Transcript of Traité de psychologie de la motivation
- 1. e l Philippe Carr et Fabien Fenouillet s o c i a Sous la
direction de Trait de psychologie de la motivation
- 2. Trait de psychologie de la motivation
- 3. P S Y C H O S U P Trait de psychologie de la motivation Sous
la direction de Philippe Carr et Fabien Fenouillet
- 4. Dunod, Paris, 2009 ISBN 978-2-10-053515-6
- 5. LISTE DES AUTEURS Ouvrage ralis sous la direction de :
Philippe CARR Fabien FENOUILLET Professeur en sciences de lducation
luniversit Paris Ouest-Nanterre La Dfense. Matre de confrences en
sciences de lducation luniversit Paris Ouest-Nanterre La Dfense.
Avec la collaboration de : Jacques AUBRET Albert BANDURA Serge
BLANCHARD tienne BOURGEOIS Philippe BRUNEL Nomie CARBONNEAU Yves
CHANTAL Laurent COSNEFROY Antonia CSILLIK Pierre-Henri FRANOIS
Dominique GELPE Patrick GOSLING Marc-Andr K. LAFRENIERE Professeur
mrite de psychologie de lorientation lInetop (Cnam). Professeur de
psychologie sociale, Stanford University (USA). Chercheur en
psychologie de lorientation lInetop (Cnam). Professeur de sciences
de lducation luniversit catholique de Louvain (Belgique). Matre de
confrences HDR en sciences et techniques des activits physiques et
sportives luniversit de Limoges. Doctorante, universit du Qubec
Montral (Canada). Matre de confrences luniversit de Limoges. Matre
de confrences en sciences de lducation lIUFM de Rouen. Matre de
confrences en psychologie luniversit Paris Ouest-Nanterre La
Dfense. Matre de confrences en psychologie sociale luniversit de
Poitiers. Chercheur, laboratoire SACO, universit de Poitiers et
AFPA. Professeur en psychologie du travail luniversit Paris
Ouest-Nanterre La Dfense. Doctorant, universit du Qubec Montral
(Canada).
- 6. Jacques LECOMTE Salvatore MAUGERI Thierry MEYER Sandrine
SCHIANOLOMORIELLO Robert VALLERAND Charg de cours luniversit Paris
OuestNanterre La Dfense. Matre de confrences en sociologie
luniversit dOrlans. Professeur de psychologie sociale luniversit
Paris Ouest-Nanterre La Dfense. ATER luniversit de Limoges.
Professeur de psychologie sociale luniversit du Qubec Montral
(Canada).
- 7. SOMMAIRE CHAPITRE 1 DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF
(Philippe Carr) 1 Premire partie Convergences thoriques CHAPITRE 2
LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : (Albert Bandura) UNE PERSPECTIVE
AGENTIQUE CHAPITRE 3 15 LA THORIE DE LAUTODTERMINATION ET LE MODLE
HIRARCHIQUE DE LA MOTIVATION : PERSPECTIVES INTGRATIVES (Robert J.
Vallerand, Nomie Carbonneau, Marc-Andr K. Lafrenire) 47 LES THORIES
DE LATTRIBUTION : CAUSE ET RESPONSABILIT (Patrick Gosling) 67 LES
THORIES REPOSANT SUR LE CONCEPT DE BUT (Laurent Cosnefroy) 89
INTRINSQUE ET EXTRINSQUE CHAPITRE 4 CHAPITRE 5 CHAPITRE 6 LA THORIE
DU FLUX. COMMENT LA MOTIVATION INTRINSQUE (Jacques Lecomte) DONNE
DU SENS NOTRE VIE 107
- 8. VIII TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION Deuxime partie
Enjeux pour les pratiques CHAPITRE 7 MOTIVATION ET APPRENTISSAGES
SCOLAIRES (Laurent Cosnefroy et Fabien Fenouillet) 127 CHAPITRE 8
MOTIVATION ET VIE ADULTE (Jacques Aubret) 147 CHAPITRE 9 MOTIVATION
ET ORIENTATION SCOLAIRE ET PROFESSIONNELLE (Serge Blanchard et
Dominique Gelpe) 167 CHAPITRE 10 MOTIVATION ET TRAVAIL (Salvatore
Maugeri) 187 CHAPITRE 11 MOTIVATION ET MANAGEMENT (Pierre-Henri
Franois) 211 CHAPITRE 12 MOTIVATION ET FORMATION DES ADULTES
(tienne Bourgeois) 233 CHAPITRE 13 MOTIVATION ET PRATIQUE SPORTIVE
(Philippe C. Brunel, Yves Chantal et Sandrine Schiano-Lomoriello)
253 CHAPITRE 14 MOTIVATION, COMMUNICATION DES RISQUES ET CHANGEMENT
DATTITUDE (Thierry Meyer) 273 CHAPITRE 15 LENTRETIEN MOTIVATIONNEL
(Antonia Csillik) 289 CHAPITRE 16 VERS UNE APPROCHE INTGRATIVE DES
THORIES DE LA MOTIVATION (Fabien Fenouillet) 305 Bibliographie 339
Index des notions 381 Index des auteurs 383 Table des matires
385
- 9. Chapitre 1 DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF1 1. Par
Philippe Carr.
- 10. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. 1 UNE
PROCCUPATION UNIVERSELLE La question des motifs de nos actes et des
processus qui mnent la dcision et laction est au cur de la pense
humaine. Les essais dexplication du dsir, de la volont, du besoin,
de la passion, bref de toutes les tendances humaines qui mnent
laction, sont au cur des plus grands systmes philosophiques de
lhistoire ; selon picure (341-270 av. J.-C.), par exemple, propos
de chaque dsir, il faut se poser cette question : Quel avantage
rsultera-t-il si je ne le satisfais pas ? . La question du pourquoi
de nos actes recouvre, aujourdhui a fortiori, des enjeux universels
pour la connaissance des faits humains et laction quotidienne. On
en trouve des exemples rguliers dans la plupart des domaines de la
vie sociale. En ducation, bien sr : un numro rcent du Monde de
lducation, qui faisait tat du thme arriv largement en tte du dbat
national sur lcole afchait en couverture le titre suivant :
Motiver, motiver, comment motiver les lves ? Le monde professionnel
est videmment un autre lieu de questionnement rcurrent sur la
question : managers, responsables de ressources humaines et leaders
cherchent depuis longtemps les cls de limplication des salaris,
suppose garante de la performance globale dune entreprise. Le thme
de lengagement (au travail, dans la recherche demploi, linsertion,
le dveloppement des comptences) traverse de faon lancinante les
proccupations dominantes des spcialistes de lorientation, de la
formation, de lemploi, de lorganisation. Tous les territoires de la
vie sociale et prive sont quotidiennement investis par un
questionnement prosaque sur les raisons de nos actes, des
motivations dachat aux motifs du crime, en passant par
linterrogation sur les mobiles, les raisons, les explications du
comportement du parent, du collgue, de lamoureux ou de lamie, voire
encore du sien propre. La question de pourquoi nous faisons ce que
nous faisons est une constante de la rexion humaine, quelle soit
quotidienne ou scientique.
- 11. 4 TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION Au plan scientique,
la plus ancienne des notions forges dans ce domaine foisonnant, la
plus rpandue empiriquement, la mieux tablie thoriquement, mais
aussi la plus conteste et parfois la plus contestable est bien sr
celle de motivation, dnie comme un construit hypothtique cens
dcrire les facteurs internes et externes produisant le
dclenchement, la direction, lintensit et la persistance du
comportement (Vallerand et Thill, 1993). On peut en retrouver les
racines scientiques dans la psychologie comportementaliste des
dbuts du XXe sicle. Cest sans doute cet hritage pesant (et pour
daucuns, honteux) qui explique, en partie, le caractre sulfureux du
terme aujourdhui. Le concept de motivation est en effet trs
ingalement usit, son statut scientique plus ou moins reconnu dans
la psychologie et les sciences de lducation de langue franaise
aujourdhui. En sciences humaines, la notion de motivation est
souvent ignore, parfois mprise, voire relgue au rang de savoir de
sens commun. Son vocation dclenche des attitudes diverses que lon
peut rsumer comme suit : la dngation : la motivation est alors
conue comme un concept cr de toutes pices pour dcrire des tats que
lon narrive pas expliquer ; construction la fois inutile et
articielle, linvoquer devient superu, voire mysticateur. Il
convient donc de lliminer du vocabulaire scientique ; lindiffrence
: tenant lexistence de ce quelque chose qui fait agir pour une
vidence indiscutable, mais dans lincapacit den tirer des apports
dans lintervention ou la comprhension des phnomnes humains, on
passe la notion par pertes et prots , en regrettant parfois de ne
pouvoir mieux lexploiter ; la rsignation : cest la posture
pessimiste et par consquent dfaitiste du convaincu qu on est motiv
ou on ne lest pas , sous leffet dune loi du tout ou rien , dont on
pourrait sans doute retrouver les racines dans le terreau
biologique, pavlovien de la notion ; lincantation : cette gure
reprsente une variante de la prcdente en pratique, porte par une
conception plus optimiste, mais sans doute aussi illusionne, de la
toute-puissance de cette nergie , mystrieuse et vanescente, qui
dterminerait de faon automatique linvestissement individuel dans
laction. On peut trouver au relatif dni de statut scientique de la
motivation sur le champ intellectuel franais un certain nombre de
raisons, par-del le manque de connaissance des ouvrages crits en
anglais sur le thme. On y peroit les traces laisses par les
interprtations de trois systmes dides dominants qui se sont
intresss aux motifs du comportement dans la psychologie du XXe
sicle : bhaviorisme, psychanalyse, humanisme. Si lon interroge
praticiens des ressources humaines, de la formation ou tudiants en
psychologie ou sciences de lducation, quant aux grands auteurs sur
la motivation, on obtient gnralement une liste baroque de
pdagogues, philosophes et psychologues parmi lesquels gurent en
bonne place Freud, Skinner et Maslow. Or
- 12. DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF 5 on sait quel point
les expriences de conditionnement, classique puis oprant, ont donn
de la motivation une image rductrice et caricaturale ; et si avec
Petot (in Vallerand et Thill, 1993) on admet que la psychanalyse
est, pour lessentiel, une thorie de la motivation , alors on
reconnatra que ces deux systmes ont diffus de cette thmatique une
image partielle, contestable et dcourageante. Quant Maslow, connu
pour le schmatisme de sa pyramide des besoins , aujourdhui
largement conteste (si ce nest pour sa valeur pragmatique, du moins
quant sa validit thorique), sa vision simplicatrice du
fonctionnement de la motivation a sans doute contribu dcrdibiliser
la notion. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. De sorte
qu lore des annes 1990, hormis lexception notable que reprsente
louvrage pionnier de Nuttin Thorie de la motivation humaine (1980),
le champ scientique francophone de la motivation est en friche.
Louvrage fondateur de Vallerand et Thill (1993) a alors permis de
dsenclaver la notion de ses gangues caricaturales, de lui
(re)donner statut de concept scientique et a contribu lessor de la
recherche francophone sur cette question. Les publications sur ce
thme se sont en effet multiplies au cours des toutes dernires
annes, principalement dans le champ de lducation scolaire (Viau,
1994 ; Lieury et Fenouillet, 1996 ; Delannoy, 1999 ; Galand et
Bourgeois, 2006), celui du travail (Michel, 1989 ; Francs, 1995 ;
Feertchak, 1996 ; LvyLeboyer, 1998, 2007 ; Maugeri, 2004) de la
formation (Carr, 1998 ; 2001) ou du sport (Cury et Sarrazin, 2001),
allant jusqu entraner le dsenfouissement de la pense des
prcurseurs1. Cette production sinscrit dans le sillage dune
modication des paradigmes dominants de ltude de la motivation
humaine et tmoigne de lessor remarquable de ce thme de recherche
qui ne fait que saccrotre en milieu anglo-saxon depuis les annes
quatre-vingt-dix (Weiner, 1992 ; Higgins et Kruglanski, 2000 ;
Tesser, Stapel et Wood, 2002 ; Mc Inerney et Van Etten, 2004 ;
Elliot et Dweck, 2005 ; Reeve, 2005 ; Shah et Gardner, 2008). Cet
essor sinscrivant sur un fond dintrt sensible aux tats-Unis depuis
plus dun demi-sicle, ainsi quen attestent les centaines de
productions de recherche prsentes dans le cadre des Nebraska
Symposia on Motivation runis annuellement depuis 1953 2 RENOUVEAU
THORIQUE Le paradigme nouveau de la motivation a ainsi pris son
envol au tournant du XXIe sicle dans le cadre dune priodisation
socio-historique parfois qualie 1. Ainsi du rcent ouvrage sur la
psychologie de P. Diel (Bavelier, 1998).
- 13. 6 TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION de post-moderne ,
pour illustrer la rupture socitale avec la modernit industrielle et
son dpassement vers des formes indites de fonctionnement conomique,
social, technologique et culturel au plan mondial. Ce contexte
saccompagne au plan des idologies de la chute des grands systmes
explicatifs donneurs de sens qui ont domin la pense du XXe sicle.
Chacun de ces systmes dinterprtation du monde est porteur dune
conception du sujet et se traduit dans les orientations thoriques
dominantes des sciences sociales et humaines une poque donne.
Ainsi, particulirement en milieu francophone, du
socio-structuralisme dinspiration marxiste, puis bourdieusienne,
caractris par la vision dun sujet-habitus dtermin, voire alin, par
ses conditions objectives dexistence, son appartenance de classe,
sa position dans le champ conomique et culturel. Ainsi galement du
sujet-pulsion de la psychanalyse aux prises avec les forces
complexes de son univers inconscient, ou du sujet-rponse du
bhaviorisme, ragissant aux stimulations de son environnement selon
les lois du conditionnement. Ainsi enn du sujetdmiurge des
psychologies humanistes, tendu vers lactualisation de soi dans la
toute-puissance de sa libert Par contraste, le XXIe sicle voit
surgir et se dvelopper de nouveaux systmes explicatifs plus
modestes, moins marqus du sceau de leurs idologies fondatrices,
mieux prouvs laune de dmarches danalyse rigoureuses et contrles,
autour dun paradigme sociocognitif. travers celui-ci se dessine la
gure dun sujet-arbitre, ultime juge de la combinatoire volutive de
ses dterminations socio-familiales, de ses expriences de vie et de
lexercice de sa puissance personnelle dagir (Ricur), dans un retour
la formule sartrienne qui pose lnigme de lexistence comme ce que
lon fait de ce que la vie a fait de nous . Renouveau : il ne sagit
plus, en effet, ici, de concevoir la motivation comme il y a un
quart de sicle, autour du concept initial, dorientation
bhavioriste, indissolublement li aux thories du conditionnement
animal. Ni comme lexpression dun dsir aux contours ous, port par
les logiques opaques de linconscient, ni, comme aujourdhui encore,
se plat parfois le dvoyer une certaine littrature managriale ou
pdagogique, frue de schmas simples pour mettre au travail quipes
dmobilises ou lves apathiques. Lmergence et la domination
graduelles du paradigme cognitiviste initial du dernier quart du
XXe sicle nont pas immdiatement chang grand-chose cette dsaffection
pour la recherche motivationnelle. Psychologie froide , centre sur
les processus de traitement de linformation, longtemps domine par
la mtaphore de lordinateur humain, la psychologie cognitive de
lapprentissage, tout en reconnaissant limportance des aspects
dynamiques, affectifs, motivationnels de laction, les relguait,
prcisment, au champ de lmotion et de laffectivit, sous-traitant
parfois la question la psychanalyse Cest dans ce cadre chaotique,
donc propice aux remises en question et port par lessor dune
psychologie cognitive chaude , aux conns de la pense, de lmotion et
de lintention, que rapparat le concept de motivation,
- 14. DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF 7 aux tats-Unis
dabord, puis, via le Qubec, sous nos latitudes. On y dcouvre un
ensemble conceptuel en voie dorganisation (Weiner, 1992), riche de
la vision ouverte, dun sujet social actif, co-auteur de sa propre
histoire, agissant lintrieur dun rseau de contraintes et
dterminations externes avec lesquelles il est en perptuelle
interaction. Port par les thories de lexpectation et de la valeur,
de lattribution, de lauto-efcacit, des buts, de lautodtermination
et de la comptence, le nouveau courant de la psychologie des
motivations fait une large place lanalyse des reprsentations
davenir, du contexte social et de la conception de soi. Cest dire
quil croise la fois les problmatiques cognitives classiques des
reprsentations, les thories psychosociales du soi et les
psychologies matrialistes de la personnalit (Leontiev, Wallon,
Sve). Ce courant sinscrit dans la mouvance dune psychologie
sociocognitive chaude , hritire de la psychologie sociale
exprimentale, tourne vers ltude rigoureuse et contrle des
interactions entre facteurs dispositionnels, contextuels et
comportementaux de la vie psychique. Dans le prsent ouvrage, quinze
auteurs bass dans quatre pays (France, Belgique, Canada,
tats-Unis), inscrits dans cette discipline ou des disciplines
voisines des champs de lducation, de lorientation, de la clinique,
des activits sportives ou du travail font ici la dmonstration de la
puissance heuristique et de la surface thorique des nouvelles
approches de la motivation et de la porte de leurs enjeux pour les
pratiques sociales. Dunod La photocopie non autorise est un dlit.
La premire partie du prsent ouvrage est ddie une prsentation
synthtique des courants thoriques dominants de la psychologie
sociocognitive des motivations. Cette section souvrira avec la
thorie sociocognitive de Bandura, thorie dimpact majeur en
psychologie aujourdhui. Luvre de cet auteur, dbute Stanford il y a
plus de cinquante ans et poursuivie avec tnacit par le psychologue
vivant aujourdhui le plus cit au monde (Carr, 2004), est base sur
une conception de lagentivit humaine qui fait de nous les
co-constructeurs de nos propres destines (chapitre 2). Au cur de
cette conception globale du fonctionnement humain, la notion d
auto-efcacit fait gure dorganisateur des conduites, aux sources du
comportement motiv. Autre grande proposition thorique en
dveloppement permanent depuis une trentaine dannes, la thorie de
lautodtermination de Deci et Ryan convoque lhypothse du triple
besoin de comptence, dautodtermination et dafliation sociale pour
nous conduire, via un ensemble de mini-thories , vers une
construction majeure et inuente de la motivation intrinsque et
extrinsque, applicable diffrents niveaux de gnralit : situationnel,
contextuel et global (Vallerand et coll., chapitre 3). Les thories
de lattribution mettent en relief diverses conceptions du sujet
humain, de la mtaphore du scientique naf celle de lordinateur qui
se trompe, du juriste naf au sujet socialement insr, dtermin par
des repr-
- 15. 8 TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION sentations sociales
ou des normes (Gosling). La faon dont nous expliquons nos actes, la
fonction que remplissent ces explications et leur importance dans
nos comportements sont les entres choisies pour le chapitre 4. Les
thories reposant sur le concept de but font lobjet dun chapitre qui
passe en revue le rle de ces organisateurs de laction que sont les
buts ou reprsentations internes dun rsultat dsir (Cosnefroy).
Caractristiques des buts, liens entre buts et performances,
distinction entre buts de performance et buts dapprentissage sont
certains des thmes examins ici (chapitre 5). Enn, en clture de
cette partie vocation plus thorique, le chapitre 6 (Lecomte)
prsente la thorie du ux , ou exprience optimale, et examine cette
situation dextrme motivation intrinsque au cours de laquelle
lindividu sengage corps et me dans une activit pour elle-mme, quil
sagisse du travail, des pratiques culturelles ou des loisirs,
faisant merger les conditions de cette mise en action hyper-motive
caractrise par la convergence de buts clairs, dune perception de
contrle, dune concentration maximale et dun sentiment de d. 3
RICHESSE DES IMPLICATIONS POUR LES PRATIQUES SOCIALES La seconde
partie de louvrage passe en revue un ensemble de pratiques sociales
traverses par la notion de motivation et au cours desquelles la
problmatique du passage laction est dterminante. Nous commencerons
le priple avec, en toute logique, la question premire de lcole et
des apprentissages scolaires (Cosnefroy et Fenouillet). Conformment
aux dclarations rcurrentes des ducateurs et des responsables du
systme scolaire, le chapitre 7 met ainsi en lumire la pertinence
des questions abordes par les diffrentes thories de la motivation.
En dpit dune impression de puzzle conceptuel que donne de prime
abord la littrature dans ce domaine, la lecture du chapitre conrme
limpact essentiel que lunivers thorique sociocognitif de la
motivation peut avoir sur lamlioration des pratiques et la
comprhension des dynamiques de lapprentissage scolaire, au triple
plan de son dclenchement, sa rgulation et ses modes de mmorisation.
Passant de lenfance lge adulte, on abordera ensuite la question du
dveloppement de la vie entire, de la jeunesse au grand ge. Deux
grandes questions sont ici traites : comment observer les
motivations au cours de la vie adulte ? comment les dvelopper ?
(Aubret, chapitre 8). On percevra limportance de ces questions
lheure o linvitation, qui se fait souvent injonction, devenir agent
de soi-mme devient de plus en plus universelle,
- 16. DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF 9 quil sagisse de
rapport au travail, la formation, aux choix de vie professionnels
et privs La transition sera uide avec le chapitre 9 sur
lorientation professionnelle. Dans ce domaine, ltude scientique de
la motivation a de longue date t prise au srieux, au plan empirique
comme thorique, ce qui sexplique facilement compte tenu de lvidence
de la problmatique du choix de nos actes dans le secteur de
lorientation. En particulier, la question des reprsentations de soi
comme schmas directeurs de la conduite , question prminente dans le
domaine, conduit directement vers les thories sociocognitives
passes en revue dans la premire partie de louvrage. Les thmes du
sentiment defcacit personnelle, de lautodtermination et des buts
trouvent ici, peuttre encore plus quailleurs, une vidente lgitimit,
dans le cadre dune conception dun sujet actif, agent de ses
conduites, qui construit sa rexion dans le cadre de linteraction
sociale de la relation de conseil (Blanchard). Dunod La photocopie
non autorise est un dlit. Suite logique de notre progression
travers cet ouvrage, le thme de la motivation trouve un sens vif
aujourdhui dans le contexte du travail. Conrmant que chaque thorie
de la motivation porte la marque de son poque , Maugeri (chapitre
10) souligne le caractre stratgique, pour lentreprise, de la
question des motivations, quil sagisse de lengagement dans le
travail, de lorientation des efforts des salaris, de la force et de
la persistance de leur implication dans la tche. Le monde
industriel et des services daujourdhui est pilot par une
individualisation des modes de gestion et une autonomisation des
quipes qui, jointes lincertitude dominante qui pse sur les conomies
capitalistes, implique un recours accru aux ressources des
personnes, quelles soient cognitives ou affectives. Dans un tel
contexte historique, conomique et social, la thmatique des
motivations trouve dvidence sa justication. Le management est ds
lors au cur dune ventuelle gestion des motivations des quipes et
des individus. Responsable des rsultats obtenus par le systme
humain dont il a la charge, le manager se voit contraint aujourdhui
de penser les leviers daction qui pourront agir sur lefcacit
collective, do bien sr la centralit du thme qui nous intresse ici.
Comme lindique Franois, le domaine des sciences de gestion et, plus
prcisment, du management a, de longue date, explor les ressources
que les thories de la motivation pouvaient apporter lamlioration de
lefcience des organisations. Leadership, habilitation (empowerment)
du personnel, contrat et dmocratie organisationnelle sont certains
des thmes abords dans cette perspective (chapitre 11). De faon trs
lie aux chapitres prcdents, la question de la formation des adultes
fait lobjet du chapitre 12. Pour Bourgeois, cette question est plus
que jamais lordre du jour : la responsabilisation des salaris,
mentionne ci-dessus, mais galement des demandeurs demploi en priode
de tensions sur le march du travail, sans omettre la lancinante
proccupation de dveloppement
- 17. 10 TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION des comptences,
voire celle du dveloppement dune apprenance citoyenne, sont autant
de raisons de se pencher avec srieux sur la thmatique de la
motivation. Lauteur du chapitre passe en revue les deux situations
que forment lentre en formation et lengagement dans les
apprentissages, reliant les dimensions majeures que sont les
reprsentations de la valeur de la formation et des chances de
russite que le sujet sattribue dans le contexte de ses interactions
avec son contexte pdagogique et organisationnel. Dans le domaine du
sport (chapitre 13), on constate que les tudes sur la motivation
font partie de plein droit des rfrences thoriques incontournables
dans le traitement de problmatiques essentielles, comme la
performance et le fair-play. partir des constructions thoriques du
sentiment dautodtermination, de lauto-efcacit et des buts, Brunel
et ses collaborateurs soulignent la pertinence des thories
sociocognitives de la motivation dans la comprhension des
comportements lis la pratique sportive, quelle soit tourne vers
lamlioration des performances ou le souci de ralisation de soi. Les
deux derniers chapitres de cette seconde partie consacre aux usages
des thories de la motivation traitent de leur importance dans les
domaines du changement dattitudes et du conseil (thrapeutique ou
autre). Meyer prsente dans le chapitre 14 la perspective de la
cognition motive et illustre ce cadre de rexion par lexemple de la
communication des risques. Il indique quel point cette question
sapplique tous les domaines dans lesquels lincertitude et la
dcision sont impliques : cest dire limportance de ce chapitre. sa
suite est prsente une nouvelle approche de lentretien, dit
motivationnel , grce auquel les thories de la motivation trouvent
une application directe dans le traitement par thrapies brves de
divers dysfonctionnements psychiques (Csillik, chapitre 15). Dans
un croisement avec lapproche rogrienne du dveloppement de la
personne, on pourra lire ici quel point la combinatoire dun climat
dacceptation et de lusage des concepts sociocognitifs de motivation
peut mener la rsolution de troubles aussi divers que lalcoolisme,
les toxicomanies, les comportements risque et les drglements
alimentaires, permettant la mise en synergie des dimensions
cognitives, motionnelles et comportementales de lengagement
autodirig dans le changement. Enn, en manire de clture (provisoire)
du dossier, Fenouillet nous livre une synthse ambitieuse de
soixante-quinze entres conceptuelles dans lunivers en bullition des
thories de la motivation. Dbouchant, aprs une analyse minutieuse de
la littrature, principalement anglo-saxonne, du domaine, sur un
modle intgratif de la motivation, il nous permet de terminer
louvrage sur des perspectives de clarication du champ complexe,
protiforme et essentiel de lanalyse du comportement motiv.
largissant la problmatique la volition, comme phase seconde du
processus motivationnel, il ouvre avec le chapitre nal de louvrage
la perspective dune conception englobante des dimensions conatives
du choix et de lorientation des conduites, conception
- 18. DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF 11 construite partir
de larticulation des concepts motivationnels proprement parler et
de leurs contreparties volitionnelles, liant en une synthse
heuristique dimensions prcomportementales et comportementales de
laction motive. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. 4 DE
LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF Et ainsi, de faon prospective, on
pourra se demander si les annes qui viennent ne seront pas celles
de lmergence, dans le cadre dune psychologie gnrale en
recomposition, dun tiers secteur caractrisant, par-del les champs
cognitif et affectif (ou motionnel), la spcicit des comportements
volontaires, dpassement dialectique des reprsentations et des
affects travers lanticipation de laction, lengagement, le projet,
la construction de soi et de son propre devenir Cest sans doute le
pari que font de nombreux auteurs quand ils introduisent, la suite
de M. Reuchlin (1990), le terme de conation pour runir lensemble
des observations, des concepts et des thories portant sur le choix
et lorientation des conduites . Cest un certain retour ltude des
motivations, mais dbarrasse de sa gangue de reprsentations
aujourdhui dsutes et transforme par les apports du raz-de-mare
cognitif. Mcanismes danticipation et de reprsentation de lavenir,
logique des buts et du projet, dune part, perception de comptence,
auto-efcacit et auto-attributions dautre part, processus
dautodtermination et de rgulation enn, forment alors les premiers
jalons conceptuels dune tude de la conation, qui vient combler les
lacunes de la rexion sur les facteurs dynamiques, non strictement
cognitifs du rapport laction, de la construction de soi et du
rapport aux autres et au monde. Dans cette conception, le sujet
social est vu comme un agent de son propre dveloppement, la fois
producteur et produit de son existence (Bandura, 2003), dployant
son agentivit dans le jeu permanent des interactions entre
perception de soi, rgulation du comportement et vnements du
contexte de vie. Le soi ne se ramne plus alors un ensemble de
caractristiques objectives et dtermines, mais devient le produit
volutif dun mlange toujours singulier de dterminations, de hasard
et de choix, de mmoire, de rencontres et de projets (Deschavanne et
Tavoillot, 2007). Au cur de cette combinatoire, la motivation agit
comme un juge arbitre (Weiner, 1992) du comportement humain. On
comprend ds lors limportance nouvelle que ce champ de recherche
prend en psychologie aujourdhui.
- 19. Premire partie CONVERGENCES THORIQUES
- 20. Chapitre 2 LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE
AGENTIQUE1 1. Par Albert Bandura. Adaptation par S. Brewer et P.
Carr de larticle : Social cognitive theory : An agentic perspective
, Annual Review of Psychology, 2001, 52, 1-26.
- 21. tre un agent signie faire en sorte que les choses arrivent
par son action propre et de manire intentionnelle. Lagentivit
englobe les capacits, les systmes de croyance, les comptences
autorgulatrices ainsi que les structures et les fonctions
distribues au travers desquelles sexerce linuence personnelle ;
elle nest pas une entit discrte localisable. Les traits
fondamentaux de lagentivit donnent chacun la possibilit de jouer un
rle dans son dveloppement personnel et dans sa capacit sadapter et
se renouveler avec le temps qui passe. Avant daborder la
perspective agentique de la thorie sociale cognitive, il convient
daccorder aux changements de paradigme qui sont intervenus au cours
de la brve histoire de la psychologie un moment dattention. Si,
dans le cadre de ces transformations thoriques, les mtaphores
centrales ont certes volu, il nen reste pas moins que, dans leur
majorit, les thories accordent lhomme peu ou pas de capacits
dagentivit. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. 1 LES
CHANGEMENTS DE PARADIGME DANS LES THORIES PSYCHOLOGIQUES Une
majeure partie des premires thories psychologiques fut fonde sur
des principes comportementalistes souscrivant un modle entre-sortie
(inputoutput) o le comportement est certes rendu possible par un
conduit intrieur qui relie ces deux ples, sans toutefois quil
exerce une inuence propre sur laction. Selon cette vision, le
comportement humain est form et contrl par les stimuli
environnementaux de manire automatique et mcanique. Cet axe de
rexion est peu peu pass de mode avec lavnement de lordinateur, qui
amena assimiler lesprit un calculateur biologique. Dans ce modle,
le conduit intrieur est devenu le lieu de nombreuses reprsentations
et oprations de calcul gnres par des penseurs intelligents et
astucieux.
- 22. 18 CONVERGENCES THORIQUES Si lordinateur est capable de
raliser des oprations cognitives de rsolution de problmes, lhomme
ne peut plus tre priv de pense rgulatrice. Aussi le modle
input-output a-t-il t supplant par un modle tripartite : input
linear throughput output. Lesprit en tant que calculateur numrique
est devenu le modle conceptuel de lpoque. Si lorganisme sans esprit
tait devenu plus cognitif, il tait toujours aussi priv de
conscience et de capacits agentiques. Pendant des dcennies, la
mtaphore informatique du fonctionnement humain qui rgnait a vhicul
limage dun systme informatique linaire dans lequel linformation est
digre par un processeur central qui fabrique les solutions selon
des rgles prdtermines. Larchitecture de lordinateur linaire de
lpoque a dict le modle conceptuel du fonctionnement humain. Le
modle linaire a, son tour, t remplac par des modles computationnels
organiss de manire plus dynamique qui ralisent de multiples tches
simultanes et interactives pour tenter de mieux reproduire le
fonctionnement du cerveau humain. Dans ce troisime modle, linput de
lenvironnement dclenche un processus intermdiaire dynamique,
multiples facettes, pour produire loutput. Ces modles dynamiques
comportent des rseaux neuraux multi-niveaux aptes assurer des
fonctions intentionnelles loges au sein dun rseau excutif
subpersonnel, lequel fonctionne en labsence de toute activit
consciente par lintermdiaire de sous-systmes plus lmentaires. Les
organes sensoriels transmettent des informations un rseau neural
qui assume le rle de machine mentale capable, de manire non
consciente, de raliser les fonctions de conceptualisation,
planication, motivation et rgulation. Dans son analyse du
computationnisme, Harre (1983) fait remarquer que ce ne sont pas
les individus mais leurs composants subpersonnels qui orchestrent
leurs conduites. Le niveau personnel suppose lexistence dune
conscience phnomnale et lutilisation intentionnelle dinformations
et de moyens dautorgulation pour faire advenir des vnements dsirs.
La conscience est la substance mme dont est faite la vie mentale ;
elle rend non seulement possible la gestion de lexistence, mais la
rend digne dtre vcue. La conscience fonctionnelle implique laccs
intentionnel et le traitement dlibr des informations en vue de la
slection, la construction, la rgulation et lvaluation des
conduites. Ces oprations sont effectues grce la mobilisation
intentionnelle et lutilisation productive de reprsentations
pragmatiques et smantiques des activits, des buts et dautres
vnements futurs. Dans son livre clairvoyant sur la cognition vcue
(experienced cognition), Carlson (1997) souligne le rle central jou
par la conscience dans la rgulation cognitive de laction et le
droulement des vnements mentaux. Il y a eu un certain nombre de
tentatives visant rduire la conscience soit une sorte dpiphnomne
rsiduel dactivits effectues au niveau subpersonnel, soit un
sous-systme excutif intgr la machine de traitement de linformation,
soit encore un aspect attentionnel du traitement de linformation.
Comme le fameux lphant imperceptible malgr sa taille, dans ces
- 23. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 19
Dunod La photocopie non autorise est un dlit. explications dordre
subpersonnel de la conscience, lindividu qui conoit des ns et agit
intentionnellement pour les raliser, est invisible. En outre, ces
explications rductrices demeurent conceptuellement problmatiques
parce quelles cartent les caractristiques essentielles de lhomme
que sont la subjectivit, la dlibration autodirige et la rexivit
autoractive. Pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons dici
peu, la conscience ne saurait tre rduite un sous-produit non
fonctionnel de loutput dun processus mental ralis de faon mcanique
des niveaux infrieurs non-conscients. Pourquoi une telle conscience
piphnomnale, passive, aurait-elle volu et perdur en tant
quenvironnement psychique dominant dans la vie des gens ? Sans
conscience phnomnale et fonctionnelle, les personnes ne sont que
des automates suprieurs, qui subissent des actions, dpourvus de
toute subjectivit ou de contrle conscient. De la mme faon, de tels
tres ne possderaient aucune vie phnomnale signicative, ni aucun
sentiment didentit stable enracin dans leur manire de vivre leur
vie et dy rchir. Green et Vervaeke (1996) ont observ qu lorigine,
de nombreux adeptes du connexionnisme et du computationnisme ont
tenu leurs modles conceptuels pour des modles approximatifs des
activits cognitives. Or, plus rcemment, certains dentre eux sont
devenus des matrialistes liminatifs qui assimilent les facteurs
cognitifs au phlogistique dautrefois. Selon cette vision, les
personnes nagissent pas sur la base de leurs croyances, buts,
aspirations ou attentes, mais cest plutt la mise en route de leur
rseau neural au niveau subpersonnel qui les incite agir. Dans sa
critique de lliminativisme, Greenwood (1992) afrme que les
cognitions sont des facteurs psychologiques pourvus de contenus
smantiques dont le sens ne dpend en rien des propositions
explicatives dans lesquelles elles gurent. Le phlogistique navait
ni fondement empirique ni valeur explicative ou prdictive. En
revanche, les facteurs cognitifs excellent pour prdire le
comportement humain et guider des interventions efcaces. Pour
trouver leur chemin dans un monde complexe plein de ds et de
risques, les individus doivent tre capables de formuler de bons
jugements propos de leurs propres capacits, de prvoir les effets
probables des divers vnements et conduites possibles, de mesurer
ltendue des opportunits et des contraintes dordre socio-structurel
qui se prsentent eux et de rgler leur comportement en consquence.
Ces systmes de croyances constituent un modle opratoire du monde
qui permet chacun de produire des rsultats souhaits et dviter ceux
qui ne le sont pas. Des capacits en matire danticipation ainsi que
des capacits gnratives et rchies sont donc vitales pour la survie
et les progrs humains. Les facteurs agentiques qui savrent
explicatifs, prdictifs et dune valeur fonctionnelle dmontre peuvent
tre traduits et modliss dans un autre langage thorique mais en
aucun cas limins (Rottschaefer, 1985, 1991).
- 24. 20 CONVERGENCES THORIQUES 2 UNE THORIE PHYSICALISTE DE
LAGENTIVIT HUMAINE Comme nous lavons dj afrm, ltre humain nest pas
simplement lhte et spectateur de mcanismes internes orchestrs par
des vnements du monde extrieur. Il est lagent plutt que le simple
excutant de lexprience. Les systmes sensoriels, moteurs et crbraux
constituent les outils auxquels les personnes ont recours pour
raliser les tches et atteindre les buts qui donnent sens, direction
et satisfaction leur vie (Bandura, 1997 ; Harre et Gillet, 1994).
Les recherches sur le dveloppement crbral mettent en vidence le rle
inuent que joue lagentivit dans lvolution de la structure neuronale
et fonctionnelle du cerveau (Diamond, 1988 ; Kolb et Whishaw,
1998). Ce nest pas uniquement le fait dtre expos une stimulation
qui apparat dterminant, mais laction agentique dans lexploration,
la manipulation et lintervention sur lenvironnement. En rgulant
leur motivation et leurs activits, les personnes produisent les
expriences qui forment le substrat neurobiologique fonctionnel de
comptences symboliques, sociales, psychomotrices et autres. Il est
vident que la nature de ces expriences est fortement dpendante des
types denvironnements sociaux et physiques que les personnes
choisissent et construisent. Une perspective agentique favorise le
dveloppement de recherches susceptibles de fournir de nouvelles
pistes par rapport la construction sociale de la structure
fonctionnelle du cerveau humain (Eisenberg, 1995). Il sagit dun
espace dinvestigation o la psychologie peut faire des contributions
uniques et fondamentales la comprhension biopsychosociale du
dveloppement, de ladaptation et du changement humains. La thorie
sociale cognitive soutient un modle dagentivit mergente et
interactive (Bandura, 1986, 1999a). La pense nest pas une entit
dsincarne, immatrielle qui existerait indpendamment des vnements
neuraux qui la produisent. Les processus cognitifs sont des
activits crbrales mergentes qui exercent une inuence dterminante.
Les proprits mergentes se distinguent qualitativement des lments
qui les constituent et ny sont donc pas rductibles. Pour reprendre
lanalogie de Bunge (1977), les proprits uniques et mergentes de
leau telles que la uidit, la viscosit et la transparence ne sont
pas simplement les proprits agrges de ses microcomposants, savoir
loxygne et lhydrogne. travers leurs effets interactifs, ces deux
corps se transforment en phnomnes nouveaux. Il est ncessaire de
faire la distinction entre le substrat physique de la pense, sa
construction et son usage fonctionnel. Lesprit humain est gnrateur,
crateur, proactif et rexif, non pas seulement ractif. Lenterrement
de Descartes et de sa vision dualiste du monde nous oblige relever
limmense d explicatif qui consiste btir une thorie physicaliste de
lagentivit
- 25. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 21
humaine et dune thorie cognitive non dualiste. Comment font les
personnes pour produire les penses qui exercent une inuence
dterminante sur leurs actions ? Quels sont les circuits
fonctionnels de lanticipation, de la planication proactive, de
laspiration, de lauto-valuation et de lautorexion ? Plus important
encore, comment ces capacits sont-elles intentionnellement
mobilises ? Dunod La photocopie non autorise est un dlit. Les
agents cognitifs rgulent leurs actes par le biais dune causalit
cognitive descendante , tout en subissant la mise en activit de
leur organisme par la stimulation sensorielle ascendante (Sperry,
1993). Lhomme est capable de concevoir intentionnellement des
vnements uniques, dimaginer des conduites indites et de choisir de
mettre ou non lune de ces conduites excution. condition dtre incit
raliser une telle tche, chacun dentre nous est capable, spontanment
et de manire tout fait dlibre, de construire un scnario des plus
farfelus, comme, par exemple, limage dun hippopotame rose en tenue
de soire en train de voler au-dessus de la lune en chantant la scne
de folie de lopra Lucia di Lammermoor. Les notions dintentionnalit
et dagentivit soulvent la question fondamentale de savoir comment
nous crons des activits sur lesquelles nous exerons une forme de
contrle personnel, lequel dclenche les vnements subpersonnels
neurophysiologiques ncessaires la ralisation de certaines
intentions et aspirations. Ainsi, cest en agissant sur la croyance
bien-fonde que lexercice est bnque pour la sant, que les individus
sengagent dans diverses activits physiques favorables au maintien
de leur sant sans avoir la moindre ide de la manire dont ces
vnements surviennent au niveau subpersonnel. Le rsultat en termes
dtat de sant est le double produit dune causalit agentique et dune
causalit lie au simple droulement des vnements, chaque type de
causalit oprant diffrents moments de la squence. La discipline
psychologique volue en suivant deux chemins conceptuels bien
divergents. Lun des axes thoriques se donne comme objet de clarier
la nature des mcanismes fondamentaux qui gouvernent le
fonctionnement humain. Les tudes allant en ce sens sont fortement
centres sur le fonctionnement interne de lesprit dans le
traitement, la reprsentation, le rappel et lutilisation des
informations codes en vue dassurer la bonne gestion des exigences
lies la ralisation de tches varies. Elles visent galement dterminer
lendroit dans le cerveau o ces nombreux vnements se produisent. En
rgle gnrale, ces processus cognitifs sont tudis sous une forme
dsincarne, coupe de la vie interpersonnelle, sans tenir compte des
dmarches dlibres des personnes ni de leurs capacits autorexives. Or
les gens sont des tres capables de ressentir et de se xer des buts.
Face aux exigences prescrites par diverses tches, les hommes
agissent consciemment an de produire les rsultats quils souhaitent,
plutt que de subir simplement des vnements au cours desquels les
forces situationnelles agissent sur leurs structures
subpersonnelles pour produire des solutions. Dans des
situations
- 26. 22 CONVERGENCES THORIQUES exprimentales, des participants
sefforcent de savoir ce qui est attendu deux ; ils construisent des
hypothses et mettent leurs comptences lpreuve en valuant les
rsultats de leurs actions ; ils se xent des buts dordre personnel
et se mobilisent pour obtenir des performances qui plaisent aux
autres, les impressionnent ou les satisfassent eux-mmes ; lorsquils
rencontrent des difcults, ils commencent tenir une sorte de
dialogue interne avec euxmmes, pour sencourager ou se dcourager
face laction ; sils interprtent leurs checs en se disant que les
difcults rencontres peuvent tre vaincues, ils redoublent leurs
efforts, mais ils se dmoralisent sils voient en leurs checs des
signes de faiblesses personnelles ; sils se croient exploits,
contraints, insults ou manipuls, ils rpondent de manire apathique,
peu cooprative, voire mme avec hostilit. Dans les sciences
cognitives, ces facteurs motivationnels tout comme dautres facteurs
lis lautorgulation qui gouvernent non seulement le niveau mais
encore la qualit de lengagement personnel dans des activits
prescrites sont vus comme allant de soi au lieu dtre inclus
explicitement dans des structures causales (Carlson, 1997). Le
second axe thorique est centr sur le fonctionnement de facteurs
socialement situs et sur le rle que ces facteurs macro-analytiques
jouent dans le dveloppement, ladaptation et le changement humains.
Dans ce cadre thorique, le fonctionnement humain est analys comme
un phnomne socialement interdpendant et richement contextualis qui
est orchestr de manire conditionnelle au travers des dynamiques de
divers sous-systmes socitaux et de leurs interactions complexes.
Or, dans cette approche macroanalytique, les mcanismes censs relier
les facteurs dordre socio-structurel laction relle demeurent en
grande partie inexpliqus. Une thorie comprhensive doit dpasser ce
genre de dualisme analytique en intgrant les dimensions causales
personnelle et sociale dans une seule structure de causalit. En
effet, les inuences socio-structurelles oprent ncessairement au
travers de mcanismes psychologiques pour produire des effets
comportementaux. Nous reviendrons plus tard la question des
rapports rciproques ou bidirectionnels qui caractrisent les
interactions entre les structures sociales et lagentivit
personnelle. 3 LES TRAITS FONDAMENTAUX DE LAGENTIVIT HUMAINE Les
traits fondamentaux de lagentivit humaine soulvent la question de
ce que signie le fait dtre humain. Nous allons les examiner dans
les sections suivantes.
- 27. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 23
Dunod La photocopie non autorise est un dlit. 3.1 Lintentionnalit
Lagentivit dsigne tout acte ralis intentionnellement. Par exemple,
lindividu qui brise un vase dans un magasin dantiquits suite au
croche-pied fait accidentellement par un autre client ne serait pas
considr comme lagent de lvnement en question. Bien entendu, les
transactions humaines impliquent des incitations circonstancielles,
mais celles-ci ne jouent pas le rle de forces dterminantes. Les
individus peuvent choisir de se comporter en saccommodant des
autres personnes et des circonstances ou bien se comporter
diffremment, en exerant une auto-inuence. Une intention est une
reprsentation dune action future non encore ralise. Elle ne se
rduit pas une simple attente ni une prdiction de telles actions
futures, mais constitue un engagement proactif qui tend vers leur
ralisation. Les intentions et les actions sont deux aspects
diffrents dune mme relation fonctionnelle articule dans le temps.
Ds lors il est important de parler des intentions comme tant
enracines dans des motivations personnelles qui affecteront la
ralisation des actions un moment ultrieur. Lagentivit dite de
planication (planning agency) peut produire divers rsultats. Les
rsultats ne sont pas les caractristiques dactes agentiques, mais en
sont bien les consquences. Comme lexplique Davidson (1971), des
actions conues pour atteindre un but dtermin peuvent nanmoins
occasionner des consquences assez diffrentes. Il donne lexemple du
mlancolique Hamlet qui poignarde intentionnellement lhomme cach
derrire une tapisserie, croyant quil sagit du roi, seulement pour
dcouvrir, sa grande horreur, quil a assassin Polonius. Le meurtre
du roi tait bien intentionnel, mais cest une autre victime qui a t
tue. Quelques-unes de nos actions ralises avec la conviction
quelles vont engendrer des rsultats souhaits, nissent en ralit par
produire des consquences qui ne sont ni envisages ni voulues. Par
exemple, il nest pas rare que les individus contribuent leur propre
malheur en ralisant des transgressions intentionnelles suite de
graves erreurs de calcul quant leurs consquences. Certaines
politiques et pratiques sociales conues avec les meilleures
intentions savrent infructueuses, voire contre-productives, parce
que leurs effets nfastes nont pu tre prvus. En bref, le pouvoir
dtre lorigine dactes visant des buts donns constitue le trait
distinctif de lagentivit personnelle. Que lexercice de cette
agentivit ait des effets bnques ou nuisibles, quil donne lieu des
consquences non envisages est une tout autre question. Les
intentions sont centres sur des plans daction. Les projets sont
rarement labors dans le dtail ds le dbut. Il faudrait tre quasiment
omniscient pour pouvoir anticiper chaque dtail circonstanciel. De
surcrot, transformer un futur imagin en ralit exige des intentions
orientes vers le prsent ou le proche avenir qui servent guider et
encouragent aller de lavant (Bandura, 1991b). Dans lapproche
fonctionnaliste de lagentivit intentionnelle propose par Bratman
(1999), des intentions partielles initiales sont compltes et
- 28. 24 CONVERGENCES THORIQUES ajustes, rvises, afnes ou mme
reconsidres la lumire de nouvelles informations qui se prsentent au
cours de lexcution dune intention. Nous allons bientt voir que la
ralisation de projets davenir ncessite bien plus que des intentions
parce quen termes de causalit, ltat intentionnel ne suft pas lui
seul. Dautres aspects autorgulateurs de lagentivit contribuent la
mise en uvre russie des intentions. Autre dimension fonctionnelle
de lintention prciser, la plupart des activits humaines impliquent
la participation dautres agents. Ces activits conjointement ralises
requirent un engagement lgard dune intention partage ainsi que la
coordination de programmes daction interdpendants. Le d des
activits collaboratives est de russir lintgration des divers intrts
personnels au service de buts communs et dintentions collectives
poursuivies de concert. 3.2 La pense anticipatrice Ltendue
temporelle de lagentivit va au-del de la planication dactions
futures. La perspective davenir se manifeste de faons multiples et
diverses. Les personnes se xent des buts, anticipent les
consquences probables dactions futures, slectionnent et crent des
squences daction susceptibles de produire des rsultats souhaits et
dviter des rsultats fcheux (Bandura, 1991b ; Feather, 1982 ; Locke
et Latham, 1990). travers lexercice de la pense anticipatrice, les
personnes se motivent et guident leurs actions dans lanticipation
dvnements futurs. Quand elle se projette sur des objectifs valoriss
long terme, une perspective anticipatrice donne de la direction, de
la cohrence et un sens la vie. mesure que les personnes voluent
tout au long de leur parcours de vie, elles continuent prvoir
lavenir, rorganisent leurs priorits et structurent leur vie en
consquence. Les vnements futurs ne sauraient tre les causes dune
motivation ou dune action prsente parce quils nont pas dexistence
propre. Cependant, en tant reprsents cognitivement dans le prsent,
les vnements futurs prvisibles se transforment en autant de
motivateurs et de rgulateurs du comportement. travers cette forme
dautoguidance anticipatrice, le comportement est motiv et dirig par
des buts projets et par des rsultats anticips au lieu dtre caus par
un tat futur virtuel. Les personnes construisent des attentes de
rsultats partir des relations conditionnelles quelles observent
entre les vnements qui surviennent dans le monde qui les entoure et
les rsultats que des actions donnes produisent (Bandura, 1986). La
capacit faire peser linuence des rsultats anticips sur des activits
en cours favorise ladoption dun comportement prvoyant. Cela donne
aux individus la possibilit de transcender les contraintes de leur
environnement immdiat, tout en leur permettant de faonner et de
rguler leur prsent de faon ce quil corresponde un futur souhait. En
rgulant leur comportement par le biais des attentes de rsultats,
les personnes adoptent
- 29. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 25
des conduites aptes produire des rsultats positifs et cartent
celles qui risquent dentraner des rsultats peu satisfaisants ou
pnalisants. Cela dit, les rsultats anticips, que ceux-ci soient
dordre matriel ou social, ne sont pas le seul type dincitation
susceptible dinuencer le comportement humain, comme le suggrerait
une approche fonctionnaliste sommaire. Si les actions ntaient
accomplies que par rapport aux rcompenses et punitions externes que
les individus peuvent anticiper, ceux-ci se comporteraient comme
des girouettes, changeant constamment de direction pour se
conformer aux inuences varies qui psent sur eux au hasard des
circonstances. En ralit, les personnes manifestent un degr
considrable dautodirection face la myriade dinuences concurrentes
qui se prsentent eux en permanence. Une fois quelles adoptent des
normes personnelles, les personnes rgulent leur comportement par le
biais de rsultats dits auto-valuatifs (selfevaluative outcomes),
lesquels peuvent renforcer ou contrecarrer linuence de rsultats
externes. 3.3 Lautoractivit (self-reactiveness) Dunod La photocopie
non autorise est un dlit. Lagent ne doit pas tre seulement capable
de planier et de prvoir, mais aussi de se motiver et de
sautorguler. Aprs avoir adopt une intention et un plan daction, on
ne peut pas simplement rester inactif attendre que les performances
appropries apparaissent. Lagentivit implique ainsi non seulement la
capacit faire des choix dlibrs et des projets daction, mais aussi
former des cours daction appropris et motiver et rguler leur mise
excution. Cette autodirection multiples facettes opre au travers
des processus autorgulateurs reliant la pense laction.
Lautorgulation de la motivation, de laffect et de laction est
gouverne par un ensemble de sous-fonctions autorfrentes . Ces
sous-fonctions comprennent lautoobservation, lautoguidance de la
performance via les standards personnels et les autoractions
correctives (Bandura, 1986, 1991b). Observer son comportement et
les conditions la fois cognitives et environnementales dans
lesquelles celui-ci sactualise constitue le premier pas pour
lamliorer. Toute action implique une inuence autoractive qui se
forme travers la mesure du rsultat obtenu par rapport aux buts et
standards personnels. Les buts, doublement enracins dans un systme
de valeurs et un sentiment didentit personnelle, donnent aux
activits leur signication et leur orientation. Ils ne motivent pas
tant directement que par lengagement auto-valuatif dans une activit
donne. En rendant leur auto-valuation contingente latteinte des
standards personnels, les gens donnent leurs activits une
direction, tout en crant des auto-incitations pour soutenir leurs
efforts en vue datteindre lobjectif. Ils font des choses qui leur
procurent une satisfaction personnelle, un sentiment de ert et de
valeur de soi ; ils
- 30. 26 CONVERGENCES THORIQUES vitent dadopter des conduites qui
mnent linsatisfaction, lautodvalorisation et lautocensure. Les buts
ne mettent pas automatiquement en route les auto-inuences qui
gouvernent la motivation et laction. Lauto-engagement, li
lvaluation des buts personnels, est affect par les caractristiques
des buts en question, notamment par leur degr de spcicit, leur
niveau de d et la proximit temporelle. Les buts gnraux sont trop
ous et trop peu impliquants pour servir efcacement de guides et
dincitations laction. Des buts stimulants dclenchent un intrt
puissant et un engagement complet dans lactivit. Lefcacit des buts
en termes dautorgulation dpend fortement de la distance temporelle
laquelle ils sont projets. Les sous-buts dits proximaux mobilisent
des auto-inuences et dirigent ce que lon fait ici et maintenant. En
revanche, les buts dits distaux servent tablir le cours gnral des
conduites, mais sont, compte tenu des multiples inuences
concurrentes, trop loigns dans le temps pour fournir laction
prsente des incitations et des guides efcaces. Les meilleurs progrs
vers des avenirs valoriss sont observs lorsque des systmes de buts
structurs et hirarchiss combinent aspirations long terme et
autorgulation court terme. Les buts aux fortes proprits
auto-engageantes motivent laction dune manire particulirement
efcace (Bandura, 1991b ; Locke et Latham, 1990). Lagentivit morale
occupe une place importante dans lautodirection. Les thories
psychologiques de la moralit sont fortement centres sur le
raisonnement moral au dtriment de la conduite morale. Une thorie
complte de lagentivit morale doit concilier les savoirs et le
raisonnement sur la moralit avec les conduites. Ceci ncessite une
thorie agentique de la moralit plutt quune thorie rduite aux
reprsentations de la moralit. Le raisonnement moral se traduit en
actions au travers de mcanismes autorgulateurs comme le jugement
moral du bien ou du mal inhrent une conduite donne au regard des
standards personnels du sujet et des circonstances de cette
conduite et les autosanctions travers lesquelles lagentivit morale
sexerce (Bandura, 1991a). Dans le dveloppement des comptences et
des aspirations, les standards personnels concernant le mrite
slvent mesure que les connaissances et les comptences sont acquises
et les ds sont relevs. Dans le cadre des conduites sociales et
morales, les standards autorgulateurs sont plus stables. Ce nest
pas toutes les semaines que les gens changent davis sur le juste ou
linjuste, le bien ou le mal. Une fois que les individus ont adopt
un standard moral, les autosanctions ngatives quils sinigent en
raction aux actes qui transgressent leurs standards personnels,
tout comme les autosanctions positives quils sattribuent la suite
des conduites dles leurs standards moraux, servent dinuences
autorgulatrices (Bandura, 1991b). La capacit sautosanctionner donne
un sens la notion dagentivit morale. Les autoractions tant
valuatives quanticipatrices fournissent les rgulateurs moti-
- 31. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 27
vationnels et cognitifs des conduites morales. Les autosanctions
garantissent un certain alignement entre les standards personnels
et les conduites. Les individus porteurs dune forte thique
communautaire agiront pour promouvoir le bien-tre dautrui mme
parfois au prix de leurs propres intrts personnels. Pousses par la
situation se comporter de faon inhumaine, les personnes peuvent
choisir de se comporter autrement en exerant une autoinuence qui
contrebalance les pressions extrieures. Il nest pas rare que les
individus investissent si fortement leur estime de soi dans
certaines convictions, quils accepteront de se soumettre des formes
de souffrance et de punition svres plutt que de cder ce quils
considrent comme injuste ou immoral. Dunod La photocopie non
autorise est un dlit. Lexercice de lagentivit morale se prsente
sous deux modes principaux : le mode inhibiteur et le mode proactif
(Bandura, 1999b). La forme inhibitrice se manifeste dans le pouvoir
dviter de se comporter de manire inhumaine. La forme proactive
sexprime dans le pouvoir de se conduire de manire humaine. Cela
tant, les standards moraux ne fonctionnent pas comme des rgulateurs
internes xes des conduites. Les mcanismes autorgulateurs ne
fonctionnent qu condition dtre mobiliss dans laction. Il existe de
nombreuses manuvres psychosociales qui permettent aux individus,
par le biais de leurs autoractions morales, de se dsengager de
manire slective lgard de conduites inhumaines (Bandura, 1991b).
Plusieurs de ces mcanismes de dsengagement moral prennent racine
dans la reconstruction cognitive de la conduite ellemme. Ceci est
possible en rendant personnellement et/ou socialement acceptable la
conduite nocive, en la reprsentant comme si elle servait des ns
socialement dignes ou morales, en la masquant sous un langage
dulcor, maill deuphmismes et en proposant des comparaisons avec
dautres actes encore plus inhumains. Dautres mcanismes
affaiblissent le sentiment dagentivit personnelle dans les
conduites nfastes en diluant et dplaant les responsabilits. Les
autosanctions morales peuvent galement tre affaiblies ou dsengages
au terme du processus de contrle dans la mesure o le sujet ignore,
minimise ou discute les effets condamnables de sa conduite. Un
dernier ensemble de pratiques dsengage les autosanctions
inhibitrices en dshumanisant les victimes, soit en leur attribuant
des caractristiques bestiales, soit en afrmant quelles sont
responsables de leurs propres malheurs. Les individus prsentant une
forte tendance au dsengagement moral se sentent peu coupables de
leurs actes rprhensibles, sont moins prosociaux tout en tant plus
enclins des ruminations vengeresses (Bandura et al., 1996b). Par le
dsengagement slectif de leur agentivit morale, les personnes qui se
conduisent par ailleurs moralement et vertueusement sont capables
de perptrer des transgressions et des actes dinhumanit dans dautres
sphres de leur vie (Bandura, 1999b ; Zimbardo, 1995).
- 32. 28 CONVERGENCES THORIQUES 3.4 Lautorexion Ltre humain nest
pas seulement lagent de son action mais galement lexaminateur de
son propre fonctionnement. La capacit mtacognitive rchir soi-mme
ainsi qu la viabilit de ses penses et de ses actions constitue
encore un trait fondamental de lagentivit humaine. Au travers de la
conscience autorexive (reective self-consciousness), chacun a la
possibilit dvaluer sa motivation, ses valeurs et le sens quil donne
ce quil entreprend dans la vie. Cest au niveau de lautorexion que
les individus abordent les conits entre diffrentes incitations
motivationnelles pour ensuite choisir dagir en faveur de lune ou de
lautre dentre elles. La vrication de la justesse de ses penses est
aussi fortement dpendante de moyens dits autorexifs (self-reective
means) (Bandura, 1986). Dans lexercice de cette capacit
mtacognitive, les personnes mesurent la justesse de leurs penses
prdictives et opratoires selon les rsultats de leurs actions, les
effets produits par les actions dautrui, ce que les autres croient
et diverses dductions drives de connaissances tablies et de ce qui
sensuit ncessairement. Parmi les mcanismes dagentivit personnelle,
aucun nest plus central ni omniprsent que la croyance personnelle
dans sa capacit exercer un certain degr de contrle sur son propre
fonctionnement et sur les vnements de lenvironnement (Bandura,
1997). Les croyances defcacit constituent le fondement de
lagentivit humaine. Si les personnes ne croient pas quils peuvent,
par leurs propres actions, produire les rsultats souhaits tout en
vitant que des vnements fcheux surviennent, ils ont peu de raisons
dagir ou de persvrer face aux difcults. Si dautres facteurs peuvent
servir de guides ou de motivateurs, ils nen sont pas moins enracins
dans la croyance centrale selon laquelle nous possdons la capacit
de produire des effets par nos actions. Des mta-analyses conrment
le rle inuent jou par les croyances defcacit dans le fonctionnement
humain (Holden, 1991 ; Holden et al., 1990 ; Multon et al., 1991 ;
Stajkovic et Luthans, 1998). Lauto-efcacit perue joue un rle
essentiel dans la structure causale de la thorie sociale cognitive
parce que les croyances defcacit affectent ladaptation et le
changement non seulement directement, mais galement travers limpact
quelles exercent sur dautres dterminants (Bandura, 1997 ; Maddux,
1995 ; Schwarzer, 1992). De telles croyances dterminent, par
exemple, si les personnes pensent de manire pessimiste ou
optimiste, si leurs penses les aident rsoudre des problmes ou
entravent leur dmarche. Les croyances defcacit occupent une place
centrale dans lautorgulation de la motivation par lintermdiaire des
ds lis aux buts que lon se xe et aux rsultats que lon attend. Cest
en partie sur la base des croyances defcacit que les personnes
choisissent les ds quelles vont relever, dcident des efforts
quelles vont dployer dans lactivit, de leur dure de persvrance face
aux obstacles et aux checs, et quelles peroivent leurs checs comme
tant motivants ou dmoralisants. La probabilit que les individus
agiront
- 33. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 29
selon les rsultats quils attendent de leurs performances futures
dpend effectivement des croyances quils ont dveloppes quant leur
capacit, oui ou non, produire ces mmes performances. Un fort
sentiment defcacit au coping (concernant sa capacit faire face
dventuelles difcults) rduit la vulnrabilit au stress et la
dpression dans des situations exigeantes, tout en renforant la
rsilience face ladversit. Les croyances defcacit jouent galement un
rle dans les trajectoires de vie en exerant une inuence aussi bien
sur les types dactivits que sur les environnements que les
personnes choisissent. Tout facteur susceptible dinuencer les
comportements de choix du sujet peut affecter profondment la
direction de son dveloppement. En effet, les inuences sociales
luvre dans les environnements choisis par le sujet continuent
dvelopper certaines comptences, valeurs et centres dintrt bien
longtemps aprs que le dterminant dcisionnel a eu son effet initial.
Ainsi, en choisissant, organisant et faonnant leurs environnements,
les personnes participent activement leur devenir. Dunod La
photocopie non autorise est un dlit. La rapidit des changements
informationnels, sociaux et technologiques donne toute son
importance lefcacit perue en matire de dveloppement personnel et de
capacit se renouveler au cours de lexistence. Dans le pass, le
dveloppement acadmique des tudiants tait en grande partie dtermin
par les coles do ils venaient. De nos jours, lInternet donne aux
tudiants des possibilits illimites pour quils apprennent piloter
leurs propres apprentissages. Aujourdhui, sans restriction ni de
temps ni despace, les tudiants ont leur disposition les meilleures
bibliothques, les meilleurs muses, laboratoires et professeurs. Les
autorgulateurs efcaces tendent leurs connaissances et leurs
comptences cognitives, tandis que les autorgulateurs inefcaces
prennent du retard (Zimmerman, 1990). Lautorgulation devient aussi
un facteur cl dans la vie professionnelle. Autrefois, les salaris
apprenaient un mtier donn pour ensuite lexercer plus ou moins de la
mme manire et dans la mme entit tout au long de leur carrire. tant
donn le rythme soutenu des changements, le savoir et les comptences
techniques deviennent vite obsoltes moins dtre mis jour et adapts
aux nouvelles technologies. Dans lorganisation moderne, le salari
doit prendre en charge son volution professionnelle en vue de tenir
une varit de postes et de fonctions au cours de sa carrire. Il doit
cultiver de multiples comptences pour satisfaire aux exigences et
aux rles professionnels qui ne cessent dvoluer. Ladaptabilit
agentique collective sapplique tant au niveau organisationnel quau
niveau de la ressource humaine. Les organismes doivent apprendre
vite et innover en permanence pour survivre et prosprer dans des
conditions marques par de rapides changements technologiques et des
marchs mondialiss. Ils sont ainsi confronts au paradoxe davoir se
prparer au changement au sommet de leur russite. Ceux qui sont
lents changer perdront gros.
- 34. 30 CONVERGENCES THORIQUES La sant est un exemple
dautorgulation dans une sphre importante de la vie. Ces dernires
annes il y a eu un changement majeur dans la conception de la sant,
passant dun modle fond sur le traitement un modle fond sur le
bien-tre. La sant humaine est fortement inuence par les habitudes
lies au style de vie de chacun ainsi que par les conditions
environnementales. Cela permet aux individus dexercer un certain
degr de contrle sur leur tat de sant. En effet, travers la gestion
de leurs propres habitudes, les individus rduisent les risques
majeurs pour la sant et mnent des vies plus saines et productives
(Bandura, 1997). Si les immenses avantages de ces quelques
habitudes de sant lies au style de vie taient disponibles sous
forme de comprim, cette invention serait reconnue comme une perce
historique dans le champ de la mdecine. 4 LA GESTION AGENTIQUE DU
HASARD Sil y a beaucoup de choses que les gens font exprs an
dexercer un certain degr de contrle sur leur dveloppement personnel
et sur les circonstances de leur vie, il existe aussi beaucoup de
hasard dans le cours que prend lexistence. En effet, certains des
dterminants qui exercent la plus forte inuence sur les directions
que prend notre vie se produisent travers les circonstances les
plus triviales. Cest au travers de circonstances souvent tout fait
fortuites que les personnes empruntent de nouvelles trajectoires
dveloppementales, quil sagisse de choix amoureux, professionnels ou
daffaires malencontreuses. Observez linuence des vnements fortuits
qui prsident au choix dun ou dune conjoint(e). Un vol retard par
une tempte inattendue amne la rencontre de deux personnes qui, par
hasard, se trouvent assises lune ct de lautre laroport en attendant
que le temps se lve. Cette rencontre alatoire donne lieu par la
suite un mariage, un dmnagement et un changement de trajectoire
professionnelle. Aucun desdits vnements ne se serait produit si, ce
moment-l, le pilote navait pas reu lordre de ne pas dcoller pour
cause de mauvais temps (Krantz, 1998). Un diteur entre dans une
salle de confrence au moment o elle se remplit rapidement, pour
assister une confrence sur la psychologie des rencontres fortuites
et des trajectoires de vie . Il prend une place libre prs de
lentre. Quelques mois plus tard, il pouse la femme ct de qui il
avait pris place ce jour-l. Si le futur mari tait entr ne serait-ce
que quelques secondes plus tard, la rpartition des places assises
aurait t diffrente et lhistoire de vie des deux poux aurait t
incomparable. Une union conjugale sest forme de manire tout fait
fortuite lors dune confrence consacre aux dterminants fortuits des
existences humaines (Bandura, 1982) !
- 35. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 31
Dunod La photocopie non autorise est un dlit. Un vnement fortuit
qui se produit dans des conditions incertaines, aussi socialement
mdiatises soient-elles, est dni comme tant la rencontre non
intentionnelle de personnes qui ne se connaissent pas. Quoique la
succession dvnements de part et dautre de la rencontre fortuite
possde chacune ses propres dterminants, la convergence des deux
trajectoires se produit inopinment plutt que de manire prvue
(Nagel, 1961). Ce nest pas pour dire quun vnement fortuit na pas de
cause , mais plutt quil y a un degr lev de hasard dans les
conditions dterminantes de leur rencontre. Parmi les innombrables
phnomnes fortuits qui caractrisent la vie quotidienne, bon nombre
naffectent la vie des personnes que superciellement, alors que
dautres produisent des effets plus durables, ou dautres encore
propulsent les individus dans de nouveaux itinraires de vie. La
puissance de la plupart des inuences fortuites ne rside pas tant
dans les proprits des vnements eux-mmes que dans la constellation
complexe dinuences transactionnelles que ceux-ci dclenchent
(Bandura, 1982, 1998). Du ct des personnes, leurs attributs,
systmes de croyances, centres dintrt et comptences dterminent si,
oui ou non, une rencontre fortuite donne se transformera en
relation durable. Du ct socio-structurel, limpact des rencontres
fortuites dpendra en partie de la capacit des milieux sociaux o les
individus se trouvent plongs les retenir et les inuencer. Le hasard
ne signie pas lincontrlabilit de ses effets. On peut proter du
caractre fortuit de la vie. On peut faire en sorte que la chance
sourie en poursuivant une vie active, ce qui augmente la qualit et
le type de rencontres fortuites quon peut faire. Le hasard est
favorable aux individus curieux et entreprenants, qui bougent,
agissent et explorent de nouvelles activits (Austin, 1978). Les
gens peuvent aussi mettre la chance de leur ct en cultivant leurs
centres dintrt, leurs comptences et les croyances personnelles
constructives. Ces ressources internes donnent chacun la possibilit
de tirer le meilleur parti des occasions qui se prsentent de temps
autre de manire tout fait inattendue. Pasteur (1854) la bien dit en
afrmant que la chance ne sourit qu lesprit prpar .
Lautodveloppement permet chacun de participer plus activement la
construction de son destin dans le cours de sa vie. Ces diverses
activits proactives illustrent la gestion agentique du hasard. Dans
les analyses causales de trajectoires dveloppementales, on fait peu
de cas des facteurs fortuits, alors quils dominent les
recommandations davenir, quil sagisse datteindre le souhaitable ou
dviter des inconvnients (Bandura, 1995, 1997 ; Hamburg, 1992 ;
Masten et al., 1990 ; Rutter, 1990). Quant au dveloppement
personnel, les efforts sont centrs sur le dploiement des ressources
personnelles qui permettent de tirer avantage des alas prometteurs.
Pour ce qui est de la protection de soi, on aide les individus
dvelopper les capacits autorgulatrices qui non seulement leur
permettent dviter les piges sociaux qui peuvent se prsenter eux de
manire inattendue et les inciter, contre leur intrt, adopter des
lignes de conduite potentiellement
- 36. 32 CONVERGENCES THORIQUES nuisibles, mais leur donnent
galement des outils pour pouvoir sextirper de telles situations
difciles si jamais ils sy trouvent coincs. 5 LES MODALITS DE
LAGENTIVIT HUMAINE La recherche et llaboration thorique propos de
lagentivit humaine se sont essentiellement limites lexercice
individuel de lagentivit. Pourtant, ce nest pas la seule manire
dont les gens exercent une inuence sur les vnements affectant leur
existence. La thorie sociale cognitive distingue trois modalits
diffrentes de lagentivit : personnelle, par procuration et
collective. Les analyses prcdentes se sont centres sur la nature de
lagentivit personnelle directe ainsi que sur les processus
cognitifs, motivationnels, motionnels et de slection au travers
desquels elle produit des effets donns. Dans de nombreux domaines
de fonctionnement, les individus nexercent pas de contrle direct
sur les conditions sociales ni sur les pratiques institutionnelles
qui affectent leur vie quotidienne. Dans ces circonstances, ils
recherchent leur bien-tre, leur scurit et les rsultats quils
valorisent par procuration. Dans ce mode dagentivit par la mdiation
sociale, ils essaient de trouver des personnes ayant de linuence et
du pouvoir pour sassurer dobtenir les rsultats quils souhaitent.
Personne na le temps, lnergie, ni les ressources pour matriser tous
les domaines de la vie quotidienne. Un fonctionnement russi
implique ncessairement un mlange defcacit par procuration dans
certains domaines de fonctionnement pour librer du temps et de
lnergie an de grer directement dautres aspects de sa vie (Baltes,
1996 ; Brandtstdter, 1992). Par exemple, pour obtenir ce quils
dsirent, les enfants sappuient sur leurs parents, les conjoints
sappuient lun sur lautre tandis que les citoyens tentent dinuencer
les actes de leurs reprsentants lgaux. Le contrle par procuration
dpend dune efcacit sociale perue pour inuencer les efforts de
mdiation des autres. Les individus ont recours au contrle par
procuration dans des domaines o ils peuvent exercer de linuence
directe mais sans avoir dvelopp les moyens pour le faire. Ils
croient que les autres peuvent mieux faire queux, ou bien ils ne
veulent pas simposer le poids de certains aspects lis lexercice du
contrle direct. Le contrle personnel nest ni une pulsion inne ni un
trait universel, comme certains le prtendent. Le contrle personnel
a des cots qui peuvent en attnuer lattractivit. Lexercice dun
contrle efcace requiert la matrise de connaissances et de
comptences accessibles uniquement par de longues heures de travail
ardu. De plus, conserver des aptitudes
- 37. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. LA THORIE
SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 33 dans un contexte
marqu par des conditions de vie en perptuel changement demande un
investissement permanent en temps, en efforts et en ressources pour
se renouveler tout le temps. Lexercice du contrle personnel impose
non seulement un travail consquent dautodveloppement continu, mais
il gnre frquemment dimportants risques, responsabilits et sources
potentielles de stress. Les gens ne sont pas particulirement avides
davoir porter les fardeaux de la responsabilit. Bien trop souvent,
ils renoncent au contrle en le conant aux autres alors quil sagit
de domaines o ils pourraient exercer une inuence directe. Ils
agissent ainsi pour se librer des exigences de performance et des
responsabilits lourdes que comporte le contrle personnel. Le
contrle par procuration peut tre utilis dune manire qui favorise
lautodveloppement ou qui freine lappropriation de comptences
personnelles. Dans ce dernier cas, une partie du prix de lagentivit
par procuration est la vulnrabilit tributaire des comptences, du
pouvoir et des faveurs dautrui. Les gens ne vivent pas leur vie de
faon isole. Beaucoup de ce quils recherchent ne saurait se raliser
que par des efforts socialement interdpendants. Par consquent, ils
doivent collaborer avec dautres pour obtenir ce quils ne peuvent
avoir tout seuls. La thorie sociale cognitive tend le concept
dagentivit humaine jusqu lagentivit collective (Bandura, 1997). La
croyance quont les gens de pouvoir produire collectivement des
rsultats souhaits est une composante essentielle de lagentivit
collective. Les russites des groupes ne sont pas seulement gnres
par le partage des intentions, du savoir et des comptences de ses
membres, mais galement par la synergie des dynamiques interactives
et coordonnes qui caractrisent leurs transactions. tant donn que la
performance collective dun systme social implique des dynamiques
transactionnelles, lefcacit collective perue est une proprit
mergente au niveau du groupe ; elle nest pas simplement la somme
des croyances des individus en leur efcacit. Cela dit, il nexiste
pas dentit mergente qui oprerait indpendamment des croyances et des
actions des individus qui composent le systme social. Ce sont les
personnes qui agissent conjointement partir de croyances partages,
non pas un esprit de groupe dsincarn qui rchit, vise des rsultats,
se motive et rgule son action cette n. Les croyances defcacit
collective servent des fonctions semblables celles du sentiment
defcacit personnelle et fonctionnent au travers de processus tout
fait analogues (Bandura, 1997). Des tudes empiriques en provenance
de divers champs de recherche conrment limpact de lefcacit
collective perue sur le fonctionnement du groupe (Bandura, 2000).
Certaines de ces tudes ont valu les effets de lefcacit collective
perue quand elle est exprimentalement induite des niveaux
diffrencis. Dautres tudes ont examin les effets quexercent des
croyances defcacit collective dveloppes naturellement sur le
fonctionnement de divers systmes sociaux, y compris les systmes
ducatifs, les
- 38. 34 CONVERGENCES THORIQUES entreprises, les quipes
sportives, les entits de combat, les communauts urbaines et des
groupes daction politique. Dans leur ensemble, les rsultats
montrent que plus lefcacit collective perue est forte, plus les
aspirations dun groupe et son investissement dans ses projets sont
levs, plus il rsiste face aux obstacles et aux revers, meilleurs
sont son moral, sa rsilience face au stress et ses performances.
Les thories de lagentivit humaine et collective sont mailles de
dualismes discutables que la thorie sociale cognitive rejette. Ces
dualismes concernent lagentivit personnelle contre les structures
sociales, lagentivit autocentre contre le sens de communaut et
lindividualisme contre le collectivisme. Le clivage entre agentivit
et facteurs socio-structurels oppose les thories psychologiques aux
thories sociologiques, suggrant quil sagit de thories concurrentes
du comportement humain, ou que chacune se rserve les droits
exclusifs lgard de son niveau de causalit propre . Le
fonctionnement humain est enracin dans des systmes sociaux. Ainsi
lagentivit personnelle opre-t-elle au sein dun vaste rseau
dinuences socio-structurelles. En grande partie, les structures
sociales reprsentent des systmes de rgles autorises, des pratiques
sociales et des sanctions conues pour rguler les affaires humaines.
Ces fonctions socio-structurelles sont assures par le biais dtres
humains qui occupent ces rles autoriss (Giddens, 1984). Dans le
cadre des rgles structurelles des systmes sociaux, on observe de
fortes variations personnelles quant leur interprtation, leur
adoption, leur transgression, voire lopposition active leur gard
(Burns et Dietz, 2000). Ces transactions nimpliquent pas une dualit
entre une structure sociale rie et dsarticule davec les personnes
et leur agentivit, mais bien une interaction dynamique entre les
individus et ceux qui supervisent le fonctionnement institutionnel
des systmes sociaux. La thorie sociale cognitive explique le
fonctionnement humain en termes de causalit triadique rciproque
(Bandura, 1986). Dans ce modle de causalit rciproque, les facteurs
personnels internes, sous la forme dvnements cognitifs, affectifs
et biologiques, le comportement et les inuences environnementales
fonctionnent tous comme des dterminants en interaction qui
sinuencent bidirectionnellement. Lenvironnement nest pas une entit
monolithique. La thorie sociale cognitive distingue entre trois
types de structures environnementales (Bandura, 1997).
Lenvironnement peut ainsi tre impos, choisi ou construit. Ces
diffrentes structures environnementales recouvrent des degrs de
modiabilit impliquant la mise en uvre de formes diffrentes
dagentivit personnelle tant en termes de primtre que de centration.
Dans la thorie sociale cognitive, les facteurs socio-structurels
oprent au travers des mcanismes psychologiques du soi pour produire
des effets comportementaux. Ainsi, par exemple, les conditions
conomiques, le statut social et les structures ducatives et
familiales affectent le comportement non pas directement, mais en
grande partie au travers de leur impact sur les aspirations des
individus, leur sentiment defcacit, leurs standards
personnels,
- 39. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. LA THORIE
SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 35 leurs tats
affectifs et autres inuences autorgulatrices (Baldwin et al., 1989
; Bandura, 1993 ; Bandura et al., 1996a, 2000a ; Elder et Ardelt,
1992). Les dterminants socio-structurels et psychologiques ne
peuvent pas non plus faire lobjet dune classication dichotomique
parfaitement nette, rpartis en inuences proximales ou distales. La
pauvret, identie en tant que statut socio-conomique bas, nest pas
une affaire de causalit multiples niveaux ni de causalit distale.
Manquer dargent pour subvenir aux besoins de sa famille a
dimportantes rpercussions sur la vie quotidienne et ce, dune manire
trs proximale . La multicausalit implique la codtermination du
comportement par des sources dinuence diffrentes, non pas des
dpendances causales entre niveaux distincts. Le systme de soi nest
pas seulement un conducteur des inuences socio-structurelles. Bien
que le soi soit socialement constitu, cest en exerant une
auto-inuence que les agents humains interviennent de faon proactive
et non seulement ractive pour faonner les caractristiques de leurs
systmes sociaux. Dans ces transactions agentiques, les gens sont
autant les producteurs que les produits des systmes sociaux.
Lagentivit personnelle et la structure sociale oprent de manire
interdpendante. Les structures sociales sont cres par lactivit
humaine et les pratiques socio-structurelles, leur tour, imposent
des contraintes et fournissent des ressources et des opportunits
pour le dveloppement et le fonctionnement personnels. Un autre
clivage discutable assimile incorrectement lauto-efcacit une forme
dindividualisme autocentr imbu dgosme, tout en lopposant aux liens
communautaires et la responsabilit civique. Un sentiment defcacit
nexalte pas ncessairement le soi ni nencourage un style de vie, une
identit ou une morale ignorant bien-tre collectif. travers
lexercice inbranlable dune auto-efcacit commandant le respect,
Gandhi a mobilis une force collective massive provoquant une vague
de changements sociopolitiques majeurs. Il menait une vie asctique,
sans complaisance personnelle. Si la croyance