The Journal of Academic Social Science Studies · L’auteur de l’article qui est Pageaux,...

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The Journal of Academic Social Science Studies International Journal of Social Science Doi number:http://dx.doi.org/10.9761/JASSS6930 Number: 57 , p. 291-309, Summer I 2017 Yayın Süreci / Publication Process Yayın Geliş Tarihi / Article Arrival Date - Yayınlanma Tarihi / The Published Date 20.01.2017 15.07.2017 ALTÉRITÉ DANS LE LIVRE DE DEDE KORKUT : L’IMAGE DU CHRÉTIEN ALTERITY IN THE BOOK OF DEDE KORKUT: THE IMAGE OF THE CHRISTIAN DEDE KORKUT KİTABI’NDA ÖTEKİLİK : HRISTİYAN İMGESİ Monire Akbarpouran Shahid Beheshti University French Literature Department Résumé L’imagologie ou l’étude des imagesest l’une des t}ches principales que se donne la littérature comparée. Elle s’attache | révéler, non seulement, l’écart qui existe entre l’image de quelque chose ou de quelqu’un et sa réalité, mais également | mettre en lumière la grande part de la réalité qu’il contient concer- nant la culture regardante, celle qui raconte. La relation de l’image et de la réali- té change selon le genre et le contexte et nous avons, au bout d’un certain temps, tendance | l’oublier. Ainsi, l’image du chrétien dans Le Livre de Dede Korkut reflète-t-elle, certaines réalités historiques tout en donnant une grande place | l’imaginaire. Dans cet article, nous allons étudier cette image, aussi bien que la grande part de l’imaginaire épique dans sa construction. De ce point de vue, le mécréant, qui s’affirme comme ennemi juré des guerriers nomades, apa- raît comme un être semi-imaginaire créé | un moment précis de l’Histoire et dans un contexte particulier : celui de l’ouvrage épique. Nous allons voir, du reste, que cet ouvrage, qui chante la gloire de la guerre sainte et la conquête de l’Anatolie, ne donne pas une image réaliste des Turcs non plus. Les Mots-clés : Image, Le livre de Dede Korkut, Chrétien, Mécréant, Ima- gologie, La Guerre Sainte Abstract Being one of the main tasks given to comparative literature, ‘Imagolo- gy’ or ‘the study of images’ is committed to, not only, expose the distance bet- ween the image of something or someone and reality, but also, to study the af- finity that exists between the image of something or somebody and the con-

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The Journal of Academic Social Science Studies

International Journal of Social Science

Doi number:http://dx.doi.org/10.9761/JASSS6930

Number: 57 , p. 291-309, Summer I 2017

Yayın Süreci / Publication Process

Yayın Geliş Tarihi / Article Arrival Date - Yayınlanma Tarihi / The Published Date

20.01.2017 15.07.2017

ALTÉRITÉ DANS LE LIVRE DE DEDE KORKUT : L’IMAGE

DU CHRÉTIEN ALTERITY IN THE BOOK OF DEDE KORKUT: THE IMAGE OF THE

CHRISTIAN

DEDE KORKUT KİTABI’NDA ÖTEKİLİK : HRISTİYAN İMGESİ Monire Akbarpouran

Shahid Beheshti University French Literature Department

Résumé

L’imagologie ou l’étude des imagesest l’une des t}ches principales que

se donne la littérature comparée. Elle s’attache | révéler, non seulement, l’écart

qui existe entre l’image de quelque chose ou de quelqu’un et sa réalité, mais

également | mettre en lumière la grande part de la réalité qu’il contient concer-

nant la culture regardante, celle qui raconte. La relation de l’image et de la réali-

té change selon le genre et le contexte et nous avons, au bout d’un certain

temps, tendance | l’oublier. Ainsi, l’image du chrétien dans Le Livre de Dede

Korkut reflète-t-elle, certaines réalités historiques tout en donnant une grande

place | l’imaginaire. Dans cet article, nous allons étudier cette image, aussi bien

que la grande part de l’imaginaire épique dans sa construction. De ce point de

vue, le mécréant, qui s’affirme comme ennemi juré des guerriers nomades, apa-

raît comme un être semi-imaginaire créé | un moment précis de l’Histoire et

dans un contexte particulier : celui de l’ouvrage épique. Nous allons voir, du

reste, que cet ouvrage, qui chante la gloire de la guerre sainte et la conquête de

l’Anatolie, ne donne pas une image réaliste des Turcs non plus.

Les Mots-clés : Image, Le livre de Dede Korkut, Chrétien, Mécréant, Ima-

gologie, La Guerre Sainte

Abstract

Being one of the main tasks given to comparative literature, ‘Imagolo-

gy’ or ‘the study of images’ is committed to, not only, expose the distance bet-

ween the image of something or someone and reality, but also, to study the af-

finity that exists between the image of something or somebody and the con-

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Monire Akbarpouran

science that has made this image exist. This distance and this affinity either

change depending on the literary genre and context of the work. So we tend to

forget them as time goes by and consequently we consider, sometimes an image

as reality of that it is suposed to be a copy. In this way, the Christian image in

The Book of Dede Korkut reflects certain historical facts while giving considerable

space to imagination. In this article, we will study this image as well as the sig-

nificance of the epic imaginary in its construction. From this point of view, the

disbeliever, who is assigned the role of the foe of nomadic warriors, apears as a

semi-imaginary creature created at a precise moment in history and in a specific

context. This specific context – epic work –composed in honor of the holy war

and the conquest of Anatolia does not give a realistic image of Turks either.

Keywords: Image, The Book of Dede Korkut, Christian, Disbeliever,

Imagology, The Holy War

Öz

Karşılaştırmalı edebiyatın çalışma alanlarından biri olan imgebilim,

yalnızca bir şey ya da birinin imgesi ile gerçek arasındaki mesafeyi ortaya koy-

mayı değil, o imgenin gerçek yüzünü tanımlamayı amaç edinmiştir. Bu açıdan

imge, yansıttığı iddia olunan nesne ya da kimseden çok, onu yaratanlar yani

hik}yeyi anlatanlar hakkında bilgiler verebilir. İmge ile yansıttığı gerçekler ara-

sında oluşan mesafe, eserin edebî türüne ve bağlamına bağlı olarak değişir. De-

de Korkut Kitabı'ndaki Hristiyan imgesi de belirli tarihsel gerçekleri yansıtırken

destanı bir anlatının temelinde olan düşmanlık ve zitlik hissinden kaynaklanır.

Belelikle, incelediğimiz hik}yeler bağlamında, öldürmesi bir hayvanın öldü-

rülmesi ya ad kazanma amaçı ile kan dökmek anlamına gelen k}fir bir yönüyle

hayalî bir yaratık olarak görülür.

Ad kazanma çabasında temsil olunan tam iyiliklere sahip çıkma isteği

düşmanı tam kötülüklerin kaynağı gibi görüp öyle göstermeyi gerektirir. Ana-

dolu'nun fethini taklit eden bu epik eser, eski göçebe değerleri gaza geleneğine

referansla savaşı kutsuyorsa da ilk bakışta göze çarpan bu ikilik destan türünün

icap ettiği şiddet ve husumetten dolayıdır desek daha doğrudur. Yani Dede Kor-

kut Kitabı ne düşmanların ne de Türklerin gerçekçi bir imgesini tam olarak yan-

sıtmaz: evlilik ve suç ortaklıklarıyla Türklerle bir araya gelen bu düşmanlar

vakti ile Oğuzun sınırlarını belirtseler de vakti ile onun bir parçası gibi

görünürler. Husumet ve karşılıklıkla tanımlanan epik destan Oğuzun içindeki

yağını (Tepegöz, Beyrek, atadan izin almadan ava çıkan oğul) Hristiyanlar ka-

dar düşman gösterir. Aslında toplumu iyilikler ve düşmanlarını (ister yağı

olsun ister K}fir) kötülüklüklerle nitelendirir. Anahtar Kelimeler: İmge, Dede Korkut Kitabı, Hıristiyan, K}fir, İm-

gebilim, Kutsal Savaş

Malgré la densité des études menées

autour d’image du Sarrazin, en tant qu’Autre,

en Europe, les études s’interrogeant spéciale-

ment sur ce sujet, du côté musulman, sont

toujours rares et la plupart des recherches

dans ce domaine se sont contentées

d’observations d’inspiration histo-

rique (Examen des relations entre tel État

musulman et un tel État chrétien ou, l’analyse

de la situation des sujets chrétiens sous tel

Alté rité Dans Le Livre De Dede Korkut: L’image Du Chré tien 293

règne musulman ou l’inverse). Dans le monde

turc, | côté des études historiques des « rela-

tions », assez traditionnelles1, quelques études

plus modernes se donnèrent comme t}che

d’analyser l’image et/ou le type dans la littéra-

ture et | travers les textes. Ainsi, bien que

l’étude « des relations entre les littératures

Ashik2 turque et arménienne », en 1982 puisse

s’affirmer comme précurseur des études com-

parées dans le domaine littéraire, pour lire

une étude sur les images, on devrait attendre

la publication d’un article en 1992, intitulé «

Les types de l’Arménien dans nos romans».

cet article est suivi par d'autres comme : « Une

observation sur le conflit arménien du point

de vue littéraire », publié en 2003, « Les types

de l’Arménien dans les contes populaires », en

2005, «Le conflit arménien dans la littérature»,

en 2006, « Les Arméniens du point de vue des

romanciers», en 2007, une thèse intitulée

«L’image du Turc et de l’Arménien dans les

ouvrages des auteurs arméniens qui ont écrit

en turc», soutenue en 2009 et enfin un article,

plus récent encore, « création d'un moi idéal :

représentations de l’infidèles dans les narra-

tives anatoliennes frontalières de la fin du

moyen }ge » publié en 2012 et « L’image du

païen (Kafir) en tant qu'Autre dans la poésie

ottomane », publié en 2013. D’ailleurs, il faut

surtout faire allusion | l’article enrichissant de

la turcologue française Irène Mélikoff,

« Géorgiens et Arméniens dans la littérature

épique des Turcs d'Anatolie », publié en 19613.

Du côté azerbaïdjanais, en état de

guerre avec l’Arménie, la plupart des études

voient en mécréants du Livre de Dede Korkut

leurs ennemis actuels et reproduisent les sté-

réotypes ethniques avec une grande ardeur.

Ainsi dans un ouvrage intitulé « Le reflet des

1

Pour citer un ouvrage assez récent et complet voir dix

volumes publiés par l’Académie de l’histoire turque

(TTK) sous le titre de Les Turcs et les Arméniens dans

l’Histoire, 2014. 2 La littérature orale, récitée et chantée par les Ashik. Pour

plus d’informations voir E. Artun, 2005. 3 Cet article est repris sous le titre « Georgiens, Turcomans et

Trébizonde :notes sur Le Livre de Dede Korkut », en 1994.

caractères ethniques et psychologiques, dans

les récits du Livre de Dede Korkut » publié en

2000, nous sommes témoins d’une longue

monographie qui prenant les faits largement

fictifs, narrés dans les récits épiques, pour

vrais, cherche | les lier aux événements ac-

tuels et se sert de l’épopée comme témoin

historique du mal éternel qui hante l’ennemi.

Presque toutes ces études se donnent comme

objectif de s’interroger sur « la dimension

étrangère », c’est bel et bien la fonction prin-

cipale que D.H Pageux reconnaît pour la litté-

rature comparée (Pageaux, 1998 :1). Pourtant,

la démarche et la méthode qu’elles suivent, ne

les laissent que rarement entrer dans le cadre

de cette discipline. Expliquons-nous : selon

pageaux « l’étude de l’image doit moins

s’attacher au degré de « réalité » de l’image, |

son raport au réel qu’| sa conformité | un

model culturel préexistant (dans la culture

« regardante » et non dans la culture « regar-

dée ») » (Pageaux, 1981 :171). Cette constata-

tion découle de la définition que Pageaux et

ses collègues donnent de l’image : « toute

image procède d’une prise de conscience, si

minimum soit-elle, d’un Je par rapport |

l’Autre, d’un ici par rapport | un ailleurs.

L’image est donc le résultat d’un écart signifi-

catif entre deux réalités culturelles. Ou en-

core : l’image est la représentation d’une réali-

té étrangère au travers de laquelle l’individu

ou le groupe qui l’ont élaborée (ou qui la par-

tagent, ou qui la propagent) révèlent et tra-

duisent l’espace idéologique dans lequel ils se

situent» (Ibid. 170-171). « Marquant la fron-

tière de la société, l’étranger renvoie | la vérité

de celle-ci, | ce qu’elle exclut et donc | ce

qu’elle tient pour fondamentalement sien »

(Moura, 1989: 271). Donc chercher la réalité de

l’étranger ou ennemi | travers les images se

débouche, certes, sur les études dont

l’imagologie4 se défend : le nationalisme ou la

4 Le terme imagologie fait sa première apparition dans le pro-

gramme de la littérature comparée en 1989 et avec la publica-

tion de La Précis de la littérature comparée, rédigé sous la

direction d’Yves Chevrel, où on consacre tout un chapitre à ce

propos, traité sous le titre de De l’imagerie culturelle à

294

Monire Akbarpouran

psychologie des peuples (Ibid. 271).

Cette étude vise | examiner l’image

du chrétien dans Le Livre de Dede Korkut, sans

se donner comme but de connaitre l’Autre |

travers ce texte (et le juger probablement)

mais de connaitre Soi-même et la société qui a

donné naissance | une telle représentation de

l’Autre dans un moment privilégié de

l’histoire. La représentation qui vivrait plus

longtemps que prévu et se reproduirait d’une

œuvre | l’autre au détriment d’autres images

moins canoniques et probablement plus

nuancées. Pour ce faire, nous allons, dans un

premier temps, situer cet ouvrage par rapport

| deux traditions littéraires dont elle fait par-

tie. Nous allons, ensuite, envisager les rela-

tions historiques qui pourraient exister entre

les oghuz et les chrétiens. C’est dans une troi-

sième étape que nous allons entreprendre une

étude textuelle pour examiner les représenta-

tions de l’altérité dans le texte.

I. Un Oghuzname articulé autour de

la guerre sainte

« L’image est signe | l’intérieur d’un

système sémiotique clos, contraignant qui

ordonne la possible rêverie sur l’Autre, ap-

pelle | la prise de position et peut aussi assu-

rer une certaine cohésion sociale. » voici les

mots par lesquels Pageaux exprime les (ou

quelques-unes des) fonctions sociales de

l’image de l’Autre. (Pageaux, 1995 : 148) Nous

constatons comment définir ce qui ne fait pas

partie d’une société aboutit | la définition de

celle-ci et | la cohésion sociale qui en découle

aussi bien qu’| la prise de position. La ques-

tion qui se trouve | l’origine de notre étude,

également, se pose dans ce cadre-l| : quel est,

sur le plan social, le rôle de l’image caricatu-

rale du chrétien développée par Le Livre de

Dede Korkut? Comment l’étude de cette image

peut contribuer | connaître la société turque

l’imaginaire. L’auteur de l’article qui est Pageaux, évoque,

toujours, l’image de l’étranger comme « imagerie culturelle »

et « un ensemble des idées sur l’étranger » (Pageaux, 1989, P.

135), insiste sur le fait que cette image fait « partie d’un en-

semble vaste et complexe », à savoir « l’imaginaire » et « plus

précisément : l’imaginaire social »(idem).

de l’époque et ce qu’ils voulaient ou préten-

daient être ?

Pour répondre | ces questions nous

devons revenir sur le contexte social dans

lequel l’épopée s’est créée. Provenu d’une

longue tradition orale, Le Livre de Dede Korkut,

est une œuvre épique composée de douze

destan5, qui se trouve au carrefour de deux

traditions littéraires ; celle de la geste oghuz

(oghuzname) et celle des gestes créées, lors de

la conquête turque d’Anatolie, autour du type

du gazi6 et de la guerre sainte. Bien que le

texte développe deux types d’ennemis : le

mécréant et le révolté, l’altérité épique au

moyen duquel le texte crée l’identité, s’appuie

sur la notion du mécréant et cherche | sché-

matiser l’image qu’elle en présente. D’ailleurs,

les guerres intérieures dont certains récits sont

témoins et les ententes aussi bien que les ma-

riages entre les oghuz et les mécréants révè-

lent l’autre face de cette image schématisée et

profondément dépréciée ; le caractère mani-

chéen du genre ne peut pas estomper

l’expérience vécue, des Turcs musulmans en

face de leurs voisins chrétiens, les Géorgiens,

les Arméniens et les Byzantins7. Cette image

se révélerait assez nuancée par rapport | celle

de l’ennemi juré que certains épisodes contri-

buent | dresser.

Depuis la découverte de deux

manuscrits8 du Livre de Dede Korkut et les

premières publications9, les littéraires, aussi

bien que les historiens, les anthropologues et

5Un mot d’origine persane. Dans ses ouvrages sur la tradition

orale épique des Turcs, Karl Reich a plusieurs fois et assez

explicitement abordé la définition du genre. Tout en cherchant à

distinguer Destan en tant que récit épique et Hikayet en tant que

love-omance, il admet l’existence d’une confusion profonde. cf.

K Reich, 1992, p.125 ; 2000, p.73 ; 2003, p .249-250. 6 Le guerrier musulman qui fait la guerre sainte. 7 Selon Mélikeff les mécréants qu’on rencontre dans Le Livres

de Dede Korkut sont plutôt les Géorgiens qui «devant la défec-

tion des Arméniens et l’attitude souvent passive des Byzan-

tins »ont pris « la tâche difficile de défendre la patrie cauca-

sienne contre l’envahisseur nomade ». (Mélikoff, 1995 : 13) 8 Celui de Dresdner trouvé par H. F. von Diez et présenté dans

un article en 1815 ; et celui de Vatican publié par Ettore Rossi

en 1952. 9 Publié en alphabet arabe par Kilisli Rifat en 1916, l’ouvrage

n’a connu une publication adaptée et accompagné des explica-

tions qu’en 1938 (Orhan Şaik Gökyay) et en 1958 (Muharrem

Ergin).

Alté rité Dans Le Livre De Dede Korkut: L’image Du Chré tien 295

les folkloristes n’ont pas cessé d’y apporter les

explications et les interprétations diverses,

voire contradictoires. Ettore Rossi était le

premier | reconnaitre dans le personnage de

Kan Turali (héros éponyme du VIe récit), un

personnage historique : le chef Aqqoyunlu

Tur-Ali. Ainsi, en admettant le XVe siècle

comme la date de la rédaction des textes, il

considère l’époque des Aqqoyunlu comme la

base historique des événements. (Rossi, 1952 :

31)

Faruk Sümer, | son tour, consacra le

dernier chapitre de son ouvrage sur les

Oghuz, | leur tradition narrative et développa

l’idée que Le livre de Dede Korkut, trouvant sa

forme définitive après l’installation des

Aqqoyunlu en Anatolie de l’est et au XVe

siècle, couvrait les éléments fort anciens qui

montaient aux IX-XI siècles. Selon lui aussi, Le

Livre de Dede Korkut est la mise en écriture

d’un certain oghuzname, appris par cœur. Il

met en évidence le fait que la mise en écriture

s’est effectuée en Azerbaijan (Faruk Sümer,

1992 : 396) Muharrem Ergin et O. Ş Gökyay

ont traité le sujet de l’origine du livre | leur

tour et s’intéressant aux repères historiques et

géographiques ont essayé | le relire. Ainsi

Gökyay y reconnût les traces de l’Empire

ottomane et Vilayetname de Haci Bektaş

(Gökyay : LXVII-LXXII) en plus de celles dont

nous avons déj| parlé, tandis qu’Ergin le

rattacha du, point de vue linguistique, plutôt

| l’aire azérie (Ergin,1989 :51-54 ) et tout en

donn}t une liste des toponymes anatoliens et

azerbaidjanais dans les récits, les considéra

comme adoptés dans une époque plus récente

(Ibid. :51-53) et conclura que l’ouvrage a pris

sa forme définitive en aire Aqqoyunlu( Ibid. ).

D’ailleurs, Irène Mélikoff aussi partage l’idée

de la cristallisation de la tradition épique

oghuz, « transmise oralement pendant les

siècles », au XVe siècle (Mélikoff, 1995 :18) et

souligne que Le Livre de Dede Korkut « a été

remanié | l’époque des Aqqoyunlus » et que «

le texte a été rédigé | Tabriz qui fut, de 1468-

1501, la capitale d’Uzun Hasan et de ses

successeurs » (Ibid. P.19). Pour citer une autre

théorie dans la même direction, notons bien

que Jirmunski aussi, dans un article consacré

au IIe récit, démontre que certains poèmes

cités dans Le Livre de Dede Korkut se sont

formés aux IX-X siècles et les Oghuz les ont

apportés lors de leur immigration. Selon

Jirmunski, les Aqqoyunlus, en tant que

dirigeants de la tribu Bayindir, voulaient

profiter de ces récits pour imposer leur

domination aux autres pouvoirs turcs et

turcomans10 de la région (Jirmunski, 1992:497-

502).

Cependant, les théories

révolutionnaires n’ont pas tardé | se faire le

jour: Semih Tezcan dans un ouvrage qui

contient deux manuscrits et un texte édité en

coopération avec B. Hendrik (2000) et surtout

l’ouvrage qui le suit et contient les notes

ajoutées | la première publication développe

l’idée de création anatolienne du Livre de Dede

Korkut, en identifiant l’ancien dialecte

d’Anatolie dans cet ouvrage (Tezcan, 2001:17

). Toujours dans la même direction, il faut

citer l’article novateur du folkloriste turc, D.

Yıldırım. Dans cet article | travers une

critique des anciennes théories qu’il qualifie

comme philologiques, l’auteur s’interroge sur

les étapes orales et écrite de cette épopée et

conclut que Le Livre de Dede Korkut est

plusieurs fois copié et manipulé par les

scriptes avant d’être consigné lors d’une

performance en Turquie de l’époque

ottomane11 ( D.Yıldırımm, 2002 :165-169 ).

La synthèse relativement complète12

qu’Ercilasun donne des théories précédentes

l’amène | confirmer que les récits du Livre de

10

Ce terme d’origine inconnue désigne « les Turcs Musulmans

nomades, par opositions aux Turcs musulmans sédentarisés ou

aux Turcs nomades restés incroyants » (Ducellier, 1973 :179) 11

Déjà Faruk Sümer avait proposé la théorie de l’inscription

des récits lors de performance d’un Ashik (Sümer , 1992 : 450). 12

Relativement, puisqu’Ercilasun ne fait aucune allusion à

l’ouvrage de Semih Tezcan publié à la même année, mais

cherche à synthétiser toutes les théories précédentes. Il est à

remarquer que Ercilasun aussi, sans parler de l’ancien dialecte

d’Anatolie, se campe dans le courant qui considère ce livre créé

ou au moins mis en écriture en aire ottomane.

296

Monire Akbarpouran

Dede Korkut, en tant que version folklorisée

faisaient partie, avant le XIIIe siècle, d’un

oghuzname déj| sous forme du livre, celui

d’Oğuz Kağan destanı. Selon lui, ces récits

folklorisés prirent leur dernière forme au XVe

siècle, et furent réécrits au XVIe (Ercilasun,

2000, 115). 13 En effet, bien que les spécialistes

de la littérature turque aient toujours discutés

la question de l’origine du Livre de Dede

Korkut, aucun ne nie les liens qui le rattache ni

| la tradition de l’oghuzname14, nom donné

aux récits épiques15 célébrant la vie d’Oghuz

khan, l’ancêtre mythique des Turcs oghuz et

celle des héros de la confédération oghuz.

Rattacher le livre de Dede Korkut | la

tradition de l’oghuzname implique d’y

trouver certains thèmes et certaines formules

propres | cette tradition littéraire ayant leur

origine dans la vie nomade des Turcs oghuz16

13 La première allusion à l’oghuzname se trouve dans l’œuvre

de l’historien de la dynastie mamlûk d’Egypte, Ebu Bekr b.

Abdullah b. Ay-Beğ ed-Devadarı. Dans son ouvrage, écrit dans

le sérail d’une dynastie issue des Turcs kiptchaks (dont les

guerres avec les Oghuz sont racontées dans Le Livre de Dede

Korkut), l’auteur révèle l’existence d’un livre intitulé Ulu Han

Ata Bitigçi (le grand-père Bitikçi), que connaissent les Mongols

et les Kiptchaks et « qu’ils respectent beaucoup » et le présente

comme équivalent d’un autre livre, intitulé Oghuzname, que

d’autres Turcs connaissent bien et respectent beaucoup. (Erci-

lasun, 2002, 22-23) Il s’agit du livre consacré à la vie d’Oghuz.

L’auteur évoque ici le récit de Tepegoz, histoire également

racontée dans Le Livre de Dede Korkut. Le premier ouvrage

dont une partie porte le titre de l’oghuzname est Jami al-

tawarikh, l’œuvre majeure de Rahid al-Din (XVe siècle). Il fut

écrit en persan à la demande du roi ilkhanide qui ne voulait pas

laisser disparaître les coutumes mongoles et turques. (cf. Togan

& Ṭabīb, 1982) Le deuxième est un manuscrit d’une douzaine

de pages, en alphabet ouïgour, suposément écrit en 1300 et à

Turfan. (cf. P.Pelliot, 1995 :103) Tevârih-i Âl-i Selçuk,

l’ouvrage dédié par Ali Yazicioğlu au roi ottoman, Murat II

(XVe siècle) et en turc inclut l’histoire des Oghuz jusqu’aux

Ottomans (cf. A. Bakır, 2008) Shecere-i Terâkime est autre

livre, plus récent, écrit en persan au XVIIe siècle par Ebu’l Gazi

Bahadır Han. Comme dans Le Livre de Dede Korkut, il est

mentionné à la fin de certains récits qu’il s’agit d’un oghuz-

name. (cf. Han, E. B. ,1974) 14

Le manuscrit de Vatican a Oghuzname comme titre et le

terme Oghuzname se répète plusieurs fois à la fin de I, II, III,

IV, VII, IXe récits.

15 Destan en turc ; Dans ses ouvrages sur la tradition orale

épique des Turcs, Karl Reich a plusieurs fois et assez explici-

tement abordé la définition du genre. Tout en cherchant à

distinguer Destan en tant que récit épique et Hikayet en tant que

love-omance, il admet l’existence d’une confusion profonde. cf.

K Reich, 1992, p.125 ; 2000, p.73 ; 2003, p .249-250. 16

Les Khazar avaient réussi à construire l’empire khazar entre

le VI et le XIe siècle et les Kiptchaks, s’étaient installés au IXe

siècle entre la Volga et l’Oural en menant une vie de pillard ou

de mercenaire.

avant leur conversion en islam (vers Xe siècle)

et leurs migrations successives de Turkestan

vers l’ouest. Les études menées sur les destant

turcs, y distinguent plusieurs types dont le

plus caractéristique est celui d’Alp17, le héros

épique et folklorique, généralement d’origine

noble, doté d’une faculté extraordinaire de

guerroyer et d’un caractère viril, intrinsèque |

la vie nomade. (Yardımcı, 2007:50). Dans les

épopées de l’époque islamique, sous

l’influence du double processus de

l’islamisation et de la sédentarisation ce type

se transforme en Alp-Eren qui est un Gazi

(Ibid.) et faisant la guerre sainte contribue |

l’expansion de l’islam en Anatolie. Ebu

Müslimname18, Battal Gazi destanı19,

Danişmendname20 et Saltukname21 présentent les

exemples les plus illustres des ouvrages de

coloration épique qui témoignent la conquête

de l’Anatolie par les musulmans.

Muruvet Yanar dans son mémoire de

maîtrise sur le rôle des gazis en établissement

de l’État ottoman soutient l’idée que Le Livre

de Dede Korkut, Saltukname et les chroniques

ottomanes partagent le même point de départ

qui est la tradition de gaza ou la guerre sainte

(Yanar, 2007 : 19) et en se référent | Arras

(Arras, 1998 : 516) affirme que cette fois-ci |

l’encontre de ce qui se passait dans les épopée

turques pré- islam, ce ne sont pas les turcs qui

attaquent les premiers, mais les ennemis.

Selon lui les Turcs gazi ne guerroient qu’en

réaction aux attaques de leurs ennemis.

Cependant, comme le déclanchement de la

17

Le titre qui précède le nom des grands héros comme Alp Er

tunga (entré en tant que Afrasiap en persan et dans Shâh-Nâme) 18

Le récit épique créé autour du personnage d’Ebu Müslim

Khurasani à l’époque Abbasside .(Cf. I. Mélikoff, 1995 :35-55). 19

Connu aussi sous le nom de Battalname, c’est le récit épique

créé autour de la vie fabuleuse d’un certain Seyed Battal Gazi,

un commandant arabe dans la guerre entre les Umayyades et

Byzance, aux VIIe et VIIIe siècles, et mis en écriture prose aux

XIIe et XIII siècles .(Cf. Y. Say, 2009) 20

Le récit épique créé autour du fondateur de Danichmendies

en Anatolie, vers le XIe siècle et mis en écriture au XIII

e siècle .

(Cf. I. Mélikoff, 1995 :26-33). 21Le récit épique créé autour de la vie de Sarı Saltuk, descen-

dant de Battal Gazi et pourvu d’une auréole de sainteté soufie,

au XIIIe siècle et après la conquête de l’Anatolie. Ce récit est

mis en écriture au XVe siècle. (Cf. I. Mélikoff, 1995 :57-63).

Alté rité Dans Le Livre De Dede Korkut: L’image Du Chré tien 297

guerre au VIIe récit22 témoigne, cette

constatation ne peut pas être tout | fait vraie

dans le cas du Livre de Dede Korkut. Quoique

les héros du livre de Dede Korkut réclament la

guerre sainte contre les chrétiens qu’ils

qualifient de mécréant, il y a, de ce point de

vue, une grande divergence entre cet ouvrage

et les autres : créé dans une ambiance tout |

fait populaire et loin du centre du pouvoir (les

grandes villes arabisées et persanisées

volontairement) cet ouvrage raconte la vie

guerrière des turcomans, nomades et semi-

nomades. Yağmur Say, dans son livre sur

Battalname, tout en le comparant au Livre de

Dede Korkut, met l’accent sur cette divergence

d’origine et affirme que parallèlement | la

haute classe qui recevait, dans le cadre de la

civilisation musulmane, les influences de la

culture iranienne et jouait un rôle important

dans son développement, il y avait des Turcs

qui, vivant | une grande distance des centres

musulmans sunnites, avaient toujours gardé

les coutumes de la vie nomades et leurs

croyances chamaniques (Say, 2009 : 31). C’est

ce milieu qui a vu, selon lui, naître Le livre de

Dede Korkut:

Bien que les héros de Battalname

et ceux du Livre de Dede Korkut se

battent tous les deux pour la

même idéologie islamique, ils

présentent, chacuns, des caracté-

ristiques différentes : les pre-

miers, sont la création des Turcs

tout | fait islamisés, citadins et

sédentarisés, les deuxièmes celle

des Turcs islamisés d’une ma-

nière différente qui faisaient tou-

jours vivre la culture et [la mode

de] vie des anciens nomades et

semi-nomades. (Say, 2009 : 31)23

Irène Mélikoff aussi, en cherchant les origines

centre-asiatiques du soufisme anatolien, fait

22

« Le vin lui monta à la tête. Il se dressa sur ses gros et de-

manda à Bayindir Khan la permission d’entreprendre une

razzia. » (Bazin &Gökalp, 1998 :173) 23

Sauf indication contraire, toutes les traductions sont de

l’auteur.

allusion au personnage de Dede Korkut et |

l’origine tout | fait populaire de l’élaboration

d’un tel personnage chez « ces Turcomans,

non encore façonnés par l'enseignement de la

medrese » (Mélikoff, 1995 : 202)

Les considérations faites dans les

lignes précédentes nous amènent | voir, |

travers cet ouvrage, la perception populaire

de la guerre sainte et de l’ennemi. Cette per-

ception particulière ne s’accordait forcément

pas | la réalité historique ni | celle que les

autres ouvrages contemporains cités présen-

tent, mais au monde singulier de la fiction

épique qui a élaboré ces récits | un moment

particulier de l’histoire.

II. Les Turcs en Anatolie et leurs

ennemis

Pour résumer tout ce qu’on a dit sur

l’origine de cette épopée, nous nous référons

toujours | la synthèse d’Ercilasun, selon

laquelle les douze récits ont pris leurs formes

définitives en Anatolie de l’est, territoire où

régnaient alors les Aqqoyunlus (1378-1508) et

qui fut conquis par les Ottomans (1299-1919)

après le recul de ceux-l| vers l’Iran.24 C’est |

l’époque ottomane et au XVIIe siècle qu’ils

sont mis en écriture (Ercilasun, 2000 : 111).

Pour bien saisir le cadre spatial et

chronologique où s’élaborèrent les récits de

Dede Korkut, tels qu’ils nous sont transmis, il

est indispensable de prendre en compte la

présence turque dans le territoire islamique

anatolien depuis la prise du pouvoir des

Saldjuqides d’Anatolie vers la fin du XIe siècle

et jusqu’au XVIe, période qui vit les récits

consignés.

Les Saldjuqides furent l’une des

branches de la confédération oghuz immigrée

sur le plateau iranien et convertie | l’islam.

Leur chef, Tughrul Beg, reçut officiellement

en 1055 le titre de Sultan | Bagdad, auprès du

24

Cette constatation fait écho à celle de P. Naili Boratav qui

développé l’idée que l’auteur anonyme du Livre de Dede Kor-

kut pourrait être l’un des nombreux auteurs et artistes qui ont

quitté Tabriz et la cour Aqqoyunlu pour aller à la cour otto-

mane, après la conquête de Tabriz par les ces derniers. (P. Naili

Boratav, 1991 :62)

298

Monire Akbarpouran

khalife Abbaside. L’événement était décisif : le

titre « impliquait l’octroi du pouvoir temporel

par délégation khalifale, le titre d’émir de l’est

et de l’ouest lui donnait la mission de sou-

mettre tous les territoires musulmans qui

avaient échappé | l’autorité khalifale, ce qui

concernait l’Egypte et la Syrie, mais non l’Asie

mineure » (Ducellier, 1995 :180). Cependant,

l’élément principal qui devait intervenir pour

que les Saldjuqides reprennent leurs incur-

sions en Anatolie était l’existence de la tradi-

tion de razzia chez les Turcomans. Vers 1048-

1054 déj|, Tughrul Beg avait suivi le désir de

ses Turcomans et reconquis «ainsi sur les By-

zantins d’anciennes forteresses de la fron-

tière» (Ibid.) et devint Sultan. Il voulait non

seulement satisfaire ses guerriers et «retour-

ner leurs razzias sur un autre front 25» (Cahen,

1988 : 6), mais aussi restaurer la tradition de la

guerre sainte contre l’empire chrétien byzan-

tin, action qui pouvait « augmenter le pres-

tige du nouveau sultan, en particulier auprès

des populations des confins syro-

mésopotamiens » (Ibid.).

Dans cette perspective, la bataille de

Mantzikerd (1071), connue comme le début de

la présence des Turcomans en Anatolie, eut

pour résultat «la cessation des principales

forteresses d’Arménie (Mantzikerd, Argish),

de Djézira (Edesse) et de Syrie de Nord (An-

tioche), il [le sultan] ne cherche [ne cherchant]

qu’| obtenir la consolidation de la frontière

traditionnelle de l’islam, débordée par les

Byzantins après 970 » (Ducellier, 1995: 204).

Une fois les Saldjuqides installés en Asie mi-

neure, l’histoire présente de nombreux

exemples d’alliances politiques et d’ententes

religieuses entre eux26 et les Byzantins et, bien

que la première croisade prétendit avoir pour

raison le conflit turco-byzantin, les témoi-

gnages historiques évoquent cette époque

25

Selon Cahen « cette attitude se rattachait aux traditions de

razzias des Turcs islamisés d’Asie centrale, héritiers des ghazis

musulmans d’Asie centrale, contre les Turcs paysans anté-

rieurs- même si cet héritage était plus explicite dans la langue

des intellectuels religieux que dans la masse des

mans. »(Cahen, 1988 :6) 26

Sur ce sujet voir Les souverains seldjoukides et leurs sujets

non-musulmans, Osman Turan.

comme une « perspective de la paix » pour les

Byzantins (Ducellier, 1995: 207).

D’ailleurs, Michel Balivet évoque la

période des XIe-XVe siècles en ces termes :

« Une aire de conciliation religieuse » 27 (Bali-

vet, 1994: 111). C’est aussi l’époque ottomane :

les Ottomans qui commencèrent leur domina-

tion par l’ouest de l’Anatolie durent, pour

s’imposer, attendre l’arrivée au pouvoir du

sultan Mehmet II le Conquérant, qui étendit

considérablement son territoire par plusieurs

guerres; il prit ainsi Constantinople (1453), fit

la conquête des Balkans et mena surtout des

guerres en Anatolie pour éliminer l’empire

de Trébizonde, dernier Etat chrétien dans la

région.

En matière d’identité musulmane

opposée | l’identité chrétienne dans le cadre

de notre épopée, il faut surtout mettre en

avant le rôle primordial d’autres groupes de

Turcomans, les Qaraqoyunlus et les Aqqoyun-

lus, immigrés au XIVe siècle et installés en

Iran, en Azerbaïdjan et en Anatolie de l’est.

Leurs souvenirs ont profondément marqué

l’élaboration de notre épopée. En effet, la pré-

sence de ces Turcomans en Anatolie créa une

situation particulière: en état de guerre contre

les Ottomans et les Qaraqoyunlus, les Aq-

qoyunlus s’allièrent avec l’empire de Trébi-

zonde et avec les Géorgiens (Hasanzadeh

1391 (2012-2013): 147) : cette alliance allant

très loin, donna naissance au mariage des

princes aqqoyunlus avec les princesses byzan-

tines. Ainsi Qutlu, le fils de Tur Ali, prit pour

femme Maria Comnène (J. Woods, 1999:34) et

Uzun Hasan épousa Théodora, la nièce du roi

byzantin (Ibid. 88)28. Ces mariages trouvant

leurs reflets dans l’épopée turque29, un con-

27

Dans les premières pages et sous le titre de Islam et Byzan-

tins, Balivet brosse un tableau de bonne entente et con-

clu : « Nous sommes là fort loin de l’idée de croisade et de

reconquête sur l'islam qui animera les Francs deux siècles plus

tard et qui sera toujours étrangère à la mentalité byzantine »

(Balivet, 1994 :21). 28

Historiquement parlant, il s’agissait certes des mariages

d’alliance, comme beaucoup d’autres qui nouèrent les Aq-

qoyunlus aux autres tribus turcomanes de l’époque, et pas les

mariages d’amour comme l’épopée présente. 29

Selon J.woods, le mariage de Qutlu et Maria a fourni le

thème des six récits du Livre de Dede Korkut. (J.Woods, :34)

Alté rité Dans Le Livre De Dede Korkut: L’image Du Chré tien 299

traste significatif se crée30: les mariages parfois

amoureux31 qui lient les héros oghuz et les

princesses « païennes» et tout le mépris et le

dédain que les héros éprouvent pour leurs

ennemis se côtoient. En ce qui concerne les

Géorgiens, les vrais mécréants décrits dans Le

Livre de Dede Korkut, déj| | l’époque Saldju-

qide (XII et XIIIe siècles), il y avait hostilité et

alliances entre les Turcs et les Géorgiens. Les

Saldjuqides proclamant la guerre sainte en

1048 contre la Géorgie, l’ancienne capitale

resta pendant quatre cents ans sous la domi-

nation musulmane. Ainsi, dans l’armée sald-

juqide il y avait les Géorgiens musulmans

(A.C.S.Peacock, 2006 : 132) autant que les mu-

sulmans vivant dans les territoires géorgiens

faisaient une communauté privilégiée. (Ca-

hen1960:22-24, cité in A.C.S.Peacock, 2006 :

133) Après les Saldjukid et | la fin du XIV

siècle c’était les Aqqoyunlus qui s’affirmèrent

comme le premier ennemi turco-musulman.

En effet, les Turcomans et les Géorgiens

étaient en contact non seulement aux fron-

tières de la Géorgie, mais aussi | travers

l’empire Trébizonde où la présence géor-

gienne était caractéristique. Selon méli-

koff, «tantôt les Aqqoyunlu dirigeront leurs

razzias contre les riches terres de leurs voisins

géorgiens, tantôt, ils chercheront l’alliance de

leur prince» (mélikoff,1995 :16).

Toujours en traitant le sujet des en-

nemis des Turcs en Anatolie, il faut remarquer

le fait que la dynastie aqqoyunlu ne figure pas

d’habitude dans la liste des dynasties turco-

musulmanes d’Anatolie connues pour la

30

Il y a deux remarques à faire dans ce sujet : 1. Ces mariages

ne sont pas, comme l’exemple de la reine de Saragosse dans

Les Chanson de geste, accompagnée du convertissement de la

païenne. On dirait que l’épopée ne fait aucune attention à la

confession des femmes et on n’en parle même pas. 2. Il est

intéressant de constater que l’épopée, en pleine guerre, tolère

bien ce genre du mariage tandis que dans les romances, comme

Asli Kerem ou Ashik Garib et Shah Sanam, créées à l’époque

de la paix, les amoureux n’arrivent pas à se rejoindre. Pour plus

d’information sur cette différence Cf .Torabi & Akbarpouran,

2016. 31

L’attitude du héros qui préfère bien aller faire la guerre au

nom de ses valeurs qu’épouser son amoureuse, nous montre

comment l’épopée profite de ce thème pour glorifier encore

plus son héros.

guerre sainte. Ainsi Yanar dans son mémoire

en parlant de gaza chez les dynasties tuques,

fait suivre les Ottomans aux Saljukides sans

parler des Aqqoyunlu. Ainsi de même pour

Ilhan Erdem qui cite les Aydinogullari32 et les

Ottomans comme les exemples des principau-

tés où le chef de la tribu confia un grand pou-

voir aux groupes organisés autour de l’idéale

de gaza (Erdem, 2007 : 3). Étant donné les

traces historiques diverses et contradictoires

qui se profilent derrière les récits, ce n’est pas

étonnant d’y voir des images diverses, voire

contradictoire de l’ennemi ; les Arméniens, les

Byzantins, les Géorgiens et les Kipchaks33.

C’est dans cette perspective que ni les al-

liances et les scènes d’amour ni les épisodes

violents de la guerre ne peuvent estomper les

unes, les autres.

D’ailleurs, le fait qui s’affirme, c’est

l’évidence d’un « flou confessionnel » dans

lequel se noyaient toutes ces batailles dites

religieuses. C’est en traitant des relations By-

zantins-Ottomans que Balivet fait allusion | ce

flou, en donnant plusieurs exemples : celui de

Sari Saltuk connu au XVe siècle comme « un

actif propagandiste de l’islam » et le person-

nage principal de Saltukname qui sera, au

XVIe siècle, accusé de christianisme pour ses

fréquentations chrétiennes par un célèbre

juriste musulman. (Balivet, 1999 : 7). Aussi

Balivet distingue-t-il deux constantes dans le

processus de conversion des peuples turco-

mongols qui devront être prises en considéra-

tion pour étudier l’Altérité/ Identité que notre

épopée dessine :

D’une part, ils renoncent rarement |

leurs pratiques chamanistes antérieures qu’ils

continuent | faire figurer en bonne place |

côté de leur nouvelle religion. D’autre part,

32

L’épopée d’Umur Beg est témoin de ce phénomène. 33

Pour se faire un territoire les Oghuz durent se battre contre

Turcs Kiptchaks convertis au christianisme (Toksoy,

2008 :122). « Les souverains chrétiens des territoires grecs et

[les souverains] géorgiens dans le Moyen-Orient sont des

substituts pâles pour les ennemis Kipchak originaux de l'Asie

centrale. Ils conservent seulement leurs noms incontestablement

turcs et parfois le titre Kipchak melik » (Mélikoff, 1995 :137).

300

Monire Akbarpouran

leur conversion elle-même, dans un premier

temps du moins, est une prise de position un

peu floue toujours prête | être remise en ques-

tion. (Ibid. 2)

Camal Kafadar va encore plus loin, en

parlant d’un « flou identitaire » qui régnait

surtout dans les frontières (C.Kafadar, 1995 :

74). Les milieux selon lui, se caractérisaient

par « un haut degré de symbiose, la mobilité

physique, et les conversions religieuses qui

ont facilité le partage des traditions (légendes

sur les héros antérieurs, par exemple), des

idées, des pratiques institutionnelles, et même

des guerriers entre les configurations poli-

tiques inclusives» (Ibid.18). D’ailleurs, il af-

firme le rôle primordial des Babas34, les

« maîtres religieux et mystiques de la tribu et

des populations paysannes (nouvellement

installées?) » dans cette mobilité et fluidité

(Ibid.124).

Inscrire ce « flou confessionnel» et

« identitaire » dans un contexte où se produi-

sent de nombreuses guerres entre les Turcs

musulmans, entre les Turcs musulmans et

chrétiens, entre les Byzantins et les croisés35,

et en se rappelant les nombreuses alliances

entre camp musulman et camp byzantin

contre un troisième musulman ou chrétien,

sans barrière religieuse qui ait marqué

l’histoire, révèle une perception nuancée de

l’ennemi et va | l’encontre de l’image mani-

chéenne que la vaste littérature de la guerre

sainte, entre conquérants musulmans et chré-

tiens, cherche | nous donner. Il s’agit bien de

guerres tout court : dans huit récits, c’est la

guerre contre les mécréants, dans deux, la

guerre intérieure, et dans deux autres récits il

34

Pour bien saisir la signification et la connotation des termes

Dede et Baba, il faut se référer à Fuat Köprülü selon qui en

Anatolie, bien à l’envers de se qui se passait en Iran, se créa

deux courants du mysticisme (tasavvuf), l’un dans les villes et

sous l’influence arabe et persane et l’autre, chez les masses

turkmènes qui n’étaient pas exposées à l’influence de la culture

étrangère et qui n’avaient qu’une connaissance assez simpliste

des dogmes et des cultes pratiqués dans les villes et firent vivre

et survivre les croyances et les cultes anciens. Le Dede et les

Babas étaient en fait, les maîtres de nombreux courants mys-

tiques développés dans ce cadre (F. Köprülü, 47-50) cité In : R.

Yıldırım, 2004:96). 35

La Ve

croisade aboutit au saccage violent de Constantinople

par les croisés.

ne s’agit pas de guerre mais de batailles

d’ordre symbolique et surnaturel (Üstünova,

2008 :141).

En parlant de la Chanson de Roland,

Dominique Boutet a recours | la notion de

« fantasme communautaire », fantasme qui,

réconciliant le sacré et le profane, concourt au

processus de territorialisation et cela | travers

une « vision communautariste *qui+ tend évi-

demment | identifier l’Autre au mal absolu »

(Boutet, 2013 : 66). Cette attitude, qui se ren-

contre également dans Le Livre de Dede Korkut

et qui semble être constitutive du genre, rap-

pelle celle qui, dans la terminologie de

l’imagologie de Daniel-Henri Pageaux, est

qualifiée de phobie : « la réalité étrangère est

tenue pour inférieure par rapport | la supé-

riorité de la culture d’origine » (Pageaux,

1994 :71). Définissant l’image littéraire comme

« un ensemble d’idées sur l’étranger prises

dans un processus de littérarisation mais aussi

de socialisation » (Ibid., 60), cet auteur voit

dans toute image « une prise de conscience, si

minimum soit-elle, d’un Je par rapport | un

Autre, d’un Ici par rapport | un Ailleurs »

(Ibid.). Pour analyser cette prise de conscience

et les procédés qui en découlent, Pageaux part

de l’examen des mots, qui contribuent, selon

lui, | la création des stéréotypes aussi bien

qu’| celle des « relations hiérarchisées » (Ibid.

64-67).

L’examen du réseau lexical qui parti-

cipe | la représentation du chrétien dans Le

Livre de Dede Korkut, nous amène | distinguer

plusieurs composantes, révélatrices de

l’ignorance et de l’aversion de la société qui a

vu naître les récits | l’égard de ses ennemis,

témoignant aussi bien des différences fonda-

mentales qui existaient entre eux. Tout en

développant la théorie de la conciliation reli-

gieuse en Anatolie, tout en parlant de « mé-

langes Byzantins, Saldjuqide et Ottomans »36,

Balivet n’oublie pas, en énumérant ces diffé-

rences, de faire allusion | l’hostilité que les

destan de l’époque véhiculent:

Byzantins et Turcs: peuples de tout

36 Le titre d’un ouvrage publié en 2005.

Alté rité Dans Le Livre De Dede Korkut: L’image Du Chré tien 301

temps ennemis, irréductiblement opposés par

la langue, la religion, la culture. D'une part

une ancienne chrétienté sédentaire et méditer-

ranéenne; de l'autre, des clans nomades de la

steppe centrasiatique tard venus | l'islam.

(Balivet, 1994 :1)

III. L’Autre comme négatif de

soi

Quoique les désignations telles Azna-

vour37 (une seule occurrence) et Tekür 38(vers

soixante occurrences) se réfèrent | l’origine

ethnique de l’ennemi, Le Livre de Dede Korkut,

n’offre aucun indice de divergence sur le plan

linguistique et, pour reprendre une remarque

de François Suard sur le même phénomène

dans les chansons de geste, la seule langue qui

domine cet ouvrage est la « langue épique

rapportant les exploits d’un pouvoir impérial

centralisateur, autorisé par la défense de la

foi » (Suard, 1991-1992 :275). Dans le Da-

nişmendname, il est bien mentionné que

l’ennemi parle grec (Balivet, 1994:51), mais ce

n’est qu’une simple indication, la langue de

l’échange étant toujours celle de notre camp.

Nous sommes donc témoins

de « l'indifférence manifestée par les textes

épiques | l'égard de l'origine linguistique des

locuteurs» (Suard, 1991-1992 :258). Cette hé-

gémonie linguistique qui ne permet | l’Autre

de s’exprimer que dans une langue unique, la

nôtre, révèle non seulement la domination que

Je (« nous » dans le cas du genre épique) fais

subir | l’Autre, mais aussi « la tentation de

simplifier », de plaquer « un ordre extérieur

sur le chaos réel » (Goyet, 2006 : 3). Ainsi,

dépourvu de sa langue, l’ennemi perd-il sa

subjectivité et se voit réduit | un négatif qui

permet au Je de s’exprimer et de se réaliser.

Sur le plan culturel, un composant de

l’image ledit qui devrait être mis en lumière

37

Mot d’origine géorgienne qui signifie « l’homme de grand

lignage » (Bazin& Gökalp, 1998 : 241). Sauf indication con-

traire, la référence de tous les recensements est la version

présentée par Muherrem Ergin. Ergin a remplacé le mot Azna-

vour par son équivalent turc. 38

Mot d’origine arménienne désignant les souverains chrétiens.

(Bazin &Gökalp, 1998 : 242)

touche les relations | l’espace. Profondément

imprégnée par l’esprit nomade, l’épopée

turque lie l’image de son ennemi citadin aux

forteresses qu’il faut pénétrer et conquérir.

Par ailleurs, l’image de forteresse connote |

son tour un des motifs principaux de

l’ouvrage, celui de la captivité. Ce motif qui se

rencontre dans huit récits (Karakaş,

2013 :1867) fait partie des épreuves et exige

que le héros sauve son père ou son cadet cap-

tif dans une forteresse. Les traducteurs fran-

çais de l’ouvrage confirment que « les adver-

saires des héros oghuz sont toujours, dans

Dede Korkut, en ‘‘position de défense’’, der-

rière les murailles qui ‘‘ rivalisent avec le ciel’’

de leurs citadelles » (Bazin& Gokalp,

1998 :36). Tout en admettant cette observation,

il faut bien reconnaître que le motif de captivi-

té si fréquent dans Le Livre de Dede Korkut

témoigne, entre autres, de l’aversion et de la

crainte que les murailles pouvaient provoquer

chez les Turcomans sur le point de sédentari-

sation. Allusion | cette relation différente |

l’espace serait également | retrouver dans la

littérature lyrique officielle de l’époque otto-

mane (la poésie de Diwan) | travers le motif

de « la captivité chez le mécréant » (Demir,

2013 :437) et la conviction que les b}timents

construits par les mécréants sont plus solides

(Ibid. 440). Il faut d’ailleurs remarquer le mé-

pris des Turcomans | l’égard de ceux qui me-

naient une vie sédentaire qui se reflète dans la

connotation péjorative du vocabulaire qui

désigne ce mode de vie. Pour bien saisir ce

mépris, notons le fait qu’| l’époque

d’Aqqoyunlu, nous sommes témoins de la

transition de la vie semi-nomade | une vie

semi-sédentaire et bien qu’une classe urbaine

composée probablement des Tadjiks39 partici-

pait déj| aux affaires économiques, politiques

et sociales. ; les affaires militaires sont tou-

jours restées dans les mains de l’élite nomade

39À l’époque, les Turcs désignaient par ce mot les Persans et il

est intéressant de constater que même aujourd’hui les membres

de la tribu semi-nomade turque Qashqai, installée dans la

province de Fars, désignent les Persans par le mot tat.

302

Monire Akbarpouran

turque (J.Woods,1999 :16-17). La relation de

comparaison que le poète Qashqai du XXe

siècle40, établit entre la faiblesse et les séden-

taires, révèle | quel point les forteresses et les

murailles dans Le Livre de Dede Korkut pou-

vaient avoir une connotation péjorative mal-

gré l’assurance qu’ils peuvent inspirer | un

lecteur contemporain.

En ce qui concerne le côté religieux de

cette image, ce qui frape d’emblée c’est

l’assimilation au paganisme. « K}fir41 », en est

la désignation la plus fréquente (plus de deux

cents occurrences), pour ne pas dire la seule.

Quelques recours | un vocabulaire clérical

révèlent l’origine religieuse de l’ennemi :

église (huit occurrences), keşiş 42(six occur-

rences) contribuent | la formation de l’identité

religieuse de l’ennemi dans cet ouvrage.

Présentant une rapide analyse de

l’image du chrétien dans le Danişmendname,

Balivet le qualifie, lui aussi de « sommaire » et

« caricatural » et, tout en justifiant cette atti-

tude par référence | la loi du genre, il y dis-

cerne également « un repère psychologique

réel sur la mentalité turque des XIIe-XIIIe

siècles » :

Le désir de dévaloriser la religion de

l'ennemi, normal dans un récit | tendance

prosélytique et hagiographique, ne doit pas

cacher que beaucoup de musulmans de

l'époque considérée assimilent sincèrement le

christianisme | une idol}trie proche de celle

des anciens Arabes, les moines | de dange-

reux sorciers et la manière de vivre du k}fir |

des coutumes impures et bestiales. (Balivet,

1994:51-52)

Dans une scène de bataille, le mécréant

se vante auprès du héros oghuz en disant : « si

tu as un Dieu, moi j’ai soixante-douze temples

pleins d’idoles ! » (Bazin& Gokalp, 1998 :202).

Le réseau lexical qui traite de la religion de

40

Ça fait longtemps que je suis resté à Dokouhak/ Si jamais

une inondation m’amenait ailleurs/ Je suis devenu pâle et faible

comme les Tadjiks/ J’ai peur que la tribu ne me laisse plus

s’aprocher. (Mazoun Qashqai (eds. Shahbaz Shahbazi), 1988 :

51) 41

La version française de l’ouvrage présente deux équivalents

pour le mot kâfir: mécréant et infidèle. 42 Traduit parfois par prêtre en version française.

l’ennemi, la présente quelquefois comme

«Azğın »43 (huit occurrences) et d’autres fois

comme « sası »44 (cinq occurrences). On trouve

aussi ces tournures : « Mécréant sans religion»

(Ibid., 90) et « l’ennemi de la vraie religion »

(Ibid. 78) ; dans le sixième récit, nous rencon-

trons dans une seule phrase le même mot

sous forme substantive et adjectivale : « ces

mécréants sont très mécréants »45. Ailleurs, ce

mot se trouve gratifié de l’épithète kanlı46

(huit occurrences) qui met l’accent sur la

cruauté de l’ennemi ; il est aussi associé | la

couleur noire de son vêtement (l’allusion | la

« tunique noire » des mécréants revient | huit

occurrences. Le mot kara47 accolé au nom des

héros oghuz comme un titre évoque la gran-

deur, la bravoure et le courage, tandis que la

couleur noire du vêtement a une connotation

négative: les seuls qui la portent sont soit les

gens en deuil, soit les derviches pauvres (|

deux reprises), soit justement les mécréants. Il

est bien | noter que l’expression de kara kafir

ou le mécréant noir vivait également dans la

poésie de divan de l’époque ottomane et dans

un registre lyrique (Demir, 2013 :438).

Dans un contexte conflictuel, même le

mot keşiş prend une connotation guerrière:

dans le deuxième récit, quand les mécréants

ont pillé la tente de Salur Kazan et pris sa

mère comme prisonnière, lorsque Kazan leur

demande de la lui rendre, ils répon-

dent : « Nous la donnerons au fils du prêtre

Yaykhan ! Il en aura un fils, que nous

t’opposeront comme rival ! » (Ibid., 90). Dans

d’autres cas, les prêtres sont ceux qui gardent

l’église et que les héros tuent après la prise de

celle-ci. Quant | Kilise48, elle se définit par

opposition | la mosquée; le motif de la des-

truction d’une église pour édifier une mos-

43

Traduit dans la version française par enragé lorsqu’il

s’aplique au mécréant et égaré quand il qualifie la religion. 44

Sası en version originale. Ergin a remplacé ce mot par Pis .

En version française il est traduit par Puante 45

Traduit en français par : « ces mécréants sont sans foi ni loi »

(Bazin&Goklap, 1998 : 167). 46Traduit en français par sanglant.

47 Traduit en version française par noir, ce mot est polysé-

mique. Pour voir la large connotation de ce mot voir : Efsane-

lerde Kara Renginin Görünümü, Sinan Gönen, p. 33-34 48

Traduit par église.

Alté rité Dans Le Livre De Dede Korkut: L’image Du Chré tien 303

quée | sa place revient | cinq reprises dans le

livre.

Ce motif s’inscrit évidemment dans

la démarche qui vise | la suppression de

l’altérité. A ce sujet nous pouvons parler, |

l’instar de Boutet, d’un manque que le mé-

créant et son monde représentent et qu’il faut

combler, de la fausse religion qu’il faut rem-

placer par la vraie. C’est | propos de la Chan-

son de Roland et de son propre mécréant, que

Boutet y fait allusion :

Les ennemis des Francs sont indiffé-

remment qualifiés de « païens » et de « Sarra-

sins ». L’anthropologie des Sarrazins, qu’ils

soient orientaux ou d’Espagne, est entière-

ment régie par leur appartenance religieuse,

assimilée au paganisme. *<+ Les Sarrazins se

définissent d’abord négativement, par ce

qu’ils ne sont pas, par un manque qui ne peut

être comblé que par la conversion. (Boutet,

2013 : 66)

Cependant, dans Le Livre de Dede Kor-

kut tout au moins, ce manque semble être trop

vaste pour que la conversion suffise et le seul

récit qui présente une telle scène se termine

malgré tout comme les autres :

L’infidèle lui dit : « Brave, comment

nomme-t-on votre religion ? Je choisis la

tienne » levant le doigt et récitant la profes-

sion de foi, il devint musulman. Les infidèles

qui restaient l| déguerpirent. Les troupes

d’assaut razzièrent le pays et les gens de

l’infidèle, capturant ses filles et ses brus. (202)

La représentation simpliste et carica-

turale que le monde épique de l’ouvrage se

fait de la guerre sainte et de la conversion du

mécréant ne laisse pas s’interrompre « la ma-

chine de la guerre » pour accorder la moindre

attention au nouveau-converti. Cette percep-

tion simpliste, l’ouvrage la résume dans un

court dialogue entre Kazan khan et son fils

adolescent lors de la première bataille de ce-

lui-ci:

Le garçon demanda : « Qu’est-ce que

cela signifie, l’ennemi | la religion égarée ? »

Kazan répondit : « Fils, ceux qu’on apelle les

ennemis, ce sont ceux que, si nous les rencon-

trons, nous tuons, et qui, s’ils nous rencon-

trent, nous tuent. » Oruz reprit : « Père, si

parmi eux on tue de nobles braves, est-ce qu’il

y a vendetta, est-ce qu’on vous demande des

comptes ? » Kazan répondit : « Fils, tu peux

tuer mille mécréants | la religion égarée, et

voici une bonne occasion ! ». (Bazin & Gökalp

1998, p. 127)

Nous voyons bien que le seul élément

qui lie les Turcomans et les mécréants, le seul

critère qui les fait s’identifier les uns les

autres, c’est la guerre.

IV. La guerre sainte ou la

sainteté de la guerre

L’imaginaire élaboré | travers les

mythes, les récits et les images ne suit pas

seulement un but esthétique mais il sait

bien « se réaliser dans des actions, en leur

donnant des fondements, des motifs, des fins

et en dotant l’agent d’un dynamisme, d’une

force, d’un enthousiasme pour en réaliser le

contenu. (wunenburger, 2013 :37).

L’imaginaire de la guerre et de la conquête

crée un sentiment de gloire et unifie la société

en adaptant les anciennes valeurs aux nou-

velles qui sont les Nôtres. Ce n’est pas du tout

étonnant de voir la guerre sainte s’affirmer

d’emblée comme l’une des notions-clés de

l’œuvre.

Cette notion s’établit | travers un

vaste réseau lexical : plus de quatre occur-

rences pour le mot gaza (la guerre sainte), sept

occurrences pour gazi. Il y a des rites qui pré-

cédent ou accompagnent les batailles et ont

pour objectif de les sanctifier: prendre « une

ablution d’une eau pure » (six occur-

rences), invoquer « le beau nom de Muham-

mad » (dix occurrences) ou « poser son front

clair sur la terre » et faire « sa prière en deux

versets » sont des rituels que le héros accom-

plit avant de donner le coup d’épée. Il faut

ajouter | ce réseau le motif de mourir « en

martyr » (quatorze occurrences) qui sanctifie

les héros oghuz Pourtant, cette présence in-

304

Monire Akbarpouran

tense voire excessive de la notion de guerre

sainte n’a pas convaincu les chercheurs de

placer les guerres religieuses au centre de

l’épopée49 et il n’est pas difficile d’identifier

dans l’image de l’ennemi chrétien dans Le

Livre de Dede Korkut, | l’instar de Goyet dans

son étude sur La Chanson de Roland, une sim-

plicité outrancière, mise au service du « tra-

vail épique »50 :

Il faut bien reconnaître que le texte

donne des verges pour se faire battre: loin de

souligner le travail profond qu'il accomplit, il

multiplie | plaisir les signes d'une simplicité

outrancière, simpliste. Schématisant ce dont

tout le monde connaît les nuances, dénigrant

sans pudeur un peuple bien plus civilisé que

les Francs, il s'étale comme caricature. (Goyet,

2006 :223)

Les témoignages de la même attitude

| l’égard de l’Autre ne manquent pas dans

l’épopée turque non plus. Analysant trois

récits sur la prise de Constantinople, écrits au

XVIIe siècle et sous l’Empire Ottoman, Balivet

fait allusion | l’intérêt porté par les auteurs

pour les « anecdotes hagiographiques qui font

baigner la prise de Constantinople dans une

atmosphère mystique, surnaturelle et provi-

dentialiste » (Balivet, 2005 :140). Il fait aussi

remarquer l’attitude des « derviches turcs

dans le camp musulman et clerc byzantins

chez les défenseurs, les un et les autres dotés

de pouvoirs surnaturels (don de prophétie,

vision diverse) mais aussi animés de motiva-

tions très terre | terre (conversion opportu-

nistes, désir de butin et d’enrichissement)

(Ibid.). Mis en écrit presque | la même

époque Le Livre de Dede Korkut fait recours aux

mêmes procédés, de même qu’il dénonce les

mêmes motivations. Ainsi, d’une part, le texte

49

Dans sa préface à la version française du livre,

l’anthropologue, Altan Gökalp atteste de percevoir dans cet

ouvrage « une affaire de famille(s) » (Bazin Gökalp, 38) et dans

son article sur l’éthique de Dede Korkut, Michael E. Meeker ne

fait pas allusion à l’islam qu’en ces termes : «la religion dans

les récits de Dede Korkut qui légitime la pratique sociale des

Oghuz et sa croyance » (Meeker, 1992:407). 50

Pour plus de détails sur le travail épique dans Le Livre de

Dede Korkut voir Monire Akbarpouran, Vers l’étude du « tra-

vail épique » dans Le Livre de Dede Korkut.

de l’épopée réconcilie les mariages amoureux

entre les héros oghuz et les princesses byzan-

tines avec la haine et le mépris que la repré-

sentation du mécréant procure; d’autre part, il

établit un étrange parallélisme entre la guerre

et la chasse et fait abattre son héros, avec la

même ardeur, le révolté, les animaux, le mé-

créant et Le cyclope qui est un monstre.

L’examen de ce parallélisme pourrait

en être l’explication. Les recherches récentes

sur le type du héros dans l’épopée du monde

turcophone mettent l’accent sur un motif

principal qui se répète d’un récit | l’autre,

celui du passage d’un fils de Bey | sa vie de

héros jusqu’| l’obtention pour lui-même du

titre de Bey (Duymaz, 1998). L’une des com-

posantes irréductibles de ce passage est celle

de « verser du sang », acte qui s’opère soit | la

chasse aux animaux, comme c’est le cas, entre

autres, dans les Ier et VIIIe récits, soit | la

guerre contre les mécréants, comme dans les

IIe, VIIe et Xe récits. Dans une telle perspective,

où la guerre contre les mécréants fait partie

des épreuves de passage, les héros oghuz

meurent en martyrs (le mot Shahid51 jouit de

14 occurrences dans le texte), tandis que la

mort de l’ennemi se voit mise en parallèle

avec celle des animaux chassés dont « on en-

tasse les cadavres en un tas haut comme une

colline » (Bazin& Gokalp, 1998 :81).

Dans ce contexte où la guerre semble

être une valeur en soi, elle s’impose comme

une pourvoyeuse de critères identitaires : « en

ce temps-l|, tant qu’un garçon n’avait pas

coupé de tête et versé de sang, on ne lui don-

nait pas de nom» (Bazin& Gokalp, 1998 : 96).

Notons bien que dans un registre plus réel, il

s’agit du « titre de bey » que le père ou le

khan suprême donne | l’adolescent venant

d’accomplir son passage. Donc, non seule-

ment « l’ennemi | la religion égarée » se défi-

nit | travers la guerre, le héros aussi en

prends son identité. S’inscrit, dans la même

ligne, la mort tragique de Beyrek au douzième

récit où les révoltés tuent Beyrek qui ne les a

pas rejoints pour trahir Khan le suprême.

51

Traduit par martyr.

Alté rité Dans Le Livre De Dede Korkut: L’image Du Chré tien 305

Dans ce récit Beyrek « rejoint la divinité »

(Bazin&Gokalp, 199 :235).

Il faut appréhender cette divinité par

rapport | l’éthique sociale de la vie des tur-

comans semi-nomades, dont la structure du

pouvoir social suit le model tribal d’autrefois.

Autrement dire, nous avons dans cette épopée

affaire | « une société extrêmement hiérarchi-

sée en rang » où «on doit ‘‘tenir son rang’’ et

respecter celui d’autrui | travers une étiquette

rigoureuse (Bazin& Gokalp, 1998 :34), une

société où la fidélité | son seigneur, son cadet,

s’affirme comme une partie irréductible de

l’éthique sociale.52 C’est dans ce cadre que la

guerre et l’Autre qui en donne l’occasion font

partie des épreuves déterminant la situation

du héros par rapport | ses aînés et ses cadets,

aussi bien que l’occasion de s’assimiler.53

Ces considérations sur la fonction as-

sez profane de l’ouvrage faites, il reste |

s’interroger sur la réception de violence et

d’agressivité que l’ouvrage adresse aux chré-

tiens dans une société qui n’hésitait pas | ac-

cueillir les non-musulmans une fois la paix

installée. Blandine Longhi reconnaît dans « la

joie que ressent l’auditoire des jongleurs |

l’évocation de combats démesurés » « une

façon de se soulager de cet instinct barbare

qu’il a en commun avec le personnage »

(Longhi, 2011 : 491). Selon elle « l’exagération

épique | l’œuvre dans les scènes de batailles

répond *<+ | un besoin de projection et de

sublimation d’agressivité du public » (Ibid.

492). Relevant des exigences du genre, cette

façon de traiter l’Autre, pourrait contribuer |

« canaliser l’énergie des Turcomans » (Cahen,

1988 : 6), aussi bien que conjuguer aux élé-

ments expliqués dans les lignes précédentes

pour créer une nouvelle identité.

52Sur l’éthique de l’ouvrage et la tâche que l’épopée se donne

pour les transmettre voir M. Meeker, 1992 53 Les relations problématiques entre les beys et leurs fils dans

Le Livre de Dede Korkut, considérées par les chercheurs

comme un vrai enjeu, révèlent du même aspect. Pour plus de

détails sur cette problématique Cf. R. Karakaş, 2013 a&b.

Pourquoi chercher une nouvelle iden-

tité sinon en vivant une crise identitaire due |

la déterritorialisation ? Cette déterritorialisa-

tion s’était produite | la suite de

l’immigration des tribus turques et surtout |

leurs rencontres avec d’autres groupes eth-

niques et religieux sur les terres récemment

appropriées. Dans notre article sur le travail

épique nous avons déj| examiné les tentatives

des Turcomans ainsi que celles des Ottomans

| adapter l’organisation tribale |

l’organisation impériale et les valeurs sur

lesquelles celle-ci s’était basée aux valeurs que

celle-l| voulait créer (Akbarpouran, 2014).

Cette crise identitaire se voit dans l’intérêt que

les premiers Turcomans accordaient aux noms

et aux titres iraniens et byzantins. Il est sur-

prenant, comme Shukurov nous le fait bien

observer, de constater qu’aux VII-VIIIe siècles,

les noms iraniens étaient plus fréquents en

Anatolie que chez les vrais Iraniens (Shuku-

rov, 1999 :276). Shukurov démontre comment

les premiers Turcomans se réclamaient héri-

tiers tantôt de l’empire grec byzantin, tantôt

de l’empire perse sassanide, tantôt des Arabes

musulmans. Ici la crise identitaire se donne |

la crise de légitimité (Ibid. 270-276).

Nous pouvons donc nous demander

ce qui explique les généalogies54 et les retours

| l’origine tribale chez les Aqqoyunlu et les

Ottomans qui s’écartaient d’une grande vi-

tesse des valeurs de la vie nomade pour créer

de grands empires | la manière des Iraniens ?

Supposant que les récits qui composent Le

Livre de Dede Korkut aient une relation directe

avec la dynastie Akkoyunlu, pourquoi ce sont

les Ottomans qui font la préface du livre et se

les approprient ? La réponse réside toujours

dans l’instabilité qui régnait sur tous, surtout

sur le plan identitaire en Anatolie, l’instabilité

la mobilité qui aboutiront | l’élaboration de

l’identité ottomane :

54

Salçukname (Saldjukname) de Yazıcıoğlu Ali est écrit sous

l’ordre de Murad II, le sultan ottoman, et couvre une vaste

durée de l’histoire des Mongols et des Turcs jusqu’aux Otto-

mans.

306

Monire Akbarpouran

En effet, si quelque chose caractérise

les frontières médiévales Anatoliennes, et

peut-être toute frontières, il était la mobilité et

la fluidité. Le succès ottoman était dû au fait

qu'ils harnachés cette mobilité | leurs propres

fins tout en la façonnant et l’apprivoisant afin

de se conformer | leur recherche de la stabilité

et | leurs vision centralisatrice. (C. Kafadar,

1995 :123)

Le caractère conflictuel de l’image du

chrétien construite dans Le Livre de Dede Kor-

kut relève non seulement du contexte histo-

rique particulier où s’enracine l’ouvrage, mais

aussi des exigences du genre et celles de la

société de l’époque qui | la recherche de

l’unité et de la stabilité et malgré son instabili-

té identitaire sur le plan réel, punissaient sé-

vèrement la moindre désobéissance ou la

différence sur le registre symbolique. Dans

cette perspective, aspirant | un manichéisme

extrême, l’épopée n’évoque l’Autre que pour

créer et renforcer l’idée d’une communauté

qui s’appelle Nous. Autrement dit, non seule-

ment l’Autre est réduit | un moyen pour

s’identifier, mais aussi il est assimilé au Mal

qu’il faut suprimer et remplacer par Bien, par

nous ; il est Autre, mais aussi un ennemi ef-

frayant, un « mécréant | la religion égarée que

Nous tuons, si Nous le rencontrons ». Notons

bien l’immense contribution de l’imaginaire

littéraire dans la formation de l’imaginaire

social, fondé sur la dualité Identité/ Altérité, et

dans la construction d’un Nous idéal qui irait

donner naissance | un grand empire.

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