Arthrotabès : à propos de 9 cas. - SMR

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43 Revue Marocaine de Rhumatologie ARTICLE ORIGINAL Rev Mar Rhum 2013; 23: 43-6 Résumé Objectif : L’arthropathie tabétique est une affection neurogène destructrice secondaire à l’infection par tréponème. Elle est devenue exceptionnelle grâce au traitement précoce de la syphilis. Patients et Méthodes : Il s’agit d’une étude rétrospective de neuf cas, colligés sur une période de cinq ans. Tous nos patients ont consulté pour déformation et instabilité articulaire. Ont été relevé sur les dossiers les données de l’examen clinique ostéoarticulaire et neurologique, ainsi que du bilan radiologique et biologique sanguin et céphalorachidien. Résultats : Les 9 patients (5 hommes et 4 femmes) sont âgés en moyenne de 53 ans. Un antécédent de chancre syphilitique est trouvé dans deux cas. L’examen neurologique note un syndrome radiculocordonal postérieur chez trois patients, un Argyll Robertson positif chez deux patients. L’atteinte articulaire touche les genoux dans six cas, les hanches dans trois cas, et les chevilles dans un cas. L’atteinte articulaire touche deux articulations dans trois cas : hanche et genou, 2 chevilles et 2 genoux. Le TPHA et VDRL sont positives dans le sang chez tous les patients et dans le liquide céphalorachidien chez huit patients. Le bilan radiologique montre une destruction ostéoarticulaire dans tous les cas. Le traitement est médical par pénicilline et orthopédique par orthèse. Discussion : L’arthrotabès est une complication rare et redoutable de la neurosyphilis survenant le plus souvent 20 à 30 ans après l’infection syphilitique initiale dans 5% à 10% des cas. L’atteinte prédomine aux membres inférieurs (60 à 75%) touchant en premier lieu le genou. Le traitement de l’arthropathie tabétique est essentiellement médical basé sur la pénicilline G. Conclusion : L’arthrotabès est exceptionnel dans les pays industrialisés mais qui se voit toujours dans certains pays comme le Maroc. Le traitement demeure préventif basé sur le traitement de la primo-infection syphilitique. Mots clés : arthrotabès, syphilis, destruction articulaire, Marrakech. Abstract Objective : The tabetic arthropathy is a destructive disease secondary to neurogenic infection tréponème. It has become exceptional with early treatment of syphilis. Patients and methods : This is a retrospective study of nine cases, collected over a period of five years. All our patients consulted for deformation and joint instability. They were noted on the data files of the osteoarticular and neurologic examination and the radiological and laboratory blood and cerebrospinal fluid. Results : 9 patients (5 men and 4 women), aged 53 years in average. A history of syphilitic chancre is found in both cases. The neurological syndrome score radiculocordonal posterior in three patients, a positive Argyll Robertson in two patients. The arthritis affects knees in six cases, three cases in the hips, and ankles in one case. The joint damage affects two joints in three cases. The TPHA and VDRL were positive in blood in all patients and in cerebrospinal fluid in eight patients. Radiological assessment showed bone destruction in all cases. Treatment is with penicillin and medical orthopedic brace. Discussion : Tabetic arthropathy is a rare and formidable of neurosyphilis occurring most often from 20 to 30 years after the initial syphilis infection in 5% to 10% of cases. Achieving predominates in the lower limbs (60-75%) affecting primarily the thighs. The treatment of tabetic arthropathy is mainly based medical penicillin G. Conclusion : Tabetic arthropathy is exceptional in industrialized countries but still show up in some countries like Morocco. The treatment remains preventive, based on the treatment of syphilitic primary infection. Key words : tabetic arthropathy, syphilis, joint destruction, Marrakech. Disponible en ligne sur www.smr.ma Arthrotabès : à propos de 9 cas. Tabetic arthropathy : a report of 9 cases. Imane Rekkab, Ahlam Belkhou, Imane El Bouchti, Selma El Hassani Service de Rhumatologie, CHU Mohamed VI, Marrakech - Maroc. Correspondance à adresser à : I. Rekkab Email : [email protected]

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Revue Marocaine de Rhumatologie

A R T I C L E O R I G I N A L

Rev Mar Rhum 2013; 23: 43-6

RésuméObjectif : L’arthropathie tabétique est une affection neurogène destructrice secondaire à l’infection par tréponème. Elle est devenue exceptionnelle grâce au traitement précoce de la syphilis.

Patients et Méthodes : Il s’agit d’une étude rétrospective de neuf cas, colligés sur une période de cinq ans. Tous nos patients ont consulté pour déformation et instabilité articulaire. Ont été relevé sur les dossiers les données de l’examen clinique ostéoarticulaire et neurologique, ainsi que du bilan radiologique et biologique sanguin et céphalorachidien.

Résultats : Les 9 patients (5 hommes et 4 femmes) sont âgés en moyenne de 53 ans. Un antécédent de chancre syphilitique est trouvé dans deux cas. L’examen neurologique note un syndrome radiculocordonal postérieur chez trois patients, un Argyll Robertson positif chez deux patients. L’atteinte articulaire touche les genoux dans six cas, les hanches dans trois cas, et les chevilles dans un cas. L’atteinte articulaire touche deux articulations dans trois cas : hanche et genou, 2 chevilles et 2 genoux. Le TPHA et VDRL sont positives dans le sang chez tous les patients et dans le liquide céphalorachidien chez huit patients. Le bilan radiologique montre une destruction ostéoarticulaire dans tous les cas. Le traitement est médical par pénicilline et orthopédique par orthèse.

Discussion : L’arthrotabès est une complication rare et redoutable de la neurosyphilis survenant le plus souvent 20 à 30 ans après l’infection syphilitique initiale dans 5% à 10% des cas. L’atteinte prédomine aux membres inférieurs (60 à 75%) touchant en premier lieu le genou. Le traitement de l’arthropathie tabétique est essentiellement médical basé sur la pénicilline G.

Conclusion : L’arthrotabès est exceptionnel dans les pays industrialisés mais qui se voit toujours dans certains pays comme le Maroc. Le traitement demeure préventif basé sur le traitement de la primo-infection syphilitique.

Mots clés : arthrotabès, syphilis, destruction articulaire, Marrakech.

AbstractObjective : The tabetic arthropathy is a destructive disease secondary to neurogenic infection tréponème. It has become exceptional with early treatment of syphilis.

Patients and methods : This is a retrospective study of nine cases, collected over a period of five years. All our patients consulted for deformation and joint instability. They were noted on the data files of the osteoarticular and neurologic examination and the radiological and laboratory blood and cerebrospinal fluid.

Results : 9 patients (5 men and 4 women), aged 53 years in average. A history of syphilitic chancre is found in both cases. The neurological syndrome score radiculocordonal posterior in three patients, a positive Argyll Robertson in two patients. The arthritis affects knees in six cases, three cases in the hips, and ankles in one case. The joint damage affects two joints in three cases. The TPHA and VDRL were positive in blood in all patients and in cerebrospinal fluid in eight patients. Radiological assessment showed bone destruction in all cases. Treatment is with penicillin and medical orthopedic brace.

Discussion : Tabetic arthropathy is a rare and formidable of neurosyphilis occurring most often from 20 to 30 years after the initial syphilis infection in 5% to 10% of cases. Achieving predominates in the lower limbs (60-75%) affecting primarily the thighs. The treatment of tabetic arthropathy is mainly based medical penicillin G.

Conclusion : Tabetic arthropathy is exceptional in industrialized countries but still show up in some countries like Morocco. The treatment remains preventive, based on the treatment of syphilitic primary infection.

Key words : tabetic arthropathy, syphilis, joint destruction, Marrakech.

Disponible en ligne sur

www.smr.ma

Arthrotabès : à propos de 9 cas.Tabetic arthropathy : a report of 9 cases.

Imane Rekkab, Ahlam Belkhou, Imane El Bouchti, Selma El HassaniService de Rhumatologie, CHU Mohamed VI, Marrakech - Maroc.

Correspondance à adresser à : I. RekkabEmail : [email protected]

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L’arthropathie tabétique est une complication redoutable de la neurosyphilis. C’est une affection neurogène destructrice. Elle est devenue exceptionnelle grâce au traitement précoce de la syphilis.

PATIENTs ET MéThODEs

C’est une étude rétrospective des dossiers de neuf patients, colligés sur une période de 5 ans au service de rhumatologie du CHU Mohammed VI à Marrakech. Ont été relevées sur les dossiers les données de l’examen neurologique et somatique complet, ainsi que le bilan biologique et radiologique. Le diagnostic était retenu devant le contraste entre les déformations articulaires et l’indolence, des lésions de destruction à la radiographie, et la positivité de la sérologie syphilitique dans le sang et le liquide céphalorachidien (LCR).

RésuLTATs

Les 9 patients (5 hommes et 4 femmes) sont âgés en moyenne de 53 ans avec des extrêmes de 37 et 69 ans. Un antécédent de chancre syphilitique est trouvé dans deux cas. L’examen neurologique note un syndrome radiculocordonal postérieur chez trois patients, un Argyll Robertson positif chez deux patients. L’atteinte articulaire touche les genoux dans six cas, les hanches dans trois cas, et les chevilles dans un cas. L’atteinte articulaire touche deux articulations dans trois cas : hanche et genou, 2 chevilles et 2 genoux. Le TPHA et le VDRL sont positives dans le sang chez tous les patients et dans le liquide céphalorachidien chez huit patients. Le bilan radiologique montre une destruction ostéoarticulaire dans tous les cas (Figures 1,2). Le traitement est médical par pénicilline (6 cures de 20MU/jour pendant 20 jours) et orthopédique par orthèse. Les différents résultats sont représentés dans le tableau 1.

DIsCussION

L’arthrotabès est une complication redoutable de la neurosyphilis [1] devenue rare en raison non seulement de la diminution de la fréquence de la maladie, mais aussi de son traitement plus précoce et mieux conduit. Il survient souvent 15 à 30 ans après l’infection syphilitique initiale [2]. Dans 5% à 10% des cas, il peut précéder les signes cliniques d’une syphilis tertiaire.

Les deux sexes sont en général atteints avec la même fréquence [3]. L’atteinte prédomine aux membres inférieurs (60 à 75%) touchant par ordre de fréquence décroissante, le genou, la cheville, le tarse, la hanche, l’épaule et le coude. L’atteinte est habituellement mono ou pauci-articulaire, mais des formes polyarticulaires touchant jusqu’à huit articulations ont été décrites. L’atteinte peut être bilatérale, symétrique, volontiers rhizomélique. L’atteinte rachidienne est relativement fréquente (environ 20%) intéressant surtout le rachis lombaire. Figure 1: Radiographie du genou face et profil : destruction du plateau tibial interne,

perte de contact entre les surfaces articulaires et calcifications des parties molles

Figure 2 : Radiographie du bassin : destruction de la tête fémorale avec calcification des parties molles

I. Rekkab et al.A R T I C L E O R I G I N A L

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Dans notre série, l’âge moyen des patients est de 53 ans et l’arthropathie tabétique est révélatrice de la maladie chez 8 patients. Le genou est atteint dans 6 cas. L’arthropathie tabétique se caractérise par une ataxie locomotrice progressive, due à la dégénérescence élective des racines sensitives postérieures de la moelle et des cordons postérieurs.

Histologiquement, les racines sont démyélinisées avec une déperdition marquée de fibres nerveuses entraînant des

destructions articulaires importantes [4].La pathogénie des arthropathies tabétiques reste discutée. Selon l’école française, la première en date, une perturbation neurovégétative liée aux lésions du système sympathique provoque des troubles vasomoteurs à l’origine d’anomalies de la trophicité articulaire et de l‘hyper-résorption ostéoclastique. Selon la théorie mécanique des écoles allemande, puis anglo-saxonne, la lésion nerveuse originelle entraîne une anesthésie articulaire, elle même

Tableau 1 : Résumé des observations rapportées dans notre série

Sexe AgeAntécédents de chancre

Articulation atteinte

Examen neurologique

Sérologie syphilitique dans le sang

Sérologie syphilitique dans le LCR

Radiologie

Cas 1 M 59 Oui Genou- Syndrome

cordonnal postérieur

+ -- Destruction du condyle

interne

- Calcifications périarticulaires

Cas 2 F 69 Non Genou

- Anesthésie des extrémités

- Abolition des reflèxes ostéo-tendineux

+ +- Enfoncement du plateau tibial

interne

- Calcifications périarticulaires

Cas 3 F 37 Non Genou - Normal + +

- Destruction du plateau tibial interne

- Perte de contact entre les surfaces articulaires

- Calcifications des parties molles

Cas 4 F 56 Non 2 genoux - Normal + + - Destruction des deux plateaux tibiaux

Cas 5 M 52 Oui 2 chevilles

- Hypoesthésie en chaussettes

- Argyll-Robertson positif

+ + - Destruction talo-calcanéenne bilatérale

Cas 6 M 40 Non Genou - Normal + + - Affaissement du plateau tibial interne

Cas 7 M 52 Non Hanche - Argyll-Robertson positif + +

- Destruction de la tête fémorale + la région trochantérienne

- Calcifications périarticulaires

Cas 8 M 65 Non Hanche - Normal + + - Destruction de l’extrémité sup du fémur

Cas 9 F 42 Non Hanche et genou - Normal + +

- Destruction de toute l’articulation

- Construction osseuse

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responsable des arthropathies, par la répétition des microtraumatismes et des traumatismes articulaires qu’elle autorise [3]. La théorie mécanique représente actuellement l’élément pathogénique essentiel[4].

Classiquement, le début des arthropathies tabétiques est caractérisé par trois éléments [5] : son caractère brutal, son indolence habituelle et l’importance de la déformation.

Dans notre série 6 patients ont consulté pour une déformation articulaire indolore et 3 pour une boiterie indolore. Sur le plan radiologique, les premiers clichés montrent souvent des lésions avancées à type de déminéralisation, des ostéophytes, des traits de fractures intra-articulaires et des tassements plus ou moins nets des épiphyses, en particulier au niveau des plateaux tibiaux. A un stade avancé, il existe des signes de destruction et de construction osseuse [5].

La destruction osseuse est notée dans nos 9 cas avec une construction dans un cas et des calcifications des parties molles périarticulaires dans 3 cas.

Le diagnostic positif repose sur la positivité les réactions sérologiques (surtout VDRL, TPHA mais aussi FTA et test de NELSON), permettant en plus un contrôle post-thérapeutique [3] et l’étude du liquide céphalo-rachidien qui montre une hypercytose, une hyperprotéinorachie, une sérologie positive au début, mais négative dans 20% des cas à la phase d’état. Le tréponème n’est qu’exceptionnellement retrouvé dans le LCR.

Le traitement de l’arthrotabès est essentiellement médical reposant sur la pénicilline G à la dose de 20 à 30 MUI pendant 21 jours précédée par une corticothérapie à la dose de 100 mg/jour pendant les 3 premiers jours pour prévenir la réaction d’Herxeimer, cure à répéter en fonction de l’évolution.

L’arthrodèse reste le seul traitement chirurgical efficace pour enrayer l’évolution de l’arthropathie, et améliorer le

handicap. Les bisphosphonates ont fait l’objet de plusieurs publications favorables à ces médicaments [6] mais leur emploi n’est pas encore consensuel.

Dans notre série, 5 patients ont eu 6 cures de Péni G, 2 ont eu 3 cures et 2 ont eu une seule cure puis ces 4 patients se sont perdus de vue. L’évolution sérologique a été marquée par la diminution du taux du VDRL dans le liquide céphalorachidien chez les 5 patient ayant terminé les 6 cures de Péni G. Le traitement chirurgical est proposé chez 2 patients.

CONCLusION

L’arthrotabès est devenu actuellement exceptionnel dans les pays développés. Il reste par contre possible dans certains pays comme le Maroc. Le traitement demeure préventif basé sur le traitement de la syphilis à un stade précoce avant la survenue des formes articulaires et neurologiques, dont la prise en charge est difficile.

DéCLARATION D’INTéRêT

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.

RéféRENCEs1. Hsaini Y, Mounach J, Satté A, Zerhouni A, Qacif H, Mosseddaq R.

Arthrotabes: à propos de cinq cas. Rev Méd Int 2007;28:101.

2. Bontoux D. Arthropathies nerveuses. Cah Coll. Med 1968;9:18-26.

3. El Maghraoui K, Janani S, Yacoubi A, Faiz S, Benyahya E, Etaouil N, Bennis R, Mkinsi O. Les arthropathies tabétiques du genou (à propos de 8 cas). Rev.Maroc.Chir.Orthop.Traumato 2005;23:25-27.

4. Vacher H, Chevrot A, Vacher-Lavenu MC. Ostéo-arthropathies nerveuses. Encycl Méd Chir 1981;31:165.

5. Ameziane L, El Bardouni M, El Manouar M. Une fracture pathologique révélant un tabès. Med Maghreb 1998 ;67:27-29.

6. Anderson J J , Woelffer K E , Holtzman J J, Jacobs A M. Bisphosphonates for the treatment of Charcot neuroarthropathy. J Foot Ankle Surg 2004;43: 285-289.