et l'intuition y jouent un grand rle. Je penseque la gomtrie, comprise comme l'artiste seulpeut la comprendre, est une posie d'ordre suprieur.Elablir une projection horizontale d'un corps humain,oe n'est ni simple, ni mcanique, ni dnu d'intrtartistique, comme on pourrait le croire.

    Les peintres de la meilleure poque de la Renais-sance employrent la mthode des projections ortho-gonales, dont Matre Durer fixa les rgles principalesdveloppes plus tard par Monge.Le dernier la pratiquer en France, fut Jean

    Gousin, dont l'album, publi aprs sa mort, en donneune application peu rigoureuse.

    Aujourd'hui ce moyen ne dpasse pas le domainede l'architecte et de l'ingnieur ; mais j'ai l'espoir quela dmonstration et les applications que j'en ai faitesdans la pratique et que j'en ferai mettra en got,les peintres de l'adopter, pour le plus grand bien deleur art.

  • CHAPITRE VIII

    LA PROJECTION CENTRALE ou PERSPECTIVE

    Lorsque les connaissances go-mtriques seront gnralement r-pandues dans 'a niasse des Franais,beaucoup de fautes graves, qui nechoquent aujourd'hui que le petitnombre des connaisseurs, choque-ront le public mme, et les artistesne pourront se les permettre impu-nment...

    Ch. DUPIN.

    L'application des sciences gomtrique et mathma-tique l'art et, en particulier, des lois de la perspec-tive atteignirent avec Lonard et Durer une perfec-tion vidente.

    Jusqu' eux les progrs faits vont toujours enaugmentant et signent une ligne ascendante trsvisible, dans les uvres qui nous sont restes. Maisaprs eux l'efort s'est arrt. Les peintres ont crupouvoir se contenter du rsultat atteint et ils n'ontfait qu'appliquer les lois, apprises. Celles-ci, faute decette impulsion que les Matres leur avaient donne,de cette tendance vers l'infini, rayonnrent d'unevitalit relative, sorte de vitesse acquise, pendant en-core un certain temps, puis graduellement perdirenttoute vitalit. La perspective est aujourd'hui l'tat d'une momie. Elle s'apprend l'cole comme une

  • 74 --

    formule. Elle n'a plus de vie, parce que les principesde vie qui sont dans sa raison d'tre et qui sont dansson origine gomtrique et mathmatique, ces prin-cipes sont oublis ou mal compris. Elle jouit d'ailleursd'une hostilit particulire de la part des peintresd'aujourd'hui. Cependant elle a permis aux Grecs,aux Pompiens, aux Italiens, aux Flamands, etenfin aux Franais que l'on aime, tel Fouquet, parexemple,de crer des purs chefs-d'uvres sur lesquelsil n'est pas permis de discuter. Si nous rflchissons cela, l'ide nous vient que la perspective n'estpas un si mprisable moyen, et que le dfaut estplutt dans la manire de s'en servir. (1) Et commentl'employer utilement en la connaissant comme une formule tout-faire ?

    (1 Parmi les peintres d'avant-garde que je connais, laplupart ignorent la perspective, et d'autres l'ont totalementoublie. C'est pourquoi certains tableaux offrent des pers-pectives irrgulires comme obissant plusieurs points devue situs au hasard ; tandis que dans d'autres tableaux lepoint de vue semble plac l'infini comme dans la perspec-tive cavalire employe par les architectes pour montrerles difices vus d'en haut.

    Cela est le rsultat d'un manque de notions qui se traduitpar des recherches dsordonnes n'obissant aucune rgle,quoi qu'on en dise... Car certains cnt des prtentionsscientifiques. Il m'est arriv d'entendre un peintre, quim'avait avou auparavant ne pas connatre, ou avoiroubli la perspective, m'affinner que ses tableaux taientfaits selon la perpcctive sphrique.... Or la perspectivesphrique, ou, pour tre plus exact la trigonomtrie sph-rique est une des parties des sciences mathmatiques lesplus spculatives et abstraites, et dont l'application pratiquene sert qu' rsoudre par des formules algbriques des pro-blmes de gograpliie, d'astronomie, de nautique, etc.Evidemment tout se tient, mais il est permis de penser

    qu'avant de s'occuper des triangles sphriques il faudraittre l'aise avec de simples triangles, et avant d'aborder

  • 75

    En fait, la perspective, toute parfaite qu'e le esten soi-mme, ne peut pas vivre sans ses principesscientifique.

    L'oubli de ces lois a engendr un chaos tel, quily a une dizaine d'annes nous avons t obligesde tout dtruire de ce qui restait de la vieille Acad-mie des Beaux-Arts. Quelques peintres ont tch derecommencer par les Primitifs, par les Byzantins, oupar les gyptiens une nouvelle re artistique, mais mon avis, cela est absurde, car il est vrai que tout ici-bas revient priodiquement en arrire avant de rebon-dir en avant, mais le point de dpart n'est jamaisle mme, et on peut dire qu'on recommence toujoursun peu plus en avant que le dernier recommencement.

    Plusieurs raisons nous empchent de revenir aussiloin qu'aux Primitifs, ainsi qu'aux Egyptiens etaux Orientaux en gnral, mais la plus grande estque la peinture, dans le vrai sens du mot, est venueaprs eux et nous ne pouvons pas faire abstractionde ce fait. Les premiers peintres furent, selon ce quenous enseigne l'histoire, les Grecs, qui inventrentla perspective, justement dans le but de raliserla synthse entre le plan et l'lvation, et exprimerl'espace d'une faon telle que l'esprit et les sens seti-ouvent satisfaits. Avant les Grecs, il n'y a dansl'histoire aucune trace de peinture. Les Egyptiens,les Hindous, les Chaldens, etc.... sont des dcora-

    les plus hauts problmes de la mathmatique, il faudrait aumoins savoir ce que c'est qu'une somme algbrique .

    Ces observations valent aussi pour la Gomtrie non.'Euclidienne, dont il a t question dans nos milieux, et quiest, en quelque sorte une mtaphyslqiuc de la mathmatique,s'exprimant aussi par des formules d'aJgbres.

    Ceci soit dit pour ceux qui, ne connaissant rien lagomtrie, se sont laisss hypnotiser par des mots scienti-ficiucs employs par des gens peu scrupuleux qui n'en connais-saient pas la signification.

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    teurs. Les Byzantins ht^ritiers des moyens de l'Orientsont aussi des dcorateurs, et seulement le gnie deGiotto a ramen plus tard l'art plastique pictural enOccident tomb dans l'oubli aprs les Grecs. Il estvrai que notre dchance artistique nous a fait ou-blier la plupart des dogmes qui permirent aux Matresde s'exprimer entirement, mais il est vrai aussi queles rgles scientifiques qui sont la ba^e de cesdogmes, ne sont pas disparues de notre civilisation,car la gomtrie, les mallimatiques, la perspective,etc.. sont encore la porte de ceux qui veulentles apprendre et il n'y a aucune excuse lesigno-rer (1). Je pense mme que faire abstraction de cessciences et vouloir se borner peindre selon leseul bon got ou la fantaisie, ou avec des a priori,d'ordre intellectuel, est aujourd'hui, plus qu' l'poqueplus recule et plus obscure de Giotto, non seulementun non sens, mais une grande faute. Il s'agit doncde voir d'une faon claire et ordonne, quelles sontnos possibilits actuelles, pour pouvoir les relieravec un point donn de la tradition. Aprs avoirmrement rflchi, j'ai cru pouvoir choisir le com-meicement de la Renaissance au moment o lesrgles taient encore en pleine volution et rempliesde possibihts. En consquence, il nous est possiblede reprendre le travail au point o ces matres l'ontlaiss et de le continuer hardiment en nous appuyantsur la science qui nous ofre des soutiens et des certi-tudes de plus en plus nombreux. Les matres de la

    (1) Sous ce rapport l'enseignement des Arts et Mtiers et des Arts Dcoratifs me parat infiniment suprieur celui de l'Ecole des Beaux-Arts. C'est inexplicable que dansla pratique les lves fassent en gnral un si mauvais usagedes notions apprises. Cela montre qu'ils ne saisissent pas l'esprit de ces notions, ou qu'ils les apprennent comme undevoir pnible... En ceci ils subissent l'influence nfastede notre poque anarchique et sensorielle.

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    Renaissance considraient la perspective commeun moyen complet en soi, et, en elTet, si on consi-dre cette remarque de L.-B. Alberti : La pyramidevisuelle se fait de triangles , et si on tient compteque la base de la perspective est justement dans lestriangles semblables et dans l'intersection des plansnous voyons qu'une toile dont toutes les parties sonttraces selon la perspective sera forcment harmo-nieuse.En effet, tous les segments, dans n'importe quelle

    direction qu'ils soient situs, verticaux ou horizon-taux, seront toujours proportionnels entre eux.

    Soit, par exemple, trouver la perspective d'unpoint A, situ n'importe o dans l'espace.Nous supposons que notre il soit en et, pour

    la commodit de la dmonstration, nous conduisonsun plan horizontal la hauteur de 0. Ensuite nousplaons entre le point 0, c'est--dire notre il, etle point A, dont nous voulons trouver la perspective,un plan vertical, lequel, selon la convention bienconnue, figure le tableau. Ce plan vertical et le planhorizontal formeront quatre angles didres,^dontnous avons besoin pour notre figure, (fig. 23).

    A^,

    f^ ^~-/ . -^ "j/r ---// 7o /o>.

    1/Fig. XXII .

  • Nous savons que l'horizontale qui est l'intersec-tion des deux plans, constitue la aligne d'horizontant la hauteur de notre il.Nous pouvons utiliser ici