STEPHEN W. HAWKING -...

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    STEPHEN W. HAWKING

    UNE BRVE HISTOIRE DU TEMPS

    Du Big Bang aux trous noirs

    traduit de langlais par

    Isabelle Naddeo-Souriau

    FLAMMARION

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    Titre original : A Brief History of Time. From Big Bang to Black Poles.

    Publi par Bantans Press, New York, 1988 Co Writers House, New York

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    Flammarion, 1989, pour la traduction franaise. ISBN : 2-08-081238-6 Imprim en France

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    Remerciements

    Jai dcid dcrire un livre sur lEspace et le Temps lintention du grand public aprs les confrences Lb que jai donnes Har-vard en 1982. Il existait dj un nombre considrable de livres sur les dbuts de lUnivers et les trous noirs, dexcellents, comme Les Trois Premires Minutes de lUnivers, de Steven Weinberg, et de trs mau-vais, que je ne citerai pas. Je trouvais cependant quaucun dentre eux ne rpondait vraiment aux questions qui mavaient conduit faire de la recherche en cosmologie et en thorie des quanta : do vient lUnivers ? Comment et pourquoi a-t-il commenc ? Connatra-t-il une fin, et si oui, comment ? Questions qui intressent tout le monde. Mais la science moderne est devenue si technique que seul un tout petit nombre de spcialistes peut matriser les mathmatiques qui sont au cur tic la description. Et pourtant, les ides fondamentales sur lorigine et le destin de lUnivers peuvent prendre une forme non mathmatique, accessible une personne dpourvue de formation scientifique. Cest ce que jai essay de faire ici et le lecteur jugera si jai russi.

    On ma dit que chaque quation incluse dans le livre en diminue-rait les ventes de moiti. Jai donc dcid quil ny en aurait aucune. la fin, toutefois, jen ai mis une, la fameuse quation dEinstein : E = mc. Jespre que cela neffrayera pas la moiti de mes lecteurs potentiels.

    Jai eu la malchance dtre atteint dune maladie neuro-motrice (maladie de Lou Gehrig), mais presque partout ailleurs, la chance ma souri. Laide et le rconfort que jai reus de ma femme Jane et de mes enfants Robert, Lucy et Timmy mont permis de mener une vie peu prs normale et davoir une carrire remplie de succs. Autre chance, mon choix en faveur de la physique thorique, parce que tout

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    est dans la tte. Ainsi, mon incapacit naura-t-elle pas t un handi-cap srieux. Mes collgues scientifiques mont tous beaucoup aid.

    Dans la premire phase classique de ma carrire, mes princi-paux associs et collaborateurs furent Roger Penrose, Robert Geroch, Brandon Carter, et George Ellis. Je leur suis reconnaissant de leur aide et du travail que nous avons fait ensemble. Cette poque trouva son couronnement dans le livre The Large Scale Structure of Space-time (La Structure grande chelle de lespace-temps) que Ellis et moi avons crit en 1973. Je ne suggrerai pas aux lecteurs du prsent livre de consulter ce travail pour plus ample information : il est hau-tement technique et tout fait illisible. Jespre que jai appris depuis lors crire dune manire plus facile comprendre.

    Dans la deuxime phase quantique de mon travail, partir de 1974, mes principaux collaborateurs ont t Gary Gibbons, Don Page, et Jim Hartle. Je leur dois beaucoup, ainsi qu mes tudiants en recherche, qui mont beaucoup aid, la fois aux sens physique et thorique du mot. Demeurer au niveau de mes tudiants ma gran-dement stimul et ma, jespre, empch de menfoncer dans lornire.

    Jai t grandement aid pour ce livre par Brian Whilt, lun de mes tudiants. Jai attrap une pneumonie en 1985, aprs en avoir crit une premire version. Jai d subir une trachotomie qui ma enlev la capacit locutoire et ma rendu presque impropre communiquer. Je pensais que je serais incapable de le finir. Non seulement Brian ma aid le rviser, mais il ma aussi fait utiliser un programme de communication nomm Living Center que ma offert Walt Woltosz, de Words Plus Inc. de Sunnyvale, Californie. Grce cet appareil, je peux la fois crire des livres et des articles, et parler aux gens avec un synthtiseur offert par Speach Plus, galement de Sunnyvale, Californie. Le synthtiseur et un petit ordinateur individuel ont t monts sur ma chaise roulante par David Mason. Ce systme a fait toute la diffrence : en fait, je peux communiquer maintenant beau-coup mieux quavant la perte de ma voix.

    Un grand nombre de gens, qui ont eu connaissance des versions prliminaires, mont fait des suggestions pour amliorer ce livre. En

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    particulier, Peter Guzzardi, mon diteur de Bantam Books, ma en-voy des pages et des pages de commentaires et de questions concer-nant tout ce quil croyait que je navais pas expliqu proprement. Jtais plutt irrit, je dois ladmettre, quand jai reu la grande liste de changements quil proposait, mais il avait tout fait raison. Je suis persuad que le livre a bnfici de son insistance ce que je revois les choses de plus prs.

    Je suis trs reconnaissant mes assistants, Colin Williams, David Thomas and Raymond Laflamme ; mes secrtaires, Judy Fella, Ann Ralph, Cheryl Billington, et Sue Masey ; et mon quipe dinfirmires. Rien de tout cela naurait t possible sans laide appor-te ma recherche et mes dpenses mdicales fournie par le Gon-ville et Caius College, Science and Engineering Research Council, et par les Fondations Leverhulme, McArthur, Nuffield et Ralph Smith. Je leur exprime toute ma reconnaissance.

    Stephen Hawking 20 octobre 1987

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    Introduction

    Nous menons notre vie quotidienne sans presque rien com-prendre au monde qui est le ntre. Nous accordons peu de penses la machinerie qui engendre la lumire du Soleil, rendant ainsi la vie possible, la gravit qui nous colle une Terre qui, autrement, nous enverrait tournoyer dans lespace, ou aux atomes dont nous sommes faits et dont la stabilit assure notre existence. lexception des en-fants (qui nen savent pas assez long pour poser les questions impor-tantes), peu dentre nous passent beaucoup de temps se demander pourquoi la nature est telle quelle est ; do vient le cosmos ou sil a toujours t l ; si le temps fera un jour machine arrire et si les effets prcderont les causes ou sil y a des limites extrmes la connais-sance humaine. Il y a mme des enfants, et jen ai rencontrs, qui veulent savoir quoi ressemble un trou noir, quelle est la plus petite parcelle de matire ; pourquoi nous nous souvenons du pass et non du futur ; comment il se fait, sil y avait un chaos au dbut, quil y ait apparemment de lordre aujourdhui ; et pourquoi il y a un Univers.

    Dans notre socit, parents et professeurs rpondent couramment de telles questions en haussant les paules ou en faisant rfrence quelque prcepte religieux vaguement rapport. Ils se sentent mal laise sur de tels sujets, parce quils soulignent clairement les limites de la connaissance humaine.

    Mais bien de la philosophie et bien de la science sont issues de telles questions. Un nombre croissant dadultes les posent de plus en plus volontiers et recueillent loccasion quelques rponses ahuris-santes. mi-chemin des atomes et des toiles, nous tendons lhorizon de nos explorations pour embrasser la fois linfiniment petit et linfiniment grand.

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    Au printemps 1974, environ deux ans avant que la sonde spatiale Viking ne se pose sur Mars, jassistai un meeting en Angleterre, organis par la Royal Society de Londres, consacr la question de la vie extra-terrestre. Pendant la pause-caf, je remarquai quune ru-nion beaucoup plus nombreuse se tenait dans une salle voisine, o ma curiosit me fit entrer. Je compris bientt que jtais tmoin dun rite ancien, linvestiture de nouveaux membres de la Royal Society, lune des plus anciennes organisations savantes de la plante. Au premier rang, un jeune homme sur une chaise roulante tait en train, avec lenteur, dinscrire son nom sur un livre qui portait sur ses pre-mires pages la signature dIsaac Newton. Quand enfin il eut termin, il y eut une ovation mouvante. Stephen Hawking tait une lgende dj.

    Hawking est maintenant Lucasian Professor of Mathematics lUniversit de Cambridge, poste jadis occup par Newton et, plus tard, par P. A. M. Dirac, deux clbres explorateurs de linfiniment grand et de linfiniment petit. Il est leur digne successeur. Ainsi, le premier ouvrage de Hawking pour le non-spcialiste est plein de rcompenses de toutes sortes pour le simple public. Il fournit des lueurs sur le travail intellectuel de son auteur, aussi passionnantes que son multiple contenu. Il fourmille de rvlations brillantes sur les limites de la physique, de lastronomie, de la cosmologie, et du cou-rage.

    Cest aussi un livre sur Dieu ou peut-tre sur labsence de Dieu. Le mot Dieu emplit ces pages. Hawking sembarque dans une re-cherche pour rpondre la fameuse question dEinstein se deman-dant si Dieu avait le choix en crant lunivers. Hawking essaie, et il le dit explicitement, de comprendre la pense de Dieu. Et cela rend encore plus inattendue la conclusion de cet effort, au moins jusqu prsent : un univers sans limites dans lespace, sans commencement ou fin dans le temps, et rien faire pour le Crateur.

    Carl Sagan Cornell University Ithaca, New York

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    1 NOTRE VISION DE LUNIVERS

    Un savant clbre (certains avancent le nom de Bertrand Russell) donna un jour une confrence sur lastronomie. Il dcrivit comment la Terre tournait autour du Soleil et de quelle manire le Soleil, dans sa course, tournait autour du centre dun immense rassemblement dtoiles que lon appelle notre Galaxie. la fin, une vieille dame au fond de la salle se leva et dit : Tout ce que vous venez de raconter, ce sont des histoires. En ralit, le monde est plat et pos sur le dos dune tortue gante. Le scientifique eut un sourire hautain avant de rtorquer : Et sur quoi se tient la tortue ? Vous tes trs perspi-cace, jeune homme, vraiment trs perspicace, rpondit la vieille dame. Mais sur une autre tortue, jusquen bas !

    La plupart dentre nous pourraient trouver plutt ridicule de con-sidrer que notre univers est comme une tour sans fin, faite de tor-tues empiles les unes sur les autres, mais pourquoi ce que nous savons vaudrait-il mieux que cela ? Do vient lunivers et o va-i-il ? A-t-il eu un commencement, et si oui, quy avait-il avant ? Quelle est la nature du temps ? Aura-t-il une fin ? Tout rcemment, dimportantes dcouvertes en physique, dues en partie aux nouvelles technologies et leurs possibilits fantastiques, suggrent des r-ponses quelques-unes de ces questions de fond. Un jour viendra o ces rponses leur tour nous sembleront aussi videntes que le fait que la Terre tourne autour du Soleil, ou peut-tre aussi ridicules que la tour de tortues. Seul le temps (quoi quil puisse tre) nous le dira.

    Ds 340 avant Jsus-Christ, le philosophe grec Aristote avana dans son ouvrage Du ciel deux solides arguments en faveur dune Terre sphrique plutt que plate. Tout dabord, il avait compris que les clipses de Lune taient dues au fait que la Terre passait entre le

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    Soleil et la Lune. Lombre projete sur la Lune tait toujours ronde, ce qui ne pouvait tre le cas que si notre plante tait sphrique. Si elle avait eu la forme dun disque plat, son ombre aurait t allonge et elliptique, moins que le phnomne dclipse nintervienne ja-mais quau moment o le Soleil se trouve exactement derrire le centre du disque. De plus, les prgrinations des Grecs leur avaient appris que ltoile Polaire apparaissait plus bas sur lhorizon dans les rgions du sud que dans le Nord. (tant donn que ltoile Polaire est laplomb du ple Nord, un observateur au Ple la verra juste au-dessus de sa tte, alors qu lquateur, il la verra briller juste au-dessus de lhorizon.) Daprs la diffrence des positions apparentes quoccupait ltoile Polaire en gypte et en Grce, Aristote avait dj calcul approximativement que la circonfrence de la Terre devait tre de quatre cent mille stades. On ne sait pas exactement quelle tait la longueur dun de ces stades, mais il est probable que cela devait quivaloir environ deux cents mtres, ce qui donne pour lestimation aristotlicienne une valeur deux fois plus grande que celle que nous admettons couramment. Les Grecs disposaient mme dun troisime argument en faveur de la rotondit de la Terre : com-ment expliquer autrement le fait qu lhorizon ce soient dabord les voiles dun navire qui apparaissent, avant sa coque ?

    Aristote pensait que la Terre tait immobile et que le Soleil, la Lune, les plantes et les toiles tournaient selon un mouvement cir-culaire autour delle. Il pensait cela parce quil estimait, pour des raisons mystiques, que la Terre tait le centre de lunivers et que le mouvement circulaire reprsentait la perfection. Dveloppant cette ide au IIe sicle avant Jsus-Christ, Ptolme aboutit un systme cosmologique achev. La Terre occupait la position centrale, entoure de huit sphres qui portaient respectivement la lune, le Soleil, les toiles et les cinq plantes connues lpoque, Mercure, Vnus, Mars, Jupiter et Saturne. Les plantes elles-mmes dcrivaient de petits cercles sur leurs sphres respectives, cela pour tondre compte des trajectoires plantaires assez complexes que lon observait dans le ciel. La sphre la plus extrieure portait les toiles fixes, qui conser-vaient la mme position les unes par rapport aux autres, mais qui tournaient en bloc. Ce quil y avait au-del de cette dernire sphre,

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    on ne le savait pas trs bien mais en tout cas, ce ntait certainement pas la porte de lhumanit.

    Le modle de Ptolme fournissait un systme relativement sr

    pour prdire la position des corps clestes dans le ciel. Mais pour que ses prdictions collent aux observations, Ptolme avait d avancer lhypothse que la Lune suivait une trajectoire qui lamenait parfois deux fois plus prs de la Terre qu dautres moments. Cela impli-quait quelle aurait d alors nous apparatre deux fois plus grosse que dhabitude ! Ptolme tait conscient de ce dfaut mais son systme nen fut pas moins gnralement, si ce nest universellement, adopt. Lglise chrtienne y trouva une vision de lunivers en accord avec les Saintes critures, et qui avait le gros avantage de laisser de la place au-del de la sphre des fixes pour le Paradis et lEnfer.

    Cependant, un systme plus simple fut propos en 1514 par un prtre polonais, Nicolas Copernic. (Tout dabord, par peur dtre

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    accus dhrsie et brl par son glise, celui-ci publia sa conception sous le couvert de lanonymat.) Daprs lui, le Soleil tait immobile au centre de lUnivers et les plantes dcrivaient des orbites circulaires autour de notre toile. Presque un sicle scoula avant que cette hypothse ne soit prise au srieux. Puis, deux astronomes lun allemand, Johannes Kepler, et lautre italien, Galile commenc-rent dfendre publiquement la thorie de Copernic, en dpit du fait que les orbites quelle prdisait ne concidaient pas exactement avec les observations. Le coup fatal la thorie dAristote/Ptolme sur-vint en 1609. Cette anne-l, Galile se mit observer le ciel nocturne avec la lunette, qui venait tout juste dtre invente. En regardant ainsi Jupiter, il dcouvrit que cette plante tait accompagne de plusieurs petits satellites (ou lunes) qui tournaient autour delle. Cela laissait supposer que tout ne devait pas tourner obligatoirement autour de la Terre elle-mme, comme Aristote et Ptolme lentendaient. (Bien sr, il tait encore possible de croire que la Terre tait immobile au centre de lUnivers et que les lunes de Jupiter d-crivaient des trajectoires extrmement compliques autour de la Terre, donnant lillusion de tourner autour de Jupiter. Cependant, la conception de Copernic tait bien plus simple). cette mme poque, Johannes Kepler modifia la thorie du prtre polonais, en suggrant que les plantes dcrivent non plus des cercles mais des ellipses (une ellipse est un cercle allong). Les prdictions correspondirent enfin aux observations.

    Pour Kepler, les orbites elliptiques ntaient quune hypothse ad hoc, et mme plutt dsagrable, car ces figures taient manifeste-ment moins parfaites que des cercles. Ayant dcouvert presque acci-dentellement que les orbites elliptiques rendaient bien compte des observations, Kepler ne pouvait les accorder avec son ide selon la-quelle les plantes tournaient autour du Soleil en raison des forces magntiques. Lexplication fut fournie seulement beaucoup plus tard, en 1687, lorsque Newton publia ses Philoosophiae Naturalis Princi-pia Mathematica, probablement le travail le plus important jamais effectu en physique par un homme seul. Dans cet ouvrage, Newton chafaudait non seulement la thorie expliquant comment les corps se mouvaient dans lespace et dans le temps, mais il y dveloppait

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    aussi les mathmatiques complexes ncessaires lanalyse de ces mouvements. De plus, le savant anglais proposait la loi de la gravita-tion universelle selon laquelle tout corps dans lunivers est attir par tout autre corps selon une force dautant plus grande que les corps sont plus massifs et plus proches ; force qui fait que les objets tom-bent sur le sol. (Lhistoire selon laquelle Newton fut mis sur la voie de cette dcouverte par une pomme qui lui serait tombe sur la tte est trs certainement apocryphe. Tout ce que Newton a jamais dit ce sujet est quil eut lide de la gravitation alors quil tait assis dans une attitude contemplative et quelle avait t occasionne par la chute dune pomme. ) Newton continuait en montrant que ctait bien la gravitation qui tait responsable d mouvement elliptique de la Lune autour de la Terre, tout comme elle tait galement respon-sable des trajectoires elliptiques de la Terre et des plantes autour du Soleil.

    Le modle copernicien se dbarrassait donc des sphres clestes de Ptolme, et avec elles, de lide que lUnivers avait une frontire naturelle. tant donn que les toiles fixes ne semblaient pas changer de position except leur mouvement densemble dans le ciel d la rotation de la Terre autour de son axe , il devenait tout naturel de supposer quelles taient des objets semblables notre Soleil, mais beaucoup plus loigns.

    Newton avait compris que, selon sa thorie de la gravitation, les toiles devaient sattirer entre elles, et que, apparemment, elles ne pouvaient fondamentalement pas rester au repos. Ne tomberaient-elles pas toutes en un point ? Dans une lettre de 1691 adresse Ri-chard Bentley, autre penseur de premier plan de cette poque, New-ton affirma que ce serait certainement le cas si les toiles en nombre fini taient distribues dans une rgion finie de lunivers. Mais il avait calcul que si, au contraire, elles taient en nombre infini, distribues plus ou moins uniformment dans un espace infini, cela narriverait pas, car il nexisterait aucun point central vers lequel elles pourraient alors tomber.

    Cela est un exemple des piges que lon rencontre propos de linfini. Dans un univers infini, chaque point peut tre considr comme un centre parce que chacun compte un nombre infini

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    dtoiles autour de lui. Lapproche correcte qui ne fut effectue que beaucoup plus tard consiste prendre en compte la situation finie, dans laquelle les toiles tombent toutes les unes sur les autres, et se demander comment les choses volueraient si lon en prenait dautres en compte, distribues peu prs uniformment en dehors de cette rgion. Daprs la loi de Newton, les toiles supplmentaires ne de-vraient pas causer la moindre diffrence en moyenne, et toutes de-vraient tomber tout aussi vite. Ajoutons autant dtoiles que nous voulons, elles seffondreront toujours sur elles-mmes. Nous savons aujourdhui quil est impossible davoir un modle statique dunivers infini dans lequel la gravitation soit toujours attractive.

    Il eut intressant de remarquer que, dans le climat gnral de pense prcdant le XXe sicle, personne na suggr que lUnivers pourrait se dilater ou se contracter. Il tait gnralement admis ou bien que lunivers existait depuis toujours dans un tat inchang, ou bien quil avait t cr un instant prdit du pass, plus ou moins semblable ce quon observait aujourdhui. Cela pouvait tre d en partie la tendance humaine croire en des vrits ternelles, aussi bien quau rconfort que lhomme trouvait penser que, malgr le fait que les annes senvolaient et quil mourrait, lUnivers, lui, restait ternel et identique lui-mme.

    Mme ceux qui avaient compris que la thorie newtonienne de la gravitation dmontrait que lUnivers ne pouvait pas tre statique ne pensrent pas suggrer une expansion. la place, ils entreprirent de modifier la thorie en rendant rpulsive grande distance la force gravitationnelle. Cela ne modifiait pas de faon significative leurs prdictions des mouvements des plantes, mais autorisait une distri-bution infinie dtoiles rester en quilibre stable les forces attrac-tives sexerant entre toiles proches tant contrebalances par les forces rpulsives dues aux toiles plus lointaines. Cependant, on sait aujourdhui quun tel quilibre serait instable : si les toiles dune rgion quelconque venaient se rapprocher un tant soit peu les unes des autres, les forces qui les attirent crotraient jusqu prendre le pas sur les forces rpulsives, de telle sorte que les toiles continueraient tomber les unes sur les autres. Dun autre ct, si les toiles venaient

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    sloigner lgrement les unes des autres, les forces rpulsives se mettraient dominer et les carteraient encore plus.

    Gnralement, on attribue au philosophe allemand Henrich Ol-bers qui traita de cette thorie en 1823 une autre objection un univers infini statique. En fait, plusieurs contemporains de Newton avaient dj soulev le problme et larticle dOlbers ne fut pas le premier prsenter des arguments plausibles son encontre. Toute-fois, il fut le premier tre largement remarqu. La difficult venait du fait que dans un univers statique infini, pratiquement toutes les lignes de vise devraient aboutir la surface dune toile. Aussi de-vrait-on sattendre ce que tout le ciel soit aussi brillant que le Soleil, mme la nuit. Le contre-argument dOlbers tait que la lumire des toiles lointaines devait tre affaiblie par de la matire interpose qui laurait absorbe. Cependant, si ctait le cas, cette matire aurait d se rchauffer la longue, jusqu rayonner aussi brillamment que les toiles. La seule faon dviter la conclusion que lensemble du ciel nocturne devrait tre aussi brillant que la surface du Soleil tait alors dadmettre que les toiles ne brillaient pas depuis toujours mais quelles staient bel et bien allumes un moment donn dans le pass. Alors, la matire interpose aurait pu ne pas avoir t suffi-samment chauffe, ou la lumire des toiles lointaines navoir pas encore eu le temps de nous atteindre. Et cela nous amne la ques-tion de savoir ce qui aurait provoqu lallumage initial des toiles.

    La naissance de lUnivers avait, bien sr, dj fait lobjet de dis-cussions antrieures. Pour nombre de cosmologies anciennes et selon la tradition juive, chrtienne et musulmane, lUnivers est n un instant donn, dans un pass pas trs loign. En faveur dune telle naissance, il y a le sentiment quil est ncessaire davoir une Cause Premire pour expliquer son existence. ( lintrieur de lUnivers, vous pouvez toujours expliquer un vnement en tant que cons-quence dun vnement antrieur, mais lexistence de lUnivers lui-mme ne peut sexpliquer de cette faon que sil a un commence-ment.) Un autre argument, avanc par saint Augustin dans son ou-vrage La Cit de Dieu, fait remarquer que la civilisation avance et que nous nous souvenons de celui qui accomplit tel haut fait ou dveloppe telle technique. Ainsi lhomme, et de la mme manire peut-tre

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    aussi lUnivers, nauraient-ils pu exister depuis beaucoup plus long-temps. Saint Augustin admet la date denviron 5000 ans avant Jsus-Christ pour la cration de lUnivers, date donne par la Gense. (Il est intressant de noter que cela nest pas si loin de la dernire glaciation qui se termina vers -10 000 avant Jsus-Christ, date que les archo-logues avancent comme vritable point de dpart de notre civilisa-tion.)

    Aristote, comme la plupart des philosophes grecs, naimait pas lide de cration car elle prsentait un arrire-got dintervention divine. Il croyait par consquent que la race humaine et le monde qui lentoure existaient et existeraient jamais. Les Anciens reconnais-saient dj la valeur de largument du progrs mentionn plus haut et ils y rpondaient en professant que dluges et autres catastrophes ramenaient priodiquement chaque fois la race humaine sur la ligne de dpart.

    Les questions relatives la naissance de lUnivers dans le temps et sa limite dans lespace furent par la suite largement tudies par le philosophe Emmanuel Kant dans son monumental (et trs obscur) ouvrage, Critique de la raison pure, publi en 1781. Kant baptisa ces questions antinomies (cest--dire : contradictions) de la raison pure parce quil estimait quil existait autant darguments irrfu-tables en faveur de la thse dun Univers ayant commenc un jour que de son antithse, un Univers ayant exist depuis toujours. Son argument en faveur de la thse tait que si lUnivers navait pas eu de commencement, il aurait d y avoir une priode infinie de temps avant tout vnement, ce quil considrait comme absurde ; en faveur de lantithse, il pensait que si lUnivers avait eu un commencement, il y aurait eu une priode infinie de temps avant ce dbut, alors pour-quoi serait-il n tel instant donn ? En fait, thse et antithse sont exactement la mme chose. Elles sont toutes deux fondes sur lhypothse kantienne non formule dun temps qui remonte indfi-niment dans le pass, que lUnivers ait exist depuis toujours ou non. Comme nous le verrons, le concept de temps na aucun sens avant la naissance de lUnivers. Cela fut pour la premire fois remarqu par saint Augustin. la question : Que fit Dieu avant de crer lUnivers ? il ne rpondait pas : Il prparait lEnfer pour ceux qui

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    posent de telles questions. Il prfrait dire que le temps tait une proprit de LUnivers que Dieu avait cr, et que le temps nexistait pas avant.

    Lorsque les gens croyaient en un Univers fondamentalement sta-tique et sans changement, la question de savoir sil tait n ou non nintressait que les mtaphysiciens ou les thologiens. On pouvait rendre compte des observations aussi bien en penchant pour un univers ayant toujours exist quen soutenant la thorie dun univers mis en mouvement un instant donn et de telle sorte quil paraisse avoir toujours exist. Mais en 1929, Edwin Hubble fit une observa-tion cruciale : o que nous regardions, les galaxies lointaines sloignent de nous toute vitesse. Cela signifie quen des temps plus anciens, les objets avaient t plus proches les uns des autres. En fait, il semble quil y ait eu un moment, il y a dix ou vingt milliards dannes, o tous ces objets taient exactement la mme place et o, par consquent, la densit de LUnivers tait infinie. Cette d-couverte amenait enfin la question de la naissance de LUnivers devant la Science.

    Les observations de Hubble sous-entendaient quil y avait eu un moment, baptis le Big Bang , o lunivers avait t infiniment petit et infiniment dense. Dans de telles conditions, toutes les lois de la physique, et par consquent leur capacit prvoir le futur, seffondraient. Si des vnements antrieurs ce moment navaient jamais exist, ils ne pourraient affecter ce qui arrive dans notre temps. Leur existence peut donc tre ignore parce quils nauront aucune consquence observationnelle. On peut dire que le temps a commenc au Big Bang, au sens o des temps antrieurs ne seront tout simplement pas dfinis. Insistons sur le fait que ce commence-ment dans le temps est trs diffrent de ceux qui ont t examins auparavant. Dans un Univers sans changement, le commencement dans le temps est quelque chose qui doit tre impos par un tre situ hors de lUnivers ; il ny a aucune ncessit physique pour un tel dbut. On peut imaginer que Dieu a cr lUnivers littralement nimporte quel instant dans le pass. Dun autre ct, si lUnivers est en expansion, il peut y avoir des raisons physiques sa naissance. On peut encore imaginer que Dieu a cr lUnivers linstant du Big

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    Bang, ou mme aprs, de faon quil ressemble ce quil aurait d tre sil y en avait eu un ; mais ce serait un non-sens de supposer quil lait cr avant. Un Univers en expansion nexclut pas la possibilit dun crateur mais il dfinit linstant o ce dernier aurait pu accom-plir son uvre !

    Pour discuter de la nature de lUnivers et examiner des questions telles que son commencement ou sa fin, il nous faut bien comprendre ce quest une thorie scientifique. Considrons lopinion nave selon laquelle une thorie est un modle dUnivers (ou dune partie limite de lUnivers) et un ensemble de rgles mettant en relation des quanti-ts issues du modle et des observations. Elle nexiste que dans notre esprit et ne peut avoir dautre ralit (quelle quen soit la significa-tion). Une thorie sera valable si elle satisfait aux deux conditions suivantes : dcrire avec exactitude une vaste catgorie dobservations sur la base dun modle qui ne contient que quelques lments arbi-traires, et faire des prdictions prcises concernant les rsultats dobservations futures. Exemple, la thorie dAristote selon laquelle tout tait fait de quatre lments, la terre, lair, le feu et leau, tait suffisamment simple pour effectuer des descriptions, mais elle ne permettait pas de prdiction prcise. La thorie de la gravitation de Newton tait fonde, elle, sur un modle encore plus simple, dans lequel les corps sattiraient lun lautre selon une force proportion-nelle une quantit appele leur masse et inversement proportion-nelle au carr de la distance qui les sparait. Cependant, elle prdisait les mouvements du Soleil, de la Lune et des plantes avec un haut degr dexactitude.

    Toute thorie physique est toujours provisoire en ce sens quelle nest quune hypothse : vous ne pourrez jamais la prouver. Peu im-porte le nombre de fois o les rsultats dune exprience saccorderont avec une thorie donne ; vous ne pourrez jamais tre sr que, la fois suivante, ce rsultat ne la contredira pas. Vous pouvez galement rfuter une thorie en trouvant une observation unique qui ne cadre pas avec ses prdictions. Comme le philosophe des sciences Karl Popper la soulign, une bonne thorie se caractrise par le fait quelle fait un certain nombre de prdictions qui pourraient en principe tre rfutes ou rendues fausses par lobservation.

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    Chaque fois que de nouvelles expriences viendront corroborer les prdictions, la thorie sera conforte, et notre confiance en elle saccrotra ; mais si jamais une nouvelle observation ne sinscrit pas dans son cadre, il nous faudra labandonner ou la modifier. Du moins est-ce ce quil est suppos advenir, mais vous pourrez toujours mettre en doute la comptence de la personne qui a ralis lobservation en question.

    Dans la pratique, il arrive souvent quune nouvelle thorie soit rellement une extension de la thorie prcdente. Par exemple, des observations trs prcises de la plante Mercure ont rvl de lgres diffrences entre son mouvement et les prdictions newtoniennes de la thorie de la gravitation. La thorie de la Relativit Gnrale dEinstein annonait un mouvement lgrement diffrent de celui de la thorie de Newton. Le fait que les prdictions dEinstein saccordent ce que lon voyait, alors que celles de Newton ne le faisaient pas, fut lune des confirmations cruciales de la nouvelle thorie. Cependant, nous utilisons toujours la thorie de Newton dans notre pratique quotidienne, car la diffrence entre ses prdic-tions et celles de la Relativit Gnrale est minime dans les situations auxquelles nous avons affaire normalement. (La thorie de Newton a aussi le grand avantage dtre plus aise manipuler que celle dEinstein !).

    Lultime but de la science est de fournir une thorie unique qui dcrive lUnivers dans son ensemble. Cependant, la plupart des scien-tifiques scindent le problme en deux. Dun ct, il y a les lois de la physique qui nous disent comment lUnivers volue avec le temps. (Si nous savons quoi ressemble lUnivers chaque instant donn, ces lois physiques nous disent quoi il ressemblera linstant daprs.) De lautre, il y a la question de son tat initial. Certains estiment que la science ne devrait soccuper que du premier aspect de la question et considrent le problme de la situation initiale de lUnivers comme du ressort de la mtaphysique ou de la religion. Ce qui signifierait que Dieu, tant omniprsent, aurait pu faire dmarrer lUnivers sa guise. Peut-tre en est-il ainsi mais, dans ce cas, Dieu aurait d aussi le dvelopper dune faon compltement arbitraire. Pourtant, il appa-rat quil a choisi de le faire voluer dune faon trs rgulire, selon

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    certaines lois. Il semble donc tout aussi raisonnable de supposer quil y a galement des lois qui gouvernent son tat initial.

    On se rend compte quil est trs difficile de concevoir une thorie qui dcrive lUnivers dun seul coup. la place, on choisit de morce-ler le problme et dinventer un certain nombre de thories par-tielles ; chacune delles dcrivant et prdisant une certaine classe limite dobservations, ngligeant les effets de quantits autres, ou les reprsentant par de simples sries de nombres. Il se peut que cette approche soit compltement fausse. Si tout dans lunivers dpend de tout de faon fondamentale, il pourrait tre impossible dapprocher une solution gnrale en traitant sparment les diffrentes parties du problme. Nanmoins, cest assurment de cette faon que nous avons accompli quelques progrs dans le pass. Lexemple classique est encore celui de la thorie newtonienne de la gravitation, qui nous dit que la force gravitationnelle entre deux corps ne dpend que dun nombre associ chacun, leur masse, et est indpendante de ce dont ces corps sont constitus. Aussi na-t-on pas besoin davoir une tho-rie de la structure et de la constitution du Soleil et des plantes pour calculer leurs orbites.

    Aujourdhui, les savants dcrivent lUnivers daprs deux thories partielles de base, la thorie de la Relativit Gnrale et la Mcanique Quantique. Ce sont les grandes russites intellectuelles de la premire moiti de ce sicle. La Relativit Gnrale dcrit la force de gravit et la structure grande chelle de lunivers, cest--dire la structure des chelles allant de quelques kilomtres un million de milliards de milliards de kilomtres (un 1 suivi de 24 zros), dimension de lunivers observable. La Mcanique Quantique, elle, sintresse des phnomnes chelle extrmement rduite, comme le millionime de millionime du centimtre. Malheureusement, ces deux thories sont rputes incompatibles et ne peuvent donc tre justes en mme temps. Lun des plus grands efforts en physique aujourdhui, et le thme majeur de ce livre, porte sur la recherche dune nouvelle tho-rie qui les engloberait toutes les deux une thorie quantique de la gravitation. Nous nen disposons pas encore et il nous reste un long chemin parcourir, mais nous connaissons dj un grand nombre des proprits quelle devra satisfaire. Et nous verrons, dans les cha-

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    pitres suivants, tout ce que nous savons dj quant aux prdictions quune telle thorie devrait noncer.

    Si vous pensez que lUnivers nest pas arbitraire mais quil est rgi par des lois prcises, vous devrez en fin de compte combiner les tho-ries partielles en une thorie compltement unifie qui dcrira tout dans lunivers. Seulement, il y a un paradoxe fondamental dans la recherche dune telle thorie compltement unifie. Les notions rela-tives aux thories scientifiques que nous avons exposes plus haut supposent que nous sommes des tres rationnels, libres dobserver lUnivers comme nous le voulons et de tirer des dductions logiques partir de ce que nous voyons. Dans un tel schma, il parat raison-nable de supposer que nous avons pu nous rapprocher de plus en plus des lois qui rgissent notre Univers. Pourtant, sil existe vrai-ment une thorie compltement unifie, elle devrait aussi vraisem-blablement dterminer nos actions. Et ainsi, la thorie elle-mme devrait dterminer laboutissement de notre recherche la concer-nant ! Et pourquoi dterminerait-elle que nous arrivons aux bonnes conclusions ? Ne pourrait-elle pas aussi bien dterminer le con-traire ? Ou que nous narriverons rien ?

    La seule rponse que je puisse apporter ce problme repose sur le principe de la slection naturelle de Darwin. Lide est la suivante : dans toute population dorganismes capables de sauto-reproduire, il y aura des variations dans le matriel gntique et dans lducation de chaque individu. Ces diffrences signifieront que certains dentre eux seront plus aptes que dautres tirer les bonnes conclusions quant au monde qui les entoure, et agir en consquence. Ayant plus de chances que les autres de survivre et de se reproduire, leurs types de comportement et de pense deviendront dominants. Il a certaine-ment t vrai, dans le pass, que ce que nous appelons intelligence et dcouverte scientifique ont constitu un avantage en faveur dune survie. Il nest pas vident que cela soit encore le cas de nos jours : nos dcouvertes scientifiques peuvent nous dtruire et, mme si elles ne le font pas, une thorie compltement unifie ne changera pas grand-chose la situation. Cependant, condition que lUnivers volue de faon rgulire, nous devrions nous attendre ce que les capacits de raisonnement dont la slection naturelle nous a pourvus

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    soient galement valables dans notre recherche dune thorie com-pltement unifie, et donc quelles ne nous conduisent pas des con-clusions fausses.

    Comme les thories partielles dont nous disposons dj sont suffi-santes pour faire des prdictions exactes dans toutes les situations sauf les plus extrmes, la recherche de la thorie fondamentale de lunivers semble difficile justifier au niveau pratique. (Il vaut la peine de noter, cependant, que des arguments semblables auraient pu tre utiliss la fois contre la Relativit et la mcanique quan-tique, et que ces thories nous ont donn la fois lnergie nuclaire et la rvolution de la microlectronique !)

    La dcouverte dune thorie compltement unifie, donc, peut ne pas venir en aide la survie de notre espce. Elle peut mme ne pas affecter du tout notre mode de vie. Mais jamais, depuis laube de la civilisation, les hommes ne se sont accommods dvnements hors cadre et inexplicables. Ils ont toujours eu soif de comprendre lordre sous-jacent dans le monde. Aujourdhui, nous avons encore trs envie de savoir pourquoi nous sommes l et do nous venons. Ce dsir de savoir, chevill lhumanit, est une justification suffisante pour que notre qute continue. Et notre but nest rien moins quune descrip-tion complte de lUnivers dans lequel nous vivons.

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    2 LESPACE ET LE TEMPS

    Nos ides actuelles sur le mouvement des corps datent de Galile et de Newton. Avant eux, les hommes croyaient Aristote, lorsque ce dernier avanait que ltat naturel dun corps tait dtre au repos et quil ne se dplaait que sous laction dune force ou dune pousse. Il sensuivait quun corps lourd devait tomber plus vite quun corps lger, parce quil subissait une plus grande attirance vers la Terre.

    La tradition aristotlicienne soutenait galement que lon pouvait trouver toutes les lois qui rgissent lunivers par la seule rflexion : vrifier par lobservation ntait pas ncessaire. Aussi, personne jus-qu Galile ne stait-il donn la peine de voir si des corps de poids diffrents tombaient vraiment selon des vitesses diffrentes. On dit que Galile montra quAristote se trompait en laissant tomber des poids du haut de la tour penche de Pise. Lhistoire est presque cer-tainement inexacte et Galile a d faire quelque chose comme laisser rouler des billes de poids diffrents sur une pente douce. La situation est semblable celle de corps pesants tombant la verticale, mais elle est plus facile observer parce que les vitesses sont plus faibles. Les mesures de Galile montrrent que chaque corps voit sa vitesse aug-menter dans la mme proportion, quel que soit son poids. Si vous laissez courir une bille sur une pente qui descend de 1 mtre tous les 10 mtres, la bille effectuera sa descente la vitesse de 1 mtre par seconde aprs 1 seconde, 2 mtres par seconde aprs 2 secondes, et ainsi de suite, quel que soit le poids de la bille. Bien sr, un poids suprieur tombe plus vite quun poids moindre, mais cest unique-ment parce quun poids lger est ralenti par la rsistance de lair. Si on laisse tomber deux corps de poids diffrents qui ne prsentent pas grande rsistance lair, ils tomberont la mme vitesse.

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    Les mesures de Galile furent utilises par Newton comme base de ses lois du mouvement. Dans les expriences de Galile, un corps roulant sur une pente est toujours soumis la mme force (son poids) dont leffet augmenterait constamment sa vitesse. Cela montre que la vritable action dune force est toujours de modifier la vitesse dun corps, au lieu de mettre simplement celui-ci en mouvement, comme on le pensait prcdemment. Cela signifie aussi que lorsquun corps nest soumis aucune force, il continue se dplacer en ligne droite la mme vitesse. Cette notion fut pour la premire fois expli-cite dans les Principia Mathematica de Newton, publis en 1687, et elle est connue sous le nom de premire loi de Newton . Ce qui arrive un corps lorsquune force agit sur lui est nonc par la se-conde loi de Newton : le corps acclrera (sa vitesse sera modifie continment) proportionnellement lintensit de la force. (Exemple : pour une force deux fois plus grande, lacclration sera deux fois plus grande.) Lacclration sera aussi plus faible si la masse du corps (quantit de matire) est plus grande. (La mme force agissant sur un corps de masse deux fois plus grande produira la moiti de lacclration.) Un exemple bien connu est celui dune voiture : plus le moteur est puissant, plus lacclration est grande, mais plus la voiture est lourde, plus lacclration sera faible pour un mme moteur.

    En plus des lois du mouvement, Newton dcouvrit la loi de la force de gravit : tout corps attire tout autre corps selon une force proportionnelle la masse de chacun des corps. Ainsi, la force agis-sant entre deux corps A et B devrait tre deux fois plus forte si lun des corps (disons le corps A) avait une masse double. Cest ce quoi vous pourriez vous attendre, parce que lon pourrait penser que le nouveau corps A est en fait constitu de deux corps ayant chacun la masse dorigine et attirant chacun le corps B selon la force dorigine. Donc, la force totale entre A et B devrait tre le double de la force dorigine. Et si lun des corps avait une masse double, et lautre, une masse triple de celle de dpart, alors la force qui les attirerait serait six fois plus forte. On voit maintenant pourquoi tous les corps tom-bent la mme vitesse : un corps ayant deux fois un poids donn subira une force de gravit le poussant doublement vers le bas, mais

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    il aura aussi une masse double. Selon la seconde loi de Newton, ces deux effets sannuleront exactement lun lautre, si bien que lacclration sera la mme dans tous les cas.

    La loi de la gravitation de Newton nous dit galement que plus les corps seront loigns les uns des autres, plus la force dattraction sera faible. Elle dit encore que lattraction gravitationnelle dune toile sur un corps est exactement le quart de celle dune toile similaire qui serait situe mi-distance de ce corps. Elle prdit les orbites de la Terre, de la Lune et des plantes avec une grande exactitude. Si elle avait stipul que lattraction gravitationnelle dune toile diminue plus rapidement avec la distance, les orbites des plantes nauraient pas t elliptiques, elles auraient t des spirales aboutissant au So-leil. Si elle avait diminu plus lentement, les forces gravitationnelles venant des toiles loignes auraient domin celle venant de la Terre.

    La grande diffrence entre les ides dAristote et celles de Galile et de Newton est quAristote croyait en un tat prfrentiel de repos que chaque corps adopterait sil ntait soumis aucune force ou aucune pousse. En particulier, il pensait que la Terre tait au repos. Mais il dcoule des lois de Newton quil ny a pas de norme unique de repos. On pourrait aussi bien dire que le corps A est au repos et que le corps B se dplace vitesse constante relativement au corps A, ou que le corps B est au repos et que cest A qui se dplace. Par exemple, si lon fait un moment abstraction de la rotation de la Terre et de son orbite autour du Soleil, on peut tout aussi bien dire que la Terre est au repos et que le train sa surface se dirige vers le nord cent cin-quante kilomtres lheure, ou que cest le train qui est au repos et la Terre qui se dplace vers le sud cent cinquante kilomtres lheure. Si lon avait fait des expriences dans ce train sur la chute des corps, toutes les lois de Newton auraient t conserves. Par exemple, en y jouant au ping-pong, on aurait trouv que la balle obissait aux lois de Newton exactement comme une balle sur une table qui aurait t installe sur la voie. Aussi ny a-t-il aucun moyen de dire qui, du train ou de la Terre, est en mouvement.

    Labsence de norme absolue de repos signifie que lon ne peut d-terminer si deux vnements qui ont eu lieu deux moments diff-rents sont advenus dans la mme position dans lespace. Par

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    exemple, supposons que notre balle de ping-pong dans le train re-bondisse la verticale, heurtant la table au mme endroit une se-conde dintervalle. Pour quelquun sur la voie, les deux rebonds sem-bleraient seffectuer une centaine de mtres lun de lautre parce que le train aurait avanc sur ses rails entre-temps. La non-existence du repos absolu signifie donc que lon ne peut donner un vne-ment une position absolue dans lespace, comme le croyait Aristote. La localisation des vnements et la distance entre eux diffreraient donc pour une personne dans le train de celles values par une autre sur la voie, et il ny aurait aucune raison a priori de prfrer la position de lune plutt que celle de lautre.

    Newton tait trs chagrin par cette absence de localisation abso-lue, ou despace absolu, comme on disait, parce que cela ne saccordait pas avec sa notion dun Dieu absolu. En fait, il refusa de ladmettre bien que cela ft sous-entendu par ses lois. Il fut svre-ment critiqu pour cette croyance irrationnelle par beaucoup de gens et plus particulirement par lvque Berkeley, un philosophe qui pensait que tous les objets matriels, lespace et le temps sont une illusion. Quand le clbre Dr Johnson fut inform de lopinion de Berkeley, il scria : Je la rfute donc ! et il heurta une grosse pierre du pied.

    Aristote et Newton croyaient tous deux en un temps absolu. Cest--dire quils pensaient que lon pouvait mesurer sans ambigut lintervalle de temps sparant deux vnements et que cet intervalle serait le mme quelle que soit la personne qui le mesure, pourvu que lon se serve dune bonne horloge. Le temps tait encore complte-ment spar et indpendant de lespace. Cest ce que la plupart des gens considreraient encore aujourdhui comme une opinion sense. Pourtant nous avons t amens modifier nos ides sur lespace et le temps. Bien que ces notions qui nous semblent justes fonctionnent lorsquil sagit de pommes ou de plantes qui se meuvent relative-ment lentement, elles ne sont plus du tout valables dans le cas dobjets se dplaant la vitesse de la lumire ou presque.

    La lumire voyage une vitesse finie, mais trs leve ; cela a t dcouvert pour la premire fois en 1676 par lastronome danois Ole Christensen Rmer. Celui-ci observa que les disparitions des lunes

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    de Jupiter derrire cette plante ntaient pas galement espaces dans le temps, comme on aurait pu sy attendre si les lunes avaient orbit vitesse constante. Comme la Terre et Jupiter tournent autour du Soleil, la distance entre les deux plantes varie. Rmer remarqua que les clipses des lunes de Jupiter taient dautant plus tardives que nous tions plus loin de la plante gante. Il affirma que ctait parce que la lumire de ses lunes mettait plus longtemps nous at-teindre quand nous en tions plus loigns. Les mesures des varia-tions de distance entre la Terre et Jupiter dont il disposait ntant pas trs exactes, il avana pour la vitesse de la lumire deux cent mille kilomtres par seconde environ alors que la valeur moderne est de trois cent mille kilomtres par seconde. Nanmoins, son exploit non seulement Rmer prouvait que la lumire voyageait une vi-tesse finie, mais encore avait-il mesur cette vitesse tait remar-quable, intervenant, comme ce fut le cas, onze ans avant la publica-tion par Newton des Principia Mathematica.

    Une vritable thorie de la propagation de la lumire ne fut labo-re quen 1865, quand le physicien britannique James Clerk Maxwell russit unifier les thories partielles qui jusqualors avaient t utilises pour dcrire les forces de llectricit et du magntisme. Les quations de Maxwell prdisaient quil pourrait y avoir des perturba-tions en forme donde dans le champ combin lectromagntique, et que ces dernires se propageraient une vitesse donne, comme des rides la surface dun tang. Si la longueur donde de ces ondes (dis-tance entre la crte dune onde et la suivante) est dun mtre ou plus, il sagit de ce que nous appelons maintenant des ondes radio. Des longueurs donde plus courtes sont connues sous le nom dondes centimtriques (quelques centimtres) ou encore infrarouges (plus dun dix millime de centimtre). La lumire visible a une longueur donde comprise seulement entre quarante et quatre-vingts millio-nimes de centimtre. Les longueurs donde encore plus petites sont celles de lultraviolet, des rayons X et des rayons gamma.

    La thorie de Maxwell prdisait que les ondes radio ou lumineuses se propageraient une certaine vitesse, bien dtermine. Mais la thorie de Newton stait dbarrasse de la notion de repos absolu ; donc, si la lumire tait suppose se propager une vitesse donne, il

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    faudrait prciser relativement quoi cette vitesse donne avait t mesure. On fit appel une substance appele ther , prsente partout, mme dans lespace vide . Les ondes lumineuses se pro-pageraient travers lther comme les ondes sonores travers lair, et leur vitesse serait donc relative ce milieu. Diffrents observateurs, en mouvement par rapport lther, verraient donc la lumire arriver dans leur direction des vitesses diffrentes, mais la vitesse de la lumire par rapport lther resterait fixe. En particulier, comme la Terre est en mouvement dans lther sur son orbite autour du Soleil, la vitesse de la lumire mesure dans la direction du mouvement de la Terre dans lther (lorsque nous nous dplaons en direction de la source de lumire) devrait tre plus leve que la vitesse de la lumire perpendiculaire ce mouvement (lorsque nous ne nous dplaons pas vers la source lumineuse). En 1887, Albert Michelson (qui par la suite devait tre le premier Amricain recevoir le prix Nobel de physique) et Edward Morley firent une exprience trs minutieuse la Case School of Applied Science Cleveland. Ils comparrent la vitesse de la lumire dans la direction du mouvement de la Terre et perpendiculairement ce mouvement. leur grande surprise, ils trouvrent deux valeurs exactement identiques !

    Entre 1887 et 1905, il y eut plusieurs tentatives, en particulier celle du physicien hollandais Hendrick Lorentz, pour expliquer les rsultats de lexprience de Michelson-Morley en termes dobjets contracts et dhorloges ralentissant en voyageant travers lther. Cependant, dans un article clbre paru en 1905, un employ jusque-l inconnu du Bureau des brevets en Suisse, Albert Einstein, fit re-marquer que toute ide dther tait inutile pourvu que lon veuille bien abandonner lide de temps absolu. Une remarque semblable fut faite quelques semaines plus tard par un grand mathmaticien fran-ais, Henri Poincar. Les arguments dEinstein tant de nature plus physique que ceux de Poincar qui avait abord le problme en mathmaticien , Einstein est habituellement crdit de la nouvelle thorie, mais on doit se souvenir de Poincar comme dun nom atta-ch une partie importante de cette thorie.

    Le postulat fondamental de la thorie de la Relativit, comme on lappela, cest que les lois de la physique devraient tre les mmes

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    pour tous les observateurs se mouvant librement, quelle que soit leur vitesse. Ctait vrai pour les lois newtoniennes du mouvement, mais maintenant, cette ide tait tendue jusqu inclure la thorie de Maxwell et la vitesse de la lumire : tous les observateurs devraient mesurer la mme vitesse pour la lumire, quelle que soit la vitesse de leur dplacement. Cette notion simple a quelques consquences re-marquables. Peut-tre les plus connues sont-elles lquivalence de la masse et de lnergie, rsume dans la clbre quation dEinstein E = mc (o E est lnergie, m la masse et c la vitesse de la lumire), et la loi voulant que rien ne peut se dplacer plus vite que la lumire. Par suite de lquivalence entre nergie et masse, lnergie quun objet possde en raison de son mouvement augmentera sa masse et, par consquent, il lui deviendra encore plus difficile daugmenter sa vitesse. Cet effet nest rellement significatif que pour des objets se dplaant des vitesses proches de celle de la lumire. Par exemple, 10 % de la vitesse de la lumire, la masse dun objet nest que de 0,5 % suprieure lordinaire, alors qu 90 % de la vitesse de la lumire, lobjet verra sa masse plus que multiplie par deux. Sil ap-proche la vitesse de la lumire, sa masse augmentera toujours plus vite, de telle sorte que cela lui demandera de plus en plus dnergie pour aller toujours plus vite. Il ne pourra en fait jamais atteindre la vitesse de la lumire, parce que alors sa masse devrait tre infinie, et quen raison de lquivalence entre sa masse et son nergie, cela lui demanderait une quantit infinie dnergie pour y arriver. Cest ainsi que tout objet normal en est tout jamais rduit par la Relativit se mouvoir des vitesses infrieures celle de la lumire. Seule la lu-mire, ou dautres phnomnes dnus de masse intrinsque, peu-vent latteindre.

    Autre consquence remarquable de la Relativit : la rvolution quelle a seme dans nos ides sur lespace et le temps. Dans la tho-rie de Newton, si un clair lumineux est envoy dun endroit un autre, diffrents observateurs seront daccord sur le temps que le voyage aura pris (tant donn que le temps est absolu), mais ne se-ront pas toujours daccord sur la distance que la lumire aura parcou-rue (tant donn que lespace nest pas absolu). Comme la vitesse de la lumire nest que la distance quelle a parcourue divise par le

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    temps quelle a mis pour le faire, des observateurs diffrents de-vraient mesurer des vitesses diffrentes pour la lumire. En Relativi-t, au contraire, tous les observateurs sont daccord sur la vitesse de la lumire. Ils ne sont cependant pas daccord sur la distance parcou-rue, aussi doivent-ils galement tre en dsaccord sur la dure du trajet. (Cette dure nest, aprs tout, que la distance que la lumire a parcourue sur laquelle les observateurs ne sont pas daccord divise par la vitesse de la lumire sur laquelle ils sont daccord.) En dautres termes, la thorie de la Relativit a mis un terme lide de temps absolu ! Il est alors apparu que chaque observateur devrait avoir sa propre mesure de temps, effectue par une horloge quil emporterait avec lui, et que des horloges identiques, aux mains dobservateurs diffrents, ne devraient pas ncessairement indiquer la mme chose.

    Chaque observateur devrait utiliser un metteur pour dire o et quand un vnement a lieu en envoyant un clair lumineux ou des ondes radio. Une partie de lclat sera renvoye lvnement et lobservateur mesurera le temps mis pour recevoir cet cho. Le temps de lvnement est alors rput tre la moiti de celui qui sest coul entre le moment o lclair a t envoy et celui o sa rflexion a t reue ; la distance de lvnement est la moiti du temps pris pour ce voyage aller-retour, multiplie par la vitesse de la lumire. (Un v-nement, dans ce sens, est quelque chose qui a lieu en un point unique de lespace, un instant prcis dans le temps.) Cette ide est illustre sur la fig. 2.1, exemple de diagramme espace-temps. En utilisant cette procdure, les observateurs qui se dplacent relativement les uns par rapport aux autres assigneront des temps et des positions diffrents au mme vnement. Aucune mesure dun observateur particulier ne sera plus correcte quune autre, mais toutes les mesures seront rela-tives. Tout observateur peut trouver prcisment le temps et la posi-tion que tout autre observateur assignera un vnement, pourvu quil connaisse sa vitesse relative.

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    Figure 2.1

    De nos jours, nous utilisons cette mthode pour mesurer les dis-tances avec exactitude, parce que nous pouvons mesurer le temps plus exactement que la longueur. En effet, le mtre est dfini comme la distance parcourue par la lumire en 0,000000003335640952 seconde, mesure par une horloge au c-sium. (La raison de ce nombre particulier est quil correspond la dfinition historique du mtre, deux marques sur une barre de pla-tine conserve Paris.) De faon quivalente, nous pouvons utiliser une nouvelle unit de longueur plus pratique, que lon appelle la seconde-lumire. On la dfinit absolument comme la distance que la lumire parcourt en 1 seconde. Dans la thorie de la Relativit, nous dfinissons maintenant les distances en termes de temps et de vitesse de la lumire, do il sensuit automatiquement que chaque observa-teur mesurera la mme vitesse de la lumire (par dfinition, 1 mtre par 0,000000003335640952 seconde). Nul besoin dintroduire lide

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    dun ther, dont la prsence de toute faon na pas t dtecte, comme lexprience de Michelson-Morley la montr. La thorie de la Relativit, cependant, nous force modifier fondamentalement nos ides sur lespace et le temps. Nous devons accepter que le temps ne soit pas compltement spar de lespace ni indpendant de lui, mais quil se combine lui pour former un objet appel espace-temps .

    On sait que lon peut dcrire la position dun point dans lespace grce trois nombres, ses coordonnes. Par exemple, on peut dire quun point dans une pice est 2 mtres dun mur, 1 mtre dun autre et 1,50 mtre au-dessus du plancher. On pourrait aussi spci-fier quun point est une certaine latitude, une certaine longitude et une certaine hauteur au-dessus du niveau de la mer. On est libre dutiliser toutes coordonnes adquates, bien quelles naient quune porte limite de validit : on ne pourrait gure spcifier la position de la Lune en termes de kilomtres au nord et lest de Piccadilly Circus et de pieds au-dessus du niveau de la mer. En revanche, il sera plus ais de la dfinir en termes de distance au Soleil, de distance au plan des orbites des plantes et dangle entre la droite joignant la Lune au Soleil et celle joignant le Soleil une toile proche comme Alpha du Centaure. Ces coordonnes elles-mmes ne seraient pas non plus dune grande utilit pour dcrire la position du Soleil dans notre Galaxie ou la position de notre Galaxie dans le Groupe Local. En fait, on peut dcrire tout lunivers selon une collection de trames de rfrences se chevauchant. Sur chacune delles, on peut utiliser un ensemble diffrent de trois coordonnes pour spcifier la position dun point.

    Un vnement est quelque chose qui arrive en un point particulier de lespace un moment particulier. Aussi peut-on le spcifier par quatre nombres ou coordonnes. Encore une fois, le choix des coor-donnes est arbitraire ; on peut utiliser nimporte quelles coordon-nes spatiales bien dfinies et nimporte quelle mesure du temps. En Relativit, il ny a pas de vritable distinction entre lespace et les coordonnes de temps, tout comme il ny a pas de vritable diffrence entre deux coordonnes de lespace. On pourrait choisir un nouvel ensemble de coordonnes dans lequel la premire coordonne spa-tiale serait, mettons, la combinaison des anciennes premire et se-

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    conde coordonnes. Par exemple, au lieu de mesurer la position dun point sur la Terre en kilomtres au nord et en kilomtres lest de Piccadilly, on pourrait utiliser les kilomtres au nord-est de Piccadilly et les kilomtres au nord-ouest de Piccadilly. De la mme faon, en Relativit, on pourrait utiliser une nouvelle coordonne de temps qui serait lancien temps (en secondes) plus la distance (en seconde-lumire) au nord de Piccadilly.

    Il est souvent salutaire de penser aux quatre coordonnes dun vnement comme caractrisant sa position dans un espace quatre dimensions appel espace-temps. Il est impossible dimaginer un espace quatre dimensions. Personnellement, je trouve dj difficile de visualiser lespace trois dimensions ! Cependant, il est facile de tracer des diagrammes deux dimensions, comme lest la surface de la Terre. (On dit que la surface de la Terre est deux dimensions parce que la position dun point peut y tre spcifie par deux coor-donnes, latitude et longitude.) Jutiliserai gnralement des dia-grammes dans lesquels le temps crotra verticalement et o lune des dimensions spatiales sera indique horizontalement. Les deux autres dimensions spatiales seront ngliges ou, parfois, lune delles sera indique en perspective. (On les appelle des diagrammes despace-temps, comme sur la fig. 2.1.) Par exemple, sur la fig. 2.2, le temps est mesur verticalement en annes et la distance le long de la ligne allant du Soleil Alpha du Centaure est mesure horizontalement en kilomtres. Les trajets du Soleil et dAlpha du Centaure travers lespace-temps apparaissent en lignes verticales, droite et gauche du diagramme. Un rayon de lumire venant du Soleil suit la diago-nale et met quatre ans pour aller du Soleil Alpha du Centaure.

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    Figure 2.2

    Comme nous lavons vu, les quations de Maxwell prdisaient que la vitesse de la lumire devrait tre la mme quelle que soit la vitesse de la source, et cela a t confirm par des mesures prcises. Il sensuit que si un clair de lumire est mis un instant particulier en un point particulier de lespace, au fur et mesure que le temps scoulera, cet clair grandira comme une sphre de lumire dont la grandeur et la position seront indpendantes de la vitesse de la source. Aprs un millionime de seconde, la lumire se sera tendue jusqu former une sphre de trois cents mtres de rayon ; aprs deux millionimes de seconde, ce rayon sera de six cents mtres ; et ainsi de suite, comme les rides qui stendent la surface dun tang quand un caillou y a t lanc. Les rides stendent en un cercle qui slargit au fur et mesure que le temps passe. Si lon pense un modle en trois dimensions constitu par la surface deux dimensions de ltang et la dimension temps, le cercle en question formera un cne dont le sommet sera situ lendroit et au moment o la pierre aura

  • 36

    frapp leau (fig. 2.3). De faon similaire, la lumire issue dun v-nement forme un cne trois dimensions dans lespace-temps quatre dimensions. Ce cne est appel le cne de lumire future de lvnement. De la mme manire, nous pouvons dessiner un autre cne, appel le cne de lumire passe , qui est lensemble des vnements do un clair lumineux peut atteindre lvnement en question (fig. 2.4).

    Figure 2.3

  • 37

    Figure 2.4

    Les cnes de lumire passe et future dun vnement P divisent lespace-temps en trois rgions (fig. 2.5).

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    Figure 2.5

    Le futur absolu de lvnement est la rgion intrieure du cne de lumire future de P. Cest lensemble de tous les vnements qui peuvent tre influencs par ce qui arrive en P. Les vnements hors du cne de lumire de P ne peuvent tre atteints par les signaux ve-nant de P parce que rien ne peut voyager plus vite que la lumire. Donc, ils ne peuvent pas tre affects par ce qui arrive en P. Le pas-s absolu de P est la rgion lintrieur du cne de lumire passe. Cest lensemble de tous les vnements do les signaux voyageant la vitesse de la lumire ou presque peuvent atteindre P. Cest donc lensemble de tous les vnements qui peuvent affecter ce qui arrive en P. Si lon connat ce qui arrive tout instant particulier partout dans la rgion de lespace qui stend lintrieur du cne de lumire passe de P, on peut prdire ce qui arrivera en P. Lailleurs est la rgion de lespace-temps qui ne stend dans aucun des cnes de lumire passe ou future de P. Les vnements dans Lailleurs ne peuvent affecter les vnements en P, ni en tre affects. Par exemple, si le Soleil devait cesser de briller un instant prcis, cela naffecterait pas les choses sur la Terre au mme moment parce que celle-ci serait dans Tailleurs de lvnement Soleil-venant-de-

  • 39

    steindre (fig. 2.6). Nous ne saurions cela quaprs huit minutes, temps que la lumire met nous parvenir du Soleil. Ce nest qu partir de l que les vnements sur Terre stendraient dans le cne de lumire future de lvnement qui aurait vu le Soleil steindre ; de faon similaire, nous ne savons pas ce qui arrive en ce moment au loin dans lunivers : la lumire que nous captons en provenance des galaxies lointaines les a quittes il y a quelque huit milliards dannes de cela. Aussi, lorsque nous regardons une rgion de lunivers, la voyons-nous comme elle tait dans le pass.

    Figure 2.6

    Si lon nglige les effets gravitationnels, comme le firent Einstein et Poincar en 1905, on a ce que Ton appelle la thorie de la Relativit Restreinte. Pour chaque vnement dans Lespace-temps, nous pou-vons construire un cne de lumire (lensemble de tous les rayons lumineux dans Lespace-temps missibles cet instant) ; et puisque la vitesse de la lumire est la mme chaque vnement et dans toutes les directions, tous les cnes de lumire seront identiques et iront tous dans la mme direction. La thorie nous dit aussi que rien

  • 40

    ne peut voyager plus vite que la lumire. Cela signifie que la trajec-toire de tout objet travers lespace et le temps peut tre reprsente par une droite qui stend lintrieur du cne de lumire pour tout vnement figurant sur cette droite (fig. 2.7).

    Figure 2.7

    La thorie de la Relativit Restreinte expliqua de faon trs effi-cace le fait que la vitesse de la lumire apparaisse la mme tous les observateurs (comme la prouv lexprience de Michelson-Morley) et ce qui arrive lorsque les choses se meuvent des vitesses proches de celle de la lumire. Cependant, elle tait incompatible avec la thorie newtonienne de la gravitation, qui disait que les objets sattirent les uns les autres selon une force qui dpend de la distance qui les s-pare. Cela signifiait que si lon changeait de place lun des objets, la force exerce sur lautre serait instantanment modifie. Ou, en dautres termes, que les effets gravitationnels devraient voyager une vitesse infinie, et non une vitesse gale ou infrieure celle de la lumire, comme la thorie de la Relativit Restreinte lexigeait ; Eins-

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    tein fit nombre dessais infructueux entre 1908 et 1914 pour trouver une thorie de la gravitation qui soit compatible avec la Relativit Restreinte. Finalement, en 1915, il proposa ce que nous appelons maintenant la thorie de la Relativit Gnrale.

    Einstein avana la suggestion rvolutionnaire que la gravitation ntait pas une force comme les autres, mais une consquence du fait que lespace-temps nest pas plat, ce qui avait dj t envisag : il est courbe, ou gauchi par la distribution de masse et dnergie quil contient. Des corps comme la Terre ne sont pas obligs de se mouvoir sur des orbites courbes cause dune force appele gravitation ; ils suivent en fait ce qui se rapproche le plus dune trajectoire rectiligne dans un espace courbe, cest--dire une godsique. Une godsique est la plus courte (ou la plus longue) trajectoire entre deux points voisins. Par exemple, la surface de la Terre est un espace courbe deux dimensions. Une godsique sur la Terre est appele un grand cercle et cest le plus court chemin entre deux points (fig. 2.8). Comme la godsique est la trajectoire la plus courte entre deux a-roports quelconques, cest la route quun navigateur indiquera au pilote de lavion. En Relativit Gnrale, les corps suivent toujours des lignes droites dans un espace-temps quatre dimensions, mais ils nous apparaissent nanmoins se mouvoir le long de trajectoires courbes dans notre espace-temps trois dimensions. (Cest un peu comme regarder un avion survoler un sol accident. Bien quil suive une ligne droite dans lespace trois dimensions, son ombre suit une trajectoire courbe sur le sol deux dimensions.)

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    Figure 2.8

    La masse du Soleil incurve lespace-temps de telle sorte que, bien que la Terre suive une trajectoire droite dans un espace-temps quatre dimensions, elle nous apparat comme se mouvant le long dune orbite dans un espace trois dimensions. En fait, les orbites des plantes prdites par la Relativit Gnrale sont trs exactement les mmes que celles prdites par la thorie newtonienne de la gravi-tation. Cependant, dans le cas de Mercure, la plante la plus proche du Soleil qui en ressent les effets gravitationnels le plus fortement et dont lorbite est un peu plus allonge, la Relativit Gnrale prdit que le grand axe de lellipse devrait tourner autour du Soleil au rythme denviron un degr tous les dix mille ans. Aussi petit que soit cet effet, il avait t remarqu avant 1915 et a t lune des premires confirmations de la thorie dEinstein. Au cours des dernires an-nes, les dviations encore plus faibles des autres plantes par rap-port aux prdictions newtoniennes ont t mesures grce au radar et sont en accord avec les prdictions de la Relativit Gnrale.

    Les rayons lumineux aussi doivent suivre des godsiques de lespace-temps. Encore une fois, le fait que lespace soit courbe signi-fie que la lumire ne peut plus apparatre dornavant comme voya-

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    geant en ligne droite dans lespace. Ainsi, la Relativit Gnrale pr-dit-elle que la lumire devrait tre dvie par les champs gravitation-nels. La thorie prdit par exemple que les cnes de lumire de points proches du Soleil sont lgrement incurvs cause de la masse du Soleil. Cela signifie que la lumire dune toile lointaine qui passerait prs du Soleil serait trs lgrement dvie, ce qui fait que ltoile napparatrait pas au bon endroit pour un observateur sur Terre (fig. 2.9). Bien sr, si la lumire venue de ltoile passait toujours prs du Soleil, nous ne serions pas capables de dire si elle est dvie ou si ltoile se trouve rellement l o nous la voyons. Cependant, comme la Terre tourne autour du Soleil, des toiles diffrentes ont loccasion de passer derrire lui et leur lumire dtre alors dvie. Elles chan-gent donc de position apparente par rapport aux autres toiles.

    Figure 2.9

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    Il est trs difficile normalement de voir cet effet, parce que la lu-mire provenant du Soleil rend impossible lobservation dtoiles proches de lui dans le ciel. Cependant, il est possible de le dtecter durant une clipse de Soleil, lorsque la lumire de ce dernier est stoppe par la Lune. La prdiction dEinstein sur la dviation de la lumire ne put tre immdiatement vrifie en 1915, cause de la Premire Guerre mondiale ; et ce nest quen 1919 quune expdition britannique, observant une clipse en Afrique-Occidentale, en appor-ta la preuve. Cette confirmation dune thorie allemande par des savants anglais fut salue comme un grand acte de rconciliation entre les deux pays. Il est donc assez drle quun examen postrieur des photographies prises lors de cette expdition montre des erreurs aussi importantes que leffet quelles taient censes mesurer. Les mesures de lpoque dcoulrent de la chance pure et simple, et sont typiques du cas o lon connat lavance le rsultat que lon veut obtenir ; cela nest pas si rare en science. La dviation de la lumire a t, cependant, confirme avec exactitude par nombre dobservations ultrieures.

    Autre prdiction de la Relativit Gnrale : le temps devrait appa-ratre comme coulant moins vite prs dun corps massif comme la Terre. Cela cause dune relation entre lnergie de la lumire et sa frquence (cest--dire le nombre dondes de lumire par seconde) : plus lnergie est grande, plus la frquence est haute. Comme la lu-mire voyage vers le haut dans le champ gravitationnel de la Terre, elle perd de lnergie, et ainsi sa frquence baisse. (Cela signifie que la longueur de lintervalle de temps entre la crte dune onde et la sui-vante augmente.) Pour quelquun situ trs au-dessus, il apparatrait que toute chose trs en dessous prendrait plus de temps pour arriver. Cette prdiction fut mise lpreuve en 1962, laide dune paire dhorloges trs exactes installes au sommet et au pied dune tour. On trouva que lhorloge du pied, qui tait la plus proche de la Terre, marchait plus lentement, en accord exact avec la Relativit Gnrale. La diffrence de vitesse des horloges diffrentes hauteurs au-dessus de la Terre est de nos jours dune importance pratique considrable avec lavnement de systmes de navigation trs exacts bass sur des signaux de satellites. Si lon navait tenu aucun compte des prdic-

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    tions de la Relativit Gnrale, les positions que lon aurait ainsi calcules auraient t fausses de plusieurs kilomtres.

    Les lois newtoniennes du mouvement ont mis fin lide de posi-tion absolue dans lespace. La thorie de la Relativit sest dbarras-se du temps absolu. Considrons une paire de jumeaux. Supposons quun jumeau aille vivre au sommet dune montagne pendant que lautre reste au niveau de la mer. Le premier jumeau devrait vieillir plus vite que le second.

    Donc, lorsquils se rencontreront nouveau, lun devra tre plus vieux que lautre. Dans leur cas, la diffrence dge serait minime, mais elle serait plus grande si lun des jumeaux partait pour un long voyage dans un vaisseau spatial une vitesse proche de celle de la lumire. son retour, le voyageur devrait tre beaucoup plus jeune que son frre rest sur Terre. Cest ce que lon appelle le paradoxe des jumeaux , mais ce nest un paradoxe que pour qui conserve une ide de temps absolu derrire la tte. En Relativit, il ny a pas de temps absolu unique, chaque individu a sa propre mesure person-nelle du temps qui dpend du lieu o il est et de la manire dont il se dplace.

    Avant 1915, lespace et le temps taient perus comme une arne fige dans laquelle les vnements advenaient, elle-mme ntant nullement affecte par ce quil y advenait. Ctait vrai mme de la thorie de la Relativit Restreinte. Les corps se mouvaient, les forces attiraient et repoussaient, mais le temps et lespace continuaient, tout simplement, sans altration. Il tait naturel de penser que lespace et le temps coulaient jamais.

    La situation, cependant, est tout fait diffrente dans la thorie de la Relativit Gnrale. Lespace et le temps sont maintenant des quantits dynamiques : quand un corps se meut, ou quand une force agit, cela affecte la courbure de lespace et du temps et en retour, la structure de lespace-temps affecte la faon dont les corps se meuvent et dont les forces agissent. Lespace et le temps naffectent pas seule-ment tout ce qui arrive dans lunivers, ils en sont aussi affects. Tout comme lon ne peut parler dvnement dans lunivers sans notions

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    despace et de temps, il est devenu dnu de sens en Relativit Gn-rale de parler de lespace et du temps hors des limites de lunivers.

    Au cours de ces dernires dcennies, cette nouvelle comprhen-sion de lespace et du temps a rvolutionn notre conception de lunivers. Lancienne notion dun univers fondamentalement sans changement, qui aurait exist et qui continuerait exister, a t rem-place pour toujours par la notion dun univers dynamique, en ex-pansion, qui semble avoir commenc il y a un temps fini, et qui pour-rait se terminer un instant donn dans le futur. Cette rvolution est le sujet du chapitre suivant. Et des annes plus tard, cela devait tre aussi le point de dpart de mon travail en physique thorique. Roger Penrose et moi-mme avons montr que la thorie dEinstein de la Relativit Gnrale suggrait que lunivers devait avoir un commen-cement et, peut-tre, une fin.

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    3 LUNIVERS EN EXPANSION

    Si lon regarde le ciel par une claire nuit sans lune, les objets les plus brillants que lon apercevra seront certainement les plantes Vnus, Mars, Jupiter et Saturne. Il y aura aussi un trs grand nombre dtoiles, qui sont des Soleils semblables au ntre mais beaucoup plus loigns. Quelques-unes de ces toiles fixes semblent modifier trs lgrement leurs positions relativement les unes aux autres au fur et mesure que la Terre tourne autour du Soleil : elles ne sont pas vraiment fixes ! Mais cest parce quelles sont relativement prs de nous. Comme la Terre tourne autour du Soleil, nous les voyons de-puis des positions diffrentes sur le fond des toiles plus lointaines. Cest heureux, parce que cela nous permet de mesurer directement la distance de ces toiles : plus elles sont proches de nous, plus elles semblent bouger. Ltoile la plus proche, Proxima du Centaure, est ainsi environ quatre annes-lumire (sa lumire met peu prs quatre ans pour atteindre la Terre), ou environ quarante mille mil-liards de kilomtres. La plupart des autres toiles visibles lil nu se tiennent en de de quelques centaines dannes-lumire de nous. Notre Soleil, par comparaison, nest, lui, qu huit petites minutes-lumire ! Les toiles visibles semblent occuper lensemble du ciel nocturne, mais elles sont particulirement concentres dans une bande que nous appelons la Voie Lacte. Ds 1750, quelques astro-nomes suggrrent que la Voie Lacte sexpliquerait si la plupart des toiles visibles se trouvaient groupes en une configuration ayant la forme dun disque, exemple de ce que nous appelons aujourdhui une galaxie spirale. Quelques dizaines dannes aprs, lastronome Sir William Herschel confirma cette hypothse en rpertoriant avec soin les positions et les distances dun grand nombre dtoiles. Mais mme

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    alors, cette ide ne fut pas pleinement accepte ; elle ne le serait quau dbut de ce sicle, dailleurs.

    Notre reprsentation moderne de lunivers date de 1924, lorsque lastronome amricain Edwin Hubble dmontra que notre Galaxie ntait pas unique en son genre et quil y en avait beaucoup dautres, avec de grandes zones de vide entre elles. Pour le prouver, il lui fallut dterminer les distances de ces autres galaxies situes si loin de nous que, contrairement aux toiles proches, elles nous apparaissent rel-lement fixes. Hubble fut donc forc de recourir des mthodes indi-rectes. La brillance apparente dune toile dpend de deux facteurs : la quantit de lumire quelle rayonne (sa luminosit), et sa distance par rapport nous. Pour les toiles proches, nous pouvons mesurer leur brillance apparente et leur distance, et dterminer ainsi leur luminosit. Rciproquement, si nous connaissons la luminosit dtoiles appartenant dautres galaxies, nous pourrions trouver leur distance en mesurant leur brillance apparente. Hubble remarqua que certains types dtoiles avaient toujours la mme luminosit condi-tion quelles soient suffisamment proches pour quon puisse la mesu-rer ; donc, affirmait-il, si nous trouvions des toiles du mme type dans une autre galaxie, nous pourrions supposer quelles ont la mme luminosit et ainsi calculer la distance de cette galaxie. Si nous pouvions le faire pour un certain nombre dtoiles dans une mme galaxie, nos calculs dbouchant toujours sur une mme distance, nous pourrions honntement avoir confiance dans notre estimation de distance de cette galaxie.

    Edwin Hubble effectua les calculs pour neuf galaxies diffrentes. Nous savons maintenant que notre Galaxie nest que lune des cen-taines de milliards de galaxies que nous montrent les tlescopes mo-dernes, chaque galaxie elle-mme contenant quelques centaines de milliards dtoiles. La fig. 3.1 reprsente une galaxie spirale semblable ce quoi nous pensons que la ntre doit ressembler pour un habi-tant dune autre galaxie. Nous vivons dans une galaxie qui a environ cent mille annes-lumire de diamtre et qui tourne lentement sur elle-mme ; les toiles de ses bras spiraux tournent autour de son centre en quelques centaines de millions dannes. Notre Soleil nest quune toile ordinaire, jaune et de grandeur moyenne, prs du bord

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    intrieur de lun des bras spiraux. Quel chemin parcouru depuis Aris-tote et Ptolme, quand nous pensions que la Terre tait le centre de lUnivers !

    Figure 3.1

    Les toiles sont si loin quelles semblent ntre que des ttes dpingles de lumire. Nous ne pouvons voir ni leur grandeur ni leur forme. Aussi, comment pouvons-nous distance distinguer diffrents types dtoiles ? Pour la grande majorit dentre elles, il ny a quun trait caractristique que nous puissions observer : la couleur de leur lumire. Newton a dcouvert que si la lumire venant du Soleil tra-versait un morceau de verre de forme triangulaire un prisme elle se dcomposait en ses couleurs de base (son spectre), comme dans larc-en-ciel. En braquant un tlescope sur une toile individuelle ou sur une galaxie, on peut, de faon similaire, observer le spectre de la lumire venant de cette toile ou de cette galaxie. Des toiles diff-rentes ont des spectres diffrents, mais la brillance relative des diff-rentes couleurs est toujours exactement ce que lon sattend trouver dans la lumire mise par un objet port incandescence. (En fait, la lumire mise par tout objet opaque port au rouge a un spectre

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    caractristique qui ne dpend que de sa temprature : un spectre thermique. Cela signifie que nous pouvons parler de temprature stellaire partir dun spectre de lumire dtoiles.) De plus, nous trouvons que certaines couleurs trs spcifiques sont quelquefois absentes ; ces couleurs manquantes peuvent varier dune toile une autre. Depuis que nous savons que chaque lment chimique absorbe un ensemble trs caractristique de couleurs spcifiques, il suffit de comparer ces dernires celles qui manquent dans les spectres stel-laires pour dterminer avec exactitude les lments prsents dans latmosphre de ltoile observe.

    Dans les annes vingt, lorsque les astronomes commencrent regarder les spectres des toiles dautres galaxies, ils remarqurent quelque chose de trs curieux : il sy trouvait bien les mmes en-sembles caractristiques de couleurs manquantes que dans notre propre Galaxie, mais ces derniers taient tous dcals dune mme quantit relative vers lextrmit rouge du spectre. Pour saisir les implications de cela, nous devons dabord comprendre leffet Dop-pler. Comme nous lavons vu, la lumire visible consiste en fluctua-tions, ou ondes, dans le champ lectromagntique. La frquence (ou le nombre dondes par seconde) de la lumire est extrmement le-ve, allant de quatre sept cent mille milliards dondes par seconde. Les diffrentes frquences de lumire sont ce que lil humain voit sous forme de couleurs diffrentes, les frquences les plus basses se situant lextrmit rouge du spectre, et les plus hautes lextrmit bleue. Maintenant, imaginez une source de lumire distance cons-tante de nous, comme une toile, mettant des ondes de lumire frquence constante. videmment, la frquence des ondes que nous recevrons sera la mme que celle laquelle ces ondes auront t mises (le champ gravitationnel de notre Galaxie ntant pas suffi-samment grand pour produire un effet significatif) -Supposons main-tenant que cette source se mette se dplacer vers nous. Quand elle mettra la crte donde suivante, elle sera plus proche de nous, et le temps que la crte donde mettra pour nous atteindre sera plus court que lorsque ltoile ne bougeait pas. Cela signifie que lintervalle entre deux crtes dondes successives sera plus bref, et que le nombre dondes que nous recevrons chaque seconde (cest--dire la fr-

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    quence) sera plus lev que lorsque ltoile tait immobile. De mme, si la source sloigne de nous, la frquence des ondes que nous en recevrons sera plus basse. Dans le cas de la lumire, cela signifie que les toiles qui sloignent de nous auront donc leur spectre dcal vers lextrmit rouge du spectre dcalage vers le rouge et celles qui se rapprochent, un spectre dcal vers le bleu. Cette rela-tion entre la frquence et la vitesse, leffet Doppler, est une exp-rience que lon peut faire tous les jours. coutez une voiture passant dans la rue : tant que la voiture approche, son moteur fait un bruit plus aigu (correspondant une frquence plus leve des ondes so-nores), et quand elle passe devant nous et sloigne, il fait entendre un bruit plus grave. Le comportement des ondes lumineuses ou radio est le mme. Et jusqu la police qui fait usage de leffet Doppler pour contrler la vitesse des vhicules en mesurant la frquence dimpulsion dondes radio quils rflchissent !

    Dans les annes qui ont suivi la preuve de lexistence dautres ga-laxies, Hubble rpertoria leurs distances et observa leurs spectres. ce moment-l, la plupart des gens pensaient que les galaxies se mou-vaient au hasard ; aussi sattendait-on trouver autant de spectres dcals vers le bleu que vers le rouge. La surprise fut considrable lorsquon constata que la plupart des galaxies semblaient dcales vers le rouge : presque toutes sloignaient de nous ! Plus surpre-nantes encore furent les conclusions que Hubble publia en 1929 : lampleur du dcalage vers le rouge dune galaxie ntait pas le fait du hasard, il tait proportionnel la distance nous sparant de cette galaxie. En dautres termes, plus la galaxie tait loin, plus elle sloignait vite de nous ! Lunivers ne pouvait donc pas tre statique, comme tout le monde le croyait auparavant, et il tait mme en ex-pansion, la distance entre les diffrentes galaxies augmentant en permanence.

    Cette dcouverte dun univers en expansion fut lune des grandes rvolutions intellectuelles du XXe sicle. Il est facile de se demander maintenant pourquoi personne ny avait pens avant. Newton, et les autres, auraient d comprendre quun univers statique commencerait bientt se contracter sous linfluence de la gravitation. Mais suppo-sons plutt que lunivers soit en expansion. Si cette expansion tait

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    assez lente, la force de gravit finirait par larrter ; puis il y aurait contraction. Cependant, si lunivers tait en expansion plus rapide, au-del dun certain taux critique, la gravit ne pourrait jamais tre assez forte pour larrter, et lunivers continuerait stendre ja-mais. Cest comme lorsquon lance une fuse depuis la Terre. Si sa vitesse est trop lente, la gravit lannulera et lengin retombera au sol. Au contraire, si la fuse a une vitesse suprieure une certaine valeur critique (environ douze kilomtres par seconde), la gravit ne sera pas assez forte pour la ramener sur Terre et elle sloignera tout jamais. Ce comportement de lunivers aurait pu tre prdit partir de la thorie newtonienne de la gravitation nimporte quel moment au XIXe, au XVIIIe ou mme la fin du XVIIe sicle. Mais la croyance en un univers statique tait si forte quelle a persist jusquaux pre-mires annes du XXe sicle. Mme Einstein, lorsquil formula la thorie de la Relativit Gnrale en 1915, tait si sr que lunivers devait tre statique quil la modifia, pour que cela soit possible, en introduisant sa fameuse constante cosmologique dans ses quations. Einstein introduisit ainsi une nouvelle force d antigravit qui, la diffrence des autres, ne provenait pas dune source particulire mais tait labore dans le processus mme de structure de lespace-temps. Il prtendit que lespace-temps avait une tendance inne stendre et que cela pourrait contrebalancer exactement lattraction de toute la matire dans lunivers, de telle sorte quun tel univers serait statique. Un seul homme, semble-t-il, tait dispos prendre la Relativit Gnrale au pied de la lettre, et pendant quEinstein et dautres physiciens cherchaient des moyens dviter la prdiction de la Relativit Gnrale dun univers non statique, le physicien et ma-thmaticien russe Alexandre Friedman se mit, lui, lexpliquer.

    Friedman fit deux hypothses trs simples propos de lunivers : lunivers semble identique quelle que soit la direction dans laquelle on regarde, et cela serait aussi vrai si nous observions lunivers de nimporte o ailleurs. De ces deux seules ides, Friedman conclut que nous ne devions pas nous attendre ce que lunivers soit statique. En fait, en 1922, quelques annes avant la dcouverte dEdwin Hubble, Friedman avait prdit exactement ce que Hubble trouva !

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    Lhypothse que lunivers semble le mme dans toutes les direc-tions nest manifestement pas vraie dans la ralit. Par exemple, comme nous lavons vu, les autres toiles de notre Galaxie forment une bande distincte de lumire travers le ciel nocturne, la Voie Lacte. Mais si nous examinons les galaxies lointaines, il semble y en avoir plus ou moins le mme nombre partout. Ainsi, lunivers semble tre grossirement le mme dans toutes les directions, pourvu quon le considre grande chelle par rapport aux distances entre les galaxies et quon nglige les diffrences petite chelle. Pendant longtemps, cela fut une justification suffisante de lhypothse de Friedman, en tant que grossire approximation de lunivers rel. Mais plus rcemment, une heureuse priptie mit en lumire le fait que cette hypothse tait bien une description remarquablement exacte de notre univers.

    En 1965, deux physiciens amricains des Bell Tlphone Labora-tories dans le New Jersey, Arno Penzias et Robert Wilson, testaient un dtecteur ultrasensible dondes centimtriques (ces micro-ondes sont exactement comme des ondes lumineuses mais avec une fr-quence de lordre de dix milliards dondes par seconde seulement). Penzi