Traité de psychologie de la motivation

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S O C I A L E Sous la direction de Philippe Carré et Fabien Fenouillet Traité de psychologie de la motivation

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  • 1. e l Philippe Carr et Fabien Fenouillet s o c i a Sous la direction de Trait de psychologie de la motivation
  • 2. Trait de psychologie de la motivation
  • 3. P S Y C H O S U P Trait de psychologie de la motivation Sous la direction de Philippe Carr et Fabien Fenouillet
  • 4. Dunod, Paris, 2009 ISBN 978-2-10-053515-6
  • 5. LISTE DES AUTEURS Ouvrage ralis sous la direction de : Philippe CARR Fabien FENOUILLET Professeur en sciences de lducation luniversit Paris Ouest-Nanterre La Dfense. Matre de confrences en sciences de lducation luniversit Paris Ouest-Nanterre La Dfense. Avec la collaboration de : Jacques AUBRET Albert BANDURA Serge BLANCHARD tienne BOURGEOIS Philippe BRUNEL Nomie CARBONNEAU Yves CHANTAL Laurent COSNEFROY Antonia CSILLIK Pierre-Henri FRANOIS Dominique GELPE Patrick GOSLING Marc-Andr K. LAFRENIERE Professeur mrite de psychologie de lorientation lInetop (Cnam). Professeur de psychologie sociale, Stanford University (USA). Chercheur en psychologie de lorientation lInetop (Cnam). Professeur de sciences de lducation luniversit catholique de Louvain (Belgique). Matre de confrences HDR en sciences et techniques des activits physiques et sportives luniversit de Limoges. Doctorante, universit du Qubec Montral (Canada). Matre de confrences luniversit de Limoges. Matre de confrences en sciences de lducation lIUFM de Rouen. Matre de confrences en psychologie luniversit Paris Ouest-Nanterre La Dfense. Matre de confrences en psychologie sociale luniversit de Poitiers. Chercheur, laboratoire SACO, universit de Poitiers et AFPA. Professeur en psychologie du travail luniversit Paris Ouest-Nanterre La Dfense. Doctorant, universit du Qubec Montral (Canada).
  • 6. Jacques LECOMTE Salvatore MAUGERI Thierry MEYER Sandrine SCHIANOLOMORIELLO Robert VALLERAND Charg de cours luniversit Paris OuestNanterre La Dfense. Matre de confrences en sociologie luniversit dOrlans. Professeur de psychologie sociale luniversit Paris Ouest-Nanterre La Dfense. ATER luniversit de Limoges. Professeur de psychologie sociale luniversit du Qubec Montral (Canada).
  • 7. SOMMAIRE CHAPITRE 1 DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF (Philippe Carr) 1 Premire partie Convergences thoriques CHAPITRE 2 LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : (Albert Bandura) UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE CHAPITRE 3 15 LA THORIE DE LAUTODTERMINATION ET LE MODLE HIRARCHIQUE DE LA MOTIVATION : PERSPECTIVES INTGRATIVES (Robert J. Vallerand, Nomie Carbonneau, Marc-Andr K. Lafrenire) 47 LES THORIES DE LATTRIBUTION : CAUSE ET RESPONSABILIT (Patrick Gosling) 67 LES THORIES REPOSANT SUR LE CONCEPT DE BUT (Laurent Cosnefroy) 89 INTRINSQUE ET EXTRINSQUE CHAPITRE 4 CHAPITRE 5 CHAPITRE 6 LA THORIE DU FLUX. COMMENT LA MOTIVATION INTRINSQUE (Jacques Lecomte) DONNE DU SENS NOTRE VIE 107
  • 8. VIII TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION Deuxime partie Enjeux pour les pratiques CHAPITRE 7 MOTIVATION ET APPRENTISSAGES SCOLAIRES (Laurent Cosnefroy et Fabien Fenouillet) 127 CHAPITRE 8 MOTIVATION ET VIE ADULTE (Jacques Aubret) 147 CHAPITRE 9 MOTIVATION ET ORIENTATION SCOLAIRE ET PROFESSIONNELLE (Serge Blanchard et Dominique Gelpe) 167 CHAPITRE 10 MOTIVATION ET TRAVAIL (Salvatore Maugeri) 187 CHAPITRE 11 MOTIVATION ET MANAGEMENT (Pierre-Henri Franois) 211 CHAPITRE 12 MOTIVATION ET FORMATION DES ADULTES (tienne Bourgeois) 233 CHAPITRE 13 MOTIVATION ET PRATIQUE SPORTIVE (Philippe C. Brunel, Yves Chantal et Sandrine Schiano-Lomoriello) 253 CHAPITRE 14 MOTIVATION, COMMUNICATION DES RISQUES ET CHANGEMENT DATTITUDE (Thierry Meyer) 273 CHAPITRE 15 LENTRETIEN MOTIVATIONNEL (Antonia Csillik) 289 CHAPITRE 16 VERS UNE APPROCHE INTGRATIVE DES THORIES DE LA MOTIVATION (Fabien Fenouillet) 305 Bibliographie 339 Index des notions 381 Index des auteurs 383 Table des matires 385
  • 9. Chapitre 1 DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF1 1. Par Philippe Carr.
  • 10. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. 1 UNE PROCCUPATION UNIVERSELLE La question des motifs de nos actes et des processus qui mnent la dcision et laction est au cur de la pense humaine. Les essais dexplication du dsir, de la volont, du besoin, de la passion, bref de toutes les tendances humaines qui mnent laction, sont au cur des plus grands systmes philosophiques de lhistoire ; selon picure (341-270 av. J.-C.), par exemple, propos de chaque dsir, il faut se poser cette question : Quel avantage rsultera-t-il si je ne le satisfais pas ? . La question du pourquoi de nos actes recouvre, aujourdhui a fortiori, des enjeux universels pour la connaissance des faits humains et laction quotidienne. On en trouve des exemples rguliers dans la plupart des domaines de la vie sociale. En ducation, bien sr : un numro rcent du Monde de lducation, qui faisait tat du thme arriv largement en tte du dbat national sur lcole afchait en couverture le titre suivant : Motiver, motiver, comment motiver les lves ? Le monde professionnel est videmment un autre lieu de questionnement rcurrent sur la question : managers, responsables de ressources humaines et leaders cherchent depuis longtemps les cls de limplication des salaris, suppose garante de la performance globale dune entreprise. Le thme de lengagement (au travail, dans la recherche demploi, linsertion, le dveloppement des comptences) traverse de faon lancinante les proccupations dominantes des spcialistes de lorientation, de la formation, de lemploi, de lorganisation. Tous les territoires de la vie sociale et prive sont quotidiennement investis par un questionnement prosaque sur les raisons de nos actes, des motivations dachat aux motifs du crime, en passant par linterrogation sur les mobiles, les raisons, les explications du comportement du parent, du collgue, de lamoureux ou de lamie, voire encore du sien propre. La question de pourquoi nous faisons ce que nous faisons est une constante de la rexion humaine, quelle soit quotidienne ou scientique.
  • 11. 4 TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION Au plan scientique, la plus ancienne des notions forges dans ce domaine foisonnant, la plus rpandue empiriquement, la mieux tablie thoriquement, mais aussi la plus conteste et parfois la plus contestable est bien sr celle de motivation, dnie comme un construit hypothtique cens dcrire les facteurs internes et externes produisant le dclenchement, la direction, lintensit et la persistance du comportement (Vallerand et Thill, 1993). On peut en retrouver les racines scientiques dans la psychologie comportementaliste des dbuts du XXe sicle. Cest sans doute cet hritage pesant (et pour daucuns, honteux) qui explique, en partie, le caractre sulfureux du terme aujourdhui. Le concept de motivation est en effet trs ingalement usit, son statut scientique plus ou moins reconnu dans la psychologie et les sciences de lducation de langue franaise aujourdhui. En sciences humaines, la notion de motivation est souvent ignore, parfois mprise, voire relgue au rang de savoir de sens commun. Son vocation dclenche des attitudes diverses que lon peut rsumer comme suit : la dngation : la motivation est alors conue comme un concept cr de toutes pices pour dcrire des tats que lon narrive pas expliquer ; construction la fois inutile et articielle, linvoquer devient superu, voire mysticateur. Il convient donc de lliminer du vocabulaire scientique ; lindiffrence : tenant lexistence de ce quelque chose qui fait agir pour une vidence indiscutable, mais dans lincapacit den tirer des apports dans lintervention ou la comprhension des phnomnes humains, on passe la notion par pertes et prots , en regrettant parfois de ne pouvoir mieux lexploiter ; la rsignation : cest la posture pessimiste et par consquent dfaitiste du convaincu qu on est motiv ou on ne lest pas , sous leffet dune loi du tout ou rien , dont on pourrait sans doute retrouver les racines dans le terreau biologique, pavlovien de la notion ; lincantation : cette gure reprsente une variante de la prcdente en pratique, porte par une conception plus optimiste, mais sans doute aussi illusionne, de la toute-puissance de cette nergie , mystrieuse et vanescente, qui dterminerait de faon automatique linvestissement individuel dans laction. On peut trouver au relatif dni de statut scientique de la motivation sur le champ intellectuel franais un certain nombre de raisons, par-del le manque de connaissance des ouvrages crits en anglais sur le thme. On y peroit les traces laisses par les interprtations de trois systmes dides dominants qui se sont intresss aux motifs du comportement dans la psychologie du XXe sicle : bhaviorisme, psychanalyse, humanisme. Si lon interroge praticiens des ressources humaines, de la formation ou tudiants en psychologie ou sciences de lducation, quant aux grands auteurs sur la motivation, on obtient gnralement une liste baroque de pdagogues, philosophes et psychologues parmi lesquels gurent en bonne place Freud, Skinner et Maslow. Or
  • 12. DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF 5 on sait quel point les expriences de conditionnement, classique puis oprant, ont donn de la motivation une image rductrice et caricaturale ; et si avec Petot (in Vallerand et Thill, 1993) on admet que la psychanalyse est, pour lessentiel, une thorie de la motivation , alors on reconnatra que ces deux systmes ont diffus de cette thmatique une image partielle, contestable et dcourageante. Quant Maslow, connu pour le schmatisme de sa pyramide des besoins , aujourdhui largement conteste (si ce nest pour sa valeur pragmatique, du moins quant sa validit thorique), sa vision simplicatrice du fonctionnement de la motivation a sans doute contribu dcrdibiliser la notion. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. De sorte qu lore des annes 1990, hormis lexception notable que reprsente louvrage pionnier de Nuttin Thorie de la motivation humaine (1980), le champ scientique francophone de la motivation est en friche. Louvrage fondateur de Vallerand et Thill (1993) a alors permis de dsenclaver la notion de ses gangues caricaturales, de lui (re)donner statut de concept scientique et a contribu lessor de la recherche francophone sur cette question. Les publications sur ce thme se sont en effet multiplies au cours des toutes dernires annes, principalement dans le champ de lducation scolaire (Viau, 1994 ; Lieury et Fenouillet, 1996 ; Delannoy, 1999 ; Galand et Bourgeois, 2006), celui du travail (Michel, 1989 ; Francs, 1995 ; Feertchak, 1996 ; LvyLeboyer, 1998, 2007 ; Maugeri, 2004) de la formation (Carr, 1998 ; 2001) ou du sport (Cury et Sarrazin, 2001), allant jusqu entraner le dsenfouissement de la pense des prcurseurs1. Cette production sinscrit dans le sillage dune modication des paradigmes dominants de ltude de la motivation humaine et tmoigne de lessor remarquable de ce thme de recherche qui ne fait que saccrotre en milieu anglo-saxon depuis les annes quatre-vingt-dix (Weiner, 1992 ; Higgins et Kruglanski, 2000 ; Tesser, Stapel et Wood, 2002 ; Mc Inerney et Van Etten, 2004 ; Elliot et Dweck, 2005 ; Reeve, 2005 ; Shah et Gardner, 2008). Cet essor sinscrivant sur un fond dintrt sensible aux tats-Unis depuis plus dun demi-sicle, ainsi quen attestent les centaines de productions de recherche prsentes dans le cadre des Nebraska Symposia on Motivation runis annuellement depuis 1953 2 RENOUVEAU THORIQUE Le paradigme nouveau de la motivation a ainsi pris son envol au tournant du XXIe sicle dans le cadre dune priodisation socio-historique parfois qualie 1. Ainsi du rcent ouvrage sur la psychologie de P. Diel (Bavelier, 1998).
  • 13. 6 TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION de post-moderne , pour illustrer la rupture socitale avec la modernit industrielle et son dpassement vers des formes indites de fonctionnement conomique, social, technologique et culturel au plan mondial. Ce contexte saccompagne au plan des idologies de la chute des grands systmes explicatifs donneurs de sens qui ont domin la pense du XXe sicle. Chacun de ces systmes dinterprtation du monde est porteur dune conception du sujet et se traduit dans les orientations thoriques dominantes des sciences sociales et humaines une poque donne. Ainsi, particulirement en milieu francophone, du socio-structuralisme dinspiration marxiste, puis bourdieusienne, caractris par la vision dun sujet-habitus dtermin, voire alin, par ses conditions objectives dexistence, son appartenance de classe, sa position dans le champ conomique et culturel. Ainsi galement du sujet-pulsion de la psychanalyse aux prises avec les forces complexes de son univers inconscient, ou du sujet-rponse du bhaviorisme, ragissant aux stimulations de son environnement selon les lois du conditionnement. Ainsi enn du sujetdmiurge des psychologies humanistes, tendu vers lactualisation de soi dans la toute-puissance de sa libert Par contraste, le XXIe sicle voit surgir et se dvelopper de nouveaux systmes explicatifs plus modestes, moins marqus du sceau de leurs idologies fondatrices, mieux prouvs laune de dmarches danalyse rigoureuses et contrles, autour dun paradigme sociocognitif. travers celui-ci se dessine la gure dun sujet-arbitre, ultime juge de la combinatoire volutive de ses dterminations socio-familiales, de ses expriences de vie et de lexercice de sa puissance personnelle dagir (Ricur), dans un retour la formule sartrienne qui pose lnigme de lexistence comme ce que lon fait de ce que la vie a fait de nous . Renouveau : il ne sagit plus, en effet, ici, de concevoir la motivation comme il y a un quart de sicle, autour du concept initial, dorientation bhavioriste, indissolublement li aux thories du conditionnement animal. Ni comme lexpression dun dsir aux contours ous, port par les logiques opaques de linconscient, ni, comme aujourdhui encore, se plat parfois le dvoyer une certaine littrature managriale ou pdagogique, frue de schmas simples pour mettre au travail quipes dmobilises ou lves apathiques. Lmergence et la domination graduelles du paradigme cognitiviste initial du dernier quart du XXe sicle nont pas immdiatement chang grand-chose cette dsaffection pour la recherche motivationnelle. Psychologie froide , centre sur les processus de traitement de linformation, longtemps domine par la mtaphore de lordinateur humain, la psychologie cognitive de lapprentissage, tout en reconnaissant limportance des aspects dynamiques, affectifs, motivationnels de laction, les relguait, prcisment, au champ de lmotion et de laffectivit, sous-traitant parfois la question la psychanalyse Cest dans ce cadre chaotique, donc propice aux remises en question et port par lessor dune psychologie cognitive chaude , aux conns de la pense, de lmotion et de lintention, que rapparat le concept de motivation,
  • 14. DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF 7 aux tats-Unis dabord, puis, via le Qubec, sous nos latitudes. On y dcouvre un ensemble conceptuel en voie dorganisation (Weiner, 1992), riche de la vision ouverte, dun sujet social actif, co-auteur de sa propre histoire, agissant lintrieur dun rseau de contraintes et dterminations externes avec lesquelles il est en perptuelle interaction. Port par les thories de lexpectation et de la valeur, de lattribution, de lauto-efcacit, des buts, de lautodtermination et de la comptence, le nouveau courant de la psychologie des motivations fait une large place lanalyse des reprsentations davenir, du contexte social et de la conception de soi. Cest dire quil croise la fois les problmatiques cognitives classiques des reprsentations, les thories psychosociales du soi et les psychologies matrialistes de la personnalit (Leontiev, Wallon, Sve). Ce courant sinscrit dans la mouvance dune psychologie sociocognitive chaude , hritire de la psychologie sociale exprimentale, tourne vers ltude rigoureuse et contrle des interactions entre facteurs dispositionnels, contextuels et comportementaux de la vie psychique. Dans le prsent ouvrage, quinze auteurs bass dans quatre pays (France, Belgique, Canada, tats-Unis), inscrits dans cette discipline ou des disciplines voisines des champs de lducation, de lorientation, de la clinique, des activits sportives ou du travail font ici la dmonstration de la puissance heuristique et de la surface thorique des nouvelles approches de la motivation et de la porte de leurs enjeux pour les pratiques sociales. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. La premire partie du prsent ouvrage est ddie une prsentation synthtique des courants thoriques dominants de la psychologie sociocognitive des motivations. Cette section souvrira avec la thorie sociocognitive de Bandura, thorie dimpact majeur en psychologie aujourdhui. Luvre de cet auteur, dbute Stanford il y a plus de cinquante ans et poursuivie avec tnacit par le psychologue vivant aujourdhui le plus cit au monde (Carr, 2004), est base sur une conception de lagentivit humaine qui fait de nous les co-constructeurs de nos propres destines (chapitre 2). Au cur de cette conception globale du fonctionnement humain, la notion d auto-efcacit fait gure dorganisateur des conduites, aux sources du comportement motiv. Autre grande proposition thorique en dveloppement permanent depuis une trentaine dannes, la thorie de lautodtermination de Deci et Ryan convoque lhypothse du triple besoin de comptence, dautodtermination et dafliation sociale pour nous conduire, via un ensemble de mini-thories , vers une construction majeure et inuente de la motivation intrinsque et extrinsque, applicable diffrents niveaux de gnralit : situationnel, contextuel et global (Vallerand et coll., chapitre 3). Les thories de lattribution mettent en relief diverses conceptions du sujet humain, de la mtaphore du scientique naf celle de lordinateur qui se trompe, du juriste naf au sujet socialement insr, dtermin par des repr-
  • 15. 8 TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION sentations sociales ou des normes (Gosling). La faon dont nous expliquons nos actes, la fonction que remplissent ces explications et leur importance dans nos comportements sont les entres choisies pour le chapitre 4. Les thories reposant sur le concept de but font lobjet dun chapitre qui passe en revue le rle de ces organisateurs de laction que sont les buts ou reprsentations internes dun rsultat dsir (Cosnefroy). Caractristiques des buts, liens entre buts et performances, distinction entre buts de performance et buts dapprentissage sont certains des thmes examins ici (chapitre 5). Enn, en clture de cette partie vocation plus thorique, le chapitre 6 (Lecomte) prsente la thorie du ux , ou exprience optimale, et examine cette situation dextrme motivation intrinsque au cours de laquelle lindividu sengage corps et me dans une activit pour elle-mme, quil sagisse du travail, des pratiques culturelles ou des loisirs, faisant merger les conditions de cette mise en action hyper-motive caractrise par la convergence de buts clairs, dune perception de contrle, dune concentration maximale et dun sentiment de d. 3 RICHESSE DES IMPLICATIONS POUR LES PRATIQUES SOCIALES La seconde partie de louvrage passe en revue un ensemble de pratiques sociales traverses par la notion de motivation et au cours desquelles la problmatique du passage laction est dterminante. Nous commencerons le priple avec, en toute logique, la question premire de lcole et des apprentissages scolaires (Cosnefroy et Fenouillet). Conformment aux dclarations rcurrentes des ducateurs et des responsables du systme scolaire, le chapitre 7 met ainsi en lumire la pertinence des questions abordes par les diffrentes thories de la motivation. En dpit dune impression de puzzle conceptuel que donne de prime abord la littrature dans ce domaine, la lecture du chapitre conrme limpact essentiel que lunivers thorique sociocognitif de la motivation peut avoir sur lamlioration des pratiques et la comprhension des dynamiques de lapprentissage scolaire, au triple plan de son dclenchement, sa rgulation et ses modes de mmorisation. Passant de lenfance lge adulte, on abordera ensuite la question du dveloppement de la vie entire, de la jeunesse au grand ge. Deux grandes questions sont ici traites : comment observer les motivations au cours de la vie adulte ? comment les dvelopper ? (Aubret, chapitre 8). On percevra limportance de ces questions lheure o linvitation, qui se fait souvent injonction, devenir agent de soi-mme devient de plus en plus universelle,
  • 16. DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF 9 quil sagisse de rapport au travail, la formation, aux choix de vie professionnels et privs La transition sera uide avec le chapitre 9 sur lorientation professionnelle. Dans ce domaine, ltude scientique de la motivation a de longue date t prise au srieux, au plan empirique comme thorique, ce qui sexplique facilement compte tenu de lvidence de la problmatique du choix de nos actes dans le secteur de lorientation. En particulier, la question des reprsentations de soi comme schmas directeurs de la conduite , question prminente dans le domaine, conduit directement vers les thories sociocognitives passes en revue dans la premire partie de louvrage. Les thmes du sentiment defcacit personnelle, de lautodtermination et des buts trouvent ici, peuttre encore plus quailleurs, une vidente lgitimit, dans le cadre dune conception dun sujet actif, agent de ses conduites, qui construit sa rexion dans le cadre de linteraction sociale de la relation de conseil (Blanchard). Dunod La photocopie non autorise est un dlit. Suite logique de notre progression travers cet ouvrage, le thme de la motivation trouve un sens vif aujourdhui dans le contexte du travail. Conrmant que chaque thorie de la motivation porte la marque de son poque , Maugeri (chapitre 10) souligne le caractre stratgique, pour lentreprise, de la question des motivations, quil sagisse de lengagement dans le travail, de lorientation des efforts des salaris, de la force et de la persistance de leur implication dans la tche. Le monde industriel et des services daujourdhui est pilot par une individualisation des modes de gestion et une autonomisation des quipes qui, jointes lincertitude dominante qui pse sur les conomies capitalistes, implique un recours accru aux ressources des personnes, quelles soient cognitives ou affectives. Dans un tel contexte historique, conomique et social, la thmatique des motivations trouve dvidence sa justication. Le management est ds lors au cur dune ventuelle gestion des motivations des quipes et des individus. Responsable des rsultats obtenus par le systme humain dont il a la charge, le manager se voit contraint aujourdhui de penser les leviers daction qui pourront agir sur lefcacit collective, do bien sr la centralit du thme qui nous intresse ici. Comme lindique Franois, le domaine des sciences de gestion et, plus prcisment, du management a, de longue date, explor les ressources que les thories de la motivation pouvaient apporter lamlioration de lefcience des organisations. Leadership, habilitation (empowerment) du personnel, contrat et dmocratie organisationnelle sont certains des thmes abords dans cette perspective (chapitre 11). De faon trs lie aux chapitres prcdents, la question de la formation des adultes fait lobjet du chapitre 12. Pour Bourgeois, cette question est plus que jamais lordre du jour : la responsabilisation des salaris, mentionne ci-dessus, mais galement des demandeurs demploi en priode de tensions sur le march du travail, sans omettre la lancinante proccupation de dveloppement
  • 17. 10 TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION des comptences, voire celle du dveloppement dune apprenance citoyenne, sont autant de raisons de se pencher avec srieux sur la thmatique de la motivation. Lauteur du chapitre passe en revue les deux situations que forment lentre en formation et lengagement dans les apprentissages, reliant les dimensions majeures que sont les reprsentations de la valeur de la formation et des chances de russite que le sujet sattribue dans le contexte de ses interactions avec son contexte pdagogique et organisationnel. Dans le domaine du sport (chapitre 13), on constate que les tudes sur la motivation font partie de plein droit des rfrences thoriques incontournables dans le traitement de problmatiques essentielles, comme la performance et le fair-play. partir des constructions thoriques du sentiment dautodtermination, de lauto-efcacit et des buts, Brunel et ses collaborateurs soulignent la pertinence des thories sociocognitives de la motivation dans la comprhension des comportements lis la pratique sportive, quelle soit tourne vers lamlioration des performances ou le souci de ralisation de soi. Les deux derniers chapitres de cette seconde partie consacre aux usages des thories de la motivation traitent de leur importance dans les domaines du changement dattitudes et du conseil (thrapeutique ou autre). Meyer prsente dans le chapitre 14 la perspective de la cognition motive et illustre ce cadre de rexion par lexemple de la communication des risques. Il indique quel point cette question sapplique tous les domaines dans lesquels lincertitude et la dcision sont impliques : cest dire limportance de ce chapitre. sa suite est prsente une nouvelle approche de lentretien, dit motivationnel , grce auquel les thories de la motivation trouvent une application directe dans le traitement par thrapies brves de divers dysfonctionnements psychiques (Csillik, chapitre 15). Dans un croisement avec lapproche rogrienne du dveloppement de la personne, on pourra lire ici quel point la combinatoire dun climat dacceptation et de lusage des concepts sociocognitifs de motivation peut mener la rsolution de troubles aussi divers que lalcoolisme, les toxicomanies, les comportements risque et les drglements alimentaires, permettant la mise en synergie des dimensions cognitives, motionnelles et comportementales de lengagement autodirig dans le changement. Enn, en manire de clture (provisoire) du dossier, Fenouillet nous livre une synthse ambitieuse de soixante-quinze entres conceptuelles dans lunivers en bullition des thories de la motivation. Dbouchant, aprs une analyse minutieuse de la littrature, principalement anglo-saxonne, du domaine, sur un modle intgratif de la motivation, il nous permet de terminer louvrage sur des perspectives de clarication du champ complexe, protiforme et essentiel de lanalyse du comportement motiv. largissant la problmatique la volition, comme phase seconde du processus motivationnel, il ouvre avec le chapitre nal de louvrage la perspective dune conception englobante des dimensions conatives du choix et de lorientation des conduites, conception
  • 18. DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF 11 construite partir de larticulation des concepts motivationnels proprement parler et de leurs contreparties volitionnelles, liant en une synthse heuristique dimensions prcomportementales et comportementales de laction motive. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. 4 DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF Et ainsi, de faon prospective, on pourra se demander si les annes qui viennent ne seront pas celles de lmergence, dans le cadre dune psychologie gnrale en recomposition, dun tiers secteur caractrisant, par-del les champs cognitif et affectif (ou motionnel), la spcicit des comportements volontaires, dpassement dialectique des reprsentations et des affects travers lanticipation de laction, lengagement, le projet, la construction de soi et de son propre devenir Cest sans doute le pari que font de nombreux auteurs quand ils introduisent, la suite de M. Reuchlin (1990), le terme de conation pour runir lensemble des observations, des concepts et des thories portant sur le choix et lorientation des conduites . Cest un certain retour ltude des motivations, mais dbarrasse de sa gangue de reprsentations aujourdhui dsutes et transforme par les apports du raz-de-mare cognitif. Mcanismes danticipation et de reprsentation de lavenir, logique des buts et du projet, dune part, perception de comptence, auto-efcacit et auto-attributions dautre part, processus dautodtermination et de rgulation enn, forment alors les premiers jalons conceptuels dune tude de la conation, qui vient combler les lacunes de la rexion sur les facteurs dynamiques, non strictement cognitifs du rapport laction, de la construction de soi et du rapport aux autres et au monde. Dans cette conception, le sujet social est vu comme un agent de son propre dveloppement, la fois producteur et produit de son existence (Bandura, 2003), dployant son agentivit dans le jeu permanent des interactions entre perception de soi, rgulation du comportement et vnements du contexte de vie. Le soi ne se ramne plus alors un ensemble de caractristiques objectives et dtermines, mais devient le produit volutif dun mlange toujours singulier de dterminations, de hasard et de choix, de mmoire, de rencontres et de projets (Deschavanne et Tavoillot, 2007). Au cur de cette combinatoire, la motivation agit comme un juge arbitre (Weiner, 1992) du comportement humain. On comprend ds lors limportance nouvelle que ce champ de recherche prend en psychologie aujourdhui.
  • 19. Premire partie CONVERGENCES THORIQUES
  • 20. Chapitre 2 LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE1 1. Par Albert Bandura. Adaptation par S. Brewer et P. Carr de larticle : Social cognitive theory : An agentic perspective , Annual Review of Psychology, 2001, 52, 1-26.
  • 21. tre un agent signie faire en sorte que les choses arrivent par son action propre et de manire intentionnelle. Lagentivit englobe les capacits, les systmes de croyance, les comptences autorgulatrices ainsi que les structures et les fonctions distribues au travers desquelles sexerce linuence personnelle ; elle nest pas une entit discrte localisable. Les traits fondamentaux de lagentivit donnent chacun la possibilit de jouer un rle dans son dveloppement personnel et dans sa capacit sadapter et se renouveler avec le temps qui passe. Avant daborder la perspective agentique de la thorie sociale cognitive, il convient daccorder aux changements de paradigme qui sont intervenus au cours de la brve histoire de la psychologie un moment dattention. Si, dans le cadre de ces transformations thoriques, les mtaphores centrales ont certes volu, il nen reste pas moins que, dans leur majorit, les thories accordent lhomme peu ou pas de capacits dagentivit. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. 1 LES CHANGEMENTS DE PARADIGME DANS LES THORIES PSYCHOLOGIQUES Une majeure partie des premires thories psychologiques fut fonde sur des principes comportementalistes souscrivant un modle entre-sortie (inputoutput) o le comportement est certes rendu possible par un conduit intrieur qui relie ces deux ples, sans toutefois quil exerce une inuence propre sur laction. Selon cette vision, le comportement humain est form et contrl par les stimuli environnementaux de manire automatique et mcanique. Cet axe de rexion est peu peu pass de mode avec lavnement de lordinateur, qui amena assimiler lesprit un calculateur biologique. Dans ce modle, le conduit intrieur est devenu le lieu de nombreuses reprsentations et oprations de calcul gnres par des penseurs intelligents et astucieux.
  • 22. 18 CONVERGENCES THORIQUES Si lordinateur est capable de raliser des oprations cognitives de rsolution de problmes, lhomme ne peut plus tre priv de pense rgulatrice. Aussi le modle input-output a-t-il t supplant par un modle tripartite : input linear throughput output. Lesprit en tant que calculateur numrique est devenu le modle conceptuel de lpoque. Si lorganisme sans esprit tait devenu plus cognitif, il tait toujours aussi priv de conscience et de capacits agentiques. Pendant des dcennies, la mtaphore informatique du fonctionnement humain qui rgnait a vhicul limage dun systme informatique linaire dans lequel linformation est digre par un processeur central qui fabrique les solutions selon des rgles prdtermines. Larchitecture de lordinateur linaire de lpoque a dict le modle conceptuel du fonctionnement humain. Le modle linaire a, son tour, t remplac par des modles computationnels organiss de manire plus dynamique qui ralisent de multiples tches simultanes et interactives pour tenter de mieux reproduire le fonctionnement du cerveau humain. Dans ce troisime modle, linput de lenvironnement dclenche un processus intermdiaire dynamique, multiples facettes, pour produire loutput. Ces modles dynamiques comportent des rseaux neuraux multi-niveaux aptes assurer des fonctions intentionnelles loges au sein dun rseau excutif subpersonnel, lequel fonctionne en labsence de toute activit consciente par lintermdiaire de sous-systmes plus lmentaires. Les organes sensoriels transmettent des informations un rseau neural qui assume le rle de machine mentale capable, de manire non consciente, de raliser les fonctions de conceptualisation, planication, motivation et rgulation. Dans son analyse du computationnisme, Harre (1983) fait remarquer que ce ne sont pas les individus mais leurs composants subpersonnels qui orchestrent leurs conduites. Le niveau personnel suppose lexistence dune conscience phnomnale et lutilisation intentionnelle dinformations et de moyens dautorgulation pour faire advenir des vnements dsirs. La conscience est la substance mme dont est faite la vie mentale ; elle rend non seulement possible la gestion de lexistence, mais la rend digne dtre vcue. La conscience fonctionnelle implique laccs intentionnel et le traitement dlibr des informations en vue de la slection, la construction, la rgulation et lvaluation des conduites. Ces oprations sont effectues grce la mobilisation intentionnelle et lutilisation productive de reprsentations pragmatiques et smantiques des activits, des buts et dautres vnements futurs. Dans son livre clairvoyant sur la cognition vcue (experienced cognition), Carlson (1997) souligne le rle central jou par la conscience dans la rgulation cognitive de laction et le droulement des vnements mentaux. Il y a eu un certain nombre de tentatives visant rduire la conscience soit une sorte dpiphnomne rsiduel dactivits effectues au niveau subpersonnel, soit un sous-systme excutif intgr la machine de traitement de linformation, soit encore un aspect attentionnel du traitement de linformation. Comme le fameux lphant imperceptible malgr sa taille, dans ces
  • 23. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 19 Dunod La photocopie non autorise est un dlit. explications dordre subpersonnel de la conscience, lindividu qui conoit des ns et agit intentionnellement pour les raliser, est invisible. En outre, ces explications rductrices demeurent conceptuellement problmatiques parce quelles cartent les caractristiques essentielles de lhomme que sont la subjectivit, la dlibration autodirige et la rexivit autoractive. Pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons dici peu, la conscience ne saurait tre rduite un sous-produit non fonctionnel de loutput dun processus mental ralis de faon mcanique des niveaux infrieurs non-conscients. Pourquoi une telle conscience piphnomnale, passive, aurait-elle volu et perdur en tant quenvironnement psychique dominant dans la vie des gens ? Sans conscience phnomnale et fonctionnelle, les personnes ne sont que des automates suprieurs, qui subissent des actions, dpourvus de toute subjectivit ou de contrle conscient. De la mme faon, de tels tres ne possderaient aucune vie phnomnale signicative, ni aucun sentiment didentit stable enracin dans leur manire de vivre leur vie et dy rchir. Green et Vervaeke (1996) ont observ qu lorigine, de nombreux adeptes du connexionnisme et du computationnisme ont tenu leurs modles conceptuels pour des modles approximatifs des activits cognitives. Or, plus rcemment, certains dentre eux sont devenus des matrialistes liminatifs qui assimilent les facteurs cognitifs au phlogistique dautrefois. Selon cette vision, les personnes nagissent pas sur la base de leurs croyances, buts, aspirations ou attentes, mais cest plutt la mise en route de leur rseau neural au niveau subpersonnel qui les incite agir. Dans sa critique de lliminativisme, Greenwood (1992) afrme que les cognitions sont des facteurs psychologiques pourvus de contenus smantiques dont le sens ne dpend en rien des propositions explicatives dans lesquelles elles gurent. Le phlogistique navait ni fondement empirique ni valeur explicative ou prdictive. En revanche, les facteurs cognitifs excellent pour prdire le comportement humain et guider des interventions efcaces. Pour trouver leur chemin dans un monde complexe plein de ds et de risques, les individus doivent tre capables de formuler de bons jugements propos de leurs propres capacits, de prvoir les effets probables des divers vnements et conduites possibles, de mesurer ltendue des opportunits et des contraintes dordre socio-structurel qui se prsentent eux et de rgler leur comportement en consquence. Ces systmes de croyances constituent un modle opratoire du monde qui permet chacun de produire des rsultats souhaits et dviter ceux qui ne le sont pas. Des capacits en matire danticipation ainsi que des capacits gnratives et rchies sont donc vitales pour la survie et les progrs humains. Les facteurs agentiques qui savrent explicatifs, prdictifs et dune valeur fonctionnelle dmontre peuvent tre traduits et modliss dans un autre langage thorique mais en aucun cas limins (Rottschaefer, 1985, 1991).
  • 24. 20 CONVERGENCES THORIQUES 2 UNE THORIE PHYSICALISTE DE LAGENTIVIT HUMAINE Comme nous lavons dj afrm, ltre humain nest pas simplement lhte et spectateur de mcanismes internes orchestrs par des vnements du monde extrieur. Il est lagent plutt que le simple excutant de lexprience. Les systmes sensoriels, moteurs et crbraux constituent les outils auxquels les personnes ont recours pour raliser les tches et atteindre les buts qui donnent sens, direction et satisfaction leur vie (Bandura, 1997 ; Harre et Gillet, 1994). Les recherches sur le dveloppement crbral mettent en vidence le rle inuent que joue lagentivit dans lvolution de la structure neuronale et fonctionnelle du cerveau (Diamond, 1988 ; Kolb et Whishaw, 1998). Ce nest pas uniquement le fait dtre expos une stimulation qui apparat dterminant, mais laction agentique dans lexploration, la manipulation et lintervention sur lenvironnement. En rgulant leur motivation et leurs activits, les personnes produisent les expriences qui forment le substrat neurobiologique fonctionnel de comptences symboliques, sociales, psychomotrices et autres. Il est vident que la nature de ces expriences est fortement dpendante des types denvironnements sociaux et physiques que les personnes choisissent et construisent. Une perspective agentique favorise le dveloppement de recherches susceptibles de fournir de nouvelles pistes par rapport la construction sociale de la structure fonctionnelle du cerveau humain (Eisenberg, 1995). Il sagit dun espace dinvestigation o la psychologie peut faire des contributions uniques et fondamentales la comprhension biopsychosociale du dveloppement, de ladaptation et du changement humains. La thorie sociale cognitive soutient un modle dagentivit mergente et interactive (Bandura, 1986, 1999a). La pense nest pas une entit dsincarne, immatrielle qui existerait indpendamment des vnements neuraux qui la produisent. Les processus cognitifs sont des activits crbrales mergentes qui exercent une inuence dterminante. Les proprits mergentes se distinguent qualitativement des lments qui les constituent et ny sont donc pas rductibles. Pour reprendre lanalogie de Bunge (1977), les proprits uniques et mergentes de leau telles que la uidit, la viscosit et la transparence ne sont pas simplement les proprits agrges de ses microcomposants, savoir loxygne et lhydrogne. travers leurs effets interactifs, ces deux corps se transforment en phnomnes nouveaux. Il est ncessaire de faire la distinction entre le substrat physique de la pense, sa construction et son usage fonctionnel. Lesprit humain est gnrateur, crateur, proactif et rexif, non pas seulement ractif. Lenterrement de Descartes et de sa vision dualiste du monde nous oblige relever limmense d explicatif qui consiste btir une thorie physicaliste de lagentivit
  • 25. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 21 humaine et dune thorie cognitive non dualiste. Comment font les personnes pour produire les penses qui exercent une inuence dterminante sur leurs actions ? Quels sont les circuits fonctionnels de lanticipation, de la planication proactive, de laspiration, de lauto-valuation et de lautorexion ? Plus important encore, comment ces capacits sont-elles intentionnellement mobilises ? Dunod La photocopie non autorise est un dlit. Les agents cognitifs rgulent leurs actes par le biais dune causalit cognitive descendante , tout en subissant la mise en activit de leur organisme par la stimulation sensorielle ascendante (Sperry, 1993). Lhomme est capable de concevoir intentionnellement des vnements uniques, dimaginer des conduites indites et de choisir de mettre ou non lune de ces conduites excution. condition dtre incit raliser une telle tche, chacun dentre nous est capable, spontanment et de manire tout fait dlibre, de construire un scnario des plus farfelus, comme, par exemple, limage dun hippopotame rose en tenue de soire en train de voler au-dessus de la lune en chantant la scne de folie de lopra Lucia di Lammermoor. Les notions dintentionnalit et dagentivit soulvent la question fondamentale de savoir comment nous crons des activits sur lesquelles nous exerons une forme de contrle personnel, lequel dclenche les vnements subpersonnels neurophysiologiques ncessaires la ralisation de certaines intentions et aspirations. Ainsi, cest en agissant sur la croyance bien-fonde que lexercice est bnque pour la sant, que les individus sengagent dans diverses activits physiques favorables au maintien de leur sant sans avoir la moindre ide de la manire dont ces vnements surviennent au niveau subpersonnel. Le rsultat en termes dtat de sant est le double produit dune causalit agentique et dune causalit lie au simple droulement des vnements, chaque type de causalit oprant diffrents moments de la squence. La discipline psychologique volue en suivant deux chemins conceptuels bien divergents. Lun des axes thoriques se donne comme objet de clarier la nature des mcanismes fondamentaux qui gouvernent le fonctionnement humain. Les tudes allant en ce sens sont fortement centres sur le fonctionnement interne de lesprit dans le traitement, la reprsentation, le rappel et lutilisation des informations codes en vue dassurer la bonne gestion des exigences lies la ralisation de tches varies. Elles visent galement dterminer lendroit dans le cerveau o ces nombreux vnements se produisent. En rgle gnrale, ces processus cognitifs sont tudis sous une forme dsincarne, coupe de la vie interpersonnelle, sans tenir compte des dmarches dlibres des personnes ni de leurs capacits autorexives. Or les gens sont des tres capables de ressentir et de se xer des buts. Face aux exigences prescrites par diverses tches, les hommes agissent consciemment an de produire les rsultats quils souhaitent, plutt que de subir simplement des vnements au cours desquels les forces situationnelles agissent sur leurs structures subpersonnelles pour produire des solutions. Dans des situations
  • 26. 22 CONVERGENCES THORIQUES exprimentales, des participants sefforcent de savoir ce qui est attendu deux ; ils construisent des hypothses et mettent leurs comptences lpreuve en valuant les rsultats de leurs actions ; ils se xent des buts dordre personnel et se mobilisent pour obtenir des performances qui plaisent aux autres, les impressionnent ou les satisfassent eux-mmes ; lorsquils rencontrent des difcults, ils commencent tenir une sorte de dialogue interne avec euxmmes, pour sencourager ou se dcourager face laction ; sils interprtent leurs checs en se disant que les difcults rencontres peuvent tre vaincues, ils redoublent leurs efforts, mais ils se dmoralisent sils voient en leurs checs des signes de faiblesses personnelles ; sils se croient exploits, contraints, insults ou manipuls, ils rpondent de manire apathique, peu cooprative, voire mme avec hostilit. Dans les sciences cognitives, ces facteurs motivationnels tout comme dautres facteurs lis lautorgulation qui gouvernent non seulement le niveau mais encore la qualit de lengagement personnel dans des activits prescrites sont vus comme allant de soi au lieu dtre inclus explicitement dans des structures causales (Carlson, 1997). Le second axe thorique est centr sur le fonctionnement de facteurs socialement situs et sur le rle que ces facteurs macro-analytiques jouent dans le dveloppement, ladaptation et le changement humains. Dans ce cadre thorique, le fonctionnement humain est analys comme un phnomne socialement interdpendant et richement contextualis qui est orchestr de manire conditionnelle au travers des dynamiques de divers sous-systmes socitaux et de leurs interactions complexes. Or, dans cette approche macroanalytique, les mcanismes censs relier les facteurs dordre socio-structurel laction relle demeurent en grande partie inexpliqus. Une thorie comprhensive doit dpasser ce genre de dualisme analytique en intgrant les dimensions causales personnelle et sociale dans une seule structure de causalit. En effet, les inuences socio-structurelles oprent ncessairement au travers de mcanismes psychologiques pour produire des effets comportementaux. Nous reviendrons plus tard la question des rapports rciproques ou bidirectionnels qui caractrisent les interactions entre les structures sociales et lagentivit personnelle. 3 LES TRAITS FONDAMENTAUX DE LAGENTIVIT HUMAINE Les traits fondamentaux de lagentivit humaine soulvent la question de ce que signie le fait dtre humain. Nous allons les examiner dans les sections suivantes.
  • 27. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 23 Dunod La photocopie non autorise est un dlit. 3.1 Lintentionnalit Lagentivit dsigne tout acte ralis intentionnellement. Par exemple, lindividu qui brise un vase dans un magasin dantiquits suite au croche-pied fait accidentellement par un autre client ne serait pas considr comme lagent de lvnement en question. Bien entendu, les transactions humaines impliquent des incitations circonstancielles, mais celles-ci ne jouent pas le rle de forces dterminantes. Les individus peuvent choisir de se comporter en saccommodant des autres personnes et des circonstances ou bien se comporter diffremment, en exerant une auto-inuence. Une intention est une reprsentation dune action future non encore ralise. Elle ne se rduit pas une simple attente ni une prdiction de telles actions futures, mais constitue un engagement proactif qui tend vers leur ralisation. Les intentions et les actions sont deux aspects diffrents dune mme relation fonctionnelle articule dans le temps. Ds lors il est important de parler des intentions comme tant enracines dans des motivations personnelles qui affecteront la ralisation des actions un moment ultrieur. Lagentivit dite de planication (planning agency) peut produire divers rsultats. Les rsultats ne sont pas les caractristiques dactes agentiques, mais en sont bien les consquences. Comme lexplique Davidson (1971), des actions conues pour atteindre un but dtermin peuvent nanmoins occasionner des consquences assez diffrentes. Il donne lexemple du mlancolique Hamlet qui poignarde intentionnellement lhomme cach derrire une tapisserie, croyant quil sagit du roi, seulement pour dcouvrir, sa grande horreur, quil a assassin Polonius. Le meurtre du roi tait bien intentionnel, mais cest une autre victime qui a t tue. Quelques-unes de nos actions ralises avec la conviction quelles vont engendrer des rsultats souhaits, nissent en ralit par produire des consquences qui ne sont ni envisages ni voulues. Par exemple, il nest pas rare que les individus contribuent leur propre malheur en ralisant des transgressions intentionnelles suite de graves erreurs de calcul quant leurs consquences. Certaines politiques et pratiques sociales conues avec les meilleures intentions savrent infructueuses, voire contre-productives, parce que leurs effets nfastes nont pu tre prvus. En bref, le pouvoir dtre lorigine dactes visant des buts donns constitue le trait distinctif de lagentivit personnelle. Que lexercice de cette agentivit ait des effets bnques ou nuisibles, quil donne lieu des consquences non envisages est une tout autre question. Les intentions sont centres sur des plans daction. Les projets sont rarement labors dans le dtail ds le dbut. Il faudrait tre quasiment omniscient pour pouvoir anticiper chaque dtail circonstanciel. De surcrot, transformer un futur imagin en ralit exige des intentions orientes vers le prsent ou le proche avenir qui servent guider et encouragent aller de lavant (Bandura, 1991b). Dans lapproche fonctionnaliste de lagentivit intentionnelle propose par Bratman (1999), des intentions partielles initiales sont compltes et
  • 28. 24 CONVERGENCES THORIQUES ajustes, rvises, afnes ou mme reconsidres la lumire de nouvelles informations qui se prsentent au cours de lexcution dune intention. Nous allons bientt voir que la ralisation de projets davenir ncessite bien plus que des intentions parce quen termes de causalit, ltat intentionnel ne suft pas lui seul. Dautres aspects autorgulateurs de lagentivit contribuent la mise en uvre russie des intentions. Autre dimension fonctionnelle de lintention prciser, la plupart des activits humaines impliquent la participation dautres agents. Ces activits conjointement ralises requirent un engagement lgard dune intention partage ainsi que la coordination de programmes daction interdpendants. Le d des activits collaboratives est de russir lintgration des divers intrts personnels au service de buts communs et dintentions collectives poursuivies de concert. 3.2 La pense anticipatrice Ltendue temporelle de lagentivit va au-del de la planication dactions futures. La perspective davenir se manifeste de faons multiples et diverses. Les personnes se xent des buts, anticipent les consquences probables dactions futures, slectionnent et crent des squences daction susceptibles de produire des rsultats souhaits et dviter des rsultats fcheux (Bandura, 1991b ; Feather, 1982 ; Locke et Latham, 1990). travers lexercice de la pense anticipatrice, les personnes se motivent et guident leurs actions dans lanticipation dvnements futurs. Quand elle se projette sur des objectifs valoriss long terme, une perspective anticipatrice donne de la direction, de la cohrence et un sens la vie. mesure que les personnes voluent tout au long de leur parcours de vie, elles continuent prvoir lavenir, rorganisent leurs priorits et structurent leur vie en consquence. Les vnements futurs ne sauraient tre les causes dune motivation ou dune action prsente parce quils nont pas dexistence propre. Cependant, en tant reprsents cognitivement dans le prsent, les vnements futurs prvisibles se transforment en autant de motivateurs et de rgulateurs du comportement. travers cette forme dautoguidance anticipatrice, le comportement est motiv et dirig par des buts projets et par des rsultats anticips au lieu dtre caus par un tat futur virtuel. Les personnes construisent des attentes de rsultats partir des relations conditionnelles quelles observent entre les vnements qui surviennent dans le monde qui les entoure et les rsultats que des actions donnes produisent (Bandura, 1986). La capacit faire peser linuence des rsultats anticips sur des activits en cours favorise ladoption dun comportement prvoyant. Cela donne aux individus la possibilit de transcender les contraintes de leur environnement immdiat, tout en leur permettant de faonner et de rguler leur prsent de faon ce quil corresponde un futur souhait. En rgulant leur comportement par le biais des attentes de rsultats, les personnes adoptent
  • 29. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 25 des conduites aptes produire des rsultats positifs et cartent celles qui risquent dentraner des rsultats peu satisfaisants ou pnalisants. Cela dit, les rsultats anticips, que ceux-ci soient dordre matriel ou social, ne sont pas le seul type dincitation susceptible dinuencer le comportement humain, comme le suggrerait une approche fonctionnaliste sommaire. Si les actions ntaient accomplies que par rapport aux rcompenses et punitions externes que les individus peuvent anticiper, ceux-ci se comporteraient comme des girouettes, changeant constamment de direction pour se conformer aux inuences varies qui psent sur eux au hasard des circonstances. En ralit, les personnes manifestent un degr considrable dautodirection face la myriade dinuences concurrentes qui se prsentent eux en permanence. Une fois quelles adoptent des normes personnelles, les personnes rgulent leur comportement par le biais de rsultats dits auto-valuatifs (selfevaluative outcomes), lesquels peuvent renforcer ou contrecarrer linuence de rsultats externes. 3.3 Lautoractivit (self-reactiveness) Dunod La photocopie non autorise est un dlit. Lagent ne doit pas tre seulement capable de planier et de prvoir, mais aussi de se motiver et de sautorguler. Aprs avoir adopt une intention et un plan daction, on ne peut pas simplement rester inactif attendre que les performances appropries apparaissent. Lagentivit implique ainsi non seulement la capacit faire des choix dlibrs et des projets daction, mais aussi former des cours daction appropris et motiver et rguler leur mise excution. Cette autodirection multiples facettes opre au travers des processus autorgulateurs reliant la pense laction. Lautorgulation de la motivation, de laffect et de laction est gouverne par un ensemble de sous-fonctions autorfrentes . Ces sous-fonctions comprennent lautoobservation, lautoguidance de la performance via les standards personnels et les autoractions correctives (Bandura, 1986, 1991b). Observer son comportement et les conditions la fois cognitives et environnementales dans lesquelles celui-ci sactualise constitue le premier pas pour lamliorer. Toute action implique une inuence autoractive qui se forme travers la mesure du rsultat obtenu par rapport aux buts et standards personnels. Les buts, doublement enracins dans un systme de valeurs et un sentiment didentit personnelle, donnent aux activits leur signication et leur orientation. Ils ne motivent pas tant directement que par lengagement auto-valuatif dans une activit donne. En rendant leur auto-valuation contingente latteinte des standards personnels, les gens donnent leurs activits une direction, tout en crant des auto-incitations pour soutenir leurs efforts en vue datteindre lobjectif. Ils font des choses qui leur procurent une satisfaction personnelle, un sentiment de ert et de valeur de soi ; ils
  • 30. 26 CONVERGENCES THORIQUES vitent dadopter des conduites qui mnent linsatisfaction, lautodvalorisation et lautocensure. Les buts ne mettent pas automatiquement en route les auto-inuences qui gouvernent la motivation et laction. Lauto-engagement, li lvaluation des buts personnels, est affect par les caractristiques des buts en question, notamment par leur degr de spcicit, leur niveau de d et la proximit temporelle. Les buts gnraux sont trop ous et trop peu impliquants pour servir efcacement de guides et dincitations laction. Des buts stimulants dclenchent un intrt puissant et un engagement complet dans lactivit. Lefcacit des buts en termes dautorgulation dpend fortement de la distance temporelle laquelle ils sont projets. Les sous-buts dits proximaux mobilisent des auto-inuences et dirigent ce que lon fait ici et maintenant. En revanche, les buts dits distaux servent tablir le cours gnral des conduites, mais sont, compte tenu des multiples inuences concurrentes, trop loigns dans le temps pour fournir laction prsente des incitations et des guides efcaces. Les meilleurs progrs vers des avenirs valoriss sont observs lorsque des systmes de buts structurs et hirarchiss combinent aspirations long terme et autorgulation court terme. Les buts aux fortes proprits auto-engageantes motivent laction dune manire particulirement efcace (Bandura, 1991b ; Locke et Latham, 1990). Lagentivit morale occupe une place importante dans lautodirection. Les thories psychologiques de la moralit sont fortement centres sur le raisonnement moral au dtriment de la conduite morale. Une thorie complte de lagentivit morale doit concilier les savoirs et le raisonnement sur la moralit avec les conduites. Ceci ncessite une thorie agentique de la moralit plutt quune thorie rduite aux reprsentations de la moralit. Le raisonnement moral se traduit en actions au travers de mcanismes autorgulateurs comme le jugement moral du bien ou du mal inhrent une conduite donne au regard des standards personnels du sujet et des circonstances de cette conduite et les autosanctions travers lesquelles lagentivit morale sexerce (Bandura, 1991a). Dans le dveloppement des comptences et des aspirations, les standards personnels concernant le mrite slvent mesure que les connaissances et les comptences sont acquises et les ds sont relevs. Dans le cadre des conduites sociales et morales, les standards autorgulateurs sont plus stables. Ce nest pas toutes les semaines que les gens changent davis sur le juste ou linjuste, le bien ou le mal. Une fois que les individus ont adopt un standard moral, les autosanctions ngatives quils sinigent en raction aux actes qui transgressent leurs standards personnels, tout comme les autosanctions positives quils sattribuent la suite des conduites dles leurs standards moraux, servent dinuences autorgulatrices (Bandura, 1991b). La capacit sautosanctionner donne un sens la notion dagentivit morale. Les autoractions tant valuatives quanticipatrices fournissent les rgulateurs moti-
  • 31. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 27 vationnels et cognitifs des conduites morales. Les autosanctions garantissent un certain alignement entre les standards personnels et les conduites. Les individus porteurs dune forte thique communautaire agiront pour promouvoir le bien-tre dautrui mme parfois au prix de leurs propres intrts personnels. Pousses par la situation se comporter de faon inhumaine, les personnes peuvent choisir de se comporter autrement en exerant une autoinuence qui contrebalance les pressions extrieures. Il nest pas rare que les individus investissent si fortement leur estime de soi dans certaines convictions, quils accepteront de se soumettre des formes de souffrance et de punition svres plutt que de cder ce quils considrent comme injuste ou immoral. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. Lexercice de lagentivit morale se prsente sous deux modes principaux : le mode inhibiteur et le mode proactif (Bandura, 1999b). La forme inhibitrice se manifeste dans le pouvoir dviter de se comporter de manire inhumaine. La forme proactive sexprime dans le pouvoir de se conduire de manire humaine. Cela tant, les standards moraux ne fonctionnent pas comme des rgulateurs internes xes des conduites. Les mcanismes autorgulateurs ne fonctionnent qu condition dtre mobiliss dans laction. Il existe de nombreuses manuvres psychosociales qui permettent aux individus, par le biais de leurs autoractions morales, de se dsengager de manire slective lgard de conduites inhumaines (Bandura, 1991b). Plusieurs de ces mcanismes de dsengagement moral prennent racine dans la reconstruction cognitive de la conduite ellemme. Ceci est possible en rendant personnellement et/ou socialement acceptable la conduite nocive, en la reprsentant comme si elle servait des ns socialement dignes ou morales, en la masquant sous un langage dulcor, maill deuphmismes et en proposant des comparaisons avec dautres actes encore plus inhumains. Dautres mcanismes affaiblissent le sentiment dagentivit personnelle dans les conduites nfastes en diluant et dplaant les responsabilits. Les autosanctions morales peuvent galement tre affaiblies ou dsengages au terme du processus de contrle dans la mesure o le sujet ignore, minimise ou discute les effets condamnables de sa conduite. Un dernier ensemble de pratiques dsengage les autosanctions inhibitrices en dshumanisant les victimes, soit en leur attribuant des caractristiques bestiales, soit en afrmant quelles sont responsables de leurs propres malheurs. Les individus prsentant une forte tendance au dsengagement moral se sentent peu coupables de leurs actes rprhensibles, sont moins prosociaux tout en tant plus enclins des ruminations vengeresses (Bandura et al., 1996b). Par le dsengagement slectif de leur agentivit morale, les personnes qui se conduisent par ailleurs moralement et vertueusement sont capables de perptrer des transgressions et des actes dinhumanit dans dautres sphres de leur vie (Bandura, 1999b ; Zimbardo, 1995).
  • 32. 28 CONVERGENCES THORIQUES 3.4 Lautorexion Ltre humain nest pas seulement lagent de son action mais galement lexaminateur de son propre fonctionnement. La capacit mtacognitive rchir soi-mme ainsi qu la viabilit de ses penses et de ses actions constitue encore un trait fondamental de lagentivit humaine. Au travers de la conscience autorexive (reective self-consciousness), chacun a la possibilit dvaluer sa motivation, ses valeurs et le sens quil donne ce quil entreprend dans la vie. Cest au niveau de lautorexion que les individus abordent les conits entre diffrentes incitations motivationnelles pour ensuite choisir dagir en faveur de lune ou de lautre dentre elles. La vrication de la justesse de ses penses est aussi fortement dpendante de moyens dits autorexifs (self-reective means) (Bandura, 1986). Dans lexercice de cette capacit mtacognitive, les personnes mesurent la justesse de leurs penses prdictives et opratoires selon les rsultats de leurs actions, les effets produits par les actions dautrui, ce que les autres croient et diverses dductions drives de connaissances tablies et de ce qui sensuit ncessairement. Parmi les mcanismes dagentivit personnelle, aucun nest plus central ni omniprsent que la croyance personnelle dans sa capacit exercer un certain degr de contrle sur son propre fonctionnement et sur les vnements de lenvironnement (Bandura, 1997). Les croyances defcacit constituent le fondement de lagentivit humaine. Si les personnes ne croient pas quils peuvent, par leurs propres actions, produire les rsultats souhaits tout en vitant que des vnements fcheux surviennent, ils ont peu de raisons dagir ou de persvrer face aux difcults. Si dautres facteurs peuvent servir de guides ou de motivateurs, ils nen sont pas moins enracins dans la croyance centrale selon laquelle nous possdons la capacit de produire des effets par nos actions. Des mta-analyses conrment le rle inuent jou par les croyances defcacit dans le fonctionnement humain (Holden, 1991 ; Holden et al., 1990 ; Multon et al., 1991 ; Stajkovic et Luthans, 1998). Lauto-efcacit perue joue un rle essentiel dans la structure causale de la thorie sociale cognitive parce que les croyances defcacit affectent ladaptation et le changement non seulement directement, mais galement travers limpact quelles exercent sur dautres dterminants (Bandura, 1997 ; Maddux, 1995 ; Schwarzer, 1992). De telles croyances dterminent, par exemple, si les personnes pensent de manire pessimiste ou optimiste, si leurs penses les aident rsoudre des problmes ou entravent leur dmarche. Les croyances defcacit occupent une place centrale dans lautorgulation de la motivation par lintermdiaire des ds lis aux buts que lon se xe et aux rsultats que lon attend. Cest en partie sur la base des croyances defcacit que les personnes choisissent les ds quelles vont relever, dcident des efforts quelles vont dployer dans lactivit, de leur dure de persvrance face aux obstacles et aux checs, et quelles peroivent leurs checs comme tant motivants ou dmoralisants. La probabilit que les individus agiront
  • 33. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 29 selon les rsultats quils attendent de leurs performances futures dpend effectivement des croyances quils ont dveloppes quant leur capacit, oui ou non, produire ces mmes performances. Un fort sentiment defcacit au coping (concernant sa capacit faire face dventuelles difcults) rduit la vulnrabilit au stress et la dpression dans des situations exigeantes, tout en renforant la rsilience face ladversit. Les croyances defcacit jouent galement un rle dans les trajectoires de vie en exerant une inuence aussi bien sur les types dactivits que sur les environnements que les personnes choisissent. Tout facteur susceptible dinuencer les comportements de choix du sujet peut affecter profondment la direction de son dveloppement. En effet, les inuences sociales luvre dans les environnements choisis par le sujet continuent dvelopper certaines comptences, valeurs et centres dintrt bien longtemps aprs que le dterminant dcisionnel a eu son effet initial. Ainsi, en choisissant, organisant et faonnant leurs environnements, les personnes participent activement leur devenir. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. La rapidit des changements informationnels, sociaux et technologiques donne toute son importance lefcacit perue en matire de dveloppement personnel et de capacit se renouveler au cours de lexistence. Dans le pass, le dveloppement acadmique des tudiants tait en grande partie dtermin par les coles do ils venaient. De nos jours, lInternet donne aux tudiants des possibilits illimites pour quils apprennent piloter leurs propres apprentissages. Aujourdhui, sans restriction ni de temps ni despace, les tudiants ont leur disposition les meilleures bibliothques, les meilleurs muses, laboratoires et professeurs. Les autorgulateurs efcaces tendent leurs connaissances et leurs comptences cognitives, tandis que les autorgulateurs inefcaces prennent du retard (Zimmerman, 1990). Lautorgulation devient aussi un facteur cl dans la vie professionnelle. Autrefois, les salaris apprenaient un mtier donn pour ensuite lexercer plus ou moins de la mme manire et dans la mme entit tout au long de leur carrire. tant donn le rythme soutenu des changements, le savoir et les comptences techniques deviennent vite obsoltes moins dtre mis jour et adapts aux nouvelles technologies. Dans lorganisation moderne, le salari doit prendre en charge son volution professionnelle en vue de tenir une varit de postes et de fonctions au cours de sa carrire. Il doit cultiver de multiples comptences pour satisfaire aux exigences et aux rles professionnels qui ne cessent dvoluer. Ladaptabilit agentique collective sapplique tant au niveau organisationnel quau niveau de la ressource humaine. Les organismes doivent apprendre vite et innover en permanence pour survivre et prosprer dans des conditions marques par de rapides changements technologiques et des marchs mondialiss. Ils sont ainsi confronts au paradoxe davoir se prparer au changement au sommet de leur russite. Ceux qui sont lents changer perdront gros.
  • 34. 30 CONVERGENCES THORIQUES La sant est un exemple dautorgulation dans une sphre importante de la vie. Ces dernires annes il y a eu un changement majeur dans la conception de la sant, passant dun modle fond sur le traitement un modle fond sur le bien-tre. La sant humaine est fortement inuence par les habitudes lies au style de vie de chacun ainsi que par les conditions environnementales. Cela permet aux individus dexercer un certain degr de contrle sur leur tat de sant. En effet, travers la gestion de leurs propres habitudes, les individus rduisent les risques majeurs pour la sant et mnent des vies plus saines et productives (Bandura, 1997). Si les immenses avantages de ces quelques habitudes de sant lies au style de vie taient disponibles sous forme de comprim, cette invention serait reconnue comme une perce historique dans le champ de la mdecine. 4 LA GESTION AGENTIQUE DU HASARD Sil y a beaucoup de choses que les gens font exprs an dexercer un certain degr de contrle sur leur dveloppement personnel et sur les circonstances de leur vie, il existe aussi beaucoup de hasard dans le cours que prend lexistence. En effet, certains des dterminants qui exercent la plus forte inuence sur les directions que prend notre vie se produisent travers les circonstances les plus triviales. Cest au travers de circonstances souvent tout fait fortuites que les personnes empruntent de nouvelles trajectoires dveloppementales, quil sagisse de choix amoureux, professionnels ou daffaires malencontreuses. Observez linuence des vnements fortuits qui prsident au choix dun ou dune conjoint(e). Un vol retard par une tempte inattendue amne la rencontre de deux personnes qui, par hasard, se trouvent assises lune ct de lautre laroport en attendant que le temps se lve. Cette rencontre alatoire donne lieu par la suite un mariage, un dmnagement et un changement de trajectoire professionnelle. Aucun desdits vnements ne se serait produit si, ce moment-l, le pilote navait pas reu lordre de ne pas dcoller pour cause de mauvais temps (Krantz, 1998). Un diteur entre dans une salle de confrence au moment o elle se remplit rapidement, pour assister une confrence sur la psychologie des rencontres fortuites et des trajectoires de vie . Il prend une place libre prs de lentre. Quelques mois plus tard, il pouse la femme ct de qui il avait pris place ce jour-l. Si le futur mari tait entr ne serait-ce que quelques secondes plus tard, la rpartition des places assises aurait t diffrente et lhistoire de vie des deux poux aurait t incomparable. Une union conjugale sest forme de manire tout fait fortuite lors dune confrence consacre aux dterminants fortuits des existences humaines (Bandura, 1982) !
  • 35. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 31 Dunod La photocopie non autorise est un dlit. Un vnement fortuit qui se produit dans des conditions incertaines, aussi socialement mdiatises soient-elles, est dni comme tant la rencontre non intentionnelle de personnes qui ne se connaissent pas. Quoique la succession dvnements de part et dautre de la rencontre fortuite possde chacune ses propres dterminants, la convergence des deux trajectoires se produit inopinment plutt que de manire prvue (Nagel, 1961). Ce nest pas pour dire quun vnement fortuit na pas de cause , mais plutt quil y a un degr lev de hasard dans les conditions dterminantes de leur rencontre. Parmi les innombrables phnomnes fortuits qui caractrisent la vie quotidienne, bon nombre naffectent la vie des personnes que superciellement, alors que dautres produisent des effets plus durables, ou dautres encore propulsent les individus dans de nouveaux itinraires de vie. La puissance de la plupart des inuences fortuites ne rside pas tant dans les proprits des vnements eux-mmes que dans la constellation complexe dinuences transactionnelles que ceux-ci dclenchent (Bandura, 1982, 1998). Du ct des personnes, leurs attributs, systmes de croyances, centres dintrt et comptences dterminent si, oui ou non, une rencontre fortuite donne se transformera en relation durable. Du ct socio-structurel, limpact des rencontres fortuites dpendra en partie de la capacit des milieux sociaux o les individus se trouvent plongs les retenir et les inuencer. Le hasard ne signie pas lincontrlabilit de ses effets. On peut proter du caractre fortuit de la vie. On peut faire en sorte que la chance sourie en poursuivant une vie active, ce qui augmente la qualit et le type de rencontres fortuites quon peut faire. Le hasard est favorable aux individus curieux et entreprenants, qui bougent, agissent et explorent de nouvelles activits (Austin, 1978). Les gens peuvent aussi mettre la chance de leur ct en cultivant leurs centres dintrt, leurs comptences et les croyances personnelles constructives. Ces ressources internes donnent chacun la possibilit de tirer le meilleur parti des occasions qui se prsentent de temps autre de manire tout fait inattendue. Pasteur (1854) la bien dit en afrmant que la chance ne sourit qu lesprit prpar . Lautodveloppement permet chacun de participer plus activement la construction de son destin dans le cours de sa vie. Ces diverses activits proactives illustrent la gestion agentique du hasard. Dans les analyses causales de trajectoires dveloppementales, on fait peu de cas des facteurs fortuits, alors quils dominent les recommandations davenir, quil sagisse datteindre le souhaitable ou dviter des inconvnients (Bandura, 1995, 1997 ; Hamburg, 1992 ; Masten et al., 1990 ; Rutter, 1990). Quant au dveloppement personnel, les efforts sont centrs sur le dploiement des ressources personnelles qui permettent de tirer avantage des alas prometteurs. Pour ce qui est de la protection de soi, on aide les individus dvelopper les capacits autorgulatrices qui non seulement leur permettent dviter les piges sociaux qui peuvent se prsenter eux de manire inattendue et les inciter, contre leur intrt, adopter des lignes de conduite potentiellement
  • 36. 32 CONVERGENCES THORIQUES nuisibles, mais leur donnent galement des outils pour pouvoir sextirper de telles situations difciles si jamais ils sy trouvent coincs. 5 LES MODALITS DE LAGENTIVIT HUMAINE La recherche et llaboration thorique propos de lagentivit humaine se sont essentiellement limites lexercice individuel de lagentivit. Pourtant, ce nest pas la seule manire dont les gens exercent une inuence sur les vnements affectant leur existence. La thorie sociale cognitive distingue trois modalits diffrentes de lagentivit : personnelle, par procuration et collective. Les analyses prcdentes se sont centres sur la nature de lagentivit personnelle directe ainsi que sur les processus cognitifs, motivationnels, motionnels et de slection au travers desquels elle produit des effets donns. Dans de nombreux domaines de fonctionnement, les individus nexercent pas de contrle direct sur les conditions sociales ni sur les pratiques institutionnelles qui affectent leur vie quotidienne. Dans ces circonstances, ils recherchent leur bien-tre, leur scurit et les rsultats quils valorisent par procuration. Dans ce mode dagentivit par la mdiation sociale, ils essaient de trouver des personnes ayant de linuence et du pouvoir pour sassurer dobtenir les rsultats quils souhaitent. Personne na le temps, lnergie, ni les ressources pour matriser tous les domaines de la vie quotidienne. Un fonctionnement russi implique ncessairement un mlange defcacit par procuration dans certains domaines de fonctionnement pour librer du temps et de lnergie an de grer directement dautres aspects de sa vie (Baltes, 1996 ; Brandtstdter, 1992). Par exemple, pour obtenir ce quils dsirent, les enfants sappuient sur leurs parents, les conjoints sappuient lun sur lautre tandis que les citoyens tentent dinuencer les actes de leurs reprsentants lgaux. Le contrle par procuration dpend dune efcacit sociale perue pour inuencer les efforts de mdiation des autres. Les individus ont recours au contrle par procuration dans des domaines o ils peuvent exercer de linuence directe mais sans avoir dvelopp les moyens pour le faire. Ils croient que les autres peuvent mieux faire queux, ou bien ils ne veulent pas simposer le poids de certains aspects lis lexercice du contrle direct. Le contrle personnel nest ni une pulsion inne ni un trait universel, comme certains le prtendent. Le contrle personnel a des cots qui peuvent en attnuer lattractivit. Lexercice dun contrle efcace requiert la matrise de connaissances et de comptences accessibles uniquement par de longues heures de travail ardu. De plus, conserver des aptitudes
  • 37. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 33 dans un contexte marqu par des conditions de vie en perptuel changement demande un investissement permanent en temps, en efforts et en ressources pour se renouveler tout le temps. Lexercice du contrle personnel impose non seulement un travail consquent dautodveloppement continu, mais il gnre frquemment dimportants risques, responsabilits et sources potentielles de stress. Les gens ne sont pas particulirement avides davoir porter les fardeaux de la responsabilit. Bien trop souvent, ils renoncent au contrle en le conant aux autres alors quil sagit de domaines o ils pourraient exercer une inuence directe. Ils agissent ainsi pour se librer des exigences de performance et des responsabilits lourdes que comporte le contrle personnel. Le contrle par procuration peut tre utilis dune manire qui favorise lautodveloppement ou qui freine lappropriation de comptences personnelles. Dans ce dernier cas, une partie du prix de lagentivit par procuration est la vulnrabilit tributaire des comptences, du pouvoir et des faveurs dautrui. Les gens ne vivent pas leur vie de faon isole. Beaucoup de ce quils recherchent ne saurait se raliser que par des efforts socialement interdpendants. Par consquent, ils doivent collaborer avec dautres pour obtenir ce quils ne peuvent avoir tout seuls. La thorie sociale cognitive tend le concept dagentivit humaine jusqu lagentivit collective (Bandura, 1997). La croyance quont les gens de pouvoir produire collectivement des rsultats souhaits est une composante essentielle de lagentivit collective. Les russites des groupes ne sont pas seulement gnres par le partage des intentions, du savoir et des comptences de ses membres, mais galement par la synergie des dynamiques interactives et coordonnes qui caractrisent leurs transactions. tant donn que la performance collective dun systme social implique des dynamiques transactionnelles, lefcacit collective perue est une proprit mergente au niveau du groupe ; elle nest pas simplement la somme des croyances des individus en leur efcacit. Cela dit, il nexiste pas dentit mergente qui oprerait indpendamment des croyances et des actions des individus qui composent le systme social. Ce sont les personnes qui agissent conjointement partir de croyances partages, non pas un esprit de groupe dsincarn qui rchit, vise des rsultats, se motive et rgule son action cette n. Les croyances defcacit collective servent des fonctions semblables celles du sentiment defcacit personnelle et fonctionnent au travers de processus tout fait analogues (Bandura, 1997). Des tudes empiriques en provenance de divers champs de recherche conrment limpact de lefcacit collective perue sur le fonctionnement du groupe (Bandura, 2000). Certaines de ces tudes ont valu les effets de lefcacit collective perue quand elle est exprimentalement induite des niveaux diffrencis. Dautres tudes ont examin les effets quexercent des croyances defcacit collective dveloppes naturellement sur le fonctionnement de divers systmes sociaux, y compris les systmes ducatifs, les
  • 38. 34 CONVERGENCES THORIQUES entreprises, les quipes sportives, les entits de combat, les communauts urbaines et des groupes daction politique. Dans leur ensemble, les rsultats montrent que plus lefcacit collective perue est forte, plus les aspirations dun groupe et son investissement dans ses projets sont levs, plus il rsiste face aux obstacles et aux revers, meilleurs sont son moral, sa rsilience face au stress et ses performances. Les thories de lagentivit humaine et collective sont mailles de dualismes discutables que la thorie sociale cognitive rejette. Ces dualismes concernent lagentivit personnelle contre les structures sociales, lagentivit autocentre contre le sens de communaut et lindividualisme contre le collectivisme. Le clivage entre agentivit et facteurs socio-structurels oppose les thories psychologiques aux thories sociologiques, suggrant quil sagit de thories concurrentes du comportement humain, ou que chacune se rserve les droits exclusifs lgard de son niveau de causalit propre . Le fonctionnement humain est enracin dans des systmes sociaux. Ainsi lagentivit personnelle opre-t-elle au sein dun vaste rseau dinuences socio-structurelles. En grande partie, les structures sociales reprsentent des systmes de rgles autorises, des pratiques sociales et des sanctions conues pour rguler les affaires humaines. Ces fonctions socio-structurelles sont assures par le biais dtres humains qui occupent ces rles autoriss (Giddens, 1984). Dans le cadre des rgles structurelles des systmes sociaux, on observe de fortes variations personnelles quant leur interprtation, leur adoption, leur transgression, voire lopposition active leur gard (Burns et Dietz, 2000). Ces transactions nimpliquent pas une dualit entre une structure sociale rie et dsarticule davec les personnes et leur agentivit, mais bien une interaction dynamique entre les individus et ceux qui supervisent le fonctionnement institutionnel des systmes sociaux. La thorie sociale cognitive explique le fonctionnement humain en termes de causalit triadique rciproque (Bandura, 1986). Dans ce modle de causalit rciproque, les facteurs personnels internes, sous la forme dvnements cognitifs, affectifs et biologiques, le comportement et les inuences environnementales fonctionnent tous comme des dterminants en interaction qui sinuencent bidirectionnellement. Lenvironnement nest pas une entit monolithique. La thorie sociale cognitive distingue entre trois types de structures environnementales (Bandura, 1997). Lenvironnement peut ainsi tre impos, choisi ou construit. Ces diffrentes structures environnementales recouvrent des degrs de modiabilit impliquant la mise en uvre de formes diffrentes dagentivit personnelle tant en termes de primtre que de centration. Dans la thorie sociale cognitive, les facteurs socio-structurels oprent au travers des mcanismes psychologiques du soi pour produire des effets comportementaux. Ainsi, par exemple, les conditions conomiques, le statut social et les structures ducatives et familiales affectent le comportement non pas directement, mais en grande partie au travers de leur impact sur les aspirations des individus, leur sentiment defcacit, leurs standards personnels,
  • 39. Dunod La photocopie non autorise est un dlit. LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 35 leurs tats affectifs et autres inuences autorgulatrices (Baldwin et al., 1989 ; Bandura, 1993 ; Bandura et al., 1996a, 2000a ; Elder et Ardelt, 1992). Les dterminants socio-structurels et psychologiques ne peuvent pas non plus faire lobjet dune classication dichotomique parfaitement nette, rpartis en inuences proximales ou distales. La pauvret, identie en tant que statut socio-conomique bas, nest pas une affaire de causalit multiples niveaux ni de causalit distale. Manquer dargent pour subvenir aux besoins de sa famille a dimportantes rpercussions sur la vie quotidienne et ce, dune manire trs proximale . La multicausalit implique la codtermination du comportement par des sources dinuence diffrentes, non pas des dpendances causales entre niveaux distincts. Le systme de soi nest pas seulement un conducteur des inuences socio-structurelles. Bien que le soi soit socialement constitu, cest en exerant une auto-inuence que les agents humains interviennent de faon proactive et non seulement ractive pour faonner les caractristiques de leurs systmes sociaux. Dans ces transactions agentiques, les gens sont autant les producteurs que les produits des systmes sociaux. Lagentivit personnelle et la structure sociale oprent de manire interdpendante. Les structures sociales sont cres par lactivit humaine et les pratiques socio-structurelles, leur tour, imposent des contraintes et fournissent des ressources et des opportunits pour le dveloppement et le fonctionnement personnels. Un autre clivage discutable assimile incorrectement lauto-efcacit une forme dindividualisme autocentr imbu dgosme, tout en lopposant aux liens communautaires et la responsabilit civique. Un sentiment defcacit nexalte pas ncessairement le soi ni nencourage un style de vie, une identit ou une morale ignorant bien-tre collectif. travers lexercice inbranlable dune auto-efcacit commandant le respect, Gandhi a mobilis une force collective massive provoquant une vague de changements sociopolitiques majeurs. Il menait une vie asctique, sans complaisance personnelle. Si la croyance