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SECURITE ENERGETIQUE : STRATEGIES POUR L’EUROPE ET LA FRANCE
Fiches pays :
• Algérie • Iran • Allemagne • Israël • Angola • Italie • Arabie Saoudite • Japon • Argentine • Kazakhstan • Australie • Libye • Azerbaïdjan • Mexique • Brésil • Niger • Canada • Nigeria • Chine • Norvège • Corée du Sud • Pakistan • Egypte • Qatar • Emirats arabes unis • Royaume-Uni • Espagne • Russie • Etats-Unis • Turkménistan • France • Turquie • Inde • Ukraine • Indonésie • Venezuela • Irak
Notes géographiques :
Notes thématiques :
Océan Arctique Marché du GNL Détroit d’Hormuz Evolutions technologiques nucléaires Détroit de Malacca Evolutions technologiques hydrocarbures non-conventionnels Mer rouge (Suez, Bab-el-Mandeb) Evolutions technologiques ENR/Efficacité énergétique European Southern Corridor Organisation des marchés physiques
SÉCURITE ÉNERGETIQUE :
STRATÉGIES POUR LA FRANCE ET L’EUROPE (SESEF)
Phase 2
Évolutions des technologies
nucléaires à l’horizon 2030
Décembre 2015
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
2
Le nucléaire offre, vis-à-vis des autres sources majeures d’électricité, une alternative intéressante.
En effet, la production électrique se divise entre deux groupe principaux : les solutions reposant
principalement sur le combustible fossile (gaz, charbon et plus marginalement pétrole) et celles dont
le modèle est fondé sur une transformation technologiquement plus ou moins complexe d’une
source abondante (hydraulique) ou potentiellement infinie (éolien, solaire, marémoteur,
géothermique). Cette dichotomie qui oppose les énergies thermiques fossiles aux énergies
renouvelables1 met face à face deux modèles économiques et technologiques de production.
Les évènements de Fukushima en 2011 pourraient, de prime abord, sembler avoir signé la mort de la
nuclear renaissance vantée par les analystes américains à la fin de la décennie précédente2. En effet,
l’accident majeur survenu au Japon a déclenché une vague anti-nucléaire au sein des populations
japonaise et occidentales, amenant, par exemple, à la sortie précipitée du nucléaire en Allemagne,
cette dernière étant annoncée pour 2022. Toutefois on peut observer avec quelques années de recul
que le secteur du nucléaire civil semble s’être bien remis de cet accident. Ainsi le nucléaire semble
devenir, grâce notamment aux pressions internationales pour enrayer le changement climatique,
une énergie de plus en plus mise en avant (entre autres par le GIEC), que ce soit dans les pays
traditionnellement portés en ce sens comme la Russie ou la Chine, ou même dans un grand nombre
de pays dits « primo-accédant » qui se dotent de centrales de production électrique, comme la
Turquie ou le Vietnam.
Les développements technologiques, qu’il s’agisse du déploiement progressif des centrales de
génération III + ou des progrès réalisés sur les centrales de génération IV, amènent le nucléaire vers
un nouvel âge et de nouvelles possibilités aussi bien en termes de production électrique que de
gestion des déchets. Cette dernière question force à envisager la filière nucléaire comme un tout,
avec une chaîne de valeur complexe allant de l’extraction d’uranium au retraitement des déchets
radioactifs en passant par le design et la construction de centrales. Il s’agit ainsi de prendre en
compte l’ensemble des évolutions du secteur pour être à même de tracer des scénarios prospectifs
sur ces questions.
Au-delà de la position des acteurs centraux et des pays demandeurs, l’étude des évolutions
technologiques en développement dans les différents sous-secteurs de l’énergie nucléaire s’avère
nécessaire pour alimenter la réflexion sur les risques et opportunités présents à horizon 2030.
1 Il existe néanmoins un débat international encore non résolu sur le statut de certaines énergies comme la biomasse ou
l’hydraulique qui ne sont pas universellement considérés comme des renouvelables. 2 SQUASSONI S. (2009), Nuclear Energy: Rebirth or Resuscitation, Carnegie Endowment for Peace.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
3
Sommaire
Panorama du secteur en 2015 ......................................................................... 5
I. Principaux fournisseurs de solutions ............................................................. 5
1. Acteurs intégrés verticalement .................................................................. 5
2. Acteurs spécialisés ................................................................................ 8
II. Grands pays du nucléaire ....................................................................... 14
1. Puissances traditionnelles ....................................................................... 15
2. Pays émergents .................................................................................. 17
3. Autres ................................................................................................... 19
III. Acteurs multilatéraux ............................................................................. 20
Développements en cours ou en projet ........................................................ 21
I. Nouvelles technologies de réacteurs ........................................................... 21
1. Génération IV ........................................................................................ 21
2. Autres technologies ............................................................................. 23
II. Avancées dans l’amont du cycle de l’uranium ........................................... 24
1. Nouveaux projets miniers d’uranium ....................................................... 24
2. Mines d’autres combustibles ................................................................ 25
3. Enrichissement / combustible .................................................................. 26
III. Avancées dans l’aval du cycle de l’uranium .............................................. 26
1. Retraitement .......................................................................................... 26
2. Enfouissement .................................................................................... 27
Indicateurs ...................................................................................................... 28
I. Disponibilité et prix de l’uranium ............................................................. 28
II. Structure de la concurrence ................................................................. 29
III. Coopération internationale ................................................................... 30
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
4
Prospective ..................................................................................................... 31
I. Scénario A : développement constant du nucléaire ...................................... 31
II. Scénario B : accident majeur limitant la part du nucléaire ......................... 32
III. Scénario C : bouleversement concurrentiel .............................................. 33
IV. Scénario D : pression climatique entrainant un nouvel âge d’or du nucléaire
34
Annexes ........................................................................................................... 36
Panorama des technologies nucléaires ............................................................. 36
Rosatom et l’Etat russe .................................................................................... 37
Ressources mondiales en uranium (2014) ....................................................... 38
Capacités installées en 2015 ........................................................................... 39
Développements en nombre de réacteurs en 2015 ........................................... 40
Evolution des prix de l’uranium ....................................................................... 41
Ressources mondiales estimées en thorium ..................................................... 42
Coopérations technologiques sur les réacteurs de génération IV ........................ 43
Evolutions technologiques des réacteurs ........................................................... 44
Références ...................................................................................................... 45
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
5
Panorama du secteur en 2015
I. Principaux fournisseurs de solutions
Figure 1: Chaine de valeur simplifiée du nucléaire civil
1. Acteurs intégrés verticalement
1. Rosatom
La corporation d’Etat Rosatom est l’un des fleurons de l’industrie de la Russie tous secteurs
confondus. Rosatom représente la principale réussite économique de la Russie qui ne soit pas
totalement liée aux matières premières ou à la Défense, même si elle a des attaches dans ces deux
domaines. Créée sous cette forme en 2007 par transformation de l’agence nucléaire russe Rosatom,
la corporation d’Etat chapeaute l’ensemble des acteurs régionaux ou spécialisés liés de près ou de
loin au nucléaire. Rosatom et l’Etat russe entretiennent une relation symbiotique complexe,3 où les
participations croisées et les multiples boucles de contrôle de la part du gouvernement permettent
de considérer Rosatom comme un hybride entre un ministère et une entreprise agissant sur les
marchés extérieurs.
Rosatom dirige ainsi un ensemble de sociétés spécialisées qui œuvrent ensemble pour offrir un
produit russe tant aux grandes puissances désireuses de continuer dans la voie nucléaire qu’aux pays
3 Voir annexe.
Design et construction de réacteurs
Extraction
Enrichissement
Combustible
Opération
Retraitement
Stockage
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
6
nouvellement arrivés dans ce secteur. C’est Atomenergoprom qui est le fleuron de ces solutions
commerciales puisque Rosatom, en tant que corporation d’Etat nucléaire chapeaute aussi bien ces
projets civils russes et étrangers que les questions de nucléaire militaire russe, les appareils
médicaux comme les scanners et même la flotte de brise-glaces à propulsion nucléaire de l’Arctique.
Atomenergoprom englobe elle-même des sociétés spécialisées sur l’ensemble de la chaîne de valeur
du nucléaire civil. Les principales sont TVEL, TENEX, ARMZ et Rosenergoatom.
ARMZ (AtomRedMetZoloto) est l’entreprise chargée de l’extraction de minerai d’uranium en Russie
et à l’étranger. ARMZ possède l’ensemble des mines russes (la Russie possède environ 9% des
réserves mondiales). Rosatom est également présente au Kazakhstan via des accords avec la
compagnie nationale Kazatomprom4. De plus, suite à l’acquisition à la fin des années 2000 et au
début des années 2010 par ARMZ des entreprises canadienne Uranium One et australienne Mantra
Resources, une nouvelle entité a été créée fin 2013 sous le nom d’Uranium One, regroupant
l’ensemble des possessions minières russes à l’étranger. La Russie possède ainsi des actifs miniers en
Australie, au Kazakhstan, en Tanzanie et aux Etats-Unis.
TVEL, qui est chargé de la mise au point du combustible à partir de l’uranium d’ARMZ, est
également une importante entreprise sur la scène mondiale puisqu’elle fournit environ 17% du
marché mondial en 2013 avec un objectif affiché de 32% vers 2030. C’est au travers de TVEL que la
Russie a renforcé ses liens avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), puisque le
centre d’enrichissement d’Angarsk a été mis sous la supervision de l’organisme onusien pour créer la
première banque mondiale de combustible certifié. TENEX est l’entité chargée de commercialiser
les combustibles russes et possède des filiales dans plusieurs pays (Allemagne, Royaume-Uni, Etats-
Unis, Japon, Corée du Sud). La Russie fournit ainsi de nombreux acteurs étrangers en combustible
(Chine, Inde, Iran, Finlande, Suède, Hongrie, Bulgarie, Ukraine, etc.), parfois en partenariat avec
Areva Nuclear Power (Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas).
Rosenergoatom se charge de l’opération des centrales nucléaires. Après l’abandon de la filière
RBMK qui a été à l’origine de l’accident de Tchernobyl en 198656, les entreprises de design et de
construction de centrales appartenant à Atomenergoprom (Atomenergopreok, Atomenergomash)
se sont concentrées sur la filière VVER à eau pressurisée qui aboutit aux centrales de génération III
VVER-1000, base de la production d’électricité nucléaire en Russie7. La nouvelle génération VVER-
1200 dénommée projet NPP-2006 devrait entrer en construction à la fin de l’année 2015 (projet
Novovoronej II-1), de même que l’installation de réacteurs à neutrons rapides de plus en plus
puissants (projet Beloyarsk 4 de 800 MW en construction). La Russie investit aussi, via son savoir-
faire dans les brise-glaces nucléaires, dans une technologie de réacteurs nucléaires flottants KLT-
40S (2x35 MW de puissance) destinés à fournir une puissance limitée à des pays disposant d’une
façade maritime.
4 Cette dernière possède en retour 10% du centre d’enrichissement d’Angarsk géré par TVEL qui sert de première banque
mondiale de combustible sous égide de l’AIEA depuis 2011. 5 L’augmentation non-contrôlée de la puissance du réacteur, due à des défauts de conception et aux problèmes
technologiques de la filière (coefficient de vide), a amené à une fusion du cœur du 4e réacteur de la centrale.
6 Il reste néanmoins une dizaine de réacteurs de ce type en Russie.
7 34 réacteurs sont actuellement en service en Russie dont 12 de type VVER-1000.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
7
Rosatom a notamment fait d’immenses efforts de développement de technologies de sûreté
nucléaire pour faire oublier les évènements de Tchernobyl, à tel point que l’entreprise est
maintenant considérée par l’AIEA comme faisant partie des plus en pointe sur le sujet. De plus, en
confiant Rosatom à S. Kirienko, un ancien Premier ministre et proche de la Présidence, V. Poutine a
voulu en faire une vitrine de corporation « propre », où la corruption serait bien moindre que dans
d’autres acteurs de l’énergie russe et qui serait plus efficace économiquement.
2. Areva
L’entreprise française Areva, présente dans une vingtaine de pays et créée au début de la décennie
2000 comme le premier exemple de fournisseur de solutions nucléaire intégré verticalement fait
face à de nombreuses difficultés internes et externes depuis quelques années. En 2010, la cession de
la branche transmission et distribution (T&D) à Alstom avait déjà entamé le modèle vertical total qui
avait présidé en 2006 au regroupement de l’ensemble des sociétés constituant l’entreprise sous le
nom unique Areva.
Les principales difficultés viennent tout d’abord de la partie minière, en raison d’investissements
hasardeux donnant lieu entre autres à un procès pénal en Afrique (Namibie, Centrafrique, Afrique du
Sud, etc.) avec l’affaire UraMin. La pression imposée par l’entreprise chinoise CNNC au Niger qui
développe la mine d’Azelik depuis 2011 a amené à une renégociation des contrats des mines
SOMAIR et COMINAK bien plus favorable à l’Etat nigérien. Au Kazakhstan, Areva a doit également
faire face à la concurrence croissante de la Chine, et de la Russie, qui est depuis le milieu des années
2000 le principal partenaire du pays.
L’activité construction de réacteurs accumule également les retards avec les projets EPR de
Flamanville (France) et Olkiluoto (Finlande). Ces deux chantiers ont été érigées en symbole des
problèmes d’Areva (sécurité informatique, coffrages en béton, cuves, etc.) et portent un sérieux
coup à l’image du savoir-faire nucléaire français à l’étranger. Les deux réacteurs EPR de Taishan 1 et
2 construits par Areva en Chine pourraient être la vitrine de cette technologie de génération III +8.
Le transfert en cours de la branche de construction de réacteurs (Areva NP) à EDF qui devrait détenir
en 2016 une part majoritaire de cette entité, devrait amener à une plus grande lisibilité de l’offre
française à l’étranger. En effet, la taille limitée d’Areva par rapport à ses concurrents étrangers
rendait, de facto, l’entreprise française moins compétitive sur des appels d’offres importants comme
celui d’Abu Dhabi perdu en 2010. Toutefois les différentes évolutions prévues pour Areva avec la
possibilité d’une entrée au capital d’un acteur japonais 5MHI) ou chinois (CNNC) risquerait
d’amoindrir à la fois les intérêts de la France dans le pilotage de l’entreprise mais aussi entrainerait
de potentielles fuites de technologie vers des concurrents.
Areva possède néanmoins deux atouts importants ; d’un côté une part de marché non-négligeable
de la fourniture de combustible nucléaire (environ 30% du total mondial, à égalité avec la compagnie
8 Les différences dans la vitesse de construction des EPR s’expliquent en partie par des règles de sécurité sur les chantiers
moins strictes qu’en Europe.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
8
européenne Urenco en 2013) et d’un autre une maitrise de certaines technologies-clés. Les
partenariats avec certaines entreprises comme le japonais Mitsubishi pour les réacteurs de moyenne
puissance ATMEA (1000 MW) permettent d’envisager un développement sur ce secteur9. Enfin,
Areva est le numéro un mondial sur les questions de gestion, retraitement et stockage des
combustibles nucléaires usés, ce qui rend l’entreprise quasi-incontournable dans ce domaine.
2. Acteurs spécialisés
1. Constructeurs de réacteurs
Les technologies de construction de réacteurs nucléaires sont finalement assez peu répandues dans
le monde. Peu de pays peuvent ainsi se prévaloir d’un savoir-faire d’autant plus important que
l’usage de l’énergie nucléaire se répand. Depuis les années 1960 qui ont été le premier âge d’or du
nucléaire civil, on a même observé une concentration importante des entreprises et des savoir-faire
pour aboutir à cinq grandes familles technologiques. Outre la famille russe
Rosatom/Atomenergoprom et la française Areva citées ci-dessus, trois autres peuvent être citées.
La première et la plus originale est celle de l’acteur canadien SNC Lavalin qui appartenait auparavant
à EACL (Energie Atomique du Canada Limitée). Cette société appartenant à l’Etat canadien est à
l’origine de la conception et de la commercialisation des réacteurs de type Candu. C’est depuis 2011
SNC Lavalin (au travers de la filiale Candu Energie) qui s’en charge, après avoir racheté les activités
réacteurs d’EACL. Les réacteurs de type Candu à l’eau lourde (PHWR) ont connu un grand
engouement dans les années 1980-1990 grâce notamment à leur technologie permettant l’usage
d’uranium non-enrichi (et d’autres éléments comme le thorium), ce qui affranchit les utilisateurs de
la tutelle des grands fournisseurs de combustible prêt à l’emploi. Les réacteurs Candu 6 en service
actuellement posent néanmoins des problèmes stratégiques puisqu’ils produisent du plutonium et
possèdent une puissance moindre que leurs équivalents à eau pressurisée ou bouillante (700 MW).
Un certain nombre de pays a ainsi fait le choix de cette technologie particulière, comme l’Inde (qui a
même développé une solution nationale sur base Candu), le Canada, la Roumanie, la Corée du Sud,
la Chine et l’Argentine.
La filière américano-japonaise représentée par General Electric-Hitachi et Toshiba-Westinghouse,
voire maintenant américano-nippo-coréenne si l’on ajoute les réacteurs APR-1400 de Kepco qui sont
issus du système 80 + de Combustion Engineering (aujourd’hui filiale de Westinghouse), offre deux
grandes voies technologiques : les réacteurs à eau pressurisée (PWR) et ceux à eau bouillante (BWR).
Les réacteurs à eau bouillante sont promus par General Electric-Hitachi. La technologie à eau
bouillante permet une plus grande puissance de production, au détriment d’une meilleure sûreté
lorsqu’on la compare à celle à eau pressurisée. Elle a connu un certain succès dans les années 1950-
80. Toutefois la grande interrogation sur la sûreté nucléaire après les incidents de Three Miles Island
en 1979 (pourtant à eau pressurisée) et de Tchernobyl en 1986 ont amené à une réévaluation des
9 Areva travaille aussi sur un modèle à eau bouillante de moyenne puissance (KERENA) issu de la technologie allemande
Siemens.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
9
demandes en faveur d’autres filières. De facto, les réacteurs à eau bouillante ne représentent plus
que 20% du parc mondial, majoritairement aux Etats-Unis et au Japon10. Les projets de nouveau
réacteur ESBWR mettent par contre l’accent sur cette question de la sûreté de fonctionnement11.
GE-Hitachi est également un important fournisseur de combustible nucléaire au travers de Global
Nuclear Fuel (GNF)12. L’acquisition de la branche énergie d’Alstom par GE offre à l’entreprise
américaine une mainmise plus importante sur certains segments de la chaîne de valeur, puisque
l’entreprise française agissait comme sous-traitant majeur de nombreuses entités du secteur, pour
les turbines notamment.
Figure 2: Evolution des constructions de nouveaux réacteurs nucléaires dans le monde; source: AIEA
La filière à eau pressurisée américaine (et coréenne aujourd’hui) repose avant tout sur Toshiba-
Westinghouse. Ces réacteurs qui sont issus de la technologie des sous-marins nucléaires
représentent la majorité du parc en service au niveau mondial. Westinghouse Electric Company LLC
a été rachetée en 2006 par le japonais Toshiba et se présente actuellement comme le leader
occidental de la technologie des réacteurs à eau pressurisée. Avec les retards de l’EPR
d’Areva, l’AP1000 Westinghouse devient la principale solution de ce type de génération III+.
L’AP1000 est d’ailleurs en construction aux Etats-Unis sur deux sites (Vogtle et Summer) et se
présente comme le fleuron de la renaissance nucléaire américaine, même si les projets ont été revus
à la baisse depuis le développement massif des gaz non-conventionnels. De la même manière,
l’AP1000 fait partie des technologies retenues par la Chine – avec l’EPR et le VVER – pour son
développement nucléaire massif et deux centrales sont là aussi en cours de construction. Même s’il
10
Fukushima Daïchi appartenait à cette filière technologique. 11
Voir infra 12
Voir infra
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
50
195
4
195
6
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1984
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2
Nouveaux réacteurs nucléaires dans le monde
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
10
n’existe aucun lien organique entre Westinghouse et les industries coréennes dont Kepco, le
système coréen APR-1400 est fondé sur des technologies appartenant à Combustion Engineering,
qui appartient à présent à Westinghouse suite à des transferts de technologie dans les années 1980.
Il est donc possible d’affirmer qu’il existe une certaine parenté entre Westinghouse et Kepco au
niveau de la technologie. Celle-ci est d’autant plus importante qu’aux termes de l’accord 123 signé
avec les Etats-Unis en 1973, la Corée du Sud est dépendante de Washington pour son
approvisionnement en combustible et ne peut posséder d’industrie d’enrichissement et de
retraitement de l’uranium. Si la révision du traité en 2015 a amené à plus de flexibilité, toute
évolution de cette partie du secteur doit se faire après consultation avec les Etats-Unis.
Westinghouse (55%) et Kepco (45%) possèdent conjointement depuis 2009 la filiale KW Nuclear
Components qui fabrique les éléments industriels pour Kepco NF, la filiale de Kepco chargée de
l’approvisionnement en combustible.
Entreprise Areva Candu GE-Hitachi Rosatom Toshiba-
Westinghouse
Modèles EPR ACR-1000 ABWR / ESBWR
NPP 2006 / VVER-1400
AP1000
Technologie Eau
pressurisée Eau lourde pressurisée
Eau bouillante Eau
pressurisée Eau
pressurisée
Figure 3: Caractéristiques des réacteurs de génération III+
Figure 4: Types de réacteurs en construction dans le monde en 2014 ; source : NEA OCDE
58
4
5 2 1
Réacteurs en construction par type en 2014
Eau pressurisée (PWR)
Eau bouillante (BWR)
Eau lourde pressurisée(PHWR)
Neutrons rapides (FBR)
Refroidis au gaz (GCR)
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
11
2. Miniers
Au-delà des miniers intégrés dans les entreprises verticales du nucléaire comme la BG Mines d’Areva
ou ARMZ pour Rosatom, plusieurs entreprises sont présentes sur la partie extraction de l’uranium.
La plupart du temps, il s’agit de filiales ou d’entités spécialisées issues des grandes entreprises
minières internationales.
Les grandes entreprises australiennes BHP Billiton et Rio Tinto (au travers d’Energy Resources of
Australia) sont particulièrement actives dans le domaine de la production d’uranium. BHP qui
exploite la mine d’Olympic Dam, une des plus grandes du monde, s’intéresse principalement à
l’uranium car ce dernier est associé au cuivre, l’une des principales activités de l’entreprise minière.
Rio Tinto de son côté a choisi de créer une filiale dédiée à l’exploration-production d’uranium,
notamment pour la mine Ranger (Territoire du Nord, en Australie). Aussi bien BHP que Rio Tinto
n’envisagent l’uranium que comme un minerai destiné à être vendu sur les marchés – avec toutefois
quelques spécificités – et n’ont de véritable position subséquente dans la chaine de valeur du
nucléaire. Ils représentent néanmoins des acteurs importants puisqu’ils sont les plus actifs en
Australie (plus de 80% de l’uranium extrait à eux deux) qui est le pays où se trouvent la majorité des
réserves mondiales (environ 29% du total mondial)13. BHP Billiton produisait à lui tout seul environ
3400 tonnes d’oxyde d’uranium en 2014, soit 6% du total mondial (1165 tonnes pour ERA).
Plus que les grands miniers transnationaux multisectoriels, ce sont les compagnies minières privées
ou publiques spécialisées dans l’uranium qui sont les principaux acteurs de ce sous-secteur. Les pays
13
Voir annexe.
41%
16%
9%
7%
6%
5%
4%
4% 3% 5%
Production d'uranium par pays (2014) ; source : WNA
Kazakhstan
Canada
Australie
Niger
Namibie
Russie
Ouzbékistan
Etats-Unis
Chine
Autres
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
12
disposant d’importantes ressources en uranium ont eu tendance historiquement à établir des
compagnies minières nationales. Certains pays comme le Kazakhstan (KazAtomProm) ou
l’Ouzbékistan (Combinat minier et métallurgique de Navoi aussi connu comme NMMC) perpétuent
cette tradition du contrôle étatique direct. Cela permet aux Etats d’Asie centrale notamment de
disposer de revenus confortables ainsi que d’une influence non-négligeable sur la scène
internationale. KazAtomProm assure un équilibre des relations géoéconomiques du Kazakhstan en
négociant des partenariats avec ARMZ et TVEL pour la Russie et Areva pour la France. La Chine est
néanmoins de plus en plus active auprès du Kazakhstan avec la création par China General Nuclear
Power Group (CGN) et KazAtomProm d’une joint-venture, Semizbai-U LLP, active en Namibie. CGN
a aussi établi une joint-venture avec Navoi pour disposer de réserves en Ouzbékistan. La poussée de
la Chine en Asie centrale dans l’énergie est ainsi tout aussi importante dans le nucléaire que dans les
hydrocarbures.
Le canadien Cameco est, au contraire, l’exemple de l’entreprise publique qui a connu une
privatisation dans les années 2000 pour devenir aujourd’hui le plus important acteur privé dans les
activités minières liées à l’uranium. Si l’entreprise est majoritairement implantée au Canada où elle
gère la plupart des mines d’uranium, Cameco a également connu un développement international
important, principalement aux Etats-Unis, ainsi qu’au Kazakhstan. A l’exception de la mine de Mc
Lean Lake, Cameco possède, seul ou en partenariat avec Areva, les sites miniers nationaux (79% du
total d’oxyde d’uranium extrait en 2013). D’une manière assez similaire, l’australien Paladin Energy
est également un acteur minier spécialisé privé. Acteur mineur dans son pays d’origine, Paladin
s’impose comme l’un des premiers miniers d’uranium en Afrique avec des mines en Namibie (25% de
la mine de Langer Heinrich ont néanmoins été vendus au chinois CNNC en 2014) et au Malawi et une
participation dans la mine d’Agadez au Niger dont les opérations sont suspendues sine die.
Au-delà de ces grandes compagnies minières, plusieurs acteurs mineurs existent dans le monde
pour la production de minerai d’uranium, qu’il s’agisse d’entreprises occidentales comme l’américain
Heathgate resources actif aux Etats-Unis, ou bien issues de pays émergents comme le sud-africain
JCI Limited, filiale d’AngloAmerican spécialisée dans l’uranium. Ils jouent toutefois un rôle limité au
niveau mondial, se contentant de parts limitées dans les grandes mines, comme certains opérateurs
à l’image de KEPCO, ou possédant des mines de petite ou moyenne envergure.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
13
3. Autres acteurs du cycle de l’uranium
Les fabricants de combustible et entreprises spécialisées dans l’enrichissement jouent un rôle
central entre les miniers et les opérateurs de centrales. C’est dans cette phase que l’uranium se
transforme de commodité minière en matériau énergétique utilisable pour la production électrique.
Outre Areva et Rosatom (TVEL), deux autres entités se partagent la plus grande partie du marché
mondial : Urenco et GNF.
Urenco demeure, après AREVA, le principal acteur européen de la chaîne de valeur de l’uranium. Il
s’agit d’un consortium tri-national anglo-germano-néerlandais dont le siège se situe au Royaume-
Uni. A l’exception de la participation allemande qui se fait au travers d’E.On et RWE, ce sont les
gouvernements des pays respectifs qui possèdent chacun un tiers de l’entreprise. Urenco représente
un acteur particulier en raison de sa tri-nationalité qui peut rassurer un certain nombre de clients,
inquiets de ne dépendre que du bon vouloir d’un gouvernement pour leur approvisionnement en
combustible nucléaire ; l’entreprise fournit ainsi 19 pays en Europe, Amérique et Asie. Urenco
dispose d’usines dans les trois pays depuis 2010, avec la construction d’une usine aux Etats-Unis,
Lousiana Energy Services (en opération depuis 2014), ainsi qu’une participation à 50% (les autres
appartenant à Areva) dans Enrichment Technology Company pour le développement de nouvelles
technologies liées à l’enrichissement d’uranium.
Global Nuclear Fuel (GNF) a été créé en 2000 par GE, Hitachi et Toshiba afin d’offrir des solutions de
combustible nucléaire pour les centrales qu’ils construisent. GNF est l’un des leaders mondiaux de la
fourniture de combustible avec environ 17% du marché. La société se divise en deux, une entité
japonaise (JNF) et une américaine (GNF-A).
KazAtomProm (KAZ) 25%
Cameco (CAN) 16%
ARMZ (RUS) 12%
Areva (FRA) 12% BHP Billiton (AUS)
6%
CNNC et CGN (CHI)
5%
Paladin (AUS) 4%
Navoi (OUZ) 4%
Rio Tinto (AUS) 4%
Autres 12%
Production mondiale d'uranium (2014) ; source : WNA
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
14
Plusieurs autres acteurs sont actifs tant dans l’enrichissement que dans la mise au point des
combustibles pour les différents types de réacteurs (eau légère, eau lourde, etc.). Parmi ceux-ci, la
Chine (CNNC), la Corée du Sud (KNFC) et l’Inde (DAE) manifestent la volonté des nouveaux acteurs
asiatiques de se lancer de plus en plus dans l’ensemble de la chaîne de valeur de l’uranium.
A l’autre bout de la chaîne de valeur se pose la question de la gestion des déchets, de leur stockage
et de leur retraitement. A l’exception des combustibles pour les centrales indiennes à eau lourde et
les centrales anglaises de type Magnox qui sont retraités dans leur pays d’origine, les unités de
retraitement sont très concentrées au niveau mondial. Areva (au travers de l’usine de La Hague) et
Rosatom14 sont les leaders du marché. Les autres capacités de retraitement sont détenues par le
Japon au travers de l’usine de Rokkasho possédée par le gouvernement japonais via JNFL15, et le
Royaume-Uni (Thermal Oxyde Reprocessing Plant) également détenue par le gouvernement
(Nuclear Decommissioning Authority). Ces quatre acteurs produisent également du combustible
MOX pour la réutilisation énergétique des résidus de production.
Figure 5: Savoir-faire technologique de la chaine de valeur par pays
II. Grands pays du nucléaire
Le mirage du nucléaire pour tous est né suite au programme américain Atoms for peace de 195316
puis du Traité de Non-Prolifération (TNP) de 1967, dont l’article IV prévoit un accès facilité aux
technologies civiles pour les pays signataires. Cela n’a cependant pas débouché sur une
généralisation de cette énergie qui est restée, sauf cas exceptionnels comme la France, secondaire.
14
Des usines sont en construction en Russie pour augmenter les capacités nationales ; elles devraient entrer en opération en 2025 et 2028. 15
Cette usine s’est construite en partenariat avec Areva sur le modèle de celle de La Hague. 16
CHEVALLIER J.-M., Les grandes batailles de l’énergie, Paris, Folio Gallimard, 2004, pp. 118 et suivantes.
Maitrise de l'ensemble de la chaine de valeur
•France
•Russie
•Japon
Amont uranium
•Australie
•Canada
•Kazakhstan
•Ouzbékistan
•Afrique du Sud
•Royaume-Uni
•Pays-Bas
•Allemagne
•Etats-Unis
•Chine
•Corée du Sud
•Inde
Construction de réacteurs
•Canada
•Etats-Unis
•Corée du Sud
•Inde
Retraitement du combustible
•Royaume-Uni
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
15
1. Puissances traditionnelles
Pour les vainqueurs diplomatico-militaires de la Seconde Guerre mondiale, la possession de
réacteurs nucléaires et la maîtrise de la chaîne de valeur de l’énergie atomique à des fins civiles et
militaires a été l’un des principaux axes de développement de leur puissance. Les Etats-Unis, en tant
que première puissance nucléaire en termes historiques, ont rapidement fait de l’atome non-
seulement un pilier de leur mix énergétique, mais aussi un des axes de leur diplomatie avec le
programme Atoms for peace.
Aux Etats-Unis, le nucléaire représente, après le gaz et le charbon, le troisième grand pôle de
production électrique avec 19% du mix électrique installé du pays. La grande majorité des
installations de production électrique d’origine nucléaire se retrouve dans la moitié est du pays et
date des années 1960-80 pour la plupart. En effet, durant ces vingt ans, les Etats-Unis vont connaitre
un véritable âge d’or du nucléaire civil jusqu’à l’incident de Three Miles Island en 1979 qui va briser
cet élan. Les projets commencés à cette date sont terminés au début des années 1990, au moment
où passe l’Energy Policy Act de 1992 à la suite duquel le secteur est pratiquement mis en sommeil.
Pendant ce laps de temps, plus de 100 réacteurs ont été construits, ce qui fait des Etats-Unis la
première puissance mondiale en termes de capacité électrique installée nucléaire, avec 99 GW actifs
en 2015. Les réacteurs américains sont principalement issus de la filière à eau-pressurisée et de celle
à eau-bouillante, deux technologies qui ont été exportées auprès des alliés occidentaux et japonais
dans les années 1960. La volonté des administrations Bush et Obama de diminuer la dépendance
des Etats-Unis aux approvisionnements étrangers en matière énergétique et le fait que la
catastrophe de Tchernobyl appartienne désormais au passé amènent à partir de 2005 à une relance
de la filière nucléaire, pour profiter notamment des nouvelles technologies de réacteurs. Cette
même année, l’administration Bush fait passer l’Energy Policy Act qui propose de fortes incitations
fiscales pour la construction de nouveaux réacteurs (crédits d’impôts, prêts garantis, etc.). Alors
qu’une relance massive avait été envisagée en 2008-2009 avant le boom des gaz non-
conventionnels, ce sont finalement deux centrales de deux réacteurs (Vogtle 3 et 4 ainsi que V.C.
Summer 2 et 3) AP1000 qui sont en cours de construction. Ces nouvelles centrales de 2400 MW
chacune devraient donner un nouvel élan au secteur nucléaire national et servir de vitrine
technologique aux AP1000 de Toshiba-Westinghouse, souvent proposés dans le cadre d’appels
d’offres internationaux.
A partir de 1953, les Etats-Unis choisissent de proposer à leurs alliés un accès facilité à la technologie
nucléaire civile, qu’il s’agisse de la filière à eau bouillante ou de celle à eau pressurisée. Le
programme scientifique puis industriel Atoms for peace débouche dès les années 1950 sur la
construction, en Europe, de réacteurs nucléaires de technologie américaine, d’abord en Belgique. De
là nait une forme de mainmise de la part des Etats-Unis et de leurs industriels sur une grande partie
de la filière dans les pays européens et au Japon, notamment sur la question de la technologie des
réacteurs. A l’exception du français Areva – et pendant un temps de l’allemand Siemens qui
coopérait avec Areva jusqu’en 2010 – ces pays doivent faire appel aux entreprises américaines quitte
à s’allier avec elles comme Toshiba rachetant Westinghouse ou Hitachi créant une joint-venture avec
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
16
GE. Dans le cadre de la relance du programme nucléaire américain, Washington a renouvelé un
mécanisme de coopération en 2006, le Global Nuclear Energy Partnership, devenu depuis
International Framework for Nuclear Energy Cooperation (IFNEC). L’IFNEC est depuis 2015 sous la
tutelle de l’OCDE et rassemble 33 pays membres dont les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la France, le
Royaume-Uni, et 31 observateurs17 dans le but de coopérer sur le développement de nouvelles
technologies du nucléaire civil. Le cadre de coopération nucléaire bilatéral avec les Etats-Unis est
relativement strict puisqu’il nécessite la signature d’un accord interétatique dit « accord 123 » au
titre de l’US Atomic Energy Act.
Le Japon quant à lui a connu un grand essor du nucléaire à la même époque que les Etats-Unis avec
l’installation de nombreuses centrales (43 réacteurs potentiellement opérationnels en 2015 sur plus
de 50 construits au total) qui palliaient à sa faiblesse endémique en ressources. La question toujours
complexe du nucléaire militaire combinée à partir de 1986 à la catastrophe de Tchernobyl a, là aussi,
entrainé une mise en sommeil du développement de nouveau réacteurs. Au cours des années 2000,
une nouvelle politique de relance du nucléaire est portée par les autorités, dans le sillage des Etats-
Unis, et doit en théorie amener 40% de nucléaire dans le mix électrique national. Toutefois, la
catastrophe de Fukushima en 2011 vient couper brutalement ce nouvel élan. Les centrales sont
mises à l’arrêt en attente de l’évaluation de leur dangerosité et elles commencent doucement à
redémarrer en 2015 avec moins de 2% de l’électricité japonaise produite grâce au nucléaire en 2014.
Le nucléaire représente toutefois un savoir-faire industriel majeur d’un pays qui est, de plus, quasi-
totalement dépendant des ressources extérieures pour ses approvisionnements énergétiques. En ce
sens, l’administration Abe tente de remettre la filière nucléaire en état de compétitivité
internationale et d’efficience nationale
La France est le second grand pays nucléaire occidental et le seul au monde où l’électricité d’origine
nucléaire est largement majoritaire dans le mix national (environ 75%). Après avoir longtemps été
dépendant des Etats-Unis pour la technologie des réacteurs, la France a choisi dans les années 1970
la voie de l’indépendance technologique avec la création d’une filière nationale intégrée. Celle-ci a
d’abord été éclatée avec plusieurs entités spécialisées sur des segments particuliers de la chaîne
(Framatome, Eurodif, Cogema), avant la fusion de celles-ci dans Areva au début des années 2000.
Toutefois la déconnexion entre l’entreprise qui maitrise le cycle de l’uranium et construit les
centrales (Areva) et celle qui les opère (EDF) crée une dichotomie technologico-économique18
dommageable pour les engagements internationaux. Les 58 réacteurs français en opération ainsi
que le savoir-faire des entreprises nationales sur l’ensemble de la chaîne de valeur sont un atout
indéniable, même si les retards à répétition du projet EPR de Flamanville ont précipité une
réorganisation de la filière réacteurs sous la bannière d’EDF au détriment de l’option « acteur
intégré » Areva. Le débat sur la transition énergétique en France qui prévoit une diminution de la
part nucléaire dans le mix électrique de 75 à 50% pourrait se révéler dommageable pour la filière,
même si, compte tenu de l’âge de certaines centrales comme Fessenheim, de nouvelles unités
devront être construites. Les scénarios de l’ANCRE prévoient des trajectoires différenciées pour le
nucléaire, surtout en regard de la récupération possible de la chaleur émise par les centrales qui les
17
http://www.ifnec.org/About/Membership.aspx 18
Surtout que l’autre grand électricien français, Engie, est lui aussi un acteur du nucléaire dans plusieurs pays (Royaume-Uni, Belgique, Turquie, etc.).
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
17
transforme en unités de cogénération19. Les différents scénarios prévoient tous une diminution de la
part du nucléaire en France, l’ADEME confirme cette vision dans ses prévisions, envisageant une
part du nucléaire dans le mix électrique à 48% en 2030 et entre 50 et 18% en 205020. Les coûts de
maintien du parc actuel s’avèrent importants puisqu’évalués par la Cour des comptes à 58 Mds EUR
d’ici 2030, sans compter les coûts de construction d’éventuelles nouvelles centrales (3,7 millions EUR
par MW si l’on se fonde sur les coûts de l’EPR de Flamanville) qui dépendront de la prolongation ou
non de la vie du parc existant21.
Dernière des grandes puissances traditionnelles du nucléaire, la Russie a su développer une voie
originale depuis la Guerre froide. Il s’est organisé en URSS une science nucléaire théorique amenant
à des applications pratiques avant tout orientées dans le domaine militaire et, de manière
secondaire, vers la production d’énergie civile. Le nucléaire militaire constituait un des pôles majeurs
de puissance de l’URSS que ce soit au niveau des armes nucléaires ou dans celui de la production de
réacteurs destinés aux sous-marins. Le soutien international aux pays alignés sur l’URSS passait
également par la fourniture de solutions nucléaires civiles, notamment pour se positionner en miroir
du programme américain Atoms for peace.
Après Tchernobyl, le secteur est mis en sommeil, même si les réacteurs déjà en construction sont
terminés au cours des années 1990. L’abandon de la filière RBMK jugée trop dangereuse, le
recentrage sur la filière à eau pressurisée (VVER) et les nombreux investissements ont amené à une
réorganisation du secteur en Russie sous l’égide de V. Poutine. Avec la création de Rosatom et le
plan de développement nucléaire en cours, où neuf nouvelles unités sont en construction, la Russie
espère de devenir le champion incontesté du nucléaire civil. L’augmentation de la part du nucléaire
dans la production électrique amène à réduire la part des hydrocarbures fossiles et permet à Moscou
de se positionner vis-à-vis des engagements climatiques de manière plus sereine qu’il y a quelques
années22. 34 réacteurs sont actuellement en service en Russie, faisant du pays le troisième en
capacité installée.
2. Pays émergents
La Chine s’affirme depuis quelques années comme l’un des principaux pays pour le développement
du nucléaire civil. Le nucléaire représente une part très marginale de la production électrique (2% du
mix installé) mais se positionne comme l’une des solutions de choix qui puisse combiner le
développement en masse des capacités de production avec une stabilité des prix relative et des
émissions de gaz à effet de serre très réduites. La Chine est donc l’un des pays où le nucléaire devrait
connaitre les plus importants développements, autant au niveau des capacités installées que du
savoir-faire technologique. Le pays dispose à l’heure actuelle de 17 GW de capacité nucléaire et table
sur une puissance installée de 250 GW en 2050, ce qui en ferait la première puissance nucléaire du
monde.
19
http://scenarios.allianceenergie.fr/?app=ancre&ID_View=scenario-descriptor 20
ADEME (2013), Contribution de l’ADEME à l’élaboration des visions énergétiques 2030-2050, Paris. 21
COUR DES COMPTES (2012), Les coûts de la filière électronucléaire, Paris. 22
Même si la Russie bénéficie au titre de Kyoto de sa désindustrialisation des années 1990.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
18
La Chine s’est d’abord appuyée sur le savoir-faire de la France et du Canada pour ses premiers
réacteurs entrés en opération dans les années 1990. Depuis le début des années 2000 toutefois, le
pays tente de plus en plus de se reposer sur des solutions technologiques nationales. CNNC, la
principale structure nucléaire chinoise développe depuis les années 2000 avec Areva et
Westinghouse une famille technologique nationale à eau pressurisée, les CNP-300, 600 et 1000
(avec des variantes nommées ACP300, 600 et 1000). Ces réacteurs nationaux constituent la plus
grande part des unités en production en Chine à l’heure actuelle et sont de plus en plus proposées à
l’international.
La Chine a choisi de tester sur son sol l’ensemble des technologies de génération III+ à eau
pressurisée et a commandé des centrales EPR à Areva (Taishan 1 et 2), AP1000 à Toshiba-
Westinghouse (Sanmen et Haiyang) et VVER-1000 à Rosatom, à chaque fois en partenariat avec un
acteur local. Le benchmark ainsi opéré en grandeur nature permettra à Pékin de sélectionner les
technologies les plus adaptées selon les conditions particulières de chaque région et aux acteurs
nucléaires chinois de bénéficier de transferts de savoir-faire ou de technologie. La coopération entre
Westinghouse et SNPTC est déjà en cours pour le développement d’un réacteur fondé sur la
technologie de l’AP1000, le CAP1400.
La problématique du nucléaire indien se place dans une double optique. D’un côté, la nécessité pour
le pays d’assurer sa propre sécurité face à des voisins agressifs ou nucléarisés (Chine, Pakistan) l’ont
amené très tôt à envisager le nucléaire militaire comme un choix quasi-obligatoire. De l’autre, dans
une perspective plus récente, l’Inde a besoin d’assurer des conditions de croissance économique et
démographique optimales dans un pays où le niveau des infrastructures reste dramatiquement
faible23. C’est ce double héritage qui a poussé New Delhi à se positionner comme un acteur en retrait
mais non négligeable du nucléaire.
Le développement du secteur nucléaire en Inde est avant tout passé par le déploiement de réacteurs
à eau lourde fondés sur le modèle Candu qui équipent les centrales de Kaiga, Kakrapar, Kalpakkam,
Tarapur, Narora et Rhawatbatha. Ces derniers ont la particularité de pouvoir fonctionner avec un
uranium très peu enrichi voire natif, ce qui a permis à l’Inde de se reposer sur ses propres réserves
nationales. Toutefois cette politique nucléaire pose problème puisqu’à l’heure actuelle, malgré les
quelques 4 GW de puissance installés, seule la moitié fonctionne réellement par intermittence, la
faute justement à un approvisionnement en uranium défaillant24.
Le plan de développement énergétique de l’Inde pour les prochaines décennies est extrêmement
ambitieux. Il prévoir notamment une augmentation de la capacité installée de 148 GW en 2006
jusqu’à 1344 GW en 2050 ; cela s’explique notamment par la volonté de développer la production
électrique de 1000 KWh par tête en 2012 à 5300 en 205025. Le désir des autorités du pays est
d’aboutir à une part du nucléaire proche de 25% dans le mix électrique. Toutefois les projections de
23
40% de la population n’est pas reliée au réseau électrique. 24
DADWAL S., « India's Energy Security: Challenges and Opportunities », Eurasian Geography and Economics, vol. 50, n°6, 2009, pp. 665-681. 25
Plan de développement électrique du Département de l’énergie nucléaire ; disponible à l’adresse : http://dae.nic.in/?q=node/105; consulté le 20/02/2014.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
19
l’Agence Internationale de l’Energie se montrent bien moins optimistes avec surtout la mise en
avant du coût pour l’Inde d’une telle transition énergétique, estimé à plus de 1250 milliards USD26.
La Corée du Sud est le troisième grand émergent du nucléaire. Le pays se lance depuis quelques
années dans les technologies liées à l’énergie pour réduire sa dépendance aux approvisionnements
extérieurs. Dans ce cadre, le nucléaire est l’une des solutions privilégiées par Séoul qui a su aider le
développement d’une filière nationale originale. Le pays connait une vague d’installations de
nouvelles centrales depuis le milieu des années 1980 avec 24 réacteurs en opération, la majorité
étant des réacteurs à eau pressurisée Westinghouse et quelques réacteurs à eau lourde Candu. La
Corée du Sud a su s’imposer ces dernières années comme un nouvel acteur des solutions nucléaires,
avec la création, sur une base technologique américaine, d’une filière de réacteurs à eau pressurisée,
OPR-1000 tout d’abord puis APR-1400. L’opérateur national se déploie de plus en plus sur les
marchés extérieurs comme en témoigne le succès de l’appel d’offres d’Abu Dhabi en 2010 remporté
face à Areva/EDF.
3. Autres
De nombreux pays se positionnent vis-à-vis des questions nucléaires, la plupart du temps de
manière positive. A l’exception de l’Allemagne qui a annoncé sa sortie anticipée du nucléaire et de la
Suisse et de l’Italie qui ont prolongé leur moratoire sur ces questions, de nombreux pays européens
comptent sur le maintien voire le développement de leur secteur nucléaire, principalement à l’Est.
Le Royaume-Uni fait figure quant à lui de pays à part dans ce panorama. Alors que les Britanniques
étaient parmi les pays en pointe sur les questions de nucléaire civil – et militaire – jusque dans les
années 1990, l’arrêt du programme national qui avait pourtant permis la création de technologies
originales comme les AGR et Magnox (réacteurs à gaz), a entrainé la baisse progressive de la part du
nucléaire dans la production d’électricité. Toutefois en 2015 le gouvernement a décidé de mettre à
nouveau l’accent sur le nucléaire pour être en mesure d’atteindre les objectifs climatiques fixés au
niveau européen, avec le recours à des réacteurs de technologie étrangère (EPR, AP1000, ESBWR).
L’accord signé entre le gouvernement britannique et EDF pour la centrale d’Hinkley Point en 2015
inaugure également une forme inédite de coopération, puisqu’outre l’entreprise française, les
chinois CNNC et CGN participeront au projet27. Cette intégration dans le consortium de la centrale
d’Hinkley Point qui se fait pour des raisons purement économiques, leur ouvre la voie pour le
management de projets internationaux dans le futur. Le Royaume-Uni devrait donc connaitre une
certaine renaissance du nucléaire, d’autant plus que le pays maitrise l’ensemble de la chaine de
valeur de l’uranium mais en s’appuyant sur des partenaires étrangers, notamment pour des
questions de financement, ce qui constitue néanmoins un risque pour l’indépendance technologique
du pays.
De nombreux pays se positionnent également comme primo-accédant déclarés ou potentiels. La
Turquie a effectué un choix décisif avec la volonté de construire deux centrales, Akkuyu confiée au
26
Agence internationale de l’énergie, World Energy Outlook 2007, Paris, OCDE, 2008, pp. 129-130. 27
http://www.ft.com/intl/cms/s/0/d96226f2-76a7-11e5-a95a-27d368e1ddf7.html
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
20
russe Rosatom avec, pour la première fois, un contrat BOO et Sinop, remportée par un consortium
GDF-SUEZ (désormais Engie) – Mitsubishi Heavy Industries. Alors que le nucléaire devait permettre
à la Turquie de diversifier son mix énergétique, le choix de la Russie comme premier partenaire
aboutit plutôt à un renforcement de la dépendance vis-à-vis de ce pays.
Les pays du Proche et du Moyen-Orient se tournent de plus en plus vers le nucléaire pour des
questions de diversification de leur mix énergétique ou d’augmentation de l’approvisionnement
énergétique (pour le dessalement de l’eau de mer en particulier). Si l’Iran a fait figure de pionnier
avec un programme démarré sous le Shah et poursuivi avec un soutien technique de la Russie,
d’autres pays comme les Emirats Arabes Unis, la Jordanie ou, en prospective, l’Arabie Saoudite font
le choix du nucléaire. Il s’agit souvent de contrats importants comme en témoigne celui d’Abu Dhabi
de 2010 remporté par le coréen Kepco, portant sur 4 réacteurs de 1000 MW. Les pays de la région
poursuivent une politique d’accords tous azimuts, comme dans le cas de l’Arabie Saoudite qui
multiplie les partenaires, y compris la Chine.
III. Acteurs multilatéraux
La principale organisation transverse dédiée au nucléaire civil est l’AIEA qui se trouve sous égide de
l’ONU. Cette organisation est particulièrement active dans deux domaines. Le premier, et le plus
important, est celui de la sûreté où l’AIEA sert de forum de coopération à des nombreux pays,
émettant des normes. Plusieurs traités existants permettent de disposer de processus communs en
termes de seuils d’alerte, de coopération transnationale ou de standards de sûreté à mettre en
œuvre. Après d’intenses négociations, la Convention sur la notification rapide des accidents et la
Convention sur l’assistance voient le jour ; le régime de la sûreté est établi en 1994 avec la
Convention sur la Sûreté nucléaire. Cette dernière est révisée périodiquement avec le concours des
Etats signataires. Signalons en outre la Conventions sur la Sûreté nucléaire de 1994 ainsi que la
Convention commune sur la gestion des déchets signée en 2001.
L’autre grand domaine d’action de l’AIEA est la coopération pour le développement de capacités
dans les pays technologiquement moins avancés. A ce titre, l’agence onusienne finance et organise
le développement technologique de l’extraction en Afrique au travers du programme Strengthening
Regional Capabilities for Uranium Mining, Milling and Regulation of Related Activities, actif de 2009 à
2013. Cela permet aux compagnies minières et aux Etats d’Afrique d’être un peu moins dépendants
des grandes entités transnationales du Nord. En outre, l’AIEA joue un rôle actif dans le respect des
engagements du Traité de Non-Prolifération. Ces dernières années, l’AIEA s’est principalement
impliquée vis-à-vis de l’Iran, soupçonné de chercher à acquérir une capacité nucléaire militaire avec
l’aide de la Russie, en contradiction avec les engagements pris.
Le Groupe des Fournisseurs Nucléaires (GFN) est un forum multinational de pays détenteurs des
technologies en termes de réacteurs et de combustibles. Il a été créé par les principaux pays
nucléaires pour éviter une prolifération des technologies « militarisables » et s’appuie sur le TNP.
Une des principales explications du retard de l’Inde en matière technologique et de sa voie
particulière tient à l’embargo imposé par le GFN suite aux essais militaires nationaux.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
21
L’International Framework for Nuclear Energy Cooperation (IFNEC ancien GNEP28) est lui aussi un
forum multilatéral de coopération, regroupant de nombreux pays et organisations. Initié par les
Etats-Unis, il devient à partir de 2010 beaucoup plus international quand le Department of Energy
(DoE) s’en retire. L’IFNEC est l’un des principaux forums de coopération multinationaux et multi-
acteurs puisque l’AIEA en est membre, permettant l’accès progressif des pays primo-accédant aux
technologies du nucléaire, en partie par la formation et la transmission de bonnes pratiques.
D’autres associations existent au niveau professionnel, comme le WANO (World Association of
Nuclear Operators) ou la WNA (World Nuclear Association) qui permettent des retours d’expérience
entre opérateurs pour les questions de sûreté principalement et produisent des statistiques. Il s’agit
là, contrairement aux acteurs multinationaux précités, de réunions d’entreprises (publiques et
privées) qui cherchent à agir comme des associations professionnelles, voire des lobbies.
Développements en cours ou en projet
I. Nouvelles technologies de réacteurs
1. Génération IV
A l’horizon 2030, certaines technologies de réacteurs appartenant à la quatrième génération de
ceux-ci devraient arriver sur le marché et être disponibles pour certains pays. Les réacteurs de
génération IV qui présentent des évolutions significatives par rapport à ceux des générations
précédentes devraient permettre une meilleure gestion amont et aval du combustible et offrir une
sûreté renforcée de fonctionnement. Une grande variété de familles technologiques (six au total)
appartient à cette génération de réacteurs avec des recherches entreprises pour les développer
depuis le début des années 2000. L’une des particularités de certaines de ces filières est de
permettre l’utilisation de thorium comme combustible, en l’associant avec d’autres éléments
comme l’uranium ou le plutonium. Il s’agit des réacteurs à sels fondus (MSR pour Molten Salt
Reactor) et des différents types de réacteurs à neutrons rapides. D’autres types de combustibles
comme le TRISO29 pourraient également être utilisés dans certaines centrales.
Le Forum International Generation IV (GIF) a été créé au début des années 2000 suite à une initiative
des Etats-Unis pour développer la coopération internationale sur ces nouvelles technologies. Il
réunit aujourd’hui de nombreux pays (12 + l’Union européenne) dont les Etats-Unis, la Russie, la
Chine, la France et la Corée du Sud autour des questions de coopération tant scientifiques que
technologiques pour la création de centrales de nouvelle génération. Le GIF s’avère un succès
certain puisque les accords de coopération le sous-tendant ont été renouvelés en 2015 pour une
28
Voir supra. 29
Voir infra.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
22
durée de 10 ans ; il est partiellement sous égide de l’Agence pour l’Energie Nucléaire (NEA) de
l’OCDE.
Toutefois, des dissensions existent parfois quant à la voie technologique à suivre. Au niveau de
l’Union européenne par exemple, aucune décision n’a été prise quant à l’option à privilégier et des
projets de recherche s’orientent dans plusieurs directions30. Les deux principales sont les réacteurs à
très haute température (VHTR pour Very High Temperature Reactor) avec le projet RAPHAEL
achevé en 2010-201131 et les réacteurs refroidis au sodium (SFR pour Sodium-cooled Fast Reactor)
avec le projet ASTRID porté par la France. Ces deux technologies sont les plus avancées en termes
industriels, la technologie SFR ayant d’ailleurs donné lieu par le passé à différents essais
technologiques en Europe (Phénix, Superphénix, Dounreay) au Japon, aux Etats-Unis ou en Russie.
L’état de la coopération technologique montre ainsi qu’il est rare pour un pays de réellement
privilégier une seule filière. 32 La plupart participent aux recherches dans tout le spectre
technologique, au risque de saupoudrer leurs financements33.
Il est peu probable néanmoins qu’une des 6 technologies mentionnées soit pleinement mature en
2030. Toutefois certaines d’entre-elles, plus probablement les SFR et VHTR voire LFR devraient
s’approcher de ce seuil critique, sachant que le GIF accuse un certain retard par rapport à ce qui avait
prévu lors de la feuille de route. Toutefois il est probable qu’aucune de ces technologies ne soit
mature avant 2040 voire 2050.
Figure 6: Différence de maturité entre les filières de génération IV ; source : GIF Roadmap 2014.
30
http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-07-493_en.htm 31
http://www.irsn.fr/FR/Larecherche/Organisation/Programmes/RAPHAEL/Pages/Le-projet-RAPHAEL-5197.aspx#.Vijy9ys-2Vo 32
Même si la France et la Russie semblent clairement s’orienter vers les réacteurs SFR avec l’ASTRID français et la famille technologique BN en Russie. 33
Voir annexe.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
23
2. Autres technologies
1. Génération III +
Au-delà des différentes options technologiques ouvertes pour les réacteurs de génération IV, force
est de constater qu’à l’heure actuelle les réacteurs de génération III+ sont encore en développement.
Les grands constructeurs de réacteurs proposent ainsi tous des solutions de ce type, destinées à
devenir d’ici la fin de la décennie, les nouveaux fleurons technologiques mondiaux. Les principales
solutions sont l’EPR Areva, l’AP1000 Toshiba-Westinghouse et le VVER-1000/1200/NPP-2006
Rosatom dont une première unité est en construction dans le monde (France, Finlande et Chine pour
l’EPR, Chine et Etats-Unis pour l’AP1000, etc.). D’autres acteurs comme Candu (APR-1000) ou GE-
Hitachi (ABWR et ESBWR) proposent également des unités de génération III+ mais apparaissent plus
comme des compétiteurs secondaires, les principales demandes se faisant sur des réacteurs à eau
pressurisée de grande puissance (plus de 1200 MW installés). Cela permettra en outre dans un
certain nombre de pays comme la Russie de fermer des unités de générations anciennes ou de
technologies peu sures (RBMK).
Si elle ne modifie pas radicalement le mode de fonctionnement des unités en service actuellement,
la génération III+ offre néanmoins davantage de sûreté à ses opérateurs et diminue le nombre de
déchets produits, ce qui constitue une avancée notable pour les deux principales problématiques
nucléaires. Toutefois la complexité de construction de ces réacteurs les rend plus long à construite et
donc à entrer en service avec, parfois, des surprises désagréables comme c’est le cas pour les EPR de
Flamanville et d’Olkiluoto. La plupart des premières unités de génération III + devraient entrer en
fonction d’ici la fin de la décennie (2017 pour les AP1000 de Vogtle aux Etats-Unis). Ces premières
unités seront décisives pour l’avenir de chacune des filières technologiques envisagées, les retards
des EPR ayant, partiellement, été à l’origine des graves difficultés d’Areva et de l’entrée d’EDF dans
la partie construction de réacteurs de la société française.
2. Autres solutions
D’autres technologies sont également en cours de développement pour répondre à des besoins
particuliers. A ce titre, la technologie russe de « réacteurs flottants », pourrait offrir des solutions
intéressantes pour les pays ou les régions disposant d’une façade maritime et désireux de disposer
d’une puissance d’appoint. Ces réacteurs se fondent sur une des particularités de Rosatom, celle
d’englober en son sein l’ensemble des acteurs du nucléaire russe, y compris les brise-glaces de
l’Arctique. Les « centrales flottantes » KLT 40-S seraient ainsi des modifications de ce type de
navires pour y inclure deux réacteurs de puissance limités de 35MW chacun.
De nombreuses autres solutions limitées en termes de puissance existent. Ce sont principalement
les réacteurs dits de recherche dont la puissance installée ne dépasse pas les quelques dizaines de
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
24
MW électriques. Ils sont principalement utilisés pour le développement à grande échelle des futures
technologies ainsi que pour la recherche fondamentale. Plus d’une cinquantaine de pays disposent
ainsi de ces réacteurs sans forcément chercher à se développer dans la production électrique à
grande échelle. Les petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactor, SMR) qui devraient être dès
2016 permettraient aussi de disposer d’une puissance installée limitée pour des régions aux faibles
besoins par exemple34, mais surtout de mettre en pratique une conception et un déploiement
modulaire, potentiellement utile pour des installations plus importantes dans le futur.
II. Avancées dans l’amont du cycle de l’uranium
1. Nouveaux projets miniers d’uranium
En 2014, les ressources prouvées et probables d’uranium extractibles à des coûts raisonnables
(inférieurs à 260 USD/Kg) s’établissent à environ 7 235 600 tonnes. Entre 2011 et 2014 les
changements intervenus dans les estimations des ressources d’uranium ont surtout eu lieu dans les
catégories minières les plus chères (plus de 80 à plus de 160 USD/Kg) mettant en avant les surcoûts
nécessaires pour l’extraction d’uranium dans les futures années. Un certain nombre de pays ont ainsi
vu leurs estimations de ressources augmenter, notamment la Mongolie, le Kazakhstan, le Danemark
(Groenland), la République Tchèque et l’Afrique du Sud35.
Figure 7: Dépenses en E&P d'uranium ; source : OCDE (NEA).
34
La désalinisation d’eau de mer est un marché porteur pour les SMR dans le golfe Persique par exemple. 35
D’autres pays disposeraient quant à eux de réserves possibles à l’estimation particulièrement complexe. Citons, outre les pays miniers traditionnels, la Colombie, le Venezuela et le Vietnam.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
25
Dans ce contexte, divers pays pourraient devenir des fournisseurs importants ou d’appoint,
complétant l’offre actuelle d’uranium. En 2013, le gouvernement du Groenland a ainsi levé le
moratoire sur l’exploitation des matériaux radioactifs, ouvrant la voie à une possible ouverture de
mines d’uranium ou de thorium. Les dépenses concernant l’exploration-production d’uranium n’ont
cessé d’augmenter jusqu’en 2013, signe de la volonté d’identifier et de mettre en production de
nouvelles ressources de minerai.
Dans le cadre d’une éventuelle remontée des cours miniers d’ici à 2030, une reprise des
investissements, en baisse depuis 2013, serait à prévoir. Si l’engouement international pour le
nucléaire ne se dément pas, il devrait également provoquer l’ouverture de nouvelles unités de
production.
Dans ce cadre, deux cas de figure se profilent. D’une part, l’ouverture de nouvelles mines dans des
pays déjà traditionnellement riches en uranium comme le Canada ou le Niger serait à prévoir. La
compétition accrue entre les acteurs purement miniers et les énergéticiens spécialistes devrait
s’accroître, surtout avec la montée en puissance des émergents. La compétition entre Areva et
CNNC au Niger, où l’entreprise chinoise dispose depuis 2011 de la mine d’Azelik est révélatrice de ce
genre d’évolutions36. Les pays les plus exposés à cette hypercompétition seraient ceux ne disposant
pas d’acteurs miniers nationaux et regardant la rente issue de l’uranium avant tout comme la source
principale de leur financement ; à savoir le Niger, la Namibie voire la Tanzanie.
L’autre grand cas de figure serait l’entrée d’un pays sur le marché mondial de l’uranium comme
acteur important, bien qu’il ne soit qu’un pays secondaire ou qu’il n’exploite pas du tout ses
ressources. Dans ce cadre le pays en question deviendrait immédiatement une zone de compétition
forte pour les acteurs internationaux ce qui pourrait entrainer un afflux de richesses mais aussi des
déstabilisations politiques à plus ou moins long terme. Se trouveraient dans ce cadre la Mongolie, le
Botswana, le Danemark (Groenland), la Jordanie voire la Colombie.
2. Mines d’autres combustibles
Les principales avancées dans les autres types de combustibles devraient se faire vis-à-vis du
thorium 233. Ce dernier élément naturel est plus abondant que l’uranium sur Terre ; de trois à cinq
fois plus. Le thorium 233 est moins énergétique que l’uranium 235, aussi il ne peut constituer une
totale alternative à ce dernier. Toutefois, des solutions sont développées pour intégrer plus avant
cet élément au sein du combustible afin d’élargir les sources d’approvisionnement en matières
fissibles ainsi que d’augmenter la durée d’exploitation des gisements d’uranium actuels.
36
Il est très fortement probable que ce soit en grande partie la poussée chinoise dans le pays qui ait amené à une renégociation bien plus serrée des contrats d’Areva pour les mines de la Cominak et de la Somaïr.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
26
Le thorium n’est pour l’instant pas exploité pour lui-même, mais il est possible d’en trouver dans des
dépôts miniers en exploitation ou en projet comme celui de Nolans Bore en Australie qui contient
également des terres rares37.
3. Enrichissement / combustible
Dans l’aspect du combustible, certaines avancées, notamment dues aux réacteurs de génération IV,
devraient permettre l’utilisation de nouvelles ressources38. Les technologies d’enrichissement par
laser qui viendraient en soutien des technologies à gaz devraient permettre, si elles sont
économiquement rentables, de développer une nouvelle filière pour la création de combustible
nucléaire. Le TRISO39 et le QUADRISO pour les réacteurs à très haute température notamment
pourraient représenter des avancées notables en ce qui concerne les résidus de fission et la sureté
des installations. Le cas du MOX est particulier puisque les réacteurs à neutrons rapides ont
l’avantage de dégrader entièrement le plutonium, limitant ainsi très fortement les déchets associés
avec ce type de combustible. Ici aussi, les technologies de génération IV permettraient de réduire la
masse de déchets produits et ainsi de rendre plus complexe la prolifération par l’utilisation des
produits de la réaction.
De la même manière, des efforts sont entrepris pour la valorisation accrue des combustibles. Une
coopération entre Candu et CNNC existe depuis 2008 pour développer de nouvelles manières
d’utiliser des résidus de fission et du thorium dans les réacteurs Candu chinois. La coopération sur le
développement de nouveaux types de combustibles est l’une des principales voies d’amélioration de
la performance environnementale des centrales nucléaires.
III. Avancées dans l’aval du cycle de l’uranium
1. Retraitement
L’augmentation du nombre de réacteurs en service a nécessairement un impact sur la question des
déchets nucléaires. En 2014, environ 11 000 tonnes de combustible usé sont produites dans le
monde.
37
Le thorium est souvent associé à ces dernières comme dans les extractions de la mine de Steenkampskraal en Afrique du Sud ouverte de 1950 à 1963. 38
Les différents types de réacteurs de génération IV devraient utiliser une palette assez vaste de combustibles ; seuls certains sont ici mis en avant. 39
https://www.gen-4.org/gif/jcms/c_60839/latest-progress-in-the-development-of-vhtr-triso-fuel
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
27
Au niveau européen des programmes de recherche (notamment du 7e Programme Euratom),
certaines technologies sont développées, en particulier celles de partition et transmutation40. Ces
technologies permettraient de mieux isoler chacun des composants du combustible usé pour
adapter les traitements et les différents types de stockage à chacun des matériaux ainsi séparés.
Figure 8 : Processus de retraitement ; source : Japan Atomic Energy Agency.
2. Enfouissement
Les recherches européennes sur les questions liées à l’enfouissement des déchets nucléaires
devraient déboucher dans les années 2020 sur la mise en service de centres de stockage souterrains.
La Suède qui s’affirme comme un pays pionnier en la matière construit un centre d’enfouissement
profond à Forsmark qui devrait être terminé d’ici la fin de la décennie et entrer en opération
commerciale avant la fin de la suivante après de longs tests. La France est également pionnière en
ce domaine pour disposer de l’ensemble des capacités tout au long de la chaine de valeur de
l’uranium.
De nombreux pays envisagent ainsi la question de l’enfouissement des déchets de longue-durée à
l’instar de la France, et d’autres pays européens comme le Royaume-Uni, mais aussi des Etats-Unis
et du Canada.
40
http://ec.europa.eu/research/energy/fission/microscope/disposal/index_en.htm
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
28
Indicateurs
I. Disponibilité et prix de l’uranium
La volatilité des cours mondiaux de l’uranium est ainsi l’une des principales craintes des pays primo-
accédant à la technologie nucléaire. Le marché de l’uranium est différent par essence de celui du
pétrole ou du gaz par son côté éminemment stratégique et surveillé, alors même qu’il reste une
matière première minière. Sa nature même le rend ainsi très complexe à anticiper, puisque qu’il peut
subir de brusques évolutions41. La différence entre les prix sur le marché spot extrêmement volatils
et les prix sur le marché de long terme, lui-même sujet à d’importantes variations42, est finalement
relativement peu importante sauf dans des cas de brusque hausse de la demande comme en 2007-
200843.
Au vu de l’évolution probable du secteur nucléaire, les projections de la demande mondiale en
uranium en 2035 évoluent entre 97 645 t et 136 385 t soit un indice oscillant entre 150 et 209 en base
100 par rapport à 2011. Il en résulte une évolution des cours de l’uranium à la hausse avec un
quintuplement des prix du kilogramme d’uranium naturel entre 2001 et 2011 et une projection de
hausse constante, voire s’accélérant, avec le développement de nouvelles centrales partout dans le
monde d’ici à 2030-2035. Le positionnement d’Atomenergoprom - via la filiale minière ARMZ
présente en Russie, au Kazakhstan, en Tanzanie et aux Etats-Unis et la filiale de vente de
combustible TENEX implantée au Japon, aux Etats-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni et en
Corée du Sud – est idéal sur le marché. En contrôlant de nombreuses mines, Atomenergoprom est
l’un des leaders mondiaux de l’exploitation d’uranium – dont le traitement est opéré en Russie par la
filiale TVEL – et dispose de tous les circuits de distribution internationaux. C’est également une
grande force de la Russie de disposer d’un modèle d’intégration verticale Rosatom-
Atomenergoprom qui permet d’offrir aux futurs clients l’assurance d’une fourniture pérenne de
combustible pour les centrales. Areva se positionne également sur ce créneau, même si le
découplage de la partie construction de réacteurs du reste de l’entreprise pourrait limiter cet aspect
verticalement intégré pour l’entreprise française.
Les contraintes environnementales et celles liées à l’image, dégradée, de la technologie nucléaire
devraient également jouer sur la question de la disponibilité et des prix de l’uranium. Les ONG
s’attaquent ainsi de plus en plus aux grandes entreprises du secteur, y compris sur la partie minière.
Areva a d’ailleurs été la cible de plusieurs ONG dont Oxfam pour son action au Niger en 2013, Rio
Tinto a été mise en cause en Namibie par l’ONG Labour Resource and Research Institute en 2009,
etc.
41
DU CASTEL V., « Les problématiques énergétiques, enjeu de déstabilisation ? L'exemple du nucléaire », Revue internationale d'intelligence économique, 2010/2 vol. 2, pp. 263-275. 42
CHALMIN P. (dir.), Les marchés mondiaux 2012, Paris, Economica, 2012, pp. 600-601. 43
AIEA-OCDE, Uranium 2011, op. cit., p. 114.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
29
II. Structure de la concurrence
Le secteur du nucléaire a connu depuis les années 1960 jusqu’aux années 2000 une certaine
concentration des entreprises proposant aussi bien des réacteurs que la fourniture de combustible.
A partir de la décennie 2000 toutefois, une certaine diversification a émergé avec l’entrée sur le
marché international du coréen Kepco et de ses réacteurs APR-1400. Certes, ces derniers sont en
grande partie issus d’une technologie américaine Westinghouse, mais il est toutefois important de
noter que Kepco, suite à sa victoire dans l’appel d’offres d’Abu Dhabi en 2010, se positionne comme
un nouvel acteur sur les marchés étrangers. Néanmoins, eu égard à la taille réduite de Kepco et à sa
dépendance technologique toujours présente en partie, l’acteur sud-coréen devrait rester un
compétiteur secondaire comme peut l’être aujourd’hui le canadien Candu.
La principale hypothèse concernant l’évolution de la concurrence dans le secteur des réacteurs
concerne plutôt la Chine. Après avoir passé plusieurs décennies à développer des solutions
nationales (familles CNP et ACP), les entreprises d’Etat CNNC et CGN ont développé leur structure
commerciale. CNNC a introduit en bourse une filiale en mai 2015 (China National Nuclear Power) de
la même manière que les pétroliers d’Etat avaient créé des filiales internationales cotées44 pour
s’internationaliser. Ceci pourrait être la première étape au développement à l’étranger de
l’entreprise d’Etat qui a signé (avec l’autre entreprise chinoise du nucléaire CGN) un accord avec EDF
pour la construction de l’EPR britannique d’Hinkley Point45. Bénéficiant depuis plusieurs années de
coopérations technologiques avec les grandes entreprises étrangères et de la construction en Chine
(avec des partenariats avec les entreprises locales) de réacteurs de génération III+ (EPR Areva,
VVER-1000 Rosatom et AP1000 Toshiba-Westinghouse), CNNC dispose de nombreuses possibilités
pour améliorer ses connaissances technologiques. La maturité éventuelle d’un réacteur de
conception partiellement chinoise à l’horizon 2030, dans l’optique de ventes à l’étranger, est à
prendre en compte pour évaluer l’évolution du panorama industriel mondial. Surtout si le contrat
d’Hinkley Point lui permet d’acquérir un vrai savoir-faire de gestion de projets à l’international, ce qui
est l’une des principales faiblesses de la Chine en ce domaine.
D’autre part, des concentrations entrepreneuriales ne sont pas à exclure. La présence de deux
opérateurs américano-japonais, bien que s’orientant vers deux filières technologiques différentes,
pourrait amener à une fusion. La faiblesse de la filière à eau bouillante, si jamais les nouveaux
réacteurs ESBWR et ABWR de GE-Hitachi devaient être des échecs commerciaux, pourraient
amener à une fusion entre GE-Hitachi et Toshiba-Westinghouse. De la même manière, le canadien
Candu qui mise sur le réacteur ACR-1000 de génération III+ pour continuer son développement
pourrait, en cas d’échec, attiser les appétits de pays émergents comme l’Inde qui a développé sa
technologie nationale sur une base Candu.
44
PetroChina pour CNPC, Sinopec Ltd pour Sinopec, etc. 45
http://www.lemonde.fr/entreprises/article/2015/10/19/edf-trouve-un-accord-avec-la-chine-pour-construire-ses-epr-au-royaume-uni_4792677_1656994.html
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
30
III. Coopération internationale
Au fil du temps, le nucléaire qui s’envisage selon des intérêts avant tout nationaux, a donné lieu à la
création de nombreuses organisations internationales, qu’elles soient très formalisées comme
l’AIEA ou plus sous la forme de forum comme le Forum Génération IV. Cette dualité qui peut parfois
s’apparenter à de la coopétition est structurante du secteur nucléaire mondial et tend, selon les
problématiques, à favoriser les pays émergents ou les puissances établies.
Le cas du Groupe des Fournisseurs Nucléaires est révélateur puisqu’il permet aux pays détenteurs
des technologies et des capacités en approvisionnement de combustible de contrôler les transferts
de ceux-ci. Cela implique le respect d’un ordre établi au travers du TNP et des articles additionnels
de ce dernier. Ainsi, les pays occidentaux ont pu mettre l’Inde à l’index de la coopération et du
développement nucléaire pendant de nombreuses années par une forme d’embargo sur les
technologies qui pouvaient potentiellement être détournées à des fins militaires. D’un autre côté, le
Forum Génération IV qui associe ces mêmes puissances établies à des pays en développement
nucléaire comme la Chine peut bénéficier de la coopération technologique des pays les plus avancés.
La multiplication des aires de coopération ces dernières années avec l’IFNEC (créé en 2006 sous le
nom de GNEP), ITER (officiellement créé en 2007)46 ou même le Forum Génération IV de 2000, a
développé les différentes passerelles technologiques et économiques entre les pays. Si le principal
organisme de coopération, notamment sur les aspects de sûreté, demeure l’AIEA, il est certain que
la multiplication des lieux de discussion et des problématiques sur lesquelles les différents pays et
entreprises échangent peut accélérer la diffusion du progrès technologique. Néanmoins, il
appartient de noter qu’une trop grande extension des parties-prenantes ou des sujets de
coopération peuvent aboutir à des blocages ou à des ralentissements nets, comme en témoigne le
projet ITER47.
L’état de la coopération internationale apparait donc comme un déterminant majeur de la recherche
et de la diffusion technologique que ce soit pour les centrales elles-mêmes aussi bien que pour l’aval
du cycle (retraitement et enfouissement) et pour la sûreté. La maturité technologique de la
génération IV qui ouvrirait de nouvelles perspectives au nucléaire dépendra certainement de cette
coopération qui s’entend aussi bien dans des aspects purement technologiques que dans la
formation des personnels, notamment pour les pays primo-accédants48.
46
Réacteur expérimental à fusion installé à Cadarache en France. 47
http://energie.lexpansion.com/energie-nucleaire/iter-beaucoup-de-retards-et-trop-de-surcouts_a-32-4387.html 48
Des organismes communs de formation voient le jour ces dernières années comme la World Nuclear University cofondée par l’AIEA, l’OCDE (NEA), le WANO et la World Nuclear Association.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
31
Prospective
I. Scénario A : développement constant du nucléaire
Sans accident majeur, ni avancée technologique amenant à un breakeven économique dans le
secteur de l’énergie, le nucléaire poursuit son développement régulier. La maturité des réacteurs de
génération III+ qui sont déployés en masse dans les pays émergents mais qui commencent à être
construits également dans les pays les plus avancés (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, etc.) permet
de prendre mieux en compte ces derniers dans les mix énergétiques nationaux. Cette démonstration
de la sûreté des installations et de l’efficience de la technologie quand il s’agit de disposer d’une
centrale ayant une grande capacité de production électrique, convainc nombre de pays de se
tourner vers le nucléaire (Arabie Saoudite, Indonésie) ou de reprendre leur développement (Afrique
du Sud, Brésil). Les textes adoptés lors des conférences COP de l’UNFCCC, s’ils vont dans le sens
d’une plus grande prise de conscience des dangers du changement climatique, n’imposent pas
durcissement drastique du Protocole de Kyoto. Chaque pays est invité à faire le maximum d’efforts
chez lui pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, sans qu’un mécanisme de sanctions ou de
taxation forte dès la première tonne émise n’entre en vigueur.
La coopération internationale permet l’arrivée sur le marché de certaines technologies liées aux
centrales de génération IV vers 2030-2040, notamment sur les filières au sodium et à très haute
température. Le contrôle exercé par le Groupe des Fournisseurs Nucléaires ainsi que le nouveau rôle
de l’AIEA comme autorités gérant des banques de combustible permettent de renforcer l’idée d’un
meilleur contrôle sur les potentialités de militarisation des technologies nucléaires civiles. Les
avancées dans les technologies liées au retraitement et à l’enfouissement, permettent de
tranquilliser, du moins de manière minimale, les consciences de la société civile des pays
occidentaux quant au devenir des déchets nucléaires qui se multiplient.
Le secteur industriel du nucléaire est marqué par le développement de la place des émergents, à
commencer par la Chine, qui s’affirment de plus en plus comme des acteurs importants en devenir
que ce soit sur la construction des réacteurs ou sur l’extraction d’uranium. Toutefois, ces derniers
peinent encore à disposer de technologies sur l’ensemble du cycle de l’uranium et doivent toujours
s’en référer pour cela aux grandes puissances traditionnelles. Des regroupements économiques
peuvent avoir lieu, notamment en Europe, mais sans bouleverser le panorama du secteur qui reste
marqué par un éclatement des filières avec une part prépondérante de l’eau pressurisée. L’objectif
du doublement de la part du nucléaire dans le mix énergétique mondial en 2050 par rapport à 2007
(6 à 12%) paraît envisageable.
En ce sens, les puissances traditionnelles (Etats-Unis, France, Russie, Japon) restent dominantes
dans le secteur et l’Europe conserve son rôle comme continent leader dans un certain nombre de
sous-domaines comme l’enrichissement et le retraitement des déchets. Toutefois la France est
soumise à une situation concurrentielle de plus en plus importante pour l’accès aux ressources
minières en uranium. En effet, avec la montée en puissance des émergents, notamment de l’Inde et
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
32
de la Chine, la position française au Kazakhstan et au Niger est fragilisée. En ce sens de nouvelles
mines pourraient être ouvertes, parfois dans de nouveaux territoires comme en Mongolie.
II. Scénario B : accident majeur limitant la part du nucléaire
Au cours des années 2020 un accident majeur se produit sur un réacteur nucléaire de génération III+
en Chine. Il s’agit d’un réacteur nouvellement installé, se situant à proximité d’une zone peuplée de
Chine orientale. De nombreux morts sont à déplorer dans cet accident et les autorités chinoises, si
elles tentent d’imposer un blackout médiatique, ne réussissent qu’à provoquer des fuites sur le Net
où l’on trouve de nombreuses vidéos des conséquences environnementales et sanitaires. La zone
contaminée étant une région industrielle dense du pays (la province du Hubei par exemple), cela a
un impact direct sur l’économie chinoise et, par ricochet sur celles qui lui sont liées. La
contamination s’étend alentours et touche l’Asie du Sud-Est, l’Inde et même le Japon.
L’enquête met au jour que la défaillance ayant entrainé cette catastrophe, si elle ne peut pas
exempte de responsabilités humaines, est avant tout due à des problèmes technologiques au sein
du réacteur lui-même. Celui-ci est issu de la filière à eau pressurisée de génération III+ qui était la
voie de développement privilégiée par la Chine pour son secteur nucléaire. Si cet accident ne stoppe
pas le secteur nucléaire chinois, en plein développement au moment où il se produit, il crée
néanmoins une psychose nucléaire dans le pays et de nombreuses vagues de protestation.
En outre, cette psychose nucléaire se développe également dans les pays occidentaux où le souvenir
des accidents des années 1970-80 (Three Miles Island, Tchernobyl) donne lieu à une théorie de « la
dangerosité intrinsèque insupportable » du nucléaire civil. Des manifestations se multiplient en
Europe et aux Etats-Unis, faisant pression sur les décideurs politiques. Certains pays choisissent de
mettre fin à leurs programmes de construction de nouvelles centrales nucléaires, soit en terminant
les centrales déjà en cours de construction, soit en abandonnant les chantiers lorsque ceux-ci en sont
aux premiers stades. De nombreux pays dans le monde comme le Brésil qui hésitaient sur le choix du
nucléaire s’orientent vers un abandon de celui-ci ou privilégient d’autres filières énergétiques
(renouvelables, efficacité énergétique, stockage, centrales à gaz à cycles combinés, etc.) pour ne pas
se heurter à leur opinion publique. Ceci est d’autant plus possible que les textes adoptés lors des
conférences COP de l’UNFCCC, s’ils vont dans le sens d’une plus grande prise de conscience des
dangers du changement climatique, n’imposent pas de durcissement drastique du Protocole de
Kyoto. Chaque pays est invité à faire le maximum d’efforts chez lui pour réduire ses émissions de gaz
à effet de serre, sans qu’un mécanisme de sanctions ou de taxation forte dès la première tonne
émise n’entre en vigueur. Le nucléaire n’est donc pas immédiatement nécessaire et des choix
peuvent être faits en faveur notamment du gaz.
Il en résulte pour le secteur industriel une baisse dramatique des commandes, et des pertes
économiques colossales. Le processus de coopération internationale, notamment sur la génération
IV et ITER est ralenti, les pays ne voulant plus financer de manière importante la recherche nucléaire.
Dans ce cadre, les entreprises les plus fragile sont forcées de se restructurer ce qui peut entrainer des
fusions (éventuellement GE-Hitachi absorbée par Toshiba-Westinghouse) ou des rachats (Candu par
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
33
un acteur institutionnel indien). Cela aboutit à une concentration du secteur où ne subsistent que
quatre ou cinq acteurs forts portés par un Etat actif dans le domaine. Toutefois, ce sont avant tout
maintenant des fournisseurs de combustible ou des prestataires de services industriels pour des
installations déjà existantes plutôt que des entreprises actives dans la conquête de nouveaux
marchés.
L’Europe en règle générale, et la France en particulier qui choisit d’accélérer son programme de
transition énergétique en diminuant la part du nucléaire, sont directement touchées par cette
paranoïa. Les textes communautaires choisissent délibérément de mettre l’accent sur les ENR et
l’efficacité énergétique pour chercher à construire un véritable réseau électrique européen. Sous la
pression du gouvernement allemand, la part des financements accordés à Euratom est réduite, à
l’exception de la partie liée à la gestion des déchets. Avec une diminution engagée de la part du
nucléaire dans les mix énergétiques nationaux, les entreprises ont les plus grandes difficultés à
survivre ; Eurodif ferme sa branche allemande et la branche néerlandaise est menacée, tandis
qu’Areva finit par être absorbé en totalité par EDF, dont elle devient une simple business unit.
III. Scénario C : bouleversement concurrentiel
Le développement continu de la demande mondiale en centrales nucléaire crée les conditions à
l’horizon 2030 pour une évolution en profondeur du secteur. Actant qu’ils sont les principaux pays
d’avenir pour les nouvelles centrales nucléaires, les émergents prennent conscience qu’ils ne
peuvent rester dépendants des fournisseurs occidentaux, russe et japonais. Profitant de la
coopération internationale au sein de l’AIEA comme des forums multilatéraux (Forum Génération IV
ou Groupe des Fournisseurs Nucléaires par exemple), ils se montrent de plus en plus actifs dans le
co-développement technologique.
Le développement des filières au thorium, notamment par l’arrivée à maturité de certaines
technologies de génération IV, donne une plus grande importance à des pays comme l’Inde,
l’Afrique du Sud, le Brésil ou même la Chine, dans la fourniture de combustible. Cela modifie de facto
les cours mondiaux de l’uranium en diminuant la demande de certains pays qui se retournent vers
des combustibles mixtes (thorium-plutonium par exemple). L’arrivée à maturité ou la popularité de
certains nouveaux combustibles comme le TRISO ou le QUADRISO permet de mettre l’accent sur la
sureté de fonctionnement des réacteurs, entrainant un développement accru de la demande.
Dans ce contexte, les Européens sont de plus en plus partagés sur la question des technologies à
choisir. Les entreprises des pays émergents, choisissent de s’allier avec des Occidentaux pour la
construction de nouveaux réacteurs en Europe, à l’image du chinois CNNC avec EDF. Au-delà du
simple choix d’un acteur européen (Areva), russe (Rosatom) ou américano-japonais (GE-Hitachi,
Toshiba-Westinghouse) la question s’ouvre également à des entreprises émergentes ou possédées
par ces derniers dans le cas éventuel d’un rachat de Candu. Les alliances technologiques
occidentaux-émergents finissent par devenir courantes et il s’instaure un climat de coopétition
généralisée où l’on coopère parfois dans la construction des installations, en même temps que l’on
s’oppose pour le contrôle des ressources en uranium. Le canadien Cameco, en tant que producteur
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
34
important et privé d’uranium attire les convoitises et il est possible qu’un ou plusieurs groupes
publics issus de grands émergents tentent de s’approprier une part importante du capital, soutenus
par des fonds souverains.
La France se trouve ainsi face à la Chine au Niger et au Kazakhstan, à l’Inde en Afrique de l’Est et
continue à s’affronter économiquement à la Russie pour les mines kazakhes. Les entreprises
françaises et européennes sont en position défensive, voire perdent leur compétitivité sur le plan
mondial, et se trouvent souvent dépassées par les nouveaux acteurs issus des émergents. C’est
notamment les cas dans les pays en développement producteurs d’uranium et sur les marchés
primo-accédant où la rhétorique de l’indépendance par rapport au Nord se révèle souvent efficace
en faveur des Chinois et des Indiens.
IV. Scénario D : pression climatique entrainant un nouvel âge d’or du
nucléaire
La conférence COP 21 de Paris ainsi que les autres conférences CCNUCC qui suivent débouchent en
dépit des prévisions pessimistes sur des accords historiques particulièrement contraignants. La
priorité absolue pour le secteur énergétique est la diminution drastique des émissions de gaz à effet
de serre, notamment à la suite de la prise de conscience des effets sur la santé des populations de
ces derniers. Le nucléaire s’impose donc comme une énergie particulièrement favorisée puisqu’il
n’émet que très peu de CO2 sur l’ensemble de son cycle de vie (LCA pour Life Cycle Assessment), à
un niveau équivalent aux ENR les plus sobres (env. 29 t de CO2 par GWh). Le nucléaire, suite à
l’action de la France et des autres grands pays nucléaires lors de la COP 21, devient ainsi l’une des
solutions privilégiées pour la transition vers des mix électriques propres, en attendant la mise au
point de solutions de stockage d’électricité à grande échelle.
Dans ce cadre, la coopération internationale est encouragée et revivifiée, pour les technologies de
génération IV et ITER notamment qui offrent d’importantes garanties en termes de déchets et de
sûreté. Les fonds destinés à financer la transition des économies en développement prévus dans les
mécanismes CCNUCC à la suite des conférences COP post-COP 21 sont ouverts au développement
du nucléaire, sous certaines conditions avec un pouvoir de l’AIEA accru en matière de contrôle.
Même la Banque Mondiale qui se refusait jusque-là à débloquer des prêts pour les installations
nucléaires est obligée de réviser sa position sous la pression de l’ONU et des grands pays nucléaires.
Dans ce contexte, l’AIEA voit son rôle devenir de plus en plus important et les nominations au sein
de l’agence acquièrent un caractère stratégique pour de nombreux Etats.
Au-delà de la coopération portée par diverses instances comme l’IFNEC (International Framework
for Nuclear Energy Cooperation), la concurrence entre grandes entreprises s’intensifie. Les firmes en
difficulté comme Areva voient leur position s’améliorer quand les plus rentables comme Rosatom
gagnent de plus en plus de poids dans l’économie de leur pays. La « renaissance du nucléaire »
commence ainsi véritablement dans la seconde moitié de la décennie 2010. Dans ce cadre, les
émergents comme la Chine et, à un moindre niveau l’Inde, développent leur savoir-faire national
pour être d’abord en mesure de répondre, autant que faire se peut, aux besoins nationaux, voire
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
35
proposer leurs solutions hors de leurs frontières. Il s’en suit une compétition importante pour les
ressources en uranium, même si la maturité d’une partie importante des technologies de génération
IV – la recherche au niveau du GIF ayant été accélérée par les investissements post-COP 21 – permet
l’utilisation du thorium dans certains cas.
L’Europe se trouve être le continent en pointe dans le nucléaire, par les entreprises qui y sont
présentes, mais aussi par la continuité ou le développement des programmes de centrales. Seule
l’Allemagne choisit obstinément de rester à l’écart du mouvement, les entreprises allemandes
maintenant néanmoins une présence dans Eurodif. D’autres pays comme l’Italie mettent fin à leur
moratoire pour s’orienter vers l’énergie atomique. La France quant à elle apparait comme le leader
continental naturel, en tant que premier pays nucléaire d’Europe, mais aussi comme fournisseur de
solutions privilégié que ce soit dans les réacteurs EPR d’Areva, l’approvisionnement en combustible
de haute qualité et, surtout, les compétences quant au retraitement et à l’enfouissement des
déchets.
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
36
Annexes
Panorama des technologies nucléaires
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
37
Rosatom et l’Etat russe
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
38
Ressources mondiales en uranium (2014) ; source : AIEA
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
39
Capacités installées en 2015 (GW) ; sources : OCDE et WNA
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100
Canada
Mexique
Etats-Unis
Japon
Belgique
Rep. Tchèque
Finlande
France
Allemagne
Hongrie
Pays-Bas
Slovaquie
Slovénie
Espagne
Suisse
Royaume-Uni
Corée du Sud
Russie
Chine
Inde
Argentine
Arménie
Brésil
Iran
Pakistan
Roumanie
Afrique du Sud
Ukraine
non-OCDE
OCDE
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
40
Développements en nombre de réacteurs en 2015 ; source : WNA
0 20 40 60 80 100 120 140
Argentine
Arménie
Bangladesh
Biélorussie
Brésil
Bulgarie
Canada
Chili
Chine
Rep.Tchèque
Egypte
Finlande
France
Hongrie
Inde
Indonésie
Iran
Israel
Japon
Jordanie
Kazakhstan
Corée du Sud
Lituanie
Malaisie
Mexique
Pays-Bas
Pakistan
Pologne
Roumanie
Russie
Arabie Saoudite
Slovaquie
Afrique du Sud
Thailande
Turquie
Ukraine
EAU
Royaume-Uni
Etats-Unis
Vietnam
Proposés
Planifiés
En construction
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
41
Evolution des prix de l’uranium ; source : UxC Consulting
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
42
Ressources mondiales estimées en thorium ; source : NEA OCDE
Pays Ressources (tonnes)
Inde 846 000
Brésil 623 000
Australie 595 000
Etats-Unis 595 000
Egypte 380 000
Turquie 374 000
Venezuela 300 000
Canada 172 000
Russie 155 000
Afrique du Sud 148 000
Chine 100 000
Total monde 6 355 000
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
43
Coopérations technologiques sur les réacteurs de génération IV ; source : GIF
Technologie Pays partenaires
Réacteur à neutrons rapides refroidi au gaz (GFR)
UE, France, Japon, Suisse
Réacteur supercritique refroidi à eau (SCWR) Chine, Canada, UE, Japon, Russie
Réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium (SFR)
Chine, UE, France, Japon, Russie, Corée du Sud, Etats-Unis
Réacteur à très haute température (VHTR) Chine, UE, France, Japon, Corée du Sud, Suisse,
Etats-Unis
Réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb (LFR)
UE, Japon, Russie
Réacteur à sels fondus (MSR) UE, France Russie
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
44
Evolutions technologiques des réacteurs ; source : GIF
SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030
45
Références
Rapports
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Londres, Washington.
SÉCURITE ÉNERGETIQUE :
STRATÉGIES POUR L’EUROPE ET LA FRANCE
Phase 2
Évolutions des technologies
renouvelables et efficacité
énergétique en 2030
Janvier 2016
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
2
Sommaire
Introduction .................................................................................................. 4
Panorama du secteur en 2015 ...................................................................... 6
I. Principaux fournisseurs de solutions ENR ..................................................... 6
1. Acteurs industriels ................................................................................. 6
a. Acteurs chinois .................................................................................. 6
b. Acteurs européens ............................................................................. 7
c. Acteurs américains ............................................................................. 8
d. Autres ............................................................................................... 9
2. Intégrateurs ......................................................................................... 9
II. Principaux fournisseurs de solutions d’efficacité énergétique ....................... 10
1. Smart grids ............................................................................................. 10
2. Autres ................................................................................................ 12
Développements en cours ou en projet ...................................................... 14
I. Stockage d’énergie ................................................................................... 14
II. Energies marines ...................................................................................... 15
III. Autres ................................................................................................... 16
Indicateurs .................................................................................................. 17
I. Prix du carbone ........................................................................................ 17
II. Structure de la concurrence ...................................................................... 17
III. Règlementations internationales ............................................................. 18
IV. Règlementations nationales .................................................................... 19
V. Disponibilité des matières premières .......................................................... 21
Prospective .................................................................................................. 22
I. Scénario A : développement différencié dans le monde .............................. 22
II. Scénario B : accord climatique majeur ....................................................... 23
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
3
III. Scénario C : percée technologique .......................................................... 24
Conclusion ................................................................................................... 26
Annexes ....................................................................................................... 27
Coûts des différentes énergies aux Etats-Unis en service en 2020 sur une base
économique de 2013 ................................................................................... 27
Consommation d’énergie primaire au niveau mondial par source en 2015 ....... 27
Capacités solaires installées en 2014 ............................................................. 28
Investissements mondiaux en ENR et efficacité énergétique (1990-2009) ....... 29
Evolution de la demande d’énergie primaire au niveau mondial ...................... 29
Production d’électricité d’origine renouvelable en France ................................ 30
Capacités installées (2014) de stockage d’énergie .......................................... 30
Maturité des technologies de stockage d’énergie ........................................... 31
Potentiel des différentes énergies marines .................................................... 31
Carte des projets d’énergies marines en France ............................................. 32
Evolution du parc mondial d’ENR .................................................................. 32
Références .................................................................................................. 33
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
4
Introduction
Depuis le sommet de Rio en 1992 et encore plus après la conférence de Kyoto de 1997, la prise de
conscience de la nécessité d’intégrer les paramètres environnementaux dans les problématiques
énergétiques s’est faite jour. Les nombreux scénarios imaginés par les organisations internationales
comme l’Agence Internationale de l’Energie (scénario 450 par exemple) mettent l’accent sur la
nécessité d’inclure toujours plus d’énergies renouvelables dans le mix mondial, avec, bien entendu,
des différences selon les pays. Le Protocole de Kyoto de 1997 qui sert de base aux négociations
actuelles sur le climat au niveau multilatéral, impose des objectifs de réduction des émissions de gaz
à effet de serre, du moins pour les pays développés. Grâce à ces objectifs, il a profondément stimulé
l’investissement dans les énergies renouvelables, principalement en Europe et au Japon. L’entrée en
vigueur du Protocole en 2005 a ainsi été à l’origine d’une explosion des investissements dans les ENR
et l’efficacité énergétique de la part des pays cherchant à tenir les objectifs de réduction des
émissions de CO2, sans toutefois obérer leur croissance économique, surtout face à la montée des
émergents.
La classification « énergies renouvelables » recoupe des sources et procédés très divers dont
l’empreinte environnementale est considérée comme faible voire nulle, même si des débats existent
à ce sujet. Il est relativement complexe d’élaborer une typologie des ENR tant celles-ci sont diverses.
Le premier critère est l’intermittence de production. Elle peut être journalière (solaire, éolien) ou
annuelle (hydraulique). S’il s’agit là du critère principal, toutes les ENR n’y sont pas soumises,
comme la biomasse1. Le second critère est celui de la localisation géographique. Certaines ENR
nécessitent en effet des conditions très particulières et un emplacement précis (hydraulique,
géothermie) quand d’autres se révèlent plus flexibles avec l’avancée de la technologie (éolien,
solaire).
Il existe un débat important sur la qualification de certaines énergies comme des renouvelables.
C’est le cas notamment des grands projets hydroélectriques (HPP pour Hydro Power Plant) qui
existent tant dans les pays les plus avancés (France, Norvège) que dans les pays émergents (Chine,
Brésil). En effet les centrales hydroélectriques de plusieurs GW de puissance installée (14 GW pour le
barrage d’Itaipu au Brésil, 22,5 GW pour le barrage des Trois-Gorges en Chine) sont les installations
électriques les plus puissantes du monde devant les centrales nucléaires et thermiques. Malgré leur
classement parmi les ENR, elles conservent un impact environnemental non-négligeable qu’il
s’agisse de la question de l’envasement du fond des retenues qui, par production d’algues, induit une
production de CO2 d’autant plus importante que le barrage est grand ou, surtout, de la
problématique de l’impact écologique de l’installation d’une importante centrale de production sur
le cours d’un fleuve. Les déplacements de populations, détournement des cours d’eau, modifications
des écosystèmes sont de plus en plus considérés comme des dommages écologiques qui conduisent
- souvent sous la pression de la société civile - les régulateurs à opérer une distinction entre grands
projets hydroélectriques et petites centrales hydrauliques de l’ordre de quelques dizaines voire
centaines de MW (SHP pour Small Hydro Plant) au sein des énergies renouvelables. Ainsi ce sont
1 Ce point reste néanmoins en débat car, dépendant d’une production agricole elle-même sujette à des variations, la
biomasse peut, dans le pire des cas, subir une intermittence annuelle de nature indirecte.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
5
souvent les seuls SHP qui sont considérés comme faisant partie des énergies renouvelables de «
nouvelle génération » et éligibles aux subventions idoines. De même la classification des centrales à
biomasse comme ENR se pose également. Si ces dernières ne fonctionnent pas en consommant des
hydrocarbures comme les centrales à charbon, le fait est qu’elles restent dépendantes d’une
technologie thermique où l’on brûle une ressource (bois, déchets agricoles divers comme la bagasse
de canne à sucre au Brésil ou les résidus de noix de coco dans le Pacifique) et donc sont responsables
d’émissions de CO2. Même si les centrales à biomasse sont moins dommageables pour
l’environnement que des centrales thermiques classiques (peu ou pas d’émissions de particules,
réutilisation des déchets, limitation des distances logistiques pour l’approvisionnement et de la taille
des installations), elles ne sont pas neutres pour l’environnement. Certaines unités de production de
biomasse comme celles portées par l’entreprise américaine Drax, nécessitent de mettre en place des
chaines logistiques longues2 qui ont un impact non-négligeable sur l’environnement. Il s’en suit une
distinction entre les grands projets hydroélectriques, la biomasse et les ENR dites de « nouvelle
génération » qui, par leur taille et leur technologie, ont un impact considéré comme bien moindre
sur l’environnement. Ces centrales qu’elles soient éoliennes (terrestre ou offshore), hydroliennes,
solaires (photovoltaïque ou à concentration), géothermiques, hydrauliques (SHP) ou marémotrices
ont pour point commun d’exploiter une ressource naturelle sur laquelle elles ont un impact minime
ou nul (courant marin, soleil, vent, etc.). La question de cette dichotomie entre quasi-renouvelables
(HPP et biomasse) et renouvelables nouvelle génération, se résout différemment dans chaque pays,
les politiques publiques sur la question des ENR étant plus ou moins flexibles selon le niveau de
maturité technologique, le mix énergétique du pays ou même la configuration politique et
normative (existence d’une législation, d’une agence ou d’un organisme étatique dédié, etc.). Par
convention, cette étude traite au sein des ENR la biomasse3 et les HPP, sauf quand il est
spécifiquement fait mention d’ENR « nouvelle génération ». L’étude traite des solutions
énergétiques dédiées à la production électrique et exclu de fait les biocarburants ainsi que les
technologies d’efficacité énergétique dédiées aux bâtiments et au transport.
A l’heure actuelle les solutions ENR sont, si l’on prend en compte l’ensemble du cycle de vie, peu
compétitives économiquement. La question du breakeven technologique et de la rentabilité
économique demeure ainsi l’une des principales clés du développement des ENR et de l’efficacité
énergétique. Les ENR et l’efficacité énergétique offrent toutefois de grandes avancées en ce qui
concerne l’accès à l’énergie de certaines régions et surtout la sécurité énergétique. En diminuant le
recours aux hydrocarbures et à l’uranium importés par substitution (ENR) ou limitation (efficacité
énergétique), ces technologies s’avèrent particulièrement intéressantes pour des pays ou des
continents dépourvus de ressources. A ce titre la France et, de manière plus générale l’Europe, ont
un intérêt tout particulier dans le développement de ces solutions.
2 Dans le cas présent une ligne logistique d’exportation de déchets de bois depuis la Louisiane jusqu’au Royaume-Uni pour
un besoin annuel estimé à 7,5 millions de tonnes à l’horizon 2017. 3 La biomasse ici étudiée est surtout celle de seconde génération pour ce qui est des projets actuels et de troisième
génération pour la prospective.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
6
Panorama du secteur en 2015
En 2015 les ENR demeuraient relativement marginales dans la génération d’électricité au niveau
mondial. Si le focus est mis sur quelques pays comme le Danemark ou le Costa Rica dont les
capacités ENR permettent de couvrir – selon les moments de l’année – la majorité voire la totalité
des besoins électriques, elles demeurent le plus souvent secondaires. Au niveau de l’OCDE par
exemple, le charbon est toujours la première source de production d’électricité.
Toutefois des développements rapides se font jour avec des investissements massifs de la part de
certains pays comme la Chine ou les Etats-Unis, désireux de se positionner dans la compétition
industrielle qui s’affirme. Les dépôts de nombreux brevets, concernant toutes les ENR et
technologies d’efficacité énergétique attestent de ce dynamisme à l’échelle mondiale. Sans annuler
les déterminants propres à chaque source d’énergie comme l’intermittence ou la localisation
géographique, les évolutions technologiques permettent de limiter de plus en plus ces dernières,
surtout par la combinaison de plusieurs technologies (exemple de nouvelles cellules pour panneaux
solaires découvertes par un acteur qui peuvent bénéficier du stockage d’électricité développé par un
autre).
I. Principaux fournisseurs de solutions ENR
1. Acteurs industriels
a. Acteurs chinois
S’agissant des ENR, Chine offre un paradoxe saisissant, celui d’être à la fois le premier émetteur
mondial de gaz à effet de serre - plus de 10 millions de tonnes de CO2 par an, sans compter les
autres polluants – et en même temps le pays qui a le plus développé les structures industrielles des
ENR. Ce paradoxe parfois résumé par la formule « Chine brune, Chine verte »4, laisse apparaitre la
réalité d’un pays qui a choisi les énergies renouvelables, entre autres, comme axe de développement
national et international. L’Etat a fait de ce secteur l’un de ses principaux pôles d’investissements, y
injectant en 2014 plus de 83 milliards USD, soit plus de deux fois le montant investi par le
gouvernement américain5. Les technologies ENR et d’efficacité énergétique sont considérées
comme prioritaires aux termes des 12e et 13e plans quinquennaux.
Des entreprises ont ainsi vu le jour dans les années 1990-2000 qui peuvent aujourd’hui être
considérées comme des champions mondiaux de leur domaine. Dans le domaine de l’éolien, Sinovel
s’est longtemps imposé comme l’un des premiers fabricants mondiaux avant de perdre des parts de
4 VERMANDER B.(2007), Chine brune ou Chine verte, Paris Presses de Sc Po.
5 LE HIR P., « Energies renouvelables : les investissements repartent à la hausse », LeMonde.fr, 2 avril 2015, chiffres du
PNUE.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
7
marché suite à la réorientation de la Chine vers le solaire. C’est aujourd’hui principalement Goldwind
qui apparait comme le leader chinois de la production d’éoliennes.
La Chine est également le premier producteur de panneaux photovoltaïques au monde. Le
développement chinois en ce domaine est majoritairement intervenu dans la seconde moitié des
années 2000 où les entreprises nationales ont su s’imposer sur un marché dominé jusque-là par des
acteurs japonais, américains et allemands. Même si l’industrie chinoise du solaire connait de temps à
autres des soubresauts comme la faillite de Suntech Power en 20136, gros acteur du marché jusqu’en
2008-2009, elle s’avère dans son ensemble conquérante. L’entreprise Yingli est ainsi un des leaders
mondiaux du domaine, s’étant implantée avec succès dans de nombreux pays occidentaux.
b. Acteurs européens
Les Européens ont longtemps été très en avance sur les questions industrielles liées aux ENR.
Pendant les années 1980-90 où les pays du Nord se partageaient le marché, les acteurs d’Europe du
Nord principalement étaient à la pointe du marché. A l’heure actuelle, les Européens dominent
toujours certains secteurs à commencer par celui de l’éolien où Siemens s’impose comme un leader
du marché. L’entreprise allemande s’est en réalité lancée sur le marché éolien via le rachat
d’entreprises danoises (Danregn Vindkraft et Bonus Energie). Premier fabricant mondial d’éoliennes
Siemens se positionne comme dominant sur le secteur sur le Vieux continent mais doit faire face à
des pertes dues à un marché offshore loin de tenir ses promesses initiales. Alors que l’entreprise est
tirée par la croissance du marché terrestre, son pari l’offshore pourrait nuire à sa rentabilité voire la
mettre en difficulté face à ses concurrents. La grande majorité des installations Siemens se situe en
Europe et en Amérique du Nord. Siemens a, en outre, longtemps été actif dans le solaire où
l’entreprise allemande espérait obtenir les mêmes résultats qu’avec l’éolien. Toutefois la crise
économique ainsi que l’effondrement de certains marchés comme l’Espagne, ont fortement entamé
la rentabilité de cette branche. C’est pourquoi l’entreprise a décidé de fermer à terme sa division
solaire, malgré des achats importants au cours des années 2000 (l’israélien Beit Shemesh par
exemple, acheté en 2009 pour plus de 400 millions USD)7. Siemens est également présent dans les
domaines industriels de l’hydroélectricité et de la biomasse où l’entreprise fournit des turbines.
Le Danemark, outre les entreprises qui ont donné naissance à Siemens Wind Power, se révèle
toujours un des leaders mondiaux de ce secteur avec Vestas. L’entreprise qui est un des leaders
historique du marché a dû, elle aussi, faire face à la déception engendrée par le marché offshore
européen. Là aussi l’entreprise est très présente en Europe et en Amérique du Nord mais se
développe également beaucoup en Asie et en Océanie (Inde, Chine, Australie) avec la création d’une
joint-venture avec Mitsubishi Heavy Industries pour le développement d’éoliennes offshore.
Des énergéticiens non-spécialistes des ENR se sont lancés depuis quelques années sur le secteur. En
France il s’agit de Total qui a racheté l’américain SunPower en 2011 pour devenir un important
producteur de panneaux solaires photovoltaïques. Le rachat de l’entreprise a permis à SunPower de
devenir le leader américain du solaire, via une politique de développement de rachats d’entreprises
6 Des erreurs d’investissements ainsi qu’une affaire de fraude – rachat d’une compagnie fictive – sont à l’origine de la faillite.
7 http://www.bloomberg.com/news/articles/2013-06-17/siemens-will-shut-solar-unit-as-it-loses-1-billion-in-two-years
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
8
(Tenesol, Greenbiotics, SolarBridge, etc.). Toujours en France, Areva se pose également comme un
important acteur des ENR, notamment dans les énergies marines où l’entreprise nucléaire agit en
partenariat avec d’autres (Gamesa notamment au travers de la co-entreprise Adwen) pour proposer
des solutions éoliennes offshore8.
Les entreprises européennes, malgré des succès indéniables connaissent aussi des difficultés. La
faible rentabilité de certaines technologies peu matures comme l’éolien offshore ou des erreurs
stratégiques comme Desertec9 amènent parfois à des pertes économiques. En mars 2014 l’EREC
(European Renewable Energy Council), structure regroupant les entreprises européennes des ENR à
Bruxelles a même été placée en liquidation ; amoindrissant la représentation du secteur auprès des
instances européennes10.
c. Acteurs américains
General Electric s’affirme comme le champion américain des solutions industrielles ENR avec une
présence sur l’ensemble du spectre des énergies renouvelables. L’entreprise américaine possède des
compétences industrielles dans de nombreuses énergies, que ce soient des ENR ou des fossiles
(nucléaire, gaz, etc.). Elle s’affirme néanmoins comme l’un des fer de lance de la nouvelle politique
de l’administration Obama de refaire des Etats-Unis le champion mondial des ENR grâce à ses
capacités en termes de volumes de production et d’innovation. Dans ce cadre l’entreprise a
beaucoup investi dans divers domaines comme l’éolien pour se positionner comme champion
national américain et envisager une position encore plus importante au niveau mondial. Le rachat de
la branche énergie d’Alstom, fournisseur de solutions sur de nombreux points (turbines hydrauliques,
centrales marémotrices, centrales solaires à concentration, centrales à biomasse) s’inscrit – en partie
– dans cette politique d’affirmation de la place de GE sur le marché ENR.
Au-delà de GE, c’est l’ensemble de la filière qui se mobilise pour contrer l’ascension chinoise dans le
domaine des ENR. En effet la décision prise par le Commitee on Foreign Investments en 2012 de
bloquer les investissements dans l’Oregon que voulaient réaliser l’entreprise chinoise Sany Group, a
marqué l’affirmation de la volonté de l’administration Obama dans la compétition internationale
Chine-Etats-Unis. Dans un contexte de rivalité économique exacerbée avec Pékin, Washington veut
éviter de perdre la course à la technologie et au développement industriel des ENR.
Le secteur américain, au-delà du mastodonte GE est marqué par un certain éclatement des
entreprises selon les technologies concernées. Les multiples acteurs qu’ils soient opérateurs ou
industriels spécialisés dans telle ou telle technologie, offrent un panorama assez différent de
l’Europe où la plupart du temps il s’agit de grandes entités transverses.
8 Les entreprises du secteur maritime sont également très présentes sur ce créneau ; voir infra.
9 Le projet Desertec visait dans un premier temps à développer l’implantation de centrales solaires à concentration au
Maghreb et au Proche-Orient puis à créer une interconnexion électrique entre ces pays et l’Europe. 10
http://www.energypost.eu/european-renewable-energy-council-forced-liquidation/
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
9
d. Autres
D’autres entreprises industrielles se sont développées sur ce créneau ces dernières années à l’image
de l’indien Suzlon dans l’éolien. Les retards indiens en matière de couverture énergétique d’une
grande partie du pays n’obèrent pas nécessairement le développement d’un véritable secteur
industriel national. En effet l’Inde présente le visage d’un pays à deux vitesses où les problématiques
locales d’accès à l’énergie côtoient les développements technologiques de haut niveau. La question
des ENR pourrait d’ailleurs être un véritable levier pour le désenclavement énergétique d’une bonne
partie du pays par la création de centres de production locaux, éventuellement adossés à des micro-
grids11.
De la même manière, la Corée du Sud se montre très active sur le domaine des panneaux solaires
avec des entreprises dynamiques adossées le plus souvent à des chaebols comme Q-Cells (filiale de
Hanwa), LG Electronics, etc. La Corée du Sud semble ainsi vouloir étendre sa stratégie industrielle
principalement dans le solaire avec le but avoué de faire coïncider celle-ci avec les développements
dans les smart grids12. D’ailleurs ce sont souvent les mêmes entreprises qui sont à la manœuvre sur
les deux sous-secteurs.
Les acteurs japonais ont longtemps été les leaders dans de nombreux domaines liés aux ENR, dont
la géothermie très présente sur l’archipel, avant de connaitre un certain ralentissement dans les
années 2000. Le développement économique de la Chine puis de la Corée du Sud qui leur a ravi les
premières places économiques en Asie a été préjudiciable au Japon. Néanmoins de nombreuses
entreprises, à commencer par les grands consortiums comme Mitsubishi Heavy Industries (solaire,
géothermie, etc.), Panasonic (depuis le rachat de Sanyo en 2009). Le Japon se montre très actif dans
la R&D notamment dans le solaire avec des entreprises comme Koycera ou Solar Frontier13.
2. Intégrateurs
Au-delà des producteurs de solutions industrielles, les intégrateurs jouent également un rôle majeur
dans le domaine des ENR. Par leur action ils permettent de mettre en œuvre au sein du mix
électrique les différentes solutions énergétiques, en adaptant celles-ci selon les contraintes
économiques, géographiques et règlementaires. Les grandes entreprises d’utilities comme le
français Engie ou l’allemand E.ON se positionnent sur ce créneau. Ce sont des acteurs
incontournables du marché en ce sens qu’ils opèrent dans de nombreux pays les solutions
industrielles fournies par les entreprises précitées. C’est notamment grâce aux utilities que les ENR
et les solutions d’efficacité énergétique peuvent se développer dans le monde entier, en agrégeant
ces dernières aux réseaux existants. Dans ce domaine aussi les Européens, principalement français,
espagnols, italiens et allemands sont en pointe et se développent au Nord mais aussi au Sud
(Maghreb, Turquie et Inde pour EDF Energies nouvelles, Amérique latine et Asie pour Engie,
Amérique latine pour Enel-Endesa et Iberdrola, etc.).
11
Réseaux électriques locaux limités en tailles, non-interconnectés. 12
Voir infra. 13
Sous-filiale de Shell.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
10
Ils constituent donc un maillon essentiel de la chaine de popularisation des solutions ENR et
d’efficacité énergétique en les intégrant dans les réseaux déjà existants ou en développant de
nouveaux réseaux. Des partenariats existent très souvent entre fournisseurs de solutions
industrielles et intégrateurs comme c’est le cas entre Vestas et E.ON, les deux types de structures
étant relativement dépendantes l’une de l’autre. C’est d’ailleurs en tant que chaine de valeur objet
industriel-élément intégré d’un réseau électrique que les ENR doivent être pensées puisque les deux
phases, même si elles répondent à des business models différents, doivent être nécessairement
agencées. Des tensions peuvent ainsi survenir à l’image de ce qui se passe au Brésil les autorités et
les entreprises électriques nationales (Eletrobras principalement) reprochant aux partenaires
industriels chinois de refuser les transferts de technologie sur les éoliennes qu’ils installent et
opèrent14.
Ces savoir-faire particuliers qui permettent aux entreprises occidentales et surtout européennes de
nouer des partenariats avec les électriciens nationaux de pays émergents ou en développement,
représentent un véritable atout industriel. Comptant parmi les pays en pointe dans ce domaine avec
EDF Energies nouvelles et Engie, la France est particulièrement bien placée pour se positionner
comme l’acteur de référence. Toutefois, au niveau du continent européen, il faut reconnaitre que la
concurrence reste rude, notamment face aux acteurs allemands.
II. Principaux fournisseurs de solutions d’efficacité énergétique
L’importance des développements récents en matière d’efficacité énergétique oblige cette étude à
se focaliser sur quelques domaines-clés. Néanmoins il est important de considérer qu’il s’agit là d’un
vaste éventail de technologies. L’efficacité énergétique qui vise à réduire la dépense énergétique
pour une action donnée s’étend non-seulement au domaine de la production/distribution
d’électricité mais aussi à ceux du bâtiment (isolation, passivité énergétique, etc.), des transports
(nouveaux moteurs, biocarburants, hybridité des véhicules, etc.) ou des industries en règle générale
(écoconception, cogénération, etc.).
1. Smart grids
Les réseaux électriques intelligents ou smart grids, sont une nouvelle manière d’envisager les
réductions de l’empreinte environnementale du secteur énergétique. Plutôt que d’agir sur la
production (via des ENR p.e.) ou la consommation (avec des politiques incitatives), il s’agit d’avoir
une action sur le transport d’électricité (T&D pour transport et distribution). Avec l’installation d’un
nouveau type de réseau, fonctionnant grâce à des capteurs enregistrant la consommation en temps
14
HUSAR J. et BEST D. (2013), Energy Investments and Technology Transfers Across Emerging Economies: the Case of Brazil and China, Paris, OCDE.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
11
réel et communiquant entre eux en permanence, il est possible d’agir le plus finement possible sur
les pannes et interruptions, autant que d’anticiper les pics de demande et, ainsi, de dispatcher la
production aux endroits où elle est le plus nécessaire. Ainsi ils permettent de produire moins tout en
consommant la même quantité d’électricité par action sur les pertes en ligne. Les smart grids
tiennent ainsi autant de l’objet énergétique que de l’objet cyber15 et s’intercalent à la croisée de
l’industrie et des télécommunications. Cela en fait des technologies particulières sur lesquelles sont
actifs tant les fournisseurs industriels traditionnels de l’énergie comme GE et Alstom que les
entreprises du Net comme Google ou IBM.
Les smart grids pourraient représenter pour les pays les plus avancés l’une des meilleures
opportunités de réduction de leur empreinte environnementale et de maintien de leur
consommation d’énergie ou croissance économique. Ainsi les pays européens et les Etats-Unis se
sont lancés depuis la fin des années 2000 dans une course technologique au développement des
smart grids. Aux Etats-Unis les paquets financiers de relance post-crise ont été l’opportunité de
subventionner ce type de réseaux. En 2009, l’ARRA (American Recovery and Reinvestment Act)
offrait près de 4,5 milliards USD pour le développement de smart grids dans le pays. Les États-Unis
ont ainsi mis en place une task force fédérale qui associe, pour les aspects sécuritaires, le
Department of Defense et le Department of Homeland Security aux acteurs de l’énergie16. Sur les
aspects de cybersécurité, le Department of Energy collabore particulièrement avec le Department of
Homeland Security – chargé entre autres des CERT17 – au travers d’une initiative nommée
Cybersecurity for Energy Delivery Systems (CEDS) 18 orientée sur la protection des réseaux et des
SCADA. L’intérêt porté à la sécurité de ces mêmes SCADA se comprend aussi dans l’optique de la
cyberdéfense contre de potentielles menaces étatiques ; les coûts envisagés d’une telle attaque
contre les États-Unis atteignant le trillion USD. Le pays qui souffre depuis des années de
problématiques d’approvisionnement électrique, dont certaines consécutives à l’affaire Enron19, y
voit une opportunité forte. Dans ce contexte GE s’est pleinement lancé dans les smart grids avec le
soutien de l’Etat20. L’entreprise américaine bénéficie d’une certaine avance sur le sujet qui devrait
encore s’accentuer avec le rachat de la branche énergie du français Alstom décidé fin 2015, lui aussi
grand spécialiste de la question.
D’un autre côté les acteurs allemands se sont également positionnés sur le sujet avec le
développement de technologies dédiées et des villes-test comme Mannheim21. Comme aux États-
Unis, la double problématique environnement (charbon)-dépendance aux approvisionnements
extérieurs a été le moteur de la prise de conscience de l’importance de l’efficacité énergétique. Le
projet allemand E-energy – largement soutenu par le gouvernement de Berlin – qui vise à établir un
smart grid transfrontalier avec l’Autriche et la Suisse témoigne d’une volonté particulière : celle de
transformer l’avance technologique des entreprises allemandes et pression normative auprès de
15
Un smart grid est une forme particulière de SCADA (Systèmes de pilotage industriel et d’acquisition de données). 16
http://energy.gov/oe/technology-development/smart-grid/federal-smart-grid-task-force 17
Computer Emergency Response Team, groupe d’action sur les incidents liés au cyberespace. 18
http://energy.gov/oe/services/technology-development/energy-delivery-systems-cybersecurity 19
En 2001 un scandale éclate sur les fraudes massives de l’entreprise électrique Enron qui aboutit à révéler l’état pitoyable des infrastructures électriques de certaines régions des Etats-Unis dont la Californie. 20
Une task force sur les smart grids a été mise en place par le Department of Energy avec la collaboration de nombreuses agences dont le Department of Homeland Security pour les aspects protection cyber. 21
Projet « Modellstadt Mannheim » réunissant acteurs publics et privés : http://www.modellstadt-mannheim.de/moma/web/en/home/index.html
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
12
l’UE. En effet en installant le premier grand réseau intelligent transfrontalier, les entreprises
allemandes pourraient établir la future base européenne en matière de normes sur cette question et,
par-là, bénéficier d’un avantage compétitif certain22. C’est d’ailleurs très probablement la volonté de
récupérer des technologies concernant les smart grids qui ont été à la base de l’affrontement
économique entre GE et Siemens pour la branche énergie du français Alstom en novembre 2015.
D’autres acteurs issus des pays émergents se lancent dans cette question des smart grids. Le pays
qui apparait le plus en pointe sur cette question est la Corée du Sud. La forme économique
particulière des entreprises coréennes, les chaebols, où chacune des grandes entités est engagée
dans de multiples secteurs, permet de réunir les énergies. En effet, bénéficiant de compétences tant
dans le domaine de l’énergie que dans celui des TIC, les entreprises comme LG, Samsung et Hyundai,
se positionnent dans le développement de solutions énergétiques dans un pays à la fois pauvre en
ressources et bénéficiant d’une excellente couverture Internet et téléphonique avec le déploiement
en cours de la 5G. Ici aussi les industriels ont choisi de se réunir avec le gouvernement pour
collaborer au sein d’une entité dédiée à la question : la Korea Smart Grid Association (KSGA) 23.
La Chine, au travers de l’entreprise publique de gestion du réseau électrique State Grid Corp. Of
China, est également très active sur un domaine qu’elle considère comme stratégique eu égard à la
taille du pays. State Grid Corp. poursuit depuis quelques années une politique d’investissement dans
les technologies liées aux smart grids et peut compter sur le partenariat des acteurs chinois du
cyberespace pour les questions liées au traitement et au stockage des données. En outre State Grid
Corp. est également active sur les marchés internationaux, rachetant de nombreux actifs depuis le
début des années 2010 (25% de Redes Energéticas Nacionais le gestionnaire réseaux de distribution
du Portugal, 35% de CDP Reti, le gestionnaire des réseaux italiens).
2. Autres
Les technologies d’efficacité énergétique se développent dans de multiples champs, bien au-delà de
la seule question électrique. Elles permettent le plus souvent d’agir sur les questions liées aux
performances des équipements collectifs et individuels qu’il s’agisse de moyens de transports ou de
bâtiments par exemple. Pour le moment 99% des dispositifs de stockage d’énergie dans le monde,
représentant au total 140 GW de capacité, sont des retenues d’eau qui peuvent délivrer une
puissance électrique en cas de besoin. Ainsi, à l’heure actuelle, les grands énergéticiens de
l’hydraulique comme Vattenfall ou Hydro Québec sont les mieux placés dans ces dispositifs de
stockage par retenue d’eau.
La plupart des programmes de stockage de l’énergie sont gérés au niveau des autorités politiques,
s’agissant le plus souvent de programmes pilotes. L’action des entités politiques nationales, locales
(Californie, Ontario) ou supranationales (Union européenne) est décisive au niveau du
développement des solutions de stockage. A titre d’exemple l’Union européenne au travers du 7e
22
Une initiative est par ailleurs en cours d’évaluation sur l’opportunité d’un partenariat franco-italien, l’énergéticien italien Enel ayant déployé des compteurs intelligents sur le territoire national depuis 2010. 23
http://www.ksga.org/eng/main/main.asp
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
13
PCRD finance le programme stoRE qui cherche à connecter les dispositifs de stockage d’énergie aux
plans de développement des ENR dans divers pays de l’Union24. Au niveau américain, l’American
Recovery and Reinvestment Act de 2009 prévoit de substantiels financements pour les dispositifs
d’efficacité énergétique que ce soient les smart grids (4,5 milliards USD), les batteries (2 milliards
pour les batteries de véhicule, 42 millions pour les batteries fixes), l’efficacité des bâtiments (5
milliards environ) ou des projets-cadres d’efficacité énergétique et ENR (3,1 milliards).
La coopération internationale s’avère néanmoins très importante pour l’aboutissement de nombre
de ces projets de recherche complexes et couteux. Au-delà de la concurrence des comités ou des
groupes ad-hoc se mettent en place. Au niveau de l’Union européenne il existe par exemple une
smart grid task force mais on peut aussi noter des initiatives privées comme le Deep Decarbonization
Pathways Project porté par l’IDDRI. Il vise à regrouper les projets et initiatives des institutions de
recherche liés à la décarbonisation de nombreux pays comme l’Australie, le Brésil, le Japon, l’Italie,
la France, l’Allemagne, la Chine ou les Etats-Unis.
24
http://www.store-project.eu/
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
14
Développements en cours ou en projet
I. Stockage d’énergie
L’une des principales avancées d’ici 2030 concerne le stockage d’énergie et, en particulier,
d’électricité. Cette dernière se stocke difficilement, en petites quantités et oblige à penser la
production électrique en flux quasi tendu. Ceci vient heurter l’un des principaux défauts des ENR, à
savoir l’intermittence de leur production. Des avancées dans le stockage de l’électricité elle-même
permettraient de mieux anticiper la production et, ainsi, de mieux intégrer les ENR à celle-ci.
Un certain nombre de technologies de stockage d’énergie existent déjà à l’image des retenues d’eau
(STEP pour station de transfert d’énergie par pompage) pour l’hydroélectricité mais pour l’instant
deux problèmes majeurs se posent : d’une part la capacité de stockage et d’autre part la disponibilité.
Pour que le stockage d’énergie (majoritairement d’électricité ici mais il faut également prendre en
compte le stockage thermique) puisse se révéler une véritable solution d’efficacité énergétique, les
technologies envisagées doivent être capables d’offrir une grande puissance sur un temps
relativement long. Etant précisé que ceci ne peut réellement advenir qu’à un coût raisonnable avec
des infrastructures suffisamment ergonomiques.
Plusieurs voies technologiques sont envisagées pour un déploiement vers 2030-2050 avec plus ou
moins de probabilités d’aboutir à des solutions commercialement intéressantes. Les coûts initiaux
s’avèrent pour le moment très élevés (500 à 4500 USD par KWh pour les retenues d’eau et 300 à
3300 USD le KWh pour les batteries). Pour le moment la plupart des financements en matière de
R&D est concentrée sur les batteries et l’hydrogène qui représenteraient des percées technologiques
importantes si les problèmes de durée et de puissance étaient résolus. En outre l’hydrogène pose
pour le moment des problèmes de sécurité liés à son caractère inflammable qui doivent être résolus
avant d’envisager un déploiement à une échelle plus ou moins importante.
Les investissements envisagés sont particulièrement élevés puisque l’AIE prévoit selon divers
scénarios des besoins compris entre 380 milliards et 750 milliards USD sur la période 2010-2050 pour
aboutir à des technologies économiquement matures. Sachant que le stockage d’énergie se conçoit
surtout dans l’optique d’un déploiement massif d’ENR, en partie pour combler l’intermittence de ces
derniers et répondre aux pics de demande, c’est en réalité un surcoût qui doit être intégré dans les
calculs de déploiement des ENR – éventuellement en combinaison aussi avec les smart grids.
De nombreux industriels se positionnent sur le segment comme les fabricants de batteries (Saft,
Bosch, Tesla) et des fournisseurs de solutions industrielles de l’énergie (Mitsubishi Heavy Industries,
GE, AES). Néanmoins ils sont pour le moment principalement implantés en coopération avec des
acteurs publics (autorités de régulation électrique) ou des utilities et des centres de recherche
universitaire.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
15
II. Energies marines
Les énergies marines (voir annexes) représentent une voie de développement des ENR particulière.
Celles-ci représentent un ensemble de technologies offshore permettant de répondre à un certain
nombre de contraintes mais, en même temps, créant de nouvelles problématiques notamment au
niveau de la transmission électrique.
L’éolien offshore qui semble être la plus mature des énergies marines souffre de nombreux
désavantages économiques pour le moment. Deux grandes filières existent : le posé et le flottant
mais les deux butent sur des coûts d’installation très importants, de la structure elle-même ou des
systèmes de transmission. Le posé est pour le moment la seule solution économiquement viable,
même s’il demeure particulièrement cher.
L’hydrolien s’apparente à une technologie prometteuse puisque moins perturbatrice pour les êtres
humains. La majorité du potentiel identifié se situe au Royaume-Uni, mais la France, en Bretagne et
Normandie dispose d’un potentiel intéressant, oscillant selon les études entre 2 et 6 GW. Toutefois
la question des coûts engagés est ici encore plus importante que pour l’éolien offshore et sans d’une
part des financements et d’autre part une hausse des coûts de production des énergies émettrices,
l’hydrolien ne devrait pas se développer en masse25.
Le marémoteur encore peu développé et restant pour le moment au niveau d’extrême appoint ou de
démonstration technologique. La France a longtemps disposé de la plus puissante capacité installée
à travers l’usine de la Rance (240 MW) détrônée en août 2011 par l'usine marémotrice de Sihwa en
Corée du Sud (254 MW). Toutefois il pourrait, lorsque la technologie sera véritablement mature
économiquement être déployé sur de vastes zones de l’Océan Atlantique que ce soit en Europe ou
en Amérique ; le Brésil notamment est très intéressé pour les Etats du Nordeste.
Les autres énergies marines comme l’houlomoteur (provoqué par les vagues) ou l’osmotique
(provoqué par la différence de salinité) sont à des stades de développement moins avancés. La
question à la fois des investissements conséquents nécessaires et des priorités technologiques vers
l’une ou l’autre des énergies marines, ont jusqu’ici amené à un focus sur l’éolien offshore.
Au niveau européen les énergies marines ont intégré dans la réflexion globale sur les ENR mais
l’enclavement d’un certain nombre de pays de l’Union fait qu’elles ne sont pas per se un sujet
prioritaire26. Plusieurs pays comme le Royaume-Uni ont néanmoins développé une stratégie
originale en ce domaine, s’appuyant notamment sur la convergence public-privé, au travers en
partie du European Maritime Energy Centre27. Au niveau français leur potentiel a bien été identifié28
que ce soit par des organismes publics (ADEME, Ifremer) ou privés (GICAN) ainsi que des
groupements public-privé les réunissant (CORICAN, France Energies Marines)29. Il est d’ailleurs
25
Un appel à projets a été lancé par l’ADEME en 2015, il concerne, pour la ferme test, l’hydrolien fluvial ou d’estuaire, le premier étant moins prometteur en termes de puissance. 26
Même si certains projets rentrent dans le 7e PCRD comme c’est le cas en France pour un site test d’éolien flottant :
http://www.developpement-durable.gouv.fr/Qu-est-ce-que-l-eolien-flottant-en,42036.html 27
http://www.emec.org.uk/ 28
http://www.lefigaro.fr/newsl_prospective_energie/index20130118.html 29
http://www.france-energies-marines.org/Qui-sommes-nous/Groupement
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
16
intéressant de voir que les industries spécialisées dans les constructions navales et plus
spécifiquement militaires (GICAN, DCNS, STX) sont des moteurs du développement de ces énergies
et communiquent beaucoup sur les opportunités économiques qu’elles offrent30. Deux séries
d’appels d’offres ont été lancées en France (début des installations en 2016 et 2020) pour des parcs
d’éolien offshore posé. Six parcs sont en construction sur la côte Atlantique et en Mer du Nord, où
l’on retrouve les industriels français comme fournisseurs des parties mécaniques (Areva et Alstom)
et les énergéticiens nationaux comme opérateurs (Engie et EDF Energies nouvelles) avec en plus
Iberdrola qui gère le parc de Saint-Brieuc.
La vision du développement en France des énergies marines poussée par l’ADEME, repose sur une
série de scénarios à l’horizon 2030. Selon ceux-ci, la production électrique des énergies marines
oscillerait de 41,2 TWh par an dans le meilleur des cas à 7,7 TWh par an pour le scénario noir. Ceci est
à comparer avec les 563 TWh produits en 2014, soit une part variant de 7,3 à 1,4% à production
constante.
III. Autres
Même si l’étude choisit des focus particuliers, d’autres développements prometteurs sont en cours.
Sur la biomasse et les biocarburants, les nouvelles générations de centrales permettent de diminuer
les surfaces requises pour une production constante. De même la réutilisation de déchets
organiques – de l’industrie forestière par exemple – s’améliore ; en Europe le biogaz et le
biométhane sont promis à un bel avenir. Cela induit des développements de capacités notamment
en Asie (Chine, Japon) et au Brésil. Une problématique particulière demeure néanmoins, celle des
chaines logistiques associées. Avec l’augmentation de la demande en résidus de bois, certains pays
deviennent des fournisseurs de matière première pour biomasse comme les Etats-Unis (3 924 000
tonnes de copeaux exportées en 2014) ou le Canada. Cela a nécessairement un impact sur les
émissions de gaz à effet de serre (transport maritime) et limite donc l’intérêt de certaines formes de
biomasse pour la lutte contre le changement climatique.
De la même manière, la géothermie est également en plein développement y compris hors des pays
les plus avancés, à l’exemple du Kenya qui a mis en service 358 MW de géothermie en 201431. Au
niveau industriel une Global Geothermal Alliance a été créée en 2014 afin de regrouper les acteurs
du secteur. Des avancées technologiques ont lieu comme les centrales combinées géothermie-
solaire à concentration étudiées par Enel pour améliorer l’utilisation thermique de la géothermie. De
son côté le gouvernement américain mène des recherches sur la réduction des risques associés aux
forages géothermiques avec un système baptisé Enhanced Geothermal Systems32.
30
Voir la brochure conjointe GICAN-SER, L’industrie maritime française s’engage pour les énergies renouvelables, d’octobre 2015. 31
Pour arriver à un total national de 600 MW de géothermie installés 32
Au-delà des risques liés au forage, la géothermie présente des inconvénients sur les gaz soufrés potentiellement relâchés dans l’air.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
17
Indicateurs
I. Prix du carbone
La question du prix du carbone, présente dès l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto dans les
années 2000, demeure centrale dans la problématique du développement de solutions ENR et
d’efficacité énergétique. En effet toutes ces technologies, outre leurs désavantages structurels,
s’avèrent bien plus couteuses au KWh produit que les solutions hydrocarbures traditionnelles. La
volonté de fixer un « prix » du CO2 est l’une des clés pour permettre une meilleure attractivité
économique des ENR, sans avoir recours au mécanisme des subventions33. La volonté de créer une
bourse du carbone pour gérer les quotas de CO2 et, par-là, permettre un meilleur financement des
solutions énergétiques innovantes et sobres en carbone, a donné naissance à plusieurs initiatives
dont l’ETS (European Trading Scheme).
Le prix actuel du carbone de l’ordre de 5-10 EUR la tonne est néanmoins trop faible pour permettre
une mise en place efficace de marchés du carbone, car il n’impacte pas de façon significative les
coûts de production des centrales les plus polluantes et n’incite donc pas suffisamment la réduction
des émissions. Cette faiblesse de prix est l’une des raisons principales de l’échec de la bourse
européenne Bluenext34. La question du prix minimal est donc centrale pour l’efficacité d’un éventuel
marché carbone, instrument important de la régulation des émissions de CO2. Un prix minimal de
20-30 USD la tonne semble selon les études être nécessaire afin d’obtenir un mécanisme qui ait un
impact visible sur les comportements nationaux et industriels35.
II. Structure de la concurrence
La structure de la concurrence entre les deux grandes catégories (fournisseurs de solutions
industrielles et intégrateurs) et au sein de ces dernières joue un rôle non-négligeable sur la
disponibilité et les prix des solutions ENR et d’efficacité énergétique. La rationalisation des coûts par
un effet de taille des entreprises proposant des solutions clé-en-mains avec une maitrise de
l’ensemble de la chaine de valeur industrielle, tendrait à faire diminuer les coûts globaux
d’installation, si ce n’est d’opération.
Les grands mouvements de rachats des entreprises fabricant les éléments industriels par d’autres
industriels (exemple Astom-GE) ou par des intégrateurs sont le signe d’une certaine concentration
du secteur. Un autre mouvement est celui du regroupement des savoir-faire, notamment par des
joint-ventures du type Adwen (Areva-Gamesa) ou des alliances (exemple E.ON-Vestas) qui se
33
Lequel est fortement décrié voire peut s’avérer contre-productif. 34
Combiné à d’autres aléas comme les fraudes à la TVA, les cyberattaques, etc. 35
http://www.euractiv.fr/sections/climat-environnement/le-parlement-europeen-veut-ressusciter-le-marche-du-carbone-en-2019 ; http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/decryptage/2015/05/27/29002-20150527ARTFIG00006-prix-du-carbone-quels-sont-les-enjeux.php
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
18
multiplient. De la même manière que pour le secteur des utilities dans les années 2000, un
bouleversement de cet ordre dans le sous-secteur des ENR ou de l’efficacité énergétique pourrait
amener à la constitution de super-entités très internationalisées où 4 à 5 entreprises se
partageraient les grands marchés mondiaux.
Sur la question des smart grids, l’entrée sur le marché de l’énergie de fournisseurs de solutions big
data comme Google, IBM ou Microsoft, peut aboutir à une véritable redéfinition du marché. Ces
acteurs de l’Internet se montrent pour le moment les plus intéressés par ces nouvelles technologies
et sont ceux qui y investissent le plus36. La nécessaire complémentarité entre énergéticiens et
professionnels de la donnée pourrait même donner naissance à des rachats d’entreprises de
l’énergie par ces derniers. Google et les autres champions de la donnée deviendraient ainsi des
prestataires globaux du mode de vie et créeraient une nouvelle sorte d’utilities. Ceci serait d’autant
plus important que le développement de ces nouveaux réseaux électriques s’intègre dans la réflexion
plus large sur les smart cities dans lesquelles les gestionnaires de données auront un poids
prépondérant pour coordonner les différents champs (énergie, eau, déchets, etc.).
III. Règlementations internationales
Les avancées des principales négociations internationales sur le climat s’avèrent décisives pour
l’avenir des ENR et de l’efficacité énergétique. Avec un Protocole de Kyoto prolongé sine die depuis
la conférence de Copenhague en 2009, le système international peine à s’entendre sur une véritable
politique de lutte contre le changement climatique. la COP21 de Paris a donné une direction mais
les résultats des conférences suivantes s’avèrent décisifs en ce sens. Si jamais une règlementation
contraignante (taxation brute à la tonne de gaz à effet de serre émise p.e.) venait à voir le jour, avec
ou sans discrimination du niveau de développement des pays, c’est l’ensemble du système
énergétique mondial qui pourrait être bouleversé. Eu égard aux écarts de production de CO2 selon
les différentes installations – de 888 tonnes par GWh pour le charbon à 26 t pour l’hydraulique et le
solaire – les technologies ENR et d’efficacité énergétique seraient portées par cette pression fiscale.
De la même manière, la question des instruments de financement des transitions et de l’adaptation
des secteurs énergétiques nationaux est là aussi un enjeu majeur de ces conférences. La création
éventuelle d’un fonds climatique différent du Fonds vert pour le climat de la CCNUCC – sous l’égide
d’un organisme restant à définir – peut participer à la popularisation des énergies renouvelables
quand on sait que ces dernières sont extrêmement coûteuses par MW installé. La Banque mondiale
estime ainsi les besoins en financement entre 600 et 800 milliards USD supplémentaires par an pour
atteindre les objectifs des Nations-Unies sur Sustainable Energy for All, soit près du triplement du
niveau d’investissement de 2010.
Une autre problématique touche les règlementations de financement des institutions financières
internationales telles que la Banque mondiale. La volonté de financer ou non certaines énergies quel
36
Google a récemment créé l’entité Sidewalk Labs pour agir dans le domaine des smart cities : http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-avec-sidewalk-labs-google-s-attaque-au-marche-des-smart-cities-61442.html
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
19
que soit le niveau de développement de certains pays a nécessairement un impact sur le choix de
telle ou telle source. Alors que la Banque proclame haut et fort sa volonté d’agir comme un acteur
responsable et de lutter contre le changement climatique37, elle continuait il y a peu de financer des
mégaprojets très polluants comme celui de la centrale à charbon de Medupi en Afrique du Sud38. Le
comportement des institutions financières internationales à portée globale comme la Banque
mondiale ou à portée régionale (Banque interaméricaine de développement, Banque africaine de
développement, etc.) est donc central dans la problématique de l’accès à l’énergie de nombreux
pays. Si des déclarations ont eu lieu en marge de la COP21, il convient de rester attentif sur leur
application. Tant que les grands projets hydrocarbures pourront être financés en partie par ces
organismes, les ENR seront mécaniquement moins intéressants pour les pays en développement. En
outre, toujours dans cette optique, la faiblesse du prix du baril de pétrole rend les ENR
particulièrement peu intéressantes économiquement pour les pays ayant des problématiques
d’accès à l’énergie.
Les règlementations associées aux grands ensembles régionaux tels que l’Union européenne ont
également un impact plus ou moins direct selon le degré de contrainte associé à leurs décisions. Au
sein de l’Union européenne, le paquet énergie-climat de 2030 qui se veut plus ambitieux que le
précédent, établit des règles importantes quant à la performance énergétique et la part des ENR
dans les mix énergétiques nationaux. En effet en souhaitant réduire de 40% les émissions de gaz à
effet de serre d’ici 2030 (contraignant au niveau national), l’Union veut aussi augmenter à 27% le
taux de renouvelables dans les mix nationaux (contraignant au niveau communautaire) et
augmenter le taux d’efficacité énergétique à 27% lui aussi (contraignant au niveau communautaire).
Il s’en suit une transposition au niveau des Etats qui doivent, selon les cas envisagés, se plier aux
décisions communautaires sur les questions d’énergie liées au climat. De la même manière, il
n’existe pas au niveau européen, malgré la libéralisation des marchés de l’électricité (directive
2003/55/CE), de cadre dédié au stockage de l’énergie ce qui complique l’entrée d’industriels en
demande de visibilité sur ce secteur.
IV. Règlementations nationales
Au-delà des questions globales et régionales, contraignantes ou non, c’est en grande partie l’action
des acteurs politiques nationaux qui se révèlerait primordiale pour l’adoption en masse des ENR ou
des solutions d’efficacité énergétique. En effet, les questions de stratégie énergétique nationale39,
de politique fiscale vis-à-vis des dispositifs propres (financements, subventions, tarifs de rachat, etc.)
et de cadre règlementaire (facilité pour l’installation de petites unités, nécessité d’améliorer la
performance énergétique des bâtiments, statut particulier pour les entreprises de stockage
d’énergie, etc.) sont au cœur de la problématique.
37
http://www.worldbank.org/en/topic/energy/overview#2 38
“South Africa Wins $3.75 Billion Coal Loan”, NewYorkTimes, 9 avril 2010. 39
Présentes dans les fiches pays de la phase 1.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
20
Diverses options peuvent être envisagées en matière de contrainte environnementale ou
d’obligation d’installation des ENR. Il peut s’agir d’une orientation étatique simple comme c’est le
cas en France avec la loi sur la transition énergétique qui prévoit l’abaissement de la part de
certaines énergies dans le mix national (nucléaire) et l’augmentation d’autres en parallèle (ENR). Il
peut également s’agir d’une politique plus orientée vers les entreprises comme c’est le cas dans des
pays disposant d’un secteur libéralisé.
En Chine la volonté du pays d’aboutir à un plafonnement de ses émissions de gaz à effet de serre en
2030 peut se heurter aux questions de développement économique. Le rôle politique du National
Climate Change, Energy Efficiency, and Emission Reduction Leading Small Group créé en 2007 pour
règlementer les aspects environnementaux peut se révéler décisif s’il obtient des moyens à la
hauteur de sa tâche40. C’est notamment l’arbitrage entre les différentes options énergétiques, dont
le gaz, qui permettrait à la Chine de continuer son développement dans les ENR. En 2014, la Chine
avait une capacité installée de 115 GW soit près de deux fois celle des Etats-Unis.
40
Il est pour le moment avant tout un organisme consultatif de la Commission du Développement et de la Planification.
Le cas chilien
Le Chili présente une situation particulière en Amérique latine. Le pays est en effet le premier de
la région à avoir libéralisé en profondeur son secteur énergétique avec la Loi générale sur les
services électriques de 19821. Le processus de libéralisation des services électriques se poursuit
après le retour à la démocratie et jusqu’en 1998 avec la vente d’Edelaysen, dernière grande
entreprise de production électrique nationale. A l’heure actuelle, le secteur de la production, de
la transmission et de la distribution électrique est privatisé à 100%, ce qui est une originalité dans
la région. Toutefois l’Etat a conservé un rôle important dans tout ce qui touche aux
problématiques de sécurité énergétique et trace les grandes orientations nationales via la
Commission Nationale de l’Energie, avant la création d’un ministère de l’Energie en 2010 sous le
gouvernement Piñera. A l’heure actuelle, le gouvernement chilien a choisi une posture
extrêmement proactive dans le domaine des ENR. En 2008 une loi pour le développement des
énergies renouvelables de nouvelle génération est promulguée. Elle prévoit un cadre
règlementaire contraignant pour les opérateurs électriques en les obligeant à augmenter
progressivement le pourcentage d’ENR de nouvelle génération dans leur mix électrique, jusqu’à
atteindre 10% en 2024. Il est laissé à chaque opérateur le choix des énergies à développer. Un
mécanisme complet a été créé pour inciter les différents industriels producteurs d’électricité à
développer ces nouvelles sources d’énergie : développement des mécanismes d’appel d’offres et
de financement – avec notamment l’action de l’Agence de développement économique du Chili
qui stimule l’investissement privé dans les ENR - intégration des ENR dans le plan d’actions
d’efficacité énergétique 2012-2020 et la création d’un centre de promotion des ENR nouvelles
génération.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
21
V. Disponibilité des matières premières
Si les ENR et les solutions d’efficacité énergétique s’avèrent très intéressantes pour réduire les
dépendances nationales aux énergies fossiles, elles n’en sont pas moins elles-mêmes
consommatrices de matériaux stratégiques. En effet, là où les technologies thermiques à base
d’hydrocarbures – voire les turbines hydraulique – se révèlent relativement simples à fabriquer, la
complexité des ENR (solaire et éolien principalement) crée de nouvelles dépendances. Le solaire et
l’éolien nécessitent de fait pour fonctionner des matériaux stratégiques, principalement des métaux
plus ou moins rares, entrant dans la composition des turbines (éolien) ou des panneaux à couches
minces (solaire). De la même manière les différentes approches de l’efficacité énergétique,
principalement autour de la question du stockage d’énergie par batteries, posent la problématique
des approvisionnements en matières premières stratégiques. Si le lithium ne semble pas être la
solution pour un développement à grande échelle, diverses voies technologiques pourraient amener
à des dépendances nouvelles (au vanadium majoritairement produit en Chine, Russie et Afrique du
Sud par exemple) et ainsi un déplacement de la criticité des approvisionnements dans des mesures
restant à définir.
La problématique des terres rares, souvent posée, trouve ici de nouveaux développements. Les
éoliennes notamment sont dépendantes du néodyme pour la fabrication d’aimants de forte
puissance destinés aux grandes éoliennes. De la même manière, les couches minces des panneaux
solaires intègrent nombre de métaux stratégiques allant de l’indium au germanium41 La question de
l’approvisionnement en matières premières stratégiques pour les constructeurs de solutions
industrielles devient ainsi critique. Les pays et entreprises détenant ces éléments particuliers sont
ainsi en position de force pour peser sur les approvisionnements en matières premières nécessaires
à la construction des éléments industriels des ENR. Cette stratégie du contrôle de la productivité qui
a été mise en place par la Russie, notamment dans l’aéronautique42, pourrait permettre aux Etats et
aux entreprises minières de peser sur le marché si celui-ci se développe en profondeur. Cela pourrait
amener à des transferts de technologie « forcés », des développements économiques préférentiels
ou des stratégies d’approvisionnements améliorées43.
Etat des ressources nécessaires à la fabrication d'ENR ; sources : USGS ; Polinares.
Item Pays Production (t) Ressources (t)
Terres rares (données 2014)
Etats-Unis 7 000 1 800 000
Chine 95 000 55 000 000
Australie 2 500 3 200 000
Inde 3 000 3 100 000
Brésil 0 22 000 000
41
C’est le cas des nouvelles cellules photovoltaïques en couche mince dites CIGS (Cuivre-Indium-Germanium-Sélénium). 42
Voir MAZZUCCHI N. (2012), «Emprise stratégique de l’État et puissance internationale : le cas des métaux en Russie », Géoéconomie n°61, pp. 117-131. 43
Sachant que certains de ces items demandent à être fortement raffinés au travers d’un processus très polluant, comme c’est le cas des terres rares ce qui induit également une importance sur la chaine de valeur des industriels des produits « prêts à l’emploi » comme Solvay ou Treibacher dans ce cas précis.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
22
Indium (données 2014)
Chine 420 2 100 ?44
Corée du S. 150 ?
Japon 72 ?
Canada 65 300 ?
Germanium (données 2014)
Etats-Unis 0 ?
Chine 120 ?
Russie 5 ?
Sélénium (données 2014)
Japon 750 NA45
Allemagne 700 NA
Chine NA 26 000
Russie 150 20 000
Canada 150 6 000
Cuivre (données 2014)
Chili 5 800 000 209 000 000 Russie 850 000 30 000 000
Australie 1 000 000 93 000 000 Pérou 1 400 000 68 000 000
Prospective
I. Scénario A : développement différencié dans le monde
Le quasi statu quo issu des conférences de la CCNUCC depuis 2016 induit un relatif découragement
de la part des promoteurs des solutions énergétiques bas carbone. En effet la COP21 n’a pas atteint
l’objectif d’une règlementation internationalement contraignante au niveau de la taxation des
émissions de gaz à effet de serre. Il s’ensuit que la dichotomie pays avancés/pays en développement
demeure, sans que celle-ci ne recouvre la réalité. Chaque pays se retrouve donc plus ou moins libre
de ces décisions en ce domaine, au plus grand bénéfice des pays émergents et des Etats-Unis qui
refusent obstinément un alourdissement de la charge fiscale que cela induirait. De même les
conditions d’abondement du fonds vert pour gérer la lutte contre le changement climatique ne sont
pas suffisamment précises et les anciens mécanismes, notamment au travers de la Banque Mondiale,
demeurent la règle.
Dans ce contexte, les pays les plus avancés, qui se voient astreints à des objectifs au titre du
Protocole de Kyoto, demeurent en pointe dans la réduction de leur empreinte carbone. Les pays
européens, suivant les ambitions des plus développés d’entre eux ainsi que les règlementations de
l’Union, continuent sur leur voie d’une transition énergétique douce, portée par le couple
44
L’estimation des réserves d’indium et de germanium est extrêmement complexe à réaliser car celui-ci se trouve de manière relativement aléatoire et en très petite quantité dans des dépôts de zinc. 45
Le sélénium est généralement associé au cuivre, il suit son marché en termes de production brute et raffinée.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
23
renouvelables/efficacité énergétique. La part des ENR dans les mix énergétiques nationaux se
développe doucement, sans toutefois pouvoir en constituer une base réelle. Aucune politique
d’unification électrique européenne n’existe vraiment et le gaz est, par défaut, la source d’électricité
la plus commune au sein de l’Union. Pour leur part les Etats-Unis tentent de limiter la hausse des
émissions de gaz à effet de serre au niveau national mais pas au prix de leur croissance, l’efficacité
énergétique, au travers des smart grids, permet de combler certains points noirs du réseau national,
comme en Californie. La Chine est lancée dans une politique de développement des ENR pour
atteindre ses objectifs nationaux de pic d’émissions en 2030. Dans ce cadre les ENR46 sont vues
comme l’un des pans de la solution globale qui tend à promouvoir également le gaz et le nucléaire.
Les réseaux intelligents dans les pays émergents sont surtout pensés pour les nouvelles mégapoles
qui se développent sans cesse que ce soit en Chine ou en Inde.
La structure économique mondiale semble aller de plus en plus vers une spécialisation internationale
où, à l’exception de certains pays (Allemagne, Etats-Unis), les composants industriels des solutions
ENR et d’efficacité énergétique sont quasi-exclusivement produits par les pays émergents (Chine,
Inde, Corée du Sud, Taïwan, etc.). De la même manière, les intégrateurs de solutions ENR et de
smart grids sont majoritairement présents dans les pays les plus avancés (France, Japon, Etats-Unis,
Allemagne, Royaume-Uni, etc.) avec toutefois un développement de la Chine au travers de State
Grid of China. La compétition internationale se stabilise ainsi même si certains acteurs comme
l’Allemagne, les Etats-Unis et même la Chine tentent d’être présents sur l’ensemble du spectre. La
part des solutions ENR et d’efficacité énergétique se développe mais demeure plus un appoint
qu’une base, sauf dans certaines régions (Europe, éventuellement Japon).
II. Scénario B : accord climatique majeur
Les conférences climatiques de la CCNUCC aboutissent, après de celle de Paris fin 2015, à un accord
très contraignant où le principe de la taxation des émissions brutes est adopté. Cela fait suite à un
revirement des Etats-Unis et de la Chine qui, s’étant de plus en plus positionnés sur le marché des
ENR et de l’efficacité énergétique, craignent que l’une des deux puissances ne prenne un avantage
décisif sur l’autre dans le domaine énergétique. Même si l’accord en question est prévu pour n’entrer
en vigueur qu’en 2030, lorsque les pays auront fait les efforts nécessaires pour adapter leur mix
énergétique aux nouvelles contraintes, les effets se font sentir dès la fin des années 2010. En effet la
création d’un « fonds vert », bien supérieur en termes de dotation au Clean Technology Fund (CTF)
de la Banque Mondiale, sous l’égide de la CCNUCC permet avec d’importantes contributions
nationales de financer la transition énergétique partout dans le monde.
L’accord climatique met aussi fin à la dichotomie entre les pays de l’Annexe 1 du Protocole de Kyoto
et les autres, pour créer une échelle d’évaluation de maturité techno-économique, permettant
d’établir des priorités en termes de financement ; les pays les plus hauts dans cette échelle
s’autofinançant et les plus bas étant soutenus par les organismes multilatéraux dont le nouveau
« fonds vert ».
46
Avec évidemment des choix technologiques différents selon les pays.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
24
Cela entraine un regain de l’investissement dans le secteur des énergies renouvelables et de
l’efficacité énergétique, aussi bien pour les questions de développement de matériels que
d’intégration. Les grandes entreprises de l’énergie qui n’étaient pas ou peu positionnées sur ces
créneaux47 s’y intéressent fortement par rachat de structures, et celles qui y étaient déjà implantées
s’y investissent encore d’avantage. Il en résulte un développement de la compétition où les petites
et moyennes structures actuelles comme Gamesa ou Vestas dans l’éolien sont partiellement ou
totalement rachetées par un ou plusieurs grands énergéticiens. Eu égard à leur position compétitive
qui se renforce, les acteurs chinois voire indiens deviennent des compétiteurs importants dans
certains domaines (éolien, solaire) pour les marchés en développement ou peu avancés. Il en résulte
une certaine cristallisation du marché autour d’une série d’hyperacteurs du Nord et des grands
émergents détenteurs de la technologie, à l’image de ce qui existe dans le monde pétrolier.
L’Europe demeure dans ce cadre un des hauts lieux de savoir-faire en matière d’ENR et d’efficacité
énergétique avec quelques grands groupes très puissants comme Siemens ou Engie. Toutefois les
petites et moyennes structures du continent, souvent très innovantes industriellement, sont la proie
d’une compétition féroce entre acteurs non-européens comme GE ou State Grid of China qui
cherchent à s’en emparer. Le cas Alstom, représentant une certaine perte de savoir-faire stratégique
sur l’efficacité énergétique au profit d’un groupe extra-européen, tend à se reproduire à plus petite
échelle mais de manière répétée. La France au travers de ses grandes entreprises dispose d’une
avance certaine dans les ENR (SunPower-Total, EDF Energies nouvelles, Engie voire Areva si cette
dernière subsiste) et l’efficacité énergétique (Engie, EDF). Toutefois elle est dépassée en ce qui
concerne la gestion des données afférentes aux smart grids de grande voire très grande ampleur et
doit faire appel à des partenaires américains en ce qui concerne les questions de big data inhérentes
(Google, Amazon, Cisco, IBM, etc.).
III. Scénario C : percée technologique
De grandes avancées technologiques durant la décennie 2020 permettent de rendre les solutions
ENR et d’efficacité énergétique plus productives, mais aussi – et surtout -, plus rentables. La
principale avancée pourrait être le dépassement du breakeven technologique sur les questions de
stockage d’électricité (autres que stockage par retenue d’eau). De nouveaux matériaux permettant
de stocker de manière décentralisée des quantités importantes d’électricité représentent un
véritable bond en avant et, sans doute, les prémisses d’une révolution socio-économique. En effet
dans ce cadre il devient possible d’intégrer plus avant les ENR dans les mix électriques, à un niveau
local pour les besoins d’une ville ou d’une petite région, tout en diminuant l’impact de la question de
l’intermittence. De la même manière cela favorise l’installation de smart grids dans les pays désireux
et disposés à le faire, principalement en Europe, Amérique du Nord et Asie orientale/du Nord (Chine,
Japon, Corée du Sud).
47
Certaines majors pétrolières notamment (ExxonMobil, Shell, etc.) qui ont abandonné les ENR dans les années 1990-2000 faute de rentabilité suffisante.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
25
Toutefois selon le type de matériaux nécessaires à la construction de ces installations de stockage
électrique (métaux stratégiques essentiellement), une part de la dépendance peut aussi être
imputée aux fournisseurs (pays comme entreprises) de ces matériaux de base. En ce sens les grands
pays miniers comme la Russie, l’Australie, l’Afrique du Sud ou le Brésil ont un levier d’action non-
négligeable selon le ou les items considérés.
L’accès à ce type de technologie économiquement viable ouvre la porte à des négociations
internationales apaisées puisqu’il devient progressivement possible de penser le développement
économique de pays ou de régions sans nécessairement diminuer leur consommation énergétique.
Cela permet ainsi de débloquer la position des Etats-Unis et des grands émergents aux conférences
de la CCNUCC, même si la Russie, eu égard à ses déterminants particuliers, devrait rester opposée à
un accord global. Toutefois avec un retournement des Etats-Unis et de la Chine vers une volonté de
rénovation du système de régulation internationale du climat – d’autant plus que les deux pays sont
de grands fabricants d’ENR – une nouvelle donne est possible avec l’idée d’une taxation des
émissions à la tonne de gaz à effet de serre émise, remplaçant le mécanisme actuel des quotas. De la
même manière les questions de financement des transitions vers ce nouveau mode de
fonctionnement du secteur électrique48 est au cœur des débats avec, selon la ou les entreprises à
l’origine de cette percée technologique, une facilité accrue pour l’élargissement du CTF de la Banque
mondiale ou du fonds vert de la CCNUCC.
Il s’ensuit que la ou les entreprises ayant développé cette nouvelle technologie acquièrent de fait une
place dominante sur le secteur de l’énergie au niveau industriel comme utilities. La compétition
économique donne ainsi nécessairement un avantage aux entreprises (et aux pays d’origine de ces
dernières) à l’origine de cette nouvelle technologie, même si l’exclusivité ne durerait probablement
pas très longtemps49. Les firmes les plus susceptibles d’y arriver, lorsque l’on regarde les dépôts de
brevets, les investissements en R&D et le niveau technologique actuel, se situent plutôt dans les
pays du Nord. Pour l’Europe et la France cela offre deux voies différentes. Si l’entreprise est
originaire du continent, alors cela peut entrainer la création de normes au niveau de l’UE, avec une
politique de l’Union de mettre l’accent sur ce nouveau mode de production électrique, et donner à
l’entreprise et à son Etat d’origine (plus probablement France ou Allemagne) une forme de
domination technologique sur la région. Si l’entreprise est extra-européenne (plus probablement
nord-américaine voire asiatique) se pose alors la question de la transposition de la technologie et des
normes associées en Europe (au niveau de l’Union comme de chacun des pays). Des alliances
technologiques seraient ainsi probablement nouées avec certains des champions technologiques de
la région (Siemens, Engie, Areva, etc.) pour implanter cette technologie innovante dans les pays.
Cela créerait néanmoins une forme de dépendance, non aux matières premières mais à la
technologie pour l’Europe, qui remplace partiellement la dépendance aux hydrocarbures.
48
Avec le stockage d’électricité en volume, c’est aussi le secteur des transports qui devrait s’orienter de plus en plus vers les véhicules électriques et, de fait, diminuer son empreinte carbone. 49
Que ce soit par transfert de technologies, rachat de brevets, etc.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
26
Conclusion
Le secteur des ENR et de l’efficacité énergétique est l’une des plus intéressantes solutions pour
combiner sécurité énergétique et lutte contre le changement climatique. Les développements
technologiques, en germe en France et dans le monde, montrent que les grandes barrières comme
l’intermittence ou le stockage de l’énergie sont peu à peu en train de tomber, ouvrant des
perspectives prometteuses. Comme tout secteur en plein développement, les ENR et l’efficacité
énergétique sont au cœur d’une compétition économique féroce où les acteurs mondiaux se
montrent de plus en plus agressifs dans le développement technologique aussi bien que le rachat
d’entreprises étrangères.
Dans ce cadre, la France et l’Europe disposent d’un certain nombre d’atouts. D’une part un savoir-
faire technologique reconnu avec une antériorité non-négligeable, des entreprises dynamiques et de
grands groupes conscients de l’intérêt économique que le secteur représente. En outre les
populations européennes sont très conscientes des effets du changement climatique et donc
enclines à accepter, plus facilement que d’autres, le déploiement massif de ces solutions. Enfin les
organes de régulation nationaux ou communautaires sont particulièrement incitatifs en ce qui
concerne les ENR et les technologies d’efficacité énergétique.
Néanmoins la compétition mondiale, avec des acteurs chinois et américains de très grande taille,
ainsi que le maintien ou le développement d’acteurs asiatiques (japonais, sud-coréens, indiens),
induit des dangers sur les entreprises européennes. Au-delà d’une compétition féroce pour les
marchés, y compris émergents et peu avancés, les rachats de petites ou moyennes entreprises
élaborant de nouvelles solutions constituent un risque majeur de perte de savoir-faire. Au sein
même de l’Europe, la France fait face aux ambitions allemandes en ce domaine. Avec une politique
très incitative voire agressive sur les ENR et l’efficacité énergétique et la possibilité de faire porter –
parfois à un niveau multinational – les projets par un groupe tel que Siemens, l’Allemagne risque de
prendre une avance décisive. Les questions de normes étant critiques dans ce domaine, une trop
grande présence allemande sur le marché et dans les institutions communautaires, créerait un
désavantage structurel pour les entreprises françaises. La France doit donc se positionner dès
aujourd’hui au niveau de toutes les structures multilatérales pour défendre ses entreprises et son
savoir-faire.
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
27
Annexes
Coûts des différentes énergies aux Etats-Unis en service en 2020 sur une base
économique de 2013 ; source : Energy Information Administration
Source d’énergie Facteur de capacité (%) Coût total de génération
(USD 2013/MWh)
Charbon conventionnel 85 95
Charbon supercritique
avec CCS 85 144
Gaz à cycles combinés 87 73
Nucléaire (Gen. III+) 90 95
Géothermique 92 48
Biomasse 83 101
Eolien terrestre 36 74
Eolien offshore 38 197
Solaire PV 25 125
Solaire thermique 20 240
Hydraulique 54 84
Consommation d’énergie primaire au niveau mondial par source en 2015 ;
source : BP
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
28
Capacités solaires installées en 2014 ; source : Global Wind Energy Council
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
29
Investissements mondiaux en ENR et efficacité énergétique (1990-2009) ; source :
Banque Mondiale
Evolution de la demande d’énergie primaire au niveau mondial (millions TEP) ;
source : AIE
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
30
Production d’électricité d’origine renouvelable en France (GWh) ; source :
MEDDE (base Pégase)
Capacités installées (2014) de stockage d’énergie (MW) ; source : AIE
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
31
Maturité des technologies de stockage d’énergie ; source : AIE
Potentiel des différentes énergies marines ; source : GICAN-SER
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
32
Carte des projets d’énergies marines en France : source : MEDDE
Evolution du parc mondial d’ENR ; source : REN21
Energie Capacité installée en
2004 (GW) Capacité installée en
2014 (GW) Evolution (%)
Hydro 715 1055 32
Bioénergies 36 93 158
Géothermie 8,9 12,8 44
Solaire PV 2,6 177 671
Solaire à concentration
0,4 4,4 1000
Eolien 48 370 671
Total sans hydro 85 657 673
Total avec hydro 800 1712 114
SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique
33
Références
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ADEME (2011), Feuille de route sur les systèmes de stockage d’énergie, Paris, ADEME.
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Competitive Implications for the Industry, BCG, Paris/Pékin.
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http://www.fch.europa.eu/
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SANDIA NATIONAL LABORATORIES (2013), DOE/EPRI 2013 Electricity Storage Handbook in
Collaboration with NRECA, SNL, Albuquerque.
SÉCURITE ÉNERGETIQUE :
STRATÉGIES POUR L’EUROPE ET LA FRANCE
Phase 2
Sécurité énergétique :
quelle contribution pour le gaz
naturel liquéfié (GNL) ?
Avril 2016
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
2
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
3
Sommaire
Résumé ................................................................................................................... 5
Note ........................................................................................................................ 5
Organisation et dynamiques du secteur ..................................................................... 6
I. Le GNL ........................................................................................................................... 6
1. Le marché mondial du gaz naturel et la part du GNL ........................................... 6
2. La chaîne du GNL ................................................................................................ 6
II. Echanges internationaux .............................................................................................. 10
III. Structures contractuelles, mécanismes de pricing et prix ............................................ 14
1. Structures contractuelles .......................................................................................... 14
2. Mécanismes de pricing .............................................................................................. 14
3. Prix ........................................................................................................................... 15
IV. Développements ......................................................................................................... 16
1. Australie ............................................................................................................. 17
2. Etats-Unis et Canada .......................................................................................... 17
3. Arctique/Russie ..................................................................................................20
4. Egypte ................................................................................................................22
5. Autres .................................................................................................................22
V. Poids des grandes compagnies internationales............................................................ 23
VI. Evolutions techniques ................................................................................................. 23
1. Le Floating Storage and Regasification Unit (FSRU) .......................................... 23
1. FLNG .................................................................................................................. 25
Enjeux géopolitiques .............................................................................................. 26
I. La position dominante du Qatar et les risques sur le transport (Ormuz, Malacca, mer
Rouge) ............................................................................................................................. 26
II. L’essor de l’Australie et des Etats-Unis ......................................................................... 27
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
4
III. La dépendance du Japon, de la Corée du Sud et de Taiwan ........................................ 28
IV. Rôle prépondérant des chantiers de construction de la Corée du Sud et du Japon ..... 29
Implications pour l’Europe et la France ..................................................................... 30
I. Risques sur les approvisionnements d’Algérie ............................................................... 32
II. Opportunité de diversification grâce au GNL américain ............................................... 33
Scénarios prospectifs ............................................................................................... 35
I. Scénario A : Croissance du marché, émergence de prix de référence GNL, convergence
partielle des marchés gaziers ........................................................................................... 35
II. Scénario B : surcapacité, guerre des prix et crise du secteur du GNL ............................ 35
III. Scénario C : Demande accrue de GNL ......................................................................... 36
Conclusion .............................................................................................................. 37
Bibliographie ......................................................................................................... 38
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
5
Résumé
S’il ne représente encore qu’une partie mineure du marché mondial du gaz, de l’ordre de 10%, le
GNL connaît une croissance importante et constante : depuis dix ans, les échanges internationaux
de gaz ont été multipliés par deux.
Cette tendance est vouée à perdurer sur les prochaines années : la capacité de liquéfaction au niveau
mondial est attendue à près de 450 MTPA en 2020, soit une augmentation de 40% par rapport à
2014, en particulier grâce à la mise en service d’usines de liquéfaction en Australie et aux Etats-Unis.
Ce mouvement sera probablement accompagné par des évolutions sur les formes contractuelles, les
mécanismes de pricing et l’organisation des marchés.
Note
Le marché du GNL est, comme pour le gaz naturel en règle générale, caractérisé par l’utilisation de
différentes unités de mesure, en fonction des pays et des usages.
Dans un souci de cohérence et de simplicité, seront utilisés ici les unités et les termes les plus
couramment employés dans les publications internationales spécialisées.
Ainsi, pour les volumes, l’unité préférée est le MT pour Millions de tonnes GNL et le MTPA Millions
de tonne/an.
Pour les prix, nous avons privilégié l’unité USD/mmBTU = dollar per million British Thermal Unit.
Enfin d’un point de vue géographique, le terme Asie-Pacifique comprend les pays suivants : Australie,
Nouvelle-Zélande, Papouasie Nouvelle-Guinée, Indonésie, Singapour, Malaisie, Thaïlande,
Cambodge, Laos, Vietnam, Philippines, Taïwan, Corée du Sud, Corée du Nord et Japon.
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
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Organisation et dynamiques du secteur
I. Le GNL
Le GNL (Gaz Naturel Liquéfié) désigne le gaz naturel transformé sous forme liquide. Cet état est
atteint lorsque le gaz est refroidi à une température d’environ -161°C à pression atmosphérique. Le
gaz naturel liquéfié est un liquide dit « cryogénique » (liquide dont la température est inférieure à -
150°C).
Après traitement, la liquéfaction permet de condenser le gaz naturel en GNL en réduisant de 600
fois son volume initial pour un même pouvoir calorifique, ce qui permet son transport par voie
maritime. Pour être utilisable, le gaz liquéfié a toutefois besoin de subir un traitement de
regazéification, ce qui nécessite là-aussi des terminaux spécialisés.
1. Le marché mondial du gaz naturel et la part du GNL
Le gaz naturel permet aujourd'hui de répondre à environ 25% de la demande énergétique globale.
L'éloignement entre certains pays producteurs comme le Qatar, l’Australie ou le Nigéria et les pays
consommateurs ne permet pas de transporter systématiquement le gaz naturel extrait via un réseau
de gazoducs ; il est alors transporté par voie maritime sur des navires méthaniers, solution plus
simple et plus économique.
Selon les données de l’International Gas Union, 69 % du gaz naturel consommé dans le monde en
2014 l’a été dans le pays de production, 21% a fait l’objet de transport international par gazoduc et
10% a été transporté par voie maritime sous la forme de gaz naturel liquéfié (contre seulement 4%
en 1990).
Dynamisé par la demande soutenue de gaz naturel, les distances croissantes entre zones de
production et de consommation, l’ouverture des marchés et le développement des transactions à
court terme, le commerce mondial du GNL pourrait représenter jusqu’à 40 % des échanges
internationaux de gaz en 2020 selon l’Agence international de l’énergie (AIE)1.
2. La chaîne du GNL
Afin de pouvoir être transporté par voie maritime, le gaz naturel est refroidi après son extraction par
un cycle frigorifique (compression, condensation, détente, évaporation) qui le transforme à -160°C
en l'état liquide. Ainsi liquéfié, il devient possible de le stocker et de le transporter en très grandes
quantités sur des navires méthaniers.
1 Agence internatioanle de l’énergie, Gas Medium-Terme Market Report 2015 - Market Analysis and Forecasts to 2020, juin
2015.
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Une chaîne GNL est mise en place lorsque la construction d’un gazoduc n’est pas envisageable, le
plus souvent en raison de coûts de construction trop élevés, de la distance de transport ou de
contraintes géopolitiques.
Figure 1 : Chaîne du GNL
Source: SIA Partners
La chaîne du GNL repose donc sur trois éléments clés :
1) Une usine de liquéfaction, située sur les côtes du pays exportateur.
Le gaz naturel est d’abord acheminé par gazoduc, du gisement où il a été extrait jusqu’à une usine
de liquéfaction disposant d’une façade maritime et d’installations portuaires. Dans l’unité de
liquéfaction, le gaz naturel subit plusieurs traitements successifs :
- Épuration : elle consiste à extraire le dioxyde de carbone (CO2) du gaz naturel car il peut
endommager les unités de liquéfaction en s’y solidifiant, ainsi que le sulfure d’hydrogène
(H2S) et d’autres composés soufrés ;
- Déshydratation : on élimine l’eau (H2O) du gaz pour éviter la formation d’hydrates de
méthane qui peuvent bloquer les échangeurs cryogéniques. Une fois « sec », le gaz naturel
est quasiment du méthane pur. On le débarrasse également de toute trace de mercure (Hg),
élément toxique qui peut corroder les alliages utilisés dans la suite du processus ;
- Pré-refroidissement : le gaz naturel est refroidi à une température proche de -30°C. Une
série de distillations (dans les colonnes d’épuration) permet d’isoler les hydrocarbures plus
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lourds ainsi que les GPL (gaz de pétrole liquéfié : propane et butane). Ceux-ci peuvent être
vendus comme matière première dans la pétrochimie ou comme carburant ;
- Liquéfaction : le gaz est comprimé, refroidi à pression constante puis détendu. Cette
opération est renouvelée à deux ou trois reprises dans des colonnes frigorifiques (pompes à
chaleur) dont le gaz sort à -161°C, entièrement liquide à pression atmosphérique. Le
processus de liquéfaction consomme une importante quantité d’énergie : l’usine de
liquéfaction utilise près de 12% du gaz qui lui est livré pour son propre fonctionnement, en
particulier pour alimenter ses pompes à chaleur.
Avant chargement, le GNL est stocké à pression atmosphérique dans de grands réservoirs
cylindriques verticaux à proximité de l’usine de liquéfaction. Ceux-ci fonctionnent comme des
bouteilles thermos. Métalliques ou en béton, ils possèdent une double paroi et une isolation
thermique sophistiquée afin de maintenir le gaz à l’état liquide (à -161°C) avec un minimum
d'évaporation. Pour rappel, près de 600 m3 de gaz naturel occupent seulement 1 m3 à l’état liquide.
Les réservoirs de GNL, qui disposent d’une capacité de stockage comprise entre 65 000 et 150 000
m3 de GNL permettent donc de stocker de très grandes quantités d’énergie.
2) Des navires méthaniers, pour le transport maritime du gaz liquéfié.
Le GNL est chargé à bord de méthaniers, des navires géants spécialement conçus pour cet usage.
Les méthaniers doivent également être isolés thermiquement pour maintenir le gaz à l’état liquide
en minimisant les déperditions énergétiques : leurs réservoirs sont dits « adiabatiques », c'est-à-dire
sans pertes thermiques. Principalement deux types de méthaniers sont actuellement en service : des
méthaniers équipés de cuves sphériques en aluminium, ancrées à la coque du navire par une jupe en
acier et recouvertes d'une isolation ; des méthaniers à membrane, dont les cuves sont intégrées à la
double coque du navire et en épousent les contours. Pendant la traversée, le méthane qui s’évapore
est récupéré pour participer à la propulsion du navire.
58% des navires en service en 2014 ont une capacité de transport de l’ordre de 125 000 à 150 000 m3.
Les plus gros méthaniers en activité peuvent transporter près de 267 000 m3 de GNL. Ces navires,
dits « Q-MAX » et exploités par la Qatar Gas Transport Company, mesurent près de 345 m de long et
54 m de largeur.
La plupart des méthaniers sont actuellement fabriqués en Asie. Les propriétaires sont soit les
grandes entreprises du secteur de l’énergie, soit des compagnies de shipping spécialisées dans le
secteur comme Teekay, GasLog, Golar LNG, qui affrètent ensuite les navires sur différentes durées.
Une fois à destination, les méthaniers déchargent leur cargaison sur un terminal doté d’une
installation de réception et de stockage cryogénique du GNL dans des réservoirs similaires à ceux
utilisés sur les sites de liquéfaction.
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3) Un terminal méthanier, pour réceptionner, stocker et regazéifier le GNL avant de
l'injecter dans le réseau de transport.
Lorsque la consommation le nécessite, le GNL est regazéifié : sa température est portée de -161°C à
plus de 0°C sous haute pression (entre 60 et 100 bars). Le GNL peut être réchauffé par des
échangeurs à ruissellement d’eau de mer ou par combustion d’une partie du gaz. Avant
l’acheminement du gaz par gazoduc depuis le terminal jusqu’aux réseaux de distribution, son
pouvoir calorifique peut être ajusté par modification de la teneur en azote ou par mélange avec
d’autres gaz.
Les coûts de construction et d’exploitation des différentes composantes de la chaine du GNL varient
de façon significative, en fonction de la taille, du lieu et des caractéristiques techniques des
installations. Cependant il est possible d’identifier ces valeurs indicatives (estimations 2015) :
a) usines de liquéfaction : pour une installation greenfield (projet d’investissement
entièrement nouveau) d’une capacité de 4 à 5 MTPA, les coûts de construction sont de
l’ordre de 6 milliards de dollars (pour un temps de construction supérieur à cinq ans). Une
installation brownfield (par exemple la reconversion d’un terminal de regazéification) des
mêmes caractéristiques présente des coûts de l’ordre de 3 milliards de dollars.
b) navires méthaniers : le coût de construction d’un navire d’une capacité de 120 000 à
140 000 m3 est de l’ordre de 250 millions de dollars et le coût du transport est estimé à 0,8
USD/mmBTU pour un trajet Qatar-Japon et à 1 USD/mmBTU pour un trajet Qatar-Europe
c) terminaux méthaniers : pour une installation d’une capacité de 2,5 à 3 MTPA, les coûts de
construction sont de l’ordre de 1 milliard de dollars (pour un temps de construction supérieur
à cinq ans).
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II. Echanges internationaux
Le commerce du GNL a atteint 241,1 MT en 2014, proche du record historique de 2011 (241,5 MT).
19 pays ont exporté du GNL en 2014, alors que le nombre de pays en capacité d’exporter s’élevait à
29 (33 en 2015 avec le démarrage de terminaux méthaniers en Egypte, en Jordanie, en Pologne et au
Pakistan).
Figure 2 : Volumes échangés
Source: International Gas Union World LNG Report 2015
Comme le montre la figure 3, historiquement la région Asie-Pacifique, avec plus particulièrement la
Malaisie et l’Indonésie, était la principale région exportatrice, jusqu’à l’essor du Moyen-Orient au
début du siècle, et notamment du Qatar, qui a profondément modifié la donne.
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Figure 3 : Exportations de GNL par région (MTPA)
Source: International Gas Union World LNG Report 2015
Le Qatar est depuis 2005 le premier exportateur mondial de GNL, fournissant 76,8 MT en 2014, soit
environ un tiers de l'offre mondiale. La Malaisie et l’Australie – deuxième et troisième pays au
classement des exportateurs – ont vu leurs exportations de GNL atteindre des records historiques
ces dernières années.
Figure 4 : Pays exportateurs en 2014, volumes (MT) et changement vs 2013
Source: International Gas Union World LNG Report 2015
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Figure 5 : Usines de liquéfaction en activité (2014)
Source: IHS
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La région Asie-Pacifique est également la principale région importatrice de GNL, consommant en
2014 environ 60% de la production totale devant l’Europe. Les cinq plus grands importateurs du
monde sont dans l’ordre le Japon, la Corée du Sud, la Chine, l'Inde et Taiwan.
Figure 6 : Pays importateurs en 2014, volumes (MT) et changement vs 2013
Source: International Gas Union World LNG Report 2015
Il est important de remarquer que du fait de l’extrême faiblesse de leur production nationale, le
Japon, la Corée du Sud et Taiwan comptent sur le GNL pour répondre à près de 100% de leur
demande de gaz.
La demande européenne de GNL a significativement baissé ces dernières années, entre autres
raisons à cause de la réduction de la demande industrielle, de la concurrence du charbon, de
l’abondance de gaz transporté par gazoducs et du développement de la génération d’électricité à
partir de sources renouvelables.
Sur le continent américain, on assiste à la croissance des importations du Brésil et du Mexique. Les
Etats-Unis ont longtemps été importateurs nets, leurs importations via des terminaux méthaniers
sur la côte atlantique dépassant les exportations depuis l’unité de liquéfaction Kenai LNG en Alaska,
à destination de l’Asie). Cependant, les importations en 2014 ont été nulles et les capacités
d’exportation sont en cours de développement sur la côte atlantique grâce au démarrage des
opérations de l’unité de Sabine Pass au 1er trimestre 2016, à destination du Brésil.
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III. Structures contractuelles, mécanismes de pricing et prix
1. Structures contractuelles
Sur le marché du GNL on distingue conventionnellement :
- les contrats spot et court terme (opérations ponctuelles ou contrats avec une durée
inférieure à 2 ans)
- les contrats de moyen terme (durée entre 2 et 5 ans)
- les contrats de long terme (durée supérieure à 5 ans).
Historiquement la grande majorité des échanges de GNL se sont effectués dans le cadre de contrats
de long terme, à hauteur de 69% en 2014. Les contrats de moyen terme ont augmenté ces dernières
années, mais restent une faible composante du total, de l'ordre d'environ 10 MT/an (4% du total) en
2014. Les contrats spot et court terme ont représenté 27% (dont 75% consommés dans le bassin du
Pacifique).
2. Mécanismes de pricing
Le pricing sur les marchés mondiaux du gaz est très fragmenté, avec des prix plus influencés par des
facteurs locaux et régionaux que par la dynamique mondiale :
- les prix du GNL sur le continent américain sont en grande partie liés au prix du Henry Hub en
Louisiane, qui est le prix de référence du marché futures ;
- en Europe, le GNL est vendu principalement par le biais de contrats à long terme. Ces
contrats sont historiquement indexés au prix du pétrole, mais la part de l’indexation au prix
des hubs est croissante. En Europe les prix de référence plus largement utilisés sont le
German Border Price pour les contrats de long terme indexés pétrole et les prix des hubs tels
le National Balancing Point (NBP) au Royaume-Uni et le Title Transfer Facility (TTF) au Pays-
Bas ;
- dans les marchés émergents d'Asie et d’Asie-Pacifique, la part des contrats à long terme est
aussi prépondérante. Du fait de l’absence de prix hubs liquides et représentatifs, la plupart
de ces contrats long terme sont indexés au prix du pétrole via le JCC – Japanese Crude
Cocktail. On assiste néanmoins à une augmentation des transactions spot et à l’émergence
d’un indice lié à ces transactions (le JKM – Japan Korea Marker) – indice qui pourra
progressivement servir de base pour l’indexation des contrats de moyen et long terme.
La carte ci-dessous montre la répartition indicative des différents mécanismes de pricing appliqués
actuellement.
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Figure 7 : Mécanismes de pricing
Source: Poten & Patners Inc New York; http://www.arcticgas.gov/why-lng-does-not-trade-like-oil.
3. Prix
Ces dernières années, le marché mondial du gaz naturel et du GNL a montré des dynamiques
régionales contrastées, entre développement de la production de gaz de schiste en Amérique du
Nord, forte volatilité du pétrole, et envolée de la demande en Asie, notamment à la suite de
l’accident nucléaire de Fukushima.
A partir de 2010, on a donc assisté au développement de trois zones de prix distincts pour le gaz
naturel et le GNL, entre Amérique du Nord, Europe et Asie.
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Figure 8 : Prix régionaux pour le gaz naturel et le GNL par région à partir de 2009
Source: International Gas Union World LNG Report 2015
La figure 8 montre avec évidence la divergence entre les prix en Amérique du Nord, tirés à la baisse
par l’augmentation de la production liée à l’essor du gaz de schiste, les prix européens qui ont suivi
l’évolution des prix du pétrole et les prix asiatiques tirés à la hausse par la demande chinoise et
surtout par la demande japonaise post-Fukushima.
Cette divergence a eu des conséquences sur le flux de GNL, entre l’arrêt des importations en
Amérique du Nord et un fort mouvement de re-routage, vers l’Asie, des méthaniers originellement
destinés à alimenter l’Europe.
L’année 2015 et les premiers mois de 2016 – suite à la chute des prix du pétrole, au ralentissement
des économies asiatiques et au partiel redémarrage du nucléaire au Japon – ont été marqués par un
resserrement spectaculaire des prix entre les différentes zones géographiques.
IV. Développements
Le marché du GNL est actuellement caractérisé par le développement mondial des capacités de
production, ce qui pourrait provoquer un excédent d’offre dans les années à venir. La capacité de
liquéfaction au niveau mondial est attendue à près de 450 MTPA en 2020, soit une augmentation de
+40% par rapport à 2014, en particulier grâce à la mise en service d’usines en Australie, aux Etats-
Unis et en Russie.
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1. Australie
Actuellement quatre usines de liquéfaction sont opérationnelles en Australie (3e exportateur
mondial en 2014) pour une capacité cumulée de 28,5 MTPA.
Le pays sera bientôt doté des premières capacités de liquéfaction au niveau mondial, grâce à sept
projets en cours de construction, tous attendus en service avant 2018, et représentant un total de
57,6 MTPA de capacité additionnelle.
Ces projets sont développés par des consortiums composés de grandes compagnies internationales,
telles les compagnies australiennes Woodside et Santos, des majors comme ExxonMobil, BP,
Conoco Philips, Total et Shell et des compagnies de pays consommateurs comme Tokyo Gas,
Mitsubishi et CNOOC.
Plusieurs facteurs stratégiques ont justifié la conception et le lancement de l’ensemble de ces
projets entre 2000 et 2010 : l’abondance de réserves gazières, l’étroitesse du marché domestique, la
forte demande et les prix élevés du GNL dans région de l’Asie et de l’Asie-Pacifique. Ces projets
supposent des coûts de développement élevés, du fait de différents facteurs techniques comme la
mise en valeurs de ressources de CBM – coal bed methane (gaz de houille) ou des ressources offshore.
La plupart de ces projets ont subi des retards de construction et des dépassements de coûts.
L’environnement économique actuel – avec des prix du GNL en Asie et Asie Pacifique relativement
faibles – représente un défi important pour la rentabilité des projets australiens.
2. Etats-Unis et Canada
Historiquement, le marché gazier nord-américain était faiblement intégré au niveau international, à
cause d’un faible niveau d’échanges de GNL. Le taux d’utilisation des terminaux d’importation situés
sur la côte Est et dans le golfe du Mexique était historiquement bas et la seule usine de liquéfaction
localisée en Alaska avait une capacité de seulement 1,5 MTPA (Kenai LNG, opéré depuis 1969 par
Conoco Phillips avec exportations vers l’Asie Pacifique).
L'exploitation à grande échelle des gisements de gaz non-conventionnel à partir des années 2000 a
généré une hausse progressive de la production de gaz aux Etats-Unis et au Canada. Ce mouvement
a entraîné une baisse drastique des prix régionaux. Le prix de référence Henry Hub est ainsi passé
d’un maximum de 12USD/mmBtu fin 2008 à environ 2 à 3 USD/mmBtu à partir de 2012. Ce
phénomène a provoqué l’arrêt des importations par GNL et stimulé les projets de construction
d’usines de liquéfaction, notamment dans le cadre de conversions de terminaux méthanier de
regazéification existants.
La compétitivité de ces projets est soutenue d’une part par la préexistence de réseaux de transport,
qui permettent un approvisionnement en gaz sur un marché liquide sans nécessité de développer
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des projets upstream ad-hoc, et d’autre part par les coûts de construction réduits grâce à la
préexistence de structures (développement brownfield).
Ainsi, un nombre important de projets a été lancé à partir de 2010 et cinq sont en construction pour
la fin 2015, représentant un total de 63,15 MTPA de capacité, ce qui fera des Etats-Unis le troisième
pays au monde, après le Qatar et l’Australie. En février 2016, l’usine de Sabine Pass en Louisiane,
premier de ces nouveaux terminaux, est entré en service.
Tableau 1 : Usines de liquéfaction en construction aux Etats-Unis, sponsors et acheteurs
Source: Barclays Research
Notons que ces projets ne sont pas développés par de grandes compagnies internationales comme
pour la plupart des autres usines de liquéfaction dans le monde, mais par des entreprises de taille
moyenne telles Cheniere Energy (Sabine Pass, Corpus Christi), Dominion (Cove Point), Freeport
LNG (Freeport) et Sempra (terminal de Cameron, avec une participation minoritaire d’Engie).
Plusieurs autres projets ont été proposés ces dernières années, y compris au Canada. L’absence
d’autorisations administratives ou environnementales, les coûts de développement élevés (par
exemple pour relier les zones de production du Canada avec les usines d’exportation sur la côte du
Pacifique) et la baisse des prix internationaux du gaz à partir de 2014 rendent actuellement
improbable la réalisation de ces projets.
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Figure 9 : Zones de production, gazoducs et projets d’usines de liquéfaction aux Etats-Unis
Source: Barclays Research
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3. Arctique/Russie
La région de l’Arctique est importante à deux égards dans le marché mondial du GNL : en tant que
route de transport naissante entre l’Europe et l’Asie et en tant que zone de production.
L’usine de liquéfaction de Snøhvit en Norvège (opérationnelles depuis 2007, avec une capacité de
traitement de 4,2 MTPA, opérée par Statoil avec une participation de 18,4 % de Total et de 12 %
d’Engie), située près de Hammerfest sur la Mer de Barents est actuellement l’installation GNL en
service la plus au nord. La production (3,6 MT en 2014) est principalement exportée vers les pays de
l’Union européenne. Néanmoins, depuis 2012 un certain nombre de cargaisons ont été exportées
vers le Japon en empruntant la Northern Sea Route, avec une réduction des temps de transport de
l’ordre d’une dizaine de jours par rapport à la route empruntant le Canal de Suez. L’ouverture de
cette route est un élément fondamental pour la mise en valeur du potentiel de production de la
Russie.
La Russie produit du GNL depuis 2009 à destination du marché asiatique dans l’usine de Sakhalin 2
située dans le nord-ouest de l'océan Pacifique, au large de la Sibérie (capacité de 9,6 MTPA,
sponsors Gazprom, Shell, Mitsui et Mitsubishi) dont un projet d’augmentation est à l’étude.
Une loi sur la libéralisation des exportations de GNL est entrée en vigueur en Russie en 2013. Celle-ci
constitue une décision historique pour l’industrie gazière russe. Elle témoigne de la volonté du
gouvernement de voir la Russie se développer sur le marché du GNL et de trouver de nouveaux
débouchés pour exporter son gaz.
Divers projets sont à l’étude, mais à ce jour seulement le projet Yamal LNG est en développement.
Ce projet, dont la construction a démarré en 2013, devrait entrer en service en 2017 avec une
capacité finale de production de 15,5 MTPA. Le projet comprend le développement du champ gazier
de Tambeyskoye, situé à proximité de Sabetta dans la péninsule de Yamal en Russie. Le montant de
l'investissement du projet est estimé à 27 milliards USD, notamment à cause des difficultés
techniques liées au froid extrême et à l'éloignement géographique du site. Il est aussi rendu difficile
par les sanctions prises par les États-Unis en août 2015 à l’encontre de la société Novatek dans le
cadre des actions contre la Russie, suite à la crise qui l’oppose à l’Ukraine.
La disponibilité de la Northern Sea Route est très importante pour Yamal LNG, car selon les
déclarations du responsable Evgeny Kot lors du congrès LNG 2016 qui s’est tenu à Moscou en mars
2016 : « 96 %, soit pratiquement le volume total du GNL que nous produirons, sont vendus dans le
cadre de contrats à long terme. Les contrats, dont 86 % ont été contractés par des acheteurs venant
de l’Asie Pacifique, ont été souscrits pour des durées de 20 à 25 ans »2. Afin de fournir ses clients et
de pouvoir emprunter la Northern Sea Route, de nouveaux navires méthaniers de la catégorie « ice-
class » sont en construction, notamment par le chantier coréen DSME – Daewoo Shipbuilding and
Marine Engineering Co.
2 “96% of Yamal LNG volumes already booked”, LNG Word News, 17 mars 2016.
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Le projet Yamal a une signification particulière par la France de fait de l’engagement de Total. La
société Yamal LNG est détenue à 50,1 % par Novatek, à 20 % par Total, à 20 % par une filiale de
China National Petroleum Corporation (CNPC) et à 9,1% par le fonds chinois Silk Road Fund
(transaction conclue en 2016). Total détient par ailleurs 18 % de Novatek.
Figure 10 : Possibles routes d’exportation pour Yamal LNG
Source: Total, Yamal LNG.
Toutefois, les ambitions russes sur le GNL semblent aujourd’hui mis à mal par la conjonction de la
baisse des prix de l’énergie des sanctions à destination des entreprises et des personnalités du
secteur des hydrocarbures et de la finance à la suite de la crise avec l’Ukraine. Il semble probable que
– mis à part le projet Yamal LNG – la stratégie russe sur le gaz continuera de privilégier les
exportations via gazoducs, avec la tentative du maintien d’un leadership sur le marché européen et
le développement d’exportations vers la Chine.
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4. Egypte
L’Egypte dispose de deux usines de GNL sur sa côte méditerranéenne, d'une capacité combinée de
12,7 MTPA. L'usine de GNL hispano-égyptienne Gas Company (Segas) à Damiette a débuté la
production à la fin de l'année 2004, avec une capacité de 5,5 MTPA. L'usine est possédée par Union
Fenosa Gas (80%), une coentreprise entre l'espagnol Gas Natural et l'italien ENI, avec les entreprises
nationales de l'Egypte Egyptian General Petroleum Corporation (EGPC) et Egyptian Natural Gas
Holding Company (EGAS) – 10% chacune. La deuxième usine de GNL est située à Idku et est exploité
par Egyptian LNG, une joint-venture entre British Gas (BG), Petronas, Engie, EGPC et EGAS. L'usine
d'Idku dispose de deux trains d’acheminement du GNL, d’une capacité de 3,6 MTPA chacun.
Le taux d’utilisation de ces infrastructures a fortement baissé à partir de 2010, du fait du
plafonnement de la production, de la hausse de la demande interne et de l’instabilité politique suite
à la chute du régime de Moubarak. Aussi les deux usines de GNL sont-elles aujourd’hui à l’arrêt.
Pour couvrir l’écart entre ses besoins de consommation et sa production, l’Égypte a même recours
depuis 2015 à des importations via la mise en service de deux terminaux de GNL flottants (FSRU
pour Floating Storage and Regasification Unit, unités mobiles permettant la réception de GNL et sa
regazéification) et la signature de contrats d’importation avec des acteurs internationaux comme
l’algérien Sonatrach et le russe Gazprom et des compagnies de trading.
Cette situation de pénurie pourrait toutefois évoluer dans les prochaines années : le groupe pétrolier
italien ENI a en effet annoncé avoir découvert le plus grand gisement de gaz jamais identifié en
Méditerranée, à une centaine de kilomètres des côtes égyptiennes. Le nouveau champ dénommé
Zohr renfermerait 850 milliards de m3 de gaz. La découverte de ce champ gazier constitue donc une
aubaine pour le pays. Zohr se trouve à 1 450 mètres de profondeur et couvre une zone de 100 km².
ENI en détient la licence d'exploitation à 100% suite à un appel d'offres remporté en janvier 2014.
ENI a indiqué des coûts d’investissement de l’ordre de 6 à 10 milliards USD et ambitionne un
démarrage de la production dès 2017.
Le potentiel de production du champ Zohr devrait dépasser les besoins du marché domestique
égyptien. Il est donc probable qu’une partie de la production puisse être exportée la sous forme de
GNL à partir des usines de liquéfaction de Damiette ou d’Idku.
5. Autres
D’autres zones de production peuvent s’ajouter à la liste des fournisseurs de GNL actuels. Signalons
en particulier les découvertes en Afrique de l’est (notamment dans le canal du Mozambique), celles
en Méditerranée orientale au large d’Israël et de Chypre, et l’éventuel développement d’une usine de
liquéfaction en Iran alimentée par la production du gisement South Pars. Ce dernier est le plus grand
champ de gaz actif au monde : gisement offshore à cheval entre les eaux territoriales de l'Iran et du
Qatar dans le golfe Persique, nommé « South Pars » dans la partie iranienne et « North Field » pour
la partie qatarie, il alimente l’ensemble de la chaîne d’exportation de GNL du Qatar.
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Les prix faibles du pétrole et du gaz à l’heure actuelle ainsi que la production croissante de GNL
rendent toutefois difficile la réalisation de ces projets à court terme.
V. Poids des grandes compagnies internationales
La nature fortement capitalistique de l’industrie du GNL (dépenses d'investissement de capital
CAPEX élevées avec des retours sur investissement risqués et étalés sur le long terme) et son
caractère technique ont provoqué une sélection des principaux acteurs sur le marché. Aussi le
domaine du GNL est-il dominé par les grandes majors internationales du secteur pétro-gazier,
présentes à toutes les étapes de la chaîne, de la production du gaz à la construction et exploitation
des usines de liquéfaction, en passant par le transport et les terminaux méthaniers. Toutes les
grandes majors accroissent leurs parts, comme en témoigne l’acquisition de BG par Royal Dutch
Shell, motivée par l’ambition de Shell de devenir le leader mondial du secteur.
Les compagnies des pays producteurs (National Oil Companies ou NOC) sont dans la plupart des cas
associées aux investissements upstream et dans les usines de liquéfaction. Par exemple, les projets
du Qatar ont été développés par l’entreprise d’Etat Qatar Petroleum, associée à ExxonMobil, Total,
Shell, ConocoPhillips, etc.).
Les compagnies des pays consommateurs (principalement les grandes sociétés de distribution de
gaz et de production d’électricité) sont essentiellement présentes comme actionnaires des
terminaux méthaniers, comme acheteurs des contrats de long terme et plus rarement en tant
qu’investisseurs upstream et dans les usines de liquéfaction. Aujourd’hui, les plus grands acheteurs
de GNL sont l’entreprise coréenne KOGAS et les utilities japonaises Tokyo Electric Power Co (Tepco)
et Chubu Electric Power Co.
La seule exception significative à cette domination des grandes compagnies s’observe dans les
usines de liquéfaction américaines, qui comme indiqué dans le paragraphe IV-2, ont été développées
par des entreprises de taille moyenne, puisqu’il il s’agit principalement de projets brownfield moins
onéreux.
VI. Evolutions techniques
1. Le Floating Storage and Regasification Unit (FSRU)
L’entrée en service du navire Excelsior de la compagnie Excelerate Energy en 2005 a marqué le
démarrage commercial de la technologie Floating Storage and Regasification Unit (FSRU).
Le FSRU est un terminal flottant d’importation de GNL. Il implique l'utilisation d'un navire spécialisé
capable de réceptionner et traiter des cargaisons de GNL et d’injecter le gaz dans un gazoduc. Il
s’agit donc d’une alternative à l’utilisation des terminaux méthaniers de regazéification classiques.
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
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Certains navires FSRU ont été construits à cet effet, mais il existe aussi des FSRU qui ont été
convertis à partir d'un navire méthanier conventionnel. Les FSRU ont donc aussi la capacité d’être
utilisés pour le transport, mais dans la plupart des cas ils sont amarrés en permanence à un terminal
offshore relié à un gazoduc ou sont positionnés à quai dans un terminal de réception.
L’utilisation d’un FSRU représente un certain nombre d’avantages par rapport à un terminal
méthanier de regazéification classique : rapidité de construction, réduction des coûts et flexibilité :
le FSRU peut en effet être redéployé ailleurs après un premier usage. Cependant, les FSRU ont une
capacité limitée : leur potentiel de regazéification dépasse en effet rarement les 4 MTPA. Ils sont
donc une alternative intéressante à l’utilisation des terminaux méthaniers de regazéification
classiques lorsque la taille du marché est limitée ou la demande est transitoire.
L'utilisation des FSRU a connu une croissance rapide au cours des dernières années, en particulier
dans les marchés émergents confrontés à des pénuries d'approvisionnement à court terme. La
technique FSRU a été déployée en premier aux Etats-Unis en 2005 et a depuis été utilisée dans
douze autres pays : l’Argentine, le Brésil, la Chine, l’Indonésie, Israël, l’Italie, le Koweït, la Lituanie,
les Emirats arabes unis, le Pakistan, l’Egypte et la Jordanie. La capacité de regazéification flottante
représente 8 % de la capacité globale de regazéification installée en 2015.
Figure 11 : Capacité de regazéification – terminaux méthaniers et FSRU
Source: Agence Internationale de l’Energie
La forme commerciale la plus répondue est celle de la location sur plusieurs années du navire par
l’entreprise propriétaire (Excelerate Energy, Golar LNG et Hoegh étant les principaux acteurs de ce
marché) à une entreprise d’importation de gaz.
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
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2. FLNG
La technologie FLNG – Floating Liquefied Natural Gas consiste à liquéfier le gaz sur un terminal
flottant ancré à proximité du (ou des) champs de production. Par rapport aux schémas classiques,
cette solution permet d’éviter la construction de gazoducs entre la zone de production et la terre
ferme, ainsi que la construction d’une usine de liquéfaction onshore. Elle devrait donc s’adapter à
l’exploitation de réserves localisées loin des côtes et loin des centres de consommation.
L’utilisation commerciale de cette technologie n’a pas encore démarré : 2 projets sont actuellement
en construction et devraient être opérationnels avant 2018. Ces 2 projets se situent en Malaisie
(PFLNG, sponsor Petronas) et en Australie (Prelude FLNG, sponsor Shell).
Le navire Prelude FLNG a été mis à l’eau en décembre 2013 dans le chantier Samsung Heavy
Industries en Corée du Sud, et il est en voie d’achèvement. Avec 488 mètres de long et 74 mètres de
large, il s’agit de la plus grande structure flottante jamais construite par l’Homme. Prelude FLNG
affichera un tonnage de 600 000 tonnes de port en lourd et sera exploité sur le bassin de Browse, à
quelque 200 kilomètres au nord-ouest de l’Australie. Ancrée à environ 240 mètres de profondeur,
l’unité captera le gaz des champs Prelude et Concerto et le liquéfiera directement à bord par
refroidissement. Ce GNL pourra, ensuite, être transbordé sur des navires méthaniers.
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
26
Enjeux géopolitiques
Désormais l’une des matières premières les plus échangées au monde en valeur, le GNL concentre
une série d’enjeux géopolitiques de première importance.
I. La position dominante du Qatar et les risques sur le transport (Ormuz,
Malacca, mer Rouge)
Le Qatar fait partie des vingt premières puissances pétro-gazières de la planète depuis la découverte
de gisements dans les années 1940. C’est surtout grâce au secteur gazier que l’économie qatarie est
florissante, le Qatar possédant les troisièmes réserves mondiales prouvées (13 %), après la Russie et
l’Iran, en particulier grâce à North Field, le plus grand champ de gaz actuellement en service au
monde.
Le développement du Qatar s’est produit en étroite collaboration avec les pays occidentaux, tant
d’un point de vue économique que sécuritaire : par exemple, le QG du US Central Command pour le
Moyen-Orient et l’Asie centrale est localisé au Qatar.
La vaste majorité du gaz produit par le Qatar est exportée sous forme de GNL. La capacité de
liquéfaction totale est de 77 MTPA, repartie entre sept usines de liquéfaction et gérées par Qatargas
et par Rasgas, deux filiales de l’entreprise d’Etat Qatar Petroleum (avec la participation de groupes
internationaux comme ExxonMobil, Shell et Total). Aussi le Qatar est-il de loin le premier
producteur de GNL au monde actuellement (avec 76 MT exportées en 2014 et une part de marché
d’environ 33%). À travers l’entreprise nationale de navigation Nakilat, le Qatar possède aussi la plus
grande flotte de méthaniers au monde, avec 61 navires actifs en 2015. Ces éléments donnent au
Qatar une capacité d’arbitrage entre les différents marchés régionaux, notamment entre l’Europe et
l’Asie, et une capacité d’influence sur les prix internationaux du GNL.
La position dominante de Doha sur le marché mondial du GNL représente donc un facteur de
richesse et un atout géopolitique majeur. Cependant, cette position dominante connaît des
faiblesses, eu égard aux risques de transport. La circulation des méthaniers en provenance du Qatar
est exposée aux risques de blocage des trois principaux choke points mondiaux : le détroit d’Ormuz,
le détroit de Malacca et la zone de la mer Rouge qui regroupe également le Canal de Suez, le Golfe
d’Aden et le détroit de Bab-el-Mandeb).
100% des exportations de GNL du Qatar transitent par le détroit d'Ormuz sans que des routes
alternatives n’existent. Le détroit d'Ormuz demeure donc stratégique pour le Qatar et son blocage,
bien que peu probable, serait une catastrophe pour le pays.
Le détroit de Malacca est également un point de passage stratégique pour le commerce de GNL. Il
constitue le point de passage le plus rapide entre Qatar et les grands importateurs de GNL, comme
le Japon, la Corée du Sud et la Chine. Néanmoins, en cas d’obstruction majeure, de blocage
temporaire ou de fermeture du détroit, il existe des alternatives possibles avec les détroits de la
Sonde et de Lombok-Macassar, avec un rallongement des temps de transport de quelques jours.
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
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Des éventuelles perturbations dans la zone de la mer Rouge auraient un impact très significatif sur
les exportations de GNL qatari à destination de l’Europe, en obligeant les méthaniers à emprunter la
route du Cap de Bonne Espérance, avec un doublement des temps et des coûts de transport.
Enfin, la position dominante du Qatar sur le marché mondial du GNL risque d’être défiée à terme par
la montée des capacités de liquéfaction en Australie et en Amérique du Nord.
II. L’essor de l’Australie et des Etats-Unis
En prenant en compte les différentes usines en construction, les capacités de liquéfaction de
l’Australie et des Etats-Unis dans quelques années seront comparables avec celle du Qatar : 77
MTPA pour le Qatar, 86,1 MTPA pour l’Australie et 63,2 MTPA pour les Etats-Unis.
Figure 12 : Capacité de production GNL en 2014
Source : Société Générale Research
Cette hausse de l’offre de GNL aura certainement des effets sur les prix, sur la diversification de
l’offre et sur la suprématie du Qatar.
Néanmoins, contrairement à la production du Qatar, la production de GNL en Australie et aux Etats-
Unis sera partagée entre de nombreux acteurs (producteurs de gaz, actionnaires des projets de
liquéfaction, acheteur de long terme du GNL), ce qui rend difficile la mise en place de
comportements permettant d’influencer ou d’orienter le marché.
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
28
III. La dépendance du Japon, de la Corée du Sud et de Taiwan
La demande en gaz du Japon est assurée à plus de 97 % par les importations de GNL. Le pays est le
premier importateur mondial de GNL (88,9 MT en 2014 soit environ 37 % du GNL mondial) et 23
terminaux méthaniers en service. Les sources d'approvisionnements sont diverses, avec plus de 33 %
des importations en provenance des pays d'Asie du Sud-Est.
Figure 13: Importations de GNL du Japon, par source (2013)
source : BP Statistical Review 2014
Les cas de la Corée du Sud (2ème importateur au monde) et de Taiwan (5ème) sont assez similaires. Les
trois pays ne possèdent aucun pipeline transfrontalier et leurs importations de gaz sont
intégralement réalisées à travers le transport de GNL. Ensemble ils représentent plus de 58% du
commerce mondial de GNL en 2014.
A titre de comparaison, notons que l’exposition de la Chine au marché du GNL est beaucoup plus
limitée. La Chine jouit d’un portefeuille de ressources gazières plus diversifié, avec de la production
domestique qui couvre environ 70% de la consommation, des importations via gazoduc (depuis
l’Asie centrale, la Birmanie et prochainement la Russie) et des importations de GNL qui représentent
environ 15% de sa consommation globale.
Même si les grandes compagnies énergétiques du Japon, de la Corée du Sud et de Taiwan possèdent
un portefeuille diversifié de contrats de long terme, et bien qu’elles aient développé leur présence
dans l’upstream gazier et participé aux capitaux d’infrastructures GNL (liquéfaction et transport),
elles restent largement dépendantes des aléas du marché du GNL. Cette dépendance se traduit par
une exposition au risque de prix et au risque de disponibilité physique.
Le post-Fukushima est représentatif de ce niveau de risque élevé : suite à l’accident et à l’arrêt
complet de la génération nucléaire, le Japon a maximisé ses achats de GNL, en arrivant à payer des
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
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prix très élevés pour des cargaisons spot (proche des 20 USD/mmBTU, alors que les prix européens
étaient de l’ordre de 10 USD/mmBTU).
La croissance de la production de GNL en Australie et aux Etats-Unis devrait signifier la réduction de
ces risques, en améliorant encore la capacité de diversification des trois pays et en réduisant la
capacité d’influence sur les prix actuellement détenue par la Qatar.
IV. Rôle prépondérant des chantiers de construction de la Corée du Sud et
du Japon
La plupart des méthaniers sont actuellement fabriqués en Asie. La Corée du Sud est par exemple le
premier producteur de méthaniers au monde depuis années 2000, avec les chantiers navals
de Daewoo (DSME), Samsung Heavy Industries et Hyundai Heavy Industries. Le Japon est le second
producteur, avec les groupes Kawasaki Heavy Industries et Mitsubishi Heavy Industries. On assiste
aussi au développement progressif de la Chine qui investit à fond dans la construction de méthaniers
depuis cinq à six ans.
L’activité des chantiers dans les autres pays est très faible. En ce qui concerne la France, les derniers
méthaniers construits par les Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire, le Provalys et le Gaselys, ont
été livrés au groupe Engie en 2006-2007.
Figure 14 : Flotte GNL par pays de construction
Le rôle prépondérant des chantiers de construction de la Corée du Sud et du Japon ne repose pas
exclusivement sur des facteurs de coûts, et ne pose pas seulement un problème de compétitivité
économique aux autres grands pays producteurs et consommateurs. En effet, grâce à une maîtrise
technologique très avancée, y compris sur des nouveaux domaines comme le FSRU et le FLNG (voir
paragraphes VI-6 et 7), la Corée du Sud et le Japon ont développé une compétence qui leur octroie
un avantage géopolitique envers les autres pays.
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
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Implications pour l’Europe et la France
L’Union européenne présente une forte dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie qui
représente environ un tiers des importations de charbon, de pétrole et de gaz naturel de l’Union
européenne, comme le montre le tableau suivant.
Tableau 2 : Origine des importations d’énergie primaire, UE-28,
2003-13, (en % des importations extra UE-28)
Source : Eurostat
L’objectif de réduction cette dépendance, notamment dans un contexte de relations tendues avec la
Russie, a déjà été affirmé à plusieurs reprises par la Commission.
Pour atténuer cette dépendance, le GNL peut représenter une option très importante : au niveau
européen, on compte plus de 20 terminaux opérationnels alors qu'il y en avait moins de la moitié au
début du siècle et leur taux d’utilisation ces dernières années a été très bas, de l’ordre de 30%, en
raison du rebond du charbon suite à Fukushima, de la crise économique et des politiques de soutien
aux énergies renouvelables.
Il existe cependant une grande hétérogénéité dans la situation de dépendance entre les différents
pays européens. Ainsi les pays de l’Europe de l’Est affichent la plus forte dépendance au gaz russe,
avec des taux historiques proches de 100% ; ces mêmes pays sont aussi les moins bien placés pour
bénéficier de l’apport du GNL du fait de leur position géographique.
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
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Les terminaux FSRU de Klaipeda en Lituanie en service depuis 2014 et celui de Swinoujscie en
Pologne – qui sera opérationnel dans les prochains mois – sont les exemples de nouvelles
infrastructures GNL ayant une contribution sur la diversification des sources et sur la baisse des prix
du gaz dans les pays de l’Est. Au niveau européen, les pays qui pourraient bénéficier le plus de
l’apport du GNL comme source de diversification et d’augmentation des approvisionnements
gaziers par rapport aux années récentes sont la France et l’Italie qui disposent de plusieurs terminaux
dont le taux d’utilisation est actuellement faible.
Figure 15 : Les terminaux méthaniers existants et en projet en Europe
Source: International Group of Liquefied Natural Gas Importers (GIIGNL), GLE (2015).
Plus généralement, le développement du GNL en Europe sera aussi fonction de l’évolution des
politiques de transition énergétique qui pourraient impacter la croissance du GNL de façon directe
ou indirecte. De façon directe, la consommation de GNL pourrait bénéficier de la mise en place de
règlementations favorisant son utilisation dans le secteur du transport routier et maritime. De façon
indirecte, le développement de la production électrique à partir d’énergies renouvelables et le de-
commissionnement des centrales nucléaires et à charbon, devraient avoir un impact positif sur la
demande de gaz (et donc de GNL).
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
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La France dispose actuellement de 3 terminaux méthaniers en fonction, dont 2 situés à Fos-sur-Mer
(Provence Alpes Côtes d’Azur), et un quatrième en cours de finalisation.
Les terminaux en service sont :
Fos Tonkin (capacité d’accueil de 4 MTPA de GNL), terminal mis en service en 1972 qui reçoit
majoritairement du GNL d’Algérie. Il est exploité par Elengy, filiale de Engie ;
Fos Cavaou (capacité d’accueil de 6 MTPA) mis en service au premier trimestre 2010. Ce
terminal est exploité par la Société du Terminal Méthanier de Fos-Cavaou, filiale d’Elengy à plus
de 70% aux côtés de Total ;
Montoir-de-Bretagne (Pays de la Loire), terminal mis en service en 1980 et également exploité
par Elengy (capacité d’accueil de 6 MTPA de GNL), qui reçoit majoritairement du GNL en
provenance d’Algérie et du Nigéria.
Le terminal de regazéification Dunkerque LNG, développé par un consortium entre EDF (65 %), le
groupe belge Fluxys (25 %) et Total (10 %), est en cours de finalisation et affichera une capacité de
réception de 10 MTPA. Selon les dernières communications de l’opérateur EDF : « le chantier
est finalisé à environ 96 %. Les gros ouvrages sont achevés. Le raccordement des trois réservoirs de
stockage est terminé. L’arrivée du premier méthanier est programmée pour le début juin » 3. Le
terminal devrait notamment recevoir du GNL depuis les Etats-Unis (contrat avec Cheniere Energy, le
développeur des usines de Sabine Pass et de Corpus Christi).
Les entreprises françaises sont des acteurs importants du monde du GNL, notamment Total et
Engie (présents dans toutes les étapes de la chaîne), ainsi qu’EDF plus récemment.
Pour la France et pour l’ensemble de l’Europe, on peut distinguer deux facteurs d’analyse du marché
du GNL :
1. Un facteur de risque, concentré sur les pays méditerranéens, lié à la sécurité des
importations de GNL depuis l’Algérie ;
2. Un facteur d’opportunité, notamment pour les pays de la façade atlantique et du Nord de
l’Europe, lié au développement des importations de GNL depuis les Etats-Unis et à sa
contribution à la réduction de la dépendance gazière envers la Russie.
I. Risques sur les approvisionnements d’Algérie
Premier producteur de gaz en Afrique, l’Algérie est également le deuxième fournisseur extra-
européen de l’UE (après la Russie) et le quatrième fournisseur de gaz de la France.
En ce qui concerne l’exportation de gaz, il existe aujourd’hui trois gazoducs partant du territoire
algérien : le Trans-Mediterranean Pipeline, à destination de l’Italie via la Tunisie, le Maghreb-Europe
Pipeline, à destination de l’Espagne en passant par le Maroc, et le MEDGAZ, pipeline sous-marin à
destination de l’Espagne, ainsi que deux usines de liquéfactions de GNL situées à Arzew et Skikda.
3 Source: EuropEnergies 09/02/2016
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
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La capacité de liquéfaction de l’Algérie s’élève à 26,9 MTPA, ce qui place l’Algérie à la quatrième
position mondiale. Cependant, l’Algérie est seulement le 7ème exportateur de GNL au monde, avec
12,8 MT en 2014, du fait du faible taux d’utilisation des terminaux algériens. Les exportations de
GNL se dirigent principalement vers l’Espagne, la France et la Turquie, qui sont donc les pays les plus
exposés à des éventuelles ruptures d’approvisionnements, qui pourraient se produire à cause de
problèmes d’ordre sécuritaire.
L’Algérie est en particulier exposée à des risques d’ordre terroriste. Les risques de sabotages,
d'attentats ou d'attaques visant les installations de production et transport d’hydrocarbures sont des
facteurs d’incertitudes majeurs pour l’Algérie. L’instabilité des pays limitrophes – la déliquescence
de l’Etat en Libye, la porosité des frontières dans le sud du Sahara, les risques terroristes en Tunisie –
constituent des menaces permanentes, notamment sur la sécurité des infrastructures. La prise
d’otage sanglante (67 morts) orchestrée par un commando proche du groupe terroriste Al Qaïda au
Maghreb Islamique (AQMI) sur le site gazier d’In Amenas dans le sud-est algérien en janvier 2013 a
montré les failles du système de surveillance et de protection des installations industrielles face à ce
type de menace. Le site, l’un des plus importants du pays (9 milliards de m3 de gaz par an), soit près
de 15% du total national, a été suspendu pendant 19 mois, entraînant le départ des entreprises
étrangères du territoire. Le 16 mars 2016, un nouvel assaut s’est produit sur le site gazier d’In Salah,
dans la province de Tamanrasset, attaqué à la roquette par un groupe de djihadistes4. Ces
événements illustrent les risques qui pèsent sur la sécurité de l’infrastructure énergétique algérienne.
Par ailleurs, l’Algérie fait montre d’une relative stabilité politique depuis la première élection
d’Abdelaziz Bouteflika en 1999, mais des problèmes de longue date persistent : inefficacité du
gouvernement, corruption, chômage à grande échelle, pénurie de logements… et mettent en
danger la stabilité du régime sur le long terme. Une transition politique et une succession mal gérées
risque de produire des tensions d’ordre social (grèves, désordres) qui pourraient affecter de façon
transitoire les exportations de GNL.
II. Opportunité de diversification grâce au GNL américain
Comme indiqué précédemment, l’enjeu principal pour la sécurité gazière européenne est concentré
autour de l’influence russe, qui est à l’origine de 30 à 40% des importations au niveau de l’UE-28.
L’Union Européenne fait aussi face à une réduction de sa production domestique (notamment au
Pays-Bas et au Royaume-Uni) et à des incertitudes sécuritaires sur ses importations d’Afrique du
Nord.
Il est donc important de permettre l’apparition de nouvelles sources de gaz, afin de maintenir un
niveau satisfaisant de diversification.
4 « Algérie : un site gazier visé par une attaque à la roquette », 18 mars 2016.
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
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De nouvelles routes, comme le corridor gazier sud-européen en provenance de la mer Caspienne ou
de nouvelles sources comme en Méditerranée orientale peuvent participer à cet objectif, mais avec
des contributions limitées et encore incertaines.
Ainsi la principale hypothèse de diversification est celle d’une plus grande utilisation des terminaux
méthaniers existants, dont le taux d’utilisation est resté faible ces dernières années, du fait de la
diversion ou du re-routage des navires vers les marchés asiatiques.
La mise en services de différentes usines de liquéfaction sur la côte Est des Etats-Unis est une
possibilité pour l’approvisionnement des terminaux européens, notamment ceux de la façade
atlantique grâce à la faible distance qui les sépare.
L’administration américaine a par ailleurs fréquemment soutenu cette opportunité et s’est en
particulier montrée très favorable à la construction de terminaux en Europe de l’Est, la zone la plus
dépendante des exportations russes : en témoigne le démarrage du terminal FSRU de Klaipeda en
Lituanie en 2014 et celui du terminal de Swinoujscie en Pologne inauguré en octobre 2015 pour une
exploitation commerciale prévue à partir de mai 2016.
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
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Scénarios prospectifs
I. Scénario A : Croissance du marché, émergence de prix de référence GNL,
convergence partielle des marchés gaziers
Ce scénario est caractérisé par environnement économique mondial qui ne connait pas de crises
majeures et renoue avec une croissance soutenue de la production industrielle. Cet environnement
se traduit par une demande solide de GNL, notamment en Europe, en Chine et en Inde.
Par ailleurs le développement attendu des capacités de liquéfaction se poursuit.
L’abondance de GNL provoque une augmentation constante des volumes traités sur la base de
contrats spot et de court terme et l’émergence d’indices liés à ces transactions.
Ainsi, le JKM – Japan Korea Market – devient l’indicateur standard pour l’Asie, de même pour le prix
GNL FOB (Free on board) sur la côte Est des Etats-Unis.
Ces références donnent de la transparence au marché du GNL et pourront avec le temps servir de
base pour l’indexation de contrat de moyen et long terme.
Le GNL fonctionne progressivement comme un « trait d’union » entre les marchés gaziers régionaux
(Amérique, Europe, Asie) et permet un mouvement de convergence des prix entre les différents
marchés gaziers. Cependant, ce moment de convergence sera seulement possible dans la limites
des différentiels de transport GNL entre les diverses régions.
II. Scénario B : surcapacité, guerre des prix et crise du secteur du GNL
Ce scénario prévoit la poursuite du développement de nouvelles capacités de liquéfaction,
accompagné d’un environnement économique stagnant au niveau mondial. La faiblesse de
l’économie chinoise provoque plus particulièrement un ralentissement généralisé de la demande en
Asie et un surplus d’offre de GNL dans le bassin pacifique.
On assiste alors au développement d’une « bulle du GNL » sur les marchés mondiaux.
L’Europe devient le terrain de confrontation entre les exportations de GNL du Moyen-Orient
(notamment du Qatar), les exportations des nouvelles usines de la Côte Est des Etats-Unis et les gaz
transporté par gazoduc depuis la Russie et la Norvège.
Gazprom et Statoil refusant de perdre des parts de marché en Europe, une guerre des prix se
déclenche entre fournisseurs, au bénéfice des consommateurs européens.
La baisse des prix du GNL au niveau mondial détermine une crise pour l’ensemble du secteur du GNL,
avec des difficultés financières pour les projets de production – notamment ceux qui reposent sur
des financements bancaires à rembourser – voire des faillites.
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
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III. Scénario C : Demande accrue de GNL
La baisse des prix du pétrole et du gaz à partir de 2014 provoque une réduction des budgets
d’investissement des entreprises pétro-gazières sur l’activité d’exploration & production. À l’horizon
2020, la production gazière en Amérique du Nord, en Russie et dans d’autres régions du monde
baisse donc drastiquement. Des ressources gazières potentielles (comme en Afrique de l’Est), ne
sont pas mises en valeur faute de capitaux.
Les tensions géopolitiques entre pays sunnites et chiites dans le golfe Persique s’exacerbent et
mettent en doute la sécurité des installations de production et transport du Qatar, ainsi que le
transit par le détroit d’Ormuz, parallèlement à l’augmentation des primes d’assurance et la
recherche de sources alternatives de gaz par les acheteurs.
L’activité économique des pays de l’OCDE, dopée par des années de politiques monétaires
favorables, repart à la hausse, et entraîne une forte reprise des pays émergents, provoquant une
hausse de la demande d’énergie et notamment du GNL.
La consommation du GNL est aussi supportée par la mise en place de politiques environnementales
au niveau international qui favorisant l’emploi du gaz comme source d’énergie alternative au
charbon, phénomène qui a notamment des impacts sur la demande chinoise et indienne.
Dans ce contexte, la production de GNL est bien placée pour satisfaire une demande accrue et
profiter d’un environnement de hausse des prix.
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
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Conclusion
La croissance du marché du GNL devrait se poursuivre dans les prochaines années, notamment
grâce à l’essor de la production en Australie et aux Etats-Unis et grâce au développement de
nouvelles technologies FLNG – Floating Liquefied Natural Gas (usines flottantes de liquéfaction) et
FSRU – Floating Storage and Regasification Unit.
Des évolutions sur les formes contractuelles, les mécanismes de pricing et l’organisation des
marchés sont très probables et le GNL pourrait ainsi devenir le « trait d’union » entre les marchés
gaziers régionaux (Amérique, Europe, Asie) et favoriser un mouvement de convergence des prix
entre les différents marchés gaziers.
Pour l’Europe et la France, le GNL représente une opportunité de diversification gazière et de
contribution à la sécurité énergétique. La présence de nombreux terminaux méthaniers dans
différents pays et leur faible taux d’utilisation actuel, ainsi que la prochaine disponibilité de GNL
depuis les Etats-Unis, permet d’envisager une plus forte contribution du GNL au mix énergétique
européen.
SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
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SÉCURITE ÉNERGETIQUE :
STRATÉGIES POUR L’EUROPE ET LA FRANCE
Phase 2
Hydrocarbures non conventionnels :
quelle contribution à la sécurité
énergétique à l’horizon 2030 ?
Juillet 2016
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
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SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
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Sommaire
Introduction ............................................................................................................. 5
I. Hydrocarbures non conventionnels : de quoi parle-t-on ? ......................................... 6
I. Définition .................................................................................................................. 6
1. La diversité des hydrocarbures ............................................................................ 6
2. La technique industrielle associée ........................................................................ 7
II. La « révolution » du schiste dans les années 2000 ..................................................... 8
1. Les causes de la révolution du schiste ........................................................................ 9
2. Les impacts à court terme .................................................................................. 11
a. Une baisse des importations de gaz et de pétrole ........................................... 11
b. Une réduction du taux de chômage ................................................................ 12
II. Panorama et enjeux du secteur............................................................................. 13
I. Enjeux techniques .................................................................................................... 13
1. Le forage horizontal et la fracturation hydraulique .................................................. 13
II. L’aspect concurrentiel et économique ...................................................................... 15
1. Petites entreprises à l’origine du mouvement .................................................... 15
2. Nature capitalistique et flexible du marché ........................................................ 15
III. Perspectives structurelles ...................................................................................... 16
1. La chute des prix de juin 2014 : un coup dur pour le non-conventionnel ? ........... 16
2. Les conséquences sur les marchés américain et mondial ................................... 16
3. La surprenante résilience du non-conventionnel dans un contexte de prix bas .. 17
4. Une mutation technologique ? ........................................................................... 18
III. Un phénomène transposable à l’étranger ? ........................................................... 20
I. En Russie et en Europe : des ressources importantes, pour quel marché ? ...............20
1. Russie : des réserves considérables, une industrie en retard ...............................20
2. L’Europe ............................................................................................................. 21
II. La Chine ................................................................................................................... 23
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1. Des ressources et une demande croissante… ........................................................... 23
2. …mais des interrogations légitimes ......................................................................... 25
III. Australie................................................................................................................ 26
IV. Argentine ............................................................................................................... 27
1. Ressources : état des lieux et projections .................................................................. 27
2. Environnement légal et politique ............................................................................. 28
3. Projets industriels et conjoncture financière ............................................................ 29
Prospective 2030 ..................................................................................................... 30
I. Scénario A : développement lent et progressif ......................................................... 30
II. Scénario B : essor important au niveau mondial ....................................................... 31
III. Scénario C : prix bas et développement restreint ................................................... 31
Conclusion .............................................................................................................. 33
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Introduction
Les hydrocarbures non conventionnels connaissent un spectaculaire développement aux États-Unis
depuis le tournant des années 2010. En l’espace de quelques années, ils ont permis au pays de
devenir, en 2014, le premier producteur de pétrole et de gaz devant l’Arabie Saoudite et la Russie.
Evolution de la production d’hydrocarbures (Etats-Unis, Russie, Arabie Saoudite)
Source : “United States remains largest producer of petroleum and natural gas hydrocarbons”, EIA, 23 mai 2016.
Leur développement a permis de relancer l’industrie des hydrocarbures sur le sol américain, de créer
de nombreux emplois directs et indirects et d’opérer la relocalisation de certaines activités sur le
territoire national en raison notamment de la baisse des coûts de l’énergie, véritable avantage
concurrentiel et donc un regain de compétitivité très intéressant dans un contexte de morosité
économique mondiale post crise des subprimes.
Devant ce que l’on a qualifié de « révolution énergétique américaine », la question du caractère
reproductible de cet essor des hydrocarbures non conventionnels s’est rapidement posée, notament
en Europe où certains pays disposeraient de réserves importantes. Néanmoins, des interrogations
persistent aussi bien sur le plan économique qu’environnemental. L’impact environnemental est en
effet significatif (risques de pollution des nappes et cours d’eau dus à l’emploi de produits chimiques)
, tout comme le doute planant sur la résilience des hydrocarbures non conventionnels dans un
contexte de prix bas du pétrole et donc sur la contribution qu’ils peuvent apporter, à moyen et long
terme, à la sécurité énergétique de l’Union européenne et de la France.
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I. Hydrocarbures non conventionnels : de quoi parle-t-on ?
I. Définition
1. La diversité des hydrocarbures
On distingue différents hydrocarbures non conventionnels :
le gaz de houille (coal seam gas, ou coalbed methane), extrait des veines profondes des
mines de charbon et utilisé dès la fin du XIXe siècle pour l’éclairage public ;
le gaz et pétrole de réservoir compact (ou tight gas, tight oil), gaz extraits de roches-
réservoirs très peu perméables de grès ou de calcaire ;
le gaz « de schiste » (shale gas), ou gaz de roche-mère, est extrait de roches peu perméables
d’argile ou de marne. La faible perméabilité de ces roches et leur profondeur souterraine ne
permettant pas une extraction conventionnelle, les industriels doivent avoir recours à des
techniques spécifiques évoquées infra ;
L’huile de schiste (oil shale) est une forme particulière de pétrole obtenue par pyrolyse ou
hydrogénation de roches sédimentaires, riches en substances organiques appelées
kérogènes : c’est donc un pétrole synthétique issu de la transformation d’une matière
organique première.
Le pétrole de schiste (shale oil) est un pétrole léger trouvé dans des roches très peu
perméables, obtenu à partir des mêmes procédés de fracturation hydraulique et de forage
que le gaz non conventionnel. Il peut d’ailleurs être trouvé dans les mêmes puits, dans des
quantités souvent bien moindres que le gaz du même type.
les hydrates de méthane (CBM pour coalbed methanes), ou clathrates, sont des composés
solides similaires à de la glace pouvant être trouvés dans le pergélisol, dans les régions
polaires, ou dans les fonds marins. Ils contiennent une grande quantité de gaz, si bien que les
réserves d’hydrates de méthane égalent probablement entre 2 à 10 fois les réserves connues
de gaz conventionnel. Ils sont souvent trouvés dans l’extraction de gaz naturel, lorsque l’eau
est condensée en présence de méthane à haute pression.1
Les sables bitumineux sont des agglomérats de bitume (7-12%), d’eau (3-5%), de sable et
d’argile (80-85%). Après transformation, les sables bitumineux permettent d’obtenir du
bitume épais. En le mélangeant à des hydrocarbures plus légers ou en le chargeant de
1 Fiche pédagogique : hydrates de méthane, Connaissances des Énergies, http://www.connaissancedesenergies.org/fiche-
pedagogique/hydrates-de-methane.
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carbone, on peut obtenir un pétrole commercialisable semblable au pétrole brut
conventionnel.2
2. La technique industrielle associée
Le gaz non-conventionnel, appelé par commodité de langage « gaz de schiste » en français, est
connu depuis le XIXe siècle, le premier puits ayant été foré en 1821 dans l’État de New York. Ce n’est
donc pas un hydrocarbure inédit. Les méthodes pour l’exploiter ont radicalement évolué à partir des
années 1970, sous l’influence conjointe de la raréfaction des ressources conventionnelles, du progrès
technique et de la hausse du prix des matières premières.
2 Fiche pédagogique : Sables bitumineux, Connaissance des Énergies, http://www.connaissancedesenergies.org/fiche-
pedagogique/sables-bitumineux
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Le gaz de schiste est formé à partir de la matière organique enfouie sous terre. La roche schisteuse
est aplatie en couches successives et irrégulières qui contiennent le gaz à l’intérieur de poches
inégales. Riche en argile, elle retient le gaz immobile sur des surfaces parfois très étendues, certains
gisements pouvant s’étendre sur plusieurs centaines de km2. La principale différence entre les
ressources conventionnelles et non conventionnelles tient justement à cette configuration qui
regroupe plusieurs dépôts de petite taille très dispersés dans un grand réservoir. Ainsi, et
contrairement aux champs conventionnels dont l’estimation des ressources demeure relativement
simple à réaliser, celle de champs non conventionnels (comme Marcellus aux Etats-Unis ou Tarim en
Chine) est un exercice complexe, très approximatif, ce qui amène parfois les opérateurs, après
plusieurs forages, à les revoir fortement à la baisse.
Dans ces formations géologiques, le gaz peut être trouvé sous trois formes : libre, « dans les espaces
interstitiels et les fractures » rocheuses, adsorbé ou « électriquement fixé à la matière organique et à
l’argile », ou « dissous dans la matière organique »3.
Les gaz et pétroles de roche-mère et de roche-réservoir, s’ils relèvent de la même nature organique
que les hydrocarbures conventionnels, requièrent des techniques d’exploitation différentes à cause
de leur accessibilité. Le forage horizontal des puits, sur une distance pouvant atteindre deux à trois
kilomètres de long, permet d’accéder à une plus grande quantité de gaz que le forage vertical.
La fracturation hydraulique permet ensuite d’extraire les gaz emprisonnés dans la roche : on
procède à plusieurs explosions pour agrandir les fissures rocheuses, puis l’injection d’eau, de sable et
de produits chimiques à haute pression dans la formation rocheuse prolonge les fissures de la roche
et laisse s’échapper le gaz dans le tubage. Toutefois, la fracturation hydraulique n’est pas une
technique nouvelle, son utilisation commerciale par l’industrie des hydrocarbures ayant débuté dans
les années 1940 – sachant qu’une variante est même utilisée pour la géothermie profonde4. Ainsi,
c’est bien la conjugaison des deux techniques (forage horizontal et fracturation hydraulique) qui a
rendu possible l’exploitation de ces gisements autrefois inaccessible.
II. La « révolution » du schiste dans les années 2000
On attribue souvent le terme de « révolution » à l’essor des hydrocarbures non conventionnels aux
États-Unis en raison de sa fulgurance et du niveau de production. Alors que les États-Unis avaient
atteint un pic de production en 1970, et prévoyaient une diminution inexorable de leur production de
gaz et de pétrole (568 Gm3 en 2008 contre 544 Gm3 en 2030 / chute de 50% de la production de
pétrole entre 1990 et 20085), la découverte de très importantes ressources récupérables et un
développement technologique constant ont permis aux États-Unis de recouvrer un niveau de
production élevé et de ravir les premières places à la Russie et à l’Arabie Saoudite.
3 Le gaz de schistes : son exploitation, GEP-AFTP
http://www.gep-aftp.com/_upload/ressources/hydrocarbures_de_roche-mere/3-le_gaz_de_schistes_son_exploitation-juin.pdf 4 « Fracturation hydraulique : géothermie et exploitation pétrolière ne sont pas comparables », Philippe Collet, Actu-
environnement.fr, 3 juin 2013. 5
Energy supply security 2014 : United States, Agence Internationale de l’Énergie, http://www.iea.org/media/freepublications/security/EnergySupplySecurity2014_US.pdf
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sources : BP Statistical Review of World Energy 2016
1. Les causes de la révolution du schiste
Les raisons de la révolution énergétique américaine sont nombreuses, ce qui explique que pour
l’heure, elle ne se soit déroulée qu’aux Etats-Unis dans cette ampleur.
Tout d’abord, il faut bien sûr des ressources importantes. En novembre 2015, le Département
américain à l’énergie (DOE) a estimé les réserves prouvées6 de gaz non conventionnel à 215,4 tcf soit
plus de 6 000 Gm3 (pour des réserves totales de 388 tcf soit 11 800 Gm3) et de pétrole non
conventionnel à 13,365 milliards de barils7. Il est à noter que les réserves de gaz ont augmenté de
10% entre 213 et 2014 et que celles de pétrole ont progressé pour la sixième année consécutive.
L’élément essentiel qui a permis cette révolution est indiscutablement le code minier. Aux États-
Unis, contrairement à la plupart des pays européens ou à l’Argentine, la réglementation prévoit que
le propriétaire terrien détient également les ressources de son sous-sol. Cela a permis à de
nombreux propriétaires et investisseurs, indépendamment de l’intervention de la force publique, de
forer des puits et de s’enrichir. Le développement de cette activité pétrolière à l’échelle individuelle
et privée a permis non seulement l’émergence d’un nouveau secteur économique, mais également
la création de richesses comme au Dakota du Nord, bien qu’il souffre aujourd’hui de la chute des
cours8.
6 Il est à ce titre important de distinguer les ressources techniquement récupérables et les ressources récupérables et
rentables. On considère que des ressources sont techniquement récupérables (technically recoverable) dès lors qu’une technologie permettant leur extraction est connue et maîtrisée. Le terme de ressources rentables renvoie à la profitabilité et la rentabilité des ressources extractibles selon des critères comme le prix de la matière première sur les marchés, le coût de l’infrastructure industrielle et de la main d’oeuvre. Aussi ces deux définitions recouvrent-elles des quantités d’hydrocarbures différentes et évolutives : de même que la technologie progresse et que son coût peut diminuer rapidement, la volatilité des prix du gaz et du pétrole peut compromettre ou favoriser les projets de forage et d’extraction. 7
U.S. Crude Oil and Natural Gas Proved Reserves, 2014, p. 8-11; http://www.eia.gov/naturalgas/crudeoilreserves/pdf/usreserves.pdf. 8 Jean-Marc Gonin, « Dakota du Nord, les naufragés de l'or noir », LeFigaro.fr, 8 juillet 2016.
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2010
2011
2012
2013
2014
2015
Production pétrolière (mbj)
Etats-Unis
Russie
ArabieSaoudite
500
550
600
650
700
750
800
2010
2011
2012
2013
2014
2015
Production gazière (Gm3/an)
Etats-Unis
Russie
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La culture entrepreneuriale dynamique et le système économique américain ont joué un rôle
important dans l’essor fulgurant des hydrocarbures non conventionnels aux États-Unis. En effet,
aucune grande major n’a voulu au départ tenter l’aventure des hydrocarbures non convntionnels qui
a été porté par des entreprises de taille réduite, non confirmées ou des investisseurs spécialisés
disposant de cette culture du risque comme XTO – entreprise ensuite racheté par ExxonMobil. De
même, les incitations de l’administration américaine à produire de l’énergie sur le sol national se
sont montrées très efficaces. Concentré en 2007-2008 sur le charbon, elles ont rapidement été
redirigées vers le gaz non conventionnel, plus acceptable politiquement. Cette politique de relance
énergétique nationale, concomitamment avec le désengagement militaire du Golfe a permis de
déverrouiller le secteur.
D’autres éléments qui peuvent apparaitre plus triviaux de prime abord ont aussi contribué à ce
développement : l’immense superficie du pays et ses richesses naturelles qui conditionnent deux
critères importants : la faible densité de population et la disponibilité en eau, indispensables pour
la mise en production des gisements essentiellement via la technique de la fracturation hydraulique.
Les capacités logistiques mobilisables à court terme, le contexte macroéconomique avec la politique
de taux d’intérêt bas de la réserve fédéral amércaine, le potentiel de capital humain mobilisable à
court terme (foreurs, etc.) tout comme une sensibilisation environnementale réduite dans les
régions de production par rapport à d’autres comme la Californie, ou encore vis-à-vis de l’Europe,
tous ces facteurs ont également favorisé l’essor rapide de la production.
En quelques années, les Etats-Unis ont vu leur production de gaz et de pétrole décoller. Les
graphiques ci-après illustrent bien l’ampleur du phénomène et justifient l’emploi du terme
« révolution », même s’ils ne dispensent pas de s’interroger sur la temporalité.
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2. Les impacts à court terme
a. Une baisse des importations de gaz et de pétrole
L’essor du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis a contribué à diminuer les importations
d’hydrocarbures, loin cependant de la perspective d’indépendance énergétique initialement
annoncée par l’administration Obama. En mai 2015, le département de l’Énergie avait affirmé
qu’avec un baril de pétrole brut au-dessus des 100$, les États-Unis deviendraient exportateurs nets
en 2019. Cependant, depuis la chute du prix du pétrole initiée en juin 2014, cette échéance est
théoriquement repoussée à 2028 à condition d’une hausse soutenue des prix9.
À noter également, d’après le tableau ci-dessous, que si les importations américaines diminuaient
régulièrement depuis 2007 pour le gaz et depuis 2005 pour le pétrole, cette dynamique s’est
légèrement infléchie par la baisse du prix des hydrocarbures en 2014.
Importations de gaz et de pétrole aux États-Unis
2012 2013 2014 2015
Pétrole et produits pétroliers (en mbj) 10598 9859 9241 9401
Gaz naturel (en mcf) 3 137 789 2 883 355 2 695 378 2 718 349
Source : US Energy Information Administration
9
Annual Energy Outlook 2016, US Energy Information Agency, https://www.eia.gov/forecasts/aeo/executive_summary.cfm
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Encouragée dès les années 1970, la production de pétrole (et de gaz) de schiste aux États-Unis s’est
surtout développée entre 2007 et 2014, alors que le prix du baril titrait à $100 en moyenne. Le signal
prix y était donc favorable et les projets d’exploration-production se sont multipliés, jusqu’à ce que
les États-Unis deviennent les premiers producteurs au monde fin 2015 (12,7 millions de barils jour
contre 7 mbj en 2007), devant l’Arabie Saoudite (12 mbj) et la Russie (11 mbj10).
L’abondance de gaz naturel aux États-Unis a, depuis plusieurs années, incité les producteurs
d’électricité à remplacer le charbon par le gaz pour la génération d’électricité. Ce phénomène a eu
deux effets : la baisse des émissions de CO2 aux États-Unis, à hauteur de 1,4% par an entre 2005 et
2012, et la hausse des exportations de charbon vers l’Europe et l’Asie, avec un effondrement du prix
du charbon, où les émissions de CO2 ont concomitamment augmenté.
En décembre 2014, le Congrès a levé l’interdiction d’exporter du pétrole brut établie après le choc
pétrolier de 1973 : aussi les États-Unis auraient-ils exporté environ 1,5 million de barils en 2014, en
grande majorité des produits pétroliers raffinés (gazoline, kérosène).
Exportations de charbon des États-Unis, en tonnes
2008 2009 2010 2011 2012 2013
81 519 115 59 096 951 81 715 675 107 258 561 125 745 662 117 659 268
Source : US Energy Information Administration
Les États-Unis sont donc non seulement devenus un important producteur de pétrole, capable
d’alimenter leur marché intérieur et donc de moins dépendre de leurs fournisseurs traditionnels,
mais ils sont aussi un exportateur dont l’influence sur les marchés internationaux pourrait s’accroître
si la production de schiste se maintenait voire poursuivait sa croissance ces prochaines années.
b. Une réduction du taux de chômage
Selon une étude britannique de 201411, la révolution du schiste aurait permis la création de 224 000
emplois dans le secteur énergétique et de 486 000 emplois supplémentaires, indirectement et grâce
au rayonnement de cette industrie. Cette même étude soutient que le taux de chômage des comtés
où l’on exploite du pétrole et du gaz est inférieur aux autres. Le salaire nominal du secteur a
augmenté de 30% en moyenne depuis 2000, et l’énergie y est 30% moins chère en moyenne, ce qui
contribue à dynamiser l’activité commerciale et industrielle et l’attractivité des régions
d’exploitation pour les travailleurs et les ménages. En revanche, le coût de la vie y a parallèlement
augmenté (cf. augmentation de 350% du loyer moyen pour un studio à Williams County, cœur du
Dakota du Nord depuis 2000). Toutefois, le lien emploi-croissance/développement des hydrocarbures
10
BP Energy Charting Tool 2015, http://tools.bp.com/energy-charting-tool.aspx. 11
Thiemo Fetzer, Fracking Growth, Centre for Economic Performance, Discussion paper N°1278. Eléments adidtionnels sur la note de blog “The shale gas boom has boosted jobs, wages and energy intensive manufacturing in the United States”, USAPP blog, London School of Economics.
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de schiste reste controversé, contredit par d’autres études qui accordent, sur le plan économique,
des bénéfices restreints12.
Grâce à une fiscalité souple et attractive, initiée par le Energy Act de 1980, les États-Unis ont
bénéficié de retombées économiques conséquentes. Les recettes fiscales du secteur du gaz naturel
pourraient par exemple générer, selon certaines sources, jusqu’à 930 milliards de dollars de revenus
d’ici 2035 et employer environ 4,2 millions de personnes contre 2,8 aujourd’hui13.
Selon le scénario de référence de l’Annual Energy Outlook 2016 14de l’AIE, la production américaine
de gaz naturel devrait augmenter de 50% entre 2015 et 2040, dépassant les 40 tcf en reposant à 69%
sur le secteur du non conventionnel (29 tcf).
II. Panorama et enjeux du secteur
I. Enjeux techniques
1. Le forage horizontal et la fracturation hydraulique
La fracturation hydraulique nécessite par définition un important volume d’eau, variable en fonction
des conditions géologiques et de l’amplitude du forage (entre 10 000 et 15 000 m3). Afin de limiter
l’impact environnemental de l’exploitation des sols, il faut disposer d’un volume suffisant d’eau, des
capacités de retraitement lié à l’injection de produits chimiques, et de capacités de stockage.
Les risques associés à cette technique sont nombreux. Selon un rapport commandé par la DG
Environnement de l’UE remis en 2012 et cité par l’organisation Green Facts, « les sources
potentielles de risques pour la santé et l'environnement sont :
L'utilisation de volumes importants d'eau et de substances chimiques et le rendement à la
baisse des puits de gaz non conventionnel par rapport à l'extraction de gaz conventionnel ;
Garantir l'intégrité des puits et des autres équipements tout au long du cycle de vie de la
centrale et après ;
L'éventuelle toxicité des additifs chimiques et le défi de trouver des alternatives plus
écologiques; s'assurer que le déversement de substances chimiques et d'eaux usées, qui
peut avoir des conséquences sur l'environnement, soit évité ;
12
Energy Modelling Forum (2013). Changing the Game? Emissions And Market Implications of New Natural Gas Supplies, Stanford University, cité notamment par l’IDDRI dans son étude Unconventional wisdom: an economic analysis of US shale gas and implications for the EU (Thomas Spencer, Oliver Sartor, Mathilde Mathieu), 2014. 13
« Shale Gas. What it means for our economy », America’s Natural Gas Alliance, http://anga.us/media/content/F7D1750E-9C1E-E786-674372E5D5E98A40/files/ihs%20shale%20gas%20jobs%20brochure.pdf. 14
Annual Energy Outlook 2016, p. 53. Dans ce scénario, le prix du brent remonte à 77 dollars le baril dès 2020 pour continuer sa croissance et atteindre environ 135 dolalrs en 2040 (p. 9).
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
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Veiller à identifier et à sélectionner correctement les sites géologiques ;
Les incertitudes liées à la présence sur le long terme des fluides de fracturation hydraulique
dans le sol ;
Les impacts inévitables du trafic ;
Le potentiel de développement sur une zone plus grande que pour les gisements de gaz
conventionnel ;
Les émissions dans l'atmosphère et les nuisances sonores liées à la centrale et à
l'équipement durant la construction et l'exploitation du puits.
Le rapport a identifié un risque élevé pour la plupart des aspects environnementaux examinés dans
le cas de l’effet cumulatif de l'installation et de l'exploitation de plusieurs puits. Il s'agit notamment
de risques de contamination des eaux et de rejet de contaminants dans l'air et le sol, ainsi que de
risques directs pour la biodiversité. »15
Plusieurs études mettent en avant le risque de pollution des nappes phréatiques par la fracturation
hydraulique : des passages naturels peuvent laisser passer les produits chimiques des gisements vers
des aquifères. Le risque industriel d’une explosion du sous-sol et d’une contamination de l’eau n’est
pas moindre. Ce fut le cas en 2011 en Pennsylvanie, lorsque plusieurs milliers de litres d’eau de
forage se sont échappés du tubage d’un puits de gaz de schiste après une explosion. Un unique cas a
incriminé la fracturation hydraulique dans la contamination des nappes phréatiques jusqu’à ce jour
(Pavillion, Wyoming 16 ). Les partis écologistes sont généralement extrêmement opposé au
développement de cette industrie controversée sur le plan environnemental, point qui a également
fait l’objet de plusieurs publications et long-métrages critiques (Gasland de Josh Fox en 2010,
Promised Land de Gus Van Sant en 2012).
La perturbation de l’activité sismique constitue un autre risque, qui a récemment été observé aux
Etats-Unis notamment en Oklahoma. De 50 en 2009, le nombre de séismes a atteint 6039 en 2015
dont près de 1000 d’une intensité supérieure à 3 sur l’échelle de Richter, selon le Oklahoma
Geological Survey (2015 data) et le Leonard Geophysical Observatory (2001-2014 data)17.
2. Le renouvellement constant des puits pour une production constante
Le cycle de production des hydrocarbures non-conventionnels est également différent du cycle
conventionnel : un puits d’hydrocarbures de schiste a ainsi une durée de vie moins importante,
puisqu’il atteint généralement son niveau maximal de production dès le début de son exploitation.
S’en suit un déclin rapide et une durée de vie qui varie approximativement entre six mois et cinq ans
contre en moyenne entre 15 et 30 ans pour un puits de pétrole conventionnel. Aussi la nature du
15
AEA Technology, Support to the identification of potential risks for the environment and human health arising from hydrocarbons operations involving hydraulic fracturing in Europe, aout 2012, http://ec.europa.eu/environment/integration/energy/pdf/fracking%20study.pdf 16
Marie-Béatrice Baudet, Jean-Michel Bezat, Stéphane Foucart et Hervé Kempf, « Faut-il avoir peur du gaz de schiste ? », Le Monde.fr, 14 septembre 2012. 17
Cité par Michael Wines, « Oklahoma Puts Limits on Oil and Gas Wells to Fight Quakes », The New York Times, 7 mars 2016.
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
15
secteur non conventionnel est-elle fondamentalement différente car pour maintenir un niveau de
production stable, il est nécessaire de forer de nouveaux puits – et donc d’investir – régulièrement.
On observe ainsi une inversion de la structure OPEX-CAPEX par rapport à l’industrie traditionnelle,
où les coûts d’exploration sont généralement plus importants que les coûts d’opération.
Cette exigence de l’industrie non conventionnelle a également un impact important au sein des
territoires riches en hydrocarbures. Le déboisement, la multiplicité des puits à proximité les uns des
autres, l’installation de dalles de ciment pour les équipements d’extraction… Autant de facteurs
pouvant générer des externalités négatives à terme pour des régions qui, en dépit de bénéfices
économiques, s’exposent à des risques environnementaux difficilement quantifiables à moyen et
long terme.
Cependant, cette difficulté semble avoir été dépassée grâce à des améliorations techniques qui ont
permis à la production de se maintenir en 2014 et 2015 malgré la baisse du nombre de puis forés
(voir infra).
II. L’aspect concurrentiel et économique
1. Petites entreprises à l’origine du mouvement
A l’origine du boom des gaz et pétrole non conventionnels, on retrouve plutôt les producteurs
indépendants. Ces ressources n’intéressaient pas au début les grandes majors comme ExxonMobil,
Chevron, Texaco. Ce sont les acteurs de taille réduite qui ont initié le mouvement, ce que permettait
le tissu d’entreprise énergétiques aux Etats-Unis, très différent de celui que l’on trouve ailleurs dans
le monde où ces acteurs, dans la production, sont peu nombreux.
2. Nature capitalistique et flexible du marché
Les Etats-Unis réunissent de nombreuses conditions favorables aux entreprises, notamment leur
marge de manœuvre, des facilités d’emprunt, une protection en cas de faillite grâce au chapter 11
qui permet à toute entreprise en situation de faillite de déposer un dossier auprès du tribunal fédéral
afin de se placer sous la protection de l’Etat. Cela a permis aux petits acteurs de continuer à produire
alors qu’ils étaient en situation de faillite et de disposer de temps pour optimiser les couts de
production. Cela s’est fait aussi bien par des évolutions techniques que par des réductions d’effectifs.
Toutefois, la baisse des cours du baril rattrape les producteurs de non conventionnel puisqu’il leur
faut maintenant rembourser les emprunts contractés pour le démarrage d’activité. Or de nombreux
producteurs de taille moyenne – notamment dans le Dakota du Nord – font tout de même faillite car
ils ne sont plus solvables.
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
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III. Perspectives structurelles
1. La chute des prix de juin 2014 : un coup dur pour le non-conventionnel ?
Si les consommateurs et l’industrie manufacturière profitent d’une énergie à bas prix, les
producteurs de pétrole et de gaz de schiste souffrent pour leur part de signaux prix défavorables au
renouvellement des investissements de leur secteur. Aussi le développement du non-conventionnel
dans d’autres régions du monde n’est-il possible qu’avec un prix des matières premières stable à
moyen-terme. Avec des coûts de production à 73$18 par baril de pétrole de schiste en moyenne, le
secteur non conventionnel est effectivement en difficulté financière, et la production a commencé à
décroître au Etats-Unis (de 9,6 mbj en 2015 à 9 mbj en mars 2016)19. Comme mentionné supra, la
réactivité du marché du non-conventionnel est bien plus importante que celle du conventionnel, car
si la production est plus rapide, l’épuisement d’un puits est aussi fulgurant. Un cycle de production
soutenu suppose donc des réinvestissements constants.
2. Les conséquences sur les marchés américain et mondial
Sur le marché gazier, l’abondance de gaz non conventionnel a fait chuter les prix américains. Sur le
Henry Hub, indice spot de référence, le cours est passé de 4,59 à 2,59$/Mbtu entre juin 2014 et juin
201620. Ce prix peut s’avérer favorable à une hausse des exportations, notamment vers le marché
asiatique dont la demande de GNL ne cesse d’augmenter. En effet, après la catastrophe de
Fukushima en 2011, l’Asie avec des pays comme le Japon réunit des conditions très avantageuses
pour les exportateurs américains (prix haut, forte demande) qui la préfère à l’Europe où la demande
gazière stagne. En dépit du ralentissement de la croissance chinoise, plus de 245 millions de tonnes
de GNL ont été négociées en 2015. Selon Wood Mackenzie, grâce à l’Australie et aux États-Unis, la
production de GNL pourrait augmenter de 50% d’ici à cinq ans21. La demande européenne en GNL
devrait donc augmenter et rencontrer une offre suffisante pour être satisfaite par différents pays
producteurs. Toujours selon Wood Mackenzie, les capacités d’exportation des États-Unis devraient
augmenter de 60 millions de tonnes par an d’ici à 2020, grâce à la conversion des terminaux de
regazéification de GNL en terminaux de liquéfaction.
Cette suroffre d’origine américaine a provoqué de lourdes conséquences sur le marché pétrolier et a
conduit les acteurs à adopter de nouvelles stratégies. Les autres États producteurs de pétrole
comme l’Arabie Saoudite ont ainsi choisi de maintenir leur niveau de production lors de la réunion
de l’OPEP des 26 et 27 novembre 2014, le ministre du pétrole saoudien Al-Naimi annonçant à
l’époque que le Royaume était prêt à supporter la baisse des prix face à l’excès d’offre en provenance
18
International Energy Agency 19
id. 20
Rappelons que le prix était, au plus fort de la hausse du pétrole à l’été 2008, de 12,69 dollars/Mbtu. 21
Chester Dawson, “Global demand for LNG drops on weak demand in Asia and increased production”, Wall Street Journal, 13 janvier 2016.
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
17
des Etats-Unis22. En dépit de la chute du prix du baril, cette stratégie avait pour objectif de
combattre l’excès d’offre en décourageant la production américaine et en compromettant sa
rentabilité. Un accord de gel de la production passé en février 2016 entre l’Arabie Saoudite, le Qatar,
la Russie et le Venezuela poursuivait le même but, sans résultats probants23. Au sein de l’OPEP,
aucun accord n’a pu être trouvé sur un gel éventuel malgré une autre réunion en avril 2016 où les
divergences entre l’Arabie Saoudite et l’Iran se sont une nouvelles fois affirmées, Téhéran refusant
contre le souhait de Riyad de restreindre sa production.
3. La surprenante résilience du non-conventionnel dans un contexte de prix bas
La stratégie de mise à mal de la concurrence par la pression à la baisse sur les prix tarde à obtenir les
effets escomptés. L’industrie du non-conventionnel, qui avait surpris par son spectaculaire essor,
étonnant désormais les analystes par sa résilience. Cette dernière s’explique par des progrès
techniques et une optimisation de la production qui ont permis de faire chuter les coûts de
production, le breakeven de nombreux bassins étant inférieur à 40 voire 30 dollars24.
22
Lors de cette réunion a été décidé le maintien du quota officiel de 30 millions de barils par jour fixé en 2011 lorsque le cours du Brent était à 100 dollars. Jean-Michel Bezat, « L’OPEP refuse de réduire sa production, les cours chutent », 27 novembre 2014. 23
Frabrice Nodé-Langlois, « L'accord entre l'Arabie et la Russie ne fait pas remonter le prix du pétrole », LeFigaro.fr, 16 février 2016. 24
Selon plusieurs études, notamment du cabinet Rystad Energy. “Average shale wellhead breakeven prices are below 40 USD/bbl”, 28 juillet 2016. Certains bassins seraient même en dessous des 30 dollars et peuvent se maintenir avec un prix à 40 dollars (prix au 29 juillet 2016). Texas Isn't Scared of $30 Oil, Dan Murtaugh, Bloomberg, 3 février 2016.
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
18
Source: US Shale Oil Production: The Unexpected Resilience, Paraskevas Kipouros, 18 septembre 2015.
Conjuguées à d’autres facteurs comme les dispositions du chapitre 11 de la loi sur les faillites
protégeant les entreprises de cette situation, les évolutions techniques et technologiques ont permis
de préserver l’industrie pétrolière et gazière non conventionnelle américaine de la chute des cours
initiée en juin 2014, en leur donnant la possibilité de continuer à produire. Si de nombreuses
disparitions d’entreprises et d’emplois ont toutefois eu lieu, la production s’est maintenue à un
niveau important, portant à 55% la part du non conventionnel dans la production pétrolière. Pour
preuve, le découplage entre le Baker Hughes Rig Count et la production au cours de l’année 2014
(avec un décalage de trois mois en raison du délai moyen entre le premier forage et le début de la
production)25.
L’efficacité du forage s’est grandement améliorée ces dernières années, en termes de précisions,
d’optimisation de l’utilisation de l’énergie et de réduction du temps de forage. Les producteurs ont
aussi insisté sur les enhanced completions qui ont permis de booster la production dès la première
année du puits26, comme en atteste le graphique suivant.
Augmentation de la productivité des puits27
4. Une mutation technologique ?
Plusieurs techniques alternatives sont à l’étude28.
25
Trisha Curtis, op.cit., p. 8. 26
US Shale Oil Dynamics in a Low Price Environment, Trisha Curtis, Oxford Institute for Energy Studies November 2015, p. 5-6. 27
“Increased drilling may slow pace of crude oil production declines”, EIA, 26 juillet 2016. 28
Consulter Les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, rapport du Sénat, 27 novembre 2013.
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
19
La fracturation par arc électrique, dont le principe est de provoquer grâce à un arc électrique entre
deux électrodes produisant une onde de pression consécutive à une décharge électrique, des
microfissures dans la roche. Fortement consommatrice d’électricité et comportant certains risques
dus à la présence de gaz inflammables, cette option, immature, semble délicate à mobiliser dans le
cadre de cet objectif, sachant que seul la proximité immédiate du puits peut être stimulé.
La fracturation thermique s’effectue par chauffage de la roche à l’aide de vapeur ou d’un chauffage
électrique. L’élévation de la température permet de déshydrater la roche qui se rétracte et se
fracture. Ce chauffage a aussi un impact sur la qualité des produits extraits. Toutefois, cette
technique n’est pas encore mature et des études sérieuses doivent encore être menées.
La fracturation pneumatique consiste à injecter une quantité d’air comprimé dans le puits pour créer
des ondes de chocs et fracturer la roche mère. Autre variante, la fracturation à l’hélium (composants
non toxiques/caustiques), développée par Chimera Energy Corp., qui peut être classée dans la
catégorie des fracturations pneumatiques car elle fonctionne sur le principe d’expansion de l’hélium.
Injecté liquide, il connait une forte expansion en repassant à l’état gazeux lors de son réchauffement
dans le sous-sol, conduisant à fracturer la roche. A noter que d’autre gaz peuvent être utilisé comme
le CO2 ou l’azote.
Enfin, la fracturation au propane, utilisée au Canada par EcorpStim et GasFrac complète le panel.
Elle est utilisée par l’industrie depuis plus de cinquante ans notamment pour l’EOR (Enhanced Oil
Recovery) mais comporte d’importants risques liés au caractère fortement inflammable de ce gaz.
Son principal intérêt reste qu’elle ne consomme pas d’eau et permet d’éviter en partie les problèmes
liés à la fracturation hydraulique (retraitement de l’eau, conflits d’usage).
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
20
III. Un phénomène transposable à l’étranger ?
La « révolution » du non-conventionnel aux États-Unis s’est effectuée dans des conditions
géologiques, financières, économiques et juridiques très spécifiques. Le caractère transposable du
phénomène dépend donc des similitudes qui peuvent exister entre les États-Unis et d’autres régions
riches en ressources, tant sur le plan géographique (superficie, disponibilité en eau) que
réglementaire (code minier, code du commerce). Si l’enthousiasme qu’a suscité l’essor du gaz de
schiste a encouragé de nombreux États à évaluer leurs propres réserves, l’acceptabilité
environnementale et sociale du non-conventionnel a aussi été à l’origine de moratoires sur la
recherche et l’exploitation dans le secteur.
“Shale oil and shale gas resources are globally abundant”, EIA, 2 janvier 2014. http://www.eia.gov/todayinenergy/detail.cfm?id=14431
I. En Russie et en Europe : des ressources importantes, pour quel
marché ?
1. Russie : des réserves considérables, une industrie en retard
Selon BP, la Russie disposerait des deuxièmes réserves prouvées mondiales de gaz derrière l’Iran,
avec 32 000 Gm3 dont, selon les chiffres de l’EIA, près de 8000 Gm3 (285 tcf) de gaz non
conventionnel.
Alors que Gazprom prévoit un déclin rapide des réserves de gaz conventionnel (-25% d’ici 2020 et -
75% d’ici 2030), l’exploitation des ressources non-conventionnelles présente un intérêt certain. La
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
21
Russie aspire en effet à maintenir au mieux ses parts de marché auprès de l’Union européenne et
développer ses exportations vers l’Asie et la Chine avec laquelle elle noue de plus en plus de contrats.
La demande européenne et la demande domestique russe sont stagnantes, voire en faible
diminution. L’UE manifeste depuis les crises successives entre la Russie et l’Ukraine sa volonté de
diversifier ses approvisionnements en gaz et en pétrole, dans une stratégie plus générale de sécurité
énergétique. Il est donc peu probable que les échanges gaziers entre la Russie et l’UE augmentent
significativement d’ici à 2030. Au contraire, l’UE encourage la construction de terminaux GNL pour
recevoir du gaz – y compris non conventionnel – de nouveaux partenaires énergétiques29.
Sur le plan technologique, la Russie accuse un retard certain comparé aux Etats-Unis et aux autres
marchés émergents du non-conventionnel. Les sanctions internationales qui pèsent sur son
économie et son industrie conduisent certains analystes à penser que les premières productions de
méthane et de tight gas ne verraient le jour qu’à partir de 2020 au plus tôt, et à partir de 2030 pour le
gaz de schiste et les hydrates. Aussi la Russie a-t-elle intérêt à apprendre et à maîtriser la
technologie d’extraction et d’exploitation du gaz de schiste pour, à terme, pouvoir exploiter ses
ressources, ce qui ne pourra se faire qu’avec le développement de partenariats avec les entreprises
américaines qui souhaiteront investir pour mettre en valeur ses réserves.
2. L’Europe
Selon une étude de 2013 effectuée par l’Institut Fédéral pour les Géosciences allemand, les réserves
recouvrables de gaz de schiste en Europe s’élèvent à 14 trillions de m3, principalement situées en
Pologne et en France. Les estimations de 2011 ont cependant été revues à la baisse (5 100 Gm3
contre 3 900 en France, 5 300 contre 4 200 en Pologne). L’estimation des réserves reste toutefois
très incertaine car peu de puits d’exploration sont à ce jour en activité.
Si la Commission européenne considère aujourd’hui que le gaz de schiste représente une
opportunité potentielle pour la sécurité énergétique européenne, et finance même des projets
d’exploration dans son programme Horizon 202030, les États restent divisés sur la position à adopter.
Le gouvernement britannique s’est déjà exprimé en faveur du développement du gaz de schiste, et
les licences expérimentales délivrées pourront évaluer la rentabilité d’une production d’ici à cinq ans.
La mise en valeur des ressources non conventionnelles des pays d’Europe centrale et orientale a
pendant quelque temps entretenu l’idée d’un desserrement de l’étau russe, Désireuse de se
positionner sur ces marchés, plusieurs compagnies internationales se sont intéressées de près à la
Pologne. Après que l’US Energy Information Administration a estimé ses réserves à près de 2 000
milliards de m3, Chevron, Exxon Mobil, Eni et Total y ont mené des prospections dont les résultats se
sont toutefois révélés décevants. Si la nature géologique du terrain n’est pas aussi favorable qu’aux
29
« Le gaz naturel liquéfié et le stockage du gaz renforceront la sécurité énergétique de l’Union », fiche d’information de la Commission européenne, 16 février 2016. 30
“EU puts up 12 million euros for “rigorous” fracking research”, Shale Gas International, http://www.shalegas.international/2015/03/03/eu-puts-up-12-million-euro-for-rigorous-fracking-research/
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
22
États-Unis, la rentabilité économique n’est pas non plus satisfaisante. De même, l’opposition d’une
partie de la population aux développements de ces ressources controversées a constitué un verrou
supplémentaire.
Ainsi, « l’abandon progressif par les entreprises américaines des territoires d’Europe orientale où
finalement peu de puits ont été forés avec des résultats très faibles, prouve bien que les conditions
américaines ne sont pas universellement réplicables »31.
En France, le débat sur l’exploitation des gaz de schiste s’est, comme souvent, fortement polarisé
voire idéologisé. Avant même de savoir si les réserves nationales étaient de taille suffisamment
importante pour que l’exploitation en soit envisageable, utile, rentable et maitrisée sur le plan
environnemental, la fracturation hydraulique a été interdite par la loi Jacob du 13 juillet 201132. Les
licences d’exploration qui avait été délivrées ont été annulées. L’élection à la présidence de la
République en mai 2012 de François Hollande, lié au parti EELV par un accord sur la non-exploitation
de ces ressources controversées, a gelé la situation. S’estimant lésées, certaines sociétés titulaires
des permis comme le texan Schuepbach avait sollicité en juillet 2013 le Conseil constitutionnel pour
examen du principe de constitutionnalité. Ce recours n’avait rien donné, le Conseil déclarant
conforme la loi conforme à la constitution trois mois plus tard.
Un rapport, commandé en 2012 par Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif,
et livré début 2014 aurait également été enterré par le gouvernement afin de ne pas relancer la
polémique sur le sujet33. Le rapport évoquait notamment la possibilité de recourir à la technique de
fracturation par fluoropropane (voir infra).
Autre rebondissement, l’annulation le 28 janvier 2016 par le tribunal administratif de Cergy de la
décision du 12 octobre 2011 abrogeant le permis de recherche délivré à Total dans la région de
Montélimar, au motif que le groupe ne comptait pas recourir à la fracturation hydraulique. Ségolène
Royal a fait appel de la décision et des manifestations ont eu lieu notamment à Barjac dans le Gard
avant que Patrick Pouyané, PDG de Total ne renonce publiquement à mener ses recherches en mars
2016.
La ministre de l’Écologie Ségolène Royal s’est également opposée à l’importation de gaz de schiste
sous forme liquéfiée en provenance des États-Unis. Malgré tout, une première cargaison propriété
d’Engie pourrait être acheminée jusqu’au terminal de Dunkerque au cours de l’été 2016.
Dans la même lignée, la Bulgarie a imposé un moratoire sur le gaz de schiste, les Pays-Bas ont
suspendu les licences jusqu’à la publication prochaine d’une étude environnementale publique34 et
l’Allemagne a récemment interdit la fracturation hydraulique35.
31
Nicolas Mazzucchi, « L’exploitation des gaz et pétrole de schiste en Europe centrale et orientale (Pologne, Ukraine, Bulgarie) constitue-t-elle une alternative crédible aux approvisionnements en hydrocarbures russes ? »,Cahiers de la sécurité et de la justice, n°33, février 2016. 32
Loi Jacob du 13 juillet 2011, en application de la Charte de l’environnement, 2004 33
Hydrocarbures non conventionnels en France perspectives ouvertes par les nouvelles technologies d’exploration et d’exploitation. 20 mois à la recherche des gaz de schiste écologiques. Bertille Bayart, « Gaz de schiste : le rapport enterré par le gouvernement », LeFigaro.fr, 6 avril 2015. 34
“Shale gas and EU energy security », European Parliament, http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2014/542167/EPRS_BRI(2014)542167_REV1_EN.pdf
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
23
D’autres États européens, aux ressources moins importantes, ont engagé des projets d’exploration
production : le Danemark, l’Espagne, la Lituanie et la Roumanie étudient actuellement les conditions
réglementaires dans lesquelles autoriser l’exploitation des ressources non conventionnelles.
L’opinion publique demeure donc largement divisée en Europe, et il n’existe à l’heure actuelle
aucune politique publique européenne relative au développement du gaz de schiste, et plus
généralement des hydrocarbures non conventionnels. La Commission européenne a adopté la
Recommandation 2014/70/EU à propos de la fracturation hydraulique, invitant les autorités et les
entreprises à la transparence quant aux risques environnementaux sans interdire la technique.
Toutefois, au-delà des questions de réserves et de réglementation se posent les problématiques
concrètes, logistiques, matérielles et politiques. Les matériels nécessaire à la mise ne place de ce
type de production n’existe pas sur le territoire européen, il faudrait alors tout importer ; de même
que le personnel formé pour l’utiliser.
Enfin, la dimension politique et l’acceptabilité par les opinions publiques semblent indépassables,
notamment en France où les syndromes NIMBY (Not in my backyard) et BANANA (Build Absolutely
Nothing Anywhere Near Anything) prédominent et constituent un second verrou très puissant,
même dans l’hypothèse peu plausible où l’interdiction de la fracturation hydraulique serait levée
et/ou une autre technique type fracturation au fluoropropane serait acceptée.
II. La Chine
1. Des ressources et une demande croissante…
La demande énergétique chinoise connait une croissance rapide depuis le début des années 2000,
en dépit du ralentissement récent de son activité industrielle et donc de sa demande en pétrole. En
2015, la consommation chinoise de gaz était de 35% supérieure aux projections de l’EIA en 201036.
D’ici 2035, elle devrait représenter à elle seule 25% de la demande énergétique mondiale, et
deviendrait par là même de plus en plus dépendante des importations de pétrole et de gaz. Cette
dynamique devrait être renforcée suite aux engagements pris à la COP21 où la Chine a fait part de
ses intentions de diminuer sa consommation de charbon pour sa production d’électricité et lui
préférer le gaz naturel.
Alors que des projets de gazoducs depuis le Turkménistan et Myanmar alimentent déjà un marché
domestique dynamique, l’EIA a évalué en 2011 que la Chine disposait des troisièmes plus
importantes ressources de CBM et les premières ressources de gaz de schiste au monde, à hauteur
de 31 000 Gm3 (1115 tcf) techniquement recouvrables37. Selon une étude de BP de 2014, la
35
“Germany bans fracking after years of dispute”, The Guardian, 24 juin 2016. 36
Jude Clemente, « China’srising natural gas demand, pipelines, and LNG », Forbes, 24 avril 2016. 37
“Shale gas development in China aided by government investment and decreasing well cost”, EIA, 30 septembre 2015.
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
24
production de gaz de schiste devrait augmenter de 5,6% par an entre 2014 et 203538. Elle s’élèverait
en 2015 à 5 Gm3/an dans le bassin du Sichuan. Le Parti communiste prévoit que le gaz représentera
10 % de la consommation d’énergie nationale en 2035, contre 6 à 7% aujourd’hui.
Dans ses International Energy Outlook 2016 (IEO2016) and Annual Energy Outlook 2016 (AEO2016
l’EIA estime que la production de gaz de schiste, plus simple que celle de CBM, pourrait représenter
jusqu’à 40% de la production de gaz du pays en 2040.
Sources : IEO 2016, chapter 3, Natural Gas, p.2.
CNPC a également découvert en 2015 plus de 100 millions de tonnes de pétrole de schiste dans le
champ de Changqing, soit l’équivalent de 730 millions de barils de pétrole. Il s’agit de la première
découverte de cette envergure. Toutefois, l’EIA n’envisage pas le développement à un niveau
significatif d’une production de pétrole non conventionnel en Chine. Selon ses prévisions à 2040, la
production américaine resterait supérieure aux productions cumulées des autres pays producteurs.
38
Nigel Davis, “China next in shale gas?”, ICIS, 18 février 2016.
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
25
Sources : IEO 2016, chapter 2, Petroleum and other liquids fuels, p.2.
2. …mais des interrogations légitimes
La Chine pourrait donc devenir un producteur important de gaz non-conventionnel, comme en
témoigne les 5 milliards de m3 produits dans la région de Chongqing selon Sinopec, et l’ambition
d’atteindre 15 milliards de mètres cube d’ici à 202039.
Toutefois, plusieurs doutes subsistent quant à la capacité de Pékin à atteindre ces objectifs. La
géologie reste un problème, l’accès aux gisements étant moins aisé qu’en Amérique du Nord quand
ils ne sont pas situés à la jonction de plaques tectoniques. Les ressources en eau ne sont pas non plus
abondantes dans toutes les régions, notamment dans l’Ouest et le Nord et en raison de la forte
densité de population et d’activités et de donc des besoins domestiques. Le manque
d’infrastructures de transport d’hydrocarbures dans certaines régions augmente également le coût
d’exploitation des gisements. Dès 2012, certaines analyses doutaient largement de la capacité de la
Chine a produire davantage que 10 Gm3/an dans la décennie 202040.
Les aptitudes des grandes compagnies nationales à développer le secteur du non-conventionnel
sont aussi questionnées, le boom aux Etats-Unis ayant été porté par les producteurs indépendants
bénéficiant d’une réactivité et d’une rapidité de décision, des qualités dont ne disposent pas les
entreprises chinoises publiques41 comme privées – ces dernières restant faibles en raison de la
domination des NOC42.
39
« China Sinopec to triple Chongqing shale gas capacity to 15 Bcm/year by 2020”, S&P Global Platts, 23 mai 2016. 40
Fan Gao, “Will There Be a Shale Gas Revolution in China by 2020?”, Oxford Institute for Energy Studies, p. 38. 41
“Why China will never see a Shale Boom”, Oil&gas360, 2 novembre 2015. 42
Fan Gao, op.cit., p. 38
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
26
De même, des interrogations persistent sur le rythme d’évolution de la demande chinoise, en
ralentissement aujourd’hui (+10 ,8% entre 2012 et 2013 contre 4,7% entre 2014 et 2015) malgré la
volonté de diminuer la consommation de charbon. Si les ressources non conventionnelles étaient
développées, cela pourrait en tous les cas remettre partiellement en cause certains contrats (accord
avec la Russie du 10 novembre 2014 sur la livraison de 2 tcf sur 30 ans) ou des difficultés pour
certains projets (rachat par ExxonMobil de InterOil en Papouasie-Nouvelle-Guinée, projet
d’exportation de GNL qui compte également sur la demande chinoise)43.
L’évolution à terme de l’économie chinoise est aussi une question importante. La transition d’une
économie agro-industrielle vers une économie tertiaire moins consommatrice d’énergie pourrait
aussi contrarier les projets de grands exportateurs de la région.
III. Australie
L’Australie dispose de ressources non conventionnelles très importantes. Selon l’administration
américaine de l’énergie (EIA), elles s’élèveraient à près de 400 tcf, répartis dans les quatre bassins
actuellement exploités. Cependant, l’industrie et les géologues s’intéressant au potentiel australien
depuis seulement quelques années, ces ressources pourraient être sous-estimées. De même, le
bassin d’Arckaringa en Australie du Sud contiendrait 3,5 milliards de barils de pétrole de schiste
recouvrables économiquement44.
Projets non conventionnels en cours
source : The Australian, 2013
43
“LNG Investments At Serious Risk If China Succeeds On Shale”, Charles Kennedy, OilPrice.com, 1er
aout 2016. 44
Jonathan Pearlman,« Trillions of dollars worth of oil found in Australian outback », The Telegraph, 24 janvier 2013.
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
27
Tout d’abord, l’Australie pourrait devenir un exportateur de pétrole et de gaz non conventionnels à
destination du marché asiatique, en croissance et situé à proximité. À plus long terme,
approvisionner le marché asiatique pourrait également permettre à l’Union européenne d’importer
davantage de GNL, dont l’essentiel de la production est aujourd’hui capté par l’Asie en raison des
prix élevés qu’elle offre aux producteurs pour satisfaire sa demande croissante.
De même, les conditions géologiques observées par le groupe Beach Energy, qui est à l’initiative de
l’exploitation du premier puits non-conventionnel en Australie, présentent des similitudes avec le
riche bassin de Haynesville au Texas45. Ainsi, le pays ne devrait pas être exposé aux problèmes
rencontrés en Europe où l’accessibilité et la rentabilité des réserves s’est souvent vue compromise
par la géologique.
IV. Argentine
Le boom des hydrocarbures non conventionnels n’est pas exclusif à l’Amérique du Nord :
d’importantes ressources ont été trouvées en Argentine, et le gouvernement semble compter sur le
potentiel de production de gaz et d’huile de schiste pour réduire ses importations et, à terme,
devenir exportateur net. Les retombées économiques aux États-Unis ont incité les pouvoirs publics à
accélérer le mouvement. Les réformes mises en place par le nouveau président Macri ont suscité
l’enthousiasme des entreprises privées, américaines et européennes, auparavant réticentes à
investir dans un environnement financièrement défavorable et politiquement instable, notamment
après la nationalisation de YPF, filiale de Repsol en Argentine, décidée sous la présidence de Cristina
Kirchner en 2012.
1. Ressources : état des lieux et projections
L’Argentine dispose en effet de ressources très importantes – 802 tcf soit 22 500 Gm3 (1 tcf = 28
Gm3) – essentiellement découvertes dans le champ de Vaca Muerta, dans la région de Neuquen en
Patagonie. Selon les estimations de la US Energy Information Administration, les ressources du
bassin s’élèvent à 308 Tcf de gaz (soit environ 8 700 Gm3) et 16,2 milliards de barils (41 000 barils
actuellement produits par jour). Ces capacités ont été découvertes en 2011 et représentent à l’heure
actuelle une infime part de la production nationale de gaz.
Les ressources non-conventionnelles concentrent l’espoir du gouvernement argentin, alors que les
gisements conventionnels s’épuisent progressivement depuis le début des années 2000. C’est en
2008 que la demande de pétrole a dépassé la production nationale (676,55 millions de barils
consommés contre 661,22 millions de barils produits), de même que l’offre et la demande de gaz
(1568 tcf consommés contre 1555 tcf produits). Par exemple, alors que l’Argentine a longtemps
45
Lauren Molan,« Australian shale : what’s the next move ? », Gas Today, février 2012.
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
28
exporté du gaz vers le Chili, la balance s’est inversée en mai 2016 lorsque deux contrats ont été
signés entre l’antenne chilienne d’Engie et l’Argentine pour approvisionner cette dernière à hauteur
de 85 millions de m3 dès l’hiver46.
Gaz naturel (AIE, 2013)
TJ TWh
production 1507070 416630
importations 446797 124110
exportations -3158 -877
offre 1950709 541863
Pétrole en milliers de tonnes (AIE, 2013)
pétrole brut mazout diesel
production 26978 4309 9369
importations 0 2132 335
exportations -528 -113 -245
2. Environnement légal et politique
Dès les premières semaines suivant son élection le 10 décembre 2015, le Président argentin Mauricio
Macri a mis en place plusieurs mesures-phare ayant suscité l’enthousiasme de fonds
d’investissements américains et européens. Il a unifié le taux de change, désengagé l’État du
contrôle de plusieurs capitaux privés et réduit les taxes sur l’export de biens agricoles et industriels47.
Le 31 octobre 2015, le gouvernement argentin a publié un projet de réforme de la loi de 1967 sur les
hydrocarbures. Cette réforme autorise les investisseurs étrangers à explorer des gisements offshore,
facilite la formation de joint ventures internationales, permet d’allonger la durée des périodes
d’exploitation des puits et augmente la fréquence de la délivrance de licences d’exploitation. Cette
nouvelle législation devrait permettre à terme à l’Argentine de diminuer ses importations de gaz
naturel, alors que jusqu’à aujourd’hui l’attractivité juridique et financière du secteur avait contraint le
pays à devenir importateur net.
Le 19 mai 2016, le gouvernement a lancé un programme politique de stimulation de la production de
gaz non conventionnel : l’objectif est de réduire les importations de gaz, en particulier chilien, et de
46
“Chile to begin gas exports to Argentina this week”, Reuters, 10 mai 2016. 47
« Mauricio Macri, le "président-patron" de l'Argentine », LeFigaro.fr, 23 février 2016.
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
29
promouvoir les investissements étrangers pour exploiter les ressources du champ de Vaca Muerta.
Le ministre de l’Énergie Juan Jose Aranguren a affirmé mi-juillet que les importations de GNL
s’interrompraient d’ici cinq à six ans grâce à l’augmentation de la production domestique de gaz48.
3. Projets industriels et conjoncture financière
Si la nationalisation de l’entreprise pétrogazière YPF en 2012 constituait un mauvais signal pour les
investisseurs étrangers, elle a eu le mérite de démontrer l’intérêt que le gouvernement argentin
portait au secteur des hydrocarbures. Vaca Muerta représente ainsi un enjeu de taille pour le
gouvernement argentin. ExxonMobil, Shell, Total et d’autres majors ont déjà investi des parts dans
l’exploitation des puits, mais seul Chevron s’est associé à YPF pour l’extraction de pétrole.
L’Argentine est déjà parvenue à baisser les coûts d’exploitation des puits, de $15 millions à $14
millions pour un puits horizontal et de $11 millions à $7 millions pour un puits vertical49 (objectif 4-5
millions). Ces coûts demeurent cependant très élevés et non rentables comparés aux coûts des puits
américains et, depuis la chute du prix du pétrole en 2014, les recettes ont chuté et l’exploitation de
Vaca Muerta a été ralentie.
Si le gaz de schiste argentin, moins rentable que son homologue américain, va d’abord alimenter le
marché intérieur, la transformation des terminaux d’importation de GNL en terminaux d’exportation
pourrait permettre à l’Argentine d’exporter son gaz non conventionnel vers les marchés européens,
à condition que les prix des matières premières augmentent durablement et que l’exploitation de
Vaca Muerta se poursuive.
48
“Argentina president vows to end LNG imports in 5-6 years”, Platts, 13 juillet 2016. 49
“Argentina cuts shale drilling costs but no new joint ventures expected”, Reuters, http://www.reuters.com/article/argentina-oil-idUSL1N10H24720150806
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
30
Prospective 2030
I. Scénario A : développement lent et progressif
A la faveur d’une reprise progressive de la croissance en Europe, d’une stabilisation de la production
non conventionnelle aux Etats-Unis (après un léger déclin amorcé fin 2015-début 2016 en raison du
niveau de prix bas et d’un taux de couverture moins important) et d’un choc lié au déficit
d’investissement en 2015 et 2016 dans l’amont, le prix du pétrole remonte progressivement et
retrouve un niveau de 80 dollars dès le début de l’année 2018. La réduction des coûts de production
forcée lors de l’épisode de bas prix permet à de nombreux pétroles d’être rentable à ce prix excepté
certains sables bitumineux du Canada et des pétroles de l’Orénoque vénézuélien. Malgré des
normes environnementales qui se consolident peu à peu, notamment en raison de l’activité sismique
en lien avec la fracturation hydraulique dans certains Etats comme l’Oklahoma, la production non
conventionnelle de pétrole conserve son poids dans la production nationale américaine. Une
demande soutenue et tirée par les émergents permet le maintien d’un niveau de prix à cet équilibre
de 80-90 dollars.
L’augmentation de la part du gaz dans les mix énergétiques soutient cette tendance au
développement des gaz de schiste.
Sources : « Shale gas production drives world natural gas production growth”, EIA, 15 aout 2016.
En Argentine et en Australie, la production augmente significativement. De même, la Chine voit sa
production de gaz non conventionnels (shale, tight et CBM) atteindre, selon les prévisions de l’EIA,
près de 35% de sa production totale, en 2030, remettant progressivement en cause ses importations
depuis la Russie. Aux Etats-Unis, on exporte vers l’Union européenne, toujours désireuse de
diversifier ses sources d’approvisionnement sans pour autant se lancer dans la mise en production
des réserves, complexe et couteuse et peu soutenue par les opinions publiques.
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
31
II. Scénario B : essor important au niveau mondial
A la faveur d’une entente entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, l’OPEP décide de geler sa production à la
fin de la décennie 2010. Fatigués par plusieurs années de guerre sur les prix et soucieux de renflouer
leurs caisses pour développer le pays et amorcer une véritable diversification, les membres de
l’organisation décident, avec l’accord de la Russie et du Venezuela comme lors de l’hiver 2016, de
faire remonter les prix. Cette stratégie de tensions sur l’offre voit rapidement exploser les prix sous
l’effet d’une consommation qui augmente et d’un défaut de production des producteurs africains,
Libye et Nigéria principalement en raisons de problèmes sécuritaires. En effet, la reprise de la
production décidée unilatéralement par Tripoli à l’été 2016 sans l’accord du Parlement de Tobrouk a
replongé petit à petit le pays dans la crise alors que, au Nigéria, le mouvement des vengeurs du
Delta du Niger, fort de ses derniers recrutements, a mis à mal la production dans le Delta malgré les
opérations décidées par l’armée en juillet 2016, provoquant une situation de conflit larvé.
Après avoir souffert des cours bas en 2016 et 2017, le secteur du non-conventionnel reprend son
développement, notamment de manière partielle en Europe (limitée par sa géologie) où les cours
très élevés des années 2020 poussent des Etats comme l’Allemagne à revoir leur position. Berlin,
grâce aux prix hauts et à l’essor des techniques alternatives à la fracturation hydraulique interdite en
2016 décide de se lancer dès 2020 dans la mise en valeur de ses ressources afin de réduire sa
consommation de charbon. Dans cette configuration, le niveau de prix redevient l’objectif des
membres de l’OPEP qui décident d’abandonner une partie de leurs parts de marché pour maintenir
un prix à plus de 200 dollars le baril.
La Russie, la Chine, l’Argentine, le Mexique et l’Afrique du Sud bénéficient de ce haut niveau de prix
et, grâce à des coopérations avec les entreprises disposant du savoir-faire technique, développent
leurs ressources. Soulignant l’évolution des techniques de fracturation et le haut prix des
hydrocarbures, le gouvernement français de l’époque décide de réexaminer la possibilité de
procéder à une évaluation précise des ressources potentielles du pays.
III. Scénario C : prix bas et développement restreint
Contrairement aux attentes, le choc pétrolier consécutif aux faibles investissements réalisés dans
l’amont en 2015 et 2016 est rapidement résorbé en raison de la production qui ne baisse pas
suffisamment. Incapable de se mettre d’accord sur une stratégie de remontée des prix, l’OPEP et ses
membres réussissent simplement à fragiliser l’industrie non conventionnelle américaine et à
empêcher de nouveaux développements autour du monde. L’espace laissé par le ralentissement des
hydrocarbures non conventionnels est comblé rapidement par la production conventionnelle des
grands acteurs et maintient ainsi les prix à un niveau faible, de l’ordre de 60 à 65 dollars. Ce niveau
de prix bas permet également au pétrole de conserver sa place dans les mix énergétiques et ne pas
être challengé par les autres sources d’énergies.
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
32
La croissance économique est également ralentie dans le monde en développement et nulle dans les
pays développés. Les mesures décidées lors des COP successives permettent à minima de remplacer
le charbon par le gaz pour la génération d’électricité mais aucun essor de technologies alternatives
dans le transport n’est à souligner. Bien que l’amélioration des coûts de production avait permis à
certains bassin d’atteindre des breakeven en dessous des 40 dollars à la fin des années 2010, un tel
niveau de prix ne permet pas de développement à grande échelle sur le modèle des Etats-Unis où
une partie seulement de l’industrie du pétrole non conventionnel se maintient notamment dans le
bassin de Bakken (Dakota du Nord).
Dans ce contexte ce sont les incitations politiques (subventions, tarifs) et pas le marché lui-même
qui conditionnent l’apparition de nouvelles productions non conventionnelles. La Chine qui choisit
de miser sur ses ressources nationales se lance dans le mouvement pour le gaz non conventionnel
contrairement au Brésil, incapable de soutenir les investissements nécessaires dans un contexte de
marché morose.
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
33
Conclusion
Dans un contexte énergétique mouvant, les hydrocarbures non-conventionnels constituent
désormais une option supplémentaire en matière de diversification des approvisionnements autant
qu’une variable d’ajustement du prix des commodités.
La forte hausse de la production pétrolière et gazière américaine a surpris les observateurs et
analystes de deux manières : dans un premier temps par sa rapidité et son ampleur, dans un second
par sa capacité à se maintenir dans un contexte d’effondrement des prix, grâce notamment à une
optimisation de la production, dont les techniques se perfectionnent et nécessitent le forage d’un
nombre restreint de puits pour produire une même quantité de pétrole par exemple50. Néanmoins,
la chute de la production a débuté en mars 2016 selon les chiffres de l’EIA et devrait conduire, en lien
avec la chute des investissements depuis deux ans, à un nouveau choc pétrolier à l’horizon 2017-
2018. Pour redémarrer, l’industrie du non conventionnel aura à coup sûr besoin de franchir un palier
technologique, ce qui pourra passer par les développements de techniques alternatives à la
fracturation hydraulique si les critiques se poursuivent et les normes environnementales se
durcissent.
Si les évolutions restent complexes à anticiper, on peut toutefois sans se tromper constater que
désormais, les cycles sont plus courts, de 3 à 6 ans en moyenne : le cycle de prix haut, entamé début
2009 après le pic puis la chute de l’été 2008 s’est achevé en juin 2014, nous plaçant depuis dans un
cycle de prix bas qui devrait se terminer en 2017 ou 2018.
Aussi, on peut dire que les hydrocarbures non conventionnels peuvent, de deux manières
différentes, contribuer à la sécurité énergétique de la France et de l’Union européenne.
Directement tout d’abord, par le développement d’une production locale ou par les importations
depuis l’étranger. Sur le plan local, il est assez peu probable que ces pétroles et ces gaz soient
produits en quantité significative sur le sol européen, en raison de l’absence de nombreuses
conditions qui ont permis la révolution énergétique américaine (un code minier différent qui fait de
l’Etat le propriétaire des ressources du sous-sol, un territoire plus restreint à la densité de population
bien plus élevée, une sensibilité environnementale plus importante de l’opinion publique, l’absence
d’un tissu de petits entrepreneurs dans le secteur) mais aussi du fait des incertitudes concernant les
réserves disponibles et le niveau de prix. La Pologne reste le pays qui est allé le plus loin en Europe
sur cette question mais les opérations de prospection se sont au final révélées décevantes, statuant
sur des réserves de loin inférieures à ce que le pays escomptait au départ (voir supra). Il est
également probable – et déjà observable au Portugal – que les hydrocarbures non conventionnels
américains jouent le rôle de sources d’approvisionnements supplémentaires via des importations de
GNL par méthaniers.
50
Le breakeven de certains bassins a ainsi chuté à 30 dollars soit un niveau comparable à celui des pétroles conventionnels du Moyen-Orient.
SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique
34
Enfin, la contribution des hydrocarbures non conventionnels à la sécurité énergétique de la France
ou de l’Europe peut aussi se faire indirectement en exerçant, par le jeu de la concurrence, une
pression à la baisse sur les prix du gaz en Europe car la Russie, si elle veut conserver sa mainmise sur
le marché européen, devra se montrer compétitive dans ses offres. Sur le plan pétrolier, l’impact des
prix bas a également permis de dégager non pas des marges de manœuvres mais au moins de
réaffecter les économies réalisées à d’autres dépenses ou investissements qui peuvent concerner le
secteur de l’énergie51.
Si, d’ici à 2030, l’UE ne semble pas disposer de l’environnement géologique, juridique et politique
adapté pour produire du gaz ou du pétrole de schiste en grandes quantités, le non-conventionnel
peut contribuer à sa sécurité énergétique en permettant à l’UE de diversifier ses fournisseurs et ses
routes d’approvisionnement.
51
On estime que la facture énergétique des entreprises et ménages français a été réduite de 20 milliards d’euros en 2015, et que cela aurait contribué à la moitié de la croissance la même année (1,1%).
SÉCURITE ÉNERGÉTIQUE :
STRATÉGIES POUR L’EUROPE ET LA FRANCE
Phase 2
Quelles évolutions des marchés
pétroliers à l’horizon 2040 ?
Avril 2016
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
2
Sommaire
Introduction ............................................................................................................. 4
Les marchés pétroliers : caractéristiques des marchés physiques et financiers, formation
des prix .................................................................................................................... 6
I. La formation des prix sur les marchés pétroliers ........................................................ 6
1. La notion de benchmark et l’organisation des prix du pétrole suite aux chocs
pétroliers des années 1970 ............................................................................................ 6
2. Le système des trois markers : Brent, West Texas Intermediate et Oman-Dubaï 8
3. L’organisation actuelle des marchés pétroliers : une chaîne de marchés ............ 12
II. Les marchés financiers du pétrole ............................................................................ 15
1. La financiarisation des marchés depuis les années 1980 ..................................... 15
2. Les grandes bourses pétrolières mondiales ........................................................ 17
Les acteurs des marchés pétroliers .......................................................................... 18
I. Les compagnies nationales (NOC) et les compagnies internationales (IOC) ............. 18
II. Le rôle de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) .......................... 19
Les conséquences des variations des prix du pétrole sur la France et sur l’Europe ......... 23
I. Eléments macroéconomiques .................................................................................. 23
II. Eléments sectoriels .................................................................................................. 27
Eléments de prospectives sur les marchés pétroliers ................................................. 29
I. Un scenario bas prix du pétrole ................................................................................ 29
II. Un scénario prix élevé du pétrole .............................................................................. 30
III. Un scénario prix moyen du pétrole ........................................................................ 31
Conclusion .............................................................................................................. 33
Bibliographie .......................................................................................................... 35
Annexes ................................................................................................................. 37
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
3
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
4
Introduction La scène pétrolière mondiale connait depuis quelques années de nombreux bouleversements
majeurs, avec notamment, du côté de l’offre, la révolution des hydrocarbures non-conventionnels
aux Etats-Unis et, côté demande, une montée en puissance de l’Asie et notamment de la Chine sur
les marchés. Au cours des années 2000, le secteur pétrolier a également été confronté à une hausse
marquée de ses coûts, reflétant notamment le doublement des prix des matières premières entre
2004 et 2008. En outre, l’inflation des coûts « matières » des projets s’est accompagnée d’un
renforcement des difficultés d’accès aux gisements sous l’effet d’un renouveau des nationalismes
pétroliers et d’une complexification des projets nécessitant le recours à des technologies coûteuses.
Enfin, la réalisation des projets a elle-même été de plus en plus contrainte par des éléments de
réglementations extérieurs (environnement, sécurité…) ou par les politiques de Local Content. Si
elles ont contribué à un renforcement marqué de la volatilité sur les différentes bourses de matières
premières, ces évolutions n’ont paradoxalement pas transformé le système de fixation des prix issu
des années 1980.
L’étude de la formation des prix et de leur dynamique sur les marchés pétroliers nécessite ainsi de
s’intéresser à un ensemble de facteurs économiques (coût marginal de production, coûts des
substituts…), géopolitiques (relations entre les acteurs), stratégiques – évolutions des organisations
–telles l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et l’Agence Internationale de
l’Energie (AIE) –, ainsi qu’à leurs interactions (Tableau 1). L’analyse des stratégies d’acteurs est
essentielle à la compréhension des marchés du pétrole qui rassemble des entités économiques très
diversifiées : des entreprises privées1 (IOC – International Oil Company –, super majors, petits
indépendants), des compagnies nationales2 (NOC – National Oil Company) et une organisation de
producteurs (OPEP). Leurs poids respectifs actuels sur le marché (réserves), tout comme leurs
stratégies de moyen terme sur le plan de la production (rythme d’extraction des ressources
notamment), permettent d’imaginer des scénarios possibles d’évolution à moyen terme à la fois des
prix et des structures de marchés.
Le marché pétrolier ne présente pas les caractéristiques d'un marché homogène : 350 qualités de
pétrole différentes sont produites chaque jour et près d'une centaine font l'objet d'échanges
localement ou internationalement. Les acteurs en aval de la chaîne pétrolière cherchent à optimiser
la qualité des pétroles achetés en fonction de conditions techniques (investissements passés ou
futurs dans l'outil de production) et économiques (équilibre sur le marché des produits pétroliers).
Le prix du pétrole peut ainsi être appréhendé comme un indicateur synthétique de facteurs
purement économiques : un équilibre offre/demande sur un marché géographique identifié
(Amérique du Nord, Afrique, Asie, Europe...) et par extension des anticipations sur ces conditions
d’équilibre, de facteurs techniques (qualité du pétrole – densité, taux de souffre) et de variables
macroéconomiques exogènes (croissance économique, taux de fret maritime, congestions
1 Les entreprises privées pétrolières rassemblent des compagnies internationales (IOC) et parmi elles les super majors
constituées des 7 plus grandes entités pétrolières mondiales : ExxonMobil, Shell, BP, Chevron Texaco, Total, ConocoPhillips, Eni. En outre, des opérateurs indépendants de tailles très hétérogènes existent, notamment aux Etats-Unis et au Canada. 2 Les compagnies nationales rassemblent les compagnies dont la participation des Etats est supérieure à 51 %. Les pays
membres de l’OPEP, tout comme les pays non-membres (Brésil, Chine, Norvège, Russie…) possèdent au moins une compagnie nationale.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
5
logistiques...). Dans ce contexte d'hétérogénéité des qualités produites et de demandes
géographiques "spécifiques", les acteurs du marché pétrolier se réfèrent à un système de brut
référence (benchmarks ou markers) organisé autour de trois qualités principales : le West Texas
Intermediate (WTI) pour les États-Unis, le Brent pour l'Europe et l'Oman-Dubaï pour les pétroles à
destination de l'Asie. Ce système est à l'heure actuelle très controversé (Fattouh, 2006, 2009, 2010 ;
Mabro, 2005) et semble de moins en moins pertinent face à la complexification croissante des
marchés.
Tableau 1 : Décomposition des facteurs d’influence des prix du pétrole
Court terme Moyen terme Long terme
Croissance économique anticipée Demande anticipée, niveau et variation des stocks Déclarations de l’OPEP Géopolitique (tensions, Grève Climat (besoin en chauffage, météorologie…) Taux de change du dollar Politique monétaire (taux d’intérêt et masse monétaire mondiale) Performance des actifs sur les marchés financiers Spéculation
Stratégie des acteurs Relation IOC / NOC Fiscalité des pays producteurs Fiscalité des pays consommateurs Investissement des IOC Investissement des NOC Diversification des acteurs dans les autres énergies Secteur du raffinage (localisation et investissement) Stratégie de l’OPEP : gestion des quotas, réunion biannuelle Gestion des cycles de prix par les acteurs Evolution du transport maritime (prix, assurance)
Intensité pétrolière du PIB Géologie des territoires Géopolitique (caractère structurel) Coût marginal de production Technologie (innovation sectorielle et disponibilité) Coût des alternatives Coût des compagnies de services Politique dite de Local Content Politique environnementale Evolution technologique du transport (électrification…)
Source : Hache (2016)
Figure 1 : Prix du pétrole depuis 1986 (en dollars par baril)
Source : DOE
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
6
Les marchés pétroliers : caractéristiques des marchés physiques
et financiers, formation des prix
I. La formation des prix sur les marchés pétroliers
1. La notion de benchmark et l’organisation des prix du pétrole suite aux chocs
pétroliers des années 1970
De Rockefeller, avec ses prix "postés", au cartel des Sept sœurs, avec le système « Gulf Plus »
jusqu’en 1947, en passant par les prix "fiscaux" des années 1950 et 1960, le marché pétrolier n’a que
très rarement établi un système se référant à un prix de marché. L’OPEP, à la suite du premier choc
pétrolier, ne rompra pas avec cette "tradition", en imposant le système du Government Selling Price
(GSP) ou Official Selling Price (OSP).
Réuni deux fois par an, le cartel fixe, à partir de 1974, le prix du pétrole brut en fonction d’une qualité
de pétrole (Arabian Light, 34°API) et d’un facteur qualité (positif ou négatif selon le rendement
espéré dans une raffinerie traditionnelle). Ce système va très rapidement se heurter à deux
problèmes majeurs. Le premier, d’ordre politique, relève des difficultés de coordination à l’intérieur
du cartel. En effet, l’objectif de l’Organisation était, certes, de fixer le prix du benchmark principal,
mais également de fixer les différentiels de prix entre les pays membres. Or, selon Mabro (2005), les
discussions autour des différentiels de prix reflétaient plutôt des questions d’ordres politiques
qu’économiques ; et derrière les calculs de Premium ou de Discount se cachaient l’image et le poids
du pays membre dans l’Organisation. Le second, économique, est relatif à la coexistence de
plusieurs prix directeurs sur le marché. En effet, suite aux hausses de prix observées au cours des
années 1970, la production des pays non-OPEP, notamment les pétroles de mer du Nord, va
s’accélérer. Or, ces pétroles arrivent rapidement sur le marché et sont vendus exclusivement sur les
marchés spots3, échappant ainsi à une fixation des prix par l’OPEP. Dès lors, le système OSP va se
retrouver "concurrencé" par les zones d’échanges spots qui émergent dans ce contexte de prix
élevés. Ainsi, entre 1973 et 1982, la production de pétrole des pays non-OPEP augmente de près de
45 %, le Mexique (+ 2,5 millions de barils/jour), le Royaume-Uni (+ 2,0 millions de barils/jour) et la
Norvège (+ 0,5 million de barils/jour) représentant près de 45 % de cette hausse globale.
En outre, l’incertitude résultant des évènements géopolitiques des années 1970 va induire des
pénuries temporaires sur le marché, contribuant à créer un différentiel de prix entre les pétroles
vendus sur les marchés spots et ceux vendus par l’OPEP. Or, le processus de désintégration de la
chaine pétrolière observé depuis 1960, avec notamment les nationalisations des compagnies
pétrolières des pays producteurs, n’est pas totalement abouti. Les compagnies nationales ne
possèdent pas encore, dans les années 1970, les réseaux de distribution nécessaires à la vente de
leur pétrole sur les marchés. Elles s’arrangent encore avec les compagnies internationales pour
écouler une partie de leur pétrole. Ces dernières peuvent ainsi acquérir des quantités importantes à
des prix GSP et les revendre à des prix plus élevés sur les marchés spots. La fixation des prix via le
3 L’appellation spot sur les marchés pétroliers doit être prise avec précaution. Il ne faut, en aucun cas, l’assimiler à une
transaction immédiate étant donné le temps de chargement et de déchargement du pétrole. En majorité, les pétroles de la mer du nord seront vendus sous 15 jours, d’où le nom de Brent 15 jours qui évoluera progressivement vers un Brent 21 jours. Toutefois, en comparaison avec les contrats à terme, les marchés spots apparaissent beaucoup plus réactifs.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
7
GSP montre alors toutes ses limites : l’OPEP n’est pas assez réactive et le GSP réagit, avec retard,
aux évolutions observées sur les marchés spots.
Paradoxalement, c’est à l’époque où le pétrole redevient un actif stratégique4 (après les premier et
deuxième chocs pétroliers) qu’un système de prix fondé sur un équilibre "instantané" de marché,
avec une gouvernance des prix spots, pénètre les esprits et les pratiques des acteurs. Et, si de
nombreux acteurs considéraient que le système de prix spots ne s’était imposé qu’en raison des
craintes de pénuries liées à la révolution iranienne ou à la guerre entre l’Iran et l’Irak, force est de
constater que ce système va perdurer dans le contexte des années 1990, caractérisé par une relative
abondance de pétrole sur le marché. Ainsi, si l’OPEP décide d’abandonner de manière officielle le
système GSP, en 1985, les acteurs du secteur pétrolier avaient entériné, bien avant, ce changement
de paradigme de formation des prix.
En corollaire, le contexte de récession mondiale et de baisse de la demande mondiale de pétrole,
observé après 1982, presse l’OPEP de réagir. Cette dernière décide, dès le mois de mars 1982, de
mettre en place des quotas de production pour ses pays membres. Leurs définitions, basées sur les
réserves prouvées de ces pays, ainsi que la difficile coordination des politiques de production entre
les pays membres, conduisent à l’affirmation d’un leadership de l’Arabie Saoudite au sein de
l’Organisation. Ainsi, entre 1982 et 1986, l’Arabie Saoudite oriente, seule, la politique de
stabilisation des prix, avec une division par trois de sa production (de 9,9 millions de barils/jour à
moins de 3,3 millions de barils/jour) (Figure 2).
Figure 2 : Production (milliers de barils par jour) et parts de marché de l’Arabie Saoudite (%) entre 1965 et 1993
Source : BP Statistical Review
4 Le pétrole est réellement devenu un actif stratégique durant la Première Guerre mondiale, avec notamment les décisions
de W. Churchill de transformer les moteurs des navires de la flotte britannique pour obtenir des gains décisifs en vitesse. La deuxième guerre mondiale montre également le caractère stratégique du pétrole. Pour plus d’informations, lire entre autre Churchill, W., « Mémoires de guerre », Tome 1&2, Editions Tallandier, 2010.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
8
Sur la période 1982-1985, l’Arabie Saoudite, et l’OPEP dans son ensemble, vont voir leurs parts de
marché respectives passer de 12 % à 6 %, et de 32,7 % à 26,7 %. En 1986, l’Arabie Saoudite change à
nouveau de politique pour essayer de reconquérir ses parts de marché. Elle profite de l’incertitude
entourant le système de fixation des prix de l’époque pour lancer le système des prix Netback. Ce
dernier repose sur la négociation d’une marge de raffinage fixe et prédéterminée avec les acteurs du
raffinage5. Cette formule, très attractive pour le raffineur (car lui assurant une marge de raffinage
fixe quelles que soient les conditions de marché) lui offre un outil de maximisation du profit fondé
sur le volume de pétrole acheté. Toutefois, ce système reste opérant sous deux conditions : la non-
multiplication de ce type d’accords sur le marché pétrolier et une demande mondiale en produits
pétroliers en hausse. Or, rapidement, d’autres pays de l’OPEP, notamment le Koweït, se lancent à
leur tour dans ce type de contrats. En outre, si la demande mondiale de produits pétroliers
augmente entre 1985 et 1986, sa croissance se réduit par la suite. Et rapidement, le surplus de
produits pétroliers sur les marchés provoque un effondrement des prix de ces mêmes produits, ce
qui, compte tenus des contrats Netback garantissant une marge de raffinage fixe, provoque un
effondrement des prix du pétrole. Cet effondrement expliquera, en partie, le contre-choc pétrolier
de 1986, période au cours de laquelle les prix du pétrole atteindront moins de 10 dollars le baril6. Cet
épisode des prix Netback marquera les esprits des acteurs du marché pétrolier, notamment des
différents pays membres de l’OPEP.
2. Le système des trois markers : Brent, West Texas Intermediate et Oman-Dubaï
L’année 1986 constitue une date charnière sur les marchés pétroliers. En effet, suite à l’abandon des
prix Netback, qui a altéré la solidarité à l’intérieur du cartel, le marché pétrolier est en pleine
reconstruction. Les prix administrés ont disparu depuis 1985 et les pays non-OPEP représentent près
de 70 % de la production mondiale. La compagnie Petroleum de Mexico (PEMEX) va être à l’origine
d’un nouveau modèle de fixation des prix. Exportant une part importante de sa production aux
Etats-Unis, PEMEX va progressivement intégrer, dans ses contrats de ventes sur le sol américain,
une référence explicite aux qualités de pétroles échangés dans les zones spots. Le pétrole de
référence est le WTI et le morcèlement de la structure de production permet d’envisager un faible
exercice de pouvoir de marché ou de manipulation des cours. Les contrats de la PEMEX se fondent
donc sur un benchmark identifié sur une zone d’échange concurrentielle, auquel il convient de
rajouter un facteur d’ajustement lié à la qualité du pétrole et un second lié au coût du transport. Ainsi
va se développer, dans les années 1990, le système des trois markers avec le WTI pour les Etats-Unis,
le Brent pour l’Europe et l’Oman-Dubaï pour les pétroles exportés du Moyen-Orient vers l’Asie. Ce
système permet, dans un environnement économique international qui se libéralise, d’avoir, pour la
première fois, une référence réelle à un équilibre de marché. Les markers ne sont pas choisis au
hasard (Mabro, 1985).
5 Dans ce contexte, le raffineur valorise le volume de pétrole défini en fonction des rendements anticipés de son
appareil industriel et des prix des produits pétroliers affichés sur les marchés spots, notamment à Rotterdam. Il retire de sa valorisation globale les coûts de raffinage, les coûts de transport et sa marge fixe, ce qui lui permet d’évaluer un prix d’achat lui garantissant une marge fixe. 6 En moyenne annuelle, entre 1985 et 1986, les prix du pétrole enregistrent une baisse de 48 % de leurs cours, de 27,5 $ par
baril à 14 $ le baril.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
9
Le système des markers est appelé « Formula Pricing » et repose sur l’équation suivante :
Le prix d’un pétrole X (Px) va être défini de la manière suivante :
Px = Pb + facteur d’ajustement
Dans lequel, Pb est le prix du benchmark sur le marché de destination et le facteur d’ajustement
représente deux composantes : le coût de transport et la qualité du pétrole. Si cette dernière est
supérieure à celle du pétrole du benchmark (mesuré par son degré API et sa teneur en soufre), Px
fera l’objet d’un premium de qualité. Dans le cas inverse, il fera l’objet d’un discount.
Reflétant l’état des équilibres régionaux en matière d’offre et de demande, ces pétroles, plutôt
légers, ont une structure de propriété diversifiée et des caractéristiques chimiques particulièrement
adaptées à l’appareil de production de la zone considérée. En outre, dans chacune des zones
d’échanges, il existe un bon niveau d’infrastructures (réseau de pipeline dans la zone WTI,
infrastructure portuaire en zone Brent – Sullom Voe – et au Moyen-Orient).
Figure 3 : Réseau de pipelines pétroliers en zone WTI
Source : EIA
Figure 4 : Réseau d’infrastructures en mer du Nord en zone Brent
Source : EIA
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
10
Dans les années 1980, les volumes de production de chacun des markers sont importants, tout
comme le nombre de transactions sur les différents marchés. Toutefois, ce système se heurte à un
problème d’asymétrie d’information. En effet, pour obtenir les prix moyens des transactions
réalisées dans les zones d’échanges, les acteurs se réfèrent aux agences de reporting de prix (Price
Reporting Agencies – PRAs). Celles-ci (Platts, London Argus) seront au centre de nombreuses
controverses durant les années 1990 avec des cas de manipulation des prix7 (Fattouh, 2006 ; Mabro,
2005). Le reporting des prix des transactions physiques est une information essentielle pour les
acteurs, que ce soit sur les marchés physiques ou sur les marchés financiers. Or, les PRAs n’utilisent
pas de méthodologies communes pour leurs estimations, ce qui entraine des différences de prix
pour les mêmes benchmarks (Brent, WTI, Oman-Dubaï) sur une même période, avec des
conséquences importantes pour les revenus d’exportation des pays producteurs et pour les
arbitrages réalisés entre les différents marchés financiers. Darbouche et Sen (2011)8 insistent sur les
questions liées à la neutralité de ces PRAs en s’interrogeant sur leur rôle en tant que "miroir des
marchés" ou en tant que "faiseurs de marchés".
Les pétroles de référence ont, en outre, connu un déclin marqué de leur production durant les vingt
dernières années, ce qui pose le problème de leur représentativité. Ainsi, le WTI, avec un volume
actuel de production de 0,3 mbj est censé être la référence pour environ 12 à 15 millions de
barils/jour de transactions, le BFOE (pour Brent, Forties, Oseberg, Ekofisk) avec 1,2 mbj de production
est la référence pour 45 millions de barils/jour et l’Oman-Dubaï, avec 0,8 mbj, de 14 à 17 millions de
barils/jour. Pour ce dernier, on peut comprendre la volonté des industriels d’avoir une réelle
référence de prix, la zone économique concernée étant la plus dynamique des années 2000 : l’Asie.
Car le corollaire de cette baisse de la production des markers est la diminution du nombre de
transactions sur la zone (Tableau 2).
De nombreux producteurs s’alarment de ce nouvel état de fait. Dans la zone WTI, si la concentration
des acheteurs et des vendeurs est inférieure à celle observée sur les autres zones de transactions,
elle le doit à l’introduction, dès 2007, d’un nouveau marker, l’ASCI (pour Argus Sour Crude Index)9,
censé mieux représenter l’équilibre entre l’offre et la demande dans la zone. En outre, le WTI est
désormais concurrencé par des "sous-markers" locaux tels que le WTS (West Texas Sour) ou le LLS
(Light Louisiana Sweet). Enfin, le problème majeur de la zone WTI reste, encore à l’heure actuelle, le
goulot d’étranglement lié aux infrastructures de pipeline. Au début des années 2000, les problèmes
d’évacuation du pétrole de la zone WTI exacerbaient le différentiel de qualité avec le Brent, mais la
problématique s’est inversée depuis 2010. En effet, l’afflux des pétroles canadiens provoque un
déséquilibre sur la zone, qui oriente le prix du WTI vers des niveaux de spread largement inférieurs
au différentiel de qualité10.
7Cette question persiste encore aujourd’hui. Ainsi, la Commission européenne a lancé, en février 2013, une enquête sur les
pratiques des PRAs dans le secteur pétrolier. 8 Darbouche, H. ; Sen, A. Regulation of Oil Markets: Current Reform and Implications, Oxford, 28 janvier 2011.
9 Durant les années 2000, l’Arabie Saoudite a demandé à Platts de lui construire un index plus représentatif du marché
américain. 10
Le différentiel Brent-WTI a atteint un plus haut historique de 27 dollars le baril en octobre 2012 ce qui, selon Businessweek, a constitué la plus forte opportunité d’arbitrage sur cette zone depuis près de 30 ans. Il était ainsi possible d’acheter du WTI à un prix extrêmement faible et de le revendre aux raffineries de la côté du golfe du Mexique à un prix juste inférieur aux prix du Brent.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
11
Tableau 2 : Transactions sur les principaux markers de pétrole brut (milliers barils par jour)
ASCI WTI + WTI plus
Forties BFOE Dubaï Oman
Production 736 300-400 562 1,220 70-80 710
Volume échangé en spot 579 939 514 635 86 246
Nombre d’échanges spots / jour 13 16 <1 5 <1 <1
Nombre d’acheteurs 26 27 7 10 3 5
Nombre de vendeurs 24 36 6 9 3 6
Part des 3 plus grands acheteurs 43 % 38 % 63 % 72 % 100 % 50 %
Part des 3 plus grands vendeurs 38 % 51 % 76 % 56 % 100 % 80 % Source : London Argus (2010)
En Europe, face au déclin de la production de Brent, les acteurs ont décidé d’ajouter, dès 1989, la
qualité de pétrole Ninian au marker qui devint dès lors le Brent Blend. En 1997, le Forties fut
introduit, en 2002 l’Oseberg et en 2007 l’Ekofisk pour transformer le marker Brent en marker BFOE.
Cette tendance a, certes, permis d’augmenter la liquidité sur la zone de production, mais elle suscite
de nombreuses controverses, notamment dans l’appréciation de la qualité globale du marker. Sur la
zone Oman-Dubaï, les rapports de production entre les deux qualités de pétrole sont tels (un rapport
de un à dix) que les acteurs se réfèrent désormais au contrat financier sur le Dubai Mercantile
Exchange (DME) pour obtenir l’information prix, et surtout pour réaliser leurs transactions
physiques11. La hausse de la consommation asiatique a entrainé la création (et/ou l’affirmation) de
markers concurrents : le Platts Asian Crude Oil Index (ACX), l’Indonesian Crude Price (ICP) et
l’Eastern-Siberia-Pacific Ocean (ESPO).
Tableau 3 : Caractéristiques des différents régimes de prix sur le marché pétrolier
Périodes Régimes de prix
Janvier 1973 – Février 1982 GSP : prix administrés puis arrivée des prix spots
Mars 1982 – Avril 1986 Prix administrés, prix spots, prix Netbacks
Mai 1986 – 1992 Emergence des markers (Brent, WTI, Oman-Dubaï)
1993 – 2000 Système des markers, début de financiarisation des marchés
Depuis 2001 Financiarisation, controverse sur les markers
Source : auteur
Dans ce contexte, de nombreux acteurs se basent désormais sur les prix des contrats financiers
observés sur le NYMEX (New York Mercantile Exchange) ou l’ICE (Intercontinental Exchange) pour
facturer leur cargaison physique. Leur croyance est fondée sur trois arguments. D’une part, les
acteurs considèrent que les marchés financiers, comme le NYMEX ou l’ICE, sont très liquides et
présentent une réelle profondeur de marché. Il est alors extrêmement difficile de les manipuler,
alors qu’a contrario les prix issus des échanges spots y seraient plus sujets, étant donnés le faible
11
Fattouh (2010) estime que 50 % des contrats financiers du DME sur des dérivés du pétrole aboutissent à une livraison physique.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
12
nombre de transactions et la concentration des acteurs. D’autre part, les prix des contrats financiers
sont le reflet de transactions encadrées par une chambre de compensation et sont estimés de
manière plus transparente et moins subjective que ne le sont ceux des PRAs. Enfin, et même si la
méthodologie est également critiquable, la publication des prix, des volumes de transactions et des
positions ouvertes sur les marchés, sous l’autorité de la Commodities Futures Trading Commission
(CFTC), illustre une réelle volonté de transparence des marchés financiers.
3. L’organisation actuelle des marchés pétroliers : une chaîne de marchés
Les transformations enregistrées à partir des années 1970 (montée en puissance des marchés spots,
abandon des prix officiels par l’OPEP, mise en place du système des markers, financiarisation des
marchés de matières premières) vont bouleverser le fonctionnement des marchés pétroliers. Ces
derniers vont ainsi être constitués de véritables chaînes de marchés physiques et financiers au sein
desquels les prix et les anticipations des différents acteurs vont se diffuser.
Sur les marchés physiques, il existe trois principaux types de transactions :
- Le contrat long terme : il se compose d’un contrat, généralement d’un an renouvelable. Il
représente à l’heure actuelle entre 50 et 60 % des transactions commerciales physiques. Il
permet au producteur de s’assurer un débouché et au consommateur d’obtenir un volume
de pétrole de qualité similaire sur la durée du contrat. Les prix sont généralement révisables
selon des formules agréées par les deux parties du contrat.
- Les barter commerciaux : ils se composent de contrats de trocs (marchandises contre
pétrole, or contre pétrole…) et représentent environ 15 % des transactions physiques sur le
marché pétrolier.
- Les échanges spots ou forward : ce sont des échanges de gré à gré (Over the Counter ou OTC)
et malgré le travail des agences de reporting de prix, les informations sur les transactions ne
sont jamais totalement transparentes. Ils représentent entre 25 et 35 % du total des
transactions physiques sur les marchés pétroliers.
Les marchés Futures ou marchés financiers se distinguent des marchés physiques par l’absence, dans
plus de 99,9 % des cas, d’une livraison physique. Ces marchés sont extrêmement réglementés et la
présence d’une chambre de compensation (Clearing House) impose un niveau très élevé de
régulation. Leur rôle est de permettre aux différents acteurs commerciaux (consommateur,
producteur, opérateur de stockage…) de réaliser des opérations de hedging et à l’ensemble des
acteurs (commerciaux et non-commerciaux) de spéculer sur la hausse ou la baisse des prix des
contrats. A la différence des marchés physiques, les contrats des marchés financiers sont de petite
taille (1000 barils ou plus récemment 500 barils pour les mini-WTI) et sont standardisés, avec des
maturités de mois en mois sur les 36 premières échéances jusqu’à des maturités annuelles pouvant
atteindre 9 ans. La standardisation des contrats financiers permet de concentrer la liquidité des
différents acteurs et permet ainsi une fluidité des transactions.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
13
Tableau 4 : Caractéristiques des marchés pétroliers spot, forward et futures
Marché spot Marché forward Marché des futures
Montant standard des transactions
Selon les cas (500 kb) 600 Kb 1000 barils par contrat 500 barils pour mini-
contrats
Maturité 21 jours De 1 à 5 mois Echéance de 1 mois à 36 mois, puis contrats annuels (jusqu’à 9 ans)
Régulation Aucune Aucune Chambre de
compensation (Clearing House)
Acteurs Physiques Physiques et grands
acteurs non-commerciaux
Tous types d’acteurs : commerciaux, non
commerciaux
Livraison physique Oui, toujours Oui Rare (inexistante à
l’ICE, 0.001 % au Nymex)
Transparence des prix Faible, présence des agences de reporting
Faible, présence des agences de reporting
Forte, prix affichés des contrats
Type de pétroles Très variés (environ
100 qualités) Très variés
Quelques grands contrats pétroliers (WTI, Brent…) et contrats sur les
produits pétroliers Source : auteur
Entre ces trois marchés (spot, forward et futures), il existe une profonde articulation, principalement
fondée sur les anticipations de prix des différents acteurs (commerciaux et non commerciaux), sur
les transactions physiques réellement observées, dont les agences de reporting se font l’écho à
travers le système de reporting de prix, et sur l’ensemble des informations de marché publiques. Cet
ensemble d’information engendre des processus de convergence des prix entre les marchés
physiques et les marchés financiers, réalisés sous forme d’arbitrage entre les différents opérateurs.
La structure des marchés pétroliers connait également de profondes transformations depuis la
montée en puissance des pétroles non-conventionnels aux Etats-Unis12. Ce pays reste certes
structurellement importateur de pétrole brut, mais l’importance de la production pétrolière sur le sol
américain tend à l’isoler des autres marchés pétroliers régionaux. Par le passé, le marché du WTI a
déjà enregistré une certaine déconnection avec les autres qualités de pétrole brut, l’écart de prix
étant supérieur au simple écart de qualité. Ce phénomène trouvait son explication majeure dans les
problèmes récurrents d’infrastructures (engorgements) dans la zone WTI, à Cushing (Oklahoma),
lieu de convergence du réseau de pipelines américain. A l’heure actuelle, les écarts de prix entre le
WTI et le Brent trouvent plutôt leur sens dans l’abondance de pétrole aux Etats-Unis relativement à
d’autres régions du monde.
12
Une note spécifique sur les pétroles non-conventionnels est réalisée dans le cadre du projet SESEF.
Figure 5 : Le système des benchmarks pétroliers
New-York
Londres
Tokyo
Singapour
Principaux marchés de pétrole brut
Principaux marchés de produits pétroliers
Caraïbes
Anvers, Rotterdam
Gènes Lavera Zone WTI,
WTS, ASCI
II. Les marchés financiers du pétrole
1. La financiarisation des marchés depuis les années 1980
Paradoxalement, alors que le pétrole est l’une des matières premières les plus échangées (en volume
et en valeur), l’intérêt pour les contrats énergétiques est venu tardivement sur les bourses de
matières premières. Les rapports commerciaux observés jusqu’au premier choc pétrolier expliquent
largement ce paradoxe. En effet, dominée par des compagnies internationales intégrées jusqu’à la
fin des années 1960 et régie par des contrats pluriannuels, la filière n’offrait pas le facteur attractif
pour les acteurs des bourses de matières premières, à savoir une forte volatilité.
En 1971, le New York Cotton Exchange fut la première bourse de commerce à s’intéresser aux
contrats à terme pour les matières premières énergétiques, avec le lancement d’un contrat sur le
propane liquide. Cette tentative fut un échec en raison d’un volume de transactions limité, tout
comme celle du NYMEX, en octobre 1974, avec des contrats sur le fuel domestique et sur le fuel
industriel. Simon (1984) explique ces échecs par l’étroitesse des marchés durant cette période13
.
Cette idée a toutefois été reprise par le NYMEX en 1978 avec le lancement simultané d’un contrat sur
le fuel domestique et sur le fuel industriel et, au début des années 1980, le lancement d’un contrat
sur l’essence (1981) et sur le pétrole brut (1983). Faute de liquidité suffisante, le contrat sur le fuel
industriel disparut rapidement, les autres connurent un essor à partir de 1981 suite à la
dérèglementation des prix de l’énergie mise en place par l’administration Reagan.
La place de Londres créa de son côté l’International Petroleum Exchange (IPE) en 1980 et lança son
premier contrat sur le fuel en 1981. Les succès parallèles du NYMEX et de l’IPE au début des années
1980 engendrèrent la demande de nouvelles autorisations d’ouverture de marchés auprès de la
CFTC. Le Chicago Board of Trade (CBOT), en 1981, puis le Chicago Mercantile Exchange (CME), en
1982, tentèrent de lancer leurs propres contrats pétroliers. Les trois contrats du CBOT (essence, fuel
domestique et pétrole brut) ne rencontrèrent pas le succès et disparurent rapidement.
Dans un contexte généralisé de dérèglementation des marchés14, le Big Bang des marchés financiers
des années 1980 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, porteur d’innovations financières, révolutionne
leur fonctionnement. Les Bourses de matières premières vont importer tous les outils de la finance
moderne (options, produits dérivés…) pour permettre aux acteurs de gérer la nouvelle volatilité
observée sur les marchés. Ces évolutions vont connaitre une nouvelle impulsion fin 2001 avec la loi
de modernisation des marchés financiers.
Signé le 21 décembre 2001 par le Président Clinton, le Commodity Futures Modernisation Act (CFMA)
a profondément transformé le paysage des marchés dérivés de matières premières aux États-Unis. Il
était censé répondre de manière implicite au conflit existant entre le CFTC et la Security Exchange
Commission (SEC) sur la définition15 du champ des commodités. Le CFMA a permis d’introduire
également une plus grande flexibilité pour que de nouveaux acteurs financiers puissent opérer sur
13
Une autre explication repose sur la spécification des contrats. Le point de livraison des contrats – Rotterdam – n’était guère attirant pour les acteurs localisés aux Etats-Unis. 14
On pense notamment à la fin du blocage des prix sur les marchés physiques de produits pétroliers aux Etats-Unis à partir de 1982. 15 En effet, à la fin des années 1980, le Congrès américain avait élargi cette notion, ce qui avait eu pour effet de créer des
conflits de supervision entre la CFTC et la SEC, notamment sur les contrats futurs sur actions. Les contrats futurs étaient à l’époque supervisés par la CFTC, le champ des actions étant, pour sa part, sous l’autorité de la SEC.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
16
les marchés financiers du pétrole. Ainsi, les fonds indexés sur les matières premières et les acteurs
dits "Swap Dealers" (acteurs opérant de gré à gré sur les marchés dérivés de matières premières) ont
pu pénétrer ces marchés sans se retrouver contraints par la législation de la CFTC, car n’utilisant pas
les supports ou instruments financiers supervisés par cette dernière.
En matière de transactions, le CFMA a grandement assoupli les limites de positions (courtes ou
longues) sur les marchés de matières premières. De ce fait, il est souvent considéré comme étant à
l’origine d’une libéralisation marquée des marchés financiers de matières premières, avec comme
conséquence principale une limitation de la supervision des marchés par la CFTC. Enfin, et comme le
note Chevalier (2010) dans le rapport sur la volatilité des prix du pétrole, le CFMA a été accompagné
d’une évolution plutôt extensive de la règle dite de "Bona Fide Hedge" par la CFTC. En effet,
auparavant, cette règle exemptait de limites de positions sur les marchés de matières premières les
seuls acteurs couvrant des activités commerciales ou physiques. La CFTC a élargi ce champ à
d’autres acteurs financiers, notamment les Swap Dealers.
Ces changements législatifs ou de supervision ont entrainé trois évolutions majeures de la
physionomie des marchés : une hausse des volumes de transactions sur les marchés dérivés du
pétrole16, une concentration de la liquidité sur les échéances les plus courtes des contrats pétroliers
et enfin l’augmentation de la part des acteurs non-commerciaux17 dans les transactions globales.
En observant les positions nettes des agents non-commerciaux au NYMEX sur le seul contrat Light
Sweet Crude Oil, on s’aperçoit d’un mouvement de fond sur les marchés. Alors qu’entre 2000 et
2004, les positions nettes des agents non-commerciaux étaient, au gré des évènements et des
anticipations, "nettes acheteuses" ou "nettes vendeuses", se développe, à partir de 2004, une
tendance du marché "nette acheteuse". Comme décrit entre autre par Medlock & Jaffe (2009) et
Krapels (2007), les positions nettes des agents non-commerciaux, autrefois considérées comme un
indicateur avancé des mouvements futurs des prix du pétrole (lagging indicator), sont devenues un
indicateur leader dans la formation de son prix en instantané (leading indicator). Les prix du pétrole
ont ainsi tendance à diminuer quand les acteurs non-commerciaux ont des positions "nettes
vendeuses" et inversement lorsqu’ils ont en majorité des positions "nettes acheteuses".
16
En étudiant les données disponibles entre 1993 et 2011, on observe une hausse marquée des volumes de transaction pour chacune des maturités disponibles des contrats pétroliers (inférieures à un an). Mesuré en contrats standards de 1000 barils (contrat standard du WTI au NYMEX), le volume de transactions est ainsi passé, pour le contrat 2 mois, de 52 000 en 1993 à 136 000 en 2008, soit une multiplication par 2,5, avec un pic à près de 165 000 en 2007. Il est intéressant de noter que, durant la même période, la consommation de produits pétroliers aux Etats-Unis n’augmentait que de 12 % et d’environ 20 % dans le monde. Selon Medlock & Jaffe (2009), durant les années 1990, on pouvait observer un volume de contrats actifs au NYMEX équivalent à 150 millions de barils jour, soit plus de deux fois la demande mondiale de pétrole à cette période. Sur les années récentes, ce chiffre a atteint un facteur 7, avec un volume de contrats (1 contrat = 1 000 barils) représentant 600 millions de barils jour. Büyüksahin et al. (2008) estiment pour leur part, en étudiant les Commitments of Traders Report de la CFTC, que le volume de transactions, mesuré par les positions ouvertes, aurait atteint plus de 1 250 millions de barils en 2008, contre 414 millions en 2000. Parsons (2010) abonde également dans ce sens en étudiant le volume de positions ouvertes sur les contrats Brent et WTI à l’InterContinental Exchange (ICE) et le seul contrat WTI au NYMEX qui serait passé de 517 millions de barils en 2000 à près de 1 700 millions de barils en juin 2007. Selon Parsons, le volume des positions ouvertes sur ces trois contrats représentait encore 1 374 millions de barils en décembre 2008, soit cinq mois après le pic de prix du pétrole à environ 147 dollars le baril. 17
En se basant sur la classification réalisée par la CFTC jusqu’en 2009, la part des acteurs non-commerciaux dans le total des positions ouvertes a augmenté de manière significative entre 2000 et 2008, pour être portée à plus de 60 %, contre une moyenne d’environ 20 % au cours de la décennie 1990. Ce mouvement s’accompagne d’une hausse marquée du volume des positions ouvertes entre 2004 et 2008 au NYMEX.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
17
2. Les grandes bourses pétrolières mondiales
Sur les marchés pétroliers, le NYMEX et l’ICE sont à l’heure actuelle les deux places internationales
de commerce de pétrole.
Le NYMEX a été racheté en 2008 par le Chicago Mercantile Exchange (CME). Situé aux Etats-Unis, il
représente le premier marché de contrats à terme et la première chambre de compensation du
monde. Le CME est très diversifié et réalise des transactions sur de nombreux produits (produits
dérivés sur indices boursiers, matières premières, taux d’intérêt). Avec le rachat du Chicago Board of
Trade en 2007, du NYMEX en 2008 et du Kansas City Board of Trade (KCBT) en 2012, le CME est
devenu le premier marché mondial de contrats à terme sur l’ensemble des marchés de matières
premières. En matière de contrats pétroliers ou de produits pétroliers, le CME offre des contrats
standardisés sur le pétrole brut (Brent et WTI).
L'ICE a racheté l’International Petroleum Exchange (IPE) en 2001 et a enregistré une croissance rapide
assortie d’une profonde diversification des contrats de matières premières échangés (matières
premières agricoles notamment) ainsi que des objets financiers traditionnels (dérivés de crédits, de
taux d’intérêt). L’ICE a successivement racheté le New York Board of Trade (NYBOT) et le Winnipeg
Commodity Exchange (WCE) en 200718, le Climate Exchange et European Climate Exchange (ECX), une
Bourse de dérivés climatiques en 2010 et le NYSE Euronext en 2013. Durant les années 2000, l’ICE
est devenue une place boursière dont les transactions sont réalisées de manière uniquement
électronique.
L’ICE et le NYMEX ont enregistré des évolutions similaires : une très forte consolidation
durant les années 2000, avec notamment un mouvement marqué de rachats de bourses régionales
et une concurrence de plus en plus forte des Bourses des pays émergents, notamment chinoises
(Dalian Commodity Exchange, Shanghai Futures Exchange) et indienne (National Stock Exchange of
India).
18
Depuis ces rachats, le NYBOT s’appelle l’ICE Futures Us et le WCE, l’ICE Futures Canada.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
18
Les acteurs des marchés pétroliers
Premier marché de matières premières au niveau mondial en valeur, le marché pétrolier est
composé de différents acteurs : compagnies nationales (NOC), compagnies internationales (IOC) et
organisations (OPEP et AIE), dont les stratégies ont des impacts réels sur la formation et l’évolution
des prix du pétrole.
I. Les compagnies nationales (NOC) et les compagnies internationales
(IOC)
Les sept plus importantes IOC19, par opposition aux NOC et autres compagnies privées, ne
représentent, à l'heure actuelle, qu'environ 14 % de la production mondiale et 9 % des réserves
prouvées de pétrole (respectivement 10 % et 17 % pour le gaz). Pour leur part, les NOC rassemblent
des entités très diverses et totalisent environ 80 % des réserves d’hydrocarbures et entre 60 % et 70
% de la production de pétrole et de gaz.
Figure 6 : Production d’hydrocarbures des IOC et des NOC (en millions de barils équivalent pétrole)
Sources : Rapports annuels des compagnies, Forbes, PIW
*Sociétés dont la part de l’Etat est supérieure à 51 %.
Les critères retenus pour comparer les différents acteurs du marché sont essentiels. En effet, si l’on
se base sur le seul critère de la production (Figure 6), la première IOC (Exxon-Mobil) se situe à la
sixième place au niveau mondial et les compagnies européennes (BP, Shell, Eni, Total) se trouvent
toutes après la dixième place mondiale. A contrario, si l’on regarde le chiffre d’affaires réalisé par les
différentes entités pétrolières (Figure 7), les IOC, de par notamment la maitrise des réseaux de
distribution et de transports et de par leurs maitrises technologiques relatives, pointent en tête du
classement.
19 ExxonMobil, Shell, BP, Chevron Texaco, Total, ConocoPhillips, ENI.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
19
Figure 7 : Chiffre d’affaires des IOC et des NOC en 2014 (en milliards de dollars)
Sources : Rapports annuels des compagnies, Forbes, PIW
*Sociétés dont la part de l’Etat est supérieure à 51 %.
Les relations entre les IOC et les NOC se trouvent ainsi structurées par l’ensemble de ces éléments
(accès aux réserves, technologie, accès aux marchés de capitaux…). Elles ont évolué depuis les
années 2000. D’une part, on a assisté à une montée en puissance relative de certaines NOC en
matière technologique (China National Petroleum Corporation, China National Offshore Oil
Corporation, Rosneft) voire à un développement de niches technologiques (Petrobras). D’autre part,
de nombreuses compagnies nationales (Saudi Aramco, National Iranian Oil Company) souhaitent
continuer à investir dans l’aval pétrolier, et notamment dans le secteur du raffinage. Enfin, si certains
accords IOC-NOC se fondaient en partie sur les capacités des premières à obtenir des financements
à faible coût sur les marchés internationaux ou sur leur maitrise de la gestion des grands projets
pétroliers, les compagnies internationales se trouvent désormais largement concurrencées par les
compagnies chinoises sur les aspects « financement » et par les compagnies de services sur les
aspects « gestion de projets ».
II. Le rôle de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP)
La création de l’OPEP, en septembre 1960, à Bagdad, par l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Irak, le Koweït et
le Venezuela fait suite à la montée des revendications des pays producteurs de pétrole après la
deuxième guerre mondiale20. Initiées par la nationalisation des compagnies pétrolières au Mexique,
qui donnera naissance à la compagnie PEMEX en 1938, les revendications de nombreux pays hôtes,
notamment le Venezuela, sur un partage plus égalitaire de la rente pétrolière, s’accentuent dans les
années 1950. La création de l’OPEP apparait comme une réaction aux baisses de prix affichées par
les majors entre 1956 et 1960 sur le marché pétrolier, tout comme l’avait été la création des sociétés
20
En janvier 2016, l’Organisation compte 13 membres : les 5 membres fondateurs auxquels se sont ajoutés le Qatar (1961), l’Indonésie (1962-2005, 2016- ), la Lybie (1962), les Emirats Arabes Unis (1967), l’Algérie (1969), le Nigeria (1971), l’Equateur (1973-1992, 2007- ) et l’Angola (2007). Le Gabon, qui avait rejoint l’OPEP en 1975, a quitté l’Organisation en 1995.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
20
nationales21
par les pays producteurs dix ans plus tôt. Dans les années 1960, l’Organisation va
structurer son action autour de trois thématiques : le contrôle des prix, l’harmonisation de la fiscalité
pétrolière et le niveau de production des pays membres. Dès 1962, l’OPEP met ainsi en place une
fiscalité type, appelée système OPEP, plus avantageuse pour les pays producteurs de pétrole et qui
sera progressivement étendue à tous les membres en 1972. Cette mesure apparaît toutefois
marginale face à l’incapacité de l’OPEP à stabiliser et à contrôler les prix durant cette période22
. Les
revendications individuelles des pays de l’OPEP s’accompagnent d’une demande collective, mais
l’hétérogénéité de ses membres empêche déjà à l’époque une réelle discipline au sein du cartel. En
1970, grâce à la maitrise de la technologie, des réseaux de vente et des réseaux de distribution, les
majors contrôlent encore environ 80 % des exportations mondiales et 90 % de la production au
Moyen-Orient (Chevalier, 1973).
A travers les deux chocs pétroliers des années 1970, l’OPEP a pu commencer à démontrer sa
capacité à influencer les évolutions des prix sur les marchés pétroliers. Toutefois, le poids de
l’Organisation a considérablement varié au cours des décennies : non-disciplinée en 1986 (contre
choc pétrolier) et durant la crise asiatique de 1997, l’OPEP a su, au début des années 1990 et sur la
période 1999-2003, stabiliser les prix du pétrole à des niveaux soutenables à la fois pour ses pays
membres, mais également pour les principaux pays consommateurs. En 2014, 71,5 % des réserves
pétrolières mondiales de pétrole sont localisées dans les pays de l’OPEP et l’Organisation possède
une part de marché d’environ 41 %.
Acteur central du marché, l’Organisation n’en est pas moins très hétérogène (Tableau 5). Ainsi, entre
les géants démographiques indonésien23 (256 millions d’habitants), nigérian (près de 182 millions
d’habitants) et iranien (78,5 millions d’habitants), le groupe des Etats membres peuplés de plus de 30
millions d’habitants (Algérie, Arabie Saoudite, Irak et Venezuela) et ceux de moins de 10 millions
d’habitants (EAU, Koweït, Libye, Qatar), les revendications de redistribution de la rente pétrolière
peuvent être différentes. Il faut bien évidemment croiser ces éléments démographiques avec
d’autres plus économiques (le taux de chômage notamment, voire même le solde de la balance
courante) ou politiques (type de gouvernement) pour comprendre les stratégies menées. En outre,
le montant des réserves est fondamental dans cette analyse, tant il paraît évident qu’un petit pays
disposant de grandes réserves puisse avoir une fonction de production différente de celle d’un petit
pays avec de très faibles réserves. Cette hétérogénéité des conditions économiques,
démographiques et des dotations factorielles (taille des réserves, disponibilité du capital, etc.)
engendre de nombreux désaccords dans les stratégies menées par l’OPEP, notamment depuis
novembre 2014 avec l’potion choisie par l’Arabie Saoudite, pour à la fois briser l’élan de la production
de pétrole non-conventionnel aux Etats-Unis et pour regagner des parts de marché. A l’intérieur de
l’OPEP, l’Arabie Saoudite et l’Iran concentrent respectivement 69 % et 20 % des capacités
disponibles de l’Organisation (Tableau 7).
21
NIOC en Iran en 1954, CVP au Venezuela en 1960, KNPC au Koweït en 1960, SONATRACH en Algérie en 1963, INOC en Irak en 1965, LINOCO en Lybie en 1969. 22
L’OPEP envisage, dès sa création, la mise en place des quotas, mais cette mesure a été abandonnée dès 1966. 23
L’Indonésie a quitté l’OPEP en 2008 mais a été officiellement réintégrée en janvier 2016 dans l’Organisation.
Tableau 5 : Caractéristiques principales des pays de l’OPEP
Pays*
Population 2015
(en millions)
Taux de chômage
Ratio R/P** et ratio R/P/habitant
(source : BP)
Date d’entrée (sortie) de l’OPEP
Variétés de pétrole (qualité, teneur en soufre) (source : Energy Intelligence Group)
Type de régime politique (source : CIA Factbook)
Algérie 39,9 11 % 21,9 (0,55) 1969 Léger, peu soufré République
Angola 25,0 ND 20,3 (0,81) 2007 Léger, peu soufré République
Arabie Saoudite
31,6 11,4 % 63,6 (2,0) 1960 Moyen, moyennement soufré Monarchie
E.A.U 9,6 2,4 % 72,2 (7,52) 1967**** Moyen, peu à moyennement soufré Fédération d’Emirats
Equateur 16,3 4,8 % 39,4 (2,41) 1973 (1992) 2007 Moyen à lourd, soufré République
Indonésie 255,7 5,5 % 11,9 (0,04) 1967 (2008) 2016 Léger, peu soufré République
Irak 37,1 16 % > 100 (>2,69)*** 1960 Moyen, peu à moyennement soufré République (instable)
Iran 78,5 10,5 % > 100 (1,27) *** 1960 Moyen, moyenne/haute teneur en soufre
République Islamique
Koweït 3,8 3 % 89,0 (23,42) 1960 Moyen, très haute teneur en souffre Emirat
Libye 6,3 30 % > 100 (15,87) *** 1962 Moyen, peu à moyennement soufré Gouvernement de transition
Nigeria 181,8 23,9 % 43,0 (0,23) 1971 Moyen, peu soufré République Fédérale
Qatar 2,4 0,4 % 35,5 (14,79) 1961 Disparate, moyennement soufré Emirat
Venezuela 30,6 8,1 % > 100 (> 3,26)*** 1960 Lourd ou très lourd, peu à extrêmement soufré
République Fédérale
* Le Gabon, qui fut membre de l’OPEP entre 1975 et 1996, ne figure pas dans ce tableau. ** R/P : ratio réserves sur production. *** En supposant un ratio R/P de 100 ans. **** Abu-Dhabi est entré dans l’OPEP en 1967 avant la création des Emirats Arabes Unis en 1971. Sources : BP (2015), CIA Factbook, Energy Intelligence Group, INED, OPEP
Tableau 6 : Production des principaux pays du golfe Arabo-Persique à l’horizon 2040 (en millions de barils/jour)
2000 2014 2020 2025 2030 2035 2040 Variation 2014/2040
Arabie Saoudite Emirats Arabes Unis Iran Irak Koweït Qatar
9,3 2,6 3,8 2,6 2,2 0,9
11,6 3,6 3,5 3,4 3,1 2,0
12,3 3,7 4,4 4,4 2,9 2,0
12,8 4,0 4,7 5,7 3,2 2,0
13,1 4,2 4,9 6,4 3,4 2,3
13,3 4,3 5,1 7,1 3,5 2,5
13,4 4,4 5,4 7,9 3,7 2,7
1,8 0,8 1,9 4,5 0,6 0,7
OPEP Moyen-Orient (OPEP M-O) 21,3 27,2 29,7 32,4 34,3 35,9 37,5 10,3
Algérie Angola Equateur Libye Nigeria Venezuela
1,4 0,7 0,4 1,5 2,2 3,2
1,6 1,7 0,6 0,5 2,4 2,7
1,3 1,5 0,5 0,7 2,2 2,8
1,3 1,5 0,4 1,2 2,3 2,8
1,3 1,5 0,3 1,4 2,4 3,1
1,3 1,5 0,3 1,6 2,6 3,3
1,4 1,5 0,3 1,8 2,9 3,8
-0,2 -0,2 -0,3 1,3 0,4 1,1
OPEP Hors Moyen-Orient 9,4 9,5 8,8 9,4 10,0 10,7 11,7 2,3
Total OPEP Part de marché OPEP Part de marché OPEP M-O /OPEP
30,8 41 % 70 %
36,7 41 % 74 %
38,5 41 % 77 %
41,8 44 % 77 %
44,3 46 % 77 %
46,6 47 % 77 %
49,2 49 % 76 %
12,6 + 8 points + 6 points
Source : World Energy Outlook, scénario New Policies, novembre 2015
Tableau 7 : Production des pays de l’OPEP en janvier 2016 (en millions de barils/jour)
Production en janvier 2016
Capacité de production globale
Capacité résiduelle
Algérie Angola Arabie Saoudite Emirats Arabes Unis Equateur Indonésie Iran Irak Koweït Libye Nigeria Qatar Venezuela
1,1 1,75
10,21 2,89 0,53 0,71 2,99 4,35 2,83 0,38 1,84 0,68 2,37
1,12 1,81
12,26 2,93 0,55 0,71 3,60 4,35 2,83 0,40 1,91 0,68 2,46
0,02 0,06 2,05 0,04 0,02 0,0
0,61 0,0 0,0
0,02 0,07 0,0
0,09
Total OPEP 32,63 35,61 2,98 Source : Oil Market Report (AIE), février 2016
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
23
Les conséquences des variations des prix du pétrole sur la
France et sur l’Europe
I. Eléments macroéconomiques
D’un point de vue macroéconomique, les canaux de transmission des variations des prix du pétrole
sur l'économie mondiale sont assez bien identifiés. Les hausses des prix exercent un effet récessif sur
les pays importateurs en ponctionnant le pouvoir d'achat des ménages et des entreprises, un
mouvement compensé, avec un certain délai, au moins partiellement, par le recyclage des pétro-
dollars sous la forme d'un surcroît d'importations des pays pétroliers. Une baisse des prix n’exerce
pas forcément un effet symétrique sur l’activité. D’une manière générale, la France et l’Europe ont
enregistré une diminution du taux de couverture de la consommation de pétrole par la production
domestique depuis les années 1980. En France, la faiblesse de la production pétrolière (1 % de la
consommation nationale) et son déclin depuis 1988 font que le taux de couverture n’a jamais
dépassé 5 %. Dans l’UE 28, le taux de couverture décline de manière marquée depuis les années
2000, en liaison notamment avec la forte diminution des pétroles de mer du Nord (Royaume-Uni), et
atteint environ 15 %. (Figure 8)
Figure 8 : Taux de couverture de la consommation de pétrole
par la production domestique (en %)
Source : ENERDATA
Il est intéressant de remarquer que cette baisse du taux de couverture de la consommation de
pétrole par la production domestique s’est accompagnée de deux mouvements. D’une part, la
France a enregistré une baisse marquée de sa consommation de pétrole entre 1971 et 2013. Ainsi,
entre le pic de 1973, à environ 2,7 mbj, et le point bas de 2014, à environ 1,1 mbj, la consommation de
pétrole brut a été divisée par plus de 2,5 (Figure 9). En Europe, l’ampleur de la diminution de la
consommation de pétrole a été plus limitée. D’autre part, l’intensité pétrolière du PIB (mesurée par
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
24
la quantité nécessaire de pétrole pour produire une unité de PIB) en France a été divisée par cinq par
rapport à son niveau observé durant les chocs pétroliers des années 1970. (Figure 10).
Figure 9 : Consommation de pétrole brut de la France (échelle de gauche) et de l’Europe (échelle de droite) en millions de barils par jour
Source : ENERDATA
Figure 10 : Intensité pétrolière du PIB en France et en Europe (Base 100 en 1971 pour la France, Base 100 en 1979 pour l’Europe)
Sources : ENERDATA, calculs de l’auteur
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
25
Les effets dits de second tours (à travers les hausses des coûts de production sectoriels) sont ainsi
plus limités à l’heure actuelle pour la France et l’Europe et ce, même si la France importe près de
99 % de sa consommation de pétrole.
Figure 11 : Consommation finale d’énergie des transports
Source : Service de l'Observation et des Statistiques, bilan de l'énergie 2014
Malgré une diminution de la consommation de pétrole et une baisse marquée de l’intensité
pétrolière du PIB, la France et l’Europe restent encore dépendantes des prix du pétrole et de leurs
évolutions. En effet, le seul secteur des transports (32 % de la consommation d’énergie finale de la
France en 2014, 31,6 % de la consommation d’énergie finale de l’UE-28 en 2013) représente
aujourd’hui 70 % de la consommation finale de pétrole (30 % en 1973) et la part des produits
pétroliers dans la consommation finale d’énergies du transport représente, elle, encore près de 92 %,
loin devant les énergies renouvelables (6 %) et l’électricité (2 %). Alors que la part de la
consommation de pétrole a largement diminué dans le secteur du résidentiel tertiaire depuis les
années 1970 (de 61 % du total en 1973 à environ 15 % en 2014) et dans le secteur industriel (de plus
de 55 % en 1973 à moins de 10 % en 2014), la problématique pétrolière se révèle donc être très
spécifique au secteur du transport, appelé « marché captif du pétrole ».
En outre, l’importance de la consommation de pétrole en France contribue à alourdir la facture
énergétique nationale (Figure 12). Cette dernière a atteint près de 55 milliards d’euros en 2014
(environ 2,6 % du PIB), en baisse de près de 11 milliards d’euros par rapport à 2013. En 2014, la part
de la facture énergétique dans le PIB est certes repassée sous la barre des 3 % mais elle se situe au-
dessus de sa moyenne de long terme. Ainsi, exceptés lors des deux chocs pétroliers, ce taux s’était
établi à environ 1 % dans les années 1985-2000 et à environ 2 % depuis les années 2000. Le pétrole
et les produits pétroliers ont représenté près de 82 % de la facture énergétique nationale (Figure 13).
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
26
Figure 12 : Facture énergétique de la France (en milliards d’euros)
Source : données des douanes, calculs du Service de l'Observation et des Statistiques
Figure 13 : Facture énergétique de la France déclinée par type d’énergie (en milliards d’euros 2014)
Source : données des douanes, calculs du Service de l'Observation et des Statistiques
Qu’en est-il de la structure du commerce extérieur en produits pétroliers de la France ?
Structurellement exportatrice d’essence et de gazole durant les années 1970, la France est
rapidement devenue importatrice nette de gazole avec le développement massif des véhicules
diesels dans le parc automobile national (Figure 14). Depuis les années 1990, le pays est toutefois
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
27
redevenu exportateur net d’essence, même si l’industrie du raffinage devrait connaitre de plus
grandes difficultés à écouler ses surplus d’essence à l’étranger, notamment en Afrique, zone dans
laquelle les raffineurs américains exportent également leur surplus d’essence.
Figure 14 : Solde du commerce extérieur français de produits pétroliers (en millions de barils par jour)
Source : ENERDATA
*Un solde exportateur de produits pétroliers apparait avec un signe négatif sur ce graphique.
II. Eléments sectoriels Historiquement, la Première Guerre mondiale a été, pour les différents gouvernements européens
(notamment le Royaume-Uni dès 1914), un véritable catalyseur de la mise en évidence du caractère
stratégique du pétrole. La France, comme de nombreux autres pays (Italie), a mis en place une
politique visant à disposer de ressources pétrolifères et à sécuriser ses approvisionnements. La
création de la Compagnie Française des Pétroles (CFP), issue de l’attribution des parts de la Deutsche
Bank dans la Turkish Petroleum Company lors du traité de San Remo de 1924 répondait à cette
logique.
Très rapidement, l’Etat français s’est doté d’institutions (Office national des hydrocarbures, Office
national des combustibles liquides) et d’écoles (Ecole Supérieure du Pétrole) pour structurer le
secteur pétrolier sur le territoire. La filière industrielle va connaitre un nouvel essor dans les années
1940, avec une politique volontariste de l’Etat, appuyée dans les années 1985 par la mise en place
d’un Fonds de Soutien aux Hydrocarbures (FSH), alimenté par une taxe sur les prix des carburants.
Cette politique va permettre la structuration d’un secteur parapétrolier de taille mondiale,
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
28
intervenant sur l’ensemble de la chaîne de valeur pétrolière. Ainsi, aux acteurs privés traditionnels
français (Compagnie générale de Géophysique – CGG –, Vallourec, Schlumberger) vont venir se
greffer dans les années 1970 et 1980 deux compagnies pétrolières françaises : la Société Nationale
Elf-Aquitaine en 1976 et Total-CFP en 1985 (puis Total en 1991). Les années 1990 vont être marquées
par la réorganisation et la privatisation de nombreuses entités publiques. Suite à la crise asiatique de
1997 et la baisse des prix du pétrole, un mouvement de méga-fusion s’engage au niveau mondial, qui
donnera naissance aux grandes majors actuelles (BP – Britsih Petroleum –, issue de la fusion entre
BP et Amoco en 1998 ; Exxon-Mobil, issue de la fusion entre Exxon et Mobil en 1999 ; Chevron-
Texaco issue de la fusion entre Chevron et Texaco en 2001…) En France, face à ce mouvement de
consolidation internationale, l’Etat va appuyer un rapprochement entre les deux compagnies
pétrolières privatisées dans les années 1990. Total va ainsi absorber le belge Fina fin 1998, puis Elf
Aquitaine en 2000.
En définitive, la France possède une major internationale pétrolière, Total (14ème producteur mondial
d’hydrocarbure, 6ème compagnie mondiale en termes de chiffre d’affaires, une capitalisation
boursière de près de 90 milliards d’euros), et un écosystème d’environ 800 entreprises
(100 spécialisées et 700 non spécialisées) dans le secteur parapétrolier24. Au niveau européen, seuls
le Royaume-Uni, avec BP et le secteur parapétrolier britannique, et l’Italie, avec Eni et Saipem,
possède une filière pétrolière véritablement structurée.
Dans le contexte d’effondrement des prix du pétrole depuis juin 2014 (une baisse de près de 75 % des
prix), de nombreuses entreprises françaises et européennes se trouvent en difficultés. Ainsi, le
mouvement de restructuration de la filière au niveau mondial (entre 250 000 et 300 000 suppressions
d’emplois – Hache, 2016) a touché les entreprises du secteur. Fleurons technologiques, les
compagnies françaises Technip, CGG, Vallourec, mais également l’italien Saipem ont engagé un
vaste plan de réduction d’emplois. Au niveau mondial, les mouvements de fusions et acquisitions
dans le secteur du parapétrolier ont enregistré une augmentation marquée depuis 2013. Le risque lié
à la persistance d’un environnement de bas prix, comme celui observé durant l’année 2015, pourrait
être le passage sous pavillon étranger d’une entreprise technologique française du secteur pétrolier
ou parapétrolier et la perte d’un maillon de la chaîne de valeur industrielle du secteur. Dans cette
optique, le maintien voire le renforcement des participations de l’Etat dans la filière reste
primordial25, notamment dans une politique de renforcement de la sécurité énergétique.
24
Enjeux et perspectives des filières industrielles de la valorisation énergétique du sous-sol profond, rapport PIPAME, mars 2016 : http://www.entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/etudes-et-statistiques/prospective/Industrie/2016-03-Pipame-Sous-Sol-Profond-rapport.pdf 25
En 2015, l’Etat français possède des participations dans les entreprises CGG, Technip et Vallourec à travers Bpifrance Participations et IFP Energies Nouvelles.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
29
Eléments de prospectives sur les marchés pétroliers L’effondrement des prix du pétrole depuis juin 2014, à moins de 30 dollars le baril début 2016, a suscité de nombreuses interrogations sur les évolutions à venir des prix. Pour preuve, l’Agence internationale de l’énergie, dans son rapport annuel, le World Energy Outlook, évoquait en novembre 2015 l’hypothèse d’un prix bas du pétrole à l’horizon 2040.
Figure 15 : Scénarios de prix du pétrole à l’horizon 2050
Sources : AIE, DOE, auteur
I. Un scenario bas prix du pétrole
Le scénario d’un prix bas du pétrole à l’horizon 2040-2050, autour de 65 dollars le baril en fin de
période, repose sur différents facteurs affectant l’équilibre offre-demande sur le marché. Du côté de
l’offre, il suppose, pour l’OPEP, une poursuite de la stratégie observée depuis novembre 2014, (le
maintien des parts de marché de l’Organisation sur le marché pétrolier), d’un point de vue
géopolitique, sur le retour de l’Iran sur le marché international. Dans cette optique, il faut considérer
que les pays membres de l’OPEP poursuivront une double logique via un suivi attentif du marché :
minimiser la substitution du pétrole par des énergies concurrentes dans les pays consommateurs et
assurer ainsi la place du pétrole dans le mix énergétique mondial ; permettre à chacun des pays
membres de maintenir ses parts de marché par rapport aux pays non-membres de l’Organisation et
autoriser au cas par cas la possibilité pour certains pays membres d’augmenter leur production.
Cette stratégie nécessite une adaptation de la politique de l’OPEP, notamment dans une définition
claire de ses objectifs de court, moyen et long terme. Pour les pays non-membres de l’OPEP, ce
scénario suppose une forte résilience des productions de pétroles non-conventionnels aux Etats-
Unis à un environnement de prix bas sur le long terme et un maintien de la dynamique de production
des autres pays producteurs (Brésil, Norvège, Russie). Il peut notamment s’appuyer sur un
accroissement de la productivité des puits pétroliers, grâce, entre autres, à une baisse des coûts et à
une amélioration du progrès technique.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
30
Un scénario de prix bas du pétrole suppose également un environnement géopolitique moins tendu
à l’horizon 2040-2050. Dans cette optique, il est envisagé une résolution à moyen terme des conflits
en Libye, en Syrie et en Irak, ainsi qu’une forte habileté des pays producteurs en difficulté
actuellement (OPEP, Brésil, Russie…) à maintenir une stabilité politique et économique favorable à
l’investissement et à la diversification dans un contexte de diminution relative des revenus pétroliers.
La stratégie des principaux pays producteurs pourrait également être influencée par la politique
environnementale internationale. En effet, l’instauration progressive d’une taxe carbone mondiale
touchant notamment l’extraction de pétrole brut pourrait stimuler à court terme la production
d’hydrocarbures et créer une abondance sur le marché pétrolier, provoquant ainsi une nette
diminution des prix.
Côté demande, un tel scénario repose sur deux hypothèses principales, relatives à la croissance
mondiale et aux réformes des subventions à la consommation d’énergies fossiles. Depuis les années
1960, l’économie mondiale a vécu au rythme de différentes locomotives : États-Unis, Allemagne et
Japon dans les années 1970-1980, États-Unis et Asie émergente dans les années 1990, États-Unis,
Europe et Chine dans les années 2000, BRICS et Chine depuis la crise financière de 2007-2008… La
croissance mondiale a ainsi été portée par une économie dominante - un pôle -, qui a entrainé dans
son sillage d’autres économies dans un contexte de mondialisation et d’accélération des échanges
mondiaux. Le scénario « bas prix du pétrole » repose sur un abaissement progressif du taux de la
croissance mondiale et sur l’absence de locomotive économique. Alors qu’elle avait atteint plus de 5
% en rythme annuel sur la période 2001-2008, la croissance mondiale se situerait ainsi autour de 2,5
%, portée par l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine. Dans ce contexte, la demande mondiale de
pétrole n’enregistrerait pas de rebond majeur et stagnerait autour de 100-105 mbj en 2040. Les pays
de l’OCDE poursuivraient la trajectoire observée depuis les années 2000, avec une diminution
marquée de leur consommation, reflet d’une croissance stagnante et de contraintes
environnementales et sanitaires de plus en plus fortes. L’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine et le
Moyen-Orient resteraient des régions dynamiques en matière de consommation de pétrole, et ce,
même si la Chine continue sa transition économique et environnementale. La seconde hypothèse
pose une accélération des réformes concernant les subventions aux énergies fossiles dans les pays
producteurs et dans les pays consommateurs. Pour chacun des groupes de pays, la diminution des
subventions limiterait la demande de pétrole, ce qui contribuerait, dans un contexte où les pays
producteurs suivent une stratégie de long terme de stabilité des cours du pétrole, à de faibles
variations de prix.
II. Un scénario prix élevé du pétrole
Le scénario d’un prix élevé du pétrole à l’horizon 2040-2050, autour de 230 dollars le baril, repose sur
un déséquilibre de plus en plus important entre la stratégie des pays des principales zones de
production mondiale et le contexte économique et environnemental international.
Dans ce scénario, l’OPEP joue un rôle fondamental, avec plus de 71 % des réserves mondiales de
pétrole localisées dans ses pays membres. A moyen terme, l’Organisation réussit à obtenir un accord
entre ses différents membres pour limiter la politique de gains de parts sur le marché international.
Cette stratégie trouve son origine dans un accord passé entre certains pays producteurs non-
membres de l’Organisation (Brésil, Russie) pour limiter leur production afin de mettre fin aux
pressions baissières observées sur le marché. Elle permet, comme sur la période 1998-2001,
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
31
d’assurer une meilleure coordination de la production mondiale. Certes, le regain des cours au
niveau mondial provoque le rebond de l’industrie du pétrole non-conventionnel aux Etats-Unis.
Toutefois, l’industrie américaine, qui a beaucoup souffert de l’effondrement des prix du pétrole entre
2014 et 2016, ne redémarre pas sur les mêmes rythmes que durant la décennie 2000, en raison
notamment des fortes restructurations observées dans le secteur. En outre, le progrès technique et
la productivité des champs des producteurs indépendants américains ne connaissent pas
d’amélioration marquée, ce qui tend à rendre la production moins élastique aux variations des cours
du pétrole. D’un point de vue géopolitique, le marché pétrolier reste sous tensions : la situation en
Libye, en Syrie et en Irak ne s’améliore pas et les rivalités dans le golfe d’Ormuz entre l’Iran et
l’Arabie Saoudite sont renforcées et conduisent à un emballement des primes de risque sur les
marchés.
Au niveau environnemental, les négociations issues de l’accord de Paris (COP21) s’enlisent et aucune
nouvelle avancée n’est réalisée. Une taxe internationale sur les hydrocarbures n’est plus à l’ordre du
jour et la pression sur les producteurs et les consommateurs d’hydrocarbures reste faible. Aucune
incitation n’existe alors à la réduction des subventions pour les énergies fossiles au niveau
international. Ce facteur contribue, avec la croissance économique mondiale, à une forte
augmentation de la demande de pétrole. En effet, au niveau mondial, après un épisode de récession
pour certains pays émergents (Brésil, Russie) ou de ralentissement marqué (Chine), les pays en
développement enregistrent une nouvelle accélération de leur croissance économique, portée par le
géant économique et démographique indien. L’Inde, en raison du niveau de ses besoins, tire la
croissance des autres émergents : besoins en infrastructures (Chine), besoins énergétiques (Russie),
besoins agricoles (Brésil). L’économie mondiale se recompose autour de ces pôles de croissance
auxquels s’ajoutent les Etats-Unis qui compensent largement l’atonie observée en Europe et au
Japon. Ces deux dernières zones économiques connaissent, pour leur part, un ralentissement
marqué de leur consommation de pétrole, mais cette faible demande est largement compensée par
le dynamisme observé chez les émergents et les nouvelles zones frontières de la croissance
économique mondiale (Afrique). L’envolée des prix du pétrole observée dans ce scénario ne parvient
pas à « tuer » la croissance économique mondiale car celle-ci est endogène aux mouvements
observés sur les prix. En outre, la hausse de la croissance mondiale a pour conséquence une envolée
des prix des matières premières, ce qui contribue à un renchérissement des coûts des projets
pétroliers et des coûts de production.
III. Un scénario prix moyen du pétrole
Le scénario d’un prix moyen du pétrole jusqu’à l’horizon 2040-2050 reflète une combinaison des
hypothèses retenues dans les deux scénarios précédents. L’environnement pétrolier observé entre
juin 2014 et début 2016, avec une diminution des prix du pétrole de près de 75 %, a conduit à une
forte diminution des investissements pétroliers de la part des compagnies internationales et des
compagnies nationales. Après une baisse de près de 20 % en 2015, les investissements dans l’amont
pétrolier diminueraient de plus de 15 % en 2016. Or, ces investissements sont nécessaires au marché
pétrolier mondial : il faut environ 3 mbj de capacités supplémentaires chaque année pour satisfaire à
la fois l’augmentation de la demande mondiale de pétrole et la déplétion des champs pétrolifères.
D’ici 2020, près de 10 mbj seront nécessaires pour permettre d’équilibrer le marché. Toutefois, la
diminution marquée des investissements depuis 2014 pose les jalons du futur rééquilibrage du
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
32
marché pétrolier, les producteurs rationalisant massivement leurs outils de production et réduisant
leurs investissements. Les marchés pétroliers sont habitués à cette cyclicité. Ainsi, après la crise
asiatique de 1997, les budgets d'exploration des compagnies pétrolières avaient diminué de manière
drastique, avant de repartir à la hausse en 2004, soit deux ans après le rebond de la demande
mondiale. Ce décalage cyclique est monnaie courante dans les activités industrielles et notamment
pétrolières.
Ce mouvement s’accompagne d’une prise de conscience progressive de l’OPEP et des autres pays
producteurs de pétrole que la stratégie de la vanne ouverte mise en place depuis novembre 2014 ne
permet pas d’assurer un développement viable des économies spécialisées dans les hydrocarbures à
l’horizon 2020. Avec un maintien des prix du pétrole autour de 40 dollars à court terme, l’Arabie
Saoudite met fin à sa stratégie de gains de parts de marché et propose à l’ensemble des pays
membres de l’OPEP un accord sur le niveau de production global de l’Organisation. Ces facteurs –
décalage cyclique des investissements et accord de production au sein de l’OPEP – restreignent les
possibilités d’un rebond marqué de l’offre de pétrole. En outre, les prix sur le marché seraient
soutenus par le maintien des tensions géopolitiques notamment au Moyen-Orient.
Dans le scénario de prix moyen du pétrole, la croissance mondiale repart à un niveau élevé (autour
de 4 %) porté notamment par l’Inde et les émergents d’Afrique et d’Amérique latine. La Chine
poursuit son ralentissement et sa transition vers une économie moins carbonée mais son poids
économique et démographique en fait toujours un géant pétrolier mondial en matière de
consommation.
Tableau 8 : Eléments prospectifs des scénarii de prix du pétrole
Stratégie de l’OPEP
Développements géopolitiques
Croissance mondiale
Contexte environnemental
Niveau des subventions
Scénario prix bas du
pétrole
Parts de marché
Atténuation des conflits
2,5 % Forte pression Réduction
massive
Scénario Prix moyen du pétrole
Prix moyens, quotas
Maintien des tensions
3,5 – 4 % Moyen Réduction moyenne
Scénario prix élevé du pétrole
Prix élevés, accord avec
les pays non-
membres
Renforcement des conflits –
tensions permanentes
5 % Faible Forte
réduction
Source : auteur
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
33
Conclusion Les marchés pétroliers sont constitués d’un ensemble d’acteurs (compagnies internationales,
compagnies nationales, OPEP), d’interactions et de différents segments d’activités (marchés
physiques, marchés financiers). Cet ensemble permet de fixer le principal prix directeur des énergies
au niveau mondial.
A long terme, la dynamique des prix reste guidée par la logique des acteurs dominants sur la scène
pétrolière. L’organisation industrielle de la filière et les processus de coordination (ou leur absence
de coordination) des investissements (succession de périodes de sous-investissement et de
surinvestissement) sont déterminants dans l’analyse des prix, tout comme le contexte économique,
politique et environnemental observé dans les principaux pays consommateurs. La montée en
puissance du facteur spéculatif et, plus généralement, des marchés financiers sur le marché du
pétrole ainsi que sur les autres marchés de matières premières semble avoir une résonnance à court
terme, sans toutefois modifier les équilibres fondamentaux. Les modifications observées au niveau
de l’environnement économique international, à savoir la montée en puissance des pays émergents
dans différentes parties du monde (Asie, Afrique, Amérique latine) au détriment des pays de l’OCDE
dont la part dans la consommation mondiale diminue, laissent augurer de profonds changements
dans les décennies à venir.
Le marché pétrolier reste d’une importance capitale pour la France et pour l’Europe. Certes, le poids
du pétrole dans les économies françaises et européennes a largement diminué depuis les chocs
pétroliers des années 1970 et les progrès réalisés en termes d’efficacité énergétique ou dans les
processus de substitutions énergétiques dans les secteurs de l’industrie et du résidentiel-tertiaire
témoignent de ce mouvement. Toutefois, le pétrole continue de grever le solde de la balance du
commerce extérieur de la France, représentant près de 15 % des importations totales du pays et 2,6
% du PIB (Tableau 9). En France et en Europe, le secteur des transports reste également largement
tributaire des évolutions du prix du pétrole sur les marchés internationaux. Le secteur représente
aujourd’hui 70 % de la consommation finale de pétrole (30 % en 1973) et la part des produits
pétroliers dans la consommation finale d’énergies du transport représente, elle, encore près de 92 %,
loin devant les énergies renouvelables (6 %) et l’électricité (2 %).
Tableau 9 : Comparaison de la facture énergétique avec quelques agrégats économiques
Source : données des douanes, calculs du Service de l'Observation et des Statistiques
Dès lors, la politique de sécurité énergétique française axée sur la question pétrolière doit
impérativement prendre en compte ses spécificités sectorielles : l’importance du pétrole dans le
secteur du transport doit notamment conduire à la mise en place de filières d’énergies renouvelables
pour ce celui-ci, ainsi qu’à des efforts massifs de recherche et développement dans le secteur des
motorisations alternatives. Les politiques menées au niveau français et européen sur la politique
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
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d’incorporation des biocarburants dans les transports vont ainsi dans le bon sens, comme tous les
nouveaux procédés industriels ou les innovations dans le secteur du résidentiel-tertiaire, qui
permettraient de diminuer la consommation de pétrole ou de produits pétroliers.
SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers
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Annexes
Annexe 1 : Principaux flux pétroliers en 2014 (Source : BP Statistical Review, 2015)
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Annexe 2 : Ratios R/P pétrole par régions (Source : BP Statistical Review, 2015)
Annexe 3 : Ratios R/P de pétrole par pays (Source : BP Statistical Review, 2015)
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Annexe 4 : Production de pétrole par pays (Source : BP Statistical Review, 2015)
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Annexe 5 : Consommation de pétrole par pays (Source : BP Statistical Review, 2015)
Annexe 6 : Principaux évènements sur les marchés pétroliers depuis 1861 (Source : BP Statistical Review, 2015)
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Annexe 7 : Exemple du Platts (Source : Platts, 2015)
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Annexe 8 : Recettes d’exportations de l’OPEP (Source : DOE, 2015)