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Du developpement durable aux normes ISO: peut-on certifier la (i bonne conduite ) des entreprises? Olivier Boiral- The implementation of sustainable development practices in corporations has become a requirement that leaders can no longer ignore, due to socialpres- sures and to the challenges that the incorporation of economic, environmental and social concerns have given rise to. Too often limited to generalprin- cples that are more or less unconnected to organi- Zations' daily activities, sustainable development must now. be incorporated into management gTs- tems and in practice so as not to lose its already diminished credibility. The author anayzes in what ways the ISO management systems can en- courage the inclusion and implementation of sus- tainable development's main aspects. After a criti- cal examination of the origin and use of sustain- able development as a concept, the author shows that the adoption of ISO norms 9001, 14001 and 26000 is likely, in certain circumstances, to help companies incorporate economic, environ- mental and social concerns. The procedural na- ture of these norms, however, does not enable one to acknowledge, from the beginning, the main challenges linked to sustainable development. This acknowledgment depends, in the end, on .companies' efforts to give substance and content to a concept that lacks a clear definition. ISO norms represent, therefore, implementation tools that can be relevant, but the use and efficieny of which depend more on their users than on first princples or on the intrinsic characteristics of these management systems. L'oprationnalisation du concept de developpement durable dans les entreprises reprisente une exigence que les dirigeants nepeuvent aujourd'hui ignorer en raison despressions sociales et des difis que soulve l'intigration des prioccupations iconomiques, environnementales et sociales. Trop souvent limiti d l'affirmation de princpes gineraux plus ou moins dissoci's des activitis quotidiennes des organisations, le dveloppement durable doit aujourd'hui itre intgr dans les ystimes de gestion et dans les pratiques pour ne pas perdre une crdibiliti qui s'est irode'e aufil du temps. L'auteur anayse dans quelle mesure les systmes de gestion ISO peuvent reprisenter un moyen pour favoriser cette intigration et opirationnaliser les prindpales dimensions du diveloppement durable. Aprs un examen critique de l'origine et de l'utilisation du concept de durable, l'auteur montre que l'adoption des normes ISO 9001, ISO 14001 et ISO 26000 est susceptible, clans certaines conditions, d'aider les entreprises d intgrer les preoccupations economiques, environnementales et sociales. Cependant, le caractre procedural de ces normes ne permet pas, au depart, de prendre en compte les princpaux enjeux associs au ceveloppement durable. Cette prise en compte doeend en dfinitive des efforts des entreprises pour donner une substance et un contenu d un concept dont les contours demeurent flous. Les normes ISO representent donc des outils operationnels qui peuvent itre pertinents mais dont l'usage et l'efficacitW deendent de leurs utilisateurs plus que des propositions initiales ou des caractdristiques intrinsrques de ces gystmes degestion. Professeur agr~g, dtulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les normes internationales de gesfion et les affaires environnementales, Universit6 Laval.

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Du developpement durable aux normes ISO:peut-on certifier la (i bonne conduite ) des

entreprises?

Olivier Boiral-

The implementation of sustainable developmentpractices in corporations has become a requirementthat leaders can no longer ignore, due to socialpres-sures and to the challenges that the incorporationof economic, environmental and social concernshave given rise to. Too often limited to generalprin-cples that are more or less unconnected to organi-Zations' daily activities, sustainable developmentmust now. be incorporated into management gTs-tems and in practice so as not to lose its alreadydiminished credibility. The author anayzes inwhat ways the ISO management systems can en-courage the inclusion and implementation of sus-tainable development's main aspects. After a criti-cal examination of the origin and use of sustain-able development as a concept, the author shows

that the adoption of ISO norms 9001, 14001and 26000 is likely, in certain circumstances, tohelp companies incorporate economic, environ-mental and social concerns. The procedural na-ture of these norms, however, does not enable oneto acknowledge, from the beginning, the mainchallenges linked to sustainable development.This acknowledgment depends, in the end, on.companies' efforts to give substance and content toa concept that lacks a clear definition. ISOnorms represent, therefore, implementation toolsthat can be relevant, but the use and efficieny ofwhich depend more on their users than on firstprincples or on the intrinsic characteristics ofthese management systems.

L'oprationnalisation du concept de developpementdurable dans les entreprises reprisente une exigenceque les dirigeants nepeuvent aujourd'hui ignorer enraison despressions sociales et des difis que soulvel'intigration des prioccupations iconomiques,environnementales et sociales. Trop souvent limiti dl'affirmation de princpes gineraux plus ou moinsdissoci's des activitis quotidiennes desorganisations, le dveloppement durable doitaujourd'hui itre intgr dans les ystimes de gestionet dans les pratiques pour ne pas perdre unecrdibiliti qui s'est irode'e aufil du temps. L'auteuranayse dans quelle mesure les systmes de gestionISO peuvent reprisenter un moyen pour favorisercette intigration et opirationnaliser les prindpalesdimensions du diveloppement durable. Aprs unexamen critique de l'origine et de l'utilisation du

concept de durable, l'auteur montre que l'adoptiondes normes ISO 9001, ISO 14001 et ISO26000 est susceptible, clans certaines conditions,d'aider les entreprises d intgrer les preoccupationseconomiques, environnementales et sociales.Cependant, le caractre procedural de ces normes nepermet pas, au depart, de prendre en compte lesprincpaux enjeux associs au ceveloppementdurable. Cette prise en compte doeend en dfinitivedes efforts des entreprises pour donner unesubstance et un contenu d un concept dont lescontours demeurent flous. Les normes ISOrepresentent donc des outils operationnels quipeuvent itre pertinents mais dont l'usage etl'efficacitW deendent de leurs utilisateurs plus quedes propositions initiales ou des caractdristiquesintrinsrques de ces gystmes degestion.

Professeur agr~g, dtulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les normes internationales degesfion et les affaires environnementales, Universit6 Laval.

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1. Introduction

2. La strat~gie de daveloppement durable, ou I'effet ((tour de babel

2.1 De ( I'economie cow-boy)) Maa strat~gie de d~veloppement durable

2.2 L'effet ( Tour de Babel h

2.3 Concilier les imp~ratifs 6conomiques, environnementaux et sociaux

3. Des normes ISO au service du developpement durable

3.1 Operationnaliser le developpement durable

3.2 Le triptyque des normes internationales de gestion :ISO 9001, ISO14001 et ISO 26000

3.3 Des normes proc~durales 6 I'efficacite incertaine

4. Conclusion

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D epuis le milieu des anndes 80, les rdflexions sur le ddveloppement durable sontau cceur des ddbats sur les questions environnementales et sur la conciliation desenjeux 6cologiques et 6conomiques. L'ubiquit6 et la rdcurrence des discours surce thme traduisent l'intensit6 des questionnements et des menaces sur la

durabilit du mode actuel de ddveloppement. Ces discours refltent 6galement l'6cart deplus en plus patent entre l'importance largement reconnue des enjeux environnementauxet l'insuffisance chronique des mesures mises en place jusqu'A prsent pour y faire face.De fait, le ddveloppement durable apparair comme une sorte de qute insaisissable etsans cesse renouvelde, dans laquelle la proliferation des discours sur la question sembles'efforcer de combler le vide laiss6 par la carence des ralisations substantielles. Parcequ'elles sont au centre des activits 6conomiques et de leurs impacts environnementaux,les entreprises sont souvent prises partie dans la ddnonciation de ces carences. Pourtant,le ddveloppement durable est omnipresent dans le discours des dirigeants et dans lespolitiques environnementales des organisations. Cette omniprsence s'explique en partiepar l'optimisme de ce concept sur les possibilits de concilier les performances6conomiques et les proccupations environnementales. Elle refl~te 6galement la remiseen cause des mesures rglementaires traditionnelles et l'intdrk sans cesse renouvek despouvoirs publics sur des approches volontaires d'autocontrrle et de responsabilisationdes entreprises, lesquelles peuvent permettre notamment de limiter les cothts lies auxpolitiques interventionnistes. Ainsi, le ddveloppement durable apparait comme une sorted'impdratif catgorique auquel les entreprises sont appelkes A adherer par principe pourassumer leur responsabilit6 sociale mais aussi parce qu'un tel engagement est susceptiblede ddboucher sur des bdnfices 6conomiques qui ont trop souvent &6 ndgligds1 .

Voir Michael E. Porter et Claas Van der Linde, <(Green and Competitive: Ending the Stalemate >(1995) 73:5 Harvard Business Review 120.

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En ddpit des declarations d'intentions sur ces questions, l'opdrationnalisation duddveloppement durable demeure insuffisante en raison notamment de l'ampleur desddfis, du manque de conviction de certains dirigeants, mais aussi du caract~re 6vasif etflou du concept. Ce flou conceptuel tend trop souvent A jouer le r6le d'un << nuage defum&e >> pour affirmer l'adhsion au ddveloppement durable et sa prise en compte dans lapolitique des entreprises sans pour autant se compromettre dans des mesures tropexigeantes ou trop prdcises. Ce n'est donc pas tant la reconnaissance de l'importance duconcept qui pose aujourd'hui problkme dans les entreprises que sa prise en compteeffective dans les ddcisions et dans les pratiques internes. Une telle prise en comptesuppose des engagements concrets et une adaptation des syst~mes de gestion desentreprises.

Cette exigence de concrtude, d'op&ationnalisation et de validation est prcismentau centre des normes internationales de gestion ISO qui se sont ddveloppdes pourrnpondre A un besoin de clarification des pratiques dans les domaines de l'assurance-qualit, de la gestion environnementale et bient6t de la responsabiit6 sociale desentreprises. Apparues dans les anndes 80 Ai peu pros au mme moment que le concept deddveloppement durable, ces normes sont adoptdes par un nombre sans cesse croissantd'organisations ii travers le monde. Leur but est d'offrir aux entreprises des syst~mes degestion structurs, rigoureux et vdrifiables pour guider de fagon systmatique la mise enceuvre de politiques dans les diff&ents domaines couverts par les normes ISO. Avec lelancement prochain de la norme ISO 26000 sur la responsabilit6 sociale des entreprises,ces domaines touchent ddsormais les trois principales dimensions du ddveloppementdurable : l'6conomie, l'environnement et le social.

L'objectif du prsent article est d'examiner dans quelle mesure et i quellesconditions les normes ISO peuvent &re au service de la promotion du ddveloppementdurable dans les organisations et contribuer 6viter le phdnom~ne de << babdlisation> liaux interpr&ations ou aux applications elliptiques de ce concept. Un tel examen exiged'abord l'analyse critique de la signification du ddveloppement durable et de la fagon dontles rdfrentiels ISO sont effectivement utihlis dans les organisations afin d'6valuerensuite dans quelle mesure ces normes de gestion pourraient 6tre utiles il'opdrationnalisation d'un concept en qu~te d'accomplissement.

2. LA STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT DURABLE, OU L'EFFET (( TOUR DEBABEL))

La mise en ceuvre du ddveloppement durable apparait aujourd'hui comme un imp~ratifque peu contestent et auquel les principaux secteurs de la socit6 semblent souscrire defagon spontan&. Cette apparente unanimiit6 cache cependant les interpr&ations souvent6quivoques et elliptiques d'un concept dont .l'dasticit& sdmantique n'est pas 6trang~re ii lagrande popularit6 dont il a bdndfici6 depuis la fin des anndes 80. Aussi, avant des'interroger sur la pertinence des normes de gestion ISO pour op~rationnaliser led&veloppement durable, il convient de rappeler les grandes tendances qui ont conduit il'6mergence de ce concept, de tenter d'en ddfmir les principales dimensions ainsi queleurs applications dans les organisations.

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2.1 De ( I'economie cow-boy)) 6 la strategie de developpement durableLa mont~e des preoccupations environnementales et leur prise en compte par lesentreprises sont souvent prsentes comme des tendances rcentes, exigeant la mise enceuvre d'une politique dite de dveloppement durable apprdhendde comme une nouvelleexigence A laquelle les dirigeants sont convids souscrire. En rdalit6, les ddbats sur lescontraintes environnementales des activits 6conomiques et les mesures. pourpromouvoir la protection des 6cosyst~mes ou la sant6 des populations sont loin d' trercents. Ainsi, l'Angleterre a, d~s 1273, adopt6 une loi pour rduire les fumdesprovoqudes par la combustion du charbon2.

Mais c'est surtout i partir de la revolution industrielle que les activit~s 6conomiquesvont apparaitre comme une source majeure de nuisances pour les 6cosystmes et pour lespopulations avoisinantes.

En effet, la revolution industrielle s'est traduite par une accdlkration sans prc~dentde la degradation de l'environnement. L'av~nement du capitalisme et le ddveloppementde l'6conomie de march6 consacrent d'abord la souverainet6 des activitds 6conomiquessur l'ensemble des autres spheres de la soci&t3. Cette vision 6conomiste du monde, quifait de l'optimisation des moyens de production, de la recherche du profit et de lacroissance les seules finalit~s v~ritables de l'activit6 des entreprises, est A l'origine d'uneo 6conomie cow-boy)) marquee par le gaspillage des ressources et par la croissanceanarchique des activitds industrielles4. Ainsi, selon Boulding, l'econonie cow-boy)postule l'existence d'un systme ouvert dans lequel l'accroissement de la production et dela consommation n'est pas entrav6 par la limitation des 6cosyst~mes et reprdsente desurcroit la principale mesure du succ~sS. Les consequences de l'6puisement desressources naturelles et de la pollution industrielle ne sont donc pas rdellement prises encompte par les activits 6conomiques, dont la principale finalit6 est de produire toujoursdavantage de biens. Dans ce contexte, la protection des 6cosystmes et la durabilit6 duddveloppement reprsentent des preoccupations subalternes sinon inexistantes.

La remise en cause des justifications traditionnelles du statu quo et la promotion depolitiques environnementales dans les entreprises coficident avec la montde despressions 6cologistes. Comme l'a ddmontr6 Hoffman dans son 6tude de l'6volution desproccupations environnementales des entreprises chimiques et p~trolires americainesdes anndes 60 aux annes 90, ce sont les pressions institutionnelles qui ont jou6 un r6ledcterminant dans la prise en compte de ces enjeux6. Selon Hoffman, ces pressions secaract~risent par des aspects rglementaires, normatifs et cognitifs dont lestransformations, en fonction des crises 6cologiques ou encore des changementspolitiques, ont conditionn6 des approches plus ou moins coercitives et une modificationcorrdlative des pr6occupations vertes des entreprises. L'analyse du contexte

2 Renaud de Rochebrune, ((Les trois ages de la gestion verte (1992) 89 Revue Frangaise de Gestion lap. 2.

3 Sur ce theme, voir Karl Polanyi, Lagrande transformation, Paris, Gallimard, 1983 ; Louis Dumont, Homoaequalis: genise et Opanouissement de l'dologie iconomique, Paris, Gallinard, 1977.

4 Kenneth Ewart Boulding, Beyond Economics, Essays on Socdey, Reion and Ethics, Ann Arbor, The Uni-versity of Michigan Press, 1968 la p. 281.5 Ibid. A la p. 281.

6 Voir Andrew J. Hoffman, <dnstitutional Evolution and Change: Environmentalism and the U.S.Chemical Industry) (1999) 42:4 Academy of Management Journal 351.

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sociopolitique permet ainsi de comprendre les tendances ?s l'origine du virageenvironnemental des entreprises7. De faqon grnrale, ce contexte a 6volu6 d'uneconception assez utopiste et contestataire des enjeux 6cologiques une approche moinsconflictuelle et plus optimiste qui est l'origine du concept de ddveloppement durable.

Ainsi, la premi&e vague 6cologiste, qui a ddbut6 dans les anndes 60, revendiquaitsurtout une remise en cause radicale de la socidt6 de consommation, de l'iddologiecapitaliste, de l'6tat, de la technocratie, etc8. Face A cette intransigeance, les entreprisesapparaissent avant tout comme des pollueurs irrdductibles avec lesquels un dialogue 6taitdifficilement envisageable autrement que par l'affrontement. Dans cette optique, lecontr6le de la pollution industrielle ne pouvait se faire qu' travers la mise en oeuvre derglements environnementaux contraignants et de contr6les coercitifs reposant sur unelogique quasi polici~re. A partir de la fin des anndes 80, le mouvement 6cologiste vabasculer peu A peu d'une logique de confrontation A une logique de concertation et deresponsabilisation essayant d'intervenir plus en amont des processus ddcisionnels9. Cetteseconde vague 6cologiste s'affirme donc davantage, pour reprendre la distinction deWeber, comme une fthique de responsabilit6 >>plus ouverte aux compromis, plusattentive aux rdsultats de l'action qu'A un ideal contestataire et in'transigeant rdpondant Aune o fthique de conviction >00. Outre la perspective plus conciliatrice du mouvement6cologiste, les preoccupations dans ce domaine vont devenir, d~s la fin des anndes 80, deplus en plus globales et diffuses. La mddiatisation de probl~mes mondiaux comme lerdchauffement climatique, la disparition des esp~ces, ou encore l'6puisement desressources aquif~res tend i favoriser l'6mergence d'une ( citoyennet6 plantaire > dontchacun se reclame, souvent d'ailleurs sans trop savoir ce qu'elle signifie ni ce qu'elleimplique rellement au quotidien. La globalisation des enjeux environnementaux tend Aspromouvoir une conscience environnementale 6largie qui a son centre partout et sacirconfdrence nulle part.

Cette approche plus dlargie, consensuelle et institutionnalisde des enjeuxenvironnementaux est au centre du concept de ddveloppement durable, popularis6 aumilieu des anndes 80 par la Commission BrundtlandI. Contrairement au Club de Rome,dont « l'option zero prconisait un arr&t de la croissance pour limiter la pollution et ladestruction des ressources naturelles12, la Commission Brundtland considre que lacroissance, associde i une redistribution plus 6quitable des richesses et au respect des6quilibres naturels, est ncessaire i un dveloppement durable, c'est-A-dire o unddveloppement qui rdpond aux besoins du prsent sans compromettre la capacit6 desgdndrations futures de rdpondre aux leurs >>13. Le concept de ddveloppement durable estsouvent dfini comme une recherche d'6quilibre et d'intdgration entre trois domaines qui

7 Ibid8 Olivier Boiral, La dimension humaine etprventive de la geslion environnementale : Une itude de cas dans 3 usines

chimiques qudbicoises, these de doctorat, E cole des Hautes lEtudes Commerciale de Montral, 1996 A lap. 18 [non publide].

9 Marion Galle, (La R~gulation Conflictuelle des, Pollutions>> (1993) 1:2 Natures, Sciences, Socits flap. 118.

10 Mai Weber, Le savant et lepolitque, Paris, Plon, 1959 lap. 209.11 Commission mondiale sur renvironnement et le d~veloppement, Notre avenir 3 tons, Montral,

Editions du Heuve, 1988.12 Donella H. Meadows, Halle d la troissance?, Paris, Fayard, 1972 A la p. 288.13 Supra note11 A la p. 51.

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correspondent As des univers conceptuels assez difftrents : l'6conomie, l'environnement etla soci t6 14. Dans cette perspective trs largie, les activits qui rpondent aux exigencesdu d~veloppement durable doivent &re &onomiquement viables, prserver les6cosystmes et promouvoir l'6quit6 sociale.

2.2 Leffet ((Tour de BabelLa dfinition trs 6lastique et englobante du d~veloppement durable va faciliter sonadoption par les entreprises, lesquelles vont adhrer d'autant plus volontiers A ce concept<< fourre-tout >> que sa signification et ses implications concrhtes demeurent nbuleuses.Ainsi, nombre d'organisations ont centr6 leur politique environnementale sur ce conceptA la fois rassembleur et peu compromettant. Certains dirigeants ont m~me 6voqu6 ledtveloppement durable dans la d~finition de la mission de leur entreprise. Par exemple,lorsqu'il fut nomm6 A la direction d'Hydro Ontario, Maurice Strong, qui avait notammentprsid6 en 1992 le Sommer de Rio sur le d~veloppement durable, a redtfini comme suitla mission de l'entreprise hydro-61ectrique: << La mission d'Hydro Ontario est d'aiderl'6conomie ontarienne lt 6tre la plus compkitive au monde par une gestion efficiente deses ressources 6nerg~tiques, et de devenir un exemple reconnu mondialement dansl'adoption des principes du d~veloppement durable > 15. Cette vision optimiste sur lespossibilits de concilier les enjeux environnementaux et 6conomiques reflke un contexteinstitutionnel qui entend favoriser les approches volontaires pluttt que coercitives16. Pourencourager ces approches volontaires et faire de 'entreprise un acteur du d~veloppementdurable, les actions environnementales ne doivent pas &re perques comme attentatoiresaux performances flnancihres et economiques.

Ainsi, la mise en avant des bfndfices 6conomiques des actions . cologiques et dud~veloppement durable coincide avec la promotion d'une vision plus consensuelle de larelation entre l'entreprise et l'environnement. Durant les ann~es 90, le concept ded~veloppement durable s'est peu A peu impos6 comme un vhicule et un facilitateur decette vision optimiste et consensuelle. D'oil sa popularit6, tant auprs des entreprises quedes gouvernements et du public en g~n~ral, chacun ne pouvant que souscrire au principegn~ral d'une 6thique interg~nrationnelle qui entend assurer la prennit dudtveloppement sans, apparemment, remettre en cause le confort et les acquis duprogrs17.

Cependant, un tel consensus ne tient que tant et aussi longtemps que l'application dece dveloppement durable demeure suffisamment imprcise, floue et thtorique pour nepas compromettre l'adhsion spontane de chacun ou les intr~ts e'conomiques du

14 Louis Guay, <<Le dveloppement durable en contexte historique et cogniive>> dans Louis Guay, et al,dir., Les enjeux et les difls du diveloppement durable : connaitre, didder, agir, Qubbec, Les presses del'Universit& Laval, 2004, 1 la p. 11 ; Franck-Dominique Vivien, <<Un panorama des propositions6conomiques en mati&re de soutenabilit&6 (2004) 5:2 Vertigo 31, en ligne: Revue 61ectronique ensciences de Fenvironnement, UQAM <http://www.vertigo.uqam.ca>.

15 Stuart L. Hart, <(A Natural-Resource-Based View of the Firm)) (1995) 20:4 Academy of ManagementReview 986 A la p. 1002.

16 Supra note 6.17 Voir par exemple Delyse Springett, <sBusiness Conceptions of Sustainable Development: A Perspec-

tive from Critical Theory> (2003) 12:2 Business Strategy and the Environment .lap. 71.

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moment 18. Le consensus suppose 6galement que les contradictions des discours sur led~veloppement durable restent dans l'ombre pour maintenir l'apparence d'une situationsous contr6le, d'un avenir assur6, d'un engagement environnemental rel des principauxacteurs. Or, une fois dissip6 le brouillard des discours officiels sur le ddveloppementdurable, ces contradictions semblent surgir de toute part. Elles ont par exemple &6 misesen lumi&re par la Commission d'6tude sur la gestion de la fort publique qudbdcoise, diteCommission Coulombe 9. Depuis les ann6es 90, la plupart des compagnies forestiresop&ant au Quebec ont affirm6 leur engagement envers le diveloppement durable, et legouvernement de la province, qui joue un r6le de premier plan dans l'attribution desdroits de coupe, s'est propos6 d'ftre un modle dans ce domaine. Aprs des mois detravail, l'analyse de centaines de mdmoires et une quarantaine de jours de consultationspubliques sur la question, la Commission Coulombe a rendu un verdict sans appel:surexploitation de la fort bor~ale, survaluation des possibilits foresti&es des rsineux,exag6rations dans les estimations gouvernementales de la matire ligneuse disponible,diminution inquitante des possibilit~s de coupe, etc20 . Ces conclusions sont As peu prsaux antipodes du concept de dveloppement durable, constamment raffirm6 au coursdes derni~res ann~es tant par les entreprises foresti~res que par le gouvernement.

De fagon plus grn&ale, les efforts pour maintenir l'adhsion autour duddveloppement durable ddboucheront sur des paradoxes r&urrents entre l'arnpleur desenjeux, les discours souvent emphatiques A ce sujet et la faiblesse des moyens rellementmis en oeuvre, tant au niveau des gouvernements que des entreprises2l. La dfinition6vasive et flottante du d~veloppement durable n'est pas &trang~re A ce type decontradictions et aux interpr&ations 6quivoques dont ce concept a 6t6 l'objet, enparticulier dans les entreprises. En effet, si le concept de dveloppement durable a russiA s'immiscer dans le discours 6conomique et manag&ial contemporain malgr6 lescontradictions que soul~ve une telle ddmarche, c'est en grande partie grfsce son 6lasticitiet A ses nombreuses m&amorphoses. Concept polymorphe qui s'adapte et changeconstamment d'apparence en fonction des contextes dans lesquels il se fond, led6veloppement durable se pr&e A toutes les interprtations, meme les plus fantaisistes.En effet, pour beaucoup d'organisations, la signification nebuleuse et la plasticit6semantique du developpement durable offrent la possibilit6 d'utiliser ou de ( recycler )indefiniment un terme largement reconnu, offrant A moindre frais une grande visibilit6 enmati&re d'image et de reconnaissance. Ainsi, dans les entreptises, o& le developpementdurable est souvent traduit par < croissance durable >22, les abus se multiplient, commel'illustre une page Internet consacree au obetisier du developpement durable 23. Lacitation suivante, du president de BP France lors de travaux parlementaires frangais sur

18 Olivier Boiral et Gerard Croteau, (dDu ddveloppement durable a l'entreprise durable, ou l'effet Tourde Babeb dans Louis Guay, et al., dir., Les enjeux et les lefis du d&veloppement durable : connaitre, d&ider, agir, .Quebec, Les presses de l'Universit6 Laval, 2004, 259 As lap. 263.

19 Quebec: Gouvernement du Quebec, Rapport de la Commission d'itude sur la gestion de la fort publiquequibicoise -Risumi, 2004 la p. 5.

20 Ibid.21 Supra note 17 la p. 82.22 Supra note 18 l la p. 260 ; Olivier Boiral, eJ.a stratbgie quebecoise de developpement durable: gran-

deurs et illusions d'un projet de societ6n dansJ.A. Prades, R. Tessier etJ.G. Vaillancourt, dir., Instituerledveloppement durable, Montral, Fides, 1994, 165 A la p.18 2.

23 En ligne: Institut d'6tudes economiques et sociales pour la dbcroissance soutenable<http://www.decroissance.org/betisier.htm>.

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l'6nergie, est extraite de ce b~tisier: <(Le d6veloppement durable, c'est tout d'abordproduire plus d'6nergie, plus de p~trole, plus de gaz, peut-&re plus de charbon et denuclkaire, et certainement plus d'6nergies renouvelables. Dans le mme temps, il fauts'assurer que cela ne se fait pas au detriment de l'environnement >).

Par la multiplicit6 des interpr&ations, des d~finitions et des acteurs < engages s dansle d~veloppement durable, la promotion de ce dernier va in~vitablement se traduire parun effet ( Tour de Babel . Projet rassembleur mais d~mesur6, rendu inaccessible par laconfusion des langues, des discours, par l'incompr~hension et le ddsordre collectifs, laconstruction du d~veloppement durable semble ainsi At l'image de celle de l'antique«Tour de Babel >. Cependant, le caract&re polys~mique du d~veloppement durable et lesnombreuses approches qui s'en r~clament ont, de fa~on paradoxale, contribu6 A. sa largediffusion et i l'6mergence d'approches cr~atives pour lui donner corps.

2.3 Concilier les imperatifs 6conomiques, environnementaux et sociauxLes travaux sur le d~veloppement durable gravitent la plupart du temps autour desinteractions ou de l'intgration entre les trois dimensions qui sont associees t ce concept:l'6conomie, le social et l'environnement. Ce souci d'int~gration reflte implicitement lan~cessit6 <d'encastrer) ou de rdins~rer l'6conomie dans la sphere sociale etenvironnementale sans pour autant revenir A un modle de d~veloppement pr~industrielfaisant table rase des acquis de la modernit624. 1 s'agit, en d'autres termes, de trouver unmeilleur 6quilibre entre des preoccupations qui ont trop souvent ete pergues commeconflictuelles, exclusives ou v~hiculkes par des ideologies trop contestataires ou tropi6troites, qu'il s'agisse de l'6cologisme radical ou du moddle de < l'6conomie cow-boy 25.

Dans ce contexte, les approches portant sur le diveloppement durable sontrdsolument optimistes sur les possibilitdi de concilier prosp&it& 6conomique, protectionde l'environnement et 6quit6 sociale. Cette logique conciliatrice se reflte dans le conceptde triple bottom line ou (< triple bilan n qui entend donner corps, dans les entreprises,au d~veloppement durable26. Selon cette approche, les entreprises doivent &tre 6valuesen fonction de leurs performances 6conomiques, environnementales et sociales. Une telle6valuation suppose l'existence de moyens d'actions, d'instruments de mesure et d'un6quilibre entre ces trois dimensions. Ce souci d'6quilibre et de conciliation plut6t qued'opposition et' de confrontation se retrouve dans les approches economiques,environnementales et sociales de l'application du d~veloppement durable dans lesentreprises.

Sur le plan 6conomique, de nombreux travaux se sont attachds, depuis le debut desann~es 90, A montrer comment les actions environnementales peuvent effectivementd~boucher sur la reduction de certains coiits, sur une amelioration de la productivit6, surla creation de nouveaux marches, et contribuer par consequent i la prennit6 desentreprises27. Cette perspective dite o gagnant-gagnant >) est souvent appele <(l'hypoth~se

24 Sur ce theme, voir supra note 3.25 Supra note 4 lap. 281.26 Adrian Henriques et Julie Richardson, The Triple Bottom Line, Does It allAdd tp?: Assessing the Sustainabil-

iy of Business and CSR, Londres, Earthscan, 2004 ; John Elkingtoi, Cannibals nith Forks: the Triple Bot-tom Line of 21st Century Business, Capstone, Oxford, 1997.

27 Stephan Schmidheiny et al., Changer de cap, Paris, Dunod, 1992 ; Nick Robins, L'impratif icologque,Paris, Calmann-LUvy, 1992 ; David W Conklin, Richard C. Hodgson et Eileen D.. Watson,

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de Porter >, ce dernier ayant 6t6 l'un des premiers remettre en cause le postulattraditionnel d'un lien n6gatif entre actions environnementales et comp~tivit628. Defa;on gdndrale, les actions environnementales, en particulier lorsqu'elles s'inscrivent dansune dmarche preventive, ddbouchent souvent sur des 6conomies de mati~res etd'6nergie, et donc sur des r6ductions de cortS29. De plus, les actions environnementalespeuvent permettre d'am6liorer la motivation des employds, leur adhesion aux objectifs del'entreprise, de mme que l'image de l'organisation30. Enfin, de nombreuses 6tudes ontddmontr6 une correlation considdrable entre les performances environnementales desorganisations et leurs performances financires3. Ces divers travaux tendent i accrditerun des principaux postulats du concept de ddveloppement durable, soit la possibilit6 deconcilier la recherche du profit et les impdratifs environnementaux.

Sur le plan environnemental, les applications organisationnelles du ddveloppementdurable refl&ent 6galement l'optimiisme conciliateur vdhicuk par ce concept. Ainsi,divers travaux soulignent le r6le de l'innovation et du ddveloppement de technologiespropres dans la promotion d'une stratgie de ddveloppement durable contribuant A unemeilleure utilisation des ressources et donc une plus grande efficacit desorganisations32. Ce souci d'optimisation des ressources et d'6co-efficience est au centrede la dmarche de l'6cologie industrielle, qui se propose de rduire les flux de mati&es etd'6nergie par le developpement et l'utilisation de synergies entre des sous-produitsindustriels afro d'amliorer l'efficience des entreprises et rduire les impactsenvironnementaux 33. Pour certains auteurs, l'6cologie industrielle constitue l'application laplus complke et la plus pertinente du ddveloppement durable34. D'une part, par saddmarche de valorisation des rsidus, l'6cologie industrielle est centre sur la durabilit6 etla rutilisation de matriaux non renouvelables, limitant ainsi les limites physiques au

Develappement durable : Guide d lusage des gestionnaires, Ottawa, Table ronde nationale surl'environnement et l'6conomie, 1991 ; Thomas A. Moore et al., La prise de didsion et le diveloppementdurable, Ottawa, Table ronde nationale sur 'environnement et l'&conomie, 1992 ; InternationalInstitute for Sustainable Development, Business Strategy for Sustainable Development, Winnipeg, IISD,1992 [Business Strategy] ; Gustav Berle, The Green Entrepreneur: Business Opportuniies That Can Save theEarth and Make You Money, New York, Liberty Hall Press, 1991 ; Paul Lanoie et Benoit Laplante, (()esbillets verts pour des entreprises vertesa (1992) 17:4 Revue inteinationale de gestion 41.

28 Michael E. Porter, The Competiive Advantage of Nations, New York, Free Press, 1990 ; voir aussi supranote 1.

29 Paul Shrivastava, «The Role of Corporations in Achieving Ecological Sustainabilit3 (1995) 20 TheAcademy of Management Review 936 [Shrivastava] Michael A. Berry et Dennis A. Rondinelli,oProactive Corporate Environmental Management : A New Industrial Revolution (1998) 12:2Academy of Management Executive 38.

30 Olivier Boiral, oConcilier environnement et competitivite, ou la qu~te de l'6co-efficience (2005)31:158 Revue Frangaise de Gestion 163.

31 Voir Marie-Josde Roy, Olivier Boiral et Denis Lagac&, <Environmental commitment and manufac-turing excellence: A comparative study within Canadian industry (2001) 10 Business Strategy andthe Environment 257 ; supra note 15.

32 Stuart L. Hart et Mark B. Milstein, (Global Sustainabdity and the Creative Destruction of Industries)(1999) 41:1 Sloan Management Review 23 ; Suren Erkman, Vers une icologie indushielle: comment mettreenpraique le diveloppement durable dans une socilti 4per-industrielle?, Paris, Editions Charles Uoplod Mayer,1998 [Erkman]; Braden R. Allenby, <Achieving Sustainable Development Through IndustrialEcology> (1992) 4:1 International Environmental Affairs 56 [Allenby, "International'] ; Thomas E.Graedel et Braden R. Allenby, IndustialEcology, Englewood Cliffs (N.J.), Prentice-Hall, 1995.

33 Erkman, ibid. ; Olivier Boiral et Jean Kabongo, ode management des savoirs au service de l'6cologieindustrielle>> (2004) 30:149 Revue Frangalse de Gestion 173 [Boiral et Kabongo].

3 Allenby "International", supra note 32 ; supra note 18.

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d~veloppement lies ti l'6puisement de certaines ressources 35 . D'autre part, la recherched'6co-efficience et la qu&e du << z&o rejet >> d~bouchent souvent sur des conomiessubstantielles de mati&res et d'cnergies pour les entreprises36. Enfin, les principes del'6cologie industrielle sont bases sur le << bio-mim~tisme >>, c'est-t-dire sur l'observationdes cycles naturels comme moddles pour optimiser les transferts de ressources etd'&nergies par les entreprises37. De fait, ces principes sont porteurs d'un paradigme plus<< eco-centrique >>, c'est- -dire centr6 sur des principes 6cologiques. plut6t que sur uneperspective dite anthropocentrique privil~giant plut6t la satisfaction immediate desbesoins conomiques. De nombreux auteurs considrent que ce paradigme o 6co-centrique >> doit &tre A la base de toute politique de d~veloppement durable38.

Enfin, sur le plan social, les applications organisationnelles du dveloppementdurable sont le plus souvent associ~es A la promotion de valeurs quasi universelles quientendent concilier les intr&ts de diff&entes parties prenantes afm de favoriser unemeilleure qualit6 de vie ou encore une plus grande 6quit6 entre les g~nration39. Cetted~marche d'6coute et de prise en compte des attentes socitales est au centre de lathorie des parties prenantes, laquelle a souvent 6t6 utilise pour rendre compte desenjeux environnementaux des entreprises et des d~fis que soul&ve la promotion dud~veloppement durable4o. Selon cette th6orie, les organisations doivent prendre encompte les attentes parfois contradictoires de diff&ents groupes d'int&Ets dont lespressions sont susceptibles de compromettre la l6gitimit6 sociale voire la prennit6 desentreprises, lesquelles ne sauraient avoir pour seule finalit6 la satisfaction desactionnaires 4t . Cette d~marche de prise en compte des positions de diff&entes parties-prenantes ne s'applique pas seulement aux entreprises. Par exemple, le processus de miseen place de l'avant-projet de loi sur le dveloppement durable par le gouvernement duQuebec s'inscrit dans une perspective assez similaire. "Ainsi, le large processus de

35 Allenby "International, supra note 32 A la p. 59.36 Livio DeSimone D. et E Popoff, Eco-effitieny: The Business Link to Sustainable Development, Cambridge

(Ma), MIT Press, 1997 aux pp. 10-11 ; Boiral et Kabongo, supra note 33.37 Frances Westley et Harrie Vredenburg, <Sustainability and the Corporation: Criteria for Aligning

Economic Practice with Environmental Protectionm (1996) 5 Journal of Management Inquiry 104lap. 106.

38 Thomas M. Gladwin, James J. Kennelly et Tara-Shelomith Krause, ShiLifting Paradigms for Sustain-able Development: Implications for Management Theory and Research> (1995) 20:4 Academy ofManagement Review 874 ; Ronald E. Purser, Changkil Park et Alfonso Montuori, <in-its to An-thropocentrism: toward an ecocentric organization paradigm) (1995) 20 Academy of ManagementReview 1053 ; Shrivastava, supra note 29.

39 W Edward Stead et Jean Garner Stead, <(Can Humankind Change the Economic Myth? ParadigmShifts Necessary for Ecologically Sustainable Business)) (1994) 7:4 Journal of Organizational ChangeManagement 15 ; Franqois Blais, «Que devons-nous hisser aux gdndrations futures? Justiceinterg(ndrationnelle et ddveloppement durable) dans Louis Guay, et al., dir., Les enjeux et les de/ls dud&eloppement durable : connaitre, dider, agir, Quebec, Les presses de l'Universit6 Laval, 2004, 347 ; LouisGuay, <dies probl~mes 6cologiques globaux: objets de science et enjeux sociopolitiqueso dans LouisGuay, et a., dir., Los enjeux¢ et es dfis du dve/appement durable: connaltre, de'ider, agir, Qu6bec. Les presses del'Universit6 Laval, 2004, 173 ; Eric Persais, <,excellence durable : vers une integration des partiesprenanteso> (2004) ?05 La Revue des Sciences de Gestion 5 [Persais].

40 Supra note 30 la p. 165 ; Persais, ibid ; Alain-Charles Martinet et Emmanuelle Reynaud, Stratgiesd'entreprise et icologie, Paris, Economica, 2004 i, lap. 70.

41 R. Edward Freeman, Strategic Management: a stakeholder approach, Boston, Pitman Publishing, 1984 Iap. 52 ; Thomas Donaldson et Lee E. Preston, «The Stakeholder Theory of the Corporation: Con-cepts, Evidence and Implications>> (1995) 20:1 Academy of Management Review, 65 A la p. 81.

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consultation publique ralis6 dans le cadre de cet avant-projet de loi, de mtme que lavolont6 d'introduire les enjeux environnementaux dans la Charte des droits et libert~s dela personne du Quebec tmoignent d'un souci tr~s explicite de participation et de priseen compte des positions de diffrentes categories d'acteurs sociaux par rapport auxenjeux du dveloppement durable42.

Cependant, la volont6 de promouvoir le dveloppement durable A travers laconciliation des impratifs 6conomiques, environnementaux et sociaux ddboucherarement sur une dmarche structure et pragmatique. Pour ne pas se r6duire A une sortede vcru pieux, l'application du ddveloppement durable dans les organisations doit reposersur des syst~mes de gestion permettant d'oprationnaliser les principales facettes de ccconcept intdgrateur.

3. DES NORMES ISO AU SERVICE DU DEVELOPPEMENT DURABLELa multiplicit6 des approches organisationnelles du d~veloppement durable et lesutilisations abusives de ce concept appellent une clarification et une normalisation despratiques afin d'6viter une ( bablisation > attentatoire la cr~dibilit6 des engagementsdans ce domaine. Parce qu'elles proposent des syst~mes de gestion reconnus,syst~matiques et permettant d'oprationnaliser des politiques sur des enjeux6conomiques, environnementaux et sociaux, les normes ISO peuvent offrir un cadreoprationnel pour mettre en ceuvre les principales facettes du d~veloppement durabledans les organisations. E tant donn6 le cadre managerial flexible des normes ISO, la miseen ceuvre de ces derni~res peut en principe s'adapter aux diff~rentes exigences dud~veloppement durable de m~me qu'aux diffrrents types d'organisations. Cependant, lafaqon dont les syst~mes de gestion ISO sont utilis~s dans les organisations montre que lacertification ne d~bouche pas ncessairement sur des ameliorations mesurables et que cesnormes reprsentent souvent une sorte de < certificat commercial ) plus ou moins inte'gre'aux pratiques en place43.

3.1 Op~rationnaliser le developpement durableEn d~pit de ces nombreux travaux sur les applications du d~veloppement durable, laconciliation des impratifs 6conomiques, environnementaux et sociaux demeure souventtrms thorique. En effet, en raison de son caractre trs large, trs dlastique ct mal ddfini,le d~veloppement durable apparait davantage comme un principe g~nral rassembleurque comme une exigence opdrationnelle pour les entreprises. L'6clatement et le manquede cohesion des 6tudes sur la question tmoignent d'ailleurs du manque d'outils fiables etclairement reconnus pour promouvoir et verifier l'application de cc principe. Si diversesinitiatives pour tenter d'oprationnaliser les principales proccupations dud~veloppement durable ont vu le jour, aucune n'a pu encore vdritablement s'imposer il'&helle internationale comme un module de rdfrence pour promouvoir leddveloppement durable dans les organisations. Les initiatives les plus connuesproviennent en particulier d'institutions internationales et ont &6 mises en place dans descontextes assez diffdrents:

42 Paule Halley, <'Avant-projet de loi sur le d~veloppement durable du Qudbeo)> (2005) 1 R.D.P.D.D59.

43 Lionel Berny et Olivier Peyrat, 4La certification d'entreprise: Vrais enjeux et faux ddbatsa (1995) 106Revue Franaise de Geston 99.

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* La ddclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et lapolitique sociale de l'Organisation internationale du travail (OIT): 6labordepartir d'une concertation entre des reprdsentants du milieu des affaires, dessyndicats et des gouvernements, cette declaration porte principalement sur desaspects sociaux : volet, emploi, formation, conditions de travail, rdmundration.Modifie plusieurs fois depuis son lancement en 1977, la ddclaration deprincipes tripartite integre notamment les principales conventions de I'OIT surle travail des enfants, le travail forc6, les risques professionnels, la promotioh dela ndgociation collective, la sant6 et sdcuritd 'au travail, l'6galit des chances et detraitement, etc;

* Les principes directeurs de l'Organisation de coopdration et de ddveloppement6cononique (OCDE) i l'intention des entreprises multinationales: ces principesvisent A amdliorer le cimat d'investissement et ai inciter a l'application duddveloppement durable i travers la mise en place d'un ensemble derecommandations concernant des th~mes trs varias: emploi et relationsprofessionnelles (syst~mes de gestion environn~mentale et impacts sur lemilieu), la lutte contre la corruption (en particulier concernant les relations avecles fonctionnaires 6trangers), les intrts des consommateurs (qualit6 et scurit6des produits), la science et la technologie, la concurrence et la fiscait6 ;

* Le Pacte mondial des Nations Unies: lanc6 en 1999 lors du Forum 6conomiquemondial de Davos, ce Pacte repose sur 10 principes qui reprennent enparticulier les principales conventions sur le travail de 'OIT, la Dtclaration deRio de 1992 sur le ddveloppement durable, la Convention des Nations Uniescontre la corruption et la Dclaration universelle des droits de l'homme.L'adh-6sion a ce Pacte est relativement peu contraignante et supposenotamment, pour les organisations, la presentation de ce Pacte dans leursrapports annuels et autres textes internes, la definition de plans d'actions pourrnpondre aux engagements souscrits, le partage d'exp~riences et leddveloppement de projets en partenariat avec les Nations Unies;

* La Global Reporting Initiative: a 6t6 lance a la fin des annes 90 par laCoalition for Environmentally Responsible Economies (CERES), une coalitiond'organisations pour la responsabilite sociale et environnementale encollaboration avec le Programme des Nations Unies pour l'environnement(PNUE) afin de mettre en place des lignes directrices dans la diffusiond'informations et de rapports sur le d~veloppement durable. tablies partird'un processus de concertation trs large, ces principes, qui ont 6t6 adopts parun nombre croissant d'organisations concernent le processus de rdaction desdocuments (transparence, dialogue, v~rifiabilit6), le domaine d'application(exhaustivit6, pertinence, contexte), la fiabilit des donnes (prdcision, neutralit6,comparabilit) et l'accs aux informations (clart, rgularit6).

La multiplication de ce type d'initiatives et l'absence de consensus sur le modle aprivdldgier s'expliquent par diverses raisons. En premier lieu, ces initiatives s'apparententsouvent A des sortes de ddclarations de principes ou de codes de conduitesautoproclamds et relativement peu contraignants. Les entreprises peuvent ainsi assezaisdment revendiquer l'adhdsion au Pacte mondial des Nations Unies ou encore auxprincipes directeurs de I'OCDE afin d'amliorer leur visibilit& et leur ldgitimit sociale,

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mais sans que cela entraine des changements significatifs dans les pratiques. En l'absencede systme de verification fiable et normalis6, ces outils de promotion du ddveloppementdurable sont trop souvent utiisds i des fins de relations publiques. En deuxi~me lieu, enraison du caractre global et polymorphe du ddveloppement durable, la promotion demesures visant A opdrationnaliser ce concept se heurte A un dilemme. Si ces mesuresportent sur des aspects spdcifiques pouvant tre associds au ddveloppement durable,comme la recherche d'6co-efficience ou encore l'application de la thdorie des partiesprenantes, elles demeurent trop restrictives pour rendre compte de la richesse, de latransversalit6 et de la complexit6 du concept. Si elles cherchent A intgrer les principalesdimensions du ddveloppement durable, elles ont une porte beaucoup trop gdndrale et6vasive pour se pr&er i une oprationnalisation prcise dans les organisations. Lesdirigeants sont confronts au mme type de dilemme entre une vision 6largie mais peuopcrationnelle du d6veloppement durable et, A l'inverse, une ddmarche plus pratique maisqui devient rapidement trop spdcifique ou pas assez englobante pour rendre compte de lasignification trus large du concept.

Ces difficults, qui refltent l'effet << Tour de Babel)> du dveloppement durable,montrent la ndcessit6 d'une clarification des pratiques et l'importance de la mise enceuvre de normes reconnues sur l'application des principales facettes de ce conceptpolymorphe. Parce qu'elles s'attachent A ddfinir des critres prcis, systmatiques etv~rifiables, les normes internationales de gestion ISO peuvent permettre de rpondre enpartie A cette exigence de clarification opdrationnelle et de reconnaissance. En effet, bienqu'il n'existe pas de normes ISO sur le ddveloppement durable, les normes sur la gestionde la qualit6 (ISO 9001), sur la gestion environnementale (ISO 14001) et sur laresponsabilit6 sociale des entreprises (ISO 26000) permettent de couvrir assez bien lesdimensions 6conomiques, environnementales et sociales de ce concept. Une telleutilisation des normes ISO soulve cependant plusieurs questions essentielles: dansquelle mesure les normes ISO 9001, ISO 14001 et ISO 26000, qui l'origine n'ont pas&6 ddveloppnes pour rpondre aux exigences du dveloppement durable, peuvent-ellesr6ellement contribuer la promotion d'un concept aussi large? L'utilisation de cesnormes peut-elle effectivement conduire i une amelioration des pratiques et desperformances? Dans quelle mesure le processus de certification peut-il etre consider6comme un moyen rigoureux pour verifier et de faire reconnaitre la << bonne conduite >>des entreprises?

3.2 Le triptyque des normes internationales de gestion :ISO 9001, ISO 14001 etISO 26000

Depuis la creation, en 1947, de l'Organisation internationale de normalisation, lesnormes internationales ont connu un developpement trs rapide et se sont imposeesdans la plupart des secteurs d'activit6s. Ainsi, plus de 15 000 normes ISO diff&entes ont&6 6labores dans des domaines aussi varies que les techniques de fabrication,l'6lectronique, l'aeronautique, l'emballage, ou encore les technologies du papier. Cettemultiplication des referentiels normatifs internationaux s'explique dans une large mesurepar la croissance des echanges transfrontaliers et par la volont6 de limiter les obstaclestechniques lies des standards domestiques concurrents souvent peu compatibles entreeux 44. Parti ces normes internationales, les normes g6n6riques sur les systemes de

44 Olivier Boiral, <dSO 9000, Outside the iron Cage)> (2003) 14:6 Organization Science 720 A ]a p. 721.

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gestion sont, de loin, les plus connues et celles qui ont entrain6 les transformations lesplus significatives dans les organisations. En effet, ces normes ne portent pas sur desspecifications techniques mais, de faqon beaucoup plus globale, sur des' pratiques degestion. Elles appellent donc des changements dans la structure organisationnelle, dansles politiques mises en ceuvre et dans le comportement des individus qui sont invites A.adopter des directives prdcises considdres comme ((la bonne fagon de faire >.

Les normes gdnriques de gestion ISO qui ont 6t6 lances ou qui. sont en cours deddveloppement touchent jusqu' present les trois dimensions gndrales dud~veloppement durable: les aspects 6conomiques et la gestion de la qualit6 (ISO 9001),la gestion environnementale (ISO 14001) et la responsabilit6 sociale d'entreprise (ISO26000). Bien qu'elles s'appliquent A. des domaines trs diff~rents, ces normes reprsententddjA ou sont appeles A devenir des standards de rff&ence voire des exigencesincontournables pour accdder A. de nombreux marches.

La norme ISO 9001 sur l'assurance qualit6La s~rie de normes ISO 900045 s'est rapidement impos&e comme le modle de rfrencedans le domaine de l'assurance-qualit6. Lanc6 en 1987 pour rpondre s la ndcessit6 declarifier et de codifier les pratiques de gestion de la qualit6, ce rf~rentiel avait &6 adopt6par pros de 700 000 organisations en 200446. Dans un nombre croissant de secteursd'activit~s, la certification ISO 9001 reprsente ddsormais un impdratif commercialauquel il est difficile de se soustraire sans compromettre la fiddlit6 des clients ou l'acc~s Acertains marches. Les motivations et les avantages de la mise en ceuvre du syst~meISO 9001 ont t6 l'objet de nombreuses 6tudes qui soulignent les impdratifs de lamondialisation, la ndcessit& de rpondre aux attentes des clients, d'amdliorer l'image, lacompftitivit6 ou encore de promouvoir de meilleures pratiques de gestion47. Cependant,la norme ISO 9001 ne repose pas sur des performances atteindre, mais plut6t sur laconformit& i un syst~me gdndral de management qui s'articule autour des principestraditionnels de gestion : diriger, planifier, organiser, contr6ler. Si les recommandations dela norme sont assez sp~cifiques au domaine de la qualit et de la gestion des operations,elles sortent peu du cadre &abli du management traditionnel :

* Diriger: il s'agit de favoriser l'engagement de la direction, notamment ?i traversune politique d'amlioration de la qualit6;

* Planifier: ce principe repose sur la dfinition des objectifs du systemed'assurance qualit6 et des moyens ndcessaires pour les atteindre;

45 A l'origine, cette snrie comptait trois normes (ISO 9001-9002-9003). La version 2000 de ce rdfdrentielne comporte plus qu'une seule norme g~n~rique, ISO 9001, commundment appelde la norme, lesyst~me ou le certificat ISO 9000.

46 Organisation internationale de normalisation ISO 14 001 : 04 : ystmes de management environnementa4exigences et 1ignes direcices pour son utilisation, Mississauga, Association canadienne de normalisation,2004.

47 Bret L. Simmons et Margaret A. White, ((The relationship between ISO 9000 and business per-formance: Does registration really matter?> (1999) 11 Journal of Managerial Issues 330 ; D.S.Docking, et R.J. Dowen, (Market interpretation of ISO 9000 registration)) (1999) 22 Journal of Fi-nancial Research 147 ; Alex Douglas et al., (Maximizing the Benefits of ISO 9000 Implantatiorm(1999) 10:5 Total Quality Management 507 ; Matts Carlsson et Dan Carlsson, «Experiences of im-plementing 1SO 9000 in Swedish industry) (1996) 13:7 International Journal of Quality & Reliabil-ity Management 36.

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* Organiser: il s'agit de clarifier les r6les, les responsabilit~s, de favoriser laformation et la competence des employ~s, de documenter les pratiques et demettre en place les mesures n~cessaires pour intgrer le syst~me d'assurancequalit6 dans les activits de l'organisation;

* Contr6ler: ce principe est bas6 sur la mesure des performances, la comparaisonpar rapport aux objectifs et la mise en place de mesures correctives pourmaitriser notamment les «< non-conformits >>.

Ces principes de gestion sont envisages de fa~on proctdurale et n'appellent pasn~cessairement des engagements substantiels de la part des organisations certifi~es. Parexemple, au chapitre des objectifs qualit6, la norme ISO 9001 stipule que l'organisationdoit fixer des objectifs mesurables en tenant compte des besoins presents et futurs, desperformances actuelles, du niveau de satisfaction des parties int6ressees, etc. mais ned~finit pas le "( contenu > precis ni la nature des cibles . atteindre. De m*me, au sujet de lamesure et de la surveillance des performances du syst~me, la norme n'exige pas des seuilsou des niveaux de qualit6 atteindre, mais propose plut6t des crit~res pour en fairel'6valuation et le suivi : enqu~tes de satisfaction auprs des clients, audits internes, besoinsdu march6, informations relatives la concurrence, etc.

Les organisations certifies ont donc une assez large marge de manceuvre pourd~finir le type d'engagements auxquels elles souhaitent souscrire et. les rsultats quipeuvent en dcouler. Contrairement A des normes rglementaires, qui fixentg~nralement des critres ou des exigences de rsultats applicables pour un ensembled'acteurs, les normes ISO proposent plut6t une sorte d'architecture A g~omftrie variablepermettant la mise en place d'un systme ((sur mesure>) pouvant s'adapter A une grandediversit6 d'organisations, y compris des institutions publiques. Ce syst~me reprsente unesorte de « programmation 48 interne visant A formaliser et A oprationnaliser desobjectifs de qualit6 ainsi que des pratiques de gestion. La norme prcise la structure et lescontours de cette programmation interne mais ce sont les organisations certifies qui enddfinissent le contenu.

Au-delI du cadre de la gestion de la qualit, la certification ISO 9001 entendrnpondre A plusieurs exigences essentielles pour la survie des entreprises: la satisfactiondes clients, l'amdlioration continue des pratiques, le contr6le des procds, la rductiondes coits, l'amdlioration de l'image de l'organisation, etc. Dans cette perspective, lesystme ISO 9001 peut apparaitre comme un outil de promotion commerciale et d'aidel'amdioration de l'efficacit6 et des performances 6conomiques des organisations.Cependant, ces ameliorations ne sont pas systmatiques ni prvisibles. Les nombreuses6tudes sur les liens entre la mise en ceuvre de cette norme et l'amdlioration desperformances en matire de productivit6, de compdtitivit6 ou de qualit6 des produits ontd'ailleurs donn6 des rsultats assez contrasts voire contradictoires4 9.

48 Henry Mintzberg, s.,es nouveaux r6les de la planification, des plans et des planificateurs)> (1994)19:2 Revue internationale de gestion 6 A la p. 7.

49 N. Bhuiyan et N. Alam, (An Investigation Into Issues Related to the Latest Version of ISO 9000>)(2005) 16 Total Quality Management and Business Excellence 199 ; E. Naveh, et A. Marcus,((Achieving Competitive Advantage Through Implementing a Replicable Management Standard:Installing and Using ISO 9000> (2005) 24 Journal of Operations Management'l ; H.A. Quazi, C.WHong, et C.T. Meng, (dmpact of ISO 9000 certification on quality management practices: A corn-

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Le syst~me de gestion environnementale ISO 14001

A l'image du rdfrentiel ISO 9000, la norme ISO 14001 sur la gpstion environnementale,qui vise A normaliser et A expliciter les pratiques dans ce domaine, a connu une croissancetr~s rapide au cours des derni~res ann~es. Ainsi, le syst~me ISO 14001 avait 6t adopt6 en2004, huit ans A peine apr&s son lancement, par plus de 90 000 organisations dans lemonde5(. Cette croissance rapide peut s'expliquer par des raisons sensiblement similairesA celles A l'origine du d~veloppement du r~f~rentiel ISO 9000 : n~cessit6 d'adopter despratiques de gestion clairement d~finies et reconnues, amelioration de l'image del'organisation, r~ponse A des pressions externes, souci d'apporter plus de rigueur A lagestion environnementale, etc. Si la demande des clients ne joue pas a priori un r6le aussid&erminant que pour la norme ISO 9001 dans la dcision d'adopter ISO 14001, lespressions institutionnelles en termes d'image ou de l~gitimit6 sociale semblent enrevanche erre des motivations majeuressl.

Quelles que soient les raisons A F'origine de la certification, cette dernalre ned~bouche pas sur une obligation de r~sultats ou de performances, mais plut6t sur uneobligation de moyens en termes de pratiques manag~riales. La perspective du syst~memis en plate est donc ici encore proc~durale. La norme ISO 14001 d~finit ce syst~me degestion environnementale comme une o composante du syst~me de management d'unorganisme utilis@e pour d~velopper et mettre en ceuvre sa politique environnementale etg&er ses aspects environnementaux >>52. Selon la norme, o un syst~me de managementcomprend la structure organisationnelle, les activits de planification, les responsabilits,les pratiques, les procidures, les procd~s et les ressources >53. Ces diff~rentescomposantes sur lesquelles reposent les propositions d'ISO 14001 sont trs similaires Acelles du syst~me ISO 9001. A l'image d'ISO 9001, il s'agit de d~finir une politique, desobjectifs, des plans, des procedures, des moyens de contr6le et de mesure desperformances, prvoir des audits rguliers du syst~me de gestion, etc. Comme le montrele tableau ci-aprbs, ces deux normes reposent sur des principes de gestion similaires, afinde favoriser l'intgration des deux systmes et donc la double certification (voir tableau1). Si les prescriptions des ces syst~mes peuvent &re diffrentes en raison de leursdomaines d'applications spcifiques, la structure, les m~thodes de gestion et le syst~me decertification par des auditeurs externes sont sensiblement les m6mes. Cependant, Al'image du systme ISO 9001, l'adoption de cette norme ne garantie pas l'amliorationdes performances environnementales.

parative study>) (2002) 13:1 Total Quality Management 53 ;J.P. Wilson, M.A. Walsh et K.L. Needy,((An Examination of the Economic Benefits of ISO 9000 and the Baldrige Awardo (2003) 15:4Engineering Management Journal 3.

s0 International Organization for Standardization, The ISO Survy of Cerfticaions 2004, Genve, 2005 A lap. 20, en ligne: International Organization for Standardization <http://www.iso.org/iso/en/prods-services/otherpubs/pdf/survey2004.pdf>.

51 Ruihua J. Jiang et Pratima Bansal, <<Seeing the Need for ISO 14001>> (2003) 40:4 Journal of Man-agement Studies 1047.

52 Supra note 50 . la page 2.53 Ibid.

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Tableau 1: correspondances gin6rales entre ISO 9001 et ISO 1400154Eiecsd'ISO 9001 7 Exigences d'ISO 14001

Diriger

* Engagement de la direction; * Engagement de la direction;

* Definition d'une politique qualit6. 9 Definition d'une politiqueenvironnementale.

Planifier

* tcoute et prise en compte des 0 Prise en compte des aspectsattentes des clients ; environnementaux essentiels

(activitds, produits ou servicesDetermination des exigences pouvant avoir un impact surrelatives au produit; l'environnement) ;

" Definition des objectifs de quaht6; * Identification et mise A jour des

* Misc en place de programmes exigences lgales et autres exigences;

d'amdioration de la qualit6; * D~finition des objectifs et des cibles

" Planification de la conception, du environnementales;ddveloppement et de la rahsation 0 Mise en place des programmesde nouveaux produits; environnementaux pour atteindre les

* Preparation du processus d'achat; objectifs;

* Maitrise de la production. 0 Maitrise oprationnele.

Organiser

" D6fintion des responsabilit6s * D6finition des ressources et desconcernant la mise en place du responsabiits concernant la mise ensyst~me d'assurance qualit ; place du syst~me de gestion

environnementale ;* Dsignation d'un repr6sentant de la

direction; * Dveloppement des comp~tences, dela sensibilisation et de la formation

* Management des ressources ; environnementale ;

* Encouragement de l'implication * Communication interne sur lesdes personnes ; questions environnementales;

Mise en place des infrastructures * R6ponses aux demandesn6cessaires pour r6pondre aux d'informations;objectifs et aux attentes des partiesprenantes; S'il y a lieu, d~finition de procedures

pour la communication externesCompdtences, sensibilisation et (mais pas d'obligations A ce niveau);formation des employs ;

* Maitrise de la documentation sur la* Communication interne sur les

54 Pour plus de d6tails sur ces correspondances, voir notamment l'annexe B de la norme ISO 14001.

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questions de quait6 ; gestion environnementale (pas demanuel exig );

* Communication avec les clients ,

Documentation du syst~me de" Documentation du syst~me gestion environnementale

d'assurance qualit6, mise en placed'un manuel qualit6. * Preparation et r~ponse aux situations

d'urgence.

Contr6ler

* Mesures et surveillance de la 0 Surveillance et mesurage desqualitY, des produits et de operations pouvant avoir un impactl'efficacit6 des processus; environnemental significatif ;

* tvaluation de la conformit6 par 0 Evaluation de la conformit& parrapport aux exigences des clients; rapport aux exigences lgales et

autres exigences ;* Identification et traabilit6 des

produits; o Identification, correction etprbvention des non-conformit&s;

* Identification, correction et

prevention des non conformit~s; * Rdalisation des audits internes sur les

* Ralisation d'audits internes sur le questions environnementales;

management de la qualit6 ; Revue pdriodique du syst~me degestion environnementale par la

* Revue pdriodique du systbme de direction et engagement envers legestion de la qualit par la direction principe d'amdlioration continue.et engagement envers le principed'amblioraiion continue.

La future norme ISO 26000 sur la responsabilit6 sociale des entreprisesEnfin, la norme ISO 26000 sur la responsabilit6 sociale, qui devrait kre lancde au debutde l'ann~e 2009, semble destine A connaitre le m~me succ~s qu'ISO 9001 et ISO 14001.D'une part, la responsabilit6 sociale des entreprises reprsente une proccupationmajeure, en particulier pour les multinationales qui sont 'objet de fortes pressionsexternes ddnon~ant les ddlocalisations abusives, le manque d'&hique ou encore le non-respect des normes internationales du travail dans des pays oaf la rglementation sur cesquestions est peu severe, voire inexistante. D'autre part, pour rpondre A ces pressionsexternes, des codes de bonnes conduites ou encore des normes sectorielles sur laresponsabilit sociale plus ou moins rigoureux ont rcemment 6merg6. C'est le cas, parexemple du Clean Clothing Campaign, le Worldwide Responsible Apparel Production(certificat WRAP) ou encore la norme SA 8000.

La multiplication de ces codes et de ces normes aux exigences diverses tend Agdnbrer une situation de plus en plus confuse et une sorte de obabdlisation par rapport ala signification de la responsabilit6 sociale des entreprises55. Dans ce contexte, lelancement de la norme ISO 26000 rpond i un besoin de standardisation et de

55 CE, Communicalion de la Commission europeenne concernant la responsabilitM sociale des entreprises : unecontribution au diveloppement durable, Bruxelles, COMM, 2002 347.

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clarification. A l'image des r6frentiels ISO 14001 sur l'environnement et ISO 9001 sur laqualit6, cette nouvelle norme devrait se substituer progressivement aux autres standardsconcurrents. Ce nouveau standard contribuera ft aider les entreprises A prendre encompte les principales facettes de la responsabiit6 sociale (culturelle, environnementale,l6gale, etc.), mieux rdpondre aux attentes des diff6rentes parties prenantes et Apromouvoir une logique <'d'amdioration continue>> dans ce domaine. La norme ISO26000 sera donc clairement ,centre sur le volet social du concept de ddveloppementdurable. A la diffdrence du Global Reporting Initiative, cette nouvelle norme ne viserapas seulement ddfinir des lignes directrices pour la diffusion d'informations et derapports relatifs A la promotion du d~veloppement durable auprs des diff&entes partiesprenantes. Elle aura surtout pour objectif de proposer, plus en amont des processusd~cisionnels, des recommandations au niveau des politiques et des pratiques potiram6liorer la responsabilit6 sociale des organisations.

ttant donn6 que le systme ISO 26000 est actuellement en d6veloppement, il estdifficile d'exposer les exigences qui seront proposdes et de les comparer avec celles d'ISO9001 et d'ISO 14001. D'aprs les informations rendues publiques par les comit6s detravail sur le d6veloppement de ce systme, auxquels participent notamment desmembres du Global Reporting Initiative, le format du texte de la norme ISO 26000devrait &tre assez similaire ceux des autres normes ISOs6:

* Introduction sur les objectifs de la norme;

" Dfmition du domaine d'application;

* Termes et dfinitions relatifs A la responsabilit sociale;

* Contexte de la responsabilit6 sociale et principes pertinents pour lesorganisations;

* Guide sur les prescriptions A mettre en ceuvre, en particulier aux niveaux despolitiques, des pratiques, des plans, de 1'6valuation des performances, de lacommunication et du contr6le sur la responsabilit sociale, notamment en cequi concerne la prise en compte des attentes des principales parties prenantesdes organisations.

3.3 Des normes procedurales 6 I'efficacite incertaineL'existence de trois normes de gestion ISO sur les principales facettes du d~veloppementdurable, soit les enjeux 6conomiques, environnementaux et sociaux, semble offrir unereelle occasion de diffuser et d'opdrationnaliser dans un grand nombre d'organisations lesdimensions fondamentales de ce concept.

D'une part, par leur croissance rapide et leur caractre volontaire, ces normes degestion peuvent reprsenter un levier puissant pour mettre en place des politiques deddveloppement durable dans divers types d'organisations. Ainsi, l'adoption des normesISO 9001, ISO 14001 et ISO 26000 devrait permettre, a priori, de promouvoir despratiques destin6es . amfiorer les performances 6conomiques (rupondre aux attentes des

56 Voir en particulier le site sur la responsabilitE sociale mis en place par l'Organisation internationale denormalisation, en ligne: 1SO Social Responsibility <http://isotc.iso.org/fivelink/livelink/fetch/2000/2122/830949/3934883/3935096/home.html>.

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clients, mieux contr6ler les proc6d&s, limiter les non-conformits, r~duire les cohts de lanon-qualit, etc.), environnementales (prevention de la pollution, identification desaspects environnementaux, formation, gestion des risques, etc.) et sociales (prise encompte des attentes des parties prenantes, mise en oeuvre d'un code de bonne conduite,respect des normes sociales de travail, etc.). L'adoption de ces trois normes sembled'autant plus pertinente que ces r~f&entiels reposent sur des principes de gestionsimilaires favorisant l'intgration plut6t que la juxtaposition de plusieurs syst~mes degestion. C'est clairement le cas pour les syst~mes ISO 9001 et ISO 14001 qui peuvent6tre mis en ceuvre conjointement afin d'6viter d'alourdir les procedures et les structures.Cette mise en ceuvre conjointe, qui est encourag~e par les concepteurs de ces normes, estsusceptible de favoriser 1'intgration entre les aspects 6conomiques et environnementauxen facilitant par exemple la mise en place de procedures, de programmes de formationsou de systmes d'informations portant sur ces deux dimensions. La mme logiquepourra, selon toute probabilit6, s'appliquer A la future norme ISO 26000 qui devrait ftrecompatible avec les syst~mes ISO 9001 et ISO 1400157.

D'autre part, l'utihisation des normes ISO comme outils de promotion dud~veloppement durable dans les organisations est susceptible de favoriserl'op~ationnalisation et la reconnaissance externe de ce principe, tout en 6vitant le flouconceptuel et la dispersion confuse resultant des nombreuses approches th~oriques sur laquestion. -En effet, contrairement A la plupart des r~flexions sur le dveloppementdurable, les normes ISO reposent sur des pratiques de gestion pr~cises, op~rationnelles etv&ifiables. Le principe o 6crire ce que l'on fait, faire ce que l'on crit >, qui est A la base duprocessus de certification tend A apporter plus de rigueur A ces pratiques, en r~duisant les6carts entre les discours et les acres. Le fait que la certification aux normes ISO soitruais~e A la suite d'un audit externe offre 6galement une certaine cr~dibilit6 et surtout unereconnaissance A. la d~marche. La mise en cruvre et la certification A ces normes pourraitdonc apporter, outre l'op&ationnalisation d'un otriple bilan >, une reconnaissanceexterne qui fait actuellement dfaut aux engagements en mati~re de d~veloppementdurable. Du point de vue des entreprises, les normes ISO peuvent donc representer unmoyen de < certifier leur bonne conduite >) aux yeux de diff&entes parties prenantes et der~pondre aux pressions sociales croissantes par rapport A la n~cessit6 d'engagementsconcrets envers le d~veloppement durable.

Enfin, de fagon plus g~n~rale, l'utilisation de normes de gestion pour promouvoir led~veloppement durable dans les organisations repr6sente un nouveau mode degouvernance qui est en phase avec l'6volution des politiques publiques dans ce domaine.En effet, le d~veloppement de ces normes rpond i une logique d'engagement volontaire

57 W Kernaghan, n Standards as a Mechanism for Corporate Social Responsibility s, Corporate Social Re-sponsibility: Concpts and Solut'ons, Trinidad, 10 juin 2002. A priori, les concepteurs de la future normeISO 26000 ne prtvoient pas destiner ce systme As un processus de certification (supra note 56). I1 estdonc difficile, pour le moment, de parler de la possibilit d'une (triple certification )) intdgrant lestrois syst~mes: ISO 9001, ISO 14001 et ISO 26000. Cependant, il convient de pr6ciser que leprocessus de certification demeure une dtmarche priv6e reposant sur des audits externes rdalises pardes firmes de consultation. L'Organisation Internationale de Normalisation, qui est As l'origine de.laconception des normes ISO, n'est donc pas directement implique dans ce processus. De ce fait, ilest raisonnable d'envisager i l'avenir le ddveloppement d'audits reposant sur une d~marchevolontaire visant . « certifier > la mise en ceuvre et l'int~gration de ces trois normes dans desorganisations soucieuses de d6montrer leur engagement par rapport au d&veloppement durable.

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et de conciliation entre diffdrentes exigences plut6t que de contr6le rdglementaire et deconfrontation. Dans cette perspective, la mise en place du ddveloppement durabletravers les normes ISO permet de promouvoir une < citoyennet6 d'entreprise)> A partird'une logique de march6 6mergent <( de bas en haut . Cette logique n'est pas le rdsultatd'une politique publique ou d'une rdglementation s'appliquant < de haut en bas >. Ellerdsulte plut6t des pressions externes, essentiellement commerciales et institutionnelles,qui poussent les organisations A adopter des normes ISO portant les principalesdimensions du concept de ddveloppement durable. Ces deux logiques de promotion duddveloppement durable, l'une 6mergente et l'autre interventionniste, ne sont pasmutuellement exclusives ou substituables mais plut6t compldmentaires. En effet, le faitque l'utilisation de ces normes ne ddcoule pas de r~glements ou d'incitatifs publics, mais6mane plut6t des ddcisions d'entreprises et des forces du march6 ne remet nullement encause la lgitimit6 et la ndcessit6 de l'intervention de l'Etat sur ces questions. De plus, siles politiques actuelles concernant le ddveloppement durable vdhiculent trop souvent desprincipes, des valeurs, des orientations vertueuses en substance mais .peu consistantes entermes opdrationnels, les normes ISO proposent a peu pros le contraire, soit un cadreop&ationnel assez rigoureux, mais dont la substance, le contenu et les" orientationspr~cises sont A d~finir par les organisations certifides. Dans le contexte actueld'autorgulation et d'engagement volontaire des entreprises, cette compldmentarit6 entrel'intention politique et l'action opdrationnelle, entre les fondements du ddveloppementdurable et le cadre de gestion des organisations est porteur d'une alliance decirconstances et d'un nouveau mode de gouvernance utilisant les normes ISO commeoutils de changement.

Cependant, cette utilisation des normes ISO pour promouvoir le ddveloppementdurable dans les organisations risque de se heurter i des lacunes majeures ies autant lanature de ces normes qu' la fa on dont elles sont mises en ceuvre par les organisations.

Concernant la nature des normes de gestion ISO, si ces dernires couvrent les troisprincipales dimensions du ddveloppement durable, cela ne signifie pas pour autant queleurs propositions sont effectivement en phase avec ce concept. D'abord, lesorganisations peuvent n'adopter qu'une seule norme, bien que celles qui sont certifiesISO 14001 soient gdndralement 6galement certifides ISO 9001 et que les synergies entreces normes diminuent les codts marginaux d'un cumul des certifications. Ensuite, ensupposant qu'un nombre croissant d'organisations intgrent a l'avenir les trois normesISO 9001, ISO 14001 et ISO 26000 et tentent effectivement de mettre en place un« triple bilan )), les exigences respectives ou combinies de ces normes ne conduiront pasndcessairement des pratiques en phase avec le concept de ddveloppement durable. Eneffet, les syst~mes de gestion ISO sont A la base des normes procdurales. Contrairementaux normes rglementaires par exemple, elles ne reposent pas sur des objectifs A atteindreou sur des mesures techniques A mettre en place. En d'autres termes, les normes ISOoffrent une structure, un cadre opdrationnel pour favoiser la mise en place de politiquesdans le domaine de la qualit6, de l'environnement, ou de la responsabilit sociale, maiselles ne ddfmissent pas le contenu des mesures qui seront effectivement mises en ceuvre.

Ces mesures sont donc laissdes la discrtion des entreprises pour autant que cesderni&res appliquent un certain nombre de principes de gestion valid~s par un processusde certification. Mme le respect des exigences rglementaires demeure relativement flou.Par exemple, la norme ISO 14001 stipule Ai ce chapitre que les organisations doiventmettre en place des procdures pour: < identifier et avoir acc~s aux exigences lgales

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applicables (...) et dterminer comment ces exigences s'appliquent ses aspectsenvironnementaux > afin de s'assurer que ces exigences o soient prises en compte dans'&ablissement, la mise en ceuvre et la tenue jour de son syst~me de management

environnemental >58. La norme precise aussi que. ces exigences doivent 6tre prises encompte dans la politique environnementale de l'organisation. Cependant, le non-respectd'un r~glement ne constitue pas necessairement un emp&hement i la certification, maisplut6t. une sorte de << non-conformit6 >> devant tre corrig&. De plus, dans les pays oudans les domaines dans lesquels la r~glementation environnementale est misuffisante,floue, voire inexistante, les organisations qui adoptent ISO 14001 ont peu de contraintes

ce niveau. Les normes ISO ne sauraient donc se substituer aux contraintesrglementaires ou constituer une justification solide A l'allgement de ces dernires.

En fait, par leur nature proc~durale, ces normes ne peuvent, au depart, couvrir lescritres traditionnellement uilis~s pour qualifier le d~veloppement durable. A titred'exemple, l'avant-projet de loi qu~b&ois sur le d~veloppement durable d~finit quatorzevaleurs ou principes g~n~raux sur la question: sant6 et qualit de vie, 6quit& sociale,participation et engagement, acces au savoir, protection du patrimoine culturel,prevention, precaution, preservation de la biodiversit6, etc. Les normes ISO, enparticulier ISO 14001, peuvent erre utilis~es pour favoriser la prise en compte de cesvaleurs ou principes dans le syst~me de gestion: politique environnementale, objectifs,cibles, programmes de formation, procedures, mesure des performances, etc. Cependant,cette prise en compte n'est pas, en soi, une exigence explicite de la norme et dpend de lavolont6 des dirigeants de prendre en compte ces crit&es. De fait, les normes ISOpermettent de guider de fagon assez systmatique et rigoureuse la mise en ceuvre deprincipes relis au d~veloppement durable et d'assurer leur suivi, mais seulement si tel estrellement le choix des entreprises certifies.

En dernier lieu, la certification aux normes ISO reposant sur une ddmarche privde etvolontaire, la marge de manceuvre des gouvernements pour favoriser la mise en place deces systmes et inciter A leur donner un (< contenu >) en phase avec les critres et lasubstance du d6veloppement durable demeure limitde. Les interventions dans cedomaine pourraient en effet rapidement &tre pergues comme une forme d'ing~rence despouvoirs publics dans la gestion des entreprises. Le d~veloppement d'accords volontairesentre le gouvernement et les entreprises reposant sur des engagements en mati~re deperformance et de mise en ceuvre des r~ffrentiels ISO constitue une orientation aexplorer. Par exemple, les gouvernements peuvent envisager la possibilirt de substituerl'obtention de la certification ISO 14001 i certains contr6les rglementaires en mmetemps que des accords volontaires bass sur des engagements de performance 6taientpasses avec des entreprises. Cependant, l'efficacitd de ce type d'accords demeure tr~sincertaine, tant en raison de leur nature volontaire plut6t que contraignante qu'en raisonde l'obligation de moyens plut6t que de rsultats d~coulant de la certification aux normesde gestion ISO.

En definitive, l'adoption des normes ISO 9001,'ISO 14001 et ISO 26000 ne saurait,de fagon intrins~que, certifier la (< bonne conduite des entreprises >>. Elle garantie plut6tqu'un certain nombre de << bonnes pratiques >> touchant les trois grandes dimensions dud~veloppement durable ont &6 rises en place, documentdes et 6ventuellement certifides

58 SOpra note 46 la page 5.

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lors d'audits externes. La finalit6 de ces pratiques et leur contenu prfcis restent A dffinirpar les entreprises et ne sont pas consubstantiels aux normes ISO. La mise en ceuvre et le.suivi de ces dernifres sont assurs en particulier par un mfcanisme de certification quirepose sur un audit externe apportant une certaine crfdibiit6 la dfmarche. Cependant,A l'image des audits financiers ou comptable, les audits de certification aux normes ISOsont rfalisfs par des consultants choisis et rfmunfrfs par les organisations. De plus, ladurfe de ces audits est, en gfnfral, relativement breve, ce qui permet rarement unevfrification approfondie des pratiques. En raison du temps limit: dont Os disposent, lesvfrificateurs tendent centrer cette vfrification sur des aspects documentaires etprocfduriers plut6t que sur la rfalit: des pratiques organisationnelles5s9. Dans ce contexte,le principe o crire ce qu'on fait, faire ce qu'on 6crit > des normes ISO s'explique surtoutpar les exigences du processus d'audit. En effet, la documentation devant th6oriquementreflter les pratiques, il est plus simple de v6rifier si les papiers sont en rfgle en supposantqu'il en est de mme pour les pratiques. Cela permet d'all6ger d'autant la vfrification surle terrain, laquelle est beaucoup plus complexe et difficile A mettre en cxuvre. De fait,cette logique documentaire prfdomine souvent par rapport A. la v~rification empiriquedes comportements 60. Le mfcanisme de certification aux normes ISO repose donc A labase sur une dfmarche ponctuelle et documentaire plus ou moins superficielle qui nesaurait constituer un substitut ou une alternative credible aux contr6les r~glementaires.De plus, le caractre commercial de la relation vfrificateur-entreprise est loin de garantirla rigueur, l'objectivit6 et l'indfpendance du processus. L'Organisation Internationale deNormalisation a d'ailleurs souvent mis en garde les organisations certififes contre uneutilisation abusive des normes ISO, dont la multiplication 6chappe de plus en plus aucontr6le de leurs concepteurs.

Malgr6 ces lacunes et ces effets pervers, les normes ISO peuvent, si eues sont misesen otuvre < de bonne foi , apporter certaines amliorations dans les pratiques et dans lesperformances, mfme si les bfnfices internes dcoulant de la certification ne peuvent 6treg6ntralis~s. L'existence et la porte de ces b~n'6ficeqs dependent de prime abord de lafaqon dont la norme est mise en Ceuvre et de la mobilisation des employfs . ce sujet plusque du fait d'etre ou non certifi6.

59 Supra note 44 aux pp. 726-727.60 Ibid aux pp. 729-731.

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4. CONCLUSIONLe d~veloppement durable s'est aujourd'hui imposk comme un concept rassembleur etintdgrateur, tant aupr~s des pouvoirs publics que des entreprises. Au centre de la plupartdes ddbats sur les enjeux environnementaux, sociaux et economiques, ce concept entendconcilier des intdr&s et des dimensions qui semblent souvent peu compatibles, voirecontradictoires entre elles. Cependant, le caractre rassembleur du ddveloppementdurable dcoule de sa perspective tr&s large, mal d~finie et qui se pr&e i toutes lesinterprdtations, A l'image d'une sorte de pierre philosophale aux contours obscurs etsuscitant d'innombrables vocations. Pour 6viter l'effet < Tour de Babel ) qui rdsulte del'6clectisme broullon caract&isant les dbats sur la question, il est n~cessaire de ddfinirdes pratiques, des politiques et des syst~mes de gestion permettant d'assurer sa mise enoeuvre et son suivi dans les organisations.

La principale contribution du present article est de montrer dans quelle mesure etpour quelles raisons les normes de gestion ISO peuvent reprdsenter un moyen efficaced'opdrationnaliser ce concept dans les organisations et quels sont les enjeux d'une telled6marche. En effet, avec le lancement prochain d'une norme ISO 26000 sur laresponsabilit6 sociale des organisations, les normes de gestion ISO couvrent dsormaisles principaux champs d'applications de ce concept. L'adoption des normes ISO 9001,ISO 14001 et ISO 26000 repr6sente certainement une occasion pour appliquer leprincipe du < triple bilan et opdrationnaliser le ddveloppement durable A partir desystmes de gestion bien 6tablis. Cette op&ationnalisation permet l'6mergence d'unenouvelle forme de gouvernance par des normes de gestion qui vient complkter le r6le dugouvernement et des politiques publiques sur ces questions.

Cependant, une telle ddmarche se heurte des limites intrinseques aux normes ISOet i la fagon dont elles sont utiuises par les organisations. D'une part, le caractreprocdural des normes ISO ne permet pas de d~finir, au ddpart, un contenu prdcis relatifaux engagements economiques, environnementaux et sociaux qui seront effectivementconsentis et raliss par les organisations certifides. D'autre part, le processus dev~rification et de certification de ces systmes de gestion se rv~le souvent peuconvaincant. Enfm, les observations empiriques sur la fagon dont ces normes sontutilises montrent que, trop souvent, la certification ISO reprsente davantage un outilcommercial qu'un syst~me au service de l'amlioration des pratiques6 1. Ainsi, lesameliorations ddcoulant de la mise en ceuvre de ces normes se rv~lent incertaines. Dansce contexte, la prise en compte du ddveloppement durable dans le processus de mise enceuvre des normes ISO pourrait, Ai la limite, perp6tuer voire renforcer, sous une formediff&ente, l'effet (<Tour de Babel ): interprtation et utilisation abusives du concept,dfinition floue, contradictions entre les discours et les actes, etc.

Ces limites ne discrditent pas pour autant l'utilisation des normes de gestion ISOpour mettre en pratique le ddveloppement durable dans les organisations. En effet, quelque soit le syst~me de gestion-propos6, cette mise en pratique ddpend en ddfinitive de lavolont6 des entreprises de rellement souscrire A un tel principe et de donner lacertification ISO un o contenu ) appropri6. Or cette flexibilit6 n'est pas ncessairement

61 Slora note 44 ; Olivier Boiral, <The Certification of Corporate Conduct: Issues and Prospects)(2003) 142:3 International Labour Review 317.

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un obstacle. Elle peut mme 6tre un catalyseur A la promotion d'un concept aussi'large etpolymorphe que celui du dveloppement durable. En effet, le caractdre impr6cis et floude ce concept lui donne une portde, une plasticit6 et une universalit6 lui permettant des'adapter A de nombreuses situations diffdrentes. Quels que soient leurs secteursd'activifds, leurs tailles, les entreprises peuvent ainsi ajuster le sens du concept deddveloppement durable en fonction des exigences 6cononiques, environnementales etsociales qui leur sont propres. Une telle adaptation peut 6videmment ddboucher sur uneutilisation abusive du terme. Mais ces abus existent ddjA avec ou sans les normes ISO,lesquelles doivent ftre consid&es comme des outils d'aide au management et al'opdrationnalisation de politiques organisationnelles plut6t que comme des << recettes desuccs > dbouchant sur des ameliorations prvisibles.

L'utlit6 de telles normes pour favoriser la prise en compte du d~veloppementdurable dans les pratiques depend donc, en definitive, de l'adhsion rnelle ce concept etde la volont6 de lui donner la consistance oprationnelle qui lui fait trop souvent ddfaut.Si l'objectif premier de la mise en ceuvre des normes de gestion ISO. est d'amliorerl'image de l'organisation et d'obtenir la certification, il est trs peu probable qu'une-telleddmarche contribue A des changements substantiels et A 6viter les 6cueils lies A la<< babdlisation ) du ddveloppement durable. Si cet objectif est rellement de promouvoirune politique de ddveloppement durable et de changer les pratiques en place, les normesISO peuvent reprsenter une aide prcieuse. Ces normes reposent en effet sur despratiques qui, bien qu'elles ne soient pas nouvelles, ont depuis longtemps fait leurspreuves dans de nombreuses organisations: planification, formation, communicationinterne et externe, clarification des r6les et des responsabilites, mesure des performances,amelioration continue, etc. Dans cette perspective, certifier la bonne conduite desentreprises est possible, mais seulement lorsque cette << bonne conduite > reprsente, auddpart, une valeur rdellement consentie A laquelle la certification ISO peut ensuite donnerune forme, une structure et une consistance oprationnelle.

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