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SECURITE ENERGETIQUE : STRATEGIES POUR L’EUROPE ET LA FRANCE Fiches pays : Algérie Iran Allemagne Israël Angola Italie Arabie Saoudite Japon Argentine Kazakhstan Australie Libye Azerbaïdjan Mexique Brésil Niger Canada Nigeria Chine Norvège Corée du Sud Pakistan Egypte Qatar Emirats arabes unis Royaume-Uni Espagne Russie Etats-Unis Turkménistan France Turquie Inde Ukraine Indonésie Venezuela Irak Notes géographiques : Notes thématiques : Océan Arctique Marché du GNL Détroit d’Hormuz Evolutions technologiques nucléaires Détroit de Malacca Evolutions technologiques hydrocarbures non-conventionnels Mer rouge (Suez, Bab-el-Mandeb) Evolutions technologiques ENR/Efficacité énergétique European Southern Corridor Organisation des marchés physiques

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SECURITE ENERGETIQUE : STRATEGIES POUR L’EUROPE ET LA FRANCE

Fiches pays :

• Algérie • Iran • Allemagne • Israël • Angola • Italie • Arabie Saoudite • Japon • Argentine • Kazakhstan • Australie • Libye • Azerbaïdjan • Mexique • Brésil • Niger • Canada • Nigeria • Chine • Norvège • Corée du Sud • Pakistan • Egypte • Qatar • Emirats arabes unis • Royaume-Uni • Espagne • Russie • Etats-Unis • Turkménistan • France • Turquie • Inde • Ukraine • Indonésie • Venezuela • Irak

Notes géographiques :

Notes thématiques :

Océan Arctique Marché du GNL Détroit d’Hormuz Evolutions technologiques nucléaires Détroit de Malacca Evolutions technologiques hydrocarbures non-conventionnels Mer rouge (Suez, Bab-el-Mandeb) Evolutions technologiques ENR/Efficacité énergétique European Southern Corridor Organisation des marchés physiques

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SÉCURITE ÉNERGETIQUE :

STRATÉGIES POUR LA FRANCE ET L’EUROPE (SESEF)

Phase 2

Évolutions des technologies

nucléaires à l’horizon 2030

Décembre 2015

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SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030

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Le nucléaire offre, vis-à-vis des autres sources majeures d’électricité, une alternative intéressante.

En effet, la production électrique se divise entre deux groupe principaux : les solutions reposant

principalement sur le combustible fossile (gaz, charbon et plus marginalement pétrole) et celles dont

le modèle est fondé sur une transformation technologiquement plus ou moins complexe d’une

source abondante (hydraulique) ou potentiellement infinie (éolien, solaire, marémoteur,

géothermique). Cette dichotomie qui oppose les énergies thermiques fossiles aux énergies

renouvelables1 met face à face deux modèles économiques et technologiques de production.

Les évènements de Fukushima en 2011 pourraient, de prime abord, sembler avoir signé la mort de la

nuclear renaissance vantée par les analystes américains à la fin de la décennie précédente2. En effet,

l’accident majeur survenu au Japon a déclenché une vague anti-nucléaire au sein des populations

japonaise et occidentales, amenant, par exemple, à la sortie précipitée du nucléaire en Allemagne,

cette dernière étant annoncée pour 2022. Toutefois on peut observer avec quelques années de recul

que le secteur du nucléaire civil semble s’être bien remis de cet accident. Ainsi le nucléaire semble

devenir, grâce notamment aux pressions internationales pour enrayer le changement climatique,

une énergie de plus en plus mise en avant (entre autres par le GIEC), que ce soit dans les pays

traditionnellement portés en ce sens comme la Russie ou la Chine, ou même dans un grand nombre

de pays dits « primo-accédant » qui se dotent de centrales de production électrique, comme la

Turquie ou le Vietnam.

Les développements technologiques, qu’il s’agisse du déploiement progressif des centrales de

génération III + ou des progrès réalisés sur les centrales de génération IV, amènent le nucléaire vers

un nouvel âge et de nouvelles possibilités aussi bien en termes de production électrique que de

gestion des déchets. Cette dernière question force à envisager la filière nucléaire comme un tout,

avec une chaîne de valeur complexe allant de l’extraction d’uranium au retraitement des déchets

radioactifs en passant par le design et la construction de centrales. Il s’agit ainsi de prendre en

compte l’ensemble des évolutions du secteur pour être à même de tracer des scénarios prospectifs

sur ces questions.

Au-delà de la position des acteurs centraux et des pays demandeurs, l’étude des évolutions

technologiques en développement dans les différents sous-secteurs de l’énergie nucléaire s’avère

nécessaire pour alimenter la réflexion sur les risques et opportunités présents à horizon 2030.

1 Il existe néanmoins un débat international encore non résolu sur le statut de certaines énergies comme la biomasse ou

l’hydraulique qui ne sont pas universellement considérés comme des renouvelables. 2 SQUASSONI S. (2009), Nuclear Energy: Rebirth or Resuscitation, Carnegie Endowment for Peace.

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Sommaire

Panorama du secteur en 2015 ......................................................................... 5

I. Principaux fournisseurs de solutions ............................................................. 5

1. Acteurs intégrés verticalement .................................................................. 5

2. Acteurs spécialisés ................................................................................ 8

II. Grands pays du nucléaire ....................................................................... 14

1. Puissances traditionnelles ....................................................................... 15

2. Pays émergents .................................................................................. 17

3. Autres ................................................................................................... 19

III. Acteurs multilatéraux ............................................................................. 20

Développements en cours ou en projet ........................................................ 21

I. Nouvelles technologies de réacteurs ........................................................... 21

1. Génération IV ........................................................................................ 21

2. Autres technologies ............................................................................. 23

II. Avancées dans l’amont du cycle de l’uranium ........................................... 24

1. Nouveaux projets miniers d’uranium ....................................................... 24

2. Mines d’autres combustibles ................................................................ 25

3. Enrichissement / combustible .................................................................. 26

III. Avancées dans l’aval du cycle de l’uranium .............................................. 26

1. Retraitement .......................................................................................... 26

2. Enfouissement .................................................................................... 27

Indicateurs ...................................................................................................... 28

I. Disponibilité et prix de l’uranium ............................................................. 28

II. Structure de la concurrence ................................................................. 29

III. Coopération internationale ................................................................... 30

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Prospective ..................................................................................................... 31

I. Scénario A : développement constant du nucléaire ...................................... 31

II. Scénario B : accident majeur limitant la part du nucléaire ......................... 32

III. Scénario C : bouleversement concurrentiel .............................................. 33

IV. Scénario D : pression climatique entrainant un nouvel âge d’or du nucléaire

34

Annexes ........................................................................................................... 36

Panorama des technologies nucléaires ............................................................. 36

Rosatom et l’Etat russe .................................................................................... 37

Ressources mondiales en uranium (2014) ....................................................... 38

Capacités installées en 2015 ........................................................................... 39

Développements en nombre de réacteurs en 2015 ........................................... 40

Evolution des prix de l’uranium ....................................................................... 41

Ressources mondiales estimées en thorium ..................................................... 42

Coopérations technologiques sur les réacteurs de génération IV ........................ 43

Evolutions technologiques des réacteurs ........................................................... 44

Références ...................................................................................................... 45

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Panorama du secteur en 2015

I. Principaux fournisseurs de solutions

Figure 1: Chaine de valeur simplifiée du nucléaire civil

1. Acteurs intégrés verticalement

1. Rosatom

La corporation d’Etat Rosatom est l’un des fleurons de l’industrie de la Russie tous secteurs

confondus. Rosatom représente la principale réussite économique de la Russie qui ne soit pas

totalement liée aux matières premières ou à la Défense, même si elle a des attaches dans ces deux

domaines. Créée sous cette forme en 2007 par transformation de l’agence nucléaire russe Rosatom,

la corporation d’Etat chapeaute l’ensemble des acteurs régionaux ou spécialisés liés de près ou de

loin au nucléaire. Rosatom et l’Etat russe entretiennent une relation symbiotique complexe,3 où les

participations croisées et les multiples boucles de contrôle de la part du gouvernement permettent

de considérer Rosatom comme un hybride entre un ministère et une entreprise agissant sur les

marchés extérieurs.

Rosatom dirige ainsi un ensemble de sociétés spécialisées qui œuvrent ensemble pour offrir un

produit russe tant aux grandes puissances désireuses de continuer dans la voie nucléaire qu’aux pays

3 Voir annexe.

Design et construction de réacteurs

Extraction

Enrichissement

Combustible

Opération

Retraitement

Stockage

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nouvellement arrivés dans ce secteur. C’est Atomenergoprom qui est le fleuron de ces solutions

commerciales puisque Rosatom, en tant que corporation d’Etat nucléaire chapeaute aussi bien ces

projets civils russes et étrangers que les questions de nucléaire militaire russe, les appareils

médicaux comme les scanners et même la flotte de brise-glaces à propulsion nucléaire de l’Arctique.

Atomenergoprom englobe elle-même des sociétés spécialisées sur l’ensemble de la chaîne de valeur

du nucléaire civil. Les principales sont TVEL, TENEX, ARMZ et Rosenergoatom.

ARMZ (AtomRedMetZoloto) est l’entreprise chargée de l’extraction de minerai d’uranium en Russie

et à l’étranger. ARMZ possède l’ensemble des mines russes (la Russie possède environ 9% des

réserves mondiales). Rosatom est également présente au Kazakhstan via des accords avec la

compagnie nationale Kazatomprom4. De plus, suite à l’acquisition à la fin des années 2000 et au

début des années 2010 par ARMZ des entreprises canadienne Uranium One et australienne Mantra

Resources, une nouvelle entité a été créée fin 2013 sous le nom d’Uranium One, regroupant

l’ensemble des possessions minières russes à l’étranger. La Russie possède ainsi des actifs miniers en

Australie, au Kazakhstan, en Tanzanie et aux Etats-Unis.

TVEL, qui est chargé de la mise au point du combustible à partir de l’uranium d’ARMZ, est

également une importante entreprise sur la scène mondiale puisqu’elle fournit environ 17% du

marché mondial en 2013 avec un objectif affiché de 32% vers 2030. C’est au travers de TVEL que la

Russie a renforcé ses liens avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), puisque le

centre d’enrichissement d’Angarsk a été mis sous la supervision de l’organisme onusien pour créer la

première banque mondiale de combustible certifié. TENEX est l’entité chargée de commercialiser

les combustibles russes et possède des filiales dans plusieurs pays (Allemagne, Royaume-Uni, Etats-

Unis, Japon, Corée du Sud). La Russie fournit ainsi de nombreux acteurs étrangers en combustible

(Chine, Inde, Iran, Finlande, Suède, Hongrie, Bulgarie, Ukraine, etc.), parfois en partenariat avec

Areva Nuclear Power (Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas).

Rosenergoatom se charge de l’opération des centrales nucléaires. Après l’abandon de la filière

RBMK qui a été à l’origine de l’accident de Tchernobyl en 198656, les entreprises de design et de

construction de centrales appartenant à Atomenergoprom (Atomenergopreok, Atomenergomash)

se sont concentrées sur la filière VVER à eau pressurisée qui aboutit aux centrales de génération III

VVER-1000, base de la production d’électricité nucléaire en Russie7. La nouvelle génération VVER-

1200 dénommée projet NPP-2006 devrait entrer en construction à la fin de l’année 2015 (projet

Novovoronej II-1), de même que l’installation de réacteurs à neutrons rapides de plus en plus

puissants (projet Beloyarsk 4 de 800 MW en construction). La Russie investit aussi, via son savoir-

faire dans les brise-glaces nucléaires, dans une technologie de réacteurs nucléaires flottants KLT-

40S (2x35 MW de puissance) destinés à fournir une puissance limitée à des pays disposant d’une

façade maritime.

4 Cette dernière possède en retour 10% du centre d’enrichissement d’Angarsk géré par TVEL qui sert de première banque

mondiale de combustible sous égide de l’AIEA depuis 2011. 5 L’augmentation non-contrôlée de la puissance du réacteur, due à des défauts de conception et aux problèmes

technologiques de la filière (coefficient de vide), a amené à une fusion du cœur du 4e réacteur de la centrale.

6 Il reste néanmoins une dizaine de réacteurs de ce type en Russie.

7 34 réacteurs sont actuellement en service en Russie dont 12 de type VVER-1000.

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Rosatom a notamment fait d’immenses efforts de développement de technologies de sûreté

nucléaire pour faire oublier les évènements de Tchernobyl, à tel point que l’entreprise est

maintenant considérée par l’AIEA comme faisant partie des plus en pointe sur le sujet. De plus, en

confiant Rosatom à S. Kirienko, un ancien Premier ministre et proche de la Présidence, V. Poutine a

voulu en faire une vitrine de corporation « propre », où la corruption serait bien moindre que dans

d’autres acteurs de l’énergie russe et qui serait plus efficace économiquement.

2. Areva

L’entreprise française Areva, présente dans une vingtaine de pays et créée au début de la décennie

2000 comme le premier exemple de fournisseur de solutions nucléaire intégré verticalement fait

face à de nombreuses difficultés internes et externes depuis quelques années. En 2010, la cession de

la branche transmission et distribution (T&D) à Alstom avait déjà entamé le modèle vertical total qui

avait présidé en 2006 au regroupement de l’ensemble des sociétés constituant l’entreprise sous le

nom unique Areva.

Les principales difficultés viennent tout d’abord de la partie minière, en raison d’investissements

hasardeux donnant lieu entre autres à un procès pénal en Afrique (Namibie, Centrafrique, Afrique du

Sud, etc.) avec l’affaire UraMin. La pression imposée par l’entreprise chinoise CNNC au Niger qui

développe la mine d’Azelik depuis 2011 a amené à une renégociation des contrats des mines

SOMAIR et COMINAK bien plus favorable à l’Etat nigérien. Au Kazakhstan, Areva a doit également

faire face à la concurrence croissante de la Chine, et de la Russie, qui est depuis le milieu des années

2000 le principal partenaire du pays.

L’activité construction de réacteurs accumule également les retards avec les projets EPR de

Flamanville (France) et Olkiluoto (Finlande). Ces deux chantiers ont été érigées en symbole des

problèmes d’Areva (sécurité informatique, coffrages en béton, cuves, etc.) et portent un sérieux

coup à l’image du savoir-faire nucléaire français à l’étranger. Les deux réacteurs EPR de Taishan 1 et

2 construits par Areva en Chine pourraient être la vitrine de cette technologie de génération III +8.

Le transfert en cours de la branche de construction de réacteurs (Areva NP) à EDF qui devrait détenir

en 2016 une part majoritaire de cette entité, devrait amener à une plus grande lisibilité de l’offre

française à l’étranger. En effet, la taille limitée d’Areva par rapport à ses concurrents étrangers

rendait, de facto, l’entreprise française moins compétitive sur des appels d’offres importants comme

celui d’Abu Dhabi perdu en 2010. Toutefois les différentes évolutions prévues pour Areva avec la

possibilité d’une entrée au capital d’un acteur japonais 5MHI) ou chinois (CNNC) risquerait

d’amoindrir à la fois les intérêts de la France dans le pilotage de l’entreprise mais aussi entrainerait

de potentielles fuites de technologie vers des concurrents.

Areva possède néanmoins deux atouts importants ; d’un côté une part de marché non-négligeable

de la fourniture de combustible nucléaire (environ 30% du total mondial, à égalité avec la compagnie

8 Les différences dans la vitesse de construction des EPR s’expliquent en partie par des règles de sécurité sur les chantiers

moins strictes qu’en Europe.

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européenne Urenco en 2013) et d’un autre une maitrise de certaines technologies-clés. Les

partenariats avec certaines entreprises comme le japonais Mitsubishi pour les réacteurs de moyenne

puissance ATMEA (1000 MW) permettent d’envisager un développement sur ce secteur9. Enfin,

Areva est le numéro un mondial sur les questions de gestion, retraitement et stockage des

combustibles nucléaires usés, ce qui rend l’entreprise quasi-incontournable dans ce domaine.

2. Acteurs spécialisés

1. Constructeurs de réacteurs

Les technologies de construction de réacteurs nucléaires sont finalement assez peu répandues dans

le monde. Peu de pays peuvent ainsi se prévaloir d’un savoir-faire d’autant plus important que

l’usage de l’énergie nucléaire se répand. Depuis les années 1960 qui ont été le premier âge d’or du

nucléaire civil, on a même observé une concentration importante des entreprises et des savoir-faire

pour aboutir à cinq grandes familles technologiques. Outre la famille russe

Rosatom/Atomenergoprom et la française Areva citées ci-dessus, trois autres peuvent être citées.

La première et la plus originale est celle de l’acteur canadien SNC Lavalin qui appartenait auparavant

à EACL (Energie Atomique du Canada Limitée). Cette société appartenant à l’Etat canadien est à

l’origine de la conception et de la commercialisation des réacteurs de type Candu. C’est depuis 2011

SNC Lavalin (au travers de la filiale Candu Energie) qui s’en charge, après avoir racheté les activités

réacteurs d’EACL. Les réacteurs de type Candu à l’eau lourde (PHWR) ont connu un grand

engouement dans les années 1980-1990 grâce notamment à leur technologie permettant l’usage

d’uranium non-enrichi (et d’autres éléments comme le thorium), ce qui affranchit les utilisateurs de

la tutelle des grands fournisseurs de combustible prêt à l’emploi. Les réacteurs Candu 6 en service

actuellement posent néanmoins des problèmes stratégiques puisqu’ils produisent du plutonium et

possèdent une puissance moindre que leurs équivalents à eau pressurisée ou bouillante (700 MW).

Un certain nombre de pays a ainsi fait le choix de cette technologie particulière, comme l’Inde (qui a

même développé une solution nationale sur base Candu), le Canada, la Roumanie, la Corée du Sud,

la Chine et l’Argentine.

La filière américano-japonaise représentée par General Electric-Hitachi et Toshiba-Westinghouse,

voire maintenant américano-nippo-coréenne si l’on ajoute les réacteurs APR-1400 de Kepco qui sont

issus du système 80 + de Combustion Engineering (aujourd’hui filiale de Westinghouse), offre deux

grandes voies technologiques : les réacteurs à eau pressurisée (PWR) et ceux à eau bouillante (BWR).

Les réacteurs à eau bouillante sont promus par General Electric-Hitachi. La technologie à eau

bouillante permet une plus grande puissance de production, au détriment d’une meilleure sûreté

lorsqu’on la compare à celle à eau pressurisée. Elle a connu un certain succès dans les années 1950-

80. Toutefois la grande interrogation sur la sûreté nucléaire après les incidents de Three Miles Island

en 1979 (pourtant à eau pressurisée) et de Tchernobyl en 1986 ont amené à une réévaluation des

9 Areva travaille aussi sur un modèle à eau bouillante de moyenne puissance (KERENA) issu de la technologie allemande

Siemens.

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demandes en faveur d’autres filières. De facto, les réacteurs à eau bouillante ne représentent plus

que 20% du parc mondial, majoritairement aux Etats-Unis et au Japon10. Les projets de nouveau

réacteur ESBWR mettent par contre l’accent sur cette question de la sûreté de fonctionnement11.

GE-Hitachi est également un important fournisseur de combustible nucléaire au travers de Global

Nuclear Fuel (GNF)12. L’acquisition de la branche énergie d’Alstom par GE offre à l’entreprise

américaine une mainmise plus importante sur certains segments de la chaîne de valeur, puisque

l’entreprise française agissait comme sous-traitant majeur de nombreuses entités du secteur, pour

les turbines notamment.

Figure 2: Evolution des constructions de nouveaux réacteurs nucléaires dans le monde; source: AIEA

La filière à eau pressurisée américaine (et coréenne aujourd’hui) repose avant tout sur Toshiba-

Westinghouse. Ces réacteurs qui sont issus de la technologie des sous-marins nucléaires

représentent la majorité du parc en service au niveau mondial. Westinghouse Electric Company LLC

a été rachetée en 2006 par le japonais Toshiba et se présente actuellement comme le leader

occidental de la technologie des réacteurs à eau pressurisée. Avec les retards de l’EPR

d’Areva, l’AP1000 Westinghouse devient la principale solution de ce type de génération III+.

L’AP1000 est d’ailleurs en construction aux Etats-Unis sur deux sites (Vogtle et Summer) et se

présente comme le fleuron de la renaissance nucléaire américaine, même si les projets ont été revus

à la baisse depuis le développement massif des gaz non-conventionnels. De la même manière,

l’AP1000 fait partie des technologies retenues par la Chine – avec l’EPR et le VVER – pour son

développement nucléaire massif et deux centrales sont là aussi en cours de construction. Même s’il

10

Fukushima Daïchi appartenait à cette filière technologique. 11

Voir infra 12

Voir infra

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Nouveaux réacteurs nucléaires dans le monde

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n’existe aucun lien organique entre Westinghouse et les industries coréennes dont Kepco, le

système coréen APR-1400 est fondé sur des technologies appartenant à Combustion Engineering,

qui appartient à présent à Westinghouse suite à des transferts de technologie dans les années 1980.

Il est donc possible d’affirmer qu’il existe une certaine parenté entre Westinghouse et Kepco au

niveau de la technologie. Celle-ci est d’autant plus importante qu’aux termes de l’accord 123 signé

avec les Etats-Unis en 1973, la Corée du Sud est dépendante de Washington pour son

approvisionnement en combustible et ne peut posséder d’industrie d’enrichissement et de

retraitement de l’uranium. Si la révision du traité en 2015 a amené à plus de flexibilité, toute

évolution de cette partie du secteur doit se faire après consultation avec les Etats-Unis.

Westinghouse (55%) et Kepco (45%) possèdent conjointement depuis 2009 la filiale KW Nuclear

Components qui fabrique les éléments industriels pour Kepco NF, la filiale de Kepco chargée de

l’approvisionnement en combustible.

Entreprise Areva Candu GE-Hitachi Rosatom Toshiba-

Westinghouse

Modèles EPR ACR-1000 ABWR / ESBWR

NPP 2006 / VVER-1400

AP1000

Technologie Eau

pressurisée Eau lourde pressurisée

Eau bouillante Eau

pressurisée Eau

pressurisée

Figure 3: Caractéristiques des réacteurs de génération III+

Figure 4: Types de réacteurs en construction dans le monde en 2014 ; source : NEA OCDE

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Réacteurs en construction par type en 2014

Eau pressurisée (PWR)

Eau bouillante (BWR)

Eau lourde pressurisée(PHWR)

Neutrons rapides (FBR)

Refroidis au gaz (GCR)

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2. Miniers

Au-delà des miniers intégrés dans les entreprises verticales du nucléaire comme la BG Mines d’Areva

ou ARMZ pour Rosatom, plusieurs entreprises sont présentes sur la partie extraction de l’uranium.

La plupart du temps, il s’agit de filiales ou d’entités spécialisées issues des grandes entreprises

minières internationales.

Les grandes entreprises australiennes BHP Billiton et Rio Tinto (au travers d’Energy Resources of

Australia) sont particulièrement actives dans le domaine de la production d’uranium. BHP qui

exploite la mine d’Olympic Dam, une des plus grandes du monde, s’intéresse principalement à

l’uranium car ce dernier est associé au cuivre, l’une des principales activités de l’entreprise minière.

Rio Tinto de son côté a choisi de créer une filiale dédiée à l’exploration-production d’uranium,

notamment pour la mine Ranger (Territoire du Nord, en Australie). Aussi bien BHP que Rio Tinto

n’envisagent l’uranium que comme un minerai destiné à être vendu sur les marchés – avec toutefois

quelques spécificités – et n’ont de véritable position subséquente dans la chaine de valeur du

nucléaire. Ils représentent néanmoins des acteurs importants puisqu’ils sont les plus actifs en

Australie (plus de 80% de l’uranium extrait à eux deux) qui est le pays où se trouvent la majorité des

réserves mondiales (environ 29% du total mondial)13. BHP Billiton produisait à lui tout seul environ

3400 tonnes d’oxyde d’uranium en 2014, soit 6% du total mondial (1165 tonnes pour ERA).

Plus que les grands miniers transnationaux multisectoriels, ce sont les compagnies minières privées

ou publiques spécialisées dans l’uranium qui sont les principaux acteurs de ce sous-secteur. Les pays

13

Voir annexe.

41%

16%

9%

7%

6%

5%

4%

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Production d'uranium par pays (2014) ; source : WNA

Kazakhstan

Canada

Australie

Niger

Namibie

Russie

Ouzbékistan

Etats-Unis

Chine

Autres

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disposant d’importantes ressources en uranium ont eu tendance historiquement à établir des

compagnies minières nationales. Certains pays comme le Kazakhstan (KazAtomProm) ou

l’Ouzbékistan (Combinat minier et métallurgique de Navoi aussi connu comme NMMC) perpétuent

cette tradition du contrôle étatique direct. Cela permet aux Etats d’Asie centrale notamment de

disposer de revenus confortables ainsi que d’une influence non-négligeable sur la scène

internationale. KazAtomProm assure un équilibre des relations géoéconomiques du Kazakhstan en

négociant des partenariats avec ARMZ et TVEL pour la Russie et Areva pour la France. La Chine est

néanmoins de plus en plus active auprès du Kazakhstan avec la création par China General Nuclear

Power Group (CGN) et KazAtomProm d’une joint-venture, Semizbai-U LLP, active en Namibie. CGN

a aussi établi une joint-venture avec Navoi pour disposer de réserves en Ouzbékistan. La poussée de

la Chine en Asie centrale dans l’énergie est ainsi tout aussi importante dans le nucléaire que dans les

hydrocarbures.

Le canadien Cameco est, au contraire, l’exemple de l’entreprise publique qui a connu une

privatisation dans les années 2000 pour devenir aujourd’hui le plus important acteur privé dans les

activités minières liées à l’uranium. Si l’entreprise est majoritairement implantée au Canada où elle

gère la plupart des mines d’uranium, Cameco a également connu un développement international

important, principalement aux Etats-Unis, ainsi qu’au Kazakhstan. A l’exception de la mine de Mc

Lean Lake, Cameco possède, seul ou en partenariat avec Areva, les sites miniers nationaux (79% du

total d’oxyde d’uranium extrait en 2013). D’une manière assez similaire, l’australien Paladin Energy

est également un acteur minier spécialisé privé. Acteur mineur dans son pays d’origine, Paladin

s’impose comme l’un des premiers miniers d’uranium en Afrique avec des mines en Namibie (25% de

la mine de Langer Heinrich ont néanmoins été vendus au chinois CNNC en 2014) et au Malawi et une

participation dans la mine d’Agadez au Niger dont les opérations sont suspendues sine die.

Au-delà de ces grandes compagnies minières, plusieurs acteurs mineurs existent dans le monde

pour la production de minerai d’uranium, qu’il s’agisse d’entreprises occidentales comme l’américain

Heathgate resources actif aux Etats-Unis, ou bien issues de pays émergents comme le sud-africain

JCI Limited, filiale d’AngloAmerican spécialisée dans l’uranium. Ils jouent toutefois un rôle limité au

niveau mondial, se contentant de parts limitées dans les grandes mines, comme certains opérateurs

à l’image de KEPCO, ou possédant des mines de petite ou moyenne envergure.

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SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030

13

3. Autres acteurs du cycle de l’uranium

Les fabricants de combustible et entreprises spécialisées dans l’enrichissement jouent un rôle

central entre les miniers et les opérateurs de centrales. C’est dans cette phase que l’uranium se

transforme de commodité minière en matériau énergétique utilisable pour la production électrique.

Outre Areva et Rosatom (TVEL), deux autres entités se partagent la plus grande partie du marché

mondial : Urenco et GNF.

Urenco demeure, après AREVA, le principal acteur européen de la chaîne de valeur de l’uranium. Il

s’agit d’un consortium tri-national anglo-germano-néerlandais dont le siège se situe au Royaume-

Uni. A l’exception de la participation allemande qui se fait au travers d’E.On et RWE, ce sont les

gouvernements des pays respectifs qui possèdent chacun un tiers de l’entreprise. Urenco représente

un acteur particulier en raison de sa tri-nationalité qui peut rassurer un certain nombre de clients,

inquiets de ne dépendre que du bon vouloir d’un gouvernement pour leur approvisionnement en

combustible nucléaire ; l’entreprise fournit ainsi 19 pays en Europe, Amérique et Asie. Urenco

dispose d’usines dans les trois pays depuis 2010, avec la construction d’une usine aux Etats-Unis,

Lousiana Energy Services (en opération depuis 2014), ainsi qu’une participation à 50% (les autres

appartenant à Areva) dans Enrichment Technology Company pour le développement de nouvelles

technologies liées à l’enrichissement d’uranium.

Global Nuclear Fuel (GNF) a été créé en 2000 par GE, Hitachi et Toshiba afin d’offrir des solutions de

combustible nucléaire pour les centrales qu’ils construisent. GNF est l’un des leaders mondiaux de la

fourniture de combustible avec environ 17% du marché. La société se divise en deux, une entité

japonaise (JNF) et une américaine (GNF-A).

KazAtomProm (KAZ) 25%

Cameco (CAN) 16%

ARMZ (RUS) 12%

Areva (FRA) 12% BHP Billiton (AUS)

6%

CNNC et CGN (CHI)

5%

Paladin (AUS) 4%

Navoi (OUZ) 4%

Rio Tinto (AUS) 4%

Autres 12%

Production mondiale d'uranium (2014) ; source : WNA

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14

Plusieurs autres acteurs sont actifs tant dans l’enrichissement que dans la mise au point des

combustibles pour les différents types de réacteurs (eau légère, eau lourde, etc.). Parmi ceux-ci, la

Chine (CNNC), la Corée du Sud (KNFC) et l’Inde (DAE) manifestent la volonté des nouveaux acteurs

asiatiques de se lancer de plus en plus dans l’ensemble de la chaîne de valeur de l’uranium.

A l’autre bout de la chaîne de valeur se pose la question de la gestion des déchets, de leur stockage

et de leur retraitement. A l’exception des combustibles pour les centrales indiennes à eau lourde et

les centrales anglaises de type Magnox qui sont retraités dans leur pays d’origine, les unités de

retraitement sont très concentrées au niveau mondial. Areva (au travers de l’usine de La Hague) et

Rosatom14 sont les leaders du marché. Les autres capacités de retraitement sont détenues par le

Japon au travers de l’usine de Rokkasho possédée par le gouvernement japonais via JNFL15, et le

Royaume-Uni (Thermal Oxyde Reprocessing Plant) également détenue par le gouvernement

(Nuclear Decommissioning Authority). Ces quatre acteurs produisent également du combustible

MOX pour la réutilisation énergétique des résidus de production.

Figure 5: Savoir-faire technologique de la chaine de valeur par pays

II. Grands pays du nucléaire

Le mirage du nucléaire pour tous est né suite au programme américain Atoms for peace de 195316

puis du Traité de Non-Prolifération (TNP) de 1967, dont l’article IV prévoit un accès facilité aux

technologies civiles pour les pays signataires. Cela n’a cependant pas débouché sur une

généralisation de cette énergie qui est restée, sauf cas exceptionnels comme la France, secondaire.

14

Des usines sont en construction en Russie pour augmenter les capacités nationales ; elles devraient entrer en opération en 2025 et 2028. 15

Cette usine s’est construite en partenariat avec Areva sur le modèle de celle de La Hague. 16

CHEVALLIER J.-M., Les grandes batailles de l’énergie, Paris, Folio Gallimard, 2004, pp. 118 et suivantes.

Maitrise de l'ensemble de la chaine de valeur

•France

•Russie

•Japon

Amont uranium

•Australie

•Canada

•Kazakhstan

•Ouzbékistan

•Afrique du Sud

•Royaume-Uni

•Pays-Bas

•Allemagne

•Etats-Unis

•Chine

•Corée du Sud

•Inde

Construction de réacteurs

•Canada

•Etats-Unis

•Corée du Sud

•Inde

Retraitement du combustible

•Royaume-Uni

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15

1. Puissances traditionnelles

Pour les vainqueurs diplomatico-militaires de la Seconde Guerre mondiale, la possession de

réacteurs nucléaires et la maîtrise de la chaîne de valeur de l’énergie atomique à des fins civiles et

militaires a été l’un des principaux axes de développement de leur puissance. Les Etats-Unis, en tant

que première puissance nucléaire en termes historiques, ont rapidement fait de l’atome non-

seulement un pilier de leur mix énergétique, mais aussi un des axes de leur diplomatie avec le

programme Atoms for peace.

Aux Etats-Unis, le nucléaire représente, après le gaz et le charbon, le troisième grand pôle de

production électrique avec 19% du mix électrique installé du pays. La grande majorité des

installations de production électrique d’origine nucléaire se retrouve dans la moitié est du pays et

date des années 1960-80 pour la plupart. En effet, durant ces vingt ans, les Etats-Unis vont connaitre

un véritable âge d’or du nucléaire civil jusqu’à l’incident de Three Miles Island en 1979 qui va briser

cet élan. Les projets commencés à cette date sont terminés au début des années 1990, au moment

où passe l’Energy Policy Act de 1992 à la suite duquel le secteur est pratiquement mis en sommeil.

Pendant ce laps de temps, plus de 100 réacteurs ont été construits, ce qui fait des Etats-Unis la

première puissance mondiale en termes de capacité électrique installée nucléaire, avec 99 GW actifs

en 2015. Les réacteurs américains sont principalement issus de la filière à eau-pressurisée et de celle

à eau-bouillante, deux technologies qui ont été exportées auprès des alliés occidentaux et japonais

dans les années 1960. La volonté des administrations Bush et Obama de diminuer la dépendance

des Etats-Unis aux approvisionnements étrangers en matière énergétique et le fait que la

catastrophe de Tchernobyl appartienne désormais au passé amènent à partir de 2005 à une relance

de la filière nucléaire, pour profiter notamment des nouvelles technologies de réacteurs. Cette

même année, l’administration Bush fait passer l’Energy Policy Act qui propose de fortes incitations

fiscales pour la construction de nouveaux réacteurs (crédits d’impôts, prêts garantis, etc.). Alors

qu’une relance massive avait été envisagée en 2008-2009 avant le boom des gaz non-

conventionnels, ce sont finalement deux centrales de deux réacteurs (Vogtle 3 et 4 ainsi que V.C.

Summer 2 et 3) AP1000 qui sont en cours de construction. Ces nouvelles centrales de 2400 MW

chacune devraient donner un nouvel élan au secteur nucléaire national et servir de vitrine

technologique aux AP1000 de Toshiba-Westinghouse, souvent proposés dans le cadre d’appels

d’offres internationaux.

A partir de 1953, les Etats-Unis choisissent de proposer à leurs alliés un accès facilité à la technologie

nucléaire civile, qu’il s’agisse de la filière à eau bouillante ou de celle à eau pressurisée. Le

programme scientifique puis industriel Atoms for peace débouche dès les années 1950 sur la

construction, en Europe, de réacteurs nucléaires de technologie américaine, d’abord en Belgique. De

là nait une forme de mainmise de la part des Etats-Unis et de leurs industriels sur une grande partie

de la filière dans les pays européens et au Japon, notamment sur la question de la technologie des

réacteurs. A l’exception du français Areva – et pendant un temps de l’allemand Siemens qui

coopérait avec Areva jusqu’en 2010 – ces pays doivent faire appel aux entreprises américaines quitte

à s’allier avec elles comme Toshiba rachetant Westinghouse ou Hitachi créant une joint-venture avec

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GE. Dans le cadre de la relance du programme nucléaire américain, Washington a renouvelé un

mécanisme de coopération en 2006, le Global Nuclear Energy Partnership, devenu depuis

International Framework for Nuclear Energy Cooperation (IFNEC). L’IFNEC est depuis 2015 sous la

tutelle de l’OCDE et rassemble 33 pays membres dont les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la France, le

Royaume-Uni, et 31 observateurs17 dans le but de coopérer sur le développement de nouvelles

technologies du nucléaire civil. Le cadre de coopération nucléaire bilatéral avec les Etats-Unis est

relativement strict puisqu’il nécessite la signature d’un accord interétatique dit « accord 123 » au

titre de l’US Atomic Energy Act.

Le Japon quant à lui a connu un grand essor du nucléaire à la même époque que les Etats-Unis avec

l’installation de nombreuses centrales (43 réacteurs potentiellement opérationnels en 2015 sur plus

de 50 construits au total) qui palliaient à sa faiblesse endémique en ressources. La question toujours

complexe du nucléaire militaire combinée à partir de 1986 à la catastrophe de Tchernobyl a, là aussi,

entrainé une mise en sommeil du développement de nouveau réacteurs. Au cours des années 2000,

une nouvelle politique de relance du nucléaire est portée par les autorités, dans le sillage des Etats-

Unis, et doit en théorie amener 40% de nucléaire dans le mix électrique national. Toutefois, la

catastrophe de Fukushima en 2011 vient couper brutalement ce nouvel élan. Les centrales sont

mises à l’arrêt en attente de l’évaluation de leur dangerosité et elles commencent doucement à

redémarrer en 2015 avec moins de 2% de l’électricité japonaise produite grâce au nucléaire en 2014.

Le nucléaire représente toutefois un savoir-faire industriel majeur d’un pays qui est, de plus, quasi-

totalement dépendant des ressources extérieures pour ses approvisionnements énergétiques. En ce

sens, l’administration Abe tente de remettre la filière nucléaire en état de compétitivité

internationale et d’efficience nationale

La France est le second grand pays nucléaire occidental et le seul au monde où l’électricité d’origine

nucléaire est largement majoritaire dans le mix national (environ 75%). Après avoir longtemps été

dépendant des Etats-Unis pour la technologie des réacteurs, la France a choisi dans les années 1970

la voie de l’indépendance technologique avec la création d’une filière nationale intégrée. Celle-ci a

d’abord été éclatée avec plusieurs entités spécialisées sur des segments particuliers de la chaîne

(Framatome, Eurodif, Cogema), avant la fusion de celles-ci dans Areva au début des années 2000.

Toutefois la déconnexion entre l’entreprise qui maitrise le cycle de l’uranium et construit les

centrales (Areva) et celle qui les opère (EDF) crée une dichotomie technologico-économique18

dommageable pour les engagements internationaux. Les 58 réacteurs français en opération ainsi

que le savoir-faire des entreprises nationales sur l’ensemble de la chaîne de valeur sont un atout

indéniable, même si les retards à répétition du projet EPR de Flamanville ont précipité une

réorganisation de la filière réacteurs sous la bannière d’EDF au détriment de l’option « acteur

intégré » Areva. Le débat sur la transition énergétique en France qui prévoit une diminution de la

part nucléaire dans le mix électrique de 75 à 50% pourrait se révéler dommageable pour la filière,

même si, compte tenu de l’âge de certaines centrales comme Fessenheim, de nouvelles unités

devront être construites. Les scénarios de l’ANCRE prévoient des trajectoires différenciées pour le

nucléaire, surtout en regard de la récupération possible de la chaleur émise par les centrales qui les

17

http://www.ifnec.org/About/Membership.aspx 18

Surtout que l’autre grand électricien français, Engie, est lui aussi un acteur du nucléaire dans plusieurs pays (Royaume-Uni, Belgique, Turquie, etc.).

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17

transforme en unités de cogénération19. Les différents scénarios prévoient tous une diminution de la

part du nucléaire en France, l’ADEME confirme cette vision dans ses prévisions, envisageant une

part du nucléaire dans le mix électrique à 48% en 2030 et entre 50 et 18% en 205020. Les coûts de

maintien du parc actuel s’avèrent importants puisqu’évalués par la Cour des comptes à 58 Mds EUR

d’ici 2030, sans compter les coûts de construction d’éventuelles nouvelles centrales (3,7 millions EUR

par MW si l’on se fonde sur les coûts de l’EPR de Flamanville) qui dépendront de la prolongation ou

non de la vie du parc existant21.

Dernière des grandes puissances traditionnelles du nucléaire, la Russie a su développer une voie

originale depuis la Guerre froide. Il s’est organisé en URSS une science nucléaire théorique amenant

à des applications pratiques avant tout orientées dans le domaine militaire et, de manière

secondaire, vers la production d’énergie civile. Le nucléaire militaire constituait un des pôles majeurs

de puissance de l’URSS que ce soit au niveau des armes nucléaires ou dans celui de la production de

réacteurs destinés aux sous-marins. Le soutien international aux pays alignés sur l’URSS passait

également par la fourniture de solutions nucléaires civiles, notamment pour se positionner en miroir

du programme américain Atoms for peace.

Après Tchernobyl, le secteur est mis en sommeil, même si les réacteurs déjà en construction sont

terminés au cours des années 1990. L’abandon de la filière RBMK jugée trop dangereuse, le

recentrage sur la filière à eau pressurisée (VVER) et les nombreux investissements ont amené à une

réorganisation du secteur en Russie sous l’égide de V. Poutine. Avec la création de Rosatom et le

plan de développement nucléaire en cours, où neuf nouvelles unités sont en construction, la Russie

espère de devenir le champion incontesté du nucléaire civil. L’augmentation de la part du nucléaire

dans la production électrique amène à réduire la part des hydrocarbures fossiles et permet à Moscou

de se positionner vis-à-vis des engagements climatiques de manière plus sereine qu’il y a quelques

années22. 34 réacteurs sont actuellement en service en Russie, faisant du pays le troisième en

capacité installée.

2. Pays émergents

La Chine s’affirme depuis quelques années comme l’un des principaux pays pour le développement

du nucléaire civil. Le nucléaire représente une part très marginale de la production électrique (2% du

mix installé) mais se positionne comme l’une des solutions de choix qui puisse combiner le

développement en masse des capacités de production avec une stabilité des prix relative et des

émissions de gaz à effet de serre très réduites. La Chine est donc l’un des pays où le nucléaire devrait

connaitre les plus importants développements, autant au niveau des capacités installées que du

savoir-faire technologique. Le pays dispose à l’heure actuelle de 17 GW de capacité nucléaire et table

sur une puissance installée de 250 GW en 2050, ce qui en ferait la première puissance nucléaire du

monde.

19

http://scenarios.allianceenergie.fr/?app=ancre&ID_View=scenario-descriptor 20

ADEME (2013), Contribution de l’ADEME à l’élaboration des visions énergétiques 2030-2050, Paris. 21

COUR DES COMPTES (2012), Les coûts de la filière électronucléaire, Paris. 22

Même si la Russie bénéficie au titre de Kyoto de sa désindustrialisation des années 1990.

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18

La Chine s’est d’abord appuyée sur le savoir-faire de la France et du Canada pour ses premiers

réacteurs entrés en opération dans les années 1990. Depuis le début des années 2000 toutefois, le

pays tente de plus en plus de se reposer sur des solutions technologiques nationales. CNNC, la

principale structure nucléaire chinoise développe depuis les années 2000 avec Areva et

Westinghouse une famille technologique nationale à eau pressurisée, les CNP-300, 600 et 1000

(avec des variantes nommées ACP300, 600 et 1000). Ces réacteurs nationaux constituent la plus

grande part des unités en production en Chine à l’heure actuelle et sont de plus en plus proposées à

l’international.

La Chine a choisi de tester sur son sol l’ensemble des technologies de génération III+ à eau

pressurisée et a commandé des centrales EPR à Areva (Taishan 1 et 2), AP1000 à Toshiba-

Westinghouse (Sanmen et Haiyang) et VVER-1000 à Rosatom, à chaque fois en partenariat avec un

acteur local. Le benchmark ainsi opéré en grandeur nature permettra à Pékin de sélectionner les

technologies les plus adaptées selon les conditions particulières de chaque région et aux acteurs

nucléaires chinois de bénéficier de transferts de savoir-faire ou de technologie. La coopération entre

Westinghouse et SNPTC est déjà en cours pour le développement d’un réacteur fondé sur la

technologie de l’AP1000, le CAP1400.

La problématique du nucléaire indien se place dans une double optique. D’un côté, la nécessité pour

le pays d’assurer sa propre sécurité face à des voisins agressifs ou nucléarisés (Chine, Pakistan) l’ont

amené très tôt à envisager le nucléaire militaire comme un choix quasi-obligatoire. De l’autre, dans

une perspective plus récente, l’Inde a besoin d’assurer des conditions de croissance économique et

démographique optimales dans un pays où le niveau des infrastructures reste dramatiquement

faible23. C’est ce double héritage qui a poussé New Delhi à se positionner comme un acteur en retrait

mais non négligeable du nucléaire.

Le développement du secteur nucléaire en Inde est avant tout passé par le déploiement de réacteurs

à eau lourde fondés sur le modèle Candu qui équipent les centrales de Kaiga, Kakrapar, Kalpakkam,

Tarapur, Narora et Rhawatbatha. Ces derniers ont la particularité de pouvoir fonctionner avec un

uranium très peu enrichi voire natif, ce qui a permis à l’Inde de se reposer sur ses propres réserves

nationales. Toutefois cette politique nucléaire pose problème puisqu’à l’heure actuelle, malgré les

quelques 4 GW de puissance installés, seule la moitié fonctionne réellement par intermittence, la

faute justement à un approvisionnement en uranium défaillant24.

Le plan de développement énergétique de l’Inde pour les prochaines décennies est extrêmement

ambitieux. Il prévoir notamment une augmentation de la capacité installée de 148 GW en 2006

jusqu’à 1344 GW en 2050 ; cela s’explique notamment par la volonté de développer la production

électrique de 1000 KWh par tête en 2012 à 5300 en 205025. Le désir des autorités du pays est

d’aboutir à une part du nucléaire proche de 25% dans le mix électrique. Toutefois les projections de

23

40% de la population n’est pas reliée au réseau électrique. 24

DADWAL S., « India's Energy Security: Challenges and Opportunities », Eurasian Geography and Economics, vol. 50, n°6, 2009, pp. 665-681. 25

Plan de développement électrique du Département de l’énergie nucléaire ; disponible à l’adresse : http://dae.nic.in/?q=node/105; consulté le 20/02/2014.

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19

l’Agence Internationale de l’Energie se montrent bien moins optimistes avec surtout la mise en

avant du coût pour l’Inde d’une telle transition énergétique, estimé à plus de 1250 milliards USD26.

La Corée du Sud est le troisième grand émergent du nucléaire. Le pays se lance depuis quelques

années dans les technologies liées à l’énergie pour réduire sa dépendance aux approvisionnements

extérieurs. Dans ce cadre, le nucléaire est l’une des solutions privilégiées par Séoul qui a su aider le

développement d’une filière nationale originale. Le pays connait une vague d’installations de

nouvelles centrales depuis le milieu des années 1980 avec 24 réacteurs en opération, la majorité

étant des réacteurs à eau pressurisée Westinghouse et quelques réacteurs à eau lourde Candu. La

Corée du Sud a su s’imposer ces dernières années comme un nouvel acteur des solutions nucléaires,

avec la création, sur une base technologique américaine, d’une filière de réacteurs à eau pressurisée,

OPR-1000 tout d’abord puis APR-1400. L’opérateur national se déploie de plus en plus sur les

marchés extérieurs comme en témoigne le succès de l’appel d’offres d’Abu Dhabi en 2010 remporté

face à Areva/EDF.

3. Autres

De nombreux pays se positionnent vis-à-vis des questions nucléaires, la plupart du temps de

manière positive. A l’exception de l’Allemagne qui a annoncé sa sortie anticipée du nucléaire et de la

Suisse et de l’Italie qui ont prolongé leur moratoire sur ces questions, de nombreux pays européens

comptent sur le maintien voire le développement de leur secteur nucléaire, principalement à l’Est.

Le Royaume-Uni fait figure quant à lui de pays à part dans ce panorama. Alors que les Britanniques

étaient parmi les pays en pointe sur les questions de nucléaire civil – et militaire – jusque dans les

années 1990, l’arrêt du programme national qui avait pourtant permis la création de technologies

originales comme les AGR et Magnox (réacteurs à gaz), a entrainé la baisse progressive de la part du

nucléaire dans la production d’électricité. Toutefois en 2015 le gouvernement a décidé de mettre à

nouveau l’accent sur le nucléaire pour être en mesure d’atteindre les objectifs climatiques fixés au

niveau européen, avec le recours à des réacteurs de technologie étrangère (EPR, AP1000, ESBWR).

L’accord signé entre le gouvernement britannique et EDF pour la centrale d’Hinkley Point en 2015

inaugure également une forme inédite de coopération, puisqu’outre l’entreprise française, les

chinois CNNC et CGN participeront au projet27. Cette intégration dans le consortium de la centrale

d’Hinkley Point qui se fait pour des raisons purement économiques, leur ouvre la voie pour le

management de projets internationaux dans le futur. Le Royaume-Uni devrait donc connaitre une

certaine renaissance du nucléaire, d’autant plus que le pays maitrise l’ensemble de la chaine de

valeur de l’uranium mais en s’appuyant sur des partenaires étrangers, notamment pour des

questions de financement, ce qui constitue néanmoins un risque pour l’indépendance technologique

du pays.

De nombreux pays se positionnent également comme primo-accédant déclarés ou potentiels. La

Turquie a effectué un choix décisif avec la volonté de construire deux centrales, Akkuyu confiée au

26

Agence internationale de l’énergie, World Energy Outlook 2007, Paris, OCDE, 2008, pp. 129-130. 27

http://www.ft.com/intl/cms/s/0/d96226f2-76a7-11e5-a95a-27d368e1ddf7.html

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russe Rosatom avec, pour la première fois, un contrat BOO et Sinop, remportée par un consortium

GDF-SUEZ (désormais Engie) – Mitsubishi Heavy Industries. Alors que le nucléaire devait permettre

à la Turquie de diversifier son mix énergétique, le choix de la Russie comme premier partenaire

aboutit plutôt à un renforcement de la dépendance vis-à-vis de ce pays.

Les pays du Proche et du Moyen-Orient se tournent de plus en plus vers le nucléaire pour des

questions de diversification de leur mix énergétique ou d’augmentation de l’approvisionnement

énergétique (pour le dessalement de l’eau de mer en particulier). Si l’Iran a fait figure de pionnier

avec un programme démarré sous le Shah et poursuivi avec un soutien technique de la Russie,

d’autres pays comme les Emirats Arabes Unis, la Jordanie ou, en prospective, l’Arabie Saoudite font

le choix du nucléaire. Il s’agit souvent de contrats importants comme en témoigne celui d’Abu Dhabi

de 2010 remporté par le coréen Kepco, portant sur 4 réacteurs de 1000 MW. Les pays de la région

poursuivent une politique d’accords tous azimuts, comme dans le cas de l’Arabie Saoudite qui

multiplie les partenaires, y compris la Chine.

III. Acteurs multilatéraux

La principale organisation transverse dédiée au nucléaire civil est l’AIEA qui se trouve sous égide de

l’ONU. Cette organisation est particulièrement active dans deux domaines. Le premier, et le plus

important, est celui de la sûreté où l’AIEA sert de forum de coopération à des nombreux pays,

émettant des normes. Plusieurs traités existants permettent de disposer de processus communs en

termes de seuils d’alerte, de coopération transnationale ou de standards de sûreté à mettre en

œuvre. Après d’intenses négociations, la Convention sur la notification rapide des accidents et la

Convention sur l’assistance voient le jour ; le régime de la sûreté est établi en 1994 avec la

Convention sur la Sûreté nucléaire. Cette dernière est révisée périodiquement avec le concours des

Etats signataires. Signalons en outre la Conventions sur la Sûreté nucléaire de 1994 ainsi que la

Convention commune sur la gestion des déchets signée en 2001.

L’autre grand domaine d’action de l’AIEA est la coopération pour le développement de capacités

dans les pays technologiquement moins avancés. A ce titre, l’agence onusienne finance et organise

le développement technologique de l’extraction en Afrique au travers du programme Strengthening

Regional Capabilities for Uranium Mining, Milling and Regulation of Related Activities, actif de 2009 à

2013. Cela permet aux compagnies minières et aux Etats d’Afrique d’être un peu moins dépendants

des grandes entités transnationales du Nord. En outre, l’AIEA joue un rôle actif dans le respect des

engagements du Traité de Non-Prolifération. Ces dernières années, l’AIEA s’est principalement

impliquée vis-à-vis de l’Iran, soupçonné de chercher à acquérir une capacité nucléaire militaire avec

l’aide de la Russie, en contradiction avec les engagements pris.

Le Groupe des Fournisseurs Nucléaires (GFN) est un forum multinational de pays détenteurs des

technologies en termes de réacteurs et de combustibles. Il a été créé par les principaux pays

nucléaires pour éviter une prolifération des technologies « militarisables » et s’appuie sur le TNP.

Une des principales explications du retard de l’Inde en matière technologique et de sa voie

particulière tient à l’embargo imposé par le GFN suite aux essais militaires nationaux.

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L’International Framework for Nuclear Energy Cooperation (IFNEC ancien GNEP28) est lui aussi un

forum multilatéral de coopération, regroupant de nombreux pays et organisations. Initié par les

Etats-Unis, il devient à partir de 2010 beaucoup plus international quand le Department of Energy

(DoE) s’en retire. L’IFNEC est l’un des principaux forums de coopération multinationaux et multi-

acteurs puisque l’AIEA en est membre, permettant l’accès progressif des pays primo-accédant aux

technologies du nucléaire, en partie par la formation et la transmission de bonnes pratiques.

D’autres associations existent au niveau professionnel, comme le WANO (World Association of

Nuclear Operators) ou la WNA (World Nuclear Association) qui permettent des retours d’expérience

entre opérateurs pour les questions de sûreté principalement et produisent des statistiques. Il s’agit

là, contrairement aux acteurs multinationaux précités, de réunions d’entreprises (publiques et

privées) qui cherchent à agir comme des associations professionnelles, voire des lobbies.

Développements en cours ou en projet

I. Nouvelles technologies de réacteurs

1. Génération IV

A l’horizon 2030, certaines technologies de réacteurs appartenant à la quatrième génération de

ceux-ci devraient arriver sur le marché et être disponibles pour certains pays. Les réacteurs de

génération IV qui présentent des évolutions significatives par rapport à ceux des générations

précédentes devraient permettre une meilleure gestion amont et aval du combustible et offrir une

sûreté renforcée de fonctionnement. Une grande variété de familles technologiques (six au total)

appartient à cette génération de réacteurs avec des recherches entreprises pour les développer

depuis le début des années 2000. L’une des particularités de certaines de ces filières est de

permettre l’utilisation de thorium comme combustible, en l’associant avec d’autres éléments

comme l’uranium ou le plutonium. Il s’agit des réacteurs à sels fondus (MSR pour Molten Salt

Reactor) et des différents types de réacteurs à neutrons rapides. D’autres types de combustibles

comme le TRISO29 pourraient également être utilisés dans certaines centrales.

Le Forum International Generation IV (GIF) a été créé au début des années 2000 suite à une initiative

des Etats-Unis pour développer la coopération internationale sur ces nouvelles technologies. Il

réunit aujourd’hui de nombreux pays (12 + l’Union européenne) dont les Etats-Unis, la Russie, la

Chine, la France et la Corée du Sud autour des questions de coopération tant scientifiques que

technologiques pour la création de centrales de nouvelle génération. Le GIF s’avère un succès

certain puisque les accords de coopération le sous-tendant ont été renouvelés en 2015 pour une

28

Voir supra. 29

Voir infra.

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durée de 10 ans ; il est partiellement sous égide de l’Agence pour l’Energie Nucléaire (NEA) de

l’OCDE.

Toutefois, des dissensions existent parfois quant à la voie technologique à suivre. Au niveau de

l’Union européenne par exemple, aucune décision n’a été prise quant à l’option à privilégier et des

projets de recherche s’orientent dans plusieurs directions30. Les deux principales sont les réacteurs à

très haute température (VHTR pour Very High Temperature Reactor) avec le projet RAPHAEL

achevé en 2010-201131 et les réacteurs refroidis au sodium (SFR pour Sodium-cooled Fast Reactor)

avec le projet ASTRID porté par la France. Ces deux technologies sont les plus avancées en termes

industriels, la technologie SFR ayant d’ailleurs donné lieu par le passé à différents essais

technologiques en Europe (Phénix, Superphénix, Dounreay) au Japon, aux Etats-Unis ou en Russie.

L’état de la coopération technologique montre ainsi qu’il est rare pour un pays de réellement

privilégier une seule filière. 32 La plupart participent aux recherches dans tout le spectre

technologique, au risque de saupoudrer leurs financements33.

Il est peu probable néanmoins qu’une des 6 technologies mentionnées soit pleinement mature en

2030. Toutefois certaines d’entre-elles, plus probablement les SFR et VHTR voire LFR devraient

s’approcher de ce seuil critique, sachant que le GIF accuse un certain retard par rapport à ce qui avait

prévu lors de la feuille de route. Toutefois il est probable qu’aucune de ces technologies ne soit

mature avant 2040 voire 2050.

Figure 6: Différence de maturité entre les filières de génération IV ; source : GIF Roadmap 2014.

30

http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-07-493_en.htm 31

http://www.irsn.fr/FR/Larecherche/Organisation/Programmes/RAPHAEL/Pages/Le-projet-RAPHAEL-5197.aspx#.Vijy9ys-2Vo 32

Même si la France et la Russie semblent clairement s’orienter vers les réacteurs SFR avec l’ASTRID français et la famille technologique BN en Russie. 33

Voir annexe.

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2. Autres technologies

1. Génération III +

Au-delà des différentes options technologiques ouvertes pour les réacteurs de génération IV, force

est de constater qu’à l’heure actuelle les réacteurs de génération III+ sont encore en développement.

Les grands constructeurs de réacteurs proposent ainsi tous des solutions de ce type, destinées à

devenir d’ici la fin de la décennie, les nouveaux fleurons technologiques mondiaux. Les principales

solutions sont l’EPR Areva, l’AP1000 Toshiba-Westinghouse et le VVER-1000/1200/NPP-2006

Rosatom dont une première unité est en construction dans le monde (France, Finlande et Chine pour

l’EPR, Chine et Etats-Unis pour l’AP1000, etc.). D’autres acteurs comme Candu (APR-1000) ou GE-

Hitachi (ABWR et ESBWR) proposent également des unités de génération III+ mais apparaissent plus

comme des compétiteurs secondaires, les principales demandes se faisant sur des réacteurs à eau

pressurisée de grande puissance (plus de 1200 MW installés). Cela permettra en outre dans un

certain nombre de pays comme la Russie de fermer des unités de générations anciennes ou de

technologies peu sures (RBMK).

Si elle ne modifie pas radicalement le mode de fonctionnement des unités en service actuellement,

la génération III+ offre néanmoins davantage de sûreté à ses opérateurs et diminue le nombre de

déchets produits, ce qui constitue une avancée notable pour les deux principales problématiques

nucléaires. Toutefois la complexité de construction de ces réacteurs les rend plus long à construite et

donc à entrer en service avec, parfois, des surprises désagréables comme c’est le cas pour les EPR de

Flamanville et d’Olkiluoto. La plupart des premières unités de génération III + devraient entrer en

fonction d’ici la fin de la décennie (2017 pour les AP1000 de Vogtle aux Etats-Unis). Ces premières

unités seront décisives pour l’avenir de chacune des filières technologiques envisagées, les retards

des EPR ayant, partiellement, été à l’origine des graves difficultés d’Areva et de l’entrée d’EDF dans

la partie construction de réacteurs de la société française.

2. Autres solutions

D’autres technologies sont également en cours de développement pour répondre à des besoins

particuliers. A ce titre, la technologie russe de « réacteurs flottants », pourrait offrir des solutions

intéressantes pour les pays ou les régions disposant d’une façade maritime et désireux de disposer

d’une puissance d’appoint. Ces réacteurs se fondent sur une des particularités de Rosatom, celle

d’englober en son sein l’ensemble des acteurs du nucléaire russe, y compris les brise-glaces de

l’Arctique. Les « centrales flottantes » KLT 40-S seraient ainsi des modifications de ce type de

navires pour y inclure deux réacteurs de puissance limités de 35MW chacun.

De nombreuses autres solutions limitées en termes de puissance existent. Ce sont principalement

les réacteurs dits de recherche dont la puissance installée ne dépasse pas les quelques dizaines de

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MW électriques. Ils sont principalement utilisés pour le développement à grande échelle des futures

technologies ainsi que pour la recherche fondamentale. Plus d’une cinquantaine de pays disposent

ainsi de ces réacteurs sans forcément chercher à se développer dans la production électrique à

grande échelle. Les petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactor, SMR) qui devraient être dès

2016 permettraient aussi de disposer d’une puissance installée limitée pour des régions aux faibles

besoins par exemple34, mais surtout de mettre en pratique une conception et un déploiement

modulaire, potentiellement utile pour des installations plus importantes dans le futur.

II. Avancées dans l’amont du cycle de l’uranium

1. Nouveaux projets miniers d’uranium

En 2014, les ressources prouvées et probables d’uranium extractibles à des coûts raisonnables

(inférieurs à 260 USD/Kg) s’établissent à environ 7 235 600 tonnes. Entre 2011 et 2014 les

changements intervenus dans les estimations des ressources d’uranium ont surtout eu lieu dans les

catégories minières les plus chères (plus de 80 à plus de 160 USD/Kg) mettant en avant les surcoûts

nécessaires pour l’extraction d’uranium dans les futures années. Un certain nombre de pays ont ainsi

vu leurs estimations de ressources augmenter, notamment la Mongolie, le Kazakhstan, le Danemark

(Groenland), la République Tchèque et l’Afrique du Sud35.

Figure 7: Dépenses en E&P d'uranium ; source : OCDE (NEA).

34

La désalinisation d’eau de mer est un marché porteur pour les SMR dans le golfe Persique par exemple. 35

D’autres pays disposeraient quant à eux de réserves possibles à l’estimation particulièrement complexe. Citons, outre les pays miniers traditionnels, la Colombie, le Venezuela et le Vietnam.

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25

Dans ce contexte, divers pays pourraient devenir des fournisseurs importants ou d’appoint,

complétant l’offre actuelle d’uranium. En 2013, le gouvernement du Groenland a ainsi levé le

moratoire sur l’exploitation des matériaux radioactifs, ouvrant la voie à une possible ouverture de

mines d’uranium ou de thorium. Les dépenses concernant l’exploration-production d’uranium n’ont

cessé d’augmenter jusqu’en 2013, signe de la volonté d’identifier et de mettre en production de

nouvelles ressources de minerai.

Dans le cadre d’une éventuelle remontée des cours miniers d’ici à 2030, une reprise des

investissements, en baisse depuis 2013, serait à prévoir. Si l’engouement international pour le

nucléaire ne se dément pas, il devrait également provoquer l’ouverture de nouvelles unités de

production.

Dans ce cadre, deux cas de figure se profilent. D’une part, l’ouverture de nouvelles mines dans des

pays déjà traditionnellement riches en uranium comme le Canada ou le Niger serait à prévoir. La

compétition accrue entre les acteurs purement miniers et les énergéticiens spécialistes devrait

s’accroître, surtout avec la montée en puissance des émergents. La compétition entre Areva et

CNNC au Niger, où l’entreprise chinoise dispose depuis 2011 de la mine d’Azelik est révélatrice de ce

genre d’évolutions36. Les pays les plus exposés à cette hypercompétition seraient ceux ne disposant

pas d’acteurs miniers nationaux et regardant la rente issue de l’uranium avant tout comme la source

principale de leur financement ; à savoir le Niger, la Namibie voire la Tanzanie.

L’autre grand cas de figure serait l’entrée d’un pays sur le marché mondial de l’uranium comme

acteur important, bien qu’il ne soit qu’un pays secondaire ou qu’il n’exploite pas du tout ses

ressources. Dans ce cadre le pays en question deviendrait immédiatement une zone de compétition

forte pour les acteurs internationaux ce qui pourrait entrainer un afflux de richesses mais aussi des

déstabilisations politiques à plus ou moins long terme. Se trouveraient dans ce cadre la Mongolie, le

Botswana, le Danemark (Groenland), la Jordanie voire la Colombie.

2. Mines d’autres combustibles

Les principales avancées dans les autres types de combustibles devraient se faire vis-à-vis du

thorium 233. Ce dernier élément naturel est plus abondant que l’uranium sur Terre ; de trois à cinq

fois plus. Le thorium 233 est moins énergétique que l’uranium 235, aussi il ne peut constituer une

totale alternative à ce dernier. Toutefois, des solutions sont développées pour intégrer plus avant

cet élément au sein du combustible afin d’élargir les sources d’approvisionnement en matières

fissibles ainsi que d’augmenter la durée d’exploitation des gisements d’uranium actuels.

36

Il est très fortement probable que ce soit en grande partie la poussée chinoise dans le pays qui ait amené à une renégociation bien plus serrée des contrats d’Areva pour les mines de la Cominak et de la Somaïr.

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26

Le thorium n’est pour l’instant pas exploité pour lui-même, mais il est possible d’en trouver dans des

dépôts miniers en exploitation ou en projet comme celui de Nolans Bore en Australie qui contient

également des terres rares37.

3. Enrichissement / combustible

Dans l’aspect du combustible, certaines avancées, notamment dues aux réacteurs de génération IV,

devraient permettre l’utilisation de nouvelles ressources38. Les technologies d’enrichissement par

laser qui viendraient en soutien des technologies à gaz devraient permettre, si elles sont

économiquement rentables, de développer une nouvelle filière pour la création de combustible

nucléaire. Le TRISO39 et le QUADRISO pour les réacteurs à très haute température notamment

pourraient représenter des avancées notables en ce qui concerne les résidus de fission et la sureté

des installations. Le cas du MOX est particulier puisque les réacteurs à neutrons rapides ont

l’avantage de dégrader entièrement le plutonium, limitant ainsi très fortement les déchets associés

avec ce type de combustible. Ici aussi, les technologies de génération IV permettraient de réduire la

masse de déchets produits et ainsi de rendre plus complexe la prolifération par l’utilisation des

produits de la réaction.

De la même manière, des efforts sont entrepris pour la valorisation accrue des combustibles. Une

coopération entre Candu et CNNC existe depuis 2008 pour développer de nouvelles manières

d’utiliser des résidus de fission et du thorium dans les réacteurs Candu chinois. La coopération sur le

développement de nouveaux types de combustibles est l’une des principales voies d’amélioration de

la performance environnementale des centrales nucléaires.

III. Avancées dans l’aval du cycle de l’uranium

1. Retraitement

L’augmentation du nombre de réacteurs en service a nécessairement un impact sur la question des

déchets nucléaires. En 2014, environ 11 000 tonnes de combustible usé sont produites dans le

monde.

37

Le thorium est souvent associé à ces dernières comme dans les extractions de la mine de Steenkampskraal en Afrique du Sud ouverte de 1950 à 1963. 38

Les différents types de réacteurs de génération IV devraient utiliser une palette assez vaste de combustibles ; seuls certains sont ici mis en avant. 39

https://www.gen-4.org/gif/jcms/c_60839/latest-progress-in-the-development-of-vhtr-triso-fuel

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27

Au niveau européen des programmes de recherche (notamment du 7e Programme Euratom),

certaines technologies sont développées, en particulier celles de partition et transmutation40. Ces

technologies permettraient de mieux isoler chacun des composants du combustible usé pour

adapter les traitements et les différents types de stockage à chacun des matériaux ainsi séparés.

Figure 8 : Processus de retraitement ; source : Japan Atomic Energy Agency.

2. Enfouissement

Les recherches européennes sur les questions liées à l’enfouissement des déchets nucléaires

devraient déboucher dans les années 2020 sur la mise en service de centres de stockage souterrains.

La Suède qui s’affirme comme un pays pionnier en la matière construit un centre d’enfouissement

profond à Forsmark qui devrait être terminé d’ici la fin de la décennie et entrer en opération

commerciale avant la fin de la suivante après de longs tests. La France est également pionnière en

ce domaine pour disposer de l’ensemble des capacités tout au long de la chaine de valeur de

l’uranium.

De nombreux pays envisagent ainsi la question de l’enfouissement des déchets de longue-durée à

l’instar de la France, et d’autres pays européens comme le Royaume-Uni, mais aussi des Etats-Unis

et du Canada.

40

http://ec.europa.eu/research/energy/fission/microscope/disposal/index_en.htm

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28

Indicateurs

I. Disponibilité et prix de l’uranium

La volatilité des cours mondiaux de l’uranium est ainsi l’une des principales craintes des pays primo-

accédant à la technologie nucléaire. Le marché de l’uranium est différent par essence de celui du

pétrole ou du gaz par son côté éminemment stratégique et surveillé, alors même qu’il reste une

matière première minière. Sa nature même le rend ainsi très complexe à anticiper, puisque qu’il peut

subir de brusques évolutions41. La différence entre les prix sur le marché spot extrêmement volatils

et les prix sur le marché de long terme, lui-même sujet à d’importantes variations42, est finalement

relativement peu importante sauf dans des cas de brusque hausse de la demande comme en 2007-

200843.

Au vu de l’évolution probable du secteur nucléaire, les projections de la demande mondiale en

uranium en 2035 évoluent entre 97 645 t et 136 385 t soit un indice oscillant entre 150 et 209 en base

100 par rapport à 2011. Il en résulte une évolution des cours de l’uranium à la hausse avec un

quintuplement des prix du kilogramme d’uranium naturel entre 2001 et 2011 et une projection de

hausse constante, voire s’accélérant, avec le développement de nouvelles centrales partout dans le

monde d’ici à 2030-2035. Le positionnement d’Atomenergoprom - via la filiale minière ARMZ

présente en Russie, au Kazakhstan, en Tanzanie et aux Etats-Unis et la filiale de vente de

combustible TENEX implantée au Japon, aux Etats-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni et en

Corée du Sud – est idéal sur le marché. En contrôlant de nombreuses mines, Atomenergoprom est

l’un des leaders mondiaux de l’exploitation d’uranium – dont le traitement est opéré en Russie par la

filiale TVEL – et dispose de tous les circuits de distribution internationaux. C’est également une

grande force de la Russie de disposer d’un modèle d’intégration verticale Rosatom-

Atomenergoprom qui permet d’offrir aux futurs clients l’assurance d’une fourniture pérenne de

combustible pour les centrales. Areva se positionne également sur ce créneau, même si le

découplage de la partie construction de réacteurs du reste de l’entreprise pourrait limiter cet aspect

verticalement intégré pour l’entreprise française.

Les contraintes environnementales et celles liées à l’image, dégradée, de la technologie nucléaire

devraient également jouer sur la question de la disponibilité et des prix de l’uranium. Les ONG

s’attaquent ainsi de plus en plus aux grandes entreprises du secteur, y compris sur la partie minière.

Areva a d’ailleurs été la cible de plusieurs ONG dont Oxfam pour son action au Niger en 2013, Rio

Tinto a été mise en cause en Namibie par l’ONG Labour Resource and Research Institute en 2009,

etc.

41

DU CASTEL V., « Les problématiques énergétiques, enjeu de déstabilisation ? L'exemple du nucléaire », Revue internationale d'intelligence économique, 2010/2 vol. 2, pp. 263-275. 42

CHALMIN P. (dir.), Les marchés mondiaux 2012, Paris, Economica, 2012, pp. 600-601. 43

AIEA-OCDE, Uranium 2011, op. cit., p. 114.

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29

II. Structure de la concurrence

Le secteur du nucléaire a connu depuis les années 1960 jusqu’aux années 2000 une certaine

concentration des entreprises proposant aussi bien des réacteurs que la fourniture de combustible.

A partir de la décennie 2000 toutefois, une certaine diversification a émergé avec l’entrée sur le

marché international du coréen Kepco et de ses réacteurs APR-1400. Certes, ces derniers sont en

grande partie issus d’une technologie américaine Westinghouse, mais il est toutefois important de

noter que Kepco, suite à sa victoire dans l’appel d’offres d’Abu Dhabi en 2010, se positionne comme

un nouvel acteur sur les marchés étrangers. Néanmoins, eu égard à la taille réduite de Kepco et à sa

dépendance technologique toujours présente en partie, l’acteur sud-coréen devrait rester un

compétiteur secondaire comme peut l’être aujourd’hui le canadien Candu.

La principale hypothèse concernant l’évolution de la concurrence dans le secteur des réacteurs

concerne plutôt la Chine. Après avoir passé plusieurs décennies à développer des solutions

nationales (familles CNP et ACP), les entreprises d’Etat CNNC et CGN ont développé leur structure

commerciale. CNNC a introduit en bourse une filiale en mai 2015 (China National Nuclear Power) de

la même manière que les pétroliers d’Etat avaient créé des filiales internationales cotées44 pour

s’internationaliser. Ceci pourrait être la première étape au développement à l’étranger de

l’entreprise d’Etat qui a signé (avec l’autre entreprise chinoise du nucléaire CGN) un accord avec EDF

pour la construction de l’EPR britannique d’Hinkley Point45. Bénéficiant depuis plusieurs années de

coopérations technologiques avec les grandes entreprises étrangères et de la construction en Chine

(avec des partenariats avec les entreprises locales) de réacteurs de génération III+ (EPR Areva,

VVER-1000 Rosatom et AP1000 Toshiba-Westinghouse), CNNC dispose de nombreuses possibilités

pour améliorer ses connaissances technologiques. La maturité éventuelle d’un réacteur de

conception partiellement chinoise à l’horizon 2030, dans l’optique de ventes à l’étranger, est à

prendre en compte pour évaluer l’évolution du panorama industriel mondial. Surtout si le contrat

d’Hinkley Point lui permet d’acquérir un vrai savoir-faire de gestion de projets à l’international, ce qui

est l’une des principales faiblesses de la Chine en ce domaine.

D’autre part, des concentrations entrepreneuriales ne sont pas à exclure. La présence de deux

opérateurs américano-japonais, bien que s’orientant vers deux filières technologiques différentes,

pourrait amener à une fusion. La faiblesse de la filière à eau bouillante, si jamais les nouveaux

réacteurs ESBWR et ABWR de GE-Hitachi devaient être des échecs commerciaux, pourraient

amener à une fusion entre GE-Hitachi et Toshiba-Westinghouse. De la même manière, le canadien

Candu qui mise sur le réacteur ACR-1000 de génération III+ pour continuer son développement

pourrait, en cas d’échec, attiser les appétits de pays émergents comme l’Inde qui a développé sa

technologie nationale sur une base Candu.

44

PetroChina pour CNPC, Sinopec Ltd pour Sinopec, etc. 45

http://www.lemonde.fr/entreprises/article/2015/10/19/edf-trouve-un-accord-avec-la-chine-pour-construire-ses-epr-au-royaume-uni_4792677_1656994.html

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30

III. Coopération internationale

Au fil du temps, le nucléaire qui s’envisage selon des intérêts avant tout nationaux, a donné lieu à la

création de nombreuses organisations internationales, qu’elles soient très formalisées comme

l’AIEA ou plus sous la forme de forum comme le Forum Génération IV. Cette dualité qui peut parfois

s’apparenter à de la coopétition est structurante du secteur nucléaire mondial et tend, selon les

problématiques, à favoriser les pays émergents ou les puissances établies.

Le cas du Groupe des Fournisseurs Nucléaires est révélateur puisqu’il permet aux pays détenteurs

des technologies et des capacités en approvisionnement de combustible de contrôler les transferts

de ceux-ci. Cela implique le respect d’un ordre établi au travers du TNP et des articles additionnels

de ce dernier. Ainsi, les pays occidentaux ont pu mettre l’Inde à l’index de la coopération et du

développement nucléaire pendant de nombreuses années par une forme d’embargo sur les

technologies qui pouvaient potentiellement être détournées à des fins militaires. D’un autre côté, le

Forum Génération IV qui associe ces mêmes puissances établies à des pays en développement

nucléaire comme la Chine peut bénéficier de la coopération technologique des pays les plus avancés.

La multiplication des aires de coopération ces dernières années avec l’IFNEC (créé en 2006 sous le

nom de GNEP), ITER (officiellement créé en 2007)46 ou même le Forum Génération IV de 2000, a

développé les différentes passerelles technologiques et économiques entre les pays. Si le principal

organisme de coopération, notamment sur les aspects de sûreté, demeure l’AIEA, il est certain que

la multiplication des lieux de discussion et des problématiques sur lesquelles les différents pays et

entreprises échangent peut accélérer la diffusion du progrès technologique. Néanmoins, il

appartient de noter qu’une trop grande extension des parties-prenantes ou des sujets de

coopération peuvent aboutir à des blocages ou à des ralentissements nets, comme en témoigne le

projet ITER47.

L’état de la coopération internationale apparait donc comme un déterminant majeur de la recherche

et de la diffusion technologique que ce soit pour les centrales elles-mêmes aussi bien que pour l’aval

du cycle (retraitement et enfouissement) et pour la sûreté. La maturité technologique de la

génération IV qui ouvrirait de nouvelles perspectives au nucléaire dépendra certainement de cette

coopération qui s’entend aussi bien dans des aspects purement technologiques que dans la

formation des personnels, notamment pour les pays primo-accédants48.

46

Réacteur expérimental à fusion installé à Cadarache en France. 47

http://energie.lexpansion.com/energie-nucleaire/iter-beaucoup-de-retards-et-trop-de-surcouts_a-32-4387.html 48

Des organismes communs de formation voient le jour ces dernières années comme la World Nuclear University cofondée par l’AIEA, l’OCDE (NEA), le WANO et la World Nuclear Association.

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31

Prospective

I. Scénario A : développement constant du nucléaire

Sans accident majeur, ni avancée technologique amenant à un breakeven économique dans le

secteur de l’énergie, le nucléaire poursuit son développement régulier. La maturité des réacteurs de

génération III+ qui sont déployés en masse dans les pays émergents mais qui commencent à être

construits également dans les pays les plus avancés (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, etc.) permet

de prendre mieux en compte ces derniers dans les mix énergétiques nationaux. Cette démonstration

de la sûreté des installations et de l’efficience de la technologie quand il s’agit de disposer d’une

centrale ayant une grande capacité de production électrique, convainc nombre de pays de se

tourner vers le nucléaire (Arabie Saoudite, Indonésie) ou de reprendre leur développement (Afrique

du Sud, Brésil). Les textes adoptés lors des conférences COP de l’UNFCCC, s’ils vont dans le sens

d’une plus grande prise de conscience des dangers du changement climatique, n’imposent pas

durcissement drastique du Protocole de Kyoto. Chaque pays est invité à faire le maximum d’efforts

chez lui pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, sans qu’un mécanisme de sanctions ou de

taxation forte dès la première tonne émise n’entre en vigueur.

La coopération internationale permet l’arrivée sur le marché de certaines technologies liées aux

centrales de génération IV vers 2030-2040, notamment sur les filières au sodium et à très haute

température. Le contrôle exercé par le Groupe des Fournisseurs Nucléaires ainsi que le nouveau rôle

de l’AIEA comme autorités gérant des banques de combustible permettent de renforcer l’idée d’un

meilleur contrôle sur les potentialités de militarisation des technologies nucléaires civiles. Les

avancées dans les technologies liées au retraitement et à l’enfouissement, permettent de

tranquilliser, du moins de manière minimale, les consciences de la société civile des pays

occidentaux quant au devenir des déchets nucléaires qui se multiplient.

Le secteur industriel du nucléaire est marqué par le développement de la place des émergents, à

commencer par la Chine, qui s’affirment de plus en plus comme des acteurs importants en devenir

que ce soit sur la construction des réacteurs ou sur l’extraction d’uranium. Toutefois, ces derniers

peinent encore à disposer de technologies sur l’ensemble du cycle de l’uranium et doivent toujours

s’en référer pour cela aux grandes puissances traditionnelles. Des regroupements économiques

peuvent avoir lieu, notamment en Europe, mais sans bouleverser le panorama du secteur qui reste

marqué par un éclatement des filières avec une part prépondérante de l’eau pressurisée. L’objectif

du doublement de la part du nucléaire dans le mix énergétique mondial en 2050 par rapport à 2007

(6 à 12%) paraît envisageable.

En ce sens, les puissances traditionnelles (Etats-Unis, France, Russie, Japon) restent dominantes

dans le secteur et l’Europe conserve son rôle comme continent leader dans un certain nombre de

sous-domaines comme l’enrichissement et le retraitement des déchets. Toutefois la France est

soumise à une situation concurrentielle de plus en plus importante pour l’accès aux ressources

minières en uranium. En effet, avec la montée en puissance des émergents, notamment de l’Inde et

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32

de la Chine, la position française au Kazakhstan et au Niger est fragilisée. En ce sens de nouvelles

mines pourraient être ouvertes, parfois dans de nouveaux territoires comme en Mongolie.

II. Scénario B : accident majeur limitant la part du nucléaire

Au cours des années 2020 un accident majeur se produit sur un réacteur nucléaire de génération III+

en Chine. Il s’agit d’un réacteur nouvellement installé, se situant à proximité d’une zone peuplée de

Chine orientale. De nombreux morts sont à déplorer dans cet accident et les autorités chinoises, si

elles tentent d’imposer un blackout médiatique, ne réussissent qu’à provoquer des fuites sur le Net

où l’on trouve de nombreuses vidéos des conséquences environnementales et sanitaires. La zone

contaminée étant une région industrielle dense du pays (la province du Hubei par exemple), cela a

un impact direct sur l’économie chinoise et, par ricochet sur celles qui lui sont liées. La

contamination s’étend alentours et touche l’Asie du Sud-Est, l’Inde et même le Japon.

L’enquête met au jour que la défaillance ayant entrainé cette catastrophe, si elle ne peut pas

exempte de responsabilités humaines, est avant tout due à des problèmes technologiques au sein

du réacteur lui-même. Celui-ci est issu de la filière à eau pressurisée de génération III+ qui était la

voie de développement privilégiée par la Chine pour son secteur nucléaire. Si cet accident ne stoppe

pas le secteur nucléaire chinois, en plein développement au moment où il se produit, il crée

néanmoins une psychose nucléaire dans le pays et de nombreuses vagues de protestation.

En outre, cette psychose nucléaire se développe également dans les pays occidentaux où le souvenir

des accidents des années 1970-80 (Three Miles Island, Tchernobyl) donne lieu à une théorie de « la

dangerosité intrinsèque insupportable » du nucléaire civil. Des manifestations se multiplient en

Europe et aux Etats-Unis, faisant pression sur les décideurs politiques. Certains pays choisissent de

mettre fin à leurs programmes de construction de nouvelles centrales nucléaires, soit en terminant

les centrales déjà en cours de construction, soit en abandonnant les chantiers lorsque ceux-ci en sont

aux premiers stades. De nombreux pays dans le monde comme le Brésil qui hésitaient sur le choix du

nucléaire s’orientent vers un abandon de celui-ci ou privilégient d’autres filières énergétiques

(renouvelables, efficacité énergétique, stockage, centrales à gaz à cycles combinés, etc.) pour ne pas

se heurter à leur opinion publique. Ceci est d’autant plus possible que les textes adoptés lors des

conférences COP de l’UNFCCC, s’ils vont dans le sens d’une plus grande prise de conscience des

dangers du changement climatique, n’imposent pas de durcissement drastique du Protocole de

Kyoto. Chaque pays est invité à faire le maximum d’efforts chez lui pour réduire ses émissions de gaz

à effet de serre, sans qu’un mécanisme de sanctions ou de taxation forte dès la première tonne

émise n’entre en vigueur. Le nucléaire n’est donc pas immédiatement nécessaire et des choix

peuvent être faits en faveur notamment du gaz.

Il en résulte pour le secteur industriel une baisse dramatique des commandes, et des pertes

économiques colossales. Le processus de coopération internationale, notamment sur la génération

IV et ITER est ralenti, les pays ne voulant plus financer de manière importante la recherche nucléaire.

Dans ce cadre, les entreprises les plus fragile sont forcées de se restructurer ce qui peut entrainer des

fusions (éventuellement GE-Hitachi absorbée par Toshiba-Westinghouse) ou des rachats (Candu par

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un acteur institutionnel indien). Cela aboutit à une concentration du secteur où ne subsistent que

quatre ou cinq acteurs forts portés par un Etat actif dans le domaine. Toutefois, ce sont avant tout

maintenant des fournisseurs de combustible ou des prestataires de services industriels pour des

installations déjà existantes plutôt que des entreprises actives dans la conquête de nouveaux

marchés.

L’Europe en règle générale, et la France en particulier qui choisit d’accélérer son programme de

transition énergétique en diminuant la part du nucléaire, sont directement touchées par cette

paranoïa. Les textes communautaires choisissent délibérément de mettre l’accent sur les ENR et

l’efficacité énergétique pour chercher à construire un véritable réseau électrique européen. Sous la

pression du gouvernement allemand, la part des financements accordés à Euratom est réduite, à

l’exception de la partie liée à la gestion des déchets. Avec une diminution engagée de la part du

nucléaire dans les mix énergétiques nationaux, les entreprises ont les plus grandes difficultés à

survivre ; Eurodif ferme sa branche allemande et la branche néerlandaise est menacée, tandis

qu’Areva finit par être absorbé en totalité par EDF, dont elle devient une simple business unit.

III. Scénario C : bouleversement concurrentiel

Le développement continu de la demande mondiale en centrales nucléaire crée les conditions à

l’horizon 2030 pour une évolution en profondeur du secteur. Actant qu’ils sont les principaux pays

d’avenir pour les nouvelles centrales nucléaires, les émergents prennent conscience qu’ils ne

peuvent rester dépendants des fournisseurs occidentaux, russe et japonais. Profitant de la

coopération internationale au sein de l’AIEA comme des forums multilatéraux (Forum Génération IV

ou Groupe des Fournisseurs Nucléaires par exemple), ils se montrent de plus en plus actifs dans le

co-développement technologique.

Le développement des filières au thorium, notamment par l’arrivée à maturité de certaines

technologies de génération IV, donne une plus grande importance à des pays comme l’Inde,

l’Afrique du Sud, le Brésil ou même la Chine, dans la fourniture de combustible. Cela modifie de facto

les cours mondiaux de l’uranium en diminuant la demande de certains pays qui se retournent vers

des combustibles mixtes (thorium-plutonium par exemple). L’arrivée à maturité ou la popularité de

certains nouveaux combustibles comme le TRISO ou le QUADRISO permet de mettre l’accent sur la

sureté de fonctionnement des réacteurs, entrainant un développement accru de la demande.

Dans ce contexte, les Européens sont de plus en plus partagés sur la question des technologies à

choisir. Les entreprises des pays émergents, choisissent de s’allier avec des Occidentaux pour la

construction de nouveaux réacteurs en Europe, à l’image du chinois CNNC avec EDF. Au-delà du

simple choix d’un acteur européen (Areva), russe (Rosatom) ou américano-japonais (GE-Hitachi,

Toshiba-Westinghouse) la question s’ouvre également à des entreprises émergentes ou possédées

par ces derniers dans le cas éventuel d’un rachat de Candu. Les alliances technologiques

occidentaux-émergents finissent par devenir courantes et il s’instaure un climat de coopétition

généralisée où l’on coopère parfois dans la construction des installations, en même temps que l’on

s’oppose pour le contrôle des ressources en uranium. Le canadien Cameco, en tant que producteur

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SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030

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important et privé d’uranium attire les convoitises et il est possible qu’un ou plusieurs groupes

publics issus de grands émergents tentent de s’approprier une part importante du capital, soutenus

par des fonds souverains.

La France se trouve ainsi face à la Chine au Niger et au Kazakhstan, à l’Inde en Afrique de l’Est et

continue à s’affronter économiquement à la Russie pour les mines kazakhes. Les entreprises

françaises et européennes sont en position défensive, voire perdent leur compétitivité sur le plan

mondial, et se trouvent souvent dépassées par les nouveaux acteurs issus des émergents. C’est

notamment les cas dans les pays en développement producteurs d’uranium et sur les marchés

primo-accédant où la rhétorique de l’indépendance par rapport au Nord se révèle souvent efficace

en faveur des Chinois et des Indiens.

IV. Scénario D : pression climatique entrainant un nouvel âge d’or du

nucléaire

La conférence COP 21 de Paris ainsi que les autres conférences CCNUCC qui suivent débouchent en

dépit des prévisions pessimistes sur des accords historiques particulièrement contraignants. La

priorité absolue pour le secteur énergétique est la diminution drastique des émissions de gaz à effet

de serre, notamment à la suite de la prise de conscience des effets sur la santé des populations de

ces derniers. Le nucléaire s’impose donc comme une énergie particulièrement favorisée puisqu’il

n’émet que très peu de CO2 sur l’ensemble de son cycle de vie (LCA pour Life Cycle Assessment), à

un niveau équivalent aux ENR les plus sobres (env. 29 t de CO2 par GWh). Le nucléaire, suite à

l’action de la France et des autres grands pays nucléaires lors de la COP 21, devient ainsi l’une des

solutions privilégiées pour la transition vers des mix électriques propres, en attendant la mise au

point de solutions de stockage d’électricité à grande échelle.

Dans ce cadre, la coopération internationale est encouragée et revivifiée, pour les technologies de

génération IV et ITER notamment qui offrent d’importantes garanties en termes de déchets et de

sûreté. Les fonds destinés à financer la transition des économies en développement prévus dans les

mécanismes CCNUCC à la suite des conférences COP post-COP 21 sont ouverts au développement

du nucléaire, sous certaines conditions avec un pouvoir de l’AIEA accru en matière de contrôle.

Même la Banque Mondiale qui se refusait jusque-là à débloquer des prêts pour les installations

nucléaires est obligée de réviser sa position sous la pression de l’ONU et des grands pays nucléaires.

Dans ce contexte, l’AIEA voit son rôle devenir de plus en plus important et les nominations au sein

de l’agence acquièrent un caractère stratégique pour de nombreux Etats.

Au-delà de la coopération portée par diverses instances comme l’IFNEC (International Framework

for Nuclear Energy Cooperation), la concurrence entre grandes entreprises s’intensifie. Les firmes en

difficulté comme Areva voient leur position s’améliorer quand les plus rentables comme Rosatom

gagnent de plus en plus de poids dans l’économie de leur pays. La « renaissance du nucléaire »

commence ainsi véritablement dans la seconde moitié de la décennie 2010. Dans ce cadre, les

émergents comme la Chine et, à un moindre niveau l’Inde, développent leur savoir-faire national

pour être d’abord en mesure de répondre, autant que faire se peut, aux besoins nationaux, voire

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SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030

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proposer leurs solutions hors de leurs frontières. Il s’en suit une compétition importante pour les

ressources en uranium, même si la maturité d’une partie importante des technologies de génération

IV – la recherche au niveau du GIF ayant été accélérée par les investissements post-COP 21 – permet

l’utilisation du thorium dans certains cas.

L’Europe se trouve être le continent en pointe dans le nucléaire, par les entreprises qui y sont

présentes, mais aussi par la continuité ou le développement des programmes de centrales. Seule

l’Allemagne choisit obstinément de rester à l’écart du mouvement, les entreprises allemandes

maintenant néanmoins une présence dans Eurodif. D’autres pays comme l’Italie mettent fin à leur

moratoire pour s’orienter vers l’énergie atomique. La France quant à elle apparait comme le leader

continental naturel, en tant que premier pays nucléaire d’Europe, mais aussi comme fournisseur de

solutions privilégié que ce soit dans les réacteurs EPR d’Areva, l’approvisionnement en combustible

de haute qualité et, surtout, les compétences quant au retraitement et à l’enfouissement des

déchets.

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SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030

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Annexes

Panorama des technologies nucléaires

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SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030

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Rosatom et l’Etat russe

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SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030

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Ressources mondiales en uranium (2014) ; source : AIEA

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SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030

39

Capacités installées en 2015 (GW) ; sources : OCDE et WNA

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

Canada

Mexique

Etats-Unis

Japon

Belgique

Rep. Tchèque

Finlande

France

Allemagne

Hongrie

Pays-Bas

Slovaquie

Slovénie

Espagne

Suisse

Royaume-Uni

Corée du Sud

Russie

Chine

Inde

Argentine

Arménie

Brésil

Iran

Pakistan

Roumanie

Afrique du Sud

Ukraine

non-OCDE

OCDE

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SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030

40

Développements en nombre de réacteurs en 2015 ; source : WNA

0 20 40 60 80 100 120 140

Argentine

Arménie

Bangladesh

Biélorussie

Brésil

Bulgarie

Canada

Chili

Chine

Rep.Tchèque

Egypte

Finlande

France

Hongrie

Inde

Indonésie

Iran

Israel

Japon

Jordanie

Kazakhstan

Corée du Sud

Lituanie

Malaisie

Mexique

Pays-Bas

Pakistan

Pologne

Roumanie

Russie

Arabie Saoudite

Slovaquie

Afrique du Sud

Thailande

Turquie

Ukraine

EAU

Royaume-Uni

Etats-Unis

Vietnam

Proposés

Planifiés

En construction

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SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030

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Evolution des prix de l’uranium ; source : UxC Consulting

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SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030

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Ressources mondiales estimées en thorium ; source : NEA OCDE

Pays Ressources (tonnes)

Inde 846 000

Brésil 623 000

Australie 595 000

Etats-Unis 595 000

Egypte 380 000

Turquie 374 000

Venezuela 300 000

Canada 172 000

Russie 155 000

Afrique du Sud 148 000

Chine 100 000

Total monde 6 355 000

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SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030

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Coopérations technologiques sur les réacteurs de génération IV ; source : GIF

Technologie Pays partenaires

Réacteur à neutrons rapides refroidi au gaz (GFR)

UE, France, Japon, Suisse

Réacteur supercritique refroidi à eau (SCWR) Chine, Canada, UE, Japon, Russie

Réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium (SFR)

Chine, UE, France, Japon, Russie, Corée du Sud, Etats-Unis

Réacteur à très haute température (VHTR) Chine, UE, France, Japon, Corée du Sud, Suisse,

Etats-Unis

Réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb (LFR)

UE, Japon, Russie

Réacteur à sels fondus (MSR) UE, France Russie

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SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030

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Evolutions technologiques des réacteurs ; source : GIF

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SESEF – Evolutions des technologies nucléaires à l’horizon 2030

45

Références

Rapports

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AIEA/NEA, OCDE/NEA, Paris.

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Strategies to 2050, OCDE/IEA, Paris.

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Ouvrages et articles

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L'exemple du nucléaire », Revue internationale d'intelligence économique, 2010/2 vol. 2, pp.

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EYSTER H. (dir.) (2015), The Future of Nuclear Energy, Harvard College Review of

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critical survey”, Energy Policy n°36, pp. 2940– 2953.

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SÉCURITE ÉNERGETIQUE :

STRATÉGIES POUR L’EUROPE ET LA FRANCE

Phase 2

Évolutions des technologies

renouvelables et efficacité

énergétique en 2030

Janvier 2016

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SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique

2

Sommaire

Introduction .................................................................................................. 4

Panorama du secteur en 2015 ...................................................................... 6

I. Principaux fournisseurs de solutions ENR ..................................................... 6

1. Acteurs industriels ................................................................................. 6

a. Acteurs chinois .................................................................................. 6

b. Acteurs européens ............................................................................. 7

c. Acteurs américains ............................................................................. 8

d. Autres ............................................................................................... 9

2. Intégrateurs ......................................................................................... 9

II. Principaux fournisseurs de solutions d’efficacité énergétique ....................... 10

1. Smart grids ............................................................................................. 10

2. Autres ................................................................................................ 12

Développements en cours ou en projet ...................................................... 14

I. Stockage d’énergie ................................................................................... 14

II. Energies marines ...................................................................................... 15

III. Autres ................................................................................................... 16

Indicateurs .................................................................................................. 17

I. Prix du carbone ........................................................................................ 17

II. Structure de la concurrence ...................................................................... 17

III. Règlementations internationales ............................................................. 18

IV. Règlementations nationales .................................................................... 19

V. Disponibilité des matières premières .......................................................... 21

Prospective .................................................................................................. 22

I. Scénario A : développement différencié dans le monde .............................. 22

II. Scénario B : accord climatique majeur ....................................................... 23

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SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique

3

III. Scénario C : percée technologique .......................................................... 24

Conclusion ................................................................................................... 26

Annexes ....................................................................................................... 27

Coûts des différentes énergies aux Etats-Unis en service en 2020 sur une base

économique de 2013 ................................................................................... 27

Consommation d’énergie primaire au niveau mondial par source en 2015 ....... 27

Capacités solaires installées en 2014 ............................................................. 28

Investissements mondiaux en ENR et efficacité énergétique (1990-2009) ....... 29

Evolution de la demande d’énergie primaire au niveau mondial ...................... 29

Production d’électricité d’origine renouvelable en France ................................ 30

Capacités installées (2014) de stockage d’énergie .......................................... 30

Maturité des technologies de stockage d’énergie ........................................... 31

Potentiel des différentes énergies marines .................................................... 31

Carte des projets d’énergies marines en France ............................................. 32

Evolution du parc mondial d’ENR .................................................................. 32

Références .................................................................................................. 33

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SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique

4

Introduction

Depuis le sommet de Rio en 1992 et encore plus après la conférence de Kyoto de 1997, la prise de

conscience de la nécessité d’intégrer les paramètres environnementaux dans les problématiques

énergétiques s’est faite jour. Les nombreux scénarios imaginés par les organisations internationales

comme l’Agence Internationale de l’Energie (scénario 450 par exemple) mettent l’accent sur la

nécessité d’inclure toujours plus d’énergies renouvelables dans le mix mondial, avec, bien entendu,

des différences selon les pays. Le Protocole de Kyoto de 1997 qui sert de base aux négociations

actuelles sur le climat au niveau multilatéral, impose des objectifs de réduction des émissions de gaz

à effet de serre, du moins pour les pays développés. Grâce à ces objectifs, il a profondément stimulé

l’investissement dans les énergies renouvelables, principalement en Europe et au Japon. L’entrée en

vigueur du Protocole en 2005 a ainsi été à l’origine d’une explosion des investissements dans les ENR

et l’efficacité énergétique de la part des pays cherchant à tenir les objectifs de réduction des

émissions de CO2, sans toutefois obérer leur croissance économique, surtout face à la montée des

émergents.

La classification « énergies renouvelables » recoupe des sources et procédés très divers dont

l’empreinte environnementale est considérée comme faible voire nulle, même si des débats existent

à ce sujet. Il est relativement complexe d’élaborer une typologie des ENR tant celles-ci sont diverses.

Le premier critère est l’intermittence de production. Elle peut être journalière (solaire, éolien) ou

annuelle (hydraulique). S’il s’agit là du critère principal, toutes les ENR n’y sont pas soumises,

comme la biomasse1. Le second critère est celui de la localisation géographique. Certaines ENR

nécessitent en effet des conditions très particulières et un emplacement précis (hydraulique,

géothermie) quand d’autres se révèlent plus flexibles avec l’avancée de la technologie (éolien,

solaire).

Il existe un débat important sur la qualification de certaines énergies comme des renouvelables.

C’est le cas notamment des grands projets hydroélectriques (HPP pour Hydro Power Plant) qui

existent tant dans les pays les plus avancés (France, Norvège) que dans les pays émergents (Chine,

Brésil). En effet les centrales hydroélectriques de plusieurs GW de puissance installée (14 GW pour le

barrage d’Itaipu au Brésil, 22,5 GW pour le barrage des Trois-Gorges en Chine) sont les installations

électriques les plus puissantes du monde devant les centrales nucléaires et thermiques. Malgré leur

classement parmi les ENR, elles conservent un impact environnemental non-négligeable qu’il

s’agisse de la question de l’envasement du fond des retenues qui, par production d’algues, induit une

production de CO2 d’autant plus importante que le barrage est grand ou, surtout, de la

problématique de l’impact écologique de l’installation d’une importante centrale de production sur

le cours d’un fleuve. Les déplacements de populations, détournement des cours d’eau, modifications

des écosystèmes sont de plus en plus considérés comme des dommages écologiques qui conduisent

- souvent sous la pression de la société civile - les régulateurs à opérer une distinction entre grands

projets hydroélectriques et petites centrales hydrauliques de l’ordre de quelques dizaines voire

centaines de MW (SHP pour Small Hydro Plant) au sein des énergies renouvelables. Ainsi ce sont

1 Ce point reste néanmoins en débat car, dépendant d’une production agricole elle-même sujette à des variations, la

biomasse peut, dans le pire des cas, subir une intermittence annuelle de nature indirecte.

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SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique

5

souvent les seuls SHP qui sont considérés comme faisant partie des énergies renouvelables de «

nouvelle génération » et éligibles aux subventions idoines. De même la classification des centrales à

biomasse comme ENR se pose également. Si ces dernières ne fonctionnent pas en consommant des

hydrocarbures comme les centrales à charbon, le fait est qu’elles restent dépendantes d’une

technologie thermique où l’on brûle une ressource (bois, déchets agricoles divers comme la bagasse

de canne à sucre au Brésil ou les résidus de noix de coco dans le Pacifique) et donc sont responsables

d’émissions de CO2. Même si les centrales à biomasse sont moins dommageables pour

l’environnement que des centrales thermiques classiques (peu ou pas d’émissions de particules,

réutilisation des déchets, limitation des distances logistiques pour l’approvisionnement et de la taille

des installations), elles ne sont pas neutres pour l’environnement. Certaines unités de production de

biomasse comme celles portées par l’entreprise américaine Drax, nécessitent de mettre en place des

chaines logistiques longues2 qui ont un impact non-négligeable sur l’environnement. Il s’en suit une

distinction entre les grands projets hydroélectriques, la biomasse et les ENR dites de « nouvelle

génération » qui, par leur taille et leur technologie, ont un impact considéré comme bien moindre

sur l’environnement. Ces centrales qu’elles soient éoliennes (terrestre ou offshore), hydroliennes,

solaires (photovoltaïque ou à concentration), géothermiques, hydrauliques (SHP) ou marémotrices

ont pour point commun d’exploiter une ressource naturelle sur laquelle elles ont un impact minime

ou nul (courant marin, soleil, vent, etc.). La question de cette dichotomie entre quasi-renouvelables

(HPP et biomasse) et renouvelables nouvelle génération, se résout différemment dans chaque pays,

les politiques publiques sur la question des ENR étant plus ou moins flexibles selon le niveau de

maturité technologique, le mix énergétique du pays ou même la configuration politique et

normative (existence d’une législation, d’une agence ou d’un organisme étatique dédié, etc.). Par

convention, cette étude traite au sein des ENR la biomasse3 et les HPP, sauf quand il est

spécifiquement fait mention d’ENR « nouvelle génération ». L’étude traite des solutions

énergétiques dédiées à la production électrique et exclu de fait les biocarburants ainsi que les

technologies d’efficacité énergétique dédiées aux bâtiments et au transport.

A l’heure actuelle les solutions ENR sont, si l’on prend en compte l’ensemble du cycle de vie, peu

compétitives économiquement. La question du breakeven technologique et de la rentabilité

économique demeure ainsi l’une des principales clés du développement des ENR et de l’efficacité

énergétique. Les ENR et l’efficacité énergétique offrent toutefois de grandes avancées en ce qui

concerne l’accès à l’énergie de certaines régions et surtout la sécurité énergétique. En diminuant le

recours aux hydrocarbures et à l’uranium importés par substitution (ENR) ou limitation (efficacité

énergétique), ces technologies s’avèrent particulièrement intéressantes pour des pays ou des

continents dépourvus de ressources. A ce titre la France et, de manière plus générale l’Europe, ont

un intérêt tout particulier dans le développement de ces solutions.

2 Dans le cas présent une ligne logistique d’exportation de déchets de bois depuis la Louisiane jusqu’au Royaume-Uni pour

un besoin annuel estimé à 7,5 millions de tonnes à l’horizon 2017. 3 La biomasse ici étudiée est surtout celle de seconde génération pour ce qui est des projets actuels et de troisième

génération pour la prospective.

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Panorama du secteur en 2015

En 2015 les ENR demeuraient relativement marginales dans la génération d’électricité au niveau

mondial. Si le focus est mis sur quelques pays comme le Danemark ou le Costa Rica dont les

capacités ENR permettent de couvrir – selon les moments de l’année – la majorité voire la totalité

des besoins électriques, elles demeurent le plus souvent secondaires. Au niveau de l’OCDE par

exemple, le charbon est toujours la première source de production d’électricité.

Toutefois des développements rapides se font jour avec des investissements massifs de la part de

certains pays comme la Chine ou les Etats-Unis, désireux de se positionner dans la compétition

industrielle qui s’affirme. Les dépôts de nombreux brevets, concernant toutes les ENR et

technologies d’efficacité énergétique attestent de ce dynamisme à l’échelle mondiale. Sans annuler

les déterminants propres à chaque source d’énergie comme l’intermittence ou la localisation

géographique, les évolutions technologiques permettent de limiter de plus en plus ces dernières,

surtout par la combinaison de plusieurs technologies (exemple de nouvelles cellules pour panneaux

solaires découvertes par un acteur qui peuvent bénéficier du stockage d’électricité développé par un

autre).

I. Principaux fournisseurs de solutions ENR

1. Acteurs industriels

a. Acteurs chinois

S’agissant des ENR, Chine offre un paradoxe saisissant, celui d’être à la fois le premier émetteur

mondial de gaz à effet de serre - plus de 10 millions de tonnes de CO2 par an, sans compter les

autres polluants – et en même temps le pays qui a le plus développé les structures industrielles des

ENR. Ce paradoxe parfois résumé par la formule « Chine brune, Chine verte »4, laisse apparaitre la

réalité d’un pays qui a choisi les énergies renouvelables, entre autres, comme axe de développement

national et international. L’Etat a fait de ce secteur l’un de ses principaux pôles d’investissements, y

injectant en 2014 plus de 83 milliards USD, soit plus de deux fois le montant investi par le

gouvernement américain5. Les technologies ENR et d’efficacité énergétique sont considérées

comme prioritaires aux termes des 12e et 13e plans quinquennaux.

Des entreprises ont ainsi vu le jour dans les années 1990-2000 qui peuvent aujourd’hui être

considérées comme des champions mondiaux de leur domaine. Dans le domaine de l’éolien, Sinovel

s’est longtemps imposé comme l’un des premiers fabricants mondiaux avant de perdre des parts de

4 VERMANDER B.(2007), Chine brune ou Chine verte, Paris Presses de Sc Po.

5 LE HIR P., « Energies renouvelables : les investissements repartent à la hausse », LeMonde.fr, 2 avril 2015, chiffres du

PNUE.

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7

marché suite à la réorientation de la Chine vers le solaire. C’est aujourd’hui principalement Goldwind

qui apparait comme le leader chinois de la production d’éoliennes.

La Chine est également le premier producteur de panneaux photovoltaïques au monde. Le

développement chinois en ce domaine est majoritairement intervenu dans la seconde moitié des

années 2000 où les entreprises nationales ont su s’imposer sur un marché dominé jusque-là par des

acteurs japonais, américains et allemands. Même si l’industrie chinoise du solaire connait de temps à

autres des soubresauts comme la faillite de Suntech Power en 20136, gros acteur du marché jusqu’en

2008-2009, elle s’avère dans son ensemble conquérante. L’entreprise Yingli est ainsi un des leaders

mondiaux du domaine, s’étant implantée avec succès dans de nombreux pays occidentaux.

b. Acteurs européens

Les Européens ont longtemps été très en avance sur les questions industrielles liées aux ENR.

Pendant les années 1980-90 où les pays du Nord se partageaient le marché, les acteurs d’Europe du

Nord principalement étaient à la pointe du marché. A l’heure actuelle, les Européens dominent

toujours certains secteurs à commencer par celui de l’éolien où Siemens s’impose comme un leader

du marché. L’entreprise allemande s’est en réalité lancée sur le marché éolien via le rachat

d’entreprises danoises (Danregn Vindkraft et Bonus Energie). Premier fabricant mondial d’éoliennes

Siemens se positionne comme dominant sur le secteur sur le Vieux continent mais doit faire face à

des pertes dues à un marché offshore loin de tenir ses promesses initiales. Alors que l’entreprise est

tirée par la croissance du marché terrestre, son pari l’offshore pourrait nuire à sa rentabilité voire la

mettre en difficulté face à ses concurrents. La grande majorité des installations Siemens se situe en

Europe et en Amérique du Nord. Siemens a, en outre, longtemps été actif dans le solaire où

l’entreprise allemande espérait obtenir les mêmes résultats qu’avec l’éolien. Toutefois la crise

économique ainsi que l’effondrement de certains marchés comme l’Espagne, ont fortement entamé

la rentabilité de cette branche. C’est pourquoi l’entreprise a décidé de fermer à terme sa division

solaire, malgré des achats importants au cours des années 2000 (l’israélien Beit Shemesh par

exemple, acheté en 2009 pour plus de 400 millions USD)7. Siemens est également présent dans les

domaines industriels de l’hydroélectricité et de la biomasse où l’entreprise fournit des turbines.

Le Danemark, outre les entreprises qui ont donné naissance à Siemens Wind Power, se révèle

toujours un des leaders mondiaux de ce secteur avec Vestas. L’entreprise qui est un des leaders

historique du marché a dû, elle aussi, faire face à la déception engendrée par le marché offshore

européen. Là aussi l’entreprise est très présente en Europe et en Amérique du Nord mais se

développe également beaucoup en Asie et en Océanie (Inde, Chine, Australie) avec la création d’une

joint-venture avec Mitsubishi Heavy Industries pour le développement d’éoliennes offshore.

Des énergéticiens non-spécialistes des ENR se sont lancés depuis quelques années sur le secteur. En

France il s’agit de Total qui a racheté l’américain SunPower en 2011 pour devenir un important

producteur de panneaux solaires photovoltaïques. Le rachat de l’entreprise a permis à SunPower de

devenir le leader américain du solaire, via une politique de développement de rachats d’entreprises

6 Des erreurs d’investissements ainsi qu’une affaire de fraude – rachat d’une compagnie fictive – sont à l’origine de la faillite.

7 http://www.bloomberg.com/news/articles/2013-06-17/siemens-will-shut-solar-unit-as-it-loses-1-billion-in-two-years

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8

(Tenesol, Greenbiotics, SolarBridge, etc.). Toujours en France, Areva se pose également comme un

important acteur des ENR, notamment dans les énergies marines où l’entreprise nucléaire agit en

partenariat avec d’autres (Gamesa notamment au travers de la co-entreprise Adwen) pour proposer

des solutions éoliennes offshore8.

Les entreprises européennes, malgré des succès indéniables connaissent aussi des difficultés. La

faible rentabilité de certaines technologies peu matures comme l’éolien offshore ou des erreurs

stratégiques comme Desertec9 amènent parfois à des pertes économiques. En mars 2014 l’EREC

(European Renewable Energy Council), structure regroupant les entreprises européennes des ENR à

Bruxelles a même été placée en liquidation ; amoindrissant la représentation du secteur auprès des

instances européennes10.

c. Acteurs américains

General Electric s’affirme comme le champion américain des solutions industrielles ENR avec une

présence sur l’ensemble du spectre des énergies renouvelables. L’entreprise américaine possède des

compétences industrielles dans de nombreuses énergies, que ce soient des ENR ou des fossiles

(nucléaire, gaz, etc.). Elle s’affirme néanmoins comme l’un des fer de lance de la nouvelle politique

de l’administration Obama de refaire des Etats-Unis le champion mondial des ENR grâce à ses

capacités en termes de volumes de production et d’innovation. Dans ce cadre l’entreprise a

beaucoup investi dans divers domaines comme l’éolien pour se positionner comme champion

national américain et envisager une position encore plus importante au niveau mondial. Le rachat de

la branche énergie d’Alstom, fournisseur de solutions sur de nombreux points (turbines hydrauliques,

centrales marémotrices, centrales solaires à concentration, centrales à biomasse) s’inscrit – en partie

– dans cette politique d’affirmation de la place de GE sur le marché ENR.

Au-delà de GE, c’est l’ensemble de la filière qui se mobilise pour contrer l’ascension chinoise dans le

domaine des ENR. En effet la décision prise par le Commitee on Foreign Investments en 2012 de

bloquer les investissements dans l’Oregon que voulaient réaliser l’entreprise chinoise Sany Group, a

marqué l’affirmation de la volonté de l’administration Obama dans la compétition internationale

Chine-Etats-Unis. Dans un contexte de rivalité économique exacerbée avec Pékin, Washington veut

éviter de perdre la course à la technologie et au développement industriel des ENR.

Le secteur américain, au-delà du mastodonte GE est marqué par un certain éclatement des

entreprises selon les technologies concernées. Les multiples acteurs qu’ils soient opérateurs ou

industriels spécialisés dans telle ou telle technologie, offrent un panorama assez différent de

l’Europe où la plupart du temps il s’agit de grandes entités transverses.

8 Les entreprises du secteur maritime sont également très présentes sur ce créneau ; voir infra.

9 Le projet Desertec visait dans un premier temps à développer l’implantation de centrales solaires à concentration au

Maghreb et au Proche-Orient puis à créer une interconnexion électrique entre ces pays et l’Europe. 10

http://www.energypost.eu/european-renewable-energy-council-forced-liquidation/

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9

d. Autres

D’autres entreprises industrielles se sont développées sur ce créneau ces dernières années à l’image

de l’indien Suzlon dans l’éolien. Les retards indiens en matière de couverture énergétique d’une

grande partie du pays n’obèrent pas nécessairement le développement d’un véritable secteur

industriel national. En effet l’Inde présente le visage d’un pays à deux vitesses où les problématiques

locales d’accès à l’énergie côtoient les développements technologiques de haut niveau. La question

des ENR pourrait d’ailleurs être un véritable levier pour le désenclavement énergétique d’une bonne

partie du pays par la création de centres de production locaux, éventuellement adossés à des micro-

grids11.

De la même manière, la Corée du Sud se montre très active sur le domaine des panneaux solaires

avec des entreprises dynamiques adossées le plus souvent à des chaebols comme Q-Cells (filiale de

Hanwa), LG Electronics, etc. La Corée du Sud semble ainsi vouloir étendre sa stratégie industrielle

principalement dans le solaire avec le but avoué de faire coïncider celle-ci avec les développements

dans les smart grids12. D’ailleurs ce sont souvent les mêmes entreprises qui sont à la manœuvre sur

les deux sous-secteurs.

Les acteurs japonais ont longtemps été les leaders dans de nombreux domaines liés aux ENR, dont

la géothermie très présente sur l’archipel, avant de connaitre un certain ralentissement dans les

années 2000. Le développement économique de la Chine puis de la Corée du Sud qui leur a ravi les

premières places économiques en Asie a été préjudiciable au Japon. Néanmoins de nombreuses

entreprises, à commencer par les grands consortiums comme Mitsubishi Heavy Industries (solaire,

géothermie, etc.), Panasonic (depuis le rachat de Sanyo en 2009). Le Japon se montre très actif dans

la R&D notamment dans le solaire avec des entreprises comme Koycera ou Solar Frontier13.

2. Intégrateurs

Au-delà des producteurs de solutions industrielles, les intégrateurs jouent également un rôle majeur

dans le domaine des ENR. Par leur action ils permettent de mettre en œuvre au sein du mix

électrique les différentes solutions énergétiques, en adaptant celles-ci selon les contraintes

économiques, géographiques et règlementaires. Les grandes entreprises d’utilities comme le

français Engie ou l’allemand E.ON se positionnent sur ce créneau. Ce sont des acteurs

incontournables du marché en ce sens qu’ils opèrent dans de nombreux pays les solutions

industrielles fournies par les entreprises précitées. C’est notamment grâce aux utilities que les ENR

et les solutions d’efficacité énergétique peuvent se développer dans le monde entier, en agrégeant

ces dernières aux réseaux existants. Dans ce domaine aussi les Européens, principalement français,

espagnols, italiens et allemands sont en pointe et se développent au Nord mais aussi au Sud

(Maghreb, Turquie et Inde pour EDF Energies nouvelles, Amérique latine et Asie pour Engie,

Amérique latine pour Enel-Endesa et Iberdrola, etc.).

11

Réseaux électriques locaux limités en tailles, non-interconnectés. 12

Voir infra. 13

Sous-filiale de Shell.

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10

Ils constituent donc un maillon essentiel de la chaine de popularisation des solutions ENR et

d’efficacité énergétique en les intégrant dans les réseaux déjà existants ou en développant de

nouveaux réseaux. Des partenariats existent très souvent entre fournisseurs de solutions

industrielles et intégrateurs comme c’est le cas entre Vestas et E.ON, les deux types de structures

étant relativement dépendantes l’une de l’autre. C’est d’ailleurs en tant que chaine de valeur objet

industriel-élément intégré d’un réseau électrique que les ENR doivent être pensées puisque les deux

phases, même si elles répondent à des business models différents, doivent être nécessairement

agencées. Des tensions peuvent ainsi survenir à l’image de ce qui se passe au Brésil les autorités et

les entreprises électriques nationales (Eletrobras principalement) reprochant aux partenaires

industriels chinois de refuser les transferts de technologie sur les éoliennes qu’ils installent et

opèrent14.

Ces savoir-faire particuliers qui permettent aux entreprises occidentales et surtout européennes de

nouer des partenariats avec les électriciens nationaux de pays émergents ou en développement,

représentent un véritable atout industriel. Comptant parmi les pays en pointe dans ce domaine avec

EDF Energies nouvelles et Engie, la France est particulièrement bien placée pour se positionner

comme l’acteur de référence. Toutefois, au niveau du continent européen, il faut reconnaitre que la

concurrence reste rude, notamment face aux acteurs allemands.

II. Principaux fournisseurs de solutions d’efficacité énergétique

L’importance des développements récents en matière d’efficacité énergétique oblige cette étude à

se focaliser sur quelques domaines-clés. Néanmoins il est important de considérer qu’il s’agit là d’un

vaste éventail de technologies. L’efficacité énergétique qui vise à réduire la dépense énergétique

pour une action donnée s’étend non-seulement au domaine de la production/distribution

d’électricité mais aussi à ceux du bâtiment (isolation, passivité énergétique, etc.), des transports

(nouveaux moteurs, biocarburants, hybridité des véhicules, etc.) ou des industries en règle générale

(écoconception, cogénération, etc.).

1. Smart grids

Les réseaux électriques intelligents ou smart grids, sont une nouvelle manière d’envisager les

réductions de l’empreinte environnementale du secteur énergétique. Plutôt que d’agir sur la

production (via des ENR p.e.) ou la consommation (avec des politiques incitatives), il s’agit d’avoir

une action sur le transport d’électricité (T&D pour transport et distribution). Avec l’installation d’un

nouveau type de réseau, fonctionnant grâce à des capteurs enregistrant la consommation en temps

14

HUSAR J. et BEST D. (2013), Energy Investments and Technology Transfers Across Emerging Economies: the Case of Brazil and China, Paris, OCDE.

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11

réel et communiquant entre eux en permanence, il est possible d’agir le plus finement possible sur

les pannes et interruptions, autant que d’anticiper les pics de demande et, ainsi, de dispatcher la

production aux endroits où elle est le plus nécessaire. Ainsi ils permettent de produire moins tout en

consommant la même quantité d’électricité par action sur les pertes en ligne. Les smart grids

tiennent ainsi autant de l’objet énergétique que de l’objet cyber15 et s’intercalent à la croisée de

l’industrie et des télécommunications. Cela en fait des technologies particulières sur lesquelles sont

actifs tant les fournisseurs industriels traditionnels de l’énergie comme GE et Alstom que les

entreprises du Net comme Google ou IBM.

Les smart grids pourraient représenter pour les pays les plus avancés l’une des meilleures

opportunités de réduction de leur empreinte environnementale et de maintien de leur

consommation d’énergie ou croissance économique. Ainsi les pays européens et les Etats-Unis se

sont lancés depuis la fin des années 2000 dans une course technologique au développement des

smart grids. Aux Etats-Unis les paquets financiers de relance post-crise ont été l’opportunité de

subventionner ce type de réseaux. En 2009, l’ARRA (American Recovery and Reinvestment Act)

offrait près de 4,5 milliards USD pour le développement de smart grids dans le pays. Les États-Unis

ont ainsi mis en place une task force fédérale qui associe, pour les aspects sécuritaires, le

Department of Defense et le Department of Homeland Security aux acteurs de l’énergie16. Sur les

aspects de cybersécurité, le Department of Energy collabore particulièrement avec le Department of

Homeland Security – chargé entre autres des CERT17 – au travers d’une initiative nommée

Cybersecurity for Energy Delivery Systems (CEDS) 18 orientée sur la protection des réseaux et des

SCADA. L’intérêt porté à la sécurité de ces mêmes SCADA se comprend aussi dans l’optique de la

cyberdéfense contre de potentielles menaces étatiques ; les coûts envisagés d’une telle attaque

contre les États-Unis atteignant le trillion USD. Le pays qui souffre depuis des années de

problématiques d’approvisionnement électrique, dont certaines consécutives à l’affaire Enron19, y

voit une opportunité forte. Dans ce contexte GE s’est pleinement lancé dans les smart grids avec le

soutien de l’Etat20. L’entreprise américaine bénéficie d’une certaine avance sur le sujet qui devrait

encore s’accentuer avec le rachat de la branche énergie du français Alstom décidé fin 2015, lui aussi

grand spécialiste de la question.

D’un autre côté les acteurs allemands se sont également positionnés sur le sujet avec le

développement de technologies dédiées et des villes-test comme Mannheim21. Comme aux États-

Unis, la double problématique environnement (charbon)-dépendance aux approvisionnements

extérieurs a été le moteur de la prise de conscience de l’importance de l’efficacité énergétique. Le

projet allemand E-energy – largement soutenu par le gouvernement de Berlin – qui vise à établir un

smart grid transfrontalier avec l’Autriche et la Suisse témoigne d’une volonté particulière : celle de

transformer l’avance technologique des entreprises allemandes et pression normative auprès de

15

Un smart grid est une forme particulière de SCADA (Systèmes de pilotage industriel et d’acquisition de données). 16

http://energy.gov/oe/technology-development/smart-grid/federal-smart-grid-task-force 17

Computer Emergency Response Team, groupe d’action sur les incidents liés au cyberespace. 18

http://energy.gov/oe/services/technology-development/energy-delivery-systems-cybersecurity 19

En 2001 un scandale éclate sur les fraudes massives de l’entreprise électrique Enron qui aboutit à révéler l’état pitoyable des infrastructures électriques de certaines régions des Etats-Unis dont la Californie. 20

Une task force sur les smart grids a été mise en place par le Department of Energy avec la collaboration de nombreuses agences dont le Department of Homeland Security pour les aspects protection cyber. 21

Projet « Modellstadt Mannheim » réunissant acteurs publics et privés : http://www.modellstadt-mannheim.de/moma/web/en/home/index.html

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12

l’UE. En effet en installant le premier grand réseau intelligent transfrontalier, les entreprises

allemandes pourraient établir la future base européenne en matière de normes sur cette question et,

par-là, bénéficier d’un avantage compétitif certain22. C’est d’ailleurs très probablement la volonté de

récupérer des technologies concernant les smart grids qui ont été à la base de l’affrontement

économique entre GE et Siemens pour la branche énergie du français Alstom en novembre 2015.

D’autres acteurs issus des pays émergents se lancent dans cette question des smart grids. Le pays

qui apparait le plus en pointe sur cette question est la Corée du Sud. La forme économique

particulière des entreprises coréennes, les chaebols, où chacune des grandes entités est engagée

dans de multiples secteurs, permet de réunir les énergies. En effet, bénéficiant de compétences tant

dans le domaine de l’énergie que dans celui des TIC, les entreprises comme LG, Samsung et Hyundai,

se positionnent dans le développement de solutions énergétiques dans un pays à la fois pauvre en

ressources et bénéficiant d’une excellente couverture Internet et téléphonique avec le déploiement

en cours de la 5G. Ici aussi les industriels ont choisi de se réunir avec le gouvernement pour

collaborer au sein d’une entité dédiée à la question : la Korea Smart Grid Association (KSGA) 23.

La Chine, au travers de l’entreprise publique de gestion du réseau électrique State Grid Corp. Of

China, est également très active sur un domaine qu’elle considère comme stratégique eu égard à la

taille du pays. State Grid Corp. poursuit depuis quelques années une politique d’investissement dans

les technologies liées aux smart grids et peut compter sur le partenariat des acteurs chinois du

cyberespace pour les questions liées au traitement et au stockage des données. En outre State Grid

Corp. est également active sur les marchés internationaux, rachetant de nombreux actifs depuis le

début des années 2010 (25% de Redes Energéticas Nacionais le gestionnaire réseaux de distribution

du Portugal, 35% de CDP Reti, le gestionnaire des réseaux italiens).

2. Autres

Les technologies d’efficacité énergétique se développent dans de multiples champs, bien au-delà de

la seule question électrique. Elles permettent le plus souvent d’agir sur les questions liées aux

performances des équipements collectifs et individuels qu’il s’agisse de moyens de transports ou de

bâtiments par exemple. Pour le moment 99% des dispositifs de stockage d’énergie dans le monde,

représentant au total 140 GW de capacité, sont des retenues d’eau qui peuvent délivrer une

puissance électrique en cas de besoin. Ainsi, à l’heure actuelle, les grands énergéticiens de

l’hydraulique comme Vattenfall ou Hydro Québec sont les mieux placés dans ces dispositifs de

stockage par retenue d’eau.

La plupart des programmes de stockage de l’énergie sont gérés au niveau des autorités politiques,

s’agissant le plus souvent de programmes pilotes. L’action des entités politiques nationales, locales

(Californie, Ontario) ou supranationales (Union européenne) est décisive au niveau du

développement des solutions de stockage. A titre d’exemple l’Union européenne au travers du 7e

22

Une initiative est par ailleurs en cours d’évaluation sur l’opportunité d’un partenariat franco-italien, l’énergéticien italien Enel ayant déployé des compteurs intelligents sur le territoire national depuis 2010. 23

http://www.ksga.org/eng/main/main.asp

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13

PCRD finance le programme stoRE qui cherche à connecter les dispositifs de stockage d’énergie aux

plans de développement des ENR dans divers pays de l’Union24. Au niveau américain, l’American

Recovery and Reinvestment Act de 2009 prévoit de substantiels financements pour les dispositifs

d’efficacité énergétique que ce soient les smart grids (4,5 milliards USD), les batteries (2 milliards

pour les batteries de véhicule, 42 millions pour les batteries fixes), l’efficacité des bâtiments (5

milliards environ) ou des projets-cadres d’efficacité énergétique et ENR (3,1 milliards).

La coopération internationale s’avère néanmoins très importante pour l’aboutissement de nombre

de ces projets de recherche complexes et couteux. Au-delà de la concurrence des comités ou des

groupes ad-hoc se mettent en place. Au niveau de l’Union européenne il existe par exemple une

smart grid task force mais on peut aussi noter des initiatives privées comme le Deep Decarbonization

Pathways Project porté par l’IDDRI. Il vise à regrouper les projets et initiatives des institutions de

recherche liés à la décarbonisation de nombreux pays comme l’Australie, le Brésil, le Japon, l’Italie,

la France, l’Allemagne, la Chine ou les Etats-Unis.

24

http://www.store-project.eu/

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14

Développements en cours ou en projet

I. Stockage d’énergie

L’une des principales avancées d’ici 2030 concerne le stockage d’énergie et, en particulier,

d’électricité. Cette dernière se stocke difficilement, en petites quantités et oblige à penser la

production électrique en flux quasi tendu. Ceci vient heurter l’un des principaux défauts des ENR, à

savoir l’intermittence de leur production. Des avancées dans le stockage de l’électricité elle-même

permettraient de mieux anticiper la production et, ainsi, de mieux intégrer les ENR à celle-ci.

Un certain nombre de technologies de stockage d’énergie existent déjà à l’image des retenues d’eau

(STEP pour station de transfert d’énergie par pompage) pour l’hydroélectricité mais pour l’instant

deux problèmes majeurs se posent : d’une part la capacité de stockage et d’autre part la disponibilité.

Pour que le stockage d’énergie (majoritairement d’électricité ici mais il faut également prendre en

compte le stockage thermique) puisse se révéler une véritable solution d’efficacité énergétique, les

technologies envisagées doivent être capables d’offrir une grande puissance sur un temps

relativement long. Etant précisé que ceci ne peut réellement advenir qu’à un coût raisonnable avec

des infrastructures suffisamment ergonomiques.

Plusieurs voies technologiques sont envisagées pour un déploiement vers 2030-2050 avec plus ou

moins de probabilités d’aboutir à des solutions commercialement intéressantes. Les coûts initiaux

s’avèrent pour le moment très élevés (500 à 4500 USD par KWh pour les retenues d’eau et 300 à

3300 USD le KWh pour les batteries). Pour le moment la plupart des financements en matière de

R&D est concentrée sur les batteries et l’hydrogène qui représenteraient des percées technologiques

importantes si les problèmes de durée et de puissance étaient résolus. En outre l’hydrogène pose

pour le moment des problèmes de sécurité liés à son caractère inflammable qui doivent être résolus

avant d’envisager un déploiement à une échelle plus ou moins importante.

Les investissements envisagés sont particulièrement élevés puisque l’AIE prévoit selon divers

scénarios des besoins compris entre 380 milliards et 750 milliards USD sur la période 2010-2050 pour

aboutir à des technologies économiquement matures. Sachant que le stockage d’énergie se conçoit

surtout dans l’optique d’un déploiement massif d’ENR, en partie pour combler l’intermittence de ces

derniers et répondre aux pics de demande, c’est en réalité un surcoût qui doit être intégré dans les

calculs de déploiement des ENR – éventuellement en combinaison aussi avec les smart grids.

De nombreux industriels se positionnent sur le segment comme les fabricants de batteries (Saft,

Bosch, Tesla) et des fournisseurs de solutions industrielles de l’énergie (Mitsubishi Heavy Industries,

GE, AES). Néanmoins ils sont pour le moment principalement implantés en coopération avec des

acteurs publics (autorités de régulation électrique) ou des utilities et des centres de recherche

universitaire.

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15

II. Energies marines

Les énergies marines (voir annexes) représentent une voie de développement des ENR particulière.

Celles-ci représentent un ensemble de technologies offshore permettant de répondre à un certain

nombre de contraintes mais, en même temps, créant de nouvelles problématiques notamment au

niveau de la transmission électrique.

L’éolien offshore qui semble être la plus mature des énergies marines souffre de nombreux

désavantages économiques pour le moment. Deux grandes filières existent : le posé et le flottant

mais les deux butent sur des coûts d’installation très importants, de la structure elle-même ou des

systèmes de transmission. Le posé est pour le moment la seule solution économiquement viable,

même s’il demeure particulièrement cher.

L’hydrolien s’apparente à une technologie prometteuse puisque moins perturbatrice pour les êtres

humains. La majorité du potentiel identifié se situe au Royaume-Uni, mais la France, en Bretagne et

Normandie dispose d’un potentiel intéressant, oscillant selon les études entre 2 et 6 GW. Toutefois

la question des coûts engagés est ici encore plus importante que pour l’éolien offshore et sans d’une

part des financements et d’autre part une hausse des coûts de production des énergies émettrices,

l’hydrolien ne devrait pas se développer en masse25.

Le marémoteur encore peu développé et restant pour le moment au niveau d’extrême appoint ou de

démonstration technologique. La France a longtemps disposé de la plus puissante capacité installée

à travers l’usine de la Rance (240 MW) détrônée en août 2011 par l'usine marémotrice de Sihwa en

Corée du Sud (254 MW). Toutefois il pourrait, lorsque la technologie sera véritablement mature

économiquement être déployé sur de vastes zones de l’Océan Atlantique que ce soit en Europe ou

en Amérique ; le Brésil notamment est très intéressé pour les Etats du Nordeste.

Les autres énergies marines comme l’houlomoteur (provoqué par les vagues) ou l’osmotique

(provoqué par la différence de salinité) sont à des stades de développement moins avancés. La

question à la fois des investissements conséquents nécessaires et des priorités technologiques vers

l’une ou l’autre des énergies marines, ont jusqu’ici amené à un focus sur l’éolien offshore.

Au niveau européen les énergies marines ont intégré dans la réflexion globale sur les ENR mais

l’enclavement d’un certain nombre de pays de l’Union fait qu’elles ne sont pas per se un sujet

prioritaire26. Plusieurs pays comme le Royaume-Uni ont néanmoins développé une stratégie

originale en ce domaine, s’appuyant notamment sur la convergence public-privé, au travers en

partie du European Maritime Energy Centre27. Au niveau français leur potentiel a bien été identifié28

que ce soit par des organismes publics (ADEME, Ifremer) ou privés (GICAN) ainsi que des

groupements public-privé les réunissant (CORICAN, France Energies Marines)29. Il est d’ailleurs

25

Un appel à projets a été lancé par l’ADEME en 2015, il concerne, pour la ferme test, l’hydrolien fluvial ou d’estuaire, le premier étant moins prometteur en termes de puissance. 26

Même si certains projets rentrent dans le 7e PCRD comme c’est le cas en France pour un site test d’éolien flottant :

http://www.developpement-durable.gouv.fr/Qu-est-ce-que-l-eolien-flottant-en,42036.html 27

http://www.emec.org.uk/ 28

http://www.lefigaro.fr/newsl_prospective_energie/index20130118.html 29

http://www.france-energies-marines.org/Qui-sommes-nous/Groupement

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intéressant de voir que les industries spécialisées dans les constructions navales et plus

spécifiquement militaires (GICAN, DCNS, STX) sont des moteurs du développement de ces énergies

et communiquent beaucoup sur les opportunités économiques qu’elles offrent30. Deux séries

d’appels d’offres ont été lancées en France (début des installations en 2016 et 2020) pour des parcs

d’éolien offshore posé. Six parcs sont en construction sur la côte Atlantique et en Mer du Nord, où

l’on retrouve les industriels français comme fournisseurs des parties mécaniques (Areva et Alstom)

et les énergéticiens nationaux comme opérateurs (Engie et EDF Energies nouvelles) avec en plus

Iberdrola qui gère le parc de Saint-Brieuc.

La vision du développement en France des énergies marines poussée par l’ADEME, repose sur une

série de scénarios à l’horizon 2030. Selon ceux-ci, la production électrique des énergies marines

oscillerait de 41,2 TWh par an dans le meilleur des cas à 7,7 TWh par an pour le scénario noir. Ceci est

à comparer avec les 563 TWh produits en 2014, soit une part variant de 7,3 à 1,4% à production

constante.

III. Autres

Même si l’étude choisit des focus particuliers, d’autres développements prometteurs sont en cours.

Sur la biomasse et les biocarburants, les nouvelles générations de centrales permettent de diminuer

les surfaces requises pour une production constante. De même la réutilisation de déchets

organiques – de l’industrie forestière par exemple – s’améliore ; en Europe le biogaz et le

biométhane sont promis à un bel avenir. Cela induit des développements de capacités notamment

en Asie (Chine, Japon) et au Brésil. Une problématique particulière demeure néanmoins, celle des

chaines logistiques associées. Avec l’augmentation de la demande en résidus de bois, certains pays

deviennent des fournisseurs de matière première pour biomasse comme les Etats-Unis (3 924 000

tonnes de copeaux exportées en 2014) ou le Canada. Cela a nécessairement un impact sur les

émissions de gaz à effet de serre (transport maritime) et limite donc l’intérêt de certaines formes de

biomasse pour la lutte contre le changement climatique.

De la même manière, la géothermie est également en plein développement y compris hors des pays

les plus avancés, à l’exemple du Kenya qui a mis en service 358 MW de géothermie en 201431. Au

niveau industriel une Global Geothermal Alliance a été créée en 2014 afin de regrouper les acteurs

du secteur. Des avancées technologiques ont lieu comme les centrales combinées géothermie-

solaire à concentration étudiées par Enel pour améliorer l’utilisation thermique de la géothermie. De

son côté le gouvernement américain mène des recherches sur la réduction des risques associés aux

forages géothermiques avec un système baptisé Enhanced Geothermal Systems32.

30

Voir la brochure conjointe GICAN-SER, L’industrie maritime française s’engage pour les énergies renouvelables, d’octobre 2015. 31

Pour arriver à un total national de 600 MW de géothermie installés 32

Au-delà des risques liés au forage, la géothermie présente des inconvénients sur les gaz soufrés potentiellement relâchés dans l’air.

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Indicateurs

I. Prix du carbone

La question du prix du carbone, présente dès l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto dans les

années 2000, demeure centrale dans la problématique du développement de solutions ENR et

d’efficacité énergétique. En effet toutes ces technologies, outre leurs désavantages structurels,

s’avèrent bien plus couteuses au KWh produit que les solutions hydrocarbures traditionnelles. La

volonté de fixer un « prix » du CO2 est l’une des clés pour permettre une meilleure attractivité

économique des ENR, sans avoir recours au mécanisme des subventions33. La volonté de créer une

bourse du carbone pour gérer les quotas de CO2 et, par-là, permettre un meilleur financement des

solutions énergétiques innovantes et sobres en carbone, a donné naissance à plusieurs initiatives

dont l’ETS (European Trading Scheme).

Le prix actuel du carbone de l’ordre de 5-10 EUR la tonne est néanmoins trop faible pour permettre

une mise en place efficace de marchés du carbone, car il n’impacte pas de façon significative les

coûts de production des centrales les plus polluantes et n’incite donc pas suffisamment la réduction

des émissions. Cette faiblesse de prix est l’une des raisons principales de l’échec de la bourse

européenne Bluenext34. La question du prix minimal est donc centrale pour l’efficacité d’un éventuel

marché carbone, instrument important de la régulation des émissions de CO2. Un prix minimal de

20-30 USD la tonne semble selon les études être nécessaire afin d’obtenir un mécanisme qui ait un

impact visible sur les comportements nationaux et industriels35.

II. Structure de la concurrence

La structure de la concurrence entre les deux grandes catégories (fournisseurs de solutions

industrielles et intégrateurs) et au sein de ces dernières joue un rôle non-négligeable sur la

disponibilité et les prix des solutions ENR et d’efficacité énergétique. La rationalisation des coûts par

un effet de taille des entreprises proposant des solutions clé-en-mains avec une maitrise de

l’ensemble de la chaine de valeur industrielle, tendrait à faire diminuer les coûts globaux

d’installation, si ce n’est d’opération.

Les grands mouvements de rachats des entreprises fabricant les éléments industriels par d’autres

industriels (exemple Astom-GE) ou par des intégrateurs sont le signe d’une certaine concentration

du secteur. Un autre mouvement est celui du regroupement des savoir-faire, notamment par des

joint-ventures du type Adwen (Areva-Gamesa) ou des alliances (exemple E.ON-Vestas) qui se

33

Lequel est fortement décrié voire peut s’avérer contre-productif. 34

Combiné à d’autres aléas comme les fraudes à la TVA, les cyberattaques, etc. 35

http://www.euractiv.fr/sections/climat-environnement/le-parlement-europeen-veut-ressusciter-le-marche-du-carbone-en-2019 ; http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/decryptage/2015/05/27/29002-20150527ARTFIG00006-prix-du-carbone-quels-sont-les-enjeux.php

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multiplient. De la même manière que pour le secteur des utilities dans les années 2000, un

bouleversement de cet ordre dans le sous-secteur des ENR ou de l’efficacité énergétique pourrait

amener à la constitution de super-entités très internationalisées où 4 à 5 entreprises se

partageraient les grands marchés mondiaux.

Sur la question des smart grids, l’entrée sur le marché de l’énergie de fournisseurs de solutions big

data comme Google, IBM ou Microsoft, peut aboutir à une véritable redéfinition du marché. Ces

acteurs de l’Internet se montrent pour le moment les plus intéressés par ces nouvelles technologies

et sont ceux qui y investissent le plus36. La nécessaire complémentarité entre énergéticiens et

professionnels de la donnée pourrait même donner naissance à des rachats d’entreprises de

l’énergie par ces derniers. Google et les autres champions de la donnée deviendraient ainsi des

prestataires globaux du mode de vie et créeraient une nouvelle sorte d’utilities. Ceci serait d’autant

plus important que le développement de ces nouveaux réseaux électriques s’intègre dans la réflexion

plus large sur les smart cities dans lesquelles les gestionnaires de données auront un poids

prépondérant pour coordonner les différents champs (énergie, eau, déchets, etc.).

III. Règlementations internationales

Les avancées des principales négociations internationales sur le climat s’avèrent décisives pour

l’avenir des ENR et de l’efficacité énergétique. Avec un Protocole de Kyoto prolongé sine die depuis

la conférence de Copenhague en 2009, le système international peine à s’entendre sur une véritable

politique de lutte contre le changement climatique. la COP21 de Paris a donné une direction mais

les résultats des conférences suivantes s’avèrent décisifs en ce sens. Si jamais une règlementation

contraignante (taxation brute à la tonne de gaz à effet de serre émise p.e.) venait à voir le jour, avec

ou sans discrimination du niveau de développement des pays, c’est l’ensemble du système

énergétique mondial qui pourrait être bouleversé. Eu égard aux écarts de production de CO2 selon

les différentes installations – de 888 tonnes par GWh pour le charbon à 26 t pour l’hydraulique et le

solaire – les technologies ENR et d’efficacité énergétique seraient portées par cette pression fiscale.

De la même manière, la question des instruments de financement des transitions et de l’adaptation

des secteurs énergétiques nationaux est là aussi un enjeu majeur de ces conférences. La création

éventuelle d’un fonds climatique différent du Fonds vert pour le climat de la CCNUCC – sous l’égide

d’un organisme restant à définir – peut participer à la popularisation des énergies renouvelables

quand on sait que ces dernières sont extrêmement coûteuses par MW installé. La Banque mondiale

estime ainsi les besoins en financement entre 600 et 800 milliards USD supplémentaires par an pour

atteindre les objectifs des Nations-Unies sur Sustainable Energy for All, soit près du triplement du

niveau d’investissement de 2010.

Une autre problématique touche les règlementations de financement des institutions financières

internationales telles que la Banque mondiale. La volonté de financer ou non certaines énergies quel

36

Google a récemment créé l’entité Sidewalk Labs pour agir dans le domaine des smart cities : http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-avec-sidewalk-labs-google-s-attaque-au-marche-des-smart-cities-61442.html

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que soit le niveau de développement de certains pays a nécessairement un impact sur le choix de

telle ou telle source. Alors que la Banque proclame haut et fort sa volonté d’agir comme un acteur

responsable et de lutter contre le changement climatique37, elle continuait il y a peu de financer des

mégaprojets très polluants comme celui de la centrale à charbon de Medupi en Afrique du Sud38. Le

comportement des institutions financières internationales à portée globale comme la Banque

mondiale ou à portée régionale (Banque interaméricaine de développement, Banque africaine de

développement, etc.) est donc central dans la problématique de l’accès à l’énergie de nombreux

pays. Si des déclarations ont eu lieu en marge de la COP21, il convient de rester attentif sur leur

application. Tant que les grands projets hydrocarbures pourront être financés en partie par ces

organismes, les ENR seront mécaniquement moins intéressants pour les pays en développement. En

outre, toujours dans cette optique, la faiblesse du prix du baril de pétrole rend les ENR

particulièrement peu intéressantes économiquement pour les pays ayant des problématiques

d’accès à l’énergie.

Les règlementations associées aux grands ensembles régionaux tels que l’Union européenne ont

également un impact plus ou moins direct selon le degré de contrainte associé à leurs décisions. Au

sein de l’Union européenne, le paquet énergie-climat de 2030 qui se veut plus ambitieux que le

précédent, établit des règles importantes quant à la performance énergétique et la part des ENR

dans les mix énergétiques nationaux. En effet en souhaitant réduire de 40% les émissions de gaz à

effet de serre d’ici 2030 (contraignant au niveau national), l’Union veut aussi augmenter à 27% le

taux de renouvelables dans les mix nationaux (contraignant au niveau communautaire) et

augmenter le taux d’efficacité énergétique à 27% lui aussi (contraignant au niveau communautaire).

Il s’en suit une transposition au niveau des Etats qui doivent, selon les cas envisagés, se plier aux

décisions communautaires sur les questions d’énergie liées au climat. De la même manière, il

n’existe pas au niveau européen, malgré la libéralisation des marchés de l’électricité (directive

2003/55/CE), de cadre dédié au stockage de l’énergie ce qui complique l’entrée d’industriels en

demande de visibilité sur ce secteur.

IV. Règlementations nationales

Au-delà des questions globales et régionales, contraignantes ou non, c’est en grande partie l’action

des acteurs politiques nationaux qui se révèlerait primordiale pour l’adoption en masse des ENR ou

des solutions d’efficacité énergétique. En effet, les questions de stratégie énergétique nationale39,

de politique fiscale vis-à-vis des dispositifs propres (financements, subventions, tarifs de rachat, etc.)

et de cadre règlementaire (facilité pour l’installation de petites unités, nécessité d’améliorer la

performance énergétique des bâtiments, statut particulier pour les entreprises de stockage

d’énergie, etc.) sont au cœur de la problématique.

37

http://www.worldbank.org/en/topic/energy/overview#2 38

“South Africa Wins $3.75 Billion Coal Loan”, NewYorkTimes, 9 avril 2010. 39

Présentes dans les fiches pays de la phase 1.

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Diverses options peuvent être envisagées en matière de contrainte environnementale ou

d’obligation d’installation des ENR. Il peut s’agir d’une orientation étatique simple comme c’est le

cas en France avec la loi sur la transition énergétique qui prévoit l’abaissement de la part de

certaines énergies dans le mix national (nucléaire) et l’augmentation d’autres en parallèle (ENR). Il

peut également s’agir d’une politique plus orientée vers les entreprises comme c’est le cas dans des

pays disposant d’un secteur libéralisé.

En Chine la volonté du pays d’aboutir à un plafonnement de ses émissions de gaz à effet de serre en

2030 peut se heurter aux questions de développement économique. Le rôle politique du National

Climate Change, Energy Efficiency, and Emission Reduction Leading Small Group créé en 2007 pour

règlementer les aspects environnementaux peut se révéler décisif s’il obtient des moyens à la

hauteur de sa tâche40. C’est notamment l’arbitrage entre les différentes options énergétiques, dont

le gaz, qui permettrait à la Chine de continuer son développement dans les ENR. En 2014, la Chine

avait une capacité installée de 115 GW soit près de deux fois celle des Etats-Unis.

40

Il est pour le moment avant tout un organisme consultatif de la Commission du Développement et de la Planification.

Le cas chilien

Le Chili présente une situation particulière en Amérique latine. Le pays est en effet le premier de

la région à avoir libéralisé en profondeur son secteur énergétique avec la Loi générale sur les

services électriques de 19821. Le processus de libéralisation des services électriques se poursuit

après le retour à la démocratie et jusqu’en 1998 avec la vente d’Edelaysen, dernière grande

entreprise de production électrique nationale. A l’heure actuelle, le secteur de la production, de

la transmission et de la distribution électrique est privatisé à 100%, ce qui est une originalité dans

la région. Toutefois l’Etat a conservé un rôle important dans tout ce qui touche aux

problématiques de sécurité énergétique et trace les grandes orientations nationales via la

Commission Nationale de l’Energie, avant la création d’un ministère de l’Energie en 2010 sous le

gouvernement Piñera. A l’heure actuelle, le gouvernement chilien a choisi une posture

extrêmement proactive dans le domaine des ENR. En 2008 une loi pour le développement des

énergies renouvelables de nouvelle génération est promulguée. Elle prévoit un cadre

règlementaire contraignant pour les opérateurs électriques en les obligeant à augmenter

progressivement le pourcentage d’ENR de nouvelle génération dans leur mix électrique, jusqu’à

atteindre 10% en 2024. Il est laissé à chaque opérateur le choix des énergies à développer. Un

mécanisme complet a été créé pour inciter les différents industriels producteurs d’électricité à

développer ces nouvelles sources d’énergie : développement des mécanismes d’appel d’offres et

de financement – avec notamment l’action de l’Agence de développement économique du Chili

qui stimule l’investissement privé dans les ENR - intégration des ENR dans le plan d’actions

d’efficacité énergétique 2012-2020 et la création d’un centre de promotion des ENR nouvelles

génération.

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V. Disponibilité des matières premières

Si les ENR et les solutions d’efficacité énergétique s’avèrent très intéressantes pour réduire les

dépendances nationales aux énergies fossiles, elles n’en sont pas moins elles-mêmes

consommatrices de matériaux stratégiques. En effet, là où les technologies thermiques à base

d’hydrocarbures – voire les turbines hydraulique – se révèlent relativement simples à fabriquer, la

complexité des ENR (solaire et éolien principalement) crée de nouvelles dépendances. Le solaire et

l’éolien nécessitent de fait pour fonctionner des matériaux stratégiques, principalement des métaux

plus ou moins rares, entrant dans la composition des turbines (éolien) ou des panneaux à couches

minces (solaire). De la même manière les différentes approches de l’efficacité énergétique,

principalement autour de la question du stockage d’énergie par batteries, posent la problématique

des approvisionnements en matières premières stratégiques. Si le lithium ne semble pas être la

solution pour un développement à grande échelle, diverses voies technologiques pourraient amener

à des dépendances nouvelles (au vanadium majoritairement produit en Chine, Russie et Afrique du

Sud par exemple) et ainsi un déplacement de la criticité des approvisionnements dans des mesures

restant à définir.

La problématique des terres rares, souvent posée, trouve ici de nouveaux développements. Les

éoliennes notamment sont dépendantes du néodyme pour la fabrication d’aimants de forte

puissance destinés aux grandes éoliennes. De la même manière, les couches minces des panneaux

solaires intègrent nombre de métaux stratégiques allant de l’indium au germanium41 La question de

l’approvisionnement en matières premières stratégiques pour les constructeurs de solutions

industrielles devient ainsi critique. Les pays et entreprises détenant ces éléments particuliers sont

ainsi en position de force pour peser sur les approvisionnements en matières premières nécessaires

à la construction des éléments industriels des ENR. Cette stratégie du contrôle de la productivité qui

a été mise en place par la Russie, notamment dans l’aéronautique42, pourrait permettre aux Etats et

aux entreprises minières de peser sur le marché si celui-ci se développe en profondeur. Cela pourrait

amener à des transferts de technologie « forcés », des développements économiques préférentiels

ou des stratégies d’approvisionnements améliorées43.

Etat des ressources nécessaires à la fabrication d'ENR ; sources : USGS ; Polinares.

Item Pays Production (t) Ressources (t)

Terres rares (données 2014)

Etats-Unis 7 000 1 800 000

Chine 95 000 55 000 000

Australie 2 500 3 200 000

Inde 3 000 3 100 000

Brésil 0 22 000 000

41

C’est le cas des nouvelles cellules photovoltaïques en couche mince dites CIGS (Cuivre-Indium-Germanium-Sélénium). 42

Voir MAZZUCCHI N. (2012), «Emprise stratégique de l’État et puissance internationale : le cas des métaux en Russie », Géoéconomie n°61, pp. 117-131. 43

Sachant que certains de ces items demandent à être fortement raffinés au travers d’un processus très polluant, comme c’est le cas des terres rares ce qui induit également une importance sur la chaine de valeur des industriels des produits « prêts à l’emploi » comme Solvay ou Treibacher dans ce cas précis.

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22

Indium (données 2014)

Chine 420 2 100 ?44

Corée du S. 150 ?

Japon 72 ?

Canada 65 300 ?

Germanium (données 2014)

Etats-Unis 0 ?

Chine 120 ?

Russie 5 ?

Sélénium (données 2014)

Japon 750 NA45

Allemagne 700 NA

Chine NA 26 000

Russie 150 20 000

Canada 150 6 000

Cuivre (données 2014)

Chili 5 800 000 209 000 000 Russie 850 000 30 000 000

Australie 1 000 000 93 000 000 Pérou 1 400 000 68 000 000

Prospective

I. Scénario A : développement différencié dans le monde

Le quasi statu quo issu des conférences de la CCNUCC depuis 2016 induit un relatif découragement

de la part des promoteurs des solutions énergétiques bas carbone. En effet la COP21 n’a pas atteint

l’objectif d’une règlementation internationalement contraignante au niveau de la taxation des

émissions de gaz à effet de serre. Il s’ensuit que la dichotomie pays avancés/pays en développement

demeure, sans que celle-ci ne recouvre la réalité. Chaque pays se retrouve donc plus ou moins libre

de ces décisions en ce domaine, au plus grand bénéfice des pays émergents et des Etats-Unis qui

refusent obstinément un alourdissement de la charge fiscale que cela induirait. De même les

conditions d’abondement du fonds vert pour gérer la lutte contre le changement climatique ne sont

pas suffisamment précises et les anciens mécanismes, notamment au travers de la Banque Mondiale,

demeurent la règle.

Dans ce contexte, les pays les plus avancés, qui se voient astreints à des objectifs au titre du

Protocole de Kyoto, demeurent en pointe dans la réduction de leur empreinte carbone. Les pays

européens, suivant les ambitions des plus développés d’entre eux ainsi que les règlementations de

l’Union, continuent sur leur voie d’une transition énergétique douce, portée par le couple

44

L’estimation des réserves d’indium et de germanium est extrêmement complexe à réaliser car celui-ci se trouve de manière relativement aléatoire et en très petite quantité dans des dépôts de zinc. 45

Le sélénium est généralement associé au cuivre, il suit son marché en termes de production brute et raffinée.

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23

renouvelables/efficacité énergétique. La part des ENR dans les mix énergétiques nationaux se

développe doucement, sans toutefois pouvoir en constituer une base réelle. Aucune politique

d’unification électrique européenne n’existe vraiment et le gaz est, par défaut, la source d’électricité

la plus commune au sein de l’Union. Pour leur part les Etats-Unis tentent de limiter la hausse des

émissions de gaz à effet de serre au niveau national mais pas au prix de leur croissance, l’efficacité

énergétique, au travers des smart grids, permet de combler certains points noirs du réseau national,

comme en Californie. La Chine est lancée dans une politique de développement des ENR pour

atteindre ses objectifs nationaux de pic d’émissions en 2030. Dans ce cadre les ENR46 sont vues

comme l’un des pans de la solution globale qui tend à promouvoir également le gaz et le nucléaire.

Les réseaux intelligents dans les pays émergents sont surtout pensés pour les nouvelles mégapoles

qui se développent sans cesse que ce soit en Chine ou en Inde.

La structure économique mondiale semble aller de plus en plus vers une spécialisation internationale

où, à l’exception de certains pays (Allemagne, Etats-Unis), les composants industriels des solutions

ENR et d’efficacité énergétique sont quasi-exclusivement produits par les pays émergents (Chine,

Inde, Corée du Sud, Taïwan, etc.). De la même manière, les intégrateurs de solutions ENR et de

smart grids sont majoritairement présents dans les pays les plus avancés (France, Japon, Etats-Unis,

Allemagne, Royaume-Uni, etc.) avec toutefois un développement de la Chine au travers de State

Grid of China. La compétition internationale se stabilise ainsi même si certains acteurs comme

l’Allemagne, les Etats-Unis et même la Chine tentent d’être présents sur l’ensemble du spectre. La

part des solutions ENR et d’efficacité énergétique se développe mais demeure plus un appoint

qu’une base, sauf dans certaines régions (Europe, éventuellement Japon).

II. Scénario B : accord climatique majeur

Les conférences climatiques de la CCNUCC aboutissent, après de celle de Paris fin 2015, à un accord

très contraignant où le principe de la taxation des émissions brutes est adopté. Cela fait suite à un

revirement des Etats-Unis et de la Chine qui, s’étant de plus en plus positionnés sur le marché des

ENR et de l’efficacité énergétique, craignent que l’une des deux puissances ne prenne un avantage

décisif sur l’autre dans le domaine énergétique. Même si l’accord en question est prévu pour n’entrer

en vigueur qu’en 2030, lorsque les pays auront fait les efforts nécessaires pour adapter leur mix

énergétique aux nouvelles contraintes, les effets se font sentir dès la fin des années 2010. En effet la

création d’un « fonds vert », bien supérieur en termes de dotation au Clean Technology Fund (CTF)

de la Banque Mondiale, sous l’égide de la CCNUCC permet avec d’importantes contributions

nationales de financer la transition énergétique partout dans le monde.

L’accord climatique met aussi fin à la dichotomie entre les pays de l’Annexe 1 du Protocole de Kyoto

et les autres, pour créer une échelle d’évaluation de maturité techno-économique, permettant

d’établir des priorités en termes de financement ; les pays les plus hauts dans cette échelle

s’autofinançant et les plus bas étant soutenus par les organismes multilatéraux dont le nouveau

« fonds vert ».

46

Avec évidemment des choix technologiques différents selon les pays.

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24

Cela entraine un regain de l’investissement dans le secteur des énergies renouvelables et de

l’efficacité énergétique, aussi bien pour les questions de développement de matériels que

d’intégration. Les grandes entreprises de l’énergie qui n’étaient pas ou peu positionnées sur ces

créneaux47 s’y intéressent fortement par rachat de structures, et celles qui y étaient déjà implantées

s’y investissent encore d’avantage. Il en résulte un développement de la compétition où les petites

et moyennes structures actuelles comme Gamesa ou Vestas dans l’éolien sont partiellement ou

totalement rachetées par un ou plusieurs grands énergéticiens. Eu égard à leur position compétitive

qui se renforce, les acteurs chinois voire indiens deviennent des compétiteurs importants dans

certains domaines (éolien, solaire) pour les marchés en développement ou peu avancés. Il en résulte

une certaine cristallisation du marché autour d’une série d’hyperacteurs du Nord et des grands

émergents détenteurs de la technologie, à l’image de ce qui existe dans le monde pétrolier.

L’Europe demeure dans ce cadre un des hauts lieux de savoir-faire en matière d’ENR et d’efficacité

énergétique avec quelques grands groupes très puissants comme Siemens ou Engie. Toutefois les

petites et moyennes structures du continent, souvent très innovantes industriellement, sont la proie

d’une compétition féroce entre acteurs non-européens comme GE ou State Grid of China qui

cherchent à s’en emparer. Le cas Alstom, représentant une certaine perte de savoir-faire stratégique

sur l’efficacité énergétique au profit d’un groupe extra-européen, tend à se reproduire à plus petite

échelle mais de manière répétée. La France au travers de ses grandes entreprises dispose d’une

avance certaine dans les ENR (SunPower-Total, EDF Energies nouvelles, Engie voire Areva si cette

dernière subsiste) et l’efficacité énergétique (Engie, EDF). Toutefois elle est dépassée en ce qui

concerne la gestion des données afférentes aux smart grids de grande voire très grande ampleur et

doit faire appel à des partenaires américains en ce qui concerne les questions de big data inhérentes

(Google, Amazon, Cisco, IBM, etc.).

III. Scénario C : percée technologique

De grandes avancées technologiques durant la décennie 2020 permettent de rendre les solutions

ENR et d’efficacité énergétique plus productives, mais aussi – et surtout -, plus rentables. La

principale avancée pourrait être le dépassement du breakeven technologique sur les questions de

stockage d’électricité (autres que stockage par retenue d’eau). De nouveaux matériaux permettant

de stocker de manière décentralisée des quantités importantes d’électricité représentent un

véritable bond en avant et, sans doute, les prémisses d’une révolution socio-économique. En effet

dans ce cadre il devient possible d’intégrer plus avant les ENR dans les mix électriques, à un niveau

local pour les besoins d’une ville ou d’une petite région, tout en diminuant l’impact de la question de

l’intermittence. De la même manière cela favorise l’installation de smart grids dans les pays désireux

et disposés à le faire, principalement en Europe, Amérique du Nord et Asie orientale/du Nord (Chine,

Japon, Corée du Sud).

47

Certaines majors pétrolières notamment (ExxonMobil, Shell, etc.) qui ont abandonné les ENR dans les années 1990-2000 faute de rentabilité suffisante.

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SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique

25

Toutefois selon le type de matériaux nécessaires à la construction de ces installations de stockage

électrique (métaux stratégiques essentiellement), une part de la dépendance peut aussi être

imputée aux fournisseurs (pays comme entreprises) de ces matériaux de base. En ce sens les grands

pays miniers comme la Russie, l’Australie, l’Afrique du Sud ou le Brésil ont un levier d’action non-

négligeable selon le ou les items considérés.

L’accès à ce type de technologie économiquement viable ouvre la porte à des négociations

internationales apaisées puisqu’il devient progressivement possible de penser le développement

économique de pays ou de régions sans nécessairement diminuer leur consommation énergétique.

Cela permet ainsi de débloquer la position des Etats-Unis et des grands émergents aux conférences

de la CCNUCC, même si la Russie, eu égard à ses déterminants particuliers, devrait rester opposée à

un accord global. Toutefois avec un retournement des Etats-Unis et de la Chine vers une volonté de

rénovation du système de régulation internationale du climat – d’autant plus que les deux pays sont

de grands fabricants d’ENR – une nouvelle donne est possible avec l’idée d’une taxation des

émissions à la tonne de gaz à effet de serre émise, remplaçant le mécanisme actuel des quotas. De la

même manière les questions de financement des transitions vers ce nouveau mode de

fonctionnement du secteur électrique48 est au cœur des débats avec, selon la ou les entreprises à

l’origine de cette percée technologique, une facilité accrue pour l’élargissement du CTF de la Banque

mondiale ou du fonds vert de la CCNUCC.

Il s’ensuit que la ou les entreprises ayant développé cette nouvelle technologie acquièrent de fait une

place dominante sur le secteur de l’énergie au niveau industriel comme utilities. La compétition

économique donne ainsi nécessairement un avantage aux entreprises (et aux pays d’origine de ces

dernières) à l’origine de cette nouvelle technologie, même si l’exclusivité ne durerait probablement

pas très longtemps49. Les firmes les plus susceptibles d’y arriver, lorsque l’on regarde les dépôts de

brevets, les investissements en R&D et le niveau technologique actuel, se situent plutôt dans les

pays du Nord. Pour l’Europe et la France cela offre deux voies différentes. Si l’entreprise est

originaire du continent, alors cela peut entrainer la création de normes au niveau de l’UE, avec une

politique de l’Union de mettre l’accent sur ce nouveau mode de production électrique, et donner à

l’entreprise et à son Etat d’origine (plus probablement France ou Allemagne) une forme de

domination technologique sur la région. Si l’entreprise est extra-européenne (plus probablement

nord-américaine voire asiatique) se pose alors la question de la transposition de la technologie et des

normes associées en Europe (au niveau de l’Union comme de chacun des pays). Des alliances

technologiques seraient ainsi probablement nouées avec certains des champions technologiques de

la région (Siemens, Engie, Areva, etc.) pour implanter cette technologie innovante dans les pays.

Cela créerait néanmoins une forme de dépendance, non aux matières premières mais à la

technologie pour l’Europe, qui remplace partiellement la dépendance aux hydrocarbures.

48

Avec le stockage d’électricité en volume, c’est aussi le secteur des transports qui devrait s’orienter de plus en plus vers les véhicules électriques et, de fait, diminuer son empreinte carbone. 49

Que ce soit par transfert de technologies, rachat de brevets, etc.

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SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique

26

Conclusion

Le secteur des ENR et de l’efficacité énergétique est l’une des plus intéressantes solutions pour

combiner sécurité énergétique et lutte contre le changement climatique. Les développements

technologiques, en germe en France et dans le monde, montrent que les grandes barrières comme

l’intermittence ou le stockage de l’énergie sont peu à peu en train de tomber, ouvrant des

perspectives prometteuses. Comme tout secteur en plein développement, les ENR et l’efficacité

énergétique sont au cœur d’une compétition économique féroce où les acteurs mondiaux se

montrent de plus en plus agressifs dans le développement technologique aussi bien que le rachat

d’entreprises étrangères.

Dans ce cadre, la France et l’Europe disposent d’un certain nombre d’atouts. D’une part un savoir-

faire technologique reconnu avec une antériorité non-négligeable, des entreprises dynamiques et de

grands groupes conscients de l’intérêt économique que le secteur représente. En outre les

populations européennes sont très conscientes des effets du changement climatique et donc

enclines à accepter, plus facilement que d’autres, le déploiement massif de ces solutions. Enfin les

organes de régulation nationaux ou communautaires sont particulièrement incitatifs en ce qui

concerne les ENR et les technologies d’efficacité énergétique.

Néanmoins la compétition mondiale, avec des acteurs chinois et américains de très grande taille,

ainsi que le maintien ou le développement d’acteurs asiatiques (japonais, sud-coréens, indiens),

induit des dangers sur les entreprises européennes. Au-delà d’une compétition féroce pour les

marchés, y compris émergents et peu avancés, les rachats de petites ou moyennes entreprises

élaborant de nouvelles solutions constituent un risque majeur de perte de savoir-faire. Au sein

même de l’Europe, la France fait face aux ambitions allemandes en ce domaine. Avec une politique

très incitative voire agressive sur les ENR et l’efficacité énergétique et la possibilité de faire porter –

parfois à un niveau multinational – les projets par un groupe tel que Siemens, l’Allemagne risque de

prendre une avance décisive. Les questions de normes étant critiques dans ce domaine, une trop

grande présence allemande sur le marché et dans les institutions communautaires, créerait un

désavantage structurel pour les entreprises françaises. La France doit donc se positionner dès

aujourd’hui au niveau de toutes les structures multilatérales pour défendre ses entreprises et son

savoir-faire.

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SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique

27

Annexes

Coûts des différentes énergies aux Etats-Unis en service en 2020 sur une base

économique de 2013 ; source : Energy Information Administration

Source d’énergie Facteur de capacité (%) Coût total de génération

(USD 2013/MWh)

Charbon conventionnel 85 95

Charbon supercritique

avec CCS 85 144

Gaz à cycles combinés 87 73

Nucléaire (Gen. III+) 90 95

Géothermique 92 48

Biomasse 83 101

Eolien terrestre 36 74

Eolien offshore 38 197

Solaire PV 25 125

Solaire thermique 20 240

Hydraulique 54 84

Consommation d’énergie primaire au niveau mondial par source en 2015 ;

source : BP

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SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique

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Capacités solaires installées en 2014 ; source : Global Wind Energy Council

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SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique

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Investissements mondiaux en ENR et efficacité énergétique (1990-2009) ; source :

Banque Mondiale

Evolution de la demande d’énergie primaire au niveau mondial (millions TEP) ;

source : AIE

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SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique

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Production d’électricité d’origine renouvelable en France (GWh) ; source :

MEDDE (base Pégase)

Capacités installées (2014) de stockage d’énergie (MW) ; source : AIE

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SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique

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Maturité des technologies de stockage d’énergie ; source : AIE

Potentiel des différentes énergies marines ; source : GICAN-SER

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SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique

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Carte des projets d’énergies marines en France : source : MEDDE

Evolution du parc mondial d’ENR ; source : REN21

Energie Capacité installée en

2004 (GW) Capacité installée en

2014 (GW) Evolution (%)

Hydro 715 1055 32

Bioénergies 36 93 158

Géothermie 8,9 12,8 44

Solaire PV 2,6 177 671

Solaire à concentration

0,4 4,4 1000

Eolien 48 370 671

Total sans hydro 85 657 673

Total avec hydro 800 1712 114

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SESEF – Evolutions des technologies renouvelables et efficacité énergétique

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Références

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SÉCURITE ÉNERGETIQUE :

STRATÉGIES POUR L’EUROPE ET LA FRANCE

Phase 2

Sécurité énergétique :

quelle contribution pour le gaz

naturel liquéfié (GNL) ?

Avril 2016

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SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?

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SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?

3

Sommaire

Résumé ................................................................................................................... 5

Note ........................................................................................................................ 5

Organisation et dynamiques du secteur ..................................................................... 6

I. Le GNL ........................................................................................................................... 6

1. Le marché mondial du gaz naturel et la part du GNL ........................................... 6

2. La chaîne du GNL ................................................................................................ 6

II. Echanges internationaux .............................................................................................. 10

III. Structures contractuelles, mécanismes de pricing et prix ............................................ 14

1. Structures contractuelles .......................................................................................... 14

2. Mécanismes de pricing .............................................................................................. 14

3. Prix ........................................................................................................................... 15

IV. Développements ......................................................................................................... 16

1. Australie ............................................................................................................. 17

2. Etats-Unis et Canada .......................................................................................... 17

3. Arctique/Russie ..................................................................................................20

4. Egypte ................................................................................................................22

5. Autres .................................................................................................................22

V. Poids des grandes compagnies internationales............................................................ 23

VI. Evolutions techniques ................................................................................................. 23

1. Le Floating Storage and Regasification Unit (FSRU) .......................................... 23

1. FLNG .................................................................................................................. 25

Enjeux géopolitiques .............................................................................................. 26

I. La position dominante du Qatar et les risques sur le transport (Ormuz, Malacca, mer

Rouge) ............................................................................................................................. 26

II. L’essor de l’Australie et des Etats-Unis ......................................................................... 27

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SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?

4

III. La dépendance du Japon, de la Corée du Sud et de Taiwan ........................................ 28

IV. Rôle prépondérant des chantiers de construction de la Corée du Sud et du Japon ..... 29

Implications pour l’Europe et la France ..................................................................... 30

I. Risques sur les approvisionnements d’Algérie ............................................................... 32

II. Opportunité de diversification grâce au GNL américain ............................................... 33

Scénarios prospectifs ............................................................................................... 35

I. Scénario A : Croissance du marché, émergence de prix de référence GNL, convergence

partielle des marchés gaziers ........................................................................................... 35

II. Scénario B : surcapacité, guerre des prix et crise du secteur du GNL ............................ 35

III. Scénario C : Demande accrue de GNL ......................................................................... 36

Conclusion .............................................................................................................. 37

Bibliographie ......................................................................................................... 38

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SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?

5

Résumé

S’il ne représente encore qu’une partie mineure du marché mondial du gaz, de l’ordre de 10%, le

GNL connaît une croissance importante et constante : depuis dix ans, les échanges internationaux

de gaz ont été multipliés par deux.

Cette tendance est vouée à perdurer sur les prochaines années : la capacité de liquéfaction au niveau

mondial est attendue à près de 450 MTPA en 2020, soit une augmentation de 40% par rapport à

2014, en particulier grâce à la mise en service d’usines de liquéfaction en Australie et aux Etats-Unis.

Ce mouvement sera probablement accompagné par des évolutions sur les formes contractuelles, les

mécanismes de pricing et l’organisation des marchés.

Note

Le marché du GNL est, comme pour le gaz naturel en règle générale, caractérisé par l’utilisation de

différentes unités de mesure, en fonction des pays et des usages.

Dans un souci de cohérence et de simplicité, seront utilisés ici les unités et les termes les plus

couramment employés dans les publications internationales spécialisées.

Ainsi, pour les volumes, l’unité préférée est le MT pour Millions de tonnes GNL et le MTPA Millions

de tonne/an.

Pour les prix, nous avons privilégié l’unité USD/mmBTU = dollar per million British Thermal Unit.

Enfin d’un point de vue géographique, le terme Asie-Pacifique comprend les pays suivants : Australie,

Nouvelle-Zélande, Papouasie Nouvelle-Guinée, Indonésie, Singapour, Malaisie, Thaïlande,

Cambodge, Laos, Vietnam, Philippines, Taïwan, Corée du Sud, Corée du Nord et Japon.

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Organisation et dynamiques du secteur

I. Le GNL

Le GNL (Gaz Naturel Liquéfié) désigne le gaz naturel transformé sous forme liquide. Cet état est

atteint lorsque le gaz est refroidi à une température d’environ -161°C à pression atmosphérique. Le

gaz naturel liquéfié est un liquide dit « cryogénique » (liquide dont la température est inférieure à -

150°C).

Après traitement, la liquéfaction permet de condenser le gaz naturel en GNL en réduisant de 600

fois son volume initial pour un même pouvoir calorifique, ce qui permet son transport par voie

maritime. Pour être utilisable, le gaz liquéfié a toutefois besoin de subir un traitement de

regazéification, ce qui nécessite là-aussi des terminaux spécialisés.

1. Le marché mondial du gaz naturel et la part du GNL

Le gaz naturel permet aujourd'hui de répondre à environ 25% de la demande énergétique globale.

L'éloignement entre certains pays producteurs comme le Qatar, l’Australie ou le Nigéria et les pays

consommateurs ne permet pas de transporter systématiquement le gaz naturel extrait via un réseau

de gazoducs ; il est alors transporté par voie maritime sur des navires méthaniers, solution plus

simple et plus économique.

Selon les données de l’International Gas Union, 69 % du gaz naturel consommé dans le monde en

2014 l’a été dans le pays de production, 21% a fait l’objet de transport international par gazoduc et

10% a été transporté par voie maritime sous la forme de gaz naturel liquéfié (contre seulement 4%

en 1990).

Dynamisé par la demande soutenue de gaz naturel, les distances croissantes entre zones de

production et de consommation, l’ouverture des marchés et le développement des transactions à

court terme, le commerce mondial du GNL pourrait représenter jusqu’à 40 % des échanges

internationaux de gaz en 2020 selon l’Agence international de l’énergie (AIE)1.

2. La chaîne du GNL

Afin de pouvoir être transporté par voie maritime, le gaz naturel est refroidi après son extraction par

un cycle frigorifique (compression, condensation, détente, évaporation) qui le transforme à -160°C

en l'état liquide. Ainsi liquéfié, il devient possible de le stocker et de le transporter en très grandes

quantités sur des navires méthaniers.

1 Agence internatioanle de l’énergie, Gas Medium-Terme Market Report 2015 - Market Analysis and Forecasts to 2020, juin

2015.

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Une chaîne GNL est mise en place lorsque la construction d’un gazoduc n’est pas envisageable, le

plus souvent en raison de coûts de construction trop élevés, de la distance de transport ou de

contraintes géopolitiques.

Figure 1 : Chaîne du GNL

Source: SIA Partners

La chaîne du GNL repose donc sur trois éléments clés :

1) Une usine de liquéfaction, située sur les côtes du pays exportateur.

Le gaz naturel est d’abord acheminé par gazoduc, du gisement où il a été extrait jusqu’à une usine

de liquéfaction disposant d’une façade maritime et d’installations portuaires. Dans l’unité de

liquéfaction, le gaz naturel subit plusieurs traitements successifs :

- Épuration : elle consiste à extraire le dioxyde de carbone (CO2) du gaz naturel car il peut

endommager les unités de liquéfaction en s’y solidifiant, ainsi que le sulfure d’hydrogène

(H2S) et d’autres composés soufrés ;

- Déshydratation : on élimine l’eau (H2O) du gaz pour éviter la formation d’hydrates de

méthane qui peuvent bloquer les échangeurs cryogéniques. Une fois « sec », le gaz naturel

est quasiment du méthane pur. On le débarrasse également de toute trace de mercure (Hg),

élément toxique qui peut corroder les alliages utilisés dans la suite du processus ;

- Pré-refroidissement : le gaz naturel est refroidi à une température proche de -30°C. Une

série de distillations (dans les colonnes d’épuration) permet d’isoler les hydrocarbures plus

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SESEF – Sécurité énergétique : quelle contribution pour le gaz naturel liquéfié (GNL) ?

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lourds ainsi que les GPL (gaz de pétrole liquéfié : propane et butane). Ceux-ci peuvent être

vendus comme matière première dans la pétrochimie ou comme carburant ;

- Liquéfaction : le gaz est comprimé, refroidi à pression constante puis détendu. Cette

opération est renouvelée à deux ou trois reprises dans des colonnes frigorifiques (pompes à

chaleur) dont le gaz sort à -161°C, entièrement liquide à pression atmosphérique. Le

processus de liquéfaction consomme une importante quantité d’énergie : l’usine de

liquéfaction utilise près de 12% du gaz qui lui est livré pour son propre fonctionnement, en

particulier pour alimenter ses pompes à chaleur.

Avant chargement, le GNL est stocké à pression atmosphérique dans de grands réservoirs

cylindriques verticaux à proximité de l’usine de liquéfaction. Ceux-ci fonctionnent comme des

bouteilles thermos. Métalliques ou en béton, ils possèdent une double paroi et une isolation

thermique sophistiquée afin de maintenir le gaz à l’état liquide (à -161°C) avec un minimum

d'évaporation. Pour rappel, près de 600 m3 de gaz naturel occupent seulement 1 m3 à l’état liquide.

Les réservoirs de GNL, qui disposent d’une capacité de stockage comprise entre 65 000 et 150 000

m3 de GNL permettent donc de stocker de très grandes quantités d’énergie.

2) Des navires méthaniers, pour le transport maritime du gaz liquéfié.

Le GNL est chargé à bord de méthaniers, des navires géants spécialement conçus pour cet usage.

Les méthaniers doivent également être isolés thermiquement pour maintenir le gaz à l’état liquide

en minimisant les déperditions énergétiques : leurs réservoirs sont dits « adiabatiques », c'est-à-dire

sans pertes thermiques. Principalement deux types de méthaniers sont actuellement en service : des

méthaniers équipés de cuves sphériques en aluminium, ancrées à la coque du navire par une jupe en

acier et recouvertes d'une isolation ; des méthaniers à membrane, dont les cuves sont intégrées à la

double coque du navire et en épousent les contours. Pendant la traversée, le méthane qui s’évapore

est récupéré pour participer à la propulsion du navire.

58% des navires en service en 2014 ont une capacité de transport de l’ordre de 125 000 à 150 000 m3.

Les plus gros méthaniers en activité peuvent transporter près de 267 000 m3 de GNL. Ces navires,

dits « Q-MAX » et exploités par la Qatar Gas Transport Company, mesurent près de 345 m de long et

54 m de largeur.

La plupart des méthaniers sont actuellement fabriqués en Asie. Les propriétaires sont soit les

grandes entreprises du secteur de l’énergie, soit des compagnies de shipping spécialisées dans le

secteur comme Teekay, GasLog, Golar LNG, qui affrètent ensuite les navires sur différentes durées.

Une fois à destination, les méthaniers déchargent leur cargaison sur un terminal doté d’une

installation de réception et de stockage cryogénique du GNL dans des réservoirs similaires à ceux

utilisés sur les sites de liquéfaction.

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3) Un terminal méthanier, pour réceptionner, stocker et regazéifier le GNL avant de

l'injecter dans le réseau de transport.

Lorsque la consommation le nécessite, le GNL est regazéifié : sa température est portée de -161°C à

plus de 0°C sous haute pression (entre 60 et 100 bars). Le GNL peut être réchauffé par des

échangeurs à ruissellement d’eau de mer ou par combustion d’une partie du gaz. Avant

l’acheminement du gaz par gazoduc depuis le terminal jusqu’aux réseaux de distribution, son

pouvoir calorifique peut être ajusté par modification de la teneur en azote ou par mélange avec

d’autres gaz.

Les coûts de construction et d’exploitation des différentes composantes de la chaine du GNL varient

de façon significative, en fonction de la taille, du lieu et des caractéristiques techniques des

installations. Cependant il est possible d’identifier ces valeurs indicatives (estimations 2015) :

a) usines de liquéfaction : pour une installation greenfield (projet d’investissement

entièrement nouveau) d’une capacité de 4 à 5 MTPA, les coûts de construction sont de

l’ordre de 6 milliards de dollars (pour un temps de construction supérieur à cinq ans). Une

installation brownfield (par exemple la reconversion d’un terminal de regazéification) des

mêmes caractéristiques présente des coûts de l’ordre de 3 milliards de dollars.

b) navires méthaniers : le coût de construction d’un navire d’une capacité de 120 000 à

140 000 m3 est de l’ordre de 250 millions de dollars et le coût du transport est estimé à 0,8

USD/mmBTU pour un trajet Qatar-Japon et à 1 USD/mmBTU pour un trajet Qatar-Europe

c) terminaux méthaniers : pour une installation d’une capacité de 2,5 à 3 MTPA, les coûts de

construction sont de l’ordre de 1 milliard de dollars (pour un temps de construction supérieur

à cinq ans).

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II. Echanges internationaux

Le commerce du GNL a atteint 241,1 MT en 2014, proche du record historique de 2011 (241,5 MT).

19 pays ont exporté du GNL en 2014, alors que le nombre de pays en capacité d’exporter s’élevait à

29 (33 en 2015 avec le démarrage de terminaux méthaniers en Egypte, en Jordanie, en Pologne et au

Pakistan).

Figure 2 : Volumes échangés

Source: International Gas Union World LNG Report 2015

Comme le montre la figure 3, historiquement la région Asie-Pacifique, avec plus particulièrement la

Malaisie et l’Indonésie, était la principale région exportatrice, jusqu’à l’essor du Moyen-Orient au

début du siècle, et notamment du Qatar, qui a profondément modifié la donne.

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Figure 3 : Exportations de GNL par région (MTPA)

Source: International Gas Union World LNG Report 2015

Le Qatar est depuis 2005 le premier exportateur mondial de GNL, fournissant 76,8 MT en 2014, soit

environ un tiers de l'offre mondiale. La Malaisie et l’Australie – deuxième et troisième pays au

classement des exportateurs – ont vu leurs exportations de GNL atteindre des records historiques

ces dernières années.

Figure 4 : Pays exportateurs en 2014, volumes (MT) et changement vs 2013

Source: International Gas Union World LNG Report 2015

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Figure 5 : Usines de liquéfaction en activité (2014)

Source: IHS

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La région Asie-Pacifique est également la principale région importatrice de GNL, consommant en

2014 environ 60% de la production totale devant l’Europe. Les cinq plus grands importateurs du

monde sont dans l’ordre le Japon, la Corée du Sud, la Chine, l'Inde et Taiwan.

Figure 6 : Pays importateurs en 2014, volumes (MT) et changement vs 2013

Source: International Gas Union World LNG Report 2015

Il est important de remarquer que du fait de l’extrême faiblesse de leur production nationale, le

Japon, la Corée du Sud et Taiwan comptent sur le GNL pour répondre à près de 100% de leur

demande de gaz.

La demande européenne de GNL a significativement baissé ces dernières années, entre autres

raisons à cause de la réduction de la demande industrielle, de la concurrence du charbon, de

l’abondance de gaz transporté par gazoducs et du développement de la génération d’électricité à

partir de sources renouvelables.

Sur le continent américain, on assiste à la croissance des importations du Brésil et du Mexique. Les

Etats-Unis ont longtemps été importateurs nets, leurs importations via des terminaux méthaniers

sur la côte atlantique dépassant les exportations depuis l’unité de liquéfaction Kenai LNG en Alaska,

à destination de l’Asie). Cependant, les importations en 2014 ont été nulles et les capacités

d’exportation sont en cours de développement sur la côte atlantique grâce au démarrage des

opérations de l’unité de Sabine Pass au 1er trimestre 2016, à destination du Brésil.

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III. Structures contractuelles, mécanismes de pricing et prix

1. Structures contractuelles

Sur le marché du GNL on distingue conventionnellement :

- les contrats spot et court terme (opérations ponctuelles ou contrats avec une durée

inférieure à 2 ans)

- les contrats de moyen terme (durée entre 2 et 5 ans)

- les contrats de long terme (durée supérieure à 5 ans).

Historiquement la grande majorité des échanges de GNL se sont effectués dans le cadre de contrats

de long terme, à hauteur de 69% en 2014. Les contrats de moyen terme ont augmenté ces dernières

années, mais restent une faible composante du total, de l'ordre d'environ 10 MT/an (4% du total) en

2014. Les contrats spot et court terme ont représenté 27% (dont 75% consommés dans le bassin du

Pacifique).

2. Mécanismes de pricing

Le pricing sur les marchés mondiaux du gaz est très fragmenté, avec des prix plus influencés par des

facteurs locaux et régionaux que par la dynamique mondiale :

- les prix du GNL sur le continent américain sont en grande partie liés au prix du Henry Hub en

Louisiane, qui est le prix de référence du marché futures ;

- en Europe, le GNL est vendu principalement par le biais de contrats à long terme. Ces

contrats sont historiquement indexés au prix du pétrole, mais la part de l’indexation au prix

des hubs est croissante. En Europe les prix de référence plus largement utilisés sont le

German Border Price pour les contrats de long terme indexés pétrole et les prix des hubs tels

le National Balancing Point (NBP) au Royaume-Uni et le Title Transfer Facility (TTF) au Pays-

Bas ;

- dans les marchés émergents d'Asie et d’Asie-Pacifique, la part des contrats à long terme est

aussi prépondérante. Du fait de l’absence de prix hubs liquides et représentatifs, la plupart

de ces contrats long terme sont indexés au prix du pétrole via le JCC – Japanese Crude

Cocktail. On assiste néanmoins à une augmentation des transactions spot et à l’émergence

d’un indice lié à ces transactions (le JKM – Japan Korea Marker) – indice qui pourra

progressivement servir de base pour l’indexation des contrats de moyen et long terme.

La carte ci-dessous montre la répartition indicative des différents mécanismes de pricing appliqués

actuellement.

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Figure 7 : Mécanismes de pricing

Source: Poten & Patners Inc New York; http://www.arcticgas.gov/why-lng-does-not-trade-like-oil.

3. Prix

Ces dernières années, le marché mondial du gaz naturel et du GNL a montré des dynamiques

régionales contrastées, entre développement de la production de gaz de schiste en Amérique du

Nord, forte volatilité du pétrole, et envolée de la demande en Asie, notamment à la suite de

l’accident nucléaire de Fukushima.

A partir de 2010, on a donc assisté au développement de trois zones de prix distincts pour le gaz

naturel et le GNL, entre Amérique du Nord, Europe et Asie.

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Figure 8 : Prix régionaux pour le gaz naturel et le GNL par région à partir de 2009

Source: International Gas Union World LNG Report 2015

La figure 8 montre avec évidence la divergence entre les prix en Amérique du Nord, tirés à la baisse

par l’augmentation de la production liée à l’essor du gaz de schiste, les prix européens qui ont suivi

l’évolution des prix du pétrole et les prix asiatiques tirés à la hausse par la demande chinoise et

surtout par la demande japonaise post-Fukushima.

Cette divergence a eu des conséquences sur le flux de GNL, entre l’arrêt des importations en

Amérique du Nord et un fort mouvement de re-routage, vers l’Asie, des méthaniers originellement

destinés à alimenter l’Europe.

L’année 2015 et les premiers mois de 2016 – suite à la chute des prix du pétrole, au ralentissement

des économies asiatiques et au partiel redémarrage du nucléaire au Japon – ont été marqués par un

resserrement spectaculaire des prix entre les différentes zones géographiques.

IV. Développements

Le marché du GNL est actuellement caractérisé par le développement mondial des capacités de

production, ce qui pourrait provoquer un excédent d’offre dans les années à venir. La capacité de

liquéfaction au niveau mondial est attendue à près de 450 MTPA en 2020, soit une augmentation de

+40% par rapport à 2014, en particulier grâce à la mise en service d’usines en Australie, aux Etats-

Unis et en Russie.

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1. Australie

Actuellement quatre usines de liquéfaction sont opérationnelles en Australie (3e exportateur

mondial en 2014) pour une capacité cumulée de 28,5 MTPA.

Le pays sera bientôt doté des premières capacités de liquéfaction au niveau mondial, grâce à sept

projets en cours de construction, tous attendus en service avant 2018, et représentant un total de

57,6 MTPA de capacité additionnelle.

Ces projets sont développés par des consortiums composés de grandes compagnies internationales,

telles les compagnies australiennes Woodside et Santos, des majors comme ExxonMobil, BP,

Conoco Philips, Total et Shell et des compagnies de pays consommateurs comme Tokyo Gas,

Mitsubishi et CNOOC.

Plusieurs facteurs stratégiques ont justifié la conception et le lancement de l’ensemble de ces

projets entre 2000 et 2010 : l’abondance de réserves gazières, l’étroitesse du marché domestique, la

forte demande et les prix élevés du GNL dans région de l’Asie et de l’Asie-Pacifique. Ces projets

supposent des coûts de développement élevés, du fait de différents facteurs techniques comme la

mise en valeurs de ressources de CBM – coal bed methane (gaz de houille) ou des ressources offshore.

La plupart de ces projets ont subi des retards de construction et des dépassements de coûts.

L’environnement économique actuel – avec des prix du GNL en Asie et Asie Pacifique relativement

faibles – représente un défi important pour la rentabilité des projets australiens.

2. Etats-Unis et Canada

Historiquement, le marché gazier nord-américain était faiblement intégré au niveau international, à

cause d’un faible niveau d’échanges de GNL. Le taux d’utilisation des terminaux d’importation situés

sur la côte Est et dans le golfe du Mexique était historiquement bas et la seule usine de liquéfaction

localisée en Alaska avait une capacité de seulement 1,5 MTPA (Kenai LNG, opéré depuis 1969 par

Conoco Phillips avec exportations vers l’Asie Pacifique).

L'exploitation à grande échelle des gisements de gaz non-conventionnel à partir des années 2000 a

généré une hausse progressive de la production de gaz aux Etats-Unis et au Canada. Ce mouvement

a entraîné une baisse drastique des prix régionaux. Le prix de référence Henry Hub est ainsi passé

d’un maximum de 12USD/mmBtu fin 2008 à environ 2 à 3 USD/mmBtu à partir de 2012. Ce

phénomène a provoqué l’arrêt des importations par GNL et stimulé les projets de construction

d’usines de liquéfaction, notamment dans le cadre de conversions de terminaux méthanier de

regazéification existants.

La compétitivité de ces projets est soutenue d’une part par la préexistence de réseaux de transport,

qui permettent un approvisionnement en gaz sur un marché liquide sans nécessité de développer

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des projets upstream ad-hoc, et d’autre part par les coûts de construction réduits grâce à la

préexistence de structures (développement brownfield).

Ainsi, un nombre important de projets a été lancé à partir de 2010 et cinq sont en construction pour

la fin 2015, représentant un total de 63,15 MTPA de capacité, ce qui fera des Etats-Unis le troisième

pays au monde, après le Qatar et l’Australie. En février 2016, l’usine de Sabine Pass en Louisiane,

premier de ces nouveaux terminaux, est entré en service.

Tableau 1 : Usines de liquéfaction en construction aux Etats-Unis, sponsors et acheteurs

Source: Barclays Research

Notons que ces projets ne sont pas développés par de grandes compagnies internationales comme

pour la plupart des autres usines de liquéfaction dans le monde, mais par des entreprises de taille

moyenne telles Cheniere Energy (Sabine Pass, Corpus Christi), Dominion (Cove Point), Freeport

LNG (Freeport) et Sempra (terminal de Cameron, avec une participation minoritaire d’Engie).

Plusieurs autres projets ont été proposés ces dernières années, y compris au Canada. L’absence

d’autorisations administratives ou environnementales, les coûts de développement élevés (par

exemple pour relier les zones de production du Canada avec les usines d’exportation sur la côte du

Pacifique) et la baisse des prix internationaux du gaz à partir de 2014 rendent actuellement

improbable la réalisation de ces projets.

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Figure 9 : Zones de production, gazoducs et projets d’usines de liquéfaction aux Etats-Unis

Source: Barclays Research

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3. Arctique/Russie

La région de l’Arctique est importante à deux égards dans le marché mondial du GNL : en tant que

route de transport naissante entre l’Europe et l’Asie et en tant que zone de production.

L’usine de liquéfaction de Snøhvit en Norvège (opérationnelles depuis 2007, avec une capacité de

traitement de 4,2 MTPA, opérée par Statoil avec une participation de 18,4 % de Total et de 12 %

d’Engie), située près de Hammerfest sur la Mer de Barents est actuellement l’installation GNL en

service la plus au nord. La production (3,6 MT en 2014) est principalement exportée vers les pays de

l’Union européenne. Néanmoins, depuis 2012 un certain nombre de cargaisons ont été exportées

vers le Japon en empruntant la Northern Sea Route, avec une réduction des temps de transport de

l’ordre d’une dizaine de jours par rapport à la route empruntant le Canal de Suez. L’ouverture de

cette route est un élément fondamental pour la mise en valeur du potentiel de production de la

Russie.

La Russie produit du GNL depuis 2009 à destination du marché asiatique dans l’usine de Sakhalin 2

située dans le nord-ouest de l'océan Pacifique, au large de la Sibérie (capacité de 9,6 MTPA,

sponsors Gazprom, Shell, Mitsui et Mitsubishi) dont un projet d’augmentation est à l’étude.

Une loi sur la libéralisation des exportations de GNL est entrée en vigueur en Russie en 2013. Celle-ci

constitue une décision historique pour l’industrie gazière russe. Elle témoigne de la volonté du

gouvernement de voir la Russie se développer sur le marché du GNL et de trouver de nouveaux

débouchés pour exporter son gaz.

Divers projets sont à l’étude, mais à ce jour seulement le projet Yamal LNG est en développement.

Ce projet, dont la construction a démarré en 2013, devrait entrer en service en 2017 avec une

capacité finale de production de 15,5 MTPA. Le projet comprend le développement du champ gazier

de Tambeyskoye, situé à proximité de Sabetta dans la péninsule de Yamal en Russie. Le montant de

l'investissement du projet est estimé à 27 milliards USD, notamment à cause des difficultés

techniques liées au froid extrême et à l'éloignement géographique du site. Il est aussi rendu difficile

par les sanctions prises par les États-Unis en août 2015 à l’encontre de la société Novatek dans le

cadre des actions contre la Russie, suite à la crise qui l’oppose à l’Ukraine.

La disponibilité de la Northern Sea Route est très importante pour Yamal LNG, car selon les

déclarations du responsable Evgeny Kot lors du congrès LNG 2016 qui s’est tenu à Moscou en mars

2016 : « 96 %, soit pratiquement le volume total du GNL que nous produirons, sont vendus dans le

cadre de contrats à long terme. Les contrats, dont 86 % ont été contractés par des acheteurs venant

de l’Asie Pacifique, ont été souscrits pour des durées de 20 à 25 ans »2. Afin de fournir ses clients et

de pouvoir emprunter la Northern Sea Route, de nouveaux navires méthaniers de la catégorie « ice-

class » sont en construction, notamment par le chantier coréen DSME – Daewoo Shipbuilding and

Marine Engineering Co.

2 “96% of Yamal LNG volumes already booked”, LNG Word News, 17 mars 2016.

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Le projet Yamal a une signification particulière par la France de fait de l’engagement de Total. La

société Yamal LNG est détenue à 50,1 % par Novatek, à 20 % par Total, à 20 % par une filiale de

China National Petroleum Corporation (CNPC) et à 9,1% par le fonds chinois Silk Road Fund

(transaction conclue en 2016). Total détient par ailleurs 18 % de Novatek.

Figure 10 : Possibles routes d’exportation pour Yamal LNG

Source: Total, Yamal LNG.

Toutefois, les ambitions russes sur le GNL semblent aujourd’hui mis à mal par la conjonction de la

baisse des prix de l’énergie des sanctions à destination des entreprises et des personnalités du

secteur des hydrocarbures et de la finance à la suite de la crise avec l’Ukraine. Il semble probable que

– mis à part le projet Yamal LNG – la stratégie russe sur le gaz continuera de privilégier les

exportations via gazoducs, avec la tentative du maintien d’un leadership sur le marché européen et

le développement d’exportations vers la Chine.

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4. Egypte

L’Egypte dispose de deux usines de GNL sur sa côte méditerranéenne, d'une capacité combinée de

12,7 MTPA. L'usine de GNL hispano-égyptienne Gas Company (Segas) à Damiette a débuté la

production à la fin de l'année 2004, avec une capacité de 5,5 MTPA. L'usine est possédée par Union

Fenosa Gas (80%), une coentreprise entre l'espagnol Gas Natural et l'italien ENI, avec les entreprises

nationales de l'Egypte Egyptian General Petroleum Corporation (EGPC) et Egyptian Natural Gas

Holding Company (EGAS) – 10% chacune. La deuxième usine de GNL est située à Idku et est exploité

par Egyptian LNG, une joint-venture entre British Gas (BG), Petronas, Engie, EGPC et EGAS. L'usine

d'Idku dispose de deux trains d’acheminement du GNL, d’une capacité de 3,6 MTPA chacun.

Le taux d’utilisation de ces infrastructures a fortement baissé à partir de 2010, du fait du

plafonnement de la production, de la hausse de la demande interne et de l’instabilité politique suite

à la chute du régime de Moubarak. Aussi les deux usines de GNL sont-elles aujourd’hui à l’arrêt.

Pour couvrir l’écart entre ses besoins de consommation et sa production, l’Égypte a même recours

depuis 2015 à des importations via la mise en service de deux terminaux de GNL flottants (FSRU

pour Floating Storage and Regasification Unit, unités mobiles permettant la réception de GNL et sa

regazéification) et la signature de contrats d’importation avec des acteurs internationaux comme

l’algérien Sonatrach et le russe Gazprom et des compagnies de trading.

Cette situation de pénurie pourrait toutefois évoluer dans les prochaines années : le groupe pétrolier

italien ENI a en effet annoncé avoir découvert le plus grand gisement de gaz jamais identifié en

Méditerranée, à une centaine de kilomètres des côtes égyptiennes. Le nouveau champ dénommé

Zohr renfermerait 850 milliards de m3 de gaz. La découverte de ce champ gazier constitue donc une

aubaine pour le pays. Zohr se trouve à 1 450 mètres de profondeur et couvre une zone de 100 km².

ENI en détient la licence d'exploitation à 100% suite à un appel d'offres remporté en janvier 2014.

ENI a indiqué des coûts d’investissement de l’ordre de 6 à 10 milliards USD et ambitionne un

démarrage de la production dès 2017.

Le potentiel de production du champ Zohr devrait dépasser les besoins du marché domestique

égyptien. Il est donc probable qu’une partie de la production puisse être exportée la sous forme de

GNL à partir des usines de liquéfaction de Damiette ou d’Idku.

5. Autres

D’autres zones de production peuvent s’ajouter à la liste des fournisseurs de GNL actuels. Signalons

en particulier les découvertes en Afrique de l’est (notamment dans le canal du Mozambique), celles

en Méditerranée orientale au large d’Israël et de Chypre, et l’éventuel développement d’une usine de

liquéfaction en Iran alimentée par la production du gisement South Pars. Ce dernier est le plus grand

champ de gaz actif au monde : gisement offshore à cheval entre les eaux territoriales de l'Iran et du

Qatar dans le golfe Persique, nommé « South Pars » dans la partie iranienne et « North Field » pour

la partie qatarie, il alimente l’ensemble de la chaîne d’exportation de GNL du Qatar.

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Les prix faibles du pétrole et du gaz à l’heure actuelle ainsi que la production croissante de GNL

rendent toutefois difficile la réalisation de ces projets à court terme.

V. Poids des grandes compagnies internationales

La nature fortement capitalistique de l’industrie du GNL (dépenses d'investissement de capital

CAPEX élevées avec des retours sur investissement risqués et étalés sur le long terme) et son

caractère technique ont provoqué une sélection des principaux acteurs sur le marché. Aussi le

domaine du GNL est-il dominé par les grandes majors internationales du secteur pétro-gazier,

présentes à toutes les étapes de la chaîne, de la production du gaz à la construction et exploitation

des usines de liquéfaction, en passant par le transport et les terminaux méthaniers. Toutes les

grandes majors accroissent leurs parts, comme en témoigne l’acquisition de BG par Royal Dutch

Shell, motivée par l’ambition de Shell de devenir le leader mondial du secteur.

Les compagnies des pays producteurs (National Oil Companies ou NOC) sont dans la plupart des cas

associées aux investissements upstream et dans les usines de liquéfaction. Par exemple, les projets

du Qatar ont été développés par l’entreprise d’Etat Qatar Petroleum, associée à ExxonMobil, Total,

Shell, ConocoPhillips, etc.).

Les compagnies des pays consommateurs (principalement les grandes sociétés de distribution de

gaz et de production d’électricité) sont essentiellement présentes comme actionnaires des

terminaux méthaniers, comme acheteurs des contrats de long terme et plus rarement en tant

qu’investisseurs upstream et dans les usines de liquéfaction. Aujourd’hui, les plus grands acheteurs

de GNL sont l’entreprise coréenne KOGAS et les utilities japonaises Tokyo Electric Power Co (Tepco)

et Chubu Electric Power Co.

La seule exception significative à cette domination des grandes compagnies s’observe dans les

usines de liquéfaction américaines, qui comme indiqué dans le paragraphe IV-2, ont été développées

par des entreprises de taille moyenne, puisqu’il il s’agit principalement de projets brownfield moins

onéreux.

VI. Evolutions techniques

1. Le Floating Storage and Regasification Unit (FSRU)

L’entrée en service du navire Excelsior de la compagnie Excelerate Energy en 2005 a marqué le

démarrage commercial de la technologie Floating Storage and Regasification Unit (FSRU).

Le FSRU est un terminal flottant d’importation de GNL. Il implique l'utilisation d'un navire spécialisé

capable de réceptionner et traiter des cargaisons de GNL et d’injecter le gaz dans un gazoduc. Il

s’agit donc d’une alternative à l’utilisation des terminaux méthaniers de regazéification classiques.

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Certains navires FSRU ont été construits à cet effet, mais il existe aussi des FSRU qui ont été

convertis à partir d'un navire méthanier conventionnel. Les FSRU ont donc aussi la capacité d’être

utilisés pour le transport, mais dans la plupart des cas ils sont amarrés en permanence à un terminal

offshore relié à un gazoduc ou sont positionnés à quai dans un terminal de réception.

L’utilisation d’un FSRU représente un certain nombre d’avantages par rapport à un terminal

méthanier de regazéification classique : rapidité de construction, réduction des coûts et flexibilité :

le FSRU peut en effet être redéployé ailleurs après un premier usage. Cependant, les FSRU ont une

capacité limitée : leur potentiel de regazéification dépasse en effet rarement les 4 MTPA. Ils sont

donc une alternative intéressante à l’utilisation des terminaux méthaniers de regazéification

classiques lorsque la taille du marché est limitée ou la demande est transitoire.

L'utilisation des FSRU a connu une croissance rapide au cours des dernières années, en particulier

dans les marchés émergents confrontés à des pénuries d'approvisionnement à court terme. La

technique FSRU a été déployée en premier aux Etats-Unis en 2005 et a depuis été utilisée dans

douze autres pays : l’Argentine, le Brésil, la Chine, l’Indonésie, Israël, l’Italie, le Koweït, la Lituanie,

les Emirats arabes unis, le Pakistan, l’Egypte et la Jordanie. La capacité de regazéification flottante

représente 8 % de la capacité globale de regazéification installée en 2015.

Figure 11 : Capacité de regazéification – terminaux méthaniers et FSRU

Source: Agence Internationale de l’Energie

La forme commerciale la plus répondue est celle de la location sur plusieurs années du navire par

l’entreprise propriétaire (Excelerate Energy, Golar LNG et Hoegh étant les principaux acteurs de ce

marché) à une entreprise d’importation de gaz.

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2. FLNG

La technologie FLNG – Floating Liquefied Natural Gas consiste à liquéfier le gaz sur un terminal

flottant ancré à proximité du (ou des) champs de production. Par rapport aux schémas classiques,

cette solution permet d’éviter la construction de gazoducs entre la zone de production et la terre

ferme, ainsi que la construction d’une usine de liquéfaction onshore. Elle devrait donc s’adapter à

l’exploitation de réserves localisées loin des côtes et loin des centres de consommation.

L’utilisation commerciale de cette technologie n’a pas encore démarré : 2 projets sont actuellement

en construction et devraient être opérationnels avant 2018. Ces 2 projets se situent en Malaisie

(PFLNG, sponsor Petronas) et en Australie (Prelude FLNG, sponsor Shell).

Le navire Prelude FLNG a été mis à l’eau en décembre 2013 dans le chantier Samsung Heavy

Industries en Corée du Sud, et il est en voie d’achèvement. Avec 488 mètres de long et 74 mètres de

large, il s’agit de la plus grande structure flottante jamais construite par l’Homme. Prelude FLNG

affichera un tonnage de 600 000 tonnes de port en lourd et sera exploité sur le bassin de Browse, à

quelque 200 kilomètres au nord-ouest de l’Australie. Ancrée à environ 240 mètres de profondeur,

l’unité captera le gaz des champs Prelude et Concerto et le liquéfiera directement à bord par

refroidissement. Ce GNL pourra, ensuite, être transbordé sur des navires méthaniers.

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Enjeux géopolitiques

Désormais l’une des matières premières les plus échangées au monde en valeur, le GNL concentre

une série d’enjeux géopolitiques de première importance.

I. La position dominante du Qatar et les risques sur le transport (Ormuz,

Malacca, mer Rouge)

Le Qatar fait partie des vingt premières puissances pétro-gazières de la planète depuis la découverte

de gisements dans les années 1940. C’est surtout grâce au secteur gazier que l’économie qatarie est

florissante, le Qatar possédant les troisièmes réserves mondiales prouvées (13 %), après la Russie et

l’Iran, en particulier grâce à North Field, le plus grand champ de gaz actuellement en service au

monde.

Le développement du Qatar s’est produit en étroite collaboration avec les pays occidentaux, tant

d’un point de vue économique que sécuritaire : par exemple, le QG du US Central Command pour le

Moyen-Orient et l’Asie centrale est localisé au Qatar.

La vaste majorité du gaz produit par le Qatar est exportée sous forme de GNL. La capacité de

liquéfaction totale est de 77 MTPA, repartie entre sept usines de liquéfaction et gérées par Qatargas

et par Rasgas, deux filiales de l’entreprise d’Etat Qatar Petroleum (avec la participation de groupes

internationaux comme ExxonMobil, Shell et Total). Aussi le Qatar est-il de loin le premier

producteur de GNL au monde actuellement (avec 76 MT exportées en 2014 et une part de marché

d’environ 33%). À travers l’entreprise nationale de navigation Nakilat, le Qatar possède aussi la plus

grande flotte de méthaniers au monde, avec 61 navires actifs en 2015. Ces éléments donnent au

Qatar une capacité d’arbitrage entre les différents marchés régionaux, notamment entre l’Europe et

l’Asie, et une capacité d’influence sur les prix internationaux du GNL.

La position dominante de Doha sur le marché mondial du GNL représente donc un facteur de

richesse et un atout géopolitique majeur. Cependant, cette position dominante connaît des

faiblesses, eu égard aux risques de transport. La circulation des méthaniers en provenance du Qatar

est exposée aux risques de blocage des trois principaux choke points mondiaux : le détroit d’Ormuz,

le détroit de Malacca et la zone de la mer Rouge qui regroupe également le Canal de Suez, le Golfe

d’Aden et le détroit de Bab-el-Mandeb).

100% des exportations de GNL du Qatar transitent par le détroit d'Ormuz sans que des routes

alternatives n’existent. Le détroit d'Ormuz demeure donc stratégique pour le Qatar et son blocage,

bien que peu probable, serait une catastrophe pour le pays.

Le détroit de Malacca est également un point de passage stratégique pour le commerce de GNL. Il

constitue le point de passage le plus rapide entre Qatar et les grands importateurs de GNL, comme

le Japon, la Corée du Sud et la Chine. Néanmoins, en cas d’obstruction majeure, de blocage

temporaire ou de fermeture du détroit, il existe des alternatives possibles avec les détroits de la

Sonde et de Lombok-Macassar, avec un rallongement des temps de transport de quelques jours.

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Des éventuelles perturbations dans la zone de la mer Rouge auraient un impact très significatif sur

les exportations de GNL qatari à destination de l’Europe, en obligeant les méthaniers à emprunter la

route du Cap de Bonne Espérance, avec un doublement des temps et des coûts de transport.

Enfin, la position dominante du Qatar sur le marché mondial du GNL risque d’être défiée à terme par

la montée des capacités de liquéfaction en Australie et en Amérique du Nord.

II. L’essor de l’Australie et des Etats-Unis

En prenant en compte les différentes usines en construction, les capacités de liquéfaction de

l’Australie et des Etats-Unis dans quelques années seront comparables avec celle du Qatar : 77

MTPA pour le Qatar, 86,1 MTPA pour l’Australie et 63,2 MTPA pour les Etats-Unis.

Figure 12 : Capacité de production GNL en 2014

Source : Société Générale Research

Cette hausse de l’offre de GNL aura certainement des effets sur les prix, sur la diversification de

l’offre et sur la suprématie du Qatar.

Néanmoins, contrairement à la production du Qatar, la production de GNL en Australie et aux Etats-

Unis sera partagée entre de nombreux acteurs (producteurs de gaz, actionnaires des projets de

liquéfaction, acheteur de long terme du GNL), ce qui rend difficile la mise en place de

comportements permettant d’influencer ou d’orienter le marché.

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III. La dépendance du Japon, de la Corée du Sud et de Taiwan

La demande en gaz du Japon est assurée à plus de 97 % par les importations de GNL. Le pays est le

premier importateur mondial de GNL (88,9 MT en 2014 soit environ 37 % du GNL mondial) et 23

terminaux méthaniers en service. Les sources d'approvisionnements sont diverses, avec plus de 33 %

des importations en provenance des pays d'Asie du Sud-Est.

Figure 13: Importations de GNL du Japon, par source (2013)

source : BP Statistical Review 2014

Les cas de la Corée du Sud (2ème importateur au monde) et de Taiwan (5ème) sont assez similaires. Les

trois pays ne possèdent aucun pipeline transfrontalier et leurs importations de gaz sont

intégralement réalisées à travers le transport de GNL. Ensemble ils représentent plus de 58% du

commerce mondial de GNL en 2014.

A titre de comparaison, notons que l’exposition de la Chine au marché du GNL est beaucoup plus

limitée. La Chine jouit d’un portefeuille de ressources gazières plus diversifié, avec de la production

domestique qui couvre environ 70% de la consommation, des importations via gazoduc (depuis

l’Asie centrale, la Birmanie et prochainement la Russie) et des importations de GNL qui représentent

environ 15% de sa consommation globale.

Même si les grandes compagnies énergétiques du Japon, de la Corée du Sud et de Taiwan possèdent

un portefeuille diversifié de contrats de long terme, et bien qu’elles aient développé leur présence

dans l’upstream gazier et participé aux capitaux d’infrastructures GNL (liquéfaction et transport),

elles restent largement dépendantes des aléas du marché du GNL. Cette dépendance se traduit par

une exposition au risque de prix et au risque de disponibilité physique.

Le post-Fukushima est représentatif de ce niveau de risque élevé : suite à l’accident et à l’arrêt

complet de la génération nucléaire, le Japon a maximisé ses achats de GNL, en arrivant à payer des

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prix très élevés pour des cargaisons spot (proche des 20 USD/mmBTU, alors que les prix européens

étaient de l’ordre de 10 USD/mmBTU).

La croissance de la production de GNL en Australie et aux Etats-Unis devrait signifier la réduction de

ces risques, en améliorant encore la capacité de diversification des trois pays et en réduisant la

capacité d’influence sur les prix actuellement détenue par la Qatar.

IV. Rôle prépondérant des chantiers de construction de la Corée du Sud et

du Japon

La plupart des méthaniers sont actuellement fabriqués en Asie. La Corée du Sud est par exemple le

premier producteur de méthaniers au monde depuis années 2000, avec les chantiers navals

de Daewoo (DSME), Samsung Heavy Industries et Hyundai Heavy Industries. Le Japon est le second

producteur, avec les groupes Kawasaki Heavy Industries et Mitsubishi Heavy Industries. On assiste

aussi au développement progressif de la Chine qui investit à fond dans la construction de méthaniers

depuis cinq à six ans.

L’activité des chantiers dans les autres pays est très faible. En ce qui concerne la France, les derniers

méthaniers construits par les Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire, le Provalys et le Gaselys, ont

été livrés au groupe Engie en 2006-2007.

Figure 14 : Flotte GNL par pays de construction

Le rôle prépondérant des chantiers de construction de la Corée du Sud et du Japon ne repose pas

exclusivement sur des facteurs de coûts, et ne pose pas seulement un problème de compétitivité

économique aux autres grands pays producteurs et consommateurs. En effet, grâce à une maîtrise

technologique très avancée, y compris sur des nouveaux domaines comme le FSRU et le FLNG (voir

paragraphes VI-6 et 7), la Corée du Sud et le Japon ont développé une compétence qui leur octroie

un avantage géopolitique envers les autres pays.

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Implications pour l’Europe et la France

L’Union européenne présente une forte dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie qui

représente environ un tiers des importations de charbon, de pétrole et de gaz naturel de l’Union

européenne, comme le montre le tableau suivant.

Tableau 2 : Origine des importations d’énergie primaire, UE-28,

2003-13, (en % des importations extra UE-28)

Source : Eurostat

L’objectif de réduction cette dépendance, notamment dans un contexte de relations tendues avec la

Russie, a déjà été affirmé à plusieurs reprises par la Commission.

Pour atténuer cette dépendance, le GNL peut représenter une option très importante : au niveau

européen, on compte plus de 20 terminaux opérationnels alors qu'il y en avait moins de la moitié au

début du siècle et leur taux d’utilisation ces dernières années a été très bas, de l’ordre de 30%, en

raison du rebond du charbon suite à Fukushima, de la crise économique et des politiques de soutien

aux énergies renouvelables.

Il existe cependant une grande hétérogénéité dans la situation de dépendance entre les différents

pays européens. Ainsi les pays de l’Europe de l’Est affichent la plus forte dépendance au gaz russe,

avec des taux historiques proches de 100% ; ces mêmes pays sont aussi les moins bien placés pour

bénéficier de l’apport du GNL du fait de leur position géographique.

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Les terminaux FSRU de Klaipeda en Lituanie en service depuis 2014 et celui de Swinoujscie en

Pologne – qui sera opérationnel dans les prochains mois – sont les exemples de nouvelles

infrastructures GNL ayant une contribution sur la diversification des sources et sur la baisse des prix

du gaz dans les pays de l’Est. Au niveau européen, les pays qui pourraient bénéficier le plus de

l’apport du GNL comme source de diversification et d’augmentation des approvisionnements

gaziers par rapport aux années récentes sont la France et l’Italie qui disposent de plusieurs terminaux

dont le taux d’utilisation est actuellement faible.

Figure 15 : Les terminaux méthaniers existants et en projet en Europe

Source: International Group of Liquefied Natural Gas Importers (GIIGNL), GLE (2015).

Plus généralement, le développement du GNL en Europe sera aussi fonction de l’évolution des

politiques de transition énergétique qui pourraient impacter la croissance du GNL de façon directe

ou indirecte. De façon directe, la consommation de GNL pourrait bénéficier de la mise en place de

règlementations favorisant son utilisation dans le secteur du transport routier et maritime. De façon

indirecte, le développement de la production électrique à partir d’énergies renouvelables et le de-

commissionnement des centrales nucléaires et à charbon, devraient avoir un impact positif sur la

demande de gaz (et donc de GNL).

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La France dispose actuellement de 3 terminaux méthaniers en fonction, dont 2 situés à Fos-sur-Mer

(Provence Alpes Côtes d’Azur), et un quatrième en cours de finalisation.

Les terminaux en service sont :

Fos Tonkin (capacité d’accueil de 4 MTPA de GNL), terminal mis en service en 1972 qui reçoit

majoritairement du GNL d’Algérie. Il est exploité par Elengy, filiale de Engie ;

Fos Cavaou (capacité d’accueil de 6 MTPA) mis en service au premier trimestre 2010. Ce

terminal est exploité par la Société du Terminal Méthanier de Fos-Cavaou, filiale d’Elengy à plus

de 70% aux côtés de Total ;

Montoir-de-Bretagne (Pays de la Loire), terminal mis en service en 1980 et également exploité

par Elengy (capacité d’accueil de 6 MTPA de GNL), qui reçoit majoritairement du GNL en

provenance d’Algérie et du Nigéria.

Le terminal de regazéification Dunkerque LNG, développé par un consortium entre EDF (65 %), le

groupe belge Fluxys (25 %) et Total (10 %), est en cours de finalisation et affichera une capacité de

réception de 10 MTPA. Selon les dernières communications de l’opérateur EDF : « le chantier

est finalisé à environ 96 %. Les gros ouvrages sont achevés. Le raccordement des trois réservoirs de

stockage est terminé. L’arrivée du premier méthanier est programmée pour le début juin » 3. Le

terminal devrait notamment recevoir du GNL depuis les Etats-Unis (contrat avec Cheniere Energy, le

développeur des usines de Sabine Pass et de Corpus Christi).

Les entreprises françaises sont des acteurs importants du monde du GNL, notamment Total et

Engie (présents dans toutes les étapes de la chaîne), ainsi qu’EDF plus récemment.

Pour la France et pour l’ensemble de l’Europe, on peut distinguer deux facteurs d’analyse du marché

du GNL :

1. Un facteur de risque, concentré sur les pays méditerranéens, lié à la sécurité des

importations de GNL depuis l’Algérie ;

2. Un facteur d’opportunité, notamment pour les pays de la façade atlantique et du Nord de

l’Europe, lié au développement des importations de GNL depuis les Etats-Unis et à sa

contribution à la réduction de la dépendance gazière envers la Russie.

I. Risques sur les approvisionnements d’Algérie

Premier producteur de gaz en Afrique, l’Algérie est également le deuxième fournisseur extra-

européen de l’UE (après la Russie) et le quatrième fournisseur de gaz de la France.

En ce qui concerne l’exportation de gaz, il existe aujourd’hui trois gazoducs partant du territoire

algérien : le Trans-Mediterranean Pipeline, à destination de l’Italie via la Tunisie, le Maghreb-Europe

Pipeline, à destination de l’Espagne en passant par le Maroc, et le MEDGAZ, pipeline sous-marin à

destination de l’Espagne, ainsi que deux usines de liquéfactions de GNL situées à Arzew et Skikda.

3 Source: EuropEnergies 09/02/2016

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La capacité de liquéfaction de l’Algérie s’élève à 26,9 MTPA, ce qui place l’Algérie à la quatrième

position mondiale. Cependant, l’Algérie est seulement le 7ème exportateur de GNL au monde, avec

12,8 MT en 2014, du fait du faible taux d’utilisation des terminaux algériens. Les exportations de

GNL se dirigent principalement vers l’Espagne, la France et la Turquie, qui sont donc les pays les plus

exposés à des éventuelles ruptures d’approvisionnements, qui pourraient se produire à cause de

problèmes d’ordre sécuritaire.

L’Algérie est en particulier exposée à des risques d’ordre terroriste. Les risques de sabotages,

d'attentats ou d'attaques visant les installations de production et transport d’hydrocarbures sont des

facteurs d’incertitudes majeurs pour l’Algérie. L’instabilité des pays limitrophes – la déliquescence

de l’Etat en Libye, la porosité des frontières dans le sud du Sahara, les risques terroristes en Tunisie –

constituent des menaces permanentes, notamment sur la sécurité des infrastructures. La prise

d’otage sanglante (67 morts) orchestrée par un commando proche du groupe terroriste Al Qaïda au

Maghreb Islamique (AQMI) sur le site gazier d’In Amenas dans le sud-est algérien en janvier 2013 a

montré les failles du système de surveillance et de protection des installations industrielles face à ce

type de menace. Le site, l’un des plus importants du pays (9 milliards de m3 de gaz par an), soit près

de 15% du total national, a été suspendu pendant 19 mois, entraînant le départ des entreprises

étrangères du territoire. Le 16 mars 2016, un nouvel assaut s’est produit sur le site gazier d’In Salah,

dans la province de Tamanrasset, attaqué à la roquette par un groupe de djihadistes4. Ces

événements illustrent les risques qui pèsent sur la sécurité de l’infrastructure énergétique algérienne.

Par ailleurs, l’Algérie fait montre d’une relative stabilité politique depuis la première élection

d’Abdelaziz Bouteflika en 1999, mais des problèmes de longue date persistent : inefficacité du

gouvernement, corruption, chômage à grande échelle, pénurie de logements… et mettent en

danger la stabilité du régime sur le long terme. Une transition politique et une succession mal gérées

risque de produire des tensions d’ordre social (grèves, désordres) qui pourraient affecter de façon

transitoire les exportations de GNL.

II. Opportunité de diversification grâce au GNL américain

Comme indiqué précédemment, l’enjeu principal pour la sécurité gazière européenne est concentré

autour de l’influence russe, qui est à l’origine de 30 à 40% des importations au niveau de l’UE-28.

L’Union Européenne fait aussi face à une réduction de sa production domestique (notamment au

Pays-Bas et au Royaume-Uni) et à des incertitudes sécuritaires sur ses importations d’Afrique du

Nord.

Il est donc important de permettre l’apparition de nouvelles sources de gaz, afin de maintenir un

niveau satisfaisant de diversification.

4 « Algérie : un site gazier visé par une attaque à la roquette », 18 mars 2016.

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De nouvelles routes, comme le corridor gazier sud-européen en provenance de la mer Caspienne ou

de nouvelles sources comme en Méditerranée orientale peuvent participer à cet objectif, mais avec

des contributions limitées et encore incertaines.

Ainsi la principale hypothèse de diversification est celle d’une plus grande utilisation des terminaux

méthaniers existants, dont le taux d’utilisation est resté faible ces dernières années, du fait de la

diversion ou du re-routage des navires vers les marchés asiatiques.

La mise en services de différentes usines de liquéfaction sur la côte Est des Etats-Unis est une

possibilité pour l’approvisionnement des terminaux européens, notamment ceux de la façade

atlantique grâce à la faible distance qui les sépare.

L’administration américaine a par ailleurs fréquemment soutenu cette opportunité et s’est en

particulier montrée très favorable à la construction de terminaux en Europe de l’Est, la zone la plus

dépendante des exportations russes : en témoigne le démarrage du terminal FSRU de Klaipeda en

Lituanie en 2014 et celui du terminal de Swinoujscie en Pologne inauguré en octobre 2015 pour une

exploitation commerciale prévue à partir de mai 2016.

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Scénarios prospectifs

I. Scénario A : Croissance du marché, émergence de prix de référence GNL,

convergence partielle des marchés gaziers

Ce scénario est caractérisé par environnement économique mondial qui ne connait pas de crises

majeures et renoue avec une croissance soutenue de la production industrielle. Cet environnement

se traduit par une demande solide de GNL, notamment en Europe, en Chine et en Inde.

Par ailleurs le développement attendu des capacités de liquéfaction se poursuit.

L’abondance de GNL provoque une augmentation constante des volumes traités sur la base de

contrats spot et de court terme et l’émergence d’indices liés à ces transactions.

Ainsi, le JKM – Japan Korea Market – devient l’indicateur standard pour l’Asie, de même pour le prix

GNL FOB (Free on board) sur la côte Est des Etats-Unis.

Ces références donnent de la transparence au marché du GNL et pourront avec le temps servir de

base pour l’indexation de contrat de moyen et long terme.

Le GNL fonctionne progressivement comme un « trait d’union » entre les marchés gaziers régionaux

(Amérique, Europe, Asie) et permet un mouvement de convergence des prix entre les différents

marchés gaziers. Cependant, ce moment de convergence sera seulement possible dans la limites

des différentiels de transport GNL entre les diverses régions.

II. Scénario B : surcapacité, guerre des prix et crise du secteur du GNL

Ce scénario prévoit la poursuite du développement de nouvelles capacités de liquéfaction,

accompagné d’un environnement économique stagnant au niveau mondial. La faiblesse de

l’économie chinoise provoque plus particulièrement un ralentissement généralisé de la demande en

Asie et un surplus d’offre de GNL dans le bassin pacifique.

On assiste alors au développement d’une « bulle du GNL » sur les marchés mondiaux.

L’Europe devient le terrain de confrontation entre les exportations de GNL du Moyen-Orient

(notamment du Qatar), les exportations des nouvelles usines de la Côte Est des Etats-Unis et les gaz

transporté par gazoduc depuis la Russie et la Norvège.

Gazprom et Statoil refusant de perdre des parts de marché en Europe, une guerre des prix se

déclenche entre fournisseurs, au bénéfice des consommateurs européens.

La baisse des prix du GNL au niveau mondial détermine une crise pour l’ensemble du secteur du GNL,

avec des difficultés financières pour les projets de production – notamment ceux qui reposent sur

des financements bancaires à rembourser – voire des faillites.

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III. Scénario C : Demande accrue de GNL

La baisse des prix du pétrole et du gaz à partir de 2014 provoque une réduction des budgets

d’investissement des entreprises pétro-gazières sur l’activité d’exploration & production. À l’horizon

2020, la production gazière en Amérique du Nord, en Russie et dans d’autres régions du monde

baisse donc drastiquement. Des ressources gazières potentielles (comme en Afrique de l’Est), ne

sont pas mises en valeur faute de capitaux.

Les tensions géopolitiques entre pays sunnites et chiites dans le golfe Persique s’exacerbent et

mettent en doute la sécurité des installations de production et transport du Qatar, ainsi que le

transit par le détroit d’Ormuz, parallèlement à l’augmentation des primes d’assurance et la

recherche de sources alternatives de gaz par les acheteurs.

L’activité économique des pays de l’OCDE, dopée par des années de politiques monétaires

favorables, repart à la hausse, et entraîne une forte reprise des pays émergents, provoquant une

hausse de la demande d’énergie et notamment du GNL.

La consommation du GNL est aussi supportée par la mise en place de politiques environnementales

au niveau international qui favorisant l’emploi du gaz comme source d’énergie alternative au

charbon, phénomène qui a notamment des impacts sur la demande chinoise et indienne.

Dans ce contexte, la production de GNL est bien placée pour satisfaire une demande accrue et

profiter d’un environnement de hausse des prix.

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Conclusion

La croissance du marché du GNL devrait se poursuivre dans les prochaines années, notamment

grâce à l’essor de la production en Australie et aux Etats-Unis et grâce au développement de

nouvelles technologies FLNG – Floating Liquefied Natural Gas (usines flottantes de liquéfaction) et

FSRU – Floating Storage and Regasification Unit.

Des évolutions sur les formes contractuelles, les mécanismes de pricing et l’organisation des

marchés sont très probables et le GNL pourrait ainsi devenir le « trait d’union » entre les marchés

gaziers régionaux (Amérique, Europe, Asie) et favoriser un mouvement de convergence des prix

entre les différents marchés gaziers.

Pour l’Europe et la France, le GNL représente une opportunité de diversification gazière et de

contribution à la sécurité énergétique. La présence de nombreux terminaux méthaniers dans

différents pays et leur faible taux d’utilisation actuel, ainsi que la prochaine disponibilité de GNL

depuis les Etats-Unis, permet d’envisager une plus forte contribution du GNL au mix énergétique

européen.

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Bibliographie

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SÉCURITE ÉNERGETIQUE :

STRATÉGIES POUR L’EUROPE ET LA FRANCE

Phase 2

Hydrocarbures non conventionnels :

quelle contribution à la sécurité

énergétique à l’horizon 2030 ?

Juillet 2016

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SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique

2

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SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique

3

Sommaire

Introduction ............................................................................................................. 5

I. Hydrocarbures non conventionnels : de quoi parle-t-on ? ......................................... 6

I. Définition .................................................................................................................. 6

1. La diversité des hydrocarbures ............................................................................ 6

2. La technique industrielle associée ........................................................................ 7

II. La « révolution » du schiste dans les années 2000 ..................................................... 8

1. Les causes de la révolution du schiste ........................................................................ 9

2. Les impacts à court terme .................................................................................. 11

a. Une baisse des importations de gaz et de pétrole ........................................... 11

b. Une réduction du taux de chômage ................................................................ 12

II. Panorama et enjeux du secteur............................................................................. 13

I. Enjeux techniques .................................................................................................... 13

1. Le forage horizontal et la fracturation hydraulique .................................................. 13

II. L’aspect concurrentiel et économique ...................................................................... 15

1. Petites entreprises à l’origine du mouvement .................................................... 15

2. Nature capitalistique et flexible du marché ........................................................ 15

III. Perspectives structurelles ...................................................................................... 16

1. La chute des prix de juin 2014 : un coup dur pour le non-conventionnel ? ........... 16

2. Les conséquences sur les marchés américain et mondial ................................... 16

3. La surprenante résilience du non-conventionnel dans un contexte de prix bas .. 17

4. Une mutation technologique ? ........................................................................... 18

III. Un phénomène transposable à l’étranger ? ........................................................... 20

I. En Russie et en Europe : des ressources importantes, pour quel marché ? ...............20

1. Russie : des réserves considérables, une industrie en retard ...............................20

2. L’Europe ............................................................................................................. 21

II. La Chine ................................................................................................................... 23

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SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique

4

1. Des ressources et une demande croissante… ........................................................... 23

2. …mais des interrogations légitimes ......................................................................... 25

III. Australie................................................................................................................ 26

IV. Argentine ............................................................................................................... 27

1. Ressources : état des lieux et projections .................................................................. 27

2. Environnement légal et politique ............................................................................. 28

3. Projets industriels et conjoncture financière ............................................................ 29

Prospective 2030 ..................................................................................................... 30

I. Scénario A : développement lent et progressif ......................................................... 30

II. Scénario B : essor important au niveau mondial ....................................................... 31

III. Scénario C : prix bas et développement restreint ................................................... 31

Conclusion .............................................................................................................. 33

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SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique

5

Introduction

Les hydrocarbures non conventionnels connaissent un spectaculaire développement aux États-Unis

depuis le tournant des années 2010. En l’espace de quelques années, ils ont permis au pays de

devenir, en 2014, le premier producteur de pétrole et de gaz devant l’Arabie Saoudite et la Russie.

Evolution de la production d’hydrocarbures (Etats-Unis, Russie, Arabie Saoudite)

Source : “United States remains largest producer of petroleum and natural gas hydrocarbons”, EIA, 23 mai 2016.

Leur développement a permis de relancer l’industrie des hydrocarbures sur le sol américain, de créer

de nombreux emplois directs et indirects et d’opérer la relocalisation de certaines activités sur le

territoire national en raison notamment de la baisse des coûts de l’énergie, véritable avantage

concurrentiel et donc un regain de compétitivité très intéressant dans un contexte de morosité

économique mondiale post crise des subprimes.

Devant ce que l’on a qualifié de « révolution énergétique américaine », la question du caractère

reproductible de cet essor des hydrocarbures non conventionnels s’est rapidement posée, notament

en Europe où certains pays disposeraient de réserves importantes. Néanmoins, des interrogations

persistent aussi bien sur le plan économique qu’environnemental. L’impact environnemental est en

effet significatif (risques de pollution des nappes et cours d’eau dus à l’emploi de produits chimiques)

, tout comme le doute planant sur la résilience des hydrocarbures non conventionnels dans un

contexte de prix bas du pétrole et donc sur la contribution qu’ils peuvent apporter, à moyen et long

terme, à la sécurité énergétique de l’Union européenne et de la France.

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I. Hydrocarbures non conventionnels : de quoi parle-t-on ?

I. Définition

1. La diversité des hydrocarbures

On distingue différents hydrocarbures non conventionnels :

le gaz de houille (coal seam gas, ou coalbed methane), extrait des veines profondes des

mines de charbon et utilisé dès la fin du XIXe siècle pour l’éclairage public ;

le gaz et pétrole de réservoir compact (ou tight gas, tight oil), gaz extraits de roches-

réservoirs très peu perméables de grès ou de calcaire ;

le gaz « de schiste » (shale gas), ou gaz de roche-mère, est extrait de roches peu perméables

d’argile ou de marne. La faible perméabilité de ces roches et leur profondeur souterraine ne

permettant pas une extraction conventionnelle, les industriels doivent avoir recours à des

techniques spécifiques évoquées infra ;

L’huile de schiste (oil shale) est une forme particulière de pétrole obtenue par pyrolyse ou

hydrogénation de roches sédimentaires, riches en substances organiques appelées

kérogènes : c’est donc un pétrole synthétique issu de la transformation d’une matière

organique première.

Le pétrole de schiste (shale oil) est un pétrole léger trouvé dans des roches très peu

perméables, obtenu à partir des mêmes procédés de fracturation hydraulique et de forage

que le gaz non conventionnel. Il peut d’ailleurs être trouvé dans les mêmes puits, dans des

quantités souvent bien moindres que le gaz du même type.

les hydrates de méthane (CBM pour coalbed methanes), ou clathrates, sont des composés

solides similaires à de la glace pouvant être trouvés dans le pergélisol, dans les régions

polaires, ou dans les fonds marins. Ils contiennent une grande quantité de gaz, si bien que les

réserves d’hydrates de méthane égalent probablement entre 2 à 10 fois les réserves connues

de gaz conventionnel. Ils sont souvent trouvés dans l’extraction de gaz naturel, lorsque l’eau

est condensée en présence de méthane à haute pression.1

Les sables bitumineux sont des agglomérats de bitume (7-12%), d’eau (3-5%), de sable et

d’argile (80-85%). Après transformation, les sables bitumineux permettent d’obtenir du

bitume épais. En le mélangeant à des hydrocarbures plus légers ou en le chargeant de

1 Fiche pédagogique : hydrates de méthane, Connaissances des Énergies, http://www.connaissancedesenergies.org/fiche-

pedagogique/hydrates-de-methane.

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carbone, on peut obtenir un pétrole commercialisable semblable au pétrole brut

conventionnel.2

2. La technique industrielle associée

Le gaz non-conventionnel, appelé par commodité de langage « gaz de schiste » en français, est

connu depuis le XIXe siècle, le premier puits ayant été foré en 1821 dans l’État de New York. Ce n’est

donc pas un hydrocarbure inédit. Les méthodes pour l’exploiter ont radicalement évolué à partir des

années 1970, sous l’influence conjointe de la raréfaction des ressources conventionnelles, du progrès

technique et de la hausse du prix des matières premières.

2 Fiche pédagogique : Sables bitumineux, Connaissance des Énergies, http://www.connaissancedesenergies.org/fiche-

pedagogique/sables-bitumineux

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Le gaz de schiste est formé à partir de la matière organique enfouie sous terre. La roche schisteuse

est aplatie en couches successives et irrégulières qui contiennent le gaz à l’intérieur de poches

inégales. Riche en argile, elle retient le gaz immobile sur des surfaces parfois très étendues, certains

gisements pouvant s’étendre sur plusieurs centaines de km2. La principale différence entre les

ressources conventionnelles et non conventionnelles tient justement à cette configuration qui

regroupe plusieurs dépôts de petite taille très dispersés dans un grand réservoir. Ainsi, et

contrairement aux champs conventionnels dont l’estimation des ressources demeure relativement

simple à réaliser, celle de champs non conventionnels (comme Marcellus aux Etats-Unis ou Tarim en

Chine) est un exercice complexe, très approximatif, ce qui amène parfois les opérateurs, après

plusieurs forages, à les revoir fortement à la baisse.

Dans ces formations géologiques, le gaz peut être trouvé sous trois formes : libre, « dans les espaces

interstitiels et les fractures » rocheuses, adsorbé ou « électriquement fixé à la matière organique et à

l’argile », ou « dissous dans la matière organique »3.

Les gaz et pétroles de roche-mère et de roche-réservoir, s’ils relèvent de la même nature organique

que les hydrocarbures conventionnels, requièrent des techniques d’exploitation différentes à cause

de leur accessibilité. Le forage horizontal des puits, sur une distance pouvant atteindre deux à trois

kilomètres de long, permet d’accéder à une plus grande quantité de gaz que le forage vertical.

La fracturation hydraulique permet ensuite d’extraire les gaz emprisonnés dans la roche : on

procède à plusieurs explosions pour agrandir les fissures rocheuses, puis l’injection d’eau, de sable et

de produits chimiques à haute pression dans la formation rocheuse prolonge les fissures de la roche

et laisse s’échapper le gaz dans le tubage. Toutefois, la fracturation hydraulique n’est pas une

technique nouvelle, son utilisation commerciale par l’industrie des hydrocarbures ayant débuté dans

les années 1940 – sachant qu’une variante est même utilisée pour la géothermie profonde4. Ainsi,

c’est bien la conjugaison des deux techniques (forage horizontal et fracturation hydraulique) qui a

rendu possible l’exploitation de ces gisements autrefois inaccessible.

II. La « révolution » du schiste dans les années 2000

On attribue souvent le terme de « révolution » à l’essor des hydrocarbures non conventionnels aux

États-Unis en raison de sa fulgurance et du niveau de production. Alors que les États-Unis avaient

atteint un pic de production en 1970, et prévoyaient une diminution inexorable de leur production de

gaz et de pétrole (568 Gm3 en 2008 contre 544 Gm3 en 2030 / chute de 50% de la production de

pétrole entre 1990 et 20085), la découverte de très importantes ressources récupérables et un

développement technologique constant ont permis aux États-Unis de recouvrer un niveau de

production élevé et de ravir les premières places à la Russie et à l’Arabie Saoudite.

3 Le gaz de schistes : son exploitation, GEP-AFTP

http://www.gep-aftp.com/_upload/ressources/hydrocarbures_de_roche-mere/3-le_gaz_de_schistes_son_exploitation-juin.pdf 4 « Fracturation hydraulique : géothermie et exploitation pétrolière ne sont pas comparables », Philippe Collet, Actu-

environnement.fr, 3 juin 2013. 5

Energy supply security 2014 : United States, Agence Internationale de l’Énergie, http://www.iea.org/media/freepublications/security/EnergySupplySecurity2014_US.pdf

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sources : BP Statistical Review of World Energy 2016

1. Les causes de la révolution du schiste

Les raisons de la révolution énergétique américaine sont nombreuses, ce qui explique que pour

l’heure, elle ne se soit déroulée qu’aux Etats-Unis dans cette ampleur.

Tout d’abord, il faut bien sûr des ressources importantes. En novembre 2015, le Département

américain à l’énergie (DOE) a estimé les réserves prouvées6 de gaz non conventionnel à 215,4 tcf soit

plus de 6 000 Gm3 (pour des réserves totales de 388 tcf soit 11 800 Gm3) et de pétrole non

conventionnel à 13,365 milliards de barils7. Il est à noter que les réserves de gaz ont augmenté de

10% entre 213 et 2014 et que celles de pétrole ont progressé pour la sixième année consécutive.

L’élément essentiel qui a permis cette révolution est indiscutablement le code minier. Aux États-

Unis, contrairement à la plupart des pays européens ou à l’Argentine, la réglementation prévoit que

le propriétaire terrien détient également les ressources de son sous-sol. Cela a permis à de

nombreux propriétaires et investisseurs, indépendamment de l’intervention de la force publique, de

forer des puits et de s’enrichir. Le développement de cette activité pétrolière à l’échelle individuelle

et privée a permis non seulement l’émergence d’un nouveau secteur économique, mais également

la création de richesses comme au Dakota du Nord, bien qu’il souffre aujourd’hui de la chute des

cours8.

6 Il est à ce titre important de distinguer les ressources techniquement récupérables et les ressources récupérables et

rentables. On considère que des ressources sont techniquement récupérables (technically recoverable) dès lors qu’une technologie permettant leur extraction est connue et maîtrisée. Le terme de ressources rentables renvoie à la profitabilité et la rentabilité des ressources extractibles selon des critères comme le prix de la matière première sur les marchés, le coût de l’infrastructure industrielle et de la main d’oeuvre. Aussi ces deux définitions recouvrent-elles des quantités d’hydrocarbures différentes et évolutives : de même que la technologie progresse et que son coût peut diminuer rapidement, la volatilité des prix du gaz et du pétrole peut compromettre ou favoriser les projets de forage et d’extraction. 7

U.S. Crude Oil and Natural Gas Proved Reserves, 2014, p. 8-11; http://www.eia.gov/naturalgas/crudeoilreserves/pdf/usreserves.pdf. 8 Jean-Marc Gonin, « Dakota du Nord, les naufragés de l'or noir », LeFigaro.fr, 8 juillet 2016.

6

7

8

9

10

11

12

13

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Production pétrolière (mbj)

Etats-Unis

Russie

ArabieSaoudite

500

550

600

650

700

750

800

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Production gazière (Gm3/an)

Etats-Unis

Russie

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La culture entrepreneuriale dynamique et le système économique américain ont joué un rôle

important dans l’essor fulgurant des hydrocarbures non conventionnels aux États-Unis. En effet,

aucune grande major n’a voulu au départ tenter l’aventure des hydrocarbures non convntionnels qui

a été porté par des entreprises de taille réduite, non confirmées ou des investisseurs spécialisés

disposant de cette culture du risque comme XTO – entreprise ensuite racheté par ExxonMobil. De

même, les incitations de l’administration américaine à produire de l’énergie sur le sol national se

sont montrées très efficaces. Concentré en 2007-2008 sur le charbon, elles ont rapidement été

redirigées vers le gaz non conventionnel, plus acceptable politiquement. Cette politique de relance

énergétique nationale, concomitamment avec le désengagement militaire du Golfe a permis de

déverrouiller le secteur.

D’autres éléments qui peuvent apparaitre plus triviaux de prime abord ont aussi contribué à ce

développement : l’immense superficie du pays et ses richesses naturelles qui conditionnent deux

critères importants : la faible densité de population et la disponibilité en eau, indispensables pour

la mise en production des gisements essentiellement via la technique de la fracturation hydraulique.

Les capacités logistiques mobilisables à court terme, le contexte macroéconomique avec la politique

de taux d’intérêt bas de la réserve fédéral amércaine, le potentiel de capital humain mobilisable à

court terme (foreurs, etc.) tout comme une sensibilisation environnementale réduite dans les

régions de production par rapport à d’autres comme la Californie, ou encore vis-à-vis de l’Europe,

tous ces facteurs ont également favorisé l’essor rapide de la production.

En quelques années, les Etats-Unis ont vu leur production de gaz et de pétrole décoller. Les

graphiques ci-après illustrent bien l’ampleur du phénomène et justifient l’emploi du terme

« révolution », même s’ils ne dispensent pas de s’interroger sur la temporalité.

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2. Les impacts à court terme

a. Une baisse des importations de gaz et de pétrole

L’essor du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis a contribué à diminuer les importations

d’hydrocarbures, loin cependant de la perspective d’indépendance énergétique initialement

annoncée par l’administration Obama. En mai 2015, le département de l’Énergie avait affirmé

qu’avec un baril de pétrole brut au-dessus des 100$, les États-Unis deviendraient exportateurs nets

en 2019. Cependant, depuis la chute du prix du pétrole initiée en juin 2014, cette échéance est

théoriquement repoussée à 2028 à condition d’une hausse soutenue des prix9.

À noter également, d’après le tableau ci-dessous, que si les importations américaines diminuaient

régulièrement depuis 2007 pour le gaz et depuis 2005 pour le pétrole, cette dynamique s’est

légèrement infléchie par la baisse du prix des hydrocarbures en 2014.

Importations de gaz et de pétrole aux États-Unis

2012 2013 2014 2015

Pétrole et produits pétroliers (en mbj) 10598 9859 9241 9401

Gaz naturel (en mcf) 3 137 789 2 883 355 2 695 378 2 718 349

Source : US Energy Information Administration

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Annual Energy Outlook 2016, US Energy Information Agency, https://www.eia.gov/forecasts/aeo/executive_summary.cfm

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Encouragée dès les années 1970, la production de pétrole (et de gaz) de schiste aux États-Unis s’est

surtout développée entre 2007 et 2014, alors que le prix du baril titrait à $100 en moyenne. Le signal

prix y était donc favorable et les projets d’exploration-production se sont multipliés, jusqu’à ce que

les États-Unis deviennent les premiers producteurs au monde fin 2015 (12,7 millions de barils jour

contre 7 mbj en 2007), devant l’Arabie Saoudite (12 mbj) et la Russie (11 mbj10).

L’abondance de gaz naturel aux États-Unis a, depuis plusieurs années, incité les producteurs

d’électricité à remplacer le charbon par le gaz pour la génération d’électricité. Ce phénomène a eu

deux effets : la baisse des émissions de CO2 aux États-Unis, à hauteur de 1,4% par an entre 2005 et

2012, et la hausse des exportations de charbon vers l’Europe et l’Asie, avec un effondrement du prix

du charbon, où les émissions de CO2 ont concomitamment augmenté.

En décembre 2014, le Congrès a levé l’interdiction d’exporter du pétrole brut établie après le choc

pétrolier de 1973 : aussi les États-Unis auraient-ils exporté environ 1,5 million de barils en 2014, en

grande majorité des produits pétroliers raffinés (gazoline, kérosène).

Exportations de charbon des États-Unis, en tonnes

2008 2009 2010 2011 2012 2013

81 519 115 59 096 951 81 715 675 107 258 561 125 745 662 117 659 268

Source : US Energy Information Administration

Les États-Unis sont donc non seulement devenus un important producteur de pétrole, capable

d’alimenter leur marché intérieur et donc de moins dépendre de leurs fournisseurs traditionnels,

mais ils sont aussi un exportateur dont l’influence sur les marchés internationaux pourrait s’accroître

si la production de schiste se maintenait voire poursuivait sa croissance ces prochaines années.

b. Une réduction du taux de chômage

Selon une étude britannique de 201411, la révolution du schiste aurait permis la création de 224 000

emplois dans le secteur énergétique et de 486 000 emplois supplémentaires, indirectement et grâce

au rayonnement de cette industrie. Cette même étude soutient que le taux de chômage des comtés

où l’on exploite du pétrole et du gaz est inférieur aux autres. Le salaire nominal du secteur a

augmenté de 30% en moyenne depuis 2000, et l’énergie y est 30% moins chère en moyenne, ce qui

contribue à dynamiser l’activité commerciale et industrielle et l’attractivité des régions

d’exploitation pour les travailleurs et les ménages. En revanche, le coût de la vie y a parallèlement

augmenté (cf. augmentation de 350% du loyer moyen pour un studio à Williams County, cœur du

Dakota du Nord depuis 2000). Toutefois, le lien emploi-croissance/développement des hydrocarbures

10

BP Energy Charting Tool 2015, http://tools.bp.com/energy-charting-tool.aspx. 11

Thiemo Fetzer, Fracking Growth, Centre for Economic Performance, Discussion paper N°1278. Eléments adidtionnels sur la note de blog “The shale gas boom has boosted jobs, wages and energy intensive manufacturing in the United States”, USAPP blog, London School of Economics.

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de schiste reste controversé, contredit par d’autres études qui accordent, sur le plan économique,

des bénéfices restreints12.

Grâce à une fiscalité souple et attractive, initiée par le Energy Act de 1980, les États-Unis ont

bénéficié de retombées économiques conséquentes. Les recettes fiscales du secteur du gaz naturel

pourraient par exemple générer, selon certaines sources, jusqu’à 930 milliards de dollars de revenus

d’ici 2035 et employer environ 4,2 millions de personnes contre 2,8 aujourd’hui13.

Selon le scénario de référence de l’Annual Energy Outlook 2016 14de l’AIE, la production américaine

de gaz naturel devrait augmenter de 50% entre 2015 et 2040, dépassant les 40 tcf en reposant à 69%

sur le secteur du non conventionnel (29 tcf).

II. Panorama et enjeux du secteur

I. Enjeux techniques

1. Le forage horizontal et la fracturation hydraulique

La fracturation hydraulique nécessite par définition un important volume d’eau, variable en fonction

des conditions géologiques et de l’amplitude du forage (entre 10 000 et 15 000 m3). Afin de limiter

l’impact environnemental de l’exploitation des sols, il faut disposer d’un volume suffisant d’eau, des

capacités de retraitement lié à l’injection de produits chimiques, et de capacités de stockage.

Les risques associés à cette technique sont nombreux. Selon un rapport commandé par la DG

Environnement de l’UE remis en 2012 et cité par l’organisation Green Facts, « les sources

potentielles de risques pour la santé et l'environnement sont :

L'utilisation de volumes importants d'eau et de substances chimiques et le rendement à la

baisse des puits de gaz non conventionnel par rapport à l'extraction de gaz conventionnel ;

Garantir l'intégrité des puits et des autres équipements tout au long du cycle de vie de la

centrale et après ;

L'éventuelle toxicité des additifs chimiques et le défi de trouver des alternatives plus

écologiques; s'assurer que le déversement de substances chimiques et d'eaux usées, qui

peut avoir des conséquences sur l'environnement, soit évité ;

12

Energy Modelling Forum (2013). Changing the Game? Emissions And Market Implications of New Natural Gas Supplies, Stanford University, cité notamment par l’IDDRI dans son étude Unconventional wisdom: an economic analysis of US shale gas and implications for the EU (Thomas Spencer, Oliver Sartor, Mathilde Mathieu), 2014. 13

« Shale Gas. What it means for our economy », America’s Natural Gas Alliance, http://anga.us/media/content/F7D1750E-9C1E-E786-674372E5D5E98A40/files/ihs%20shale%20gas%20jobs%20brochure.pdf. 14

Annual Energy Outlook 2016, p. 53. Dans ce scénario, le prix du brent remonte à 77 dollars le baril dès 2020 pour continuer sa croissance et atteindre environ 135 dolalrs en 2040 (p. 9).

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Veiller à identifier et à sélectionner correctement les sites géologiques ;

Les incertitudes liées à la présence sur le long terme des fluides de fracturation hydraulique

dans le sol ;

Les impacts inévitables du trafic ;

Le potentiel de développement sur une zone plus grande que pour les gisements de gaz

conventionnel ;

Les émissions dans l'atmosphère et les nuisances sonores liées à la centrale et à

l'équipement durant la construction et l'exploitation du puits.

Le rapport a identifié un risque élevé pour la plupart des aspects environnementaux examinés dans

le cas de l’effet cumulatif de l'installation et de l'exploitation de plusieurs puits. Il s'agit notamment

de risques de contamination des eaux et de rejet de contaminants dans l'air et le sol, ainsi que de

risques directs pour la biodiversité. »15

Plusieurs études mettent en avant le risque de pollution des nappes phréatiques par la fracturation

hydraulique : des passages naturels peuvent laisser passer les produits chimiques des gisements vers

des aquifères. Le risque industriel d’une explosion du sous-sol et d’une contamination de l’eau n’est

pas moindre. Ce fut le cas en 2011 en Pennsylvanie, lorsque plusieurs milliers de litres d’eau de

forage se sont échappés du tubage d’un puits de gaz de schiste après une explosion. Un unique cas a

incriminé la fracturation hydraulique dans la contamination des nappes phréatiques jusqu’à ce jour

(Pavillion, Wyoming 16 ). Les partis écologistes sont généralement extrêmement opposé au

développement de cette industrie controversée sur le plan environnemental, point qui a également

fait l’objet de plusieurs publications et long-métrages critiques (Gasland de Josh Fox en 2010,

Promised Land de Gus Van Sant en 2012).

La perturbation de l’activité sismique constitue un autre risque, qui a récemment été observé aux

Etats-Unis notamment en Oklahoma. De 50 en 2009, le nombre de séismes a atteint 6039 en 2015

dont près de 1000 d’une intensité supérieure à 3 sur l’échelle de Richter, selon le Oklahoma

Geological Survey (2015 data) et le Leonard Geophysical Observatory (2001-2014 data)17.

2. Le renouvellement constant des puits pour une production constante

Le cycle de production des hydrocarbures non-conventionnels est également différent du cycle

conventionnel : un puits d’hydrocarbures de schiste a ainsi une durée de vie moins importante,

puisqu’il atteint généralement son niveau maximal de production dès le début de son exploitation.

S’en suit un déclin rapide et une durée de vie qui varie approximativement entre six mois et cinq ans

contre en moyenne entre 15 et 30 ans pour un puits de pétrole conventionnel. Aussi la nature du

15

AEA Technology, Support to the identification of potential risks for the environment and human health arising from hydrocarbons operations involving hydraulic fracturing in Europe, aout 2012, http://ec.europa.eu/environment/integration/energy/pdf/fracking%20study.pdf 16

Marie-Béatrice Baudet, Jean-Michel Bezat, Stéphane Foucart et Hervé Kempf, « Faut-il avoir peur du gaz de schiste ? », Le Monde.fr, 14 septembre 2012. 17

Cité par Michael Wines, « Oklahoma Puts Limits on Oil and Gas Wells to Fight Quakes », The New York Times, 7 mars 2016.

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secteur non conventionnel est-elle fondamentalement différente car pour maintenir un niveau de

production stable, il est nécessaire de forer de nouveaux puits – et donc d’investir – régulièrement.

On observe ainsi une inversion de la structure OPEX-CAPEX par rapport à l’industrie traditionnelle,

où les coûts d’exploration sont généralement plus importants que les coûts d’opération.

Cette exigence de l’industrie non conventionnelle a également un impact important au sein des

territoires riches en hydrocarbures. Le déboisement, la multiplicité des puits à proximité les uns des

autres, l’installation de dalles de ciment pour les équipements d’extraction… Autant de facteurs

pouvant générer des externalités négatives à terme pour des régions qui, en dépit de bénéfices

économiques, s’exposent à des risques environnementaux difficilement quantifiables à moyen et

long terme.

Cependant, cette difficulté semble avoir été dépassée grâce à des améliorations techniques qui ont

permis à la production de se maintenir en 2014 et 2015 malgré la baisse du nombre de puis forés

(voir infra).

II. L’aspect concurrentiel et économique

1. Petites entreprises à l’origine du mouvement

A l’origine du boom des gaz et pétrole non conventionnels, on retrouve plutôt les producteurs

indépendants. Ces ressources n’intéressaient pas au début les grandes majors comme ExxonMobil,

Chevron, Texaco. Ce sont les acteurs de taille réduite qui ont initié le mouvement, ce que permettait

le tissu d’entreprise énergétiques aux Etats-Unis, très différent de celui que l’on trouve ailleurs dans

le monde où ces acteurs, dans la production, sont peu nombreux.

2. Nature capitalistique et flexible du marché

Les Etats-Unis réunissent de nombreuses conditions favorables aux entreprises, notamment leur

marge de manœuvre, des facilités d’emprunt, une protection en cas de faillite grâce au chapter 11

qui permet à toute entreprise en situation de faillite de déposer un dossier auprès du tribunal fédéral

afin de se placer sous la protection de l’Etat. Cela a permis aux petits acteurs de continuer à produire

alors qu’ils étaient en situation de faillite et de disposer de temps pour optimiser les couts de

production. Cela s’est fait aussi bien par des évolutions techniques que par des réductions d’effectifs.

Toutefois, la baisse des cours du baril rattrape les producteurs de non conventionnel puisqu’il leur

faut maintenant rembourser les emprunts contractés pour le démarrage d’activité. Or de nombreux

producteurs de taille moyenne – notamment dans le Dakota du Nord – font tout de même faillite car

ils ne sont plus solvables.

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16

III. Perspectives structurelles

1. La chute des prix de juin 2014 : un coup dur pour le non-conventionnel ?

Si les consommateurs et l’industrie manufacturière profitent d’une énergie à bas prix, les

producteurs de pétrole et de gaz de schiste souffrent pour leur part de signaux prix défavorables au

renouvellement des investissements de leur secteur. Aussi le développement du non-conventionnel

dans d’autres régions du monde n’est-il possible qu’avec un prix des matières premières stable à

moyen-terme. Avec des coûts de production à 73$18 par baril de pétrole de schiste en moyenne, le

secteur non conventionnel est effectivement en difficulté financière, et la production a commencé à

décroître au Etats-Unis (de 9,6 mbj en 2015 à 9 mbj en mars 2016)19. Comme mentionné supra, la

réactivité du marché du non-conventionnel est bien plus importante que celle du conventionnel, car

si la production est plus rapide, l’épuisement d’un puits est aussi fulgurant. Un cycle de production

soutenu suppose donc des réinvestissements constants.

2. Les conséquences sur les marchés américain et mondial

Sur le marché gazier, l’abondance de gaz non conventionnel a fait chuter les prix américains. Sur le

Henry Hub, indice spot de référence, le cours est passé de 4,59 à 2,59$/Mbtu entre juin 2014 et juin

201620. Ce prix peut s’avérer favorable à une hausse des exportations, notamment vers le marché

asiatique dont la demande de GNL ne cesse d’augmenter. En effet, après la catastrophe de

Fukushima en 2011, l’Asie avec des pays comme le Japon réunit des conditions très avantageuses

pour les exportateurs américains (prix haut, forte demande) qui la préfère à l’Europe où la demande

gazière stagne. En dépit du ralentissement de la croissance chinoise, plus de 245 millions de tonnes

de GNL ont été négociées en 2015. Selon Wood Mackenzie, grâce à l’Australie et aux États-Unis, la

production de GNL pourrait augmenter de 50% d’ici à cinq ans21. La demande européenne en GNL

devrait donc augmenter et rencontrer une offre suffisante pour être satisfaite par différents pays

producteurs. Toujours selon Wood Mackenzie, les capacités d’exportation des États-Unis devraient

augmenter de 60 millions de tonnes par an d’ici à 2020, grâce à la conversion des terminaux de

regazéification de GNL en terminaux de liquéfaction.

Cette suroffre d’origine américaine a provoqué de lourdes conséquences sur le marché pétrolier et a

conduit les acteurs à adopter de nouvelles stratégies. Les autres États producteurs de pétrole

comme l’Arabie Saoudite ont ainsi choisi de maintenir leur niveau de production lors de la réunion

de l’OPEP des 26 et 27 novembre 2014, le ministre du pétrole saoudien Al-Naimi annonçant à

l’époque que le Royaume était prêt à supporter la baisse des prix face à l’excès d’offre en provenance

18

International Energy Agency 19

id. 20

Rappelons que le prix était, au plus fort de la hausse du pétrole à l’été 2008, de 12,69 dollars/Mbtu. 21

Chester Dawson, “Global demand for LNG drops on weak demand in Asia and increased production”, Wall Street Journal, 13 janvier 2016.

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17

des Etats-Unis22. En dépit de la chute du prix du baril, cette stratégie avait pour objectif de

combattre l’excès d’offre en décourageant la production américaine et en compromettant sa

rentabilité. Un accord de gel de la production passé en février 2016 entre l’Arabie Saoudite, le Qatar,

la Russie et le Venezuela poursuivait le même but, sans résultats probants23. Au sein de l’OPEP,

aucun accord n’a pu être trouvé sur un gel éventuel malgré une autre réunion en avril 2016 où les

divergences entre l’Arabie Saoudite et l’Iran se sont une nouvelles fois affirmées, Téhéran refusant

contre le souhait de Riyad de restreindre sa production.

3. La surprenante résilience du non-conventionnel dans un contexte de prix bas

La stratégie de mise à mal de la concurrence par la pression à la baisse sur les prix tarde à obtenir les

effets escomptés. L’industrie du non-conventionnel, qui avait surpris par son spectaculaire essor,

étonnant désormais les analystes par sa résilience. Cette dernière s’explique par des progrès

techniques et une optimisation de la production qui ont permis de faire chuter les coûts de

production, le breakeven de nombreux bassins étant inférieur à 40 voire 30 dollars24.

22

Lors de cette réunion a été décidé le maintien du quota officiel de 30 millions de barils par jour fixé en 2011 lorsque le cours du Brent était à 100 dollars. Jean-Michel Bezat, « L’OPEP refuse de réduire sa production, les cours chutent », 27 novembre 2014. 23

Frabrice Nodé-Langlois, « L'accord entre l'Arabie et la Russie ne fait pas remonter le prix du pétrole », LeFigaro.fr, 16 février 2016. 24

Selon plusieurs études, notamment du cabinet Rystad Energy. “Average shale wellhead breakeven prices are below 40 USD/bbl”, 28 juillet 2016. Certains bassins seraient même en dessous des 30 dollars et peuvent se maintenir avec un prix à 40 dollars (prix au 29 juillet 2016). Texas Isn't Scared of $30 Oil, Dan Murtaugh, Bloomberg, 3 février 2016.

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18

Source: US Shale Oil Production: The Unexpected Resilience, Paraskevas Kipouros, 18 septembre 2015.

Conjuguées à d’autres facteurs comme les dispositions du chapitre 11 de la loi sur les faillites

protégeant les entreprises de cette situation, les évolutions techniques et technologiques ont permis

de préserver l’industrie pétrolière et gazière non conventionnelle américaine de la chute des cours

initiée en juin 2014, en leur donnant la possibilité de continuer à produire. Si de nombreuses

disparitions d’entreprises et d’emplois ont toutefois eu lieu, la production s’est maintenue à un

niveau important, portant à 55% la part du non conventionnel dans la production pétrolière. Pour

preuve, le découplage entre le Baker Hughes Rig Count et la production au cours de l’année 2014

(avec un décalage de trois mois en raison du délai moyen entre le premier forage et le début de la

production)25.

L’efficacité du forage s’est grandement améliorée ces dernières années, en termes de précisions,

d’optimisation de l’utilisation de l’énergie et de réduction du temps de forage. Les producteurs ont

aussi insisté sur les enhanced completions qui ont permis de booster la production dès la première

année du puits26, comme en atteste le graphique suivant.

Augmentation de la productivité des puits27

4. Une mutation technologique ?

Plusieurs techniques alternatives sont à l’étude28.

25

Trisha Curtis, op.cit., p. 8. 26

US Shale Oil Dynamics in a Low Price Environment, Trisha Curtis, Oxford Institute for Energy Studies November 2015, p. 5-6. 27

“Increased drilling may slow pace of crude oil production declines”, EIA, 26 juillet 2016. 28

Consulter Les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, rapport du Sénat, 27 novembre 2013.

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19

La fracturation par arc électrique, dont le principe est de provoquer grâce à un arc électrique entre

deux électrodes produisant une onde de pression consécutive à une décharge électrique, des

microfissures dans la roche. Fortement consommatrice d’électricité et comportant certains risques

dus à la présence de gaz inflammables, cette option, immature, semble délicate à mobiliser dans le

cadre de cet objectif, sachant que seul la proximité immédiate du puits peut être stimulé.

La fracturation thermique s’effectue par chauffage de la roche à l’aide de vapeur ou d’un chauffage

électrique. L’élévation de la température permet de déshydrater la roche qui se rétracte et se

fracture. Ce chauffage a aussi un impact sur la qualité des produits extraits. Toutefois, cette

technique n’est pas encore mature et des études sérieuses doivent encore être menées.

La fracturation pneumatique consiste à injecter une quantité d’air comprimé dans le puits pour créer

des ondes de chocs et fracturer la roche mère. Autre variante, la fracturation à l’hélium (composants

non toxiques/caustiques), développée par Chimera Energy Corp., qui peut être classée dans la

catégorie des fracturations pneumatiques car elle fonctionne sur le principe d’expansion de l’hélium.

Injecté liquide, il connait une forte expansion en repassant à l’état gazeux lors de son réchauffement

dans le sous-sol, conduisant à fracturer la roche. A noter que d’autre gaz peuvent être utilisé comme

le CO2 ou l’azote.

Enfin, la fracturation au propane, utilisée au Canada par EcorpStim et GasFrac complète le panel.

Elle est utilisée par l’industrie depuis plus de cinquante ans notamment pour l’EOR (Enhanced Oil

Recovery) mais comporte d’importants risques liés au caractère fortement inflammable de ce gaz.

Son principal intérêt reste qu’elle ne consomme pas d’eau et permet d’éviter en partie les problèmes

liés à la fracturation hydraulique (retraitement de l’eau, conflits d’usage).

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20

III. Un phénomène transposable à l’étranger ?

La « révolution » du non-conventionnel aux États-Unis s’est effectuée dans des conditions

géologiques, financières, économiques et juridiques très spécifiques. Le caractère transposable du

phénomène dépend donc des similitudes qui peuvent exister entre les États-Unis et d’autres régions

riches en ressources, tant sur le plan géographique (superficie, disponibilité en eau) que

réglementaire (code minier, code du commerce). Si l’enthousiasme qu’a suscité l’essor du gaz de

schiste a encouragé de nombreux États à évaluer leurs propres réserves, l’acceptabilité

environnementale et sociale du non-conventionnel a aussi été à l’origine de moratoires sur la

recherche et l’exploitation dans le secteur.

“Shale oil and shale gas resources are globally abundant”, EIA, 2 janvier 2014. http://www.eia.gov/todayinenergy/detail.cfm?id=14431

I. En Russie et en Europe : des ressources importantes, pour quel

marché ?

1. Russie : des réserves considérables, une industrie en retard

Selon BP, la Russie disposerait des deuxièmes réserves prouvées mondiales de gaz derrière l’Iran,

avec 32 000 Gm3 dont, selon les chiffres de l’EIA, près de 8000 Gm3 (285 tcf) de gaz non

conventionnel.

Alors que Gazprom prévoit un déclin rapide des réserves de gaz conventionnel (-25% d’ici 2020 et -

75% d’ici 2030), l’exploitation des ressources non-conventionnelles présente un intérêt certain. La

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21

Russie aspire en effet à maintenir au mieux ses parts de marché auprès de l’Union européenne et

développer ses exportations vers l’Asie et la Chine avec laquelle elle noue de plus en plus de contrats.

La demande européenne et la demande domestique russe sont stagnantes, voire en faible

diminution. L’UE manifeste depuis les crises successives entre la Russie et l’Ukraine sa volonté de

diversifier ses approvisionnements en gaz et en pétrole, dans une stratégie plus générale de sécurité

énergétique. Il est donc peu probable que les échanges gaziers entre la Russie et l’UE augmentent

significativement d’ici à 2030. Au contraire, l’UE encourage la construction de terminaux GNL pour

recevoir du gaz – y compris non conventionnel – de nouveaux partenaires énergétiques29.

Sur le plan technologique, la Russie accuse un retard certain comparé aux Etats-Unis et aux autres

marchés émergents du non-conventionnel. Les sanctions internationales qui pèsent sur son

économie et son industrie conduisent certains analystes à penser que les premières productions de

méthane et de tight gas ne verraient le jour qu’à partir de 2020 au plus tôt, et à partir de 2030 pour le

gaz de schiste et les hydrates. Aussi la Russie a-t-elle intérêt à apprendre et à maîtriser la

technologie d’extraction et d’exploitation du gaz de schiste pour, à terme, pouvoir exploiter ses

ressources, ce qui ne pourra se faire qu’avec le développement de partenariats avec les entreprises

américaines qui souhaiteront investir pour mettre en valeur ses réserves.

2. L’Europe

Selon une étude de 2013 effectuée par l’Institut Fédéral pour les Géosciences allemand, les réserves

recouvrables de gaz de schiste en Europe s’élèvent à 14 trillions de m3, principalement situées en

Pologne et en France. Les estimations de 2011 ont cependant été revues à la baisse (5 100 Gm3

contre 3 900 en France, 5 300 contre 4 200 en Pologne). L’estimation des réserves reste toutefois

très incertaine car peu de puits d’exploration sont à ce jour en activité.

Si la Commission européenne considère aujourd’hui que le gaz de schiste représente une

opportunité potentielle pour la sécurité énergétique européenne, et finance même des projets

d’exploration dans son programme Horizon 202030, les États restent divisés sur la position à adopter.

Le gouvernement britannique s’est déjà exprimé en faveur du développement du gaz de schiste, et

les licences expérimentales délivrées pourront évaluer la rentabilité d’une production d’ici à cinq ans.

La mise en valeur des ressources non conventionnelles des pays d’Europe centrale et orientale a

pendant quelque temps entretenu l’idée d’un desserrement de l’étau russe, Désireuse de se

positionner sur ces marchés, plusieurs compagnies internationales se sont intéressées de près à la

Pologne. Après que l’US Energy Information Administration a estimé ses réserves à près de 2 000

milliards de m3, Chevron, Exxon Mobil, Eni et Total y ont mené des prospections dont les résultats se

sont toutefois révélés décevants. Si la nature géologique du terrain n’est pas aussi favorable qu’aux

29

« Le gaz naturel liquéfié et le stockage du gaz renforceront la sécurité énergétique de l’Union », fiche d’information de la Commission européenne, 16 février 2016. 30

“EU puts up 12 million euros for “rigorous” fracking research”, Shale Gas International, http://www.shalegas.international/2015/03/03/eu-puts-up-12-million-euro-for-rigorous-fracking-research/

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États-Unis, la rentabilité économique n’est pas non plus satisfaisante. De même, l’opposition d’une

partie de la population aux développements de ces ressources controversées a constitué un verrou

supplémentaire.

Ainsi, « l’abandon progressif par les entreprises américaines des territoires d’Europe orientale où

finalement peu de puits ont été forés avec des résultats très faibles, prouve bien que les conditions

américaines ne sont pas universellement réplicables »31.

En France, le débat sur l’exploitation des gaz de schiste s’est, comme souvent, fortement polarisé

voire idéologisé. Avant même de savoir si les réserves nationales étaient de taille suffisamment

importante pour que l’exploitation en soit envisageable, utile, rentable et maitrisée sur le plan

environnemental, la fracturation hydraulique a été interdite par la loi Jacob du 13 juillet 201132. Les

licences d’exploration qui avait été délivrées ont été annulées. L’élection à la présidence de la

République en mai 2012 de François Hollande, lié au parti EELV par un accord sur la non-exploitation

de ces ressources controversées, a gelé la situation. S’estimant lésées, certaines sociétés titulaires

des permis comme le texan Schuepbach avait sollicité en juillet 2013 le Conseil constitutionnel pour

examen du principe de constitutionnalité. Ce recours n’avait rien donné, le Conseil déclarant

conforme la loi conforme à la constitution trois mois plus tard.

Un rapport, commandé en 2012 par Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif,

et livré début 2014 aurait également été enterré par le gouvernement afin de ne pas relancer la

polémique sur le sujet33. Le rapport évoquait notamment la possibilité de recourir à la technique de

fracturation par fluoropropane (voir infra).

Autre rebondissement, l’annulation le 28 janvier 2016 par le tribunal administratif de Cergy de la

décision du 12 octobre 2011 abrogeant le permis de recherche délivré à Total dans la région de

Montélimar, au motif que le groupe ne comptait pas recourir à la fracturation hydraulique. Ségolène

Royal a fait appel de la décision et des manifestations ont eu lieu notamment à Barjac dans le Gard

avant que Patrick Pouyané, PDG de Total ne renonce publiquement à mener ses recherches en mars

2016.

La ministre de l’Écologie Ségolène Royal s’est également opposée à l’importation de gaz de schiste

sous forme liquéfiée en provenance des États-Unis. Malgré tout, une première cargaison propriété

d’Engie pourrait être acheminée jusqu’au terminal de Dunkerque au cours de l’été 2016.

Dans la même lignée, la Bulgarie a imposé un moratoire sur le gaz de schiste, les Pays-Bas ont

suspendu les licences jusqu’à la publication prochaine d’une étude environnementale publique34 et

l’Allemagne a récemment interdit la fracturation hydraulique35.

31

Nicolas Mazzucchi, « L’exploitation des gaz et pétrole de schiste en Europe centrale et orientale (Pologne, Ukraine, Bulgarie) constitue-t-elle une alternative crédible aux approvisionnements en hydrocarbures russes ? »,Cahiers de la sécurité et de la justice, n°33, février 2016. 32

Loi Jacob du 13 juillet 2011, en application de la Charte de l’environnement, 2004 33

Hydrocarbures non conventionnels en France perspectives ouvertes par les nouvelles technologies d’exploration et d’exploitation. 20 mois à la recherche des gaz de schiste écologiques. Bertille Bayart, « Gaz de schiste : le rapport enterré par le gouvernement », LeFigaro.fr, 6 avril 2015. 34

“Shale gas and EU energy security », European Parliament, http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2014/542167/EPRS_BRI(2014)542167_REV1_EN.pdf

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23

D’autres États européens, aux ressources moins importantes, ont engagé des projets d’exploration

production : le Danemark, l’Espagne, la Lituanie et la Roumanie étudient actuellement les conditions

réglementaires dans lesquelles autoriser l’exploitation des ressources non conventionnelles.

L’opinion publique demeure donc largement divisée en Europe, et il n’existe à l’heure actuelle

aucune politique publique européenne relative au développement du gaz de schiste, et plus

généralement des hydrocarbures non conventionnels. La Commission européenne a adopté la

Recommandation 2014/70/EU à propos de la fracturation hydraulique, invitant les autorités et les

entreprises à la transparence quant aux risques environnementaux sans interdire la technique.

Toutefois, au-delà des questions de réserves et de réglementation se posent les problématiques

concrètes, logistiques, matérielles et politiques. Les matériels nécessaire à la mise ne place de ce

type de production n’existe pas sur le territoire européen, il faudrait alors tout importer ; de même

que le personnel formé pour l’utiliser.

Enfin, la dimension politique et l’acceptabilité par les opinions publiques semblent indépassables,

notamment en France où les syndromes NIMBY (Not in my backyard) et BANANA (Build Absolutely

Nothing Anywhere Near Anything) prédominent et constituent un second verrou très puissant,

même dans l’hypothèse peu plausible où l’interdiction de la fracturation hydraulique serait levée

et/ou une autre technique type fracturation au fluoropropane serait acceptée.

II. La Chine

1. Des ressources et une demande croissante…

La demande énergétique chinoise connait une croissance rapide depuis le début des années 2000,

en dépit du ralentissement récent de son activité industrielle et donc de sa demande en pétrole. En

2015, la consommation chinoise de gaz était de 35% supérieure aux projections de l’EIA en 201036.

D’ici 2035, elle devrait représenter à elle seule 25% de la demande énergétique mondiale, et

deviendrait par là même de plus en plus dépendante des importations de pétrole et de gaz. Cette

dynamique devrait être renforcée suite aux engagements pris à la COP21 où la Chine a fait part de

ses intentions de diminuer sa consommation de charbon pour sa production d’électricité et lui

préférer le gaz naturel.

Alors que des projets de gazoducs depuis le Turkménistan et Myanmar alimentent déjà un marché

domestique dynamique, l’EIA a évalué en 2011 que la Chine disposait des troisièmes plus

importantes ressources de CBM et les premières ressources de gaz de schiste au monde, à hauteur

de 31 000 Gm3 (1115 tcf) techniquement recouvrables37. Selon une étude de BP de 2014, la

35

“Germany bans fracking after years of dispute”, The Guardian, 24 juin 2016. 36

Jude Clemente, « China’srising natural gas demand, pipelines, and LNG », Forbes, 24 avril 2016. 37

“Shale gas development in China aided by government investment and decreasing well cost”, EIA, 30 septembre 2015.

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24

production de gaz de schiste devrait augmenter de 5,6% par an entre 2014 et 203538. Elle s’élèverait

en 2015 à 5 Gm3/an dans le bassin du Sichuan. Le Parti communiste prévoit que le gaz représentera

10 % de la consommation d’énergie nationale en 2035, contre 6 à 7% aujourd’hui.

Dans ses International Energy Outlook 2016 (IEO2016) and Annual Energy Outlook 2016 (AEO2016

l’EIA estime que la production de gaz de schiste, plus simple que celle de CBM, pourrait représenter

jusqu’à 40% de la production de gaz du pays en 2040.

Sources : IEO 2016, chapter 3, Natural Gas, p.2.

CNPC a également découvert en 2015 plus de 100 millions de tonnes de pétrole de schiste dans le

champ de Changqing, soit l’équivalent de 730 millions de barils de pétrole. Il s’agit de la première

découverte de cette envergure. Toutefois, l’EIA n’envisage pas le développement à un niveau

significatif d’une production de pétrole non conventionnel en Chine. Selon ses prévisions à 2040, la

production américaine resterait supérieure aux productions cumulées des autres pays producteurs.

38

Nigel Davis, “China next in shale gas?”, ICIS, 18 février 2016.

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25

Sources : IEO 2016, chapter 2, Petroleum and other liquids fuels, p.2.

2. …mais des interrogations légitimes

La Chine pourrait donc devenir un producteur important de gaz non-conventionnel, comme en

témoigne les 5 milliards de m3 produits dans la région de Chongqing selon Sinopec, et l’ambition

d’atteindre 15 milliards de mètres cube d’ici à 202039.

Toutefois, plusieurs doutes subsistent quant à la capacité de Pékin à atteindre ces objectifs. La

géologie reste un problème, l’accès aux gisements étant moins aisé qu’en Amérique du Nord quand

ils ne sont pas situés à la jonction de plaques tectoniques. Les ressources en eau ne sont pas non plus

abondantes dans toutes les régions, notamment dans l’Ouest et le Nord et en raison de la forte

densité de population et d’activités et de donc des besoins domestiques. Le manque

d’infrastructures de transport d’hydrocarbures dans certaines régions augmente également le coût

d’exploitation des gisements. Dès 2012, certaines analyses doutaient largement de la capacité de la

Chine a produire davantage que 10 Gm3/an dans la décennie 202040.

Les aptitudes des grandes compagnies nationales à développer le secteur du non-conventionnel

sont aussi questionnées, le boom aux Etats-Unis ayant été porté par les producteurs indépendants

bénéficiant d’une réactivité et d’une rapidité de décision, des qualités dont ne disposent pas les

entreprises chinoises publiques41 comme privées – ces dernières restant faibles en raison de la

domination des NOC42.

39

« China Sinopec to triple Chongqing shale gas capacity to 15 Bcm/year by 2020”, S&P Global Platts, 23 mai 2016. 40

Fan Gao, “Will There Be a Shale Gas Revolution in China by 2020?”, Oxford Institute for Energy Studies, p. 38. 41

“Why China will never see a Shale Boom”, Oil&gas360, 2 novembre 2015. 42

Fan Gao, op.cit., p. 38

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26

De même, des interrogations persistent sur le rythme d’évolution de la demande chinoise, en

ralentissement aujourd’hui (+10 ,8% entre 2012 et 2013 contre 4,7% entre 2014 et 2015) malgré la

volonté de diminuer la consommation de charbon. Si les ressources non conventionnelles étaient

développées, cela pourrait en tous les cas remettre partiellement en cause certains contrats (accord

avec la Russie du 10 novembre 2014 sur la livraison de 2 tcf sur 30 ans) ou des difficultés pour

certains projets (rachat par ExxonMobil de InterOil en Papouasie-Nouvelle-Guinée, projet

d’exportation de GNL qui compte également sur la demande chinoise)43.

L’évolution à terme de l’économie chinoise est aussi une question importante. La transition d’une

économie agro-industrielle vers une économie tertiaire moins consommatrice d’énergie pourrait

aussi contrarier les projets de grands exportateurs de la région.

III. Australie

L’Australie dispose de ressources non conventionnelles très importantes. Selon l’administration

américaine de l’énergie (EIA), elles s’élèveraient à près de 400 tcf, répartis dans les quatre bassins

actuellement exploités. Cependant, l’industrie et les géologues s’intéressant au potentiel australien

depuis seulement quelques années, ces ressources pourraient être sous-estimées. De même, le

bassin d’Arckaringa en Australie du Sud contiendrait 3,5 milliards de barils de pétrole de schiste

recouvrables économiquement44.

Projets non conventionnels en cours

source : The Australian, 2013

43

“LNG Investments At Serious Risk If China Succeeds On Shale”, Charles Kennedy, OilPrice.com, 1er

aout 2016. 44

Jonathan Pearlman,« Trillions of dollars worth of oil found in Australian outback », The Telegraph, 24 janvier 2013.

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27

Tout d’abord, l’Australie pourrait devenir un exportateur de pétrole et de gaz non conventionnels à

destination du marché asiatique, en croissance et situé à proximité. À plus long terme,

approvisionner le marché asiatique pourrait également permettre à l’Union européenne d’importer

davantage de GNL, dont l’essentiel de la production est aujourd’hui capté par l’Asie en raison des

prix élevés qu’elle offre aux producteurs pour satisfaire sa demande croissante.

De même, les conditions géologiques observées par le groupe Beach Energy, qui est à l’initiative de

l’exploitation du premier puits non-conventionnel en Australie, présentent des similitudes avec le

riche bassin de Haynesville au Texas45. Ainsi, le pays ne devrait pas être exposé aux problèmes

rencontrés en Europe où l’accessibilité et la rentabilité des réserves s’est souvent vue compromise

par la géologique.

IV. Argentine

Le boom des hydrocarbures non conventionnels n’est pas exclusif à l’Amérique du Nord :

d’importantes ressources ont été trouvées en Argentine, et le gouvernement semble compter sur le

potentiel de production de gaz et d’huile de schiste pour réduire ses importations et, à terme,

devenir exportateur net. Les retombées économiques aux États-Unis ont incité les pouvoirs publics à

accélérer le mouvement. Les réformes mises en place par le nouveau président Macri ont suscité

l’enthousiasme des entreprises privées, américaines et européennes, auparavant réticentes à

investir dans un environnement financièrement défavorable et politiquement instable, notamment

après la nationalisation de YPF, filiale de Repsol en Argentine, décidée sous la présidence de Cristina

Kirchner en 2012.

1. Ressources : état des lieux et projections

L’Argentine dispose en effet de ressources très importantes – 802 tcf soit 22 500 Gm3 (1 tcf = 28

Gm3) – essentiellement découvertes dans le champ de Vaca Muerta, dans la région de Neuquen en

Patagonie. Selon les estimations de la US Energy Information Administration, les ressources du

bassin s’élèvent à 308 Tcf de gaz (soit environ 8 700 Gm3) et 16,2 milliards de barils (41 000 barils

actuellement produits par jour). Ces capacités ont été découvertes en 2011 et représentent à l’heure

actuelle une infime part de la production nationale de gaz.

Les ressources non-conventionnelles concentrent l’espoir du gouvernement argentin, alors que les

gisements conventionnels s’épuisent progressivement depuis le début des années 2000. C’est en

2008 que la demande de pétrole a dépassé la production nationale (676,55 millions de barils

consommés contre 661,22 millions de barils produits), de même que l’offre et la demande de gaz

(1568 tcf consommés contre 1555 tcf produits). Par exemple, alors que l’Argentine a longtemps

45

Lauren Molan,« Australian shale : what’s the next move ? », Gas Today, février 2012.

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28

exporté du gaz vers le Chili, la balance s’est inversée en mai 2016 lorsque deux contrats ont été

signés entre l’antenne chilienne d’Engie et l’Argentine pour approvisionner cette dernière à hauteur

de 85 millions de m3 dès l’hiver46.

Gaz naturel (AIE, 2013)

TJ TWh

production 1507070 416630

importations 446797 124110

exportations -3158 -877

offre 1950709 541863

Pétrole en milliers de tonnes (AIE, 2013)

pétrole brut mazout diesel

production 26978 4309 9369

importations 0 2132 335

exportations -528 -113 -245

2. Environnement légal et politique

Dès les premières semaines suivant son élection le 10 décembre 2015, le Président argentin Mauricio

Macri a mis en place plusieurs mesures-phare ayant suscité l’enthousiasme de fonds

d’investissements américains et européens. Il a unifié le taux de change, désengagé l’État du

contrôle de plusieurs capitaux privés et réduit les taxes sur l’export de biens agricoles et industriels47.

Le 31 octobre 2015, le gouvernement argentin a publié un projet de réforme de la loi de 1967 sur les

hydrocarbures. Cette réforme autorise les investisseurs étrangers à explorer des gisements offshore,

facilite la formation de joint ventures internationales, permet d’allonger la durée des périodes

d’exploitation des puits et augmente la fréquence de la délivrance de licences d’exploitation. Cette

nouvelle législation devrait permettre à terme à l’Argentine de diminuer ses importations de gaz

naturel, alors que jusqu’à aujourd’hui l’attractivité juridique et financière du secteur avait contraint le

pays à devenir importateur net.

Le 19 mai 2016, le gouvernement a lancé un programme politique de stimulation de la production de

gaz non conventionnel : l’objectif est de réduire les importations de gaz, en particulier chilien, et de

46

“Chile to begin gas exports to Argentina this week”, Reuters, 10 mai 2016. 47

« Mauricio Macri, le "président-patron" de l'Argentine », LeFigaro.fr, 23 février 2016.

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29

promouvoir les investissements étrangers pour exploiter les ressources du champ de Vaca Muerta.

Le ministre de l’Énergie Juan Jose Aranguren a affirmé mi-juillet que les importations de GNL

s’interrompraient d’ici cinq à six ans grâce à l’augmentation de la production domestique de gaz48.

3. Projets industriels et conjoncture financière

Si la nationalisation de l’entreprise pétrogazière YPF en 2012 constituait un mauvais signal pour les

investisseurs étrangers, elle a eu le mérite de démontrer l’intérêt que le gouvernement argentin

portait au secteur des hydrocarbures. Vaca Muerta représente ainsi un enjeu de taille pour le

gouvernement argentin. ExxonMobil, Shell, Total et d’autres majors ont déjà investi des parts dans

l’exploitation des puits, mais seul Chevron s’est associé à YPF pour l’extraction de pétrole.

L’Argentine est déjà parvenue à baisser les coûts d’exploitation des puits, de $15 millions à $14

millions pour un puits horizontal et de $11 millions à $7 millions pour un puits vertical49 (objectif 4-5

millions). Ces coûts demeurent cependant très élevés et non rentables comparés aux coûts des puits

américains et, depuis la chute du prix du pétrole en 2014, les recettes ont chuté et l’exploitation de

Vaca Muerta a été ralentie.

Si le gaz de schiste argentin, moins rentable que son homologue américain, va d’abord alimenter le

marché intérieur, la transformation des terminaux d’importation de GNL en terminaux d’exportation

pourrait permettre à l’Argentine d’exporter son gaz non conventionnel vers les marchés européens,

à condition que les prix des matières premières augmentent durablement et que l’exploitation de

Vaca Muerta se poursuive.

48

“Argentina president vows to end LNG imports in 5-6 years”, Platts, 13 juillet 2016. 49

“Argentina cuts shale drilling costs but no new joint ventures expected”, Reuters, http://www.reuters.com/article/argentina-oil-idUSL1N10H24720150806

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30

Prospective 2030

I. Scénario A : développement lent et progressif

A la faveur d’une reprise progressive de la croissance en Europe, d’une stabilisation de la production

non conventionnelle aux Etats-Unis (après un léger déclin amorcé fin 2015-début 2016 en raison du

niveau de prix bas et d’un taux de couverture moins important) et d’un choc lié au déficit

d’investissement en 2015 et 2016 dans l’amont, le prix du pétrole remonte progressivement et

retrouve un niveau de 80 dollars dès le début de l’année 2018. La réduction des coûts de production

forcée lors de l’épisode de bas prix permet à de nombreux pétroles d’être rentable à ce prix excepté

certains sables bitumineux du Canada et des pétroles de l’Orénoque vénézuélien. Malgré des

normes environnementales qui se consolident peu à peu, notamment en raison de l’activité sismique

en lien avec la fracturation hydraulique dans certains Etats comme l’Oklahoma, la production non

conventionnelle de pétrole conserve son poids dans la production nationale américaine. Une

demande soutenue et tirée par les émergents permet le maintien d’un niveau de prix à cet équilibre

de 80-90 dollars.

L’augmentation de la part du gaz dans les mix énergétiques soutient cette tendance au

développement des gaz de schiste.

Sources : « Shale gas production drives world natural gas production growth”, EIA, 15 aout 2016.

En Argentine et en Australie, la production augmente significativement. De même, la Chine voit sa

production de gaz non conventionnels (shale, tight et CBM) atteindre, selon les prévisions de l’EIA,

près de 35% de sa production totale, en 2030, remettant progressivement en cause ses importations

depuis la Russie. Aux Etats-Unis, on exporte vers l’Union européenne, toujours désireuse de

diversifier ses sources d’approvisionnement sans pour autant se lancer dans la mise en production

des réserves, complexe et couteuse et peu soutenue par les opinions publiques.

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31

II. Scénario B : essor important au niveau mondial

A la faveur d’une entente entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, l’OPEP décide de geler sa production à la

fin de la décennie 2010. Fatigués par plusieurs années de guerre sur les prix et soucieux de renflouer

leurs caisses pour développer le pays et amorcer une véritable diversification, les membres de

l’organisation décident, avec l’accord de la Russie et du Venezuela comme lors de l’hiver 2016, de

faire remonter les prix. Cette stratégie de tensions sur l’offre voit rapidement exploser les prix sous

l’effet d’une consommation qui augmente et d’un défaut de production des producteurs africains,

Libye et Nigéria principalement en raisons de problèmes sécuritaires. En effet, la reprise de la

production décidée unilatéralement par Tripoli à l’été 2016 sans l’accord du Parlement de Tobrouk a

replongé petit à petit le pays dans la crise alors que, au Nigéria, le mouvement des vengeurs du

Delta du Niger, fort de ses derniers recrutements, a mis à mal la production dans le Delta malgré les

opérations décidées par l’armée en juillet 2016, provoquant une situation de conflit larvé.

Après avoir souffert des cours bas en 2016 et 2017, le secteur du non-conventionnel reprend son

développement, notamment de manière partielle en Europe (limitée par sa géologie) où les cours

très élevés des années 2020 poussent des Etats comme l’Allemagne à revoir leur position. Berlin,

grâce aux prix hauts et à l’essor des techniques alternatives à la fracturation hydraulique interdite en

2016 décide de se lancer dès 2020 dans la mise en valeur de ses ressources afin de réduire sa

consommation de charbon. Dans cette configuration, le niveau de prix redevient l’objectif des

membres de l’OPEP qui décident d’abandonner une partie de leurs parts de marché pour maintenir

un prix à plus de 200 dollars le baril.

La Russie, la Chine, l’Argentine, le Mexique et l’Afrique du Sud bénéficient de ce haut niveau de prix

et, grâce à des coopérations avec les entreprises disposant du savoir-faire technique, développent

leurs ressources. Soulignant l’évolution des techniques de fracturation et le haut prix des

hydrocarbures, le gouvernement français de l’époque décide de réexaminer la possibilité de

procéder à une évaluation précise des ressources potentielles du pays.

III. Scénario C : prix bas et développement restreint

Contrairement aux attentes, le choc pétrolier consécutif aux faibles investissements réalisés dans

l’amont en 2015 et 2016 est rapidement résorbé en raison de la production qui ne baisse pas

suffisamment. Incapable de se mettre d’accord sur une stratégie de remontée des prix, l’OPEP et ses

membres réussissent simplement à fragiliser l’industrie non conventionnelle américaine et à

empêcher de nouveaux développements autour du monde. L’espace laissé par le ralentissement des

hydrocarbures non conventionnels est comblé rapidement par la production conventionnelle des

grands acteurs et maintient ainsi les prix à un niveau faible, de l’ordre de 60 à 65 dollars. Ce niveau

de prix bas permet également au pétrole de conserver sa place dans les mix énergétiques et ne pas

être challengé par les autres sources d’énergies.

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La croissance économique est également ralentie dans le monde en développement et nulle dans les

pays développés. Les mesures décidées lors des COP successives permettent à minima de remplacer

le charbon par le gaz pour la génération d’électricité mais aucun essor de technologies alternatives

dans le transport n’est à souligner. Bien que l’amélioration des coûts de production avait permis à

certains bassin d’atteindre des breakeven en dessous des 40 dollars à la fin des années 2010, un tel

niveau de prix ne permet pas de développement à grande échelle sur le modèle des Etats-Unis où

une partie seulement de l’industrie du pétrole non conventionnel se maintient notamment dans le

bassin de Bakken (Dakota du Nord).

Dans ce contexte ce sont les incitations politiques (subventions, tarifs) et pas le marché lui-même

qui conditionnent l’apparition de nouvelles productions non conventionnelles. La Chine qui choisit

de miser sur ses ressources nationales se lance dans le mouvement pour le gaz non conventionnel

contrairement au Brésil, incapable de soutenir les investissements nécessaires dans un contexte de

marché morose.

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SESEF – Hydrocarbures non conventionnels et sécurité énergétique

33

Conclusion

Dans un contexte énergétique mouvant, les hydrocarbures non-conventionnels constituent

désormais une option supplémentaire en matière de diversification des approvisionnements autant

qu’une variable d’ajustement du prix des commodités.

La forte hausse de la production pétrolière et gazière américaine a surpris les observateurs et

analystes de deux manières : dans un premier temps par sa rapidité et son ampleur, dans un second

par sa capacité à se maintenir dans un contexte d’effondrement des prix, grâce notamment à une

optimisation de la production, dont les techniques se perfectionnent et nécessitent le forage d’un

nombre restreint de puits pour produire une même quantité de pétrole par exemple50. Néanmoins,

la chute de la production a débuté en mars 2016 selon les chiffres de l’EIA et devrait conduire, en lien

avec la chute des investissements depuis deux ans, à un nouveau choc pétrolier à l’horizon 2017-

2018. Pour redémarrer, l’industrie du non conventionnel aura à coup sûr besoin de franchir un palier

technologique, ce qui pourra passer par les développements de techniques alternatives à la

fracturation hydraulique si les critiques se poursuivent et les normes environnementales se

durcissent.

Si les évolutions restent complexes à anticiper, on peut toutefois sans se tromper constater que

désormais, les cycles sont plus courts, de 3 à 6 ans en moyenne : le cycle de prix haut, entamé début

2009 après le pic puis la chute de l’été 2008 s’est achevé en juin 2014, nous plaçant depuis dans un

cycle de prix bas qui devrait se terminer en 2017 ou 2018.

Aussi, on peut dire que les hydrocarbures non conventionnels peuvent, de deux manières

différentes, contribuer à la sécurité énergétique de la France et de l’Union européenne.

Directement tout d’abord, par le développement d’une production locale ou par les importations

depuis l’étranger. Sur le plan local, il est assez peu probable que ces pétroles et ces gaz soient

produits en quantité significative sur le sol européen, en raison de l’absence de nombreuses

conditions qui ont permis la révolution énergétique américaine (un code minier différent qui fait de

l’Etat le propriétaire des ressources du sous-sol, un territoire plus restreint à la densité de population

bien plus élevée, une sensibilité environnementale plus importante de l’opinion publique, l’absence

d’un tissu de petits entrepreneurs dans le secteur) mais aussi du fait des incertitudes concernant les

réserves disponibles et le niveau de prix. La Pologne reste le pays qui est allé le plus loin en Europe

sur cette question mais les opérations de prospection se sont au final révélées décevantes, statuant

sur des réserves de loin inférieures à ce que le pays escomptait au départ (voir supra). Il est

également probable – et déjà observable au Portugal – que les hydrocarbures non conventionnels

américains jouent le rôle de sources d’approvisionnements supplémentaires via des importations de

GNL par méthaniers.

50

Le breakeven de certains bassins a ainsi chuté à 30 dollars soit un niveau comparable à celui des pétroles conventionnels du Moyen-Orient.

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34

Enfin, la contribution des hydrocarbures non conventionnels à la sécurité énergétique de la France

ou de l’Europe peut aussi se faire indirectement en exerçant, par le jeu de la concurrence, une

pression à la baisse sur les prix du gaz en Europe car la Russie, si elle veut conserver sa mainmise sur

le marché européen, devra se montrer compétitive dans ses offres. Sur le plan pétrolier, l’impact des

prix bas a également permis de dégager non pas des marges de manœuvres mais au moins de

réaffecter les économies réalisées à d’autres dépenses ou investissements qui peuvent concerner le

secteur de l’énergie51.

Si, d’ici à 2030, l’UE ne semble pas disposer de l’environnement géologique, juridique et politique

adapté pour produire du gaz ou du pétrole de schiste en grandes quantités, le non-conventionnel

peut contribuer à sa sécurité énergétique en permettant à l’UE de diversifier ses fournisseurs et ses

routes d’approvisionnement.

51

On estime que la facture énergétique des entreprises et ménages français a été réduite de 20 milliards d’euros en 2015, et que cela aurait contribué à la moitié de la croissance la même année (1,1%).

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SÉCURITE ÉNERGÉTIQUE :

STRATÉGIES POUR L’EUROPE ET LA FRANCE

Phase 2

Quelles évolutions des marchés

pétroliers à l’horizon 2040 ?

Avril 2016

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SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers

2

Sommaire

Introduction ............................................................................................................. 4

Les marchés pétroliers : caractéristiques des marchés physiques et financiers, formation

des prix .................................................................................................................... 6

I. La formation des prix sur les marchés pétroliers ........................................................ 6

1. La notion de benchmark et l’organisation des prix du pétrole suite aux chocs

pétroliers des années 1970 ............................................................................................ 6

2. Le système des trois markers : Brent, West Texas Intermediate et Oman-Dubaï 8

3. L’organisation actuelle des marchés pétroliers : une chaîne de marchés ............ 12

II. Les marchés financiers du pétrole ............................................................................ 15

1. La financiarisation des marchés depuis les années 1980 ..................................... 15

2. Les grandes bourses pétrolières mondiales ........................................................ 17

Les acteurs des marchés pétroliers .......................................................................... 18

I. Les compagnies nationales (NOC) et les compagnies internationales (IOC) ............. 18

II. Le rôle de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) .......................... 19

Les conséquences des variations des prix du pétrole sur la France et sur l’Europe ......... 23

I. Eléments macroéconomiques .................................................................................. 23

II. Eléments sectoriels .................................................................................................. 27

Eléments de prospectives sur les marchés pétroliers ................................................. 29

I. Un scenario bas prix du pétrole ................................................................................ 29

II. Un scénario prix élevé du pétrole .............................................................................. 30

III. Un scénario prix moyen du pétrole ........................................................................ 31

Conclusion .............................................................................................................. 33

Bibliographie .......................................................................................................... 35

Annexes ................................................................................................................. 37

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3

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4

Introduction La scène pétrolière mondiale connait depuis quelques années de nombreux bouleversements

majeurs, avec notamment, du côté de l’offre, la révolution des hydrocarbures non-conventionnels

aux Etats-Unis et, côté demande, une montée en puissance de l’Asie et notamment de la Chine sur

les marchés. Au cours des années 2000, le secteur pétrolier a également été confronté à une hausse

marquée de ses coûts, reflétant notamment le doublement des prix des matières premières entre

2004 et 2008. En outre, l’inflation des coûts « matières » des projets s’est accompagnée d’un

renforcement des difficultés d’accès aux gisements sous l’effet d’un renouveau des nationalismes

pétroliers et d’une complexification des projets nécessitant le recours à des technologies coûteuses.

Enfin, la réalisation des projets a elle-même été de plus en plus contrainte par des éléments de

réglementations extérieurs (environnement, sécurité…) ou par les politiques de Local Content. Si

elles ont contribué à un renforcement marqué de la volatilité sur les différentes bourses de matières

premières, ces évolutions n’ont paradoxalement pas transformé le système de fixation des prix issu

des années 1980.

L’étude de la formation des prix et de leur dynamique sur les marchés pétroliers nécessite ainsi de

s’intéresser à un ensemble de facteurs économiques (coût marginal de production, coûts des

substituts…), géopolitiques (relations entre les acteurs), stratégiques – évolutions des organisations

–telles l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et l’Agence Internationale de

l’Energie (AIE) –, ainsi qu’à leurs interactions (Tableau 1). L’analyse des stratégies d’acteurs est

essentielle à la compréhension des marchés du pétrole qui rassemble des entités économiques très

diversifiées : des entreprises privées1 (IOC – International Oil Company –, super majors, petits

indépendants), des compagnies nationales2 (NOC – National Oil Company) et une organisation de

producteurs (OPEP). Leurs poids respectifs actuels sur le marché (réserves), tout comme leurs

stratégies de moyen terme sur le plan de la production (rythme d’extraction des ressources

notamment), permettent d’imaginer des scénarios possibles d’évolution à moyen terme à la fois des

prix et des structures de marchés.

Le marché pétrolier ne présente pas les caractéristiques d'un marché homogène : 350 qualités de

pétrole différentes sont produites chaque jour et près d'une centaine font l'objet d'échanges

localement ou internationalement. Les acteurs en aval de la chaîne pétrolière cherchent à optimiser

la qualité des pétroles achetés en fonction de conditions techniques (investissements passés ou

futurs dans l'outil de production) et économiques (équilibre sur le marché des produits pétroliers).

Le prix du pétrole peut ainsi être appréhendé comme un indicateur synthétique de facteurs

purement économiques : un équilibre offre/demande sur un marché géographique identifié

(Amérique du Nord, Afrique, Asie, Europe...) et par extension des anticipations sur ces conditions

d’équilibre, de facteurs techniques (qualité du pétrole – densité, taux de souffre) et de variables

macroéconomiques exogènes (croissance économique, taux de fret maritime, congestions

1 Les entreprises privées pétrolières rassemblent des compagnies internationales (IOC) et parmi elles les super majors

constituées des 7 plus grandes entités pétrolières mondiales : ExxonMobil, Shell, BP, Chevron Texaco, Total, ConocoPhillips, Eni. En outre, des opérateurs indépendants de tailles très hétérogènes existent, notamment aux Etats-Unis et au Canada. 2 Les compagnies nationales rassemblent les compagnies dont la participation des Etats est supérieure à 51 %. Les pays

membres de l’OPEP, tout comme les pays non-membres (Brésil, Chine, Norvège, Russie…) possèdent au moins une compagnie nationale.

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SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers

5

logistiques...). Dans ce contexte d'hétérogénéité des qualités produites et de demandes

géographiques "spécifiques", les acteurs du marché pétrolier se réfèrent à un système de brut

référence (benchmarks ou markers) organisé autour de trois qualités principales : le West Texas

Intermediate (WTI) pour les États-Unis, le Brent pour l'Europe et l'Oman-Dubaï pour les pétroles à

destination de l'Asie. Ce système est à l'heure actuelle très controversé (Fattouh, 2006, 2009, 2010 ;

Mabro, 2005) et semble de moins en moins pertinent face à la complexification croissante des

marchés.

Tableau 1 : Décomposition des facteurs d’influence des prix du pétrole

Court terme Moyen terme Long terme

Croissance économique anticipée Demande anticipée, niveau et variation des stocks Déclarations de l’OPEP Géopolitique (tensions, Grève Climat (besoin en chauffage, météorologie…) Taux de change du dollar Politique monétaire (taux d’intérêt et masse monétaire mondiale) Performance des actifs sur les marchés financiers Spéculation

Stratégie des acteurs Relation IOC / NOC Fiscalité des pays producteurs Fiscalité des pays consommateurs Investissement des IOC Investissement des NOC Diversification des acteurs dans les autres énergies Secteur du raffinage (localisation et investissement) Stratégie de l’OPEP : gestion des quotas, réunion biannuelle Gestion des cycles de prix par les acteurs Evolution du transport maritime (prix, assurance)

Intensité pétrolière du PIB Géologie des territoires Géopolitique (caractère structurel) Coût marginal de production Technologie (innovation sectorielle et disponibilité) Coût des alternatives Coût des compagnies de services Politique dite de Local Content Politique environnementale Evolution technologique du transport (électrification…)

Source : Hache (2016)

Figure 1 : Prix du pétrole depuis 1986 (en dollars par baril)

Source : DOE

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SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers

6

Les marchés pétroliers : caractéristiques des marchés physiques

et financiers, formation des prix

I. La formation des prix sur les marchés pétroliers

1. La notion de benchmark et l’organisation des prix du pétrole suite aux chocs

pétroliers des années 1970

De Rockefeller, avec ses prix "postés", au cartel des Sept sœurs, avec le système « Gulf Plus »

jusqu’en 1947, en passant par les prix "fiscaux" des années 1950 et 1960, le marché pétrolier n’a que

très rarement établi un système se référant à un prix de marché. L’OPEP, à la suite du premier choc

pétrolier, ne rompra pas avec cette "tradition", en imposant le système du Government Selling Price

(GSP) ou Official Selling Price (OSP).

Réuni deux fois par an, le cartel fixe, à partir de 1974, le prix du pétrole brut en fonction d’une qualité

de pétrole (Arabian Light, 34°API) et d’un facteur qualité (positif ou négatif selon le rendement

espéré dans une raffinerie traditionnelle). Ce système va très rapidement se heurter à deux

problèmes majeurs. Le premier, d’ordre politique, relève des difficultés de coordination à l’intérieur

du cartel. En effet, l’objectif de l’Organisation était, certes, de fixer le prix du benchmark principal,

mais également de fixer les différentiels de prix entre les pays membres. Or, selon Mabro (2005), les

discussions autour des différentiels de prix reflétaient plutôt des questions d’ordres politiques

qu’économiques ; et derrière les calculs de Premium ou de Discount se cachaient l’image et le poids

du pays membre dans l’Organisation. Le second, économique, est relatif à la coexistence de

plusieurs prix directeurs sur le marché. En effet, suite aux hausses de prix observées au cours des

années 1970, la production des pays non-OPEP, notamment les pétroles de mer du Nord, va

s’accélérer. Or, ces pétroles arrivent rapidement sur le marché et sont vendus exclusivement sur les

marchés spots3, échappant ainsi à une fixation des prix par l’OPEP. Dès lors, le système OSP va se

retrouver "concurrencé" par les zones d’échanges spots qui émergent dans ce contexte de prix

élevés. Ainsi, entre 1973 et 1982, la production de pétrole des pays non-OPEP augmente de près de

45 %, le Mexique (+ 2,5 millions de barils/jour), le Royaume-Uni (+ 2,0 millions de barils/jour) et la

Norvège (+ 0,5 million de barils/jour) représentant près de 45 % de cette hausse globale.

En outre, l’incertitude résultant des évènements géopolitiques des années 1970 va induire des

pénuries temporaires sur le marché, contribuant à créer un différentiel de prix entre les pétroles

vendus sur les marchés spots et ceux vendus par l’OPEP. Or, le processus de désintégration de la

chaine pétrolière observé depuis 1960, avec notamment les nationalisations des compagnies

pétrolières des pays producteurs, n’est pas totalement abouti. Les compagnies nationales ne

possèdent pas encore, dans les années 1970, les réseaux de distribution nécessaires à la vente de

leur pétrole sur les marchés. Elles s’arrangent encore avec les compagnies internationales pour

écouler une partie de leur pétrole. Ces dernières peuvent ainsi acquérir des quantités importantes à

des prix GSP et les revendre à des prix plus élevés sur les marchés spots. La fixation des prix via le

3 L’appellation spot sur les marchés pétroliers doit être prise avec précaution. Il ne faut, en aucun cas, l’assimiler à une

transaction immédiate étant donné le temps de chargement et de déchargement du pétrole. En majorité, les pétroles de la mer du nord seront vendus sous 15 jours, d’où le nom de Brent 15 jours qui évoluera progressivement vers un Brent 21 jours. Toutefois, en comparaison avec les contrats à terme, les marchés spots apparaissent beaucoup plus réactifs.

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7

GSP montre alors toutes ses limites : l’OPEP n’est pas assez réactive et le GSP réagit, avec retard,

aux évolutions observées sur les marchés spots.

Paradoxalement, c’est à l’époque où le pétrole redevient un actif stratégique4 (après les premier et

deuxième chocs pétroliers) qu’un système de prix fondé sur un équilibre "instantané" de marché,

avec une gouvernance des prix spots, pénètre les esprits et les pratiques des acteurs. Et, si de

nombreux acteurs considéraient que le système de prix spots ne s’était imposé qu’en raison des

craintes de pénuries liées à la révolution iranienne ou à la guerre entre l’Iran et l’Irak, force est de

constater que ce système va perdurer dans le contexte des années 1990, caractérisé par une relative

abondance de pétrole sur le marché. Ainsi, si l’OPEP décide d’abandonner de manière officielle le

système GSP, en 1985, les acteurs du secteur pétrolier avaient entériné, bien avant, ce changement

de paradigme de formation des prix.

En corollaire, le contexte de récession mondiale et de baisse de la demande mondiale de pétrole,

observé après 1982, presse l’OPEP de réagir. Cette dernière décide, dès le mois de mars 1982, de

mettre en place des quotas de production pour ses pays membres. Leurs définitions, basées sur les

réserves prouvées de ces pays, ainsi que la difficile coordination des politiques de production entre

les pays membres, conduisent à l’affirmation d’un leadership de l’Arabie Saoudite au sein de

l’Organisation. Ainsi, entre 1982 et 1986, l’Arabie Saoudite oriente, seule, la politique de

stabilisation des prix, avec une division par trois de sa production (de 9,9 millions de barils/jour à

moins de 3,3 millions de barils/jour) (Figure 2).

Figure 2 : Production (milliers de barils par jour) et parts de marché de l’Arabie Saoudite (%) entre 1965 et 1993

Source : BP Statistical Review

4 Le pétrole est réellement devenu un actif stratégique durant la Première Guerre mondiale, avec notamment les décisions

de W. Churchill de transformer les moteurs des navires de la flotte britannique pour obtenir des gains décisifs en vitesse. La deuxième guerre mondiale montre également le caractère stratégique du pétrole. Pour plus d’informations, lire entre autre Churchill, W., « Mémoires de guerre », Tome 1&2, Editions Tallandier, 2010.

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8

Sur la période 1982-1985, l’Arabie Saoudite, et l’OPEP dans son ensemble, vont voir leurs parts de

marché respectives passer de 12 % à 6 %, et de 32,7 % à 26,7 %. En 1986, l’Arabie Saoudite change à

nouveau de politique pour essayer de reconquérir ses parts de marché. Elle profite de l’incertitude

entourant le système de fixation des prix de l’époque pour lancer le système des prix Netback. Ce

dernier repose sur la négociation d’une marge de raffinage fixe et prédéterminée avec les acteurs du

raffinage5. Cette formule, très attractive pour le raffineur (car lui assurant une marge de raffinage

fixe quelles que soient les conditions de marché) lui offre un outil de maximisation du profit fondé

sur le volume de pétrole acheté. Toutefois, ce système reste opérant sous deux conditions : la non-

multiplication de ce type d’accords sur le marché pétrolier et une demande mondiale en produits

pétroliers en hausse. Or, rapidement, d’autres pays de l’OPEP, notamment le Koweït, se lancent à

leur tour dans ce type de contrats. En outre, si la demande mondiale de produits pétroliers

augmente entre 1985 et 1986, sa croissance se réduit par la suite. Et rapidement, le surplus de

produits pétroliers sur les marchés provoque un effondrement des prix de ces mêmes produits, ce

qui, compte tenus des contrats Netback garantissant une marge de raffinage fixe, provoque un

effondrement des prix du pétrole. Cet effondrement expliquera, en partie, le contre-choc pétrolier

de 1986, période au cours de laquelle les prix du pétrole atteindront moins de 10 dollars le baril6. Cet

épisode des prix Netback marquera les esprits des acteurs du marché pétrolier, notamment des

différents pays membres de l’OPEP.

2. Le système des trois markers : Brent, West Texas Intermediate et Oman-Dubaï

L’année 1986 constitue une date charnière sur les marchés pétroliers. En effet, suite à l’abandon des

prix Netback, qui a altéré la solidarité à l’intérieur du cartel, le marché pétrolier est en pleine

reconstruction. Les prix administrés ont disparu depuis 1985 et les pays non-OPEP représentent près

de 70 % de la production mondiale. La compagnie Petroleum de Mexico (PEMEX) va être à l’origine

d’un nouveau modèle de fixation des prix. Exportant une part importante de sa production aux

Etats-Unis, PEMEX va progressivement intégrer, dans ses contrats de ventes sur le sol américain,

une référence explicite aux qualités de pétroles échangés dans les zones spots. Le pétrole de

référence est le WTI et le morcèlement de la structure de production permet d’envisager un faible

exercice de pouvoir de marché ou de manipulation des cours. Les contrats de la PEMEX se fondent

donc sur un benchmark identifié sur une zone d’échange concurrentielle, auquel il convient de

rajouter un facteur d’ajustement lié à la qualité du pétrole et un second lié au coût du transport. Ainsi

va se développer, dans les années 1990, le système des trois markers avec le WTI pour les Etats-Unis,

le Brent pour l’Europe et l’Oman-Dubaï pour les pétroles exportés du Moyen-Orient vers l’Asie. Ce

système permet, dans un environnement économique international qui se libéralise, d’avoir, pour la

première fois, une référence réelle à un équilibre de marché. Les markers ne sont pas choisis au

hasard (Mabro, 1985).

5 Dans ce contexte, le raffineur valorise le volume de pétrole défini en fonction des rendements anticipés de son

appareil industriel et des prix des produits pétroliers affichés sur les marchés spots, notamment à Rotterdam. Il retire de sa valorisation globale les coûts de raffinage, les coûts de transport et sa marge fixe, ce qui lui permet d’évaluer un prix d’achat lui garantissant une marge fixe. 6 En moyenne annuelle, entre 1985 et 1986, les prix du pétrole enregistrent une baisse de 48 % de leurs cours, de 27,5 $ par

baril à 14 $ le baril.

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SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers

9

Le système des markers est appelé « Formula Pricing » et repose sur l’équation suivante :

Le prix d’un pétrole X (Px) va être défini de la manière suivante :

Px = Pb + facteur d’ajustement

Dans lequel, Pb est le prix du benchmark sur le marché de destination et le facteur d’ajustement

représente deux composantes : le coût de transport et la qualité du pétrole. Si cette dernière est

supérieure à celle du pétrole du benchmark (mesuré par son degré API et sa teneur en soufre), Px

fera l’objet d’un premium de qualité. Dans le cas inverse, il fera l’objet d’un discount.

Reflétant l’état des équilibres régionaux en matière d’offre et de demande, ces pétroles, plutôt

légers, ont une structure de propriété diversifiée et des caractéristiques chimiques particulièrement

adaptées à l’appareil de production de la zone considérée. En outre, dans chacune des zones

d’échanges, il existe un bon niveau d’infrastructures (réseau de pipeline dans la zone WTI,

infrastructure portuaire en zone Brent – Sullom Voe – et au Moyen-Orient).

Figure 3 : Réseau de pipelines pétroliers en zone WTI

Source : EIA

Figure 4 : Réseau d’infrastructures en mer du Nord en zone Brent

Source : EIA

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SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers

10

Dans les années 1980, les volumes de production de chacun des markers sont importants, tout

comme le nombre de transactions sur les différents marchés. Toutefois, ce système se heurte à un

problème d’asymétrie d’information. En effet, pour obtenir les prix moyens des transactions

réalisées dans les zones d’échanges, les acteurs se réfèrent aux agences de reporting de prix (Price

Reporting Agencies – PRAs). Celles-ci (Platts, London Argus) seront au centre de nombreuses

controverses durant les années 1990 avec des cas de manipulation des prix7 (Fattouh, 2006 ; Mabro,

2005). Le reporting des prix des transactions physiques est une information essentielle pour les

acteurs, que ce soit sur les marchés physiques ou sur les marchés financiers. Or, les PRAs n’utilisent

pas de méthodologies communes pour leurs estimations, ce qui entraine des différences de prix

pour les mêmes benchmarks (Brent, WTI, Oman-Dubaï) sur une même période, avec des

conséquences importantes pour les revenus d’exportation des pays producteurs et pour les

arbitrages réalisés entre les différents marchés financiers. Darbouche et Sen (2011)8 insistent sur les

questions liées à la neutralité de ces PRAs en s’interrogeant sur leur rôle en tant que "miroir des

marchés" ou en tant que "faiseurs de marchés".

Les pétroles de référence ont, en outre, connu un déclin marqué de leur production durant les vingt

dernières années, ce qui pose le problème de leur représentativité. Ainsi, le WTI, avec un volume

actuel de production de 0,3 mbj est censé être la référence pour environ 12 à 15 millions de

barils/jour de transactions, le BFOE (pour Brent, Forties, Oseberg, Ekofisk) avec 1,2 mbj de production

est la référence pour 45 millions de barils/jour et l’Oman-Dubaï, avec 0,8 mbj, de 14 à 17 millions de

barils/jour. Pour ce dernier, on peut comprendre la volonté des industriels d’avoir une réelle

référence de prix, la zone économique concernée étant la plus dynamique des années 2000 : l’Asie.

Car le corollaire de cette baisse de la production des markers est la diminution du nombre de

transactions sur la zone (Tableau 2).

De nombreux producteurs s’alarment de ce nouvel état de fait. Dans la zone WTI, si la concentration

des acheteurs et des vendeurs est inférieure à celle observée sur les autres zones de transactions,

elle le doit à l’introduction, dès 2007, d’un nouveau marker, l’ASCI (pour Argus Sour Crude Index)9,

censé mieux représenter l’équilibre entre l’offre et la demande dans la zone. En outre, le WTI est

désormais concurrencé par des "sous-markers" locaux tels que le WTS (West Texas Sour) ou le LLS

(Light Louisiana Sweet). Enfin, le problème majeur de la zone WTI reste, encore à l’heure actuelle, le

goulot d’étranglement lié aux infrastructures de pipeline. Au début des années 2000, les problèmes

d’évacuation du pétrole de la zone WTI exacerbaient le différentiel de qualité avec le Brent, mais la

problématique s’est inversée depuis 2010. En effet, l’afflux des pétroles canadiens provoque un

déséquilibre sur la zone, qui oriente le prix du WTI vers des niveaux de spread largement inférieurs

au différentiel de qualité10.

7Cette question persiste encore aujourd’hui. Ainsi, la Commission européenne a lancé, en février 2013, une enquête sur les

pratiques des PRAs dans le secteur pétrolier. 8 Darbouche, H. ; Sen, A. Regulation of Oil Markets: Current Reform and Implications, Oxford, 28 janvier 2011.

9 Durant les années 2000, l’Arabie Saoudite a demandé à Platts de lui construire un index plus représentatif du marché

américain. 10

Le différentiel Brent-WTI a atteint un plus haut historique de 27 dollars le baril en octobre 2012 ce qui, selon Businessweek, a constitué la plus forte opportunité d’arbitrage sur cette zone depuis près de 30 ans. Il était ainsi possible d’acheter du WTI à un prix extrêmement faible et de le revendre aux raffineries de la côté du golfe du Mexique à un prix juste inférieur aux prix du Brent.

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11

Tableau 2 : Transactions sur les principaux markers de pétrole brut (milliers barils par jour)

ASCI WTI + WTI plus

Forties BFOE Dubaï Oman

Production 736 300-400 562 1,220 70-80 710

Volume échangé en spot 579 939 514 635 86 246

Nombre d’échanges spots / jour 13 16 <1 5 <1 <1

Nombre d’acheteurs 26 27 7 10 3 5

Nombre de vendeurs 24 36 6 9 3 6

Part des 3 plus grands acheteurs 43 % 38 % 63 % 72 % 100 % 50 %

Part des 3 plus grands vendeurs 38 % 51 % 76 % 56 % 100 % 80 % Source : London Argus (2010)

En Europe, face au déclin de la production de Brent, les acteurs ont décidé d’ajouter, dès 1989, la

qualité de pétrole Ninian au marker qui devint dès lors le Brent Blend. En 1997, le Forties fut

introduit, en 2002 l’Oseberg et en 2007 l’Ekofisk pour transformer le marker Brent en marker BFOE.

Cette tendance a, certes, permis d’augmenter la liquidité sur la zone de production, mais elle suscite

de nombreuses controverses, notamment dans l’appréciation de la qualité globale du marker. Sur la

zone Oman-Dubaï, les rapports de production entre les deux qualités de pétrole sont tels (un rapport

de un à dix) que les acteurs se réfèrent désormais au contrat financier sur le Dubai Mercantile

Exchange (DME) pour obtenir l’information prix, et surtout pour réaliser leurs transactions

physiques11. La hausse de la consommation asiatique a entrainé la création (et/ou l’affirmation) de

markers concurrents : le Platts Asian Crude Oil Index (ACX), l’Indonesian Crude Price (ICP) et

l’Eastern-Siberia-Pacific Ocean (ESPO).

Tableau 3 : Caractéristiques des différents régimes de prix sur le marché pétrolier

Périodes Régimes de prix

Janvier 1973 – Février 1982 GSP : prix administrés puis arrivée des prix spots

Mars 1982 – Avril 1986 Prix administrés, prix spots, prix Netbacks

Mai 1986 – 1992 Emergence des markers (Brent, WTI, Oman-Dubaï)

1993 – 2000 Système des markers, début de financiarisation des marchés

Depuis 2001 Financiarisation, controverse sur les markers

Source : auteur

Dans ce contexte, de nombreux acteurs se basent désormais sur les prix des contrats financiers

observés sur le NYMEX (New York Mercantile Exchange) ou l’ICE (Intercontinental Exchange) pour

facturer leur cargaison physique. Leur croyance est fondée sur trois arguments. D’une part, les

acteurs considèrent que les marchés financiers, comme le NYMEX ou l’ICE, sont très liquides et

présentent une réelle profondeur de marché. Il est alors extrêmement difficile de les manipuler,

alors qu’a contrario les prix issus des échanges spots y seraient plus sujets, étant donnés le faible

11

Fattouh (2010) estime que 50 % des contrats financiers du DME sur des dérivés du pétrole aboutissent à une livraison physique.

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12

nombre de transactions et la concentration des acteurs. D’autre part, les prix des contrats financiers

sont le reflet de transactions encadrées par une chambre de compensation et sont estimés de

manière plus transparente et moins subjective que ne le sont ceux des PRAs. Enfin, et même si la

méthodologie est également critiquable, la publication des prix, des volumes de transactions et des

positions ouvertes sur les marchés, sous l’autorité de la Commodities Futures Trading Commission

(CFTC), illustre une réelle volonté de transparence des marchés financiers.

3. L’organisation actuelle des marchés pétroliers : une chaîne de marchés

Les transformations enregistrées à partir des années 1970 (montée en puissance des marchés spots,

abandon des prix officiels par l’OPEP, mise en place du système des markers, financiarisation des

marchés de matières premières) vont bouleverser le fonctionnement des marchés pétroliers. Ces

derniers vont ainsi être constitués de véritables chaînes de marchés physiques et financiers au sein

desquels les prix et les anticipations des différents acteurs vont se diffuser.

Sur les marchés physiques, il existe trois principaux types de transactions :

- Le contrat long terme : il se compose d’un contrat, généralement d’un an renouvelable. Il

représente à l’heure actuelle entre 50 et 60 % des transactions commerciales physiques. Il

permet au producteur de s’assurer un débouché et au consommateur d’obtenir un volume

de pétrole de qualité similaire sur la durée du contrat. Les prix sont généralement révisables

selon des formules agréées par les deux parties du contrat.

- Les barter commerciaux : ils se composent de contrats de trocs (marchandises contre

pétrole, or contre pétrole…) et représentent environ 15 % des transactions physiques sur le

marché pétrolier.

- Les échanges spots ou forward : ce sont des échanges de gré à gré (Over the Counter ou OTC)

et malgré le travail des agences de reporting de prix, les informations sur les transactions ne

sont jamais totalement transparentes. Ils représentent entre 25 et 35 % du total des

transactions physiques sur les marchés pétroliers.

Les marchés Futures ou marchés financiers se distinguent des marchés physiques par l’absence, dans

plus de 99,9 % des cas, d’une livraison physique. Ces marchés sont extrêmement réglementés et la

présence d’une chambre de compensation (Clearing House) impose un niveau très élevé de

régulation. Leur rôle est de permettre aux différents acteurs commerciaux (consommateur,

producteur, opérateur de stockage…) de réaliser des opérations de hedging et à l’ensemble des

acteurs (commerciaux et non-commerciaux) de spéculer sur la hausse ou la baisse des prix des

contrats. A la différence des marchés physiques, les contrats des marchés financiers sont de petite

taille (1000 barils ou plus récemment 500 barils pour les mini-WTI) et sont standardisés, avec des

maturités de mois en mois sur les 36 premières échéances jusqu’à des maturités annuelles pouvant

atteindre 9 ans. La standardisation des contrats financiers permet de concentrer la liquidité des

différents acteurs et permet ainsi une fluidité des transactions.

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13

Tableau 4 : Caractéristiques des marchés pétroliers spot, forward et futures

Marché spot Marché forward Marché des futures

Montant standard des transactions

Selon les cas (500 kb) 600 Kb 1000 barils par contrat 500 barils pour mini-

contrats

Maturité 21 jours De 1 à 5 mois Echéance de 1 mois à 36 mois, puis contrats annuels (jusqu’à 9 ans)

Régulation Aucune Aucune Chambre de

compensation (Clearing House)

Acteurs Physiques Physiques et grands

acteurs non-commerciaux

Tous types d’acteurs : commerciaux, non

commerciaux

Livraison physique Oui, toujours Oui Rare (inexistante à

l’ICE, 0.001 % au Nymex)

Transparence des prix Faible, présence des agences de reporting

Faible, présence des agences de reporting

Forte, prix affichés des contrats

Type de pétroles Très variés (environ

100 qualités) Très variés

Quelques grands contrats pétroliers (WTI, Brent…) et contrats sur les

produits pétroliers Source : auteur

Entre ces trois marchés (spot, forward et futures), il existe une profonde articulation, principalement

fondée sur les anticipations de prix des différents acteurs (commerciaux et non commerciaux), sur

les transactions physiques réellement observées, dont les agences de reporting se font l’écho à

travers le système de reporting de prix, et sur l’ensemble des informations de marché publiques. Cet

ensemble d’information engendre des processus de convergence des prix entre les marchés

physiques et les marchés financiers, réalisés sous forme d’arbitrage entre les différents opérateurs.

La structure des marchés pétroliers connait également de profondes transformations depuis la

montée en puissance des pétroles non-conventionnels aux Etats-Unis12. Ce pays reste certes

structurellement importateur de pétrole brut, mais l’importance de la production pétrolière sur le sol

américain tend à l’isoler des autres marchés pétroliers régionaux. Par le passé, le marché du WTI a

déjà enregistré une certaine déconnection avec les autres qualités de pétrole brut, l’écart de prix

étant supérieur au simple écart de qualité. Ce phénomène trouvait son explication majeure dans les

problèmes récurrents d’infrastructures (engorgements) dans la zone WTI, à Cushing (Oklahoma),

lieu de convergence du réseau de pipelines américain. A l’heure actuelle, les écarts de prix entre le

WTI et le Brent trouvent plutôt leur sens dans l’abondance de pétrole aux Etats-Unis relativement à

d’autres régions du monde.

12

Une note spécifique sur les pétroles non-conventionnels est réalisée dans le cadre du projet SESEF.

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Figure 5 : Le système des benchmarks pétroliers

New-York

Londres

Tokyo

Singapour

Principaux marchés de pétrole brut

Principaux marchés de produits pétroliers

Caraïbes

Anvers, Rotterdam

Gènes Lavera Zone WTI,

WTS, ASCI

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II. Les marchés financiers du pétrole

1. La financiarisation des marchés depuis les années 1980

Paradoxalement, alors que le pétrole est l’une des matières premières les plus échangées (en volume

et en valeur), l’intérêt pour les contrats énergétiques est venu tardivement sur les bourses de

matières premières. Les rapports commerciaux observés jusqu’au premier choc pétrolier expliquent

largement ce paradoxe. En effet, dominée par des compagnies internationales intégrées jusqu’à la

fin des années 1960 et régie par des contrats pluriannuels, la filière n’offrait pas le facteur attractif

pour les acteurs des bourses de matières premières, à savoir une forte volatilité.

En 1971, le New York Cotton Exchange fut la première bourse de commerce à s’intéresser aux

contrats à terme pour les matières premières énergétiques, avec le lancement d’un contrat sur le

propane liquide. Cette tentative fut un échec en raison d’un volume de transactions limité, tout

comme celle du NYMEX, en octobre 1974, avec des contrats sur le fuel domestique et sur le fuel

industriel. Simon (1984) explique ces échecs par l’étroitesse des marchés durant cette période13

.

Cette idée a toutefois été reprise par le NYMEX en 1978 avec le lancement simultané d’un contrat sur

le fuel domestique et sur le fuel industriel et, au début des années 1980, le lancement d’un contrat

sur l’essence (1981) et sur le pétrole brut (1983). Faute de liquidité suffisante, le contrat sur le fuel

industriel disparut rapidement, les autres connurent un essor à partir de 1981 suite à la

dérèglementation des prix de l’énergie mise en place par l’administration Reagan.

La place de Londres créa de son côté l’International Petroleum Exchange (IPE) en 1980 et lança son

premier contrat sur le fuel en 1981. Les succès parallèles du NYMEX et de l’IPE au début des années

1980 engendrèrent la demande de nouvelles autorisations d’ouverture de marchés auprès de la

CFTC. Le Chicago Board of Trade (CBOT), en 1981, puis le Chicago Mercantile Exchange (CME), en

1982, tentèrent de lancer leurs propres contrats pétroliers. Les trois contrats du CBOT (essence, fuel

domestique et pétrole brut) ne rencontrèrent pas le succès et disparurent rapidement.

Dans un contexte généralisé de dérèglementation des marchés14, le Big Bang des marchés financiers

des années 1980 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, porteur d’innovations financières, révolutionne

leur fonctionnement. Les Bourses de matières premières vont importer tous les outils de la finance

moderne (options, produits dérivés…) pour permettre aux acteurs de gérer la nouvelle volatilité

observée sur les marchés. Ces évolutions vont connaitre une nouvelle impulsion fin 2001 avec la loi

de modernisation des marchés financiers.

Signé le 21 décembre 2001 par le Président Clinton, le Commodity Futures Modernisation Act (CFMA)

a profondément transformé le paysage des marchés dérivés de matières premières aux États-Unis. Il

était censé répondre de manière implicite au conflit existant entre le CFTC et la Security Exchange

Commission (SEC) sur la définition15 du champ des commodités. Le CFMA a permis d’introduire

également une plus grande flexibilité pour que de nouveaux acteurs financiers puissent opérer sur

13

Une autre explication repose sur la spécification des contrats. Le point de livraison des contrats – Rotterdam – n’était guère attirant pour les acteurs localisés aux Etats-Unis. 14

On pense notamment à la fin du blocage des prix sur les marchés physiques de produits pétroliers aux Etats-Unis à partir de 1982. 15 En effet, à la fin des années 1980, le Congrès américain avait élargi cette notion, ce qui avait eu pour effet de créer des

conflits de supervision entre la CFTC et la SEC, notamment sur les contrats futurs sur actions. Les contrats futurs étaient à l’époque supervisés par la CFTC, le champ des actions étant, pour sa part, sous l’autorité de la SEC.

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SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers

16

les marchés financiers du pétrole. Ainsi, les fonds indexés sur les matières premières et les acteurs

dits "Swap Dealers" (acteurs opérant de gré à gré sur les marchés dérivés de matières premières) ont

pu pénétrer ces marchés sans se retrouver contraints par la législation de la CFTC, car n’utilisant pas

les supports ou instruments financiers supervisés par cette dernière.

En matière de transactions, le CFMA a grandement assoupli les limites de positions (courtes ou

longues) sur les marchés de matières premières. De ce fait, il est souvent considéré comme étant à

l’origine d’une libéralisation marquée des marchés financiers de matières premières, avec comme

conséquence principale une limitation de la supervision des marchés par la CFTC. Enfin, et comme le

note Chevalier (2010) dans le rapport sur la volatilité des prix du pétrole, le CFMA a été accompagné

d’une évolution plutôt extensive de la règle dite de "Bona Fide Hedge" par la CFTC. En effet,

auparavant, cette règle exemptait de limites de positions sur les marchés de matières premières les

seuls acteurs couvrant des activités commerciales ou physiques. La CFTC a élargi ce champ à

d’autres acteurs financiers, notamment les Swap Dealers.

Ces changements législatifs ou de supervision ont entrainé trois évolutions majeures de la

physionomie des marchés : une hausse des volumes de transactions sur les marchés dérivés du

pétrole16, une concentration de la liquidité sur les échéances les plus courtes des contrats pétroliers

et enfin l’augmentation de la part des acteurs non-commerciaux17 dans les transactions globales.

En observant les positions nettes des agents non-commerciaux au NYMEX sur le seul contrat Light

Sweet Crude Oil, on s’aperçoit d’un mouvement de fond sur les marchés. Alors qu’entre 2000 et

2004, les positions nettes des agents non-commerciaux étaient, au gré des évènements et des

anticipations, "nettes acheteuses" ou "nettes vendeuses", se développe, à partir de 2004, une

tendance du marché "nette acheteuse". Comme décrit entre autre par Medlock & Jaffe (2009) et

Krapels (2007), les positions nettes des agents non-commerciaux, autrefois considérées comme un

indicateur avancé des mouvements futurs des prix du pétrole (lagging indicator), sont devenues un

indicateur leader dans la formation de son prix en instantané (leading indicator). Les prix du pétrole

ont ainsi tendance à diminuer quand les acteurs non-commerciaux ont des positions "nettes

vendeuses" et inversement lorsqu’ils ont en majorité des positions "nettes acheteuses".

16

En étudiant les données disponibles entre 1993 et 2011, on observe une hausse marquée des volumes de transaction pour chacune des maturités disponibles des contrats pétroliers (inférieures à un an). Mesuré en contrats standards de 1000 barils (contrat standard du WTI au NYMEX), le volume de transactions est ainsi passé, pour le contrat 2 mois, de 52 000 en 1993 à 136 000 en 2008, soit une multiplication par 2,5, avec un pic à près de 165 000 en 2007. Il est intéressant de noter que, durant la même période, la consommation de produits pétroliers aux Etats-Unis n’augmentait que de 12 % et d’environ 20 % dans le monde. Selon Medlock & Jaffe (2009), durant les années 1990, on pouvait observer un volume de contrats actifs au NYMEX équivalent à 150 millions de barils jour, soit plus de deux fois la demande mondiale de pétrole à cette période. Sur les années récentes, ce chiffre a atteint un facteur 7, avec un volume de contrats (1 contrat = 1 000 barils) représentant 600 millions de barils jour. Büyüksahin et al. (2008) estiment pour leur part, en étudiant les Commitments of Traders Report de la CFTC, que le volume de transactions, mesuré par les positions ouvertes, aurait atteint plus de 1 250 millions de barils en 2008, contre 414 millions en 2000. Parsons (2010) abonde également dans ce sens en étudiant le volume de positions ouvertes sur les contrats Brent et WTI à l’InterContinental Exchange (ICE) et le seul contrat WTI au NYMEX qui serait passé de 517 millions de barils en 2000 à près de 1 700 millions de barils en juin 2007. Selon Parsons, le volume des positions ouvertes sur ces trois contrats représentait encore 1 374 millions de barils en décembre 2008, soit cinq mois après le pic de prix du pétrole à environ 147 dollars le baril. 17

En se basant sur la classification réalisée par la CFTC jusqu’en 2009, la part des acteurs non-commerciaux dans le total des positions ouvertes a augmenté de manière significative entre 2000 et 2008, pour être portée à plus de 60 %, contre une moyenne d’environ 20 % au cours de la décennie 1990. Ce mouvement s’accompagne d’une hausse marquée du volume des positions ouvertes entre 2004 et 2008 au NYMEX.

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SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers

17

2. Les grandes bourses pétrolières mondiales

Sur les marchés pétroliers, le NYMEX et l’ICE sont à l’heure actuelle les deux places internationales

de commerce de pétrole.

Le NYMEX a été racheté en 2008 par le Chicago Mercantile Exchange (CME). Situé aux Etats-Unis, il

représente le premier marché de contrats à terme et la première chambre de compensation du

monde. Le CME est très diversifié et réalise des transactions sur de nombreux produits (produits

dérivés sur indices boursiers, matières premières, taux d’intérêt). Avec le rachat du Chicago Board of

Trade en 2007, du NYMEX en 2008 et du Kansas City Board of Trade (KCBT) en 2012, le CME est

devenu le premier marché mondial de contrats à terme sur l’ensemble des marchés de matières

premières. En matière de contrats pétroliers ou de produits pétroliers, le CME offre des contrats

standardisés sur le pétrole brut (Brent et WTI).

L'ICE a racheté l’International Petroleum Exchange (IPE) en 2001 et a enregistré une croissance rapide

assortie d’une profonde diversification des contrats de matières premières échangés (matières

premières agricoles notamment) ainsi que des objets financiers traditionnels (dérivés de crédits, de

taux d’intérêt). L’ICE a successivement racheté le New York Board of Trade (NYBOT) et le Winnipeg

Commodity Exchange (WCE) en 200718, le Climate Exchange et European Climate Exchange (ECX), une

Bourse de dérivés climatiques en 2010 et le NYSE Euronext en 2013. Durant les années 2000, l’ICE

est devenue une place boursière dont les transactions sont réalisées de manière uniquement

électronique.

L’ICE et le NYMEX ont enregistré des évolutions similaires : une très forte consolidation

durant les années 2000, avec notamment un mouvement marqué de rachats de bourses régionales

et une concurrence de plus en plus forte des Bourses des pays émergents, notamment chinoises

(Dalian Commodity Exchange, Shanghai Futures Exchange) et indienne (National Stock Exchange of

India).

18

Depuis ces rachats, le NYBOT s’appelle l’ICE Futures Us et le WCE, l’ICE Futures Canada.

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SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers

18

Les acteurs des marchés pétroliers

Premier marché de matières premières au niveau mondial en valeur, le marché pétrolier est

composé de différents acteurs : compagnies nationales (NOC), compagnies internationales (IOC) et

organisations (OPEP et AIE), dont les stratégies ont des impacts réels sur la formation et l’évolution

des prix du pétrole.

I. Les compagnies nationales (NOC) et les compagnies internationales

(IOC)

Les sept plus importantes IOC19, par opposition aux NOC et autres compagnies privées, ne

représentent, à l'heure actuelle, qu'environ 14 % de la production mondiale et 9 % des réserves

prouvées de pétrole (respectivement 10 % et 17 % pour le gaz). Pour leur part, les NOC rassemblent

des entités très diverses et totalisent environ 80 % des réserves d’hydrocarbures et entre 60 % et 70

% de la production de pétrole et de gaz.

Figure 6 : Production d’hydrocarbures des IOC et des NOC (en millions de barils équivalent pétrole)

Sources : Rapports annuels des compagnies, Forbes, PIW

*Sociétés dont la part de l’Etat est supérieure à 51 %.

Les critères retenus pour comparer les différents acteurs du marché sont essentiels. En effet, si l’on

se base sur le seul critère de la production (Figure 6), la première IOC (Exxon-Mobil) se situe à la

sixième place au niveau mondial et les compagnies européennes (BP, Shell, Eni, Total) se trouvent

toutes après la dixième place mondiale. A contrario, si l’on regarde le chiffre d’affaires réalisé par les

différentes entités pétrolières (Figure 7), les IOC, de par notamment la maitrise des réseaux de

distribution et de transports et de par leurs maitrises technologiques relatives, pointent en tête du

classement.

19 ExxonMobil, Shell, BP, Chevron Texaco, Total, ConocoPhillips, ENI.

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19

Figure 7 : Chiffre d’affaires des IOC et des NOC en 2014 (en milliards de dollars)

Sources : Rapports annuels des compagnies, Forbes, PIW

*Sociétés dont la part de l’Etat est supérieure à 51 %.

Les relations entre les IOC et les NOC se trouvent ainsi structurées par l’ensemble de ces éléments

(accès aux réserves, technologie, accès aux marchés de capitaux…). Elles ont évolué depuis les

années 2000. D’une part, on a assisté à une montée en puissance relative de certaines NOC en

matière technologique (China National Petroleum Corporation, China National Offshore Oil

Corporation, Rosneft) voire à un développement de niches technologiques (Petrobras). D’autre part,

de nombreuses compagnies nationales (Saudi Aramco, National Iranian Oil Company) souhaitent

continuer à investir dans l’aval pétrolier, et notamment dans le secteur du raffinage. Enfin, si certains

accords IOC-NOC se fondaient en partie sur les capacités des premières à obtenir des financements

à faible coût sur les marchés internationaux ou sur leur maitrise de la gestion des grands projets

pétroliers, les compagnies internationales se trouvent désormais largement concurrencées par les

compagnies chinoises sur les aspects « financement » et par les compagnies de services sur les

aspects « gestion de projets ».

II. Le rôle de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP)

La création de l’OPEP, en septembre 1960, à Bagdad, par l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Irak, le Koweït et

le Venezuela fait suite à la montée des revendications des pays producteurs de pétrole après la

deuxième guerre mondiale20. Initiées par la nationalisation des compagnies pétrolières au Mexique,

qui donnera naissance à la compagnie PEMEX en 1938, les revendications de nombreux pays hôtes,

notamment le Venezuela, sur un partage plus égalitaire de la rente pétrolière, s’accentuent dans les

années 1950. La création de l’OPEP apparait comme une réaction aux baisses de prix affichées par

les majors entre 1956 et 1960 sur le marché pétrolier, tout comme l’avait été la création des sociétés

20

En janvier 2016, l’Organisation compte 13 membres : les 5 membres fondateurs auxquels se sont ajoutés le Qatar (1961), l’Indonésie (1962-2005, 2016- ), la Lybie (1962), les Emirats Arabes Unis (1967), l’Algérie (1969), le Nigeria (1971), l’Equateur (1973-1992, 2007- ) et l’Angola (2007). Le Gabon, qui avait rejoint l’OPEP en 1975, a quitté l’Organisation en 1995.

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20

nationales21

par les pays producteurs dix ans plus tôt. Dans les années 1960, l’Organisation va

structurer son action autour de trois thématiques : le contrôle des prix, l’harmonisation de la fiscalité

pétrolière et le niveau de production des pays membres. Dès 1962, l’OPEP met ainsi en place une

fiscalité type, appelée système OPEP, plus avantageuse pour les pays producteurs de pétrole et qui

sera progressivement étendue à tous les membres en 1972. Cette mesure apparaît toutefois

marginale face à l’incapacité de l’OPEP à stabiliser et à contrôler les prix durant cette période22

. Les

revendications individuelles des pays de l’OPEP s’accompagnent d’une demande collective, mais

l’hétérogénéité de ses membres empêche déjà à l’époque une réelle discipline au sein du cartel. En

1970, grâce à la maitrise de la technologie, des réseaux de vente et des réseaux de distribution, les

majors contrôlent encore environ 80 % des exportations mondiales et 90 % de la production au

Moyen-Orient (Chevalier, 1973).

A travers les deux chocs pétroliers des années 1970, l’OPEP a pu commencer à démontrer sa

capacité à influencer les évolutions des prix sur les marchés pétroliers. Toutefois, le poids de

l’Organisation a considérablement varié au cours des décennies : non-disciplinée en 1986 (contre

choc pétrolier) et durant la crise asiatique de 1997, l’OPEP a su, au début des années 1990 et sur la

période 1999-2003, stabiliser les prix du pétrole à des niveaux soutenables à la fois pour ses pays

membres, mais également pour les principaux pays consommateurs. En 2014, 71,5 % des réserves

pétrolières mondiales de pétrole sont localisées dans les pays de l’OPEP et l’Organisation possède

une part de marché d’environ 41 %.

Acteur central du marché, l’Organisation n’en est pas moins très hétérogène (Tableau 5). Ainsi, entre

les géants démographiques indonésien23 (256 millions d’habitants), nigérian (près de 182 millions

d’habitants) et iranien (78,5 millions d’habitants), le groupe des Etats membres peuplés de plus de 30

millions d’habitants (Algérie, Arabie Saoudite, Irak et Venezuela) et ceux de moins de 10 millions

d’habitants (EAU, Koweït, Libye, Qatar), les revendications de redistribution de la rente pétrolière

peuvent être différentes. Il faut bien évidemment croiser ces éléments démographiques avec

d’autres plus économiques (le taux de chômage notamment, voire même le solde de la balance

courante) ou politiques (type de gouvernement) pour comprendre les stratégies menées. En outre,

le montant des réserves est fondamental dans cette analyse, tant il paraît évident qu’un petit pays

disposant de grandes réserves puisse avoir une fonction de production différente de celle d’un petit

pays avec de très faibles réserves. Cette hétérogénéité des conditions économiques,

démographiques et des dotations factorielles (taille des réserves, disponibilité du capital, etc.)

engendre de nombreux désaccords dans les stratégies menées par l’OPEP, notamment depuis

novembre 2014 avec l’potion choisie par l’Arabie Saoudite, pour à la fois briser l’élan de la production

de pétrole non-conventionnel aux Etats-Unis et pour regagner des parts de marché. A l’intérieur de

l’OPEP, l’Arabie Saoudite et l’Iran concentrent respectivement 69 % et 20 % des capacités

disponibles de l’Organisation (Tableau 7).

21

NIOC en Iran en 1954, CVP au Venezuela en 1960, KNPC au Koweït en 1960, SONATRACH en Algérie en 1963, INOC en Irak en 1965, LINOCO en Lybie en 1969. 22

L’OPEP envisage, dès sa création, la mise en place des quotas, mais cette mesure a été abandonnée dès 1966. 23

L’Indonésie a quitté l’OPEP en 2008 mais a été officiellement réintégrée en janvier 2016 dans l’Organisation.

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Tableau 5 : Caractéristiques principales des pays de l’OPEP

Pays*

Population 2015

(en millions)

Taux de chômage

Ratio R/P** et ratio R/P/habitant

(source : BP)

Date d’entrée (sortie) de l’OPEP

Variétés de pétrole (qualité, teneur en soufre) (source : Energy Intelligence Group)

Type de régime politique (source : CIA Factbook)

Algérie 39,9 11 % 21,9 (0,55) 1969 Léger, peu soufré République

Angola 25,0 ND 20,3 (0,81) 2007 Léger, peu soufré République

Arabie Saoudite

31,6 11,4 % 63,6 (2,0) 1960 Moyen, moyennement soufré Monarchie

E.A.U 9,6 2,4 % 72,2 (7,52) 1967**** Moyen, peu à moyennement soufré Fédération d’Emirats

Equateur 16,3 4,8 % 39,4 (2,41) 1973 (1992) 2007 Moyen à lourd, soufré République

Indonésie 255,7 5,5 % 11,9 (0,04) 1967 (2008) 2016 Léger, peu soufré République

Irak 37,1 16 % > 100 (>2,69)*** 1960 Moyen, peu à moyennement soufré République (instable)

Iran 78,5 10,5 % > 100 (1,27) *** 1960 Moyen, moyenne/haute teneur en soufre

République Islamique

Koweït 3,8 3 % 89,0 (23,42) 1960 Moyen, très haute teneur en souffre Emirat

Libye 6,3 30 % > 100 (15,87) *** 1962 Moyen, peu à moyennement soufré Gouvernement de transition

Nigeria 181,8 23,9 % 43,0 (0,23) 1971 Moyen, peu soufré République Fédérale

Qatar 2,4 0,4 % 35,5 (14,79) 1961 Disparate, moyennement soufré Emirat

Venezuela 30,6 8,1 % > 100 (> 3,26)*** 1960 Lourd ou très lourd, peu à extrêmement soufré

République Fédérale

* Le Gabon, qui fut membre de l’OPEP entre 1975 et 1996, ne figure pas dans ce tableau. ** R/P : ratio réserves sur production. *** En supposant un ratio R/P de 100 ans. **** Abu-Dhabi est entré dans l’OPEP en 1967 avant la création des Emirats Arabes Unis en 1971. Sources : BP (2015), CIA Factbook, Energy Intelligence Group, INED, OPEP

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Tableau 6 : Production des principaux pays du golfe Arabo-Persique à l’horizon 2040 (en millions de barils/jour)

2000 2014 2020 2025 2030 2035 2040 Variation 2014/2040

Arabie Saoudite Emirats Arabes Unis Iran Irak Koweït Qatar

9,3 2,6 3,8 2,6 2,2 0,9

11,6 3,6 3,5 3,4 3,1 2,0

12,3 3,7 4,4 4,4 2,9 2,0

12,8 4,0 4,7 5,7 3,2 2,0

13,1 4,2 4,9 6,4 3,4 2,3

13,3 4,3 5,1 7,1 3,5 2,5

13,4 4,4 5,4 7,9 3,7 2,7

1,8 0,8 1,9 4,5 0,6 0,7

OPEP Moyen-Orient (OPEP M-O) 21,3 27,2 29,7 32,4 34,3 35,9 37,5 10,3

Algérie Angola Equateur Libye Nigeria Venezuela

1,4 0,7 0,4 1,5 2,2 3,2

1,6 1,7 0,6 0,5 2,4 2,7

1,3 1,5 0,5 0,7 2,2 2,8

1,3 1,5 0,4 1,2 2,3 2,8

1,3 1,5 0,3 1,4 2,4 3,1

1,3 1,5 0,3 1,6 2,6 3,3

1,4 1,5 0,3 1,8 2,9 3,8

-0,2 -0,2 -0,3 1,3 0,4 1,1

OPEP Hors Moyen-Orient 9,4 9,5 8,8 9,4 10,0 10,7 11,7 2,3

Total OPEP Part de marché OPEP Part de marché OPEP M-O /OPEP

30,8 41 % 70 %

36,7 41 % 74 %

38,5 41 % 77 %

41,8 44 % 77 %

44,3 46 % 77 %

46,6 47 % 77 %

49,2 49 % 76 %

12,6 + 8 points + 6 points

Source : World Energy Outlook, scénario New Policies, novembre 2015

Tableau 7 : Production des pays de l’OPEP en janvier 2016 (en millions de barils/jour)

Production en janvier 2016

Capacité de production globale

Capacité résiduelle

Algérie Angola Arabie Saoudite Emirats Arabes Unis Equateur Indonésie Iran Irak Koweït Libye Nigeria Qatar Venezuela

1,1 1,75

10,21 2,89 0,53 0,71 2,99 4,35 2,83 0,38 1,84 0,68 2,37

1,12 1,81

12,26 2,93 0,55 0,71 3,60 4,35 2,83 0,40 1,91 0,68 2,46

0,02 0,06 2,05 0,04 0,02 0,0

0,61 0,0 0,0

0,02 0,07 0,0

0,09

Total OPEP 32,63 35,61 2,98 Source : Oil Market Report (AIE), février 2016

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SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers

23

Les conséquences des variations des prix du pétrole sur la

France et sur l’Europe

I. Eléments macroéconomiques

D’un point de vue macroéconomique, les canaux de transmission des variations des prix du pétrole

sur l'économie mondiale sont assez bien identifiés. Les hausses des prix exercent un effet récessif sur

les pays importateurs en ponctionnant le pouvoir d'achat des ménages et des entreprises, un

mouvement compensé, avec un certain délai, au moins partiellement, par le recyclage des pétro-

dollars sous la forme d'un surcroît d'importations des pays pétroliers. Une baisse des prix n’exerce

pas forcément un effet symétrique sur l’activité. D’une manière générale, la France et l’Europe ont

enregistré une diminution du taux de couverture de la consommation de pétrole par la production

domestique depuis les années 1980. En France, la faiblesse de la production pétrolière (1 % de la

consommation nationale) et son déclin depuis 1988 font que le taux de couverture n’a jamais

dépassé 5 %. Dans l’UE 28, le taux de couverture décline de manière marquée depuis les années

2000, en liaison notamment avec la forte diminution des pétroles de mer du Nord (Royaume-Uni), et

atteint environ 15 %. (Figure 8)

Figure 8 : Taux de couverture de la consommation de pétrole

par la production domestique (en %)

Source : ENERDATA

Il est intéressant de remarquer que cette baisse du taux de couverture de la consommation de

pétrole par la production domestique s’est accompagnée de deux mouvements. D’une part, la

France a enregistré une baisse marquée de sa consommation de pétrole entre 1971 et 2013. Ainsi,

entre le pic de 1973, à environ 2,7 mbj, et le point bas de 2014, à environ 1,1 mbj, la consommation de

pétrole brut a été divisée par plus de 2,5 (Figure 9). En Europe, l’ampleur de la diminution de la

consommation de pétrole a été plus limitée. D’autre part, l’intensité pétrolière du PIB (mesurée par

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SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers

24

la quantité nécessaire de pétrole pour produire une unité de PIB) en France a été divisée par cinq par

rapport à son niveau observé durant les chocs pétroliers des années 1970. (Figure 10).

Figure 9 : Consommation de pétrole brut de la France (échelle de gauche) et de l’Europe (échelle de droite) en millions de barils par jour

Source : ENERDATA

Figure 10 : Intensité pétrolière du PIB en France et en Europe (Base 100 en 1971 pour la France, Base 100 en 1979 pour l’Europe)

Sources : ENERDATA, calculs de l’auteur

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SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers

25

Les effets dits de second tours (à travers les hausses des coûts de production sectoriels) sont ainsi

plus limités à l’heure actuelle pour la France et l’Europe et ce, même si la France importe près de

99 % de sa consommation de pétrole.

Figure 11 : Consommation finale d’énergie des transports

Source : Service de l'Observation et des Statistiques, bilan de l'énergie 2014

Malgré une diminution de la consommation de pétrole et une baisse marquée de l’intensité

pétrolière du PIB, la France et l’Europe restent encore dépendantes des prix du pétrole et de leurs

évolutions. En effet, le seul secteur des transports (32 % de la consommation d’énergie finale de la

France en 2014, 31,6 % de la consommation d’énergie finale de l’UE-28 en 2013) représente

aujourd’hui 70 % de la consommation finale de pétrole (30 % en 1973) et la part des produits

pétroliers dans la consommation finale d’énergies du transport représente, elle, encore près de 92 %,

loin devant les énergies renouvelables (6 %) et l’électricité (2 %). Alors que la part de la

consommation de pétrole a largement diminué dans le secteur du résidentiel tertiaire depuis les

années 1970 (de 61 % du total en 1973 à environ 15 % en 2014) et dans le secteur industriel (de plus

de 55 % en 1973 à moins de 10 % en 2014), la problématique pétrolière se révèle donc être très

spécifique au secteur du transport, appelé « marché captif du pétrole ».

En outre, l’importance de la consommation de pétrole en France contribue à alourdir la facture

énergétique nationale (Figure 12). Cette dernière a atteint près de 55 milliards d’euros en 2014

(environ 2,6 % du PIB), en baisse de près de 11 milliards d’euros par rapport à 2013. En 2014, la part

de la facture énergétique dans le PIB est certes repassée sous la barre des 3 % mais elle se situe au-

dessus de sa moyenne de long terme. Ainsi, exceptés lors des deux chocs pétroliers, ce taux s’était

établi à environ 1 % dans les années 1985-2000 et à environ 2 % depuis les années 2000. Le pétrole

et les produits pétroliers ont représenté près de 82 % de la facture énergétique nationale (Figure 13).

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26

Figure 12 : Facture énergétique de la France (en milliards d’euros)

Source : données des douanes, calculs du Service de l'Observation et des Statistiques

Figure 13 : Facture énergétique de la France déclinée par type d’énergie (en milliards d’euros 2014)

Source : données des douanes, calculs du Service de l'Observation et des Statistiques

Qu’en est-il de la structure du commerce extérieur en produits pétroliers de la France ?

Structurellement exportatrice d’essence et de gazole durant les années 1970, la France est

rapidement devenue importatrice nette de gazole avec le développement massif des véhicules

diesels dans le parc automobile national (Figure 14). Depuis les années 1990, le pays est toutefois

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SESEF – Fonctionnement des marchés pétroliers

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redevenu exportateur net d’essence, même si l’industrie du raffinage devrait connaitre de plus

grandes difficultés à écouler ses surplus d’essence à l’étranger, notamment en Afrique, zone dans

laquelle les raffineurs américains exportent également leur surplus d’essence.

Figure 14 : Solde du commerce extérieur français de produits pétroliers (en millions de barils par jour)

Source : ENERDATA

*Un solde exportateur de produits pétroliers apparait avec un signe négatif sur ce graphique.

II. Eléments sectoriels Historiquement, la Première Guerre mondiale a été, pour les différents gouvernements européens

(notamment le Royaume-Uni dès 1914), un véritable catalyseur de la mise en évidence du caractère

stratégique du pétrole. La France, comme de nombreux autres pays (Italie), a mis en place une

politique visant à disposer de ressources pétrolifères et à sécuriser ses approvisionnements. La

création de la Compagnie Française des Pétroles (CFP), issue de l’attribution des parts de la Deutsche

Bank dans la Turkish Petroleum Company lors du traité de San Remo de 1924 répondait à cette

logique.

Très rapidement, l’Etat français s’est doté d’institutions (Office national des hydrocarbures, Office

national des combustibles liquides) et d’écoles (Ecole Supérieure du Pétrole) pour structurer le

secteur pétrolier sur le territoire. La filière industrielle va connaitre un nouvel essor dans les années

1940, avec une politique volontariste de l’Etat, appuyée dans les années 1985 par la mise en place

d’un Fonds de Soutien aux Hydrocarbures (FSH), alimenté par une taxe sur les prix des carburants.

Cette politique va permettre la structuration d’un secteur parapétrolier de taille mondiale,

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28

intervenant sur l’ensemble de la chaîne de valeur pétrolière. Ainsi, aux acteurs privés traditionnels

français (Compagnie générale de Géophysique – CGG –, Vallourec, Schlumberger) vont venir se

greffer dans les années 1970 et 1980 deux compagnies pétrolières françaises : la Société Nationale

Elf-Aquitaine en 1976 et Total-CFP en 1985 (puis Total en 1991). Les années 1990 vont être marquées

par la réorganisation et la privatisation de nombreuses entités publiques. Suite à la crise asiatique de

1997 et la baisse des prix du pétrole, un mouvement de méga-fusion s’engage au niveau mondial, qui

donnera naissance aux grandes majors actuelles (BP – Britsih Petroleum –, issue de la fusion entre

BP et Amoco en 1998 ; Exxon-Mobil, issue de la fusion entre Exxon et Mobil en 1999 ; Chevron-

Texaco issue de la fusion entre Chevron et Texaco en 2001…) En France, face à ce mouvement de

consolidation internationale, l’Etat va appuyer un rapprochement entre les deux compagnies

pétrolières privatisées dans les années 1990. Total va ainsi absorber le belge Fina fin 1998, puis Elf

Aquitaine en 2000.

En définitive, la France possède une major internationale pétrolière, Total (14ème producteur mondial

d’hydrocarbure, 6ème compagnie mondiale en termes de chiffre d’affaires, une capitalisation

boursière de près de 90 milliards d’euros), et un écosystème d’environ 800 entreprises

(100 spécialisées et 700 non spécialisées) dans le secteur parapétrolier24. Au niveau européen, seuls

le Royaume-Uni, avec BP et le secteur parapétrolier britannique, et l’Italie, avec Eni et Saipem,

possède une filière pétrolière véritablement structurée.

Dans le contexte d’effondrement des prix du pétrole depuis juin 2014 (une baisse de près de 75 % des

prix), de nombreuses entreprises françaises et européennes se trouvent en difficultés. Ainsi, le

mouvement de restructuration de la filière au niveau mondial (entre 250 000 et 300 000 suppressions

d’emplois – Hache, 2016) a touché les entreprises du secteur. Fleurons technologiques, les

compagnies françaises Technip, CGG, Vallourec, mais également l’italien Saipem ont engagé un

vaste plan de réduction d’emplois. Au niveau mondial, les mouvements de fusions et acquisitions

dans le secteur du parapétrolier ont enregistré une augmentation marquée depuis 2013. Le risque lié

à la persistance d’un environnement de bas prix, comme celui observé durant l’année 2015, pourrait

être le passage sous pavillon étranger d’une entreprise technologique française du secteur pétrolier

ou parapétrolier et la perte d’un maillon de la chaîne de valeur industrielle du secteur. Dans cette

optique, le maintien voire le renforcement des participations de l’Etat dans la filière reste

primordial25, notamment dans une politique de renforcement de la sécurité énergétique.

24

Enjeux et perspectives des filières industrielles de la valorisation énergétique du sous-sol profond, rapport PIPAME, mars 2016 : http://www.entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/etudes-et-statistiques/prospective/Industrie/2016-03-Pipame-Sous-Sol-Profond-rapport.pdf 25

En 2015, l’Etat français possède des participations dans les entreprises CGG, Technip et Vallourec à travers Bpifrance Participations et IFP Energies Nouvelles.

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29

Eléments de prospectives sur les marchés pétroliers L’effondrement des prix du pétrole depuis juin 2014, à moins de 30 dollars le baril début 2016, a suscité de nombreuses interrogations sur les évolutions à venir des prix. Pour preuve, l’Agence internationale de l’énergie, dans son rapport annuel, le World Energy Outlook, évoquait en novembre 2015 l’hypothèse d’un prix bas du pétrole à l’horizon 2040.

Figure 15 : Scénarios de prix du pétrole à l’horizon 2050

Sources : AIE, DOE, auteur

I. Un scenario bas prix du pétrole

Le scénario d’un prix bas du pétrole à l’horizon 2040-2050, autour de 65 dollars le baril en fin de

période, repose sur différents facteurs affectant l’équilibre offre-demande sur le marché. Du côté de

l’offre, il suppose, pour l’OPEP, une poursuite de la stratégie observée depuis novembre 2014, (le

maintien des parts de marché de l’Organisation sur le marché pétrolier), d’un point de vue

géopolitique, sur le retour de l’Iran sur le marché international. Dans cette optique, il faut considérer

que les pays membres de l’OPEP poursuivront une double logique via un suivi attentif du marché :

minimiser la substitution du pétrole par des énergies concurrentes dans les pays consommateurs et

assurer ainsi la place du pétrole dans le mix énergétique mondial ; permettre à chacun des pays

membres de maintenir ses parts de marché par rapport aux pays non-membres de l’Organisation et

autoriser au cas par cas la possibilité pour certains pays membres d’augmenter leur production.

Cette stratégie nécessite une adaptation de la politique de l’OPEP, notamment dans une définition

claire de ses objectifs de court, moyen et long terme. Pour les pays non-membres de l’OPEP, ce

scénario suppose une forte résilience des productions de pétroles non-conventionnels aux Etats-

Unis à un environnement de prix bas sur le long terme et un maintien de la dynamique de production

des autres pays producteurs (Brésil, Norvège, Russie). Il peut notamment s’appuyer sur un

accroissement de la productivité des puits pétroliers, grâce, entre autres, à une baisse des coûts et à

une amélioration du progrès technique.

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Un scénario de prix bas du pétrole suppose également un environnement géopolitique moins tendu

à l’horizon 2040-2050. Dans cette optique, il est envisagé une résolution à moyen terme des conflits

en Libye, en Syrie et en Irak, ainsi qu’une forte habileté des pays producteurs en difficulté

actuellement (OPEP, Brésil, Russie…) à maintenir une stabilité politique et économique favorable à

l’investissement et à la diversification dans un contexte de diminution relative des revenus pétroliers.

La stratégie des principaux pays producteurs pourrait également être influencée par la politique

environnementale internationale. En effet, l’instauration progressive d’une taxe carbone mondiale

touchant notamment l’extraction de pétrole brut pourrait stimuler à court terme la production

d’hydrocarbures et créer une abondance sur le marché pétrolier, provoquant ainsi une nette

diminution des prix.

Côté demande, un tel scénario repose sur deux hypothèses principales, relatives à la croissance

mondiale et aux réformes des subventions à la consommation d’énergies fossiles. Depuis les années

1960, l’économie mondiale a vécu au rythme de différentes locomotives : États-Unis, Allemagne et

Japon dans les années 1970-1980, États-Unis et Asie émergente dans les années 1990, États-Unis,

Europe et Chine dans les années 2000, BRICS et Chine depuis la crise financière de 2007-2008… La

croissance mondiale a ainsi été portée par une économie dominante - un pôle -, qui a entrainé dans

son sillage d’autres économies dans un contexte de mondialisation et d’accélération des échanges

mondiaux. Le scénario « bas prix du pétrole » repose sur un abaissement progressif du taux de la

croissance mondiale et sur l’absence de locomotive économique. Alors qu’elle avait atteint plus de 5

% en rythme annuel sur la période 2001-2008, la croissance mondiale se situerait ainsi autour de 2,5

%, portée par l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine. Dans ce contexte, la demande mondiale de

pétrole n’enregistrerait pas de rebond majeur et stagnerait autour de 100-105 mbj en 2040. Les pays

de l’OCDE poursuivraient la trajectoire observée depuis les années 2000, avec une diminution

marquée de leur consommation, reflet d’une croissance stagnante et de contraintes

environnementales et sanitaires de plus en plus fortes. L’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine et le

Moyen-Orient resteraient des régions dynamiques en matière de consommation de pétrole, et ce,

même si la Chine continue sa transition économique et environnementale. La seconde hypothèse

pose une accélération des réformes concernant les subventions aux énergies fossiles dans les pays

producteurs et dans les pays consommateurs. Pour chacun des groupes de pays, la diminution des

subventions limiterait la demande de pétrole, ce qui contribuerait, dans un contexte où les pays

producteurs suivent une stratégie de long terme de stabilité des cours du pétrole, à de faibles

variations de prix.

II. Un scénario prix élevé du pétrole

Le scénario d’un prix élevé du pétrole à l’horizon 2040-2050, autour de 230 dollars le baril, repose sur

un déséquilibre de plus en plus important entre la stratégie des pays des principales zones de

production mondiale et le contexte économique et environnemental international.

Dans ce scénario, l’OPEP joue un rôle fondamental, avec plus de 71 % des réserves mondiales de

pétrole localisées dans ses pays membres. A moyen terme, l’Organisation réussit à obtenir un accord

entre ses différents membres pour limiter la politique de gains de parts sur le marché international.

Cette stratégie trouve son origine dans un accord passé entre certains pays producteurs non-

membres de l’Organisation (Brésil, Russie) pour limiter leur production afin de mettre fin aux

pressions baissières observées sur le marché. Elle permet, comme sur la période 1998-2001,

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d’assurer une meilleure coordination de la production mondiale. Certes, le regain des cours au

niveau mondial provoque le rebond de l’industrie du pétrole non-conventionnel aux Etats-Unis.

Toutefois, l’industrie américaine, qui a beaucoup souffert de l’effondrement des prix du pétrole entre

2014 et 2016, ne redémarre pas sur les mêmes rythmes que durant la décennie 2000, en raison

notamment des fortes restructurations observées dans le secteur. En outre, le progrès technique et

la productivité des champs des producteurs indépendants américains ne connaissent pas

d’amélioration marquée, ce qui tend à rendre la production moins élastique aux variations des cours

du pétrole. D’un point de vue géopolitique, le marché pétrolier reste sous tensions : la situation en

Libye, en Syrie et en Irak ne s’améliore pas et les rivalités dans le golfe d’Ormuz entre l’Iran et

l’Arabie Saoudite sont renforcées et conduisent à un emballement des primes de risque sur les

marchés.

Au niveau environnemental, les négociations issues de l’accord de Paris (COP21) s’enlisent et aucune

nouvelle avancée n’est réalisée. Une taxe internationale sur les hydrocarbures n’est plus à l’ordre du

jour et la pression sur les producteurs et les consommateurs d’hydrocarbures reste faible. Aucune

incitation n’existe alors à la réduction des subventions pour les énergies fossiles au niveau

international. Ce facteur contribue, avec la croissance économique mondiale, à une forte

augmentation de la demande de pétrole. En effet, au niveau mondial, après un épisode de récession

pour certains pays émergents (Brésil, Russie) ou de ralentissement marqué (Chine), les pays en

développement enregistrent une nouvelle accélération de leur croissance économique, portée par le

géant économique et démographique indien. L’Inde, en raison du niveau de ses besoins, tire la

croissance des autres émergents : besoins en infrastructures (Chine), besoins énergétiques (Russie),

besoins agricoles (Brésil). L’économie mondiale se recompose autour de ces pôles de croissance

auxquels s’ajoutent les Etats-Unis qui compensent largement l’atonie observée en Europe et au

Japon. Ces deux dernières zones économiques connaissent, pour leur part, un ralentissement

marqué de leur consommation de pétrole, mais cette faible demande est largement compensée par

le dynamisme observé chez les émergents et les nouvelles zones frontières de la croissance

économique mondiale (Afrique). L’envolée des prix du pétrole observée dans ce scénario ne parvient

pas à « tuer » la croissance économique mondiale car celle-ci est endogène aux mouvements

observés sur les prix. En outre, la hausse de la croissance mondiale a pour conséquence une envolée

des prix des matières premières, ce qui contribue à un renchérissement des coûts des projets

pétroliers et des coûts de production.

III. Un scénario prix moyen du pétrole

Le scénario d’un prix moyen du pétrole jusqu’à l’horizon 2040-2050 reflète une combinaison des

hypothèses retenues dans les deux scénarios précédents. L’environnement pétrolier observé entre

juin 2014 et début 2016, avec une diminution des prix du pétrole de près de 75 %, a conduit à une

forte diminution des investissements pétroliers de la part des compagnies internationales et des

compagnies nationales. Après une baisse de près de 20 % en 2015, les investissements dans l’amont

pétrolier diminueraient de plus de 15 % en 2016. Or, ces investissements sont nécessaires au marché

pétrolier mondial : il faut environ 3 mbj de capacités supplémentaires chaque année pour satisfaire à

la fois l’augmentation de la demande mondiale de pétrole et la déplétion des champs pétrolifères.

D’ici 2020, près de 10 mbj seront nécessaires pour permettre d’équilibrer le marché. Toutefois, la

diminution marquée des investissements depuis 2014 pose les jalons du futur rééquilibrage du

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marché pétrolier, les producteurs rationalisant massivement leurs outils de production et réduisant

leurs investissements. Les marchés pétroliers sont habitués à cette cyclicité. Ainsi, après la crise

asiatique de 1997, les budgets d'exploration des compagnies pétrolières avaient diminué de manière

drastique, avant de repartir à la hausse en 2004, soit deux ans après le rebond de la demande

mondiale. Ce décalage cyclique est monnaie courante dans les activités industrielles et notamment

pétrolières.

Ce mouvement s’accompagne d’une prise de conscience progressive de l’OPEP et des autres pays

producteurs de pétrole que la stratégie de la vanne ouverte mise en place depuis novembre 2014 ne

permet pas d’assurer un développement viable des économies spécialisées dans les hydrocarbures à

l’horizon 2020. Avec un maintien des prix du pétrole autour de 40 dollars à court terme, l’Arabie

Saoudite met fin à sa stratégie de gains de parts de marché et propose à l’ensemble des pays

membres de l’OPEP un accord sur le niveau de production global de l’Organisation. Ces facteurs –

décalage cyclique des investissements et accord de production au sein de l’OPEP – restreignent les

possibilités d’un rebond marqué de l’offre de pétrole. En outre, les prix sur le marché seraient

soutenus par le maintien des tensions géopolitiques notamment au Moyen-Orient.

Dans le scénario de prix moyen du pétrole, la croissance mondiale repart à un niveau élevé (autour

de 4 %) porté notamment par l’Inde et les émergents d’Afrique et d’Amérique latine. La Chine

poursuit son ralentissement et sa transition vers une économie moins carbonée mais son poids

économique et démographique en fait toujours un géant pétrolier mondial en matière de

consommation.

Tableau 8 : Eléments prospectifs des scénarii de prix du pétrole

Stratégie de l’OPEP

Développements géopolitiques

Croissance mondiale

Contexte environnemental

Niveau des subventions

Scénario prix bas du

pétrole

Parts de marché

Atténuation des conflits

2,5 % Forte pression Réduction

massive

Scénario Prix moyen du pétrole

Prix moyens, quotas

Maintien des tensions

3,5 – 4 % Moyen Réduction moyenne

Scénario prix élevé du pétrole

Prix élevés, accord avec

les pays non-

membres

Renforcement des conflits –

tensions permanentes

5 % Faible Forte

réduction

Source : auteur

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Conclusion Les marchés pétroliers sont constitués d’un ensemble d’acteurs (compagnies internationales,

compagnies nationales, OPEP), d’interactions et de différents segments d’activités (marchés

physiques, marchés financiers). Cet ensemble permet de fixer le principal prix directeur des énergies

au niveau mondial.

A long terme, la dynamique des prix reste guidée par la logique des acteurs dominants sur la scène

pétrolière. L’organisation industrielle de la filière et les processus de coordination (ou leur absence

de coordination) des investissements (succession de périodes de sous-investissement et de

surinvestissement) sont déterminants dans l’analyse des prix, tout comme le contexte économique,

politique et environnemental observé dans les principaux pays consommateurs. La montée en

puissance du facteur spéculatif et, plus généralement, des marchés financiers sur le marché du

pétrole ainsi que sur les autres marchés de matières premières semble avoir une résonnance à court

terme, sans toutefois modifier les équilibres fondamentaux. Les modifications observées au niveau

de l’environnement économique international, à savoir la montée en puissance des pays émergents

dans différentes parties du monde (Asie, Afrique, Amérique latine) au détriment des pays de l’OCDE

dont la part dans la consommation mondiale diminue, laissent augurer de profonds changements

dans les décennies à venir.

Le marché pétrolier reste d’une importance capitale pour la France et pour l’Europe. Certes, le poids

du pétrole dans les économies françaises et européennes a largement diminué depuis les chocs

pétroliers des années 1970 et les progrès réalisés en termes d’efficacité énergétique ou dans les

processus de substitutions énergétiques dans les secteurs de l’industrie et du résidentiel-tertiaire

témoignent de ce mouvement. Toutefois, le pétrole continue de grever le solde de la balance du

commerce extérieur de la France, représentant près de 15 % des importations totales du pays et 2,6

% du PIB (Tableau 9). En France et en Europe, le secteur des transports reste également largement

tributaire des évolutions du prix du pétrole sur les marchés internationaux. Le secteur représente

aujourd’hui 70 % de la consommation finale de pétrole (30 % en 1973) et la part des produits

pétroliers dans la consommation finale d’énergies du transport représente, elle, encore près de 92 %,

loin devant les énergies renouvelables (6 %) et l’électricité (2 %).

Tableau 9 : Comparaison de la facture énergétique avec quelques agrégats économiques

Source : données des douanes, calculs du Service de l'Observation et des Statistiques

Dès lors, la politique de sécurité énergétique française axée sur la question pétrolière doit

impérativement prendre en compte ses spécificités sectorielles : l’importance du pétrole dans le

secteur du transport doit notamment conduire à la mise en place de filières d’énergies renouvelables

pour ce celui-ci, ainsi qu’à des efforts massifs de recherche et développement dans le secteur des

motorisations alternatives. Les politiques menées au niveau français et européen sur la politique

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d’incorporation des biocarburants dans les transports vont ainsi dans le bon sens, comme tous les

nouveaux procédés industriels ou les innovations dans le secteur du résidentiel-tertiaire, qui

permettraient de diminuer la consommation de pétrole ou de produits pétroliers.

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Annexes

Annexe 1 : Principaux flux pétroliers en 2014 (Source : BP Statistical Review, 2015)

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Annexe 2 : Ratios R/P pétrole par régions (Source : BP Statistical Review, 2015)

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Annexe 3 : Ratios R/P de pétrole par pays (Source : BP Statistical Review, 2015)

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Annexe 4 : Production de pétrole par pays (Source : BP Statistical Review, 2015)

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Annexe 5 : Consommation de pétrole par pays (Source : BP Statistical Review, 2015)

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Annexe 6 : Principaux évènements sur les marchés pétroliers depuis 1861 (Source : BP Statistical Review, 2015)

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Annexe 7 : Exemple du Platts (Source : Platts, 2015)

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Annexe 8 : Recettes d’exportations de l’OPEP (Source : DOE, 2015)