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THIERRY DE MEY cahier spécial

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THIERRY DE MEY

cahier spécial

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39 - EMPREINTESTHERMIQUES

5 - INTERIORMOVEMENTportrait by Camille Guynemer

10 - GRAPHIC NOTESportfolio by Thierry de Mey

14 - THE FUNDAMENTALGESTUREtext by Jean-Marc Adolphe

16 - CONVULSIVEGEOMETRYtext by Jean-Luc Plouvier

19 - DEEPINSIDEinterview by Jean-Marc Adolphe

and Charlotte Imbault

27 - THE PLACE TO BEanalysis by Charlotte Imbault

32 - NARRATIVEPOLYPHONIESfocus by Camille Guynemer

35 - INFORMATION TECHNOLOGYFOR MOVEMENTanalysis by Jérémie Szpirglas

39 - THERMALIMPRINTSfocus by Laurent Catala

42- THE LABYRINTH OF CONFIGURATIONSanalysis by Anthoni Dominguez

46 - TRANS-EUROPE-EXPRESStext by Anthoni Dominguez

48 - WORKS

5 - MOUVEMENT INTÉRIEURportrait par Camille Guynemer

10 - NOTES GRAPHIQUESportfolio par Thierry de Mey

14 - LE GESTE FONDATEURtexte par Jean-Marc Adolphe

16 - GÉOMÉTRIECONVULSIVEtexte par Jean-Luc Plouvier

19 - AU CŒUR DES CHOSESentretien par Jean-Marc Adolphe

et Charlotte Imbault

27 - LIEUX D'ÊTREanalyse par Charlotte Imbault

32 - POLYPHONIESNARRATIVESfocus par Camille Guynemer

35 - L'INFORMATIQUE DU MOUVEMENTanalyse par Jérémie Szpirglas

39 - EMPREINTESTHERMIQUESfocus par Laurent Catala

42- LE LABYRINTHE DES FORMESanalyse par Anthoni Dominguez

46 - TRANS-EUROPE-EXPRESStexte par Anthoni Dominguez

48 - ŒUVRES

35 - L'INFORMATIQUE DU MOUVEMENT

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LE RUISSELLEMENTÉLECTRIQUEéditorial par Jean-Marc Adolphe

« La vie, écrit Georges Bataille, ne se situe pas en un point particulier. Elle circule rapidement d’un point

à un autre, en une sorte de ruissellement électrique. » Pour entamer ce cahier spécial sur Thierry de

Mey, il n’est pas hors de propos de citer l’auteur de L’Expérience intérieure, pour qui la notion de

dépense était nécessairement liée au fait que, « pour la matière vivante en général, l’énergie est tou-

jours en excès ».

1983. La revue Alternatives théâtrales titrait, pour désigner une scène belgo-flamande en pleine érup-

tion : « L’énergie aux limites du possible. » Les premiers spectacles d’Anne Teresa de Keersmaeker, les

sonorités physiques du groupe Maximalist! concouraient, parmi d’autres, à cette concrétion. Et un tout

jeune compositeur, grandement autodidacte, Thierry de Mey, était l’un des ferments de cette agitation.

Près de trente ans plus tard, il a laissé dans son sillage ce qu’il faut bien appeler une œuvre conséquen-

te, et, mieux encore, un tressage infini de sons et d’images, d’espace et de temps. Le rythme, primor-

dial et souverain selon les mots du « maître » Fernand Schirren (qui fut l’un des professeurs à Bruxelles

de l’école Mudra de Maurice Béjart), n’aura cessé d’alimenter en potentialités insoupçonnées un

champ d’intensités créatives qui s’est élargi ces dernières années, pour Thierry de Mey, aux ressources

numériques et à l’apport des nouvelles technologies.

Curieusement, cependant, cette abondante matière musicale, chorégraphique, cinématographique,

performative, etc., n’a jusqu’à présent donné lieu à aucune production éditoriale digne de ce nom. Le

présent cahier spécial de Mouvement prétend modestement commencer à combler ce manque. Ledit

cahier spécial n’aurait pas été possible sans le partenariat, en coédition, établi avec le Centre des

Ecritures Contemporaines et Numériques (CECN) de Mons et ses partenaires d’un projet transfronta-

lier soutenu par l’Union européenne dans le cadre du programme Interreg.

Depuis dix-sept ans, Mouvement, revue indisciplinée, s’attache à faire dialoguer entre eux les diffé-

rents champs de la création contemporaine. Thierry de Mey est l’un des pionniers de cette indiscipli-

narité qui aura marqué la fin du XXe siècle et le début du XXIe. C’est donc en pleine intelligence et

connivence que nous nous retrouvons ici, en espérant que ces pages accompagnent le « ruissellement

électrique » dont Thierry de Mey s’est fait le chantre sensible.

En couverture : Thierry de Mey à Valence en juin 1990.

Photo : Olga de Soto.

Cahier spécial / Mouvement n° 59 (avril-juin 2011) réalisé

en coédition avec le Centre des Ecritures Contemporaines

et Numériques (BE) via son projet INTERREG CECN2

Coordination : Jean-Marc Adolphe et Charlotte Imbault

Conception graphique : Sébastien Donadieu

et Meghedi Simonian

Edition : Jérôme Provençal et Pascaline Vallée

Partenariats/publicité : Alix Gasso

Ont participé à ce numéro : Jean-Marc Adolphe,

Laurent Catala, Anthoni Dominguez, Camille Guynemer,

Charlotte Imbault, Claire Kueny, Jean-Luc Plouvier,

Jérémie Szpirglas

Traductions : Steve Blackah

MOUVEMENT, la revue indisciplinée

6, rue Desargues - 75 011 Paris - France

TÈl. +33 (0)1 43 14 73 75 - Fax +33 (0)1 43 14 69 39

www.mouvement.net

Mouvement est édité par les Editions du Mouvement, SARL

de presse au capital de 4 200 €, ISSN 125 26 967

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THE ELECTRIC STREAMeditorial by Jean-Marc Adolphe

“Life, wrote Georges Bataille, is not fixed to a particular point. It circulates rapidly from one point to

another, in a kind of electric stream.” To introduce this special review about Thierry de Mey, it is not

inappropriate to quote the author of L’Expérience intérieure, for whom the notion of expenditure

was fundamentally necessary in that “for living matter in general, energy is always in excess”.

1983. The magazine Alternatives théâtrales carried the following headline to describe a Belgian-

Flemish theatrical context in full eruption: “Energy at the limit of possibilities.” The first productions

by Anne Teresa de Keersmaeker and the physical sonority of the Maximalist! group, amongst others,

justified such a definition. And one very young composer, largely autodidactic, Thierry de Mey, was

one of the instigators of this agitation. Almost thirty years on, Thierry de Mey has left in his wake what

must rightly be termed a significant portfolio and, still better, an infinite fabric of sounds and images,

of time and space. Rhythm, which is primordial and sovereign in the words of the “master” Fernand

Schirren (who was one of the lecturers in Brussels at Maurice Béjart’s Mudra school), has continual-

ly brought unsuspected potential to a field of creative intensity that has expanded in recent years, for

Thierry de Mey, to include digital resources and the contribution of new technologies.

Curiously, however, this abundant musical, choreographic, cinematographic and performance

content has until now never been the subject of any editorial review worthy of its name. The current

special edition of Mouvement is a first modest attempt to rectify this omission. It would not have

been possible without the partnership, as co-editors, of the Mons-based Centre for Contemporary

Digital Scripts (CCDS) and their partners in a cross-border project supported by the European Union

in the context of the Interreg programme.

For seventeen years now the cross-disciplinary magazine Mouvement has sought to create dia-

logue between the different fields of contemporary creative art. Thierry de Mey is one of the pio-

neers of this cross-disciplinarity which has marked the end of the 20th and the beginning of the

21st centuries. It is therefore with great deliberateness and complicity that we find ourselves here,

trusting that the pages that follow will accompany this “electric stream” of which Thierry de Mey is

the coherent eulogist.

Directeur de la publication : Jean-Marc Adolphe

© mouvement, 2011. Tous droits de reproduction réservés

Cahier spécial Mouvement n° 59. Ne peut être vendu.

Le Centre des Ecritures Contemporaines et Numériques

Directeur : Pascal Keiser

Adjointe, chargée du développement, de la programmation :

Mylène Lauzon

Chargée de communication : Bertille Coudevylle

www.cecn.com

LE MANEGE MONS MAUBEUGE

Scène transfrontalière de création et de diffusion asbl

4a, rue des Sœurs Noires B-7000 Mons, www.lemanege.com

Nous remercions : toute l'équipe de Charleroi/Danses - en

particulier son intendant général, Vincent Thirion, et son

attachée de production, Hélène Dubois -, Vincent Delvaux et

le TAP - Scène nationale de Poitiers.

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THIERRY DE MEY - 5

MOUVEMENTINTÉRIEUR

Thierry de Mey travaille la musique, la danse et

l'image avec une rigueur et une méticulosité

extrêmes, et toujours une préoccupation

centrale : le mouvement.

portrait par Camille Guynemer

De la plus grande vivacité aux atmosphères nébuleuses, chaque nouvel opus de Thierry de Mey

– film, composition ou installation – représente une étude particulière de corps en mouve-

ment. Chacun raconte à sa manière l’histoire magique du temps qui se déroule et de l’homme

qui s’y enroule.

La Valse (2010), chorégraphié par Thomas Hauert / ZOO, un film tourné sur le toit d’un immeuble

en pleine ville, nous projette dans le ciel en même temps qu’une nuée de danseurs survoltés pareils

à des oiseaux. Les plans et les angles changent au rythme des corps et de la folle musique de Maurice

Ravel. Le tout se termine dans un tourbillon hallucinant. La caméra, au cœur des ébats, s’envole

presque à force de tournoyer. Elle suit les inflexions de chacun des gestes, et les saisit dès leur pre-

mière impulsion. Le montage, virtuose et précis, ajoute de la vitesse à la vitesse en même temps qu’une

fluidité étourdissante.

Dans un autre registre, Prélude à la mer (2009), chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker sur

le Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy, montre deux danseurs qui se cherchent

et se fuient, se rêvent et s’oublient... Leurs évolutions souples et fragiles sont portées par l’immensité

plate de la mer d’Aral, mer intérieure partagée entre le Kazakhstan et l'Ouzbékistan, aujourd’hui

en grande partie changée en étendue de sel. Cherché à dessein à l’autre bout du monde par Thierry

de Mey, le contraste est saisissant. Sur l’horizontalité infinie du sol craquelé de sécheresse, les phrases

développées par les danseurs atteignent une lisibilité fulgurante. Cet espace libre, démesurément fixe,

démultiplie l’impact de ce qui bouge. Nous ne sommes plus là dans une plongée en son cœur, nous

sommes dans un hyper-rayonnement du mouvement. Pour voir cette projection, le visiteur doit péné-

trer dans une yourte kazakhe.

Page de gauche : Cynthia Loemij sur le tournage

de Prélude à la mer, site de la mer d'Aral, Kazakhstan,

2009. Photo : Julien Lambert.

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Rémanences (2010), œuvre majestueuse, ne montre pas autre chose, mais avec une pulsation plus que

surprenante. Thierry de Mey traite ici le mouvement de la manière la plus minimale qui soit : en noir et

blanc et au ralenti. Il utilise une caméra thermique qui ne capte que la chaleur des corps dont les zones

chaudes apparaissent blanches. Celles qui se refroidissent s’assombrissent jusqu’au noir total. Selon

les séquences, les couleurs s’inversent. Dans l’une, des traces dégradées de chaleur laissées par les

corps sur les tissus et les sols résonnent en écho de leur lent passage. Elles en décomposent les

étapes. Dans une autre, un tourbillon éthéré, des étoffes s’envolent en se séparant des corps. Elles per-

dent de leur chaleur et modifient leur couleur initiale. On les voit se déployer comme des pétales de

fleurs. Le rythme si lent nous fait goûter chaque instant de mouvement comme une abstraction

magnifique. Ici, la caméra ne bouge pas. Elle n’en a plus besoin. L’intensité de cette très lente choré-

graphie transforme le mouvement en épure de souvenir. Diffusé sur un dispositif de verres dépolis,

l’ensemble de ces séquences laisse le spectateur comme elles : en suspension.

Plutôt que filmer le mouvement des corps, Thierry de Mey le conçoit, le compose. Ce faisant, la camé-

ra devient le mouvement même. Dans son intimité musculaire. Dans son essence temporelle.

L’élan initial

Thierry de Mey a fait ses études à l’IAD (Institut des Arts de Diffusion), l’école de cinéma de Bruxelles,

dans les années 1970. En ces temps d’effervescence, outre un savoir-faire technique, il y découvre la

pensée de Barthes, Deleuze, Foucault, Lacan, en même temps que la musique de Steve Reich – l’im-

posant travail rythmique de Drumming, les sonorités hypnotiques de Four Organs, les subtiles évolu-

tions cellulaires de Music for 18 Musicians. Ce qu’il comprend en lisant les penseurs de la modernité

résonne dans ce qu’il entend dans la musique du compositeur américain. Après sa rencontre avec

Fernand Schirren, « professeur de rythme » à Mudra, l’école de danse de Maurice Béjart où étudie sa

sœur cadette, Michèle Anne de Mey, sa réflexion se cristallise sur la naissance du rythme et du geste.

Ce sera une première étape de sa remise à plat personnelle de la grammaire et du vocabulaire de la

musique. Une sorte de retour aux sources révolutionnaire. Le principe est simple. La phrase musicale,

comme tout mouvement, naît d’une impulsion qui la lance. Elle se développe, arrive à son sommet

avant de retomber et de se conclure. Comme le pas du marcheur à la régularité fluctuante sera l’éta-

lon de la rythmique du plain-chant au Moyen Age. Ce pas est un déplacement qui en génère un autre,

puis encore un autre, et installe une rythmique. Partie d’une simple impulsion, une vie s’organise.

Cellulaire. Dès lors, toutes les constructions sont possibles. Garder un chemin minimal ou y inscrire une

structure en résonance qui donnera naissance à d’autres enchaînements… D’un simple mouvement

peut naître une épopée très complexe.

Dans la danse

Sa première composition, Rosas danst Rosas (1983), imbrique étroitement danse et musique. Il met au

point avec la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker tout un arsenal de gestes et de sons codifiés,

de fréquences, de durées que quatre danseuses doivent respecter à la lettre. Trois moments dans la

pièce : un premier dans lequel la seule musique audible est la respiration des danseuses allongées sur

le sol. Leurs mouvements naissent exactement du rythme de leurs inspirations brèves, saccadées, et

de leurs expirations amples. Une musique minimale de percussions métalliques fait son apparition

dans la deuxième partie de la pièce, qui déclenche des mouvements vifs des danseuses, assises cette

fois. Le processus s’amplifie dans la troisième et dernière partie. La musique se densifie en nappes ins-

trumentales répétées en boucles. Les danseuses, debout maintenant, se déhanchent, tournoient sur

elles-mêmes. Des enjambées se font larges. Les pieds marquent fermement la rythmique des corps,

strictement calés sur la musique.

Le résultat de cette œuvre est d’un formalisme extrême. Coincées dans un carcan redoutable et

contraintes par le rythme qu’elles doivent suivre, les danseuses sont poussées à une violence rageuse.

Mais ces contraintes ont un sens. Elles produisent un effet d’une poésie sauvage et totalement nou-

velle. Ces corps font sonner la musique comme la musique fait sonner ces corps. Les deux éléments

ne font plus qu’un : une tresse de sons et de gestes.

Cette expérience formidable lancera la carrière d’Anne Teresa de Keersmaeker et de Thierry de Mey.

Elle tracera une piste que ce dernier suivra sans retenue. Il créera Maximalist!, un groupe de musiciens

et compositeurs militant pour des ruptures esthétiques radicales, plaçant le corps au centre de leurs

recherches. Avec ou sans ce groupe, de Mey travaillera très régulièrement avec la toute nouvelle géné-

ration des chorégraphes belges : Wim Vandekeybus (What The Body Does Not Remember en 1987, Les

Porteuses de mauvaises nouvelles en 1989), Anne Teresa de Keersmaeker (Kinok et Amor constante en

Ces corps font sonner

la musique comme

la musique fait

sonner ces corps.

Extraits du film Rosas danst Rosas, dans la cour du Rito

de Leuven, 1996.

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1994) et Michèle Anne de Mey (Balatum en 1984).

En 1987, sa Musique de tables fait de Thierry de Mey un artiste très spécial. Une sorte de compositeur-

metteur en scène, « metteur en jeu » ou « metteur de musique en perspective ». Moins théâtral que

Mauricio Kagel, moins littéraire que Georges Aperghis, mais tout aussi novateur. Son domaine à lui,

c’est le mouvement global des sons et des images. Conçue à l’origine pour Wim Vandekeybus, Musique

de tables est jouée le plus souvent par trois musiciens-percussionnistes assis côte à côte, chacun

devant une table de bois. Leurs mains sont posées sur leurs cuisses. Silence. Lentement, l’un des musi-

ciens soulève ses mains, puis, d’un coup vif, racle la table avec ses ongles avant de reposer ses mains

dans un bruit sourd. Son voisin fait de même, à un rythme identique. Progressivement, toutes les mains

s’animent. Elles frottent, glissent, frappent, tapent ou tapotent, selon une partition réglée au quart de

seconde près. Les visages des protagonistes restent impassibles, mais leurs mains se livrent à un bal-

let d’une précision impressionnante.

Images animées

L’enchaînement des gestes et des rythmes hyper-coordonnés des musiques-chorégraphies de Thierry

de Mey ressemble à un flot jaillissant. L’importance du cinéma dans son chemin artistique traduit sans

doute un désir d’aller plus loin dans sa recherche narrative. Bien sûr, les images montées assurent un

déroulement du récit sans faille et sans risque. Elles permettent surtout une grande modulation du

discours : accélération, ralentissement, variations des angles de vues, jeux de distances… Dans One Flat

Thing, Reproduced (2006), de Mey a filmé la chorégraphie que William Forsythe a conçue autour de

tables disposées géométriquement dans un grand espace vide. Les images d’un danseur, d’un détail

ou d’un groupe, se succèdent à une vitesse étourdissante. Des vues d’ensemble dessinent sur l’écran

un mouvement ample qui trouve immédiatement écho dans celui d’un corps. Des perspectives jaillis-

sent puis se ferment avant de se poser sur un geste suspendu : le mouvement des caméras s’ajoute à

celui de la danse. De Mey compose une chorégraphie sur la chorégraphie, fait œuvre de création en

sublimant celle de ses partenaires. L’image intègre naturellement la musique et la danse dans son pro-

cessus créatif, donnant à son art des allures de tresse à trois branches.

Extrait du film One Flat Thing, Reproduced, 2006.

L’importance

du cinéma dans son

chemin artistique

traduit sans doute

un désir d’aller

plus loin dans sa

recherche narrative.

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Thierry de Mey réalisera encore de nombreux films, parmi lesquels Love Sonnets (1993) et 21 études

à danser (1998) avec sa sœur Michèle Anne, ou Tippeke (1996) avec Anne Teresa de Keersmaeker.

Il filmera également Rosas danst Rosas en 1996, sa Musique de tables avec les musiciens d’Ictus en

1998. En 2003, Counter Phrases sera une sorte de point d’orgue de son art ciné-musical. Sur trois

écrans sont projetés dix films de chorégraphies d’Anne Teresa de Keersmaeker, tournés dans de splen-

dides jardins verdoyants et arborés, entre soleil et ombres. Pour chacun de ces courts métrages, un

compositeur écrit une musique. Thierry de Mey, bien sûr, mais aussi Georges Aperghis, Jonathan

Harvey, Magnus Lindberg, Fausto Romitelli, Steve Reich, Toshio Hosokawa, Luca Francesconi, Stefan

Van Eycken, Robin de Raaff… Pendant la projection, l’ensemble Ictus joue les compositions en live.

L’orchestre est sur scène, les danseurs sur l’écran. Tout bouge chez de Mey, surtout les frontières.

De l’harmonie à l’électronique

Parallèlement à ses travaux pour la danse et le cinéma, Thierry de Mey s’ouvre une autre voie de

recherche, plus discrète, qui le conduira vers la musique instrumentale. Il continue ni plus ni moins sa

mise à plat de la grammaire musicale en repensant, cette fois-ci, un système harmonique que les dodé-

caphonistes n’ont pas totalement mis à bas. Plus précisément, il travaille sur l’harmonie et sur les

enchaînements d’accords. En résonnant, un accord en génère une dizaine d’autres, de loin en loin, par

sympathie de fréquences. De Mey les cherche avec une extrême attention, comme s’il s’agissait de

découvrir un réseau mystérieux de mouvements. Puis les filiations sonores se connectent en d’infinies

possibilités. Des voies de résonance qui peuvent être suivies dans différentes directions. Undo, mono-

die pour clavecin (1990), et surtout ses Mouvements pour quatuor à cordes (1991) seront les premiers

fruits de ces explorations harmoniques. Sur le modèle de la Chaconne en ré mineur de Bach, la

Passacaglia et variations (1993) écrite pour le violoniste Irvine Arditti, fait entendre des accords étirés

jusqu’à l’abstraction et tendus par un lyrisme qui n’est qu’un jeu de résonances harmoniques extrême-

ment dense. En 1994, le compositeur donnera une version élargie de l’œuvre sous la forme d’un

Concerto pour violon.

Son travail harmonique rejoint son intérêt pour les jeux instrumentaux hors normes : souffles, frotte-

ments, multiphonies, sons à la limite de l’audible, nœuds de violoncelles. Il se plonge un peu plus dans

le son comme générateur de musique. C’est là que Tristan Murail et Gérard Grisey verront l’avenir de

la musique. Thierry de Mey leur emboîte le pas. Analyses, transformations, calculs, spatialisations,

manipulations… De Mey tire de cette riche matière de nouvelles inspirations. Loin des débats idéolo-

giques qui entourent le lieu, il intègre l’Ircam en 1993, où il peut utiliser et développer des logiciels

capables de l’aider à mettre ses intuitions en forme. Là naîtra Amor constante más allá de la muerte,

musique pour une nouvelle collaboration avec Anne Teresa de Keersmaeker. C’est également à l’Ircam

qu’il développera un intérêt particulier pour l’électronique, qui va dorénavant irriguer ses nouvelles

compositions. Certaines, comme Elastique et Landscape 1, ne seront qu’électroniques. Mais il ne

délaisse pas la danse pour autant. Light Music (2004) met en scène un chef d’orchestre sans orchestre,

un percussionniste sans percussions, qui peut avec ses mains « déclencher des sons ou des séquences

musicales, les manipuler dans le temps ou dans l’espace, les mettre en boucle, les déchirer, les faire

résonner ». Sur un écran géant placé derrière ce danseur-musicien, les traces du mouvement de ses

mains forment, l’espace de quelques courtes secondes, une traînée blanche. Les mouvements du per-

formeur vibrent de sons et d’images. Thierry de Mey vit de ces vibrations essentielles.

INTERIOR MOVEMENTportrait by Camille Guynemer

Composer and director Thierry de Mey works with music, dance and image with the same meticulo-

sity, the same talent and the same central theme: movement. His recent work has focused on instal-

lations. His last one to date, the La Valse project (2010), filmed on the roof of a city-centre block

of flats, combined choreography by Thomas Hauert/ZOO and the zany music of Maurice Ravel.

Initially known as a composer, with his first piece Rosas danst Rosas (1983), produced with choreo-

grapher Anne Teresa de Keersmaeker, he began his studies at IDA, the Brussels School of Cinema,

8 - THIERRY DE MEY

Fumiyo Ikeda dans Green, Yellow and Blue (mus. Fausto

Romitelli) de Counter Phrases, 2003.

Son travail

harmonique rejoint

son intérêt pour les

jeux instrumentaux

hors normes.

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in the 1970s. After his meeting with Fernand Schirren, “professor of rhythm” at Mudra, Maurice

Béjart’s dance school at which his younger sister, Michèle Anne de Mey was studying, he began

to focus his thoughts on the birth of rhythm and gesture. In 1983 he was one of the founders

of Maximalist!, a group of musicians and composers campaigning in favour of radical aesthetic rup-

ture, placing the human form at the heart of their research. From there he collaborated with the

emerging new generation of belgian choreographers: Wim Vandekeybus, Anne Teresa

de Keersmaeker and Michèle Anne de Mey.

In 1987, Musique de tables marked a turning point in his career. He became composer-director,

playmaker or playing music in perspective. Less theatrical than Mauricio Kagel, less literary than

Georges Aperghis, but just as innovative. The movement of sounds and images became global.

The musicians’ soundtrack became the inspiration for choreographic movement and vice versa.

The image naturally integrated music and dance into its creative process, giving its art form

the appearance of thrice-woven plaits. In 2003, Counter Phrases represented the grand finale

of his kino-musical art. Alongside his productions for dance and cinema, Thierry de Mey began

to explore another research avenue that would lead him towards instrumental music. He continued

to define his musical grammar by reworking a system of harmonies that dodecaphonists have not

totally disregarded. His work on harmonies is linked to his passion for unusual instrumental combi-

nations: blasts of air, scratching, multiphonies, barely audible sounds, cello knots. With an interest

in calculus, spatialisation and manipulations, he enrolled at Ircam in Paris in 1993. From there was

spawned a particular interest in electronics which would feature in his new compositions such

as Elastique (2004). Alongside this technological momentum, movement was not to be neglected.

In the tradition of Musique de tables, Light Music (2004) and Pièce de gestes (2008) continued

to explore the overlapping tension between visual and audible. Thierry de Mey lives by these essen-

tial vibrations.

The musicians’

soudntrack became

the inspiration

for choregraphy

and vice versa.

Unknowness, mouvement de percussion d'Amor

Constante. Photo : Herman Sorgeloos.

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NOTES GRAPHIQUESportfolio par Thierry de Mey

Instructions pour Musique de tables, 1987.

Page de droite : Trajets pour danseurs sur les séries

de Fibonacci, 1994.

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THIERRY DE MEY - 13

Structure « narrative » en tresse de Sicilia : Vie

di Gibellina, octobre 2006 (à lire de haut en bas).

Chaque danseur est représenté par une ligne de couleur.

Les croisements des lignes correspondent aux

rencontres et les chiffres symbolisent l'ordre des

arrivées des danseurs.

Page de gauche : Pré-partitions de Light Music, 2004.

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LE GESTE FONDATEURtexte par Jean-Marc Adolphe

Avez-vous déjà entendu le chant du merle, le soir au fond du marbre ? La question peut sembler incon-

grue, insensée : n’y aurait-il pas une faute de frappe, une coquille comme on dit, qui rendrait la phrase

incompréhensible, ou pour le moins insolite ? Non. Alors, je répète la question : avez-vous déjà entendu

le chant du merle, le soir au fond du marbre ? Moi, non. Jusqu’à un jour de janvier 2011. A Charleroi

(Belgique anciennement minière), un jour de grand froid, où il ne faisait pas bon mettre un merle dehors.

Mais voilà, même lorsque ça caille sec, il y a des images qui vous enveloppent et vous réchauffent tout

d’un coup. Par exemple, l’image du chant du merle, le soir au fond du marbre. Une image qui ressemble-

rait, pour le dire vite, et même si cette ressemblance est d’une totale dissemblance, à un Homme qui

marche de Giacometti. Des hommes qui marchent, dans la rue, il y en a plein. Mais aucun ne marche

comme L’Homme qui marche de Giacometti. Et pourtant, L’Homme qui marche de Giacometti ressemble

à (presque) tous les hommes qui marchent (sauf certains Sérieux-Importants qui font reculer tout le

monde, mais poursuivre cette idée nous entraînerait trop loin). Bref, c’est à cela, à cette ressemblance

qui crée de la différance (au sens qu’en donne Derrida), que l’on reconnaît un artiste. Parce que des

merles qui chantent, il y en a plein. Un merle est fait pour ça (entre autres), pour égayer l’air, même

quand l’air devient irrespirable (avec certains Sérieux-Importants qui font reculer tout le monde, mais

poursuivre cette idée nous entraînerait trop loin). Des compositeurs qui font de la musique, des réalisa-

teurs qui font des films, des chorégraphes qui font de la danse, il y en a plein. Tous se proclament artistes,

mais c’est un mot galvaudé (ce serait, dans un autre domaine, comme dire que certains Sérieux-

Importants font de la politique, mais c’est juste pour des cerises, même si les merles aiment aussi les

cerises). Etre artiste, c’est être en mesure de graver, pour l’éternité, un chant de merle. Et ça, c’est émi-

nemment politique, mine de rien.

Explication de texte : à Charleroi, au B.P.S.22, en janvier dernier, Thierry de Mey exposait ses Rémanences.

L’une de ces rémanences, couchée-inclinée au sol, dans l’obscurité, était constituée de plaques de

marbre (anthracite) curieusement gravées-griffées. Et dans d’invisibles enceintes, tout autour, un chant

de merle. Ce chant, Thierry de Mey l’a analysé et décomposé en musicien, en a établi le spectrogramme,

en courbes et intensités, et l’a projeté à même le marbre. L’empreinte du chant. Même si Thierry de Mey

n’a pas tout fait tout seul – à cet égard, on imagine le bonheur des employés des pompes funèbres à qui

commande a été passée, plutôt que de graver l’énième épitaphe « A notre cher disparu », de creuser l’ap-

parition d’un chant –, on imagine le geste de celui qui burine la pierre pour y laisser trace. Ce geste fon-

dateur a commencé il y a bien longtemps : à Lascaux déjà, dans d’autres grottes qui n’ont pas encore été

découvertes, ou encore au théâtre de la Balsamine, à Bruxelles, au début des années 1980.

A cette époque-là, vu de Paris, Bruxelles semblait un autre continent. A l’époque, je n’avais pas beaucoup

plus d’argent qu’aujourd’hui. J’allais à Bruxelles en stop, et pour ne pas avoir à payer de chambre d’hôtel,

je reprenais un train de nuit : une heure du matin et des poussières en Gare du Midi balayée par un vent

glacial, arrivée à Paris, Gare du Nord, peu avant 7 heures. Je m’installais confortablement en première

Etre artiste, c’est

être en mesure de

graver, pour l’éternité,

un chant de merle.

Des frappes percussives de Musique de tables

à l’inscription dans le marbre d’un chant de

merle, la continuité d’un geste infini fait trace

dans l’œuvre de Thierry de Mey, riche en

gestations.

14 - THIERRY DE MEY

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classe, sans billet. Parfois passaient des douaniers en quête de haschich (le train venait d’Amsterdam),

mais de contrôleurs, je n’ai jamais vu l’ombre d’un. J’allais assez souvent à Bruxelles le lundi, parce qu’il

y avait Les lundis de la Balsamine. Maintenant, le Thalys a supplanté les trains de nuit, il faut être riche

pour faire Paris-Bruxelles. D’ailleurs, toute l’époque est devenue riche, c’est pour cela que Les lundis

de la Balsamine n’existent plus, et celle qui en était l’instigatrice (Louise de Neef, une grande pionnière

à qui hommage est ici rendu) est partie faire du bio dans les Cévennes, là où se trouvent de vraies

richesses. Les lundis de la Balsamine, c’étaient des essais, comme on dirait en philosophie, de petites

scènes) pour voir où ça pouvait conduire. Et c’est là que Thierry de Mey a commencé, avec Wim

Vandekeybus faisant la crêpe sur un plateau (celui de la Balsamine), ce qui allait devenir Musique

de tables. Et alors, comment dire ? Entre la main qui racle, tape et griffe la surface d’une table pour

en faire percussion ; et le burinage du marbre pour y déposer le chant du merle, il y a, avant toute chose,

l’infinie continuité d’un geste fondateur.

Un peu plus tard, en 1992, j’avais invité Thierry de Mey à la Cité internationale, à Paris, pour la première

édition du SKITE, un laboratoire de création que j’avais qualifié de « chantier d’utopies ». Je revois enco-

re Thierry de Mey dans une salle de la Maison Heinrich Heine (ça ne s’invente pas) passer des images de

L’Homme à la caméra de Dziga Vertov à un ananas qu’il manipulait pour en commenter la structure

végétale, en faisant percuter tout le monde à l’aide de baguettes sur des tables, devant Meg Stuart,

Caterina Sagna, Vera Mantero, Santiago Sempere, Françoise Féraud et d’autres…, qui n’y comprenaient

presque rien. C’était un atelier d’analyse musicale, disait Thierry de Mey. Ou peut-être ne disait-il rien. Il

gestait. Tout est histoire de gestations.

Et voilà. Le maquettiste attend de moi 5 000 signes, seuil que j’ai déjà dépassé. Je m’étais juré de parler

du geste fondateur dans la musique-mouvement de Thierry de Mey, et me voilà en train d’extraire du gre-

nier de vieilles anecdotes sans importance. De toute façon, j’aurais eu du mal à parler de musique : la

musique, je n’y entends presque rien. Mais je sais que dans tout ce que fait Thierry de Mey, quelque

chose me touche. Ce qui est encore une histoire de geste. Et je sais bien, avec l’un de mes poètes préfé-

rés (Roberto Juarroz, Poésie Verticale), qu’il est un geste qui ne commence en personne et qui se termine

en tous.

THIERRY DE MEY - 15

Au premier plan : Thierry de Mey, lors du SKITE 1992 au

Théâtre de la Cité internationale à Paris. Photo Jean-

Marc Naudin.

Le spectre de L'Ombre du chant, 2010.

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THE FUNDAMENTAL GESTUREtext by Jean-Marc Adolphe

Have you ever heard the song of the blackbird, in the evening, at the bottom of the marble? The ques-

tion can seem incongruous, nonsensical: hasn’t there been a typing error, a misprint as we say, that

would make the sentence incomprehensible or at the very least unusual? No. Therefore, I repeat the

question: have you ever heard the song of the blackbird, in the evening, at the bottom of the marble?

I hadn’t. Until one day in January 2011. In Charleroi (former mining region of Belgium), on an extremely

cold day, when it wasn’t a good idea to put a blackbird out of doors. But even when it is freezing cold,

there are images that embrace you warmly all of a sudden. At the industrial zone B.P.S. 22, Thierry

de Mey was exhibiting his work Rémanences. One of these remanences, lying at an angle on the floor,

in the darkness, was composed of marble slabs (anthracite) strangely engraved and scored. And

coming from unseen loudspeakers, all around, was the sound of blackbird song. Thierry de Mey had

analyzed this song and separated its component parts, had established its spectrogram, in curves and

intensity, and was projecting the sound onto the marble itself. The imprint of the song. This fundamen-

tal gesture had started a long time ago: in Lascaux, for instance; in other caves that have not yet been

discovered; or indeed at the Théâtre de la Balsamine, in Brussels, at the start of the 1980’s.

At that time, from the perspective of Paris, Brussels seemed like another continent. I used to hitchhike

to Brussels, and to avoid paying for a hotel room, I would take the night train home: just after one-o-

clock in the morning at Brussels Midi station swept by a freezing cold wind, to arrive at the Gare du

Nord station in Paris a little before 7am. I would settle comfortably into a first-class seat, without a tic-

ket. I used to go quite often to Brussels on a Monday, because there were the Balsam Mondays. Balsam

Mondays were explorations, as one would say in philosophy, short scenes to see where things might

lead. And it was there that Thierry de Mey started out, with Wim Vandekeybus cooking up new ideas

on a set (a balsam wood set), which was then to become Musique de tables. So what more can we say?

Between a hand which grates, taps and scrapes the surface of a table to produce percussion and the

chiselling of marble to receive blackbird song, there exists, before all else, the infinite continuity

of a fundamental gesture.

GÉOMÉTRIE CONVULSIVEtexte par Jean-Luc Plouvier

Le pianiste Jean-Luc Plouvier, directeur artistique de l’ensemble Ictus, contemporain des débuts

de Thierry de Mey, raconte la rencontre explosive de celui-ci avec Anne Teresa de Keersmaeker.

Grand causeur, grand inventeur de formules, Thierry de Mey a toujours été friand d’expressions para-

doxales, presque oxymoriques, comme « les algorithmes du désir », ou « la mathématique du plaisir ». Son

idéal en cette matière, pour ce dont je me souviens, était « l’exactitude poétique » de Paul Valéry, un

auteur qu’il a passionnément lu à l’adolescence et dont il a épousé l’idée d’une sorte de méticulosité dans

l’approche du monde sensible. Toute sa gestique d’orateur dit cela, ses doigts qui tracent des lignes

nettes, qui pincent un impossible point, qui s’entrelacent en anneaux comme pour défaire un nœud dif-

ficile. On sait que, pour Valéry, la poésie était un art plus complet que le roman, plus complet car plus

« physiologique », écrit étrangement le poète français : le rythme, en associant le corps à l’esprit, délivre,

Le rythme, en

associant le corps

à l’esprit, délivre.

16 - THIERRY DE MEY

Extraits du film Musique de tables, 1998.

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là où l’image non-rythmique hallucine et capture. Ce que de Mey appelle « rythme », à la suite de son pro-

fesseur Fernand Schirren, c’est l’intersection du bondissement vital et de la formalisation, qui fait barra-

ge aux automatismes de la spontanéité. La preuve vérifiable dans l’œuvre que le rythme est aux com-

mandes, la garantie macroscopique de sa présence, c’est le tranchant de la forme. On trouve là le de Mey

cinéaste et monteur, toujours cinéaste quoi qu’il fasse. La forme, comme coupure et montage, comme

clarté des articulations, doit être montrée, elle doit s’afficher à nu et ne pas se laisser effacer dans le flux

de l’œuvre. Le rythme est violence, mais une bonne violence, qui conjure la brutalité. A partir de là, on

peut risquer l’hypothèse que sa rencontre explosive avec Anne Teresa de Keersmaeker a été le véritable

ferment, ou le Big Bang, de toute la « vague belge » chorégraphique. Anne Teresa, « mystique flamande »

selon ses propres mots, danseuse furieuse, aussi interloquée par l’idée d’une non-danse qu’un poisson

par une pomme, avait besoin de rencontrer cet amoureux des formes, des séries, des stratégies, des para-

doxes mathématiques. Il faut imaginer une sorte de pas de deux où l’homme « emmène la femme là où

elle veut aller », comme disent les amateurs de tango. En offrant à de Keersmaeker un monde saturé de

formes contraignantes, qui se déploient néanmoins dans une violence innocente et enjouée, il lui a per-

mis de laisser s’épanouir d’emblée un vocabulaire sensuel, intime, convulsif, sans jamais craindre l’obscé-

nité. Ainsi a pu naître à Bruxelles, dans les années 1980, ce petit miracle, cet « expressionnisme formalis-

te » : une postmodern dance qui garde le contact avec le réel – le réel tel que l’entendaient Bataille

et Lacan, c’est-à-dire l’impossible.

CONVULSIVE GEOMETRYtext by Jean-Luc Plouvier

Pianist Jean-Luc Plouvier, artistic director of the Ictus ensemble and contemporary of Thierry

de Mey in his formative years, recounts his explosive encounter with Anne Teresa de Keersmaeker.

Highly expressive, highly inventive of new formulas, Thierry de Mey has always been fond of paradoxi-

cal expressions, virtual oxymora, such as “the algorithms of desire”, or “the mathematics of pleasure”.

His ideal in this area, as far as I can remember, was the “poetical accuracy” of Paul Valéry, an author

whose books he devoured during his teenage years and who inspired in him the idea of a kind of meti-

culous approach to the world we perceive. As an orator his gestures spoke volumes, his fingers moving

in straight lines, gripping an impossible point, linking in the form of a ring as if to untie a difficult knot.

It is known that for Valéry, poetry was a more complete art form than the novel, more complete becau-

se more “physiological” was the strange term of the French poet: rhythm, by joining the body to the

spirit, delivers, whereas the non-rhythmic image brings hallucination and ensnares. What de Mey

refers to as rhythm, as did his teacher Fernand Schirren, is the junction between vibrant leaps and for-

malisation, which prevents the structuring of spontaneity. The tangible proof in any work that rhythm

is at the controls, the macroscopic guarantee of its presence, is the decisiveness of its configuration.

There we find the de Mey who is filmmaker and director, consistently filmmaker whatever he does. The

configuration, whether in cutting and editing or in the clarity of its articulation, must be shown, it must

be laid bare for all to see and not be allowed to dissipate in the flow of the production. Rhythm is vio-

lence, but a healthy violence that avoids brutality. From there, we might dare to speculate that it was

his explosive encounter with Anne Teresa De Keersmaeker that was the tectonic shift, or the Big Bang,

that launched the “Belgian choreographic wave”. Anne Teresa, “Flemish mystic” in her own words,

furious dancer, as speechless at the thought of a non-dance as a fish before an apple, truly needed to

meet this lover of configurations, series, strategies and mathematical paradoxes. One has to imagine

a kind of two-step in which the man “leads the woman where she wants to go” as lovers of Tango will

tell you. By offering de Keersmaeker a world saturated by constricting configurations, which spread

out, nevertheless, with innocent and harmless violence, he enabled her to express from the outset a

sensual, intimate and convulsive vocabulary that never flirts with obscenity. In this way a little miracle

saw the light in Brussels in the 1980s, this “formalist expressionism”: a post-modern dance which keeps

in contact with what is real – real as defined by Bataille and Lacan, in other words, the impossible.

THIERRY DE MEY - 17

Rhythm is violence,

but a healthy violence

that avoids brutality.

Tresse en spirale dessinée pour Rain d'Anne Teresa de

Keersmaeker, 2001.

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THIERRY DE MEY - 19

Deux personnalités ont été importantes dans votre formation : Fernand Schirren 1, qui était pro-

fesseur de rythme à Mudra, l’école de danse que Maurice Béjart dirigeait à Bruxelles et Henri Van

Lier 2, philosophe qui enseignait à l’IAD (Institut des Arts de Diffusion), école de cinéma où vous

avez étudié. En quoi ont-ils été pour vous des « maîtres » ?

« Au temps où à l’IAD, mes camarades se préoccupaient de formes narratives ou documentaires, je

passais des heures dans des studios de danse, je tripotais des objets musicaux, des boucles de bandes

magnétiques sur Revox, des percussions non-conventionnelles, ou encore des cadres de piano.

Fernand Schirren et Henri Van Lier ont constitué deux rencontres fondamentales. Schirren incarnait

la puissance, le côté dionysiaque. Selon lui, le rythme devait être physiquement éprouvé. “Une figure

rythmique ne fait pas sens si elle n’a pas cet appel dans le corps”, disait-il. J’ai gardé cette affirmation

comme un credo. Il faisait tenir sa “philosophie du rythme” en deux onomatopées : le “Et” qui corres-

pondait à l’élan et le “Boum” qui désignait le point d’arrivée. Sur le plan esthétique, cette vision indui-

sait une mise en tension des deux pôles. Schirren croyait à la transmission des forces qui ne peut s’ef-

fectuer que dans un apport de maîtrise et c’est dans ce sens-là que le terme de maître doit être com-

pris. Il disait souvent que ceux qui lui avaient appris le plus étaient les mauvais élèves. Les bons élèves

appliquent l’enseignement et finissent par le réaliser mieux que le maître. En revanche, chaque mau-

vais élève est un cas particulier qui oblige à penser et à formuler autrement sa propre pensée.

J’ai pleinement bénéficié de son enseignement, de ses petits exercices de percussions qui faisaient tra-

vailler le rythme en profondeur. Quand j’ai rencontré Schirren, à dix-huit ans, j’avais arrêté de faire mes

gammes depuis trop longtemps pour prétendre devenir un interprète musical professionnel.

L’enseignement de Schirren m’a permis de “rebondir”, au sens propre comme au figuré.

AU CŒUR DES CHOSES

Retour sur un parcours riche en rencontres

marquantes et en expériences passionnantes,

tout au long duquel se manifeste un impérieux

désir de renouvellement des formes.

entretien par Jean-Marc Adolphe et Charlotte Imbault

1. Fernand Schirren (1920-2001), compositeur et pédagogue.

A lire : Le Rythme primordial et souverain, éditions La

Pensée du mouvement, Bruxelles, 1996.

2. Henri Van Lier (1921-2009), philosophe. A lire : Les Arts de

l’espace (Casterman, 1959 et 1975), Anthropogénie (Les

Impressions nouvelles, 2010).

Thierry de Mey, janvier 2011 à la Maison des métallos,

Paris. Photo : Hrvoje Goluza.

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N’étant pas élève de Mudra, comment avez-vous pu suivre l’enseignement de Fernand Schirren ?

« C’est une histoire d’amitié. Ma sœur Michèle Anne 3, qui préparait les concours de danse classique et

contemporaine, était amie avec Anne Teresa de Keersmaeker. J’étais moi-même devenu très ami avec

Anne Teresa. Quand elles sont entrées à Mudra, j’allais souvent manger à la cantine, voir ce qu’il se

passait dans les studios. Ma sœur m’a présenté à Schirren, en qui j’ai reconnu le pianiste accompagna-

teur de films muets au Musée du cinéma, lieu que je fréquentais assidûment. Schirren était devenu la

référence absolue dans cet art d'improvisateur, dont il disait que la qualité principale consiste dans la

“non-existence”, c'est-à-dire l'effacement total de l'accompagnateur au profit du processus d'identifi-

cation aux images. Nous avions une passion commune pour les grands cinéastes russes et les films à

structure musicale comme L'Homme à la caméra de Dziga Vertov, ou les films expérimentaux tels que

ceux des dadaïstes. Je le voyais jouer et nous avons commencé à sympathiser à la fin des séances. Dans

une école indépendante, Schirren a alors ouvert une classe pour élèves “non- mudristes” désireux de

suivre son enseignement.

Il avait assez vite repéré en moi quelqu’un avec qui il pouvait parler de philosophie : de Nietzsche et

de Schopenhauer. Schirren était fasciné par Buffon, Les Fables de La Fontaine, les livres de cuisine,

ainsi que les contes de Perrault qu'il considérait comme étant la langue la plus pure. A l’époque, il y

avait une certaine émulation à Mudra : Béjart travaillait avec Stockhausen, Boulez, Luciano Berio,

Pierre Henry… Je traînais parfois dans les coulisses... J’ai réalisé mon premier exercice de télévision avec

Juliana Carneiro da Cunha, proche alors de Pierre Droulers 4, sur une chorégraphie d'Alain Louafi. Le

“club” de Mudra était extrêmement vivace. Il est révélateur que ces rencontres trouvent des prolonge-

ments trente ans plus tard dans ce projet un peu fou de co-direction artistique en quatuor (avec ma

sœur Michèle Anne, Pierre Droulers et Vincent Thirion) du Centre chorégraphique Charleroi/Danses.

A l’IAD, Henri Van Lier était un personnage très différent de Schirren, même physiquement. Avec sa

barbe, Schirren avait un côté “Zarathoustra de bistrot”, alors que Van Lier était élancé, vif et loquace.

Et j’ai rarement croisé quelqu’un possédant une telle culture. Il pouvait passer d’un article pour

l’Encyclopedia Universalis sur l’histoire de la mathématique à une série sur France Culture consacrée

au concept de présence chez Sartre et Heidegger, parler de l’histoire et de la sexualité en Occident ou

encore du rapport des langues dans l’espace indo-européen... C’était un puits de savoir, toujours en

communication avec de grands scientifiques. En plein cours sur Roman Jakobson, les signes et les

fonctions du langage, il pouvait s’interrompre en voyant une vieille machine à Coca-Cola des années

1950 et partait sur le design de la marque Coca-Cola. C’était sans fin…

De loin, on pourrait le qualifier de Deleuze bruxellois, même si c’est extrêmement réducteur de le dire

ainsi. De près, il faudrait tout de suite ajouter au portrait un René Thom, l'auteur de la Théorie des

catastrophes, un “surréaliste cosmopolite”, un scientifique de haut vol gardant un pied dans la théo-

rie de la photographie et de la bande dessinée, un narrateur exeptionnel. Pendant plus de vingt ans, il

a entrepris la reconstruction d’un modèle philosophique dans son livre Anthropogénie. Le corps de

l’homme, réhabilité, occupe la place centrale. Sa thèse recoupe d’une certaine façon les propos de

Schirren. Il part de l’homo comme animal indexant (qui a des doigts qui peuvent désigner), angulateur,

(qui a des membres capable de faire des angles droits) – c’est-à-dire un animal capable de construc-

tion et de topologie, puisqu'il peut mesurer dans son corps un être capable de faire des angles droits,

c’est-à-dire capable de construire, capable de topologie, puisqu’il peut mesurer dans son corps l'équi-

valence des surfaces des paumes de ses mains, etc. A l'époque, nous ne suivions Van Lier que sur la

moitié du cheminement discursif, mais nous avions le pressentiment que quelque chose d'immense se

passait précisément là où notre compréhension immédiate faisait défaut. Quand il a su que j’avais fait

un mémoire sur Antonin Artaud, que j'étais musicien et que je jouais au jeu de Go, il s’est intéressé à

moi… Nous avons noué un dialogue privilégié.

Van Lier a été primordial dans mon parcours en ceci qu’il a provoqué chez moi un véritable choc esthé-

tique. A l’époque, dans mon grenier musical, j’avais le rock (Hendrix, Zappa, Wyatt), la musique anci-

cienne et classique. Pour le XXe siècle, il y avait Le Sacre du printemps, Bartók, Messiaen, Ligeti… Un

jour, Van Lier invite chez lui quelques-uns de ses étudiants. Là, il nous annonce qu’il revient des Etats-

Unis, et qu’il doit nous faire écouter quelque chose. Il nous demande de nous allonger. Tout le monde

se couche en rang dans son salon, il met le son à fond et lance Four Organs de Steve Reich. Le proces-

sus de la pièce se construit sur l’étirement : un temps, puis deux, puis trois et chaque fois la durée de

la note tenue augmente. Sur ce disque 33 tours, il y avait quatre orgues électriques. Quand je me suis

levé de la carpette du professeur de philo, quelque chose se déplaçait dans ma tête. Je me suis dit :

“C’est possible de composer aussi comme ça !” Comme une pièce du jeu de Tétris qui vient se mettre

en place : la composition comme un processus de développement organique. Cette découverte venait

3. Michèle Anne de Mey, danseuse et chorégraphe. Sa

dernière pièce, Neige, a été créée à Charleroi/Danses en

novembre 2009.

4. Pierre Droulers, danseur et chorégraphe. Sa dernière

pièce, Walk Talk Chalk, a été créée au Kunsten Festival des

Arts en mai 2009.

« Ne faire

référence à rien,

tel était notre défi. »

20 - THIERRY DE MEY

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comme une confirmation des manipulations sonores que je réalisais déjà. Je tripotais des boucles, mais

à l’époque le sampler n’existait pas : j’enregistrais des sons, surtout des percussions, je coupais les

bandes en bandelettes de quelques centimètres avant de les recoller pour les faire tourner sur les

enregistreurs Revox. A cette époque, Anne Teresa de Keersmaeker revenait de New York, où elle avait

créé son solo Violin Fase comme pièce de fin d'étude. Michèle Anne avait passé des auditions chez

Pina Bausch, était restée parmi les dernières danseuses, mais n’avait finalement pas été prise. C’est

alors qu’est né le projet de duo pour Fase (1982). Elles passaient des heures à répéter “schifter”, c'est-

à-dire à pratiquer un décalage progressif de leurs mouvements, dans le garage de Jan Decorte 5. Après

le succès-choc de cette épure chorégraphique, l'idée a germé d'un quatuor de danseuses dont j'assu-

rerais la partie musicale. Ce fut Rosas danst Rosas (1983).

Peut-on parler de Rosas danst Rosas comme étant votre première composition ?

« Oui. C'est la première sortie publique sérieuse de ces expériences ; le deuxième mouvement (avec

des percussions enregistrée en re-recording) en est assez représentatif. Le concept de Rosas danst

Rosas repose sur une idée très simple : reprendre les processus structurels de la musique minimale,

mais les traiter avec une énergie brute, voire brutale (une sorte d’arte povera musical), avec une idée

de transgression et de dépense. Une énergie de… bataille (à l'époque Georges Bataille, sa théorie de

la continuité, Le Bleu du ciel, nous fascinaient). Nous avons élaboré une structure, très rigide, à laquel-

le on ne pouvait déroger, dans l'espoir de faire ressortir l'intensité des quatre interprètes qui se

jetaient à corps (et à cœur) perdu dans la danse. Ne faire référence à rien, tel était notre défi. Nous

recherchions cette énergie contenue, agglutinée, agglomérée. Ensuite nous avons été rejoints par

Peter Vermeersch et les musiciens de Maximalist! 6. Nous étions toute une bande, une collection de

forces embarquées dans un même bateau, comme attirés les uns par les autres. Puis, comme sous l’ef-

fet d’un trou noir, après la fusion, il y a eu l’explosion et la dispersion de chacun au sein de projets très

divers, mais les vies de tous ont été profondément marquées.

Vous parlez de Maximalist! , formation musicale très marquée par la physicalité du son, plutôt

absente par ailleurs d’une musique contemporaine perçue comme désincarnée.

« Avec Maximalist!, nous étions un peu les punks de la musique contemporaine. Contrairement à nos

confrères non pas académiques mais moins zazous, nous n’étions pas rebutés par des pratiques trans-

artistiques, que ce soit au Musée de Gand avec des plasticiens, ou encore pour un défilé de mode avec

Comme des garçons… Il y avait également Les lundis de la Balsamine , des soirées composées de dix

petites pièces de musique contemporaine, mais durant lesquelles se croisaient architecture, installa-

tions, mode, théâtre, danse… On franchissait les frontières pour les briser. Quelque part, c’est une

métaphore de la situation de Bruxelles, à la fois une ville frontière et le centre géographique de

l’Europe, un feuilletage linguistique, culturel, un pont entre le passé et l'avenir.

A quel moment l’image intervient-elle dans votre activité de musicien, notamment pour et avec

la danse ?

« Déjà, lors de mes études à l’IAD, j’avais construit de petits projets avec des danseurs. En 1984, j’ai réa-

lisé Floréal qui regroupe un ensemble de portraits, très structurels et architecturaux. J’avais alors deux

univers bien distincts. D’un côté, je composais pour des chorégraphes. D’un autre côté, j’écrivais des

scénarios ( je continue d’ailleurs et en ai quelques-uns dans mes tiroirs), plutôt destinés à des docu-

mentaires et des fictions. On ne se dit pas qu’a priori, on va réaliser des films de danse ! Et à l’époque,

le genre n’était pas repéré en tant que tel. L’ouverture a été créée par Michèle Anne avec Sonatas 555

(1992) sur des sonates de Scarlatti. La pièce avait été pensée pour un lieu ouvert, une carrière près

d’Avignon ou une scène d’opéra en escaliers au Festival de Salzbourg. J’ai proposé d’en faire un road-

movie de danse. Pour moi, le projet relevait d’une évidence : filmer la danse, mais pas dans un théâtre.

Je ne voulais pas faire une simple captation. Pour libérer la danse de sa prégnance scénique, il fallait

la provoquer, la mettre dehors, la confronter à l’extérieur. Pour Love Sonnets (1993) [la mise en film de

Sonatas 555, Ndlr.], je cherchais des textures, de la terre, du sable, du sel. Je suis parti en Espagne avec

une voiture de location et j’ai dû parcourir quelque 7 000 kilomètres pour trouver des lieux de tour-

nage, ce qui a d’ailleurs occasionné des expériences tout à fait invraisemblables : je me suis ainsi

retrouvé coincé dans les champignonnières des carrières d’ocre, à Roussillon…

La relation que vous avez établie entre musique et danse est jalonnée par une série fondamen-

tale d’œuvres, à commencer par Hands (1983), qui annonce Musique de tables (1987), que vous

THIERRY DE MEY - 21

Avec Fernand Schirren, lors de la fête d'ouverture de

l'école PARTS, à Bruxelles, 1995. Photo : Herman

Sorgeloos.

6. Maximalist!, ensemble instrumental créé en 1983 à

Bruxelles à l’instigation de Thierry de Mey et de Peter

Vermeersch.

5. Jan Decorte, metteur en scène, comédien et réalisateur

flamand. Il a inspiré toute une génération de jeunes artistes

en Belgique.

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avez créé avec Wim Vandekeybus. Comment ce projet a-t-il pris corps ?

« La Belgique est un petit pays, nous allions tous dans les mêmes cafés ! Wim Vandekeybus avait vu

Rosas danst Rosas, il était venu me demander si je voulais faire la musique de son premier spectacle.

C’était à une époque où il ne souhaitait plus de mouvements de danse. Tabula rasa. Je lui ai proposé

de mettre en scène notre dilemme, et de travailler à une relation entre la danse et la musique. C’était

une correspondance de jeu entre les deux danseurs au sol et mes mains sur une petite table. Nous

avions établi une codification. Par exemple, paumes sur la table : les danseurs sont sur le ventre, à un

clap de main répond un mouvement de breakdance. Dans un premier temps, le son produit par mes

gestes dirigeait complètement le mouvement des danseurs, mais, dans un second temps, je devais

caler mes mains sur leur mouvement improvisé suivant le code que l'on venait d'établir. J’avais toujours

l’impression de devoir attraper des poissons jetés hors de l’eau. La courte pièce Hands fut également

créée lors d'un Lundi de la Balsamine.

Si l’on met côte à côte deux disciplines, l’une donne l’impulsion à l’autre. On peut l’envisager comme

une relation de pouvoir, mais il suffit de se dire que le pouvoir peut changer de camp. C’est à ce

moment précis que cela devient intéressant. Toute confrontation interdisciplinaire implique des bas-

culements, des mouvements d’ingérence mutuelle. Ce qui est gênant, c’est quand le pouvoir va tou-

jours dans le même sens.

Forts de cette collaboration, nous sommes partis en résidence en Italie, à Polverigi, pour composer,

créer What The Body Does Not Remember. Pendant mes nombreux trajets entre la Belgique et l’Italie,

j’avais commencé à écrire des séquences musicales correspondant aux séquences dansées. J’avais

constitué tout un vocabulaire de petites flèches, de petites boules et petits points. J’ai eu l’idée de

développer ce système pour trois percussionnistes. C’est ainsi qu’est né Musique de tables, pièce que

j’ai écrite pour mes amis de Maximalist!. Les musiciens avaient une certaine appréhension pour leurs

doigts parce qu’alors les mains frappaient à même la table, sans protection en mousse comme aujour-

d’hui. Cette pièce est emblématique de mon travail et résonne encore pleinement aujourd’hui, puis-

qu’elle fait sens avec toute la suite.

Y a-t-il un vocabulaire, un système que vous mettez en place ? Peut-on parler d’un répertoire de

sonorités, de gestes et d’images, qui alimenterait votre travail et dans lequel vous piocheriez ?

« Est-ce parce que tout mon trajet s’est tracé dans le voisinage de la danse, du mouvement ? Même si

j’ai également écrit pour des ensembles et des orchestres, je pense beaucoup la chose musicale en

termes de mouvements. Et je n’en ai pas fini avec cela, puisque je suis en train de penser plusieurs sys-

tèmes pour noter Light Music (2004) et de voir jusqu’où pousser cette corrélation entre mouvement

et musique. J’ai créé des patterns pour des danseurs, des partitions dans l’espace, mais je n’ai jamais

véritablement noté les mouvements des danseurs.

En tant que compositeur, j’ai toujours été intrigué par l’exploration du champ du geste musical. Quand

un geste est-il générateur de mouvements ? Quand existe-t-il pour lui-même ? Dans Musique de tables

(1987), des gestes produisent du son, mais il y a également des gestes qui existent pour eux-mêmes,

souverainement chorégraphiques. Lorsque j’ai affaire à des percussionnistes très entraînés, ils n’envi-

sagent souvent que la partie productrice de son. Or je fais très attention à ce qu’ils exécutent une figu-

re dans sa pleine hauteur, le cercle par exemple. Ces questions sont fondamentales car elles traitent

directement de l’écriture, du “sens” musical, de la “musique de la musique”. Par quelles opérations de

réduction de la pensée musicale, par nature multi-dimensionnelle, arrive-t-on aux deux dimensions de

la feuille de papier : la partition ? Partition qui elle-même renaîtra sous forme de musique, à la ren-

contre d'une vie, d'un mouvement : celui de l'interprète.

Wittgenstein dit que la beauté d’une phrase de Brahms, lorsque l'on ne peut plus l'expliquer par des

mots, va induire un geste de la main qui continue le fait musical. Notre main prolonge le mouvement

comme pour attraper un indicible, une poétique en soi. Tout cela touche de très près à la manière dont

notre esprit fonctionne, dont il perçoit la musique et le mouvement… Toutes ces questions s’enchaî-

nent, s’enchâssent.

Peut-on dire que vous êtes un musicien impur, que ce qui vous intéresse dans la musique est lié

à une notion de combinatoire ?

« En musique, le mot “combinatoire” n’est pas innocent. Beaucoup de pratiques modernistes de la

musique intègrent à un certain niveau des pratiques combinatoires. Il y a des hauteurs, des séries, des

durées, puis entre en jeu une combinatoire… Ce mot a pu provoquer des malentendus mais je crois

qu'aucun compositeur sérieux n'a pu réduire sa pratique à une sorte de sudoku… La combinatoire peut

« Notre main prolonge

le mouvement

comme pour attraper

un indicible, une

poétique en soi. »

Page de droite : Mark Lorimer, sur le tournage de Prélude

à la mer, 2009. Photo : Thierry de Mey.

22 - THIERRY DE MEY

Dessin pour Silence must be! et Light Music, 2002.

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THIERRY DE MEY - 23

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être le point de départ identifiable à l'analyse, mais le fait musical prend son envol bien au-delà. Les

généticiens vous diront que très rares sont les combinaisons génétiques qui donnent naissance à

la vie… A mon sens, si cette combinatoire n’a pas de physicalité, elle me pose problème au sens

musical. Mes compositions sont très souvent basées sur des processus mathématiques, sur des

modèles objectifs (l'analyse de certains sons complexes, par exemple), ou sur des jeux de propor-

tions très calibrées, mais ce matériau est filtré par l'exigence de formes organiques, dynamiques,

identifiables. Si cette forme produite abstraitement inspire le corps du danseur, j'aurais tendance à

la valider et à l'inscrire sur ma partition.

Comme un architecte, un peintre, le compositeur se retrouve dans les proportions rythmiques. Le

nombre d’or, j’y reviens toujours. En ce sens, je suis peut-être un compositeur impur parce qu’effec-

tivement, j’éclate la structure ou je vais chercher dans d’autres dimensions d’autres formes. Le mou-

vement est toujours au cœur de mes compositions. Je me suis souvent demandé pourquoi j’étais

tout le temps fasciné par ce qui bouge…

Schirren le disait déjà, mais les avancées les plus récentes de la science psycho-cognitive ont mon-

tré que le mouvement est un facteur décisif dans la construction de la personnalité, de l’identité.

Un bébé construit son identité par la perception de ses mouvements, avant même le langage.

Quand l’on pense mouvement, on ne pense pas séparément espace, temps, rythme, harmonie… On

est dans le synthétique. Or, on se constitue en tant qu’identité à travers ses mouvements.

Je ne sais pas si je suis un compositeur impur, au vu des nombreuses approches qui se croisent dans

ma pratique, mais je tiens à ce postulat : plus une musique est abstraite, objective, plus elle devrait

être organique, incarnée.

Lorsque vous réalisez des films, ou que vous concevez des installations, êtes-vous encore plei-

nement musicien ?

« Chorégraphe, alors ? J’ai toujours rechigné à m'attribuer ce titre. Je compose des films et j'écris du

mouvement… Ce qui me convient bien dans cette double approche, c'est d'alterner travail d'équipe

et travail en solitaire. Avec une équipe de cinéma, il y a toujours des raids, des travellings, de la

machinerie : je m'arrange toujours pour que cela s’apparente à une aventure. Pendant ces périodes,

je me sens bien, je dors peu mais cela n'a pas d'importance. J'ai une énergie. Je ne sais pas d'où me

vient cette énergie. Et puis il y a l'autre versant qui est davantage lié à la concentration, à l'écriture,

à l'écriture musicale, au recueillement… Alors, j'aime bien me retrouver seul. Je me dis que je n’ai pas

assez d’une vie pour être compositeur et réalisateur, alors si j’ouvre une troisième voie !

…sauf à considérer qu’il s’agit d’une seule et même voie ! Cette fusion entre le visuel et l’auditif,

on la trouve ainsi dans ce titre de Paul Claudel : L’Œil écoute.

« J’ai quelque peu fait ma spécialité de ce rapport ! Un geste dansé qui marche bien sur une

musique : cela relève d’une certaine évidence pour moi. Je vois tout de suite si cela fonctionne ou

pas. Si cela ne marche pas, je peux mettre en branle les fonctions analytiques pour essayer de

décrypter pourquoi cela ne marche pas. Parfois, j’aurai une réponse, mais la plupart du temps la for-

mulation échoue. Je cherche toujours à circonvenir ce “truc” indicible. Le phénomène opère dans

les deux sens. Si je vois une belle phrase de danse, j’entends tout de suite des rythmes, des sons.

C’est un peu de la synesthésie qui se rapporterait au mouvement.

Dans ce dialogue permanent, que vous ont apporté les nouvelles technologies, celles-là mêmes

dont on dit justement qu’elles n’ont pas de corps ?

« Avec Light Music (2004), je me suis dit qu’elles pouvaient donner une nouvelle physicalité au son.

Je dois avouer que les nouvelles technologies m’ont permis d’accroître mon champ d’investigation.

Après une représentation de Light Music, j’ai eu une discussion avec Pina Bausch, que cette pièce

avait beaucoup touchée. Elle est venue dans les loges – j’étais très impressionné – pour me deman-

der si j’avais fait ça avec le cœur, car, pour elle, c’était une pièce du cœur. Elle m’a alors avoué que,

pour la première fois, les nouvelles technologies l’avaient bouleversée, parce que la générosité était

présente... Je n’ai jamais pensé avoir inauguré une nouvelle forme d’art. De même, je n’ai jamais eu

de frissons particuliers à l’idée d’employer des technologies militaires, policières. Ce sont des outils

venus à point nommé dans mon champ. J’ai l’impression que la posture absolument low-tech, dans

laquelle l’on se refuserait d’aborder les nouvelles technologies, est difficilement tenable. C’est un

peu comme décider de vivre sans voiture, sans ordinateur, sans téléphone. On finirait par se retrou-

ver comme un Robinson Crusoé au milieu de sa propre ville.

« Plus une musique

est abstraite,

objective, plus elle

devrait être

organique, incarnée. »

Patch informatique des choix pour le visiteur de Sicilia :

Vie di Gibellina dans le cadre de l'installation From Inside,

2006.

24 - THIERRY DE MEY

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A propos de Robinson Crusoé, si vous deviez vous exiler sur une île déserte, qu’em-

porteriez-vous ?

« La question de l’île déserte est un piège. J'emmènerais des gens… Mais alors l'île déserte ne serait

plus déserte… Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez ou Une trop bruyante solitude de

Bohumil Hrabal ! Au risque de sonner comme une pub du style “les coups de cœur de votre respon-

sable de rayon, dans la catégorie sublime, sont” : Les Belles endormies de Kawabata, La Femme des

sables de Abé Kôbô, les nouvelles de Salinger (notamment Pour Esmé avec amour et abjection),

Pessoa (tout), Quevedo (surtout les Soneto Amoroso), Valery (sa prose davantage que ses vers),

quelques perles de Karel van de Woestijne, l'orfèvre de la langue flamande… Des musiques, des films

mais je crois que j'aurais davantage besoin de musique. Quelles musiques ? Des choses d'aujour-

d'hui ou très anciennes ? Le Clavier bien tempéré ou la voix de Sulochana Brahaspati dans Raga

pour la saison des pluies… Des choix qui donnent le vertige… Il pleut sur votre île ? Le Couronnement

de Poppée, Tristan et Iseult, Pelléas et Mélisande… Le Chant de la terre par Kathleen Ferrier,

la musique de chambre de Brahms, les polyphonistes Josquin et Morales ; des musiques indiennes :

Nam Narayan au sarangi… Parmi les films, Le Salon de musique de Satyajit Ray, L'Enfance d'Ivan

et Stalker d'Andreï Tarkovski. Il y a un cinéaste que j'adore, c'est Mikhaïl Kalatozov, notamment

Soy Cuba. Et puis les films de Fellini : Huit et demi, La Dolce vita que j'ai déjà dû regarder des dizaines

de fois. Pendant mes études, les films de Bresson, d'Antonioni et de Fassbinder m'ont boule-

versé. J'apprécie la beauté des œuvres qui vieillissent. Il faut savoir laisser des œuvres, puis

les reprendre.

Curieusement, vous prendriez des choses qui existent déjà et non des choses qui n’existent pas

encore. Vous pourriez aussi prendre ce temps vide pour écrire ?

« S'il y a du courant sur votre île déserte, je prendrais avec moi un ordinateur. Sinon, un épais bloc-

notes vierge et une provision de portemines. »

DEEP INSIDEinterview by Jean-Marc Adolphe et Charlotte Imbault

During his formative years, Thierry de Mey was particularly influenced by two teachers: Fernand

Schirren, “the Dionysian”, professor of rhythm at Mudra, the dance school run by Maurice Béjart

in Brussels, and Henri Van Lier, “the Brussels Deleuze”, a philosopher teaching at the IAD. (Institut

des Arts de Diffusion), the school of cinema at which the composer-director studied. With the for-

mer he learned that a rhythmic figure only has meaning when expressed by the human physique,

to give physicality to the sound. The latter caused him to experience a deep aesthetic shock.

Whereas, until then, Thierry de Mey had great respect for Stockhausen, in the front

room of his philosophy teacher he was introduced to Steve Reich’s work entitled Four Organs.

It was a revelation. This discovery was the tacit approval for the sound exercises that he was alrea-

dy developing.

Now it was time for his very first collaborations with his sister Michèle Anne and Anne Teresa

de Keersmaeker, notably for the production Rosas danst Rosas (1983), which can be considered

as his very first composition. “Make no reference to any other work, that was our golden rule.” This

creative energy was unleashed by the 'rag-tag army' of a small Brussels community between Mudra

and the Maximalist! 1 group, “the punks of contemporary music”. Together, they smashed the boun-

daries between different art forms.

Within this cross-aesthetic, Thierry de Mey, champion of the synaesthesia of movement, has always

been drawn to explore the field of musical gesture. If his compositions are often based on mathe-

matical processes, these are filtered by the intervention of a certain configuration. “The configura-

tion must involve the human form so that I can validate it and insert it into the score.” Movement

is always at the heart of his compositions. Moreover, he has often created patterns for the dancers.

Nevertheless, he does not see himself as a choreographer. “I always say that I don’t have time in one

life to be composer and director, so I launched out in a third direction…!”

THIERRY DE MEY - 25

« Les nouvelles

technologies m’ont

permis d’accroître

mon champ

d’investigation. »

1. An instrumental ensemble co-founded by Thierry de Mey

in 1983.

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Maison, pan de prairie, ô lumière du soir

Soudain vous acquérez presque une face humaine

Vous êtes près de nous, embrassants, embrassés.

Rainer Maria Rilke, trad. Claude Vigée, Les Lettres

Genius loci. Le lieu d’abord et avant tout. Le lieu comme poétique, mais aussi comme matrice. Partir

d’une clairière à huit branches pour Violin Phase (troisième mouvement de Fase, 2002), des terrils de

charbon de Charleroi ou ceux de sel de Catalogne pour Love Sonnets (1993), des bois avoisinant

Bruxelles pour Ma mère l’Oye (2001), du bâtiment moderniste construit par l’architecte Henry Van de

Velde pour Rosas danst Rosas (1996). Le lieu crée l’espace et l’espace génère le mouvement. C’est ainsi

que Thierry de Mey conçoit son travail de cinéaste pour réaliser non pas des films de danse, mais des

films de mouvement comme il aime à le rappeler souvent. L’espace extérieur devient l’espace de l’être,

où le danseur s’invite, s’insère, se heurte et s’efface le temps des prises de vue. « Je suis l’espace où je

suis », écrivait le poète Noël Arnaud en un petit vers si simple, si frêle que l’on en oublierait presque

son poids et sa justesse. Ce qu’il y a à voir dans l’ensemble des films de Thierry de Mey, c’est la relation

du corps au lieu par un incessant jeu de regard, celui-ci se faisant tour à tour focal, surplombant,

confondant la distance et le gros plan, mais jamais intrusif. Au jeu des mouvements du corps, de celui

de la caméra, le réalisateur se plaît, pour certaines installations (Counter Phrases, 2003, Deep in The

Wood, 2002-2004, et récemment Prélude à la mer, 2009, La Valse, 2010), à ajouter une troisième dyna-

mique, celle de la triscopie, soit la polyphonie des images visionnées sur trois écrans. Le contrepoint

chatouille alors l’œil, la vision se diffracte.

Le corps mis en lieu

Nulle part. Ou plutôt un lieu sorti de nulle part, désertique, lumineux : la mer d’Aral au Kazakhstan. Une

avancée en jeep, trois caméras à l’assaut de cette immensité. Puis un point noir, une tâche au loin : le

corps de Cynthia Loemij. Plan rapproché. La danseuse se frotte au sel blanchâtre, touche le ciel de ses

LIEUX D’ÊTRE

L’espace résonne puissamment dans les films

et installations de Thierry de Mey, qui prend

un plaisir malin à jouer des intimes connexions

entre nature et architecture.

THIERRY DE MEY - 27

analyse par Charlotte Imbault

Page de gauche : Cynthia Loemij et Mark Lorimer sur le

tournage de Prélude à la mer, 2009. Photo : Thierry de Mey.

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orteils. Dans Prélude à la mer 1, sur la musique de Claude Debussy (Prélude à l’après-midi d’un faune),

le corps se présente comme point d’attache, d’accroche, seul dans cet espace infini. En contraste de

ce vide qui est aussi un lieu d’ouverture, à perte de vue, le film Sicilia : Vie di Gibellina 2 (2006), tourné

sur le site de l’ancienne ville détruite, Gibellina, en Sicile, donne à voir des corps qui s’éprouvent,

emmurés dans le Grande Cretto, œuvre monumentale d’Alberto Burri, véritable labyrinthe de ciment.

Ils sont circonscrits dans l’espace. Cette visibilité de corps clôturés trouve son inscription dans plu-

sieurs passages de Love Sonnets où les danseurs constituent des ponts entre deux murs. Ainsi encas-

tré, le corps s’apparente au trait horizontal de la lettre H.

Si, à l’origine, toute danse appelle un environnement spécifique, il est bien clair que non seulement le

corps éprouve le lieu, mais que tout lieu agit sur l’état de corps. La danse réagit à l’architecture dans

Rosas danst Rosas. A l’aspect structurel très prononcé de l’écriture chorégraphique et au corps en ten-

sion des danseuses répond la construction rectiligne du Rito de Leuven, entièrement faite de verre et

de béton. Mais à l’encadrement circonscrit, le mouvement échappe. Le corps traverse l’espace, s’éva-

de sur le toit, parcourt des couloirs, dévale les escaliers. L’impact du lieu peut résonner en contraste.

Ou en osmose. Pour Ma mère l’Oye 3 – qui, monté en installation, devient Deep in The Wood –, Thierry

de Mey a fait venir danseuses et danseurs dans la forêt, sur une durée d’un an. Chaque danseur a choi-

si librement un personnage parmi, entre autres, les contes de Perrault. Le cœur du travail s’est consti-

tué autour du rapport du végétal avec le corps, laissant le subconscient de l’interprète affleurer.

Naissent plusieurs langages chorégraphiques pour des êtres fantastiques dans une temporalité singu-

lière. La petite fille aux allumettes, vêtue d’une robe verte, tressaille de tous ses membres, debout, à

côté d’un tronc. Une main s’ouvre comme une feuille, une fougère épouse une colonne vertébrale. Le

corps humain procède-t-il de la nature, caché derrière des branches, ou la nature s’humanise-t-elle ?

Dans Love Sonnets, alors qu’à la nuit tombée, les danseurs de Michèle Anne de Mey virevoltent sur le

rythme piquant des sonates de Scarlatti, un troupeau de moutons dévale la carrière et vient pertur-

ber le groupe des neuf. Réhabilitation du lieu. De manière presque récurrente, Thierry de Mey aime,

à partir du point de vue fixe et surplombant d’un lieu, habité jusque-là par les danseurs, le laisser vide,

les danseurs s’échappant du cadre en courant. Triomphe du lieu.

L’œil-caméra

On dit qu’il y a plusieurs regards. Le regard focal, qui s’accroche au monde extérieur, fixement, et le

regard périphérique, qui laisse venir les informations, en décontraction. Thierry de Mey conjugue deux

types de plan pour faire varier les points de vue et invoquer les regards de plusieurs spectateurs pos-

sibles. Tandis que les gros plans permettent l’implication physique : le poing de Rosas danst Rosas, la

chaussure (basket blanche) de Fase, les plans d’ensemble (souvent en hauteur) permettent une lisibi-

lité de la chorégraphie. Au mixage, des contrastes peuvent être opérés pour créer de la dynamique et

une distorsion de la perception entre son et image. Un plan d’ensemble s’entendra alors avec les

souffles des respirations par exemple.

« Le mouvement cinématographique est à la fois dénoncé comme infidèle aux conditions de la percep-

tion mais aussi exalté comme un nouveau récit capable de “se rapprocher” du perçu et du percevant,

du monde et de la perception », énonce Gilles Deleuze dans Cinéma 1 -L’image-mouvement. Rendre

efficace, sensible, sans perdre de vue l’écriture chorégraphique, là réside toute la difficulté du travail

du cinéaste. Dans Dom Svobode (2000), Thierry de Mey filme, le temps d’un clip de six minutes en noir

et blanc, la proposition du chorégraphe slovène Iztok Kovac. Dom Svobode est en réalité un film d’une

trentaine de minutes de Sašo Podgoršek, et Thierry de Mey, invité par le chorégraphe, se consacre

à la dernière danse du moyen métrage, véritable prouesse technique, puisque les danseurs évoluent,

grâce à un système de cordage les retenant par la taille, à la verticale d’une paroi de falaise des Alpes

slovènes. Face aux conditions extrêmes induites par cette géographie (la caméra était située sur

la montagne d’en face), le cinéaste a fait le choix de ne travailler qu’avec des plans fixes et de faire des

« avancer-reculer ». Le jeu de ces mitraillettes visuelles (accumulations de plans dans l’axe) tend

à rendre compte au mieux du danger ainsi que de la virtuosité des danseurs-acrobates.

En contrepoint

Depuis quelques années, Thierry de Mey s’attache à l’exploration de la triscopie et à la mise en place

d’installations en triptyque. Les trois écrans jouent de la perception, non pas cette fois d’une réalité,

mais du film lui-même. Plusieurs phénomènes se produisent.

La description d’une figure apparaît en train de se faire ou de se défaire, le corps passant d’un écran

à l’autre, dans la continuité du mouvement. Si l’espace parcouru devient divisible, le mouvement

1. Chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker pour deux

danseurs de la compagnie Rosas : Cynthia Loemij et Mark

Lorimer.

2. La chorégraphie est de Manuela Rastaldi.

3. La partition est de Maurice Ravel. Thierry de Mey signe la

mise en scène et la réalisation.

28 - THIERRY DE MEY

Extrait du film Ma mère l'Oye, 2001 (bras de Jonathan

Burrows).

Page de droite : Gemma Higginbotham et Yoann Boyer

sur le tournage de Sicilia : Vie di Gibellina, 2006.

Photo : Thierry de Mey.

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THIERRY DE MEY - 29

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(du corps et de la caméra), qui ne se confond pas avec l’espace parcouru, reste toujours présent

et demeure indivisible. Si le corps « traverse » les écrans et si le spectateur peut observer une succes-

sion d’instants, le mouvement, lui, se fera toujours entre les deux.

Pour La Valse, dont la chorégraphie a été réglée par Thomas Hauert (sur une musique de Maurice

Ravel), trois caméras sont utilisées pour obtenir trois angles différents. Les danseurs de la compagnie

ZOO - les nouveaux Beach Birds de Merce Cunningham - envahissent les hauteurs de Bruxelles. Sur le

toit, le groupe est perçu par trois vues frontales. Le même mouvement d’ensemble se décline, sans

continuité d’un écran à l’autre, mais multipliant par trois le mouvement présent. En intérieur, les plans

de face jouent avec les plans vus du dessus, chers au cinéaste. Un écran noir, deux écrans noirs peu-

vent créer le recentrement et activer pleinement notre regard focal. Déclinaisons déclinables.

Dans la continuité de Counter Phrases, Equi Voci (2009) est né de trois films existants : Ma mère l’Oye,

Prélude à la mer et La Valse, pour une version orchestrale, jouée live face aux écrans, afin que lieu,

corps et vidéo ne cessent de sonner juste, s’accordant dans des correspondances de langage. Cela,

alors, fait ritournelle, au sens qu’en donne Gilles Deleuze, c’est-à-dire un agencement territorial. « Le

territoire pour le vivant est un prolongement de lui-même, ou plutôt une réserve qu’il se forge afin de

se protéger d’une extériorité menaçante. Le territoire en ce sens est une intériorité déployée depuis

laquelle seulement le vivant commence à exister. […] Le territoire que se donne le vivant, c’est peut-être

la première forme créée. Mais Deleuze ne s’arrête pas au geste de clôture. Il faut qu’une forme, un terri-

toire, une existence déterminée, après le mouvement d’arrachement constitutif du chaos, apprennent

à se laisser traverser par des lignes de fuite qui puissent entraîner sans détruire. Il ne faut pas penser

alors qu’un pouvoir vient occuper du dehors un territoire (modèle de la conquête). Le territoire c’est, au

cœur même du pouvoir, le déploiement de son jeu propre. » 4

Etre là

L’un des plus beaux exemples d’un lieu d’être qui devient ritournelle est fourni par Tippeke (1996),

à la fois musique pour violoncelle et électronique composée par Thierry de Mey à l’Ircam, et film

dansé par Anne Teresa de Keersmaeker, intégré dans le spectacle Woud - Three Movements to The

Music of Berg. Mutine à souhait, en robe de velours vert, la chorégraphe de Rosas y est filmée en

pleine forêt (lieu de tous les fantasmes). Sa danse, une fugue, s’accorde aux paroles d’une vieille

comptine flamande, où il est question d’un petit garçon qui ne veut pas rentrer à la maison.

L’histoire déplie un enchaînement récursif de neuf menaces successives : un p’tit chien qui ne veut

pas mordre Tippeke, un bâton qui ne veut pas frapper le p’tit chien, un feu qui ne veut pas brûler le

bâton, etc., pour arriver à la chute en cascade de dominos où l’on repart en ordre inverse : oui le

p’tit chat veut bien manger la souris, et la souris de sauter sur la corde pour la ronger, et la corde

de sauter sur la vache pour l’attacher, etc.

« A chaque mot-clé, explique Thierry de Mey, correspond un mouvement dansé, à chaque concept

une couleur harmonique déduite de nœuds multiphoniques choisis sur les cordes graves du violon-

celle, à chaque mode de discours de la comptine - affirmatif, interrogatif, négatif - une façon de les

exécuter, un mode d’association des différentes données sonores : voix, violoncelle et ambiances

sonores du film. Dans cette ronde d’interactions, la voix fait l’objet d’un traitement particulier : les

formants filtrent les ambiances cinéma, un chœur éolien de vent dans les arbres, de bruit d’autorou-

te, de forêt en flammes l’accompagnent dans ses modulations, les consommes sont soulignées par

des sons percussifs échantillonnés sur le violoncelle (Ti-Ppe-Ke) - avant que les rythmes qui s’en

dégagent ne viennent renforcer la dynamique de la danse. » C’est dans cet entrelacs sans fin 5, dans

le labyrinthe d’une forêt où l’on peut si facilement se perdre, qu’Anne Teresa de Keersmaeker, filmée

par Thierry de Mey dans une course folle, cherche son lieu en déployant son être, depuis l’enfance.

Comment dire alors que toute identité se conjugue à une ligne de fuite (un hors-champ au-delà de

l’horizon) qui invente et construit son trajet ? Il n’est pas indifférent que, parmi les sources d’inspi-

ration qui ont irrigué Tippeke, figure Valeska Gert, grande fugueuse et danseuse grotesque, qui fut

l’une des premières à quitter l’Allemagne lorsque retentirent les premiers bruits de bottes annon-

çant le nazisme. Une autre danseuse allemande, Anita Berber, bisexuelle et cocaïnomane, adhéra

dans les années 1920 à un mystérieux Parti des Vagabonds, qui prônait le nomadisme absolu.

Depuis, le scandale s’est fait rare. Mais danser équivaut toujours à « taire l’essence d’un cri », comme

l’écrivait Rilke dans une lettre à Clotilde Van Doerp. Ce cri muet, déjà, concluait Violin Phase en 1982,

commencement infini d’une œuvre ouverte au sein de laquelle Thierry de Mey a su instiller ses

images-mouvements, en une sorte d’amour porté vers la danse, et qui ferait dire : « L’espace le plus

beau, c’est quand tu es là. »

30 - THIERRY DE MEY

« Le corps humain

procède-t-il de la

nature ou la nature

s’humanise-t-elle ? »

4. Frédéric Gros, Entre pouvoir et territoire : Deleuze,

Foucault. http://1libertaire.free.fr/pouvoirterr.html

5. Philippe Guisgand, Les Fils d’un entrelacs sans fin. La

danse dans l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker, Presses

universitaires du Septentrion, 2008.

Cynthia Loemij sur le tournage de Prélude à la mer, 2009.

Photo : Florent Leduc.

Page 33: CECN Thierry De Mey couvertures - Mouvement · attachée de production, Hélène Dubois -, Vincent Delvaux et le TAP - Scène nationale de Poitiers. THIERRY DE MEY - 5 MOUVEMENT INTÉRIEUR

THE PLACE TO BEanalysis by Charlotte Imbault

Genius loci. The place first and foremost. The place as a poetical setting, but also as a matrix. Set out

from a clearing with eight branches for Violin Phase (the third movement of Fase, 2002), from the sla-

gheaps of Charleroi or the salt mounds of Catalonia for Love Sonnets (1993), from woods near Brussels

for Ma mère l’Oye (2001), from the modernist building built by architect Henry Van de Velde for Rosas

danst Rosas (1996). The place creates the space and the space generates movement. It is in this way

that Thierry de Mey frames his work as filmmaker in order to produce not dance films but films of

movement as he often likes to say. If, originally, every dance evokes a specific environment, it is clear

that not only the body experiences the place, but that every place has an influence on the body. The

dance reacts to architecture in Rosas danst Rosas. The human form espouses nature in Ma mère l’Oye.

The exterior space becomes the space of the individual into which the dancer invites himself, inserts

himself, collides and fades away as the shots are filmed. “I am the space in which I am” wrote the poet

Noël Arnaud in a verse so small and so simple, so frail that we would nearly forget its significance and

appropriateness. What is to be seen throughout Thierry de Mey’s films is the relationship between the

body and the location by an incessant change of perspective, which is alternatively focal, overshado-

wing, merging distance with close up – but never intrusive. Whereas the close-up shots enable physi-

cal expression – the point in Rosas danst Rosas, the shoe (white trainer) in Fase –, the panoramic shots

(often elevated) provide an interpretation of the choreography. At the editing stage, contrasts can be

used to create a dynamic and a distortion in the perception between sound and image. A panoramic

view will then stretch out before us accompanied by the sound of breathing for example.

To the expressions of bodily movements and those of the camera, the producer enjoys, for some ins-

tallations (Counter Phrases, 2003, Deep in The Wood, 2002-2004, and recently Prélude à la mer, 2009, La

Valse, 2010) adding a third dynamic, that of triscopy, in other words the polyphony of images viewed

on three screens. The description of a figure appears, in the process of emerging or disintegrating, the

body moving from one screen to the other in the continuity of the movement. If the space covered

becomes divisible, the movement (of the body and of the camera), which doesn’t merge with this

space, remains ever-present and indivisible. If the body “crosses” the screens and if the spectator can

observe a succession of moments, the movement itself will always fall between the two. The counter-

point thereby teases the eye, our vision diffracts.

Installation Deep in The Wood dans le Parc du Château de

Seneffe, 2010. Photo : Thierry de Mey.

THIERRY DE MEY - 31

Extrait du film La Valse, 2010 (compagnie

Thomas Hauert/ZOO).

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32 - THIERRY DE MEY

Une extraordinaire

capacité à susciter,

à créer et saisir

le mouvement dans

toute sa profondeur.

D’un ballet de William Forsythe à Kinshasa en

passant par les rues de Gibellina en Sicile, le

dispositif interactif de From Inside densifie le flux

de la danse.

POLYPHONIES NARRATIVESfocus par Camille Guynemer

Les trois écrans géants du dispositif interactif de projection sont installés à hauteur d’homme dans

une salle noire au plafond bas. Sur ces écrans peuvent être diffusées les séquences du formidable

Thematic Variations de William Forsythe aussi bien que celles de Sicilia : Vie di Gibellina (2006), une cho-

régraphie émouvante de Manuela Rastaldi dans des rues d’une cité détruite de Sicile. Thierry de Mey

propose également un voyage coloré au cœur de Kinshasa, ville en mouvement. Le public choisit ce qu’il

veut voir en pénétrant dans un trait de lumière projeté par intermittence sur le sol. On discute des

séquences à suivre, on rit des erreurs de ceux qui rediffusent une séquence déjà vue. Mais lorsque

le choix est fait, le voyage est assuré. Les danseurs de ces rues siciliennes sans maisons courent, se croi-

sent, se recroquevillent. Ils se trouvent sans se voir, se mêlent et se portent dans un élan dramatique.

Dans une vaste salle, les interprètes de William Forsythe courent, bondissent, frémissent autour de

tables qui leur servent à la fois d’entraves et de supports. Au détour d’un mouvement, un gros plan

sur l’un d’eux s’enchaîne à une vue panoramique… La caméra suit toutes ces évolutions sans jamais

en perdre le fil. De près, comme si elle était danseuse elle-même, ou de loin, pour montrer l’ensemble

des axes de circulation du ballet. Les images coulent avec virtuosité, unissant la vitesse des déplace-

ments à l’intensité expressive du moindre geste. Ce que l’on voit crie l’effroi du village détruit ou empor-

te par sa précision et son énergie.

Ajouté aux chorégraphies, le jeu des écrans multiples densifie le discours. Il permet de riches polypho-

nies narratives et offre d’intenses points de rencontres. Un danseur apparaît sur l’écran de gauche, deux

autres marchent sur celui de droite. Chacun évolue dans un sens opposé en deux mondes parallèles.

Notre attention redouble. En un geste, les trois se retrouvent au même endroit sur l’écran du centre qui,

comme si de rien n’était, étend son image à ses voisins en élargissant progressivement son champ. Ici,

caméras et écrans séparent et unissent, chamboulent les distances, les espaces, les trajectoires… Ils

tournent en contrepoint autour du mouvement des corps qui, lui, conserve une infaillible continuité. Ces

trois écrans permettent également de faire surgir de stupéfiantes perspectives. Ce sont des aligne-

ments de tables, des rues désertes sans obstacles, des paysages grandioses et colorés… Les danseurs

de Manuela Rastaldi évoluent sur de vertigineux fonds de cieux et de feux tandis que ceux de William

Forsythe se déploient dans un immense espace industriel clos aux allures de cathédrale. L’ensemble de

ces élans visuels nourrit en permanence le mouvement central. Ils le complètent, le font respirer. Ils

amplifient son aura. Thierry de Mey donne à son installation un vocabulaire et une syntaxe d’une riches-

se fabuleuse. La vie des mouvements qu’elle raconte possède un rythme, un souffle irrésistible.

A la faveur d’un autre choix du public, le dispositif nous plonge maintenant dans les sons de la ville de

Kinshasa. La caméra et les perspectives s’assagissent. On passe des mouvements de la danse à ceux de

la vie quotidienne dans une douce chorégraphie de regards et de sourires. On rencontre « Fabrice, un

rappeur sourd et muet, et Dinozord, son pote », on déambule au marché, on assiste à un bal… Sur une

petite place de quartier, quatre jeunes femmes vêtues de costumes improvisés dansent au son d’un

orchestre improbable. Leurs évolutions fascinent, leurs déhanchements renversent. Il n’y a rien à ajou-

Page 35: CECN Thierry De Mey couvertures - Mouvement · attachée de production, Hélène Dubois -, Vincent Delvaux et le TAP - Scène nationale de Poitiers. THIERRY DE MEY - 5 MOUVEMENT INTÉRIEUR

THIERRY DE MEY - 33

ter. Thierry de Mey laisse se dérouler ce ballet grandiose presque sans bouger la caméra. Au-delà du jeu,

des contrastes et de sa volonté de nous faire « vivre la danse de l’intérieur de l’espace dansé », le com-

positeur montre son extraordinaire capacité à susciter, à créer et saisir le mouvement dans toute sa pro-

fondeur. De la poésie pure.

NARRATIVEPOLYPHONIESreview by Camille Guynemer

Flowing from a ballet by William Forsythe in Kinshasa to the streets of Gibellina in Sicily, the interac-

tive production From Inside widens the expressive range of dance. The three giant screens of the

interactive projection are fixed at head height in a darkened room with low ceiling. Onto these

screens are projected clips from Thematic Variations by William Forsythe or from Sicilia : Vie di

Gibellina (2006), a moving choreography by Manuela Rastaldi in the streets of a devastated sicilian

town. Thierry de Mey also offers us a colourful journey to the heart of Kinshasa, city in motion. The

audience chooses what they wish to see by standing within a shaft of light projected intermittently

onto the floor. The screen layout provides a rich context for narrative polyphonies and intense

encounters. A dancer appears on the left-hand screen, two others cross the one on the right.

Cameras and screens separate and merge, turning in counterpoint around the movement of bodies,

a movement which maintains its unerring continuity. Beyond the layout and his intention to make us

“experience dance from within the dance arena”, the composer reveals his extraordinary ability to

create and capture movement in all its richness.

Dispositif From Inside, à Dijon en 2009. Photo : Thierry

de Mey.

Extraits du film Kinshasa : ville en mouvement, 2007.

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Avec Thierry de Mey, tout est affaire de mouvement. Aussi, quand, en 2002, sa série de Musiques de

geste se tait – au sens littéral du terme : l’exécution de Silence must be! se déroule dans un silence

complet, il n’y a plus un son, seulement un chef d’orchestre qui, seul en scène, bat pour le public une

polyrythmie proliférante, comme une machine bien huilée qui s’emballerait dans le vide –, l’aspect

musical de sa recherche artistique semble être dans l’impasse.

« A la sortie de ce travail, se souvient-il, j’ai eu le sentiment d’avoir touché du doigt une question essen-

tielle pour moi, d’avoir atteint ce point limite où le geste musical – qui a pour objet de produire du son

avec le moins de perdition d’énergie possible – cesse d’être fonctionnel et devient chorégraphique –

donc susceptible de mettre en branle une musique de la musique, un mouvement musical dans la tête

des auditeurs-spectateurs. J’étais arrivé au bout de ce parcours qui avait commencé avec Hands, puis

Musique de tables et je ne savais pas comment passer à autre chose. Quand on a atteint la page

blanche, le tableau blanc – cette fascination pour le trou noir que tous les arts portent en eux, à leur

manière, comme une tentation – comment le dépasser ? » Silence must be! est à bien des égards un

point de non-retour, qui s’accompagne d’un long moment de doute. Une fois la musicalité rendue au

geste lui-même – jusqu’à le priver du son afférent – une fois le geste réhabilité dans sa musicalité

propre, que faire ? Thierry de Mey envisagera même sérieusement l’abandon pur et simple de la com-

position, pour se consacrer entièrement à son travail de cinéaste.

C’est alors qu’il rencontre l’un des réalisateurs en informatique musicale de l’Ircam, Laurent Pottier,

alors au GMEM de Marseille. Laurent Pottier a vu Silence must be! et lui conseille d’aller voir du côté

L’INFORMATIQUEDU MOUVEMENT

La rencontre des technologies de l'informatique

musicale a orienté dans une nouvelle direction le

travail de composition de Thierry de Mey, depuis

toujours attiré par la multitude des interactions

possibles entre écriture et son.

analyse par Jérémie Szpirglas

Page de gauche : Jean Geoffroy dans Light Music

lors du festival Court toujours à Poitiers en 2005.

Photo : Arthur Péquin, 2011.

THIERRY DE MEY - 35

« Ce qui m’intéresse,

c’est la manière dont

ces nouveaux outils

ouvrent des brèches

dans nos pratiques. »

Page 38: CECN Thierry De Mey couvertures - Mouvement · attachée de production, Hélène Dubois -, Vincent Delvaux et le TAP - Scène nationale de Poitiers. THIERRY DE MEY - 5 MOUVEMENT INTÉRIEUR

des technologies de captation du geste. Ces technologies, qui tâtonnent depuis les années 1980, com-

mencent à l’époque à donner quelques résultats – notamment grâce à la croissance exponentielle de

la puissance des ordinateurs.

« D’une certaine manière, cette rencontre avec ces nouvelles technologies d’informatique musicale a

été salvatrice. » En ouvrant de nouveaux horizons au rapport entre musique et mouvement, en faisant

de l’interprète le générateur – en même temps que le manipulateur – du son électronique, en conser-

vant à la musique cet aspect cinétique essentiel à ses yeux, la captation de geste a débloqué un pro-

cessus créatif alors à l’arrêt. Et c’est ainsi qu’est né le projet Light Music.

Création commune de trois hommes – Thierry de Mey, bien sûr, mais aussi Christophe Le Breton, ingé-

nieur au GRAME de Lyon, et le percussionniste Jean Geoffroy –, Light Music désigne autant la pièce

elle-même que l’outil développé pour l’occasion : un instrument à part entière, qui allie capteurs de

mouvement (accéléromètres et gyroscopes placés sur les poignets de l’interprète), reconnaissance

vidéo du geste (notamment grâce à un « mur de lumière » qui agit comme un interrupteur on/off : si

les mains de l’interprète sont en mouvement dans la lumière, l’ordinateur génère et/ou module les

sons, sinon, il est inerte) et projection vidéo.

Il y a ainsi un petit côté « J’en ai rêvé, l’informatique musicale l’a fait » dans les rapports qu’entretient

Thierry de Mey avec la technologie. L’arrivée des premiers séquenceurs, qui lui évite de découper les

bandes à la main, constitue pour lui une vraie joie. Puis, à l’heure des premiers balbutiements de l’écri-

ture spectrale, le jeune compositeur s’y attelle avec enthousiasme – mais de manière parfaitement

artisanale : il va même jusqu’à dessiner une gigantesque courbe logarithmique des fréquences sur les

murs de son salon, tapissés de papier millimétré pour repérer partiels et autres harmoniques. Le cal-

cul d’une simple progression harmonique lui prend la moitié du temps de composition de son premier

Quatuor à cordes. Aussi, lorsqu’il arrive à l’Ircam pour travailler sur Amor constante más allá de la muer-

te avec Anne Teresa de Keersmaeker, la puissance de calcul des ordinateurs est pour lui une bénédic-

tion. « C’était mon premier séjour dans ce grand magasin, se souvient-il avec une lumière enfantine

dans la voix, et j’y découvrais tous ces jouets merveilleux. »

Il ne faut pas négliger en effet l’attitude foncièrement ludique avec laquelle Thierry de Mey aborde ces

diverses technologies – qu’elles offrent une aide informatisée à la composition ou des traitements en

temps réel de la matière sonore. « Ce qui m’intéresse, c’est la manière dont ces nouveaux outils ouvrent

des brèches dans nos pratiques. Face à un nouvel objet, mon premier réflexe est de jouer avec, pour tes-

ter ses limites, et voir jusqu’où il va m’emmener. »

Et, comme toujours chez de Mey, la clef de compréhension est invariablement le mouvement : un objet,

qu’il soit artistique ou informatique, n’est exploitable que s’il résiste à la confrontation avec le geste –

celui du danseur ou du musicien, ou même celui du spectateur (comme ce sera le cas dans l’installa-

tion From Inside, qui livrera au public l’instrument développé pour Light Music, en y ajoutant une peti-

te épice venue des jeux vidéos). « Avec le mouvement, tout est synthétique : mélodie, harmonie et ryth-

me ne sont pas envisagés comme des entités distinctes. Un mouvement se passe dans l’espace et le

temps, dans le mental et le corps. Et c’est par le biais du mouvement que j’aborde jusqu’aux aspects les

plus strictement musicaux de mon travail : mouvement de zoom, de courbe, d’accélération… »

Kinok, musique de ballet pour ensemble instrumental (sans électronique), s’ouvre ainsi comme un tra-

velling arrière : partant d’un gros plan sur un son multiphonique de hautbois, on élargit le cadre en

répartissant le spectre de ce son aux clarinettes, puis en l’éclatant au reste de l’ensemble orchestral,

vents et cordes. « Le son est immobilisé, gelé (pour mieux l’analyser), puis projeté sur des durées musi-

cales plus ou moins longues pour en faire des lignes qui peuvent évoluer dans le temps. Dans cette

pièce, nous avons en outre imaginé d’associer chaque instrument à un danseur sur scène – et la torsion

temporelle se reproduit ainsi dans la chorégraphie. Dans Tippeke, le principe sera plus ou moins le

même, en partant cette fois de la voix d’Anne Teresa qui chante une comptine flamande. Je l’ai même

élargi grâce au geste cinématographique : m’emparant de sons naturels, que je filtre très finement et

précisément, j’en joue selon des techniques empruntées au lexique propre du cinéma. » Cette démarche

préhensible et ludique présente toutefois des dangers bien réels : on peut, d’une part, tomber dans le

piège de la démo, où la présentation des possibilités d’un outil se substitue au projet artistique, et,

36 - THIERRY DE MEY

Partition pour Silence must be!, 2002.

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d’autre part, on risque une uniformisation de l’esthétique. « Il faut savoir dépasser la technologie, mar-

tèle Thierry de Mey, ne pas faire l’économie de ce moment où l’on rêve – où l’œuvre est librement men-

talisée, affranchie de toutes contingences technologiques ou techniques. On constate aujourd’hui

combien les artistes ont tendance à faire l’impasse sur cette étape, au cinéma surtout : le numérique

permet de filmer des heures et des heures – alors qu’auparavant, avec du film argentique, on pensait

bien en amont ses plans et son story-board. »

« J’observe d’ailleurs, ajoute-t-il, que les concepts d’informatique musicale eux-mêmes mettent beau-

coup plus de temps à se mettre en place que les technologies : nous travaillons aujourd’hui peu ou prou

avec les mêmes processus qu’il y a quarante ans – nous les réalisons plus facilement, mais ce sont exac-

tement les mêmes. Les nouveaux concepts sont excessivement rares. » Chez Thierry de Mey, au contrai-

re, l’outil informatique sait parfois s’effacer tout à fait. Equi Voci, par exemple, permet de réguler

le rythme d’écoulement d’un film pour l’adapter au temps musical – sans contraindre le tempo et les

musiciens (qui jouent en direct) au sein d’une structure temporelle trop rigide. Mêlant suivi de parti-

tion, calcul instantané du tempo et modulation vidéo, le but de ce procédé est justement d’être indé-

tectable par le spectateur.

A ses yeux, l’informatique – et notamment l’informatique musicale – représente ainsi une interface,

avant toute autre chose. Interface entre le compositeur et le son, entre l’interprète et le son, entre le

geste et la musique – comme dans Light Music –, entre le public et l’œuvre. Et, pour cet artiste en

constante recherche de pluridisciplinarité, l’informatique devient une réponse à son besoin d’interac-

tion entre les disciplines : « Je sais d’expérience que si l’on additionne simplement les couches, sans les

unir d’une quelconque manière, ces couches s’annihilent ou entrent en compétition. Je crois à l’art com-

plet plus qu’à l’art total, à l’interpénétration des disciplines plus qu’à leur juxtaposition. »

INFORMATION TECHNOLOGY FOR MOVEMENTanalysis by Jérémie Szpirglas

With Thierry de Mey, everything is a question of movement. Therefore, when in 2002 his series of

Musiques de geste drew to a close, the musical side of his artistic research seemed to be facing an

impasse. Thierry de Mey even seriously considered abandoning composition altogether in order to

devote himself entirely to his work as filmmaker. It was then that he met one of his producers in

musical I.T. at Ircam, Laurent Pottier, then based at GMEM in Marseille. Laurent Pottier had seen

Silence must be! and advised him to take a look at movement capture technologies. At the time

these technologies were starting to produce some results – notably thanks to the exponential

growth of more powerful computers. By opening new horizons linking music and movement, by

making the interpreter the generator – as well as the manipulator – of electronic sound, by safe-

guarding this kinetic aspect so essential in his eyes, motion capture released a creative process that

had been at a standstill. And that is how the Light Music project saw the day.

Light Music describes the production itself as well as the tool developed for its creation : an ’instru-

ment’ in its own right. And as it is always the case with de Mey, the key to its comprehension is inva-

riably movement: an object, whether artistic and musical or computerised, can only be exploited if

it survives the confrontation with gesture – that of the dancer or musician, or even that of the spec-

tator. Information technology – and especially musical I.T. – therefore represents for Thierry de Mey

an interface before anything else. And, for this artist in constant search of multidisciplinary expres-

sion, information technology becomes a response to his need for interaction between the disciplines.

« Je crois à l’art

complet plus

qu’à l’art total,

à l’inter-pénétration

des disciplines

plus qu’à leur

juxtaposition. »

THIERRY DE MEY - 37

Kinok, 1994. Photo : Herman Sorgeloos.

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Les tableaux noir et blanc en suspension de la série Rémanences de Thierry de Mey se fixent sur la

rétine du spectateur comme la silhouette des danseurs et des circassiens qui les composent sur le

verre dépoli leur servant de toile. Dans des gestuelles douces, des empreintes se forment et se

déforment, montent ou descendent, se meuvent dans des chorégraphies alanguies, effectuant des

impressions de mouvement troubles, épidermiques et contrastées. Au milieu de cette scénographie

sensuelle, où chaque tableau semble entrer en résonance avec l'autre, un long panneau, dit du

Plongeur, stimule encore davantage l'attention dans son éloge ectoplasmique de la chute.

Pour Rémanences, les corps filmés par Thierry de Mey ont été spectralisés suivant un procédé de

captation par caméra thermique au mercure qui renvoie à l'imagerie médicale autant que militaire.

Le choix d'utiliser un outil ainsi connoté dans une perspective artistique apparaît clairement comme

un choix politique. Mais il ouvre aussi – et surtout – une brèche poétique dans le champ des nou-

velles technologies, plaçant le spectateur devant des corps qui impriment leur surprenante intimité

en même temps que leur fragilité temporelle.

C'est alors qu'il effectuait des essais pour son film Prélude à la mer avec une caméra infrarouge que

l'idée du projet a jailli dans l'esprit de Thierry de Mey. Sa pièce Light Music proposait déjà une

réflexion algorithmique autour de la captation de mouvements mais avec Rémanences une nouvel-

le écriture corporelle est expérimentée.

Placées derrière un écran de cinéma ou au contact d'un tissu, seules ou accolées, descendant avec

EMPREINTESTHERMIQUES

Rémanences : phénomènes qui continuent à

émettre même si leur source est absente. Un

processus d’apparition et de métamorphose que

Thierry de Mey a placé au cœur de sa réflexion

artistique actuelle, notamment à travers la série

de tableaux filmés du même nom, questionnant

la notion de trace et de mémoire dans la mise en

scène évanescente et intime des corps.

focus par Laurent Catala

THIERRY DE MEY - 39

Avec Rémanences,

une nouvelle écriture

corporelle est

expérimentée.

Page de gauche : Manuela Rastaldi dans Rémanences,

2010. Photo : Thierry de Mey.

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une infinie précaution le long d'une corde, les silhouettes humaines révèlent à la caméra de surpre-

nantes anthropométries. Leurs corps entrent littéralement en rémanence thermique et laissent une

empreinte visible de trente à quarante secondes sur l'espace de contact. Un véritable ballet calligra-

phique se crée alors : les parties chaudes du corps des danseurs impressionnent davantage l'image,

tandis que les zones froides, moins irriguées par les flux sanguins, semblent s'évanouir. Les souffles,

humides et chauds, apparaissent d'abord en blanc avant de virer au noir lorsque la vapeur

se condense et devient froide.

Dans Rémanences, Thierry de Mey exploite totalement la notion de surgissement, laissant à sa

caméra le soin de saisir la magie de l'instant, usant de la verticalité des plans pour happer les détails

du geste, procédant au final à peu d'ajouts d'effets, à l'exception de quelques séquences en boucle

et de l'étirement des sons sur une partition musicale conférant à chaque tableau une identité propre

supplémentaire. Le choix de faire appel à des artistes circassiens se retrouve dans ce principe, où la

pureté, la rigueur dans le mouvement, l'économie du geste, s'articulent au mieux à ces esquisses

projetées dans notre imaginaire.

Dans cette esthétique presque métaphysique tant elle paraît sans limites, les références picturales

se font et se défont. Les corps anamorphosés de Bacon, les anthropométries de Klein, les idéo-

grammes de Michaux, l'estampe du Baiser de la pieuvre d'Hokusai croisent autant l'œuvre funéraire

antique de La Fresque de la tombe du plongeur, la forme allongée du Christ dans son Saint-Suaire,

que les manifestations vaporeuses et éthérées plus actuelles des personnages flottants de Kurt

Hentschläger ou l'éloge de la lenteur des chorégraphies de Myriam Gourfink.

Surtout, Rémanences questionne cette notion de trace, de mémoire, et par là même de pérennisa-

tion des œuvres, notions qui intéressent de plus en plus Thierry de Mey. Imaginée au départ comme

une pièce chorégraphique, Rémanences a été ramenée par la force des expériences à ses trames les

plus simples et expressives. Toutefois, la porte reste ouverte pour de nouvelles réflexions, de nou-

velles impressions, qu'elles prennent la même forme d'empreintes thermiques (autour de la capta-

tion du déplacement de spectateurs, par exemple), ou qu'elles se gravent dans le marbre comme ces

spectrogrammes de chants de merle dans sa récente installation L'Ombre du chant.

THERMAL IMPRINTSreview by Laurent Catala

Remanences: Phenomena that continue to emit energy even if their source is absent. A process of

apparition and metamorphosis that Thierry De Mey has set at the heart of a series of filmed scenes,

exploring the notion of traceability and memory in the evanescent and intimate stage direction of

the human form. With gentle movements, imprints are formed and dissipate, rise and fall, moving

across languid choreographies. In order to produce Rémanences, the persons filmed by Thierry de

Mey were “phantomised” by a process of motion capture using a thermal mercury camera.

It was whilst carrying out trials for his film Prélude à la mer with an infrared camera that Thierry de

Mey suddenly had the idea for this new project. His Light Music production had already proposed an

algorithmic exploration of motion capture, but with Rémanences, it is truly a new physical script

which is being exploited. The human silhouettes reveal to the camera a surprising anthropometry:

their bodies literally enter into thermal remanence and leave a visible imprint for thirty to forty

seconds on the contact space. A truly calligraphic ballet is thereby created: the warmer parts of the

dancers' bodies give greater emphasis to the image, whilst colder parts appear to evaporate.

Within this aesthetic approach that is almost metaphysical in its apparent limitlessness, pictorial refe-

rences appear and disappear. The anamorphosis of Bacon's human forms, the anthropometry of

Klein, Michaux's ideograms, the imprint of Hokusai's Baiser de la pieuvre [The Kiss of the Octopus], are

merged both with the ancient funeral piece La Fresque de la tombe du plongeur, the prostrate form

of Christ in His Holy Shroud, as well as the more recent vaporous and ethereal expressions of floating

La porte reste

ouverte pour de

nouvelles réflexions,

de nouvelles

impressions.

40 - THIERRY DE MEY

Silvana Suarez Cedeño dans Rémanences, 2010. Photo :

Thierry de Mey.

Page 43: CECN Thierry De Mey couvertures - Mouvement · attachée de production, Hélène Dubois -, Vincent Delvaux et le TAP - Scène nationale de Poitiers. THIERRY DE MEY - 5 MOUVEMENT INTÉRIEUR

characters by Kurt Hentschlager or the eulogy to slowness in Myriam Gourfink's choreographies.

Above all, Rémanences questions the notion of traceability, of memory, and thereby of the longevi-

ty of theatrical works which is of increasing interest to Thierry de Mey. Conceived initially as a cho-

reographic work, Rémanences has been reduced by dint of experience to its simplest and most

expressive themes. But the door remains open for further reflection or new impressions, whether

taking the same form of thermal imprints (using motion capture of audience displacement for

example), or being engraved in marble like his spectrograms of blackbird song in his recent installa-

tion L'Ombre du Chant.

THIERRY DE MEY - 41

Les Phalènes avec Yoann Boyer dans Rémanences, 2010.

Photo : Thierry de Mey.

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Du 11 décembre 2010 au 16 janvier 2011, la friche B.P.S.22 de Charleroi accueillait une exposition dédiée

aux travaux de Thierry de Mey, qui donnait l’occasion au néophyte de se familiariser avec l’univers du

compositeur et réalisateur, dont les collaborations avec Anne Teresa de Keersmaeker ou encore William

Forsythe constituent sans doute la part la plus connue. Entre installations et vidéos, le visiteur pouvait

ainsi savourer l’intimité d’une relation fusionnelle entre danse et cinéma, entre corps et caméras, que

déployait une multitude d’espaces-temps distincts dans une puissante mise en abîme. Simultanément,

une autre partie du travail de Thierry de Mey s’offrait au public : trois labyrinthes occupaient le rez-de-

chaussée de l’espace d’exposition, comme autant d’invitations à rompre avec la surface picturale pour

devenir acteurs d’un processus qui fait œuvre.

La présence et l’espace

Le labyrinthe, dans sa conception traditionnelle, est un agencement de voies de circulation destiné à

perdre ou à ralentir ceux qui auraient l’audace de s’y engager. Du Minotaure à la cathédrale de Chartres,

il a pour vocation de générer un temps et un espace singuliers en bridant la libre circulation des corps

en son sein, et, en limitant leurs déplacements à un ensemble de directions préétablies, de les obliger à

suivre un tracé savamment élaboré. Assimilant cette forme aux floor patterns 1 utilisés par certains cho-

régraphes, Thierry de Mey propose au visiteur de faire l’expérience de plusieurs labyrinthes comme

générateurs de déplacements, sinon de chorégraphies, à l’image de sa Tresse à 4 voies en spirale sur

« cœur de fleur ». Cette œuvre propose en effet un parcours composé de quatre lignes multicolores, cha-

cune devant être arpentée par un visiteur soumis à quelques menues consignes : les participants avan-

cent d’un pas synchrone, mesuré, et laissent la priorité à gauche lors des croisements occasionnés par

L’intimité d’une

relation fusionnelle

entre danse et

cinéma, entre corps

et caméras.

LE LABYRINTHEDES FORMES

Tressages, spirales, tracés et labyrinthes :

cherchant à dialoguer avec les floor patterns

utilisés par les chorégraphes, Thierry de Mey

imagine des dispositifs qui permettent de jouer

avec les notions d’espace et de temps.

analyse par Anthoni Dominguez

42 - THIERRY DE MEY

Page de droite : Trajets de danseurs sur les séries

de Fibonacci pour le projet Barbe Bleue, 1999.

1. Les floor patterns sont des schémas, souvent présentés

sous la forme de plans au sol, composés de tracés qui

représentent les mouvements effectués par les danseurs

durant une chorégraphie.

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le parcours. Quelle que soit la forme que prend ce labyrinthe, il esquisse donc une chorégraphie par la

seule expérience qu’en font les participants. Cette interrogation de l’espace est sans nul doute issue des

nombreuses collaborations initiées par Thierry de Mey, dès le début des années 1980, avec certains cho-

régraphes, dont Anne Teresa de Keersmaeker pour Rosas danst Rosas. Remarquable par la relation d’in-

terdépendance qui unit la musique et la danse, cette chorégraphie minutieusement écrite dévoile

notamment une musique à la recherche d’un corps, d’une spatialité qu’elle trouve par exemple, lors d’un

second tableau, au travers des interprètes déployant une énergie considérable afin de suivre le rythme

binaire qui les écrase avec autorité. De la même manière, en ce qui concerne sa pratique de la vidéo, One

Flat Thing, Reproduced illustre bien les problématiques auxquelles se confronte Thierry de Mey, princi-

palement quand il révèle la complexité mathématique de l’écriture de William Forsythe en filmant la

danse en plongée ou en contre-plongée. Les déplacements des tables et des danseurs ainsi captés révè-

lent sans doute l’essence même de la danse, à savoir l’émergence d’un espace-temps singulier dont la

clef-de-voûte est le corps, sinon la présence.

Sur les pas de nos prédécesseurs

En effet, dans la mesure où le labyrinthe génère des formes au travers des corps en mouvement qui l’ar-

pentent, il génère simultanément un temps qui lui est propre. De la même manière qu’un floor pattern

ne signifie rien s’il ne se confronte pas à une temporalité, de la même manière qu’une main s’écrasant

sur une surface ne produit pas de musicalité si elle n’a pas conscience de la durée dans laquelle le son

produit s’inscrit, le labyrinthe s’affirme au travers du temps. Dans Labyrinthe 3 pétales, le visiteur est invi-

té à arpenter un sentier métallique s’inspirant directement de la croissance des végétaux. Cette œuvre,

construite en labyrinthe rhizomique (c’est-à-dire sans entrée ni sortie, ni sens de circulation ni centre),

invite le participant à suivre un parcours préexistant à son passage. L’expérience de cette trace l’inscrit

dans une temporalité définie par son prédécesseur, et la circularité du parcours confronte la présence

à l’infini, l’éphémère au cycle. Cette inscription de l’instant dans l’éternel, Thierry de Mey la matérialise

notamment dans L’Ombre du chant, installation qui présente le spectre d’un chant de merle gravé dans

de larges plaques de marbre, lesquelles devaient initialement être présentées sous forme de cercle.

L’artiste joue également du rapport compris entre la trace – laissée par l’autre – et sa réactivation. De la

même manière que les enfants s’amusent parfois à marcher dans les empreintes de pas laissées dans la

neige, Top Shot (2002) présente une installation composée d’un tapis de sable blanc sur lequel est pro-

jetée, depuis le plafond, l’image d’Anne Teresa de Keersmaeker dansant elle-même sur un tapis de sable

Le labyrinthe

génère des formes

au travers des corps

qui l’arpentent,

et, simultanément

un temps qui lui

est propre.

44 - THIERRY DE MEY

Labyrinthe « sur l'énième », Parc du Château de Seneffe,

2010. Photo : Thierry de Mey.

Tresse à 4 voies en spirale sur « cœur de fleur », Parc du

Château de Seneffe, 2010. Photo : Thierry de Mey.

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identique. Cet extrait de Fase donne à voir une femme exécutant une danse en spirale, laquelle laisse au

gré de son avancée la marque de son passage. En résulte un cercle traversé par une multitude de lignes

(qui n’est pas sans rappeler un mandala, autre forme labyrinthique), sur lequel le visiteur peut accompa-

gner la projection de la danseuse en retraçant le parcours sur le sable – il se synchronise alors à l’inter-

prète – ou aller à sa guise en faisant fi de la projection, développant de fait un temps qui lui est propre.

La place de l’œil

Ces multiples relations entre différents cadres spatio-temporels reposent, quoi qu’il en soit, sur une

constante propre aux labyrinthes de Thierry de Mey : la participation du visiteur. Dans la tradition

duchampienne, il propose en effet au regardeur d’activer un processus, l’objet n’étant finalement que

l’outil d’une expérience qui fait œuvre. L’implication de visiteurs transformés en acteurs, comme dans la

Tresse à 4 voies en spirale sur « cœur de fleur », modifie la nature de l’expérience comme le statut de

l’œuvre, les installations présentées à B.P.S.22 dépassant largement le cadre de la chorégraphie ou du

dispositif plastique 2. Il est donc possible d’appréhender ce travail au travers du régime de l’esthétique

relationnelle théorisé par Nicolas Bourriaud. Quoi qu’il en soit, Thierry de Mey, autant musicien que

vidéaste, attache une grande importance à la place du public et au point de vue du spectateur. Les laby-

rinthes de l’exposition ne sont pas seulement des dispositifs à activer : ils prennent sens au travers de la

présence de regardeurs qui témoignent, comme le ferait une caméra, du ballet qui se joue devant eux.

Tout est pensé pour être vu de l’extérieur, depuis le dédale en moustiquaire intitulé Labyrinthe « sur

l’énième » jusqu’aux tracés qui composent des labyrinthes sans murs. Ici, l’artiste détruit la frontalité de

la surface picturale en invitant le regardeur à devenir participant, puis il la reconstitue simultanément

sur un autre plan, en offrant une lucarne sur le spectacle qui se joue. Cette superposition permet au visi-

teur de choisir son point de vue, son statut comme celui de l’œuvre, avec toutes les nuances que cela

autorise (comme lorsque le regardeur tourne autour du Labyrinthe « sur l’énième » pour ne pas perdre

de vue le participant qui s’y est engagé). Si le labyrinthe traditionnel a pour vocation de générer un espa-

ce et un temps singuliers intra-muros, le labyrinthe de Thierry de Mey agit au-delà de ses propres fron-

tières et produit de ce fait une multitude de formes. A la fois spectateur et acteur, le visiteur endosse le

rôle de vidéaste en expérimentant une multitude de cadrages, de distances focales et de positions vis-

à-vis de la caméra.

THE LABYRINTHOF CONFIGURATIONS review by Anthoni Dominguez

From 11th December 2010 to 16th January 2011 the industrial zone B.P.S.22 in Charleroi was host to an

exhibition dedicated to the work of Thierry de Mey, which gave neophytes the opportunity to disco-

ver the universe of this composer and director. Three labyrinths extended across the ground floor of

this exhibition area, invitations in themselves to break with the pictorial surface to become actors

within a creative process. The labyrinth, in its traditional concept, is an arrangement of winding paths

designed to slow down or strand those who should be bold enough to enter. Thierry de Mey offers the

visitor the chance to experience several labyrinths as generators of movement, along the lines of his

production Tresse à 4 voies en spirale sur "cœur de fleur" which introduces a trail comprising four multi-

colored lines, each of which should be followed by the visitor who must respect a few basic instruc-

tions (maintain a steady pace, give way to the left where the trail leads to crossroads). As for the "3

petals" Labyrinth, shaped in the form of a rhizome (in other words without entrance or exit, without

signposts or centre), it invites the participant to follow a trail established before he entered.

The exhibition labyrinths are not merely mechanisms to be activated : they take on meaning through

the presence of onlookers who witness, as would a camera, the ballet being performed before their

eyes. Everything is designed to be seen from the outside, from the maze of mosquito nets entitled

Labyrinthe "sur l’énième" to the trails of the labyrinths without walls. Both spectator and actor at the

same time, the visitor assumes the role of a video director faced with a plethora of frames.

Cynthia Loemij et Mark Lorimer sur le Labyrinthe 3

pétales, Parc du Château de Seneffe, 2010. Photo :

Thierry de Mey.

L’artiste détruit la

frontalité de la

surface picturale en

invitant le regardeur

à devenir participant.

2. De même, From Inside, dispositif de projection réalisé en

2007, donne à voir dans l'un de ses tableaux le dédale

construit par Alberto Burri sur les ruines de Gibellina

(Grande Cretto), au sein duquel sept danseurs évoluent, le

spectateur pouvant s'y déplacer de manière interactive.

THIERRY DE MEY - 45

Labyrinthe 3 pétales, au B.P.S.22 de Charleroi, 2010.

Photo : C.I.

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TRANS-EUROPE-EXPRESStexte par Anthoni Dominguez

Initié au début des années 1990 par la Commission européenne, le programme Interreg fait

partie de ces projets de coopération paneuropéens relativement méconnus des ressortissants

de l’Union européenne, quand bien même il participe significativement, depuis plus de vingt ans,

au rapprochement entre les différents pays membres. Ce Programme d’Initiatives Communautaires

(PIC) recouvre en effet de nombreux projets transfrontaliers, transnationaux ou interrégionaux,

sur l’ensemble du continent, les principaux objectifs étant le développement économique des ter-

ritoires visés, de leurs identités transfrontalières, mais aussi le renforcement du sentiment d’appar-

tenance à un espace commun ou la dynamisation de la gestion conjointe du territoire. Pour

sa quatrième édition, couvrant les années de 2007 à 2013, Interreg a notamment révélé le poten-

tiel de coopération de la région France-Wallonie-Vlaanderen, coopération qui a vu cet espace se

doter de structures et institutions désormais incontournables telles que le festival Next, Cobalt

ou le Centre des Ecritures Contemporaines et Numériques. A la croisée de l’économie, de l’écolo-

gie, de la culture et des sciences, Interreg IV poursuit les initiatives initiées lors des précé-

dentes sessions.

Si l’un des volets d’Interreg III (2000-2006) a été mis en œuvre sur les territoires adjacents à la fron-

tière franco-belge, il a divisé son action en trois sections : Nord/Pas-de-Calais/Flandre occidenta-

le, Hainaut/Nord-Pas de Calais/Picardie et Wallonie/Champagne-Ardenne. Une majeure partie

des collaborations qui ont alors vu le jour ont été rassemblées dans le cadre du quatrième opus,

et c’est précisément dans ce cadre que le CECN a développé ses activités, s’attachant à la promo-

tion des nouvelles technologies et au soutien à la création numérique appliquée aux arts

de la scène. Constitué durant Interreg III comme un espace de collaboration entre le Manège

(Mons et Maubeuge) et TechnocITé, le centre a très tôt servi de trait d’union entre ces institutions,

mettant notamment sur pied une formation professionnelle absente de leurs compétences

initiales. De son volet pédagogique jusqu’aux résidences proposées, le CECN a su affirmer son

unicité sur la scène européenne avec des collaborations très remarquées, dont De deux points

de vue de Michèle Noiret ou Eclats fluides de Fred Vaillant et Todor Todoroff. Depuis le lancement

d’Interreg IV, le CECN s’est transformé en CECN2 afin d’établir de nouveaux partenariats avec Danse

à Lille/CDC, Charleroi/Danses, le studio Le Fresnoy, ou encore ArtZoyd (Valencienne), affirmant

ainsi son caractère transfrontalier et la nécessité d’élargir les champs de la recherche artistique

liée aux nouvelles technologies. Qu’il s’agisse de résidences, de séminaires ou de workshops, tout

est fait pour qu’artistes et chercheurs disposent de moyens matériels et théoriques à la hauteur de

leurs ambitions.

Tout est fait pour

qu’artistes et

chercheurs disposent

de moyens matériels

et théoriques à la

hauteur de leurs

ambitions.

Grâce au programme Interreg d’Initiatives

Communautaires, le CECN a pu, avec d’autres

partenaires transfrontaliers, soutenir la création

numérique appliquée aux arts de la scène.

46 - THIERRY DE MEY

Page 49: CECN Thierry De Mey couvertures - Mouvement · attachée de production, Hélène Dubois -, Vincent Delvaux et le TAP - Scène nationale de Poitiers. THIERRY DE MEY - 5 MOUVEMENT INTÉRIEUR

Ainsi, la collaboration avec Charleroi/Danses a-t-elle donné le jour à Rémanences, œuvre désor-

mais célèbre de Thiery de Mey dont la production unissait le Centre chorégraphique

de la Communauté française de Belgique, Le Manège - Mons/TRANSDIGITAL et

TechnocITé/TRANSDIGITAL. Cette pièce intégrant des caméras thermiques, lesquelles sont large-

ment utilisées à des fins militaires, a ainsi témoigné des glissements possibles – et souhaitables –

entre des champs qui s’ignorent ou s’opposent traditionnellement, accouchant de la sorte d’un uni-

vers unique. De la même manière, le laboratoire Light Music a permis à Thierry de Mey, Jean

Geoffroy et Christophe Lebreton de réécrire la partition de la pièce Light Music, et de la retrans-

mettre à un ensemble de percussionnistes afin de la diffuser internationalement. Tout ceci montre

à quel point Interreg IV poursuit ses vocations initiales en décloisonnant les espaces géogra-

phiques, culturels et identitaires, ainsi que les différentes disciplines artistiques qui peuvent s’y ins-

crire. Ce Programme d’Initiatives Communautaires, pour lequel le budget s’élève à 276 millions d’eu-

ros pour la seule zone France-Wallonie-Vlaanderen, démontre en ce sens que l’Europe se construit

à mesure qu’elle se cherche, à l’heure où la question d’une culture transnationale devient cruciale

face à l’essor des nationalismes.

TRANS-EUROPE-EXPRESStext by Anthoni Dominguez

Initiated in the early 1990s, the Programme for Interregional Communal Initiatives has helped

strengthen ties between its different member states via a number of cross-border, internatio-

nal or interregional projects. Now in its fourth edition, covering the period from 2007-2013,

Interreg has notably revealed the potential for cooperation between the region of France-

Wallonia-Flanders.

It is precisely within this geographical context that The Centre for Contemporary Digital Scripts

(CCDS) has developed its activities, focusing on the promotion of new technologies and the sup-

port of digital productions in the domain of theatrical arts. CCDS has established new partner-

ships with Danse in Lille/CDC, Charleroi/Danses, Le Fresnoy studio and also ArtZoyd (Valen-cien-

ne), thereby stressing the importance of enlarging artistic fields of research linked to new tech-

nologies. Whether it is a case of residentials, seminars or workshops, everything is done so that

artists and researchers have access to the practical and theoretical tools that match their ambi-

tions. In this way, the collaboration with Charleroi/Danses led to the making of Rémanences, the

now famous work by Thierry de Mey which involved in its production the Choreographic Centre of

the French community of Belgium, The Manège - Mons/TRANSDIGITAL and TechnocITé/TRANSDI-

GITAL. Moreover, the Light Music laboratory enabled Thierry de Mey, Jean Geoffroy and Christophe

Lebreton to rewrite the score for the Light Music composition and to transfer it to a percussionist

ensemble to reach an international audience. All of which indicates to what extent Inter-Reg IV is

pursuing its initial mandate by enlarging the geographical, cultural and local boundaries, and the-

reby making room for other disciplines to express themselves. This Programme for Communal

Initiatives, with a budget of 276 million Euros just for the region of France-Wallonia-Flanders,

demonstrates that Europe is established to the extent that it seeks its identity, at a time where the

question of transnational culture becomes crucial in the face of increasing nationalistic expres-

sion for other disciplines to express themselves. This Programme for Communal Initiatives, with a

budget of 276 million Euros just for the region of France-Wallonia-Flanders, demonstrates that

Europe is established to the extent that it seeks its identity, at a time where the question of trans-

national culture becomes crucial in the face of increasing nationalistic expression.

Le Manège. Photo : Marie-Noëlle Dailly.

La passerelle de l'espace des possibles (La Maison Folie

au Manège). Photo : Rino Noviello.

THIERRY DE MEY - 47

La Raffinerie : antenne bruxelloise de Charleroi/Danses.

Photo : Charleroi/Danses.

Page 50: CECN Thierry De Mey couvertures - Mouvement · attachée de production, Hélène Dubois -, Vincent Delvaux et le TAP - Scène nationale de Poitiers. THIERRY DE MEY - 5 MOUVEMENT INTÉRIEUR

ŒUVRES MUSICALES

Pour pièces chorégraphiques

et scéniques

1983 Rosas danst Rosas en collaboration avec Peter

Vermeersch ; chorégraphie : Anne Teresa de

Keersmaeker

1984 Balatum ; chorégraphie : Michèle Anne de Mey

1987 What The Body Does Not Remember en collaboration

avec Peter Vermeersch ; chorégraphie : Wim

Vandekeybus

1989 Les Porteuses de mauvaises nouvelles ;

chorégraphie : Wim Vandekeybus

1990 Le Poids de la main en collaboration avec Peter

Vermeersch ; chorégraphie : Wim Vandekeybus

1994 Kinok ; chorégraphie : Anne Teresa de Keersmaeker

1994 Amor constante más allá de la muerte ;

chorégraphie : Anne Teresa de Keersmaeker

1996 Tippeke ; chorégraphie : Anne Teresa de

Keersmaeker

1997 Silver (7 for a secret never to be told) ;

chorégraphie : Wim Vandekeybus

1998 Danton's Töd ; mise en scène : Bob Wilson

1998 Ennesima ; chorégraphie : Manuela Rastaldi

2002 Water ; chorégraphie : Anne Teresa de Keersmaeker

2002 Loom ; chorégraphie : Manuela Rastaldi

2002 April Me ; chorégraphie : Anne Teresa de Keersmaeker

2004 Landscape 1 à 4 ; chorégraphie : Manuela Rastaldi

Musique de gestes

1983 Hands pour un percussionniste et deux danseurs

1987 Musique de tables pour trois percussionnistes

2002 Silence must be! pour chef solo

2004 Light Music pour un chef solo (projections et

dispositif interactif)

Musique concertante

94-95 Concerto pour violon et ensemble

Musique instrumentale d'ensemble

1990 Frisking pour six percussionnistes et cinq vents

1990 Poses pour ensemble

1993 Amor constante pour cor anglais solo, deux pianos,

deux clarinettes et contrebasse

1994 Kinok pour hautbois et ensemble (deux pianos et

célesta, quatuor à cordes et deux clarinettes en si b)

Musique de chambre

Cinq pièces créées pour Maximalist!

1983 Habanera en collaboration avec Peter Vermeersch

(final de Rosas danst Rosas) pour deux clarinettes,

quatre saxophones, deux pianos et violoncelle

1984 Balatum pour six percussionnistes sur

instrumentarium non conventionnel (cadre de

piano, miroirs, lame d'acier, etc.)

1984 Palilalie pour deux groupes d'instruments

symétriques

1986 Contre 6 / Tegen zes en collaboration avec Peter

Vermeersch pour deux pianos, deux clarinettes,

trois saxophones et violoncelle avec bande sonore

1989 Palindrome pour huit clarinettes (existe également

une version pour saxophones)

1991 Chaîne pour deux pianos

1991 Ice pour violon et violoncelle

1991 Trois mouvements pour quatuor à cordes (violon,

violon 2, alto, violoncelle)

2000 Earth pour six percussionnistes et percussions à peaux

2000 Mountain pour trois percussionnistes jouant sur

cloches de vache, chambre d'écho et sampler

2008 April Suite pour ensemble de percussions

Musique soliste

1990 Undo monodie pour clavecin

1993 Passacaglia et variations pour violon

FILMOGRAPHIE

1984 Floréal (documentaire)

1993 Love Sonnets ; chorégraphie : Michèle Anne de Mey

1996 Rosas danst Rosas ; chorégraphie : Anne Teresa

de Keersmaeker

1996 Tippeke en collaboration avec François Deppe ;

chorégraphie : Anne Teresa de Keersmaeker

1998 21 études à danser ; chorégraphie : Michèle Anne

de Mey

1998 Musique de tables ; percussionnistes : Géry Cambier,

Georges-Elie Octors, Dirk Descheemaeker

1999 Barbe Bleue ; 55 narrateurs sur le texte de Perrault

et interventions dansées de la compagnie Rosas

2000 Dom Svobode ; chorégraphie : Iztok Kovac

2001 Ma mère l'Oye ; sur le ballet de Maurice Ravel

2002 Fase ; chorégraphie : Anne Teresa de Keersmaeker

2003 Counter Phrases ; mus. : Georges Aperghis, Thierry

de Mey, Robin de Raaff, Luca Francesconi,

Jonathan Harvey, Toshio Hosokawa, Magnus

Lindberg, Steve Reich, Fausto Romitelli, Stefan Van

Eycken ; chor. : Anne Teresa de Keersmaeker

2006 One Flat Thing, Reproduced ; chorégraphie :

William Forsythe

2009 Prélude à la mer ; chorégraphie : Anne Teresa de

Keersmaeker

2010 La Valse ; chorégraphie : Thomas Hauert /

compagnie ZOO

INSTALLATIONS

2002 Top Shot ; projection sur du sable de Violin Phase

(troisième mouvement de Fase ; mus. Steve Reich ;

chor. Anne Teresa de Keersmaeker)

2002 Deep in The Wood ; installation sur trois écrans

(d'après Ma mère l'Oye)

2003 Counter Phrases ; concert-film

2006 Barbe Bleue ; 55 narrateurs sur le texte de Perrault

et interventions dansées de la compagnie Rosas

2007 Amisi ; ex-enfant soldat / sculpteur sur métal

(installation sur trois écrans)

2007 From Inside ; projection en dispositif interactif

(Frankfurt, Thematic variations ; Sicilia : Vie di

Gibellina ; Kinshasa : ville en mouvement)

2009 Prélude à la mer ; installation sur trois écrans dans

une yourte

2009 Equi Voci ; concert-film (Ma mère l'Oye, Prélude à

la mer, La Valse)

2010 Rémanences ; installation-vidéo avec images prises

par caméra thermique

2010 L'Ombre du chant, labyrinthes, tresse et parcours

chorégraphique (installations interactives et

participatives au Parc du Château de Seneffe / B.P.S. 22)

BIBLIOGRAPHIE

1997 « How to know the dancer from the dance… », in De la

différence des arts, textes de Thierry de Mey réunis par

Jean Lauxerois et Peter Szendy, Ed. L'Harmattan/Ircam-

Centre Pompidou, Coll. « Les Cahiers de l'Ircam »

1998 Bruno Letort, Musiques plurielles, éditions Balland

2007 Jacqueline Aubenas, Filmer la danse, dir.,

La Renaissance du livre, Bruxelles

2010 Thierry de Mey, « Portfolio - Rémanences », in Patch,

La revue du CECN, n°11

2011 Clarisse Bardiot, Thierry de Mey - Light Music,

Ed. L'œil d'or, Paris (à paraître en édition imprimée

et électronique)

ŒUVRES

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