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R.I.D.S.P REVUE INTERNATIONALE DE DROIT ET SCIENCE POLITIQUE COMITE SCIENTIFIQUE R.I.D.S.P, Vol. 1, N°4 Décembre 2021 RIDSP REVUE MENSUELLE

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COMITE SCIENTIFIQUE

Pr. Moktar ADAMOU

Agrégé des Facultés de Droit, Université de Parakou ;

Pr. Thomas CLAY

Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l’école de droit de la Sorbonne, (Université Paris 1), Avocat au

barreau de Paris ;

Pr. Nadège JULLIAN

Agrégé des Facultés de Droit, Professeur, Université Toulouse 1 Capitole ;

Pr. Victorine KAMGOUI KUITCHE

Maître de Conférences, Université de Ngaoundéré

Pr. Sandie LACROIX-DE SOUSA

Maître de Conférences HDR, Université d’Orléans ;

Pr. Marie-Colette KAMWE MOUAFFO

Maître de Conférences, Université de Ngaoundéré ;

Pr. Jean Pierre CLAVIER

Professeur, Université de Nantes ;

Pr. Guy Florent ATANGANA MVOGO

Maître de Conférences, Université de Ngaoundéré ;

Pr. Najet BRAHMI

Professeur, Université de Tunis El Manar

Dr. MFEGUE SHE Odile Emmanuelle épouse MBATONGA

Université de Yaoundé II

M. Maxime KALDJONBE

Magistrat, Juge et Juge d’instruction près le Tribunal de Grande Instance de la VINA ;

M. SABABA MAGAZAN

Magistrat, Juge et Juge d’instruction près le Tribunal de Grande Instance de la VINA et Juge d’instruction

près le Tribunal Militaire de l’Adamaoua ;

M. David YINYANG

Magistrat, Substitut du Procureur près les tribunaux d’instance du FARO à POLI ;

Mme Sandrine DATSE

Avocate au Barreau de Paris, Conseil Adjoint devant la Cour Pénale Internationale.

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Dr. WILLARBANG ZUINSSA

Dr. YAOUBA HAMADOU A.

Dr. Alexis BAAYANBE BLAMA

Dr. Ibrahima HALILOU

Dr. Raissa PAYDI

Dr. Dieu-Ne-Dort BADAWE KALNIGA

Mme Mbissa Valérie HAMBOA ZONGA

M. ARI HAMADOU GUY

Mme MOUANGA MOUSSENVOULA G.

Mme Adama SALME

M. Elie SAPITODEN

M. Bienvenu DOMBA

M. Jacob Israël Firina

M. Benjamin DIGUIR DABOLE

M. ALI BOUKOUN ABDOULAYE

Membres :

Rédacteur en Chef

Dr. Timothée MANGA BINELI

Université de Yaoundé II.

Rédactrice en Chef Adjointe

Dr. Calice Cléopatre MAINIBE TCHIOMBE

Université de Ngaoundéré.

Dr. Josué DIGUERA

Dr. Job Didier BAHANA

Dr. Eloi BAKARY

Dr. Gérard Müller MEVA’A

Dr. Sadjo ALIOU

Dr. Joceline Gaëlle ZOA ATANGANA

Dr. Deguia CHECK IBRAHIM

Dr. Issa Pave ABDEL NASSER

Dr Prosper Hugues FENDJONGUE

Dr ABOUKAR BANGUI AGLA

Dr Messi MBALLA ANGE

Dr. DJARSOUMNA LINDA

Dr Djidjioua Garba ISSA

Dr Norbert DOURGA

Dr Djorbele BAMBE

COMITE DE REDACTION

Coordonnateur rubrique Droit Public

Dr. Janvier FERMOSE

Coordonnateur rubrique Droit Privé

Dr. El-Kader Kadjoum ALI ABDEL

Responsable en charge de la propriété intellectuelle : Dr. Job NZOH SANGONG

Coordonnateur rubrique Science Politique

Dr. Georges Francis MBACK TINA

Coordonnateur rubrique English Law

Dr. Waraï Michael TAOYANG

Coordonnateurs des rubriques

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doivent l’être en toute exclusivité ;

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en anglais. Chaque article doit être accompagné d’un résumé rédigé par l’auteur.

- Toute contribution soumise pour publication doit être rédigé en format Microsoft

Word ; nom de la police : Times New Roman ; Taille des caractère 12 ; interligne 1,5.

Les contributions ne doivent pas dépasser 35 pages.

Le Rédacteur en Chef

Dr. Timothée MANGA BINELI

Université de Yaoundé II.

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SOMMAIRE

❖ Droit Public

Le renouveau du parlement dans les états d’expression française étude à partir du Tchad à la

lumière des réformes constitutionnelles de 2018 et de 2020 .......................................................... 1

Douna Nang-Weye Dieudonné Et Mahamat Yassine Oumar

Les détournements de crédits d’indemnisation en matière d’expropriation pour cause d’utilité

publique en droit camerounais ...................................................................................................... 27

Grégoire Narcisse Manga Tsoungui

La gouvernance de recrutement du personnel dans les Collectivités Territoriales Décentralisées au

Cameroun : entre faible régulation normative et prévalence des normes pratiques ..................... 54

Metsagho Mekontcho Boris Et Yankeng Foyet Wilfried Aubin

L’imprécision du contenu des normes juridiques internationales à l’aune de la criminalité

transfrontalière en Afrique ............................................................................................................ 87

Belinga François Xavier

Le contrôle à postériori de la passation des marchés publics par l’auditeur indépendant au

Cameroun .................................................................................................................................... 114

Mevo Mevo Emmanuel

Réflexion à propos de l’encadrement des droits de l’homme dans les procédures d’urgence en droit

camerounais ................................................................................................................................ 138

Tonhoul Bienvenu

La coopération interinstitutionnelle entre l’ONU et l’UA dans les opérations du maintien de la paix

et de la sécurité en Afrique ......................................................................................................... 152

Yahya Hassoumi

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La judicisation du concept de gouvernance : propos sur un nouveau paradigme du droit électoral

camerounais ................................................................................................................................ 170

Agathon Ondoa Rodrigue Stéphane

La règle de l’inattaquabilité du titre foncier au regard de la dynamique du droit public africain

..................................................................................................................................................... 196

Agathon Ondoa Rodrigue Stéphane

La protection de l’autonomie financière des collectivités territoriales décentralisées au Cameroun

..................................................................................................................................................... 230

Sapmadzock Tchoffo Guy Rostand

L’incidence de la transaction douanière sur le plan social ......................................................... 264

Hadidjatou Yougouda

L’Union Africaine et les organisations sous régionales et le protocole d’accord de 2008 ......... 280

Tidimi Désirée Bérénice

Le contrôle fiscal des entreprises multinationales au Cameroun……………………………….292

Nkake Ekongolo David Bienvenu

Le contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste en Afrique noire francophone...331

Ekoto Julien

❖ Droit Privé

Le principe de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par carte bancaire en droit CEMAC à

l’épreuve du commerce électronique .......................................................................................... 345

Mohaman Nazir

L’adoption en droit camerounais : prendre acte des nouvelles réalités ...................................... 367

Pinlap Mbom Willy Claudel

La nature du droit du titulaire d’un compte ................................................................................ 386

Touaiba Tirmou Alice

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La specificite de la cessation de paiements des etablissements de credit en difficulté en droit

CEMAC………………………………………………………………………………………...407

Paydi Raïssa

❖ Science Politique

De la gouvernance de la COVID19 au biopouvoir au Cameroun : la revanche de l’Etat néo régalien

..................................................................................................................................................... 423

Mback Tina Georges Francis

Organisations féminines : levier du développement local au Cameroun .................................... 440

Sali Gaïri

Dynamiques d’urbanisation et gouvernance durable du Lac Municipal de Yaoundé : contribution

à une intelligence socio-politologique de la ville durable en Afrique noire ............................... 470

Mekinda Mbaga Gérard Didier

La résistance du terrorisme de Boko Haram sur les iles frontalières du lac Tchad .................... 502

Vahindi Gabriel

La Chine et l’intégration spatiale par le rail en Afrique subsaharienne depuis la guerre froide . 525

Tiogo Romaric

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Le renouveau du parlement dans les états d’expression française.

Etude à partir du Tchad à la lumière des réformes constitutionnelles

de 2018 et de 2020

Par :

Dieudonné DOUNA NANG-WEYE

Doctorant en Droit Public

Université de Dschang (Cameroun)

Et

Mahamat YASSINE OUMAR

Master en Droit Public

Université de Dschang (Cameroun)

Résumé :

Le Parlement tchadien a subi de profondes mutations multidimensionnelles suite à la

Constitution du 4 mai 2018 et la révision constitutionnelle du 14 décembre 2020. Il s’est agi pour

le constituant de chercher à améliorer au mieux les aspects organique et matériel du Parlement.

Du point de vue organique, il a fait l’objet d’une importante restructuration. Monocaméral

pendant longtemps, le Parlement est devenu bicaméral avec, non pas seulement des membres

émanant des partis politiques, mais désormais issus d’autres entités particulières. Du point de vue

matériel, le Parlement a connu un remarquable réaménagement. Ses compétences ont été élargies,

tant dans son rôle législatif que dans celui de contrôle. Bien plus, les Assemblées ont désormais

la maîtrise de leurs travaux et voient le temps parlementaire s’améliorer. Ces réformes

n’entrainent certes pas un renouveau immédiat, mais il est certain qu’elles créent des conditions

d’une participation accrue des parlementaires à la vie démocratique. Le temps révélera si ce

renouveau constitutionnel va s’accompagner d’une effectivité concrète.

Mots clés : Parlement, État, Renouveau, Constitution, Tchad.

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Introduction

Démocratie sans Parlement n’est-elle que ruine de la démocratie ? La réponse à cette

question ne peut qu’être affirmative dès lors qu’il est établi qu’« on ne peut concevoir la

démocratie indépendamment des organes habilités à l’animer ou à la rendre effective »1. En

l’absence donc de ces organes, la démocratie ne peut se réaliser convenablement2.

De ce point de vue, si en démocratie le peuple est au cœur du pouvoir qu’il n’exerce pas

directement mais le délègue à ses représentants élus3, il ne fait aucun doute que le Parlement se

place en première ligne de ces organes. Ceci procèderait évidemment du constat que « le

Gouvernement est l’ennemi dangereux du peuple »4, car souvent porté à abuser de son pouvoir5.

Et comme tel, le Parlement reste une tribune censée traduire les aspirations les plus légitimes de

peuple6 et un contre-pouvoir important vis-à-vis de l’Exécutif.

Pourtant, de nombreuses prises de positions doctrinales quasi unanimes sur le déclin du

Parlement en Afrique7 concluent à sa vacuité, donnant ainsi l’impression que la vie politique peut

se comprendre indépendamment de celui-ci. Autant de sentiment d’impuissance vis-à-vis du

Parlement au point où on s’interrogeait à la manière des Professeurs CHANDERNAGOR André

et ROCARD Michel : « Un Parlement pour quoi faire ? Un député, pour quoi faire ?»8. Peut-on

encore aujourd’hui se satisfaire de telles interrogations tendant à banaliser la mission assignée au

Parlement dans une démocratie ? La réponse à cette question reste différemment orientée par la

1 GUIMDO DONGMO Bernard-Raymond, « Constitution et Démocratie dans les États francophones d’Afrique », in

NAREY Oumarou (Dir.), La constitution, Sénégal, L’Harmattan, 2018, p. 174. 2 ADELOUI Arsène-Joël, « Les métamorphoses du Parlement béninois », in AHADZI-NONOU Koffi, KOKOROKO

Dodzi, KPODAR Adama et AÏVO Frédéric Joël (Dir.), Démocratie en questions, Mélanges en l’honneur du

Professeur Théodore HOLO, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2017, p. 288. 3 ARDANT Philippe, Institutions politiques et droit constitutionnel, 7e édition, Paris, LGDJ, 1995, p. 169. 4 Le pouvoir Exécutif a été toujours considéré par le courant libéral et démocratique triomphant comme virtuellement

porté à menacer les droits et libertés fondamentaux, parce que détenteur de la force publique. V. en ce sens, GICQUEL

Jean, Droit constitutionnel et institutions politiques, 15e édition, Paris, Montchrestien, 1990, p. 495. 5 MOYEN Godefroy, « L’exécutif dans le nouveau constitutionnalisme africain : les cas du Congo, du Bénin et du

Togo », Annales de la FSJP de l’Université Marien NGOUABI, 2009, p. 41. 6 DOSSO Karim, « Les pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone : cohérences et

incohérences », RFDC, nº90, 2012, p. 65. 7 HOUNKPE Mathias, « Le parlement, cet inconnu, Façon de Voir », Mensuel béninois d’analyse politique et socio-

économique, n°6, 15 avril 2001, p. 2. 8 CHANDERNAGOR André, Un Parlement pour quoi faire ? Paris, Gallimard, 1967 ; ROCARD Michel, Un député,

pour quoi faire ? Paris, Syros, 1973.

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posture négative et positive de la doctrine. Ce qui n’est guère étonnant dans la mesure où

l’efficacité d’une institution dépend du contexte et demeure une œuvre qui s’inscrit dans le temps,

marquée à la fois des moments de gloire et de déception.

Quoi qu’il en soit, lorsqu’on jette un regard d’appréciation sur les trois pouvoirs publics

décrits par Montesquieu dans l’Esprit des lois, l’acte d’accusation du Parlement est très sévère9 ;

de sorte que, non plus, celui-ci ne peut se targuer d’être le détenteur réel du pouvoir politique.

Mais au-delà du récurrent procès de « négation » qui est fait aux parlementaires, il est certain que

la vie démocratique, dans sa dimension organique, s’accommode aujourd’hui impérativement du

Parlement10. Dès lors, il est impossible de dresser l’acte de décès de cette institution du fait que

rien n’est perdu pour elle et elle-même n’y est pas perdue. C’est ainsi que des réformes nécessaires

à sa réfection, à sa rénovation ou à sa revalorisation sont observables dans plusieurs États11. Ces

réformes créent, à bien des égards, des conditions d’une participation accrue des parlementaires

dans le cadre d’un Parlement rénové. Cette évolution est désormais bien présentée par une certaine

doctrine qui observe la mutation et confirme que « les parlementaires sont devenus plus actifs »12

et sont « moins portés à la servilité vis-à-vis de l’exécutif »13. Autant le signifier clairement, ces

avis sélectifs, conjugués aux diverses réformes, rendent compte d’une certaine vitalité et

permettent d’infirmer ou de nuancer tout au moins, la thèse des Parlements contreproductifs.

Des réformes en ce sens sont en cours dans les États d’Afrique noire francophone. Déjà,

elles sont perceptibles au Tchad suite aux réformes constitutionnelles de 2018 et de 2020 dont

9 Déclin, décadence, affaiblissement, abaissement, asservissement, domestication, humiliation, Parlements issus

d’élections souvent truquées, subalternisation des députés au seul Président de la République, des caisses de

résonances comparables aux chambres d’enregistrement sont les qualificatifs les plus souvent utilisés afin de traduire

la crise que connaîtrait les institutions parlementaires. V. TOULEMONDE Gilles, Le déclin du Parlement sous la Ve

République. Mythe et réalités, Thèse de Doctorat en Droit public, Université de Lille II, 1998, p. 9. 10 ADELOUI Arsène-Joël, « Les métamorphoses du Parlement béninois », in Démocratie en questions, Mélanges en

l’honneur du Professeur Théodore HOLO, op. cit., p. 489. 11 KOSSI Somali, Le Parlement dans le nouveau constitutionalisme en Afrique : essai d’analyse à partir des exemples

du Bénin, du Burkina-Faso et du Togo, Thèse de Doctorat en Droit, Université LILE 2, 2008, pp. 36 et ss ; LARRALD

Jean-Manuel, « La réforme de 2008, une réelle revalorisation du rôle du Parlement ? », CRDF, nº 10, 2012, pp. 107-

117. 12 AIVO Frédéric Joël, « Le parlement béninois sous le renouveau démocratique : réussites et échec », RADC-CRDA,

2011, pp. 1-24 ; SIETCHOUA DJUITCHOKO Celestin, « Les caractères actuels du discours des parlementaires des

États d’Afrique noire francophone », RRJ, 2010, p. 1606. 13 DOSSO Karim, « Les pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone : cohérences et

incohérences », op. Cit., p. 65.

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l’exégèse montre que le Parlement a fait l’objet d’un réaménagement important. Ces réformes

augurent-elles un renouveau ou un renforcement du Parlement ? Rien de moins sûr, certes.

Cependant, il est incontestable que les réformes engagées vont légèrement desserrer les vices

enserrant le Parlement, et partant, participer de sa revitalisation. Une telle dynamique oblige à

étudier de très près la nouvelle donne du Parlement tchadien dans le cadre du nouveau

constitutionnalisme14.

Principale institution de réalisation de l’idée démocratique15, le Parlement16 est une

instance représentative composée d’individus à qui le peuple a confié la responsabilité de le

représenter en lui soumettant le soin de définir le cadre légal dans lequel la société sera gouvernée

et de veiller à ce que ces prescriptions légales soient mises en œuvre de manière responsable par

le pouvoir Exécutif17. Il désigne l’organe législatif et de contrôle d’un État. C’est ainsi qu’on

entend ici, par Parlement, « une institution politique représentative au niveau du peuple, formée

d’une ou de plusieurs Chambres en général, investie du pouvoir de faire les lois et de contrôler

l’action du Gouvernement ».

L’institution parlementaire, autant célébrée par les textes constitutionnels actuels, est en

réalité un héritage colonial déjà présent dans les Constitutions de l’indépendance du pays et dans

celles qui l’ont suivi18. Mais celle-ci sera rapidement dévoyée quelques années plus tard au profit

d’une personnalisation, voire d’une confusion des pouvoirs au profit du Président de la

République19. L’effondrement du monolithisme politique en 1990 et l’érection d’un nouvel ordre

14 YASSINE OUMAR Mahamat, Le Parlement dans le nouveau constitutionnalisme tchadien, Mémoire de Master en

Droit public, Université de Dschang, 2021, pp. 1 et ss. 15 NDZINA NOAH Jean Marie Noël « Le pouvoir législatif dans les constitutions des États post-crise : le cas

centrafricain », RARJP, nº1, Varia, Mai 2020, p. 5. 16 Étymologiquement, le terme « Parlement », du latin parabolare, désigne à la fois la conversation et le lieu où l’on

parle. Historiquement, il a d’abord désigné des « assemblées délibérantes » dénuées de véritables pouvoirs. Trois

critères permettaient fondamentalement de définir le Parlement. Le premier caractère se rapporte au cadre

organisationnel, c'est-à-dire qu’il renvoie à un organe, une institution assurant une fonction connue et reconnue. Le

deuxième critère a trait à la collégialité, désignant ainsi la présence de plusieurs personnes ou de plusieurs membres.

Le troisième se rattache à la délibération, c'est-à-dire, après une discussion, prendre une décision qui engage

l’ensemble. Cette institution porte différentes appellations selon les pays. Aux États-Unis d’Amérique, c’est le

Congrès, en Chine l’Assemblée populaire nationale, au Cameroun le Parlement, et dans d’autres pays l’Assemblée

nationale. Quant aux structures des institutions parlementaires, certaines sont monocamérales, c'est-à-dire constituées

d’une Chambre. D’autres sont bicamérales, composées de deux chambres. 17 L’UNESCO, Guide de la pratique parlementaire, p. 5. 18 L’expression « Parlement » est apparue dans le constitutionalisme tchadien avec la Loi constitutionnelle de 1962. 19 MOYRAND Alain, « Les vicissitudes du pouvoir législatif au Tchad », RIDC, 1989, pp. 206-259.

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politique fondé sur les vertus du constitutionnalisme de la troisième vague20 permirent à

l’institution parlementaire de prendre solidement ancrage dans le paysage institutionnel du Tchad.

La Conférence Nationale Souveraine, convoquée pour exorciser le mal être politique tchadien et

conjurer une crise sociale et politique inéluctable, va servir de tremplin à la revitalisation de la

démocratie et mettre sur orbite une représentation nationale appelée à contribuer à asseoir

l’essentiel des bases régulatrices des relations sociales et des fonctions de l’État. L’adoption de la

Constitution de 1996 et l’organisation des premières élections législatives en 1997 parachèvent

l’héritage de la Conférence nationale. Dès lors, différentes mandatures se succéderont et vont jouer

leur rôle de contre-pouvoir21, malgré les vicissitudes qu’elles vont connaitre22. Ces vicissitudes

attestent de ce que le Parlement de l’ère démocratique, lui aussi, n’a pas connu une trajectoire

heureuse en raison des remous qui agitent le nouveau cycle constitutionnel et des infortunes de la

démocratie tchadienne23. Pour emporter la conviction, il se révèle que de 1997 à 2021, le

fonctionnement du Parlement est caractérisé par une instabilité chronique et la précarité des

législatures. Ainsi, aucun Parlement n’a réussi à finir son mandat24, ni à véritablement accomplir

sa mission25.

Pour toutes ces raisons, le renouveau de la puissance législative, mis en perspective par

les Forums nationaux dits « inclusifs » de 2018 et de 2020 et entériné par les différents

constituants, est attendu comme un défi de l’expérience démocratique ouverte dès 1990. Le

Parlement connait ainsi un destin nouveau qui se laisse davantage appréhender à l’aune des

réformes constitutionnelles de 2018 et de 2020. Ces réformes dévoilent qu’au regard des

modifications dont l’institution parlementaire a fait l’objet, par rapport aux Parlements précédents,

de nombreuses innovations y ont été apportées. Elles participent à aménager et dynamiser

20 CABANIS André et MARTIN Martin-Louis, Le constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique francophone,

Bruyant-Academia, 2010, 227 p. 21 Le Parlement est même allé jusqu’à démettre les membres du pouvoir Exécutif. 22 ABDELKERIM Marcelin, « La déparlementarisation du Parlement par le prisme majorité présidentielle au Tchad »,

Annales de l’Université de N’Djamena, Série B, n°06, 2018, pp. 240 et ss. 23 ABDELKERIM Marcelin et ALLAH-ADOUMBEYE Djimadoumngar, Réflexion sur la construction et

déconstruction de l’État de droit au Tchad : hommage à Hans Kelsen, 2016, 84 p. 24 Le mandat de la troisième législature élue en juin 2011 devait expirer le 20 juin 2015. Mais elle a continué de siéger

jusqu’en septembre 2021, date à laquelle le Conseil National de Transition a été mis en place. Cette prorogation n’est

pas nouvelle. La première législature avait déjà été prorogée d’un an en 2001 et la deuxième législature l’était

également de quatre ans. 25 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L’apport du Parlement à l’État de droit au Tchad, op. cit., pp. 124 et s.

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l’architecture institutionnelle du Parlement, mais aussi, à donner dans la pratique au législateur,

les outils de son efficacité relative.

Seulement, il ne faut pas perdre de vue que le système politique tchadien issu des récentes

reformes est articulé autour de la prépondérance politique et institutionnelle du titulaire de la

charge présidentielle. Dès lors, le Parlement en sort avec un rôle, non moins important, mais limité

en ce qu’il suscite un rapport malaisé avec l’Exécutif. En dépit de ce déséquilibre structurel,

généralement propre au type de régime voulu par le constituant, le nouveau Parlement se voit

rénové sur le triple plan de la représentation, des pouvoirs normatifs et de contrôle.

À cet égard, peut-on parler de renouveau du Parlement tchadien ? Cette institution,

désormais bicamérale, pourrait-elle devenir un véritable centre du pouvoir politique ? La

possibilité à elle constitutionnellement reconnue de légiférer dans des domaines plus élargis et le

renforcement de son pouvoir de contrôle sont-ils des signes d’un véritable renouveau du pouvoir

législatif ? Ces questionnements sont soutenus par une interrogation centrale qui est celle de

savoir : en quoi et dans quelle mesure le Parlement tchadien connait un renouveau ?

La pertinence de cette interrogation réside dans le dépassement des études relatives à la

crise des Assemblées parlementaires qui inondent les travaux de la doctrine africaine26. L’on

comprend dès lors que cette étude élague les procès de négation fait de tout temps aux Parlements

africains. Alors, la simplicité de la démarche de cette réflexion a le mérite de focaliser l’attention

essentiellement sur les progrès significatifs susceptibles de redonner au Parlement sa place

d’institution phare de la démocratie. Dès lors, en s’appuyant sur une démarche interprétative des

textes constitutionnels et l’histoire constitutionnelle du Tchad, il apparait que les termes du

renouveau de l’institution parlementaire sont perceptibles au double plan.

La réponse à cette question induit un double intérêt : théorique et pratique. Au plan

théorique, elle permet de jeter un regard nouveau sur le Parlement dans le nouveau

constitutionnalisme tchadien, en évaluant la portée réelle de la volonté du constituant de revaloriser

se contre-pouvoir, afin de révéler à la doctrine constitutionnaliste les mutations dont il a fait l’objet.

Au plan pratique, cette étude permet d’inscrire la nouvelle donne politique et parlementaire au

26 MOYRAND Alain, « Les vicissitudes du pouvoir législatif au Tchad », op. cit., pp. 206-259 ; AIVO Fréderic

Joël, « Le Bénin à l’épreuve du fait majoritaire », Revue africaine d’Études politiques et stratégiques, nº5, 2008, pp.

47-68 ; KANKEU Joseph, « Les missions du parlement camerounais : regards sur une illusion », Juridis Périodique,

nº73, Janvier-Février-Mars 2008, pp. 42-52.

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cœur de la conscience citoyenne, tant le scepticisme sur la réhabilitation des institutions

parlementaires persiste encore dans les esprits.

Cela étant admis, par le truchement de la mobilisation du dispositif constitutionnel

constamment en proie à des changements, il apparait qu’en droit parlementaire tchadien, le

Parlement connait une mutation tant structurelle (I) que matérielle (II).

I- LE RENOUVELLEMENT DES STRUCTURES DU PARLEMENT

Le Parlement incarne le destin de la démocratie, en ce qu’il assure, non seulement une

fonction de « représentation nationale », mais aussi la participation du peuple au pouvoir qui est

le sien, à travers ses représentants dûment élus. Le Parlement tchadien, remodelé à la suite des

réformes constitutionnelles de 2018 et 2020, redécouvre une telle valeur. Ce remodelage est sans

nul doute l’une des plus belles innovations du constituant. L’œuvre de ce dernier a consisté d’abord

en un changement structurel qui pourrait permettre à cette institution de mieux jouer son rôle

constitutionnel et politique. C’est dans cette conjoncture empreinte de mutations qu’émerge un

Parlement bicaméral (A) dont les membres n’émanent plus seulement des partis politiques, mais

également d’autres entités (B).

A- L’émergence du bicamérisme

Déjà présent dans la Constitution née du renouveau démocratique opéré au Tchad dans les

années 1990, le bicamérisme ne sera toutefois effectif jusqu’à ce que la révision constitutionnelle

de 2005 consacre l’option du monocaméralisme. À la faveur du deuxième Forum national inclusif

d’octobre 2020, qui va conduire à la révision de la Constitution du 04 mai 2018, le constituant va

consacrer, à côté de la première Chambre (1), une seconde Chambre (2). Cette option est liée aux

réformes des administrations locales et se présente comme une opportunité d’élargissement de la

représentation nationale et d’amélioration du travail parlementaire27.

2- L’amélioration de l’Assemblée nationale

Désormais Chambre basse du Parlement, l’Assemblée nationale est une vielle institutions

politico-constitutionnelle dans la dynamique institutionnelle du Tchad. Même si son destin fut

27 KUAKUVI AVITSINU, Les secondes chambres du parlement dans les États francophones : le cas du Burundi, de

le France, du Gabon et du Sénégal, Thèse de Doctorat en Droit public, Université de Lomé, 370 p ; DOUNIAN Aimé,

« Le bicamérisme dans les États d’Afrique noire francophone », RADSP, Vol V, nº9, Janvier-Juin 2017, p. 69.

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contrasté, elle fut déjà consacrée dans les Constitutions de l’indépendance du pays et dans celles

qui l’ont suivi. De son introduction au Tchad dans les années 1946 jusqu’à nos jours, la vie

politique, organisée sous la base de la démocratie parlementaire, a suivi un itinéraire sinueux, à

l’image de l’histoire politique tourmentée du pays28.

Comme souligné ci-haut, c’est la Conférence Nationale Souveraine de 1993 qui va servir de

tremplin à la revitalisation de l’Assemblée nationale. C’est au cours de ces assises que l’option

d’un ancrage réel et définitif du Tchad dans la démocratie et l’État de droit a été retenue et

concrétisée par la mise en place d’un dispositif juridique et institutionnel, et partant, l’institution

d’une Assemblée démocratiquement élue en 1997. Ce nouveau dispositif va donc procéder à la

rationalisation de la puissance présidentielle pour permettre au pouvoir Législatif de faire jouer la

règle de l’équilibre des pouvoirs. En dehors du Conseil Supérieur de Transition, issu de la

Conférence Nationale Souveraine, trois législatures démocratiques se sont succédé. La première

de 1997-2002, la deuxième de 2002 à 2011, et la troisième de 2011 jusqu’à septembre 2021. Les

travers de la pratique parlementaire rendent donc compte du renouvellement non constant de

l’Assemblée nationale. Elle a aussi fait face à de nombreuses difficultés qui ont ralenti ses activités

ou compliqué ses rapports avec l’Exécutif29.

Le 30 avril 2018, une nouvelle Constitution a été adoptée et promulguée le 04 mai de la

même année. Cette Constitution, qui sera révisée en 2020, va revigorer l’Assemblée nationale,

ancienne et unique Chambre basse du Parlement, et améliorer sa structure. Cette amélioration

certaine tient à la diminution du nombre des députés, à la redéfinition de leur mandat et à la

restauration de la suppléance.

D’abord, le nombre des députés qui vont siéger à l’Assemblée aux prochaines législatures

est revu désormais de 161 députés30 contre 188 à la troisième législature dont le mandat s’est

achevé en septembre 2021. Ensuite, la durée du mandat des députés connait une légère

augmentation, passant de 4 à 5 ans renouvelable 31 ; celle des membres du Bureau, à l’exception

28V. YASSINE OUMAR Mahamat, « Le Parlement dans le nouveau constitutionnalisme tchadien », op. cit., pp. 4 et

ss. 29 Ces difficultés sont relatives aux mœurs politiques, aux pratiques parlementaires et aux nomadismes politiques ou

transhumances du personnel politique. V. pour plus de développement, DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L’apport

du Parlement à l’État de droit au Tchad, op. cit., p. 125. 30 Art. 1er de la loi n°046/PR/2019 Portant Composition de l’Assemblée nationale. 31 Art. 113 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée.

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du Président de l’Assemblée nationale qui est élu pour la durée de la législature, passe d’une année

à deux ans et demi renouvelable32. Ce léger allongement du mandat des élus permet de mieux

intensifier leurs actions et d’éviter les prorogations répétitives. Enfin, pour assurer la continuité du

travail parlementaire, voire améliorer sa qualité, le constituant de 2018 a restauré la suppléance.

C’est dire que la suppléance au Tchad n’est pas une question nouvelle. Elle a déjà été consacrée

par la loi organique n°022/PR/2000 du 02 octobre 2000, avant d’être supprimée en 2005. En

réalité, on entend par suppléance, le remplacement temporaire d’un agent empêché ou absent par

un autre dans l’exercice de ses fonctions, qui s’opère de plein droit en vertu des dispositions

statutaires qui le prévoient33. En droit parlementaire, le suppléant est une personne élue en même

temps qu’un parlementaire, qu’elle est appelée à remplacer en cas de vacance du siège34. L’article

3 de la loi organique n°046/PR/2019 portant composition de l’Assemblée nationale dispose à cet

effet que : « Le suppléant est élu sur la même liste que le député titulaire du mandat. En cas de

vacance, par décès, démission, ou toute autre cause d’empêchement définitif, le mandat de député

est achevé par son suppléant ». La restauration de la suppléance au Tchad fait suite au

dysfonctionnement que la troisième législature a connu suite aux décès et démissions ayant réduit

le nombre des députés de 188 à 155. C’est une avancée du droit parlementaire tchadien qui a pour

objet d’assurer la continuité du mandat parlementaire en cas d’empêchement des élus titulaires.

L’Assemblée nationale, reconfigurée à la suite des constitutionnelles de 2018 et de 2020,

est dotée d’importants pouvoirs. Autant de prérogatives à mettre en œuvre, dans un contexte où le

pouvoir Exécutif a prépondérance sur le pouvoir Législatif, mais en même temps, suffisamment

de possibilités de faire d’elle un contre-pouvoir véritablement actif. Dans cette perspective, la

révision constitutionnelle du 14 décembre 2020 va rompre avec des décennies de monocamérisme

en instituant une seconde Chambre.

32 Art. 118 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée. 33 ALLAH-ADOUMBEYE Djimadoumgar, « La désinvestiture en droit public », in ONDOA Magloire et ABANE

ENGOLO Patrick Edgard (Dir.), L’exception en droit, Mélanges en l’honneur de Joseph OWONA, Paris,

L’Harmattan, 2021, p. 585. 34 GUINCHARD Serge et DEBARD Thierry, Lexique des termes juridiques, 25e édition, Paris, Dalloz, 2017-2018, p.

1962.

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2- La résurgence du Sénat

Les Constitutions africaines des premières décennies après l’indépendance avaient adopté

le bicamérisme35. Ce dernier a été très tôt mis à l’épreuve, car qualifié « d’inutile et d’anomalie ».

Le Sénat, traduction du bicamérisme, ne sera réhabilité qu’avec les reformes des administrations

locales des années 199036. Le Tchad, à l’instar du Burkina Faso37, du Cameroun, du Congo et du

Niger38, n’est pas resté en marge de la faveur dont jouissait le Sénat en Afrique à l’ouverture de

la transition. C’est ainsi qu’il va l’inscrire dans sa Constitution de 1996 en attente d’une effectivité.

Toutefois, cette institution ne sera effective jusqu’à la révision constitutionnelle de 2005, à laquelle

l’option du monocamérisme sera désormais consacrée39. Le monocamérisme va caractériser plus

de deux décennies le système politique tchadien. Le bicamérisme sera en revanche retenu dès la

mise en œuvre des résolutions du deuxième Forum national, dans le cadre de la révision

constitutionnelle du 14 décembre 2020. Les formules saisissantes de l’article 108 de la

Constitution paraissent sans équivoque à cet égard : « le pouvoir législatif est exercé par un

Parlement composé de l’Assemblée nationale et du Sénat ».

Véritable innovation, qui constitue sans doute une révolution dans la dynamique

constitutionnelle du Tchad indépendant, le Sénat est une Assemblée composée des sénateurs élus

au suffrage universel indirect. Le mode constitutionnel de leur désignation est particulier. La

particularité de ce choix électoral vient de ce que les sénateurs sont désignés par les autorités élues

des Collectivités Autonomes, notamment par un collège électoral composé des conseillers

provinciaux et communaux, pour un mandat de 6 ans40. Ce qui conduit la doctrine constitutionnelle

à considérer ces élus comme « les élus des élus »41.

35 KUAKUVI Avitsinu, Les secondes chambres du parlement dans les États francophones : le cas du Burundi, de le

France, du Gabon et du Sénégal, op. cit., p. 17. 36 DOUNIAN Aimé, « Le bicamérisme dans les États d’Afrique noire francophone », op. cit., p. 69. 37 Au Burkina Faso, la seconde Chambre du Parlement, créée en 1991 et dont le rôle a été relativement renforcé par

la révision constitutionnelle du 11 avril 2000, a été supprimée en janvier 2002, puisqu’on ne voyait plus son utilité. 38 Le Niger, comme le Tchad, va abandonner la seconde Chambre du Parlement. 39 ABDELKERIM Marcelin, Le Parlement tchadien, du bicaméralisme au monocaméralisme : la lecture des textes

constitutionnels de 1958-2005, N’Djamena, Centre AL-MOUNA, 2015, 121 p. 40 Art. 120 al. 2 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée le 14 décembre 2020. 41 GICQUEL Jean et GICQUEL Jean Éric, Droit constitutionnel et Institutions politiques, Montchrestien, Paris, 2007,

p. 656.

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De même, le Sénat fixe, par le biais d’un Règlement intérieur, les règles de son organisation

et de son fonctionnement42, marque première de la volonté du constituant de rendre autonome cette

nouvelle institution. Du point de vue de son organisation, la haute Assemblée dispose d’un

Président élu pour la durée de la législature, et d’un Bureau dont les membres sont élus parmi les

sénateurs et soumis au régime du renouvellement partiel. Ces deux organes constituent l’instance

directrice du Sénat. Pour ce qui est de son fonctionnement, il est similaire à celui de la Chambre

basse. La Constitution dispose à cet effet que « le Parlement se réunit de plein droit en deux

sessions ordinaires »43. Le Sénat peut aussi se réunir en session extraordinaire à la demande du

Président de la République ou de la majorité absolue de ses membres. Il peut toutefois se réunir en

congrès avec l’Assemblée nationale. Pour l’exercice véritable se son mandat, les membres de cette

institution nationale bénéficient d’une protection constitutionnelle due aux sénateurs44.

Si l’organisation et le fonctionnement du Sénat, ainsi que les garanties de protection de ses

membres sont de nature à lui permettre de prendre solidement ancrage dans le paysage

institutionnel du Tchad, une telle certitude se transforme en incertitude dès que l’on interroge sa

plus-value, son utilité et son adéquation au contexte actuel45. Cette incertitude se résume en une

interrogation fondamentale : une seconde Chambre pour quoi faire ? Les risques inhérents à un tel

modèle institutionnel et les trajectoires sénatoriales ont conduit le Professeur Jean GICQUEL à

constater que « le bicamérisme en Afrique est inutile en l’état actuel des choses »46. Patrice

GELARD s’y fait plutôt une idée plus reluisante, en affirmant que la seconde Chambre du

Parlement « est à la démocratie ce que la Cour constitutionnelle est à l’État de droit »47. Quoi

qu’il en soit, on ne peut se satisfaire pour le moment de telles positions, car l’institution n’est

formellement consacrée qu’en décembre 2020. Elle est donc nouvelle dans un État qui n’a pas fait

encore l’expérience du bicaméralisme. Il apparaît dès lors difficile de donner une indication sur le

réel poids politique du Sénat au regard de l’ordonnancement constitutionnel, sauf à emprunter les

42 Art. 130 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée le 14 décembre 2020. 43 Art. 133 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée le 14 décembre 2020. 44 Art. 25 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée le 14 décembre 2020. 45 GELARD Patrice, « À quoi peut donc bien servir une seconde chambre en démocratie ? », in Le nouveau

constitutionnalisme, Mélanges en l’honneur de Gérard CONAC, Paris, Economica, 2001, pp. 139-148. 46 GICQUEL Jean, « La mise en place du Conseil constitutionnel camerounais », in PRIET François (Dir.), Mélanges

en l’honneur de Henry JACQUOT, 2006, Presses universitaires d’Orléans, p. 254. 47 GELARD Patrice, Une histoire de la démocratie en Europe, Paris, Le monde, 1991, p. 35.

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sentiers d’une projection purement théorique qui n’en demeure du reste pas vraie. Toutefois, les

expériences du bicaméralisme des sociétés politiques occidentales mais surtout d’Afrique

francophone, conjuguées à l’examen de l’apport doctrinal en la matière, conduisent à retenir que

l’institution du Sénat est une opportunité dont la pratique reste autant contrastée48.

L’opportunité espérée du Sénat dans le difficile champ de la lutte des pouvoirs politiques

tient de ce qu’il se présente comme un mécanisme d’élargissement de la représentation nationale

et d’amélioration du travail parlementaire. Son importance dans l’extension de la représentation

nationale tient, à la fois, à sa vocation à répondre à la question de l’identité d’une société politique

contemporaine et à exprimer l’individu dans la diversité de ses appartenances concrètes. Ainsi,

autant la Sénat y apparaît comme un acteur des nouveaux centres du commandement que sont les

instances locales, autant il conserve la possibilité de les impulser49. Son importance à

l’amélioration du travail parlementaire, en outre, découle de ce que d’une part, l’existence de deux

Chambres au Parlement serait un gage de la garantie de la qualité des lois50 et d’autre part, le

contrôle de l’action gouvernementale serait renforcé51. L’innovation la plus marquante réside dans

le partage de compétence avec l’Assemblée nationale en matière budgétaire. Si dans certains droits

parlementaires étrangers le bicaméralisme connait quelques limites en matière financière, il en va

autrement au Tchad. C’est d’autant vrai que le constituant consacre le principe d’égalité ou de

partage de compétence entre les deux (2) Chambres dans le domaine de la loi des finances. C’est

48 MAUS Didier, « Libre propos sur le Sénat », Pouvoirs 1993/64, pp. 89-97 ; NACH MBACK Charles, « La seconde

chambre dans les nouveaux Parlements africains », Revue Africaine de Parlementarisme et de la Démocratie, Vol. 1,

1999/1, pp. 107-134 ; DOUNIAN Aimé, « Le bicamérisme dans les États d’Afrique noire francophone », op. cit., p.

69. 49 ABA’A OYONO Jean-Calvin, « libres propos sur le sénat en droit constitutionnel camerounais », Afrilex, 2015,

pp. 5 et ss. 50 Avec le système monocaméral, l’examen des trois grandes composantes du pouvoir Législatif à savoir le droit

d’initiative, le droit d’amendement et la délibération des textes de lois appartiennent exclusivement à la Chambre des

députés. L’introduction du système bicaméral, avec la seconde Chambre, permet à celle-ci de participer aussi à la

procédure législative. Elle atténue ainsi la toute-puissance d’une Assemblée unique et augmente la potentialité de

l’initiative parlementaire. L’existence de deux Chambres au sein du Parlement permet alors une meilleure division du

travail parlementaire en un double examen législatif, gage d’une meilleure confrontation des idées. V. KUAKUVI

Avitsinu, Les secondes chambres du parlement dans les États francophones : le cas du Burundi, de le France, du

Gabon et du Sénégal, op. cit., pp. 188 et ss. 51 L’art. 119 de la Constitution révisée dispose que : « le Parlement vote les lois, contrôle l'action du Gouvernement,

évalue les politiques publiques et contrôle l'exécution des lois ».

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ainsi que : « Le projet de loi des finances est déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale et du

Sénat au plus tard la veille de l’ouverture de la deuxième session ordinaire »52.

Autant, certes, de force et d’utilité à espérer du Sénat, mais autant sa condition juridique

dessine les contours d’une faiblesse institutionnelle. L’on note à cet effet que la répartition des

tâches entre les deux assemblées parlementaires ou entre celles-ci et le pouvoir Exécutif fait

ressortir une certaine inégalité juridique. Le Sénat en sort ainsi avec une fonction législative

minorée et une fonction de contrôle faible.

En fait, l’on sait qu’autant l’Assemblée nationale participe au travail législatif du

Parlement, autant le Sénat détient cette prérogative en application de l’article 19 de la Constitution

du 04 mai 2018. Toutefois, si en cas de convergence d’opinions le texte est adopté, c’est surtout

en cas de divergence que l’inégalité entre les deux Chambres émerge et la prédominance de

l’Exécutif également s’impose53. Bien plus, l’article 147 dispose que « les projets et propositions

de la loi sont soumis, par le Président de la République, à la Cour suprême, pour avis, avant d’être

examinés en Conseil des ministres ». Une disposition sans doute inédite dans la procédure

législative ordinaire des parlementaires. Elle est la traduction de la participation active de

l’Exécutif à la fonction législative54.

La participation du Sénat dans le cadre du contrôle politique connait également une faiblesse,

alors qu’il dispose des techniques assez variées pour permettre un contrôle effectif, sinon efficace.

Mais à l’analyse, ces techniques de contrôle relèvent d’outils d’information qui ne conduisent à une

sanction contre l’Exécutif. La participation mesurée du Sénat aux travaux législatifs et la réduction

de ses pouvoirs de contrôle sont les signes d’une ambiguïté à son processus d’enracinement, qui

risque d’aboutir à un bicamérisme de façade, malgré l’expression désormais plurielle des opinions

au sein du Parlement.

B- La diversification politique et sociologique du Parlement

Le Parlement tchadien connait un regain de vitalité avec l’expression désormais plurielle

des opinions qui se traduit par une importante amélioration de sa représentativité. Ce souci d’une

52 Art. 146 al. 3 de la Constitution du 04 2018 révisée. 53 Art. 154 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée. 54 SOGLOHOUN Prudent, « Les fonctions législatives du président de la République. Étude de droit comparé »,

RBSJA, 2017, pp. 83-121.

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meilleure représentativité est la preuve que le sentiment national n’est pas figé ; il peut sans doute

évoluer pour mieux refléter la nation, en tant qu’entité sociologique, et conforter la pratique de la

démocratie représentative par la démocratie de proximité. Trois entités particulières, notamment

les femmes (2), la diaspora et les nomades (1), sont désormais représentées au Parlement, et

constituent un indice particulièrement significatif du renouveau de celui-ci.

1- La diaspora et les nomades, une nouvelle identité au Parlement

La reconnaissance des droits de certains groupes particuliers et des citoyens de l’étranger

est une problématique majeure à laquelle beaucoup d’États y ont apporté une solution55 et sur

laquelle le constituant tchadien est resté muet pendant longtemps. Ce mutisme pourrait se justifier

par la prévalence de l’idéologie de « l’unité nationale »56 sous laquelle l’État tchadien a été porté

à l’existence après l’indépendance, dans l’optique de ressembler tous les ressortissants aux origines

sociologiques disparates autour d’une nation unifiée. Prenant conscience que la volonté

proclamant la nation ne reflétait pas la réalité des faits, les pouvoirs publics tchadiens vont

supplanter l’idéologie « d’individu collectif » par la reconnaissance des identités particulières.

Cette reconnaissance est l’œuvre de l’idéologie libérale, promue notamment par le renouveau

constitutionnel des années 1990. C’est ainsi que le rêve de l’égalité entre les citoyens dans la

jouissance des droits s’est transformé en réalité avec la reconnaissance des droits spécifiques au

profit de certaines entités que sont la diaspora et des nomades57. L’attachement des nomades à un

groupe et « la mondialisation de l’économie multipliant les possibilités pour les citoyens de vivre

en dehors de leur État d’origine sans y renoncer »58 justifient la prise en compte des droits de ces

55 MOUANGUÉ-KOBILA James, « Droit de la participation politique des minorités et des populations autochtones.

L’application de l’exigence constitutionnelle de la prise en compte des composantes sociologiques de la circonscription

dans la constitution des listes de candidats aux élections au Cameroun », RFDC, n°75, 2008, pp. 629-664 ; NAREY

Oumarou, « Les droits des minorités en Afrique : jeu et enjeux », Afrilex, 2012, pp. 1 et ss. 56 Au lendemain des indépendances, les États africains sont très vite confrontés à un certain nombre de problèmes

essentiels à leur viabilité, mais aussi à leur stabilité et donc à leur durabilité. Le premier de ces problèmes et

apparemment le plus urgent, était assurément celui de la construction d’une nation, interlocuteur sociologique

indispensable à tout État qui veut se consolider, et à plus forte raison d’un État construit en l’absence d’une nation.

Aussi fallait-il, dans chacun des États, engager le vaste et difficile chantier de la construction d’une unité nationale. 57 Art. 114 al. 2 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée le 14 décembre 2020. 58 OLINGA Alain Didier, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », in ONDOUA Alain (Dir.), La

constitution camerounaise du 18 janvier 1996 : bilan et perspectives, Africaine édition, 2008, p. 165.

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« entités infranationales et supranationales »59 enfouies pendant longtemps sous le prisme de

« nation unifiée ».

S’agissant de la diaspora, qui désigne ici les citoyens d’un État vivant hors de ses

frontières, la prise en compte de ses droits est restée une question récurrente et sur laquelle le

pouvoir politique est resté longtemps inflexible. Mais le fait que ces citoyens, même vivant à

l’étranger, conservent leur lien de rattachement à leur État d’origine, justifie qu’on leur reconnaisse

le droit à la participation politique. Cette reconnaissance va se manifester, d’abord, par la mise en

place des représentations institutionnelles pour défendre leurs intérêts ou assurer l’effectivité de

l’exercice d’un certain nombre de leurs droits civils. Ensuite, le développement de la citoyenneté,

sous le prisme des questions électorales spécifiques, va conduire à la reconnaissance du droit de

vote aux élections politiques du pays. Enfin, et la plus originale est la nouvelle conception qu’en

donne la Constitution de 2018 aux citoyens de l’étranger. Celle-ci les conçoit désormais, non pas

seulement comme électeurs, mais aussi comme des citoyens éligibles, leur faisant bénéficier pour

la première fois d’une représentation spécifique à l’Assemblée nationale avec des députés élus par

eux. C’est dire qu’aujourd’hui, l’expression des droits politiques de la diaspora passe soit par la

mise en œuvre de son statut d’électeur, soit par le biais de l’éligibilité au Parlement. Cet état de

fait s’impose d’ailleurs dans la mesure où « le suffrage est universel, direct ou indirect, égal et

secret ; et qu’y participent tous les citoyens »60.

La présence des tchadiens de l’étranger au Parlement est ainsi une nouveauté pour laquelle

il faut s’en réjouir, au regard du nombre de pays dépourvus de représentation parlementaire

spécifique pour la diaspora61. Le constituant tchadien, en s’inscrivant dans cette logique de culture

démocratique, organise les rapports entre gouvernants et gouvernés de telle manière que la

diaspora puisse participer soit de façon médiate, soit de façon immédiate à l’exercice de la

souveraineté. Il résulte que les citoyens de l’étranger conservent un droit de regard sur l’exercice

59 MBALLA OWONA Robert, « Le citoyen et le renouvellement du droit constitutionnel en Afrique », in ONDOA

Magloire et ABANE ENGOLO Patrick Edgard (Dir.), Les transformations contemporaines du droit public en Afrique,

op. cit., p. 139.

60 Art. 6 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée. 61 En plus du Tchad, les pays dans lesquels une représentation parlementaire de la diaspora existe sont : le Liban, la

Roumanie, le Sénégal, le Niger, et la France. V. L’Assemblée parlementaire de la francophonie, La représentation

parlementaire des citoyens expatriés, Québec, 2018, 13 p.

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par les gouvernants, du pouvoir politique62. Dès lors, ces citoyens participent à l’orientation de la

conduite des gouvernants.

En ce qui concerne des nomades, il est observable que malgré l’imprécision des critères les

déterminant, ces citoyens relevant d’un groupe social donné font leur apparition en tant qu’acteur

du jeu démocratique. Le nomadisme, faut le dire, est un mode de vie fondé sur le déplacement,

couvrant généralement des personnes sans domiciles ni résidences fixes. Leur origine et leurs

caractéristiques font de ces personnes une entité sous-représentée dans les instances décisionnelles.

Pourtant, cette entité participe de la nation étatique. Elle mérite pour ce faire reconnaissance et

protection juridique. Pour y commencer, le constituant fait d’elle un groupement politique appelé

désormais à intervenir dans le jeu démocratique, en lui réservant un quota dans les deux Chambres

du Parlement63. Cette représentation est avantageuse, car elle permet aux nomades de contribuer à

ce que leurs droits soient protégés et à ce que leurs intérêts particuliers soient pris en considération

et se traduisent par des politiques adaptées, en vue d’éviter les conflits liés à leur identité. En

application de l’article 121 de la Constitution du 04 mai 2018, le nombre des députés représentant

les nomades est fixé à cinq par une loi organique64. La représentation des femmes au Parlement

parachève la pluralité d’opinions au sein du Parlement.

2- La consécration de la parité dans l’accès au Parlement

Le constituant de 2018 fait mention de la parité65 comme un déterminant du processus

d'accès au Parlement. Il s’agit d’un principe qui bénéficie à certaines catégories de citoyens que le

constituant estime vulnérables et entend protéger davantage ; il d’agit notamment des femmes66.

De manière générale, la parité désigne un « principe selon lequel les hommes et les femmes doivent

être représentés dans certaines institutions ou partis politiques »67. Pour les Professeurs Pierre

AVRIL et Jean GICQUEL, la parité correspond à un « principe tendant à favoriser l’égal accès

62 OLINGA Alain Didier, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », in ONDOUA Alain (Dir.), La

constitution camerounaise du 18 janvier 1996 : bilan et perspectives, op. cit., p. 165. 63 Art. 121 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée. 64 Art. 1 de la loi fixant la composition de l’Assemblée nationale, le régime des inéligibilités et des incompatibilités. 65 Le concept de parité, proposé par le Conseil de l’Europe en 1989, est apparu dans les années 1990 et s’est imposé

au monde politique. V. WANDJI NJINKOUE Odette Michée, Existe-il des droits spécifiques aux femmes?, Thèse de

Doctorat en Droit, Université Grenoble Alpes, 2017, p. 369. 66 Art. 34 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée. 67 GUINCHARD Serges et DEBARD Thierry, Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2017, p. 1665.

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des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux

responsabilités professionnelles et sociales »68. Mais de manière plus précise, « la parité est un

mot comptable [...] qui signifie 50% ou un sur deux » quant à la présence des femmes et des

hommes au sein des structures publiques et politiques69.

Le constituant tchadien s’est employé à garantir cet élément ayant fortement à voir avec la

problématique du genre en vogue dans les États70. L’obligation qu’assigne le constituant à l'État

d’« assurer à tous l'égalité devant la loi sans distinction d'origine, de race, de sexe […] », finit de

convaincre. Bien plus, en prescrivant que « l'État œuvre à la promotion des droits politiques de la

femme par une meilleure représentation dans les assemblées élues, les institutions et

administrations publiques et privées »71, le constituant de 2018 pose les jalons qui sous-tendent

fortement la parité. C’est d’autant plus vrai que ces dispositions constitutionnelles sont

approfondies par l’ordonnance nº12/PR/2018 instituant la parité dans les fonctions électives et

nominatives. L’article 2 de cette ordonnance dispose qu’« un quota d’au moins 30% est affecté

aux femmes dans toutes les fonctions nominatives. Ce quota doit évoluer progressivement vers la

parié. Sous peine d’irrecevabilité, les listes de candidatures aux élections législatives et locales

sont composées d’au moins 30% de femme ». Le Code électoral énonce également de mesures

spécifiquement liées à la « démocratie paritaire » et de fait, à l’inclusion des femmes sur les listes

présentées par les partis politiques pour les élections nationales et municipales72.

L’ancrage de la parité dans l’accès à la représentation nationale vise à restructurer les

rapports hommes et femmes longtemps déséquilibrés au profit des hommes. De toute évidence,

cet ancrage doit beaucoup aux mouvements féministes ayant conduit à une réelle politique

nationale de promotion du genre ces dernières années. Une telle politique répond non seulement à

une exigence de justice ou de démocratie, mais participe aussi de la nécessaire prise en compte de

l’évolution des droits des femmes.

68 AVRIL Pierre et GICQUEL Jean, Lexique de droit constitutionnel, 4e édition, Paris, PUF, Collection Que sais-je ?

2013, p. 78. 69 MONEMBOU Cyrille, « Le genre dans la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 », in AKEREKORO Hilaire

(Dir.), Les silences de la constitution béninoise du 11 décembre 1990, op. cit., p. 130. 70 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, « L’articulation des droits fondamentaux dans les Constitutions tchadiennes

post-transitions : contribution à la garantie normative des droits fondamentaux », RIDSP, Vol. 1, n°2, Octobre 2021,

pp. 17-18. 71 Article 34 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée. 72 V. les art. 151 et 178 de la loi nº033/PR/2019 portant du Code électoral.

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De tout ce qui précède, la reconnaissance des droits de toutes les identités particulières

« suscite le renouvellement des piliers du droit constitutionnel pour le citoyen et participe de la

construction d’une démocratie rénovée »73. Au-delà de la rénovation structurelle du Parlement, la

Constitution du 04 mai 2018 révisée se démarque tout aussi particulièrement par le

perfectionnement de son cadre matériel qui conditionne aussi substantiellement la qualité du

travail parlementaire.

II- LE PERFECTIONNEMENT DU CADRE MATÉRIEL DE L’ACTION

PARLEMENTAIRE

Dans sa dimension matérielle, la Parlement s’accommode des outils et principes qui, peut-

on dire, concourent à la réalisation de ses deux principales fonctions classiques74. Sans ces outils

et principes insérés dans les textes constitutionnels, le Parlement ne peut s’affirmer. C’est dans ce

sens que ses deux fonctions font l’objet d’un perfectionnement conséquent (A). Il en est de même

de son agenda (B).

A- La dynamisation de la fonction parlementaire

Le Parlement, qui incarne un double rôle normatif et de contrôle de l’action

gouvernementale, s’est vu constamment porté à la servilité vis-à-vis de l’Exécutif, puis affirmé

progressivement. Sa fonction va être reconfigurée par la Constitution du 04 mai 2018 révisée de

manière à lui permettre de devenir un acteur de la scène politique. C’est ainsi que cette institution

est dotée d’importants nouveaux instruments de contrôle (1). Sa fonction normative connait tout à

la fois une revalorisation (2).

1- L’émergence des nouveaux mécanismes de contrôle

Il est de plus en plus admis que la fonction principale du Parlement moderne ne consiste

plus essentiellement à légiférer, mais plutôt à contrôler et à orienter le Gouvernement75.

L’institution parlementaire tchadienne incarne une telle valeur, malgré les vicissitudes qu’il

73 MBALLA OWONA Robert, « Le citoyen et le renouvellement du droit constitutionnel en Afrique », in ONDOA

Magloire et ABANE ENGOLO Patrick Edgard (Dir.), Les transformations contemporaines du droit public en Afrique,

op. cit., pp. 133-147. 74 AVRIL Pierre et GICQUEL Jean, Droit parlementaire, op. cit., p. 160. 75 KOSSI Somali, Le Parlement dans le nouveau constitutionalisme en Afrique : essai d’analyse à partir des exemples

du Bénin, du Burkina-Faso et du Togo, op. cit., p. 327.

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connait en raison de la montée en puissance de l’Exécutif. L’un des objectifs affichés des réformes

constitutionnelles de 2018 et 2020 est de rendre le Parlement plus contrôleur en redéfinissant sa

fonction de contrôle dans le sens voulu par le parlementarisme moderne76. En effet, pendant

longtemps, le contrôle parlementaire tchadien s’est exclusivement identifié à travers les moyens

classiquement connus : l’interpellation, les questions, les commissions d’enquêtes, l’audition en

commissions et la motion de censure. Les réformes de 2018 et de 2020 innovent le rôle du

Parlement en la matière, inscrivant désormais l’évaluation des politiques publiques77, le contrôle

de l’exécution des lois et la question d’actualité parmi ses missions.

L’innovation apparaissant comme la plus intéressante en matière de contrôle est

l’évaluation des politiques publiques. Pratiquée depuis longtemps par les Parlements anglo-saxons

et introduite en France par la révision constitutionnelle de 200878, ce mécanisme instaure une

nouvelle culture pour le Parlement tchadien. Il est introduit par le nouvel article 144 (5) de la

Constitution de 2018 révisée et constitue un fait à inscrire sans doute parmi les éléments les plus

marquants de la mutation du droit parlementaire tchadien. Car, pour reprendre l’expression de

Jean-Félix DE BUJADOUX à laquelle il est d’un intérêt certain de souscrire, l’institution

parlementaire aujourd’hui, c’est « un Parlement qui évalue et qui contrôle »79. Ainsi, au contrôle

classique du Parlement sur l’Exécutif, vient s’ajouter ce qu’on pourrait appeler « un contrôle sur

l’efficacité des choix gouvernementaux ». Ce qui distingue, dès lors, ce mécanisme de contrôle

d’autres activités plus classiques des parlementaires.

L’évaluation des politiques publiques n’est, en réalité, ni un contrôle de régularité de la

dépense, ni une fonction d’inspection générale des services ou, a fortiori, un contrôle juridictionnel

qui répondent à d’autres questions. Elle est plutôt un outil d’appréciation de l’efficacité des

programmes d’action gouvernementale qui permet de comparer les résultats aux objectifs et aux

moyens mis en œuvre80. Dans cette perspective, la logique de moyens s’efface, en effet, au profit

76 DE BUJADOUX Jean-Félix, « Le nouveau Parlement : la révision du 23 juillet 2008 », La Fondation pour

l’innovation politique, 2011, p. 10. 77 ARMEDRO Jean-François, « L’évaluation des politiques publiques. Structure et portée constitutionnelle d’une

nouvelle fonction parlementaire », Revue du Droit Public et de la Science en France et à l’Étranger, nº5, 2013, pp.

1137-1178. 78 DE BUJADOUX Jean-Félix, « Le nouveau Parlement : la révision du 23 juillet 2008 », op. cit., pp. 22-23. 79 Ibidem. 80 DOSIÈRE René, « Le contrôle ordinaire », op. cit., p. 45.

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d’une logique de résultat et de performance. Dès lors, cette nouvelle fonction est plus importante

qu’elle porte en elle une dynamique de l’action parlementaire. Non seulement elle serait tournée

vers le contrôle a posteriori, mais tendrait également à une démarche prospective avec la

formulation de recommandations pour l’avenir. Ce mécanisme peut ainsi conduire le Parlement à

s’interroger sur les projets des lois qui lui sont proposés en s’assurant de la qualité de ces lois et

de leur application.

L’une des innovations de la Constitution de 2018 révisée est le contrôle de l’exécution des

lois. Ce mécanisme de contrôle, posé à l’article 112, est sans doute le plus original et une des voies

les plus prometteuses pour redynamiser la fonction parlementaire. Son originalité résulte de sa

singularité au mécanisme de contrôle parlementaire tchadien. Grâce à ce mécanisme, le Parlement

retrouve enfin la possibilité de s’assurer des suites à donner à ses productions législatives. Les

énoncés constitutionnels ne précisent pas le contenu du contrôle de l’exécution des lois. Mais en

suivant les indications données par la doctrine en droit comparée, il pourrait s’agir globalement de

la vérification des suites réglementaires données aux dispositions législatives, de la pertinence et

de la fidélité à l’intention des dispositions votées. Le contrôle de l’exécution des lois a ainsi le

mérite de corriger les critiques faites, de tout temps, à la loi, notamment son foisonnement et son

ineffectivité, entrainant de facto son impuissance81.

Les questions d’actualité, in fine, sont également une des nouvelles formes

constitutionnelles des relations entre le Gouvernement et le Parlement introduites récemment par

l’article 144 (7) de la Constitution de 2018 révisée aux termes duquel : « une séance par mois est

réservée aux questions d’actualité au gouvernement ». Elles viennent s’ajouter aux deux

typologies de questions connues : les questions écrites et les questions orales, qui constituent en

fait un remède contre l’engourdissement de l’action gouvernementale au quotidien.

Si le renouveau du Parlement passe par de nouvelles prérogatives destinées à renforcer sa

mission générale de surveillance de l’action gouvernementale, la revalorisation de sa mission

législative participe également à cet objectif.

81 DJIKOLOUM BÉNAN Benjamin, « Une loi impuissante, la loi portant promotion de la santé de la reproduction au

Tchad », Revue Juridique et Politique, nº4, 2014, pp. 459-476.

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2- L’allongement du domaine de la loi et l’institution du vote des résolutions

L’un des axes majeurs de la Constitution de 2018 révisée a consisté à redéfinir le rôle du

pouvoir Législatif dans la fabrication de la loi. Les nouvelles dispositions constitutionnelles visant

à faire des deux Chambres les maîtresses de la norme législative jouent sur deux leviers. D’une

part, le Parlement voit son champ matériel d’initiative législative renforcé et d’autre part, il est

habilité constitutionnellement à adopter des résolutions.

Afin de renforcer la place de la norme législative, la Constitution de 2018 révisée apporte

une innovation considérable à cette norme en renforçant, par petites touches, l’article 121 qui

délimite depuis la Constitution de 1996 le domaine de la loi. Faut-il le souligner, le système

d’énumération limitative des objets sur lesquels peuvent porter les normes votées par le Parlement

est calqué sur l’article 34 de la Constitution française de 195882. Il est aujourd’hui un principe

majeur du trans-constitutionnalisme africain83 que le constituant tchadien de 2018 a trouvé

réducteur. C’est à ce titre qu’il revient désormais au Parlement législateur, en vertu de l’article 127

de la Constitution, de déterminer les règles relatives à « la promotion du genre, des jeunes et des

personnes handicapées » ; à « la mobilisation des ressources et des personnes dans l’intérêt de la

Défense Nationale » ; aux « principes fondamentaux de l’organisation des Forces de Défense et

de Sécurité ainsi qu’à la Charte des droits et devoirs de ses membres » ; à « la procédure civile » ;

aux « conditions d’exercice du service civique et du service militaire obligatoire » ; à

« l’obligation de la déclaration de patrimoine et la liste de personnes assujetties à cette

obligation » et à « la formule du serment confessionnel et les catégories de personnalités et agents

assujettis à cette obligation ». Il revient également à la loi de fixer les principes fondamentaux du

« Statut Général de la Fonction Publique ». Cette légère extension du domaine législatif, quoique

limitée du fait du domaine toujours plus étendu du règlement qui « fortifie la fonction normative

82 Ce principe n’est plus de mise depuis la jurisprudence audacieuse du Conseil constitutionnel. V. Décision CC 83-

162 DC du 19 juillet 1983, Démocratisation du secteur public, Rec. p. 49 ; Décision CC 84-167 DC du 19 janvier

1984, Contrôle des établissements de crédits, Rec. p. 23. 83 Le trans-constitutionnalisme se présente comme la recherche de normes et de pratiques constitutionnelles

transversales, c’est-à-dire que l’on peut retrouver dans divers États aux systèmes juridiques différents.

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de l’Administration »84, permet de soustraire certaines compétences normatives des griffes du

pouvoir Exécutif au profit du Parlement.

Par ailleurs, avec le nouvel article 112 (2), la Constitution consacre au profit du Parlement

la possibilité de voter des résolutions. À dire vrai, jusqu’à la Constitution de 2018 révisée, les

résolutions n’étaient limitées qu’à la création des commissions d’enquêtes parlementaires85. Elles

font aujourd’hui leur apparition de manière plus générale. Considérées comme des actes par

lesquels le Parlement émet un avis sur une question déterminée86, les résolutions sont de la

catégorie des « actes non législatifs »87. Désormais, non seulement elles servent d’outils de mise

en place d’organes ad hoc d’investigations, mais aussi et surtout, de moyens d’expression. La

technique des résolutions, pour reprendre les propos Professeur Jean-Manuel LARRALDE, « évite

d’utiliser la loi pour des prises de position politiques »88, mais aussi l’adoption de lois dénuées de

portée normative. Sous cet angle, leur introduction parmi les mécanismes constitutionnels

d’actions parlementaires est une tendance profonde de l’évolution des modes d’expressions des

parlementaires. Toutefois, si la possibilité de prendre des résolutions ne souffre peu, voire pas de

contestation, une telle certitude s’éloigne dès que l’on s’intéresse à leur autorité. Ainsi, les

résolutions restent assez limitées en raison de leur valeur non contraignante. C’est dire qu’en aucun

cas, les résolutions ne peuvent conduire à la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement.

Et si elles sont prises, non plus, ne peuvent constituer des injonctions adressées au Gouvernement.

Tout de même, il est postulé que les résolutions peuvent avoir une autorité morale et politique

considérable. Elles peuvent, dans ce cas, avoir une influence sur l’action de l’Exécutif qui sera

tenu souvent d’orienter sa politique en fonction des résolutions qui lui sont adressées89.

Les détours de toutes ces analyses montrent que la valorisation de l’institution parlementaire

est la conjonction d’autant de prérogatives à mettre en œuvre que de possibilités de faire d’elle un

84 ABANE ENGOLO Patrick Edgard, « La spécificité des cadres de l’action administration en Afrique », in ONDOA

Magloire et ABANE ENGOLO Patrick Edgard (Dir.), Les transformations contemporaines du droit public en Afrique,

op. cit., p. 39. 85 Art. 148 du Règlement intérieur. 86 HOUILLON Philippe, « Le contrôle extraordinaire du Parlement », op. cit., p. 64. 87 DOMINGO Laurent, Les actes internes du Parlement, Paris, LGDJ, 2008, pp. 20 et ss. 88 LARRALD Jean-Manuel, « La réforme de 2008, une réelle revalorisation du rôle du Parlement ? », op. cit., p. 11. 89 KOUPOKPA Tikonimbe, Le modèle constitutionnel des États d'Afrique noire francophone dans le cadre du

renouveau constitutionnel : le cas du Bénin, du Niger et du Togo, Thèse de Doctorat en Droit public, Université de

Gand (Belgique) et Université de Lomé (Togo), 2011, p. 116.

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contre-pouvoir productif. Au nombre de ces possibilités, figure celle qui participe de la rénovation

de son cadre d’expression quotidienne de cette institution.

B- Le réaménagement de l’agenda parlementaire

L’un des axes majeurs du constituant de 2018 a pour vocation de limiter les moyens de

pression ou de contrainte excessifs dont dispose le Gouvernement dans le calendrier parlementaire.

L’innovation en la matière renvoie aux modalités de fixation de l’ordre du jour, qui est désormais

arrêté par chaque Assemblée et non par le Gouvernement (1). Corrélativement, le temps

parlementaire90 s’en trouve revalorisé (2). La volonté du constituant à travers ces deux leviers de

réhabilitation des institutions parlementaires est claire : donner aux Assemblées la maîtrise de leurs

travaux et éviter le vote de lois bâclées en raison de l’insuffisance du temps d’examen lors du

passage en commission.

1- La maitrise par le Parlement de son ordre du jour

L'ordre du jour est la liste des sujets que le Parlement doit aborder au cours d'une séance.

Sa fixation est un élément important de la vie parlementaire, qui traduit la hiérarchie des

préoccupations du Parlement et du Gouvernement91. S’affirmant ainsi, l’ordre du jour participe de

la structuration des rapports entre les deux pouvoirs. Il préside fondamentalement à l’agenda des

travaux des élus de la Nation, car les projets et les propositions de loi, après avoir été déposés,

distribués puis étudiés par la commission législative, doivent venir en discussion devant

l’assemblée plénière. Cette étape finale n’est possible que par l’inscription du texte à l’ordre du

jour. Au demeurant, le rôle des autorités qui l’exercent est important pour l’orientation du travail

législatif. À cet effet, le droit parlementaire retient deux solutions92. Il peut soit être fixé par le

Gouvernement, soit par le Parlement. Au Tchad, la fixation de l’ordre du jour parlementaire

connait une évolution. En effet, l’article 136 de la Constitution de 1996 réservait, par principe, au

Gouvernement la priorité dans le travail législatif. Cette disposition posait le principe de l'ordre du

90 JAN Pascal, « Les temps parlementaires », in TOULEMONDE Gilles et CARTIER Emmanuel (Dir.), Le Parlement

et le temps. Approche comparée, Paris, LGDJ, 2017, pp. 169-176. 91 FAVOREU Louis et autres, Droit constitutionnel, op. cit., p. 799. 92 KOSSI Somali, Le Parlement dans le nouveau constitutionalisme en Afrique : essai d’analyse à partir des exemples

du Bénin, du Burkina-Faso et du Togo, op. cit, p. 141.

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jour prioritaire au détriment de l’initiative parlementaire. La partie prioritaire relevait donc de la

volonté du Gouvernement qui pouvait y inscrire ses propres projets et les propositions des

parlementaires qu'il voulait bien accepter de voir discuter. Le Gouvernement faisait connaître ses

intentions à la Conférence des présidents qui ne pouvait que les entériner. De cette manière, non

seulement le Gouvernement peut faire discuter rapidement ses projets de loi, mais surtout retarder

ou bloquer l’examen des propositions de loi qu’il estime inopportunes.

Dans le but évident de revaloriser les pouvoirs du Parlement et de conférer aux

parlementaires davantage d'autonomie, la Constitution de 2018 modifie le système de l'ordre du

jour, qui, selon l’article 144, est désormais déterminé par la Conférence des présidents. Cette «

fenêtre parlementaire » semble, à première vue, permettre aux initiatives parlementaires d’être

inscrites à l’ordre du jour déterminé librement par la Conférence des présidents. Le constituant de

2018 met ainsi fin à « la présidentialisation ou à la déparlementarisation du Parlement »93, qui

empêche l’institution de disposer librement de son ordre du jour. Mais à l’analyse, cette

prérogative n’est qu’un trompe-l’œil ; de manière tout à fait contradictoire, elle semble largement

être amoindrie par les priorités gouvernementales. Les alinéas 2 et suivants de l’article 144 de la

Constitution sont très clairs à ce sujet : « Trois semaines de séance par mois sont réservées par

priorité à l’ordre fixé par le Gouvernement ; une séance par semaine est réservée à l’examen et à

l’adoption des propositions de loi ; deux séances par session sont réservées au contrôle et à

l’évaluation des politiques publiques ; une séance par quinzaine est réservée aux questions des

députés et aux réponses du Gouvernement ; une séances par mois est réservées aux questions

d’actualité au Gouvernement ». L’examen de cette disposition donne acte de la consécration d’une

« super priorité » gouvernementale.

2- La redéfinition du régime des sessions parlementaires

Le Parlement ne siège pas en permanence, souligne à juste titre le Doyen Louis

FAVOREU94. Il est soumis à des sessions bien déterminées pour que le travail législatif, le vote

du budget et le contrôle politique soient assurés dans de bonnes conditions. Les sessions sont en

93 Cette expression empruntée à Marcelin ABDELKERIM traduit la prise en otage du Parlement ou la forte implication

de l’autorité du Président au Parlement. V. ABDELKERIM Marcelin, « La déparlementarisation du Parlement par le

prisme majorité présidentielle au Tchad », op. cit., p. 273. 94 FAVOREU Louis et autres, Droit constitutionnel, op. cit. p. 796.

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fait des périodes de l’année, dont le nombre et la durée peuvent varier, au cours desquelles une

Assemblée peut se réunir et exercer ses fonctions.

La Constitution de 1996 et celle de 2018 révisée en 2020 prévoient deux sessions ordinaires

de plein droit chaque année, l’une en mars, l’autre en septembre95. La durée des sessions ordinaires,

sous l’ancien régime constitutionnel, était initialement très brève. Elle ne pouvait excéder 90 jours,

et la session principalement consacrée au vote du budget durait 80 jours96. Ce laps de temps limité

ne permettait pas aux rapporteurs des commissions saisies au fond de travailler de manière

approfondie et rigoureuse. Les amendements déposés en commission apparaissent alors

insuffisamment préparés. Ce qui oblige à convoquer des sessions extraordinaires à l’initiative du

Président de la République ou de la majorité des membres du Parlement. Or, comme le remarque

le Professeur Pierre AVRIL, le temps joue dans la procédure législative un rôle beaucoup plus

important qu’on ne l’imagine97.

Au regard de tout ceci, les réformes de 2018 et de 2020 vont redéfinir le temps réservé au

travail parlementaire. Elles donnent ainsi au Parlement plus de temps pour légiférer mieux et

étudier de manière plus approfondie le projet de lois de finances soumis à sa délibération. Ainsi,

aux termes de l’article 133, la durée de la première session ne peut excéder 150 jours et celle de la

deuxième session ne saurait excéder 120 jours, soit 60 jours de plus pour la première session et 30

jours de plus pour la deuxième session, par rapport notamment à l’ancien régime. La session

consacrée au vote du budget, elle aussi, connait un allongement de plus de 20 jours, passant

dorénavant de 80 à 100 jours98. Ces délais légèrement étendus sont directement la marque de la

volonté de revalorisation des commissions qui seront saisies au fond et qui devraient être

désormais assurées de bénéficier du temps suffisant.

95 Art. 118 de la Constitution de 1996 et 133 de la Constitution de 2018 révisée. 96 Art. 129 al. 4 de la Constitution de 1996. 97AVRIL Pierre, « Premier bilan de la réforme de la procédure législative », Nouveaux Cahiers du Conseil

constitutionnel, n°32, Juillet 2011, cité par JAN Pascal, « Les temps parlementaires », in TOULEMONDE Gilles et

CARTIER Emmanuel (Dir.), Le Parlement et le temps. Approche comparée, op. cit., p. 9. 98 Art. 146 al. 6 de la Constitution de 2018 révisée.

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Conclusion

Comme les autres Parlements des États de l’Afrique noire francophone, malgré toutes les

critiques plus ou moins acerbes dont il a pu faire l’objet, il se dégage de cette analyse que le

Parlement tchadien trouve aujourd’hui son regain de vitalité, et est devenu une institution rénovée

sur le triple plan de la représentation, des pouvoirs normatifs et de contrôle.

Sur le plan de la représentation, l’on note avec aise qu’au Parlement monocaméral se

substitue un Parlement bicaméral dont les membres n’émanent plus seulement des partis

politiques, mais sont issus également d’autres entités infranationales et supranationales. Cette

option se présente comme une opportunité d’élargissement de la représentation nationale et

d’amélioration du travail parlementaire. Du point de vue de ses fonctions classiques, le Parlement

bénéficie d’importants nouveaux instruments de contrôle. Sa fonction normative connait tout à la

fois une revalorisation. De même, le cadre d’expression quotidienne de l’institution fait l’objet

d’un réaménagement nécessaire à sa vitalité.

Si tous ces atouts augurent des lendemains meilleurs pour la démocratie parlementaire

naissante, il reste vrai que la fonction parlementaire subit encore une certaine limite juridique, en

raison d’un certain nombre de mécanismes de rationalisation du parlementarisme. Ce qui incline

à se demander si le renouveau du Parlement tchadien, théoriquement perceptible, aura lieu. Quoi

qu’il en soit, c’est à l’aune du temps que ce renouveau annoncé sera apprécié à sa juste valeur.

Mais déjà, il est judicieux que cette circonstance heureuse soit conjuguée « au recrutement des

parlementaires suivant certains critères de qualité et à la volonté du peuple », comme le relève le

Professeur Célestin SIETCHOUA DJUITCHOKO99. Ce qui conduirait à l’assainissement des

mœurs politiques et pratiques parlementaires, mais incidemment aussi, au perfectionnement du

travail parlementaire. C’est certainement à ce prix que l’on passera du renouveau constitutionnel

du Parlement tchadien à son effectivité concrète.

99 SIETCHOUA DJUITCHOKO Célestin, « Les caractères actuels du discours des parlementaires des États d’Afrique

noire francophone », op. cit., p. 1611.

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Les détournements de crédits d’indemnisation en matière

d’expropriation pour cause d’utilité publique en droit camerounais

Par :

Grégoire Narcisse MANGA TSOUNGUI

Doctorant en droit public

Université de Douala (Cameroun)

Résumé :

En droit camerounais, la réalisation des projets d’utilité publique nécessite généralement

de vastes étendus de terre. Pour l’acquisition de ces terres, l’Etat recourt souvent à la procédure

d’expropriation pour cause d’utilité publique. Conformément aux textes internationaux et

Camerounais en la matière, lorsque cette procédure exorbitante du droit commun est mise en

œuvre, les personnes qui en sont victimes, c’est-à-dire les expropriés autoritairement dépossédés

de leurs terres, doivent, en contrepartie, se voir allouer une indemnité compensatrice.

Malheureusement, ces indemnités appelées en jargon administratif crédits d’indemnisations

n’arrivent pas toujours à leurs destinataires. L’une des raisons qui explique cette situation, c’est

le détournement de ces fonds de contrepartie opérés par certains administrateurs ou hautes

personnalités intervenant de près ou de loin dans la procédure d’expropriation. Ces derniers, par

des manœuvres frauduleuses, recourent à des mécanismes leur permettant de faire main basse sur

les crédits d’indemnisation aussi bien avant qu’après la Déclaration d’utilité publique. Il est alors

impérieux d’arrêter la saignée si l’on veut rendre l’exécution des grands projets rapide et

préserver la paix sociale. Pour cela, l’Etat devra prendre un certain nombre de mesures

dissuasives telles que préconisées dans la présente réflexion.

Mots clés : Détournements des Crédits d’indemnisation-Expropriation pour cause d’utilité

publique.

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Introduction

La propriété est un pilier essentiel des Droits de l’Homme1. Le but de toute

association politique est la conservation de ce droit à l’instar des droits naturels et

imprescriptibles de l’Homme2. Cependant, les citoyens peuvent dans certains cas être privés de

leur droit de propriété. Il en est aussi notamment en cas d’expropriation pour cause d’utilité

publique. Cette dernière est un mode de cession forcée qui vise le droit à la propriété privée. Un

droit inviolable et sacré protégé par les textes nationaux3 et internationaux4. En réalité, tout Homme

imagine qu’il restera propriétaire de son bien et de ce qu’il possède. Cette propriété est l’objet de

ses espoirs et l’avenir de sa famille ; c’est le pilier de toute de sa vie. Néanmoins, pour la réalisation

des projets d’intérêt General, l’Etat est souvent amené à s’approprier des biens appartenant à des

particuliers. Dans cette optique, la constitution et les autres textes législatifs et règlementaires lui

permettent de recourir à l’une de ses prérogatives de puissance publique, en l’occurrence

l’expropriation pour cause d’utilité publique. L’opérationnalisation de cette procédure est

suspendue à l’observation de deux principales conditions à savoir : l’utilité publique5 et

l’indemnisation6. Ces conditions motrices de la mise en œuvre de l’expropriation font parfois

l’objet de transgressions administratives répétées7. Dans le cadre de cette réflexion, l’on va

exclusivement s’attarder sur la violation de la seconde condition, c’est-à-dire, la contrepartie

financière devant être allouée aux expropriés. L’expérience camerounaise des expropriations

démontre que celle-ci est en partie liée au détournement des crédits d’indemnisation.

1 KAMYAR (G), L’expropriation pour cause d’utilité publique en droit français et en droit iranien ; contribution à

l’évolution du droit iranien, thèse de doctorat soutenue à l’université de Jean-Moulin (Lyon III),2013, p.32. 2 Idem. 3 Voir à cet effet, d’abord la constitution camerounaise du 18 janvier 1996 dans son préambule qui dispose que « La

propriété est le droit d’user, de jouir et de disposer des biens garantis à chacun par la loi. Nul ne saurait en être privé

si ce n’est pour cause d’utilité publique et sous la condition d’une indemnisation dont les modalités sont fixées par la

loi » ; ensuite la loi n° 85/009 du 04 juillet 1985 relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique et aux modalités

d’indemnisation, et enfin le décret n° 87/1872 du 16 décembre 1987 portant application de la loi n° 85/009 du 04

juillet 1985 relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique. 4 Voir les article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 aout 1789 ; l’article 17 (1) de la

Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 ; l’article 14 de la charte Africaine des droits

de l’Homme et des peuples du 27 Juin 1981. 5 OWONA (J), Domanialité publique et expropriation pour cause d’utilité publique au Cameroun, L’Harmattan, Paris,

2012, p.60 ; Voir également ATANGANA (E-P), L’utilité publique en droit administratif camerounais, Thèse de

doctorat Ph/D en droit public, Université de Yaoundé II-Soa, 25 Janvier 2020, p.160. 6 OWONA (J), Domanialité publique et expropriation pour cause d’utilité publique au Cameroun, op.cit ; p. 87. 7 MANGA TSOUNGUI (G-N), Les moyens de l’expropriation pour cause d’utilité publique en droit camerounais,

Thèse de doctorat Ph/D en Droit Public, Université de Douala, année académique 2018-2019, pp. 209 et s.

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Le détournement des crédits d’indemnisation constitue une véritable gangrène qui rend

difficile la réalisation des projets d’intérêt général. C’est paradoxalement au lendemain du discours

prononcé par le Chef de l’Etat camerounais au Palais de Congrès en 2006 en ces termes « Ceux

qui se sont enrichis aux dépens de la fortune publique devront rendre gorge (…). Les délinquants

en col blanc n’ont qu’à bien se tenir ! »8, que des détournements colossaux visant à spolier les

caisses de l’Etat ont été orchestrés par plusieurs autorités administratives de la République. Ces

attitudes condamnables ont causé un profond dommage à l’Etat du Cameroun quand on connait

les différents défis auxquels il est confronté. Ainsi, dans le cadre de la réalisation des projets

structurants9, l’on a recensé d’innombrables cas de détournements des crédits d’indemnisation10.

Toute chose laissant penser que la réalisation des grands projets est consubstantielle au

détournement des crédits d’indemnisation. Le choix porté sur cette thématique ne s’est pas fait ex-

nihilo. Celui-ci est justifié par les contexte économique, social et judiciaire.

Le contexte économique le justifie d’une part, par l’insuffisance des ressources financières

concourant à la réalisation des grands projets et d’autre part par l’accroissement de la dette du

Cameroun. Relativement au premier aspect, il faut souligner ici que les détournements des crédits

d’indemnisation perpétrés par certaines autorités administratives se déroulent à un moment où le

Cameroun fait face à une carence accrue des moyens financiers pouvant lui permettre d’atteindre

ses objectifs notamment la réalisation des grands projets structurants11. Cette carence répétée se

matérialise doublement à savoir par l’insuffisance ou le manque des ressources financières. Quant

au second aspect à savoir, la montée en puissance de la dette du Cameroun. Il faut bien se le dire

que la réalisation des grands projets engagés par l’Etat du Cameroun nécessite la mobilisation des

moyens financiers suffisants12. De ce fait, le Cameroun qui fait parfois face à de nombreux défis

8 Discours d'ouverture et de politique générale du président Paul Biya au 3ème congrès extraordinaire du RDPC, 21

juillet 2006. 9 Les grands projets au Cameroun sont non seulement des projets d’intérêt économique national, mais aussi permettent

la création de nouveaux instruments de production et/ ou de transformation (grandes exploitations agropastorales,

unité de transformation, etc.), la construction d’ouvrages nouveaux permettant le développement et la diversification

de la production (centrales hydroélectriques), ainsi que la construction de nouvelles infrastructures de transport (ports,

autoroutes, etc.). 10 Pour ne citer que ceux-ci, l’on a noté le détournement des crédits d’indemnisation dans le cadre de la construction

de certains projets structurants notamment le Complexe industrialo portuaire de Kribi, l’autoroute Yaoundé-Douala

(plus précisément à Lobo arrondissement situé dans le département de la lekié, région du Centre), ou encore le Barrage

de la Mape (Région de l’Adamaoua, département du Mayo Banyo, arrondissement de Bankim) 11 Voir BOUBAKARI (O), Expropriation pour cause d’utilité publique et mise en œuvre des grands projets au

Cameroun, Rapport d’intervention en vue de l’obtention du Master Management des organisations publiques,

ISMP,année académique 2018-2020,P.23-24.. 12 Voir Mensuel « investir au Cameroun », n° 49, Mai 2016, p. 12.

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se trouve généralement dans l’obligation de souscrire à des emprunts auprès de ses partenaires

financiers en vue de la réalisation des infrastructures gigantesques13. Ces crédits d’indemnisations

font parfois partie intégrante des fonds empruntés par l’Etat Camerounais. Le fait que ces fonds

d‘indemnisations fassent l’objet sans cesse de détournement conduit à deux principales

conséquences : La première étant relative à la décrédibilisation de l’Etat camerounais vis-à-vis de

ses partenaires financiers. La seconde étant la lenteur des travaux d’utilité publique pourtant

engagés avec accélération mais stoppés nettement par des détourneurs des crédits d’indemnisation.

Le contexte social n’est pas en reste. Il est notamment marqué non seulement par les difficiles

conditions de vie des expropriés en particulier et des citoyens en général mais aussi par la

permanence des conflits entre l’Administration et les expropriés. Sous le premier angle, comme le

dit Kamyar « Cette propriété est l’objet de ses espoirs et l’avenir de sa famille. C’est le pilier de

toute sa vie. »14. Les administrateurs s’activent à rendre vulnérable les populations par de tels actes

de détournements. C’est donc dans ce contexte que quelques administrateurs en leurs diverses

qualités trouvent nécessaire de s’emparer des fonds dédiés uniquement aux expropriés. Cet acte

de détournement concourt davantage à paupériser lesdites populations et par conséquent à créer

des inégalités dans la société. Par ailleurs, l’on note également des conflits permanents opposant

l’Administration et les populations riveraines notamment les expropriées. Ces conflits résultent de

l’absence de paiement des indemnités aux expropriés. Ces différends se matérialisent

généralement par le refus de libérer le site d’expropriation de la part ders expropriés. Ce refus

conduit indubitablement à l’arrêt des travaux15.

In fine, le contexte judiciaire a constitué également le choix de cette thématique. En effet,

l’on a assisté à des arrestations massives des autorités administratives et assimilés pour

détournements des crédits d’indemnisation à des fins personnelles. Ainsi, l’on a vu défilé devant

le Tribunal Criminel Spécial des autorités faisant partie des commissions de constat et d’évaluation

13 C’est le cas des Barrage réservoir hydroélectrique de Lom Pangar, de Memve’ele, de Mekin, ou des autoroutes en

cours de construction (autoroute Yaoundé-Douala, autoroute Yaoundé-Nsimalen Autoroute Douala-Limbé »,

Autoroute Edéa-Kribi-Lolabè…la liste étant loi d’être exhaustive. 14 KAMYAR (G), L’expropriation pour cause d’utilité publique en droit français et en droit iranien ; contribution à

l’évolution du droit iranien, Thèse de doctorat Ph/D en droit public interne Université Jean Moulin (Lyon 3), 2013,

p.25. 15 Voir Autoroute Yaoundé-Douala ou encore Autoroute Yaoundé-Nsimalen.

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dans le département de l’Océan16, dans le département du Mayo-Banyo17, dans le département de

la Lekié18.Ces différentes interpellations ont mis en cause des autorités administratives, des

individus ou encore des sociétés qui en coaction ou en complicité, ont délibérément décidé

d’accaparer la fortune publique, c’est-à-dire des crédits d’indemnisation au détriment des

populations expropriées.

Pour une meilleure compréhension de ce travail, la clarification des mots clés est une

nécessité. Dans cette perspective, deux mots clés doivent faire l’objet de définition. Il s’agit

notamment de détournement de crédits d’indemnisation et expropriation pour cause d’utilité

publique. Pour la clarté de la définition, il importe de disséquer le mot clé ‘’détournement des

crédits d’indemnisation’’. Dans cette optique, l’on s’attardera d’abord sur la notion de

détournement avant de voir celle de crédits d’indemnisation Le détournement traduit l’action de

soustraire frauduleusement une chose ou encore éloigner cette chose de sa destination initiale. De

leur part, les crédits d’indemnisation sont des fonds publics destinés à désintéresser les personnes

victimes d’expropriation. In globo, les détournements des crédits d’indemnisation sont

appréhendés comme « une atteinte aux droits d’autrui sur des fonds, au besoin par une

appropriation, en abusant de la confiance donnée par autrui »19. Dans l’approche de la présente

réflexion, l’on peut aisément affirmer que le détournement des crédits d’indemnisation est l’action

de porter atteinte aux indemnités allouées aux expropriés à des fins personnelles consécutivement

à l’expropriation pour cause d’utilité publique par l’Etat20.

Quant à la notion d’expropriation pour cause d’utilité publique, elle désigne « une procédure

par laquelle une personne publique impose à un propriétaire la cession d’un droit, le plus souvent

16 Cas du Complexe industrialo portuaire de Kribi. 17 Cas du barrage de la Mape. 18 Cas de l’autoroute Yaoundé-Nsimalen. 19 Lexique des termes juridiques 2017-2018, p.739. 20 Les articles 432-15 et 433-4 du code pénal français définissent les détournements des fonds publics comme étant

« le fait pour un agent de détruire, détourner ou soustraire des fonds ou des biens publics qui lui ont été remis en

raison des fonctions ou de sa mission ». De son côté, la loi n° 2016/007 du 12 juillet 2016 portant code pénal en

République du Cameroun en son article 184 dispose que le détournement des biens publics est assimilé à toute action

initiée par quiconque consistant par quelque moyen que e soit à obtenir ou retenir frauduleusement « quelque bien que

ce soit, mobilier ou immobilier,appartenant,destiné ou confié à l’Etat unifié, à une coopérative, collectivité ou

établissement, ou publics soumis à la tutelle administrative de l’Etat ou dont l’Etat détient directement ou

indirectement la majorité du capital… »

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immobilier, dans un but d’utilité publique, moyennant le paiement d’une juste et préalable

indemnité »21.

L’importance de cette thématique est de taille. Elle permet de remettre au gout du jour le

sempiternel problème de détournements des deniers publics, plus particulièrement en matière

d’expropriation. Le détournement des crédits d’indemnisation dans le cade de la réalisation des

grands projets au Cameroun est devenu banal voire la chose là mieux partagée. L’on est alors tenté

de dire à chaque réalisation de projet d’investissement, correspond un détournement

méthodiquement orchestré des crédits d’indemnisation. La présente étude permet de percevoir,

d’appréhender et d’exposer les différentes astuces mises sur pied généralement par certaines

autorités administratives dans l’optique de dévier la réelle destination des crédits d’indemnisation.

Cet article se présente donc comme un appel de prise de conscience des hautes autorités de la

République pour prendre sérieusement cet épineux problème de détournement des crédits

d’indemnisation à bras le corps. Acte qui asphyxie l’accélération des travaux d’utilité publique

mais également tend à envenimer la cohésion sociale. Le cadre méthodologique quant à lui

s’appuie sur les différents textes en vigueur au Cameroun, les textes étrangers ainsi que la

jurisprudence, notamment celle relative aux décisions du juge du Tribunal Criminel Spécial.

Au Cameroun, les crédits d’indemnisation en matière d’expropriation font l’objet la plupart

du temps d’accaparement par certaines autorités administratives qui usent de fourberies diverses

afin de siphonner les caisses étatiques. Partant de ce constat, l’on est en droit de savoir quels sont

les différents mécanismes de détournement des crédits d’indemnisation que l’on observe en

matière d’expropriation pour cause d’utilité publique au Cameroun ? Cette question est pertinente

parce qu’elle permet d’apprécier le mode opératoire de certaines autorités administratives pour

détourner les crédits d’indemnisation. Les démarches entreprises en ce sens amènent à constater

sur la base des différents rapports et décisions de certaines institutions, que les détournements des

crédits d’indemnisation peuvent être perpétrés avant même l’édiction de la DUP (I) mais aussi

postérieurement à la DUP (II).

21 GODFRIN (P), DEGOFFE (M), Droit administratif des biens, Domaine, travaux, expropriation, 8e éd ; Paris,

2007, p.378.

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I- LES MÉCANISMES ANTÉRIEURS À LA DÉCLARATION D’UTILITÉ

PUBLIQUE

La pratique des détournements des crédits d’indemnisation est une réalité vivante au

Cameroun. En amont, elle est l’œuvre de certaines autorités de l’administration centrale. Ces

dernières usent de toute sorte de subterfuges pour commettre leurs forfaits. Avant l’édiction de la

DUP, lesdites autorités développent des voies et moyens pour accaparer des terres afin plus tard

d’être indemnisées. Pour ce faire, plusieurs instruments sont ainsi mobilisés et mis à contribution

pour l’atteinte de ce crime. Etant à des positions privilégiées, elles matérialisent systématiquement

ces détournements par la pratique des délits d’initiés et de corruption (A) qui favorise l’invasion

tendancieuse des dépendances soumises à expropriation (B).

A- La systématisation de pratique des délits d’initiés et de corruption

La recherche effrénée du gain n’est pas seulement l’apanage des simples citoyens. Elle est

aussi le fait de certaines hautes autorités, surtout quand il s’agit d’être indemniser à hauteur des

centaines de millions à la suite d’une expropriation dont elles pourraient être victimes. C’est alors

qu’une fois informés de la réalisation des projets dans une localité, quelques administrateurs

n’hésitent pas à user des pratiques illégales dans la perspective d’accaparer les terres et de pouvoir

recevoir une indemnité conséquente au moment de l’expropriation. Il s’agit généralement des

délits d’initiés (1) et des pratiques de corruption (2).

1- La généralisation des délits d’initiés comme technique d’accaparement des terres

Pour une meilleure compréhension du lien existentiel entre les crimes d’initiés et

l’accaparement des terres, il convient nécessairement de cerner la définition des délits d’initiés.

En effet, la législation pénale camerounaise notamment la loi du 12 juillet 2016 portant Code

pénal a tôt fait de donner un plein contenu à cette notion. Il en découle alors de l’article 135-1 que

le délit d’initié est toute action consistant pour « a) des dirigeants d’une société commerciale ou

industrielle et pour les personnes disposant, à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de

leurs fonctions, d’informations privilégiées sur la situation ou les perspectives d’un émetteur dont

les valeurs mobilières sont négociées sur le marché, de réaliser ou de permettre sciemment de

réaliser, directement ou par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public

ait connaissance de ces informations et avec pour but de réaliser un but indu ;

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b) Pour toute personne disposant à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, d’informations

privilégiées sur la situation ou les perspectives d’un émetteur dont les valeurs mobilières

sont négociées sur un marché, de les communiquer à un tiers en dehors du cadre normal

de sa profession ou de ses fonctions et avec pour but de réaliser un profit indu ;

c) Le fait pour toute personne disposant à l’occasion de l’exercice de ses fonctions,

d’informations privilégiées et soumise au secret professionnel, relative à la réalisation

d’un projet par l’Etat, une collectivité décentralisée ou toute autre personne morale de

droit public, d’utiliser lesdites informations pour se permettre ou permettre à autrui de

poser des actes à son profit de manière à faire retarder le projet envisagé ou de le grever

des charges supplémentaires. »22.

Il faut dire que ces délits d’initiés ont été fortement commis dans le cadre de la réalisation du

Complexe Industrialo Portuaire de Kribi (CIPK)23. Le projet de construction du port en eau

profonde au Cameroun ne date pas d’aujourd’hui. En effet, il a été initié par le gouvernement

camerounais dans les années 80 en vue de promouvoir l’exploitation et la commercialisation des

nombreuses ressources minières dont regorgent les régions du sud et du sud-est du pays (bois,

bauxite, fer, nickel, rutile, gaz naturel etc.). En 2008, ce projet est remis à l’ordre du jour des projets

à engager dans le cadre de la politique de relance de l’économie nationale, à la faveur de l’atteinte

du point d’achèvement de l’initiative PPTE24 marquée par l’allégement de la dette et la possibilité

pour l’État de relancer les investissements publics25.

Dans le cadre de la réalisation de cette gigantesque infrastructure, les populations ont

reproché aux élites et aux autorités d’user de leurs positions dominantes pour commettre des délits

d’initiés : « en acquérant en amont des terrains aux prix bas auprès des villageois, en vue de

réaliser des plus-values lors de l’expropriation »26.

22 En France, l’article 432-12 évoque plutôt la notion de « prise illégal d’intérêt » en disposant que c’est « le fait

pour tout agent de prendre, recevoir ou conserver un intérêt personnel dans une affaire dont il a à connaitre à

l’occasion de ses fonctions ». 23 Le Port de Kribi est créé suite au Décret n° 99/132 du 15 Juin 1999 portant création du Port Autonome de Kribi

signé par le Chef de l’Etat, S.E Paul Biya. 24 Pays pauvres très endettés. 25 NNOMO ELA (S-P), Le port de Kribi : force ou menace pour la proposition d’inscription des chutes de la Lobe

sur la liste du patrimoine de l’UNESCO et pour l’identité des populations riveraines, Master en techniques,

patrimoines, territoires de l’industrie : Histoire, valorisation et didactique, Université de EVORA, Octobre 2016, p.47. 26 LADO (H), « Prédation et expropriation pour cause d’utilité publique au Cameroun », Revue internationale des

études du développement, n° 231, 2017/3, pp. 33-55

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Les résultats des investigations menées par l'équipe de la CONAC27 sur le projet de

construction du complexe industrialo-portuaire de Kribi, sur le contrôle et la vérification des

opérations liées à l'expropriation et/ou la destruction des biens ainsi que sur l'indemnisation des

victimes ont permis d’aboutir à des constances portant sur des crimes d’initiés.

Pour la CONAC, l'on eût évoqué l'infraction de délit d'initiés si les faits incriminés à

l'occasion s'étaient opérés dans le monde des affaires et plus particulièrement de la bourse des

valeurs, mais il s’agit dans le cas évoqué, “d'une tentative fort préméditée de détournement des

deniers publics, d’où la qualification appropriée de crimes d’initiés, ce dessein que se partagent les

protagonistes. De fait, « ces personnages se sont constitués en bandes organisées de malfaiteurs,

avides de siphonner les Finances Publiques de l'Etat du Cameroun.” »28 A titre d’exemples, le

rapport présente des preuves nombreuses à l’instar de :

- La violation flagrante du décret n°76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d'obtention

du titre foncier, modifié et complété par le décret n°2005/481 du 16 décembre 2005 dont l'article

11 (alinéas 3 et 4) interdit désormais toute immatriculation directe des terres provenant du domaine

national de l'Etat et prescrit dans de tels cas, la mise en concession comme condition obligatoire

et préalable à toute immatriculation foncière s'inscrivant dans ce cadre ; ;

- La précipitation avec laquelle des immatriculations foncières ont été enregistrées courant 2008

et plus particulièrement en 2009, postérieurement à l'arrêté du 06 février 2009, pour illégalement

chercher et obtenir des immatriculations foncières des terrains situés dans la zone déjà déclarée

expropriée pour cause d'utilité publique ;

- La courbe statistique de l'ampleur des montants prétendument dus à des propriétaires terriens dits

expropriés pour cause d'utilité publique montre que pour beaucoup d'entre eux, ils ne se sont fait

enregistrer comme propriétaires des grands immeubles dans les arrondissements de Kribi, Campo

et Lokoundjé qu'en 2009, feignant ainsi d'ignorer la signature de l'arrêté précité depuis le 06 février

de la même année.

Le constat est de mise au Cameroun, la réalisation des grands projets structurants au

Cameroun est toujours émaillée des conflits d’intérêt. Ces conflits d’intérêt tendent soit à des délits

27 Commission Nationale anti-corruption. 28 Voir rapport de la CONAC 2011, pp. 58-74.

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d’initiés, à la concussion29 ou au favoritisme30. Du fait de leur position politique et administratives

privilégiée, certaines autorités en profitent pour délester les populations riveraines de leurs terres

en les acquérant à des prix dérisoires31 pour ensuite les mettre en valeur et obtenir une indemnité

conséquente au moment de l’expropriation. Le contexte foncier camerounais met en évidence

plusieurs acteurs. Mais, dans le présent travail nous nous limiterons aux acteurs gouvernementaux

ou politiques.

Ces acteurs sont en mesure d’influer significativement sur un projet, du fait de

leurs compétences, de leur savoir et de leur pouvoir. Ils possèdent un triple atout, la solide

intégration à un réseau de relations, la détention d’importantes ressources et la

possession d’un haut degré de légitimité. Le soutien et la participation de ces acteurs sont

généralement indispensables à la réalisation des résultats attendus. Mais, malheureusement, au sein

des acteurs clés, certains sont capables de dévier le processus de son objectif de départ ou même

de le bloquer d’où leur désignation sous la dénomination « veto players »32. Plus un acteur est

puissant et influent, plus il a tendance à vouloir représenter ou exclure d’autres acteurs.

Dans le cas du Cameroun, les acteurs appartenant à cette catégorie sont fortement impliqués

dans la prise de décision sur l’attribution des terres, ou l’influencent de manière décisive. Au rang

de ces acteurs, l’on peut mentionner la Présidence de la République, les services du Premier

Ministre, le MINDCAF33, le MINHDU34,le MINEPAT35 ou encore le MINAT36. Ainsi, l’on a

recensé diverses autorités ayant des positions élevées dans la République se ruées du côté de Kribi

pour s’emparer des terres en vue d’être plus tard indemnisées à des couts énormes.

Fort donc de leurs statuts dans l’appareil étatique37 et ayant été au parfum de la réalisation de

cette infrastructure portuaire, certaines autorités administratives ont cru bon de se déployer dans

29 Voir article 142 de la loi du 12 juillet 2016 portant Code Pénal au Cameroun. 30 Voir article 143 de la loi du 12 Juillet 2016 portant Code Pénal au Cameroun. 31 MVONDO MVONDO (H), OYANE (M), « Le foncier au Cameroun : entre lourdeurs administratives et prédation

des élites », in L’accaparement des terres en Afrique Centrale, Revue semestrielle d’analyses géopolitique pour

l’Afrique centrale, Enjeux n° 54, 1er semestre 2021, pp. 21-42. 32 Voir OATGE (Observation pour l’acquisition des terres à grands échelle). Note de synthèse. Les appropriations

foncières à grandes échelles (AFGE) : Les acteurs et leurs interactions au Cameroun, Mars 2014,13 pages. 33 Ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières. 34 Ministère de l’Habitat et du développement urbain. 35 Ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire. 36 Ministère de l’Administration territoriale. 37 Laurel Rose (2002) montre comment, en Afrique, les élites façonnent la législation foncière à l’échelle nationale

pour hiérarchiser leurs affiliations locales et comment elles manœuvrent à l’échelle locale pour consolider leurs

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l’arrondissement de Kribi afin d’accaparer des immenses lopins de terres et pouvant bénéficier des

crédits d’indemnisation. Ainsi, en application au vieil adage qui dispose que « Tout chemin mène

à Rome », ces dignitaires ont alors usé de la corruption, un autre moyen non moins perfide pour

accaparer des terres.

2- L’utilisation de la corruption comme moyen d’accaparement des terres

Fléau combattu depuis toujours par le gouvernement de la République38, la corruption a

désormais fait son nid en matière foncière, plus particulièrement en matière d’expropriation. Dans

leur but démesuré d’accaparer des terres soumises à expropriations, certaines autorités de la

République ont pris sur elles de corrompre un ensemble d’acteurs. Une fois informé de la

construction du Port en eau Profonde à Kribi, ces personnes publiques se sont rapidement ruées à

Kribi afin non seulement de soudoyer les membres de la Commission de constat et d’évaluation

mais aussi les populations riveraines.

Relativement à la corruption dans laquelle étaient impliquées certains membres de la CCE39,

le rapport de la CONAC de 2011 révèle que l’ensemble des membres de cette commission se sont

vu corrompre à hauteur de centaines millions afin d’acquérir des indemnisations assez

considérables. A la suite des dénonciations des populations de Kribi visant à s’indigner des

indemnités faramineuses dont bénéficiaient certains expropriés, des enquêtes avaient donc vus le

jour. La CONAC s’était saisie de l’affaire. Au terme de ses investigations, elle avait des preuves

démontrant que le projet de construction du port en eau profonde de Kribi avait suscité des

vocations criminelles ayant conduit à un complot financier contre l’Etat du Cameroun40. L’organe

de lutte contre la corruption a décelé « la tentative d’un crime, secrètement concerté entre, d'une

part les fonctionnaires des Domaines et des Affaires Foncières, de connivence avec les autorités

administratives de la Préfectorale, et d'autre part les personnalités publiques et privées

camerounaises et étrangères »41.Au regard de ces dénonciations de l’organe national en charge de

réseaux nationaux. Rose explique en particulier que, dans les zones pacifiques, les élites cherchent à contrôler la terre

pour s’assurer un positionnement politique, tandis que, dans les zones post-conflits, elles utilisent leur pouvoir

politique pour acquérir des terres en vue d’une réhabilitation économique. 38 Le Président de la République du Cameroun lors d’une communication spéciale à l’occasion du conseil ministériel

du 12 septembre 2007 affirmait que « C’est la corruption qui, pour une large part, compromet la réussite de nos

efforts. C’est elle qui pervertit la morale publique. Chacun (…) doit se sentir

responsable de ce combat dans son domaine de compétence (…). »

39 Commission de Constat et d’évaluation. 40 Voir Rapport de la CONAC de 2011. 41 Rapport de la CONAC de 2011.

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la lutte contre la corruption, l’on se rend compte qu’un montage a été intelligemment ourdi afin de

corrompre tous les acteurs de près ou de loin pouvant intervenir dans la chaine de l’expropriation

pour cause d’utilité publique.

De l’autre côté, à coup de billets, les populations habitant le site d’expropriation ont été

sollicitées afin de céder leurs terres à ceux que nous allons appeler ici les nouveaux propriétaires.

Des conclusions de la CONAC, il se dégage que plusieurs riverains ont cédé leurs terres entre

2006-2008, avant même que ne soit prise la Déclaration d’utilité publique en 200942.Certains

individus ont même témoigné en affirmant que c’était avec ou sans leur consentement que ces

opérations se déroulaient. Pour l’accomplissement de ce forfait, « des personnes communément

appelées démarcheurs étaient mises à contribution et servaient d’intermédiaire entre ces pontes

du régime et nous »43. Etant déjà en position de force en raison de la possession de la primeur de

l’information44 et utilisant la corruption afin d’atteindre leur but illégal, certaines personnalités de

la République prédatrices pouvaient aisément alors s’installer de manière outrancière et

tendancieuse aisément sur les dépendances soumises à expropriation.

B) L’invasion tendancieuse des dépendances soumises à expropriation

L’invasion tendancieuse des dépendances soumises à expropriation est la résultante de la

boulimie foncière que mettent en exergue ces personnalités surtout dans le cadre de

l’expropriation. Cette incursion pour la moins curieuse est matérialisée par l’occupation

préméditée des sites d’expropriation (1) et par une exploitation intentionnelle des terrains soumis

à expropriation (2).

1- L’occupation préméditée des sites d’expropriation

Dans le cadre de la construction du port en eau profonde de Kribi, Grand Batanga fut

initialement le tout premier site qui devait abriter l’infrastructure portuaire. Mais du fait d’une

profondeur de l’océan moins intéressante sur ce site, la localité de Mboro a finalement été choisie

pour héberger l’infrastructure45. Au moment de la prise de cette décision, « l’information qui n’a

42 Arrêté n°000156N.14.4/MINDAF/D410 du 06 février 2009 43 Propos d’un exproprié indigné à Kribi. 44 ATANGANA (E-P), L’utilité publique en droit administratif camerounais, Thèse de doctorat Ph/D en droit public,

Université de Yaoundé II- Soa, 25 Janvier 2020, p.165. 45 Voir l’hebdomadaire REPERES n° 001 de Juin 2014,

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circulé que dans les cercles très restreints, a permis à des hautes personnalités de la République

de réaliser un véritable hold-up foncier »46.

En effet, apprend-on des sources judiciaires, mis au parfum de la délocalisation du Port en

eau profonde de Kribi, des Directeurs généraux de sociétés, des Gouverneurs de régions, des

Ministres et autres dignitaires de la République, ont accouru à Mboro ou ils ont effectué

d’importantes acquisitions foncières, généralement à vil prix afin de bénéficier le moment venu

des indemnisations colossales47.

De ce qui en précède, il se dégage clairement que l’occupation voulue et matérialisée a été

conçue longtemps en avance. Il s’agit d’une intention irrévocablement criminelle dont le but est

uniquement de dépouiller les ressources financières de l’Etat. L’occupation préméditée des sites

d’expropriation a notamment été marquée par des achats démesurés d’énormes étendues de terres

aux riverains, de la sécurisation du site en procédant par l’instauration des bornes, par la

construction des duplex, villas, des étangs piscicoles, ou encore par l’érection des vastes étendu de

plantations. Tout ceci ayant pour objectif d’être exagérément indemnisé le moment venu. Certains

responsables de la République ont cru nécessaire dans leur recherche effrénée des moyens

financiers, de ne pas se limiter à occuper les dépendances soumises à expropriation mais sont

davantage passés à la vitesse supérieure notamment en procédant à l’exploitation desdits terrains.

2- L’exploitation intentionnelle des terrains soumis à expropriation

L’exploitation des terrains soumis à expropriation s’est déroulée intentionnellement. Ce

postulat résulte des différents dividendes provenant des investissements propulsés sur ce site que

percevaient ces hautes personnalités. En effet, cette exploitation se faisait alors même que les

populations pensaient qu’il s’agissait des individus qui sont juste venus se procurer de quelques

lopins de terres. C’était sans compter sur les plans fourbes que préparaient ces hautes personnalités.

Dans le cadre de la réalisation du Port en eau profonde de Kribi, plusieurs Généraux d’armée,

autorités administratives (Présidence de la République, Services du Premier Ministre…) ont réalisé

d’énormes bénéfices résultant des constructions et plantations érigées sur le site d’expropriation48.

46 Idem. 47 Echange avec le chef de la section Pénale du TCS en date du 16 juillet 2021 à 11h15 min. 48 Voir Rapport de la CONAC de 2011.

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Des développements qui précèdent, il se dégage que les détournements des crédits

d’indemnisation au Cameroun sont devenus une partie de chasse pour certaines autorités

administratives intervenant aussi bien dans les Commissions d’enquête que les autorités centrales.

Ces dernières pensent, murissent et passent à l’action aussi bien avant la Déclaration d’utilité

publique qu’après l’édiction de la DUP. Il s’agit alors à ce stade du gain proprement recherché.

II- LES MECANISMES POSTERIEURS A LA DECLARATION D’UTILITE

PUBLIQUE

Les détournements des crédits d’indemnisation opérés par certains administrateurs et

assimilés peuvent également être commis consécutivement à l’édiction de la Déclaration d’utilité

publique. Ainsi, ces malversations peuvent être l’œuvre des services du MINDCAF et des

communes (A) mais par ailleurs être perpétrés à l’occasion de l’enquête de constat et d’évaluation

(B).

A- Les détournements cautionnés par les services du MINDCAF et les communes

L’expropriation pour cause d’utilité publique obéit au Cameroun à une procédure

minutieusement encadrée. C’est justement dans cette lancée que l’article 5 de la loi du 04 juillet

1985 dispose que « L’acte de déclaration d’utilité publique est suspensif de toute transaction et de

toute mise en valeur sur les terrains concernés. Aucun permis de construire ne peut, sous peine de

nullité d’ordre public, être délivré sur les lieux ». De ce qui précède, il en ressort qu’aucun titre

foncier encore moins permis de construire ne doit être accordé à un demandeur lorsqu’une

déclaration d’utilité publique a déjà vu le jour. Toutefois, l’on a constaté que cette disposition

légale a été mise sous le boisseau par certains responsables des services fonciers mais également

des communes. Ce fut le cas à l’occasion de la construction du Port en Eau Profonde de Kribi, où

des titres fonciers (1) et des permis de construire (2) ont été frauduleusement délivrés sur le site

du projet.

1- La délivrance frauduleuse des titres fonciers

Dans la recherche pour l’établissement de la vérité49, la Commission anti-corruption a

identifié nombre de Camerounais venant de tous les horizons et d'étrangers, « ayant peu de

scrupules, immoraux sans aucun sens de l’intégrité et sans doute informés à travers des réseaux

49 A propos des responsabilités dans le cadre des détournements des crédits d’indemnisation lors de la réalisation de

l’infrastructure portuaire de Kribi.

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mafieux, qui se sont rués dès 2008 sur la zone destinée à être expropriée »50. Par le biais de

l'indemnisation des expropriés, ils pensaient ainsi avoir trouvé le chemin d’un enrichissement

facile et illicite sur le dos de l'Etat en recourant tout simplement, et à chaque fois qu'il le fallait, à

des manœuvres frauduleuses pour l'obtention hâtive de titres fonciers51.

Afin d’obtenir des indemnisations considérables, certaines autorités de la République ont usé

des mécanismes peu orthodoxes. Ainsi, ces dernières ont accéléré la procédure d’obtention des

titres fonciers et ce de manière frauduleuse52. Cette attribution s’opérait par les soins des services

déconcentrés du Ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières53. C’est justement

ce qui s’est produit dans le cadre de la réalisation du Port en eau Profonde de Kribi. Certaines

dispositions du décret n° 2005/481 du 16 décembre 2005 modifiant et complétant certaines

dispositions du décret n° 76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d'obtention du titre foncier

ont subi plusieurs violations. C’est le cas de l’alinéa 3 de l’article 11 qui dispose que « Les

demandes portant sur les terres libres de toute occupation ou de toute exploitation sont

irrecevables. Elles sont instruites selon la procédure de concession ». Selon la CONAC, plusieurs

autorités gouvernementales se sont vues immatriculées les dépendances de seconde catégorie au

mépris de la réglementation en vigueur qui exige au préalable la concession. Il apparait donc

clairement que les responsables de la délégation départementale des domaines, du Cadastre et des

Affaires foncières de l’Océan ont été impliqués dans cette attribution des titres fonciers d’un autre

genre. C’est alors que des plaintes provenant des populations riveraines ont vu le jour54. La tension

sociale était déjà si forte et perceptible que le Préfet de l’Océan avait sollicité et obtenu du

MINDCAF, la suspension des paiements pour clarifier cette situation55.

Lors de l’audition des témoins de l’accusation devant le TCS56 dans l’affaire Ministère Public

et Etat du Cameroun (Port en eau Profonde de Kribi) MINFI-MINDCAF-MINEPAT contre

50 Voir Rapport de la CONAC de 2011. 51 ATANGANA (E-P), L’utilité publique en droit administratif camerounais, thèse op.cit ; p. 166. 52 Idem. 53 Idem. 54 Les populations dénonçaient des situations diverses telles que : des personnes inconnues dans la localité bénéficiaire

de faramineuses indemnités, des cas d’omission de biens ou de mauvaises évaluations. 55 Voir rôle 20 de l’arrêt n° 019/CRIM/TCS du 09 Octobre 2020, Affaire Ministère Public et Etat du Cameroun (Port

en Eau Profonde de Kribi) MINFI-MINDCAF-MINEPAT contre VILON Jean François et consorts. 56 Tribunal Criminel spécial. Voir davantage la loi n°2012/011 du 16 juillet 2012 Modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un Tribunal Criminel Spécial

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VILON Jean François et consorts, l’inspecteur Général du MINDCAF, BENDEGUE Jean Marie

Vianney se prononçait en ces termes :

« Que le Ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières a obtenu du Premier

Ministre, l’autorisation de dépêcher sur le terrain une commission de contre-expertise ; que les

travaux de cette commission qu’il a présidés ont révélé de nombreuses irrégularités à savoir que :

- Des terrains non mis en valeur ont été immatriculés ;

- Des terrains inexistants ont été immatriculés ;

- Des terrains insuffisamment mis en valeur ont été immatriculés sur de grandes superficies ;

- La duplication des dossiers en ce qu’un même dossier a servi de base de plusieurs titres

fonciers ;

- Des cas de fraude dans les titres fonciers établis sans procès-verbal de bornage ou à l’aide

de plans falsifiés ;

- Des titres fonciers établis sans paiement de la redevance foncière, les quittances ayant été

établies postérieurement à la date du titre foncier ;

- Des procédures d’immatriculation initiées par certaines personnes ayant abouti à des

titres fonciers établis aux noms d’autres personnes ;

Que la commission locale de constat et d’évaluation présidée par le Préfet VILON Jean François

a fait un travail qui a présenté des insuffisances ; que pour établir les responsabilités, il fallait

tenir compte de la nature des dysfonctionnements observé, qu’à titre d’exemple, pour le cas d’un

titre foncier établi sur un terrain inexistant, les responsabilités à retenir étaient celles des membres

de la commission consultative et de la commission de bornage ;

Que la vérification de la régularité des titres fonciers incombait à ceux qui ont proposé

l’indemnisation… »57.

Toujours dans le box des témoins de l’accusation, l’on retrouve également le MINDCAF de

l’époque, Monsieur BELEOKEN Jean Baptiste qui met en exergue les différentes irrégularités qui

ont émaillé la délivrance des titres fonciers. En effet, selon le membre du gouvernement, à la suite

des dénonciations émanant des populations, une commission d’enquête a été mise sur pied par ses

soins. A l’issue des conclusions de cette enquête, « plus de vingt titres fonciers ont été annulés

57 Voir rôle 20 de l’arrêt n° 019/CRIM/TCS du 09 Octobre 2020, Affaire Ministère Public et Etat du Cameroun (Port

en eau Profonde de Kribi) MINFI-MINDCAF-MINEPAT contre VILON Jean François et consorts.

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pour diverses irrégularités, trois titres fonciers rectifiés et les erreurs de calcul rectifiés ; que

l’Etat a pu récupérer près de 9 milliards de FCFA ; que des irrégularités constatées dans

l’établissement des titres fonciers étaient de plusieurs types58 ». Pire, l’autorité foncière et

domaniale affirme que « Bon nombre de transactions avaient abouti à l’établissement des titres

fonciers après la déclaration d’utilité publique, que des indemnités avaient indument été attribuées

à des personnes non concernées par la déclaration d’utilité publique ou alors pour des biens

appartenant à des tiers ou relevant du domaine public ».

De son côté, l’organe en charge de la lutte contre la Corruption dans son rapport publié en

novembre 2012 révèle des pratiques mafieuses qui ont eu cours dans la délivrance des titres

fonciers. Le présent extrait de la CONAC en dit long sur cette réalité. « Des 149 titres fonciers

(immatriculés), sur la base desquels l’indemnisation a été calculée, 44 titres fonciers ont été établis

postérieurement au 06 février 2009, date de l’arrêté n°156/MINDAF déclarant d’utilité publique

les travaux de construction du port en eau profonde de Kribi. Par rapport à la masse globale de

10 774 638 375 FCFA d’indemnisation des détenteurs de titres fonciers, l’indemnisation des

détenteurs de titres datés postérieurement au 06 février 2009 représente 4 821 356 625 FCFA. »59.

Près de 30% des titres fonciers ont ainsi été établis après la date de l’arrêté déclarant d’utilité

publique les travaux60. Ceci ne peut que traduire des connections mafieuses mettant en lumière un

vaste réseau de complicité. La CONAC affirme à ce sujet que des titres fonciers ont été hâtivement

établis pour être brandis par les chercheurs d’argent facile à l’occasion de la manne des

indemnisations. Des noms d’officiers supérieurs de l’armée et des pontes du régime ont été cités

dans ledit rapport61.

De ce qui précède, il se dégage clairement que la CCE a œuvré pour les délivrances

irrégulières des titres fonciers, appuyé en cela par les services fonciers du département de

l’Océan62.

58 L’on recensait de nombreux terrains en cours d’immatriculation ou immatriculés sur de grandes surfaces ne

supportant que des faibles mises en valeur ; l’immatriculation de terrain non mis en valeur, des titres fonciers établis

sans plan ni procès-verbal de bornage ou alors des plans falsifiés, des documents antidatés. 59 Rapport CONAC de 2011. 60 Arrêté n° 156/MINDAF du 06 février 2009 déclarant d’utilité publique les travaux de construction du Complexe

industrialo-portuaire de Kribi dans le département de l’Océan. 61 Rapport de la CONAC 2011, p.167. 62 L’on met en exergue ici le chef de service départemental des domaines de l’époque Monsieur EBIBI MESSI Ernest

qui selon l’accusation a participé activement à cette pratique sombre de délivrance des titres fonciers.

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Ainsi, deux principaux services ont été mis à contribution afin de délivrer illégalement les

titres fonciers. Il s’agit du service départemental des Domaines et du service départemental des

Affaires foncières du département de l’Océan. Ont donc été mis en cause respectivement Monsieur

EBIBI MESSI Ernest63 et BIBA’A BI NYEMB Aloysius Omam64.Pour l’accusation, il est clair

que ces deux autorités ont facilité et œuvré savamment à la délivrance illégale des titres fonciers à

diverses personnalités. Un autre service non moins important donne son onction à cette obscure

pratique de détournements de crédits d’indemnisation même lorsque l’arrêté déclarant d’utilité

publique les travaux a vu le jour. C’est le cas des communes qui ont attribué des permis de

construire en méconnaissance de textes en vigueur.

2- L’attribution frauduleuse des permis de construire

D’emblée faut-il procéder à quelques précisions. La première qui définit le Permis de

Construire « est un acte administratif qui autorise une construction après vérification de sa

conformité avec les règles de l’art et les règles d’urbanisme en vigueur. »65La seconde qui souligne

l’autorité habileté à délivrer les permis de construire. Ce document relève exclusivement de la

compétence du Maire territorialement compétent66.Ainsi, lors des commissions d’enquête qui se

sont succédé à Lobo dans le cadre de la construction de l’autoroute Yaoundé-Douala, l’on a

malheureusement enregistré des irrégularités relatives à l’attribution frauduleuse des permis de

construire au mépris du droit positif.

En effet, l’article 5 de la loi du 04 juillet 1985 est sans équivoque lorsqu’il dispose que «

L’acte de déclaration d’utilité publique est suspensif de toute transaction et de toute mise en valeur

sur les terrains concernés. Aucun permis de construire ne peut, sous peine de nullité d’ordre

public, être délivré sur les lieux ». Plus loin, l’article 14 du décret d’application de la loi du 04

juillet 1985 dispose que « Conformément aux dispositions de l'article 5 de la loi n° 85/9 du 4 juillet

63 En tant que chef de service départemental des domaines, Sieur EBIBI était secrétaire de la CCE et a dirigé par

ailleurs la Sous-commission chargée du foncier. 64 Sieur BIBA’A fut chef de service départemental des Affaires foncières de l’Océan du 2 décembre 2008-Juin 2011.Il

était en charge de du suivi des procédures d’immatriculations, de participer aux règlements des litiges fonciers, de

l’instruction des procédures sur le domaine national de première catégorie. 65 Voir article 107 alinéa 1 de la loi n° 2004/003 du 21 avril 2004 portant Code de l’Urbanisme au Cameroun. 66 L’alinéa 2 de l’article 107 dispose que « Quiconque désire entreprendre une construction, même si celle-ci ne

comporte pas de fondation, doit, au préalable, obtenir un Permis de Construire délivré par le Maire de la Commune

concernée »

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1985, l’arrêté de déclaration d'utilité publique est suspensif de toute transaction, de toute mise en

valeur, et de toute délivrance de permis de construire. ».

La conjugaison de ces dispositions non moins pertinentes et de l’actualité ayant défrayée la

chronique à Lobo permet de conclure qu’il y’a eu un décalage assez considérable entre la théorie

et la pratique. En fait, des emprisonnements massifs ont eu lieu de ce côté mettant ainsi sur la

sellette plusieurs membres de la commission constat de et d’évaluation au rang desquelles se

trouvait le Maire de la localité. Selon l’accusation, l’édile municipal aurait délivré irrégulièrement

les permis de construire postérieurement à l’édiction de la Déclaration d’utilité publique à des

individus sans foi ni loi. Tous ces membres de la commission ont été écroués à la Prison Centrale

de Yaoundé.

Si les détournements des crédits d’indemnisation67 sont favorisés par la délivrance

frauduleuse des titres fonciers et des permis de construire, ils sont davantage perpétrés lors des

enquêtes de constat et d’évaluation.

B- Les détournements perpétrés à l’occasion de l’enquête de constat et d’évaluation

A la suite de la demande d’expropriation déposée auprès de ses services et après avoir jugé

le projet d'utilité publique, le Ministre des Domaines va prendre un arrêté déclarant d'utilité

publique les travaux projetés et définissant le niveau de compétence de la commission chargée de

l’enquête d'expropriation dite commission de constat et d'évaluation. Cette étape motrice et

cruciale de la procédure d’expropriation va alors servir à diverses autorités de terreau fertile à

plusieurs types de pratiques dont le but ultime est de favoriser une indemnisation outrancière. Au

rang de ces actes répréhensibles, l’on enregistre l’insertion frauduleuse des expropriés fictifs (1)

et la surévaluation des dommages découlant de l’expropriation (2).

1- L’insertion frauduleuse des expropriés fictifs

L’insertion frauduleuse des bénéficiaires des indemnisations a été une réalité vivante lors de

la construction des deux projets structurants en l’occurrence le Complexe industrialo portuaire de

Kribi et le barrage de la Mape, arrondissement de Bankim, département du Mayo-Banyo, Région

de l’Adamaoua.

67 MANGA TSOUNGUI (G-N), Les moyens de l’expropriation pour cause d’utilité publique en droit camerounais,

Thèse de doctorat Ph/D en droit public interne, Université de Douala, année académique 2018-2019, p.91.

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Relativement à la construction du Port en Eau Profonde de Kribi, plusieurs irrégularités

relatives à l’insertion des expropriés ont été enregistrées. Dans ce sens, l’arrêt du Tribunal Criminel

Spécial est assez édifiant à propos. En effet, l’accusation a pu prouver que certains membres de la

Commission de constat et d’évaluation ont inséré frauduleusement des expropriés fictifs qui

n’étaient même pas habitants ou originaires de la localité. Ainsi, en date du 09 Octobre 2020, la

Haute Cour criminelle dans l’affaire Ministère Public et Etat du Cameroun (Port en eau Profonde

de Kribi) MINFI-MINDCAF-MINEPAT contre VILON Jean François et consorts se prononce en

ce qui concerne les cas de NDONG NDONG César68 et VILON Jean François69 en ces termes :

« CONSIDERANT qu’il leur est reproché d’avoir, en participation et en accord, tenté d’obtenir

ou de retenir frauduleusement la somme de 10.358.600 FCFA ;

QUE VILON Jean François a déclaré que cette somme n’a pas été payée ; qu’elle représentait la

contrepartie des cultures que comportait une parcelle de terrain qui lui a été offerte et pour le

compte de laquelle il a fait inscrire le nom de son beau-frère NDONG NDONG César dont il

possédait la thermocopie de la carte nationale d’identité ;

QUE NDONG NDONG César a déclaré n’avoir eu connaissance de cette indemnisation que dans

le sillage d’une convocation à laquelle avait déféré son beau-frère ;

CONSIDERANT que dans la rubrique des cultures au village Lolabè, une indemnité de 10.358.600

FCFA a été octroyée à NDONG NDONG César ;

QUE NDONG NDONG César n’a pas signé la fiche d’expertise des cultures dressée le 14

décembre 2009 par Dame NDJANA E.Lysette, Chef de Section Appui aux Projets et aux

investisseurs ;

QUE ce défaut de signature établi qu’il n’a pas été associé à l’expertise de ces cultures dont il

n’est pas l’auteur ;

CONSIDERANT en revanche que c’est en toute connaissance de cause que VILON Jean François

s’est fait établir une fiche d’expertise de cultures attribuées à son beau-frère, que ces cultures sont

68 Beau-frère de VILON Jean François 69 Préfet du département de l’Océan.

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composées de 135 palmiers à huile âgés de 3 à 25 ans, 30 pieds d’agrumes,20 manguiers et

avocatiers adultes et 10 Kolatiers adultes ;

CONSIDERANT qu’au regard des circonstances de l’octroi à VILLON Jean François de la

parcelle de terrain concernée, ces cultures indemnisées à 10.358.600 FCFA sont manifestement

fictives ;

QUE c’est VILON Jean François qui a communiqué à l’agent recenseur, les éléments

d’identification du pseudo propriétaire desdites cultures fictives ; ». La Juridiction en charge de

lutter contre les détournements des deniers publics conclut sans ambages en déclarant « Qu’au

regard des éléments qui précèdent, il convient de déclarer NDONG NDONG César non coupable

de tentative de coaction de détournement de la somme de 10.358.600 FCFA et déclarer VILON

Jean François coupable de tentative de détournement de ladite somme ».

Autre membre et non de moindre de la commission d’enquête à être reconnu coupable de

détournement des crédits en lien étroit avec l’insertion frauduleuse des expropriés fictifs. Il s’agit

de EBIBI MESSI Ernerst.Le Tribunal Criminel Spécial :

« CONSIDERANT que le susnommé occupait le poste de chef de service Départemental des

Domaines de l’Océan ; qu’il est ressorti des pièces du dossier de la procédure que c’est au nom

de son frère, ZAM Jean Marie, qu’ont été attribués les cultures existantes sur la parcelle en cours

d’immatriculation à Lolabé et évaluées à 9.364.500 FCFA alors que ce dernier était inconnu des

populations de Lolabé ;

QU’en utilisant le nom de ZAM Jean Marie pour l’attribution d’une indemnisation de cultures

fictives sur une parcelle reçue en récompense des services rendus à la collectivité Bongaalaambe,

EBIBI MESSI Ernest s’est rendu coupable de complicité de tentative de détournement de ladite

somme ». Dans le cadre de la construction du Port en eau Profonde de Kribi, d’autres personnes

ont également été mentionnées.70

Par ailleurs, l’on a noté des cas d’insertion frauduleuse des expropriés fictifs lors de la

construction du barrage de la Mape. Ainsi, après l’arrête n° 210 du 29 avril 2010 déclarant d’utilité

70 Voir arrêt n° 019/CRIM/TCS du 09 Octobre 2020 suscité.

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publique les travaux du barrage de la Mape, certains noms ont été insidieusement insérés dans la

liste des bénéficiaires des indemnisations.

Pour l’accusation, BOUBA DAIROU Sous-préfet de l’arrondissement de Bankim « s’est

impliqué dans le processus de paiement des indemnisations à travers : la signature des

procurations aux « soi-disant » représentants des bénéficiaires absents ou décédés, la certification

du protocole d’accord entre les victimes et MOUWA Flaubert ; QUE ce protocole d’accord

ensemble les procurations ont été les véritables instruments de manipulations des indemnisations

en vue de leur détournement ;

QU’en effet, s’est demandé le représentant du Ministère public, comment expliquer que l’autorité

administrative valide dans un protocole d’accord une clause qui lèse aussi grossièrement le

bénéficiaire d’une indemnisation qui lui est due, du fait d’un préjudice subi, au profit d’un

prétendu facilitateur qui s’octroie 35% du montant de l’indemnisation ;

QU’il s’agit là en réalité d’une clause « réputée non écrite » qui n’aurait jamais dû être validée

à ce taux usurier ;

Qu’à titre d’illustration : 35% d’un montant de 550.215.500 FCFA correspondent à la somme de

192.575.425 FCFA ;

QUE le protocole d’accord ainsi conçu a constitué le support du plan de détournement de deniers

publics ;

QUE l’installation de MOUWA Flaubert dans les locaux où s’effectuaient les paiements des

indemnisations, au vu et au su des membres de la commission participe de la logique de

recouvrement de ladite somme ;

QUE parallèlement, les procurations ont contribué à résoudre la question des noms fictifs qui

figuraient dans la liste des bénéficiaires et des décédés sans représentants, et permettre de

percevoir à tort, mais en toute légalité les indemnisations ;

QUE la somme totale de 105.207.000 FCFA a pu ainsi être indûment perçue »71.

71 Voir arrêt n° 017/CRIM/TCS du 07 aout 2019, Affaire Ministère Public et Etat du Cameroun (Ministère de

l’administration territoriale et de la Décentralisation) c/MOUWA Flaubert et autres. .

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Le second cas le plus ubuesque est celui de Sieur MOUWA Flaubert dont le rôle était de

faciliter le paiement des indemnisations et qui était allègrement installée dans les bureaux du Sous-

préfet de Bankim. A ce sujet, le TCS se prononce en ces termes: « CONSIDERANT que pour

l’accusation, sur le cas de MOUWA Flaubert et en dépit des dénégations de ce dernier, les

témoignages reçus, les documents produits (procurations), la proximité avec les autorités

administratives (signatures des fiches de présence dans les séances de travail), sont autant de

preuves que cet accusé a pris une part très active dans : la confection de la liste des sinistrés,

l’évaluation des cultures et le paiement des indemnisations par son installation dans les locaux de

la sous-préfecture de Bankim lors du paiement ;

QUE cette omniprésence dévoile les desseins de détournement d’une partie de l’indemnisation

due aux victimes, suite au décret du Premier Ministre, qui a débloqué une somme de 550.215.500

FCFA, à ces fins ;

QUE le « modus operandi » de MOUWA Flaubert a été de faire insérer dans le procès-verbal

d’évaluation des intrus et les membres de sa propre famille n’ayant pas de plantations dans les

villages concernés par les destructions déplorées, telle que démontré plus haut.

QUE les déclarations de MOUWA Flaubert à l’enquête préliminaire (EP0609), retracent

l’utilisation ou mieux la rétrocession à lui, des sommes déchargées par les membres de sa famille,

et illustrent parfaitement le détournement des indemnisations ;

De ce qui précède, il ressort que l’insertion frauduleuse des expropriés fictifs a été pratiquée

à outrance lors de l’enquête de constat et d’évaluation. Tout ceci ayant pour unique objectif de

spolier les caisses de l’Etat. La surévaluation des dommages découlant de l’expropriation s’inscrit

également dans ce sens.

2- La surévaluation des dommages découlant de l’expropriation

C’est à la suite de nombreuses dénonciations des populations de Kribi qui constataient la

présence des personnes fictives ayant des indemnités fortes que des investigations ont été menées

par les plus hautes autorités72.La surestimation des dommages consistait à majorer davantage les

72 Nous avons appris des sources introduites que sur instruction du président de la République, deux missions

d’enquêteurs, l’une de la sous-direction des enquêtes économiques à la Direction de la police judiciaire (DPJ) et l’autre

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indemnisations des cultures et autres biens. Sans toutefois être exhaustif, l’on va s’attarder sur

deux principaux cas.

Le premier cas de surévaluation comme l’ont reconnu les juges du Tribunal Criminel

Spécial fut celui de Monsieur MADOLA Innocent73.En fait, les juges s’expriment in extenso en

ces termes : « CONSIDERANT qu’il lui est reproché le détournement de la somme de 20.857.500

FCFA par la perception d’une indemnisation surévaluée de ses cultures ;

QU’au cours des débats, MADOLA Innocent a reconnu les faits ;

QUE s’expliquant davantage, il a déclaré que la proposition de la surévaluation de ses cultures

lui a été faite par MBILI Magloire74 qui, pour le convaincre de l’accepter, l’a rassuré qu’il n’aura

pas de contre-expertise ;

QU’il a signé sa fiche d’expertise et une semaine plus tard, MBILI Magloire lui a dit avoir

surévalué ses cultures et que lors du paiement de l’indemnité il devait lui reverser la somme de

10.000.000 FCFA, ce qu’il a fait après avoir été convoqué au bureau du Sous-Préfet saisi par

MBILI Magloire ; ». Pour la juridiction, « il apparait clairement que c’est sur une fiche d’expertise

vierge que MADOLA Innocent a apposé sa signature pour permettre à MBILI Magloire d’y

de la Direction générale à la recherche extérieure (DGRE), se sont succédé sur le terrain. Tous les acteurs qui ont

participé au processus d’identification, et de recensement des ayants droits, ainsi que les responsables de différentes

administrations chargées de l’établissement des titres fonciers du site déclaré d’utilité public (DUP), ont été entendus. Des indiscrétions de ces missions révèlent par exemple que plusieurs autochtones figurant sur la liste des

indemnisations ne connaissent même pas où est situé leur terrain, encore moins leur prétendu village.

Certaines parcelles décrites comme ayant été mises en valeur, question de renchérir le coût des

indemnisations, n’ont jamais reçu la visite d’un homme. Sans compter que certains prétendus occupants

sont introuvables. On estime à au moins 60% les cas suspects dans le processus d’indemnisation. Les

enquêteurs auraient même découvert que certaines personnes ont effectué des virements sur le compte des

membres des commissions. Des transactions jugées suspectes dans un tel contexte par les enquêteurs. Des

sources citent notamment un ressortissant d’un pays du moyen Orient, propriétaire de quelques cabanes en

planches dans la zone et bénéficiaire d’un montant de 300 millions de Fcfa qu’il a retiré d’un seul trait de

sa banque, provocant l’indignation des banquiers. Les enquêtes révèlent par ailleurs que les montants les

plus costauds dans la liste des indemnisations sont sujets à caution et doivent être passés au scanner. Les

différentes missions d’enquêtes dépêchées sur le terrain ont déjà remis leurs copies. En attendant

éventuellement d’autres recoupements pour complément d’informations. L’option étant de reprendre une

nouvelle liste toilettée, et donc un nouveau décret à proposer au premier ministre et à faire viser par les

services de la présidence de la République. La liste des complices d’une telle forfaiture s’annonce bien

longue. Et les sanctions retentissantes, apprend-on des sources introduites

73 C’est un pécheur domicilié à Kribi. 74 EX-Chef de la section Départementale des enquêtes et des statistiques agricoles à la Délégation Départementale

de l’Agriculture et du Développement Rural de l’Océan à Kribi.

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mentionner l’existence de cultures fictives afin de parvenir à l’indemnisation convenue ». De

même, la surévaluation des cultures de MADOLA Innocent a également été dénoncée par IVAHA

Théodore75 avec l’indication des modalités de partage.

Le second cas met en cause MBILI Magloire. Pour la juridiction compétente en matière

des détournements de fonds publics, il ne fait l’ombre d’aucun doute que MBILI Magloire a

participé activement à la surévaluation des indemnisations. Pour mieux saisir cette prise de

position la juridiction se prononce en ces termes : « CONSIDERANT qu’il lui est reproché le

détournement des sommes respectives de 13.000.000 FCFA, 10.000.000 FCFA et 11.000.000

FCFA par la perception des indemnisations surévaluées des cultures des nommés MEKWALA

François, MADOLA Innocent, NGOLE Marthe ;

QU’au cours des débats, MBILI Magloire a partiellement reconnu les faits ; qu’il est en outre

apparu que c’est lui qui a conduit les travaux de la sous-commission technique d’évaluation des

cultures à la place de son supérieur hiérarchique empêché et qu’il est l’auteur du rapport ayant

sanctionné lesdits travaux ;

CONSIDERANT que s’agissant de la surévaluation aux sommes respectives de 15.545.000 FCFA

et 15.357.000 FCFA des indemnisations des cultures de MEKWALA François et de MADOLA

Innocent, les dépositions de ceux-ci et de celles de IVAHA Théodore, corroborées par les fiches

d’expertises de leurs cultures, établissent à suffire la culpabilité de MBILI Magloire s’agissant

des faits ».

Des cas suscités, il se dégage que la surévaluation des dommages a été profondément

montée de toutes pièces. Un puzzle avait déjà été constitué à cet effet. Les rôles des différents

acteurs avaient déjà été élaborés.

Conclusion

L’ambition de cet article était de montrer comment les détournements des crédits

d’indemnisation s’opèrent au Cameroun dans le cadre de l’expropriation pour cause d’utilité

publique. En confrontant les différents textes législatif et réglementaire à l’épreuve des faits tout

75 Voisin de MADOLA Innocent.

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en prenant également en compte les décisions de justice rendues par le Tribunal Criminel Spécial,

l’on constate que ces détournements des crédits d’indemnisation obéissent à des mécanismes

malicieusement ficelés.

Dans un premier temps, l’on a montré que les détournements des crédits d’indemnisation

pouvaient s’opérer antérieurement à l’édiction de la DUP. Ils sont alors l’œuvre des hautes

personnalités de la République qui usent de manœuvres frauduleuses, notamment les pratiques des

délits d’initiés et de corruption.

Dans un second temps, l’on a montré que les détournements de crédits d’indemnisation

peuvent aussi se réaliser postérieurement à la DUP. Ils sont alors cautionnés par de nombreux

services tels que les services du MINDCAF, les Communes et même les commissions de Constat

et d’évaluation. Dans ce sillage, plusieurs acteurs participent à ces malversations financières. Au

rang de ces acteurs, l’on peut enregistrer les services déconcentrés du MINDCAF, les communes

et même la Commission de Constat et d’Evaluation, qui par leurs actes frauduleux favorisent les

malversations financières. Au cours des développements, nous avons pu retracer les différentes

implications des uns et autres dans cette opération de main basse sur les fonds d’indemnisation.

Fort de ce qui précède. Il apparait ainsi que les détournements des crédits d’indemnisation

au Cameroun sont devenus « la chose la mieux partagée ». La réalisation des projets

d’investissements publics au Cameroun fait appel ipso facto aux mécanismes de détournements

des crédits d’indemnisation. Ces derniers sont devenus une « manne financière » pour certains

administrateurs véreux et assimilés. Plusieurs conséquences sont observées consécutivement aux

détournements des crédits d’indemnisation, entres autres la lenteur dans l’exécution des travaux,

les contestations intempestives des populations qui fragilisent alors la paix sociale, l’accroissement

du service de la dette du Cameroun auprès de ses partenaires financiers et surtout l’édulcoration

de l’image de marque du Cameroun auprès de la communauté internationale. Au regard de la

recrudescence de ce phénomène, il est alors impérieux que l’Etat prenne ses responsabilités.

L’une de ces responsabilités serait alors de durcir la législation pénale en matière de

détournements des crédits d’indemnisation76. Ensuite, la délocalisation des fonds d’indemnisation

76 A défaut d’insérer dans la législation pénale générale des dispositions relatives au détournement des crédits

d’indemnisations, il est urgent d’introduire dans la loi inhérente à l’expropriation pour cause d’utilité publique, des

dispositions pénales en la matière. Ainsi, l’on pourrait par exemple mettre en exergue une disposition comme

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vers des partenaires privés au détriment des membres de la Commission de constat et

d’évaluation77 et enfin l’instauration de la signature des rapports d’indemnisation par les

expropriés lors des enquêtes78.

L’émergence à laquelle tend le Cameroun ne saurait également être atteinte si l’on continue

d’observer la manifestation de ce sempiternel problème de détournements des crédits

d’indemnisation qui devient au fil des temps un « serpent de mer » et « un caillou dans la chaussure

des gouvernants ».

suit : « Est puni d’un emprisonnement de dix ans à vingt ans et d’une amende de 20.000.000 FCFA à 40.000.000

FCFA ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque se fait recenser et indemniser de façon frauduleuse.

La condamnation est prononcée sans préjudice des restitutions et dommages‐intérêts qui peuvent être dus aux parties.

Lorsque les membres de la Commission de Constat et d’Evaluation sont impliqués, les peines et amendes

susmentionnés sont doublées. » 77 Il s’agit ici d’abord de contre expertiser les differents rapports produits par la Commission d’enquête ou alors à

défaut de confier lesdites enquêtes d’expropriation à ces personnes de droit privé. Ensuite, il s’agit de confier le

paiement des indemnisations à une personne morale de droit privé. En cas de dérives de la part du consultant ou de

l’organisme privé, des dispositions pénales suivantes peuvent lui être appliquées. Par exemple, Article 1 : Est puni d’un emprisonnement de un an à cinq ans et d’une amende équivalant au triple du préjudice

financier subi par l’expropriant ou de l’une de ces deux peines seulement, tout consultant commis au recensement qui,

en connaissance de cause ou en complicité avec toute personne affectée, recense des droits non constitués.

La juridiction saisie peut en outre ordonner l’exclusion du consultant des marchés publics pour une durée qui ne peut

excéder cinq ans.

Article 2 : Est puni d’un emprisonnement de cinq ans à dix ans et d’une amende de 5.000.000 FCFA à 10.000.000

FCFA ou de l’une de ces deux peines seulement, tout agent recenseur, en connaissance de cause ou en complicité

avec toute personne affectée ou avec le consultant qui l’a commis, recense des droits non constitués. 78 Il est important de mettre à la disposition des victimes avant leur publication les differents rapports. Cette lacune

considérable et de laisser un délai raisonnable aux victimes pour qu’elles puissent éventuellement suggérer des

rectifications matérielles aux informations qu’ils contiennent. Cette prise en compte de cette recommandation

permettrait d’éviter des cas d’insertion frauduleuse des expropriés et biens fictifs.

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La gouvernance de recrutement du personnel dans les Collectivités

Territoriales Décentralisées au Cameroun : entre faible régulation

normative et prévalence des normes pratiques

Par :

Boris METSAGHO MEKONTCHO

Docteur en Science politique

Université de Dschang (Cameroun)

&

Wilfried Aubin YANKENG FOYET

Doctorant en Droit Public

Université de Douala (Cameroun)

Résumé :

Environ trois décennies d’institutionnalisation de la décentralisation au Cameroun, la

mise en place d’une véritable fonction publique territoriale relève encore d’un horizon. Pourtant,

il est impossible d’envisager une décentralisation et un développement local sans des agents

administratifs et techniques compétents. À l’observation empirique, le recrutement des agents

communaux reste caractériser d’un côté, par une faible régulation normative ; et de l’autre, par

une prépondérance des normes pratiques qui ne sont pas sans effets pervers sur l’efficacité et la

performance des CTD à délivrer des services publics de qualité aux populations et à relever les

défis de développement au niveau local. Cette étude se propose donc à travers une démarche

sociologique reposant sur la théorie de normes pratiques mis en selle par OLIVIER DE SARDAN,

de saisir en acte la gouvernance « réelle » de recrutement du personnel communal au Cameroun.

Mots clés : Cameroun, recrutement, personnel communal, Collectivités Territoriales

Décentralisées, normes pratiques.

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Introduction

La décentralisation, dont l’histoire institutionnelle remonte à la période coloniale, s’est

imposée comme un « nouveau paradigme de développement1». Elle fait partie des phénomènes

complexes et dynamiques ayant pris corps dans le contexte de démocratisation en Afrique

subsaharienne. Elle est aujourd’hui l’objet d’agenda politique et institutionnel des pays africains

mais aussi de la part des partenaires internationaux. En effet, ce processus institutionnel amorcé

sur le continent en général et au Cameroun en particulier depuis le début des années 1990, dans

une perspective de la « co-production », est le fruit de croisement de plusieurs facteurs et

temporalités à la fois interne et externe. Comme le dit Gaudusson et Médard : « la décentralisation

et la démocratisation s’inséraient dans le mouvement idéologique global et des demandes

locales »2. Les institutions internationales de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale) et les

puissances occidentales, font de l’énonciation de la décentralisation dans les politiques publiques,

un « nouveau référentiel »3 de la qualité de la « gouvernance » des pays, jadis gérés par des

pratiques néopatrimoniales, et aussi une conditionnalité de l’aide publique au développement.

Selon ces entrepreneurs internationaux de la norme décentralisatrice, la décentralisation est une

clé qui doit ouvrir de nombreuses portes. Elle permettrait non seulement l’introduction de la

démocratie locale et de la responsabilité politique (accountability), mais aussi la libération des

dynamiques de développement « à la base ». La mise en place d’une autonomie administrative

locale serait comme une « école de la démocratie » et liquiderait les résidus de pouvoir autoritaire4.

À ce titre, la décentralisation et la gouvernance démocratique locale ont été crédités d’une

intentionnalité et d’une fonctionnalité à multiplier les effets de développement à l’échelle locale.

C’est dans cette perspective, qu’à la faveur de la loi n°2004/018 du 22 Juillet 2004 fixant les règles

applicables aux communes, plusieurs compétences de l’Etat, relevant de divers domaines, ont été

transférées aux Collectivités Territoriales décentralisées. Ainsi, la mise en œuvre effective du

processus de décentralisation nécessite que les collectivités locales soient dotées de leur propre

capacité administrative. Sans une adaptation des structures administratives, les CTD ne seront pas

1 BELLINA Severina et al., La gouvernance démocratique. Un nouveau paradigme pour le développement ? Paris,

Karthala, 2008. 2 GAUDUSSON Jean du Bois et MEDARD Jean-Pierre, « La crise permanente de l’Etat et la recherche difficile de

nouveaux modes de régulation », Afrique contemporaine, n°99, 2001, pp.3-24. 3 MULLER Pierre, Les politiques publiques, Paris, Puf, 2000. 4 BIERSCHENK Thierry et OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre (dir), Les pouvoirs locaux au village. Le Benin rural

entre démocratisation et décentralisation, Paris, Karthala, 1998, p.12.

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à même d’assurer la prestation des services correspondant aux compétences et responsabilités qui

leur sont transférées. Les collectivités territoriales doivent des capacités humaines nécessaires à

l’exercice de nouveaux pouvoirs et de leurs nouvelles compétences en mettant en place des

politiques publiques de recrutement efficaces et rationnelles.

Cependant, force est de constater que la gestion des ressources humaines demeure le

maillon faible de la gouvernance locale et partant la principale cause de la faible performance des

administrations publiques locales en Afrique subsaharienne5 en général et au Cameroun6 en

particulier. La gouvernance de recrutement et de sélection des agents territoriaux7 reste

caractérisée par un cadre juridique incomplet, dominée par des normes pratiques ou informelles

éloignées des « normes officielles »8, qui ne sont pas sans effets pervers sur l’efficacité et la

performance des CTD à délivrer des services publics de qualité aux populations et de relever les

défis de développement au niveau local. Tel est l’objectif que se propose cette étude de saisir au

5Voir les résultats du rapport des deux Forums africains des Managers territoriaux et des instituts de formation ciblant

les collectivités territoriales organisés par CGLU-Afrique en 2017 et 2018. Le 1er Forum a été organisé par CGLU-

Afrique dans le cadre des actions de l’Académie Africaine des Collectivités Territoriales (ALGA, African Local

Government Academy), en partenariat avec le Ministère de l’Intérieur du Royaume du Maroc, l’Association

Marocaine des Présidents des Conseils Communaux (AMPCC), l’Association des Régions du Maroc (ARM) et

l’Université Internationale de Rabat (IUR), à Salé au Maroc du 18 au 21 Septembre 2017 sous le thème « Les

Ressources Humaines des Collectivités Territoriales Africaines : Le temps d’agir… C’est Maintenant !» auquel ont

pris part 450 participant(e)s. La 2e Edition du Forum a été organisée par CGLU-Afrique en partenariat avec le

Ministère de l’Intérieur du Royaume du Maroc, l’ARM, l’AMPCC, le Conseil de la Région de l’Oriental et l’Agence

de Développement de l’Oriental, à Saïdia, au Royaume du Maroc, les 25 et 26 Avril 2018 sous le thème « Se mobiliser

pour le développement du Capital Humain des Collectivités Territoriales : une exigence clé pour l’atteinte des

Objectifs du Développement Durable » (250 participant(e)s. 6 Voir Cabinet AGORA consulting, Etude portant sur l'évaluation des besoins en personnels des collectivités

territoriales décentralisées en vue de l'élaboration d'un tableau type des emplois communaux, mai 2008. 7 Le corps du personnel communal ne constitue pas un bloc monolithique. Il est formé de 12 catégories. De la 1 ière à

la 6ième catégorie, il s’agit des agents d’exécution ; de la 7ième à la 9ième catégorie sont des cadres d’exécution ou des

contractuels d’administration (les catégories 7 à 9 correspondent aux fonctions de préparation, d'élaboration et

d'application et les catégories 10 à 12 aux fonctions de conception, de direction, de contrôle ou d'évaluation); de la 10

à la 12ième catégorie, ce sont des cadres supérieurs. À la Commune de Dschang, le corps des agents communaux est

reparti en catégories professionnelles suivantes : les contractuels (40), les décisionnaires (62), les temporaires (101),

des agents en cours de contractualisation (8), des agents contractant avec les partenaires au développement (5). Ce qui

fait un total de 216 agents communaux. Voir Commune de Dschang & Secrétariat Général, Résultats du recensement

physique du 15 au 22 janvier 2020 à la commune de Dschang, 2020. 8 Les normes officielles quant à elles renvoient à l’ensemble des règles formalisées ou codifiées, et expriment des

prescriptions. Les normes officielles ne se réduisent pas aux lois ou aux règles juridiques (rules of law) ; par exemple,

il peut s’agir de conventions particulières, de règlements locaux, de procédures administratives ou professionnelles ;

mais, dans le champ de l’action publique ou des pratiques professionnelles, elles sont nécessairement formalisées ou

codifiées, et expriment des prescriptions, un « mode d’emploi ». Autrement dit, les normes officielles sont, dans ce

champ, assez proches du sens que les néo-institutionnalistes donnent au mot « institution » (rules of the game). Cf.

OLIVIER DE SARDAN (J-P.), « À la recherche des normes pratiques de la gouvernance réelle en Afrique », op.cit.

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concret la « gouvernance « réelle »9 de recrutement du personnel communal10 au Cameroun à

partir de la commune de Dschang, comme site d’observation11.

Pour ce faire, nous proposons dans cette perspective, de mobiliser l’approche par les

« normes pratiques»12 mis en selle par Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN. Une approche par les

9Nous empruntons la notion de « gouvernance réelle » à Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN. Il définit ce concept

comme « la façon dont les biens et services publics sont « réellement » délivrés (ce qui inclut évidemment la façon

dont l’Etat est « réellement » géré, ou dont les politiques publiques sont « réellement » mises en œuvre), par opposition

à la définition normative de la « bonne gouvernance » promue par la Banque mondiale et les principaux partenaires

du développement, qu’on pourrait aussi appeler « gouvernance idéelle ». Lire OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre,

« À la recherche des normes pratiques de la gouvernance réelle en Afrique », Discussion Paper, London, n°5, 2008. 10 Au Cameroun, la définition de la notion de « personnel communal » reste introuvable. À ce jour, l’évolution

textuelle n’a pas permis de définir le personnel communal. Cette situation trouve son explication dans l’inexistence

d’un statut propre aux agents communaux. Car on constate le mutisme des textes législatifs que réglementaires, ainsi

que la complexité des critères d’identification du personnel communal10. Toutefois, ce personnel régit par le décret n°

78/484 du 9 novembre 1978 fixant les dispositions communes applicables aux agents de l’Etat relevant du code du

travail, modifié par le décret n°82/100 du 3 mars 1982), il est composé de 12 catégories : (i) La première catégorie qui

va de de 1 à 6 constitue le personnel décisionnaire, dont le niveau de qualification le plus élevé est le BEPC + niveau

classe de 1ère et équivalent. Cette catégorie constitue la branche la plus nombreuse, renfermant le personnel de tout

bord y compris tous les exécutants avec engagement précaire. La deuxième catégorie qui va 7 à 12, constitue le

personnel contractuel. Elle est subdivisée en deux sous-catégories : de la catégorie de 7 à 9, il s’agit des agents de

maitrise. Ils s’occupent aux fonctions de préparation, d'élaboration et d'application. Ils assistent les cadres, participent

à la définition, développent, s’occupent du suivi et de l’organisation des projets et services, de l’accueil et de la

réception des usagers et des équipes. Ils sont titulaires d’au moins d’un diplôme de probatoire, d’un diplôme équivalent

ou d’une formation équivalente. La catégorie 10 à 12 est constituée des cadres supérieurs titulaires d’au moins du

diplôme de licence ou d’un diplôme équivalent. Ces cadres s’occupent des fonctions de coordination, de conception,

de direction, de contrôle ou d'évaluation, de la supervision des équipes et services. À côté de ces différentes catégories

d’agents communaux, on a également le personnel recruté dans de cadre de la coopération décentralisée par voie

contractuelle, conjointement par les autorités locales et les partenaires extérieurs de la Collectivité. Par ailleurs, on a

une autre catégorie de personnel communal mise à la disposition des CTD par l’Etat. Il s’agit des Secrétaires généraux

de communes et des Receveurs Municipaux. Ces deux dernières sont exclues dans le cadre de cette étude. 11Créée en 1954 comme commune mixte rurale par arrêté N°807 du 29 Novembre 1954, Dschang passe

successivement de Commune de plein exercice par la loi N° 62/COR/13 du 26 Décembre 1962 à Commune urbaine

au terme de la loi N° 74/23 du 05 Décembre 1974. Le territoire de cette municipalité est scindé en quatre entités

communales pour donner naissance aux communes de Fokoué, Penka Michel, Santchou et Dschang. Il est ainsi crée

la commune urbaine de Dschang et la commune rurale de Dschang à la tête desquelles siègeront les membres du parti

au pouvoir (parti unique à l’époque). C’est à la faveur des dispositions de la loi N° 204/018 du 22 Juillet 2004 sur la

décentralisation que les Communes urbaine et rurale sont supprimées au profit d’une seule commune calquée sur les

limites du nouvel arrondissement créé par le décret n° 2007/115 du 13 Avril 2007 du Président de la République.

Ainsi, Dschang se sépare de Fongo-Tongo devenu Arrondissement et s’érige en Commune unique et politiquement

homogène. 12 Olivier de Sardan définit la notion de « normes pratiques » en tant que modes de régulations des pratiques non

conformes aux nonnes officielles. Plus qu’un idéaltype, elle est comprise en tant que régulations des comportements des

acteurs, quand ils ne suivent pas les normes officielles. Cet auteur entend donc par normes pratiques, « les diverses

régulations informelles, de facto, tacites ou latentes, qui sous-tendent les pratiques des acteurs ayant un écart avec

les normes publiques (ou les normes sociales). Elles expriment la convergence relative de ces pratiques, et permettent

de comprendre le « jeu » avec les normes formelles : parfois les acteurs suivent celles-ci, parfois ils s'en éloignent

pour suivre des normes pratiques ». (Voir OLIVIER DE SARDAN (J-P.), « Les normes pratiques : Pluralisme et

agencéité », Colloque sur Normes pratiques. La régulation de l’informalité au sein des institutions publiques,

Université Paris Diderot 8, mardi 10 décembre 2011). Au niveau épistémologique, cet auteur précise: « Le concept de

normes pratiques n’est pas analytique: il ne donne pas un contenu substantif particulier aux phénomènes qu’il décrit,

il ne définit pas un modèle interprétatif spécifique. C’est pourquoi nous parlons de concept exploratoire: il permet

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normes pratiques de gestion des ressources humaines pour tenter de comprendre sans jugements

de valeurs, comment les gestionnaires des CTD régulent le recrutement du personnel communal

au Cameroun. Sur le plan méthodologique, nous avons privilégié des méthodes d’approche de la

réalité « telle qu’elle est »13 en réalisant des enquêtes de terrain de type socio-anthropologique14

développée par les chercheurs du LASDEL dont les têtes de proue sont Olivier de Sardan et

Bierschenk15.

Cette étude comprend trois articulations. Le premier axe montre que la gouvernance des

ressources humaines dans les CTD au Cameroun demeure caractérisée par un faible encadrement

normatif et par l’inexistence d’une fonction publique locale. En outre, on observe un faible respect

des conditions et des procédures de recrutement contenues le corps de normes officielles en

vigueur par les responsables municipaux. Le deuxième axe montre comment cette situation

favorise l’institutionnalisation d’une gouvernance informelle de recrutement du personnel

communal en décalage aux normes officielles en vigueur. La troisième et dernière articulation

présente les effets contre-productifs d’une telle politique informelle de recrutement aussi bien sur

simplement de mettre à jour, sous condition de recourir à l’enquête, une variété de modes de régulation sociale, de

patterns de gouvernance réelle, sans les agréger prématurément dans un modèle unique, sans les organiser en des

types a priori ». (Voir OLIVIER DE SARDAN (J-P.), « À la recherche des normes pratiques de la gouvernance réelle

en Afrique », Discussion Paper, London, n°5, 2008). Les comportements réels ne sont pas simplement des déviances

par rapport aux normes officielles, ils relèvent en fait d’autres normes, non dites, que l’on appellera normes pratiques.

Autrement dit, les comportements, dont on constate qu’ils ne suivent pas les normes officielles, ne sont pas simplement

erratiques, non conformes, aléatoires, ils sont réglés par d’autres normes de fait, qu’il convient de « découvrir ». Cette

découverte est d’autant moins simple que ces normes pratiques ne sont pas nécessairement conscientes, explicitement

connues en tant que telles, des acteurs eux-mêmes. Le concept de normes pratiques n’est pas analytique : il ne donne

pas un contenu substantif particulier aux phénomènes qu’il décrit, il ne définit pas un modèle interprétatif spécifique.

C’est pourquoi nous avons parlé de concept exploratoire : il permet simplement de mettre à jour, sous condition de

recourir à l’enquête, une variété de modes de régulation sociale, de patterns de gouvernance réelle, sans les agréger

prématurément dans un modèle unique, sans les organiser en des types a priori (OLIVIER DE SARDAN (J-P.), « À

la recherche des normes pratiques de la gouvernance réelle en Afrique », op.cit.). 13 OLIVIER DE SARDAN (J-P.), « À la recherche des normes pratiques de la gouvernance réelle en Afrique », op.cit. 14 Dans la mesure où les traditions de recherche empiriques de type qualitatif (fondées sur l’enquête de terrain,

l’observation participante, les entretiens libres, les études de cas) sont communes à l’anthropologie (héritière de

l’ethnologie) et à une certaine sociologie dite parfois « qualitative » (issue de l’École de Chicago), nous préférons

utiliser l’expression « socio-anthropologie » selon l’expression de Jean-Pierre Olivier De SARDAN. Sur le plan

opérationnel, notre étude essentiellement qualitative est basée sur l’observation directe qui nous permet de saisir au

concret le fonctionnement réel des collectivités territoriales décentralisées (CTD) au Cameroun. En outre, nous avons

mené de entretiens semi-directifs auprès des responsables en charge des ressources humaines, de quelques élus locaux,

de quelques employés communaux et populations locales. Enfin, nous avons également fait usage de la technique de

recherche documentaire. Ainsi, des textes juridiques encadrant la décentralisation notamment sur la gestion du

personnel communal ont été consultés. Des rapports d’étude et des articles de presse sur l’état des lieux du personnel

administratif local au Cameroun ont également consulté. 15 OLIVIER DE SARDAN (J-P.), Anthropologie et développement: essai en socio-anthropologie du changement

social, Paris, Karthala, 1995, p.10.

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la qualité des ressources humaines que sur l’efficacité et la performance des CTD à délivrer des

services publics de qualité et à relever les défis de développement local.

I- ENTRE FAIBLE ENCADREMENT NORMATIF, ABSENCE DU STATUT DU

PERSONNEL LOCAL, FAIBLE RESPECT DES PROCEDURES DE

RECRUTEMENT ET USAGE ABUSIF DU POUVOIR DISCRETIONNAIRE DES

RESPONSABLES MUNICIPAUX

À l’observation, l’administration des ressources humaines16 dans les collectivités

territoriales au Cameroun demeure caractérisée par une faible régulation normative ne consacrant

pas un véritable statut du personnel communal. En outre, on observe le non-respect des procédures

officielles de recrutement du personnel par les responsables des CTD. De même, les chefs des

exécutifs territoriaux détiennent un pouvoir discrétionnaire dans l’administration du personnel

mais en font un usage abusif.

A- La faible régulation normative de recrutement du personnel local

Le recrutement est considéré comme le premier acte de gestion ou d’administration du

personnel. C’est « un pari » dont la réussite nécessite la mise en place d’un corps de règles

officielles et de procédures claires. Toutefois, dans le contexte camerounais, la régulation

normative de cette activité est plutôt faible. Les normes en la matière sont incomplètes et peu

développées ne consacrant pas un statut propre du personnel communal. Ces normes officielles

peuvent être regroupées en deux catégories à savoir les normes les normes classiques antérieures

à la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 et les normes postérieures à cette constitution.

En ce qui concerne la première catégorie, elles remontent pour l’essentiel à la période

monolithique à savoir les années soixante-dix. Il s’agit les lois n°74/23 du 05 décembre 1974

portant organisation communale et la loi n°87 du 15 juillet 1987 portant création des Communautés

Urbaines. L’Article 181 de la loi n°74/23 du 05 décembre 1974 précise : « le personnel employé

par les communes sera régi par un statut général fixé par décret. Les dispositions réglementaires

16 Elle concerne principalement l’ensemble des formalités administratives liées à l’emploi d’un agent au sein de

l’administration au regard des lois et règlements en vigueur. Les principales activités de l’administration du personnel

sont : le recrutement, la gestion des carrières, le suivi des dossiers administratifs, la gestion de la paie, le management

du temps de travail, la gestion des congés et des absences, le code de conduite et la discipline au travail, le service

social, ainsi que les relations avec les partenaires sociaux. Voir les résultats du rapport des deux Forums africains des

Managers territoriaux et des instituts de formation ciblant les collectivités territoriales organisés par CGLU-Afrique

en 2017 et 2018, op.cit., p.100.

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en vigueur relatives à l'administration de ce personnel leur restent applicables jusqu'à la

publication de ce statut ». Toutefois, cet article ne fait pas vraiment de précision qui permettrait

de savoir de qui il est question. L’article 65 § 2 de cette même loi évoque le terme du personnel

communal, sans préciser le contenu lorsqu’il détermine les compétences du maire. La limite

principale de ces lois est donc leur mutisme sur la notion de personnel communal17. Comme le

souligne Bernard-Raymond GUIMDO NDONGMO : « relativement au personnel communal,

cette loi présente l’image d’un texte hâtivement élaboré ; imprécis et lacunaire. En effet, elle n’y

fait presque pas allusion, encore moins à son statut »18. En outre, on a le décret n°78-484 du 9

novembre 1978 portant dispositions communes relatives aux agents de l'Etat relevant du code de

travail qui dispose : « le statut du personnel des collectivités territoriales est régi par le code du

travail et par les différents textes règlementaires relatifs au personnel de l'Etat relevant du code

du travail ». Selon ce décret, le personnel communal est soumis pour son recrutement, aux mêmes

conditions générales que l’agent public ou privé. Il est également soumis à des conditions générales

propres au recrutement des agents contractuels des administrations publiques19. Le décret n°77/91

du 25 mars 1977 détermine les pouvoirs de tutelle sur les Communes et établissement communaux.

En effet, l'article 2 dudit décret précise : les autorités de tutelle sont notamment chargées : « de

définir les mesures propres à assurer le développement harmonieux des communes ; d'accroître

le rendement et d'améliorer la qualité des services communaux ; de promouvoir la formation, le

perfectionnement et le recyclage du personnel communal; de contrôler le fonctionnement des

organes communaux ».

La deuxième catégorie concerne les normes postérieures à la constitution du 18 janvier

1996. Ainsi, on a d’abord la loi n°2004/017/ du 22 juillet 2004 portant orientation de la

Décentralisation stipule en son article 19 que le statut du personnel des CTD est fixé par un décret

du Président de la République. Ensuite, l’arrêté n°1306/A/MINATD/DCTD du 24 Août 2009 qui

est venu définir trois modèles d’organigramme-types pour les Communautés Urbaines, les

Communes et les Communes d’arrondissement. Selon l’article 5 § 1 du dit arrêté:

17GUIMDO NDONGMO Bernard-Raymond, Le personnel communal au Cameroun. Contribution à la crise de

l’administration communale au Cameroun, Thèse de doctorat de 3ième cycle en Droit Public, Université de Yaoundé

II-Soa, 13 juillet 2014, p.27. 18 Ibid., p.29. 19 Voir DECRET N° 78/484 du 9 novembre 1978 fixant les dispositions communes applicables aux agents de l’Etat

relevant du Code du Travail.

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Les recrutements aux postes de travail prévus en application du présent arrêté sont autorisés

par voie de délibération du Conseil de la Communauté Urbaine ou du Conseil municipal et se

réfèrent aux profils retenus dans le répertoire des métiers joint en annexe. (2) Nonobstant les

dispositions de l’alinéa (1) ci-dessus, le recrutement des personnels à partir de la 7ème

catégorie reste soumis à l’approbation du Ministre chargé des Collectivités Territoriales

Décentralisées.

Ces organigrammes restent à titre indicatif. La responsabilité de l’établissement de

l’organigramme des collectivités territoriales revient à chaque collectivité territoriale ainsi qu’à

l’Etat via le Ministère de la Décentralisation et du Développement Local. L’adoption des

organigrammes-types a l’avantage de standardiser les RH dans les CTD afin d’avoir une meilleur

visibilité de la demande au sein des CTD. Ce même arrêté définit les conditions et les procédures

de recrutement du personnel communal. Le personnel de la 1ière à la 6ième catégorie est soumis aux

conditions suivantes : nationalité, aptitude physique, droits civiques, bonne moralité, âge, respect

des ratios (conformément à l’article 39 de la loi n°2009/ du 10 juillet 2009 portant régime financier

des CTD). Pour les procédures de recrutement, il faut une demande, une délibération du Conseil,

une décision de recrutement et l’approbation du Préfet. En ce qui concerne le recrutement du

personnel du de la 7ième à la 12ième catégorie, il est soumis aux mêmes conditions que les

précédentes. Mais les procédures diffèrent en ce sens qu’il faut un contrat et l’approbation

MINATD. Le circulaire n°1306/MINATD/DCTD du 25 juin 2010 qui se fixe pour objectifs

majeurs l’organisation efficiente des services communaux ainsi que la rationalisation de la gestion

des ressources humaines. Cette circulaire précise les règles et modalités de recrutement et de

gestion du personnel communal20.

20Cette lettre circulaire n°0001306/MINATD/DCTD du 25 juin 2010 complète les procédures énoncées dans l’article

39 de la loi n°2009/ du 10 juillet 2009 portant régime financier des CTD en indiquant les pièces qui doivent

accompagner les demandes de recrutement et en précisant quelques orientations en matière de recrutement,

susceptibles de garantir aux collectivités des ressources humaines de qualité : Conformément à cette lettre circulaire,

toute demande de recrutement doit être accompagnée des pièces suivantes : l’organigramme approuvé de la collectivité

; l’état du personnel de l’année en cours ; la délibération municipale autorisant ledit recrutement ; l’attestation

indiquant les dépenses totales, les dépenses du personnel, les dépenses de fonctionnement, telles que figurant au

dernier compte administratif approuvé, ainsi que les ratios dépenses de personnel/dépenses totales, dépenses de

personnel/dépenses de fonctionnement dûment visée par le Magistrat municipal et le Receveur Municipal. Cette lettre

circulaire n°0001306 donne également d’autres orientations en matière de recrutement, à savoir : la réalisation d’un

état des lieux des besoins, préalablement à toute décision de

recrutement ; la référence aux profils retenus dans le répertoire des métiers annexé à L’arrêté

n°00136/A/MINATD/DCTD du 24 août 2009 rendant exécutoires les tableaux-types des emplois communaux ;

l’adéquation entre les postes et les profils d’emploi ; - l’adaptation des effectifs aux moyens financiers ; la priorité

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Le contexte de la gestion des ressources humaines des CTD s’est enrichi d’un nouvel

instrument juridique. Il s’agit de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des

Collectivités Territoriales Décentralisées. Elle vient compléter le cadre juridique déjà existant.

Reprenant l’essentiel des dispositions de la loi n° 2004/017 du 22 juillet 2004 d’orientation de la

décentralisation, ce Code général des CTD renforce les principes relatifs à la garantie de la libre

administration et de l’autonomie fonctionnelle des collectivités territoriales. Conformément à son

article 22, « Les collectivités territoriales recrutent et gèrent librement le personnel nécessaire à

l’accomplissement de leurs missions, conformément à la législation et à la règlementation en

vigueur ». L’article 22 du Code général des CTD prévoit la création d’une Fonction Publique

Locale. A l’instar de la Fonction Publique de l’Etat, les emplois de cette Fonction Publique Locale

pourraient être organisés en corps de métiers, cadres ou catégories professionnelles, grades, classes

et échelons.

En somme, de l’analyse des textes législatifs et réglementaires, le régime de recrutement des

agents communaux relevant du code de travail est incertain en ce sens qu’il n’a pas d’issue. Il n’est

pas homogène et ne favorise guère une satisfaction du recrutement et voir même de la carrière du

personnel communal à cause de l’absence du statut du personnel communal. Ainsi le personnel

communal, au gré de l’insuffisance des textes et de l’absence de son statut réglementant son

recrutement est exposé à toutes les dérives dont l’hybridisme de l’arsenal juridique et de l’absence

du formalisme dans le recrutement21.

B- L’inexistence d’un statut de la Fonction Publique Locale au Cameroun malgré son

annonce

L’efficacité dans la mise en œuvre des politiques de décentralisation passe par l’existence

d’un personnel compétent, recruté, formé, géré dans le cadre d’un statut objectif. En effet, la

question des statuts revêt une importance capitale en matière de GRH dans toute administration,

qu’elle soit publique, para-publique ou privée, centrale, territoriale ou locale. Le statut de la

Fonction Publique Locale constitue le socle juridique sur lequel repose toute la relation de travail

accordée à la qualité du personnel pour répondre aux exigences techniques liées à l’exercice des compétences

transférées. 21 Lire DONFACK Hneri, « La Problématique Du Recrutement Du »Personnel Communal Au Cameroun »,

International Multilingual Journal of Science and Technology (IMJST), Vol. 5, Issue 11, November – 2020, p.1997-

1998.

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avec l’administration. C’est lui qui fixe les conditions et les avantages du travail avec pour objectif

principal, de garantir les droits du personnel et d’assurer l’efficacité et l’effectivité des services. Il

reste un support et un cadre de référence qui permet de fixer les limites de ce qui est possible et

d'assurer une homogénéité et une équité entre les agents qui sont amenés à travailler dans les

collectivités locales. C’est à cet égard qu’un bon statut constitue un moyen efficace pour accroître

l’attractivité, la motivation et la rétention des talents afin d’assurer la performance et la qualité des

services. Dans cette perspective, la Fonction Publique Territoriale consiste à créer un statut

particulier pour les fonctionnaires relevant des administrations des CTD, distinct du statut général

de la fonction publique de l’Etat. Elle vise à donner aux CTD, en tant qu’administrations publiques

autonomes un personnel dont la gestion correspond aux exigences et besoins des services publics

locaux.

Au Cameroun malgré que l’article 22 du Code général des CTD prévoit la création d’une

Fonction Publique Locale; elle demeure encore un horizon22 ou inexistante dans la pratiques.

Néanmoins des réformes sont programmées et en cours d’élaboration23. C’est la raison pour

laquelle à l’heure actuelle, le modèle de la Fonction Publique Territoriale camerounaise reste le

système-emploi. Il concerne la situation des agents non-fonctionnaires des administrations locales

et il est généralement déterminé par les législations règlementant le travail dans le secteur privé,

autrement dit le Code du travail. Le personnel des CTD reste régi jusqu’à présent par le décret N°

78-484 du 9 novembre 1978 portant dispositions communes relatives aux agents de l'Etat. Cette

absence d’un statut juridique du personnel communal et ses conséquences (personnels inadaptés,

situation de précarité…) constitue un obstacle à un développement harmonieux des communes. Il

22La Fonction publique locale n’existe toujours pas au Cameroun malgré le Décret du Président de la République

N°2020/111 du 02 mars portant création, organisation et fonctionnement de la National School of Local

Administration. Cette école (l’ENAL) aura comme mission, de former les personnels de la future fonction publique

locale prévue par la Loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales

Décentralisées qui en son article 22 § 3 précise: « L'Etat met en place une fonction publique locale dont le statut est

fixé par un décret du Président de la République ». Malgré l’enchantement qu’a suscité la promulgation de ce décret,

sa mise en œuvre demeure encore incertaine. Surtout que l’incrémentalisme ou encore une évolution des politiques

publiques par un mécanisme de petits pas est devenue est une norme au Cameroun. Par conséquent, le recrutement et

la gestion du personnel communal relève encore de la responsabilité des CTD. 23 Le Ministre de la Décentralisation et du Développement Local (MINDDEVEL), Georges Elanga Obam, a tenu le

22 juillet 2020 une concertation technique consacrée à l’examen du projet de décret portant général de la Fonction

Publique Locale prévue par le processus de la décentralisation. Ce projet de décret, élaboré en application du Code

général des collectivités territoriales décentralisées, devra apporter des solutions aux problèmes auxquels les

ressources humaines des CTD font face.

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apparaît désormais urgent de définir les règles relatives à la détermination et, à la classification des

emplois, au recrutement, au déroulement de la carrière et à la cessation d’activité.

C- Le faible respect des conditions et des procédures réglementaires de recrutement du

personnel local

Il existe un lien intime entre la qualité des ressources humaines et la performance sociale

ou l’efficacité des CTD dans la délivrance des services publics de base. Ainsi, pour avoir une

bonne qualité des ressources humaines de l’administration publique locale, il faut un respect

rigoureux des conditions et procédures établies. Au Cameroun, la lettre circulaire

n°1306/MINATD/DCTD du 25 juin 2010 a suffisamment fixé les modalités et les procédures de

recrutement du personnel communal en ces termes :

Les recrutements doivent se faire dans le respect des orientations suivantes : 1.répondre à des

besoins réels et incontournables de la Commune ou de la Communauté urbaine ; ce qui suppose

pour chaque collectivité territoriale décentralisée de réaliser un état des lieux des besoins,

préalable à toute décision de recrutement ; 2.se référer aux profils retenus dans le répertoire

des métiers en annexe de l’arrêté, référence n’appelant pas le recrutement dans toutes les

filières prévues ; 3.s’operer dans une adéquation entre les postes et les profils d’emploi ; 4.se

conformer progressivement au ratio prévu à l’article 39 de la loi n°2009/011 du 10 juillet 2009

portant régime financier des Collectivités Territoriales Décentralisées, qui limitent les

dépenses de personnel à 35% des dépenses de fonctionnement ; 5.adapter les effectifs aux

moyens disponibles ; 6.metrre l’accent sur la qualité du personnel, afin de répondre aux

exigences techniques liées à l’exercice des compétences transférées. A ce sujet, les magistrats

municipaux doivent autant que possible solliciter l’expertise des cadres et responsables des

services déconcentrés de l’Etat, plutôt que de recruter de façon systématique dans les filières

concernées.

S’agissant de la procédure de recrutement, elle se décline comme suit :

L’adoption par le Conseil municipal d’une délibération autorisant ledit recrutement ;

l’autorisation préalable des Autorités de tutelle compétentes ; l’élaboration des actes de

recrutement ; l’approbation desdits actes par la tutelle, le la 1ière à la 6ième catégorie, le

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Ministère de la décentralisation et du développement local pour les personnels dès la 7ième à la

12ième catégorie24.

Tout recrutement doit normalement tenir compte de ces normes juridiques et procédures

administratives en vigueur. Cependant, à l’épreuve des faits, le respect rigoureux de ces procédures

par les responsables municipaux demeure encore un horizon dans les communes au Cameroun.

Comme le relève cet enquêté :

Le problème avec les normes juridiques encadrant la gestion du personnel des CTD au

Cameroun c’est d’abord, l’absence de leur statut ainsi que le respect des procédures de leur

recrutement. C’est en raison du non-respect de ces procédures que les responsables

municipaux utilisent le pouvoir que les normes leur confèrent pour procéder à des recrutements

personnalisées et subjectifs sans respect des principes de la publicité, de la transparence, de

l’égalité des chances, de la compétence et de l’adéquation profil/emploi, etc. Au sein de cette

institution communale, il n’existe pas une véritable politique formalisée de recrutement du

personnel. Il n’existe pas une commission de recrutement. J’ai été chef service des Ressources

Humaines dans cette mairie jusqu’en 2019. Cela signifie qu’aucun recrutement ne peut se faire

sans que le dossier ne passe devant moi. Mais, c’est le contraire. J’ai été parfois surpris par

les recrutements fantaisistes qui se font par le Maire. Le service des ressources humaines n’est

pas suffisamment impliqué dans le processus de recrutement pourtant, c’est lui qui s’occupe du

volet de la technicité. Souvent, vous êtes seulement surpris quand les nouveaux recrus sont déjà

en fonction sans savoir quand-est-ce que qu’ils ont été employés, ni les critères sur lesquels ils

ont été recrutés. Pourtant, c’est nous qui devraient examinés les dossiers de recrutement selon

les critères objectifs fondés sur les compétences, l’adéquation entre les profils des candidats et

le poste à pouvoir, etc. C’est la raison pour laquelle, il y a trop de recrutements anarchiques.

Un jour, je me suis amusé à demander au Secrétaire général de savoir quel est la politique de

recrutement ici à la mairie ? Voilà ce qu’il a répondu : c’est sur appels d’offre selon la

réglementation en vigueur. Mais je lui ai reposé la question, monsieur le SG, vous avez déjà

24Voir B. de la lettre circulaire n°1306/MINATD/DCTD du 25 juin 2010

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fait recruté environ quinze agents dans cette structure et je n’ai jamais été au courant d’un

quelconque appel d’offre. Il est resté silencieux25.

Ce verbatim montre que les recrutements dans cette institution communale tout comme dans

d’autres CTD au Cameroun, semblent se faire de manière fantaisiste, ou pour des raisons

politiques, sans tenir compte des moyens budgétaires, des besoins réels de la commune et des

compétences recherchées qui pourtant, constituent les principes fondamentaux à respecter en

matière de recrutement au niveau des administrations publiques locales.

On observe en outre un gap très préoccupant entre les fonctions organiquement fixées et les

fonctions réellement existantes ou fonctionnelles. Les données issues des résultats du recensement

physique des agents communaux du 15 au 22 janvier 2020 à la commune de Dschang, montrent

une importante sous-représentation des agents qualifiés ainsi qu’un sentiment d’analphabétisme

de certains agents. Sur 216 agents communaux qui ont été recensés, 138 agents soit 64,52% sont

sans formation professionnelle. Les mêmes résultats montrent que 61 agents communaux soit un

pourcentage de 30% sont sans diplôme académique. On a aussi une inéquation des profils des

agents et le poste occupé au sein de l’institution communale. Par exemple, sur 41 agents

contractuels, on recense 19 personnes dont leurs profils ne correspondent pas aux postes occupés26.

Ce qui atteste que les gestionnaires de cette commune au cours des recrutements, ne tiennent pas

suffisamment compte des profils retenus dans le répertoire des métiers fixé par l’arrêté

n°1306/A/MINATD/DCTD du 24 Août 2009. Cette situation n’est pas la particularité de cette

commune. Plusieurs CTD au Cameroun travaillent dans un cadre organique complétement

différent de celui fixé par les lois ou les règlements27. Cette situation s’explique par une pléthore

d’effectifs mais sous-qualifiés ne correspondant nullement aux besoins réels de l’administration

publique locale.

25Entretien avec un Cadre contractuel de commune de Dschang, ancien chef service des Affaires Générales et du

service des Ressources Humaines de-là dite commune, Dschang, 19 juin 2020. 26Entretien avec un Cadre contractuel de commune de Dschang, ancien chef service des Affaires Générales et du

service des Ressources Humaines de-là dite commune, Dschang, 19 juin 2020. 27 Voir Cabinet AGORA consulting, Etude portant sur l'évaluation des besoins en personnels des collectivités

territoriales décentralisées en vue de l'élaboration d'un tableau type des emplois communaux, op.cit.

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D- L’usage abusif du pouvoir discrétionnaire dans la gestion du personnel par responsables

municipaux aux larges pouvoirs discrétionnaires dans le recrutement du personnel à

usage abusif

Selon les normes officielles en vigueur, le recrutement et la gestion du personnel au sein

CTD est une attribution des chefs des exécutifs territoriaux. Par exemple, selon l’article 206 §1 de

la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales

Décentralisées, le Maire sous le contrôle du Conseil Municipal est chargé de « de nommer aux

emplois communaux et, d'une manière générale, d'exécuter les délibérations du Conseil

Municipal ». L’article 209 de la même Loi précise encore : « (1) Le Maire recrute, suspend et

licencie le personnel régi par la législation du travail et les conventions collectives. (2) Il affecte

et gère le personnel placé sous son autorité ». Au regard de ce dispositif juridique, les responsables

des CTD détiennent par rapport à l’organe délibérant (le Conseil municipal) une compétence

totale. Ils sont investis ici d’un pouvoir28 discrétionnaire, dans les processus de recrutement et de

gestion du personnel. Toutefois dans la pratique, ce dont à quoi on assiste, c’est un usage abusif

de cette prérogative qui leur est reconnue. Comme le dénonce cet enquêté :

D’après les textes, c’est le Maire qui recrute et gèrent librement le personnel communal.

Cependant, il faut décrier l’usage abusif de cette prérogative dans le cadre des recrutements

qui fait problème. On les voit procéder à des recrutements arbitraires à caractère politique,

clientélistes et népotiques en violation de la réglementation en vigueur. On les voit recruter des

individus dont les profils ne sont pas conformes aux exigences du poste décrites dans le cadre

de l’organigramme-type des emplois communaux élaboré par le MINADT en 200929.

Les pratiques observées relèvent donc d’avantage du pouvoir arbitraire et non

discrétionnaire. C’est dans ce sens que Florence NDONGO : « d’une manière générale, le

personnel communal se recrute au gré du chef de l’Exécutif Communal, et cette pratique présente

des limites dans un contexte évolutif où la performance devient de rigueur : d’où la problématique

28 Défini comme la faculté, la capacité, la possibilité matérielle ou la permission de faire quelque chose, le pouvoir

désigne la capacité légale de faire une chose. ONDOUA BIWOLE Vivianne, La Budgétisation par programme en

Afrique subsaharienne entre Balbutiements et résistances, Paris, L’Harmattan, 2015, p.212. 29Entretien réalisé avec un agent contractuel, ancien chef Service des Affaires Générales et aussi du Service des

Ressources Humaines, Dschang, 19 juin 2020.

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de la qualité du personnel communal aujourd’hui »30. Parce qu’il est reconnu aux responsables

des CTD de recruter et de gérer le personnel, les abus observés dans les administrations publiques

locales peuvent expliquer les contre-performances actuelles. Ces abus contribuent à montrer que

les choix des ressources humaines subordonnés par les responsables municipaux se font sur des

bases peu objectives par rapport aux compétences requises. Les critères alors mis en avant sont

relatifs à l’affinité familiale, politique, clanique et entre autres ; ils ne sont pas toujours combinés

aux impératifs de la performativité des CTD.

Il faut aussi relever la négociation ou l’échange transactionnelle qui se tisse souvent entre

certains responsables des CTD et les autorités de tutelle locale au cours de l’approbation des actes

de recrutement. Car, faut-il le rappeler, l’approbation a pour finalité de vérifier la régularité, la

légalité, et même l’opportunité de l’acte de recrutement des agents communaux. Cependant, il

arrive que ces deux parties prenantes se livrent aux transactions corruptives. Car, comment

comprendre et expliquer l’approbation des actes de recrutement par l’autorité de tutelle en écart

aux normes juridiques en la matière ? Comme le souligne cet enquêté :

Souvent le maire procède à des recrutements à forte supersonnalisation dont les procédures

restent très en écart par rapport à la réglementation en vigueur. Cependant, on est surpris que

le Préfet approuve étant bien conscient que les dits recrutements n’ont pas respecté la

législation. Cela signifie que les deux parties prenantes se sont livrées à des pratiques

corruptives. Sur le terrain, nous avons eu à assister à des situations où le préfet a imposé

qu’avant de poser sa signature sur un acte de recrutement ne reçoit sa signature, il faut que le

maire recrute aussi ces gens31.

Les normes officielles en vigueur se trouvent donc vider de leur substance. De même, toute

décision de recrutement initié par le chef de l’exécutif communal, doit d’abord faire l’objet d’une

adoption par le Conseil municipal lors d’une délibération autorisant ledit recrutement. Toutefois,

30 NDONGO Florence, « La fonction publique locale dans le viseur ; expérience du Cameroun », in 2nd Issue de

L’observatoire des ressources humaines des Collectivités Territoriales en Afrique sur le thème : « Créer un

environnement porteur et attractif pour le Développement des Ressources Humaines des Collectivités Territoriales en

Afrique : partage de Défis et de Bonnes Pratiques », organisée par le l'Académie Africaine des Collectivités

Territoriales (ALGA) de CGLU-Afrique, janvier 2020. 31Entretien réalisé avec un agent contractuel, ancien chef Service des Affaires Générales et aussi du Service des

Ressources Humaines, Dschang, 19 juin 2020.

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ce processus de délibération donne aussi lieu à de nombreuses compromissions. Comme explique

cet ancien conseiller municipal :

Le Conseil municipal joue et a toujours joué son rôle d’organe délibérant lors de tout

processus de recrutement en donnant son autorisation ou pas. Cependant, il faut nuancer le

rôle de ce conseil car, dans la pratique, c’est un organe politisé qui subit le poids des influences

politiques. Il y a des tractations qui se passent entre le maire et les conseillers municipaux.

Souvent certains membres du conseil ont aussi leurs intérêts à défendre comme le recrutement

des leurs à la mairie. Ce qui fait qu’ils donnent souvent leur autorisation à des recrutements

arbitraires. De manière générale, il faut retenir que les recrutements obéissent à lobbying dont

seul le maire est la clé de voute32.

Ce verbatim dévoile donc les pratiques des acteurs lors du Conseil de délibération sur

l’autorisation des recrutements. En somme, en l’absence d’un cadre juridique suffisamment

élaboré, d’une véritable fonction publique locale et d’une application rigoureuse des conditions et

des procédures en vigueur, l’informalité ou les pratiques informelles en décalage aux normes

officielles deviennent souvent la règle dans les processus de recrutement.

II- L’INFORMATISATION DU PROCESSUS DE RECRUTEMENT DU

PERSONNEL LOCAL DANS LES CTD AU CAMEROUN

L’administration publique locale occupe une place très importante dans la vie publique

locale, du fait qu’elle est chargée de la gestion et de l’animation des services, des équipements et

des infrastructures dont disposent les CTD, ainsi que de la prestation des services sociaux de base

aux populations et aux communautés. Ainsi, pour relever ces défis, elles doivent élaborer et mettre

en œuvre des politiques publiques de recrutement des agents reposant sur le respect de certaines

normes comme le profil du poste, la compétence et la prohibité, afin d'employer un capital humain

engagé, professionnel, compétent, motivé, éthique en mesure d’impacter la performance des

structures et des services au niveau local. Cette exigence est loin d’être une réalité dans les

Communes au Cameroun notamment dans celle de Dschang. L’observation empirique laisse

entrevoir la forte prévalence d’un ensemble apparenté de normes informelles à l’œuvre dans les

processus de recrutement des agents communaux en décalage aux normes officielles en vigueur.

32 Entretien avec un ancien Conseiller municipal, Dschang, 29 juin 2020.

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Il se pose donc la question de « l’écarts aux normes »33 évoqué par Olivier de Sardan. Ces normes

pratiques inscrites dans les comportements routiniers et les stratégies qu’elles autorisent, forment

ce que Bailey a appelé les « règles stratégiques » et les « règles pragmatiques » dont les

gestionnaires des CTD, en fonction de leurs objectifs, s'en servent pour leurs intérêts : « Les règles

stratégiques enseignent à un concurrent comment gagner. Et les règles pragmatiques, qui sont un

sous-ensemble des règles stratégiques, disent comment contourner les interdits normatifs, mais

sans les contester ouvertement34. Dans ce cas, il faut prendre au sérieux cette observation de Le

Roi : « La concrétisation d’un dispositif de réformes juridiques quelque louables qu’en soient les

intentions doit aussi accepter des procédures particulières d’appropriation et de conversion selon

les constructions identitaires et les histoires sociales locales »35. Ainsi malgré l’efflorescence des

normes, les responsables continuent de maintenir une gouvernance informelle de recrutement des

agents communaux qui se traduit par des pratiques diverses. Sans prétention à l’exhaustivité, nous

regroupons cette «famille» spécifique de normes informelles, sous le vocable de néo-

patrimonialisme (ou de tel ou tel type de néo-patrimonialisme)36, de clientélisme, de favoritisme

politique ou patronage, de népotisme, de tribalisme, etc., qui sont entre autres expressions de ce

contournement des normes et des procédures formellement prescrites. Tous ces traits figurent, à

33 Dans cette visée, Jean Daniel Reynaud écrit, en distinguant le formel et l’informel : « … le formel ou l’officiel, c’est

ce qui est écrit dans les règlements intérieurs ou dans les codes, ou dans les définitions des postes. C’est ce que dit la

direction, ce sont les principes qu’elle affiche. L’informel, ce sont les relations réelles que découvre l’observateur

soigneux de la vie de l’atelier ou du bureau quand il a eu le temps et la patience de rechercher ce qui se fait vraiment

derrière les fictions officielles. L’objectif même du sociologue…est les pratiques réelles des acteurs, et pour cela, il

doit écarter la façade qu’ils présentent et la théorie qu’ils s’en font », REYNAUD J., Les règles du jeu. L’action

collective et la régulation sociale, Paris, Armand Colin, 1989, p.103. Dans le même sens, et pour une prescription

méthodologique, Pierre Bourdieu écrit : « La vision sociologique ne peut pas ignorer l’écart entre la norme officielle

telle qu’elle s’énonce dans le droit administrative, avec tous les manquements à l’obligation de désintéressement, tous

les cas d’ « utilisation privative du service public »…ou, de manière perverse, tous les « passe-droits », tolérances

administratives, dérogations, trafics de fonction, qui consistent à tirer profit de la non-application ou de la transgression

du droit », cité par ALAWADI Z., « chapitre1 : Décentralisation, usages pluriels des normes et logiques des acteurs

au Nord-Cameroun », ALAWADI Z., (dir.), Décentraliser au Cameroun : dynamiques institutionnelles et logiques

d’acteurs, p.59. 34 F. Bailey, Les règles du jeu politique, Paris, Puf, 1971. 35 LE ROI E., « La décentralisation en Afrique et le droit. Nouveaux outils et contraintes pérennes », Michelle

LECLERC-OLIVE (dir.), Affaires locales. De l’espace social communautaire à l’espace public politique, Paris,

Karthala, 2006, pp.1935. 36 Il ne s’agit pas ici d’une classification formelle mais d’une typologie «ancrée dans le terrain (grounded typology).

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des degrés divers, dans la culture politique locale37 au Cameroun38 tout comme dans d’autres pays

d’Afrique subsaharienne.

A- La gouvernance néo-patrimonialiste du recrutement des agents communaux

Le paradigme néo-patrimonialisme permet de rendre compte de l’ampleur des écarts de

normes en vigueur dans les CTD. En effet, le néopatrimonialisme est généralement considéré

comme un système de règles dans lequel cœxistent des normes étatiques formelles et de pratiques

patrimoniales d’appropriation privée des ressources publiques39. Il est le trait caractéristique de la

gouvernance publique des régimes africains postcoloniaux, et a consisté en la distribution des

ressources, non pas dans une perspective du développement des pays, mais à des individus ou à

des groupes qui allaient apporter leur soutien à ces régimes40. Cependant, l’avènement de la

modernité politique n’a pas mis fin à de telles logiques. Au contraire, elles se sont routinisées et

se sont enracinées dans les mœurs des gestionnaires des communes à l’ère de la décentralisation.

Sur la base d’une observation in situ, nous notons que la gouvernance communale est

soumise à des logiques de prédation ou de privatisation informelle des ressources transférées soit

par l’Etat central ou drainées par les partenaires internationaux pour la délivrance des services

sociaux de base aux populations locales. A cette aune, les CTD fonctionnent sur le mode d’une

gouvernance dévoyée, détachée de leur proximité normative et fortement incubée dans

37 La culture politique locale n’est pas la culture politique des élites de la capitale, elle n’est pas non plus l’expression

de la « tradition », et n’a évidemment rien à voir avec une quelconque « culture africaine ». La culture politique locale

est un ensemble de pratiques et de représentations modernes partagées, quant au fonctionnement pratique des modes

de gouvernance locale, qui incorpore les expériences multiples accumulées par les populations locales. On peut aussi

se représenter la culture politique locale comme étant constituée de l’ensemble des normes pratiques partagées, autour

de l’action collective, du pouvoir et de la délivrance de biens et services, que ces normes soient proches ou non des

normes officielles (OLIVIER DE SARDAN (J-P.), « Les huit modes de gouvernance locale en Afrique de l’Ouest »,

Working Paper, N°4, novembre 2009, p.44.). 38 Une précaution épistémologique s’impose à l’avance. Il ne faut pas tomber dans les pièges du culturalisme. Au

contraire, il faut une déculturalisation car, ces pratiques ne sont pas une invention ou une spécificité des sociétés

politiques africaines. Elles se retrouvent également dans les pays occidentaux dites de « démocraties avancées ». Il ne

s’agit en aucun cas de prétendre que ces traits sont présents en Afrique, et absents en Europe. Simplement, ils n’ont

pas au Nord la même extension et la même intensité que dans les pays africains. On peut dire que les ingrédients de

la sauce sont partout les mêmes, mais ce sont les proportions qui changent, et la sauce n’a pas de ce fait du tout le

même goût. 39 MEDARD (J-F.), (dir), Etats d’Afrique noire. Formations, mécanismes et crises, Paris, Karthala, 1991. Voir aussi

MEDARD (J.-F.), «L’État patrimonial», Politique africaine, n° 39, septembre 1990, pp. 25-36 ; MEDARD (J.-F.),

«La crise de l’État patrimonial et l’évolution de la corruption en Afrique subsaharienne», Cartier-Bresson Jean (dir.),

Mondes en développement, Vol.102, n°26, 1998, pp. 55-68. 40ALAWADI Zélao, « Introduction générale : Décentralisation entre raisons et sens institué », ALAWADI Zélao

(dir.), Décentraliser au Cameroun : dynamiques institutionnelles et logiques d’acteurs, Paris, L’Harmattan, 2018,

pp.15-32.

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l’environnement sociologique. Les logiques néopatrimoniales apparaissent comme des

expressions d’une gouvernance locale qui en se routinisant, peinent tangiblement à se vêtir de

nouvelles modalités gestionnaires en convergence avec la nouvelle donne institutionnelle41.

La néo-patrimonialisation met donc en relief les logiques de prédation des ressources

induites par le processus de la décentralisation au niveau des CTD. Désormais, le recrutement du

personnel communal tout comme d’autres services publics, épousent les marges d’une distribution

des rentes à des protégés ou à des apparentés. Au propre comme au figuré, nous évoluons dans un

environnement sociologique où les communes se gèrent comme des boutiques destinées à générer

des mannes pour des familles ou des factions qui restent ici soudées par le principe de l’esprit de

prébendes42. Les responsables municipaux dans certaines CTD ont mis en place un régime de

gouvernance de recrutement qui repose essentiellement sur l’informel. C’est-à-dire un système de

recrutement qui ne repose sur aucune règle de transparence et saborde allègrement le principe de

la publicité, la transparence et l’égalité des chances constituent les principes fondamentaux à

respecter en matière de recrutement au niveau des administrations publiques locales. « Dans cette

Commune, chaque maire arrive au pouvoir et fait recruté les membres de sa famille, ses obligés

politiques et même ses copines »43 déclare un agent municipal. Une gestion néo-patrimonialiste du

recrutement du personnel communal n’est pas en tout cas propice à l’émergence d’un personnel

administratif et technique compétent qui est chargé de mettre en œuvre le transfert des

compétences ainsi que de rendre des services de proximité de qualité et de gérer les affaires locales

dans le respect des principes de la bonne gouvernance.

B- La prévalence du clientélisme politique ou du favoritisme politique

Envisagée sous la forme la plus générale, la notion de clientélisme sert à désigner des liens

personnalisés, entre des individus appartenant à des groupes sociaux disposant de ressources

matérielles et symboliques de valeurs très inégales, reposant sur des échanges durables de biens et

de services, généralement conçues comme des obligations morales unissant un « patron » et les

« clients » qui en dépendent. Jean-François MEDARD l’a précisément définie, en distinguant

comme traits constitutifs du rapport de clientèle, à la suite des principaux travaux publiés à

41ALAWADI (Z.), « Décentralisation, usages pluriels des normes et logiques des acteurs au Nord-Cameroun »,

ALAWADI (Z.) (dir.), Décentraliser au Cameroun : dynamiques institutionnelles et logiques d’acteurs, op.cit., p.44. 42 Ibid., p.45. 43 Entretien réalisé avec un agent municipal de la Commune de Dschang, Dschang, 10 juin 2020.

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l’époque sur ce thème, la personnalisation, la réciprocité et la dépendance. Il propose ainsi du

phénomène la définition suivante :

Le rapport de clientèle est un rapport de dépendance personnelle non lié à la parenté, qui

repose sur un échange réciproque de faveurs entre deux personnes, le patron et le client, qui

contrôlent des ressources inégales…Il s’agit d’une relation bilatéraliste, particulariste et

diffuse (…) ; d’une relation de réciprocité (…) qui suppose un échange mutuellement

bénéfique (…) entre partenaires inégaux 44.

Appliqué aux bureaucraties des Etats africains contemporains, le clientélisme évoque en

particulier des pratiques généralisées de recrutement dans la fonction publique sur la base de

faveurs, d’allégeances, de népotisme, de rentes corruptives, qui contrastent avec les normes

officielles d’un recrutement45 qui valorisent l’expérience, les compétences et l’efficacité des

embauchés et plus tard la rentabilité et le management optimal des ressources de la commune.

Il s’agit donc d’une politisation de la fonction publique locale qui renvoie essentiellement

au contrôle partisan de la bureaucratie et dont, de l’administration publique locale : en d’autres

termes, lorsque l’activité des agents de l’État est davantage déterminée par des normes politiques

que par les normes professionnelles définies par les administrations et régies par la loi. PETERS

et PIERRE définissent la politisation de la fonction publique comme « le remplacement des

critères basés sur le mérite par des critères politiques dans la sélection, la rétention, la promotion,

les récompenses et la prise de mesures disciplinaires pour les membres de la fonction publique»46.

Cette tendance peut comprendre des tentatives de contrôler la mise en œuvre, ainsi que des

tentatives d’offrir des postes à des membres ou des partisans de partis et à des proches ou des clans.

Il est question ici de la « politisation péjorative »47, à savoir le remplacement des critères basés sur

le mérite par des critères politiques.

44Cité par BRIQUET Jean-Louis, « La politique clientelaire. Clientélisme et processus politiques », dans BRIQUET

Jean-Louis, SAWICKI (dirs.), Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines, Paris, Presses Universitaires

de France, 1998, pp.7-37. 45 OLIVIER DE SARDAN (J-P.), « A la recherche des normes pratiques de la gouvernance réelle en Afrique », op.cit.,

p. 46 PETERS (B.G.) and PIERRE (J.) (eds.), Politicization of the Civil Service in Comparative Perspective, London,

Routledge, 2004, p.2. 47GREGORY R. “Dire Expectations but Subtle Transformations? Politicisation and the New Zealand Public Service”,

in PETERS B.G. and PIERRE J. (eds.), Politicization of the Civil Service in Comparative Perspective, London:

Routledge, 2004, pp. 159-179.

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A l’ère de la décentralisation, il n’est pas étonnant que les CTD tendent à reproduire les

pratiques clientélistes et de favoritisme politique dans la gouvernance locale. C’est ainsi que les

processus de recrutement du personnel semblent pour une très grande part dominée par les logiques

de réseaux, de protection individualisée et de redistribution qui n’ont que fort peu à voir avec des

profils de poste dûment établis ou des critères de compétence. On peut se poser la question de

savoir de quel type de clientélisme s’agit-il? Il s’agit principalement du clientélisme partidaire48

proche du favoritisme politique considéré par Van de Walle comme la forme la plus habituelle de

clientélisme en Afrique est le favoritisme politique (ou patronage), qu’il définit comme « la

pratique consistant à se servir des ressources de l’État pour offrir des emplois et des services à

des clientèles politiques »49.

L’embauche des agents communaux est alors, de manière essentielle une ressource

électorale. Le recrutement s’effectue par recommandation, sur les bases « politiciennes ».

L’embauche clientéliste, étant un tribut payé par l’élu local à ses réseaux ou ses relations qui ont

contribué, directement ou indirectement, à son élection. Un ancien Conseiller municipal de la

Commune de Dschang affirme : « La majorité des agents communaux ont été recrutés sous le

règne de l’ancien Maire sans aucun respect des procédures législatives et règlementaires, le seul

souci étant de récompenser les copains politiques avec qui il a battu la campagne électorale ou

de donner de l'emploi à ses affidés »50. La distribution d'emplois communaux est ici une ressource

pour les élus locaux nécessaire au maintien et à l'élargissement de leur influence personnelle et de

leur notoriété en se créant des réseaux d'obligés. Les élus ne négligent pas des intérêts plus

personnels ou familiaux, en « casant » dans les services parents et amis. En fonction des multiples

changements d’alliances au sein des majorités et des alternances éventuelles au pouvoir, les

recrutements servent à remercier les militants, cadres et financiers des partis, et leurs obligés pour

les services rendus. Il n’y a inversement que peu de recrutements qui se fassent selon des critères

de compétence et de technicité.

48 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, « La sage-femme et le douanier. Cultures professionnelles locales et culture

bureaucratique privatisée en Afrique de l’Ouest », in RAFFINOT Marc, ROUBAUD François (eds.), Les

fonctionnaires du Sud entre deux eaux : sacrifiés ou protégés ?, Paris, Éditions de l’Aube, IRD, 2001, Autrepart (20),

2001 : 11-26 pp.61-74. 49Van de Walle cité par CAMERON Robert, « La redéfinition des relations politico-administratives en Afrique du

Sud », dans Revue Internationale des Sciences Administratives, Vol.76, 2010, pp.709-734. 50 Entretien réalisé avec un ancien Conseiller municipal, Dschang, 14 juin 2020.

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C- La prépondérance du népotisme et du copinage dans le recrutement du personnel local

A côté des pratiques de clientélisme ou de favoritisme politique, on a également le copinage

et le népotisme qui sont entre autres expressions de ce contournement des règles formellement

prescrites en matière de gestion du personnel communal. En effet, le copinage renvoie à une forme

spécifique de favoritisme par laquelle l’agent public local donne la préférence à ses amis ou

connaissances. Le népotisme quant à elle est une forme spécifique de favoritisme, par laquelle un

agent public use de son pouvoir ou de sa position pour faire bénéficier un membre de sa famille

d’un avantage indu (emploi, faveur, traitement préférentiel, etc.). C’est donc l'attitude de quelqu'un

(dirigeant) qui use des privilèges liés à sa fonction pour favoriser ses proches. Si ces phénomènes

de népotisme et de copinage sont beaucoup observés dans l’administration publique de l’Etat, ils

sont aussi très prégnants dans le recrutement de ressources humaines dans les administrations

publiques locales dans un contexte de décentralisation. C’est l’aveu de cet agent décisionnaire :

La plupart de mes collègues au sein de cette mairie sont des proches -familles des différents

maires qui ont succédé au sein de cette commune. Je suis déjà à près de 15 ans de service. Je

constate que chaque fois quand un nouvel exécutif communal est là, il y a recrutement de

nouveaux employés et qui ne sont rien d’autres que les privilégiés de ces nouveaux élus. Moi-

même je suis un gars qui ne faisait rien au quartier. J’ai été recruté en 2007 quand l’ancien

maire de l’époque a pris la tête de la mairie. Je suis l’enfant à son oncle paternel51.

A l’interprétation de ce verbatim, on perçoit une certaine prédominance des logiques népotistes

et de copinage dans les procédures de recrutement parfois au détriment des exigences de

compétences et de la technicité.

D- La prédominance des logiques tribales et claniques dans le recrutement des ressources

humaines dans les CTD

Le tribalisme ou le clanisme étant un autre visage du népotisme est aussi dominant dans le

recrutement des agents communaux au Cameroun notamment à la commune de Dschang. Au

regard du tableau synoptique du personnel de ladite commune, en faisant une « anthroponymie des

noms »52 des agents communaux, nous apercevons qu’ils sont à près de 80% originaires des

51 Entretien réalisé avec un agent décisionnaire de la Commune, Dschang, 10 mai 2020. 52Traditionnellement, l’étude des noms est une discipline philologique, linguistique : l’onomastique. Elle étudie le

choix des noms de famille et des prénoms, en mesurant leur fréquence et en les classant selon leur origine : noms de

métiers, sobriquets. De façon générale, on parle plutôt d’anthroponymie lorsqu’il s’agit du système de désignation, et

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villages du Département de la Menoua. Ce qui traduit une sorte d’exclusion des autres ethnies dans

la gestion communale et un problème de la gestion de la diversité ethnique dans la fonction

publique territoriale. Car, la gestion de la diversité a des atouts éthiques, économiques et sociaux

qui s’articulent bien avec les exigences de la gouvernance démocratique locale qui prônent

l’inclusion de tous les groupes sociaux divers dans la gestion des affaires publiques locales.

Cependant, ce n’est pas tant le facteur tribal en soi qui est un problème mais au niveau de

son instrumentalisation par les gestionnaires des communes qui relèguent le profil et les

compétences au second plan. La plupart d’agents de cette commune, sont en majorité originaires

des villages du département de la Menoua, n’ont pas de qualification professionnelle. D’autres

occupent des fonctions qui ne cadrent pas à leurs profils ou n’ont pas les compétences requises.

Au regard de cette architecture de ressources humaines au sein de cette institution communale, on

est porté à croire que les processus recrutement ont été fait sur la base tribale au mépris des critères

de bonne gouvernance et de gestion optimale de ressources humaines.

III- LES EFFETS PERVERS DE L’INFORMALISATION DES PROCESSUS DE

RECRUTEMENT DES AGENTS COMMUNAUX

Max WEBER parlant du « paradoxe des conséquences » affirme : « L’acteur, aussi

rationnel soit-il, ne peut jamais prévoir toutes les conséquences de son action. Ses décisions n’ont

souvent pas les effets qu’il avait imaginés. L’action, prévue pour être positive, a souvent des effets

négatifs. On veut le bien et le mal se réalise. L’action prévue pour être rationnelle, débouche

souvent sur des effets irrationnels. C’est le paradoxe des conséquences »53. C’est ce que le

sociologue Raymond Boudon a appelé la « conséquence non-prévue des actions sociales

intentionnelles » ou « effet contre-intuitif »54. Suivant cette logique, la prédominance des pratiques

informelles ou de l’informalité dans les processus de recrutement du personnel communal au

détriment des normes juridiques et des procédures administratives en vigueur, produisent des effets

contre-productifs, préjudiciables à la performance et à l’efficacité des CTD dans la délivrance des

services publics et l’amélioration des conditions de vie des populations de base.

d’onomastique lorsqu’il s’agit du choix des noms personnels. Lire par exemple Jacques Fédry, «Le nom, c’est

l’homme », in L’Homme [En ligne], 191 | 2009, mis en ligne le 01 janvier 2011, consulté le 30 avril 2019. URL :

http://journals.openedition.org/lhomme/22195 ; DOI : 10.4000/ lhomme.22195 53Max WEBER cité par BRECHON Pierre, Les grands courants de la sociologie, Presses universitaires de Grenoble,

2000, p. 76. 54 Cité par GOSSELIN André, La logique des effets pervers, Paris, PUF, 1998, pp.2-24.

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A- La sous-qualification professionnelle et l’analphabétisme des agents et la mauvaise

utilisation des compétences

L’enquête sur l’état du personnel local dans la Commune de Dschang a permis de relever

trois problèmes inquiétants dans l’administration des ressources humaines à savoir un sur-effectif

d’agents non-qualifiés dont certains sont analphabètes et une mauvaise utilisation des

compétences.

1- Un sureffectif du personnel non-qualifié et sous-scolarisé

Les données issues des résultats du recensement physique des agents communaux du 15 au

22 janvier 2020 à la commune de Dschang confirment à la fois un sentiment général de «mal-

effectif » dans cette commune, illustré par une importante sous-représentation des agents qualifiés

ainsi qu’un sentiment d’analphabétisme de certains, en particulier parmi les décisionnaires et les

temporaires. Comme le montre les tableaux ci-dessous :

Tableau 1 : répartition de la catégorisation professionnelle des agents communaux en

fonction des statuts

Contractuels Décision

naires

Temporaire

s

Total Pourcenta

ges

Sans qualification

professionnelle 12 42 86 138 64,52%

Chauffeur 0 10 3 13 5,99%

Comptable 8 1 1 10 4,61%

Juriste 7 0 0 7 3,23%

Electricien 2 1 3 6 2,76%

Informaticien 2 1 2 5 2,30%

Secrétaire de bureau 3 1 0 4 1,84%

Comptable matière 3 0 0 3 1,38%

CEFAM 1 1 0 2 0,92

Couturière 0 0 2 2 0,92%

Génie civil 2 0 0 2 0,92%

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Maçon 0 2 0 2 0,92%

Menuisier 0 1 1 2 0,92%

Plombier 1 1 0 2 0,92%

Spécialiste en territoire,

environnement et

développement 2 0 0 2 0,92%

Aide-soignant 0 0 1 1 0,46%

Archiviste 0 1 0 1 0,46%

Bibliothécaire 1 0 0 1 0,46%

Gouvernance locale 1 0 0 1 0,46%

Ingénieur hygiéniste &

assainisseur urbain 1 0 0 1 0,46%

Journaliste 0 1 1 0,46%

Mécanicien 1 0 0 1 0,46%

Paramédical 0 0 1 1 0,46%

Paysagiste 1 0 0 1 0,46%

Peintre 0 1 0 1 0,46%

Sociologue 1 0 0 1 0,46%

Technicien en génie rural 1 0 0 1 0,46%

Technicien topographe 1 0 0 1 0,46%

Urbaniste 1 0 0 1 0,46%

Ingénieur de génie rural 1 0 0 1 0,46%

Ingénieur en énergie

renouvelable 1 0 0 1 0,46%

Guide touristique 1 0 0 1 0,46%

216 100,00%

Source : Secrétariat Général, Résultats du recensement physique du 15 au 22 janvier 2020 à

la commune de Dschang.

Il en ressort de ce tableau que, des 216 agents communaux qui ont été recensés, 138 agents

soit 64,52% sont sans formation professionnelle. On a également une faible proportion d’agents

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de conception et de maitrise et une très grande proportion d'agents destinés à des tâches d'exécution

courante. Par conséquent, on aperçoit que les compétences transférées par l’Etat central sont lésées

en personnel qualifié, il s'agit notamment de l'aménagement et urbanisme, des travaux publics, de

la foresterie, des affaires sociales culturelles et économiques, etc. Cette sous-qualification criarde

des personnels a trois conséquences principales sur l’organisation du travail communal : une

autonomie réduite et un faible taux d’activité des personnels d’exécution et une charge de travail

concentrée sur les personnels les plus qualifiés55. L’absence de qualification associée à une faible

motivation entraîne un niveau d’autonomie très réduit des agents.

A côté de cette sous-qualification professionnelle dans l’administration publique locale,

on a le phénomène de l’analphabétisme de certains agents, en particulier parmi les agents

décisionnaires et temporaires.

Tableau 2 : répartition des diplômes académique des agents communaux en fonction de la

catégorisation d’emplois

CONTRACTUEL

S

DECISIONNAIRE

S

TEMPORAIRE

S TOTAL pourcentage

SANS DIPLOME 0 20 41 61 28%

CEPE 0 24 37 61 28%

BEPC 0 10 9 19 9%

CAP 2 6 4 12 6%

PROBATOIRE 9 2 5 16 7%

CAPACITE 5 0 1 6 3%

BAC 14 0 3 16 8%

BTS 4 0 0 4 2%

LICENCE 7 0 1 8 4%

MASTER 1 5 0 0 5 2%

MASTER 2 8 0 0 8 4%

TOTAL 54 62 101 216 100%

55Cabinet Agora Consulting, «L’évaluation des besoins en personnels des collectivités territoriales décentralisées en

vue de l’élaboration d’un tableau-type des emplois communaux », op.cit., p.31.

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Source : Secrétariat Général, Résultats du recensement physique du 15 au 22 janvier 2020 à

la commune de Dschang.

Il en ressort que 30% des agents communaux sont sans diplôme académique. 30%

également ont un niveau académique équivalent au CEPE. Ce qui pose un réel problème de

qualification de ces agents. En outre, on a une très faible représentation des diplômes

professionnels au profit des diplômes de l'enseignement général (formation académique plutôt

qu'expertise professionnelle) et un niveau de formation inférieur à la moyenne soit moins de 30%

ont un baccalauréat d'enseignement général ou l'équivalent.

Les acteurs rencontrés expliquent cette sous-qualification professionnelle et

l’analphabétisme de la majorité des agents surtout dans la catégorie des décisionnaires et des

temporaires, par la qualité des processus de recrutement qui ne répond pas toujours aux normes en

la matière. L’absence des procédures claires et transparentes de recrutement, les interférences des

pratiques clientélistes, de népotisme, de copinage, de favoritisme dans le choix du personnel

communal restent donc les principaux facteurs explicatifs des faibles capacités en ressources

humaines des administrations locales camerounaises. Comme le relève cet agent communal :

Dans cette commune comme dans la plupart au Cameroun, l’exécutif communal semble ne pas

s’assurer que les personnes retenues disposent des compétences, des connaissances et de

l’expérience requises pour remplir les fonctions prévues. C’est la raison pour laquelle on a

plusieurs personnes incompétentes et non-qualifiés ayant été recruté sur de critères informels

(politiques, par exemple...). La majorité d’employés recrutés par l’ancien maire et même ceux

qui l’avaient précédé ne cadre pas nécessairement avec les besoins de la commune. Le

recrutement devrait se faire en fonction des qualifications en adéquation avec les besoins de la

mairie56.

A cause de la faiblesse du niveau de qualification des agents recrutés, il s’avère que la

plupart de ces derniers ne maitrisent pas les missions dévolues à leurs postes de travail. Comme le

constate cet enquêté :

56 Entretien réalisé avec un agent contractuel, Dschang, 12 juin 2020.

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En 2017, j’étais encore chef de bureau de Ressources humaines. En échangeant avec les

employés, j’avais constaté que la plupart ne maitrisent pas les missions dévolues à leurs postes

de travail. Ils ne savent même pas leur rôle dans la structure, justement parce qu’ils ont été

recrutés de façon fantaisiste par les responsables municipaux sans aucune qualification

professionnelle. C’est la raison pour laquelle pour essayer de remédier à ce problème, j’ai

élaboré deux importants documents à même d’aider le magistrat municipal à avoir une réelle

visibilité dans la gestion de la matière grise mise à sa disposition. Ces documents sont : le «

Job description » et le « Plan de formation des personnels communaux. Ce document qui

précise les tâches de chacun tout à la fois pris en compte les spécificités propres à chaque poste,

le profil de base des personnes affectées à ces postes, la validation des acquis de l’expérience

exprimée par les intéressés. Ce second outil de travail a permis d’identifier les besoins en

formation57.

Ce phénomène de sous-qualification professionnelle et d’analphabétisme est donc un

indicateur de l’absence d’une politique efficace de formation et le renforcement des capacités des

personnels communaux. Une politique informelle de recrutement, pouvait être compensée si les

CTD avaient non seulement une politique judicieuse de formation continue mais aussi un plan de

gestion prévisionnelle des emplois et compétences. Plus loin, la routinisation des recrutements

personnalisés et politisés, est, dans une large mesure, à cause de l’échec du recrutement effectué

par le biais du Centre de Formation pour l’Administration Municipale (CEFAM). A titre illustratif,

au regard du tableau de répartition de la catégorisation professionnelle des agents communaux en

fonction des statuts présenté ci-haut, il en ressort que sur 216 agents, seulement 2 personnes soit

0,92% sont diplômés du CEFAM.

2- Mauvais emploi des compétences : surqualification, sous-qualification, inadéquation

profil-emploi

A ces phénomènes de sous-qualification et d’analphabétisme des agents, il faut ajouter un

troisième à savoir le mauvais emploi des compétences qui se manifeste de trois façons.

Premièrement, certains agents ont une qualification nettement supérieure à la tâche qu’on leur fait

effectuer. Comme le montre ces quelques cas de figure issus du tableau synoptique du personnel

57Entretien réalisé avec un agent contractuel, Chef Service des Affaires Générales et ancien chef Service des

Ressources Humaines, 20 juin 2020, Dschang.

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de la commune de Dschang. Dans la catégorie des contractuels, on a un agent qui est titulaire d’un

master en Droit Public dont la qualification professionnelle est juriste. Cependant au sein de

l’institution communale, il travaille au service de la Recette municipale comme collecteur de la

taxe municipale. On a également un autre agent qui a un Master en Gouvernance locale,

Décentralisation et Développement mais il est agent secrétaire au Service des Actes d’Etat Civil

et de la Statistique58.

Deuxièmement, se rencontre aussi des agents sous-qualifiés accomplissent des tâches

délicates à la place des personnels qualifiés. En scrutant le tableau synoptique du personnel de

cette commune, on a par exemple un agent contractuel titulaire d’un diplôme de Capacité en Droit

et est chef de Service des Actes d’Etat Civil et de la Statistique dont le patron de quelqu’un qui a

un Master en Gouvernance locale, Décentralisation et Développement mais est plutôt est agent

secrétaire au dans le même service ? On a en outre cette fois-ci un agent décisionnaire qui n’a pas

que le CEPE sans aucune qualification professionnelle mais est chef de bureau de Chef Bureau

Comptabilité-matières59. Donc, ce responsable assume une fonction pour laquelle il n’a pas

d’expertise et de compétences requises.

Cette mauvaise utilisation des compétences se manifeste enfin par une inéquation des

profils des agents et le poste occupé au sein de l’institution communale. Par exemple, sur 41 agents

contractuels, on recense 19 personnes dont leurs profils ne correspondent pas aux postes occupés60.

D’où parfois la non-maitrise par ceux-ci des missions dévolues à leurs postes de travail61. Une

évaluation du profil du responsable des ressources humaines de cette institution communale est

encore plus édifiante sur ce phénomène d’inadéquation entre le profil et le poste occupé. Ce dernier

est titulaire d’un Master professionnel en Génie de l’Assainissement Urbain et Hygiène sans

aucune qualification en GRH62. Pourtant, selon l’Arrêté n°00136 du 24 août 2009 rendant

exécutoires les tableaux-types des emplois communaux, le responsable des ressources humaines

au sein des CTD a pour missions de :

58Commune de Dschang & Secrétariat Général, Résultats du recensement physique du 15 au 22 janvier 2020 à la

commune de Dschang. 59 Commune de Dschang & Secrétariat Général, Résultats du recensement physique du 15 au 22 janvier 2020 à la

commune de Dschang. 60 Ibid. 61 Entretien réalisé avec un agent contractuel, Chef Service des Affaires Générales et ancien chef Service des

Ressources Humaines, Dschang, 19 juin 2020. 62 Commune de Dschang & Secrétariat Général, Résultats du recensement physique du 15 au 22 janvier 2020 à la

commune de Dschang.

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Gérer et suivre la carrière administrative du personnel ; appliquer et faire appliquer les dispositions légales

régissant le personnel ; veiller au respect des normes de travail ; identifier les besoins en formation et rechercher

les formations adéquates au bénéfice des agents ; suivre le personnel et évaluer ses performances ; concevoir une

politique de ressources humaines et de recrutement.

Pour ce faire, il doit avoir des compétences sur les « textes et lois en vigueur en matière de

gestion des ressources humaines, techniques de recrutement, de mobilisation et de motivation ;

droit du travail ; management opérationnel de service (pilotage et gestion d’équipe) ». Cette

situation témoigne du faible intérêt qu’accordent les responsables et leurs administrations au

développement du capital humain car, les services sont mis en avant en fonction de l’intérêt que

leur accordent les exécutifs locaux.

De manière générale, une politique informelle de recrutement du personnel local n’a pas

permis de disposer des ressources humaines en qualité appréciable. La sous-qualification

professionnelle, l’analphabétisme, le mauvais emploi des compétences, l’absence de gestion

intelligente des ressources humaines, etc., tout cela compromettent l’efficacité et la performance

des collectivités territoriales décentralisées dans la prestation des services publics et la conduite

du développement local.

B- La compromission de l’efficacité et de la performance des CTD dans la délivrance des

services publics

Les pouvoirs locaux sont les structures publiques les plus proches des populations de base

les plus proches des citoyens et constituent leurs points d’interaction les plus courants. Compte

tenu de cette proximité, ils ont de meilleures chances d’être à l’écoute des populations locales et

de répondre à leurs attentes ; une plus grande souplesse permettant de fournir des services publics

transparents, responsables et adaptés aux besoins spécifiques des personnes et des populations.

L’atteinte de ces objectifs passe par une administration performante. Comme le précise le rapport

de l’UNDESA : « Il est aujourd’hui clairement admis que l’efficacité d’une administration dépend

dans une large mesure de la qualité de la gestion de ces ressources humaines qui est un levier

fondamental pour l’amélioration de la performance de l’organisation et de son capital humain »63.

La performance des services est fortement tributaire de l'organisation et des personnes qui la

composent. Jean-Marie PERETTI le soulignait à juste titre : « l'efficacité d'une entreprise résulte

63UNDESA, Unlocking the Human Potential for Public sector Performance, World Public Sector Report 2005, p.25.

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de la valeur de son organisation »64. Dès lors, dans le cadre des collectivités territoriales

décentralisées, une bonne organisation du service devrait donc s'appuyer sur : la maîtrise des

missions et des compétences de la commune ; des objectifs politiques et techniques (plan de

campagne, plan de développement, documents de planification des projets) ; la connaissance de

l'ensemble du personnel, de leurs profils et compétences (connaissances professionnelles,

compétences opérationnelles, managériales et relationnelles)65.

Dans le contexte camerounais, l’atteinte de cet idéal demeure encore un horizon dans la

mesure où, les procédures de recrutement du personnel dans les administrations publiques locales

sont encore dominées par des pratiques informelles (tribalisme, népotisme, favoritisme, copinage).

D’où l’absence criarde de l’efficacité et de l’efficience dans la prestation des services publics.

Comme le souligne cet expert en Gouvernance locale, Décentralisation et Développement :

L’informalisation de la gouvernance des ressources humaines constitue l’une des principales

causes de la faible performance des administrations publiques locales au Cameroun. La prise

en compte de la compétence individuelle des agents publics, leurs profils et motivations lors

des recrutements et des nominations (gages pour l’amélioration de la performance et de

l’efficacité du gouvernement local), est sacrifiée à l’autel des intérêts privés des responsables

municipaux lors des recrutements. Dès lors, on comprend mal comment le processus de la

décentralisation peut progresser si les collectivités territoriales continuent à recruter leurs

personnels sans respecter les normes minimales en matière de gestion des ressources

humaines66.

Dans le même sens, un conseiller municipal ajoute :

La privatisation croissante des recrutements a contribué au manque d’efficacité et de la

prestation des services dans la plupart des communes au Cameroun. C’est la raison pour

laquelle les administrations territoriales locales doivent se fonder davantage sur les

compétences dans le cadre des nominations et des recrutements67.

64 PERETTI Jean-Marie, Ressources Humaines et gestion du personnel, Paris, Vuibert, 1998. 65TONGUE Thomas Yves, La gestion des ressources humaines dans les collectivités territoriales décentralisées: un

gage au développement du Cameroun. Cas de la Commune de Dibombari, Mémoire de master en en Management des

Ressources Humaines, INEAD Vitrolles-France, 2015. 66 Entretien réalisé avec expert en Gouvernance locale, Décentralisation et Développement, Dschang, 14 juin 2020. 67 Entretien réalisé avec un ancien Conseiller municipal, Dschang, 3juin 2020.

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Par ailleurs, on observe une certaine incapacité des CTD à mettre en œuvre leurs

compétences et accomplir leurs missions de développement dans divers secteurs à cause d’un

déficit de ressources humaines appropriées. Comme l’a admis en 2017, le ministre en charge de

l’Administration Territoriale et de la Décentralisation :

Naturellement, pour exercer les compétences et accomplir leurs missions de développement

économique, sanitaire, social, éducatif, sportif et culturel, les CTD doivent disposer de

ressources humaines appropriées. Il s’agit d’une problématique essentielle de notre processus

de décentralisation, qui doit être convenablement prise en compte, notamment dans la

perspective de la mise en place des régions. Dans l’ensemble, le personnel de nos communes

aujourd’hui est insuffisant dans certaines, pléthorique, vieillissant et au profil inadéquat, dans

d’autres. Ce personnel n’est pas suffisamment outillé pour l’exercice des compétences

transférées68.

C’est là le nœud gordien de la décentralisation dont la performance et l’efficience repose

étroitement sur la qualité des ressources humaines mandatées pour la gestion des ressources

transférées au CTD. Les goulots d’étranglement résultent de cette carence voire de cette absence

notamment dans certaines localités, du personnel compétent et qualifié pour la conduite optimale

de la mise en œuvre de la décentralisation. Cette situation affaiblit même la confiance des

populations locales et nuit à l’image des autorités publiques locales en tant qu’entités servant les

intérêts de leurs administrés.

Conclusion

L’objectif de ce travail consistait à travers une démarche sociologique, de saisir en acte les

procédures « réelles » de recrutement de ressources humaines dans les CTD au Cameroun à partir

de la Commune de Dschang comme site d’observation. L’observation empirique nous a permis

d’aboutir aux résultats suivants. D’abord, l’administration des ressources humaines demeure

caractérisée par un faible encadrement normatif et par l’inexistence d’une fonction publique locale.

En outre, on observe un faible respect des conditions et des procédures de recrutement contenues

68 Lire Mutations, n°4350, 10 avril 2017.

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le corps de normes officielles par les responsables municipaux. De même, les chefs des exécutifs

territoriaux détiennent un pouvoir discrétionnaire dans ce processus de recrutement du personnel

mais en font un usage abusif.

Ensuite, cette situation favorise l’institutionnalisation d’une certaine informallisation des

processus de recrutement du personnel communal en décalage aux normes officielles en vigueur.

Ces normes pratiques, inscrites dans les comportements routiniers et les stratégies qu’elles

autorisent, forment ce que Bailey a appelé les règles stratégiques et pragmatiques dont les

gestionnaires des CTD, en fonction de leurs objectifs, s'en servent pour leurs intérêts. Sans

prétention à l’exhaustivité, nous regroupons cette «famille» spécifique de normes informelles, sous

le vocable de néo-patrimonialisme (ou de tel ou tel type de néo-patrimonialisme)69, de

clientélisme, de favoritisme politique ou patronage, de népotisme, de tribalisme, etc., qui sont entre

autres expressions de ce contournement des normes et des procédures formellement prescrites.

Cependant, ces normes informelles produisent des effets contre-productifs, préjudiciables

sur la qualité des ressources humaines et la performance de l’institution communale. En d’autres

termes, une telle politique informelle de recrutement du personnel local n’a pas permis de disposer

des ressources humaines en qualité appréciable. D’où la sous-qualification professionnelle,

l’analphabétisme de certains agents, le mauvais emploi des compétences, l’absence de gestion

intelligente des ressources humaines, etc., qui entravent l’efficacité et la performance de ces CTD

dans la délivrance des services publics et l’amélioration des conditions de vie des populations de

base. Le profil du personnel communal demeure donc une problématique lancinante dans la

mesure où les institutions ne valent que par la qualité des personnes qui président à leurs destinées.

69 Il ne s’agit pas ici d’une classification formelle mais d’une typologie «ancrée dans le terrain (grounded typology).

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L’imprécision du contenu des normes juridiques internationales à

l’aune de la criminalité transfrontalière en Afrique

Par :

François Xavier BELINGA

Docteur/Ph.D en droit international public

Université de Yaoundé 2 (Cameroun)

Résumé :

Au tant que surgisse de nouvelles menaces, les approches de définitions se multiplient, au

tant de vide, de lacune et de floue se font ressentir sur le droit applicable à cet effet. Toutefois tout

porte à penser que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, cela impose sur le plan juridique

une exigence rédactionnelle de la part du législateur sur la clarté des contenus de normes, au

regard de la panoplie des crimes à caractère transfrontalière donc l’expansion n’en surprend

plus. L’Afrique considérée comme étant le ventre mou des phénomènes criminels tombent sous le

coup d’une escalade de violences moins encadrées par le droit international. A cet effet, la

conséquence directe née de cette situation n’est rien d’autre que le foisonnement des normes

juridiques non intelligibles, abstraites et imprécises. D’où la problématique de lisibilité ou de la

clarté du contenu des normes de droit internationales applicables en matière de lutte contre la

criminalité transfrontalière en Afrique. Il apparait à cet effet que la répression de ce phénomène

ne peut se faire par de normes floues et complexe, mais plutôt par la mobilisation d’un droit

débarrassé de toute gangue, de tous ses atermoiements. Par ailleurs cette contribution revêt un

double objectif. Le premier est de fournir des contenus précis aux normes de droit international

applicables à des phénomènes criminels attenants aux frontières. Le second est d’imposer au

législateur international de limiter la complexité de la loi tant du point de vue rédactionnel que

du point de vue du fond.

Mots clés : criminalité transfrontalière, frontière, norme imprécise, norme, phénomène criminel.

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Introduction

En observant la structure de la société internationale, il s’ensuit qu’elle est évidente de

constater qu’elle est faite d’une juxtaposition des règles qui, pour la plupart ont des caractéristiques

propres aux normes juridiques. En matière de terrorisme par exemple, depuis l’adoption de la

résolution 1373 relative aux attentats terroristes du 11 septembre 2001, il est apparu un nouveau

volontarisme juridique. Selon une manière de voir rattachée à Hegel et développée par Jellinek,

c’est le fondement de l’ordre juridique international qui repose sur la volonté de chaque Etat pris

uti singulis. La manifestation d’une telle volonté dans le domaine du maintien de la paix a dès lors

entrainé un foisonnement normatif voire un désordre normatif. La multiplication et la

surproduction des normes issues non seulement des laboratoires des Etats, ceux des organisations

internationales et des juridictions internationales ont engendré une sorte de submersion du droit

par le droit. Ce qui a dépouillé le droit de son impérativité d’Austin1.

En effet, si la règle de droit pour le professeur Denys BECHILLON n’existe nulle part.

Cela dit, qu’aucune définition d’elle qui vaille en tous lieux et pour tout usage ni même de

possibilité ne pourrait en exister. L’imprécision constatée aujourd’hui sur le contenu de la norme

est souvent disposée de façon abstrait dans divers instruments juridiques qui, pour la plupart

souffre de la flexibilité ou de la malléabilité de la norme elle-même à s’adapter aux nouvelles

situations2. Les causes étant multiples mais c’est la signification du message véhiculé qui importe.

L’on pourrait à cet effet, s’arrêter à l’appréhension de l’étymologie du concept de

« norme » qui représente un instrument de métrage3 pour caractériser son indécision pour les

besoins théoriques et pratiques de la société. Ainsi, la norme n’est précise que si son intelligibilité

n’est pas compromise dans la diversité de style4. Or, dans le cadre de la lutte contre la criminalité

transfrontalière, certaines infractions régulièrement commises, tout comme la norme, manquent en

elles-mêmes déjà l’absence d’une définition tant du point de vue normatif qu’idéologique. Il s’agit

1 Pour un droit dynamique et affranchi des entraves ou arraché des atermoiements de la prudence Austin, présente la

règle de droit sous la forme d’un commandement appuyé au besoin de la menace pour un souci à son obéissance. Voy.

OST(F), Le temps du droit, éd Odile Jacob, Paris 1999, p.191. 2 BERGEL (J-L), Théorie générale du droit, 4e éd Dalloz, Paris 2003, p.225. 3Ibid.p.165 4 WAGOUE TONGOUE (D. C), « L’intelligibilité de la loi dans le contexte de diversité de styles législatifs », in

FOMETEU (J) et al, La langue et le droit, éd L’Harmattan, Paris 2018. p.377

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en effet du terrorisme, de la piraterie y compris certaines infractions des droits de l’Homme qui

portent atteintes directement à la personne humaine.

Par ailleurs, l’univers juridique comme l’a bien observé KELSEN, parlant de l’ordre

juridique, est une structuration « dynamique » qui est rendu pensable par la conception formelle

de la validité et de la positivité des normes5. Pour débarrasser la norme juridique de la gangue

idéologique, le droit doit présenter un caractère d’ordre donc l'effet normatif est renforcé par la

rigueur de sa construction et la dogmatique juridique prenant appui sur la force obligatoire de la

norme qu’il en constitue. En revanche, quelle appréhension peut-on faire du contenu imprécis de

la norme de droit international à la lumière de la criminalité transfrontalière en Afrique ?

De ce qui précède, l’imprécision qui caractérise le contenu des normes applicables en

matière d’insécurité transfrontalière est sujette à deux principaux facteurs donc l’analyse ne peut

être menée au prix de l’examen binaire de la question. Au demeurant, l’étude de cette

problématique du contenu de la norme de droit international ne peut se faire de prime abord que si

l’on analyse l’application de ces normes à l’aune de certains crimes internationaux à caractère

transfrontalier tant par les instances internationales (I) d’une part. Ensuite penser à l’hypothèse

d’aboutir à l’édification d’un droit intelligible et cohérent ménagé par les législations nationales et

communautaires (II) d’autres part.

I- LA PROBLEMATIQUE DE LA LISIBILITE DU CONTENU DES NORMES

APPLICABLE AUX CRIMES A CARACTERE TRANSFRONTALIERE PAR LES

INSTANCES INTERNATIONALES

« Le droit est une abstraction, le produit d’une opération intellectuelle et il ne possède aucune

propriété empirique que l’on pourrait décrire à l’aide de propositions vraies », écrit Michel

TROPER6, pour dire que le droit relève d’un monde totalement abstrait des constructions de

l’esprit et peut être flexible et appliqué au gré de celui qui l’utilise ou le fabrique. En s’appuyant

sur des évolutions récentes de la doctrine sur l’émergence de nouvelles menaces et crises

sociopolitiques attenantes aux frontières, il en ressort que la diversité des normes juridiques ou la

constellation du droit observé et appliqué par les instances internationales se fait jusqu’ici de façon

5 OST(F), Le temps du droit, op.cit. p.191. 6 TROPER (M), Droit, 1989-10, p.10, BECHILLON (D), op.cit. p.9

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éparse et imprécise. Dans ces circonstances l’on est souvent confronté à un dilemme sur le texte à

appliquer par le fait qu’il en existe une pluralité de textes seulement pour une infraction

internationale7.

Si déjà il en existe d’abord une divergence d’opinion sur la détermination ou la

dénomination de certains crimes. Cela veut dire par la suite que la qualification s’est faite de façon

obscure à cause de la surenchère. L’opération de qualification étant une étapes préliminaire

importante pour en déterminer les contours d’une situation de menace, lorsqu’elle ne se fait pas,

même la production des définitions sera compliquée surtout si les éléments nouveaux resurgissent,

aussi la norme applicable sera-t-elle rendue non intelligible.

Pour comprendre pourquoi les normes applicables aux infractions issues de la criminalité

transfrontalière sont imprécises, il échoit tout d’abord de mener une analyse sur des textes y

afférents au cadre juridique applicable en la matière sur certains crimes internationaux qui, parait

assez incertain (A) avant d’en faire le point sur les implications(B) qu’une telle imprécision

pourrait engendrer au niveau de la constitution de leur socle normatif.

A- L’existence d’un cadre juridique incertain relatif à crimes internationaux

L’ambiguïté sur le démarquage et la délimitation des limites de frontières en Afrique a fini

par se constituer comme la matrice des zones d’incertitude sécuritaire s’exprimant en termes de

flux criminels transfrontaliers. La dévolution des repris de justice, des criminels d’une

souveraineté à une autre a entrainé une sorte d’amnésie sur la constitution d’un cadre juridique

adéquat à la lutte contre la grande criminalité affectant les frontières africaines. En effet, pour

démontrer cet amas d’incertitudes juridiques, il est opportun de mettre tout d’abord l’accent sur

les imprécisions relatives à l’adoption de certains projets de textes (1) et ensuite sur les

conséquences qu’une telle imprécision pourrait entrainer sur la sécurité des frontières (2).

1- Les imprécisions sur l’adoption de certains projets de convention réprimant les

crimes transnationaux

Le terrorisme et le crime contre l’humanité sont des infractions internationales définies

différemment par le droit international. L’Afrique ayant été envahi par des fanatismes de tout bord,

7 Le crime de terrorisme en l’occurrence, regorge à lui seul plus d’un millier de textes et trois cents pour la traite des

personnes. Voir le rapport du Haut-commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme, « Abolition de

l’esclavage et ses formes contemporaines », 2002, p.3

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s’est constituée aujourd’hui presqu’en une terre de désespoir né de la pauvreté8. Bref, le terrain de

tous les maux superflus de la violence externe et interne des crimes internationaux et

transnationaux. Pour le terrorisme, sa considération par le droit international manque de définition

précise. Il reste plutôt chargé de connotations politiques et idéologiques. Car les présumés

terroristes sont comme des « dieux Janus » aux yeux de la société9. Bien avant, les différentes

tentatives de définition de ce crime transnational par la convention du 9 décembre 199910, le

terrorisme connu en Afrique subsaharienne sous le label de Boko Haram a engendré d’importants

dégâts qui, jusqu’ici ne sont qualifiables que par un critère plus ou moins limitatif11 et constitutif

d’une infraction coutumière. Le projet de convention générale sur le terrorisme engagé par le

comité spécial des Nations Unies, créée par Résolution 51/210 du 17 décembre 1996 de l’AGNU

relative aux mesures visant à éliminer le terrorisme international a mis sur pied ce projet qui devait

être finalisé.

Cette important instrument juridique composé de 27 articles a certes fait l’unanimité, mais

la survenance des éléments « politiquement corrects et juridiquement incorrects »12 retarde encore

l’éclosion au grand jour cet important texte. Pour donner suite à une telle constellation de

divergences sur les points de vue, le Professeur Brusil Miranda METOU, à propos de ladite

convention soutient que non seulement cet instrument marque le pas sur place13 mais elle demeure

« une finalité ardue »14.

8FOGUE (A), « La lutte contre le financement du terrorisme international : un défi politique et administratif

pharaonique pour l’Afrique », in Revue africaine d’Etudes stratégiques et politiques, UYII, 2007, p.215 9 Le dieu Janus est ici considéré comme une personne ayant un caractère versatile. C’est-à-dire pour certain il est

considéré comme une figure cannibale de la société et pour d’autre un combattant de la liberté, un sauveur ou mieux

un libérateur. Voy. BOUCHET-SAULNIER (F), Dictionnaire pratique du droit humanitaire, op.cit. p.763. 10 Voir l’article 2.1(b) et la Résolution 1566 du conseil de sécurité, qui définit le terrorisme comme « des actes

criminels, notamment ceux dirigés contre des civils dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves ou la

prise d’otages dans le but de semer la terreur parmi la population, un groupe de personnes ou chez des particuliers,

d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un

acte à s’abstenir de le faire ». 11BOYLE (D), « Génocide et crimes contre l‘humanité : convergences et divergence », in FRONZA (E) et

MANACORDA (S), La justice pénale internationale dans les décisions des tribunaux ad hoc, éd Dalloz, Milan 2003,

p.125. 12 Expression employée par le professeur ATEMENGUE Jean de Noel dans sa communication sur le thème « Débat

contemporains en DIH : terrorisme, participation directe aux hostilités », Table ronde de Douala, tenue du 11 au 14

juin 2018, séminaire-atelier sur « Les enseignements du droit international humanitaire », inédit. 13 METOU (B.M), « Nations Unies : le projet de convention générale sur le terrorisme marque le pas sur place », in

Bull Sentinelle n° 342, avril 2013, p.22. 14Ibid.p.25.

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Il convient de noter également que cette convention reste encore lettre morte, dû au fait que

la plupart des conflits armés de plus en plus en vue comportent des stigmates des actes terrifiants

à connotation terroriste. Or sur le plan de l’application du droit humanitaire qui est un droit

s’appuyant à son champ matériel, il ne reconnait pas le terrorisme comme un conflit armé. Ce n’est

lorsque celui-ci atteint un certain seuil qu’il peut être absorbé par le conflit armé.

Cependant, l’absence d’une définition générale sur le terrorisme crée encore d’énormes

bémols, le fait de mêler le terrorisme à des luttes légitimes que menaient des peuples pour leur

accession à l’autodétermination, invalide tout initiative et divise même des délégations à pourvoir

à un consensus général15. Sur ce, si une telle initiative a manqué de pertinence en créant un

amalgame juridique, il est fort probable que l’on envisage des imprécisions au niveau de son

application.

Le crime contre l’humanité quant à lui est une infraction de droit international coutumier,

généralement commise pendant les conflits armés et/ou crises sociopolitiques conduisant à une

série d’actes reconnus comme tels par les statuts des tribunaux internationaux (articles 5 et 3 du

statut du TPIY de 1993 et du TPIR)16. Le soin ou la compétence revient à ces tribunaux d’en

fournir une définition conventionnelle de ce crime. En réalité l’inflation normative issue de la

panoplie des décisions de justice de ce crime transfrontalier au regard du cas Jean Pierre BEMBA,

donc la responsabilité fut imputée pour les exactions commises par ses troupes en RCA, engendre

une espèce d’insécurité juridique sur la question.

Le comble est que jusqu’à date la définition du crime contre l’humanité en connaît onze

éléments constitutifs, telle que libellé à l’article 3(1) du projet de convention sur le crime contre

l’humanité en ces termes : « Aux fins du présent projet, on entend par « crime contre l’humanité »

l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée

ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ... »17.

Une définition qui en réalité dans le sens juridique est vague et très imprécise du fait qu’elle

15METOU (B.M), « Nations Unies : le projet de convention générale sur le terrorisme marque le pas sur place »,

op.cit., p.25. 16 Il s’agit des statuts du tribunal militaire de Nuremberg, de Tokyo qui ont eu le toupet d’étendre cette définition à

l’assassinat, à l’extermination, la réduction à l’esclavage…, le TPI en fait également une extension progressive en

ajoutant l’emprisonnement arbitraire, la torture et le viol. Voy. BOYLE(D), op.cit. p.126. 17 Voir article 3 .1 (a), (b), (c), (d), (e), (f), (g), (h), (i), (j ) ,(e).

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comporte divers acceptations18. Cet important texte de 15 articles (donc le dernier équivaut à

l’article 33 de la CNU), examine de manière rigoureuse les différentes phases d’application de ce

texte toutes les fois où l’un quelconque des actes est commis ou perpétré par un individu. Il en va

même au niveau interne où la compétence est déférée aux Etats d’en faire des incriminations à

travers leurs législations pénales19. Nonobstant que ce projet ne soit pas encore mis en application,

à cause des divergences d’opinions qui n’en trouvent pas de solutions idoines et par rapport aux

modalités de son accomplissement entre les différents ordres juridiques qui devraient le rendre

intelligible.

Par ailleurs, que ce soit le projet de convention sur le terrorisme ou bien celui sur le crime

contre l’humanité, tant que les développements de leurs éléments restent encore en pleine

extension20, les délégations et les divergences de point de vue des tribunaux et dans leurs mises en

œuvre, le droit qui en découle demeure toujours imprévisible. Bien plus, il serait saugrenu ou

incongru de ne pas souligner que les progrès significatifs sont faits en ce sens. Par exemple en

matière d’application du droit pénal interne par les Etats sur le crime contre l’humanité, il relève

du « shadow side », c’est-à-dire que tout ce que les Etats font derrière le statut de Rome relève de

la complémentarité entre la CPI et les juridictions nationales21. On pourrait même envisager la

consécration des paradis pénaux pour régler de façon transversale cette question d’imprécision au

regard de la recherche d’un cadre juridique cohérent au niveau international.

2- La recherche d’un cadre juridique cohérent au niveau international

La recherche d’un cadre juridique international cohérent n’est pas un problème qui date

d’aujourd’hui. Si au XIXe siècle l’évolution a été lente, il n’en est plus le cas en ce jour. Car

l’époque contemporaine postérieure à la deuxième guerre mondiale connait une évolution

18 Lire BRETON (J.M), Le contrôle d’Etat sur le continent africain : contribution à une théorie des contrôles

administratifs et financiers dans les pays en voie de développement, LGDJ, Paris 1978, p.3. 19 Cf. l’article 6 al 1 et 2 du projet de convention sur les crimes contre l’humanité. 20 Voir les affaires : TPIY, jugement, affaire Kapreskic, IT-95-16-T, 14 janvier 2000 ; TPIY le jugement, Le procureur

c. Dusko Tadiç, IT-94-I-T, 7 mai 1997, §. 644et 650-652 ; lire aussi l’article 2 du statut du Tribunal Pénal International

spécial de la Sierra lionne, qui ajoute en extension la prostitution forcée, les grosses forcées comme élément constitutif

du crime contre l’humanité. 21 NTONO TSIMI(G), « Le projet de convention sur le crime contre l’humanité : risque de fragmentation ou

opportunité d’universalisation du droit des crimes contre l’humanité », communication faite lors d’une table ronde à

Douala, tenue du 11 au 14 juin 2018 sur le séminaire-atelier sur « Les enseignements du droit international

humanitaire », inédit.

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crescendo de la production normative. En effet, la constellation des normes soulève un certain

nombre de problèmes tant qualitatif que quantitatif.

D’abord sur le plan qualitatif, les normes font l’objet d’une production en fonction des

priorités des Etats en temps de paix, c’est-à-dire pour les relations purement économiques. Ainsi

l’établissement d’un ordre économique international efficace est une garantie de la sécurité

internationale. C’est donc à la suite de cette conception que le libéralisme économique a ouvert la

voie à l’adoption des règles garantissant la concurrence commerciale internationale qui débouche

à la « mondialisation » du droit22. Cette vision permet d’observer une diversification de règles

juridiques dans tous les domaines des disciplines juridiques.

L’expansion normative qui s’est faite à travers l’intensification des relations internationales

ainsi que la prise de conscience des interdépendances qui ont le plus encore favorisé le progrès

quantitatif du droit international et le développement des organisations internationales. Cependant,

en s’intéressant aux organisations internationales, leur activité a donné naissance à un vaste

mouvement conventionnel qui constitue aujourd’hui la toile de fond de la problématique de la

combinaison des règles juridiques. La période postérieure à la deuxième guerre mondiale va

davantage connaitre sous cet angle un effet boom rang, de telle sorte qu’une impulsion nouvelle

aux processus coutumier et conventionnel va entrainer une explosion normative autour de ce que

l’on peut qualifier de foisonnement de normes. En effet, il n’y a pas lieu de s’étonner d’une telle

situation qui répond à un besoin de cohérence et de sûreté juridiques surtout dans le cadre du

maintien de la paix et la sécurité internationales.

La mondialisation juridique comme opération délicate et ardue, in lege feranda, devrait

être mise en œuvre par tous les sujets et acteurs de la communauté internationale. Cette opération

qui vise la mise en cohérence du droit applicable en matière de criminalité transfrontalière engage

au regard du foisonnement textuel une sorte d'insécurité juridique sur les normes secrétées tant par

les Etats que par les organisations internationales. Par insécurité juridique s'entend comme le

précisait Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE,« la dégradation de la qualité de la loi »23ou

mieux d'une absence de prévisibilité des décisions judiciaires qui découlent d'une inflation

22 STERN (B), « La mondialisation du droit », in Revue Projet, n° 262, paris 2000, p. 99. 23 Parlant de l’inflation législative, dans son exposé à l’occasion de l’accueil des hauts magistrats brésiliens le 20

septembre 2005, M. Olivier DUTHEILLET, membre de la cour constitutionnelle française, évoquât ces termes pour

interpeller les uns et les autres sur l’exigence de sauvegarder les lois.

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législative. Mais en réalité la prévisibilité dans le domaine juridique relève de la sécurité juridique

et ne se limite pas en aval aux décisions judiciaires de la CIJ ou de la CPI et des tribunaux pénaux

ad hoc.

En amont, il faut prendre en considération le rôle des organisations internationales voire du

Conseil de Sécurité, qui peuvent dans leur mini-système et en raison du principe de l’opportunité,

décider et prendre n'importe quelle décision nécessaire qui vaille pourvu qu'elle relève de sa

compétence afin de toujours songer aux exigences de sécurité des normes. Par ailleurs, rechercher

la combinaison des normes juridiques peut certes se révéler un exercice ardu et complexe, mais

leur mise en cohérence peut tout aussi s'avérer productif pour l'évitement de leur éparpillement au

risque de la non-intelligibilité dans leur utilisation.

Sur le plan quantitatif, la cohérence en elle-même s'entend comme la propriété d'un

ensemble dont tous les éléments sont intimement unis24. En fait, ce nouveau paradigme des

relations internationales est aujourd'hui sur toutes les lèvres et plumes des penseurs. Le libéralisme

dans tout le sens du terme a ouvert la voie à l'insécurité juridique et à la fragilité des frontières. Et

cela a favorisé un « boom normatif » tant du droit dérivé de la charte que celui des Etats.

L'apparition des phénomènes complexes tels que la piraterie, le terrorisme, mêlés aux conflits

sociopolitiques qui, en eux-mêmes regorgent des situations difficilement qualifiables par le droit.

Ces phénomènes n'ont cessé guère d'inflationner l'activité normative des organisations

internationales et ont concomitamment entrainé un bouleversement des relations entre les Etats

concernés d’avec leurs organisations internationales dont ils sont membres.

Cette situation délirante et délicate au regard d'indicateurs d'insécurité transfrontalière

suscite en conséquence, un certain engouement de fabriquer des paradis juridiques où le droit

unifié aura le mérite de redéfinir les besoins des Etats et ceux de la communauté internationale à

construire un monde pacifique où règnera l'ordre et la paix. « Les dangers étant globaux » d’après

Jacques LAROSIERE25, en appelle à l'existence d'un droit globalement unifié ou harmonisé qui

impulsera certainement une réelle politique juridique de surveillance des frontières applicable tant

aux forts comme aux faibles. Une politique qui pourvoira enfin à l'établissement de la

24Voir Dictionnaire Larousse illustré 2014, p.267. 25LAROSIERE (J), « Les implications de la mondialisation », In Rapport moral sur l'argent dans le monde, 1997,

p.36.

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responsabilité des groupes criminels et à la réduction de la fabrication du transfert et de la

circulation des armes comme objet de multiplication de conflits et de fragilisation des frontières

étatiques.

En effet, en s'appuyant sur une telle opinion qui cristallise tous les manquements et

superflues faits à l'encontre de l'hypothèse d'unification internationale du droit, il ne sera pas aussi

vain de souligner des retards qui se font encore jusqu'ici ressentir sur le plan national et

international. Les communautés européennes en illustration à travers leur droit matériel, ont

pourvu à l'unification de certains couloirs juridiques afin d'éviter de quelconques imprévisibilités

lors de l'application dudit droit par le juge européen26. L’Afrique quant à elle en a fait pareil,

notamment en matière du droit des affaires connu déjà sous l'appellation de droit OHADA27.

Dans le domaine des droits de l'homme, avec la mise en place de la cour africaine de justice,

pour étayer le risque de conflit né de l'inévitable multiplication et complexification de relations

interétatiques l’objectif premier est celui de répondre aux exigences de la conjoncture et de

s'adapter aux changements sur tous les plans à l'intérieur comme à l'extérieur pour éliminer le

fléau des conflits qui constitue un obstacle majeur à la mise en œuvre du développement et de

l'intégration28. La charte africaine des droits de l'homme et des peuples, en application de ses

dispositions par la cour de justice a une incidence directe sur les droits nationaux et par conséquent

c’est un facteur d'unification au niveau des procédures.

Cependant, la situation semble différente au niveau international, nonobstant que la charte

des Nations Unies en soit en elle-même un instrument de caractère unifié en matière du droit de la

coopération et de la coexistence pacifique. Mais il ne faut pas perdre de vue que l'ONU ne dispose

26En matière du droit commercial et du droit des contrat, il a été mis en place organisme de régulation dudit secteur

dénommé Uni droit ; idem dans le domaine des droits de l'homme la régulation est faite par la CEDH à travers sa

charte européenne de droits de l'homme, pour le maintien de l’ordre public européen, Europol et Interpol pour

l'échange d'informations et recherches criminelles, etc…Voy. JAUFFRET-SPINOSI (D.R), Les grands systèmes de

droit contemporains, 11e éd Dalloz, Paris 2002, p.8 ; THIELEN (O), « La coopération internationale dans le cadre

d’Interpol », In ASCENCIO(H), DECAUX (E) et PELLET (A), Droit international pénal, éd A. Pédone, Cédin 2012,

pp. 1074 et 1075 ; CHEMAIN ( R), «Les institutions Européennes de coordination », in ASCENCIO(H), DECAUX(E)

et PELLET(A),Droit international pénal, éd A. Pédone, Cédin 2012, pp.1083 et s. 27 Voir le traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ainsi que ses actes uniformes subséquents.

Voy. La collection du « Journal officiel de l’OHADA » vol.1, Documentation de l’OHADA, 2005. 28Voir la déclaration de Syrte, EAHG/DECL, (IV) REV I, adoptée à la quatrième session extraordinaire de la

conférence des chefs d'Etat et de gouvernement de l'OUA, Libye, 9 septembre 1999, reproduite dans AYIL,1999, vol.

7 pp.4156417, cité par BARSAC(T), La cour africaine de justice et des droits de l'homme, éd. A. Pédone Paris 2012.

p.13.

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pas d'instruments juridiques lui permettant de réguler les conflits internes ou de préjuger de la

responsabilité29 tant sur les crises sociopolitiques que sur les phénomènes transfrontaliers. En

effet, même si la charte a été mise en place pour réguler la société internationale, c'est le premier

pourvoyeur des normes et principes flou en droit international. Le concept de responsabilité de

protéger par exemple, créé dans le cadre du devoir d'ingérence humanitaire ne revêt en lui-même

aucun fondement juridique sur le plan du droit international. C’est un concept qui tire ses origines

des sources immatérielles à connotation purement idéologique voire politico philosophique. Car

la production normative du conseil de sécurité exclusivement contenue dans le chapitre VII se fait

en émancipation et de façon extensive. C'est la raison pour laquelle l’application de son droit dérivé

par les instances internationales se fait aussi de manière évolutive.

En se référant au droit international humanitaire, on observe une application universelle de

ses règles qui vaillent au-delà des intérêts de la communauté internationale. Ce droit a néanmoins

fait l'objet d'une codification dans des instruments conventionnellement reconnus comme telles.

Le législateur en a fixé un cadre conventionnel articulé autour de quatre conventions et deux

protocoles additionnels pour réguler les conflits armés et toutes les situations connexes pouvant

aboutir au conflit.

Par ailleurs, pour l'unification parfaite du droit et pour éviter l'insécurité dans les rapports

de droit international sans substituer le droit national existant, décrété par le législateur à l'échelle

mondiale30 ;Brigitte Stern31, parlant de la mondialisation du droit, s'interroge si l'apparition des

tribunaux pénaux et la CPI apte à juger les crimes de génocide et des crimes contre l'humanité

marque- t-elle une étape vers le développement d'un droit mondial? cette militante du droit

harmonisé corrobore à l'idée de mise en place d’une convention international qui traite de façon

efficiente les crimes internationaux, en l’occurrence le crime contre l'humanité et pourquoi pas le

terrorisme comme crime et non comme un phénomène à l'image de la convention des Nations

Unies de Montégo Bay de 1982 sur le droit de la mer afin que « l'intérêt commun, soit du fait de

ses capacités virtuelles d'extension à toute la planète, soit du fait de la gravité intrinsèque de la

29PASCAL (V), « Les Nations Unies et la sécurité en Afrique : jusqu'où ira le désengagement ? », in Revue

internationale et stratégique, N°24, Paris, IRIS, 1997, pp.169-170. 30JAUFFRET-SPINOSI (C.D.R), op.cit. p.8. 31STERN (B), « La mondialisation du droit » in Revue Projet, N° 262, 2002, p.106.

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violation, qui en fait un acte profondément attentatoire à ce qui fait l'essence de l'humanité»32dans

ce registre on songe aux actes graves en violation au droit international commis par les ennemis

de frontières.

De ce qui précède, il ne s'agit pas d'unifier tout le droit dans un seul instrument, ni de

pourvoir à une fragmentation assez étendue ou alors de le ranger dans les concepts flous pour que

celui-ci soit de plus en plus visqueux. Il s'agit plutôt de le sectionner en différents ordres juridiques

tels que l'ordre sécuritaire, l'ordre économique, l'ordre environnemental, etc. Une telle organisation

éviterait des applications vaines dudit droit au regard de ses violations. En effet, on ne peut pas se

faire prévaloir de dire que c'est ce manque de structuration du droit qui le rend de plus en plus

impuissant devant les activités et les phénomènes criminels qui sont observés tout le long des

frontières des Etats de la CEEAC. A cet effet, quel serait dont l'impact de l’insécurité juridique sur

l’intangibilité des frontières ?

B- L’impact de l’imprévisibilité du droit à contenu abstrait sur la protection des frontières

de l’Etat

La frontière, selon sa conception moderne, correspond à une ligne séparant des espaces

territoriaux où s’exercent deux souverainetés différentes33. C’est un espace de co-souveraineté,

construit à partir des expériences historiques. La problématique des frontières en Afrique s'inscrit

dans la perspective d'une dynamique d'ensemble qui peut offrir des solutions radieuses et durables

pour des frontières imperméables. Dans le cas d'espèce, le cas de l’Afrique subsaharienne s'est

constitué en un théâtre d'enchevêtrement de conflits et activités criminelles de tout rebord au point

où des experts des Nations unies et d'autres grandes organisations internationales ont convenu de

mener une expertise sur les questions conduisant à la recrudescence d'une telle criminalité sur les

frontières.

Il s'ensuit que ces normes de protection de frontières sont très complexes et s'y télescope

beaucoup de logiques dont il faut dénouer attentivement des écheveaux34. En effet, pour

32STERN (B), « La compétence universelle en France : le cas des crimes commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda »,in

German yearbook of international Law, 1998, p.281. 33 DALLIER (P) et al, op.cit. pp. 516-517. 34WEMA(K),« Analyse du phénomène de la prolifération des groupes armés dans la partie septentrionale du Nord-

Kivu : défis de l’édification de l’Etat »,Actes du colloque international de Goma,2013,Conflits, frontières et rôle des

organisations régionales en Afrique subsaharienne : cas du Mal, de la Centrafrique et de la RDC, collection

mémoire et culture,2013;p.41.

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comprendre pourquoi ces crises ont un impact sur la sécurité des frontières, il convient de se fonder

sur l'émergence graduelle des atteintes aux droits de l’Homme et principe de droit international

(1), ensuite sur la persistance de cellules dormantes dans les zones non militarisées confluentes

aux frontières (2).

1- L’émergence graduelle des atteintes aux droits de l’Homme et aux principes de droit

international

Exacerbée par le flux des réfugiés et la recrudescence des violences multiformes en

l'occurrence : la traite des êtres humains, les rapts des groupes rebelles, terroristes et pirates35 et

des crises politiques ; certaines régions africaines se sont muées en une destination de transit ou

en un point de départ qui pourraient profiter à d’autres réseaux de criminalité organisée ou à des

réseaux terroristes et pirates.

De nombreuses jurisprudences internationales36 peuvent dans ce cas servir d'exemple sur

la violation des droits de l'homme et principes de droit international. Les cas les plus connus sont

ceux des tribunaux de Nuremberg, de Yougoslavie (TPIY), du Rwanda37 (TPIR) et de la Sierra

Lionne (TPSSL) et même de la CPI. Le conseil de sécurité en a institué ces tribunaux pour

renforcer les mécanismes de répression préexistants dans le droit international afin de mieux

conduire les développements importants pour la prévention et la répression des violations

subséquentes aux droits de l'Homme et droit humanitaire38. Dans l'ensemble de ces cours et

tribunaux, des éléments constitutifs de violations graves des droits de l'homme et de droit

international furent évoquées. Les affaires, le procureur c. Jean pierre BEMBA du 15 juin 2018 ;

Pinochet39recèlent de parfaites illustrations de violations graves des droits de l’homme.

De même, les actes de violence qui se poursuivent toujours : les incitations à la haine et

aux violences ethnique et religieuse ainsi qu’aux violences sexuelle et sexiste posés à l’encontre

des enfants commises notamment par des rebelles40 en disent quelque chose. Les attaques et les

35Experts des Nations Unies et d’autres grandes organisations internationales ont dénombré plus de 27 groupes armé

s au Nord-Kivu. 36Voir affaire DRAZEN ERDEMOVIC, chbre 1ere instance, 37Créé par la résolution 955 38Voir les articles 50, 51, 130 et 147 des quatre conventions de Genève du 12 aout 1949. 39Voir RGDIP, n°2 1999, p.319 40Il s’agit des éléments de l’ex-Séléka, des éléments antibalaka et d’autres groupes armés.

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incitations à la violence contre des soldats de la paix des Nations Unies et le personnel humanitaire

; le cycle continu de provocations et de représailles imputables à des groupes armés tant à

l’extérieur qu’à l'intérieur des frontières et le refus d’accès humanitaire par des éléments armés

aggravent la situation humanitaire. A cela s’ajoute le difficile accès des acteurs humanitaires aux

populations vulnérables, en sont autant d'actes de violence qui ont contribué à l'émancipation de

l'insécurité juridique41dans des zones à faible présence administrative.

2- La persistance de cellules dormantes dans les zones non militarisées

Tant que l'ennemi n'est pas neutralisé on ne peut pas l’avouer vaincu. Car les attaques

récentes des insurgés montrent que les mouvements rebelles et terroristes persistent et perdurent

dans les zones de frontière. La persistance des cellules dormantes peut émailler d'un ensemble de

facteurs juridico administratives et économico politiques.

D’abord les facteurs juridiques, les violences qui frappent de stupeur font en sorte que le

droit devient incapable de nommer ce qui se produit. Cela fait également qu’il n'obéit à aucune de

catégories juridiques homologuées42. Même si on peut prétendre à une expansion progressive d'un

cadre normatif de règlementation des violences extrémistes, aucun vocable n'est disponible pour

qualifier juridiquement la croisade djihadiste, les réponses militaires, diplomatiques et autres, de

sorte que le droit international puisse retrouver les mesures nécessaires43.

Au niveau administratif, le rapport sur la réforme de l'ONU de décembre 2004 rendu

publique par le groupe de personnalité de haut niveau sur les menace, les défis et le changement

constitués à la demande du secrétaire Général des Nations Unies dénonce la corruption tenace, le

faible empressement de l'Etat à règlementer le blanchiment des capitaux et la non présence de

l'administration dans des zones de frontière, l'absence des infrastructures de base en sont autant de

causes qui pourrait constituer un atout important pour la dévolution des acteurs armés non

étatique.

Ensuite, sur le plan politique, la lutte contre la criminalité transfrontalière est un objectif

de politique extérieure. En fait la mondialisation des valeurs tant négatives que positives ignore

41Résolution 2399 (2018) adoptée par le Conseil de sécurité à sa 8169e séance, le 30 janvier 2018 42NOAH (H-M), « Le problème terroriste actuel : perception d'une rationalité des comportements d'acteurs », AFSJP

N°1 de l'Université de Douala, p.210. 43Ibid.p.210.

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les frontières et la souveraineté. Ce qui importe aux ennemis de la paix c'est de promouvoir leur

influence pour se maintenir malgré la riposte des forces militaires étatiques. Au Cameroun par

exemple la survenance de la crise politique dans les régions du sud et nord-ouest favorise la

résistance de Boko haram. Il y'a également un autre facteur non négligeable, celui de la non-

ubiquité de l'armée sur des immenses territoires africains, la position géographique de certaines

localités comme Darack se trouvant sur une ile confluente de trois pays et des conflits pastoraux

sont des causes profondes d'intense activité terroriste et pirate dans la région du lac Tchad.

En fin sur le plan économique, les réseaux criminels étant actifs, ils continuent d’exploiter

la moindre occasion. La plupart des barrières en la matière étant aisément franchissables au vu de

la facilité relative avec laquelle leurs agents peuvent se procurer des armes et des esquifs. La

pluralité d'acteur a développé une économie de la criminalité parasitaire en tirant des profits d'un

monde sur-connecté. Cela dit, les dégâts de ces conflits ont eu une réelle incidence sur de

nombreux secteurs d'activités qui se chiffre en perte fiscale de presque 100 milliards et de 55

milliards de pertes bovines. La persistance de la pauvreté et du chômage jeunes pour ne citer que

cela, suffisent pour faire perdurer un réseau criminel.

En dépit des facteurs illustrés, d’autres contribuent au risque de résurgence des actes de

piraterie et de terrorisme, notamment : le sentiment nourri par les populations des régions en proie

à la violence criminelle et côtières. Selon cette étude, les ressources objet de convoitise ne sont

guère protégées par les autorités administratives, internationales et locales. Pour ce qui est de la

pêche illégale par les navires étrangers, la facilité avec laquelle des pirates potentiels sont recrutés

et les attaques financées se font grâce à la présence de solides réseaux criminels qui sont actifs

dans le pays ou à l’étranger. Par ailleurs, on peut aussi souligner la faiblesse des capacités des

institutions et des cadres juridiques pour repérer, capturer, poursuivre et condamner les pirates

suspectés ainsi que leurs complices. L’absence d’activités rémunératrices de substitution pour les

populations côtières touchées fait aussi parti du développement de réseaux criminels.

Tout cet ensemble de facteurs est susceptible de nourrir à long terme des réseaux criminels

plus ou moins encore existants ou localisables dans des zones de frontière à faible représentation

administrative et militaire. En effet, nonobstant les mesures jusqu'ici entreprises par les pouvoirs

publics des Etats affectés et le Conseil de sécurité, les mouvements rebelles présentent toujours

une certaine configuration à travers leur existence le long des colonnes de frontières avec le

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Nigéria, l’Ouganda, la Lybie et le soudan. Selon le rapport présenté au sommet mondial en 2003,

le SGNU a reconnu la vulnérabilité des Etats y compris des plus puissants d'entre eux, au « petit

réseau d'entité non étatique ». Le développement de ces acteurs de violence sur un plan

idéologique remet en question le principe du monopole de la violence jusqu'ici détenu par les Etats

souverains. Une logique qui peut expliquer la puissance desdits mouvements qui, depuis la

déstabilisation de la Lybie bénéficient du soutien international du D’Aesch et de l'organisation de

l’Etat islamiste.

Ainsi, la position juridique face à une telle analyse présente plus ou moins un cadre

juridique moins précis quoiqu'il soit en plein expansion. La Cour Internationale de Justice en a

insister sur l'apport de la coutume en s'appuyant sur les règles coutumières contenues dans l'article

38 de son statut, comme principe existants du droit coutumier. A cet effet, cet argument de la

CIJ44suffira-t-il pour en préciser le contenu des normes applicables aux criminalités

transfrontalières ?

II- L’EDIFICATION D’UN DROIT INTELLIGIBLE MENAGE PAR LES

LEGISLATIONS NATIONALES ET COMMUNAUTAIRES

Plusieurs infractions internationales ont par le passé connu leur expansion à cause du

manque de leur qualification par les instances internationales. C’est pourquoi on a l’impression

qu’elles sont disqualifiées du droit au profit des considérations purement politiques, idéologiques

et philosophiques. Il est vrai que dans les hypothèses de qualification d’une infraction

internationale de menace contre la paix, notamment : des raids israéliens à Beyrouth en 196845 ou

à Tunis en 198546, de l'affaire d'Entebbe47

, de la prise d'otages à Téhéran de 1979 ou des raids de

représailles américains en Libye suite à l'attentat contre la discothèque « La Belle» à Berlin en

198648, et dans pas mal d'autres ; le Conseil de sécurité s'est trouvé incapable de qualifier ces

44LOBO DE SOUZA (I.M), op.cit. p.31; voir aussi le jugement du TPIY sur l'affaire Celébiç, CIJ dans l'affaire du

détroit de Corfou du 9 avril 1949, laquelle a assisté sur « les considérations des élémentaires d'humanité ». 45Résolution 263 (1968) du 31 décembre 1968. 46 Résolution 573 (1985) du 4 octobre 1985. 47cf. SIPV 1941 et S/PV 1942. 48Un projet de résolution condamnant les États-Unis fut présenté par le Congo, le Ghana, Madagascar, Trinidad et

Tobago, et par les Émirats Arabes Unis. Soutenu par la Bulgarie, la Chine, la Thal1ande et l'URSS. Voy. Rapport

SIPV. 2682, p. 43 ; il se vit opposer les veto américain, britannique et français, ainsi que les votes défavorables de

l'Australie et du Danemark. L'action américaine fut cependant largement condamnée, notamment par l'Assemblée

générale (voir la résolution 41/38 du 20 novembre 1986.

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infractions de menaces contre la paix parce qu’il tenait davantage au contexte de guerre froide

qu'à des considérations de nature juridique49.

Cependant, avant la chute du mur de Berlin et l'effondrement des antagonismes Est-ouest

certaines infractions existaient déjà, la piraterie notamment. Cette infraction de droit coutumier

était en expansion dans la haute mer50, ce n'est qu’en 1982 que l'ONU va en fin décider de codifier

le droit de la mer à Montego Bay. Dès Lockerbie en 1992, la résolution 731 (1992) voit le jour le

21 janvier 1992 puis d'autre vont s'ensuivre pour en faire une menace contre la paix et la sécurité

internationale51. Cela dit, dès lors que le CSNU peut déjà faire une qualification des menaces

relatives à la criminalité transfrontalière de menaces contre la paix et la sécurité internationales, il

ne reste qu'aux législations étatiques et aux instances communautaires de prendre toutes les

mesures nécessaires en termes de mise en place d’un droit dit lisible afin de mieux lutter contre la

criminalité transfrontalière.

A- La lisibilité du droit applicable dans les législations nationales

En s'appuyant sur la contribution du Professeur Alain PELLET dans ses « notes sur la «

fragmentation » du droit international : droit des investissements internationaux et droit de

l'homme » ?52 la lisibilité en référence à la « fragmentation » est une notion à la mode même si sa

nature reste incertaine : s’agit-il d’un « concept » ? Ou alors n’est- il pas un terme chic et commode

pour désigner un phénomène difficilement saisissable ?53 En fait, si le problème de sécurité

juridique a acquis une popularité certaine en droit international en termes de risque posé sur la

fragmentation de ce droit, cela s'est ressenti en interne dans la mesure où le législateur national a

posé certaines exigences sur la sécurisation de la loi et celle de la sauvegarde de sa qualité afin de

limiter l'inflation législative encours en ce moment.

49PELLET (A), « L'Etat victime d'un acte terroriste peut -il recourir à la force armée ? »,in SFDI, 2004.p.96. 50 Cette infraction voit le jour en1717 et 1726 sur des iles espagnol, carrefour des routes commerciale maritime entre

l’Europe, l’Afrique et l'Amérique, dispo sur le site https://fr.m wikipedia.org. 51Résolution 731 (1992), 2éme considérant - italiques ajoutées. 52PELLET (A), « Notes sur la "fragmentation" du droit international : droit des investissements internationaux et droit

de l'homme », in Mel. Écrit en l'honneur du professeur Pierre -Marie DUPUY, "unité et diversité du droit

international", éd. Martinus Nijhoff, Leiden Boston 2014, p.772. 53Ibid. p. 772.

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Dans ce développement, il ne s'agit nullement pas de s'attacher au caractère ordonné de

l'ordre juridique interne mais plutôt de voir en termes de soumission de l'Etat aux décisions de la

Communauté internationale et aux principes de droit international (1), comme nouveau paradoxe

auquel l'ONU se trouve confronté dans un monde d'Etats souverains54. Cette suspicion va entrainer

quelques légères disparités ; c'est la préservation des intérêts globaux qui l'emporte face à la

virulence des phénomènes criminels et de conflits sociopolitiques aux conséquences humanitaires

sanglantes55 . D’où l'extrême nécessité d'adoption des mécanismes de filtrage des frontières (2).

1- La soumission de l’Etat aux décisions du Communauté internationale et aux principes

de droit international

La soumission des Etats aux décisions internationales ne date pas d'aujourd'hui. Dans

l'intérêt d'épargner les générations futures du fléau des conflits et faute d'une capacité de réponse

systématique à l'agression armée, la SDN s'est jeté de plein fouet pour mettre en place le

mécanisme de sécurité collective comme initiative qui, très tôt s'est enlisée à cause de l'absent de

l'autorité mondiale de mise en œuvre des décisions en effet. Dès la fin de la deuxième

conflagration, l'ONU vit le jour et de nouvelles ambitions furent inscrites à l'ordre du jour. La

création d'un organe de contrainte qui est le Conseil de sécurité, doté de pleins pouvoirs de

décisions que lui octroient la charte, notamment le Chapitre VII qui définit son régime d'action.

Ce système quoique voué à des diatribes, fait néanmoins montre de durabilité et d'adaptabilité à

toutes les catégories de conflits et de phénomènes criminels du monde contemporain56 .

Le droit international étant essentiellement basé sur la volonté des Etats est mise en place

au sein des Nations Unies pour servir et protéger ces Etats souverains. Le mécanisme d'action

collective offre des avantages considérables aux Etat membres, notamment en termes d'efficacité

et de coût comme atouts indispensables pour atteindre le résultat envisagé. L’inquiétude qui est

souvent faite se trouve surtout au niveau du contenu du texte de résolution qui ne garantit pas

toujours le consentement aux mesures d'exécutions encore moins sur le partage des coûts et

responsabilité.

54COT(J-P), « Le rapport Carrington sur la mise en œuvre des décisions du conseil de sécurité », in Revue Politique

étrangère, IFRI, 1999, N°1, p.110. 55Ibid., p.109. 56COT(J-P), « Le rapport Carrington sur la mise en œuvre des décisions du conseil de sécurité »,op.cit.pp. 110 à 111.

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A cet effet, le rapport Brahimi va s'appuyer sur l'exigence de production des mandats

clairs, précis et réalistes y compris la prise de décision en matière de maintien de la paix. En

conséquence les décisions ont été prises au coup par coup et des réponses s'en sont suivies dans

des contextes divers. Mais l'obéissance est souvent faite en dents de scie. Or, si le Conseil de

sécurité bénéficie statutairement des pouvoirs de décision à l'échelle internationale, cela dit que

tous les Etats membres et non membres lui sont soumis. L’exemple typique de soumission en

ressort de la résolution 1373 (2001), notamment en son paragraphe 8, fait une injonction aux Etats

de réprimer toutes les formes et actes de terrorisme57 .

Un peu plus avant cela, il demande aux Etats de collaborer de toute urgence pour prévenir

et réprimer les actes de terrorisme à travers une coopération accrue et l'application intégrale des

conventions internationales relatives au terrorisme, (...). Aux termes des articles 41 et 42 de la

Charte, le Conseil apparait comme un organisme gouvernemental, un super-gouvernement, chargé

de maintenir l'ordre international et en disposant d'une véritable police58.Pour la soumission aux

principes, ils sont obligatoires surtout lorsqu'ils sont impératifs ou portent sur le jus cogens59 .

Même si on peut dénuer le principe de son fondement ou de sa force juridique qui semble au regard

du droit substantiel n'est pas du tout cela. Le principe n'étant pas une règle impérative en soi. Il n'a

pas un caractère absolu comme la loi60et ne saurait contraindre les Etats à se soumettre. Si d'autant

plus que ces principes laissent transparaitre une considération d'un caractère mou et non

contraignant, cela suppose qu’ils sont de la soft law différent de la hard law. Une certaine exception

est faite sur les principes contenus dans la charte des Nations unies en l'occurrence le non-recours

à la force, qui ne peut être biaisé que lorsqu'un Etat est victime d'agression.

En effet, l’existence d’une agression armée pose bien l’exigence d’une action de

franchissement d’une frontière aux moyens de forces armées61. La violation d’une frontière

internationale est ici érigée en une condition substantielle de l’existence d’une agression62, la CIJ,

57Voir le résolution 1373 (2001) du 28 septembre 2001 ; DECAUX (E) et DE FROUVILLE(O), Droit international

public, 8eéd.Dalloz, Paris,2014, p.515. 58COLLIARD (C-A) et DUBOIS (L), Institutions internationales, 10e éd. Dalloz, Paris 1995, p.220. 59Voir article 53 de la convention de vienne du 23/05/1969. 60BECANE (J-C) et COUDERC (M), La LOI, éd. Dalloz, Paris, 1994, p.3. 61Les forces armées auxquelles on y fait référence sont celles des groupes rebelles bien identifiables et soumis à

l'application des règles du droit international humanitaire. 62BIDIAS (J.P), « Les organisations régionales, la légitime défense et la lutte contre le terrorisme », Revue québécoise

de droit international, 29.1 (2016), p.49.

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dans l'affaire concernant les activités armées sur le territoire du Congo (RDC c. Ouganda) a dans

les mêmes circonstances de faits attribué la responsabilité à L'Etat ougandais pour n'avoir pas

empêché, ni contrôler, ni réprimer les activités des miliciens ethniques et groupes armés dans la

ville frontalière d'Ituri. Le principe de l'exclusivité territoriale et son corollaire celui de

l'intangibilité des frontières, est récurremment violé dans de nombreuses zones des Etats de la

communauté ainsi qu'aux Etats environnants.

Le cas de l’invasion militaire par l’organisation de l'Etat Islamiste (OEI) d’énormes

parcelles de territoires irakiens et syriens, la perte par le Nigéria et la Libye de la souveraineté sur

une partie importante de leurs territoires, la dégradation de la situation sécuritaire dans l’extrême

nord du Cameroun, au nord-est du Nigéria, au sud du Niger et du Tchad du fait de l’OEI en Afrique.

Cela pourrait, dans une certaine mesure, donner de la teneur à l’expression « agression armée

privée » qui est sujette à une intervention militaire63.Par conséquent, le système juridique

international est entrain de relever les défis posés par les groupes armés et groupes terroristes, à

cause des développements normatifs, institutionnels et de procédure conçue pour règlementer leur

conduite lui attribuer la responsabilité en termes de conséquences juridiques64.

2- L’adoption de mécanismes de filtrage des frontières

La frontière, il convient de le rappeler, est le premier élément matériel et symbolique qui

conditionne l’existence d’un Etat. C’est dire qu’on ne saurait parler d’Etat sans frontière. C’est

également considérer que la disparition ou tout simplement la remise en question des frontières

d’un Etat serait un évènement lourd de conséquence. Cet Etat perdrait sa souveraineté, voire son

indépendance. Dans le cas d'espèce les frontières de l’Afrique centrale doivent être soumises à

deux types de filtrage, fonction de la nature des menaces auxquelles on y fait face. Les premiers

mécanismes sont relatifs aux crise endogène ou sociopolitiques, elles ont généralement des

origines ou vecteurs externes. Les mesures adoptables dans le cadre de la sécurité intérieure des

frontières relèvent de la police administrative et judiciaire.

Chaque Etat dans sa politique sécuritaire devrait opérer un déploiement des forces de

l'ordre de police et de gendarmerie pour assurer la sécurité publique, la tranquillité publique et la

63Ibid.p.52. 64LOBO DE SOUZA (I.M), op.cit. pp.54-55.

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salubrité publique. Les finalités de ces deux polices reposent sur les surveillances répressives et

préventives. En effet la mise en place d'un dispositif sécuritaire à l'intérieure des frontières consiste

en la création des unités spéciales telles que les forces de l'ordre comprenant la gendarmerie et les

forces de police. Ces deux forces sont au centre de l'éveil à la sauvegarde de l'ordre public. Leur

action se résume précisément sous cinq fonctions : le renseignement, la prévention, la dissuasion,

l’intervention et la coopération. Pour un meilleur éveil la coopération devrait se faire d'abord entre

les différentes forces à l'interne puis à l'externe avec Interpol ou dans le cadre d'une convention

d'entraide ou d'une commission rogatoire internationale65.

A côté de la police et de la gendarmerie, la douane, une force paramilitaire a aussi un grand

rôle à jouer dans le système de filtrage des frontières. Confrontée à la mondialisation des échanges,

facteur de bien-être et de développement des populations dans leur mouvements d'échange de bien

et de service; c'est aussi un vecteur d'insécurité transfrontalière, dont la gestion devient un souci

majeur de l'action des Etats, ce constat l'ex-directrice de la Douane camerounaise Madame Minette

LIBOM LI LIKENG ressort le rôle centrale de la douane face à la criminalisation des frontières66

dans un espace déjà confronté à des réseau d'économie parallèle, non réglementaire, objet

d'échanges illicite, fragilise la sécurité des frontières des Etats. Dans le Document de Stratégie de

l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD) intitulé « La Douane au 21ème Siècle », résume le

rôle des administrations douanières dans ce contexte. Il consiste à élaborer et à mettre en œuvre «

une série de politiques et de procédures intégrées de nature à garantir la sécurité, la facilitation

réelle des échanges et le recouvrement des recettes aux frontières ».

Dans le cadre de ses Résolutions67, le conseil de sécurité, dès le 31 janvier 2019 demande

à tous les États Membres de continuer de prendre les mesures nécessaires pour interdire l’entrée

ou le passage en transit sur leur territoire des personnes désignées par le Comité. Demande

également au Gouvernement de la République centrafricaine de renforcer la coopération et les

échanges d’informations avec les autres États. dans le même sillage d'autres mesures nécessaires

ont été énumérer, il s'agit entre autre; celle demandant au Tchad et au soudan de renforcer la

65 YOUSSA(G), « L’action de la gendarmerie dans la sécurisation des frontières en Afrique », colloque de Yaoundé

2014, La problématique de sécurisation des frontières en Afrique, pp.115 et s. 66LIBOM LI LIKENG(M), « Le rôle de la Douane dans la politique de gestion des frontières en Afrique », in colloque

de 2014, La problématique de la sécurisation des frontières en Afrique, p.122. 67 Voir Rés 2399 (2018) et suivantes.

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sécurité de leurs frontières communes, en coopération avec la MINUSCA68 ; engager les États

Membres de la CEEAC à exiger des compagnies aériennes opérant sur leur territoire, s’il y a lieu

et conformément à leur droit interne et aux instruments juridiques et documents cadres

internationaux pertinents, qu’elles communiquent à l’avance aux autorités nationales compétentes

des informations sur les passagers afin de détecter le départ de leur territoire ou la tentative d’entrée

sur leur territoire ou de transit par leur territoire, à bord d’appareils civils, de personnes désignées

par le Comité ; leur demandant instamment de veiller à ce que les passeports et autres documents

de voyage faux, falsifiés, volés ou perdus, ainsi que les passeports diplomatiques annulés soient

dès que possible retirés de la circulation conformément aux lois et pratiques nationales,

communiquer les informations qu’elles possèdent sur ces documents aux autres États Membres en

passant par la base de données d’INTERPOL.

Cette série de batterie de mesures sont prise au niveau interne pour justifier par des raisons

humanitaires la nécessité qui est la leur de veiller à la stabilité et la sécurité de leurs territoires à

partir de la sécurisation des frontières.

B- La lisibilité du droit applicable dans la législation communautaire

Dans ses rapports69de sur la situation sécuritaire en Afrique centrale, le Conseil de sécurité

a toujours manifesté sa préoccupation sur les graves problèmes de sécurité que traversent certaines

zones de la sous-région Afrique centrale en l'occurrence la crise centrafricaine, la crise anglophone

au Cameroun, la persistance de la menace boko haram et des groupes armés et en fin l'insécurité

maritime dans le golfe de guinée et le commerce illicite d'espèce sauvages et la criminalité

organisée.

A cet effet, il en appelle les Etats membres de la CEEAC à faire preuve non seulement de

résilience mais à se doter des instruments fiables dans le but de jouer un rôle essentiel pour un

retour au calme70. Par ailleurs, la communauté économique des Etats de l’Afrique centrale, à

travers ses organes dirigeants et la compétence à elle octroyée par le Conseil de sécurité a fait un

certain nombre d'aménagement sur le plan normatif en implémentant des politiques multilatérales

68Voir S/RES/2399 (2018), p.6. 69Voir rapport S/2015/339. 70Résolution 2127(2013).

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de surveillance dans frontières (1), avant d'opérer un aménagement sur les mécanismes de

coopération et d'entraide dans les affaires criminelles (2). Ces deux éléments d'analyse du cadre

normatif de la législation communautaire permettront à ce qui précède d'avoir une perspective

globale sur la qualité du droit applicable dans la lutte contre l'insécurité transfrontalière.

1- L’implémentation des politiques multilatérales de surveillance des frontières

En dehors des textes émanant des nations unies pour lutter contre la criminalité

transfrontalière, l’Afrique s'est appuyée sur un certain nombre de résolution du Conseil de sécurité

et même de ses textes issus du laboratoire de l'OUA ou de l'UA pour forger son cadre juridique de

maintien de la paix et de surveillance des frontières. En effet cette politique normative ayant été

porté sur quelques textes, est jugés très utiles pour une sécurisation optimale des frontières.

D'entrée de jeu, le protocole du COPAX en son article 5 al c se positionne à la suite des

objectifs de cette institution à vocation communautaire pour rappeler le rôle de celle-ci à savoir

"veiller en permanence à prendre des mesures de maintien, de consolidation, et de promotion de

la paix et de la sécurité à l'intérieur de la communauté ou à ses frontières." les termes de cette

disposition démontre belle et bien l'engagement de la communauté à prendre des initiatives

juridiquement salutaires pour préserver la CEEAC du syndrome des guerres internes vectorisées à

partir des frontières. Elles laissent également transparaitre la volonté politique de Etats-membre

de préserver l'intangibilité de leurs frontières.

Un autre fait majeur de surveillance des frontières repose également sur la confiance des

Etats. Cette mesure, contenue dans l'exhaustive énumération des objectifs du COPAX, notamment

dans son article 4(e). La confiance faisant parti des mesures de sureté, se trouve en réalité au cœur

des préoccupations des Etats. C’est pourquoi il sera demandé aux Etats de s'assister mutuellement

lorsqu’un des leurs est agressé. Ainsi l'article 6(c) de la charte de Lomé sur la sureté et la sécurité

maritime et le développement en Afrique, en couverture à l'article 3(a) de la même charte, d’

« assurer les patrouilles de surveillance et de reconnaissance maritime dans les zones de

mouillage, les ZEE et le plateau continental à des fins de répression de recherche et de

sauvetage. »

Bien plus, le seul souci qui pourrait amenuirai les efforts entrepris par les Etats concerne

les mesures socio-économiques. Les Etats pour une sérénité des frontières devront pourvoir à une

série de mesures telles : la création d'emploi productif, la réduction de la pauvreté, le renforcement

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de la cohésion sociale par la mise en œuvre d'une politique juste, inclusive et équitable visant à

résoudre les crises socio-politiques.

En fait, méconnaitre ces mesures entraine directement le délitement des frontières qui sont

des variables à la transmigration des activités criminelles. Ainsi, la surveillance des frontières

suppose la politique de tolérance Zéro dans la lutte contre la criminalité tant nationale

qu'internationale. Le dispositif sécuritaire déployé doit être construit autour de la militarisation des

frontières, en y déployant des unités spéciales afin de contraindre les exactions des entrepreneurs

de violence transfrontalière. Cependant, quoique les opinions soient divergentes à cette logique.

Les pourfendeurs de la doctrine du libéralisme économique, promeuvent la création des zones

Economiques ou marchés frontaliers que l'Etat doit développer et transformé.

La tendance réaliste quant à elle insiste sur la présence de l'Etat dans les frontières. Sur

ceux certains Etats de la CEEAC ont adopté une posture médiane en conciliant les deux approches

pour avoir un contrôle optimal sur les frontières. Le Cameroun, la RDC, la Guinée Equatoriale, le

Gabon et bien d'autres ont créé des villes frontalières pour limiter le développement de la

criminalité. C’est le cas de Bakassi, Baiboum, Kyosi, Abangminko'o, Kribi et kampo pour le

Cameroun ; Ituiri, Kivu pour la RDC ; Ebebiyin et Malabo pour la Guinée... Cependant, cela n'est

qu'une infime partie de la solution au problème, car les nouveau problèmes ou conflits sans

frontières comme la criminalité financière, le terrorisme, la piraterie, la cybercriminalité ne

peuvent peut plus être traité de manière autonome. Plus grand enjeu des Etats est d'intégrer « la

communauté mondiale de paix et de sécurité », qui, au niveau de la sous-région tourne autour du

"Régionalisme" qui tire son fondement juridique de l'article 52 de la charte et vilipende un certain

"complexe régional de sécurité", un concept doté d'une forme d'interdépendance qui amené des

Etats à communier autour des initiatives de sécurité collective.

Par ailleurs pour assurer cette politique multilatérale dans la sous-région et en application

des dispositions de l'article 4 précité, une force permanente (FOMAC), constituée par des

contingents nationaux interarmes, de police, de modules civils, des Etats-membres a été instituée

pour des raisons humanitaires et également pour mettre en œuvre des sanctions prévues par les

textes en vigueur ou celles qui émanent de l'organe de direction ou plénier71.

71DUPUY(P-M) et KERBRAT(Y), Précis de Droit international Public, op.cit. p.219.

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Cette force de surveillance agit au moyen de l'article 7 du pacte d'assistance notamment en

matière de légitime défense du territoire, de la souveraineté, de l'unité Nationale, des institutions

démocratiques des Etats membres de la CEEAC, ou simplement de mettre fin à la commission des

actes entrant dans la catégorie des crimes internationaux. Elle agit également en urgence absolue,

pour faire face à une menace d'agression armée ou à une agression dirigée de l'extérieur contre un

Etat partie au pacte72. Elle peut aussi être mobilisée à la demande de l'ONU ou de l'Union Africain

comme en RCA(MINUSCA) au Congo (MONUSCO). Cette force d'élite agit au moyen d'autre

mécanismes pour la plus grande efficacité dans la traque des désorganisateurs de la paix et de la

sécurité des frontières.

2- L’implémentation de mécanismes de coopération et d’entraide dans les affaires

criminelles transfrontalières

En analysant la pensée du professeur THIELEN Ophélie en matière de coopération

internationale dans le cadre d’Interpol, « La souveraineté des Etats implique la territorialité et

l'exclusivité des compétences et des actions policières nationale : (...) »73. Il s'ensuit d'emblée que

les lois de police revêtent uniquement un caractère exclusif de la territorialité et non de l'extra-

territorialité. Sur ce, la répression efficace de certains crimes ou de certains phénomènes aux

ramifications transnationales ou transfrontalières a souvent posé d'énormes problèmes relatifs à la

poursuite des présumer auteur ou à la recherche de leur identité. En effet, la nécessité d'apposer

une institution coopérative dans la résolution des affaires criminelle entre Etats a vu le jours dès la

période post-première guerre mondiale plus précisément en 1923, dans le cadre de la commission

international de police criminelle et, depuis 1956 il agit sous le label de l'Organisation

internationale de police criminelle (Interpol) son adhésion s'apparente à un accord en forme

simplifiée contenu dans les termes de l'article 4 de son statut74.

L'article 4 dispose, en outre, que « Chaque pays peut désigner comme membre de

l'organisation tout organisme officiel de police donc les fonctions entre dans le cadre des activités

de l'organisation. La demande d'adhésion doit être présentée au secrétaire général par l'autorité

72Voir article 9 du pacte d'assistance mutuelle. 73THIELEN (O), « La coopération internationale dans le cadre d’Interpol », In ASCENCIO (H) et al, op.cit, p.1073. 74Interpol est une organisation internationale sui generis, son statut ne constitue nullement au sens classique un traité

international et formel qui obligerait en quelque sorte les Etats à en faire une ratification ou mieux à décliner leur

consentement à être lié. Il n'est que soumis à la seule adhésion des Etat via leurs organes de police. Ibid.p.1073.

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gouvernementale compétente ». Il est certes vrai que se sont les services de police des Etats qui

sont membres d'Interpol et non les Etats eux-mêmes aux sens strictes. Quoique celle-ci requiert le

consentement des Etats pour être membre, cette organisation bénéficie comme tout le reste d'une

personnalité juridique internationale octroyée aux organisations depuis l'affaire du comte Folke

Bernadotte.

Dans le cadre de l’Afrique centrale, cette organisation a acquis l'accord de siège le 3

novembre 1982 et donc la représentation est au Cameroun. Il agit en coopération avec les instances

du COPAX, qui à son tour s'appuie sur l’accord de coopération en matière de police criminelle75,

signé sous l'égide du comité des chefs de police d’Afrique centrale (CCPAC) ce comité agit en

conformité avec les aspirations d'Interpol afin de favorise un développement et une assistance

réciproque la plus large de toutes les autorités de police. Cette coopération orientée dans le

domaine policière porte sur les domaines prioritaires qui mettent en mal le développement et la

sécurité des Etats. Il s'agit entre autres la corruption, le trafic des stupéfiants, la criminalité

organisée, la criminalité financière la recherche des malfrats en fuite, l'exécution des mandats

d'arrêt internationaux, le terrorisme, le trafic des êtres humains.

Sous la couverture d'Interpol, le COPAX, au travers des articles 21 et 22 de son protocole

par le biais du MARAC est compétent pour collecter les informations et les renseignements

nécessaires à la traque des ennemis et même par l'intermédiaire des Bureaux centraux Nationaux76.

En fait, cette coopération passe par deux mécanismes complémentaires : la création et la gestion

d'une base de données policières centralisées et la production d'actes permettant de faciliter les

arrestations et les procédures d'extradition.

Le monde Etant donc morcelé en une multitude de souveraineté dont les territoires sont

séparés par les frontières et ces frontières connaissent au quotidien des flux d'échanges des biens

et services et d'immigration de personnes77. Elles sont d'un autre coté violées par les personnes et

des groupes rebelles pouvant commettre les crimes transfrontaliers. Le rôle de ces mécanismes

institués est donc celui de promouvoir par le biais de la coopération, implémenter un espace de

sécurité commune et de justice commune, harmoniser par les lois intelligibles et lisibles tant dans

75Accord signé à Yaoundé, en avril 1999. 76THIELEN (O), op.cit. p. 1074. 77 THOUVENIN(J-M), « L'extradition », in ASCENCIO (H) et al, op.cit. p.1107.

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la mise en œuvre des procédures d'arrestation et d'extradition que dans le déroulement des

sentences.

Conclusion

En définitive, traité de la question de l’imprécision du contenu des normes de droit

international à l’aune de la criminalité transfrontalière en Afrique n’est pas un exercice aisé à cause

de la complexité des activités criminelles et de leurs caractères polymorphes. Toutefois le droit

regorgeant en lui-même plusieurs atermoiements comme l’affirme Michel TROPER, c’est le

produit d’une opération intellectuelle. Cela dit, l’analyse des contenus de certains textes

internationaux réprimant des crimes internationaux à caractère transfrontalier perpétrées le long

des frontières africaines suscite au préalable une clarification perpétuelle. C’est à cet effet que la

nécessité de l’édification d’un droit lisible et cohérent par les Etats et les instances communautaires

parait efficiente. Ainsi s’il est avéré qu’un tel exercice au regard du boom normatif a une finalité

ardue, peut-on néanmoins envisager une consécration des paradis pénaux pour aboutir à la mise

en place d’un droit standard et penser en fin juguler la question de l’imprécision du contenu des

normes internationales applicables dans le cadre de la lutte contre la criminalité transfrontalière ?

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Le contrôle à postériori de la passation des marchés publics par

l’auditeur indépendant au Cameroun

Par :

Emmanuel MEVO MEVO

Doctorant en droit public

Université de Douala (Cameroun)

Résumé :

La prolifération des marchés publics dans l’univers des contrats publics Camerounais,

s’accompagne depuis deux décennies, d’un renforcement du contrôle de la passation desdits

marchés sur l’ensemble du territoire. Aux contrôles à priori et concomitants exercés jadis sur le

processus de passation des marchés, s’ajoute désormais un contrôle à posteriori effectué par

l’auditeur indépendant. Recruté par l’Agence de Régulation des Marchés Publics, le rôle dudit

auditeur, est d’identifier les cas de dysfonctionnements survenus dans le processus de passation

des marchés publics et de proposer des recommandations. Cependant, la restriction du champ

d’investigation, à laquelle s’ajoute des pratiques de corruption, sont des limites qui remettent en

cause la qualité du contrôle à posteriori effectué par l’auditeur indépendant.

Mots clés : Contrôle à postériori, Passation des marchés publics, Auditeur indépendant.

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Introduction

« Développement et vogue de contractualisation »,1 sont des expressions qui traduisent le

mouvement contemporain de montée en puissance des marchés publics dans l’univers des contrats

publics au Cameroun. Selon les chiffres fournis par le ministère des marchés publics, le Cameroun

a passé en 2020 six mille trois vingt-huit (6328) marchés publics, pour un montant total de cinq

cent milliards de Francs CFA. En réalité, ces chiffres vont grandissant2 depuis que les pouvoirs

publics Camerounais, ont perçu l’importance stratégique que revêtent les marchés publics dans la

politique d’émergence du Cameroun à l’horizon 2035.3

Cependant, cette euphorie4 des marchés publics n’est pas sans conséquence. Elle

s’accompagne, à l’aune de la fin de la « sacralisation (…) du pouvoir administratif »,5 et de la

mutation progressive des techniques d’organisation administrative, de deux grandes dynamiques.

La première consiste à soumettre les organes de passation des marchés au respect du droit en

vigueur, tandis que la seconde est relative au renforcement de l’architecture des organes de

contrôle à postériori des marchés.

Si la première s’explique par le dépassement de l’Etat de police du fait de l’émergence de

l’Etat de droit, la seconde quant à elle s’inscrit au cœur du processus de régulation des marchés

publics, dans lequel le contrôle administratif classique, est désormais renforcé et complété par un

nouveau mode de contrôle : celui effectué par l’auditeur indépendant. En d’autres termes, à côté

du contrôle classique « unilatéral, autoritaire, centralisé et souverain »,6 émerge désormais un

contrôle « assoupli, décentralisé, adaptatif et (…) négocié ».7 Un contrôle intervenant dans « un

1 KEUTCHA TCHAPNGA (C), Précis de contentieux administratifs au Cameroun : aspects de l’évolution récente,

Paris, L’harmattan, 2013, p.61. 2 En 2017, « les marchés publics représentent actuellement au Cameroun un volume annuel d’environ 550 milliards

de FCFA tout financement confondu et environ 4000 contrats par an » NGAKETCH TADOUM (J M) et MEBADA

MEBADA (G), « Du dispositif de contrôle des marchés publics au Cameroun », inédit, p.2367. 3 BIAKAN (J), Droit des marchés publics : contribution à l’étude des contrats publics, L’harmattan, 2011, p.2. 4 NGAKETCH TADOUM (Jean Marie) et MEBADA MEBADA (G), « Du dispositif de contrôle des marchés publics

au Cameroun », inédit, p.2367. 5 ABANE ENGOLO (P E), L’application de la légalité par l’administration au Cameroun, Thèse de Doctorat Ph.D

en droit Public, Université de Yaoundé II, 2009, p.4. 6 OST (François) & VAN DE KERCHOVE (M), De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit,

Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 2010, p.26. 7 OST (F) & VAN DE KERCHOVE (M), De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Ibid.,

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nouveau système de régulation »,8 qui sans faire perdre à l’Etat ses prérogatives, lui permet en

principe de mieux les exercer par le canal d’une « autorité compétente et autonome dans son

fonctionnement ».9

Recruté,10 sur appel d’offres par l’Agence de Régulation des Marchés Publics, l’auditeur

indépendant apparait comme un « contrôleur qui n’est en apparence exposé à aucune situation

susceptible d’altérer l’objectivité de sa mission ».11 Son rôle est capital dans le contrôle à

postériori de la passation des marchés publics.

Aux termes des dispositions de l’article 5 al (w) du code des marchés publics, un marché

public se défini comme « un contrat écrit passé conformément aux dispositions règlementaires,

par lequel un entrepreneur, un fournisseur ou un prestataire de services s’engage envers l’Etat,

une collectivité territoriale décentralisée ou un établissement public, soit à réaliser les travaux,

soit à fournir des biens ou des services moyennant un prix.».12 Il apparait de ces dispositions du

code des marchés publics que plusieurs critères sont mobilisés pour définir un marché public. Il

s’agit : De la forme écrite du contrat, de la présence d’une personne publique dans le contrat, des

caractères synallagmatiques et onéreux, ainsi que de la détermination du besoin de l’administrions

faisant l’objet du marché.

Dans le cycle du projet, la passation des marchés publics est l’étape intermédiaire, comprise

entre la maturation et l’exécution. C’est durant cette dernière que se conclu le marché. Le

professeur GUIMDO DONGMO BERNARD, l’appréhende comme « la phase qui va pour

certains marchés (marchés sur appel d’offres) de l’avis d’appel d’offre à l’attribution du marché

en passant par la recevabilité, le dépouillement, pour d’autres (marchés de gré à gré) de

l’autorisation de l’autorité en charge des marchés publics à l’attribution en passant par la

8 PEKASSA NDAM (G M), « Les Etablissements publics indépendants : une innovation fondamentale du droit

administratif Camerounais », R.A.S.J, Vol 2, n°1, 2001, p.154. 9 PEKASSA NDAM (G M), « Les Etablissements publics indépendants : une innovation fondamentale du droit

administratif Camerounais », Ibid., p.154. 10 L’article 5 alinéa (c) du code des marchés publics de 2018 dispose que : « L’auditeur indépendant est un cabinet de

réputation établie recruté par voie d’appel d’offres par l’organisme chargé de la régulation des marchés publics, pour

réaliser l’audit à postériori des marchés signés au cours de l’année écoulée et exécutés ou en cours d’exécution ». 11MEVO MEVO (E), Le statut de l’auditeur indépendant dans les marchés publics au Cameroun, Mémoire de master

2 en droit public, Université de Yaoundé II, 2015, p.15. 12 Lire l’article 5 al (w) du Code des Marchés Publics de 2018.

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consultation, enfin les règles qui régissent l’attribution simplement pour les uns ».13 La passation

des marchés publics n’est pas un processus de non droit. C’est un processus encadré par des

principes juridiques de mise en concurrence des candidats, et garantie par des organes dont la

mission est de veiller à ce que les soumissionnaires et les autres acteurs impliqués dans cette

dernière, respectent la réglementation en vigueur.

Ayant pris conscience de ce qu’une bonne passation des marchés publics est le préalable

d’une bonne exécution, les pouvoirs publics n’ont pas hésité à resserrer l’architecture des organes

de contrôle dudit processus de passation des marchés publics.14 Il ne saurait en être autrement, car

face au souci d’assainir le processus de sélection des soumissionnaires, les pouvoirs publics

Camerounais n’avaient d’autres choix que de densifier la structure des organes ayant pour mission

de prévenir et de sanctionner le cas échant, les dysfonctionnements survenus dans la passation des

marchés publics.

Si sur le plan historique, il est possible de remonter jusqu’à la période d'avant l'indépendance

pour situer les premiers contrôle de la dépense publique sur le territoire Camerounais,15 il en va

autrement en ce qui concerne le contrôle à postériori de la passation des marchés publics effectué

par l’auditeur indépendant. Car, ce dernier fût institué au Cameroun par le canal du

décret n°2000/155 du 30 Juin 2000 dans un contexte de réforme marqué par « un impératif de

développement et de modernisation de la gouvernance »16 des marchés publics au Cameroun.

Intervenant deux décennies après son institutionnalisation, l’étude menée sur le contrôle à

posteriori de la passation des marchés publics par l’auditeur indépendant, n’est pas dénuée

d’intérêt. Au plan théorique, elle présente le mérite de décrire cette modalité peu orthodoxe de

contrôle de la passation des marchés publics. Tandis qu’au plan pratique, cette analyse réitère la

13GUIMDO DONGMO (B R), « le contentieux de la formation des marchés publics », in séminaire de formation sur

« le contentieux des contrats administratifs », Kribi du 28 Novembre au 1er Décembre 2011, p.2. 14 Lire l’article 48 al (2) du décret n°2018/366 du 20 Juin 2018 portant code des marchés publics. 15 Historiquement, le contrôle des marchés publics au Cameroun ne date pas de l’indépendance. C’est depuis la période

coloniale, lorsque le droit de la métropole française était encore applicable dans ses colonies, que les marchés publics

furent soumis au contrôle en vue d’assainir la dépense publique. Ce contrôle financier résultait de la circulaire du 15

décembre 1916 relative aux commandes effectuées par les différents services publics. En effet, selon la procédure en

vigueur à cette époque, si le gouverneur avait besoin de procéder à des achats importants de matières, il devait

« adresser une demande de matériel au chef du service des finances pour que la demande soit enregistrée dans sa

comptabilité des dépenses à engager, revêtue de son visa et du numéro de l’engagement ». 16BIAKAN (J), « La réforme du cadre juridique des finances publiques au Cameroun : la loi portant régime financier

de l’Etat », in l’administration publique Camerounaise à l’heure des réformes, L’harmattan, 2010, p.10.

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nécessité de veiller au respect des règles régissant la passation des marchés publics pour une santé

financière constante et un développement économique et social probant au Cameroun.

Cependant, il faut reconnaitre que cet intérêt dual n’occulte en rien les limites du contrôle à

postériori de la passation des marchés publics au Cameroun. Car, malgré le contrôle effectué par

l’auditeur indépendant, la passation des marchés publics demeure un « site privilégié

d’indélicatesse ».17 L’institutionnalisation de ce contrôle à postériori n’offre qu’une « fausse

quiétude », dans la mesure où la recrudescence des pratiques rédhibitoires à la bonne gouvernance

dans la passation des marchés publics se pose de plus en plus avec acuité.

Au regard de ce qui précède, quelle appréciation peut-on faire du contrôle à postériori de la

passation des marchés publics par l’auditeur indépendant au Cameroun ? En guise de réponse

anticipée, l’appréciation est celle d’un contrôle à postériori mitigé. Car, en dépit du fait que son

contrôle à postériori s’étende sur l’ensemble des phases du processus de passation des marchés

publics (I), il n’en demeure pas moins vrai que ce dernier est édulcoré par de nombreuses limites

(II).

I- UN CONTROLE A POSTERIORI ETENDU

Tout comme les contrôles à priori et concomitants, le contrôle à postériori de la passation

des marchés publics se justifie par la nécessité d’assainir le processus d’accès à la commande

publique au Cameroun.

C’est un contrôle qui vise à s’assurer que les acteurs du système des marchés publics (les

commissions de passations des marchés publics, les maitres d’ouvrages et les maitres d’ouvrages

délégués, les observateurs indépendants, les soumissionnaires, etc.), ne se sont pas rendus coupable

de dysfonctionnements ayant obstrué la concurrence, et la transparence dans le processus de

formation des marchés publics. Il s’opère tant sur l’ouverture (A) que sur l’attribution (B) des

marchés.

17 ONDOA (M), préface à BIAKAN (J), Le droit des marchés publics au Cameroun, Op.cit., p.12

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A- Le contrôle à posteriori de l’ouverture des marchés publics

Le vocabulaire approprié aux marchés publics, entend par ouverture des marchés la phase

durant laquelle l’administration procède à leurs lancements. A la lecture des textes en vigueur,

l’ouverture desdits marchés relève soit de la compétence du maitre d’ouvrage, soit de celle du

maitre d’ouvrage délégué.18

Au Cameroun comme dans plusieurs autres pays, les marchés publics sont conclus après

mise en concurrence des candidats. Le code des Marchés Publics dispose clairement que « les

marchés publics sont passés après mise en concurrence des cocontractants potentiels de

l’administration ».19 Très souvent, l’administration utilise le procédé d’appel d’offres pour inviter

ses potentiels cocontractants à lui proposer des offres dans le cadre d’un environnement

concurrentiel.

Dans le cadre de sa mission de contrôle à postériori de l’ouverture des marchés publics,

l’auditeur indépendant se réfère aux règles et procédures propres à chaque modalité d’ouverture.

A cet effet, il contrôle tant l’ouverture opérée par le procédé d’appel d’offres (1), que celui des

marchés de gré à gré et des demandes de cotation (2).

1- Le contrôle à postériori de l’ouverture sur appel d’offres

L’appel d’offres est la procédure par laquelle l’attribution d’un marché intervient après appel

public à la concurrence. L’appel d’offres peut être national ou international. Il peut être ouvert,

restreint, ou avec concours. L’appel d’offres est dit national lorsqu’il s’adresse aux personnes

physiques ou morales ayant leur domicile ou leur siège social au Cameroun.20 L’appel d’offres est

dit international lorsqu’il s’adresse aux personnes physiques ou morales ayant leur domicile ou

leur siège social à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire national.21

18 Après avoir rappelé que « la passation d’un marché public relève de la compétence du maitre d’ouvrage, personne

physique à la tête d’un département ministériel ou assimilé, d’une collectivité territoriale décentralisée ou d’un

Etablissement public, bénéficiaire des prestations prévues dans le marché », le Code des Marchés Publics, dispose en

son article 6 que le maitre d’ouvrage ou la maitre d’ouvrage délégué est responsable du lancement des consultations. 19 Lire l’article 72 al (1) du Code des Marchés Publics de 2018. 20Lire l’article 74 al (1a) du code des marchés publics. 21Lire l’article 74 al (1b) du code des marchés publics.

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L’appel d’offres est dit ouvert lorsque l’avis public invite tous les candidats intéressés à

remettre, pour une date fixée, leurs offres.22 Il est restreint lorsqu’il s’adresse à un nombre de

candidats retenus à l’issue d’une procédure de pré-qualification.23 Lorsque des motifs d’ordre

technique, esthétique ou financier justifient des recherches particulières, l’appel d’offres peut être

assorti d’un concours.

Dans le contrôle à postériori de l’ouverture des marchés sur appel d’offres, l’auditeur vérifie

si les organes de passations des marchés ont respecté les exigences relatives à la qualité du dossier

d’appel d’offres (a), à la publicité de l’avis d’appel d’offres, ainsi qu’aux délais de soumission (b).

a)- La vérification à postériori de la qualité des dossiers d’appels d’offres

La préparation du dossier d’appel d’offres est soumise à l’examen de la commission de

passation des marchés publics compétente. Celle-ci doit en effet, s’assurer que le dossier d’appel

d’offres présente tous les éléments24 nécessaires pour une meilleure information des

soumissionnaires.

Aux termes des dispositions de l’article 85 al (1) du décret n° 2018/366 du 20 Juin 2018,

portant code des marchés publics, le dossier d’appel d’offres doit contenir : « l’avis d’appel

d’offres rédigé en français et en anglais, le règlement général de l’appel d’offres, le règlement

particulier de l’appel d’offres comprenant notamment les critères, les sous critères ou grilles

d’évaluation des offres et des critères minima de qualification des soumissionnaires, le cahier des

clauses administratives particulières, le cahier des clauses techniques particulières pour les

marchés de travaux, les termes de références pour les marchés de prestations intellectuelles, (…)

le cadre du détail estimatif contenant les quantités à exécuter ou le cadre de devis lorsque pour

certains marchés d’études les quantités doivent être fournies par le soumissionnaire en fonction

de la méthodologie de travail envisagé ».25 Ces éléments constitutifs du dossier d’appel d’offres

sont d’une importance capitale. Car, ils fournissent des éléments « de références sur la base

desquels d’une part les maitres d’ouvrages et maitres d’ouvrages délégués définissent leurs

22Lire l’article 75 al (1) du code des marchés publics. 23Lire l’article 76 al (1) du code des marchés publics. 24Lire l’article 85 al (1) du code des marchés publics. 25Lire l’article 85 du code des marchés publics.

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attentes, d’autre part les soumissionnaires établissent leurs propositions techniques et

financières ».26

Dans son rapport d’audit à postériori des marchés publics, effectué pour le compte de

l’exercice 2005, l’auditeur indépendant constate l’existence de nombreuses carences. Sur cent

vingt-trois (123) dossiers d’appels d’offres ouverts, onze (11) dossiers d’appel d’offres étaient

incomplets. Sur les six (06) dossiers d’appel d’offres restreints, un (01) cahier de charges

techniques était absent.

A ces anomalies, s’ajoute celui du lancement des consultations sans financement disponible,

toute chose allant à l‘encontre des dispositions du Code des Marchés publics. Certes ce principe

peut être remis en cause dans le cadre des marchés pluriannuels, mais il n’en demeure pas moins

vrai que cela ne reste qu’une exception. L’auditeur indépendant a eu à contrôler la disponibilité du

financement dans plusieurs marchés. C’est le cas du marché n°067/M/MINTP/CPM-TN/2008

(construction de la route Obala – Batchenga – Bouam – Lot 1 : Obala – Batchenga – Nkolessong),

dans lequel il constate que « certaines modifications ayant une incidence financière importante

(au-delà de 10%) sont engagées par un simple ordre service, sans que l’on ait des certitudes sur

la disponibilité des financements (…) et dont le montant représenterait près de 60% du marché de

base 27». Ainsi, pour éviter la répétition de pareilles modifications de nature à remettre en cause

l’objet même du contrat, l’une des solutions recommandées par l’auditeur, consisterait à opérer

des travaux d’études préalables nécessaires pour une meilleure expression des besoins.

Fort de ce constat, il n’est pas erroné d’affirmer que l’auditeur indépendant est un

contrôleur de la préparation des dossiers d’appel. Cependant, son contrôle ne se limite pas à la

préparation desdits dossiers. Il s’étend également sur la publicité de l’avis d’appel d’offres et le

délai de soumission.

26Lire utilement le « rapport final d’audit à postériori des marché publics exercice 2005 », GROUPEMENT2AC-

ACP, juin 2008, p.78. 27« Rapport provisoire d’audit à postériori des marchés publics exercice 2008 », OKALLA AHANDA & ASSOCIES,

Février 2011, p.84.

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b)- Le contrôle à postériori de la publicité de l’avis d’appel d’offres et des délais de soumission

des offres

La procédure d’appel d’offres doit respecter les règles de mise en concurrence des différents

soumissionnaires. L’auditeur indépendant doit vérifier que les destinataires desdites règles les ont

respectés.

La publicité a pour « objet d’informer le public de l’existence ou de la modification des

actes juridiques ».28 En droit, deux principaux modes sont très souvent usités pour effectuer une

publicité à savoir : la notification pour les actes individuels et la publication pour les actes

réglementaires. Pour le juge administratif Camerounais, la notification consiste à « la remise à

l’intéressé de la copie (…) de la pièce à notifier ou tout au moins d’un écrit contenant tous les

éléments nécessaires pour lui permettre de se faire un compte exact de la mesure prise à son égard,

ainsi que les motifs pour lesquels elle a été prise ».29 Mais, dans le cadre de la présente analyse, le

mode de publicité qui nous intéresse davantage est celui de la publication.

Il ne saurait en être autrement car aux termes des dispositions de l’article 88 al 1 du code des

marchés publics, « l’avis d’appel d’offres est publié dans le journal des marchés publics édité par

l’organisme chargé de la régulation des marchés ».30 D’autres moyens de publicité tels que le

communiqué radio, la presse disponible en kiosque et la presse spécialisée, les communications

électroniques viennent renforcer ladite publication.

Après avoir constaté dans son rapport d’audit à postériori des marchés publics comptant

pour l’exercice 2008, que la commission de passation des marchés du ministère de la santé « ne

dispose pas d’un journal de programmation des marchés »,31 l’auditeur indépendant recommande

le respect de la réglementation en vigueur en la matière. Car l’article 59 du code des marchés

publics dispose clairement que « la passation et l’exécution des marchés publics doit faire l’objet

d’une programmation par le maitre d’ouvrage ».32

28 TOGOLO (O), « La publication des actes administratifs par voie de mass-média », in l’administration publique

camerounaise à l’heure des réformes, l’harmattan, 2010, p.192. 29 CCA, Arrêt n°636 du 10 aout 1957 NJOCK JEAN C/ Etat du Cameroun. 30 Lire l’article 88 du code des marchés publics. 31 « Rapport provisoire d’audit à postériori des marchés publics, exercice 2008 », Op.cit., p.70. 32 Lire l’article 59 al 1 du code des marchés publics.

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En ce qui concerne les délais de soumission des offres, le Code des marchés publics de 2018

dispose que « les délais accordés aux soumissionnaires pour la remise des offres varient entre

vingt-cinq (25) jours et cinquante (50) jours ouvrables à compter de la publication de l’avis

d’appel d’offres dans le journal des marchés de l’organisme chargé de la régulation des publics

».33

Ainsi, les offres déposées en dehors des délais prévus les textes ne sont pas recevables et

doivent en principe être rejetées. Or, cela n’a pas toujours été le cas. Dans l’analyse des réserves

émises par les Observateurs indépendants durant la passation des marchés au cours de l’exercice

2008, l’auditeur constate des cas de « non élimination des soumissions parvenues après les délais

de recevabilité des offres ».34 Les anomalies constatées dans le contrôle de l’ouverture sur appel

d’offres sont certes les plus importants comptes tenus du volume des marchés ouverts selon ledit

procédé d’appel d’offres, mais en réalité elles ne sont pas exhaustives. Le contrôle à postériori

effectué par l’auditeur indépendant sur les autres modalités d’ouverture permet également de

déceler plusieurs cas de dysfonctionnements.

2- Le contrôle à posteriori de l’ouverture des marchés par d’autres procédés

En dehors du procédé d’appel d’offres, les marchés s’ouvrent également par diverses autres

modalités sur lesquelles s’étend le contrôle à postériori de l’auditeur indépendant. Tels sont le cas

du contrôle de l’ouverture par demande de cotation d’une part (a) et des marchés de gré à gré

d’autre part (b).

a) - Le contrôle à postériori de l’ouverture des demandes de cotation

Depuis la consécration du code des marchés publics de 2018, la définition de la demande de

cotation a été améliorée. Elle s’appréhende désormais comme une « procédure simplifiée de

consultation d’entreprises ou d’organismes de la société civile pour la passation de certaines

lettres-commandes ne nécessitant pas la proposition par le soumissionnaire d’une méthodologie

33Lire l’article 89 al 1 du code des marchés publics. 34Lire utilement le tableau n°55 sur le récapitulatif des réserves émises par les OI, du « rapport provisoire d’audit à

postériori des marchés publics, exercice 2008 », op.cit., p.107.

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d’exécution et dont la vérification de la conformité aux spécifications techniques ne requiert pas

une évaluation en sous-commission d’analyse ».35

En réalité, cette amélioration n’est pas le fait d’un hasard. Elle est plutôt la résultante d’une

prise en compte des recommandations de l’auditeur indépendant qui insistait déjà en 2003 sur la

nécessité d’une « réécriture des textes sur la demande de cotation et le parachèvement du corpus

réglementaire ».36 Car à cette époque le code des marchés publics précisait que c’était un arrêté

du Premier Ministre qui devait déterminer les modalités d’application de ladite demande.37

Ce n’est qu’à la faveur de la réforme opérée par le canal du code des marchés publics de

2018, que le régime d’ouverture des demandes de cotation est désormais plus explicite. Après

avoir rappelé en son article 112 al (2) l’ensemble des prestations pouvant faire l’objet d’une

demande de cotation,38 le code des marchés publics dispose que « la consultation est ouverte aux

prestataires exerçant dans le secteur concerné et répondant au critère de qualification indiqués

dans le dossier de demande de cotation ».39 Au contrôle à postériori des demandes de cotation,

s’ajoute celui des marchés ouverts en procédure de gré à gré.

b) - Le contrôle à postériori de l’ouverture des marchés de gré à gré

Aux termes des dispositions de l’article 108 du décret n° 2018/366 du 20 Juin 2018 portant

code des marchés publics, « un marché est dit de gré à gré lorsqu’il est passé sans appel d’offres

après autorisation préalable de l’autorité chargée des marchés publics ». Le contrôle de l’auditeur

s’effectue d’une part sur le contrôle de l’autorisation de gré à gré, et d’autre part sur le contrôle de

la consultation des prestataires.

En réalité, pour obtenir une autorisation de gré à gré du ministre en charge des marchés

publics, les demandes doivent être motivées. L’article 109 du code des marchés publics a prévu

des cas limitatifs susceptibles de justifier un recours à ladite procédure à savoir la spécificité du

35Lire l’article 112 al (1) du code des marchés publics. 36« Rapport final d’audit à postériori des marchés publics exercice 2005 », op.cit., p.134. 37Lire l’article 5 al (u) du code des marchés publics de 2004. 38 Il s’agit des fournitures, consommable et matériels divers, du mobilier, de l’outillage et du petit équipement, du

matériel informatique, du matériel roulant léger, de l’entretien courant des édifices publics et des petits ouvrages, des

travaux de cantonnage routier, notamment le débroussaillage, le désherbage, le curage des ouvrages et caniveaux, et

l’enlèvement des ordures etc. 39Lire l’article 113 du code des marchés publics de 2018.

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prestataire, la défaillance, l’urgence, et le monopole. Dans le cadre de l’audit à postériori des

marchés publics exercice 2005, l’auditeur indépendant constate parmi les limites au processus de

passation des marchés publics, « l’utilisation de la procédure de gré à gré, sur la base de

justifications non prévues par le code des marchés publics ».40 C’est le cas, de cinq (05) marchés41

d’un montant total de 6 219 632 720 Ffca, passés par les maîtres d’ouvrages sans autorisations

préalables de l’autorité en charge des marchés et justifiés à tort sur la base de « l’infructuosité ».

Un pareil constat, est d’une importance capitale car il fait ressortir les limites qui entravent le

processus de passation des marchés.

Après l’autorisation de gré à gré délivrée par l’autorité en charge des marchés publics, les

chefs des structures concernées doivent consulter au moins de trois sociétés.42 Les dossiers de

consultation, les offres des soumissionnaires ainsi que l'autorisation de gré à gré le cas échéant,

sont alors soumis à la Commission de Passation des Marchés compétente pour examen.43

Dans son contrôle à postériori effectué lors de l’exercice 2005, l’auditeur indépendant

constate « l’absence de preuve de consultation d’au moins trois fournisseurs (…) dans 72% des

cas »44 des marchés passés par la procédure de gré à gré. De plus, l’auditeur constate que, la

qualité desdits dossiers de consultation n’est pas souvent satisfaisante. Dans son rapport d’audit à

postériori exercice 2007, il affirme que « Comme pour l'audit 2006, l'audit couvrant l'exercice

2007 fait aussi ressortir une altération générale et élevée de la qualité globale des dossiers de

consultation des entreprises, illustrée notamment par l'augmentation de la proportion des dossiers

(…) sans bordereau des prix unitaires (23,7% contre 18,4% en2006), sans documentation

technique (12,8% contre 4,6% en2006), sans détail estimatif (19,1% contre 6,4% en 2006), sans

indication des critères d'évaluation (7,5% contre 1,1% en 2006). Cette détérioration confirme le

constat de l'audit de 2006 qui montrait que la majorité de DCE étaient lancés sans études

préalables sérieuses pour la plupart des projets ».45

40« Rapport final d’audit à postériori des marchés publics exercice 2005 », op.cit., p.11. 41 « Rapport final d’audit à postériori des marchés publics exercice 2005 », op.cit., p.91. 42Lire l’article 110 al 3 du code des marchés publics de 2018. 43Lire l’article 111 al 1 du code des marchés publics de 2018. 44« Rapport final d’audit à postériori des marchés publics exercice 2005 », op.cit., p.93. 45 Lire utilement le « rapport final d’audit à postériori des marché publics exercice 2007 », GROUPEMENT 2AC-

ACP, février 2011, p.11.

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De ce qui précède, il apparait clairement que l’auditeur indépendant contrôle l’ouverture des

marchés publics. Mais, n’étant pas limité à ladite ouverture, ce dernier s’étend également sur

l’attribution des marchés publics.

B- Le contrôle à posteriori de l’attribution des marchés publics

Dans la doctrine juridique camerounaise, l’expression « attribution des marchés » fait l’objet

d’une définition duale. Elle est tantôt appréhendée dans un sens large tantôt dans un sens strict.

Dans le premier sens, l’attribution des marchés désigne la procédure orchestrée par la personne

publique en vue de la désignation du titulaire du marché.46 Elle englobe les opérations d’ouverture

des marchés et de désignation leurs titulaires. Tandis que dans son sens strict, le vocable

« attribution des marchés » renvoie au processus qui commence avec l’évaluation proprement dite

des entreprises soumissionnaires se termine par la désignation de l’adjudicataire du marché.47

Dans le cadre du présent travail, c’est la seconde approche qui est retenue pour décliner les

articulations du contrôle à postériori effectué par l’auditeur indépendant. Concrètement, ce

contrôle s’opère tant sur l’attribution provisoire ou proposition d’attribution (1), que sur

l’attribution définitive du marché (2).

1- Le contrôle à postériori de l’attribution provisoire des marchés publics

La proposition d’attribution, est formulée par la commission de passation des marchés

publics. Aux termes des dispositions de l’article 9 du décret n°2018/366 du 20 Juin 2018 portant

code des marchés publics, les commissions de passation, des marchés sont des : « des organes

d’appui technique qui concourent au respect de la réglementation et garantissent notamment les

principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de

transparence des procédures de passation des marchés publics ».48

Pour attribuer provisoirement un marché public, la commission de passation des marchés se

réfère à un ensemble de critères lui permettant d’évaluer les offres des soumissionnaires. Ces

critères sont à la fois formels et substantiels. Au plan formel, l’offre du soumissionnaire doit

46 MESSENGUE AVOM (B), la gouvernance dans les marchés publics au Cameroun, Le Kilimandjaro, 2013, pp.

73-75. 47 BIAKAN (J), Droit des marchés publics au Cameroun, op.cit., p.75. 48 Lire l’article 9 du code des marchés publics de 2018.

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remplir certains critères pour ne pas être rejetée. Ces critères sont dits éliminatoires parce qu’ils

conditionnent la validité de l’offre du soumissionnaire. Pour l’essentiel, ces critères formels sont

à la complétude du « dossier administratif », à l’exclusion des fausses déclarations ou aux

falsifications des pièces, à la nécessité d’une conformité aux spécifications techniques majeures.

Au plan substantiel, les critères varient en fonction des marchés entre le critère du moins et du

mieux disant. Pendant que le critère du mieux est usité pour évaluer les offres des marchés de

prestations non quantifiables, celui du moins disant est utilisé pour l’évaluation des offres des

marchés quantifiables.

Dans sa mission de contrôle à postériori des marchés publics, l’auditeur indépendant ne

manque pas de s’assurer que les dossiers administratifs qui permettent d’attribuer les marchés

entrant dans son champ d’investigation remplissaient l’exigence de complétude. Le rapport d’audit

à postériori des marchés de l’exercice 2005 relève que parmi les marchés faisant partie de son

échantillon « le dossier administratif était irrégulier dans 18 cas sur 103 ».49 Pour ce contrôleur à

postériori, ces irrégularités apparaissent excessives « dans la mesure où un dossier administratif

non conforme ou incomplet est en principe un motif d’élimination de la compétition ».50

Dans l’appréciation du caractère compétitif des prix, il apparait qu’« en plus de s’assurer

que les Marchés ont été attribués aux soumissionnaires les mieux-disant ou les moins disant selon

les cas, l’Auditeur a procédé à la comparaison des prix unitaires entre différents contrats et

différents Maîtres d’Ouvrage, sur la base d’un échantillon de prestations et fournitures ».51 Les

écarts de prix les plus significatifs ont été signalés. C’est le cas des marchés

n°115/M/MINADER/CPM/2008 du 13/08/2008 passé entre CAMI TOYOTA et le MINADER

d’un montant de 69 200 000 FCFA pour la fourniture d’un véhicule de marque TOYOTA 4X4 (01

Station Wagon Land Cruiser) et du marché n°18M/MINSANTE/SG/DEP/CTPS/08 du 17/04/2008

entre CAMI TOYOTA et le MINSANTE d’un montant de 74 000 000 FCFA pour la fourniture

d’un véhicule de même marque. Dans ces deux marchés, l’auditeur constate le manque

d’uniformité des prix pour l’achat d’un véhicule de même marque par deux ministères durant la

même période. Ces écarts de prix constatés par l’auditeur indépendant, permettent de se rendre

compte que certains maitres d’ouvrages ne négocient pas suffisamment les montants des marchés

49 « Rapport final d’audit à postériori des marché publics exercice 2005 », Op.cit., p.84. 50 « Rapport final d’audit à postériori des marché publics exercice 2005 », Ibid., p.84. 51« Rapport provisoire d’audit des marchés publics exercice 2008 », op.cit., p.15.

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avant de les conclurent. Une telle négociation aurait pourtant pour avantage de réduire le montant

de la dépense en vue de l’achat desdits véhicules administratifs.

De ce qui précède, il apparait que le contrôle exercé par l’auditeur indépendant, sur

l’attribution provisoire des marchés est d’une importance capitale au regard des objectifs de

transparence et d’efficacité qu’il poursuit. Toutefois, le contrôle de l’auditeur indépendant ne se

limite pas seulement à l’attribution provisoire des marchés publics, il contrôle s’étend à

l’attribution définitive desdits marchés.

2- Le contrôle à postériori de l’attribution définitive des marchés publics

L’attribution définitive des marchés publics relève de la compétence du maitre d’ouvrage ou

du maitre d’ouvrage délégué. L’article 6 al (1f) du code des marchés publics de 2018 dispose

clairement que le maitre d’ouvrage est responsable de l’attribution des marchés. Au cours de sa

mission de contrôle à postériori des marchés de l’exercice 2005, l’auditeur indépendant a eu à

constater des irrégularités sur les délais d’attribution définitive des marchés et de la notification au

titulaire du marché.

En effet, les délais de signature du marché, sont impartis entre l’attribution provisoire du

marché et la notification du marché au titulaire. En principe, ces délais ne doivent souffrir d’aucun

retard. Mais dans la pratique ce n’est pas toujours le cas. L’auditeur indépendant constate que

« certains maîtres d’ouvrages mettent plus de temps pour signer le contrat que le temps mis du

lancement de l’Appel d’Offres à l’attribution du Marché ; alors qu’ils ne disposent que de 07 jours

suivant les dispositions du code des marchés publics pour le faire ».52 Fort de ce constat,

l’Auditeur recommande que tous les maîtres d’ouvrages dont la durée moyenne de passation des

Marchés (du lancement de l’Appel d’Offres à la signature du contrat) est supérieure à 150 jours,

doivent tout mettre en œuvre pour respecter les délais réglementaires.

En ce qui concerne la notification au titulaire du marché, l’auditeur indépendant révèle que

lors de sa mission d’investigation effectuée en 2005, sur deux cent vingt-sept (227) marchés

audités, cent quarante-deux (142) étaient dépourvus de notification définitive, soit un taux de

62,2% d’anomalies. Le manque de notification de l’attribution au titulaire du marché constitue

52Lire « Rapport provisoire d’audit à postériori des marchés publics exercice 2008 », ibid., p.53.

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incontestablement une violation des dispositions régissant la passation des marchés publics. Les

acteurs s’étant rendus coupable de violation des dispositions du code des marchés publics sont

passibles des sanctions prévues par la réglementation en vigueur.53 Que dire à présent des limites

du contrôle ?

II- UN CONTROLE A POSTERIORI EDULCORE

La nécessité de lutter contre la corruption, d’améliorer la transparence et l’équité dans

l’attribution des marchés publics, ainsi que celle de renforcer la bonne gouvernance et de réduire

les couts de la dépense, sont les principales raisons qui ont motivé les pouvoirs publics

Camerounais à renforcer l’architecture des organes de contrôle à postériori des marchés publics.

Ce renforcement s’est opéré par le canal d’un décret survenu en juin 2000, consacrant l’audit à

postériori des marchés publics, en plus du contrôle juridictionnel qui existait déjà. En la matière

Or, depuis son institutionnalisation il y a deux décennies, les mauvaises pratiques dans la

passation des marchés publics n’ont pas disparu. Ces dernières sont plutôt recrudescentes et

laissent entrevoir que le processus de passation des marchés publics au Cameroun demeure un «

site privilégié d’indélicatesse »,54 dans lequel le favoritisme, la fraude, la concussion et la

corruption limitent la mise en concurrence des candidats.

Dans la recherche des motifs susceptibles d’expliquer la recrudescence desdites pratiques,

le Doyen MAGLOIRE ONDOA fait un arrêt majeur sur la situation inconfortable dans laquelle se

trouve le maitre d’ouvrage. A ce propos, il explique que ce dernier « accède à sa fonction sur le

fondement de considérations discrétionnaires et politiques. Y étant, il se trouve soumis à des

impératifs difficilement conciliables. Il doit en effet obéissance au droit, gratitude à sa hiérarchie

politique, et redistribution à son groupe social d’origine ».55 En comparant cette situation du

maitre d’ouvrage à celle de l’auditeur indépendant, la différence n’est pas fondamentale. Car

malgré le fait qu’il ne soit pas maitre d’ouvrage, il se trouve néanmoins dans une situation marquée

par un « antagonisme entre les textes, et les contraintes sociologiques »,56 qui impacte

considérablement sur la qualité du contrôle qu’il effectue. Il ne saurait en être autrement car

53Lire l’art 105 al 1 du code des marchés publics. 54 ONDOA (M), préface à BIAKAN (J), Le droit des marchés publics au Cameroun, Op.cit., p.12. 55 ONDOA (M), préface à MESSENGUE AVOM (B), La gouvernance des marchés publics au Cameroun, Ibid., p.12. 56 ONDOA (M), préface à MESSENGUE AVOM (B), La gouvernance des marchés publics au Cameroun, Ibid., p.12.

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l’orientation de son contrôle, se trouve souvent partagée entre une logique politique, qui lorsqu’elle

ne s’éloigne pas de la logique juridique, entre inéluctablement en conflit avec cette dernière.57

De plus, il est nécessaire de souligner que les limites du contrôle à postériori effectué par

l’auditeur indépendant ne relèvent pas seulement des faits (B). Elles découlent également du

régime juridique régissant dudit contrôle (A).

A- Les limites textuelles

En dépit de l’aporie doctrinale autour de sa définition, il est généralement admis que le droit

tend à « établir un ordre social harmonieux et à régler les rapports sociaux avec le souci d’y

promouvoir à des degrés différents selon les cas, un certain ordre moral, la sécurité juridique ou

le progrès social ».58 La nécessité d’atteindre ces objectifs assignée au droit a eu pour

conséquence, la multiplication des organes de contrôle susceptibles de veiller au respect dudit droit

en détectant et en sanctionnant les atteintes y relatives.

En tant que branche du droit public, le droit des marchés publics ne déroge pas à cette réalité.

Au regard de la place importante qu’il occupe dans la réalisation des objectifs de politique

économique et sociale, les pouvoirs publics Camerounais n’ont pas hésité à renforcer la structure

des organes de contrôle à postériori susceptibles d’assurer le respect du droit des marchés publics

en général et d’assainir le processus de passation des marchés en particulier. Recruté par l’Agence

de Régulation des marchés publics parmi les cabinets de réputation établie, l’auditeur indépendant

est chargé d’assurer un contrôle à postériori sur les marchés publics dont la valeur est supérieure

ou égale à cinq cent millions (500 000 000 Fcfa).

Cependant, le renforcement de l’architecture des organes de contrôle à postériori des

marchés publics par la consécration de l’audit à postériori des marchés publics, contraste

fortement avec la recrudescence des infractions dans la passation des marchés publics au

Cameroun. Cette recrudescence ne saurait ne pas inquiéter lorsqu’on sait qu’elle risque d’habituer

« les esprits à l’irrespect du droit ».59

57 ONDOA (M), préface à MESSENGUE AVOM (B), La gouvernance des marchés publics au Cameroun, Ibid., p.12. 58 BERGEL (J L), Théorie générale du droit, Paris, DALLOZ 2012, p.6. 59 RIPERT (G), Le déclin du droit, Paris, LGDJ, 1949, p.VI.

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Dans la recherche des causes susceptibles de justifier cette défaillance, le régime juridique

du contrôle à postériori de la passation des marchés publics par l’auditeur indépendant n’est pas

exempté de toutes critiques. Il est fortement indexé dans la mesure où il laisse transparaitre de

nombreuses failles qui diluent la qualité du contrôle effectué par l’auditeur indépendant.

Ces limites juridiques tiennent pour l’essentiel à la nature du contrôle à postériori de la

passation effectué l’auditeur indépendant d’une part (1), ainsi qu’à la délimitation de son champ

d’investigation d’autre part (2).

1- Les limites relatives à la nature du contrôle

En droit, le vocable « nature » désigne « ce qui est de son essence, de sa substance au regard

du droit. L’ensemble des critères distinctifs qui constituent cette chose en notion juridique ».60 En

scrutant les règles juridiques qui gouvernent le contrôle effectué par l’auditeur indépendant, il est

possible d’affirmer que, ledit contrôle est un contrôle non juridictionnel effectué à postériori par

un prestataire de services ne disposant pas du pouvoir d’infliger des sanctions contraignantes.

A la différence du contrôle à postériori des marchés publics exercé par le juge pénal, celui

effectué par l’auditeur indépendant sur la passation des marchés publics apparait dépourvu du

pouvoir d’infliger des sanctions contraignantes aux contrevenants des règles de passation des

marchés publics. Au-delà de l’avantage qu’il offre de garantir l’indépendance du contrôleur, ce

régime de contrôle présente malheureusement la faiblesse de ne pas être accompagnée d’un

pouvoir de sanction contraignante susceptible d’opérer une « mise en œuvre de la règle de droit

par la force ».61

Loin de faire l’objet d’une définition unanime, la sanction est parfois appréhendée par

certains auteurs comme synonyme de contrainte. PAUL ROUBIER est de cet avis lorsqu’il affirme

que la sanction « peut consister à ce qu’on appelle peine c’est-à-dire une souffrance infligée à

celui est qui dans son tort, souffrance qui ne sera qui ne sera pas rigoureusement en rapport avec

la lésion violé, mais sera établie sur une base supérieure ».62 En effet, après avoir distingué la

sanction réparation de la sanction peine, l’auteur estime qu’avant l’accomplissement d’un acte

60 CORNU (G), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 12ème éd, PUF, 2018, p.1445. 61 OST (F) & VAN DE KERCHOVE (M), De la pyramide au réseau, pour une théorie dialectique du droit, Op.cit.,

p.226. 62 ROUBIER (P), Théorie générale du droit, 2è éd, DALLOZ, 2005, p.35.

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répréhensible, la connaissance l’existence d’une peine, constitue une mesure de prévention ou

d’intimidation. Certes, l’application des peines ne garantit pas toujours le respect du droit, mais il

est généralement admis qu’une fois que le forfait est accompli, « la peine jouera le rôle d’une

mesure d’expiation selon les uns, de défense sociale selon les autres, à l’encontre du

délinquant ».63

Dans le contrôle à postériori de la passation des marchés publics, l’auditeur indépendant

constate juste les irrégularités, mais ne peut punir les contrevenants. De plus, le rapport d’audit à

postériori des marchés assortit de recommandations qu’il adresse à l’Agence de Régulation des

marchés publics ne lie pas cette dernière. En d’autres termes, l’agence de régulation des marchés

publics qui le recrute n’est pas contrainte de se conformer aux avis émis par l’auditeur indépendant

dans son rapport. La sanction des contrevenants qui ont enfreint les règles régissant la passation

des marchés publics n’est donc pas systématique. Car la poursuite de ces dernières demeures

éventuelles. BOULOUMEGUE BEYEGUE est de cet avis lorsqu’il affirme que « les conclusions

de l’audit sont susceptibles d’enclencher des procédures répressives à l’encontre des acteurs jugés

défaillants ou coupables d’actes juridiquement répréhensibles ».64 En d’autres termes, les

conclusions de l’auditeur indépendant ne déclenche donc automatiquement la procédure

répressive. A cette limite, s’ajoute celles relatives à la délimitation du champ d’investigation de

l’auditeur indépendant.

2- Les limites relatives à la délimitation du champ d’investigation

La recherche des dysfonctionnements dans la passation des marchés publics par l’auditeur

indépendant, est une opération d’investigation circonscrite dans un périmètre précis. Ledit

périmètre est constitué de la totalité (100 %) des marchés dont le montant est supérieur à cinq cent

millions (500 000 000) de Fcfa d’une part et, d’un échantillon de 25 % des marchés compris entre

cinq cent millions (500 000 000) de Fcfa et trente millions (30 000 000) de Fcfa d’autre part.

L’analyse de ce champ d’investigation de l’auditeur indépendant, laisse clairement transparaitre

que le contrôle de l’auditeur ne s’effectue pas sur l’ensemble des marchés publics.

63 ROUBIER (P), Théorie générale du droit, Ibid., p.35. 64 BOULOUMEGUE BEYEGUE (E G), « La réforme des marchés publics », in l’administration publique

Camerounaise à l’heure des réformes, Paris, l’harmattan, 2010, p.272.

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A travers cette délimitation du champ d’investigation, il est possible de penser que les

pouvoirs publics Camerounais n’éprouvent pas la volonté d’assainir tous les marchés qui sont

passés sur le territoire Camerounais. Car, certains marchés d’un montant supérieur ou égal à trente

millions (30 000 000) de Fcfa et inférieur à cinq cent millions (500 000 000) de Fcfa, sont

susceptibles de ne pas être contrôlés par l’auditeur. De plus, il est avéré que l’exclusion de vingt

marchés d’une valeur de vingt-cinq millions (25 000 000) de Fcfa chacun, équivaut

incontestablement à démettre le contrôle sur des marchés dont la valeur cumulée des montants

équivaut la somme d’un marché de cinq cent millions (500 000 000) de Fcfa. Que dire des

obstacles de fait au contrôle à postériori de la passation des marchés publics par l’auditeur

indépendant ?

B- Les limites de fait

Dans les Etats africains qui ont adopté le modèle romano-germanique comme mode

d’expression du droit, il est généralement constaté que le droit éprouve de nombreuses difficultés

à encadrer le fait. Pour décrire cette situation, le Doyen JEAN CARBONNIER avait pu dire que

« dans le divorce entre le droit et le fait, c’est le droit qui a tort ».65 Il ne saurait en être autrement

car, en dépit de la multiplication des instruments juridiques susceptibles d’encadrer les

comportements sociaux, la recrudescence des comportements déviants se pose avec acuité.

Cette recrudescence des limites d’ordre factuelle dilue la qualité du contrôle effectué par

l’auditeur indépendant. Au-delà de la corruption dont sont répréhensibles les contrôleurs (1),

l’auditeur indépendant fait également face à la difficulté d’accès à la documentation nécessaire à

l’exercice du contrôle (2).

1- La persistance du problème de corruption des contrôleurs

La corruption dans le processus de passation des marchés publics au Cameroun est l’un des

maux qui empêche les fonds publics d’être utilisés pour répondre aux besoins pour lesquels ils ont

été mobilisés. Pour reprendre ROSE DJILA « Eu égard à leur importance économique en tant que

65 CARBONNIER (J), Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, cité par BORIS (Barraud),

Repenser la pyramide à l’ère des réseaux, Paris, L’harmattan, 2012, p.17.

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moyen de développement et d’investissement, les marchés publics restent le lieu de prédilection

de pratiques déviantes, de rencontre des opportunités de corruption ».66

Cette corruption engendre la prise de mauvaises décisions dans la passation des marchés

publics. JOSETTE HERVET l’appréhende comme « un moyen utilisé pour fausser des règles

légales ou non (usage, honneur, morale, rites, jeux sports), en vue d’obtenir un résultat qui ne

pourrait être atteint si l’on se conformait à ces règles ».67

En droit Camerounais, plusieurs instruments juridiques proscrivent la corruption. Le Code

Pénal et le Code des Marchés Publics appréhendent la corruption sous deux grandes variables à

savoir : la corruption active et la corruption passive. La première est celle dans laquelle l’attitude

du corrupteur est mise en exergue, tandis que dans la seconde variante, c’est l’attitude du corrompu

qui est visé.

Ainsi, aux termes des dispositions de l’article 134 al (1) de la loi n° 2016/007 du 12 Juillet

2016 portant Code Pénal, « est puni d’un emprisonnement de cinq (05) ans à dix (10) ans et d’une

amende de deux cent mille (200 000) à deux millions (2 000 000) de francs, tout fonctionnaire ou

agent public national, étranger ou international qui, pour lui-même ou pour un tiers, sollicite,

agrée ou reçoit des offres, promesses, dons ou présents pour faire, s’abstenir de faire ou ajourner

un acte de sa fonction ». Le législateur camerounais intègre ce comportement illégal dans la

catégorie de corruption active. La corruption passive quant à elle est incriminée par le même code

à l’article 134-1 en ces termes « quiconque pour obtenir soit l’accomplissement, l’ajournement ou

le refus d’accomplissement d’un acte, soit des faveurs ou des avantages tels que prévus par

l’article 134 ci-dessus, fait des promesses offres, dons, présents ou cède ou cède à des sollicitations

tendant à la corruption, est puni des peines prévues à l’art 134 al (1) ci-dessus, que la corruption

ait ou non produit ses effets ».68

Dans le même ordre d’idée, le Code des Marchés Publics dispose en son article 197 al

(1) qu’est « convaincu d’acte de corruption quiconque offre, donne, sollicite ou accepte un

quelconque avantage en vue d’influencer l’action d’un agent public au cours de l’attribution ou

66 DJILA (R), « Libres propos sur la sanction pénale de la violation des procédures de passation des marchés publics

au Cameroun », Rev.de science crim. et dr. Pén. Comparé, 2014, n°14, p.761. 67 HERVET (J), La corruption et marchés publics : connivences et compérages sur la base de (…), cité par

MESSENGUE AVOM (B), La gouvernance des marchés publics au Cameroun, Op.cit., p.409. 68 Lire utilement l’article 134-1 de la loi n°2016/007 du 12 Juillet 2016 portant Code Pénal.

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de l’exécution d’un marché ».69 Par cette disposition, le code appréhende l’acte de corruption tant

à partir de l’acteur corrupteur, que de l’acteur corrompu. Aucune de ces variantes de la corruption

n’est autorisée par les textes.

Au Cameroun, la corruption demeure prégnante dans le processus d’accès à la commande

publique Camerounaise et le processus de recrutement de l’auditeur indépendant ne constitue

malheureusement pas une exception. Faire abstraction de ce constat « serait en fait méconnaitre

la réalité ».70 L’exigence selon laquelle le cabinet d’expertise retenu pour l’audit à postériori des

marchés doit être de « de réputation établie »,71 ne garantit pas véritablement une passation du

marché d’audit à postériori des marchés publics en dehors des pratiques de corruption. Le tout

n’est donc pas d’édicter des règles, mais de faire en sorte que ces règles soient appliquées. Or, cela

nécessite avant tout que la règle soit adaptée à son environnement, ce qui n’est pas toujours le cas

avec le droit des marchés publics. Pour MESSENGUE AVOM, « le droit apparait comme un

instrument relativement inadapté de lutte contre la corruption. Car face à cette gangrène, le droit

semble déboussolé, débordé par la vitalité de l’ingéniosité perverse des hommes ».72 Au

développement de cette ingéniosité perverse dans la pratique des actes de corruption, s’ajoute les

difficultés relatives à l’accès à la documentation nécessaire pour le contrôle à postériori de la

passation des marchés publics.

2- Les difficultés d’accès à la documentation nécessaire au contrôle à postériori de la

passation des marchés publics

Le contrôle à postériori de la passation des marchés publics effectué par l’auditeur

indépendant est un contrôle sur pièces. En d’autres termes, c’est un contrôle qui s’effectue sur la

base des archives et autres documentations ayant permis aux maitres d’ouvrages et commissions

de contrôle et de passation des marchés de recruter les soumissionnaires présentant les meilleures

offres.

Pour mener à bien ce contrôle à postériori de la passation des marchés publics, il est donc

nécessaire que l’auditeur indépendant dispose de l’ensemble de la documentation sur la totalité

69 Lire l’article 197 al (1) du Code des Marchés Publics. 70 MESSENGUE AVOM (B), La gouvernance dans les marchés publics au Cameroun, Op.cit., p.177. 71 Lire l’article 5 al (c) du code des marchés publics de 2018. 72 MESSENGUE AVOM (B), La gouvernance dans les marchés publics au Cameroun, Op.cit., p.419-420.

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des marchés entrant dans son champ d’investigation. Il ne saurait en être autrement car c’est sur la

base des informations recueillies dans les dossiers d’appel d’offres, les rapports d’analyses des

offres, les procès-verbaux de séances, les rapports des observateurs indépendants, les avis d’appel

d’offres, les communiqués de publication des résultats, les contrats et les avenants, que l’auditeur

s’attèle à détecter des irrégularités et à proposer des recommandations.

Cependant, cette documentation nécessaire au contrôle à postériori de la passation des

marchés publics n’est pas toujours disponible au moment opportun. Très souvent, ce n’est qu’après

des correspondances adressées aux maitres d’ouvrages et aux maitres d’ouvrages délégués que se

trouve faciliter « l’accès aux informations et à la documentation nécessaire à l’audit ».73

Ainsi, en plus d’être critiqué du fait de son intervention tardive (notamment après la

commission des irrégularités), le contrôle à posteriori de la passation des marchés publics par

l’auditeur fait face à la difficulté d’accès à la documentation.

Conclusion

Ayant pris conscience de la place déterminante qu’occupe la passation des marchés dans le

processus de la dépense publique Camerounaise, les pouvoirs publics ont soumis cette dernière au

contrôle à postériori effectué l’auditeur indépendant. Depuis le début des années 2000, ce contrôle

s’étend sur l’ensemble des étapes du processus de passation et s’effectue sur un échantillon précis

des marchés publics. Ce contrôle à postériori est accompagné d’un rapport d’audit faisant mention

des cas de dysfonctionnements constatés, et des recommandations pour une optimisation du

système camerounais des marchés publics.

Cependant, au regard de la recrudescence de certains fléaux, il est possible d’affirmer qu’en

dépit du contrôle à postériori effectué par l’auditeur indépendant, la passation des marchés publics

au Cameroun demeure une étape parsemée d’embuches. Loin d’être transparente, et libérale

comme l’énonce le code des marchés publics, cette procédure demeure le site privilégié de

mauvaises pratiques qui plombent le système camerounais des marchés publics et remet en cause

la qualité et l’efficacité du contrôle effectué par l’auditeur indépendant.

73 ARMP, Rapport final d’audit à postériori des marchés publics au Cameroun (exercice 2003), Mars 2006, p.23

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Dans les limites textuelles du contrôle à postériori de la passation des marchés publics, il

s’est avéré qu’au-delà de la nature du contrôle, la restriction du champ d’investigation de l’auditeur

indépendant constitue également un inconvénient. Tandis que dans les limites de fait, le problème

d’accès à la documentation, ainsi que la gangrène de la corruption ont une fois de plus témoigné

de l’impotence dont fait les règles juridiques dans l’encadrement des comportements des acteurs

intervenants dans ledit processus de passation des marchés publics. Une telle réalité conforte à

n’en point douter les propos du Doyen JEAN CARBONNIER selon lesquels « dans le divorce

entre le droit et le fait, c’est le droit qui a tort ».74

74 CARBONNIER (J), Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, cité par BORIS (Barraud),

Repenser la pyramide à l’ère des réseaux, Paris, L’harmattan, 2012, p.17.

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Réflexion à propos de l’encadrement des droits de l’homme dans les

procédures d’urgence en droit camerounais

Par :

Bienvenu TONHOUL

Doctorant en Droit public

Université Ngaoundéré (Cameroun)

Résumé :

Dans le cadre de la réforme du contentieux administratif camerounais, deux lacunes étaient

reprochées aux procédures administratives d’urgence. D’une part, ces procédures ne permettaient

pas de suspendre des décisions administratives exécutoires et ne donnaient pas au juge

administratif le pouvoir d’adresser des injonctions ; d’autre part, elles étaient trop lentes à

obtenir, au point que les administrés préféraient saisir le juge judiciaire sur la base de la voie de

fait. Avec l’entrée en vigueur de la loi de 2006/022 fixant l’organisation et le fonctionnement des

tribunaux administratifs, les règles procédurales applicables devant le juge administratif s’est vu

doter de nouveaux pouvoirs susceptibles de lui conférer une plus grande efficacité. Dans

l’architecture des actions ouvertes aux justiciables à l’encontre des actes ou agissements de la

puissance publique, la place des procédures d’urgence doit s’envisager isolément par rapport aux

procédures au fond. On note, néanmoins, la lumière faite par le législateur sur cette question.

Ainsi, les procédures d’urgence ont été instituées pour remédier aux lenteurs du procès

administratif. Car elles permettent d’accélérer certains procès, et d’aménager la situation des

parties jusqu’à l’avènement de la décision au fond. Selon LE BAUT-FERRASSE, « il faut (…)

partir du principe que dès le moment où les procédures ont été spécialement instituées pour ne

pas retarder une issue juridictionnelle, on peut les qualifier sans peine de procédures

d’urgence »1. Les procédures d’urgence permettent de prendre rapidement des mesures

définitives, pour éviter que l’écoulement du temps ne préjudicie définitivement les droits de

l’homme.

Mots clés : Protection, Droits de l’homme, Procédures d’urgence.

1 LE BAUT-FERRARESE (B.), « Les procédures d’urgence et le langage du droit », RFDA, 2002, p.297.

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Introduction

Constatant les imperfections du droit des procédures d’urgence devant le juge administratif,

le vice-président du Conseil d’Etat a mis en place, en novembre 1997, un groupe de travail dont la

direction a été confiée au Président Daniel LABETOULLE d’identifier et de proposer une réforme

visant à perfectionner les procédures d’urgence. Ce groupe de travail a suggéré de renforcer

l’efficacité des procédures d’urgence par l’institution d’un véritable juge doté de pouvoirs élargis

dans le cadre d’une procédure accélérée et simplifiée. Monsieur Roland VANDERMEEREN

annonçait, en 2002, que « dans le domaine de la protection des droits fondamentaux par le juge

administratif, l’histoire distinguera peut-être deux époques : l’ancienne et la nouvelle, c’est-à-dire

avant et après la réforme du référé administratif que vient de réaliser la loi du 30 juin 2000 »2.

Cinq ans après, cette supposition est totalement vérifiée car la loi du 30 juin 2000 « a connu

un succès indéniable et a contribué à diffuser largement une culture de l’urgence au sein de la

juridiction administrative »3. Le juge administratif s’est affirmé, au vu de la jurisprudence, comme

un véritable juge de l’urgence à l’instar de son homologue civil et s’est parfaitement habitué au «

nouveau métier qui modifie de manière notable tant les méthodes de travail que les relations du

juge avec l’administration et les requérants »4. Ceci traduisait la volonté de rendre le contentieux

administratif relativement rapide eu égard aux situations dans lesquelles se trouvaient les

requérants. Ils devaient aboutir dans les meilleurs délais à une solution efficace permettant de

prévenir ou de constater une violation commise par une personne publique. Tout était fait pour que

les procédures d’urgence soient les plus efficaces possibles tout ne leurs accordant qu’une place

de second d’ordre dans le contentieux administratif, loin derrière les recours juridictionnels

classiques.

Le temps est une composante essentielle de toute procédure juridictionnelle. Gagner du

temps est parfois plus important que sauvegarder ses droits et libertés. Il s’introduit dans la justice

par le procès auquel il est lié de manière consubstantielle. Ce constat rappelle une intervention du

2 VANDERMEEREN (R.), La réforme du référé administratif, in Regards critiques sur l’évolution des droits

fondamentaux de la personne humaine en 1999 et 2000, LEBRETON (G.) (sous la dir. de), L’Harmattan, 2002, p.

143. 3 VIALETTES (M.), COURREGES (A.), ROBINEAU-ISRAËL (A.), Les temps de la justice administrative, in

Mélanges en l’honneur de LABETOULLE (D.), Juger l’administration, administrer la justice, Dalloz, 2007, spéc. p.

842. 4 STIRN (B.), Juge des référés, un nouveau métier pour le juge administratif, in Mélanges en l’honneur de

LABETOULLE (D.), Juger l’administration, administrer la justice, Dalloz, 2007, spéc. p. 795.

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juge. La procédure suivie par une juridiction est l’un des éléments permettant de caractériser celle-

ci, puisque les tribunaux « appliquent le droit en suivant des règles particulières de procédures

»5. C’est ainsi que la protection juridictionnelle des particuliers ne peut s'opérer aussi que dans le

respect d'un certain nombre de règles et formalités6. En général, la procédure s'entend comme

l'ensemble des formalités qui doivent être scrupuleusement suivies par les justiciables afin de

soumettre valablement leurs prétentions au juge. En réformant l'institution, le législateur

camerounais n'a pas éludé cet aspect. C'est ainsi que la loi de 1975 ainsi que l'ordonnance n°72/6

précitée alors existantes ont été remplacées par celles de 2006/022 et/016. Ce qui traduit tout le

dynamisme de la politique processuelle de ce pays. D’ailleurs, le juge administratif a lui-même

repris le principe selon lequel, « la forme prime sur le fond », en affirmant précisément : « qu’il

est de tradition devant les juridictions administratives d’examiner successivement les questions de

compétence, puis celles de procédure et, enfin, le fond de l’affaire (…) »7.

Les procédures d’urgence ont été instituées pour remédier aux lenteurs du procès

administratif. Car elles permettent d’accélérer certains procès et d’aménager la situation des parties

jusqu’à l’avènement de la décision du fond. Selon LE BAUT-FERRARESE, « il faut (…) partir

du principe que dès le moment où les procédures ont été spécialement instituées pour ne pas

retourner une issue juridictionnelle, on peut les qualifier sans peine de procédures d’urgences »8.

Ceci permet que d’éviter l’écoulement du temps ne préjudicie les droits du requérant.

L’intérêt de notre contribution intitulée « Le juge administratif camerounais : réflexion à

l’aménagement des droits de l’homme par une procédure d’urgence » repose entièrement sur la

protection que ce juge administratif camerounais a été appelé à établir dans le cadre des procédures

d’urgence afin que ces droits puissent sauvegarder de façon à être les plus efficaces possibles. Il

s’agit de la question de la protection des droits de l’homme dans la mise en œuvre des procédures.

Celle qui nous intéresse dans le cadre de la présente contribution est relative à la protection des

droits de l’homme par la mise en œuvre des procédures administratives d’urgence.

La problématique de cette étude consiste alors à démontrer que la réforme de 2006 a procuré

les moyens et les pouvoirs nécessaires au juge pour que son office devienne plus efficace, mais

5 BERGEL (J.-L.), Théorie générale du droit, 4ème édition, Paris, Dalloz, 2003, p.338. 6 PEISER (G.), Contentieux administratif, Paris, 13ème édition, Dalloz, 2004, pp. 111-112. 7 Jugement CA/CS, 1er février 1985, SENDE Joseph. 8 LE BAUT-FERRARESE (B.), « Les procédures d’urgence et le langage du droit », RFDA, 2002, p.297.

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surtout que ce juge a su saisir l’opportunité offerte par cette réforme pour s’affirmer comme un

véritable juge de l’urgence. Pour traiter cette problématique, il était nécessaire d’étudier les

différentes ordonnances rendues, au fur et à mesure par le juge administratif afin de retracer sa

démarche dans la mise en œuvre de l’ensemble des procédures d’urgence.

Incontestablement, la notion qui nous préoccupe le plus dans cette étude est celle de «

protection des droits de l’homme », objet et âme du juge administratif camerounais, conditionnant

la mise en œuvre de l’ensemble des procédures d’urgence de l’introduction de la requête au

prononcé de l’ordonnance. La question qui se pose est : Comment le juge administratif

camerounais contribue à la protection des droits de l’homme par la mise en œuvre des procédures

d’urgence ? Cette question soulève celle de surcroit à faire de la rapidité d’une bonne justice. Tout

d’abord, le requérant y a gagné en simplicité, rapidité et efficacité. Ensuite, l’administration y «

gagne beaucoup en rapidité. Ce n’est pas toujours agréable de s’entendre dire qu’on a

probablement commis une illégalité, mais l’administration de bonne foi préfère souvent savoir

rapidement à quoi s’en tenir, pour éventuellement corriger l’erreur et repartir du bon pied, y

compris à l’audience ». Enfin, le juge a gagné en « rapidité, efficacité, oralité, [ce] qui permet une

compréhension meilleure des pièces du dossier. On peut faire préciser les choses à l’audience. Le

juge ne se contente plus seulement de résoudre des questions compliquées, et de bâtir de belles

constructions intellectuelles, mais il a aussi plus le sentiment d’être directement efficace ». Dans

le cadre de cette analyse où l’on s’intéressera à la protection des droits de l’homme, il convient de

mettre en œuvre les procédures d’urgence spéciales (I) et celles accessoires (II).

I- LA MISE EN ŒUVRE DES PROCEDURES ADMINISTRATIVES D’URGENCE

SPECIALES FAVORABLE A LA PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

Le Professeur GUIMDO DOMGMO définit l’urgence comme « le caractère d’une situation

ou d’un état de fait ou de droit susceptible de causer ou de provoquer un préjudice irréparable ou

difficilement réparable s’il n’y est porté remède à bref délai »9. Ainsi, les procédures d’urgence

permettent au juge administratif de protéger les droits et les libertés du requérant « au moyen des

9 GUIMDO DOMGMO (R-B.), Le juge administratif camerounais et l’urgence. Recherche sur la place de l’urgence

dans le contentieux administratif camerounais, op. cit., p.18.

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mesures définitives »10 (A). Elles se caractérisent par des allègements favorables à la sauvegarde

des droits de l’homme (B).

A- Les mesures préservant définitivement les droits du demandeur

Définies par Maria FERNANDA MAÇÃS comme « des procès principaux, autonomes et

indépendants (…) dont le dénominateur commun réside dans le besoin urgent d’obtenir une

décision »11, Les mesures d’urgence contentieuses ou mesures contentieuses justifiées par

l’urgence participent des conséquences de l’urgence sur la situation contentieuse. Elles constituent

la réponse du juge à la sollicitation du requérant quand les conditions de fond d’urgence sont

remplies. Autrement dit, c’est le résultat de l’action normative du juge.

Au contraire, la plupart de ces procédures existent en dehors de toute finalité de protection

des droits et libertés, même si elles peuvent faire bénéficier à ces derniers de leurs avantages12.

Les systèmes juridiques contemporains ont toutefois tendance à consacrer des voies de recours

reposant sur des principes de célérité et de simplicité dont la fonction exclusive est la protection

des droits de la personne humaine contre l’action de l’administration. C’est par exemple le cas du

Portugal et de l’Espagne où la Constitution13 consacre le droit, pour toute personne détenue, à

comparaître dans les plus brefs délais devant la justice et à bénéficier de l’appréciation impartiale

d’un juge quant à la légalité de sa privation de liberté. Visant à prévenir toute détention arbitraire,

cette procédure d’habeas corpus participe évidemment à la protection des droits fondamentaux.

Elle se révèle néanmoins limitée dans la mesure où la garantie offerte ne couvre que la liberté

individuelle14.

10 LEBRETON (G.), Libertés publiques et les droits de l’homme, Paris, 5ème édition, Armand Colin, 2001, p.222. 11 FERNANDA MAÇÃS (M.), « As formas de tutale urgente previstas no código de processo nos tribunais

administrativos », in A reforma da justiça administrativa, Coimbra editora, Boletim da Faculdade de direito,

Universidade de Coimbra, 2005, p. 211. 12 C’est par exemple le cas de la procédure de sursis à exécution précédemment étudiée. Cette voie de recours permet

de protéger les droits fondamentaux dès lors que l’acte administratif dont l’exécution est suspendue porte atteinte à

un droit ou une liberté de valeur supra législative. Mais ceci demeure une fonction secondaire. Pour une approche

concrète de cette problématique, le lecteur pourra se référer à la thèse du professeur CAMBOT (P.) à travers laquelle

l’auteur démontre dans quelle mesure le mécanisme du sursis à exécution participe à la protection d’un droit

fondamental déterminé : la liberté individuelle (La protection constitutionnelle de la liberté individuelle en France et

en Espagne), Economica, P.U.A.M., coll. droit public positif, Paris, 1998, pp. 437 et ss). 13 Au Portugal, cette procédure, dite d’habeas corpus, est prévue par l’article 31 de la Constitution. En Espagne, elle

est consacrée par l’article 17-4 du texte constitutionnel. 14 Sur la procédure d’habeas corpus, le lecteur pourra utilement se référer à ALMELA (C.), « Algunas reflexiones en

torno al procedimiento de habeas corpus », A.P., 1996, p. 221; VEGA De RUIZ (J-A.), « El habeas corpus », B.I.M.J.,

1983, p. 7 ; V. GIMENO (S.), El proceso de « habeas corpus », Tecnos, Temas Clave de la Constitución española,

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En Espagne, « lorsque l’on a affaire à un droit de premier rang et seulement dans ce cas,

l’article 53-2 de la Constitution dispose que le plaignant a le droit de demander protection au juge

ordinaire en utilisant une procédure spéciale fondée sur les principes de priorité et d’urgence »15.

Spécialement aménagée pour protéger les droits et libertés consacrés par les articles 14 à 29 de la

Constitution16, cette procédure d’urgence, également dénommée recours d’Amparo ordinaire, a

longtemps fonctionné sur la base d’un système « transitoire »17 organisé par la loi du 26 décembre

1978 relative à la protection juridictionnelle des droits fondamentaux de la personne18.

Actuellement, ce sont les lois régulatrices de chaque ordre juridictionnel qui en réglementent

l’exercice. De sorte qu’il n’existe pas une procédure sommaire et prioritaire commune à

l’ensemble des contentieux mais une procédure spécifique pour chaque ordre juridictionnel

envisagé. Pour s’en tenir à la matière administrative, le recours juridictionnel spécialisé est

organisé par les articles 114 à 122 de la loi de régulation de l’ordre juridictionnel contentieux-

administratif19. Caractérisée par l’urgence, la procédure mise en place déroge largement aux

principes directeurs du droit administratif. La règle du recours administratif préalable obligatoire

est écartée, les délais de procédure sont pour la plupart écourtés et, une fois l’instruction terminée,

le tribunal dispose de cinq jours pour rendre sa décision. Sa finalité est de permettre à toute

personne, estimant qu’une action ou une inaction de l’administration porte atteinte à l’un de ses

droits fondamentaux, de saisir le juge afin que celui, dans les délais les plus brefs, constate

l’illégalité et adopte toutes les mesures nécessaires au rétablissement ou à la préservation de la

permission altérée20.

Madrid, 1985 ; MARONDA FRUTOS (J-L.) et TENA FRANCO (M-I.), « El procedimiento de habeas corpus »,

R.G.D., 1995, p. 1635 ; SORIANO (R.), El derecho de habeas corpus, Congreso de los diputados, Madrid, 1986. 15 BON (P.), « Les droits et libertés en Espagne. Eléments pour une théorie générale », in Dix ans de démocratie

constitutionnelle en Espagne, Paris, CNRS, 1991, pp. 66-67. 16 En somme, les libertés protégés dans le cadre de la procédure sommaire et prioritaire sont les mêmes que celles

couvertes par le recours d’ Amparo constitutionnel, exception faite de l’objection de conscience qui peut seulement

être invoquée en matière d’Amparo constitutionnel. 17 Régime transitoire lié à l’absence de loi organique développant la procédure spéciale prévue par l’article 53-2 de la

Constitution et conduisant la loi organique du 3 octobre 1979 relative au Tribunal constitutionnel à affirmer que, tant

que ne seront pas développées les dispositions de l’article 53-2, la procédure sommaire et prioritaire fonctionnera sur

la base de la loi du 26 décembre 1978 relative à la protection des droits fondamentaux de la personne, BON (P.), « La

protection constitutionnelle des droits fondamentaux : aspects de droit comparé européen », op. cit., p. 257. 18 Loi n° 62-1978 du 26 décembre 1978, B.O.E. du 3 janvier 1979, p. 76. 19 Ley n° 29/1998 de 13 de julio de 1998, reguladora de la jurisccion contencioso-administrativa (modificada por la

ley no3/2020, de 18 de septiembre de 2020). 20 ENERIZ OLAECHEA (F-J.), La protección de los derechos fundamentales y las libertades públicas en la

Constitución Española, Universidad Publica de NAVARA 2007, p. 421.

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En revanche, avec l’introduction du référé-liberté fondamentale, c’est un mécanisme de

garantie spécialement aménagé pour la protection des droits de la personne humaine qui est mis

en place. Ce dernier prévoit la possibilité pour toute personne physique ou morale, camerounaise

ou étrangère, de droit privé ou de droit public d’obtenir, dans un délai record de quarante-huit

heures, la sanction d’une atteinte grave et manifestement illégale portée par l’administration à

l’une de ses libertés fondamentales. Pour ce faire, il suffit de faire état d’une situation d’urgence.

Susceptible d’ordonner « toutes mesures » nécessaires à la sauvegarde de la liberté, le juge dispose

de pouvoirs particulièrement étendus. Il peut se limiter à la suspension de la décision contestée,

mais également prononcer des injonctions, au demeurant assorties d’astreintes.

En ce qui concerne l’institution de la procédure d’urgence en matière électorale, le cadre de

l’élection est un domaine dans lequel s’expriment nécessairement les droits de l’homme. Ainsi, «

en matière électorale il y a toujours urgence étant donné les courts délais impartis au tribunal

administratif pour statuer »21. Comme l’écrit François. DELPEREE, « le contentieux électoral

n’est (…) pas un contentieux comme les autres. Le temps, l’espace, l’action ne se présentent pas

ici comme ailleurs »22. MABILEAU disait déjà qu’il était « l’une des plus grandes questions

politiques qui aient été présentées »23. Le juge administratif est compétent en ce qui concerne le

contentieux municipal24 et régional25. Le contentieux municipal électoral concerne d’une part les

opérations relatives à l’élection des conseillers municipaux; et, d’autre part, celles concernant

l’élection du maire ou de ses adjoints. Selon l’article 34 al.1 de la loi no92/022 du 14 avril 1992

fixant les conditions d’élection des conseillers municipaux, les constations portant sur les

opérations électorales dans la commune font l’objet d’une requête devant la juridiction

compétente. Le juge administratif admet des allègements tant au niveau des formalités de la saisine

qu’aux délais pour statuer favorable à la protection des droits de l’homme. Dans le souci de

protéger les droits de requérant, le juge administratif institue une procédure d’urgence dans

d’autres matières.

21 MEJAN, « Le nouveau référé administratif », RA, 1995, p.161. 22 DELPEREE (F.), Le contentieux électoral, 1ère édition, que sais-je ?, PUF, Paris, 1998, p.4. 23 Cité par DELPEREE (F.), ibid., p 7. 24 V. Les articles 34, 35 et 36 de la loi no92/022 du 4 aout 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers

municipaux. 25 V. L’article 40 de la constitution camerounaise du 18 janvier 1996.

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Bien plus, il existe au Cameroun quatre types de contentieux administratifs spéciaux dont

la procédure juridictionnelle des règlements est régie par l’urgence26. Il s’agit entre autres du

contentieux de la suspension et de la dissolution des associations ; du contentieux de la législation,

de la suspension et de la dissolution des partis politiques ; du contentieux de la reconduite aux

frontières des étrangers ; du contentieux de la suspension et de la dissolution des organisations

non gouvernementales.

D’abord, en ce qui corne le contentieux de la suspension et de la dissolution des associations,

l’article 13 de la loi no90/053 du 19 décembre 1990 portant libertés d’association27 énonce que les

décisions de suspension ou de dissolution d’une association sont susceptibles de recours devant le

président de la juridiction administrative28.

Ensuite, quant au contentieux du refus d’autorisation des partis politiques, de la suspension

et de la dissolution, l’article 8 de la loi no90/056 du 19 décembre 1990 relative aux partis

politiques29 dispose que les actes y relatifs sont susceptibles devant le juge administratif30.

Enfin, pour le contentieux de la reconduite des étrangers à la frontière, l’article 36 de la loi

no97/012 du 10 janvier 1997 fixant les conditions d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers au

Cameroun31 prévoit que l’étranger qui a fait l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière «

peut demander son annulation devant la juridiction administrative »32.

En somme, les procédures d’urgence permettent au juge administratif de protéger les droits

et les libertés du requérant au moyen des mesures définitives. Eu égard à la nature du litige, ceci

se justifie sans doute l’allègement de la procédure pour éviter l’écoulement du temps.

26 Le contentieux de la censure, de la saisie et de l’interdiction des journaux. 27 L’article 13 de la loi no90/053 du 19 décembre 1990 portant libertés d’association. 28 V. Ordonnance no20/CS/PCA du 26 septembre 1991, affaire KOM Ambroise, Ordonnance no19/CS/PCA du 26

septembre 1991, affaire OCDH, Ordonnance no21/CS/PCA du 26 septembre 1991, affaire CAP-liberté. 29 L’article 8 de la loi no90/056 du 19 décembre 1990 relative aux partis politiques. 30 Ordonnance no02/CS/PCA/91-92 du 16 septembre 1992, affaire UPC-MANIDEM c/Etat du Cameroun. 31 L’article 36 de la loi no97/012 du 10 janvier 1997 fixant les conditions d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers

au Cameroun 32 Jugement no31 du 25 février 1993, MOMO Pierre Marie. Dans cette affaire, le juge administratif exige la notification

de la mesure administrative à l’étranger.

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B- L’allègement temporel de la procédure favorable à la protection des droits de l’homme

Dans le cadre de sauvegarder les droits de l’homme dans les procédures d’urgence,

Monsieur MOMO Bernard dans son article déclare que « la justice serait irrémédiablement

compromise s’il n’’était prévu des procédures d’urgence permettant de sauvegarder les preuves,

qui faute d’aller vite, se serait détériorées »33. Ces procédures spéciales d’urgence prévoient non

seulement d’allègement temporel, mais également des formalités de la saisine.

En ce qui concerne la considération temporelle de la procédure, le législateur a institué une

procédure spéciale de règlement des litiges administratifs notamment ceux relatifs aux libertés, «

pour obtenir en toute certitude une mesure immédiate »34. La procédure spéciale permet de prendre

rapidement des mesures définitives, eu égard à la nature du litige, pour éviter que l’écoulement du

temps ne préjudicie définitivement les droits du requérant. On note la réduction des délais de

saisine du juge et la fixation des délais relativement courts pour statuer. En matière électorale, les

contestations portant sur les opérations électorales dans la commune sont portées devant le juge

administratif dans un délai de Cinq (05) à compter de la proclamation des résultats. Et le juge

administratif statue dans un délai relativement court qui est de quarante (40) jours maximum à

compter de la saisine35. Pour ce qui est du contentieux de la suspension et de la dissolution des

associations, la saisine du juge doit intervenir dans un délai de Dix (10) jours à compter de la date

de notification de l’acte querellé, et le juge administratif doit statuer par ordonnance dans un délai

de Dix (10) jours36. Pour le contentieux du refus d’autorisation, de la suspension et de la dissolution

des partis politiques, le recours doit intervenir dans un délai de 30 jours à compter de la date de

notification et le juge administratif statue par ordonnance dans un délai de 30 jours37.

Toutefois, les décisions rendues par le juge administratif dans ces différents contentieux

sont susceptibles de voies de recours ce qui favorise les lenteurs considérables, voire des dénis de

justice. Dans le contentieux de la reconduite des étrangers à la frontière, il y a contre un effet

suspensif à la saisine du juge administratif car « la mesure de reconduite à la frontière ne peut être

exécutée avant l’expiration du délai de 48 heures suivant sa notification et avant que la juridiction

33 MOMO (B.), « Le problème des délais dans le contentieux administratif camerounais », Annales FSJP, Université

de Dschang, Tome 1, Vol 1, 1997, p.139. 34 FRIER (P.L.), L’urgence, Thèse, Paris, LGDJ, 1987, p.269. 35 Article 34 (nouveau) (2) de la loi no92/O22 sus-citée. 36 Article 13 de la loi no90/053 du 19 décembre portant liberté d’association. 37 Article 8 de la loi no90/056 du 19 décembre relative aux partis politiques.

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saisie n’ait statué »38. Ainsi, l’étranger qui a fait l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière

« peut, dans les 48 heures suivant la notification de celle-ci, demander son annulation devant la

juridiction administrative »39. Le juge administratif « est tenu, d’après l’article 37, de statuer dans

les huit (8) jours qui suivent la saisine »40. On note la brièveté du délai de la saisine et le délai

court imparti au juge pour statuer.

Bien plus, la procédure spéciale ne tient sa spécialité de la constitution de l’organe de

juridiction. C’est en principe un juge unique qui statue, à l’exception du contentieux de la conduite

à la frontière. Dans cette procédure, on note l’exclusion de la saisine préalable de l’administration

au moyen d’un recours gracieux préalable, au profit d’une « simple requête devant le président de

la juridiction administrative compétente »41. L’institution des procédures d’urgence se justifie

donc par le souci de voir certains litiges être réglés par le juge administratif, pour éviter

l’écoulement du temps et permettre une bonne administration de la justice. De même, le souci de

remédier à l’urgence justifie l’institution des procédures administratives accessoires plus efficace.

II- LA MISE EN ŒUVRE DES PROCEDURES ADMINISTRATIVES D’URGENCE

ACCESSOIRES FAVORABLE A LA PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

Dans le but de préserver provisoirement les droits du demandeur et des parties contre

l’écoulement du temps, le législateur camerounais a mis à la disposition du juge administratif deux

moyens lui permettant, avant toute instance au fond. L’un permet de suspendre les effets de l’acte

administratif litigieux (A) : c’est le sursis à exécution42; tandis que l’autre permet, plus largement,

au juge de prendre des mesures conservatoires utiles à sauvegarder les intérêts du requérant (B) :

c’est le référé administratif43. Ces deux moyens sont tous commandés par l’urgence et permettent

d’éviter que le jugement rendu au fond ne devienne inutile et la situation litigieuse compromise du

fait de l’écoulement du temps. Les procédures d’urgence accessoires permettent au juge

administratif de protéger les droits et intérêts du requérant « aux moyens des mesures provisoires,

38 Article 38 de la loi no97/012 du 10 janvier 1997 fixant les conditions d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers

du Cameroun. 39 Article 36 de la loi sus-citée. 40 Idem. 41 Article 3al.2 de la loi no99/014 décembre 1999 régissant les organisations non gouvernementales. 42 Voir articles 16, 17 et 18 de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour suprême statuant

en matière administrative. 43 Voir articles 122, 123 et 124 de la loi n°75/17.

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valables uniquement dans l’attente du jugement au fond »44. Il s’agit de deux procédures qui se

justifient par l’urgence qui, empêchent d’attendre l’intervention du juge du fond, nécessite le

prononcé immédiat des mesures protectrices des intérêts des parties.

A- La suspension des effets de l’acte administratif litigieux

La procédure de sursis à exécution des décisions administratives est liée au principe de l’effet

non suspensif des recours exercés devant le juge administratif. Ce principe est consacré par la loi

n°75/17, en son article 16 al. 1er, en ces termes : « Le recours contentieux contre une décision

administrative n’en suspend pas l’exécution ». Ce principe est repris par l'article 30 de la loi

n°2006/022 créant les tribunaux administratifs. On l'entend souvent comme la « suspension de

l'applicabilité d'un acte dans l'attente du jugement à rendre sur sa légalité... »45.

Le sursis à exécution consiste en « la suspension de l’applicabilité d’un acte dans l’attente

du jugement à rendre sur sa légalité »46. Il n’atteint son but que « s’il est ordonné rapidement »47.

Cette procédure permet « d’ordonner la suspension provisoire des décisions administratives

jusqu’à ce que le juge tranche le litige au fond »48. Au vue de l’urgence qui entoure cette

procédure, « urgence » que Bernard Raymond GUIMDO DONGMO définit comme « le caractère

d’une situation ou d’un état de fait ou de droit susceptible de causer ou de provoquer un préjudice

irréparable ou difficilement réparable s’il n’y est porté remède à bref délai »49. En vertu du

privilège du préalable dont jouit l’acte administratif, la contestation d’un acte administratif devant

le juge ne suspend pas son exécution. L’intervention du juge saisi peut durer des mois d’où l’intérêt

de la procédure du sursis qui permet de demander au juge de suspendre l’exécution de l’acte

incriminé, sans attendre la solution au fond du litige. Il importe d’analyser les conditions et les

effets de la procédure.

En ce qui est des conditions du sursis à exécution, « le recours gracieux contre un acte

administratif n’en suspend pas l’exécution. Toutefois, lorsque l’exécution est de nature à causer

un préjudice irréparable et que la décision attaquée n’intéresse ni l’ordre public, ni la sécurité ou

44 LEBRETON (G.), Libertés publiques et droits de l’homme, op. cit., p.41. 45 PACTEAU (B.), Contentieux administratif, Paris, P.U.F, 1989, p.235. 46 KEUTCHA TCHAPNA (C.), « Le régime juridique du sursis à exécution dans la jurisprudence administrative »,

Juris périodique, no38, avril-mai-juin 1999, p.83. 47 PAMBOU TCHIVOUNDA (G.), « Recherche sur l’urgence en droit administratif français », RDP, 1983, p.104. 48 GUIMDO DOMGMO (R-B.), Le juge administratif camerounais et l’urgence, Thèse soutenue à l’université de

Yaoundé, 2004, p.48. 49 Ibid., p.18.

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la tranquillité publique, le président du tribunal administratif peut, saisi d’une requête, après

communication à la partie adverse et conclusion du ministère public, ordonner le sursis à

exécution »50. Le sursis à exécution peut être accordé si deux conditions sont réunies : le préjudice

subi doit être irréparable, et la décision attaquée ne doit intéresser ni l’ordre public, ni la sécurité

ou la tranquillité publique51.

Bien plus, l’objet du sursis à exécution n’est la paralysie de la décision administrative

incriminée. Selon l’article 31 de la loi no2006/022, « l’ordonnance du sursis à exécution est, dans

les 24 heures, notifiée aux parties en cause. L’effet de l’acte attaqué est suspendu à compter du

jour de cette notification ». Le juge administratif en a fait application dans l’affaire SDF52,

concernant la demande de sursis à exécution du décret no2008/463 du 30 décembre 2008 du

Président de la République portant nomination des membres d’ELECAM. Ainsi, seule la décision

du juge administratif peut suspendre l’exécution de la décision administrative. Une telle

suspension ne peut être commandée que par l’urgence car elle fait échec au caractère exécutoire

de la décision administrative.

Concernant les limites de ces procédures, « aucun délai n’est imparti au juge administratif

pour statuer. Entre la prise de la décision administrative contestée et la saisine du juge, il y a de

fortes chances que la décision ait produit tous ses effets. L’autre limite de cette procédure est que

la décision de sursis ne suspend pas la décision incriminée à compter de son entrée en vigueur

mais seulement de la seule notification. Ces limites ne sont pas propres au droit camerounais. Il

en est de même du référé suspension en droit français (…) »53. Quid à la procédure du référé ?

B- Les mesures conservatoires utiles à sauvegarder les intérêts du requérant

Classiquement, le référé administratif est essentiellement destiné à la préparation des procès

et à la conservation ou à la recherche d’éléments de preuve sur des dommages ou situations54. A

l’instar du sursis à l’exécution, le référé administratif est une mesure d’attente dont la finalité est

de geler la situation contentieuse afin d’écarter immédiatement un péril qui menace à court terme

l’intérêt du requérant. Il assure ainsi, en sauvegardant les droits des parties, « que le jugement,

50 Article 36 de la loi no2006/022 sus-citée. 51 Ordonnance no1/OSE/CS/PCA, 1977-1978, DJOBET Mathieu c/Etat du Cameroun. 52 Ordonnance no01/OSE/CS/CA du 23 janvier 2009, SDF c/Etat du Cameroun. 53 GUIMDO DOMGMO (R-B.), Le juge administratif camerounais et l’urgence, op. cit., p.30. 54 PACTEAU (B.), op. cit., p. 310.

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quand il sera rendu sur le fond, produira tous ses effets, et ne sera pas simplement un coup d’épée

dans l’eau »55.

Le référé administratif permet au juge saisie de prendre, sans toucher au fond du litige, des

mesures d’urgence de nature à sauvegarder les intérêts du requérant, c’est pourquoi pour AUBY

et DRAGO, « l’urgence est l’âme du référé »56. Cette procédure a été prévue par les articles 27,

28, et 29 de la loi no2006/022 du 29 du décembre 2006. Il convient d’analyser les conditions

d’octroi et d’examen son efficacité.

Pour ce qui est des conditions du référé administratif, le litige ne doit intéresser ni l’ordre

public, ni la sécurité et la tranquillité publique ; il faut qu’il ait urgence. Ainsi, pour le juge : « il

est constant que l’urgence constitue le fondement même de la décision du référé »57. Ainsi le juge

décide qu’il y a urgence à ordonner l’arrêt provisoire des travaux sur un terrain litigieux « pour

garantir les droits de tout un chacun »58. Le référé administratif est recevable que si la demande

principale relève de la compétence du juge administratif. Le juge administratif serait incompétent

pour statuer sur une demande de référé, si le litige principal relatif à la question de l’indemnisation

à une expropriation pour cause d’utilité publique relève de la compétence du juge judiciaire59. Le

juge des référés ne peut qu’ordonner des mesures d’instruction qui se ramène aux expertises

d’urgences et des mesures conservatoires.

Outre les mesures d’instruction, le référé permet au juge d’ordonner des mesures

conservatoires. Les mesures d’instruction tendent « à éclairer le juge, de façon qu’il puisse statuer

en bonne connaissance de cause »60, tandis que les mesures conservatoires « sont destinées à

sauvegarder les droits et les intérêts d’une partie, dans l’attente du règlement au fond »61. Pour le

Professeur GUIMDO, « la procédure de référé permet au justiciable dont les droits se trouvent

subitement menacés d’en faire sauvegarder provisoirement l’intégralité par le juge. Si l’urgence

55 FRIER (P-L.), L’urgence, op. cit., p. 296. 56AUBY (J-M.) et DRAGO (R.), Traité du contentieux administratif, T. 2 Paris, LGDJ, 3ème éd., 1984, p.48. 57 Arrêt no91/CFJ/CAY du 6janvier 1970, KWEMKAM MOLHIE Luc c/C.P.E Yaoundé. 58 Ordonnance no06/PCA/CS/93-94 du 25 novembre 1993, affaire Collectivité Maképé II c/Etat du Cameroun. 59 Arrêt no159/CFJ/CAY, NLIBA NGUIMBOS François Anatole c/Etat du Cameroun Oriental. 60 CHAPUS (R.), « Le juge administratif face à l’urgence », Rapport de synthèse, Gaz. Pal, 1985, p.318. 61 Ibid.

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est avérée, le juge sera obligé de statuer afin d’éviter que l’écoulement du temps ne le défavorise

(…) par rapport à l’autre partie qu’est généralement la personne publique »62.

Conclusion

La célérité prend corps dans la procédure à travers le délai. Comme le souligne le Professeur

VITU, « un délai s’enracine dans l’écoulement du temps ; ce qui implique d’en préciser les points

de départ et d’arrivée, de même qu’un géomètre détermine un segment sur un axe, par sa longueur

et par les points qui bornent »63. En matière d’urgence, le rigorisme du juge administratif

camerounais, a été confirmé par le législateur. On note la saisine du juge en matière d’urgence est

marquée par l’absence d’un recours gracieux. La mise en place d’un système qui prône le devoir

de rendre compte des agents publics et l’exigence de répondre de leurs actes devant les autorités

judiciaires passent indubitablement par un accès libre au juge administratif statuant en urgence.

Ce faisant, les garanties procédurales sont incontournables pour la protection des droits de

l’homme. Il ressort de l’article 8 de la déclaration universelle des de l’homme du 10 décembre

1948 qui dispose « toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales

compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la

constitution ou par la loi »64. Afin donc de rendre l’accès au prétoire du juge administratif plus

commode et moins tracassier dans le cadre du référé et du sursis, l’on suggère que le législateur

camerounais procède à une extension de l’usage du droit de citation directe en cette matière. La

raison en est que l’exclusion de cette règle donnerait l’occasion au juge d’assurer la protection des

droits de l’homme et serait de ce fait le gage de l’excellence des procédures d’urgences, laquelle

se présente comme le signe extérieur d’une bonne justice65. Il s’agit ainsi, d’une mesure susceptible

de permettre au juge administratif camerounais de jouer efficacement son rôle dans le processus

d’arrimage du Cameroun au train universel de la gestion transparente, de la modernité et surtout

de l’affermissement de l’Etat de droit.

62 GUIMDO DOMGMO (R-B.), Le juge administratif camerounais et l’urgence, op. cit., p.31. 63 VITU (A.), « Les délais des voies de recours en matière pénale », in Mélanges offerts à CHAVANNE (A.) : Doit

pénal, propriété industrielle, Litec, 1990, p. 179 et s. 64 L’article 8 de la déclaration universelle des de l’homme du 10 décembre 1948. 65 CHAPUS (R.), Rapport de synthèse du colloque du 30ème anniversaire des tribunaux administratifs, Grenoble,

éditions du CNRS, 1986, p. 341.

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La coopération interinstitutionnelle entre l’ONU et l’UA dans les

opérations du maintien de la paix et de la sécurité en Afrique

Par :

YAHYA HASSOUMI

Doctorant en droit public

Université de Maroua (Cameroun)

Résumé :

L’Afrique souffre, depuis les indépendances, de conflits qui ont émaillé son histoire

contemporaine au point de faire coïncider l’évocation du continent avec l’état de conflit. La

persistance des conflits dans cette région du monde puise sa source. Depuis la fin de la période

bipolaire, on assiste dans le domaine de la résolution des crises et des conflits, un développement

croissant de la coopération et des partenariats interinstitutionnels. Cette dynamique traduit la

similarité des objectifs et des perspectives opérationnelles de l’ONU et l’UA. Elles évoluent en

parfaite collaboration afin d’apporter une solution idoine et adéquate à ces foyers des conflits qui

ne cessent de fléchir la sécurité en Afrique. C’est ce qui atteste la rigidité de la conception formelle

de cette coopération interinstitutionnelle. Seulement, les actions conjointes de ces organisations

laissent apparaitre des failles notoires dans les foyers des conflits qui minent les Etats africains.

Toute chose qui marque le caractère souple de l’opérationnalisation de la coopération

interinstitutionnelle entre l’ONU et l’UA dans les opérations du maintien de la paix en Afrique.

Mots-clés : Afrique, ONU, UA, sécurité, indépendance, coopération.

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Introduction

Partage de compétence ou délégation de compétence ? La réponse à cette question sur la

mission du maintien de la paix et de la sécurité internationales entre l’ONU et les Organisations

régionales n’est pas aisée, car bien des esprits avertis du droit international savent que cette mission

reste, de toute évidence celle de l’Organisation des Nations Unies. Il est l’un des outils les plus

essentiels pour la résolution des conflits dans la boite à outils de cette organisation1.

En effet, La prolifération des conflits en Afrique, le nombre de plus en plus croissant des

Organisations internationales s’activant dans la prévention, la gestion et la résolution desdits

conflits, le caractère multidimensionnel du maintien de la paix, impliquent par ailleurs, la

coordination des actions, résultant des partenariats interinstitutionnels. La coopération

interinstitutionnelle est appréhendée par Thierry TARDY comme « la relation entre plusieurs

organisations internationales participant à la réalisation d’un projet commun. La coopération

sous-entend le caractère itératif des échanges et une certaine convergence sur les objectifs et

méthodes »2. Elle est mise en œuvre, poursuit l’auteur, « avec un degré d’intensité variable, par

l’établissement de canaux de communication, un transfert de connaissances et de normes, un

échange ou une mutualisation des ressources, des actions coordonnées ou conduites en commun.

L’interaction a par ailleurs pour effet d’influer sur les comportements respectifs des organisations

impliquées »3. Cette interdépendance s’identifie comme un fondement de toute relation

internationale.

Depuis la fin de la période bipolaire, on assiste dans le domaine de la résolution des crises

et des conflits, au développement de la coopération et des partenariats interinstitutionnels. « Plus

précisément, la fin de la guerre froide produit une évolution structurelle de l’environnement de la

gestion de crise. La décennie 90 est caractérisée par une demande forte en la matière, à laquelle

l’ONU ne peut répondre que partiellement et imparfaitement »4. Pour écarter ou éviter les risques

d’essoufflement d’une Organisation, pour combler les insuffisances et les lacunes de telle autre

1 LABBE (J.) et BOUTELLIS (A.), Les opérations de maintien de la paix par procuration : Conséquences des

partenariats de maintien de la paix de l’ONU avec des forces de sécurité non-onusiennes sur l’action humanitaire,

Revue internationale de la Croix-Rouge, Volume 95 sélection Française 2013/3 et 4, p. 49. 2 TARDY (Th.), « Coopération interinstitutionnelle : de la compatibilité entre l’ONU et l’Union européenne dans la

gestion de crise », Étude Raoul-Dandurand, n° 23, Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques,

Québec, 2011, p. 9. 3 Idem. 4 Ibid., p. 10.

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Organisation, les coopérations interorganisationnelles ou interinstitutionnelles deviennent une

nécessité. C’est ce que semble dire Boutros BOUTROS-GHALI en 1995, dans l’un de ses

rapports : « Au Chapitre VIII de la Charte, les fondateurs de l’ONU envisageaient pour les

organisations régionales un rôle important dans le maintien de la paix et de la sécurité

internationales. Il est de plus en plus évident que l’ONU ne peut s’occuper de tous les conflits et

de toutes les menaces de conflits dans le monde. Les organisations régionales ou sous-régionales

ont parfois un avantage comparatif qui leur permet de jouer un rôle directeur dans la prévention

et le règlement de différends et d’aider l’ONU à les circonscrire »5. KOFI Annan va dans le même

sens : « Dans le cadre de la mission première de l’ONU, qui est d’assurer la paix et la sécurité

internationales, il est nécessaire et souhaitable de soutenir les initiatives prises au niveau régional

et sous-régional en Afrique. C’est nécessairement parce que l’Organisation n’a ni les moyens ni

les compétences requises pour régler tous les problèmes pouvant surgir sur ce continent. C’est

souhaitable parce que la Communauté internationale doit essayer, chaque fois que possible,

d’accompagner les efforts faits par l’Afrique pour résoudre ses problèmes, plutôt que de se

substituer à elle »6. Cet accompagnement s’est opéré dans un partenariat vertical.

La volonté de voir se renforcer les capacités africaines de maintien de la paix résulte d’une

double nécessité : compenser le désengagement militaire occidental et accroître la maîtrise des

africains sur le maintien de la paix et de la sécurité sur leur propre continent7. Illustré de façon

tragique par le retrait des contingents américains de Somalie en 1993 et belges du Rwanda en 1994,

ce désengagement se confirmera par une réduction graduelle des forces françaises basées en

Afrique et par l’absence de contingents occidentaux au sein des grandes opérations de l’ONU sur

le continent noir8. En plus, l’autre moteur du processus de renforcement des capacités africaines

de maintien de la paix réside dans le renouveau de panafricanisme lequel se concrétise en 2002, à

l’occasion du sommet de Durban, par la création de l’Union africaine qui remplace l’ancienne

Organisation de l’unité africaine (OUA)9. La nouvelle organisation se voit assigner des objectifs

5 BOUTROS-GHALI (B.), « Amélioration de la capacité de prévention des conflits et du maintien de la paix en

Afrique », Rapport du Secrétaire Général, 1 novembre 1995, paragraphe 4. 6 ANNAN (K.), « Les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durable en Afrique »,

Rapport du Secrétaire Général, 13 avril 1998, paragraphe 41. 7 LIEGEOIS (M.), « Les capacités africaines de maintien de la paix : entre volontarisme et dépendance »,

Bulletin, n° 97, 2010, p. 1. 8 Idem. 9 Idem.

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ambitieux dans le domaine de la paix et de la sécurité et, à cette fin, décide de mettre en place un

dispositif institutionnel dénommé Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS). Celui -ci

est placé10 sous la direction du Conseil de paix et de sécurité (CPS), un organe de décision

permanent lequel, à l’instar du CSONU, compte 15 membres et est chargé de la prévention, de la

gestion et de règlement des conflits. De ce fait, il s’avère important voire nécessaire de se poser la

question de savoir existe-t-il une coopération interinstitutionnelle entre l’ONU et l’UA dans le

cadre des opérations du maintien de la paix et de la sécurité en Afrique ? La réponse à cette

question suppose l’analyse des textes onusiens, de l’OUA/Union Africaine. Partant du caractère

ambigu de cette coopération, l’on peut affirmer d’une part, qu’elle est formellement rigide (I) et

d’autre part, opérationnellement souple (II).

I- UNE APPROCHE THEORIQUE IMPERFECTIBLE DU PARTENARIAT ONU-

UA DANS LES OMP EN AFRIQUE

Le partenariat stratégique établi entre l’Organisation des Nations Unies et l’Union

Africaine (UA), deux des principales organisations chargées de remédier aux problèmes liés à la

paix et à la sécurité collectives en Afrique, continue d’être une priorité absolue pour l’une comme

pour l’autre11. Depuis lors, l’évolution de la dynamique des conflits et le développement

institutionnel de l’UA ont orienté ce partenariat vers les questions liées à la paix et à la sécurité12.

Ce partenariat doit toutefois faire face à des pressions croissantes qui compromettent les réponses

collectives aux conflits se déclenchant en divers points du système multilatéral mis en place13.

Ainsi, ce partenariat est basé sur un fondement précis (A) et sur un rapport hiérarchique entre

l’ONU et l’UA consolidé (B).

10 Ibid., p. 2. 11 FORTI (D.) et SINGH (P.), Vers un partenariat ONU/UA plus efficace sur la prévention des conflits et la gestion

des crises, International Peace Institute, Octobre 2019, p. 2. 12 Pour un bref aperçu, voir le texte d’Ulf Engel, « The African Union and the United Nations: Crafting an International

Partnership in the Field of Peace and Security », paru dans The African Union: Autocracy, Diplomacy and

Peacebuilding in Africa, sous la direction de Tony Karabo et Tim Murithi, (Londres, RoyaumeUni : I. B. Tauris &

Co. Ltd, 2018). 13 Ibid., p. 3.

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A- Un fondement certain du partenariat ONU-UA dans les omp en Afrique

Le souci de vouloir œuvrer en coopération ou en partenariat émane du principe

fondamental de toutes les relations internationales qui est celui de la réprocité. Le partenariat

ONU-UA n’est pas en reste. Seulement, le fondement de cette relation interinstitutionnelle s’avère

certainement certain sur le plan politique que juridique. Cette précision est le fruit d’une

interprétation très large des textes, des résolutions et tout autre document du droit de la Charte des

Nations Unies.

En effet, l’idée politique du partenariat ONU-UA atteste qu’au préalable l’ONU ne dispose

pas des moyens en tous genres pour faire face aux nombreuses sollicitations dont elle fait l’objet

depuis le début des années 1990 en matière de paix et de sécurité internationales14. Parce que la

prolifération filgurante des foyers de conflits en Afrique ne permet pas à cette organisation

internationale à vocation universelle de les contenir. C’est ce qui a d’ailleurs poussé l’ancien

Secrétaire Général des Nations Unies de dire que c’est « parce que nos moyens sont et seront

toujours limités, il importe de les utiliser tous (…). Il faut admettre que la tâche serait démesurée

si elle devait être exclusivement confiée à une seule organisation ; c’est pourquoi, il parait plus

raisonnable de songer à un ensemble ordonné d’organisations de différents niveaux, dont la forme

régionale serait la plus fréquente, et que couronnerait l’instance universelle (…) »15. Il sied de là

que l’incapacité financière et matérielle de l’ONU exige une délégation partielle de ses pouvoirs à

l’organisation régionale afin de trouver des solutions adéquates au maintien de la paix et de la

sécurité en Afrique. L’ONU, désespérément a noué des relations franches avec l’UA sur sa mission

fondamentale.

Précisément, on se plait à reconnaitre à l’organisation régionale bien des atouts qui en font

un instrument particulièrement bien adapté pour apaiser les conflits à l’échelle régionale :

proximité de la situation de conflit, ce qui laisse espérer une bonne connaissance de celle-ci par

ladite organisation ; histoire et culture que les Etats de la région ont en partage, facteur de

rapprochement et de compréhension ; cout allégé dans certains cas à supposer toutefois que

l’organisation dispose du savoir-faire et des moyens nécessaires, instruments et cadre

14 KODJO (E.), « Article 55 de la Charte des Nations », in COT (J.-P.), PELLET (A.), FORTEAU (M.), La Charte

des Nations Unies, commentaire article par article, Economica, 2005, p. 13. 15 BOUTROS-GHALI (B.), « Les ententes régionales et la construction de la paix », Défense nationale, octobre

1992, pp. 12 et 13.

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d’intervention plus adaptés…16. L’ONU reconnait bien volontiers que l’UA présente l’avantage

de la proximité, de la connaissance des situations conflictuelles, de la culture et de l’expérience

commune de ses Etats membres et de la volonté politique de résoudre les problèmes de la région17.

Par ailleurs, en règle général, et conformément au droit international, dès lors qu’une

organisation internationale possède la personnalité juridique internationale, elle a la capacité, dans

le cadre de ses compétences d’entretenir tous types des relations avec d’autres organisations

internationales et même d’acquérir la qualité des membres auprès d’elles18. Cette idée du

partenariat se justifie dans l’article 52 de la Charte des Nations Unies qu’ « 1. Aucune disposition

de la présente Charte ne s’oppose à l’existence d’accords ou d’organismes régionaux destinés à

régler les affaires qui, touchant au maintien de la paix de la paix et de la sécurité internationales,

se prêtent à une action de caractère régional, pourvu que ces accords ou ces organismes et leur

activité soient compatibles avec les buts et les principes des Nations Unies. 2- Les Membres des

Nations Unies qui concluent ces accords ou constituent ces organismes doivent faire tous les

efforts pour régler d’une manière pacifique, par le moyen desdits accords ou organismes, les

différends d’ordre local, avant de les soumettre au Conseil de sécurité. 3- Le Conseil de sécurité

encourage le développement du règlement pacifique des différends d’ordre local par le moyen de

ces accords ou de ces organismes régionaux, soit sur l’initiative des Etats intéressés, soit sur

renvoi du Conseil de sécurité. 4- Le présent Article n’affecte en rien l’application des articles 34

et 35 »19. Ces dispositions attestent que l’ouverture de l’Organisation des Nations Unies aux autres

organismes régionaux est une condition sine qua non dans le processus du maintien de la paix et

de la sécurité accès sur le développement du règlement pacifique des différends d’ordre local.

Ainsi, si l’on s’en tient à la Charte des Nations Unies, les mesures coercitives entreprises

par les organismes régionaux comme l’UA, doivent être autorisées par le Conseil de Sécurité des

Nations Unies. L’UA n’a pas dérogé à cette règle même si d’une part, aucun texte dans son cadre

16 CHAUMONT (C.), « Vers un partage des responsabilités entre les Nations Unies et les organisations dans le

maintien de la paix », L’Observateur des Nations Unies, n° 5, 1998, pp. 40-41. 17 Coopération entre l’ONU et l’OUA, Rapport du Secrétaire général, A/48/475, du 15 octobre 1993, § 14. 18VALLEJO (D.V.), « les organisations internationales », Economica, 2002, p. 653. La Cour par un célèbre avis

consultatif du 11 avril 1949 (réparation des dommages subis au service des Nations Unies) a autorisé la reconnaissance

de la personnalité juridique des OI. En l’absence des dispositions expresse établissant cette personnalité juridique. En

pratique, il est rare que les traités constitutifs reconnaissent la personnalité juridique de l’OI qu’ils créent. La plupart

du temps, les textes annoncent une capacité de droit interne et des privilèges et immunités. Cf. MVELLE (G.), L’Union

Africaine : fondements, organes, programmes et d’actions, l’Harmattan, 2007, p. 139. 19 Article 52 de la Charte des Nations Unies.

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ne l’oblige pas formellement à observer cette conditionnalité et d’autre part, même si, l’on observe

la cristallisation d’une coutume en droit du maintien de la paix et de la sécurité internationales, en

vertu de laquelle les organisations régionales agissent en recourant aux mesures coercitives sans

l’autorisation préalable du Conseil de sécurité des Nations Unies20.

En plus, la coopération entre les Nations Unies et l’OUA a toujours été ambitieuse et, de

ce point de vue, il ne devrait pas en aller différemment avec l’Union Africaine même si

l’éventualité d’adaptations et de modifications n’est pas à exclure21. C’est avec l’Agenda pour la

paix, et dans le contexte politique post-guerre froide, que les accords et organismes régionaux

reviennent au premier plan. Désormais dans ce document, « (…) les accords et organismes

régionaux peuvent rendre de grands services s’ils agissent de manière compatible avec les buts et

les principes de la Charte et si leurs relations, en particulier avec le Conseil de Sécurité, sont

conformes au Chapitre VIII ». Et d’ajouter que si le Conseil de Sécurité conserve la responsabilité

principale du maintien de la paix et de la sécurité, « l’action régionale, par le biais de la délégation

et de la coopération aux efforts de l’ONU, pourrait non seulement rendre plus légère la tâche du

Conseil, mais contribuer également à la création d’un sentiment plus fort de participation, de

consensus et de démocratisation en ce qui concerne les affaires internationales »22. La

compatibilité des buts et des principes entre l’ONU et l’UA reste à désirer car la première est à

caractère universel et la seconde dispose une vocation régionale.

L’UA joue un rôle secondaire dans la mission du maintien de la paix et de la sécurité en

Afrique. Elle est assistée par l’ONU. Cette subordination présume la rigidité du partenariat entre

ces deux organisations. Ainsi, il ressort de ces analyses que le partenariat entre l’ONU et l’UA

existe, et il est basé sur un fondement certain. C’est ce qui marque la solidification du rapport

hiérarchique entre l’ONU et l’UA.

20 L’émergence d’une telle coutume porterait sur la possibilité des organisations régionales d’établir une mission de

maintien de la paix à condition que leurs accords ou activités soient compatibles avec les buts et les principes des

Nations Unies. Ce point évoque également la nature des opérations de maintien de la paix établies ou décidées par les

organisations régionales. Cependant, leur mode d’opération ne saurait être comparable sur le fond à celui des Nations

Unies parce que conditionné par l’exercice du droit naturel de légitime défense (art. 51 de la Charte) ou par le principe

de compatibilité (art.53 de la Charte). C’est dire que l’hypothèse du peacekeeping régional africain actée par le recours

aux missions « robustes » reste encadrée par le respect des buts et principes consacrés par le chapitre 8 de la Charte

des Nations Unies. 21 Voir Rapport du Secrétaire général sur la coopération entre l’ONU et l’OUA, doc. A/56/489 du 19 octobre 2001, §§

2-3. 22 Doc. A/47/277-S/24111, 10 juin 1992, §§ 63-65.

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B- Un rapport hiérarchique solidifié entre l’ONU et l’UA

Au préalable, La relation entre le Conseil de sécurité des Nations Unies et le Conseil de

paix et de sécurité de l’UA (CPSUA), organes dotés de pouvoirs décisionnels en ce qui concerne

les questions de paix et de sécurité, est un facteur essentiel pour le fonctionnement du partenariat

entre l’ONU et l’UA23. La relation politique et opérationnelle entre les deux conseils s’est

considérablement développée depuis la tenue de leur première consultation conjointe en 200724. Il

faut considérer que l’analyse du lien entre les systèmes de sécurité collective universels et

régionaux, est largement analysé par la littérature internationaliste25 et récemment, est revenu

d’actualité par l’intensification des conflits de dimensions locales en Afrique. Cette nouvelle invite

à examiner d’un côté, le besoin d’une transformation du système de réglementation originaire,

concentré évidemment sur la primauté du Conseil de sécurité26, plutôt en direction de la réduction

progressive de la centralité de l’ONU; de l’autre côté, l’extension des compétences liées à

l’entretien et rétablissement de la paix par les Organisations régionales et sous-régionales27.

En effet, si l’autorisation du Conseil de sécurité n’est pas nécessaire dans le cadre des

missions de maintien de paix ou d’opérations de maintien de paix non contraignantes, à caractère

régional, elle l’est pour les opérations de nature contraignante. Et souvent, dans la pratique des

Nations unies, comme des Organisations régionales, les opérations de maintien de la paix prennent

une allure coercitive. Elles exigent donc l’accord du Conseil de sécurité ou doivent se dérouler

sous son contrôle. Les rapports entre l’ONU et les Organisations régionales, sont donc des rapports

de subordination, même si, ils sont aussi souvent complémentaires. Ici, l’article 53 permet de

23 Idem. 24 Idem. 25 DRAETTA (U.), Principi di diritto delle organizzazioni internazionali, Milano, Giuffrè, 2010, p.84 le lien entre

l’ONU et les Institutions spécialisées est reconduit aux articles 57 et 63 de la Charte des Nations Unies, tandis qu’il

est appelé «décentralisation fonctionnelle» les rapports descendants de relations de la première à la seconde, identifiés

dans les articles 52-54. VILLANI (U.), « Les rapports entre l’ONU et les organisations régionales dans le domaine du

maintien de la paix », Recueil des cours de l’Académie de droit international de la Haye, Vol. 290, 2001, pp. 225 ss.,

ABASS (A.), Regional Organisations and the Development of Collective Security. Beyond Chapter VIII of the UN

Charter, Oxford, Hart Publishing, 2004 et BOISSON DE CHAZOURNES (L.), « Les relations entre organisations

régionales et organisations universelles », Recueil des cours de l’Académie de droit international de la

Haye, Vol. 347, 2010, pp. 79 ss. 26 CIMIOTTA (E.), « L’azione di contrasto agli atti di terrorismo perpetrati da Boko Haram nei rapporti tra Nazioni

Unite, organizzazioni regionali e subregionali », ( www.sidi-isil.org/sidiblog/?, p.1334, consulté le 02 Octobre 2021

à partir de 16h). 27 Ibidem.

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convaincre. Il s’agit de retenir que le Conseil de Sécurité peut solliciter les organisations régionales

pour l’application des mesures coercitives prévues au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

De même, ces Organisations régionales peuvent entreprendre des mesures coercitives tout

en ayant demandé au préalable l’autorisation du Conseil de sécurité car aucune action coercitive

ne saurait être engagée, en vertu d’accords ou d’organismes régionaux, sans l’autorisation du

Conseil de sécurité28. À en croire Ugo VILLANI, « Les organisations [régionales ou sous-

régionales] apparaissent en fait destinées à réaliser l’objectif du maintien de la paix et de la

sécurité internationales, selon les déterminations du Conseil de sécurité. Cet aspect des

organisations régionales est encore plus évident dans l’hypothèse où le Conseil de sécurité les

utilise pour l’application des mesures coercitives prises sous son autorité. Mais il est aussi présent,

quoique d’une manière plus nuancée, dans l’autre hypothèse prévue par l’article 53, c’est-à-dire

l’autorisation des mesures entreprises par l’organisation régionale même »29. Il résulte que l’on

ne peut s’empêcher de dire d’attester qu’il y’a un pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité

qui juge l’opportunité d’utiliser les organisations régionales ou sous régionales dans le maintien,

d’imposition et de la consolidation de la paix en Afrique.

Toutefois, ce rôle principal est beaucoup plus théorique, directif et normatif. Car, sur un

plan pratique et opérationnel, les Organisations régionales ou sous-régionales, s’activent

davantage et jouent de plus en plus un rôle majeur dans le maintien de la paix et de la sécurité

internationales30. On peut donc faire du rôle principal, en matière de prévention, de gestion et de

résolution des crises et des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité internationale, une

double lecture, théorique et pratique. Si, sur un plan formel, ce rôle revient à l’Organisation des

Nations unies et à son organe principal en charge du maintien de la paix, le Conseil de sécurité,

d’un point de vue pratique et opérationnel, ledit rôle est joué par les Organisations régionales, en

l’occurrence, dans les conflits en Afrique, l’UA, l’OTAN, l’Union européenne, et parfois la

CEDEAO31.

28 Cf. Article 53, alinéa 1, de la Charte des Nations unies. 29 VILLANI (U.), « Les rapports entre l’ONU et les organisations régionales dans le domaine du maintien de la paix »,

RCADI, tome 290 (2001), p. 326. 30 Ibid., p. 174. 31 Voir notamment le rôle de la CEDEAO dans les conflits au Libéria, en Sierra Leone, et en Guinée Bissau. Lire

KPODAR (A.), Essai de réflexion sur la régionalisation du maintien de la paix et de la sécurité collectives : l’exemple

de l’Afrique de l’Ouest, thèse, Université de Poitiers, 2002, p. 45.

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Ainsi, ce partenariat est caractérisé par une dimension rigide à tous les niveaux; en effet,

s’il est vrai que les deux conseils sont de plus en plus interdépendants, il n’en reste pas moins

qu’ils continuent d’entretenir une relation qui est fondamentalement subordonée du point de vue

des pouvoirs, de l’autorité, des ressources et du statut politique. Alors que le Conseil de sécurité

protège jalousement la primauté de son mandat de maintenir la paix et la sécurité internationales,

la légitimité politique croissante dont jouit l’UA et sa capacité d’action politique en font l’un des

moteurs des activités entreprises à l’échelle du continent tout entier en vue d’y promouvoir la paix

et la sécurité32.

Le partenariat ONU-UA établi pour promouvoir le processus de paix en République

centrafricaine (RCA) montre comment cette relation entre les deux conseils peut donner des

résultats positifs. En juillet 2017, le CPSUA a donné des instructions pour que soit lancée

l’Initiative africaine pour la paix et la réconciliation en RCA. Dans le cadre de cette initiative, il a,

de concert avec la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEAC), fourni un

soutien politique à la Commission de l’UA pour l’aider à assurer le succès de ses efforts de

médiation entre le Gouvernement centrafricain et 14 groupes armés33.

De toute évidence, pour une collaboration franche dans le domaine du maintien de la paix

et de la sécurité, l’ONU et l’UA se devaient d’opérer un cadre légal et privilégié pouvant les

permettre de repérer tous les mécanismes d’imposition ou de la consolidation de la paix en Afrique

qui va de pair avec leurs principes fondamentaux afin d’éviter d’une opérationnalisation perplexe.

II- UNE APPROCHE MATERIELLE PERFECTIBLE DU PARTENARIAT ONU-UA

DANS LES OMP EN AFRIQUE

Les rapports entre l’ONU et l’UA se matérialisent, tout au moins pour ces premières années

d’existence de l’organisation continentale par des actions au plan opérationnel. Outre le soutien

accordé aux africains dans le cadre de création même de l’Union Africaine, l’ONU en a appelé à

la communauté internationale au soutien des programmes de l’organisation africaine. C’est

pourquoi, l’opérationnalisation du régionalisme sécuritaire en Afrique n’a jamais été une œuvre

32 La responsabilité principale incombant au Conseil de Sécurité dans le cadre de l’exercice de son mandat est énoncée

dans le Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, Addis-Abeba, 29 juillet

2002, article 17.1. 33 Communiqué DCCXXXVII (21 novembre 2017) du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, document de l’UA

PSC/PR/COMM(DCCXXXVII).

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facile, parce qu’elle est en bute d’une intervention politique incertaine (A) et d’une intervention

économique conditionnée (B).

A- Une intervention politique incertaine

L’une des manifestations du regain d’intérêt pour le principe de légitimité démocratique

est l’observation internationale des élections34. Bien des observateurs avertis de l’évolution du

droit international ont pu parler d’un « droit émergent à la démocratie »35. La souveraineté n’est

plus un obstacle car il est du devoir de la Communauté internationale de veiller à la régularité des

opérations électorales. Pourtant, pour Luc SINDJOUN que « l’observation internationale des

élections est devenue le cheval de Troie du nouveau constitutionnalisme »36. C’est pourquoi, le

partenariat politique entre l’ONU et l’UA passe par un accompagnement électoral à géométrie

variable. En effet, l’assistance électorale y compris l’observation des élections est un moyen

important de contribuer à la pérennité des processus de démocratisation. Au cours de ces années

passées, les instances internationales et les pays occidentaux ont proposé et apporté leur concours

à l’organisation des premières élections multipartites dans de nombreux pays37. Ils ont par ailleurs

envoyé des missions d’observations38 dans différentes régions du monde souvent dans le cadre des

principales organisations internationales en la matière en l’occurrence les Nations Unies et

l’OSCE. Les Nations Unies ont été amenées très tôt à se mêler des élections en Afrique. Mais elles

34 Il est à signaler sept types d’assistance électorale : organisation et conduite d’élections, supervision, vérification,

coordination et soutien des observateurs internationaux, soutien aux observateurs électoraux nationaux, assistance

technique et observation internationale des élections. Il est à préciser que c’est l’observation internationale des

élections qui nous intéresse dans le cadre de cette étude. 35 ACHOUR (R.B.), « La contribution de B. Boutros-Ghali à l’émergence d’un droit international positif de la

démocratie », Amicorum discipulorumque Liber Boutros BOUTROS-GHALI, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 909 et

s. 36 SINDJOUN (L.), La formation du patrimoine constitutionnel commun des sociétés politiques : Eléments pour une

théorie de la civilisation politique internationale, Dakar, Conseil pour le développement de la recherche en sciences

sociales en Afrique, 1997, pp. 27 et s ; SINDJOUN (L.), « La loyauté démocratique dans les relations internationales :

sociologie des normes de civilité internationale », (2001) 32 Etudes internationales 31, SICILIANOS (L-A.), « Les

Nations Unies et la démocratie de l’Etat. Nouvelles tendances », La contribution des Nations Unies à la

démocratisation de l’Etat, Dixièmes Rencontres internationales d’Aix en Provence, Colloque des 14 et 15 décembre

2001, Paris, Pedone, 2002, p. 13. 37 En 1998 et en 1999, des élections qui se sont tenues, par exemple, Togo et Nigeria ont bénéficié d’une assistance

technique ou ont fait l’objet d’une mission d’observation. L’Union Européenne a apporté une assistance au Togo pour

les élections présidentielles en juin 1998. 38 Le don des urnes scellées ainsi que l’envoi d’observateurs internationaux pour minimiser ou éviter le phénomène

de fraude électorale est souvent préconisé même si ce dernier procédé est souvent perçu comme une ingérence dans

les affaires intérieures des Etats. Cf. ATANGANA AMOUGOU (J-L.), « Conditionnalité juridique des aides

et respect des droits fondamentaux », Revue électronique Afrilex, 2001, p. 13.

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l’ont fait dans un contexte d’autodétermination, et avec l’autorisation expresse d’un organe

délibérant dénommé Assemblée Générale. La fin de la guerre froide ayant généré un monde

complexe relativement instable, l’organisation internationale élargit son champ d’intervention en

matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale.

Ainsi, entre autres missions, l’ONU intervient en accompagnant les processus

démocratiques par l’assistance électorale. Pour ce faire, en novembre 1992, le Secrétaire général

établissait des directives à l’intention des Etats membres qui envisageaient de formuler une

demande d’assistance électorale. Il retenait six types de missions d’assistance électorale :

l’organisation et la conduite d’une élection ; la supervision ; la vérification ; le suivi du processus

électoral ; la coordination et le soutien des activités des observateurs détachés par d’autres

organisations ; l’assistance technique39. L’assistance technique et matérielle revêt plusieurs types

d’actions généralement dénommés « bénéfices collatéraux »40. Dans les pays de l’espace

CEDEAO, les domaines couverts par l’assistance électorale sont entre autres : élaboration des

systèmes électoraux, organisation matérielle des élections, éducation civique des électeurs,

acquisition de matériels, formation des responsables chargés de l’organisation des élections….41.

Bien des demandes d’assistance électorale technique émanant de pays africains sont la

manifestation la plus connue de l’internationalisation du droit des élections et l’ONU qui fait de

cette assistance le principal instrument de promotion de l’impératif démocratique, y a presque

toujours favorablement répondu42. Par ailleurs, cette assistance se greffe toutefois sur des stratégies

endogènes de légitimation auxquelles l’ONU reste en revanche totalement extérieures.

39 Ibidem. 40 HUU DONG (N.) et RECONDO (D.), « L’ONU, artisan du processus électoral », Critique internationale, n°24,

2004, pp. 159-176, notamment p. 171. Cette notion recouvre diverses modalités : conseil aux autorités électorales ;

administration et planification électorale ; enregistrement des votants ; budgétisation des élections ; examen et

rédaction des lois électorales ; formation des personnels en charge des élections ; logistique ; éducation civique des

électeurs ; achat de fournitures et de matériels pour les élections ; règlement des différends électoraux ; informatisation

de registres électoraux ; délimitation de circonscriptions électorales, etc. 41 Voir à ce propos BOKATOLA (I.O.), « Un exemple d’observation internationale des élections : la Commission des

Communautés européennes, la Commission internationale des juristes et les élections présidentielles à Madagascar de

1992-1993 », in Liberté des élections et observation internationale des élections, op.cit., pp. 147-174. 42 Jusqu’en 1996, près de 60 demandes d’assistance électorale ont été adressées aux Nations Unies par les

Etats africains : A/51/512, 18 octobre 1996, annexe 1. KAMTO (M.), L’ONU et l’assistance électorale, Septième

Congrès annuel de la Société africaine de droit international et comparé 1995 (7), pp. 71-92 ; MBADINGA (M.I.), «

Brèves remarques sur l’assistance électorale internationale et la souveraineté des Etats africains, RJPIC 1998 (52), pp.

309-326 ; voir également Voir CAHIN (G.), « Les Nations Unies et la construction d’une paix durable en Afrique »,

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Ce faisant, dans la plupart des cas l’assistance électorale fournie par les Nations Unies43

implique le Département des affaires économiques, le Centre des droits de l’homme, le Programme

des Nations Unies pour le développement (PNUD) et surtout la Division de l’assistance

électorale44. Au fil des années, la Division de l’assistance électorale de l’ONU est apparue comme

le pivot des activités d’assistance électorale au sein des Nations Unies45. Elle s’applique de plus

en plus « à assurer un contrôle centralisé et cohérent de la qualité de ses projets d’assistance

considérés dans leur intégralité quel que soit l’agent d’exécution. Elle s’emploi aussi davantage

en collaboration avec les gouvernements, à renforcer les capacités et à adapter l’assistance à

l’environnement politique et électoral des pays »46.

En cas d’accord, les deux parties concluent une convention de financement de l’élection.

A titre d’illustration, on peut citer l’accord de projet de financement d’un montant de 20 milliards

de FCFA signé le 7 septembre 2010 entre le Représentant de l’ONU et le ministre nigérien de

in La contribution des NU à la démocratisation de l’Etat, Colloque des 14 et 15 décembre 2001 (sous la dir.) de

MEHDI (R.), A. Pedone, Paris, 2002, pp. 133-159. 43 L’assistance électorale obéit à une procédure spécifique: elle consiste d’abord en une demande écrite adressée au

Secrétaire Général adjoint aux affaires politiques par le gouvernement de l’Etat demandeur, au moins trois mois avant

la date prévue pour la tenue des élections. Ensuite, saisie de cette demande, la Division de l’assistance électorale

consulte sa Division régionale pertinente et le Représentant résident du PNUD concerné pour savoir si la situation

préélectorale de l’Etat demandeur satisfait aux critères qu’elle a établis (vérifier par exemple si les principaux partis

d’opposition et les représentants de la société civile soutiennent l’implication des Nations Unies). Enfin, en cas de

doute, une évaluation en profondeur peut être diligentée par la Division de l’assistance électorale, avec la coopération

du PNUD. Voir ONDO (T.), « L’internationalisation du droit relatif aux élections nationale : à propos d’un droit

international des élections en gestion », , pp.1421-1422. 44 La Division d’assistance électorale a été créée en 1992 après la première mission d’observation électorale au

Nicaragua (1989-1990), celle de Haiti (1990-1991) et pendant le montage de la mission au Cambodge et au Salvador.

Elle est de taille modeste puisqu’elle ne comprend que six fonctionnaires ayant le rang d’administrateurs sous

l’autorité d’un Directeur. Elle possède trois fonctions principales. La première vise à offrir une assistance technique à

l’organisation des élections. La seconde consiste en l’organisation de ces élections lorsque, comme ce fut le cas au

Cambodge, l’Etat national est défaillant et que la Communauté internationale lui en confie la responsabilité. La

troisième fonction, la plus lourde, est l’organisation directe de l’observation électorale ou encore, la coordination de

l’observation électorale internationale. Cette coordination comprend une partie logistique : le déploiement pratique

des observateurs, et une partie méthodologique : l’homogénéisation du travail d’observation. Voir à ce sujet HUU

DONG (N.), « L’assistance électorale comme préalable à la restauration de l’Etat », in Les Nations Unies et la

restauration de l’Etat, Rencontres internationales de l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, Colloque des

16 et 17 décembre 1994 (sous la dir.) d’Yves DAUDET, A. Pedone, Paris, 1995, pp. 34-40. 45 En effet, depuis la création du Groupe de l’assistance électorale de l’ONU qui est devenu opérationnel le

1er avril 1992, jusqu’à mai 1993, l’ONU a fourni une assistance électorale à 31 Etats membres sur leur demande: 24

d’Afrique, 2 d’Asie, 1 d’Europe orientale et 4 d’Amérique Latine. Cf. Doc. ONU, Communiqué de presse GA/491 du

5 mai 1993, « Activités d’assistance électorale du système des Nations Unies ». 46 Assemblée Générale des Nations Unies, Rapport du Secrétaire général A/56/150, « Renforcement de l’efficacité du

principe d’élections périodiques et bonnets », 19 octobre 2001, p. 3.

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l’intérieur pour le financement de l’organisation du référendum constitutionnel et des élections

présidentielles et législatives de 201147. De même que lors de l’élection présidentielle en Côte

d’Ivoire48 de 2010, la Communauté internationale a contribué à environ 60 millions d’euros pour

l’organisation de ladite élection49. A côté de cette assistance standard, l’ONU peut intervenir dans

le processus électoral proprement dit, à travers une assistance plus spécifique. Depuis 1988, les

opérations de maintien de la paix sont devenues l’instrument du Conseil de Sécurité pour faciliter

l’implantation d’un plan global de paix convenu entre les parties, ce qui inclut parfois

l’organisation ou la surveillance des élections.

Toutefois, sur le continent africain comme ailleurs, cette intervention directe de l’ONU

dans le processus électoral est la résultante d’instabilités politique, sociale et économique mais

aussi de conflits interétatiques qui sapent les bases du régime démocratique. L’assistante électorale

de l’ONU dans le cadre des opérations de maintien de la paix se traduit ici par un soutien au

processus de démocratisation. Elle se matérialise ainsi par l’organisation et la conduite des

élections par la supervision et la vérification du processus électoral et enfin par la certification du

scrutin en question.

En tout état de cause, la souveraineté permet à tout Etat d’organiser, d’orienter et même de

suivre son processus électoral. Aucune intervention étrangère n’est sollicitée. Pourtant, les

opérations électorales des Etats parce qu’étant un cadre d’expression des droits fondamentaux des

peuples50, deviennent de plus en plus un sujet préoccupant la Communauté internationale.

De toute évidence, il serait tentant pour nous de dire que, l’instauration d’un processus électoral

démocratique dépend entièrement de la compétence interne des Etats. Elle constitue l’expression

de la souveraineté politique de ces derniers même si le respect de la souveraineté étatique n’est pas

facile à observer, dès lors que l’Etat a pour mission première d’assurer la protection des

47 En 2005, le PNUD en partenariat avec l’Union européenne, a contribué au renforcement de la gouvernance

démocratique dans plus de 130 pays avec environ 1,4 milliard de dollars américain. Rapport annuel 2006 du PNUD :

Un partenariat pour le développement, New York, 2006, p. 5 ; voir également Rapport du Secrétaire Général de l’ONU

sur l’activité de l’organisation, A/61/1, 2006, §126. 48 Voir GALY (M.), « Coup de poker en Côte d’Ivoire », Le Monde Diplomatique, novembre 2010, p. 6. 49 Il faut souligner ici que sur le plan multilatéral, les Etats ont décidé, lors du Sommet mondial de septembre 2005,

de créer le Fonds des Nations Unies pour la démocratie, dont le montant s’élève en 2006 à environ 49 millions de

dollars. Cf. Rapport du Secrétaire Général sur l’activité de l’organisation, A/61/1, 2006, § 129. 50 Ces droits sont consacrés comme principe général du droit international.

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individus51. Toute ingérence de la Communauté internationale dans les opérations électorales d’un

Etat, serait une remise en cause de sa souveraineté. Même si l’observation internationale des

élections se présente comme le seul moyen d’imposition des principes démocratiques, alors elle

ne serait légitime que sauf si elle respecte la volonté de l’Etat. Cette incertitude d’assistance

électorale manifestée dans le processus de démocratisation en Afrique est intimement liée aussi à

la conditionnalité économique que les Etats africains subissent.

B- Une intervention économique conditionnée

Depuis fort longtemps, les Etats exerçaient leur fonction dominante de l’ « Etat-

gendarme » qui a écarté toute intervention active dans la réglementation internationale de leurs

activités économiques. Ils étaient à la recherche d’une plus grande efficacité dans la défense des

intérêts nationaux. Mais avec l’expansion industrielle, ils se sont intéressés désespérément à

l’encadrement juridique de leurs relations économiques internationales. L’article 2, paragraphe 1

du Chapitre II de la Charte des droits et des devoirs économiques des Etats de 1974 rappelle que

« chaque Etat détient et exerce librement une souveraineté entière et permanente sur toutes ses

richesses, ressources naturelles et activités économiques, y compris la possession et le droit de les

utiliser et d’en disposer »52. Autrement dit, l’objet primordial de la notion de souveraineté

permanente est de constater l’existence d’un pouvoir de contrôle particulièrement étendu de l’Etat

sur les intérêts étrangers53. La CIJ a reconnu le caractère coutumier de ce principe dans son arrêt

du 19 décembre 200554. Les Etats exercent la plénitude de leur compétence territoriale sur toutes

leurs ressources sans qu’il y’est une intervention extérieure. Ils sont libres dans l’orientation de

leurs activités économiques et industrielles. Pourtant, avec l’intervention active des Etats dans les

relations internationales, leur souveraineté économique reste limitée.

En effet, outre le soutien accordé aux africains dans le cadre de création même de l’Union

Africaine, l’ONU en a appelé à la communauté internationale au soutien des programmes de

l’organisation africaine. Ce fut le cas pour le NEPAD et même pour l’ensemble des actions de

l’Union Africaine dans lesquelles les organes techniques et organismes spécialisés de l’ONU

51 MOUTON (J-D.), « Retour sur l’Etat souverain à l’aube du XXIe siècle », op.cit., p. 316. 52 Article 2, paragraphe 1 de la Charte des droits et devoirs économiques des Etats de 1974. 53DAILLIER (P.), FORTEAU (M.), PELLET (A.), Droit international public, op.cit., pp. 1156-1158. 54 CIJ, arrêt du 19 décembre 2005, Affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (RDC c. Ouganda), par.

244.

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œuvrent pour une meilleure en œuvre et en efficacité dans l’action55. C’est dire que le système des

Nations Unies voudrait jouer un rôle de premier plan dans la mobilisation de la communauté

internationale à l’activité de l’union africaine en général et au NEPAD en particulier. Il se veut un

des piliers de l’action internationale en faveur du NEPAD56. Son appui en la matière englobe

plusieurs activités qui vont de l’assistance technique pour le développement institutionnel aux

compagnes de sensibilisation, en passant par le renforcement des capacités, la conception des

projets ou encore la mobilisation des ressources de toutes natures.

Ainsi, la réunion de consultation régionale des Nations Unies qui œuvre en Afrique a créé

des groupes thématiques concernant les domaines prioritaires du NEPAD. En plus de cela,

plusieurs organes techniques et organismes spécialisés des nations œuvrent chacun en ce qui le

concerne au soutien de l’action de l’Union Africaine en général, et à la mise en œuvre du NEPAD

en particulier.

Le programme alimentaire mondial (PAM) a élaboré pour le NEPAD une stratégie de

préparation aux situations d’urgence dans le cadre d’un mémorandum d’accord signé avec le

secrétariat du Nouveau Partenariat57. Cette collaboration étudie les systèmes autochtones de

réserves alimentaires dans les pays africains. Elle vise par ailleurs à renforcer les capacités aux

fins de la planification des ressources alimentaires et de leur distribution à l’échelon national et de

faire des enfants, les principaux bénéficiaires de ces ressources, grâce aux programmes

d’alimentation scolaire58. Dans le même ordre d’idées il est question de créer des capacités de

réserves à l’échelon sous régional. Le but final est d’atténuer l’effet des catastrophes alimentaires

et prêt à intervenir en pareilles circonstances.

Le Fonds International de Développement Agricole (FIDA), avait accordé en fin 2003 aux

pays africains des prêts d’un montant total avoisinant 3,6 milliards de dollars us afin de financer

317 projets dans 51 pays. De tous ces projets, 97 ont été destiné au continent africain pour 47% du

financement actuel total fourni par le fonds59.

55 Rapport du Secrétaire Général : « Nouveau partenariat pour le développement en Afrique : deuxième rapport

complet sur le progrès de la mise en œuvre de l’appui international », 4 aout 2004. 56 Rapport du Secrétaire Général : « Nouveau partenariat pour le développement en Afrique : deuxième rapport

complet sur les progrès de la mise en œuvre et de l’appui international », 4 aout 2004. 57 MVELLE (G.), L’Union Africaine : fondements, organes, programmes et actions, L’Harmattan, 2007, p. 144. 58 Idem. 59 Ibid., p. 145.

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Toutefois, à partir de la fin des années 80, on assiste à un revirement du discours60. Les

institutions internationales et, un peu plus tard, les Etats commencent à évoquer l’indispensable

bonne gestion des Etats demandeurs de l’aide internationale61. Les conditionnalités économiques

sont donc les premières à faire leur apparition. Elles n’ont pas pour objectif premier la promotion

de la démocratisation, il s’agit plutôt d’imposer aux Etats bénéficiaires de l’aide des obligations

de transparence et de bonne gestion de l’aide octroyée62. D’ailleurs selon WISEMAN (J.A.), « le

but des conditionnalités économiques était plutôt de restructurer les économies des pays africains

que d’avoir des effets particuliers sur les systèmes politiques africains »63. Cette imposition des

politiques économiques étrangères aux Etats africains, implique la dénaturalisation complète du

principe de la non-ingérence. Elle ne cadre pas avec le principe de la souveraineté. Depuis que la

Banque mondiale, le FMI64, le groupe des Sept, la Francophonie lors de ses sommets (La Baule en

1990 et Paris en 1991), le Commonwealth (Hararé en 1991), la Conférence mondiale sur les droits

de l’homme (Vienne 1993) ont tour à tour affirmé leur conviction qu’il y aurait une «

interdépendance entre la démocratie, le développement et le respect des droits de l’homme et des

libertés fondamentales », l’Afrique n’a pas retrouvé son autodétermination économique. Ainsi, il

ressort de toutes ces analyses que le partenariat institutionnel existant entre l’ONU et l’UA, dispose

un fondement clair et d’une opérationnalisation incertaine c’est-à-dire s’appliquant à géométrie

variable. Pour un processus d’imposition et de consolidation de la paix réussi en Afrique, le

partenariat ONU-UA doit s’articuler sur un mécanisme excluant l’usage de la force. Les mesures

coercitives ne pourront intervenir qu’accessoirement.

60 ATANGANA AMOUGOU (J-L.), « Conditionnalité juridique des aides et respect des droits fondamentaux »,

Revue électronique Afrilex, 2001, p. 1. 61 Ibid., p. 2. 62 Idem. 63 WISEMAN (J.A.), Démocratisation, réforme économique et conditionnalités en Afrique subsaharienne :

contradictions et convergences, in Développer par la démocratie ? Injonctions occidentales et exigences planétaires,

MAPPA (S.), (dir), Paris, Karthala, 1995, p. 467. 64 Rappelons que dans les années 70, les Etats occidentaux et les institutions financières partagent le discours des

dirigeants du Tiers-Monde sur la nécessaire construction des Etats forts et stables. Tout le monde s’accordant sur le

fait qu’il fallait d’abord aux Etats un certain niveau de développement avant de songer à des réformes démocratiques.

Lire à ce propos ATANGANA AMOUGOU (J-L.), L’Etat et les libertés publiques au Cameroun, thèse de droit,

Université Jean Moulin, Lyon3, 1999.

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Conclusion

Il était question tout au long de cette contribution d’évoquer la coopération

interinstitutionnelle entre l’ONU et l’UA dans les opérations du maintien de la paix et de la sécurité

en Afrique.

Il ressort de cette étude que la coopération entre ces organisations est d’une part,

formellement imperfectible, et d’autre part, opérationnellement perfectible. De toute évidence, la

bestialité à laquelle donne lieu parfois les conflits en Afrique ne permet plus aux acteurs du

maintien de la paix et de la sécurité de rester passifs et impassibles. Il est devenu difficilement

tolérable, voire « moralement inacceptable d’assister sans rien faire aux spectacles de violences

et de destructions qui nourrissent les médias à longueur de journée »65. A cet effet, dans les

nombreuses régions et contrées du continent africain désertées par la sécurité et où la paix est à

l’épreuve, les Organisations internationales universelles, régionales et subrégionales se voient

presque obligées de faire leur preuve, en volant à son secours66. Du coup, c’est en nombre pluriel

qu’elles se lancent à l’assaut de la paix, s’impliquant fortement dans la résolution des conflits en

Afrique, et mettant en mouvement des stratégies diverses et variées. Du coup, c’est en nombre

pluriel qu’elles se lancent à l’assaut de la paix, s’impliquant fortement dans la résolution des

conflits en Afrique, et mettant en mouvement des stratégies diverses et variées. Pour autant,

parviennent-elles à la conquérir ? Autrement dit, réussissent-elles à maîtriser les données, à tout le

moins variables, et à identifier les inconnues de l’équation de la prévention, de la gestion et de la

résolution des conflits ? Subrepticement, se posent les questions de l’efficacité et de l’impact de

l’action des Organisations internationales sur la dynamique des conflits en Afrique67. Sans doute,

l’évaluation de l’efficacité des Organisations internationales, et l’appréciation de leur contribution

à la paix et à la sécurité, peuvent-elles s’avérer subjectives. Néanmoins, certains indices autorisent

à penser que leur implication, massive, contraste avec leur contribution, relative.

65 LECOUTRE (D.), « Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, clef d’une nouvelle architecture de

stabilité en Afrique ? », op.cit., p. 133. 66 Idem. 67 Ibid., p. 134.

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La judicisation du concept de gouvernance : propos sur un nouveau

paradigme du droit électoral camerounais

Par :

Rodrigue Stéphane Agathon ONDOA

Doctorant en droit public

Université de Douala (Cameroun)

Résumé :

Le concept de gouvernance connait une entrée fulgurante dans l’univers du droit. Inondant

désormais l’ensemble de ses branches, le concept de gouvernance va particulièrement marquer le

droit électoral au point d’en révéler une catégorie particulière dont il est convenu d’appeler droit

de la gouvernance électorale, droit dont l’originalité réside, tout compte fait, dans la mise en

perspective de nouvelles techniques de management de la chose électorale à partir d’une approche

consensuelle et participative. Ce droit qui découle logiquement de la judicisation du concept de

gouvernance vient ainsi confirmer l’hypothèse d’un droit électoral vivant qui, se moulant à la

dynamique de la société, induit, par ce fait, une reconfiguration des règles juridiques destinées à

la gestion des élections politiques. Son émergence entend que branche à part entière du droit

électoral et consécutivement du droit de la gouvernance aura alors été rendue possible au prix de

la convergence de dynamiques textuelles et doctrinales, et dont l’expression autorise à l’envisager

comme une discipline juridique pouvant en toute légitimité faire l’objet d’étude scientifique.

L’étude d’alors engagée à partir de l’expérience camerounaise témoigne, s’il en était encore

besoin d’en conclure, de la pertinence du mouvement juridique qui aura en définitive permis de

formuler des conclusions sur l’existence d’un droit de la gouvernance électorale.

Mots-clés : Gouvernance, Droit électoral, Judicisation, Internationalisation, Démocratisation

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Introduction

Le droit électoral est sans doute l’une des branches du droit dont l’étude n’aura autant cessé de

fasciner la doctrine en dépit de l’abondante littérature à lui déjà consacré. Il continue pour ainsi

dire de cristalliser toutes les attentions. Ce droit qui s’abreuve constamment à la sève nourricière

des valeurs de l’international trouve en effet un regain d’intérêt à l’introduction dans sa sphère du

concept de gouvernance, et à la manifestation de laquelle les conséquences sur le plan du droit en

général et sur le plan du droit électoral en particulier vont s’avérer aussi bien incontestables

qu’irréversibles. Ayant en effet colonisé avec un certain succès l’environnement juridique

international, le concept de gouvernance va-t-il avec la même réussite pénétrer l’environnement

juridique national et revêtir dès lors un caractère on ne peut plus obligatoire. En toute hypothèse,

cette pénétration qui se traduit selon le Professeur Jacques CHEVALLIER par la judicisation des

préceptes managériaux, produit une série d’effets, non seulement sur l’action publique, mais

encore sur le droit lui-même […]1 augurant alors la marche vers un droit post-moderne2 : le droit

de la gouvernance. Mais avant de tirer toutes les conséquences de cette nouvelle perspective

juridique, il serait judicieux d’apporter certaines précisions terminologiques préalables nécessaires

à la compréhension de notre objet d’étude. Techniquement, il faut entendre par judicisation

« l’extension du droit et des processus juridiques à un nombre croissant de domaines de la vie

économique et sociale ». [Ainsi] « un processus peut être décrit comme judicisé dans la mesure où

il fait l’objet de modes de création ou d’application de règles, ou encore de modes de résolution

des conflits, semblables aux processus qui ont cours à l’intérieur du système juridique »3. Le

concept de gouvernance quant à lui est susceptible d’être abordé sous l’angle économique,

politique, sociologique et de plus en plus juridique. Cette polysémie qui laisse entrevoir la

complexité même de ce concept trouve néanmoins son unité dans la manifestation de la gestion de

la « chose publique ». Ainsi, selon qu’il soit appréhendé sous ces divers angles, le concept de

gouvernance fait constamment référence à un mode de prise et de mise œuvre des décisions

publiques fondé sur la collaboration d’un réseau d’acteurs qui ne sont pas que publics, mais aussi

privés de telle sorte qu’aucun acteur pas même la puissance publique n’est à même d’imposer sa

1 J. CHEVALLIER, « La judicisation des préceptes managériaux », Revue Politiques et Management Public, Volume

11, n04, décembre 1993, p.111. 2 J. CHEVALLIER, « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation », RDP, 1998, pp. 659-690. 3 A.-J. ARNAUD (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2e éd., LGDJ, Paris, pp.319-

320. Cité par ZIBI P., Le droit de la gouvernance au Cameroun, Ph. Doctorat en Droit Public, Université de Yaoundé

II, 25 juin 2015, p.3.

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volonté aux autres. La négociation, la persuasion et l’incitation remplace la coercition comme

mode d’intervention publique4. Ce concept s’apprécie alors, en tenant compte du degré

d’organisation et d’efficience et est évaluée à l’aune de quatre axes principaux: la responsabilité,

la transparence, la prévisibilité et la participation5. Il y a donc à la réalité un frottement permanent

entre le droit et la gouvernance. Et à partir de ce moment, la judicisation de ce concept devient-il

dès lors inéluctable. D’ailleurs c’est précisément à cette intersection que se positionne la présente

réflexion. Mais on l’aura déjà sans doute compris, la judicisation du concept de gouvernance, c’est-

à-dire son érection dans le champ du droit aura été déterminante à la poursuite d’une réflexion sur

les conséquences d’une telle dynamique sur le droit électoral puisque de toutes les façons la

gouvernance pénètre également ce dispositif normatif particulier.

C’est le lieu ici de reconnaitre que cette double offensive de la « gouvernance » sur le terrain

du droit international et national va contribuer à nourrir une réflexion doctrinale sur la dialectique

« droit et gouvernance », réflexion à la manifestation de laquelle seront élaborées des grilles de

lecture dont la riche consistance permettra finalement, à partir de matériaux juridiques spécifiques,

d’élaborer ce qu’il est convenu d’appeler droit de la gouvernance. Ce droit dont l’étude va dévoiler

une certaine épaisseur sera-t-il, à son tour, le point de départ d’une réflexion tout azimut sur ses

implications juridiques en raison de sa tendance à pénétrer l’ensemble des branches du droit et à

l’intersection de laquelle se trouve le droit électoral. Inéluctablement, cette dimension analytique

posée laisse à considérer qu’il y a, dans l’univers du droit, autant de sous catégories juridiques

inexplorées en considération des domaines variés de la vie publique auquel le droit de la

gouvernance s’applique valablement. La judicisation du concept de gouvernance qui est ainsi à

l’origine de l’avènement du droit de la gouvernance autorise en tout cas à envisager d’autres

perspectives analytiques dont l’effet est de dévoiler les sous catégories juridiques qui en découlent

certainement. D’ailleurs, ZIBI PAUL ayant exploré les contours juridiques du « droit de la

gouvernance au Cameroun » ne reconnaissait-il pas que des pans entiers restaient encore

inexplorés dans la mesure où chaque sous-ensemble de la gouvernance pouvait constituer une

4 B. ENJOLRAS, « Gouvernance verticale, gouvernance horizontale et économie sociale et solidaire : le cas des services

à la personne », Dans Géographie, économies, société, vol.12, 2010/1, pages 15 à 30. Consulté sur www.cairn.info le

14/06/2019. 5 M. MOINDZE, « Les standards internationaux de la bonne gouvernance des finances publiques », mars 2010, p.2. [En

ligne] consulté 23/03/2018.

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discipline à part entière de cette nouvelle branche6. Quoi qu’il en soit, la pénétration dans le droit

électoral du concept de gouvernance et consécutivement des principes et préceptes qui en

constituent la substance autorise la poursuite d’une telle réflexion.

Et en toute logique, il va se poser la question de savoir s’il existe alors dans l’ordre juridique

électoral des dispositions spécifiquement mobilisées autour du thème de la gouvernance et dont

l’expression légitimerait l’étude d’alors engagée ? Au risque de nous reprendre, le droit électoral

camerounais notamment enclin à la persistance d’une remise en cause de son contenu n’a cessé

depuis lors de s’enrichir des valeurs de l’international dans l’espoir de conquérir l’assentiment des

acteurs politiques. C’est dans ce contexte de crise et d’incertitude du droit électoral qu’il convient

de situer l’érection dans ce dispositif normatif le concept de gouvernance, concept qui tend ainsi à

modifier les paradigmes de la gouvernance électorale. Au demeurant, il apparait incontestable que

la problématique d’alors suggérée dans notre sujet confirme bien, s’il était encore besoin de le dire,

l’hypothèse d’un « droit vivant » se moulant à la dynamique de la société, et dont les réflexions

conséquentes devraient-elles également s’arrimer à ces différentes mutations. C’est en tout sur

cette trajectoire que se situe le Professeur Valérie LASSERRE lorsqu’elle envisagea une étude sur

la mutation du droit en rapport avec la dynamique de la sociale qui, tout compte fait, a permis de

révéler l’avènement d’un nouvel ordre juridique ; le droit de la gouvernance7. C’est dire le défi

permanent auquel l’on est tout le temps appelé à relever chaque fois qu’on objective la

compréhension rationnelle du phénomène juridique. Formulant alors l’hypothèse d’un « autre

droit » duquel découle le droit de la gouvernance électorale, il devient judicieux d’explorer à l’aide

d’outils juridiques appropriés tels que l’exégèse et le normativisme, les dynamiques constructives

de cette nouvelle catégorie (I) dont la convergence ne pouvait logiquement qu’aboutir à sa

consécration juridique entend que branche à part entière du droit (II).

I- UNE CONSECRATION INDUBITABLE DU CONCEPT DE GOUVERNANCE EN

DROIT ELECTORAL

Lorsqu’on aborde le thème de gouvernance en rapport avec le droit électoral, il faut prendre à

la mesure de l’enjeu toute la complexité qui caractérise le concept même de gouvernance et

considérer en même temps le contexte de son introduction dans l’univers du droit en général, et

6 P. ZIBI, Thèse, op.cit., p.27. 7 Voir V. LASSERRE, Le nouvel ordre juridique. Le droit de la gouvernance, LexisNexis, 2015, 358 pages.

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plus spécifiquement en droit électoral si l’on veut percer à jour le message subliminal qui est

dissimulé derrière cette dynamique.

Alors inscrite à l’aune de la politique économique, le concept de gouvernance du moins tel

qu’on l’envisage aujourd’hui avait été pensé et introduit dans le champ juridique africain par les

institutions financières internationales à travers tour à tour les programmes d’ajustements

structurels (PAS) et les nouveaux programmes de gouvernances (NPG) dans le souci de corriger

les dysfonctionnements ayant affectés les économies des pays en voie de développement du fait

de la crise des années 1980. Devenu alors l’instrument de consolidation des stratégies de

développement, la gouvernance telle que perçue en cette ère va alors entrainer que l’idée que la

conception et la mise en œuvre de l’action publique soit résolument tournée sur des perspectives

tenant à la participation citoyenne, à la responsabilisation des acteurs, à la performance, à la

neutralité, à la transparence (celle-ci alliant prévisibilité et lisibilité de l’action publique) et à la

sincérité. Pour tout dire, cette approche moderne gouvernance objective la résolution de la « crise

de gouvernabilité »8 dont souffrent manifestement les démocraties actuelles. Ce concept va par la

8 En effet, l’observation empirique de la dynamique des sociétés humaines révèle constamment la récurrence des crises

internes. Ces crises, si elles sont considérées par certains comme un moteur essentiel de l’évolution des sociétés

politiques, sont aussi révélatrices d’un certain malaise dont l’exacerbation entraine leur instabilité. Cette situation

d’instabilité qui affecte particulièrement les États de l’Amérique Centrale et de l’Afrique s’origine principalement de

la mauvaise gestion des élections et de la redistribution problématique des richesses. Ce qui amène très souvent à

interroger le sens de la gouvernance publique dans ces régions du monde. Quoi qu’il en soit, la frustration engendrée

s’illustrera alors à travers la remise en cause de la représentation politique (Lire avantageusement B. SADRY, Bilan et

perspectives de la démocratie représentative, Ph. Doctorat en Droit, Limoges, 18 décembre 2007, 584 pages) et

partant, la résistance des citoyens à l’égard des gouvernants. Ces constantes contradictions qui immobilisent l’action

publique sont autrement la traduction d’une certaine crise de gouvernabilité (CURAPP, La gouvernabilité, PUF, 1996.

Cité par J. CHEVALLIER, « La gouvernance et le droit », op.cit., p.2.). Cette crise, symptomatique de la mauvaise

conduite des politiques publiques, entraine très souvent l’État dans une tourmente susceptible de « contraindre les

titulaires des positions officielles d’abandonner leurs fonctions » du moins si l’on considère les conclusions de Daniel

GAXIE. (Cf. D. GAXIE, « Gouvernabilité et transformations structurelles des démocraties », Centre de Recherches

Politiques de la Sorbonne, p.271. [En ligne] Consulté le 29/03/2019.). C’est en effet dans une analyse complémentaire

que cet auteur illustrait la crise de gouvernabilité en France lorsqu’il rapportait par exemple que dans sa parution du

15 février 1994, le journal Le Monde, en consacrant en sa Une ‘‘l’inévitable réforme de l’appareil administratif’’ sous

le titre ‘‘État: la crise est mûr’’, a entendu recenser les exemples et les facteurs de la "crise" de l’État en citant

notamment "l’incapacité des pouvoirs publics à répondre autrement que par une kyrielle de gestes symboliques,

d’adoption de projets de loi brouillons ou de «mesures d'urgence» prises dans la tourmente de l’actualité". Ce climat

délétère décrit par le journal Le Monde en 1994 connait une certaine résurgence si l’on prend en compte la crise dite

des Gilets jaunes déclenchée en 2018 sous le Président Emmanuel MACRON. Loin d’être le propre de la France, l’on

retiendra succinctement que, en ce début de siècle, l’Afrique est particulièrement touchée par des crises à répétition

qui, en dernière analyse, fragilisent considérablement les jeunes démocraties. Les cas du Cameroun, du Gabon,

Burundi, du Tchad, de la Libye, de la République Démocratique du Congo, des Soudans du Nord et du Sud, du Mali,

pour ne citer que ceux-là, sont l’illustration d’une Afrique en pleine ébullition à tel point que l’on serait tenté d’aboutir

à la conclusion qu’il s’agit là des « symptômes de la crise de l’Etat ». Il faut donc admettre avec Daniel GAXIE que

« la gouvernabilité est le degré auquel une unité politique est susceptible d’être gouvernée. […] C’est en particulier le

degré auquel les autorités sont en mesure d’exercer un pouvoir de commandement sur les choses et sur les hommes,

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suite faire l’objet de propagandes politiques et juridiques réengageant au passage la société

politique dans une dynamique de restructuration et de légitimation de l’action publique à l’effet de

correspondre le processus décisionnel non plus à l’idée de « verticalité » ou d’unilatéralité qui

garantissait le privilège de l’Etat souverain, mais, désormais, à l’idée d’« horizontalité »9. Cette

dernière implique alors que les décisions publiques soient le fruit d’une négociation, d’une

concertation entre tous les acteurs de la société politique. Ayant ainsi modifié le logiciel de la

décision de « la chose publique » économique le concept de gouvernance va-t-il être

définitivement injecté dans l’univers du droit pour lui donner une véritable signification juridique

et assurer ainsi son obligatoireté. On assiste donc là à une judicisation presqu’inéluctable de la

gouvernance. Ayant alors investi le droit, ce concept de gouvernance va-t-il définitivement revêtir

une signification particulière au point d’affecter l’ensemble de l’architecture du droit et dont les

conséquences vont être déterminantes sur le plan du droit électoral.

L’étude rapproché de la législation électorale révèle en effet une mobilisation particulière

autour du concept de gouvernance et des principes et « préceptes managériaux » qui en constituent

la substance, laissant alors augurer une nouvelle perspective juridique savamment construite à la

convergence des textes d’origine externe (A) et à l’alignement de l’ordre juridique interne (B).

A- La pénétration internationale du concept de gouvernance

L’apport des acteurs internationaux dans la construction du concept de gouvernance est

indéniable. Cependant, si cette construction dès le départ a été motivée par le souci de redresser

les économies des États touchés de plein fouet par la crise économique des 1980, en proposant une

nouvelle approche de la gestion des finances publiques assortie des exigences de performance, de

responsabilité, de neutralité, de participation, de transparence et de sincérité, ces nouveaux

paradigmes ont-ils par la suite investi le champ de la gestion électorale. Il faut reconnaitre en tout

cas que la persistance de la remise en cause des résultats des élections et bien avant des règles

électorales, conjuguée à la remise en cause de la gestion par l’Administration du processus

notamment le degré auquel elles obtiennent l’obéissance ou le consentement ». (Cf. D. GAXIE, « Gouvernabilité et

transformations structurelles des démocraties », Centre de Recherches Politiques de la Sorbonne, p.249.). Pour ainsi

dire, la crise de gouvernabilité est consubstantielle à la crise de légitimité des dirigeants. Il importe alors pour les

pouvoirs publics d’engager, et au besoin, d’accentuer les réformes structurelles et de d’orienter résolument l’action

publique dans un sens favorable à l’autodétermination des couches sociales à l’effet d’assurer la stabilité de la société

politique. 9 Cf. J. ZADI, La question de la bonne gouvernance et des réalités sociopolitiques en Afrique : Le cas de la côte

d’Ivoire, Ph. Doctorat Droit Public, Université Paris-Est, 2013, pp.13-14.

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électoral qui très souvent plongeaient le continent africain dans une instabilité chronique va être

un élément catalyseur dans l’érection dans le droit électoral africain du concept de gouvernance et

modifier à son tour les logiques de gestion des processus électoraux jadis réservée aux

Administrations d’États. C’est en tout cas à cette faveur que l’on va observer sur la scène

internationale un mouvement législatif d’ensemble convergent à la judicisation du concept de

gouvernance.

En toute hypothèse, le concept de gouvernance désormais évoqué en droit international n’est

autre que le résultat d’une détermination législative de l’instance mondiale (1), laquelle a alors

inspiré dans son dynamisme le législateur électoral africain à s’y intéresser encore de plus près (2).

1- La gouvernance dans le dispositif normatif onusien

Lorsqu’on envisage la gouvernance dans le dispositif normatif électoral de l’instance

onusienne autrement qualifiée dans nos propos d’instance mondiale, il sied d’indiquer d’entrée

que parler d’une instance mondiale qui produirait un droit électoral ou tout au moins des règles à

incidence électorale peut a priori paraitre contradictoire, tant on sait qu’à l’origine le droit électoral

est le produit de la manifestation de la volonté souveraine des États, celui-ci organisant alors les

modalités de désignation de ses représentants. Pris sous cet angle, le droit électoral apparait-il

comme le « domaine réservé »10 de l’État. Parler donc d’un droit électoral international dont la

dynamique produirait des conséquences en droit interne suscite alors des interrogations légitimes.

Il convient alors de fixer un préalable.

C’est que, avec le phénomène d’internationalisation, on « s’aperçoit aujourd’hui que

l’internationalisation touche de plus en plus à la matière électorale »11 de telle sorte que ce secteur

qui jadis relevait de l’autorité souveraine des États ne dépend plus uniquement, ainsi que le

professeur Didier MAUS l’observe, du cadre constitutionnel national et amenant alors à considérer

qu’il existe finalement une véritable dimension internationale des élections 12. En tout état de cause,

10 Selon JAN SALMON un « domaine d’activités dans lequel l’État, n’étant pas lié par le droit international, jouit

d’une compétence totalement discrétionnaire et, en conséquence, ne doit subir aucune immixtion de la part des autres

État ou des organisations internationales ». Voir S. JAN (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles,

bruylant, 2001, p.356. 11 K. AFO SABI, La transparence des élections en droit public africain, à partir des cas Béninois, Sénégalais et

Togolais, Ph. Doctorat en Droit, Montesquieu-Bordeaux IV, Lomé, mars 2013, p.117. 12 D. MAUS, « Élections et constitutionnalisme… », op.cit., p.57. Cité par K. AFO SABI, Thèse, op.cit., p.117.

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l’implication internationale dans la production du droit électoral est bien réelle. D’ailleurs la

plupart des normes électorales sont aujourd’hui d’essence ou d’inspiration de cet ordre

internationale13 et constituent une source importante dans la formation des droits électoraux

nationaux. Il devient donc pertinent d’envisager désormais l’idée d’un dispositif normatif électoral

produit par une instance internationale quelle qu’elle soit d’ailleurs. Et suivant nos propos

introductifs, l’on s’intéresse ici à la dynamique législative de l’ONU qui, dans sa production

normative, a injecté implicitement le concept de gouvernance déclenchant ainsi le mouvement de

judicisation qui intéresse la présente contribution. Pour le dire, il faut déjà garder en esprit que les

instances internationales ont dans la plupart des cas émergées dans des conditions assez

particulières. En règle générale leur avènement résulte de la volonté des acteurs internationaux,

qu’ils soient étatiques ou non, de mettre en commun leurs efforts pour maintenir la paix et la

sécurité internationale, favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie des

peuples14. Telles constituent d’ailleurs les axes majeurs de l’action à travers la planète. Ces termes

qui ressortissent de la Charte des Nation Unies constituent à n’en point douter les bases de

l’ébauche juridique de la gouvernance mondiale, celle-ci étant fondée sur les principes de

participation, de consensus, d’égalité et de liberté puisque de toutes les façons l’implication

nécessaire des États à l’édification de cet ordre était incontournable.

Au demeurant, ces principes chers à la gouvernance mondiale résultant de la Charte des

Nations Unies vont par la suite être renforcés et réédités en 1966 par le Pacte International relatif

aux droits civils et politiques. Ce texte pose en effet que conformément aux principes énoncés dans

la Charte des nations Unies, les Etats parties s’engagent, entre autres, à respecter et à garantir les

droits civils et politiques des populations15, l’autorité des institutions judiciaires, administratives

ou législatives. Désormais conscient de la fragilité du tissu social international, et dans l’espoir de

« préserver les générations futures du fléau de la guerre », et créer du coup les conditions

nécessaires à l’épanouissement des peuples, les acteurs internationaux n’ont pas eu d’autres choix

que d’inscrire la gouvernance mondiale sur des perspectives assorties d’objectifs clairs et encadrée

13 K. AFO SABI, Thèse, op.cit., p.120. 14 Voir en ce sens le Préambule de la Charte des Nation Unies adoptée le 26 juin 1945 au lendemain de la seconde

guerre mondiale à San Francisco aux USA. 15 Voir en ce sens l’article 6 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques de 1966.

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par des principes tenant à la participation, au consensus, à la neutralité, à la transparence, pour ne

citer que ces quelques exemples.

À ce stade des développements, certaines observations méritent d’être faites :

D’une part, l’exploration des textes tels la Charte des Nations Unies, le Pacte International

relatif aux droits civils et politiques ou encore la Déclaration Universelle des droits de l’homme,

révèle une certaine convergence à l’idée d’une gouvernance mondiale. D’autre part, ayant posés

les bases d’une nouvelle gouvernance, ces textes évoquent constamment les principes qui en

constituent la substance et précisent très clairement les objectifs qui doivent alors guider l’action

publique internationale. On l’aura donc sans doute compris, la question de la gouvernance n’est

en réalité abordée ici que de façon implicite dans le dispositif normatif mondial. Traitant de

l’implicite dans ce modeste exercice, il devient nécessaire de préciser les contours conceptuels de

mot qui à vrai dire n’est pas d’essence juridique, pas plus que son champ définitionnel ne fait

l’unanimité16. Convoquant alors à l’analyse une certaine doctrine, il se dégage que « l’implicite

désigne à la fois, dans sa conception statique, ce qui se trouve dans l’énoncé, ce qui relève du non-

dit et, dans une conception dynamique, ce qui résulte d’un raisonnement logique »17. A partir de-

là, il est déduit une méthode dite de « l’implication nécessaire » qui, pour reprendre Madame Anne

JENNEQUIN, « vise à combler une lacune de fond résultant de ce que l’auteur n’a pas exprimé en

effet de droit qui est pourtant entraîné inévitablement comme conséquence de l’acte ou de la norme

»18. L’implicite est donc autrement dit quelque chose d’inexprimé qui découle logiquement soit

d’un acte ou d’un comportement, soit d’une norme.

En tout état de cause, la mobilisation onusienne autour de l’idée de gouvernance est réelle

quoi que subtilement abordée. Mais aussi subtile et implicite soit elle, le concept de gouvernance

ne perd pas sa notoriété et sa vigueur. Il reste en effet au cœur de la dynamique de l’action publique

internationale. Par ailleurs, ce concept du moins tel qu’il est envisagé par l’instance onusienne va

par la suite connaitre une entrée remarquable dans l’univers du droit devenant ainsi une véritable

« obligatoire ». Ce processus de judicisation amorcée du concept de gouvernance par l’instance

16 A. JENNEQUIN, L’implicite en droit administratif, Notes de résumé, Thèse, Université Lille 2, 10 novembre 2007. [En

ligne] consulté 02/04/2017. 17 A. JENNEQUIN, op.cit. 18 Ibidem.

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onusienne sera emboité par le législateur africain à travers le dynamisme normatif de l’Union

Africaine, confirmant alors la juridicité de ce nouveau paradigme.

2- La gouvernance dans le dispositif normatif africain

À l’exploitation de textes cibles, le législateur de l’UA aborde la question de la gouvernance,

du moins telle qu’on l’envisage en cette ère, de façon assez expressive contrairement au législateur

onusien. Il faut reconnaitre que cette démarcation a été à la réalité consécutive au constat de la

persistance sur le continent de crises très souvent occasionnées par la remise en cause de la

conduite des opérations électorales. Les modèles organisationnels des élections politiques sur le

continent jusqu’alors proposés, à en croire le niveau de contestation, ne permettaient pas

visiblement d’atteindre les objectifs démocratiques fixés, tant les appareils Administratifs d’États

étaient fortement soupçonnés de favoriser les partis politiques au pouvoir. Il n’est pas douteux en

effet que les processus électoraux observés depuis au moins 1990 « ont conduit pour la plupart à

une plus grande fragilisation des situations politiques sans apporter de véritable gain en terme de

légitimation du pouvoir »19. Cependant, même s’il convient de s’accorder avec le Professeur Jean

Du Bois De GAUDUSSON sur le fait que ni au Nord, ni au Sud, il n’existe d’opérations électorales

parfaites20, le problème de l’instabilité électorale, et partant, de l’instabilité de la société politique

se pose, il faut le dire, avec une certaine acuité lorsqu’on l’envisage sous l’angle strictement

africain. D’ailleurs les élections sont désormais présentées comme la principale source de conflit

et d’instabilité du continent21. Face donc à l’instabilité politique ambiante occasionnée par la

détérioration continue des situations électorales, le législateur panafricain a entendu s’impliquer

davantage sur la problématique de la gouvernance électorale. Ce qui lui a valu de produire certains

textes essentiels dont nous retenons pour les besoins de la cause la Déclaration de 2002 relatives

aux principes régissant les élections démocratiques en Afrique et la Charte africaine de la

démocratie, des élections et de la gouvernance de 2007. Ce dernier texte qui va parachever au

niveau africain le processus de judicisation du concept de gouvernance et des principes et

19 Election et risques d’instabilité en Afrique : quel appui pour des processus électoraux légitimes ?, Mai 2014. 20 J. Du BOIS DE GAUDUSSON, « Les élections entre démocratie et crise : l’enjeu stratégique des opérations électorales

», In Prévention des crises et promotion de la paix : démocratie et élections dans l’espace francophone, Volume II,

Textes réunis par Jean-Pierre VETOVAGLIA, Jean DU BOIS DE GAUDUSSON, Albert BOURGI, Christine

DESOUCHES, Joseph MAILA, Hugo SADA et André SALIFOU, Bruyant, Bruxelles, 2010, p.179. 21 Voir le Rapport du Groupe des Sages de l’Union africaine, « Les conflits et la violence politique résultant des

élections. Consolider le rôle de l’Union africaine dans la prévention, la gestion et le règlement des conflits », La

collection Union africaine, International Peace Institute, New York, décembre 2012, 120 pages.

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« préceptes managériaux » qui en constituent la substance se positionnent, s’il était encore besoin

de le dire, comme les bases textuelles qui ont servi à une certaine doctrine et avec l’aide d’autres

dynamiques, de révéler l’existence d’un autre droit, le droit de la gouvernance envisagé en l’espèce

à l’international et à la manifestation de laquelle découlera comme on le verra, le droit de la

gouvernance électorale. Pour tout dire, en réponse à l’instabilité politique ambiante sur le

continent, le législateur africain n’a pas hésité à entériner le processus de judicisation de la

gouvernance amorcée par les instances onusiennes pour leur conférer, au niveau africain, une

véritable signification juridique et garantir du coup son obligatoireté. C’est le lieu d’indiquer que

la gouvernance telle qu’elle est perçue en cette ère impose que l’action publique soit portée par

des considérations tenant, entre autres, à la participation citoyenne dans les processus décisionnels

publics, à la responsabilisation des acteurs publics, à la transparence et à la neutralité de ceux-ci,

et à leur sincérité.

Les termes de la CADEG sont en tout cas assez révélateurs de l’engagement du législateur

africain et ne laisse subsister aucun doute, ni aucune ambiguïté sur la force normative du concept

de gouvernance et des principes et préceptes qui le porte. D’ailleurs la Charte sus évoquée ne

renferme-t-elle pas des dispositions relatives à la démocratie, aux élections et à la gouvernance

prise à tous les niveaux. Le chapitre VII va ainsi être dédié à la gouvernance électorale et des

principes qui finalement constituent les fondements matriciels des élections démocratiques.

Incontestablement alors, le thème de gouvernance, qui plus est, électorale, apparait dans le

dispositif normatif de l’instance africaine avec la conviction que les États parties actionnent les

mécanismes internes pour l’adopter.

Au demeurant, cette judicisation au niveau africain du concept de gouvernance va être

déterminante dans l’orientation des dynamiques juridiques déployées à l’échelle camerounaise

puisque de toutes les façons le texte de la CADEG va être ratifié par les pouvoirs publics

compétents. On va alors assister à une judicisation interne du concept de gouvernance.

B- La pénétration nationale du concept de gouvernance

L’investissement international du concept de gouvernance a inéluctablement débouché sur sa

judicisation au point de lui donner une véritable signification juridique et, du coup, assurer son

obligatoireté puisqu’il est finalement porteur d’un certain nombre d’exigences dont l’expression

tend à définir et à orienter l’action publique. Déployant alors des principes directeurs, la

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gouvernance, du moins telle qu’elle est envisagée en cette ère, devient ainsi l’instrument de

légitimation de l’action publique internationale, instrument qui va par la suite séduire. En ce sens,

le mouvement juridique observé à l’international ayant abouti à l’érection en droit international du

concept de gouvernance va par la suite investir de façon progressive les environnements juridiques

nationaux et s’imposer également comme un véritable « obligatoire » dans la gestion des affaires

publiques.

Le Cameroun qui n’est pas resté en marge de ce mouvement va tout logiquement s’inspirer des

valeurs de l’international pour structurer ou restructurer les paradigmes de la gestion de la « chose

publique », chose à laquelle les élections politiques intègrent nécessairement. Une telle approche

s’avérait d’ailleurs utile dans un contexte camerounais transpercé de toute part par des crises

électorales à répétition, tant la gestion du processus électoral, les résultats des élections autant que

les règles même de la compétition politique font l’objet d’une remise en cause dont la persistance

affecte à tous les niveaux la stabilité de ce pays. En tout état de cause, le parachèvement du

processus de judicisation au niveau interne du concept de gouvernance a été acté au lendemain de

la ratification par le Cameroun de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la

gouvernance (1), instrument qui venait ainsi compléter la longue liste de textes internationaux qui,

chacun à son niveau, a été déterminant à l’affirmation interne de la juridicité de ce concept (2).

1- Une pénétration consécutive à la ratification des textes internationaux

Les textes internationaux ont ceci de particulier, qu’ils émergent tantôt à la suite d’une crise

entre les acteurs internationaux, tantôt à la suite d’une crise entre un sujet de droit international et

la population. Qu’elle que soit en tout cas leur origine, les textes internationaux s’inscrivent, selon

les cas, dans la perspective de restaurer la paix, la sécurité et la confiance perdue entre les sujets

de droit international, soit entre eux, soit encore, entre les populations et leurs gouvernants. Ces

textes sont donc en soi porteurs de valeurs qui tirent leur essence profonde de la volonté

permanente de légitimation et/ou de relégitimation de l’action publique internationale. Ces valeurs

dont l’universalité est confirmée à travers leur diffusion et leur pénétration constante dans les

ordres juridiques internes22, vont incontestablement influencer les logiques nationales de

22 Par ordre juridique interne notamment, il faut entendre autrement « système juridique » ou « ordonnancement

juridique », pour désigner l’ensemble des règles qui, pour un Etat et à un moment donné, définissent le statut des

personnes publiques et privées et les rapports juridiques qui existent entre elles. Il symbolise l’ordre social, un tout

cohérent, rationnel dans lequel chaque norme à une place bien déterminée.

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modélisation du droit et de l’action publique. Il ne sera donc pas exagéré de dire que la gestion

interne des affaires publiques est inscrite, en un certain sens, à la normalité internationale marquant

alors une rupture avec la conception jadis développée par certains théoriciens du droit du 18ème et

du 19ème siècle qui estimaient que les droits nationaux et consécutivement la gouvernance étatique

devaient être exclusivement appréhendés comme des phénomènes culturels s’enracinant dans les

modes d’organisation spécifique aux différents groupes humains23. Ces idées qui avaient permis

de structurer ce que la doctrine a qualifié de « nationalisme juridique » concevait la conclusion

que le droit en vigueur dans un État ou entité politique donnée ne pouvait se comprendre que dans

la manifestation « des habitudes sociales et économiques et attitudes de ses membres passés et

présents »24. Il n’était donc pas à considérer qu’un État ou une entité souveraine analogue puisse

être influencé de quelque manière que ce soit par une entité extérieure dans le processus de

formation de sa législation. Après tout, ne considère-t-on pas la production du droit comme une

activité souveraine de l’État.

Seulement lorsqu’on observe avec attention les dynamiques qui entourent ce processus et

finalement modèle et oriente la gouvernance étatique, il devient incontestable que celui-ci « ne se

laisse pas enfermer ni par les frontières des États ni par les identités des peuples »25. On observe

en effet une pénétration constante mais savante des valeurs de l’international dans les systèmes

juridiques internes et à la manifestation de laquelle les États n’hésitent pas très souvent à marquer

leur consentement à être lié par ces valeurs dira-t-on universelles au moyen de la ratification. Il

faut entendre par cette dernière et au sens de la Convention de VIENNE sur le Droit des traités «

de l’acte international ainsi dénommé par lequel un État établi sur le plan international de son

consentement à être lié par un traité »26. C’est le lieu ici d’indiquer que l’acte de ratification réalise

l’intégration en droit interne des valeurs de l’international, entrainant alors l’obligation pour les

pouvoirs publics de conformité afin d’assurer l’harmonie dans la pyramide. Pris sous cet angle, les

pouvoirs publics camerounais pour juguler la crise de gouvernabilité à laquelle ils font

manifestement fasse depuis une bonne vingtaine d’années, ont ratifié progressivement des textes

dont les contenus dévoilent des principes qui définissent les modes de conduite de l’action

publique. Ainsi selon qu’on l’envisage sous l’angle économique, social ou politique, la

23 Voir en ce sens DUPRET B., Droit et sciences sociales, janvier 2008, p.4. 24 FREEMAN, 2001. Cité par DUPRET B., op.cit., p.7. 25 H. RABAULT, « Pour une théorie transnationaliste du droit », 30 septembre 2017. [En ligne] consulté le 23/02/2020. 26 Article 2 de la lettre « b » de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969.

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gouvernance et les principes qui le porte guide-t-elle en tout temps l’action publique. Il convient

de préciser lorsqu’on aborde les textes ratifiés en l’espèce par le Cameroun que ceux-ci sont

nombreux. Mais outre la Charte des Nations Unies, du Pacte International relatif aux droits civils

et politiques, de la Déclaration de Bamako de 2000 ou de la Charte africaine définissant les

principes régissant les élections démocratiques, c’est particulièrement la CADEG qui va retenir

l’attention en raison du fait que c’est ce texte qui, bien que limité au niveau africain, apparait

comme le plus achevé dans l’entreprise de judicisation du concept de gouvernance et dont le

Cameroun a clairement marqué en 2011 son consentement à être lié par ce texte fondamental.

Incontestablement alors, le concept de gouvernance revêt-il en droit camerounais une véritable

signification juridique.

2- Une pénétration confirmant la juridicité du concept de gouvernance

Pour mieux aborder la préoccupation qui est la nôtre, il convient de préciser au préalable le

sens du terme de juridicité. Le concept de juridicité soulève un nombre considérable de

questionnement qui trouvent cependant leur unité dans la recherche de la mise en lumière de

l’identité des objets afin d’établir leur rapport au droit.

Autant donc l’indiquer directement, ce « néologisme » évoque « la qualité de ce qui est

juridique, de ce qui relève du droit. Ainsi, lorsqu’un auteur traite de la juridicité d’une règle, il

examine son caractère proprement juridique, exclusion faite de toute autre considération, qu’elle

soit morale, administrative, sociologique, ethnographique ou politique. Il s’agit de déterminer la

qualité d’un ordre normatif, sa juridicité sera fonction de son appartenance exclusive à un ordre

juridique. On parle également de degré de juridicité d’une expression, d’une règle, d’une

proposition, d’un précepte, d’un principe, d’une théorie, d’une doctrine, d’une directive

d’interprétation, d’une maxime, d’une sentence, d’un adage, pour désigner la mesure dans

laquelle ils se rattachent au droit. Bref, il s’agira d’établir le niveau d’appartenance de l’objet au

droit. De même, la juridicité du signe (pour le distinguer de l’indice) est le caractère juridique

que présente le signe matériel, concret, par son origine (c’est le droit qui l’a créé), par son contenu

(c’est le droit qui gouverne son contenu), par son régime (c’est le droit qui régit son utilisation)

par sa caractéristique fondamentale (fondée sur l’intention de communication du message

juridique transmis par le signe). Un signe est juridique quand il est porteur un message juridique,

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par exemple l’enseigne commerciale ou la borne qui délimite un terrain »27. Fondé sur ces

éléments définitionnels, on désormais poser que, parler de la juridicité du concept de gouvernance

revient à relever son caractère proprement juridique, c’est-à-dire, son appartenance au droit et à

l’affirmation de laquelle le législateur a entendu assurer son obligatoireté.

Nous l’avons déjà alors exposé, la pénétration en droit interne du concept de gouvernance et

corrélativement les principes et valeurs qui en constituent la substance a été le fruit d’un long

processus de ratification des textes internationaux ou régionaux et dont le plus significatif est, en

notre sens, la CADEG. Aussi cette érection autorise-t-elle qu’on aborde désormais le concept de

gouvernance sous un angle proprement juridique. D’ailleurs Jean PADIOLEAU n’avait-il pas déjà

vue juste lorsqu’il affirmait que la gouvernance pour se déployer avait nécessairement besoin que

soit établi un cadre stable d’interaction, bref, que soient définies certaines règles du jeu28. En toute

hypothèse, le concept de gouvernance entretien des rapports étroits avec le droit. Ce dernier

constituant alors l’enveloppe dans lequel il se déploie29. Cependant s’il est vrai que la juridicité du

concept de gouvernance, c’est-à-dire son appartenance au droit est incontestablement affirmée, les

conséquences de cette reconnaissance vont être déterminantes.

Autant donc le dire, à travers le processus de judicisation du concept de gouvernance, il s’opère

un passage « du concept » à « la norme ». Le concept de gouvernance devient-il ainsi une norme

à part entière et porteuse d’un message juridique subliminal dont il nous incombe de préciser.

II-UNE SINGULARITE JURIDIQUE IMPLICITEMENT CREEE

Dans la première partie de notre travail il a été posé que le concept de gouvernance et

consécutivement les valeurs et préceptes qui s’y rapportent, doit son avènement à la volonté des

acteurs internationaux et nationaux de corriger certains problèmes spécifiques liés notamment à la

gestion des affaires publiques. Et dans la mesure où ce concept renvoi selon PADIOLEAU à une

certaine fonction à remplir, à certains objectifs à atteindre, il a besoin, en conséquence, pour sa

27 Éléments de définition tirés du Juridictionnaire, disponible sur https://w.w.w.btb.termiumplus.gc.ca. Pour une étude

approfondie sur cette notion, se référer au Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, sous la

direction d’André-Jean Arnaud ». Voir également ARNAUD A.-J. (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et

de sociologie du droit, 2e éd., LGDJ, Paris, pp.319-320. 28 Jean G. PADIOLEAU, « L’action publique post-moderne : le gouvernement politique des risques », Politique et

management public, 1989, n°4, pp.85 sq. Cité par J. CHEVALLIER, op.cit. p.5. 29 D. LOCHAK, « Le droit, discours de pouvoir », Itinéraires, Mélanges Léo Hamon, Economica, 1982. Cité par J.

CHEVALLIER, « La gouvernance et le droit », op.cit., p.1.

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mise en œuvre, que soit établi un cadre stable d’interaction. Ce cadre n’est rien d’autre alors que

le droit où s’articule finalement cette gouvernance. L’érection de cette dernière dans l’univers du

droit devenait-elle inéluctable, d’autant qu’elle érigea du coup la gouvernance en une « véritable

obligatoire ». Allant plus loin, il faut dire que la judicisation du concept de gouvernance à laquelle

on a assisté, a donné lieu à l’émergence d’un autre droit, le droit de la gouvernance considéré à

juste titre comme une nouvelle catégorie juridique et à la manifestation de laquelle découle

logiquement un ensemble de sous catégories dont nous explorons dans la présente contribution

l’une d’elle. Pour le dire autrement, la judicisation et parallèlement l’affirmation de l’appartenance

du concept de gouvernance au droit, est porteuse d’un message juridique subliminale dont il nous

incombe cependant de révéler. C’est que, et nous l’avons déjà mis en relief, on observe depuis

quelques années une dynamique aussi bien au niveau internationale qu’au niveau nationale de

mobilisation des textes juridiques autour du concept de gouvernance et à la convergence de

laquelle a émergé le droit de la gouvernance, droit dont la manifestation va révéler une sous-

catégorie juridique tout aussi particulière.

La dynamique constructive en effet en mouvement a pénétré l’ordonnancement juridique

interne déployant ainsi sa substance créatrice dans toutes les branches du droit et à l’intersection

de laquelle se trouve le droit électoral. En tout état de cause, la diffusion dans le dispositif normatif

électoral du concept de gouvernance et corrélativement des principes et valeurs qui s’y rapportent

(A) a, inéluctablement, consacré l’avènement de ce qu’il est convenu d’appeler droit de la

gouvernance électorale (B), droit qui tire en conséquence ses racines de la législation tant bien

internationale que nationale.

A- La diffusion dans le droit électoral national des principes de la gouvernance publique

D’une manière assez évidente il est incontestable que la légitimité30 de la représentation

politique31 est nécessairement liée à la qualité démocratique du processus qui a conduit à sa mise

30 La légitimité est entendue au sens du Lexiques des termes juridiques comme « la qualité d’un pouvoir d’être

conforme aux aspirations des gouvernés (notamment sur son origine et sa forme), ce qui lui vaut l’assentiment général

et l’obéissance spontanée. Du point de vue démocratique, la légitimité est celle qui est « fondée sur l’investiture

populaire des gouvernants (élection) ». Voir R. GUILLIEN, J. VINCENT, Lexique des termes juridiques, sous la direction

de GUINCHARD Serges et MONTAGNIER Gabriel, 5e Edition, Dalloz, Paris, 1985, pp.254-255. 31 Selon de Philippe BRAUDE, il réside au cœur de la notion de représentation l’expression de « tenant-lieu », c’est-

à-dire celui qui parle et agi en lieu et place des autres. En droit camerounais ces « tenants-lieux » sont incarnés par le

Président de la République et les membres du Parlement. Pour une lecture approfondie, voir P. DIEHL et A. ESCUDIER

(dir.), La « représentation » du politique : Histoire, concepts, symboles, Les Cahiers du CEVIPOF, n°57, février 2014,

104 pages.

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en place. Et inéluctablement, la gestion de ce processus doit obéir à un certain nombre d’exigences

à la fois démocratique et managériale pour pouvoir assurer aux gouvernants la dose de légitimité

dont ils ont besoin non seulement pour prétendre valablement parler au nom du souverain, mais

aussi conduire à bien les affaires publiques. Faut-il rappeler qu’au sens de la loi constitutionnelle

camerounaise du 18 janvier 1996, la dévolution du pouvoir politique est soumise aux règles de la

concurrence électorale et, selon les cas, interviennent directement ou indirectement les citoyens en

âge de voter. Pris comme tel, la légitimité de la représentation politique va-t-elle alors être au cœur

de la dynamique de la gouvernance électorale. Cette dernière qui, il faut le reconnaitre, a

considérablement évoluée ces trente dernières années, en dépit de la survivance de certaines

ambiguïtés faisant par exemple passer d’une gestion exclusivement étatique à une gestion

électorale démocratisée.

Explorant alors la législation électorale en vigueur, il est frappant de constater la référence

législative constamment faite aux principes moderne de la gestion publique relativement à la

participation, à la responsabilité, la neutralité, à la transparence et à la sincérité. D’ailleurs ces

principes directeurs constituent en matière électorale les fondements même démocratiques des

élections politiques. Il faut alors voir en leur transposition dans le champ de la gouvernance

électorale (2) l’universalité qui les caractérise (1).

1- L’universalité des principes de la gouvernance publique

Pour atteindre les perspectives de performance et parallèlement l’atteinte des objectifs fixés,

l’action publique doit être guidée en tout temps et en toute circonstance par des considérations

tenant à la participation des citoyens, à la neutralité et responsabilisation des acteurs, saupoudrée

de l’exigence de transparence et de sincérité. Ces arguments constituent, s’il était encore besoin

de le dire, les principes directeurs sur les s’appuie la gestion de la chose publique, « chose » que

les élections politiques intègrent nécessairement. Ils constituent pour ainsi dire le gage de

légitimité de l’action publique.

Ayant alors été injectés dans l’univers du droit à la suite de la judicisation du concept de

gouvernance, ces principes vont progressivement investir avec succès d’ailleurs le champ de la

gestion électorale. Le projet étatique étant ici d’assurer non seulement la légitimité des

gouvernants, mais, ultimement, la construction d’un modèle de gestion électorale capable de

garantir la tenue d’élections démocratiques digne de ce nom. En toute hypothèse, on voit se

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dessiner au travers mise en perspective de cette transposition l’universalité juridique des principes

de la gouvernance autrement qualifiée de gestion publique.

Au demeurant, ces principes directeurs qui sont positionnés comme les gageurs de la

légitimation de l’action publique, objectivent, à n’en point douter, la résolution de la « crise de

gouvernabilité » du processus électoral. Leur évocation en droit électoral camerounais obéit donc

à la logique étatique d’inscrire, dans les perspectives démocratiques souhaitées, une gouvernance

électorale manifestement en crise.

2- La transposition juridique des principes de la gouvernance publique dans le champ

électoral

Résolument en quête de la légitimation du processus électoral, les pouvoirs publics vont à

travers la ratification d’un certain nombre d’instruments juridiques internationaux injecter dans

l’univers du droit électoral notamment, les principes chers à la gestion publique. D’ailleurs le Code

électoral reprend désormais à son compte ces principes fondamentaux lorsqu’il pose par exemple

que « ‘‘Elections Cameroon’’ est l’organisme chargé de l’organisation, de la gestion et de la

supervision de l’ensemble du processus électoral […] »32. Par cette disposition de principe posée

par le législateur électoral, les pouvoirs publics ont entendu inaugurer les bases d’une gestion

participative du processus électoral. Il convient de relever ici qu’ELECAM est constitué de

membres recrutés à la fois au sein de l’appareil Administratif de l’État, de la société civile, du

milieu religieux, du milieu traditionnel, et enfin des partis politiques. Allant plus loin, le législateur

électoral pose que le Conseil électoral veille au respect de la loi électorale par tous les intervenants

de manière à assurer la régularité, l’impartialité, l’objectivité, la transparence et la sincérité des

scrutins33.

S’il apparait clair qu’à la lumière de ces dispositions pertinentes l’administration électorale

poursuit un objectif ultime celui notamment d’assurer et de garantir l’authenticité des votes, et

partant, l’avènement d’élections véritablement démocratiques, c’est surtout la mise en perspective

des considérations relatives la régularité, l’impartialité, l’objectivité, la transparence et la sincérité

qui vont retenir l’attention. Faut-il alors repréciser qu’en plus d’être les référentiels de ce qui

finalement constitue une élection démocratique, ces principes directeurs auxquels il convient en

32 Voir les articles 4 al.1 et 7 al.1 de la loi n°2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral. 33 Article 10 al.1 de la loi no2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral.

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effet d’intégrer celui de la participation et de la responsabilité, constituent, dans le même temps,

les fondements de la gestion publique du moins telle qu’elle est perçue aujourd’hui. Ayant alors

prescrit et définit des objectifs démocratiques clairs, la responsabilité des acteurs en charge du

processus électoral pourrait-elle valablement être engagée toutes les fois que ceux-ci ne l’auront

pas atteint. D’ailleurs le Président de la République est fondé au sens du Code électoral à mette

fin, selon le cas, aux fonctions du Président, du Vice-Président et des membres du Conseil

Électoral, ainsi que le Directeur Général et le Directeur Général Adjoint34. Il faut voir également

dans l’institution du contentieux électoral la volonté de sanctionner les indélicatesses et irrégularité

dont la manifestation ferait dévier l’élection de sa trajectoire démocratique. Quoi qu’il en soit, la

violation par l’administration électorale des exigences fixées par la loi peut donner lieu à

l’ouverture d’un contentieux devant le juge, garant de la sincérité des scrutins. Bien entendu toute

action pernicieuse aussi bien des candidats, des partis politiques que celle même des citoyens pris

dans leur globalité est susceptible d’engager devant les juridictions électorales compétentes la

responsabilité des contrevenants. La pénalisation de certain comportement ou tout simplement

l’institution du droit pénal électoral autorise en tout cas une telle perspective35.

Au total, il apparait suffisamment clair que dans la perspective de légitimer le processus

électoral et de garantir que de véritables élections démocratiques aient lieux, le législateur

camerounais n’a hésité à introduire dans l’univers du droit électoral les principes même de la

gestion publique afin de soutenir le projet étatique. Une telle démarche devenait d’ailleurs

inéluctable dans un contexte camerounais marqué non seulement par la persistance à la fois de la

remise en cause des résultats électoraux, mais aussi et corrélativement la crise de légitimité de

l’administration électorale. La référence ainsi faite à ces principes directeurs dans la législation

électorale, marque alors un tournant décisif dans la modélisation d’un autre droit. En état de cause,

l’érection en droit électoral du concept de gouvernance et des principes et préceptes qui en

constituent l’ossature est porteur, comme nous l’avons dit plus haut, d’un message juridique

subliminale qui, à la référence de tout ce qui a été dit, converge à l’idée de l’avènement d’une sous-

catégorie qu’il convient d’appeler droit de la gouvernance électorale.

34 Article 44 de la loi no2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral. 35 Voir d’une part les dispositions pertinentes des articles 122-1, 123-1, 141, 288, 289, 290, 291, 292 et 293 de la loi

n°2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral, et, d’autre part, l’article 131 du Code Pénal.

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B- L’avènement du droit de la gouvernance électorale

On le sait déjà sans doute à ce stade, l’avènement du droit de la gouvernance est consécutif à

l’érection dans l’univers du droit, du concept de gouvernance. Cette judicisation va alors permettre

de donner une signification juridique à ce concept qui, à vrai dire, a toujours été très proche du

droit. Affirmant désormais son obligatoireté, les pratiques de gouvernance s’imposent aux

pouvoirs publics. Au demeurant, le mouvement de judicisation déclenché depuis l’extérieur va

progressivement investir l’asphère nationale au lendemain de la ratification par le Cameroun de

textes internationaux sus évoqués. À son immersion alors en droit interne, le concept de

gouvernance va inéluctablement modifier l’architecture de l’ordonnancement juridique et

provoquer des conséquences que la doctrine n’hésitera pas à saisir pour révéler le nouveau visage

projeté par la pyramide. C’est dans cette veine qu’il sera par exemple produit en 2015 une Thèse

sur « le droit de la gouvernance au Cameroun ». Ces travaux riches d’enseignement réalisés par

Monsieur ZIBI Paul vont davantage préciser les contours juridiques de cette nouvelle branche du

droit et à la manifestation de laquelle vont logiquement découler une kyrielle de sous-catégories

juridiques à l’intersection de laquelle va se dévoiler le droit de la gouvernance électorale. Ce

dernier qui également consécutif à l’érection en droit électoral du concept de gouvernance et des

principes et préceptes qui en constituent la substance, va en conséquence s’affirmer comme une

catégorie à part entière. Tel est, en notre sens, la portée du message juridique subliminale qui

transparait de cette dynamique d’ensemble.

Il devient alors nécessaire, pour que nul n’en doute encore, de fixer la notion et les sources de

catégorie émergente du droit électoral notamment (1) non sans explorer les logiques qui

accompagnent cet évènement juridique (2).

1- La définition et les sources du droit de la gouvernance électorale

Pour aborder sereinement en étude le droit de la gouvernance électorale, il est nécessaire que

soit fixé un certain nombre de préalable, relativement à sa définition et à la mise en perspective de

ses sources. Ceci permettrait alors au surplus de lever tout doute sur sa pertinence existentielle.

Sur le premier point, il ne fait aucun doute que les définitions sont essentielles en droit36.

Celles-ci consistent alors à « un processus par lequel l’on tente d’imprimer un contenu à un concept

36 H.L.A. HART, « L’importance des définitions en droit », Texte n° 9.

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ou une expression en dégageant notamment son sens précis »37. L’étude d’alors engagée sur le

droit de la gouvernance impose que soit fixé une définition claire. Partant ainsi des travaux

pionniers de la doctrine et du dynamisme législatif observé au sein des instances nationales,

régionales et internationales, il est possible de déterminer le contenu de ce droit émergent, puisque

l’opérationnalité même de la notion de droit de la gouvernance électorale ne laisse plus aucun

doute sur sa « cohérence normative et logique ». En tant qu’il est alors un mode d’organisation,

une combinaison d’éléments ou de dispositions réunis de façon à former un tout cohérent pour

atteindre un but précis, puisque de toute façon, « c’est le « destin inévitable » du droit à l’époque

moderne, d’être de plus en plus considéré comme un « appareil technique rationnel » […] »38, le

droit de la gouvernance électorale peut donc s’entendre de l’ensemble des règles juridiques et des

pratiques érigées comme telles, s’imposant aux pouvoirs publics, qu’elles soient d’origine externe

ou interne encadrant la gestion des élections politiques, et notamment le processus par lequel les

actes relatifs à leur “préparation” et à leur “réalisation” sont pris et mis en œuvre pour assurer la

légitimité des titulaires des postes électifs.

Cet ensemble normatif disséminé dans l’ordonnancement juridique interne a été forgé au prix

des expériences nationales et internationales pour finalement faire émerger une structure

organisationnelle capable de garantir la tenue d’élections démocratiques. C’est dire qu’en l’état,

du moins au Cameroun, le droit de la gouvernance électorale tire ses sources à la fois des différents

textes internes et des textes de portée internationale dument ratifiés par les pouvoirs publics, de la

pratique nationale et internationale, des travaux doctrinaux et de la jurisprudence. Évoquant donc

au second point la question des sources du droit de la gouvernance39, il résulte que celles-ci sont

moulées dans les dynamiques internationales et nationales et importe alors qu’elles soient révélées

au grand jour. À l’exploration des trajectoires juridiques, le droit de la gouvernance électorale tire

ses fondements des sources formelles et matérielles. Les premières qui, il faut le rappeler

37 P. ZIBI, Thèse, op.cit., p.77. 38 C. COLLIOT-THELENE, Le désenchantement de l’Etat. De Hegel à Max Weber, Editions de Minuit, Paris, 1992,

pp.238-239. Cité par Jacques COMMAILLE, « De « l’Etat-juriste » à « l’Etat-manager ». La réforme de la carte

judiciaire française : un nouveau modèle d’action publique sans droit ?, Apparaitre in Du concept à l’analyse.

Mélanges en hommage à François Chazel, Textes édités par Charles-Henry CUIN & Patrie DURAN, Presses de la

Sorbonne, pp.1-21. 39 Par sources du droit, il faut retenir au sens partagé de Michel VIRALLY qu’elles s’entendent « des modes de

formation des normes juridiques, c'est-à-dire des procédés et des actes par lesquels ces normes accèdent à

l’existence juridique, s’insèrent dans le droit positif et acquièrent validité ». M. VIRALLY, La pensée juridique, LGDJ,

Paris, 1960, p.149, cité in J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Dalloz, Paris, 1989, p.51.

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constituent une catégorie importante dans la formation des normes juridiques, sont d’inspiration

externe et interne. Prisent alors comme telles, les sources formelles du droit de la gouvernance

électorale peuvent être déployées ainsi qui suit :

- Loi constitutionnelle de 1996,

- Code électoral de 2012,

- Code de bonne conduite de 2011,

- Loi n°90/O56 du 19 décembre 1990 relative aux partis politiques au Cameroun,

- Décret n°92/030 du 13 février 1992 fixant les modalités d’accès des partis politiques aux

médias audiovisuels du service public de la communication, etc. ;

- Charte des Nations Unies du 10 décembre 1948,

- Pacte de 1966 relatifs aux droits civils et politiques,

- Acte constitutif de l'Union Africaine,

- Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance 30 janvier 2007,

- Charte Africaine des droits de l'homme et des peuples,

- Déclaration de l’UA sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique

adoptée en 2002,

- Déclaration de Bamako adoptée le 3 novembre 2000.

Ces textes pour s’en convaincre contiennent des dispositions qui valorisent en un certain sens

les principes de la gestion publique dans la matière électorale. C’est ainsi par exemple que la

Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, à en témoigne son intitulé,

pose successivement que les États parties s’engagent à mettre en œuvre la présente Charte

conformément aux principes, entre autres, de la tenue régulière d’élections transparentes, libres et

justes40 et à promouvoir la bonne gouvernance, notamment par la transparence et l’obligation de

rendre compte de l’administration41. Il est donc question pour le législateur africain de préserver

40 Article 3 (4) Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. 41 Article 12 (1) Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.

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une certaine authenticité de l’expression du souverain dans les processus de désignation des

titulaires des postes électifs. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le texte d’alors élaboré invite

constamment les États parties à considérer la participation populaire par le biais du suffrage

universel comme un droit inaliénable des peuples42. Et c’est bien logiquement que le législateur

électoral camerounais affirme sans détour que le Conseil Electoral veille au respect de la loi

électorale par tous les intervenants de manière à assurer la régularité, l’impartialité, l’objectivité,

la transparence et la sincérité des scrutins43 comme pour marquer la volonté étatique d’arrimer

définitivement la gouvernance électorale du pays aux exigences de la gestion publique des affaires.

D’ailleurs il ne cesse de le réitérer tout au long des dispositions du Code électoral d’avril 2012.

Mais on l’aura sans doute compris, il s’agit là d’une énumération non exhaustive des textes qui,

au niveau national, soutiennent l’idée d’un droit de la gouvernance électorale. Qu’à cela ne tienne,

le droit de la gouvernance électorale tire également ses fondements des sources matérielles.

En ce sens, il conviendra de faire remarquer que dans le processus de formation du droit fait

également référence aux sources non juridiques, celles-ci n’étant pas moins importantes. C’est

d’ailleurs ce que le Professeur Magloire ONDOA fait clairement signifier lorsqu’il enseigne que

le droit procède également des sources matérielles qui peuvent être en l’espèce qu’un simple fait

ou document écrit dénué de toute valeur juridique44. Ainsi, au rang de ces sources matérielles il

faut retenir essentiellement les différents Rapports et études dressés avant, pendant et après les

élections soit par ELECAM ou tout autre organisme public ou privé, qu’il soit national ou

international, mais dont la particularité commune est d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur

les axes devant constituer l’amélioration de la gouvernance électorale. Nous nous sommes

d’ailleurs longuement appuyé sur ces différents rapports et études réalisés tantôt par ELECAM,

tantôt par la Commission des Droits de l’Homme du Cameroun et des productions documentaires

des organismes internationaux investis dans l’observation des pratiques électorales dans le mondes

pour réaliser une étude générale sur les mécanismes juridiques de gestion des élections politique

au Cameroun, ceux-ci découlant logiquement du droit de la gouvernance électorale. Ces différents

documents insistent constamment sur la nécessité pour les pouvoirs publics camerounais d’inscrire

résolument la gouvernance électorale à la normalité de la gestion publique, c’est-à-dire

42 Article 4 (2) Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. 43 Article 10 (1) Loi n°2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral. 44 Voir M. ONDOA, « Ajustement structurel et réforme du fondement théorique des droits africains postcoloniaux :

l’exemple camerounais », RASJ, Vol. 2, n° 1, 2001, p.91, cité par ZIBI P., Thèse, op.cit., p.81.

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conformément aux exigences de neutralité, de responsabilité, de transparence et de sincérité. On

peut en tout cas lire de telles recommandations dans les différents Rapports d’ELECAM et/ou de

la désormais Commission des Droits de l’Homme du Cameroun produits à l’occasion des rendez-

vous électoraux. Mais cependant, s’il est vrai que ces Rapports et Études sont dépourvus de toute

signification juridique comme l’enseigne le Professeur Magloire ONDOA, il n’en demeure pas

moins vrai qu’ils constituent des sources matérielles pertinentes qui inspirent constamment le

législateur à orienter la gouvernance du processus électoral dans le sens qui convient pour assurer

la légitimité des gouvernants. Ces sources matérielles participent pour ainsi dire de la formation

même du droit électoral.

Quoiqu’il en soit, la détermination de ce préalable permet de percer à jour l’effet de sens

recherché lorsqu’on envisage cette mobilisation massive des textes autour du concept de

gouvernance, et, partant, des principes et préceptes qui en constituent sa substance même.

2- La détermination de l’effet recherché

Pour mieux comprendre le sens et l’essence du droit de la gouvernance électorale qui, il faut

le dire, n’est pas le fruit d’un hasard, il convient de convoquer à l’analyse la grille de lecture

« herméneutique » et même « factualiste ». Il s’agira par leur entremise de révéler le dessein de

l’effort organisationnel entrepris par les pouvoirs publics depuis une vingtaine d’années.

La première grille de lecture celle notamment dite de « l’herméneutique » amène à poser des

préalables. De son étymologie grecque « hermeunèo », le mot « herméneutique » veut dire «

interpréter ». C’est alors la partie de la critique qui consiste à déchiffrer, traduire et à interpréter

les textes. Dans De l’art de philosopher avec sobriété et précision, ANTOINE GUILLAUME

AMO, notait en 1738 que « l’art d’interpréter ou herméneutique est une attitude de l’intelligence

théorique qui, par des règles logiques et des moyens appropriés mis en œuvre, dégage le sens d’un

texte assez spécial ». Pour cet auteur, toutes les choses sont déterminées selon une intention et une

fin. Mais dans la mesure où celles-ci sont souvent cachées, il incombera au chercheur d’adopter

une attitude féconde pour les révéler. Dans le cadre de cette étude, l’exploitation de cette approche

en considération d’un contexte marqué à la fois par la persistance de la remise en cause des règles

électorales et parallèlement du relâchement du lien social, a permis de mettre en lumière les fins

poursuivies par les autorités étatiques. Il est donc possible d’établir que, d’un point de vue « spécial

», c’est-à-dire, ce qui se rapporte à un dessein déterminé, le droit de la gouvernance électorale met

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en perspective la dynamique de restauration de la participation politique au travers l’instauration

de mécanismes juridiques et de techniques managériales mieux adaptés à la réalisation d’élections

démocratiques. La « modernité » juridique à laquelle le Cameroun aspire ainsi donnerait

l’assurance d’une stabilité et d’une pérennité de la société politique. Tel est d’ailleurs le cheval de

bataille du constituant de 1996 lorsqu’il réitéra le droit de chacun de participer, en proportion de

ses capacités, aux charges publiques… Ces termes non exhaustifs du préambule de la loi

constitutionnelle camerounaise du 18 janvier 1996 laissent entrevoir un objectif plus large. D’un

point de vue « universel », c’est-à-dire, ce qui est commun à tous, le droit de la gouvernance

électorale s’inscrit dans le sillage de la construction démocratique, et partant, la modulation des

antagonismes politiques.

On le voit bien, dans une société politique, les choses sont conçues et destinées à une fin précise

avant d’être matérialisées. Et c’est à ce juste titre qu’il convient de prendre en considération la

grille de lecture « factualiste » autrement appelée sociologie du droit. En tant qu’il est un «

phénomène empirique », l’étude ordonnée du droit de la gouvernance appelle à interroger les

conditions de son émergence, ses mécanismes de mise en œuvre et son impact social. Cette

restitution préalable permet de comprendre avec LÉON DUGUIT que le droit qui émerge des

nécessités sociales constitue la réponse commune apportée dans l’optique d’harmoniser les

rapports entre les membres. Et c’est à partir de ce moment qu’il est possible d’envisager en toute

sérénité l’apport de l’approche « factualiste » ou sociologique du droit. Dans le cadre de cette

étude, l’emprunt de la grille sociologique nous a permis, en considération d’un contexte

camerounais marqué par la détérioration continue des situations électorales, de repréciser l’objectif

social objectivé alors par les autorités étatiques et de mettre en lumière les conditions d’émergence

des mécanismes juridiques de gestion des élections politiques à travers l’adoption de techniques

particulières telles que suggérées par les logiques du droit de la gouvernance électorale. Mais pour

le dire simplement, le droit de la gouvernance qui plus est, électorale, objective incontestablement

la revalorisation démocratique des élections politiques.

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Conclusion

La judicisation du concept de gouvernance qui a donné lieu à l’avènement d’une catégorie

juridique nouvelle, le droit de la gouvernance, conduit à considérer dans sa dynamique

l’émergence d’autres sous-catégories juridiques à la manifestation de laquelle découle

logiquement le droit de la gouvernance électorale. L’avènement de ce dernier qui n’a pas échappé

dans sa formation à l’érection en droit électoral du concept de gouvernance et des préceptes

managériaux auxquels il est rattaché, occupe désormais une place de choix dans l’ordonnance

juridique nationale duquel il tire incontestablement ses sources. Il faut néanmoins reconnaitre qu’il

reste inconnu du grand public, pas plus d’ailleurs que le droit de la gouvernance lui-même. Mais

ceci ne remet pas en cause, cependant, sa pertinence existentielle ni même théorique.

L’observation de la dynamique législative a en tout cas révélée une mobilisation

constructive des acteurs internationaux et nationaux autour du concept de gouvernance et dont le

décryptage du message juridique subliminale qui en découlait a permis, à l’aide des travaux

pionniers de la doctrine, de percer à jour l’existence d’une catégorie juridique tout aussi

particulière qu’émergente, le droit de la gouvernance électorale. Ce droit qui s’origine des sources

tant bien formelles que matérielles identifiées justifie alors sa pertinence existentielle et théorique.

Au demeurant, les dimensions théoriques ainsi formulées constituent, en dernière analyse, un

véritable plaidoyer visant à attirer l’attention de la doctrine à l’effet de s’investir davantage dans

la promotion et la vulgarisation du droit de la gouvernance, et, partant, de l’ensemble des branches

qui en découlent. La révélation et l’étude du droit de la gouvernance électorale participe en tout

cas de cette vulgarisation.

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La règle de l’inattaquabilité du titre foncier au regard de la

dynamique du droit public africain

Par :

Rodrigue Stéphane Agathon ONDOA

Doctorant en droit public

Université de Douala (Cameroun)

Résumé :

La problématique de la sécurisation du titre foncier trouve un intérêt renouvelé lorsqu’on

aborde la règle dite de l’inattaquabilité. Cette règle emblématique qui constitue l’une des pierres

angulaires de la sécurisation de la propriété foncière est susceptible de perceptions dont la portée

varie à la dynamique du droit public africain. Ainsi, si de prime abord l’importance du titre foncier

est incontestablement marquée par l’autorité dont il est investi et confirmé par la mobilisation

d’un protocole de mesures juridiques tendant à assurer sa protection contre d’éventuelles pétitions

intempestives, cette grande tendance du droit public africain est toutefois relativisée pour des

raisons tenant à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Il était alors question dans cette contribution

d’appréhender au regard du droit foncier africain la portée juridique du sacro-saint principe de

l’inattaquabilité du titre foncier. La lecture constante qu’il convient de faire à ce titre est que,

cette règle, en dépit de sa dimension sacramentelle, reste malgré tout limitée au regard de la

dynamique du droit public africain.

Mots-clés : Droit foncier , Droit public africain, Sécurisation, Propriété foncière, Inattaquabilité

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Introduction

La terre est sans doute l’un des éléments de la nature sans la présence de laquelle la

sédentarisation de l’homme serait rendu difficile. Son accès est appréhendé aujourd’hui comme

un droit inaliénable de l’homme, et dont la disponibilité et la viabilité doivent constituer pour les

États un axe prioritaire dans la définition des politiques publiques de développement. D’ailleurs la

terre est considérée à ce jour comme un outil de développement économique et joue par conséquent

un rôle prépondérant dans l’activité économique. Il faut en tout cas reconnaitre pour le moins qu’on

puisse dire que le droit des citoyens à la terre peut, certes, être traduit de différentes manières selon

les considérations juridiques propres à chaque pays, mais, se rapportant constamment à la même

idée dans le fond. Ainsi par exemple, le droit des citoyens à la terre est-il traduit par les constituants

africains à travers le sacro-saint principe du droit de propriété, principe en vertu duquel tout homme

a le droit de se fixer en tout lieu sous réserve des prescriptions légales relatives à l’ordre public, à

la sécurité et à la tranquillité publique1. Mais bien qu’apparaissant sous différentes formulations,

ce droit est néanmoins consacré et exprimé au plus haut point dans les instruments juridiques de

l’instance panafricaine à travers la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples2 et, plus

récemment, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui réaffirme

l’engagement des États parties à assurer que les citoyens jouissent effectivement des droits

fondamentaux de l’homme3. Le droit des citoyens à la terre est pour ainsi dire un droit fondamental

et inaliénable exprimé à travers la consécration du droit de propriété, et à la manifestation de

laquelle s’inscrit le titre foncier, objet principal de notre étude.

Par ailleurs, la constance de certaines régularités observées en matière foncière dans les

législations nationales et capitalisées dans le cadre de cette étude jette une lumière sur la trajectoire

du droit foncier en Afrique, droit dont les dynamiques sont principalement encadrées et orientées

par ce qu’il conviendrait d’appeler droit public africain. Tout porte à considérer en effet que le

processus d’harmonisation des législations déjà engagé dans certains domaines tels que

1 À titre d’illustration voir par exemple le Préambule de la loi Constitutionnelle Camerounaise du 18 janvier 1996 ;

l’article 35 de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 ; l’article 15 de la

Constitution Ivoirienne du 23 juillet 2000 ; l’article 35 de la Constitution du Royaume du Maroc (Dahir n°1-11-91 du

27 chaabane 1432 (29 juillet 2011)) ; article 33 al. 2 (a) de la Constitution de la République Fédérale du Nigéria de

1999 ; le Préambule de la Constitution du Sénégal ; l’article 14 de la Constitution de République Tunisienne Loi n°

59-57 du 1er juin 1959 ; l’article 27 de la Constitution Togolaise de la IVème République. 2 Selon l’article 14 de ce texte, « le droit de propriété est garanti ». 3 Article 6 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.

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l’éducation, les affaires, les finances publiques pour ne citer que ces quelques occurrences,

aboutira inéluctablement à l’harmonisation en Afrique du droit foncier. Une telle perspective est

déjà perceptible voire même en gestation puisqu’en l’état des droits fonciers nationaux, il existe

des régularités et des constances qui incontestablement sont, tout compte fait, des matériaux de

base servant la construction d’un droit foncier harmonisé. Il n’est donc pas fait entorse à la logique

juridique en parlant, en la matière, de droit public africain, puisque de toute évidence, même s’il

est vrai que l’Afrique n’est pas une réalité homogène constituée d’un droit positif unique,

l’ampleur des régularités observées dans les législations des entités souveraines qui la compose

autorise à envisager, du moins à l’échelle continentale, un droit public unifié ou harmonisé,

d’autant qu’il existe à ce niveau élevé une densité de règles constamment sécrétées par l’Union

Africaine et destinées à la régulation de la vie publique de l’ensemble des États membres. Le droit

public africain pourrait-on ainsi le qualifier apparait donc comme le produit des régularités

juridiques présentes à diverses échelles de la régulation de la vie publique en vue de proposer une

législation commune régissant, au niveau africain, « l’organisation des pouvoirs publics politiques,

administratifs et judiciaires, et la mise en œuvre de l’action publique définie par les gouvernants

et appliquée par leurs administrés »4. On l’aura donc sans doute compris, le site africain constitue

pour cette modeste contribution, le terrain expérimental utilisé à l’occasion pour rendre compte de

la dynamique en Afrique de la règle de l’inattaquabilité du titre foncier régulièrement posée par

les textes africains.

Dans ce sillage africain, on observe une certaine détermination des pouvoirs publics

nationaux qui ne ménagent aucun effort à travers la précision de cadres juridiques, qui, non

seulement favorisent et garantissent l’accès de tous à la terre, mais aussi, apportent un minimum

de sécurité aux propriétaires terriens titulaires d’un titre foncier dument acquis. Et le droit foncier

qui intègre nécessairement cette dynamique d’ensemble, présente des constances et des régularités

indéniables selon qu’il s’agit du droit en vigueur dans telle ou telle entité souveraine du continent.

C’est le lieu ici d’indiquer que le droit foncier est constitué par l’ensemble des règles juridiques

concernant les propriétés immobilières, en particulier les terrains et à la manifestation de laquelle

4 Cf. Résumé, GALLETTI Florence, Les transformations du droit public africain francophone - Entre étatisme et

libéralisation, Bruylant (Emile), 01/06/2005, 682 pages. Consulté le 05/09/2021 sur www.dicitre.fr

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s’articule le titre foncier, document de certification de la propriété immobilière5. Ce dernier est

autrement dit le document administratif qui confirme et certifie le titre de propriété dont pourrait

se prévaloir un individu sur telle ou telle parcelle de terre. Donnant en effet lieu à l’établissement

d’un titre foncier, l’acquisition de la terre est au regard de la constance du droit public africain,

sujette à une procédure administrative qui donne à son titulaire de jouir et d’exercer un ensemble

de droits mobilisés autour du triptype usus-fructus-abusus6. Les droits ainsi attachés à la propriété

foncière se veulent permanents et exclusifs du moment où le titre foncier est investi d’une autorité

qui le met à l’abri de toute action tendant à sa remise en cause. On assiste donc à une certaine

sacralisation du titre foncier dont l’expression se révèle, en droit public africain, à travers la mise

en œuvre d’une protection juridique particulière, traduite et déployée dans les textes nationaux par

la consécration de la règle dite de l’inattaquabilité7. La référence ainsi faite au droit public dans le

cadre de l’étude sur l’inattaquabilité du titre foncier se trouve justifiée en ce que la procédure

d’obtention même de ce document est gouvernée par les règles de droit public, ce qui fait d’ailleurs

du titre foncier un document administratif dont les règles de protection vont également révéler la

prépondérance du droit public. C’est du moins l’idée défendue par la doctrine majoritaire

relativement à la nature juridique du titre foncier qui, suivant les propos de Monsieur MPESSA

Aloys, « n’est donc qu’une variété d’acte administratif unilatéral, issu d’une opération complexe,

qui émane d’une autorité administrative »8. Mais tout compte fait, l’étude rapprochée de ce droit

permet d’établir qu’au cœur de cette dynamique de sécurisation s’articule la règle de

l’inattaquabilité du titre foncier dont l’objectif ultime est d’assurer la permanence de ce document

vue l’importance qu’il revêt. Ainsi suggéré, l’incontestabilité immédiate du titre foncier de laquelle

5 C’est du moins ce qui transparait clairement de la législation camerounaise à la lecture de l’article premier du Décret

n° 76-165 du 27 avril 1976 Fixant les conditions d’obtention du titre foncier, modifié et complété par le Décret N°

2005/481 du 16 Décembre 2005. 6 La qualité de propriétaire terrien confère au titulaire de jouir d’un certain nombre de droits ou de prérogatives à

l’articulation de laquelle s’exerce le droit d’user de la chose (usus), le droit d’en percevoir les fruits (fructus) et le droit

d’en disposer (abusus). Cf. Raymond Guillien et Jean Vincent, Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 12e

édition, 1999, p.211. L’usus est le « droit du propriétaire d’une chose d’en jouir ou d’en user à sa guise » ; le fructus

désigne « le droit de percevoir les fruits d’une chose meuble ou immeuble (ces fruits peuvent être civils, industriels

ou naturels) ; l’abusus désigne « le droit d’aliéner un bien ». Cf. GATSI Jean, Dictionnaire juridique, Presses

Universitaires Libres, 2e édition, 2010, 340 pages. 7 Pour quelques occurrences légales, voir par exemple l’article premier du décret n°76/165 du 25 avril 1976 fixant les

conditions d’obtention du titre foncier au Cameroun. Ce texte vient ainsi poser la règle de « l’incontestabilité

immédiate » du titre foncier obtenu régulièrement (Cf. MPESSA A., op.cit., p.626). 8 MPESSA A. (2004). « Le titre foncier devant le juge administratif camerounais : les difficultés d’adaptation du

système Torrens au Cameroun », Revue générale de droit, 34 (4), 611–659, p.635. https://doi.org/10.7202/1027311ar.

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découle logiquement la règle dite de l’inattaquabilité consacrée en droit public africain s’érige, on

l’aura compris, comme un outil clé de la politique juridique de sécurisation de la propriété foncière.

Au demeurant, le titre foncier au regard de son importance matérielle va faire l’objet de

convoitises légitimes et parfois malsaines au point de le mettre dans une situation peu confortable

en raison de l’accumulation et de la convergence d’un certain nombre de faits et de pratiques qui

ne sont pas sans incidences sur la stabilité du protocole de sécurisation mobilisé par les pouvoirs

publics nationaux. Pour tout dire, la récurrence de ces faits tendent à fragiliser le système de

protection du titre foncier, et, partant, dévoient sa sacralité. C’est que pour avoir le précieux

sésame, il n’est pas rare de voir les demandeurs de titre foncier se livrer à des pratiques mêmes des

plus insidieuses pour parvenir à leurs fins, d’autant qu’il est souvent rapporté et établi au terme

des procès que certains titres fonciers sont délivrés par l’entremise de procédures administratives

dont les irrégularités se sont avérées manifestes, déteignant, au final, sur l’autorité des titres

fonciers acquis dans ces conditions. Et c’est au cœur de ce paradoxe que se positionne l’objet de

notre étude qui, il faut le rappeler, s’organise autour de la règle de l’inattaquabilité du titre foncier

au regard de la dynamique du droit public africain. Par ailleurs, cette étude part de l’observation

empirique d’une pratique devenue assez récurrente et embarrassante pour les juges africains qui

sont souvent appelés à statuer sur les recours formulés par les pétitionnaires en contestation de

l’autorité de tel ou tel titre foncier détenu par tel ou tel propriétaire alors même que les textes en

vigueur ont formulé son caractère inattaquable. Ces procès sont d’autant plus délicats lorsqu’on

sait la robustesse de la législation africaine et la rigidité des positions jurisprudentielles militant

presque toujours en faveur de la stabilité du titre foncier. Mais pour autant, les titres fonciers se

valent-ils encore aux yeux du législateur africain et des juges protecteurs de la légalité lorsqu’il est

clairement établi que certains titres fonciers ont la fâcheuse réputation d’avoir été obtenu en marge

de la rigueur du droit posé. Il va alors sans dire qu’un bénéficiaire ne pourra en toute logique

invoquer le principe de l’inattaquabilité pour se prévaloir d’une quelconque protection toutes les

fois qu’il sera établit que le titre foncier querellé aura été obtenu à la suite de démarches

administratives douteuses. Et dans ce contexte plutôt défavorable, on voit nettement se dessiner

les frontières juridiques du principe de l’incontestabilité. Vue sous cet angle, on est tenté de passer

au crible l’actualité d’un principe cardinal pourtant mobilisé à la cause de la stabilité juridique du

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titre foncier. Comment dès lors appréhender la portée de la règle de l’inattaquabilité du titre foncier

au regard de la dynamique du droit public africain sans courir le risque de dévoyer sa sacralité ?

À partir d’une lecture juridique9 tintée de normativisme10 et de relativisme11, il est possible

d’observer une double posture du droit public africain, autant il est mobilisé autour du sacro-saint

principe de l’inattaquabilité du titre foncier d’ailleurs érigé en caractère fondamental (I), autant il

en relativise sa portée juridique pour des raisons d’ordre publique qu’il conviendra de préciser (II).

I- UNE MOBILISATION EFFECTIVE DU DROIT PUBLIC AFRICAIN EN

FAVEUR DE L’INATTAQUABILITE DU TITRE FONCIER

Le droit des citoyens à la terre, convient-il d’en repréciser, est un droit fondamental dont

l’inaliénabilité est constamment affirmée par des instruments juridiques divers, qu’ils soient de

portée internationale, régionale, sous régionale ou nationale. L’universalité qui le caractérise

justifie alors son inscription dans la quasi-totalité, sinon dans l’ensemble des législations foncières

à travers le monde. Son expression est d’autant plus affirmée lorsqu’on sait l’ampleur des conflits

provoqués par la ruée à la terre. La terre est en effet « au centre d’une problématique aux enjeux

multiples dont la complexité et le caractère récurrent font penser à un nœud gordien. Ainsi, il ne

se passe pas un seul jour sans que les instances de régulation que sont les autorités coutumières

administratives et judiciaires ne soient saisies de conflits fonciers opposant différents acteurs dont

les intérêts, les stratégies et les logiques d’occupation ou d’appropriation sont divergentes, voire

9 Selon la doctrine, la méthode juridique reste un outil indispensable pour « une meilleure compréhension des

dispositifs normatifs et de leurs mécanismes institutionnels. Elle se justifie ici par une connotation juridique du champ

de réflexion ». Voir Christian ATIAS, Epistémologie juridique, Paris, P.U.T., 1985, p.54. 10 L’approche normativiste « vise à décrire les normes existantes et non à élaborer de nouvelles normes ou à remettre

en cause les normes existantes. Le normativisme correspond à l’approche formaliste du positivisme classique et à la

théorie analytique du droit. » (MOUANGUE KOBILA J., Méthodologie de la thèse de doctorat et du mémoire de

master en droit public, Université de Douala, Faculté des sciences juridiques et politiques, 19 octobre 2018, p.32.) Ou

davantage à appréhender le droit dans son expression normative formelle (M. BENNOUNA, Droit international du

développement, Tiers-monde et interprétation du droit international, Paris, Berger-Levraut, 1983, pp.25 et Ss). Cette

approche permettra ainsi d’appréhender le contenu des instruments juridiques africains mobilisés autour du principe

de l’inattaquabilité du titre foncier pour en déterminer les sens et les contours. 11 Selon le Professeur BENNOUNA, le relativisme juridique consiste à « rechercher les réalités concrètes derrière

l’expression formelle de l’accord des volontés étatiques, à revenir aux réalités socio-économiques en aval, et en amont

de la règle de droit, à dégager les contradictions en présence pour en saisir la signification et la portée véritable des

accords contractés par les Etats ». Cf. Mohamed BENNOUNA, Droit international du développement. Tiers monde

et interpellation du droit international, Paris, Berger-Levrault, 1983. On pourra par exemple dire qu’il y a un

relativisme juridique au sens où « le juriste accepte de soumettre le caractère légal d’une pratique aux règles propres

à un lieu, une époque, un groupe de personnes ». Il s’agira donc d’appréhender la portée réelle du principe de

l’inattaquabilité du titre foncier pour en cerner les frontières juridiques.

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antagoniques »12. C’est dans ce sillage qu’il convient d’appréhender l’institution du titre foncier

comme instrument de rationalisation de l’accès à la terre et de justification, par conséquent, de la

qualité de propriétaire terrien. Cette considération générale à laquelle ont souscrit les États

démocratiques actuels, va ainsi se traduire, pour ce qui concerne particulièrement l’Afrique, par

une mobilisation juridique inédite en faveur de la sécurisation du titre foncier à l’effet d’assurer la

permanence des droits déduits de la propriété foncière. D’où l’affirmation assez constante d’un

certain nombre d’attributs dont l’expression juridique marque clairement les axes de la sécurisation

du titre foncier. Et au rang de ces attributs figure en bonne place la règle dite de l’inattaquabilité

autrement traduit par l’incontestabilité immédiate du titre foncier. D’ailleurs une certaine

mobilisation du droit public africain en faveur de cette règle s’observe aisément en ce sens.

L’effectivité13 de la règle de l’inattaquabilité apparait en droit public africain à la fois comme un

moyen d’affirmation de l’autorité (A) et de protection (B) du titre foncier.

A- Une effectivité consacrant l’autorité du titre foncier

L’étude comparée des législations africaines révèlent des régularités qui montrent, s’il était

encore besoin de le dire, le caractère universel de certains droits dont l’importance va justifier la

mobilisation des pouvoirs publics en faveur de leur pérennité. Le droit des citoyens à la terre se

trouve-t-il dans cette catégorie de droits universels matérialisé, cependant, par la justification d’un

titre de propriété. Ainsi nommé, le titre foncier constitue pour le citoyen le document sans la preuve

de laquelle il ne pourra prétendre revendiquer un quelconque droit sur tel ou tel parcelle de terre.

12 Cf. Gago Shélom Niho, Cours de droit foncier ivoirien, Université Félix Houphouet Boigny de

Cocody/Abidjan.31/05/2017. [En ligne] sur www.ivoirien-juriste.com consulté le 15 septembre 2021. 13 Il faut reconnaitre qu’en dépit des très nombreuses études menées sur le concept d’effectivité, celui-ci reste aussi

complexe que fascinant. D’ailleurs, il ne figure qu’exceptionnellement dans le dictionnaire Larousse comme pour

signifier le « caractère de ce qui est effectif », c’est-à-dire « ce qui est fait, exécuté ou achevé » et/ou « un effet, une

réalisation, un accomplissement ». Sinon, ce terme n’existe dans aucun autre dictionnaire français, pas même celui de

l’académie française comme Julien Bétaille le fait remarquer. Néanmoins, et sans revenir sur les travaux qui ont permis

de construire ce concept aux allures insaisissables, l’on retiendra que le terme d’effectivité à une « vocation pratique

dans la mesure où elle vise à évaluer les degrés d’application du droit, à préciser les mécanismes de pénétration du

droit dans la société » (Selon RANGEON F., « Réflexions sur l’effectivité du droit », in CURAPP, Les usages sociaux

du droit, PUF, 1989, p. 128.). C’est autrement dit « l’instrument conceptuel d’évaluation (du) degré de réception (de

la norme), le moyen de mesurer des "écarts" entre pratique et droit » (Pierre Lascoumes et Evelyne Serverin, « Théories

et pratiques de l’effectivité du droit», Droit et Société, n° 2, 1986, p. 127.) Mais mieux encore, le « degré de réalisation,

dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit » (Pierre Lascoumes, entrée « effectivité », in André-Jean

Arnaud (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2ème éd., LGDJ, 1993, p. 217.). Sur

les auteurs référencier, voir Julien Bétaille, « Le concept d’effectivité-action », in Los retos actuales del derecho

administrativo en el Estado autonómico: estudios en homenaje al profesor José Luis Carro Fernández-Valmayor

(coord. Luis Míguez Macho, Marcos Almeida Cerreda), Vol. 2, 2017, pp. 367-383.

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L’importance ainsi formulée du titre foncier va nécessiter une mobilisation particulière des

pouvoirs publics africains afin d’assurer sa stabilité et sa pérennité juridique, preuve sans doute

que ce document est investi d’une certaine autorité qu’il conviendrait d’illustrer.

L’autorité ainsi consacrée du titre foncier au regard de la convergence en droit public

africain des moyens de son affirmation, s’évalue à l’aune de l’énonciation d’un certain nombre de

caractères propres (1) qui révèle alors la dimension singulière (2) de ce document officiel de

certification de la propriété immobilière.

1- La constance des caractères du titre foncier

L’étude de la législation foncière en Afrique amène à considérer sans ambiguïté le titre foncier

comme l’acte de naissance de la propriété immobilière. D’ailleurs, il se forme une certaine

unanimité juridique en l’idée que le titre foncier est le document officiel de certification de la

propriété immobilière14, lequel donne alors lieu à la jouissance par le titulaire des droits réels qui

y sont attachés15. Cette perspective juridique s’inscrit en effet dans le sillage de l’engagement pris

par les États membres de l’Union africaine d’accorder désormais une attention particulière au droit

au développement lorsqu’ils réaffirmaient leur attachement aux droits de l’homme et des peuples

contenus dans les déclarations, conventions et autres instruments adoptés dans le cadre de

l’Organisation Africaine16. Faut-il encore rappeler que le droit des citoyens à la terre est désormais

envisagé comme un droit fondamental et inaliénable de l’homme. Et l’institution du titre foncier

se positionne à la fois comme moyen juridique de reconnaissance de la propriété immobilière et

de consolidation des droits qui s’y rapportent. Le Professeur Jean GATSI n’en dit pas d’ailleurs

14 À titre d’illustration, voir l’article 1er du décret camerounais n°76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions

d’obtention du titre foncier et réitérée par le décret de n°2005/481 du16 décembre 2005. 15 Ainsi par exemple à la lecture de la loi sénégalaise N°2011-07du 30 mars 2011 portant régime de la propriété

foncière, l’acquisition par un tiers d’un titre de propriété sur un immeuble à la suite d’une immatriculation dument

consignée dans le Livre foncier (Article 14), confère au titulaire la jouissance d’un certain nombre de droits réels

tenant notamment à l’usufruit, au droit d’usage et d’habitation, à l’emphytéose, aux droits de superficie, de servitudes

et de services fonciers, aux privilèges et hypothèques et des actions qui tendent à revendiquer ces droits réels (Article

19). Dans la même veine, le législateur malien en posant d’une part que « Le service de la conservation foncière,

gestionnaire du régime de la propriété foncière, assure aux titulaires la garantie des droits réels soumis à publicité

qu'ils possèdent sur les immeubles relevant du régime de l'immatriculation […] » (Article 71), et d’autres part que le

titre foncier constitue, devant les juridictions maliennes le point de départ unique de tous les droits réels existant sur

l'immeuble au moment de l'immatriculation (Article 169), consacre quasiment les mêmes droits réels que son

homologue sénégalais en ajoutant cependant l'antichrèse (Article 88) tel que cela se dégage de l’ordonnance N°00-

027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 16 Voir le Préambule de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples.

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autre chose lorsqu’il écrit que « la propriété est également devenue un des droits fondamentaux et

inaliénable de l’homme consacré dans la plupart des constitutions »17. Pour toutes ces raisons, le

titre foncier est investi d’une autorité juridique dont l’expression par les législateurs fonciers

africains se mesure à l’aune de l’affirmation de caractères qui singularisent alors ce document. Le

Directeur camerounais du cadastre Jean Bosco Awono, ne croyait pas si bien le dire lorsqu’il

affirmait dans un quotidien que le titre foncier doit être inattaquable et définitif18.

Mais en toute hypothèse, il faut reconnaitre que les législations africaines dédiées à la propriété

foncière n’ont pas attendu que soit formulé le vœu cher au Directeur camerounais en charge du

cadastre, puisqu’au regard de la tendance textuelle ambiante, il se dégage une constance, que le

titre foncier revêt des attributs juridiques qui marquent sa dimension sacramentelle, et à la

manifestation de laquelle sont constamment énoncés les caractères inattaquable, intangible et

définitif19 auxquels on peut valablement ajouter les caractères irrévocable et imprescriptible20.

Ainsi, quel que soit l’environnement juridique africain spécifiquement considéré, le titre foncier

reste-t-il imprégné des considérations tenant à son intangibilité, à son inattaquabilité et à son

caractère définitif. Ceci fixé, il convient dès lors de faire quelques précisions utiles sur

l’entendement juridique de ces caractères.

D’entrée de jeu, il faut indiquer que pour les besoins de la cause, nous nous référons à certaines

tendances doctrinales, mais encore, aux considérations du juge a qui il appartient d'en donner le

sens et la portée juridiques exacts vue que les textes africains qui consacrent ces attributs du titre

foncier ne sont pas suffisamment explicites.

Relativement au caractère inattaquable du titre foncier, objet de notre contribution, il est

suggéré qu’en principe, aucune action portant sur ce document ne peut être recevable. Le

17 GATSI Jean, Droit des biens et des sûretés dans l’espace OHADA, Presses Universitaires Libres, Douala, 2012,

pp.6-7. 18 Cf. Camer.be, 30 septembre 2016. 19 À titre d’illustration il est assez constant de lire dans les législations foncières africaines que « Le titre foncier est

définitif et inattaquable » tel que cela se dégage par exemple de l’article 169 de l’ordonnance malienne N°00-027/P-

RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier; de l’article 42 de la loi sénégalaise N°2011-07du 30 mars 2011

portant régime de la propriété foncière. Le législateur camerounais abonde dans le même sens lorsqu’il pose à l'article

1er alinéas 1 et 2 du décret n° 76-165 du 27 avril 1976 que Sous réserve des dispositions des articles 2 (alinéa 3) et 24

du présent décret, le titre foncier est inattaquable, intangible et définitif. 20 Article 61 Loi n°3/2012 du 13 août 2012 portant ratification de l’ordonnance n°5/2012 du 13 février 2012 fixant le

régime de la propriété foncière en République gabonaise.

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législateur sénégalais l’exprime d’ailleurs en de termes clairs lorsqu’il pose que : « Toute action

tendant à la revendication d’un droit réel non révélé en cours de procédure et ayant pour effet de

mettre en cause le droit de propriété même d’un immeuble immatriculé est irrecevable »21. Cette

disposition n’est d’ailleurs pas éloignée de celle formulée par le législateur gabonais qui pose

qu’« Aucun recours ne peut être exercé sur l’immeuble à raison d’un droit réel par suite d’une

immatriculation »22.

C’est dire qu’une fois que le titre foncier a été délivré par les autorités administratives

compétentes, aucun recours n’est dès lors admis. Cet attribut vient ainsi réitérer avec force, le

principe d'incontestabilité immédiate23 qui assure la protection de tout détenteur de titre foncier

obtenu régulièrement24. L’inattaquabilité du titre foncier apparait en tout cas comme la marque

distinctive propre à tout régime foncier dérivé de l’Act Torrens comme Pierre Lampue semble

l’indiquer lorsqu’il écrit que : « Ces formules énoncent le principe essentiel et le plus

caractéristique du régime de l'immatriculation foncière, principe que l’on retrouve dans les autres

textes instituant un pareil régime dans différents pays africains. Il a été jugé nécessaire de le

consacrer, pour atteindre les buts visés par le législateur, c'est-à-dire, la clarté et la sécurité des

droits sur le sol. Il faut en effet, que le titre foncier établi à la suite d'une procédure destinée à

assurer un examen complet de la situation matérielle et juridique d'un immeuble, soit doté d'une

force probante irréfragable et ne puisse pas être remis en question »25.

En tout état de cause, une fois établit, le titre foncier devient intangible et définitif.

L’intangibilité attachée au titre foncier induit l’idée force qu’une fois délivré, celui-ci ne peut

plus faire l’objet de retranchement ni d’ajout de mentions ceci dans le but de préserver sa

correspondance d’avec les souches conservées dans le Livre Foncier. Mais de façon plus précise,

la règle de l’intangibilité du titre foncier appel à envisager une double lecture juridique et

matérielle. Ainsi à la suite de la doctrine, MPESSA Aloys soutient que :

21 Article 43 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière. 22 Article 63 Loi n°3/2012 du 13 août 2012 portant ratification de l’ordonnance n°5/2012 du 13 février 2012 fixant le

régime de la propriété foncière en République gabonaise. 23 BROCHU François, « Le système Torrens et la publicité foncière québécoise », Canada, Revue de droit McGill, n°

47, 2002, p.641. Cité par MPESSA A., op.cit., p.626. 24 MPESSA A., op.cit., p.626. 25 Ibid., p.626.

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« Du point de vue juridique, la règle de l’intangibilité du titre foncier « signifie tout d'abord, que la

personne désignée au titre foncier lors de son établissement, est réputée propriétaire originaire de

l'immeuble. Et ensuite, que les limites matérielles ne peuvent plus être contestées. Cette disposition peut

s'articuler en deux propositions : les droits inscrits ne peuvent plus être contestés ; les droits non révélés

ne peuvent plus être inscrits et les droits non-inscrits ne peuvent plus être remis en cause, ni par les parties

qui ont signé les conventions qui les consacrent, ni par les tiers qui y sont étrangers. Les droits non révélés

ne peuvent non plus être inscrits. A l'issue de la procédure d'immatriculation marquée par une large

publicité, et concrétisée par la délivrance du titre foncier, les droits non révélés sont ignorés et réputés non

avenus. […] Du point de vue matériel, l'intangibilité du titre foncier signifie qu'en principe, aucune

modification matérielle postérieure, ne peut plus être apportée à la superficie de l'immeuble immatriculé.

C'est pourquoi, souligne-t-il, la description de l'immeuble (situation, superficie) est l'un des éléments

importants du dossier d'immatriculation » 26.

Pour terminer, le titre foncier revêt un caractère définitif en ce qu’il parachève en principe une

procédure minutieuse, marquant ainsi la fin de l’immatriculation. Sa remise en cause perd donc de

ce point de vue tout sens à condition cependant que la procédure qui a sous-tendu son obtention

soit conforme à la législation en vigueur.

S’il était encore besoin de le dire, le titre foncier, suivant la dynamique africaine du droit

public, est, au regard de l’affirmation constante de ses caractères, un document dont la démarcation

juridique ne fait l’ombre d’aucun doute.

2- La singularité juridique du titre foncier

L’acquisition de la propriété foncière est, en droit public africain, justifiée par la détention d’un

titre foncier. C’est donc ce dernier qui donne au citoyen de revendiquer avec succès la qualité de

propriétaire terrien de telle ou telle parcelle de terre. Le titre foncier apparait de ce point de vue

comme un document dont la sacralité va justifier sa singularité juridique, laquelle s’évalue à l’aune

de la procédure et de la qualification spécifique que les législateurs fonciers africains ont bien

voulu lui accorder.

Sur le premier moyen il existe plusieurs moyens d’obtention du titre foncier. Ainsi par exemple

le législateur camerounais en décline-t-il les modes d’obtention de ce document selon qu’il s’agit

26 MPESSA A., op.cit., pp.628-630.

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d’une dépendance du domaine national occupé ou exploité27, à la suite de démembrements ou

fusion d’immeubles immatricules28. Quoiqu’il en soit, l’obtention du titre foncier est, au regard de

la constance du droit public africain, soumise à une procédure administrative spécifique et

relativement complexe qui donne finalement à son titulaire de jouir des droits réels sur la propriété

dument acquise. Et d’une façon constante, il est possible d’établir à une nuance prête29 que

l’obtention du titre foncier en Afrique est soumise à une demande d’immatriculation préalable de

la parcelle de terre convoité30 auprès des autorités administratives en charge du cadastre et des

affaires foncières. C’est le lieu néanmoins de souligner que les demandes d’immatriculation, selon

qu’elles soient facultatives ou obligatoires, relèvent tantôt de la seule faculté de l’État31, tantôt

élargie à d’autres personnes32. Mais on l’aura sans doute compris l’immatriculation entend qu’elle

est une action par laquelle un immeuble est inscrit sur le registre foncier en vue de la création d’un

27 Voir les articles 9 ; 10 ; 11 ; 12 ; 13 ; 14 ; 15 ; 16 ; 17 ; 18 ; 19 ; 20 ; 21 du décret n° 76-165 du 27 avril 1976 fixant

les conditions d’obtention du titre foncier et modifié et complété par le décret N°2005/481 du 16 décembre 2005. 28 Voir les articles 22 ; 23 ; 24 ; 25 ; 26 ; 27 ; 28 ; 29 dû et modifié et complété par le décret N°2005/481 du 16

décembre 2005. 29 En effet, selon l’Article 5 de la Loi sénégalaise n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété

foncière, « L’immatriculation est facultative. Exceptionnellement, elle est obligatoire pour la validité des

conventions constituant, modifiant ou transférant un des droits énumérés à l’article 19 de la présente loi ». 30 Au Cameroun voir l’Art. 35. (Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005). « Chaque cas d'immatriculation donne

lieu à l'établissement par le conservateur foncier d'un titre foncier ». Le législateur gabonais se veut même on ne peut

plus clair en affirmant sans détour que « L’immatriculation est obligatoire » (Article 26 Loi n°3/2012 du 13 août 2012

portant ratification de l’ordonnance n°5/2012 du 13 février 2012 fixant le régime de la propriété foncière en

République gabonaise). 31 Pour citer quelques exemples :

Selon la législation malienne « Seul l'État peut demander l'immatriculation des immeubles » (ARTICLE 138 N°00-

027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier). Le législateur sénégalais abonde également dans le

même sens lorsqu’il pose que « Seul l’Etat est autorisé à requérir l’immatriculation des immeubles aux livres

fonciers » (Voir l’Article 4 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière). 32 Au Gabon notamment, les demandes d’immatriculation peuvent être formulées par plusieurs personnes. Ainsi, au

sens de la Loi n°3/2012 du 13 août 2012 portant ratification de l’ordonnance n°5/2012 du 13 février 2012 fixant le

régime de la propriété foncière en République gabonaise, il est fixé à l’Article 27 que : « Seuls peuvent requérir

l’immatriculation :

- le propriétaire ;

- le copropriétaire, lorsque celui-ci se trouve dans les conditions requises pour l’exercice de ce droit ;

- les détenteurs des droits réels notamment l’usufruit, l’habitation, l’emphytéose et l’antichrèse ;

- les détenteurs de servitudes foncières ou d’hypothèques, avec le consentement du propriétaire ou des copropriétaires

;

- le mandataire légal ».

Également, les Articles 28 et 29 de la même loi posent respectivement que : « Peut également requérir

l’immatriculation, le créancier hypothécaire non payé à l’échéance qui, en vertu de la décision de condamnation

devenue définitive qu’il a obtenue contre son débiteur, entreprend une saisie immobilière ».

« Le tuteur ou le curateur d’un incapable a qualité pour requérir l’immatriculation au nom de sa pupille, au cas où

celui-ci est détenteur des droits qui lui permettraient de la requérir lui-même, s’il n’était pas incapable ».

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titre conférant à son titulaire des droits réels33, se veut alors un processus non négligeable dans la

procédure d’acquisition du titre foncier. Ainsi, non sans avoir satisfait à certaines conditions

préalables à toute demande d'immatriculation34, toute réquisition d'immatriculation remise au

Conservateur de la propriété foncière, doit contenir, quel que soit l’entité souveraine considérée :

1. les noms, prénoms et qualité du représentant de l'État ;

2. une élection de domicile de celui-ci dans le ressort judiciaire où se trouve l'immeuble à

immatriculer ;

3. la description de l'immeuble, ainsi que des constructions et plantations qui s’y trouvent, avec

indication de sa situation, de sa contenance, de ses limites, tenants et aboutissants et, s'il y a lieu,

le nom sous lequel il est connu ;

4. la réquisition adressée au Conservateur de procéder à l'immatriculation.

La législation malienne se veut même encore plus précise lorsqu’elle fixe que le requérant doit

déposer à l'appui de sa réquisition, un plan de l'immeuble daté et signé, établi conformément aux

instructions topographiques, à l'échelle de :

- 1/100, 1/200 ou 1/500 pour les terrains urbains et suburbains bâtis ;

- 1/500, 1/1000, 1/2000, 1/5000 ou 1/10.000 pour les terrains lotis et les terrains ruraux;

- 1/5000 ou 1/10.000 pour les concessions minières35. Une fois la demande d’immatriculation

formulée, un extrait en est inséré, à la diligence du Conservateur au Journal Officiel ou dans un

journal autorisé à publier les annonces légales. […] Un placard reproduisant cette insertion est

33 Article 3 (nouveau) Loi n°3/2012 du 13 août 2012 portant ratification de l’ordonnance n°5/2012 du 13 février 2012

fixant le régime de la propriété foncière en République gabonaise. 34 La législation Malienne prévoit par exemple à l’article 141 de l’Ordonnance N°00-027/P-RM du 22 mars 2000

portant code domanial et foncier que : - Préalablement à toute demande d'immatriculation, l'immeuble doit être

déterminé quant à ses limites au moyen de bornes en pierre, en maçonnerie ou en béton plantées à chacun des sommets

du polygone formé par le terrain.

Ces bornes doivent comporter un dé et un socle. Le dé, à section carrée, mesurera au minimum 10 centimètres de

hauteur et 10 centimètres de côté. Le socle, enfoui en terre, aura la forme d'un tronc de pyramide d'au moins 20

centimètres de hauteur et 25 centimètres de côtés à la base inférieure.

Au Cameroun voir l’Art. 35 du Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005 modifiant et complétant le décret n° 76-

165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier. 35 C’est du moins ce qui ressort de l’Article 142 de l’Ordonnance malienne N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant

code domanial et foncier.

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adressé par le Conservateur au greffier du tribunal de première instance ou à la justice de paix à

compétence étendue, dans le ressort duquel se trouve l'immeuble, pour être affiché en l'auditoire36.

Cet affichage est maintenu au moins pendant 30 jours afin de susciter de toutes personnes

intéressées des interventions soit par oppositions, en cas de contestation sur les limites de

l'immeuble, soit par demande d'inscription, en cas de prétentions élevées à l'exercice d'un droit réel

susceptible de figurer au titre à établir37. Quoiqu’il en soit, une fois ce délai de 30 jours passé le

bornage de l'immeuble à immatriculer est effectué à la date fixée par le géomètre désigné à cet

effet, en la présence du représentant de l'administration et, autant que possible des propriétaires

riverains dûment convoqués38. Au cours de cette opération, le géomètre dresse, séance tenante, un

procès-verbal faisant connaître les jour et heure de l'opération ; ses nom, prénoms et qualité, avec

rappel de sa prestation de serment ; les noms, prénoms et qualités des assistants, avec indication

des motifs de leur présence ; la déclaration que les mesures prescrites en vue de la publication ont

été régulièrement prises ; la description des limites reconnues avec mention de la longueur des

côtés, chacun des sommets du polygone formé par l'immeuble étant désigné par un numéro

d'ordre ; l'énonciation sommaire de la nature et de la consistance de l'immeuble ; la description des

parcelles spécialement délimitées à raison d'une contestation ou la déclaration qu'il ne s'est produit

aucune contestation ; la mention relative à la signature du procès-verbal par les assistants39. Le

titre foncier est pour ainsi dire, écrit Monsieur MPESSA Aloys, « un acte juridique qui fait foi par

lui-même, jusqu'à l'inscription de faux, en raison des formes légales dont il est revêtu. C'est un acte

qui émane d'une autorité compétente et atteste d'un droit. Deuxièmement le titre foncier est

présumé de l'auteur auquel on l'attribue. Et enfin, troisièmement, l'autorité, la réalité et la vérité du

titre foncier ne peuvent être contestées »40. Loin cependant d’épuiser les contours de cette

procédure dont la complexité n’est plus à démontrer, il y a lieu d’indiquer qu’à son terme,

l’acquisition de la propriété foncière au travers la justification d’un titre foncier emporte alors

l’obligation pour les pouvoirs publics de mobiliser des mécanismes tendant à la pérennisation des

droits acquis. Ce premier jet de pierre a en soi le mérite d’aborder le titre foncier dans toute sa

36 Au Mali voir l’Article 144 de l’Ordonnance N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 37 Article 146 de l’Ordonnance malienne N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 38 Article 149 de l’Ordonnance malienne N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 39 Article 150 de l’Ordonnance malienne N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 40 MPESSA A., op.cit., p.625.

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singularité, laquelle s’illustre alors à travers l’institution d’une procédure d’acquisition dont la

particularité révèle en quelque sorte sa dimension sacramentelle.

Sur le second moyen, la singularité juridique du titre foncier va également s’exprimer sur un

tout autre paradigme. Ainsi, cette singularité s’affirme-t-elle à travers l’idée force que le titre

foncier ou titre de propriété est, au regard de la législation foncière africaine, le document officiel

de certification de la propriété immobilière. Le législateur camerounais en fait particulièrement

échos aux termes de l’article premier du décret n° 76-165 du 27 avril 1976 fixant les conditions

d’obtention du titre foncier. Ou davantage un « document authentique établi par le conservateur

de la propriété foncière et des hypothèques garantissant, sécurisant et protégeant un droit réel

immobilier comme le suggère le législateur gabonais41. C’est donc à la fois l’acte de naissance et

de certification qui atteste à l’égard de tous de la jouissance par le titulaire de droits réels sur un

terrain dont il est propriétaire.

Il faut donc en conclure partiellement que si de première intention la mobilisation effective du

droit public africain en faveur de la règle dite de l’inattaquabilité apparait comme un moyen

d’affirmation de l’autorité du titre foncier, celle-ci va également, en seconde intention, marquer

les velléités de sa protection juridique.

B- Une effectivité marquant la protection du titre foncier

La règle de l’inattaquabilité du titre foncier joue au regard de la dynamique du droit public

africain plusieurs fonctions. En effet comme nous l’avons déterminé plus haut, cette règle de

première intention apparait incontestablement comme un moyen d’affirmation de l’autorité du titre

foncier. Et bien plus, et c’est l’hypothèse qu’il convient de retenir dans ce titre, la consécration de

cette règle dite de l’inattaquabilité est un moyen pour les législateurs fonciers africains de justifier,

en seconde intention, la protection spécifique dont ce document va faire l’objet. Il s’agit là une fois

encore d’une position assez constante des législations africaines dédiées à l’encadrement juridique

du titre foncier qui, d’une manière bien coordonnée, mobilisent et organisent à travers des

dispositifs normatifs spécifiques la protection de ce document dont l’autorité a été préalablement

affirmée. Cette constante position du droit public africain en faveur de la protection du titre foncier

41 Article 3 (nouveau) Loi n°3/2012 du 13 août 2012 portant ratification de l’ordonnance n°5/2012 du 13 février 2012

fixant le régime de la propriété foncière en République gabonaise.

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montre bien aux forceps la relation particulière entre les individus et la terre dans une Afrique

marquée par l’existence de liens très forts entre les peuples et leurs terres ancestrales. Ainsi la règle

dite de l’inattaquabilité apparait-elle pour les législateurs fonciers africains comme un moyen de

pacification des rapports juridiques non seulement entre les pouvoirs publics et les particuliers,

mais aussi entre les particuliers.

C’est en effet dans l’institution de la limitation des actions pétitoires (1) et de l’admissibilité

des demandes de réparation des dommages subis par les tiers (2) qu’il convient de mesurer la

pertinence de ce postulat.

1- La limitation des actions pétitoires

La protection du titre foncier est consécutive à l’affirmation en droit public africain de son

autorité. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement dans un contexte mondial où la terre constitue,

en croire Simon Pierre PETNGA NYAMEN, « l’une des principales richesses des populations

pour améliorer leurs conditions de vie, en l’absence d’un tissu économique et industriel viables

»42. Cette protection juridique vise alors à assurer la permanence de la propriété terrienne et tend

même à être renforcée, du moins si l’on considère la limitation des actions tendant à la contestation

du titre foncier.

C’est que, le droit public africain et singulièrement encore les règles dédiées au titre foncier

posent constamment que la règle de son inattaquabilité. Alors érigée en mesure d’ordre publique,

cette règle qui s’inscrit dans le sillage de la protection du titre foncier entend préserver celui-ci

d’éventuelles « interminables contestations [qui, si elles n’étaient pas encadrées] aboutiraient à

ruiner la garantie du système »43. Cette règle met ainsi fin, « à toutes prétentions concurrentes et

aucune action portant sur ce document ne peut être recevable, en clair, cela signifie que dès lors

qu’il est délivré, aucun recours n’est plus admissible »44. Les dispositions y relatives sont en tout

42 PETNGA NYAMEN Simon Pierre, Modes d’accès à l’espace habité et insécurité foncière dans les quartiers

Gambara II, Burkina et Jérusalem de la ville de Ngaoundéré (Cameroun), Mémoire de Master 2 option : géographie

et pratique du développement durable, 2010. Disponible sur https://www.memoireonline.com/12/13/8290/m_Modes-

d-acces--l-espace-habite-et-insecuri-fonciere-dans-les-quartiers-Gambara-II-Burkina31.html#toc70, consulté le

3/11/2021. 43 AMBIALLET C., note sous tribunal civil de Lomé, du 18/11/1949, In : Revue Penant, 1951, p. 10. Cité par

MPESSA A., op.cit., p.627. 44 NKOA NZIDJA Lidwine Ariane, La faute de l'Administration en matière foncière au Cameroun, Université de

Yaoundé II - Diplôme d'études approfondies en droit privé 2008. [En ligne] consulté le 15/06/2021.

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cas formelles et explicites. Ainsi selon la législation malienne, « Toute action tendant à la

revendication d'un droit réel non révélé en cours de procédure et ayant pour effet de mettre en

cause le droit de propriété même d'un immeuble immatriculé est irrecevable »45. Pour prendre à

témoin d’autres occurrences, l’on dira par exemple au surplus que le législateur camerounais46

autant que son homologue sénégalais47 n’en disent pas autre chose à ce sujet. S’il était donc encore

besoin de le dire, le droit public africain limite significativement les actions pétitoires dirigées à

l’endroit du titre foncier. Les actions pétoires font en effet référence à la notion juridique selon

laquelle un plaideur revendique la propriété d’un bien immobilier. C’est autrement dit une action

en justice relative à la protection judiciaire de la propriété immobilière. L’action pétitoire concerne

ainsi celui qui se prévaut d’un titre de propriété et peut ainsi être mise en œuvre lorsqu’une

personne s’approprie la propriété d’un bien immobilier d’une autre personne. Cette dernière utilise

alors ce moyen juridique pour obtenir du juge la restitution du bien immobilier dont elle se prétend

propriétaire. On comprend donc mieux les propos du Professeur Jean-Louis BERGEL qui affirme

48que « les actions pétitoires sont des actions tendant à la défense d’un droit réel. […] Ces actions

sont donc les instruments de la protection judiciaire des droits réels ». Seulement comme il ressort

des législations foncières africaines, ces actions ne peuvent être recevables du moment qu’elles

tendent à contester le titre de propriété régulièrement acquis de bonne foi par un tiers. Seules

restant alors admises les demandes relatives à la réparation des dommages subis par les personnes

lésées.

2- L’admissibilité des demandes de réparation de dommages

Le droit foncier africain ainsi que l’expose constamment les règles en vigueur se montre assez

protectrices vis-à-vis du titre foncier. Et bien logiquement, ces règles vont-elles limiter

considérablement les actions tendant à sa contestation. D’où la règle même de l’inattaquabilité.

Mais dans la mesure où le droit vise également la recherche de la justice et de l’équité, il sera

admis certains bémols dans les législations en vigueur à l’effet de compenser un certain équilibre

45 ARTICLE 170 l’Ordonnance N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 46 Art. 2. (Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005 Fixant les conditions d’obtention du titre foncier). 47 Article 43 Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière. 48 BERGEL Jean-Louis, Les contentieux immobiliers, Lextenso éditions, 2010. [En ligne] sur https://www.labase-

lextenso.fr/les-contentieux-immobiliers, consulté 13/07/2020.

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juridique. Ainsi en est-il alors de l’admission des demandes tendant à réparation des dommages

subis par les tiers.

À cette faveur, il est possible d’illustrer les bémols législatifs à travers la constance que « Toute

personne dont les droits ont été lésés par suite d'une immatriculation, n'a pas de recours sur

l'immeuble, mais seulement en cas de dol, une action personnelle en dommages-intérêts contre

l'auteur du dol »49. Plusieurs autres législations africaines abondent dans le même sens. C’est le

cas notamment de la législation sénégalaise en vertu de laquelle « Les personnes dont les droits

auraient été lésés par suite d’une immatriculation ne peuvent se pourvoir que par voie d’action

personnelle en indemnité »50 ou encore de la législation malienne d’après laquelle « Les personnes

dont les droits auraient été lésés par suite d'une immatriculation ne peuvent se pourvoir par voie

d'action réelle, mais seulement en cas de dol, par voie d'action personnelle en indemnité »51. Au

demeurant, l'action est portée devant la juridiction civile du lieu de situation de l'immeuble. En

droit camerounais par exemple, cette action personnelle en dommages-intérêts, n'est pas intentée

contre l'Etat, mais contre le bénéficiaire du titre foncier. Elle obéit aux règles générales de toute

action en responsabilité. La personne victime de l’immatriculation, doit d'abord démontrer qu'il y

a eu un fait fautif, consistant en un dol52.

Le contentieux de la réparation ainsi admis en droit foncier africain vient au moins confirmer

une volonté constante, celle de la stabilisation du titre foncier en dépit de certains griefs.

Seulement, si ces griefs sont incompatibles avec les visées du droit posé, le titre foncier perd-t-il

dès lors toute crédibilité juridique. Il en est ainsi lorsque la délivrance de celui-ci aura été obtenue

en violation de certaines dispositions essentielles, c’est-à-dire celles nécessaires à sa validité. L’on

va observer à cet effet une démobilisation du droit en vigueur en faveur de l’inattaquabilité d’un

tel titre foncier.

49 Tels sont les termes au Cameroun de l’Art. 2. (1) (Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005 Fixant les conditions

d’obtention du titre foncier). 50 Article 44 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière. 51 Article 171 l’Ordonnance N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 52 MPESSA A., op.cit., p.631.

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II- UNE MOBILISATION RELATIVISEE DU DROIT PUBLIC AFRICAIN EN

DEFAVEUR DE L’INATTAQUABILITE DU TITRE FONCIER

L’on ne le dira sans doute jamais assez, la terre en Afrique revêt une dimension hautement

spirituelle qui s’origine d’une dynamique ancestrale particulièrement ancrée dans les mœurs. Et

même s’il est vrai que la pénétration occidentale a quelque peu désarticulée la dimension sacrée

que la terre à toujours revêtit dans les traditions profondes de l’Afrique, cela n’a pas pour autant

ôtée la conviction que la terre constitue la matrice ancestrale à travers laquelle se structure les

rapports entre les familles et les communautés. Il faut reconnaitre à ce sujet que les pouvoirs

publics africains ne ménagent en ce sens aucun effort en articulant autant que se peut les

dispositions foncières avec les réalités locales pour créer des régimes fonciers adaptés à la

dynamique ancestrale. Les questions foncières ont donc toujours été présentes à divers moments

essentiels de l’histoire Africaine. Et à l’ère de la modernité, la sécurisation de la propriété foncière

par de-là l’institution du titre foncier, apparait logiquement comme la continuité de la préservation

de ce qui est désormais considéré comme un droit inaliénable de l’homme.

Autant alors le dire, s’il est incontestable que les législations foncières africaines ont pour

sacro-saint principe commun la protection de la propriété foncière justifié en l’espèce par la

consécration de la règle de l’inattaquabilité du titre foncier, il apparait tout aussi irréfutable que

cette mobilisation doit être relativisée. C’est que l’obtention du titre foncier au regard de certaines

régularités du droit public africain, est sujette à la satisfaction d’un certain nombre de conditions

sans lesquelles ce document essentiel perdrait toute autorité juridique. Ainsi l’acquisition du titre

foncier doit-elle résulter d’un ensemble d’actes de procédure administrative dont la régularité

serait, pour le moins que l’on puisse dire, irréprochable. En ce sens, la régularité des actes consiste

dans l’observation rigoureuse, en ce qui concerne leur forme extérieure, des dispositions légales

et réglementaires en vigueur. Les termes du législateur camerounais permettent en tout cas de

situer la portée juridique de la protection du titre foncier en Afrique. Du moins l’on observe une

certaine convergence dans l’idée qu’un titre foncier est nul d'ordre public dans les cas suivants :

- lorsque plusieurs titres fonciers sont délivrés sur un même terrain ; dans ce cas, ils sont tous

déclarés nuls de plein droit, et les procédures sont réexaminées pour déterminer le légitime

propriétaire. Un nouveau titre foncier est alors établi au profit de celui-ci ;

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- lorsque le titre foncier est délivré arbitrairement sans suivi d'une quelconque procédure, ou obtenu

par une procédure autre que celle prévue à cet effet ;

- lorsque le titre foncier est établi en totalité ou en partie sur une dépendance du domaine public ;

- lorsque le titre foncier est établi en partie ou en totalité sur une parcelle du domaine privé de

l'Etat, d'une collectivité publique ou d'un organisme public, en violation de la réglementation53.

S’il était donc encore besoin de le dire, la règle de l’inattaquabilité du titre foncier est-elle

d’une portée relative en droit public africain et connait-elle, en conséquence, des limites pour des

raisons tenant essentiellement à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Ainsi par exemple, le titre

foncier obtenu en violation de la réglementation en vigueur donne-t-il lieu à contestation (A),

contestation qui révèle alors au grand jour la vulnérabilité juridique de ce document (B).

A- Une relativité favorisant la contestabilité du titre foncier obtenu irrégulièrement

Le titre foncier est au regard de la dynamique du droit public africain, un document officiel

dont l’institution permet de certifier à l’égard de tous le titre de propriété dont pourrait revendiquer

une personne sur telle ou telle parcelle de terre. Et entend que tel, une mobilisation particulière des

textes permettra non seulement d’affirmer son autorité, mais aussi d’assurer sa protection, d’où la

règle dite de l’inattaquabilité ou de l’incontestabilité immédiate. Au demeurant, cette règle, à en

croire la constance des textes africains, ne peut être valablement invoquée qu’à la condition que le

titre foncier querellé ait été acquis dans le respect des lois et règlement en vigueur. Le respect des

textes ainsi évoqué permet en réalité de préserver la dimension sacramentelle même du titre foncier

et de justifier en conséquence l’autorité et la protection juridique déployée. Il va alors sans dire

qu’un titre foncier obtenu au mépris de la législation en vigueur ne saurait revendiquer une

quelconque autorité, encore moins une quelconque protection. Une lecture exégétique du droit

public africain permet en tout cas d’attester le postulat de la contestabilité d’un titre foncier obtenu

soit frauduleusement ou par erreur (1), soit sur le domaine public ou privé d’une collectivité

publique (2).

53 Article Art. 2. Al. 6 (Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005 Fixant les conditions d’obtention du titre foncier au

Cameroun).

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1- La contestabilité du titre foncier obtenu frauduleusement ou à la survenance d’une

faute

Le titre foncier revêt un certain nombre de caractères à travers lesquels les législations

foncières africaines expriment une volonté permanente de protection consécutive à l’autorité qui

lui conférée. Mais seulement, l’expression de ces caractères au rang desquels se trouve en bonne

place celui de l’inattaquabilité est conditionnée par le respect par le titulaire des modalités

juridiques de son obtention. Ainsi l’exploitation des textes en vigueur quelle que soit l’ère

géographie et l’environnement juridique africain considéré, révèle qu’un titre foncier obtenu en

marge du droit posé peut valablement faire l’objet de contestation devant les juridictions

compétentes. Il en est ainsi en cas d’obtention frauduleuse du titre foncier ou à la suite d’une erreur

de l’administration.

Sur la première hypothèse relative à l’obtention frauduleuse du titre foncier, il faut indiquer

pour les besoins de la cause qu’ici, c’est la responsabilité du demandeur ou du bénéficiaire du titre

foncier querellé qui est particulière mise en cause. C’est que le titre foncier entend qu’il est le

document de certification de la propriété immobilière fait l’objet de convoitise légitime, mais dont

la grande ruée va paradoxalement révéler des pratiques de fraudes dont les demandeurs n’hésitent

pas à faire usage pour parvenir à son obtention. Une étude empirique de cette problématique révèle

à l’expérience la prolifération dans la procédure d’acquisition du titre foncier en Afrique des

procédés frauduleux de plus en plus sophistiqués. Mais loin de revendiquer une étude exhaustive

sur cette question hautement préoccupante, il convient néanmoins d’indiquer pour la gouverne que

l’expérience africaine montre que l’ardant désir pour certaines personnes de devenir propriétaire

immobilier a fait se développer des pratiques insidieuses que l’on peut regrouper sous le terme de

fraude documentaire. Cette dernière est selon les usages un terme générique qui regroupe des

techniques insidieuses telles que : la contrefaçon, falsification, vol de document vierges afin d’être

personnalisés, documents fantaisistes ou encore usurpation d’identité. Mais pour le moins que l’on

puisse dire, la récurrence de ces manœuvres qui se greffent très souvent au processus de délivrance

du titre foncier se comprend à partir du postulat de l’impossibilité, voire de la volonté manifeste

pour certains demandeurs à contourner les exigences légales pour facilement acquérir le précieux

sésame. Pour rappel, l’acquisition du titre foncier est sujette à la production par le demandeur de

certain nombre de pièces officielles qui renseignent non seulement sur son état civil, mais

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également sur l’état du terrain dont il entend acquérir légalement la propriété. Concrètement, il

s’agira pour le demandeur de fournir à l’administration foncière des informations relatives à ses

noms et prénoms, date et lieu de naissance, filiation, profession, domicile, régime matrimonial,

nationalité, le nom sous lequel l'immeuble doit être immatriculé ; tous renseignements permettant

d’identifier l’immeuble (situation, superficie, nature de l'occupation ou de l'exploitation,

estimation de sa valeur, indication des charges qui le grèvent) ; et auxquels s’ajoutent valablement

outre le plan et le procès-verbal de bornage de l’immeuble, tous les contrats et actes publics ou

privés constitutifs des droits réels dont l’immatriculation est requise. Et on le voit bien, la

procédure d’obtention du titre foncier obéit à un formalisme juridique spécifique auquel les

prétendants au titre foncier sont astreints. Seulement, et c’est le lieu de le regretter, la plupart de

ces prétendants n’hésitent pas en effet à se livrer à une manipulation documentaire pour tromper

la vigilance de l’administration en faisant alors usage de moyens frauduleux dont l’étude révèle

des actes, comme nous l’avons indiqué plus haut, assez spécifiques. En ce sens, la contrefaçon, la

falsification, l’usurpation d’identité, la production de documents vierges volés tantôt fantaisistes

observées sur ce terrain consistent-elles respectivement en la reproduction complète d’identité ; en

la modification d’un ou plusieurs éléments sur le document original (date, mentions d’identité,

photographie, etc.) ; en l’utilisation d’un document appartenant à autrui ; en l’utilisation de

documents authentiques ayant été volés avant leur personnalisation et en enfin en l’utilisation de

documents créés de toute pièce par le faussaire. Ces pratiques se sont mêmes intensifiées ses

dernières années avec la digitalisation des processus ainsi que le révèle une étude assez récente54.

Pour en conclure, il va sans dire qu’un titre foncier obtenu dans ces conditions de fraude ne saurait

revêtir une quelconque autorité ni protection d’ailleurs, encore moins être opposable aux tiers.

Ainsi à travers la répression de la fraude documentaire, les législations foncières africaines sont-

elles anticipées sur l’éventualité que des titres fonciers aux allures authentiques puissent faire

l’objet de contestation devant les juridictions compétentes. L’expérience africaine aura en tout cas

permis de percer à jour des comportements répréhensibles dont se rendent très souvent coupables

les demandeurs de titre foncier. Ces comportements répréhensibles que l’on peut volontiers

assimiler à ce que le Code appelle dol s’entendent alors d’un « ensemble de manœuvres

frauduleuses destinées à tromper quelqu'un et notamment l’administration foncière pour l'amener

54 Cf. www.archimag.com consulté le 25/03/2021.

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à passer un acte juridique qui n’est autre que la délivrance d’un titre foncier. Par ailleurs, selon

l'article 1382 du Code civil, il peut s'agir de simples affirmations mensongères, de dissimulations,

ou de réticences. Certaines doctrines laissent même à considérer que le dol peut également

« consister en une abstention volontaire de révéler au cours de l'immatriculation, un acte portant

reconnaissance aux titres d'un droit sur la propriété ». Quoiqu’il en soit, la fraude s’accompagne

très souvent des actes de corruption dont fait montre le demandeur pour parvenir à ses fins. Et sans

nous y étendre, les actes de corruption manifestés par certains demandeurs de titre foncier

s’évaluent à l’aune de l’achat de conscience de divers acteurs y compris ceux des administratifs et

autorités traditionnelles intervenant dans le processus de délivrance du titre foncier. En tout état de

cause, les législations africaines étudiées se montrent bien sévère à l’égard de tels comportements

à en témoigne la loi gabonaise qui, ayant fixée au préalable qu’« aucun recours ne peut être exercé

sur l’immeuble à raison d’un droit réel par suite d’une immatriculation. [Réaffirme] toutefois

[que], tout intéressé peut exercer une action en responsabilité contre la personne qui aurait établi

ou fait établir un titre foncier en usant du dol, de moyens illicites ou frauduleux, sans préjudice, le

cas échéant, de l’exercice de la procédure d’inscription de faux »55.

Mais tout compte, s’il est vrai que l’on peut reprocher à certains demandeurs le fait de se livrer

à des actes de production de faux documents et de manipulation des consciences pour parvenir à

leurs fins, il est également un fait incontestable, que l’administration elle-même se trouve bien de

fois à l’origine de la remise en cause de l’autorité du titre foncier.

Sur la seconde hypothèse relative à la faute de l’administration, il sied d’observer que celle-ci

peut résulter soit d’un acte volontaire, soit acte involontaire. La faute administrative en matière

foncière fait en effet l’objet de plusieurs études et dont l’une qu’il convient de retenir est sans doute

celle de Madame NKOA NZIDJA Lidwine Ariane. Cet auteur a en effet réalisé une étude édifiante

en la matière même si, il faut le souligner, reste circonscrite au site Camerounais. Néanmoins, l’on

doit également le reconnaitre, les développements et conclusions réalisés constituent pour notre

travail un matériau édifiant pour la compréhension de la seconde hypothèse que nous entendons

développer ici. Ainsi à sa suite, en rappelant opportunément quelques éléments définitionnels

relatifs à la faute qui, selon PLANIOL est entendu d’une manière générale comme « un

55 Article 63 Loi n°3/2012 du 13 août 2012 portant ratification de l’ordonnance n°5/2012 du 13 février 2012 fixant le

régime de la propriété foncière en République gabonaise.

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manquement à une obligation préexistante » ou davantage « un acte illicite supposant la réunion

d’un élément matériel : le fait originaire ; d’un élément d’illicéité : la violation d’un devoir, et d’un

élément moral le discernement de l’auteur des faits »56, il faudrait insister sur le fait que la faute

administrative se démarque notamment de la faute civile, celle-ci prenant essentiellement sa source

dans le Code civil. Pour ce qui concerne spécifiquement la faute Administrative, il convient

nécessairement de la lier à celle commise par un agent soit dans l’exercice de ses fonctions, soit

au mépris de celles-ci : l’on distinguera alors la faute de service57 de la faute personnelle58. Mais

quoiqu’il en soit, la faute administrative peut s’échelonner à diverses étapes de la procédure de

délivrance du titre foncier et mêler ainsi plusieurs agents de l’administration. Et selon que la faute

soit réputée volontaire ou involontaire, celle-ci selon les propos de Madame NKOA NZIDJA

Lidwine Ariane va constituer l’une des causes profondes de dénégation, de contestation du titre

foncier59. Il faut dire à cet effet que la lecture des différentes législations foncières africaines et

complétée par une lecture empirique révèle que la faute administrative s’origine tantôt d’un acte

qu’on pourrait qualifier d’involontaire (l’erreur de l’agent : la représentation inexacte de la réalité

des données foncières, l’incompétence de certains agents), tantôt d’un acte volontaire posé en toute

connaissance de cause (la corruption des agents). Et particulièrement à la déviance des agents de

l’Administration, les législations en vigueur se montrent on ne plus claire. Ainsi, considérant que

l’Administration foncière joue un rôle essentiel dans le processus d’attribution du titre foncier, les

lois et règlements en vigueur dans les différents pays vont-ils par conséquent être assez regardant

sur le comportement des administratifs pour préserver l’honorabilité des Administration publique

qui, il faut le rappeler, sont investies des missions d’intérêt général. Pour s’en convaincre l’on peut

évoquer à titre d’illustration certaines dispositions spécifiques :

Au Sénégal par exemple, le législateur pose successivement que « Le Conservateur est

responsable du préjudice résultant :

1) De l’omission sur ses registres des inscriptions régulièrement requises en ses bureaux ;

56 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 4e éd. QUADRIGEǀPUF, pp.388-390. Cité par

NKOA NZIDJA Lidwine Ariane, op.cit. 57 Consacré par la décision TC 30 juillet 1873, PELLETIERS, Rec. 1er suppl. 117, concl. David D. 1873.3.5 58 TC 05 mai 1877, Rec. p.437. 59 NKOA NZIDJA Lidwine Ariane, La faute de l'Administration en matière foncière au Cameroun, Université de

Yaoundé II - Diplôme d'études approfondies en droit privé 2008. www.memoireonline. Consulté le 03/01/2021.

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2) De l’omission sur les copies, des inscriptions portées sur le titre, sauf l’hypothèque prévue à

l’article 66 ;

3) Du défaut de mention, à savoir :

a) sur les titres fonciers, des inscriptions affectant directement la propriété ;

b) dans les états et certificats d’une ou plusieurs inscriptions existantes à moins qu’il ne soit

exactement conforme aux réquisitions des parties ou que le défaut de mention ne provienne de

désignations insuffisantes qui ne pourraient lui être imputées »60 ; « Les erreurs, et les omissions

engagent la responsabilité du conservateur qui les a commises, dans la mesure préjudice qu’elles

ont pu causer aux intéressés »61 ; « Si l’omission ou l’erreur est reconnue par le tribunal ou par le

conservateur, celui-ci fait immédiatement sommation aux détenteurs des copies de titres et

certificats d’inscription d’avoir à effectuer dans un délai de trois jours, le dépôt desdits certificats

et copies. Faute de réponse dans ledit délai, la rectification est opérée sur le titre, dans les formes

indiquées à l’article 66 »62 ; « Les conservateurs de la propriété et des droits fonciers sont tenus de

se conformer, dans l’exercice de leurs fonctions, à toutes les dispositions de la présente loi, à peine

d’une amende, de 100 000 à 500 000 francs, pour la première infraction, et de destitution pour la

seconde, sans préjudice de dommages intérêts envers les parties, lesquels seront payés avant

l’amende »63.

La législation camerounaise sur cette problématique abonde dans le même sens. Ainsi,

l’article 2 (nouveau) du Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005) pose à l’alinéa (3) UE

« Toutefois, le ministre chargé des Affaires foncières peut, en cas de faute de l'administration,

résultant notamment d'une irrégularité commise au cours de la procédure d'obtention du titre

foncier, et au vu des actes authentiques produits, procéder au retrait du titre foncier irrégulièrement

délivré ». Et dans ces conditions, Les agents publics reconnus auteurs ou complices des actes

irréguliers ayant entraîné le retrait ou la constatation de nullité d'un titre foncier, sont sanctionnés

60 Art. 82 Loi n° 2011-07du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière. 61 Art. 83 Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière. 62 Art. 87 Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière. 63 Art. 88 Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière.

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conformément aux dispositions de l'article 2 de la loi n° 80/22 du 14 juillet 1980 portant répression

des atteintes à la propriété foncière et domaniale64.

La législation malienne n’en dit pas autre chose lorsqu’il pose d’une part que « Le

Conservateur est responsable du préjudice résultant :

1. de l'omission sur ces registres des inscriptions régulièrement requises en ses bureaux :

2. de l'omission sur les copies des inscriptions portées sur le titre sauf l'hypothèse prévue en

l'Article 196 ;

3. du défaut de mention, à savoir : sur les titres fonciers, des inscriptions affectant directement la

propriété ; dans les états et certificats d'une ou plusieurs inscriptions, à moins qu'il ne soit

exactement conformé aux réquisitions des parties ou que le défaut de mention ne provienne de

désignations insuffisantes qui ne pourraient lui être imputées »65, et d’autre part que « Les erreurs,

comme les omissions, et dans les mêmes cas que celles-ci, engagent la responsabilité du

Conservateur qui les a commises, dans la mesure du préjudice qu’elles ont pu causer aux

intéressés »66.

La jurisprudence tunisienne va plus loin, en assimilant la faute lourde au dol67.

On peut dans tous les cas lire dans les différentes législations foncières africaines de telles

dispositions dont la similarité confirme, s’il était encore besoin de le dire, une certaine régularité

qui autorise à envisager une harmonisation du droit foncier en Afrique. Et bien assez

incontestablement, la thèse du droit public africain se trouve-t-il renforcé. En définitive, la fraude,

la corruption et la faute de l’Administration donnent inéluctablement lieu à la contestation du titre

foncier. Cette contestation consistera alors en une action en revendication par lequel une personne

envisage d’obtenir la restitution d’un terrain dont elle se prétend propriétaire. Son exercice suppose

64 Article Art. 2. Al. 8 Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005 fixant les conditions d’obtention du titre foncier. 65 ARTICLE 213 de l’Ordonnance N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 66 ARTICLE 214 de l’Ordonnance N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 67 Voir en ce sens MPESSA A., op.cit., pp.631-632.

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donc qu’un tiers ait pris possession d’un bien dont le demandeur à l’action insinue avoir la

propriété68.

Par ailleurs, un titre foncier obtenu sur le domaine public ou privé d’une collectivité

publique fait-il également l’objet de contestation.

2- La contestabilité du titre foncier obtenu sur le domaine public ou privé d’une

collectivité publique

On ne le dira sans doute jamais assez, l’obtention du titre foncier est sujette à la satisfaction

par le demandeur d’un certain nombre de conditions tenant à la production par celui-ci de pièces

qui renseignent sur son état civil et la situation de l’immeuble ou du terrain dont il sollicite la

propriété. De même, l’Administration foncière est-elle tenue de respecter la procédure de

délivrance du titre foncier telle que prescrite par les lois et règlements en vigueur. Et ce n’est qu’à

ce titre que le document de certification de la propriété immobilière sera chargé de toute l’autorité

nécessairement pour sa protection. Il existe alors de ce point de vue un ensemble de prescriptions

textuelles sans l’observation de laquelle le titre foncier devient contestable ou attaquable. Ainsi

au-delà des hypothèses de fraude et de faute régulièrement mentionnées dans les législations

foncières africaines, y figurent également celles relatives notamment à la délivrance arbitraire de

titres fonciers sans suivi d'une quelconque procédure, ou obtenu par une procédure autre que celle

prévue à cet effet ; à la délivrance de plusieurs titres fonciers sur un même terrain, et auxquels il

est par ailleurs convenu de retenir la nullité d’ordre public des titres fonciers établis en totalité ou

en partie sur une dépendance du domaine public ou établis en partie ou en totalité sur une parcelle

du domaine privé de l'État, d'une collectivité publique ou d'un organisme public, en violation de la

réglementation69. Seules les deux dernières hypothèses seront retenues dans le cadre de cette partie

puisque, d’une part, l’hypothèse de la fraude et de la faute ont déjà fait l’objet de développement,

et, d’autre part, l’hypothèse de la délivrance arbitraire et de la pluralité des titres fonciers sur un

même terrain peuvent valablement être rattachée à une faute tantôt volontaire tantôt involontaire

mais qui, de toute évidence, n’exclut pas la contestabilité des titres fonciers obtenus dans de telles

68 SEIGNALET Gabriel, « La protection du droit de propriété et l’action en revendication », [En ligne] sur

https://www.conseil-droitcivil.com/article-droit-civil-1062-La-protection-du-droit-de-propriété-et-l-action-en-

revendication.html, consulté le 23/08/2020. 69 Au Cameroun par exemple voir Art. 2 al. 6 du Décret n° 76-165 du 27 avril 1976 Fixant les conditions d’obtention

du titre foncier, modifié et complété par le N° 2005/481 du 16 décembre 2005.

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conditions70. L’hypothèse de l’obtention d’un titre foncier sur le domaine public ou privé d’une

collectivité publique constitue alors notre champ expérimental dans cette partie.

Relativement à l’hypothèse d’alors retenue notamment sur la proscription de délivrance de

titres fonciers sur le domaine public ou privé d’une collectivité publique, il convient d’indiquer

pour la gouverne que pour un État, le domaine national englobe généralement l'espace aérien, le

sol et le sous-sol du territoire national et comprend à cet effet :

a) les domaines public et privé de l’État central ;

b) les domaines public et privé des collectivités territoriales ou locales (souvent qualifiée de

décentralisées) ;

c) le patrimoine foncier des autres personnes de droit public à l’instar des établissements

publics et parapublics.

Pour faire simple, le domaine public et privé de l’État est respectivement composé de tous les

immeubles et meubles déterminés comme tels par la loi ou ayant fait l'objet d'une procédure

spéciale de classement ; des immeubles immatriculés et droits immobiliers détenus par l'État, de

tous les immeubles non immatriculés, des biens meubles détenus par l'État. En ce qui les concerne,

le domaine des collectivités locales ou territoriales est composé de tous les immeubles et meubles

déterminés comme tels par la loi ou ayant fait l'objet d'une procédure spéciale de classement ; le

domaine privé composé de tous les meubles, les immeubles et droits immobiliers détenus par

celles-ci. Le patrimoine foncier des établissements publics et parapublics comprend tous les

immeubles détenus par celles-ci en vertu d'un titre foncier transféré à leur nom à la suite de la

conversion d'un droit de concession en titre de propriété immatriculée, d'une cession ou de tout

autre mode de transfert d'un titre foncier. Il va alors sans dire que si une parcelle de terrain relevant

70 Il faut néanmoins préciser qu’au Cameroun, l’on est en voie d’aboutir à une certaine révision de la législation

foncière relativement au cas particulier de l’hypothèse de la nullité d’ordre public du titre foncier délivré plusieurs

fois sur un même terrain. Cameroon tribune rapporte en effet qu’une équipe a été mise en place par le Ministre des

Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières ayant pour mission de rectifier certaines dispositions du décret de

2005, modifiant et complétant celui de 1976. Et selon ce qui ressorti de ce projet de texte, l’annulation d’un titre

foncier ne sera bientôt plus aussi automatique qu’avant. C’est en effet dans le souci du Ministre Henri Eyebe Ayissi,

insiste le Quotidien gouvernementale de ce pays, d’éviter des interminables litiges fonciers qu’il a été mis en place le

2 mars 2021 une équipe chargée d’élaborer un projet de décret modifiant et complétant certaines dispositions du décret

n° 76-165 du 27 avril 1976 Fixant les conditions d’obtention du titre foncier. Cf. http://www.cameroon-tribune.cm,

consulté le 05/11/2021.

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du patrimoine foncier d’une personne publique n’a pas fait l’objet de déclassement et de

désaffectation préalable. Pour être clair, alors que la désaffectation fait cesser l’utilisation du bien

appartenant à l’État, à des collectivités locales et à des établissements publics ou d’autres

personnes publiques, le déclassement fait sortir le bien du domaine public. Et ce n’est qu’à ce titre

que l’on pourra désormais envisager, selon les cas, une immatriculation à des fins d’utilisation

privée. A contrario, solliciter et obtenir un titre foncier sur une dépense du domaine public ou privé

d’une personne publique revient à s’emparer illégalement d’un bien public, d’où l’idée même de

nullité d’ordre public d’un tel titre. Au surplus, les détenteurs de titres fonciers sur les dépendances

du domaine public, aussi longtemps qu’ils auront indument occupés ces dépendances, en

restitueront lesdites dépendances chaque fois que la personne publique concernée le sollicitera.

Ceci obéit en effet à la formule de Antoine LOISEL selon laquelle « qui mange l’oie du roi, cent

ans après il en rend la plume », comme pour signifier que « si vous vous appropriez les terres de

État, vous devrez les lui rendre un jour ». La maxime du juriste français de l’Ancien Régime

d’alors retenu dans les pratiques juridiques contemporaines fait ainsi référence au caractère

insaisissable et plus loin, imprescriptible du domaine public puisqu’en dernière analyse, les

particuliers ne peuvent valablement invoquer la prescription acquisition de ce domaine au

détriment de la personne publique.

Toutes ces récriminations ont alors la fâcheuse conséquence de fragiliser la force probante du

titre foncier71 et de le rendre vulnérable à la contestation.

B- Une relativité dévoilant la vulnérabilité du titre foncier obtenu irrégulièrement

L’obtention du titre foncier quelle que soit la législation africaine considérée obéit à un

formalisme juridique dont le respect non seulement par le demandeur, mais aussi par

l’Administration foncière confère au document demandé et délivré une force probante à l’égard de

tous. Le respect des formalités juridiques alors attachées à la procédure de délivrance du titre

foncier conditionne pour ainsi dire l’autorité dudit titre et la protection conséquemment déployée.

On peut le dire autrement, la demande d’obtention du titre foncier autant que l’acte administratif

portant délivrance dudit titre sont, pour le moins qu’on puisse dire, des actes formels à la

71 NKOA NZIDJA Lidwine Ariane, La faute de l'Administration en matière foncière au Cameroun, Université de

Yaoundé II - Diplôme d'études approfondies en droit privé 2008. www.memoireonline. Consulté le 03/01/2021.

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manifestation de laquelle ce document acquiert validité et confirme alors le point de départ de la

jouissance par le demandeur d’un certain nombre de droits réels regroupés au sein du tritype usus-

fructus-abusus. Mais a contrario, la délivrance et l’obtention d’un titre foncier en marge des

prescriptions légales et réglementaires en vigueur en plus de dévoyer l’autorité d’un tel document

(1), le rend vulnérable à la contestation juridictionnelle puisque son titulaire ne peut valablement

revendiquer une quelconque protection (2).

1- Une autorité perdue

L’une des constances qui se dégage clairement des législations foncières africaines est que,

l’obtention du titre foncier est sujette à l’observation d’un formalisme qui s’impose aussi bien au

demandeur qu’à l’Administration. Ainsi, autant le demandeur de titre foncier doit satisfaire sans

exclusive les formalités tenant notamment à la production d’un certain nombre de pièces qui

renseignent non seulement sur son état civil, mais aussi sur la situation du terrain dont il sollicite

la propriété, non sans avoir recouru, selon les cas à une immatriculation préalable ; autant,

également, l’Administration foncière en charge de la délivrance des titres fonciers doit-elle

observer scrupuleusement l’ensemble des étapes prescrites à cet effet. Il va alors sans dire que ce

n’est qu’à ce prix qu’un titre foncier pourra être investi d’une certaine autorité juridique qui

justifiera finalement la protection conséquemment déployée.

L’autorité juridique ainsi attachée au titre foncier révèle à l’égard de tous une force probante

qui confirme la dimension sacramentelle de ce document dont l’importance est constamment

affirmée au regard de la dynamique du droit public africain. Pris donc sous cet angle, un titre

foncier délivré et obtenu suivant les prescriptions légales et réglementaires en vigueur sera

pleinement investi des caractères définitif, intangible et inattaquable. Telles sont en tout cas les

marques de l’autorité d’un titre foncier régulièrement obtenu par un demandeur. Seulement et on

l’aura sans doute compris, un titre foncier délivré et obtenu à la suite soit de l’usage par le

demandeur de manœuvres insidieuses ou à la manifestation d’une faute administrative, soit encore

à sa délivrance ou à son obtention sur le domaine public ou privé d’une collectivité publique, fait

inéluctablement perdre à un tel document l’autorité juridique dont il devrait normalement être

investie. Ainsi un titre foncier délivré et obtenu en marge des prescriptions légales perd-t-il toute

autorité et valeur juridique de telle sorte qu’il ne puisse être opposable aux tiers. Un tel titre délivré

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et obtenu en fraude à la législation n’est donc investi d’aucune force probante qu’il soit tel qu’il se

dégage avec constance des textes nationaux en vigueur.

Et de cause à effet, le titre foncier entaché d’irrégularités donne-t-il lieu à contestation devant

les juridictions compétentes puisqu’indéniablement la perte d’autorité désactive le protocole de

protection existant.

2- Une protection désactivée

Le titre foncier revêt pour des raisons de sécurité juridique des caractères qui, lorsqu’il a été

régulièrement obtenu, protège celui-ci des éventuelles contestations. La règle dite de

l’inattaquabilité permet ainsi de stabiliser et d’assurer la pérennité du titre foncier, document

officiel de certification de la propriété immobilière. Il existe alors en ce sens et quelle que soit la

législation africaine considérée, un protocole juridique qui protège le titre foncier face aux actions

tendant à son annulation. Ce protocole de sécurisation juridique du titre foncier constitue pour ainsi

dire un écran qui empêche de le remettre directement en cause. D’où même l’idée

d’incontestabilité immédiate déduite de la règle dite de l’inattaquabilité du titre foncier. Mais

comme nous l’avons déjà signifié à l’introduction de notre seconde partie, la mobilisation du droit

public africain en faveur de l’inattaquabilité du titre foncier doit nécessairement être relativisée

pour des raisons tenant à l’ordre public et aux bonnes mœurs. La fraude des bénéficiaires, la faute

de l’Administration et la délivrance d’un titre foncier sur une parcelle du domaine public ou privé

d’une collectivité publique sont autant d’arguments sur lesquels les législations foncières

africaines s’appuient pour tourner le dos à des documents délivrés et obtenus dans de telles

conditions. Il va alors sans dire qu’un titre foncier délivré et obtenu en fraude à la législation en

vigueur ne saurait revêtir une quelconque autorité, pas plus qu’il ne pourra être protégé. L’autorité

juridique étant ainsi perdue, la protection qui y était attachée est-elle automatiquement désactivée.

En ce sens, ni le caractère intangible, ni le caractère définitif encore moins celui de

l’inattaquabilité ne pourront être retenus devant le juge saisit. Il est dons de notoriété publique

qu’un titre foncier délivré et obtenu au mépris des lois et règlements en vigueur peut valablement

faire l’objet de contestabilité immédiate comme l’atteste constamment la jurisprudence. Le

législateur Sénégalais n’en sous-entend pas d’ailleurs autre chose lorsqu’il pose avec une certaine

insistance d’une part que l’immatriculation d’un immeuble au Livre Foncier est précédée d’une

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vaste publicité et exige l’observation des formalités multiples et minutieuses destinées à

sauvegarder les droits des tiers72 et, d’autre part que les droits réels énumérés à l’article 19

n’existent, ne se conservent et ne produisent effet à l’égard des tiers qu’autant qu’ils ont été rendus

publics dans les conditions, formes et limites fixées par la présente loi, sans préjudice des droits et

actions réciproques des parties pour l’exécution de leurs conventions73.

Pour une autre illustration de jurisprudence, voir par exemple la décision de la Chambre

administrative de la Cour Suprême en son jugement n°61///96-97 du 27/03/1997 affaire Sté

Africaine commerciale de Diffusion (AFCODI) contre État du Cameroun. Le juge administratif a

en effet dit pour droit vu la requête contentieuse de la Société Africaine Commerciale de Diffusion

en date du 27 Juillet 1992 et des pièces versées au dossier et après avoir entendu à la lecture du

rapport de Monsieur ATANGANA Clément, Président par intérim de la Chambre Administrative

de la Cour Suprême, déclare le recours de l’AFCODI recevable en la forme et que, parce que

fondé, le titre foncier n°2895/Wouri du 24 Septembre 1960 établi au profit du sieur Pierre

HERNANDES est annulé. On peut également en dire autant du jugement N°24/2001-2002 de la

même instance du 28 février 2002 affaire EMAH Basile & Autres contre État du Cameroun

(MINUH)74. Les recours contentieux ainsi formulés sont régis au Cameroun par l'article 7 de la loi

n° 75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour suprême statuant en matière

administrative en ces termes : sous peine de forclusion, les recours contre les décisions

administratives doivent être introduits dans un délai de 60 jours à compter de la décision de rejet

de recours gracieux visé à l'article 12 de l’ordonnance n°72/6 du 26 août 1972. Mais quoiqu’il en

soit, la jurisprudence foncière du Cameroun est pour le moins qu’on puisse dire, assez abondante

sur les cas d’annulation des titres fonciers irrégulièrement obtenu par certains bénéficiaires pour

les causes qui ont été mentionnées plus haut. Et le fait incontestable qui apparait est qu’à l’insu du

droit posé, le titre foncier perd toute autorité et toute mesure de protection normalement mobilisée

à cet effet. Il est donc dans l’intérêt des demandeurs de titre foncier de se conformer à la législation

en vigueur pour voir leur document bénéficier des mesures de protection expressément prévues à

en témoigne par exemple la décision de rejet au Fond du pourvoi à la requête de Maître

72 Voir les modifications de fond apportée à la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété

foncière. 73 Article 20 Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière. 74 Cf. www.camimo.com/revjurisarch1.htm, consulté le 03/11/2021.

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HOUNNAKE, substituant Maître KOFFIGOH, Conseil du demandeur au pourvoi de la Chambre

judiciaire de la Cour Suprême du Togo et de condamnation par conséquent du demandeur aux

dépens75.

Conclusion

Notre préoccupation, il faut le rappeler, tendait à illustrer la perception juridique de

l’emblématique règle de l’inattaquabilité du titre foncier au regard de la dynamique du droit public

africain.

Cette règle dont la tendance législative africaine semble accorder une attention particulière,

s’inscrit en effet dans le sillage de la sécurisation de la propriété immobilière. Et partant du fait

que la terre en Afrique demeure la principale, sinon l’une des principales richesses dont disposent

les populations pour améliorer leurs conditions de vie en l’absence d’un tissue économique et

industriel viable76, toutes les institutions juridiques portent-elles, en conséquence, la marque de

l’attachement des noirs à la terre77. À cet effet, il apparait judicieux pour les pouvoirs publics de

proposer un protocole juridique de sécurisation de la propriété foncier surtout dans une Afrique

dit-on en pleine essor. Il faut en tout cas reconnaitre que l’identification d’un terrain à son

propriétaire par de-là l’institution du titre foncier tombe à point nommé dans cette Afrique où il

est de plus en plus certain que la terre apparait désormais comme un véritable levier de

développement78. On observe à cet égard une grande ruée vers le titre foncier emportant dans ses

flancs, pour le regretter, de pratiques insidieuses tendant à contourner les lois et règlements

destinés à encadrer son obtention. C’est que l’obtention du titre foncier qu’elle que soit la

législation considérée obéit à un protocole de règles qui, à leur étude, laissent clairement entrevoir

75 Il s’agit d’un litige foncier qui tendait à la revendication d’un droit de propriété dont se prévalait le sieur Colley

Kloté Kouassi Félicien, demandeur à l’issue d’une immatriculation soutenait-il irrégulière. Voir Chambre judiciaire

de la Cour Suprême du Togo, Arrêt N°34/2005 du 17 Novembre 2005 (www.juricaf.org, consulté le 4 novembre

2021). 76 Robinson TCHAPMEGNI, « La réforme de la propriété foncière au Cameroun », communication présentée au cours

du Géo congrès 2007 tenu à Québec du 03 au 05 octobre 2007 ; disponible sur le site web www.quebec2007.ca, p.20.

Cité par NKOA NZIDJA Lidwine Ariane, op.cit. 77 Guy Adjeté KOUASSIGAN, L’homme et la terre, éd. Berger-Levrault, 1966, p.8. Cité par NKOA NZIDJA Lidwine

Ariane, op.cit. 78 Paul Mathieu, « La sécurisation foncière, entre compromis et conflit », Cahiers Africains, n°23-24, Paris,

L’Harmattan, 1996, p.28.

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la manifestation d’une procédure qui se veut essentiellement administrative ; procédure qui donne

alors au titre foncier d’être un acte administratif unilatéral79, mais dont le contentieux va cependant

révéler en fonction de l’espèce l’application des règles tantôt de droit privé, tantôt des règles de

droit public avec l’intervention tantôt du juge judiciaire, tantôt du juge administratif selon les cas.

Mais quoiqu’il en soit, le titre foncier connait une certaine prépondérance des règles de droit

public ; prépondérance à laquelle il convient de souligner certaines régularités observées et

contenues dans les différentes législations foncières africaines qui légitime alors notre objet

d’étude.

Ainsi, au regard de la dynamique du droit public africain, il est constant que le titre foncier

entend qu’il est le document de certification de la propriété immobilière, est par conséquent investi

d’une autorité juridique probante et soutenu par un module de protection mobilisée autour de la

règle dite de l’inattaquabilité. C’est du moins ce qui en ressort de la première partie de cette

contribution. Ainsi la grande tendance du droit public africain penche-t-elle pour la théorie « du

principe d'incontestabilité différée du titre du titre foncier80. Seulement, cette mobilisation du droit

posé en faveur de l’inattaquabilité du titre foncier n’est valable sur le principe qu’à la condition

que ledit titre ait été obtenu conformément à la législation en vigueur. A contrario, un titre foncier

délivré et obtenu en marge des prescriptions légales ne saurait revendiquer une quelconque autorité

et attendre une quelconque protection. Il se forme en tout cas une certaine unanimité juridique dans

la possibilité de la contestation d’un titre foncier obtenu au mépris des lois et règlements en

vigueur. Et s’il était encore besoin de le dire, l’inattaquabilité du titre foncier est, en droit public

africain, d’une portée relative qui en dernière hypothèse se justifie pour des raisons tenant à l’ordre

public et aux bonnes mœurs.

79 MPESSA A., op.cit., p.634. 80 F. BROCHU, id., p. 647 et 648. Cité par MPESSA A., op.cit., p.634.

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La protection de l’autonomie financière des collectivités territoriales

décentralisées au Cameroun

Par :

Guy Rostand SAPMADZOCK TCHOFFO

Doctorant en droit public

Université de Douala (Cameroun)

Résumé :

L’autonomie financière en tant que liberté locale, permet aux collectivités territoriales de

disposer des ressources financières suffisantes et de les gérer librement dans l’optique de couvrir

leurs charges. Cette liberté locale est reconnue aux CTD par la loi fondamentale et ses

déclinaisons sont opérées par les lois et règlements de la République. Il s’est agi pour l’étude de

se demander si la consécration de l’autonomie financière des CTD par la législation camerounaise

est assortie des mesures de sauvegarde suffisantes en vue de juguler toutes atteintes aux finances

locales. A cette préoccupation, l’on a émis l’hypothèse d’une faible préservation de l’autonomie

financière locale au Cameroun. Cette hypothèse se vérifie d’une part, par une prise en compte

insuffisante de la dimension protectrice dans la formulation de l’autonomie financière des

collectivités territoriales ; et d’autre part, par un aménagement limité des garanties de

l’autonomie financière locale.

Mots clés : protection, autonomie financière, collectivités territoriales décentralisées

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Introduction

La loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des collectivités territoriales

décentralisées (CGCTD) a opéré une évolution substantielle en matière de financement de la

décentralisation au Cameroun. En effet, depuis l’avènement de cette loi, la fraction des recettes de

l’Etat affectée à la Dotation Générale de la Décentralisation (DGD) est fixée à un taux supérieur

ou égal à 15%. Le CGCTD indique également que c’est la loi de finances qui fixe chaque année,

la fraction des recettes de l’Etat affectée à la DGD1. Pourtant, la loi n°2020/018 du 17 décembre

2020 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2021 est restée muette

par rapport aux prévisions relatives à la Dotation Générale de la Décentralisation. Aussi, le

ministre des finances M. Louis Paul MOTAZE, dans son discours de lancement de l’exécution du

budget de l’Etat, au titre de l’exercice 2021 dans la région du Sud a précisé que « (…) le montant

des ressources mises à la disposition des collectivités territoriales décentralisées en 2021 et dont

elles-mêmes assureront la gestion, s’élèvent à 232,1 milliards. Ce montant représente une fraction

de 7,2% des recettes de l’Etat, (…) soit donc en deçà du seuil de 482,6 milliards requis pour

respecter la fraction légale de 15% fixé par le Code de la décentralisation »2. De même, dans sa

Circulaire n°001 du 30 août 2021 relative à la préparation du budget de l’Etat pour l’exercice 2022,

le Président de la République relève qu’ « un effort devra être fait pour accroître le niveau des

ressources mobilisées au profit des CTD, conformément aux dispositions de la loi portant Code

général des collectivités décentralisées et des textes d’application y afférents »3. Ces quelques

morceaux choisis relancent alors le débat autour de l’autonomie financière des collectivités

territoriales au Cameroun, mais davantage sous l’angle de sa protection. D’où l’idée d’une étude

sur la protection de l’autonomie financière des collectivités territoriales au Cameroun. Mais pour

aller plus loin, conviendrait-il de faire une exploration préalable des termes qui constituent

l’ossature de ce sujet.

1 Art. 25 du CGCTD. 2 Voir le discours de lancement du budget au titre de l’exercice 2021 dans la région du Sud, sur http :

www.minfi.gov.cm, consulté le 26 septembre 2021 à 11h59. 3 Voir point 61 de la Circulaire n°001 du 30 août 2021 relative à la préparation du budget de l’Etat pour l’exercice

2022.

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Concept fondamental en matière de décentralisation4, l’appréhension de l’autonomie

financière ne fait pas l’unanimité au sein de la doctrine juridique. C’est dans ce sens que le

Professeur Robert HERTZOG fait observer que « si l’autonomie financière constitue un objectif

politique faisant consensus, elle devient insaisissable et pétrie de contradictions dès qu’on veut

l’enfermer dans une définition juridique apte à produire des effets normatifs »5. Pour Vincent

DUSSART, l’autonomie financière « se mesure plus qu’elle ne se définit »6. Cette versatilité de

l’autonomie financière est aussi exprimée par Pierre LALUMIERE pour qui « l’autonomie

financière reste une notion mal définie (…) »7. A l’évidence, l’autonomie financière est une notion

complexe et difficile à cerner. Elle est une notion multidimensionnelle et protéiforme8. Aussi,

l’autonomie financière n’est pas une notion statique ; car elle est appelée à évoluer, soit vers

davantage de décentralisation financière, soit au contraire vers une recentralisation des finances

locales9. Selon André ROUX, « (…) L’autonomie financière revêt une double dimension. En

premier lieu, c’est la reconnaissance d’une capacité juridique de décision qui, en matière de

recettes, implique un véritable pouvoir fiscal, le pouvoir de créer et de lever l’impôt et, qui en

matière de dépenses implique la liberté de décider d’affecter les ressources à telle ou telle dépense.

En second lieu, c’est la possibilité pour les collectivités régionales ou locales d’assurer le

financement de leurs dépenses par des ressources propres en volume suffisant »10. Cette définition

aussi pertinente soit-elle, pèche par l’évocation de la notion de pouvoir fiscal local. Car les

collectivités territoriales décentralisées ne disposent pas d’un réel pouvoir fiscal11 mais plutôt des

4 Lire en ce sens OLIVA (E.), « La conception de l’autonomie financière locale. Quel contenu ? Quelle effectivité ? »,

In Gestion et finances publiques, n°2, 2017/2, p. 13. Pour cet auteur, « l’autonomie financière est d’abord au centre

de la décentralisation dont elle permet la réalisation ». 5 HERTZOG (R.), « L’ambiguë constitutionnalisation des finances locales », Actualité juridique, Droit administratif,

mars 2003, p. 548. 6 DUSSART (V.), L’autonomie des pouvoirs publics constitutionnels, Préface Michel LASCOMBE, Paris, CNRS,

2000, p. 13. 7 LALUMIERE (P.), Finances publiques, Paris, Armand Colin, 7e éd., 1983, p. 153. 8 Lire en ce sens OLIVA (E.), « La conception de l’autonomie financière locale. Quel contenu ? Quelle effectivité ? »,

op. cit. p. 14. 9 Sur la recentralisation des finances locales au Cameroun, lire utilement MONEMBOU (C.), « Les paradoxes de la

décentralisation camerounaises : de la décentralisation à la recentralisation », Revue africaine de droit et de science

politique, Vol. I, n°1, jan.- Juin 2013, pp. 161-180. 10 ROUX (A.), « L’autonomie financière des collectivités locales en Europe », Rapport introductif, Annuaire

internationale de justice constitutionnelle, 2006, p. 499. 11 Lire en sens AYRAULT (L.), « L’autonomie fiscale des collectivités territoriales en question : réflexions sur sa

remise en cause », Gestion et finances publiques, n°2, 2017/2, pp. 25-30.

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compétences en matière fiscale12. L’autonomie financière désigne suivant les mots de Vincent

DUSSART « la situation d’une collectivité locale disposant d’un pouvoir propre de décision et de

gestion de ses recettes et des dépenses, regroupées en un budget, nécessaire pour l’exercice de ses

compétences »13. Au total, l’autonomie financière des collectivités territoriales peut être

appréhendée comme un principe constitutionnel suivant lequel, les CTD dans le cadre de l’exercice

de leurs compétences, disposent des ressources propres ou extérieures en quantité suffisante, dont

elles peuvent décider librement de leur affectation dans le respect des sujétions imposées par les

lois et règlements de la République.

Quant à la notion de protection, elle désigne la précaution qui, répondant au besoin de celui ou

de ce qu’elle couvre et correspondant en général à un devoir pour celui qui l’assure, consiste à

prémunir une personne ou un bien contre un risque, à garantir sa sécurité, son intégrité, etc. par

des mesures juridiques ou matérielles. Elle désigne aussi bien l’action de protéger que le système

de protection établi14. Il s’agit alors de l’ensemble des mesures prises pour sauvegarder

l’autonomie financière locale. Car l’autonomie financière en tant condition de réalisation de toute

décentralisation effective mérite d’être préservée des atteintes de toute nature. Sous ce rapport, on

pourrait légitimement se demander contre qui devrait-on protéger l’autonomie financière des

CTD ? A cet égard, en tant que liberté concédée aux entités locales, l’autonomie financière mérite

d’être préservée vis-à-vis de l’Etat central. Car dans la dynamique des rapports financiers entre le

centre et la périphérie, l’Etat est toujours enclin à « recentraliser » les finances locales. Cette

recentralisation des finances locales est plus prégnante lorsque le centre fait face à des tensions de

trésorerie. D’un autre côté, l’autonomie financière est conférée aux CTD parce qu’elles ont des

missions d’intérêt général à réaliser. Les finances locales ont alors pour but ultime

l’accomplissement des services sociaux de base au plan local, lesquels services concourent à la

réalisation des droits fondamentaux des citoyens. Ainsi, dans son rapport avec les droits et libertés

fondamentaux, l’autonomie financière mérite d’être protégée contre les autorités locales elles-

mêmes. Car les finances publiques locales sont la condition intrinsèque de l’existence des droits-

12 Ainsi en a décidé le Conseil constitutionnel français dans sa Décision n°2009-599 DC du 29 déc. 2009, Loi de

finances pour 2010, consid. 64. 13 DUSSART (V.), L’autonomie des pouvoirs publics constitutionnels, op. cit. pp. 12-13. 14 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Paris, Presses Universitaires de France, 11e édition, 2016, p. 823.

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créances15 dont la jouissance nécessite une intervention de la collectivité publique16. Ainsi,

l’autonomie financière concédée aux CTD a pour dessein, la réalisation des objectifs à elles

assignés par les lois et règlements de la République17. Sous ce rapport, il est à relever que les

ressources financières locales ne constituent pas la propriété des autorités locales ; elles constituent

le moyen d’accomplissement des missions d’intérêt local dont le bénéficiaire ultime est le citoyen-

contribuable. En tant que deniers publics, les finances locales devront être utilisées à bon escient,

et dans l’optique de promouvoir le bien-être collectif.

Des lors, la majorité des Etats africains d’expression française qui ont souscrits à la

décentralisation ont formellement consacrés le principe de l’autonomie financière des CTD. Le

Cameroun ne fait pas exception, car ce principe figure même désormais dans la Constitution18. La

question centrale à laquelle répond cette étude est la suivante : la consécration du principe de

l’autonomie financière au Cameroun est-elle assortie des précautions suffisantes pour permettre

une sécurité financière des collectivités locales ? Cette préoccupation est d’autant plus

fondamentale que « sans autonomie financière, la décentralisation n’est que mirage »19. De toute

évidence, l’on a émis l’hypothèse d’une faible préservation de l’autonomie financière locale au

Cameroun. L’autonomie financière est entamée par l’inadéquation et les dysfonctionnements du

système couplés aux mentalités des gestionnaires publics locaux, peu enclines à la res communis.

A cet égard, sur un plan purement théorique, l’enjeu réside dans l’approfondissement de l’étude

et la compréhension des relations financières entre l’Etat et les entités infra étatiques. Car les Etats

africains ayant souscrit à la décentralisation sont confrontés à la nécessité d’améliorer l’efficience

de la répartition et de la gestion des ressources dans le secteur public. Sur le plan pratique, cette

étude permet de mettre en exergue l’ensemble des goulots d’étranglement qui hypothèquent encore

15 Les droits-créances sont des prérogatives que l’individu peut faire valoir auprès des pouvoirs publics. Les droits-

créances relèvent de la catégorie des droits de deuxième génération. Lire en ce sens RANGEON (F.), « Droits-libertés

et droits créances : les contradictions du préambule de la Constitution de 1946 », disponible sur https : //www.u-

picardie.fr, consulté le 17 octobre 2021, à 9h15. 16 BLONDIO-MONDOLONI (V.), Finances publiques et droits fondamentaux. Essai sur les relations entre les

finances publiques et les droits fondamentaux, Thèse pour le doctorat de Droit Public, Université d’AIX-Marseille,

2014, p. 221. 17 Art. 17 du CGCTD, « l’Etat transfère aux collectivités territoriales les compétences nécessaires à leur

développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif ». 18 Art. 55 al. 2 de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996. 19 HOLO (T.), « La décentralisation au Benin : mythe ou réalité ? », Revue béninoise des sciences juridiques et

administratives, n°7, décembre 1986, p. 1.

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la gouvernance financière locale au Cameroun. Il s’agit alors de montrer à l’aune de la nouvelle

gouvernance financière, comment les autorités mobilisent les ressources publiques au service de

la satisfaction des besoins vitaux des populations à la base.

Ainsi, suivant une analyse encadrée par le positivisme normativiste et sociologique d’une part,

et la méthode comparative d’autre part, l’on note une prise en compte insuffisante de la dimension

protectrice dans la conception de l’autonomie financière (I). Aussi, en tant que liberté locale,

l’autonomie financière reste vulnérable quant à sa mise en œuvre. On assiste alors à un

aménagement approximatif des garanties inhérentes à l’autonomie financière des collectivités

locales camerounaises (II).

I- Une prise en compte insuffisante de la dimension protectrice dans la formulation de

l’autonomie financière des collectivités territoriales

L’adhésion à la logique décentralisatrice se traduit par l’aménagement des principes

décentralisateurs par l’ordre juridique camerounais. Suivant une lecture kelsenienne de cet ordre

juridique, on note une consécration aléatoire de l’autonomie financière des CTD (A) et une

détermination ambiguë des modalités de mise à disposition et de gestion des ressources locales

(B).

A- Une consécration aléatoire de l’autonomie financière des collectivités territoriales

camerounaises

L’autonomie financière est l’aspect fondamental de la décentralisation. Elle se présente comme

la condition de réalisation d’une décentralisation effective20. En tant que liberté locale, l’autonomie

financière mérite d’être garantie de par le support normatif qui l’insère dans la pyramide des

normes et au regard des conditions et possibilités de sa mise en œuvre. Dans le paysage juridique

camerounais, on assiste à une constitutionnalisation limitée de l’autonomie financière (1). La

primauté a été plutôt donnée au législateur dans la structuration et l’organisation de l’autonomie

financière des CTD (2).

20 BEGNI BAGAGNA, « Le principe de libre administration des collectivités territoriales au Cameroun », in SOLON,

Revue africaine de parlementarisme et de démocratie, Vol. III, n°7, août 2013, p. 100.

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1- Une constitutionnalisation limitée de l’autonomie financière

En faisant le choix de faire du Cameroun un Etat unitaire décentralisé21, le constituant de 1996

a procédé à la déclinaison des principes fondateurs de la décentralisation dans le texte

constitutionnel. « Par cette démarche du constituant, la décentralisation et les collectivités

territoriales prennent place dans la Constitution politique de l’Etat »22. En effet, la

constitutionnalisation23 de la décentralisation au Cameroun a eu comme corollaire la

constitutionnalisation du principe de l’autonomie financière. L’article 55 (2) de la Constitution

dispose que « Les collectivités territoriales décentralisées (…) jouissent de l’autonomie

administrative et financière pour la gestion des intérêts régionaux et locaux ».

Seulement, le constituant n’a pas pris le soin de décliner les dimensions de l’autonomie

financière des CTD, encore moins de lui donner une consistance intelligible. La Constitution a

plutôt renvoyé au législateur la compétence pour la détermination des ressources financières

locales24. Ce faisant, le constituant camerounais se démarque alors négativement de certains de ses

homologues africains qui sont plus expressifs dans la consécration de l’autonomie financière des

CTD.

En effet, à la lecture de la Constitution de la République de Cote d’Ivoire, il ressort que « les

collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les

conditions fixées par la loi. Elles peuvent recevoir tout ou partie des produits des impositions de

toute nature. Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales

représentent une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources »25. La même Constitution

indique que « tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales

s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur

21 Art. 1 al. 2 de la Constitution du Cameroun. « La République du Cameroun est un Etat unitaire décentralisé ». 22 WANDJI K. (J. F.), « La décentralisation du pouvoir au Cameroun, entre rupture et continuité. Réflexion sur les

réformes engagées entre 1996 et 2009 », in JANUS, Revue camerounaise de droit et de science politique, 5e années,

n°3, déc., 2010, p. 117. 23 Sur la constitutionnalisation de la décentralisation, lire GUIMDO (B.- R.), « Les bases constitutionnelles de la

décentralisation au Cameroun (Contribution à l’étude de l’émergence d’un droit constitutionnel des collectivités

territoriales décentralisées), in Revue générale de droit, n°29, 1998, pp. 79-100 ; voir aussi WANDJI K. (J. F.), « La

décentralisation du pouvoir au Cameroun, entre rupture et continuité. Réflexion sur les réformes engagées entre 1996

et 2009 », op. cit., pp. 116 et s. 24 Art. 26 al. 2-c-3; art. 56 al. 2 de la Constitution du Cameroun. 25 Art. 173 de la Constitution de la République de Côte d’Ivoire du 08 novembre 2016.

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exercice »26. De même, dans la Constitution de la République du Congo du 06 novembre 2015, il

est indiqué que dans le cadre de l’exercice des compétences à elles assignées, « en plus de leurs

ressources propres, l’Etat alloue, chaque année, aux collectivités locales une contribution de

développement. Toute imputation des dépenses de souveraineté de l’Etat sur les budgets des

collectivités décentralisées est interdite »27. Aussi, dans la Constitution de la République de

Guinée-Bissau du 16 décembre 1996, le constituant, après avoir indiqué que « l’organisation du

pouvoir politique de l’Etat comporte l’existence de collectivités locales jouissant d’une autonomie

administrative et financière »28, a décliné quelques principes essentiels de l’autonomie financière

des entités locales. Cette volonté du constituant de la République de Guinée-Bissau à déterminer

l’organisation des ressources financières locales trouve son assise dans les dispositions pertinentes

de l’article 110 de la Constitution. On peut y lire que « les collectivités locales ont un patrimoine

et des finances qui leur sont propres. Le régime des finances locales est établi par la loi et vise

une juste répartition des ressources publiques entre l’Etat et les collectivités locales et la

nécessaire correction des inégalités entre collectivités. Les recettes propres des collectivités

locales proviennent de la gestion de leurs avoirs et des sommes perçues à raison de l’utilisation

de leurs services ». Dans d’autres pays africains encore, le constituant est plus prolixe dans la

détermination et la répartition des ressources financières entre l’Etat central et les entités

périphériques. Ainsi, au Ghana, le constituant a prescrit que 5% du revenu national doit être

automatiquement transféré et distribué aux collectivités locales. Cette proportion est de 10% au

Nigeria29.

Au regard de ces clichés, tout porte à croire que le constituant camerounais a constitutionnalisé

le principe de l’autonomie financière mais de façon vague. Toute chose qui ne concourt pas à une

réelle protection constitutionnelle des ressources locales. Pourtant comme le relève pertinemment

le Professeur Eric OLIVA « l’un des défis constitutionnels du XXIe siècle sera d’assurer une

protection effective des finances publiques propre à assurer le respect effectifs des droits

fondamentaux ainsi que d’offrir des garanties soutenables aux contribuables contre l’arbitraire

26 Ibid. art. 174. 27 Art. 209 de la Constitution de la République du Congo. 28 Art. 105 al. 1 de la Constitution de la République de Guinée-Bissau. 29 KEUTCHA TCHAPNGA (C.), « L’influence de la bonne gouvernance sur la relance de la décentralisation

territoriale en Afrique au Sud du Sahara », in Revue africaine de droit public, Vol. I, n°1, juin- déc., 2012, p. 158.

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de certaines législations fiscales »30. La consécration constitutionnelle de l’autonomie financière

lui confère une garantie solide car le juge constitutionnel sera enclin à sanctionner les manœuvres

du législateur visant à réduire les recettes locales, dans le cadre des lois ordinaires ou dans le cadre

des lois de finances31. Ainsi, en renvoyant la détermination et l’organisation des ressources locales

au législateur, le constituant camerounais contribue à réduire l’échelle de sécurisation des finances

locales.

1- Une primauté du législateur dans la structuration de l’autonomie financière des

collectivités locales

Bien que l’autonomie financière des CTD ait un statut constitutionnel dans l’ordre juridique

camerounais, son organisation a été renvoyée expressis verbis au législateur. Cette opération de

renvoi est le fait des dispositions pertinentes de la Constitution. Ainsi, à la lecture des dispositions

de l’article 26 de la Constitution, sont du domaine de la loi, « l’organisation, le fonctionnement,

la détermination des compétences et des ressources des collectivités territoriales »32. Il en est de

même de l’article 56 alinéa 2 de la même Constitution qui dispose que « la loi détermine (…) les

ressources des régions ». Dès lors, le législateur camerounais aménage l’autonomie financière des

CTD par l’entremise du Code général des collectivités territoriales décentralisées, de la loi

n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale et des différentes lois de finances. Ainsi,

« La loi de finances fixe, chaque année, la fraction des recettes de l’Etat affectée à la Dotation

Générale de la Décentralisation (…) »33. La fraction des recettes de l’Etat affectée à la Dotation

Générale de la Décentralisation (DGD) ne peut être inferieure à quinze pour cent (15%)34.

Seulement, cette importante réforme opérée par le législateur de 2019 et visant à consolider

l’autonomie financière locale reste vulnérable. Pour cause, le statut législatif de la fraction des

ressources étatiques allouées à la Dotation Générale de la Décentralisation.

30 OLIVA (E.), « La reconstitution du droit constitutionnel financier », in Revue française de droit constitutionnel,

n°100, 2014/4, p. 1021. 31 La valeur constitutionnelle du principe d’autonomie financière n’est pas sans conséquences. Elle signifie que,

conformément au principe de constitutionnalité, l’autonomie financière doit être respectée par toutes les autorités de

l’Etat et en particulier par le législateur sous la vigilance du juge constitutionnel. Lire en ce sens OLIVA (E.), « La

conception de l’autonomie financière locale. Quel contenu ? Quelle effectivité ? », op. cit., p.18. 32 Art. 26 (2) c-3 de la Constitution du Cameroun. 33 Art. 25 al. 2 du CGCTD. 34 Art. 25 al. 3 du CGCTD.

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En effet, en donnant la possibilité au législateur de fixer le taux de la DGD, les pouvoirs

publics ont soumis cette importante ressource locale à l’instabilité législative, couplée à la pratique

récurrente de l’inobservance des textes de lois. Ainsi, la loi n°2020/018 du 17 décembre 2020

portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2021 a violé allègrement les

dispositions pertinentes de l’article 25 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code

général des collectivités territoriales décentralisées. La loi de finances pour l’exercice 2021 reste

muette sur la fraction des recettes de l’Etat à allouer aux collectivités locales. C’est plutôt le

ministre des finances M. Louis Paul MOTAZE qui, dans son Discours de lancement de l’exécution

du budget de l’Etat pour l’exercice 2021, indiquera que 7,2% seulement des recettes de l’Etat

seront transférées aux CTD au titre de DGD. Pour cause, d’après le ministère des finances, il

manque encore certaines « préalables nécessaires pour permettre l’exercice effectif de certaines

compétences transférées aux CTD »35. Pourtant le législateur n’a pas soumis le respect de

l’exigence du transfert d’au moins 15% des ressources de l’Etat aux CTD à une condition. Cette

situation met ainsi à nu la fébrilité du statut juridique de la portion des recettes de l’Etat dédiées à

la DGD. Il devient alors urgent que cette importante ressource locale soit constitutionnalisée. Et

sous ce prisme, toutes violations y afférentes pourraient être sanctionnées par le juge

constitutionnel.

B- Une détermination ambiguë des modalités de mise à disposition et de gestion des

ressources locales

En tant que principe constitutionnel, l’autonomie financière vise à conférer aux collectivités

locales certaines prérogatives financières leur permettant de choisir librement les dépenses et les

recettes leur permettant d’exercer une action politique et économique dans la limite de leur

domaine spatial de compétence et sous le contrôle de l’Etat36. La concrétisation de cette autonomie

suppose alors la mise à la disposition des CTD des ressources suffisantes et l’octroi d’une marge

importante de manœuvre dans le déploiement du pouvoir financier local. Cependant, l’analyse de

l’ordre juridique camerounais donne à voir une interférence remarquable des autorités exécutives

35 Voir le discours de lancement du budget au titre de l’exercice 2021 dans la région du Sud, sur http :

www.minfi.gov.cm, consulté le 26 septembre 2021 à 11h59. 36 OLIVA (E.), « La conception de l’autonomie financière locale. Quel contenu ? Quelle effectivité ? », op. cit., p.

24.

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dans la gestion financière locale (1). Aussi, on assiste à une limitation substantielle du pouvoir

financier local (2).

1- Une interférence remarquable des autorités exécutives dans la détermination de

l’action publique locale

Sur le plan étymologique, le terme autonomie vient du grec auto nomos, qui signifie se régir

par ses propres lois. Dans ce cas, l’autonomie s’oppose alors à l’hétéronomie, qui est le fait de

dépendre d’autrui ou de voir son destin déterminé par une autorité extérieure. De ce point de vue,

l’autonomie constitue le fondement même de la décentralisation, car cette dernière « implique le

principe de liberté, liberté pour la collectivité territoriale décentralisée de régler par des autorités

élues les affaires considérées comme locales »37. Cependant, cette liberté reconnue aux autorités

dans la conduite des politiques publiques locales est fortement limitée par les interventions des

autorités relevant du pouvoir exécutif. En fait, les autorités exécutives prennent des actes

réglementaires pour orienter l’action publique locale. Elles déterminent et fixent les objectifs

assignés à l’action publique locale. Toute chose de nature à hypothéquer la vision des autorités

locales pour le développement de leurs terroirs.

En effet, chaque année, le Président de la République prend une Circulaire relative à la

préparation du budget de l’Etat. A travers ce texte, le chef de l’Etat fixe les grands axes des

politiques publiques pour l’année à venir. C’est un acte qui permet au Président de la République

d’orienter l’action de l’Etat en général, et celles des CTD en particulier38. Si le Président de la

République se borne à indiquer les grandes orientations des objectifs poursuivis par les pouvoirs

publics39, le ministre de la décentralisation et du développement local, et le ministre des finances

brillent par leur présence notoire dans la détermination de l’action publique locale. Le ministre de

la décentralisation et du développement local et son homologue des finances prennent chaque

année une lettre-circulaire conjointe relative à la préparation des budgets des collectivités

territoriales. A travers ce texte, l’Exécutif oriente l’action publique locale. Il détermine les objectifs

37 WANDJI K. (J. F.), « La décentralisation du pouvoir au Cameroun, entre rupture et continuité. Réflexion sur les

réformes engagées entre 1996 et 2009 », op. cit., p. 144. 38 Voir la Circulaire n°001 du 30 aout 2021 relative à la préparation du budget de l’Etat pour l’exercice 2022. 39 BILOUGA (S. T.), Finances publiques camerounaises. Budgets-Impôts-Douanes-Comptabilité publique, Paris,

L’Harmattan, 2020, p. 139.

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assignés aux autorités décentralisées ; il fixe les dépenses à effectuer au courant de l’exercice

budgétaire au plan local. On assiste alors à une immixtion de l’exécutif dans la gestion financière

locale. Ainsi, dans la lettre-circulaire conjointe n°00007497/LC/MINDDEVEL/MINFI du 11

novembre 2020, relative à la préparation des budgets des collectivités territoriales décentralisées,

il est indiqué que « les budgets des CTD de l’exercice 2021 devront assurer le fonctionnement

effectif, efficace et efficiente de leurs service et organes délibérants, en vue de concourir à

améliorer la gouvernance, le cadre et les conditions de vie des populations par la réalisation des

projets de développement et le fourniture régulière des services sociaux de base aux

populations »40. En outre, le même texte liste un ensemble d’actions que devront mener les

autorités décentralisées en cours d’exercice budgétaire41. De même, dans la lettre-circulaire

n°004211/LC/MINFI/MINDDEVEL du 07 octobre 2021 relative à la préparation des budgets des

collectivités territoriales décentralisées pour 2022, on peut y lire « l’action publique locale au

Cameroun pour l’exercice 2022 mettra l’accent sur l’approfondissement et l’accélération du

processus de la décentralisation, la promotion du développement local, ainsi que le renforcement

de la gouvernance locale. Ceci dans la perspective d’améliorer le cadre et les conditions de vie

des populations d’une part et d’assurer le progrès économique et social, tout en jugulant les effets

néfastes de la pandémie du Covid-19 »42.

L’analyse de ces textes réglementaires donne à voir une forte présence de l’Etat central dans

la conduite des affaires locales. On se retrouve alors dans un schéma où c’est l’autorité centrale

qui détermine ce qui est utile sur le plan local. Pourtant l’autonomie financière implique la

possibilité pour les autorités locales de choisir en toute liberté, dans le cadre de leurs compétences

les projets de développement utiles pour leurs localités. Avec cette « ingérence » du centre, on

assiste alors à une véritable cogestion au plan local. Toute chose de nature à altérer le pouvoir

financier local.

40 Voir la lettre-circulaire conjointe n°00007497/LC/MINDDEVEL/MINFI du 11 novembre 2020, relative à la

préparation des budgets des collectivités territoriales décentralisées. 41 Ibid. 42 Voir la lettre-circulaire n°004211/LC/MINFI/MINDDEVEL du 07 octobre 2021 relative à la préparation des

budgets des collectivités territoriales décentralisées pour 2022

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2- Une limitation du pouvoir financier des autorités locales

Les collectivités territoriales ne sont pas des segments de la hiérarchie étatique. Elles sont le

siège d’une liberté d’action. Elles sont dépositaires d’une certaine autonomie43. De ce point de

vue, en matière financière, les entités infra étatiques bénéficient d’un ensemble de compétences

limitativement énumérées par le droit positif. Ces compétences financières permettent aux

autorités locales d’organiser le financement des affaires locales. Les compétences financières

locales se déclinent alors dans la possibilité de décider des dépenses et des recettes, pouvoir de

contracter des emprunts et dans l’aménagement des compétences en matière fiscale. Elles

permettent de mettre en œuvre l’autonomie financière des CTD. Seulement, ce pouvoir financier

local dans ses linéaments, est loin de conférer une réelle autonomie aux collectivités territoriales

camerounaises.

Sur le plan budgétaire, l’autonomie financière implique la possibilité pour les CTD de se

constituer librement un budget et d’en dégager leurs priorités. Il s’agit alors d’une marge de

manœuvre concédée aux CTD et leur permettant de maîtriser leurs choix financiers44. Pourtant la

législation camerounaise a imposé un certain nombre de contraintes budgétaires qui dépouillent

les CTD de l’essentiel de leur pouvoir financier tant en ce qui concerne les dépenses que les

recettes. Lorsque les autorités locales sont appelées à confectionner leur budget, elles sont

astreintes d’une part à l’observance des principes budgétaires, et d’autre part, au respect de la

réglementation des dépenses locales. Si les autres principes budgétaires peuvent subir des

réadaptations, le principe de l’équilibre budgétaire45, encore appelé « la règle d’or »46, s’impose

aux autorités locales. Contrairement au budget de l’Etat, le budget des collectivités territoriales

doit être voté en équilibre. L’équilibre doit être réel, ce qui signifie que les postes de recettes ne

peuvent être majorés arbitrairement, de même que les postes de dépenses ne peuvent être

43 AUBY (J.-B.), AUBY (J.-F.), ROZEN NOGUELOU, Droit des collectivités locales, Paris, Presses Universitaires

de France, 4e édition, 2008, p. 63. 44 ESSONO OVONO (A.), « L’autonomie financière des collectivités locales en Afrique noire francophone. Le cas

du Cameroun, de la Côte-d’Ivoire, du Gabon et du Sénégal », disponible sur http://afrilex.u-bordeaux.fr, p. 2. 45 Art. 377 du CGCTD, « le budget voté est équilibré en recettes et en dépenses ». 46 BOUVIER (M.), Les finances locales, Paris, LGDJ, Lextenso éditions, 15e édition, 2013, p. 265.

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minorés47. La règle de l’équilibre s’applique à chaque budget (budget primitif48, budget annexe49,

budget rectificative50) et à chaque section du budget. Le non-respect de ce principe d’équilibre

budgétaire constitue l’un des motifs pouvant amener l’autorité de tutelle, après une mise en

demeure restée sans effets, à modifier d’office le budget local51. Dans le même ordre d’idées, les

dépenses dont les autorités budgétaires locales sont appelées à effectuer sont encadrées de façon

rigide52.

A cet effet, le budget de la commune et de la communauté urbaine est élaboré dans le respect

des ratios ci-après :

- Les prévisions des dépenses d’investissement doivent être fixées à un taux minimum de

40% des dépenses totales ;

- Les prévisions des dépenses de fonctionnement ne doivent pas excédées le taux de 60%

des dépenses totales ;

- Les dépenses de personnels ne doivent pas excéder 35% des dépenses de fonctionnement53.

De même, le budget de la région est élaboré dans le respect des ratios-cipres :

- Les prévisions des dépenses d’investissement doivent être fixées à un taux minimum de

60% des dépenses totales ;

- Les prévisions des dépenses de fonctionnement ne doivent pas excéder le taux de 40% des

dépenses totales ;

47 Ibid. 48 Le budget primitif constitue le premier acte obligatoire du cycle budgétaire annuel d’une collectivité territoriale. 49 Le budget annexe est établi pour tout service public régional ou communal doté de l’autonomie financière, sans

personnalité juridique. Il s’agit concrètement du budget affèrent aux services des CTD spécialisés dans la production

de biens ou des prestations de services donnant lieu au paiement d’une redevance. Lire dans ce sens BOUVIER (M.),

ESCLASSAN (M.-C.), LASSALE (J.-P.), Finances publiques, Paris, LGDJ, 15e édition, 2016-2017, pp. 289-290. 50 Le budget rectificatif est une innovation de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des

collectivités territoriales décentralisées. Il permet alors de prendre en charge les nouvelles ressources qui adviennent

en cours d’exécution et de rajuster le budget initial. Il comprend notamment, les crédits supplémentaires nécessaires

en cours d’exercice, les recettes nouvelles non prévues dans le budget initial et les opérations de recettes et de dépenses

reportées au titre du budget de l’année précédente. Voir l’article 388 du CGCTD. 51 Art. 427 al. 1 du CGCTD. 52 ESSONO OVONO (A.), « L’autonomie financière des collectivités locales en Afrique noire francophone. Le cas

du Cameroun, de la Côte-d’Ivoire, du Gabon et du Sénégal », op. cit. p. 9. 53 Art. 417 al. CGCTD.

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- Les dépenses de personnel ne doivent pas excéder 30% des dépenses de fonctionnement54.

Si cette fixation des ratios vise d’une part à mettre en cohérence les budgets locaux avec la

politique gouvernementale sous-tendue par la Stratégie Nationale de Développement (SND30), et

d’autre part à accorder une priorité aux dépenses d’investissement local, ayant un impact sur le

bien-être des populations55, il faut tout de même relever son revers. Cette fixation des ratios est en

stricte contradiction avec le principe de la libre administration des CTD. Ainsi, pour Charles

EISENMANN, il ne peut y avoir une authentique décentralisation administrative si la législation

est impérative et déterminée au point de ne laisser à l’autorité locale chargée de son application la

moindre part du pouvoir discrétionnaire56.

Aussi, on assiste à une consécration des dépenses obligatoires et interdites. Pourtant

l’autonomie financière implique également que « les collectivités locales peuvent utiliser leurs

ressources pour les dépenses de leur choix »57. Les dépenses obligatoires correspondent à des

attributions que les collectivités territoriales doivent obligatoirement exercer58. Elles sont

imposées par la loi, et sont nécessaires au bon fonctionnement de la CTD en raison de l’intérêt

qu’elles présentent59. Ainsi, sont obligatoires les dépenses ci-après :

- Les traitements et salaires ;

- Les indemnités et autres avantages prévus par les textes en vigueur ;

- Les cotisations sociales ;

- Les impôts et taxes à reverser ;

- Les charges incompressibles liées au fonctionnement des services ;

- Les dettes exigibles ;

54 Art. 417 al. 2 du CGCTD. 55 BEGNI BAGAGNA, « Le principe de la libre administration des collectivités territoriales décentralisées au

Cameroun », op. cit. p. 113. 56 CHIFFLOT (N.), Le droit administratif de Charles Eisenmann, Paris, Dalloz, 2009, p. 131. 57 ESSONO OVONO (A.), « L’autonomie financière des collectivités locales en Afrique noire francophone. Le cas

du Cameroun, de la Côte-d’Ivoire, du Gabon et du Sénégal », op. cit. p. 11. 58 FERSTENBERT (J.), PRIET (F.), QUILICHINI (P.), Droit des collectivités territoriales, Paris, Dalloz, 2e édition,

2016, pp. 418-419. 59 Art. 403 du CGCTD.

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- Les contributions aux organismes d’appui aux collectivités territoriales prévues par la

législation et la réglementation en vigueur, etc.60.

A côté des dépenses obligatoires, le CGCTD a également prévu les dépenses interdites, qui sont

celles formellement prohibées par les lois et règlements en vigueur. Sont notamment interdits :

- Les prêts consentis par une collectivité territoriale à une personne privée ;

- Les subventions aux associations non déclarées et autres structures non agréées ;

- Les subventions aux associations et congrégations religieuses ;

- Les subventions aux partis politiques61.

Sous l’angle des recettes locales, le pouvoir financier des autorités décentralisées est limité

notamment en matière fiscale. Cette limitation du pouvoir local en matière fiscale est nocive pour

l’autonomie financière des CTD car « les recettes fiscales représentent plus de la moitié des

recettes des communes »62. En outre, la fiscalité est à la fois, un moyen efficace de financer le

développement, une voie d’accès privilégiée à une responsabilisation de la gestion publique et un

élément clef de la démocratie de proximité63. De façon principielle, les collectivités locales ne

disposent pas d’un pouvoir fiscal64. Ce pouvoir échoit constitutionnellement au législateur65. Les

collectivités locales ont plutôt bénéficié d’un pouvoir fiscal dérivé ou plus concrètement des

compétences en matière fiscale66. Au regard de l’importance de la fiscalité dans la conduite des

affaires locales, il aurait été plus concevable qu’on octroya en la matière, une marge de manœuvre

conséquente aux entités infra étatiques. Au Cameroun cependant, les impôts les plus rentables sont

60 Art. 404 du CGCTD. 61 Art. 406 al. 2 du CGCTD. 62 KOM TCHUENTE (B.), Cameroun : la décentralisation en marche, Yaoundé, Les presses universitaires de

Yaoundé, 2013, p. 145. 63 BOUVIER (M.), in « Editorial », « Le pouvoir fiscal local : d’un pouvoir en trompe-l’œil à un ordre des

autonomies », Revue française de finances publiques, n°131, septembre 2015. 64 BOUVIER (M.), Les finances locales, op. cit. p. 115. Voir également la Décision n°2009-599 DC du 29 décembre

2009 du Conseil constitutionnel français. Le juge constitutionnel français a ainsi indiqué qu’ « il ne résulte ni de

l’article 72-2 de la Constitution, ni d’aucune autre disposition constitutionnelle que les collectivités territoriales

bénéficient d’une autonomie fiscale ». 65 Art. 26 al. 2-d-3 de la Constitution. Sont du domaine de la loi « la création des impôts et taxes et la détermination

de l’assiette, du taux et des modalités de recouvrement de ceux-ci ». 66 La loi n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale intervient dans l’optique de « renforcer l’autonomie

financière des collectivités territoriales (CTD) par l’organisation du transfert progressif des compétences en matière

de gestion des impôts locaux et l’accès direct aux recettes qui leur sont dévolues ». Lire dans ce sens, la Circulaire

conjointe n°0002335/MINATD/MINFI du 20 octobre 2010, précisant les modalités d’application de la loi n°2009/019

du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale.

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l’apanage de l’Etat central. Aussi, les impôts locaux sont émis et recouvrer par les services fiscaux

de l’Etat, et reverser aux CTD67. Pour ces impôts locaux recouvrer par les services fiscaux de

l’Etat, une retenue de 10% est opérée au profit de l’Etat. Toute chose qui participe de

l’amenuisement des recettes locales. Les collectivités locales ne disposant que d’une compétence

fiscale limitée, et consistant à administrer les taxes locales. Concrètement, les autorités locales ont

la possibilité d’instituée sur leur territoire une taxe créée par la loi, de déterminer son taux dans

une fourchette déterminée par la loi, et de procéder à son recouvrement68. Cette compétence

résiduelle concédée aux CTD n’est pas de nature à consolider l’autonomie financière qui constitue

la trame de fonds d’une décentralisation accomplie. L’Etat central continue de peser de tout son

poids dans la gouvernance fiscale au plan local. Cependant, l’élargissement de la marge de

manœuvre des CTD en la matière ne devrait pas aboutir à l’institution d’un véritable pouvoir fiscal

local. Une telle option engendrerait alors le risque d’exacerbation de la pression fiscale. Aussi, on

assisterait à l’éclatement du pouvoir fiscal de l’Etat, toute chose de nature à entamer les fondements

même de l’Etat. Car comme le note avec infiniment de sens le Professeur Michel BOUVIER,

« c’est en se construisant comme l’attribut d’un pouvoir universel que la fiscalité a permis la

construction des Etats les plus solides »69. Il importe pour une gouvernance fiscale locale, de

concéder la gestion des impôts les plus importants aux CTD, et de prendre des mesures adéquates

pour renforcer leurs capacités en mettant sur pied une vraie fonction publique locale. En l’état

actuel des choses, c’est la volonté de l’Etat qui règne en matière fiscale au plan local.

En tout état de cause, on est d’avis avec Michel BOTTIN qui souligne que « la pratique

budgétaire est d’abord une autodiscipline que l’Etat finira par imposer aux pouvoirs locaux. Là

commence l’histoire de l’infériorité locale en matière budgétaire »70. Sous ce registre, il devient

alors crucial de tabler sur les moyens juridiques permettant aux autorités locales de préserver leurs

ressources financières.

67 Art. 127 de la loi n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale. 68 Ibid. art. 3. 69 BOUVIER (M.), Les finances locales, op. cit. p. 40. 70 BOTTIN (M.), « L’autorisation budgétaire », in Histoire du droit des finances publiques, vol. III, Les grands

thèmes des finances locales, sous la direction de ISAIA (H.) et SPINDER (J.), Paris, Economica, 1988, p. 98.

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II- UN AMENAGEMENT APPROXIMATIF DES GARANTIES DE L’AUTONOMIE

FINANCIERE LOCALE

L’autonomie financière locale s’inscrit dans le cadre des relations financière entre le centre et

la périphérie. L’Etat central met à la disposition des CTD des moyens financiers suffisants pour

couvrir les charges locales71. Aussi, les collectivités locales, dans le cadre de leur libre

administration doivent, d’une part gérer ces ressources, et d’autre part, se déployer pour générer

les ressources financières complémentaires72. L’objectif étant la consolidation de l’autonomie

financière locale, et la prise en charge optimale de l’intérêt général au plan local. Sous ce prisme,

les garanties de l’autonomie financière locale méritent d’être scruter aussi bien vis-à-vis de l’Etat

central qui peut ne pas respecter ses engagements financiers, qu’en rapport avec les autorités

locales qui peuvent dévoyer la portée des ressources dont elles ont la charge. Cette lecture donne

à voir une impuissance des autorités locales à préserver leurs ressources vis-à-vis des

empiètements des organes étatiques (A), et la persistance de la mal gouvernance au plan local (B)

qui continue à engendrer des déperditions en matière de recettes locales.

A- L’impuissance des collectivités locales dans la préservation de l’autonomie financière

L’autonomie financière s’analyse aussi comme une liberté locale. En fait, le principe de la libre

administration des CTD dont l’autonomie financière en constitue un élément73 est aujourd’hui

considéré comme une liberté fondamentale74. En tant que liberté locale constitutionnellement

71 Art. 12 du CGCTD, « les ressources nécessaires à l’exercice par les collectivités territoriales de leurs compétences

leur sont dévolues soit par transfert de fiscalité, soit par dotations, soit par les deux à la fois ». 72 Art. 11 al. 1 du CGCTD. 73 La libre administration en tant que principe directeur de la décentralisation se décline en trois composantes

majeures que sont l’autonomie institutionnelle, l’autonomie fonctionnelle et l’autonomie financière. Voir LEHMANN

(P.-E.), « Libre administration et QPC : les enseignements de quatre années de jurisprudence », in Civitas europa,

n°34, 2015/1, p. 227. 74 La question s’est posée au sein de la doctrine française à l’effet de savoir si la libre administration est un principe

d’organisation de la République coïncidant avec celui de la décentralisation ou au contraire, était-elle une liberté

fondamentale ? Une telle controverse naquit de la décision du Conseil d’Etat du 18 janvier 2001, Commune de

Venelles. Dans cette affaire portant sur un référé-liberté fondamentale, le juge administratif a indiqué que le principe

de libre administration constitue « l’une des libertés fondamentales auxquelles le législateur a ainsi entendu accorder

une protection juridictionnelle particulière ». Pour Michel VERPEAUX, la libre administration constitue un principe

d’organisation étatique et non une liberté fondamentale. Il considère ainsi la libre administration comme « une forme

de séparation verticale des pouvoirs ». Voir VERPEAUX (M.), « Libre administration, liberté fondamentale, référé-

liberté, note sous Conseil d’Etat, Section, 18 janvier 2001, Commune de Venelles », in RFDA, 2001, p. 682. Pour

Louis FAVOREU et André ROUX, la libre administration constitue « une liberté fondamentale ». Lire dans ce sens,

FAVOREU (L.), et ROUX (A.), « La libre administration des collectivités locales est-elle une liberté

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consacrée, les mécanismes de sauvegarde de l’autonomie financière méritent d’être envisagés. Car

le pendant d’une liberté ou d’un droit réside dans l’aptitude de son bénéficiaire à le faire valoir

dans le commerce juridique afin d’obtenir gain de cause. Il ne suffit pas d’affirmer dans une

Constitution ou dans les lois une liberté, encore faut-il permettre sa libre expression75. Mais à

l’analyse du droit positif camerounais et de la pratique, il ressort le constat de l’inexistence des

mesures contraignantes à la disposition des CTD (1) pour exiger le respect de leur autonomie

financière. Aussi, l’incapacité des collectivités territoriales camerounaises à mobiliser les

ressources suffisantes handicape considérablement l’autonomie locale (2).

1- L’inexistence des mesures contraignantes à la disposition des collectivités locales

Les contours de l’autonomie financière des CTD consacrée dans la loi fondamentale sont

précisés dans les différents textes législatifs et réglementaires. Dans ce sens, le législateur doit

s’abstenir à adopter les lois qui portent atteinte à l’autonomie financière des CTD76. De même, les

autorités du pouvoir réglementaire qui jouent un rôle fondamental dans l’aménagement et la mise

à disposition des ressources aux CTD doivent se garder de tout acte visant à dénaturer l’autonomie

locale. Sous ce rapport, on peut se demander ce qui adviendrait si les principes de l’autonomie

financière se trouvent empiéter. Autrement dit comment amener les pouvoirs publics à respecter

leurs engagements financiers ? Cette préoccupation vaut tout son pesant d’or dans le contexte

camerounais où l’autonomie financière des CTD fait l’objet d’une kyrielle d’entorses venant du

pouvoir central. La doctrine camerounaise parle volontiers de la « recentralisation financière »77.

Il en est ainsi des violations législatives à l’instar du non-respect de la fraction des recettes dédiées

fondamentale ? », in Cahiers du Conseil constitutionnel, 2002, pp. 91-101. A l’évidence, il apparaît comme un truisme

que la libre administration constitue une liberté garantie par le Constitution. Cette position est régulièrement confirmée

par le juge constitutionnel, gardien de la suprématie constitutionnelle. Voir en ce sens, la Décision n°2010-29/37 QPC,

du 22 septembre 2010, Commune de Besançon et autres, consid. 6-8. 75 WANDJI K. (J. F.), « L’Etat de droit en Afrique : l’arlésienne ? », in RRJ, n°2, 2013, p. 1024. 76 Voir la Décision n°2011-142/145 QPC du 30 juin 2011 du Conseil constitutionnel français, Départements de la

Seine-Saint-Denis et autres, consid. 14. Le juge indique que « les règles fixées par la loi sur le fondement de ces

dispositions ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources des collectivités territoriales au point de

dénaturer le principe de libre administration de ces collectivités ». 77 MONEMBOU (C.), « Les paradoxes de la décentralisation camerounaise : de la décentralisation à la

recentralisation », in Revue africaine de droit et de science politique, Vol. I, n°1, jan. - juin 2013, pp. 173 et s.

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à la Dotation Générale de la Décentralisation (DGD)78, les suspensions de perception de certains

impôts locaux par l’autorité réglementaire79 ; les transferts de compétences sans moyens

conséquents80, les retards dans le circuit de mise à disposition des ressources, les cas de non

allocation de la Dotation Générale de Fonctionnement (DGF) par les communautés urbaines aux

communes81, la gestion totale de la fiscalité régionale par l’Etat.

Face à ces violations flagrantes de l’autonomie financière locale, les collectivités territoriales

camerounaises ne disposent quasiment d’aucun voie de recours pour contraindre l’Etat central à

exécuter ses engagements financiers82. L’autonomie financière des CTD se présente alors dans le

contexte camerounais comme une liberté locale reconnue mais dépourvue de garanties suffisantes.

Cette situation s’explique par l’absence des voies de recours juridictionnelles devant permettre aux

CTD de faire sanctionner toute violation portée à leurs ressources financières. Cependant, avec la

mise en place des régions au lendemain de la première élection régionale du Cameroun le 6

78 Voir la loi n°2020/018 du 17 décembre 2020 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice

2021. Cette loi de finances est restée muette au sujet de la fraction des recettes allouées à la Dotation Générale de la

Décentralisation, violant ainsi les dispositions pertinentes de l’article 25 de la loi n°2019/24 du 24 décembre 2019

portant Code général des collectivités territoriales décentralisées. 79 Dans le cadre de la stratégie nationale de riposte à la pandémie du covid-19, le Président de la République a décidé

d’un certain nombre de mesures fiscales d’accompagnement qui ont été publiées le 30 avril 2020 par le Premier

Ministre. Certaines de ces mesures ont consisté en l’exonération de l’impôt libératoire et de la taxe de stationnement

pour les taxis et les motos taxis ainsi que de la taxe à l’essieu au titre du deuxième trimestre 2020 ; l’exonération au

titre du 2eme trimestre, de l’impôt libératoire et des taxes communales au profit des revendeurs des vivres. Lire dans ce

sens la Circulaire n°20/169/CF/MINFI/DGI/DLRI/L du 13 mai 2020, précisant les modalités d’application des

mesures fiscales de riposte au covid-19. Si le bien-fondé de ces mesures est évident, on peut tout de même regretter

l’absence des compensations financières conséquentes devant permettre aux CTD de continuer à couvrir

convenablement leurs charges. A ce sujet, M. Olivier CROMWELL BEMBELL D’IPACK, maire de Bertoua 1er ,

note que « malheureusement, des mesures n’ont pas été prises pour accompagner les municipalités (…), notamment

des subventions, pour faire face au déficit que l’ensemble des mairies ont noté du fait de l’exonération du paiement

de certaines taxes (…) ». Lire dans ce sens Cameroon Tribune, n°12292/8491, 47eme année, du mercredi 24 février

2021, p. 10. 80 ALBERT (J.-L.), « Les compensations des transferts de compétences », in Gestion et finances publiques, n°2,

2017/2, pp. 44-56. 81 Au sujet de la Dotation Générale de Fonctionnement allouée aux communes d’arrondissement par la communauté

urbaine, M. John KUMASE NDANGLE, alors maire de la commune de Douala IV en 2009 évoquait déjà les

dysfonctionnements créés par le non-versement de la DGF. Lire utilement l’intervention de M. John KUMASE

NDANGLE in Mutation, n°2080, du jeudi 9 avril 2009, p. 13 ; de même, au cours de l’exercice budgétaire 2012, les

communes d’arrondissement de Bertoua I et Bertoua II n’avaient reçu qu’une partie de leur Dotation Général de

Fonctionnement, et aucune dotation au cours de l’exercice 2013. Voir TCHIENO TIMENE (A.), Recherche sur les

mécanismes juridiques de financement des collectivités territoriales décentralisées au Cameroun, Thèse pour le

doctorat Ph.D, Université de Dschang, 2016, p. 167. 82 EYANGA MEWOLO (A.), « L’équilibre entre les compétences et les ressources transférées aux collectivités

territoriales décentralisées au Cameroun », in SOLON, Revue africaine de parlementarisme et de démocratie, Vol. III,

n°24, janvier 2021, p. 367.

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décembre 202083, les présidents des exécutifs régionaux pourront, sur le fondement des

dispositions constitutionnelles, attraire devant le juge constitutionnel toute loi qui menacerait les

intérêts régionaux. En effet, il ressort de l’article 47 al. 3 de la Constitution que « avant leur

promulgation, les lois ainsi que les traités et accords internationaux peuvent être déférés au

Conseil constitutionnel par (…) les présidents des exécutifs régionaux lorsque les intérêts de leur

région sont en cause ». Sous ce prisme, le juge constitutionnel camerounais devra se montrer hardi

et courageux, car les garanties inhérentes à leur statut se sont effritées au gré de la réforme

constitutionnelle du 14 avril 2008. En effet, comme le note le Professeur WANDJI Jérôme Francis

K., « l’introduction de la formule du mandat renouvelable prive à ce jour les membres du Conseil

constitutionnel d’une réelle indépendance non seulement parce que la révision constitutionnelle

du 14 avril 2008 à raccourci le mandat de conseiller à six (6) ans mais aussi parce qu’elle fait

dépendre son renouvellement moins du professionnalisme du juge constitutionnel et du libre

exercice des compétences attribuées à l’institution que de son niveau d’inféodation à l’autorité de

nomination »84. Il s’agira alors pour le juge constitutionnel, bien qu’il soit nommé par l’Exécutif,

de sanctionner toutes les dispositions législatives qui violeraient le principe constitutionnel de

l’autonomie financière des collectivités territoriales décentralisées. Cet office du juge

constitutionnel camerounais est vivement attendu pour au moins deux raisons. La jurisprudence

du Conseil constitutionnel dans ce champ permettra de déterminer les contours de l’autonomie

financière des CTD ; aussi, elle contribuera à la construction et à la consolidation du droit public

financier local. A titre de droit comparé, le juge constitutionnel français constitue le gardien du

principe de l’autonomie financière des CTD. Il n’hésite pas à sanctionner les violations portées

aux ressources financières locales. Sa jurisprudence constitue l’une des sources privilégiées du

droit financier français85.

Dans leurs rapports avec les autorités du pouvoir Exécutif, les collectivités territoriales ne

disposent d’aucune voie de recours pour contraindre les ministres à respecter leurs engagements

financiers. Le droit positif n’a pas aménagé la possibilité pour les CTD de saisir le juge

83 Art. 1 du Décret n°2020/547 du 07 septembre 2020 portant convocation des collèges électoraux en vue de l’élection

des conseillers régionaux. 84 WANDJI K. (J. F.), La justice constitutionnelle au Cameroun, Paris, Editions Menaibuc, DL 2015, p. 70. 85 ALCARAZ (H.), CHARPY (C.), LAMOUROUX (S.), PHILIP (L.), « Jurisprudence du Conseil constitutionnel. 1er

juillet-31 août 2006 », in Revue française de droit constitutionnel, n°69, 2007/1, pp. 79-122.

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administratif pour exiger le transfert de ressources. Ainsi, on assiste alors à des cas de prolifération

des transferts sans ressources financières, ou au refus pur et simple de tout transfert en direction

des collectivités locales, violant par la même occasion les dispositions du Code général des

collectivités territoriales décentralisées86. Toute chose qui a amené le Premier Ministre « a instruit

tous les membres du gouvernement concernés par le transfert des compétences aux régions de

faire tenir au ministre de la décentralisation et du développement local, sous huitaine, les projets

de textes y relatifs, assortis de leurs cahiers des charges, en vue de leur sanction »87. Cependant,

si la pression exercée par le Premier Ministre sur les autres membres du gouvernement est salutaire,

on peut tout de même se poser la question de savoir ce qui adviendrait si ces derniers ne déféraient

pas aux injonctions du chef du gouvernement ? Cette préoccupation est fondamentale car les

membres du gouvernement tiennent leur nomination non du Premier ministre, mais du Président

de la République88. Il revient alors au chef de l’Etat, de sanctionner tous les contrevenants. En

outre, il urge d’opérer les réformes dans le sens d’ouvrir le prétoire du juge administratif aux

autorités décentralisées dans l’optique de sauvegarder les ressources financières locales. Le juge

administratif en tant juge financier89, devra contraindre les autorités exécutives à transférer les

ressources nécessaires au plan local. La brèche déjà ouverte aux autorités décentralisées de pouvoir

contester les actes pris dans le cadre du contrôle de tutelle constitue à n’en point douter une

avancée90. Il importe alors d’étendre cette faculté afin de permettre aux CTD de déférer au juge

administratif compétent tous les cas de violation de la législation financière imputables au pouvoir

Exécutif. En France par exemple, le Conseil d’Etat joue un rôle fondamental dans la protection de

l’autonomie locale. Il a d’ailleurs considéré que le principe de la libre administration faisait « à

l’évidence partie des droits et libertés garantis par la Constitution »91.

86 Art. 27 du CGCTD. « Les charges financières résultant, pour chaque collectivité territoriale, des transferts de

compétences, font l’objet d’une attribution par l’Etat de ressources d’un montant au moins équivalent auxdites

charges » ; et que « les ressources attribuées sont au moins équivalentes aux dépenses effectuées par l’Etat, pendant

l’exercice budgétaire précédant immédiatement la date du transfert de compétences » 87 DION NGUTE (J.), in Cameroon Tribune, n°12196/8395, 47e année, 08 octobre 2020, p. 3. 88 Art. 10 de la Constitution. « Le Président de la République nomme le Premier ministre et, sur proposition de celui-

ci, les autres membres du gouvernement. Il fixe leurs attributions ; il met fin à leurs attributions (…) ». 89 KUREK (A.), Le juge financier, juge administratif, Thèse de doctorat en Droit Public, Université de Lille 2- Droit

et santé, 2010, 498p. 90 Voir les arts. 77 et 79 du CGCTD. 91 C.E, Commune de Dunkerque, 18 mai 2010. Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a décidé de surseoir à statuer afin

de soumettre au Conseil constitutionnel l’examen des dispositions législatives vis-à-vis dudit principe. La haute

juridiction administrative a alors mis en branle le mécanisme de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC).

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En tout état de cause, l’inexistence des mesures de sauvegarde des ressources financières

locales oblitère considérablement les capacités des CTD dans l’accomplissement de leurs

missions. Cette situation est d’autant plus dommageable que les collectivités camerounaises

peinent à produire les ressources propres.

2- L’incapacité des collectivités territoriales à mobiliser suffisamment les ressources

propres

L’option pour les collectivités locales de disposer des ressources propres suffisantes est une

nécessité constamment renouvelée par les textes92 fondateurs de la décentralisation territoriale. Les

ressources propres regroupent tous les produits ou impositions dont la loi autorise les collectivités

territoriales à fixer l’assiette, le taux ou le tarif et procèdent à leur recouvrement93. Ainsi définies,

les ressources propres constituent le gage de l’autonomie financière des collectivités locales, car

elles limitent la dépendance financière des collectivités locales vis-à-vis de l’Etat central94.

La constitution des ressources propres est tributaire, aussi bien de l’office de l’Etat central, que

de celui des autorités locales. A cet égard, l’Etat central adopte des textes de loi, prend des mesures

et établit des mécanismes pertinents pour donner aux CTD l’autorité de mobiliser et libérer les

ressources au niveau local pour le développement économique local95. De leur côté, les

Ce mécanisme permet d’effectuer le contrôle de constitutionnalité des lois déjà entrées en vigueur. Lorsque la QPC

est soulevée devant une juridiction, celle-ci doit surseoir à statuer et de renvoyer ladite question devant le juge

constitutionnel. Plusieurs conditions doivent être réunies à cet effet : la disposition législative contestée doit être

applicable au litige ou à la procédure, ou constituée le fondement des poursuites ; la disposition ne doit pas avoir été

déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf

changement de circonstances ; la disposition soulevée doit avoir un caractère sérieux ; le moyen soulevé par le

requérant doit viser à préserver une atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Voir les articles 23 et 61

de la loi organique française n°2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la

Constitution. Lire également LEHMANN (P.-E.), « Libre administration et QPC : les enseignements de quatre années

de jurisprudence », in Civitas Europa, n°34, 2015/1, pp. 211-241. 92 Art. 11 al. 1 du CGCTD, « Les collectivités territoriales disposent de budgets et de ressources propres pour la

gestion des intérêts régionaux et locaux (…) ». 93 FERSTENBERT (J.), PRIET (F.), QUILICHINI (P.), Droit des collectivités territoriales, Paris, Dalloz, 2e édition,

2016, p. 399. 94 En France, « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour

chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de leurs ressources (…) ». Voir l’article 72 de la Constitution

française du 04 octobre 1958. 95 Art. 7 al. 1 de la Charte africaine des valeurs et principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du

développement local, adoptée par la vingt-troisième session ordinaire de la conférence tenue à Malabo le 27 juin 2014.

Elle a été ratifiée par le Cameroun par l’entremise du Décret n°2019/583 du 31 octobre 2019 portant ratification de la

Charte africaine des valeurs et des principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du développement

local.

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collectivités locales doivent exploiter toutes les possibilités à elles conférées par les lois et

règlements pour « produire les ressources propres nécessaires à la promotion du développement

économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif de leur territoire »96. Cependant, il est

évident que les mesures prises par les autorités camerounaises ne permettent pas aux autorités

locales de mobiliser convenablement les ressources propres. En matière fiscale, les marges de

manœuvre conférées aux CTD sont extrêmement limitées. Elles ne peuvent statuer

convenablement qu’en matière de taxes. La gestion des impôts locaux reste sous la coupole de

l’Etat central. De même, les impôts les plus rentables relèvent de l’Etat. Cette structuration des

recettes fiscales ne permet pas aux collectivités locales de disposer des ressources propres

suffisantes. Dans le cadre des concours financiers de l’Etat, l’enveloppe des dotations reste faible,

et leur caractère fléché97 annihile toute marge de manœuvre devant permettre aux autorités locales

de décider sereinement des dépenses à effectuer. Enfin, les collectivités territoriales camerounaises

font encore face à la délicate question de l’indigence d’un personnel qualifié. Il urge alors de mettre

sur pied la fonction publique locale formellement créée par le Code général des collectivités

territoriales décentralisées98.

D’un autre côté, les collectivités locales peinent à produire les ressources propres. Pour cause,

une « valorisation économique »99 limitée de leur patrimoine100. La valorisation optimale du

domaine des CTD est hypothéquée par le phénomène d’occupation anarchique par les particuliers,

et par la gestion approximative des autorités locales. En fait, le phénomène d’occupation

anarchique des propriétés publiques par des particuliers à des fins commerciales et même

d’habitation, occasionne un manque à gagner pour les municipalités. Les dépendances publiques

sont occupées de façon anarchique en Afrique en général et au Cameroun en particulier. Cet

96 Art. 11 al. 1 du CGCTD. 97 Arts. 10 et s. du décret n°2009/248 du 05 août 2009 fixant les modalités d’évaluation et de répartition de la dotation

générale de la décentralisation. 98 Art. 22 al. 3, « l’Etat met en place une fonction publique locale dont le statut est fixé par un décret du Président de

la République ». 99 MORAND-DEVILLER (J.), « La valorisation économique du patrimoine public », L’unité du droit. Mélanges en

hommage à Roland DRAGO, Paris, Economica, 1996, pp. 273-292. 100 Au Cameroun, la loi a reconnu aux CTD le droit de disposer d’un patrimoine. En effet, « les collectivités

territoriales décentralisées disposent d’un patrimoine, du personnel, des domaines public et privé et de services

propres, distincts de ceux de l’Etat et des autres organismes publics ». Voir art. 9 du CGCTD.

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encombrement du domaine public se fait pour des raisons commerciales101. De même, la gestion

approximative du domaine public des collectivités locales camerounaises n’est plus à démontrer.

Elle se traduit par le manque d’initiative des autorités chargées d’exploiter le patrimoine local. Ce

laxisme des magistrats municipaux est observable tant en milieu urbain qu’en milieu rural. Ils

peinent à mettre en branle les techniques de valorisation102 du patrimoine pour capter sa plus-value.

Cependant, certaines municipalités camerounaises sortent du lot et brillent par la réalisation d’un

certain nombre de projets générateurs de revenus sur leurs territoires.

Au niveau de la commune d’arrondissement de Douala II, l’exécutif a procédé à la réalisation

des équipements générateurs de revenus pour la collectivité. Il s’agit de la construction d’un Cercle

municipal, qui est un immeuble composé des salles de célébration des cérémonies d’envergure

comme des mariages ; des salles de conférences et un centre multimédia. Ce Cercle génère

d’importantes recettes pour la commune. Toujours dans cette municipalité, on note la construction

de la Maison de la jeune fille. C’est un centre bien équipé et destiné à la formation des jeunes filles

à plusieurs métiers, à des coûts relativement faibles.

Au niveau de la commune de Dschang, les autorités de la ville dans le cadre de la coopération

décentralisée103, ont mis sur pied une usine de traitement et de transformation d’ordures appelée

VAL’BOX. Actuellement, l’engrais produit dans la ville de Dschang est vendu à la Plantation

Haute Penja (PHP) ainsi qu’aux stades de football de Japoma à Douala et d’Olembe à Yaoundé

pour l’entretien des pelouses. Les produits de ces ventes constituent alors une source de revenus

importante pour la commune de Dschang. Comme l’a si bien relevé le ministre de la

décentralisation Georges ELANGA OBAM, « à travers la réalisation de cet important projet, la

commune de Dschang envoie un message clair à l’ensemble des collectivités territoriales

101 KOUPOKPA (T.), « La valorisation économique des propriétés publiques en Afrique noire francophone : le cas du

Togo », in Revue Afrilex, p. 21, (Disponible en ligne). 102 Dans son Rapport du groupe de travail consacré à « la valorisation des propriétés publiques », l’Institut de la

Gestion Délégué (I.G.D.) a identifié trois techniques de valorisation des propriétés publiques : la valorisation par

l’aliénation des biens publics devenus inutiles et dont la gestion devient du coup plus onéreuse, afin d’en retirer le

juste prix ; la valorisation par l’autorisation d’occupation des dépendances publiques à des fins de rentabilité

financière ; la valorisation au moyen de la réalisation et de la gestion d’un équipement public à un moindre coût. Voir

le Rapport de l’Institut de la Gestion Délégué (I.G.D.), in Petites affiches, 2004, n°147, pp. 44 et s. 103 Ce projet est le fruit du partenariat entre la commune de Dschang et une société française appelée Ar-Val-SAS.

L’Union Européenne a également aidé la réalisation de cette infrastructure en octroyant entre 2014 et 2020 une

subvention de 228 millions de FCFA. Le Trésor français a aussi apporté un soutien financier de près de 372 millions

de FCFA. Voir Décentralisation. Com, n°007, juillet 2021, p. 29.

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décentralisées ». La mise en exploitation de cette usine, poursuit-il, « est non seulement une

occasion de rendre la ville de Dschang plus propre et plus belle, mais aussi une formidable

opportunité d’amélioration de la production agricole de la localité, ainsi qu’une source de revenus

pour la commune et une niche d’emplois direct pour les jeunes »104. Il en est de même de certaines

communautés urbaines qui disposent des espèces boisés, fleuris et joliment équipés, parfois avec

une faune sauvage apprivoisée, dont la visite par les usagers est payante105.

En tout état de cause, l’incapacité des autorités locale à mobiliser convenablement les

ressources propres hypothèque leur autonomie financière. Aussi, la mal gouvernance qui gangrène

toutes les strates de l’administration camerounaise n’épargne pas le secteur des finances locales.

B- La persistance de la mal gouvernance au plan local

La bonne gouvernance, art de gouverner, consiste à administrer la chose publique avec

méthode et efficacité106. Elle intègre généralement un faisceau de principes au rang desquels la

recevabilité, la transparence, l’efficience et l’efficacité, la réactivité, la participation citoyenne,

l’Etat de droit et l’égalité107. Les principes de la bonne gouvernance sont articulés dans l’optique

de consolider la saine gestion des ressources financières108. Sous ce rapport, la mal gouvernance

s’installe lorsque les autorités en charge de conduire les affaires locales se détournent des principes

sus évoqués. Et dans ces conditions, c’est l’autonomie financière locale qui en pâtit, du fait des

autorités locales. De façon concrète, la mal gouvernance se traduit dans la gestion des collectivités

locales par l’inobservation de la législation financière (1) et la prolifération des mauvaises

pratiques dans la gouvernance financière locale (2).

104 ELANGA OBAM (G.), in Décentralisation. Com, op. cit., p. 29. 105 C’est le cas de la communauté urbaine de Yaoundé qui dispose des bois de Saint Anastasie ; la communauté

urbaine de Ngaoundéré qui dispose des bois de Mardock. Lire en sens, BILOUNGA (S. T.), Finances publiques

camerounaises…, op. cit. p. 264. 106 KEUTCHA TCHAPNGA (C.), « L’influence de la bonne gouvernance sur la relance de la décentralisation

territoriale en Afrique au Sud du Sahara », in Revue africaine de droit public, n°1, vol. 1, juin.-déc. 2012, p. 154. 107 OCDE, « Bonne gouvernance au niveau local pour accroître la transparence et la redevabilité dans la prestation de

services : expériences de Tunisie et d’ailleurs », 2018, p. 7, disponible sur https://www.oecd.org, consulté le

13/11/2021 à 19h29. 108 Art. 33 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, adoptée par la huitième session

ordinaire de la conférence tenue le 30 janvier 2007 à Addis Abeba. Cet instrument juridique a été ratifié par le

Cameroun par l’entremise du Décret n°2011/240 du 09 août 2011 portant ratification de la Charte africaine de la

démocratie, des élections et de la gouvernance.

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1- L’inobservation de la législation financière au plan local

L’autonomie financière est conférée aux CTD dans l’optique d’impulser le développement

local. Il s’agit alors pour les autorités locales de mettre les finances locales au service de la

réalisation des droits fondamentaux des populations au niveau de la base. Pour que cet objectif

d’intérêt général associé aux finances publiques locales puisse se concrétiser, la gouvernance

financière devra être adossée sur une orthodoxie financière sous-tendue par des principes et une

législation adéquate. Les règles qui permettent la gestion saine et efficace des finances locales,

pourtant consacrées au Cameroun, ne sont pas toujours respectées au plan local. Ces manquements

sont décelables successivement dans la procédure budgétaire, dans le cadre du recouvrement des

recettes fiscales locales et en matière de passation des marchés publics au plan local.

Le budget de la collectivité territoriale constitue l’outil de mise en œuvre de l’action publique

locale109. A cet effet, la procédure d’élaboration, d’exécution et de contrôle du budget local obéit

à des canons régulièrement établis, donc la violation est de nature à entamer le rendement des

recettes locales. Au Cameroun, les CTD ne respectent pas les exigences légales inhérentes à la

préparation du budget. En effet, le CGCTD exige de l’exécutif de la collectivité l’établissement

d’un Cadre budgétaire à moyen terme (CBMT), définissant les ressources et les projets à réaliser

sur une période minimale de trois (03) ans110. Et sur la base de ce cadre budgétaire, l’exécutif

établit le cadre de dépenses à moyen terme (CDMT), décomposant, sur une période minimale de

trois (03), les grandes catégories de dépenses locales111. Ces documents de cadrage budgétaire

transmis à l’organe délibérant, font l’objet d’un débat d’orientation budgétaire en séance publique

mais sans vote. Ces documents de préparation budgétaire pourtant fondamentaux pour la

planification optimale de la dépense publique locale, ne sont pas toujours établis par les CTD. Tout

au plus, les exécutifs municipaux continuent à faire usage des plans de compagne comme

document de référence en matière budgétaire. De même, si avec l’avènement du CGCTD, on

assiste formellement à la consolidation de la budgétisation en mode programme112, force est de

109 BILOUNGA (S. T.), Finances publiques camerounaises. Budgets-Impôts-Douanes-Comptabilité publique, op. cit.

p. 49. 110 Art. 373 al. 1 du CGCTD. 111 Art. 373 al. 2 du CGCTD. 112 NJOYA YONE (C.), « La consolidation de la budgétisation en mode programme au niveau local en droit

camerounais. Regard sur le Code général des collectivités décentralisées », in Revue africaine de finances publiques,

n°6, 2nd semestre 2019, pp. 191-212.

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constater que les CTD peinent à s’arrimer à ce mode présentation des budgets locaux113. Certaines

municipalités continuent d’élaborer les budgets de moyens qui de toute évidence sont dépassés, et

ne répondent plus aux exigences de la nouvelle gouvernance financière.

En matière de recouvrement des taxes communales, il est à noter que « les collectivités

territoriales assurent l’administration des impôts et taxes qui leur sont dévolus, sous réserve de

ceux gérés par l’administration fiscale »114. De ce fait, les taxes communales sont émises,

liquidées et recouvrées par les services compétents de la commune. Par conséquent, « les

opérations d’émission et de recouvrement des taxes communales ne peuvent faire l’objet de

concession, sous peine de nullité »115. Pourtant les communes camerounaises continuent à

transgresser ces exigences légales en confiant le recouvrement des recettes fiscales aux particuliers

dans le cadre des concessions. A titre d’illustration, toutes les communes d’arrondissement de la

ville de Douala, exceptée la commune de Douala II, ont confié le recouvrement des taxes

communales aux sociétés privées. Cette privatisation de la phase de recouvrement des taxes locales

a plusieurs implications. Elle peut induire une minoration des recettes locales du fait de la

rémunération du concessionnaire de la collectivité locale concernée. Aussi, elle peut exacerber le

climat de tension entre les contribuables et les autorités locales du fait des tracasseries. C’est fort

de ce constat que le ministre de la décentralisation et du développement local, Georges ELANGA

OBAM a lancé un rappel à l’ordre aux maires quant au respect des règles de compétences en

matière de fiscalité. Pour le MINDDEVEL, « le recours à de tels partenariats est contraire aux

dispositions combinées de l’article C6 alinéa 3 du Code général des impôts et le point 22 de la

Lettre-Circulaire n°003/LC/MINFI du 15 février 2021 relative à l’exécution, au suivi et au

contrôle de l’exécution des budgets des CTD pour l’exercice 2021, qui ne confèrent aux

113 Voir. Le point 61 de la Circulaire n°001 du 30 août 2021 relative à la préparation du budget de l’Etat pour l’exercice

2022. « S’agissant de la décentralisation, un effort devra être fait (…) dans l’accompagnement des CTD à l’exercice

de nouvelles compétences à elles transférées, à la maîtrise du mode de budgétisation des ressources transférées, à

l’arrimage de leur calendrier budgétaire à celui de l’Etat et au passage au budget programme ». Aussi, dans le cadre

de la mise en service des régions, les responsables exécutifs des conseils régionaux bénéficient d’une formation

relative à la présentation du budget en mode programme. Ladite formation est initiée par une mission conjointe des

professionnels des ministères des finances, de la décentralisation et du développement local et de l’économie, de la

planification, et de l’aménagement du territoire, sous l’impulsion du Comité national des finances locales (CONAFIL).

Lire dans ce sens, Décentralisation. Com, op. cit. p. 15. 114 Art. 4 al. 1 de la loi n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale. 115 Art. C 121 du Code général des impôts.

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collectivités territoriales décentralisées que la gestion des seules taxes communales ou

régionales »116.

Dans le secteur des marchés publics locaux, les finances locales sont également entamées du

fait des mauvaises pratiques qui y règnent au mépris de la législation régissant les contrats des

CTD. Ainsi, les recours abusifs ou injustifiés aux procédures dérogatoires, notamment aux

marchés de gré à gré et aux avenants sont monnaie courante117. De même, certains élus locaux

continuent à soumissionner et à gagner les marchés dans leur collectivité ; violant ainsi allègrement

les dispositions du CGCTD qui disposent que « les membres de l’exécutif, ainsi que le receveur

de la collectivité territoriale ne peuvent, sous quelque forme que ce soit, par eux-mêmes ou par

personne interposée, se rendre soumissionnaires ou adjudicataires, sous peine d’annulation par

le représentant de l’Etat »118. Cette pratique engendre des cas de conflits d’intérêts, de délits

d’initiés119 et de surfacturation des marchés publics ; lesquels sont nocifs pour les recettes locales.

En outre, les soumissionnaires des marchés publics ne sont pas en reste. Selon l’Agence de

Régulation des Marchés Publics120, sur un échantillon de 32519 offres vérifiés par l’Agence en

2012, on a décelé 30% de fausses attestations de non faillite, 14% de fausses cautions bancaires et

11% de faux registres de commerce. Au total, 566 entreprises frauduleuses ont été recensées.

De toute évidence, l’inobservation de la règle de droit au plan local, avec son corollaire

l’enrichissement illicite et la corruption constituent les manifestations réelles de la mal

gouvernance qui affecte la gestion des finances publiques locales121.

116 Voir la Lettre n°002436/L/MINDDEVEL/SG/DFL/SDFIL/IE2 du 25 juin 2021. Disponible sur,

https://www.impots.cm, consulté le 16 novembre 2021, à 18h07. 117 NKOU SONGUE (F.), Marchés publiques au Cameroun : entre recherche d’efficacité et pesanteurs systémiques,

Mémoire de Master en Administration publique, ENA, Université de Strasbourg, 2014, p. 41. 118 Art. 63 du CGCTD. 119 Voir les articles 198 et 199 du décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des marchés publics du Cameroun. 120 Voir Edition du Journal des marchés publics, parution du 11 mars 2013. 121 C’est fort à propos que le ministre de la décentralisation et du développement local, Georges ELANGA OBAM a

organisé le 16 novembre 2021 à Yaoundé, un Séminaire sur « L’évaluation du système de gestion des finances

publiques ». L’objectif étant de disposer d’une appréciation commune acceptée et partagée avec l’opinion publique et

les bailleurs de fonds, sur les forces et les faiblesses actuelles. Aussi cet atelier s’inscrivait dans le renforcement des

systèmes financiers des administrations publiques tel que prescrit par la Stratégie Nationale de Développement

(SND30). A cet effet, 12 collectivités territoriales ont été choisies pour subir des évaluations. Notamment quatre

communautés urbaines : Yaoundé, Garoua, Kribi et Maroua ; deux communes d’arrondissement (Douala V et Garoua

1er ), et six communes (Tiko, Obala, Ambam, Doumé, Yagoua et Dschang). Lire dans ce sens Cameroon Tribune,

n°12475/8674, 48e année, du Mercredi 17 novembre 2021, p. 4.

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1- La prolifération des mauvaises pratiques dans la gestion financière locale

La consolidation de l’autonomie financière des collectivités territoriales est substantiellement

tributaire de la façon dont les recettes locales sont gérées. Il ne suffit pas seulement pour les CTD

de disposer des ressources financières, encore faudrait-il qu’elles soient affectées convenablement

au service du développement local. Sous ce registre, la nouvelle gouvernance financière qui

imprègne l’ensemble des finances publiques camerounaises postule alors une gestion transparente

des deniers publics au plan local. Car « la légalité, la transparence et la responsabilité sont des

principes essentiels de gestion des finances publiques, mais également des exigences financières

d’un Etat de droit »122. Cependant, dans la gouvernance financière des CTD au Cameroun, on

relève encore la prolifération des mauvaises pratiques de gestion sous-tendues par l’opacité et la

corruption.

La gestion opaque s’inscrit aux antipodes de la transparence. Au cœur de la transparence, on

trouve l’idée selon laquelle il faut rendre visibles et intelligibles les réalités sous-jacentes des

dépenses publiques pour certaines communautés d’utilisateurs. C’est ainsi que les dépenses

publiques doivent être communiquées sous une forme intelligible pour les personnes extérieures à

la collectivité. Les collectivités territoriales camerounaises ne respectent pas cette exigence de

transparence pourtant inscrite dans le CGCTD. De par le Code général de la décentralisation, tout

habitant ou contribuable d’une collectivité territoriale peut, à ses frais, demander communication

ou prendre copie totale ou partielle des procès-verbaux des organes délibérants, des budgets,

projets et rapport annuel de performance, plans de développement, comptes ou arrêtés, suivant des

modalités fixées par voie règlementaire123. De même, la population est tenue informée des grandes

étapes de la procédure budgétaire et de leurs enjeux économiques, sociaux et financiers124. Aussi,

le budget approuvé est publié sur le site électronique de la collectivité territoriale, par voie

d’affichage, par tous autres moyens et déposé à son siège où il peut être consulté125. Dans la

pratique, ces mesures de transparence ne sont pas toujours respectées. Le citoyen est tenu à l’écart

de la gestion des affaires locales. Les documents budgétaires locaux ne sont pas rendus publics, et

122 Voir le préambule du Code de transparence dans la gestion des finances publiques au sein de l’UEMOA. 123 Art. 40 al. 2 du CGCTD. 124 Art. 381 du CGCTD. 125 Art. 429 du CGCTD.

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certaines communes ne disposent même pas de site internet car la gestion reste en grande partie

manuelle126. Cette gestion opaque limite considérablement la participation citoyenne, et dépouille

la transparence de ses vertus ; car il est unanimement reconnu que la transparence limite la

corruption, améliore l’efficience et l’efficacité dans l’utilisation des ressources publiques, renforce

la légitimité et la responsabilité des institutions locales127.

La corruption est un mal qui gangrène tous les secteurs d’activités au Cameroun. Elle persiste

dans la gestion des finances publiques en dépit de l’évolution et de la consolidation des contrôles128

d’une part, et de l’exigence légale de l’intégrité morale des gestionnaires publiques d’autre part.

En fait les finances publiques sont désormais soumises à un double contrôle de régularité et de

performance129. De même, le CGCTD dispose que « dans l’exercice de son mandat, l’élu local

poursuit l’intérêt général, à l’exclusion de tout intérêt personnel, direct ou indirect, ou de tout

intérêt particulier »130. Cependant à l’épreuve des faits, on assiste à une véritable distraction des

ressources financières locales dans certaines communes. Cette dilapidation des recettes locales se

traduit par le laxisme des autorités locales en matière de lutte contre la corruption et la prolifération

des cas de détournements massifs des deniers publics au plan local.

En effet, les collectivités territoriales décentralisées camerounaises en général sont réfractaires

à la lutte contre la corruption. Pourtant chaque collectivité locale dispose d’une cellule dédiée à la

lutte contre la corruption. A titre d’illustration, la production du Rapport annuel de la Commission

Nationale Anti-Corruption (CONAC) est une synthèse des actions menées par tous les acteurs de

la lutte contre la corruption. Dans le cadre de l’élaboration de son Rapport de 2018, une seule

collectivité territoriale (Commune d’arrondissement de Douala II) a fait parvenir son Rapport

126 C’est dans ce sens que l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication (ANTIC) a

organisé en date du 7 août 2020 un atelier pour mieux outiller les magistrats municipaux de l’Ouest à l’usage des TIC

et recenser leurs besoins en la matière. Voir https://www.cameroon-tribune.cm, (consulté le 20 novembre 2021 à

17h48). 127 HEALD (D.), « Pourquoi la transparence des dépenses publiques est-elle si difficile à atteindre », in Revue

internationale des sciences administratives, Vol. 78, n°1, 2012, p. 34. 128 A propos, le Professeur BEGNI BAGAGNA note avec infiniment de sens que « la fonction de contrôle est allée

en se renforçant au point de devenir un des standards du droit et de la gestion des finances publiques dans le monde ».

Voir BEGNI BAGAGNA, « Réflexion sur le contrôle international des finances publiques : le cas des Etats d’Afrique

subsaharienne francophone », in Revue africaine de finances publiques, n°7, 1er semestre 2020, p. 39. 129 Art. 481 al. 2 du CGCTD. 130 Art. 145 du CGCTD.

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d’activité sur la corruption à la CONAC131. Plus grave encore, en 2019, aucune collectivité locale

n’a fait parvenir son rapport d’activité à la CONAC132. On comprend alors qu’une telle réticence

des acteurs locaux est encline à exacerber les mauvaises pratiques dans la conduite de l’action

publique locale. Dans le même ordre d’idées, les receveurs municipaux n’envoient pas toujours

leurs comptes de gestion à la juridiction des comptes aux fins de contrôle et d’apurement. En 2014,

pour ce qui est des comptes des receveurs municipaux, quatre-vingt-huit (88) comptes de

l’exercice 2014 sur 374 attendus en 2015 ont été produits, soit un taux de production de 23,52%,

le même que l’exercice 2013133. En outre, sur 3282 comptes des exercices antérieurs à 2014 des

receveurs municipaux attendus en 2015, 110 ont été produits. Les comptes des receveurs non

produits depuis 2004 s’élèvent à 3458 au 31 décembre 2015, dont 286 pour l’exercice 2014 et

3172 pour les arriérés134. Cette attitude des gestionnaires locaux renseigne à suffire sur la mal

gouvernance qui règne au plan local. Cette gestion opaque ne permet pas de disposer des

statistiques réelles en matière de finances locales. Pourtant la mise à disposition de l’information

financière constitue d’une part un gage de transparence et de légitimé des autorités locales, et

d’autre part, un préalable à une réforme efficace des finances locales. Dès lors, on comprend

pourquoi dans certaines collectivités locales camerounaises, les cas de détournements à grande

échelle soient observables.

En effet, on assiste dans certaines CTD camerounaises à « un système organisé de prédation des

biens publics »135 par les magistrats municipaux. Cette situation se traduit par des détournements

des ressources financières dédiées au développement local. Le Tribunal Criminel Spécial (TCS)136

a alors eu l’occasion, dans le cadre de certaines de ses décisions à condamner les anciens maires

de certaines communes pour le détournement des sommes faramineuses. Ainsi, le TCS a condamné

deux (02) anciens maires de la commune de Messondo dans le département du Nyong-et-Kelle,

131 Voir Rapport sur l’état de la lutte contre la corruption au Cameroun en 2019, p. 3. 132 Ibid. p. 3. 133 Voir Rapport de la Chambre des comptes de la Cour suprême 2015, p. 26. 134 Ibid. pp. 26-27. 135 MPESSA (A.), « Le Conseil de discipline budgétaire et financière à l’épreuve de la protection de la fortune publique

au Cameroun », in Juridis Périodique, n°92, oct.- nov. – déc., 2012, p. 78. 136 Le TCS est compétent pour connaître, lorsque le préjudice est d’un montant minimum de 50.000.000 FCFA, des

infractions de détournements des biens publics et des infractions connexes prévues par le Code pénal et les

Conventions internationales ratifiées par le Cameroun. Voir art. 2 de la loi n°2012/011 du 16 juillet 2012 modifiant et

complétant certaines dispositions de la loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un Tribunal criminel

spécial.

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region du Centre, M. Gabriel NGONG ZEBO et M. Paul NDJINJOCK respectivement à 10 et 12

ans de prison ferme. Ils ont été reconnus coupables des détournements de fonds publics à hauteur

de 261 millions de FCFA137. Ces sommes d’argent représentaient le produit de la vente d’un

volume de 305m3 du Bubinga (une essence rare), frauduleusement abattu dans la brousse de Song-

Ntoume où se trouve la forêt communal, sensée offrir à la mairie de Messondo des ressources

financières138. Aussi, nous pouvons relever le cas de l’ex maire de la commune de Mbang, M.

Joseph NGOLZAMBA dans le département de la Kadey, région de l’Est. Ce dernier a été

condamné à 15 ans de prison ferme et au paiement de lourdes pénalités, pour le détournement de

503 millions de FCFA139. De ce qui précède, force est de constater que la corruption et son

corollaire les détournements des deniers publics est sans nul doute l’un des fléaux qui minent

considérablement les ressources financières locales140 qui sont d’ailleurs très dérisoires au regard

des enjeux en présence. Il urge alors d’appeler à un sursaut patriotique fondé sur une réelle volonté

politique et la soumission de l’action publique locale à « l’Etat de droit financier »141,

soubassement d’une gestion efficace des finances publiques locales.

Conclusion

L’autonomie financière locale est une condition très importante d’une décentralisation

concrète. De ce point de vue, il est impossible d’imaginer une politique décentralisatrice sans les

ressources financières conséquentes. Ainsi, le Cameroun, à l’image des autres Etats africains a

formellement consacré le principe de l’autonomie financière locale dans la loi fondamentale. Mais

à l’évidence, une lecture exégétique de la législation camerounaise donne à voir que l’autonomie

financière constitue une « liberté retenue »142. L’emprise de l’Etat central reste encore manifeste

137 Voir Décision n°003/CRIM/TCS du 26 février 2019, Ministère public et Etat du Cameroun (commune de

Messondo) c/ N.Z.G. ; N.P ; M.H.P ; N.G.P. 138 Lire également dans ce sens Kalara, n°286, du 04 mars 2019, p. 4. 139 Décision n°008/CRIM/TCS du 15 avril 2019, Ministère public et Etat du Cameroun (Ministère de l’administration

territoriale et de la décentralisation, Ministère des finances, c/N.J.C. 140 NNANGA (S. H.), « La protection juridictionnelle des finances publiques africaines », in RASJ, Vol. 6, n°1, 2009,

p. 214. 141 BILOUNGA (S. T.), op. cit. p. 30. 142 BEGNI BAGAGNA, « Le principe de la libre administration des collectivités territoriales décentralisées au

Cameroun », SOLON, Revue africaine de parlementarisme et de démocratie, Vol. III, n°7, août 2013, p. 117.

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sur l’ensemble de la chaîne financière locale. Toute chose de nature à plomber le processus en

cours car, l’autonomie est le pendant de la décentralisation. Au plan local, si le constat de

l’insignifiance des ressources financières est un truisme, il est tout de même évident de noter que

la gouvernance ne cadre pas toujours avec l’orthodoxie financière. Il urge alors de consolider les

mécanismes de préservation des deniers aussi bien vis-à-vis de l’Etat central que des gestionnaires

locaux pour l’affermissement d’une réelle décentralisation financière, répondant aux besoins

locaux.

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L’incidence de la transaction douanière sur le plan social

Par :

HADIDJATOU YOUGOUDA

Doctorante en droit public

Université de Ngaoundéré (Cameroun)

Résumé :

La vision positive de la transaction douanière, lui reconnait de nombreuses vertus sur le

plan social. Ce procédé de résolution à l’amiable, engendre l’établissement d’une relation

harmonieuse entre l’administration des douanes et les opérateurs économiques tout en assurant

la protection de la société. La transaction confère la maitrise du règlement du litige aux parties,

et leur permet de maintenir une relation de confiance. Elle favorise l’instauration d’une certaine

harmonie entre l’administration des douanes et les contribuables jadis inexistante. Outre les

conséquences sociales mentionnées ci-dessus, la mise en œuvre de la transaction douanière

devrait permettre de promouvoir la sécurité ainsi que la protection de la société. Ainsi

socialement, le contrat constitue également un « pilier de l’ordre juridique » et semble alors

naturellement dépasser les frontières du droit civil pour figurer parmi les institutions essentielles

au fonctionnement d’une société. Bref, la transaction douanière a vocation à « sanctionner un

comportement nuisible à la société ». Autrement dit, elle adopte une vision punitive centrée sur

l’auteur du comportement et exige une prise en compte des intérêts, non pas de la victime mais de

la société.

Mots-clés : Vertus, Relation, Harmonie, Sécurité, Protection, Société.

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Introduction

La transaction, considérée « depuis les romains jusqu’à nos jours comme le moyen le plus

heureux de mettre fin aux différends »796, témoigne de la place exceptionnelle qu’elle occupe dans

la régulation des rapports juridiques devenus conflictuels ou susceptibles de le devenir. Le procédé

contractuel connait depuis plusieurs années un regain de vitalité, laissant augurer une évolution

vers un « ordre juridique conventionnel »797 mieux adapté à la réalisation de l’Etat de droit,

remplaçant le modèle napoléonien, militaire, autoritaire par des relations égalitaires fondées dans

le libre accord de volontés. Il s’agit ainsi de prendre moins en compte une relation juridique qu’un

« lien derrière le contrat »798. Parmi les contrats que traite le code civil, la transaction est regardée

comme le plus utile non seulement parce qu’il est un « instrument de paix »799 garantissant la

« pacification sociale »800 des rapports juridiques devenus conflictuels, mais également parce qu’il

éteint le litige entre les transigeants.

De prime abord, il faut clarifier les concepts du sujet afin d’être mieux éclairer sur la

pertinence de la réflexion. La technique retenue consiste à recourir aux définitions spécifiques qui

permettent de bien cerner la démonstration projetée. Ainsi, le terme incidence constitue donc une

catégorie de « trace » c’est-à-dire la conséquence d’un événement801. Le mot transaction802 quant

à lui revêt deux acceptions bien distinctes ; l’une économique assez large, l’autre juridique

restreinte et précise. Dans son sens large il signifie un accord, une convention quelconque, le plus

souvent une opération de commerce, on entend dans le monde des affaires que « les transactions

796 PONT (P), Explication théorique et pratique du Code Napoléon, Commentaire-trait- des petits contrats, Tome II,

Ed. Delamotte, 1867, n° 451. 797 HOLLEAUX (A), « Vers un ordre juridique conventionnel », Bulletin de l’institut international d’administration

publique (I.I.A.P), vol. 32, octobre-décembre 1974, p. 667-691. V. également, ISSALYS (P), Répartir les normes : le

choix entre les différentes formes d’action étatique, rapport de recherche, Québec, Société de l’assurance automobile

du Québec, 2000, p. 13. 798 FRISON-ROCHE (A.M), Contrat, concurrence, régulation, RTD civ. 2004, p. 451 et s. 799 BAUDRY-LACANTINERIE (G) et WAHL (A), Traité théorique et pratique du droit civil, XXI. Des contrats

aléatoires, du mandat, du cautionnement et de la transaction, Librairie de la société du recueil générale des lois et des

arrêts, 1899, n° 1202. 800 LAGARDE (X), « Transaction et ordre public », D. 2000, chron. P. 218. 801 Dictionnaire historique de la langue française, 2001, p. 1250. 802 Venant du latin « transactio », la transaction dans le sens juridique se scinde en deux verbes en occurrence

« transigere » qui signifie mener à bonne fin et « agere » équivaut à conduire, mener, faire des concessions

réciproques, de manière à régler, à terminer un différend, s’arranger etc… passer un acte pour accommoder un procès,

mieux vaut transiger que plaider.

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sont en baisse » ou que « la forte hausse des transactions a déterminé le cours des changes ».

Dans son sens juridique, il vise suivant les matières, soit un contrat ayant pour but de mettre fin à

une situation contentieuse, soit une institution sui generis qui éteint l’action publique mettant en

rapport un particulier et une administration. C’est cette seconde acception qu’on se propose

d’étudier en matière douanière. L’auteur David DELDICQUE803, souligne que la définition

juridique de la transaction au plan général peut être transposée en droit douanier dans les termes

suivants : «contrat par lequel l’administration des douanes d’une part, une personne poursuivie

pour infraction douanière d’autre part, terminent un litige à des conditions convenues entre eux

dans la limite des pénalités fixées par la loi pour sanctionner l’infraction ».

La transaction douanière a un double objectif régler le litige d’une part et, d’autre part rétablir

les relations, voire la confiance, entre les parties. Les parties qui jouent un rôle primordial dans la

résolution de leur différend peuvent profiter du processus transactionnel pour renouer le dialogue

et se rapprocher. Elles sont amenées à travailler ensemble. Le mécanisme transactionnel aide les

parties afin de créer une solution inédite permettant de sauvegarder les intérêts de la société. La

transaction douanière au plan social emporte des incidents remarquables. De ce fait, quelles sont

les suites de la transaction douanière en matière sociale ? Il sied de dire qu’au plan social,

l’empreinte de la transaction douanière est duale. Ce procédé de résolution à l’amiable, engendre

l’établissement d’une relation harmonieuse entre l’administration des douanes et les contrevenants

(I) tout en assurant la protection de la société (II).

I- L’INSTAURATION D’UNE HARMONIE ENTRE LES PARTIES

La matière douanière n’ignore évidemment pas le lien existant entre les parties à une

transaction. En effet, cette dernière à titre « de contrat, n’est pas insensible aux sentiments que se

portent les parties. S’il est avant tout (…), il est aussi l’occasion d’une relation humaine entre les

deux parties »804. La notion de confiance permettrait d’ailleurs de justifier l’idée de bonne foi en

considérant cette dernière comme la traduction de la confiance que se portent les parties805. La

803DELDICQUE, (D.), Les Eléments de base du contentieux répressif douanier, mémoire, Kinshasa, OFIDA, 1989,

p.4. Cité par BOBUA KAPUKU (B) dans son mémoire De la Répression en Droit Douanier, Université libre des pays

des grands lacs, RDC, 2000/2001. P.41. 804 STOFFEL-MUNCK (Ph.), L’abus dans le contrat. Essai d’une théorie, LGDJ, 2000, n° 235. 805 Le TOURNEAU (Ph.), Existe-t-il une morale des affaires ? in La morale en droit des affaires, Colloque Toulouse,

Montchrestien, 1996, p. 7, n° 26.

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transaction est un processus « sur-mesure » qui présente l’intérêt d’être « malléable ». Ce sont les

parties qui fixent le cadre du litige et organisent la procédure au sein du contrat de transaction.

Elles fixent les termes du contrat, décident si elle sera le fruit d’un compromis. Les parties sont

finalement maitresses de la procédure qu’elles peuvent adapter à leur guise. L’amélioration de la

relation communicationnelle (A) a conduit l’administration des douanes à se spécialiser dans la

négociation, en utilisant notamment la technique de la « négociation raisonnée » pour résoudre de

manière amiable les litiges. Cette négociation particulière renforce cependant, l’image de

l’administration des douanes (B).

A- La naissance d’une relation souple entre l’administration douanière et les

opérateurs économiques

Un des objectifs du processus transactionnel est de créer ou recréer le lien entre les parties.

Renouer le dialogue est essentiel dans le droit de transaction. A l’instar des autres modes de

règlement amiable, la transaction a une « vocation pacificatrice »806 et permet « un règlement

apaisé des conflits »807.Les parties s’expriment librement avec respect afin de permettre

l’établissement d’une relation de confiance sereine. Elle laisse aux parties le « choix de solution

qui leur parait adéquate pour régler leur différend ou, si le contrat n’est pas rompu, leur permettre

de préserver leurs relations »808. De ce fait, elle permet aux parties « de trouver leur accord selon

un processus précis permettant un abandon dépositions rigides, une reprise de dialogue, à tout le

moins, une écoute de l’autre »809. Une partie de la doctrine refuse de parler de « parties » dans le

cadre des modes amiables considérant que cette appellation renvoie au vocabulaire du procès et

insistant sur ce qui ne va pas. Elle privilégie le terme de « partenaires » à un mode amiable, signe

qu’ils sont « co-responsables » du bon déroulement du processus810. Ils sont véritablement

« copropriétaires » du processus et « coresponsables » de son bon déroulé. Les partenaires sont

invités à dialoguer de bonne foi et loyalement811 dans une optique d’apaisement et en vue d’un

rapprochement de leurs positions. L’objectif est d’arriver à une solution viable et satisfaisante pour

806 BANDLER (B), La médiation et la justice prud’homale : une association nécessaire, Gaz. Pal., n°186 à 188, 2015,

p. 7. 807 PUYLAGARDE (M), « la médiation en droit du travail dans le projet de loi Macron », JCP S., 2015, p. 143. 808 Ibid. 809 BANDLER (B), La médiation et la justice prud’homale : une association nécessaire, op. cit., p. 7. 810 GUILLAUME-HOFNUNG (M), La médiation, coll. Que sais-je?, PUF, 7e éd., 2015, p. 821 et s. 811 BOURSIER (M.E), Le principe de loyauté en droit processuel, préf. GUINCHARD (S), Dalloz, 2003.

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les deux parties, celle-ci passe par plusieurs réunions, plusieurs temps de discussion et

d’explication812. Récréer le lien social et le dialogue, prendre le temps d’expliquer pourquoi une

mesure a été prise et écouter sont essentiels dans la transaction. La transaction ne repose pas

uniquement sur le droit. C’est avant tout un dialogue entre les partenaires au processus de

transaction. Retracer les faits qui ont conduit à l’émergence du différend est la pierre angulaire du

processus. Ainsi, les partenaires doivent dialoguer sur les faits et produire des explications avant

d’évoquer le cœur du conflit813.

« La flexibilité est le maitre mot de cette procédure »814. Le droit de transaction s’inscrit dans

un climat de confiance815 et de transparence entre les parties. Il rejette l’idée qu’il y ait un

« gagnant » et un « perdant » comme dans un procès classique, le processus doit aboutir à un

résultat « gagnant-gagnant ». La transaction restaure de ce fait, le dialogue et les liens entre les

parties. Elle contribue à l’amélioration ou au maintien d’une relation « cordiale » entre les parties.

Ce point mérite une attention particulière puisque, les parties devront travailler et collaborer dans

différentes fonctions et situations au cours d’événements futurs, comme c’est le cas dans le monde

fiscal. On a pu parler à ce propos de nouvel essor du concept contractuel816. Et c’est encore ces

avantages qu’ont présents à l’esprit ceux qui appellent de leurs vœux une « société contractuelle »

812 La transaction permet d’humaniser les débats, de rendre à l’administration son équilibre interrompu, de donner au

contrevenant la possibilité de négocier sa situation. 813 Le terme conflit provient du latin impérial conflictus qui signifie « choc », « lutte », « combat » au propre et au

figuré. Auparavant, il était assimilé au vocabulaire guerrier. Il peut dorénavant être défini comme une opération de

vues d’intérêts, une mésentente ou une situation critique de désaccord pouvant dégénérer en litige ou en procès. Une

partie de la doctrine affirme qu’il n’est pas indifférent d’utiliser les notions de conflit ou litige. Le conflit a vocation

à englober la notion de litige. Le professeur JEAMMAUD donne une définition large et globale du conflit. Il s’entend

comme une « relation antagoniste que réalise ou révèle une opposition de prétentions ou aspirations souvent

complexes, plus ou moins clairement formulées, entre deux ou plusieurs groupes ou individus, et qui peut connaitre

une succession d’épisodes, d’actions, d’affrontements ». Voir JEAMMAUD (A), Conflit/Litige, Dictionnaire de la

culture juridique, sous la dir. De Denis ALLAND et Stéphane RIALS, PUF. 814 FOULON (M), TRICKLER (Y), JCI. Pr. Civ., Fac. 1000 : Mode alternatif de résolution de litige. –Conciliation-

Procédure participative- Médiation. N°53. 815 La doctrine propose ainsi de la percevoir comme « une valeur sociale qui doit etre protégée contre des atteintes

perpétrées par le truchement du mensonge ». V. MALABAT (V), Appréciation in abstracto et appréciation in

concreto en droit pénal, thèse, Université Bordeaux IV, 1999, n° 254.

Dans le même sens, LAJUS-THIZON (E), L’abus en droit pénal, Dalloz « NBT », 2011, n° 124 et s. D’après l’auteur,

« la vie en société impose en effet que les individus aient suffisamment confiance en leurs pairs et en l’Etat qui les

gouverne afin de permettre les échanges privés ». 816 VASSEUR (M), Un nouvel essor du concept contractuel, les aspects juridiques de l’économie concertée et

contractuelle, Paris, Sirey, Extrait de la RTD civ. 1964, p. 5. V. également SAINT-MARTIN-DRUMMOND (C),

« Le contrat comme instrument financier », in Mélanges TERRE (F), 1999, pp. 661 et s.

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et qui préconisent de substituer au modèle de régulation étatique un modèle d’autorégulation, au

droit imposé par l’Etat un droit négocié au sein de la société817.

Prise dans son sens le plus large, la transaction douanière suscite de l’enthousiasme chez

le contrevenant et constitue pour lui une solution de facilité dans la résolution de ses problèmes

douaniers818. Le droit de transiger reconnu à l’administration des douanes et à l’infracteur permet

de terminer à l’amiable un litige douanier. En effet, tombé dans les mailles de l’administration des

douanes, le contrevenant a la latitude de s’expliquer facilement sur son comportement, de

demander l’indulgence à l’administration des douanes et même de discuter des modalités de sortie

de ce guêpier sans passer par la voie judiciaire. Et ceci, sur la base d’une transaction.819 Pour le

citoyen moyen, la douane est une procédure tracassière où le douanier, avec son képi n’a cessé de

créer des ennuis dans les ports, les aéroports, les frontières, pour quelques paquets de cigarettes,

quelques flacons de parfums, des bouteilles d’alcool etc…820. Le contribuable considère son statut

comme un fardeau, une punition et exige à ce titre de plus en plus de garanties pour le protéger.

Afin de favoriser l’adhésion de l’ensemble de la population à l’impôt, la nouvelle philosophie de

l’administration fiscale tente de placer l’être humain au centre de ses préoccupations. Il est sans

doute permis de penser que l’émergence d’un Etat de droit fiscal, corollaire de l’Etat de droit fait

en sorte que l’administration fiscale ne considère plus le recouvrement comme un acte de

contrainte ou de répression, mais plutôt un partenariat entre l’administration fiscale et le

contribuable. La logique ici consiste à faire comprendre au contribuable qu’il participe au

processus fiscal. Et de ce point de vue, les droits du contribuable en matière fiscale font partis des

droits fondamentaux reconnu par la constitution tel que le principe du consentement de l’impôt821.

Ainsi, même en cas de contentieux, L’administration douanière semble décider à développer des

relations de partenariat avec les contribuables de plus en plus perçus comme des clients.

L’administration douanière a effectivement à cœur de garantir au contribuable l’égalité d’accès au

service publique et surtout l’adaptabilité du service pour répondre aux évolutions

817 CADIET (L), Les jeux du contrat et du procès : esquisse, Mélanges Farjat, 1999, p. 23et s. 818www.douanes.mg/en/node/67 consulté le 12 novembre 2017. 819 WANGUIA (V), L’extinction des poursuites des infractions douanières, op. cit. p.30. 820BILONG BI NKOTH (J), droit public financier, cours, Université de Ngaoundéré, cycle de capacité en droit et

économie, Niveau 1, 2013/2014. 821 FADA (I.A), La protection des droits du contribuable au Cameroun, mémoire, Université de Ngaoundéré,

2012/2013, p.2.

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environnementales822. En somme, la transaction douanière, de nature contractuelle, se forme sur

la base des négociations faisant appel au consentement des parties litigieuses.

B- Le renforcement de l’image positive de l’administration

D’une manière générale, les administrations fiscales performantes ont une stratégie

d’adaptation permanente de leurs services à la demande des usagers. Il est à préciser que la mise

en place d’un interlocuteur fiscal pour l’usager serait réalisée en utilisant les procédés amiables de

règlement des différends. Il s’agit dans une certaine mesure, de rendre un meilleur service aux

contrevenants. Les relations entre les contribuables et l’administration fiscale en outre s’avère de

plus en plus solide. Ce service, permet non seulement à l’administration de prélever tous les droits

et taxes compromis ainsi que les pénalités dans un court délai mais aussi au contrevenant

d’échapper à des sanctions sévères si elles étaient prononcées par le juge. Cette démarche de

simplification de règlement transactionnel solidifie leurs liens qui jadis manquaient de réciprocité.

En effet, la transaction a renforcé l’amélioration des relations administration-contribuables

pour un meilleur service rendu. Ce mécanisme transactionnel regroupe en lui trois thèmes : la

« simplicité » pour aider, guider le contribuable ; « le respect », conduisant à la mise en place de

« relance amiable » lorsque le contribuable de bonne foi fait une erreur dans sa déclaration et

« l’équité » l’administration fiscale est tenue aux obligations que ceux imposés aux contrevenants.

Cette technique révèle les engagements réciproques entre le contrevenant et l’administration

fiscale et permet en particulier au contribuable de s’en prévaloir systématiquement auprès de

l’administration. La transaction répond effectivement au souhait exprimé par le conseil des impôts

qui soulignait que : « l’amélioration de la qualité des relations entre l’administration et le

contribuable contrôlé passe désormais bien davantage par la modernisation des comportements

administratifs (…) »823.

Mais une question demeure : l’amélioration des comportements administratifs suffira-t-elle à

rendre l’impôt plus acceptable ? En définitive, la réorganisation de l’administration fiscale en

fonction des services rendus aux contribuables-usagers a certes une finalité pédagogique et

822 Ibidem. 823 Conseil des impots dans son XXe rapport de 2002 consacré aux relations entre les contribuables et l’administration

fiscale. Cité par DE VILLIERS (M) (dir), Droit public général, 3e éd., op. cit., p. 183-185.

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préventive. Cette stratégie s’est inspirée de l’exemple de l’Irlande, toute entreprise nouvelle reçoit

la visite d’un inspecteur des impôts non pas pour la contrôler, mais pour l’assister dans ses

obligations fiscales824. Cependant, cinquante ans plus tôt et de façon certes prémonitoire, Maurice

LAURE évoquait déjà dans son célèbre traité de politique fiscale, la nécessité pour l’administration

fiscale de devenir « une administration de service », en soulignant que les administrations fiscales

« doivent donner aux contribuables l’impression qu’elles sont des organismes préposés à leur

rendre des services beaucoup plus qu’à les surveiller ».

Mode commode et efficace de règlement des affaires contentieuses, la transaction douanière,

protège la société.

II - LA PROTECTION DE LA SOCIETE

« L’ordre social est un droit sacré, qui sert de base à tous les autres. Cependant ce droit ne

vient point de la nature ; il est donc fondé sur des conventions »825. Ainsi socialement, le contrat

constitue également un « pilier de l’ordre juridique »826 et semble alors naturellement dépasser les

frontières du droit civil pour figurer parmi les institutions essentielles au fonctionnement d’une

société827. Bref, la transaction douanière a vocation à « sanctionner un comportement nuisible à la

société »828. Autrement dit, elle adopte une vision punitive centrée sur l’auteur du comportement

et qui exige une prise en compte des intérêts, non pas de la victime mais de la société829. Ce sujet

touchant aux droits des douanes, ne touche pas seulement notre système économique mais bien la

société entière. La transaction permet dans une certaine mesure de poursuivre les objectifs toujours

824 Ibid. 825 ROUSSEAU (J.J), Du contrat social, 1762, L. 1, Ch. 1, T. III, p. 352. 826 CARBONNIER (J), Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., LGDJ, 2001, pp. 255- 313

et s. 827 « Il n’est nul besoin d’être juriste pour percevoir que le contrat constitue l’un des rouages essentiels de la vie en

société ». Voir TERRE (F), SIMLER (PH), LEQUETTE (Y), Droit civil. Les obligations, op. cit., n°17. 828 FABRE-MAGNAN (M), Droit des obligations. 2- Responsabilité civile et quasi-contrats, 2e éd, PUF, 2010, p.11. 829 MAYAUD (Y), Ratio legis et incrimination, RSC 1983, p. 597 et s. cité par MERLE (R), VITU (A), Traité de

droit criminel. Problèmes généraux de la science criminelle. Droit pénal général, 7e éd., Cujas, 1997, n°6. V.

également SAINT-PAU (J.C), Droit à réparation. Conditions de la responsabilité contractuelle. Fait générateur.

Inexécution imputable au débiteur, J.- Cl. Civ., fasc. 11-20, 2004, n°42 ; THIEBIERGE (C), « Avenir de la

responsabilité, responsabilité de l’avenir », D. 2004, p.577 et s. ; VINEY (G), JOURDAIN (P), Traité de droit civil.

Les conditions de la responsabilité, 3é éd., LGDJ, 2006, n°247.

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recherchés par le droit criminel830. Outre les conséquences sociales mentionnées ci-dessus, la mise

en œuvre de la transaction douanière devrait permettre de promouvoir la sécurité ainsi que la

protection de la société. L’efficacité de la transaction permettrait de restaurer l’ordre social troublé

par l’infraction commise par le délinquant. Le recours à un règlement transactionnel de l’infraction

a forcément une incidence sur la situation des transigeants, puisque l’efficacité de la transaction

entraine l’extinction de la cause sur laquelle il a été transigé. La transaction implique non

seulement la responsabilisation de l’intéressé (A) et la réparation du préjudice de la victime de

l’infraction, mais également la resocialisation de la personne mise en cause (B).

A- L’inscription de la transaction dans la logique de responsabilisation du délinquant

Le recours à une procédure transactionnelle pour régler une infraction en droit répressif a une

incidence sur la situation juridique de l’auteur des faits. Dans la mesure où une sanction librement

consentie serait mieux exécutée par l’intéressé qu’une sanction imposée, la transaction implique

une responsabilisation « inclusive » de l’auteur des faits. Lorsqu’en effet, l’intéressé participe à la

détermination de sa sanction831, il est plus enclin à comprendre le pourquoi de sa

responsabilisation832. Sachant pertinemment qu’il risque de voir les poursuites exercées contre lui

en cas d’inexécution des mesures proposées par les autorités de poursuites ou l’administration

concernée, l’auteur des faits trouve dans la transaction, une sorte de rédemption, une voie de sortie

honorable, lui permettant d’échapper au procès pénal833. Ainsi, l’auteur de l’infraction qui participe

à l’élaboration de sa sanction serait plus enclin à l’accepter et à l’exécuter, laissant entrevoir les

perspectives d’une meilleure réinsertion834.

Pour pouvoir atteindre l’objectif du droit pénal visant à poursuivre la répression des infractions,

la transaction met en œuvre un certain nombre de mesures dont la logique reste distincte de celle

830 Cette conciliation toujours souhaitée entre l’impératif de protection des intérêts de la société et le souci de garantir

et d’assurer les droits de la personne mise en cause, sans oublier la nécessité de prendre en compte les intérêts de la

victime de l’infraction. 831 Par une adhésion spontanée ou volontaire à l’offre de transaction, en acceptant les mesures proposées. 832 Cette responsabilisation des parties et dans une certaine mesure de l’auteur des faits repose sur un modèle dit

« thérapeutique » des modes alternatifs de règlement. V. JARROSSON (Ch.), « La contractualisation de la justice :

jusqu’où aller ? », in CADIET (L), RICHER (L) (dir.). Réforme de la justice, réforme de l’Etat, Paris, PUF, 2002p.

188 et s. 833 Là où au contraire la sévérité de la répression aurait conduit à poursuivre systématiquement l’intéressé et lui infliger

une sanction pénale. V. GARAPON (A), ALLARD (J) et GROS (F), Les vertus du juge, Dalloz, 2008, p. 157 et s. 834 PUIG (P), « La transaction : atouts et risques », LPA, 3 décembre 2009, n° 2.

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des sanctions pénales. Lorsqu’un fait infractionnel a été commis par le délinquant, la sanction de

ce dernier devient une nécessite non seulement pour réprimer son acte, mais aussi et surtout pour

prévenir la commission de nouvelles infractions. Si le principe de la sanction n’est pas discuté, les

modalités de déterminations et de mise en œuvre de celle-ci sont à repenser pour une plus grande

efficacité dans les réponses à apporter à la commission des infractions. En cela, les mesures

proposées dans la transaction se situeraient en droite ligne des objectifs du droit répressif835,

puisqu’elles visent à responsabiliser l’auteur de l’infraction. Les sanctions contenues dans la

transaction comportent, tout comme les sanctions pénales836, des mesures principales que sont les

amendes transactionnelles, auxquelles peuvent s’adjoindre des mesures accessoires. En matière de

transaction douanière, la mise en œuvre des mesures proposées par l’administration concernée,

révèle que l’amende transactionnelle apparait comme la sanction phare et incontournable. En plus

d’autres mesures accessoires à l’exemple de la confiscation peuvent être ajointes à l’amende.

L’amende douanière est une sanction omniprésente dans presque toutes les hypothèses où la

sanction d’un fait infractionnel est envisagée contre une personne ayant atteint les intérêts de

l’administration. Par rapport au droit commun, l’amende douanière présente une double

particularité837. Des controverses se sont élevées sur la nature des amendes douanières. Ces

amendes sont des sanctions fiscales ayant à la fois un caractère pénal et le caractère de réparations

civiles838.

Dans la mesure où il n’est pas de l’intérêt de la justice que les auteurs d’actes infractionnels

échappent à toute répression, la dimension répressive de l’amende transactionnelle s’affirme en

termes de nécessité à travers la responsabilisation de l’auteur des faits. L’amende transactionnelle

835 Pour permettre au droit pénal d’être efficace dans le traitement des infractions, le législateur a prévu une panoplie

de sanctions visant tant la répression de celles-ci, que la prévention de leur commission. Aussi, a-t-il prévu des peines

et des mesures de suretés pour réprimer les auteurs d’infractions et permettre leur amendement. Les mesures proposées

dans la transaction en matière douanière, de par leur pragmatisme, leur efficacité et leur célérité, semblent poursuivre

les mêmes objectifs assignés à la sanction pénale. 836 Les amendes pénales prévues comme peines principale à l’article 25 al 1 de CP. Pour GARRAUD, « l’amende en

principe est pénale à moins qu’il résulte, expressément ou implicitement de la loi que le fait pour lequel elle est

prononcée n’est pas une infraction. 837 SCHMIDT (D) et SCHMIDT (D), Le contentieux douanier et des changes, Dalloz, Paris, 1982, p. 39. 838 En matière pénale, le caractère de l’amende est de constituer une peine et non une réparation pécuniaire corrélatif

au dommage causé déclarait Trébutien. Or, il existe différents types d’amende n’ayant pas la même nature à l’instar

des amendes pénales, des amendes civiles, des amendes disciplinaires, des amendes administratives et des amendes

fiscales.

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apparait comme étant la principale sanction à caractère pécuniaire proposée par l’administration

concernée à la personne mise en cause et dont la finalité est d’éteindre l’action publique, et

corrélativement le litige pénal839. Une telle prévision marque ab initio le caractère répressif de

cette sanction. Dans tous les cas, les amendes transactionnelles devraient s’inscrire dans la

dynamique de l’adaptation de la sanction à la situation patrimoniale de la personne mise en cause.

Il reste à espérer que dans la pratique transactionnelle, l’administration concernée fixe le montant

de l’amende transactionnelle en tenant compte des ressources et des charges de la personne mise

en cause840.

Au-delà de la dimension patrimoniale de l’amende transactionnelle, il faut relever la logique

répressive qui est sou jacente à cette sanction. En effet, le non-paiement dans les délais impartis

des amendes proposées par l’administration concernée, expose l’auteur des faits à des mesures

d’exécution forcées ou à des poursuites judiciaires. L’intéressé sait en effet que s’il n’exécute pas

les obligations pécuniaires qui sont mises à sa charge, l’action publique « différée » pendant le

temps imparti pour l’exécution de la sanction, pourra être mise en mouvement par l’administration

concernée. Au-delà du fait qu’elle soit une mesure incitative, l’amende transactionnelle affiche

ostensiblement sa nature de sanction à caractère répressive. Ce caractère répressif de l’amende

transactionnelle découle également du fait que dans la plupart des cas, les sommes versées par la

personne mise en cause sont reversées au Trésor public rejoignant ainsi la définition de l’amende

donnée par l’article 25 al 1 du CP841. Lorsque l’auteur des faits a parfaitement exécuté les mesures

proposées, le litige est éteint et par conséquent l’action publique ne peut plus être mise en

mouvement pour les faits sur lesquels il a été transigé842. La transaction implique ainsi une

responsabilisation de la personne mise en cause, en le conduisant à prendre conscience de

l’infraction commise, et d’en assumer les suites dommageables. Une telle responsabilisation est

839 L’ensemble des matières où le législateur a prévu la transaction comme cause d’extinction de l’action publique

comporte comme sanction à caractère pécuniaire, l’amende transactionnelle. 840Les pouvoirs de l’administration quant à la détermination du montant transactionnel lui confèrent toute latitude pour

arrêter, mieux, déterminer la somme. Ils lui permettent de choisir dans la fourchette tels que le législateur lui a servi.

La liberté de l’administration est d’autant plus importante qu’il bénéficie d’un pouvoir discrétionnaire analogue à celle

du juge La liberté du juge est fréquemment rappelée par la chambre criminelle de la Cour de Cassation française, pour

qui « la détermination par le juge, dans les limites prévues par la loi, relève d’une faculté dont ils ne doivent rendre

aucun compte ». V. Crim. 19 décembre 1996, bull. Crim. N° 482 et Crim. 18 décembre 1997 bull. Crim. N° 428. 841 L’article 25 al 1 du CP dispose en effet, « l’amende est une peine pécuniaire en vertu de laquelle le condamné,

personne physique ou morale verse ou fait verser au Trésor public une somme d’argent déterminée par la loi ». 842 ONGUENE (B), La transaction en matière pénale, thèse, Université de Yaoundé II, 2019-2020, p. 255.

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visible à travers l’ensemble des mécanismes transactionnels prévus par le législateur notamment

en matière douanière843.

Si la sanction du comportement de la personne mise en cause révèle l’aspect répressif de

l’amende transactionnelle, elle n’est pas la seule finalité poursuivie par ces mesures à caractère

pécuniaire. Aussi, il n’est pas exclu que la sanction de l’auteur des faits soit inspirée par une

logique indemnitaire844. Ceci est révélateur de la finalité mixte que poursuit l’amende

transactionnelle douanière845. Les amendes douanières et fiscales ont vocation dans leur principe,

non seulement à sanctionner le comportement infractionnel de l’intéressé, mais également à

réparer le préjudice causé aux dépens du Trésor public. Compte tenu de ce que l’infraction

incriminée porte atteinte aux intérêts civils de l’Etat, la logique des amendes à caractère mixte est

alors simplement compréhensive. Puisque l’infraction porte atteinte à deux intérêts juridiques

distincts, des valeurs « pénales » d’une part et des valeurs « économiques » d’autre part, il est

nécessaire de sanctionner chaque fait distinctement sur la base des intérêts civils et des pénalités.

Hormis l’amende transactionnelle, il semble que d’autres mesures sont adjointes à celle-ci pour

combler les besoins de répression ou de réparation. Les mesures susceptibles d’être proposées à

l’auteur des faits ne se résument pas à des mesures à caractère pécuniaire. En effet, à côté de ces

mesures, la personne mise en cause peut aussi se voir proposer des mesures en nature, consistant

dans des prestations ou des abstentions. Ainsi, ces mesures viennent accompagner l’amende

transactionnelle afin d’étendre la répression sur des choses ayant participé à la commission de

l’infraction sur des choses ayant participé à la commission de l’infraction ou l’ayant facilité.

Comme l’amende douanière, la confiscation vise à sanctionner le comportement de l’auteur

présumé des faits et à réparer les conséquences dommageables d’une infraction. La confiscation

affecte l’objet et la personne846. Elle peut être prononcée en nature ou en valeur. Celle en nature

affecte la marchandise de fraude et se rapporte aux moyens de transport et aux marchandises ayant

843 Ibid. 844 Ibid. p. 203. 845 La chambre criminelle a indiqué depuis des lustres que les amendes douanières et fiscales ont un caractère mixte.

Cf. Cass. Crim, 10 juillet 1963, Bull. crim n° 250, où la Cour fait observer que les amendes douanières et fiscales

présentent un « caractère mixte de réparation civile et de peine, et tendent à réparer le préjudice causé au Trésor par

la fraude ». 846 SCHUMACHER (M), « Les sanctions et leur exécution en matière douanière », Annales de la faculté de droit et

de sciences économiques d’Aix-en Provence, PUF, Tome 1, 1968, p. 149.

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servi au masquer la fraude. Cette appropriation par les douanes des objets confisqués permet leur

aliénation dans des conditions prévues par le code des douanes847. La confiscation en valeur,

encore appelée confiscation par équivalent est prononcée lorsque les objets saisis n’ont pas pu être

saisi ou lorsque, ayant été saisis, la douane en fait la demande848. En tout état de cause, les mesures

adjointes à l’amende transactionnelle manifestent leur caractère répressif en ce sens qu’elles

viennent sanctionner le comportement infractionnel du contrevenant, mais comme les amendes,

elles peuvent être proposées en vue de réparer le dommage causé au préjudice de la victime de

l’infraction849.

Outre la finalité de répression attachée à la sanction douanière, cette dernière recherche

également à réintégrer celui qui, par la transgression de la norme, s’est mis en marge de la société.

B- L’inscription de la transaction dans la logique de resocialisation du contrevenant

Les sanctions transactionnelles s’orientent-elles aussi vers l’idée de réinsertion de l’auteur des

faits ? Une réponse a priori affirmative semble s’imposer en la matière. Le caractère consensuel

et apaisé de la transaction y trouve un écho assez favorable. La nécessité de prendre en compte

l’intérêt du délinquant est perceptible dans les mesures proposées dans la transaction, lesquelles

s’inscrivent dans la dynamique de la réinsertion de l’intéressé. Le mécanisme transactionnel, du

fait de sa logique consensuelle et apaisée, s’inscrit dans une dynamique d’atténuation de la

répression, laquelle recherche in fine la resocialisation de l’auteur des faits. La dynamique de

réinsertion s’inscrit à travers sa logique et sa technique.

La transaction s’inscrit dans une démarche dynamique et consensuelle dont la finalité en droit

répressif est la resocialisation du délinquant. La préférence des mesures transactionnelles aux

décisions imposées, qui n’ont pas toujours fait preuve d’efficacité, témoigne du souci de réinsérer

celui qui s’est mis en marge de la société. Aussi, la réinsertion du délinquant peut être recherchée

aussi bien en amont qu’en aval de la mise en œuvre des alternatives aux poursuites.

847 Article 390 CD français. 848 Article 435 du même code. 849 ROUSSEAU (F), « La fonction réparatrice de la responsabilité pénale », in Droit pénal et autres branches du droit.

Regards croisés. Actes du XXe congrès de l’Association française de droit Pénal, sous la dir. De SAINT-PAU (J.Ch.),

Cujas, coll. Actes & Etudes, 2013, p. 127 et s.

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Lors de la commission d’une infraction, il appartient à l’administration des douanes de décider

de l’orientation à donner à la procédure. Etant en effet, juge de l’opportunité des poursuites, celle-

ci peut décider d’ouvrir une action judiciaire ou soit décider de recourir à une alternative aux

poursuites et dans ce cas, le règlement des suites de l’infraction se fait hors du cadre classique. Le

choix de recourir, en amont de la procédure judiciaire, à une alternative aux poursuites plutôt qu’à

la mise en mouvement de l’action publique, constitue une forme sui generis de resocialisation.

Compte tenu du caractère souvent stigmatisant et infamant du procès pénal850, le recours à une

sanction transactionnelle est souvent vue par l’auteur des faits comme constituant un moindre mal,

une mesure de rédemption lui permettant d’échapper à des sanctions plus sévères en cas de

condamnation. L’anachronisme du mythe de l’emprisonnement du délinquant comme étant la

solution à sa réadaptation dans la société ne fait plus l’ombre d’aucun doute, d’autant plus que les

effets criminogènes de la prison se manifestent de plus en plus sur le terrain de la récidive851. De

plus, la « radicalisation » des individus est souvent due au fait que non seulement le procès pénal

est source de stigmates, mais aussi et surtout, la condamnation et l’emprisonnement s’éloignent

souvent de l’objectif de resocialisation qu’ils entendent poursuivre852.

Applicables à des infractions de moindre gravité ne relevant pas chez les auteurs une

« anormalité constitutionnelle »853, le mécanisme transactionnel serait une solution qui favorise

une meilleure réadaptation ou resocialisation des personnes qui ont traversées la frontière de

l’infraction. Compte tenu de ce que la transaction est la chose des parties, en ce qu’elle détermine

elles-mêmes leur situation juridique, le cadre apaisé et consensuel de celle-ci favoriserait une

meilleure resocialisation de l’auteur des faits. Le choix d’adapter les mesures aux circonstances de

commission d’une infraction et à la personnalité de l’infracteur, fait en sorte que la logique

consensuelle qui sous-tend le règlement transactionnel favorise davantage l’atteinte de l’objectif

de resocialisation de ce dernier. La transaction apparait dans ce cas comme une sorte de

850 Sans oublier qu’il est souvent suivi des conséquences parfois irréversibles d’une décision entrainant parfois à

l’application d’une peine d’emprisonnement ou d’amende, avec inscription de la condamnation au casier judiciaire. 851 BOUNOUNGOU NGONO (R), La réforme du système pénitentiaire camerounais : entre héritage colonial et

traditions culturelles, thèse de Doctorat, Grenoble, HAL, 2012, p. 139 et s. 852 Généralement, après une condamnation, et le cas échéant, l’exécution d’une peine d’emprisonnement plus ou moins

longue dans les conditions carcérales que l’on connait, certains condamnés sont « dépaysés » et leur resocialisation

s’avère plus délicate pour ne pas dire parfois impossible. 853 GARAFALO (R), La criminologie, 5e éd., Alcan, 1905, p. 1

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rédemption, une seconde « chance » accordée à des délinquants primaires qui ont plus besoin, pour

leur réinsertion, d’une prise de conscience quant à la gravité de leurs actes. De ce fait, la transaction

participe amplement de l’idée de resocialisation de la personne mise en cause, puisque la logique

du procédé voudrait qu’on privilégie davantage le traitement à la punition.

La technique de la transaction permet d’atteindre également cet objectif à travers la pluralité

de mesures susceptibles d’être proposées à l’intéressé. La logique thérapeutique du mécanisme

transactionnel se traduit à travers des mesures visant à faire comprendre au délinquant la gravité

de l’infraction et celles favorisant de facto sa réinsertion par la mise en œuvre traitement approprié.

L’esprit qui anime les procédés répressifs alternatifs révèle la dimension pédagogique dans

laquelle s’inscrivent les différentes mesures proposées à l’auteur des faits. La transaction vise à

provoquer chez la personne mise en cause la conscience du trouble causé à la société, les

conséquences dommageables que ses agissements ont sur la victime de l’infraction854. En cela, le

mécanisme transactionnel se situe en droit ligne des idées de la doctrine de la défense sociale

nouvelle telle que prônée par Parc ANCEL855. La transaction marque donc un nouveau paradigme

dans la resocialisation de l’auteur des faits : les mesures pédagogiques visant la réinsertion de

l’intéressé ne lui sont pas imposées, plutôt, elles s’inscrivent dans une démarche consensuelle

visant une adhésion spontanée de la personne mise en cause. La technique de resocialisation du

mécanisme transactionnel s’inscrit dans une dynamique de compréhension, d’éducation,

d’accompagnement dans un esprit empreint de consentement et d’apaisement. La dimension

clinique révélée de la transaction se traduit à travers la pluralité des mesures de traitement

susceptibles d’être proposées à l’intéressé.

854 La logique de la transaction est, moins de punir celui qui a commis une infraction à la loi pénale, que de permettre

sa resocialisation en lui faisant prendre conscience de la gravité des actes commis. 855 La nécessité de prendre en compte la personne du délinquant est une idée qui a profondément révolutionné la

conception classique du droit pénal, à travers l’émergence de la doctrine de la défense sociale. La défense sociale, il

est vrai, est une idéologie visant à protéger la société contre les délinquants, mais dans sa logique, elle vise à

promouvoir l’instauration d’une politique pénale plus humaniste, dans une dynamique de resocialisation systématique

des infracteurs. V. ANCEL (M), « La peine dans le droit pénal classique et dans les doctrines de Défense sociale »,

RSC, 1973, p. 193. Par la suite, Marc ANCEL développera la doctrine de la Défense sociale nouvelle dans laquelle il

part du postulat que la responsabilité de l’individu est fondée, non sur le concept de libre-arbitre, mais sur « le

développement de ce sentiment inné de la responsabilité que tout homme, y compris le délinquant, possède

nécessairement en lui ». Cf. ANCEL (M), La Défense sociale nouvelle, 1ère éd., Paris, Cujas, 1954, p. 69.

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Conclusion

La transaction, technique très utilisée en matière douanière, s’avère très pertinente en

matière sociale. Ce processus censé permettre le fonctionnement de la justice privée favorise

l’instauration d’une certaine harmonie entre l’administration des douanes et les contribuables jadis

inexistante. Naturellement, une pareille obligation exprimée par l’article 1134 du Code civil856 doit

par ailleurs être associée au respect de la parole donnée, indispensable à la cohésion sociale857. Le

témoignent désormais non seulement les économistes mais également les sociologues858. Par

conséquent, la vocation générale et essentielle attribué au contrat de transaction parait rendre

logique sa présence en droit douanier qui se doit de défendre les valeurs jugées fondamentales

pour la société859. Le droit de transaction constitue un processus pratique, promoteur et novateur.

856 « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». 857 La religion chrétienne, elle-même, a imposé aux hommes la foi de la parole scrupuleusement gardée » : RIPERT

(G), La règle morale dans les obligations civiles, 4e éd., LGDJ, 1949, n°22. 858 RIDEL (L) Du pacte au contrat, Cultures en mouvement, n° 1, janvier 1997, cité par BOY (L), Les utilités du

contrat, préc. V. SAVAUX (E), La théorie générale du contrat, mythe ou réalité ? LGDJ, 1997, n° 141 et s. pour

l’apport des sciences humaines et des sciences sociales à l’étude du contrat. 859 La définition du trouble social de MM. MERLE et VITU, in Traité de droit criminel. Problèmes généraux de la

science criminelle. Droit pénal général, 7e éd., Cujas, 1997, n° 6. V. LACAZE (M), Réflexions sur le concept de bien

juridique protégé par le droit pénal, LGDJ, 2010, n° 375 ; LAZERGES (CH), « Processus de socialisation et

apprentissage de la règle de droit », RSC, Dalloz, 1993, pp.593 et s. ; PIN (X), Droit pénal général, 4e éd., Dalloz,

2010, n° 3.

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L’Union Africaine et les organisations sous régionales et le protocole

d’accord de 2008

Par :

Désirée Bérénice TIDIMI

Doctorante en Droit Public

Université de Maroua (Cameroun)

Résumé :

Les opérations de maintien de la paix et de la sécurité internationale en générale et africaines

en particulières ont connu un essor aussi tout important avec l’implication des organisations

régionales et sous régionales. En effet, avec l’avènement de l’Union Africaine, qui a remplacé

l’OUA, en tant qu’organisation principale dans le domaine de la paix et de la sécurité sur le

continent, les opérations de maintien de la paix africaine sont devenues au centre des

préoccupations africaines. Le maintien de la paix et de la sécurité est un domaine plus important

pour un pays. Raison pour laquelle les Organisations régionales originellement confinées à la

mission d’intégration économique ont progressivement pris en compte le lien étroit existant entre

la paix et le développement et se sont en conséquence investies dans le domaine de la prévention,

de la gestion et du règlement des conflits. Ainsi, pour mener à bien sa mission, l’Union Africaine

va impliquer les organisations sous régionales en collaborant avec elles. A cet effet, une

collaboration étroite entre l’Union Africaine et les organisations sous régionales sera établie.

Coopération qui d’ailleurs sera très fruitive et matérialisée.

Mots clés : Collaboration, Union Africaine, Organisations sous régionales, Communauté

économique régionale

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Introduction

Les opérations de maintien de la paix et de la sécurité africaine ont connu un développement

tout aussi particulier depuis l’avènement de l’Union Africaine (UA). En effet, ayant pour principal

objectif de « (a) Renforcer l’unité et la solidarité des Etats africains ; (b) Coordonner et intensifier

leur coopération et leurs efforts pour offrir de meilleures conditions d’existence aux peuples

d’Afrique »1, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) a connu un déclin car avec des nouveaux

conflits qui s’sévissent sur le continent, ce dont le peuple africain en a besoin, c’est une sécurité

totale car, à quoi servirait un développement sans sécurité ? Pour cela, l’Union Africaine est arrivée

avec une nouvelle donne tout aussi époustouflante comme un espoir pour les pays africains avec

son objectif principal de « promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent »2. Ayant

succédée à l’OUA l’Union Africaine outre une référence aux principes et objectifs de cette

dernière, a dans le préambule de son Acte constitutif évoqué la promotion de la paix, la solidarité,

la cohésion et la coopération entre les peuples et les États africains. Principal organe dans le

maintien de la paix et de la sécurité, l’UA est une organisation internationale regroupant tous les

Etats africains. En tant que « toutes mesures visant à éviter, prévenir la survenance d’un conflit,

maintenir ou rétablir la paix dans un contexte déjà conflictuel ou garantir la conservation de la

paix nouvellement acquise »3, le maintien de la paix et de la sécurité est une notion qui lie les Etats

et les mets ensemble pour mieux faire face aux conflits.

Dans les dispositions de son Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité

(CPS), l’Union Africaine énonce que « les mécanismes régionaux pour la prévention, la gestion

et le règlement des conflits font partie intégrante de l’architecture de paix et de sécurité de l’Union

Africaine, qui assume la responsabilité principale pour la promotion de la paix, de la sécurité et

de la stabilité en Afrique »4. Ce qui nous amène à dire que les mécanismes régionaux en tant que

organisations sous régionales œuvrent également pour le maintien de la paix et de la sécurité. Dans

le désir de renforcer et d’approfondir leurs relations et d’améliorer leur capacité à faire face

collectivement au fléau des conflits et à assurer le maintien de la paix, de la sécurité et de la

1 Article II (1) de la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). 2 Article 3 (f) de l’Acte Constitutif de l’Union Africaine 3 Rapport du Secrétaire Général des Nations Unies, Boutros Boutros Ghali, du 31 janvier 1992, Cf. Doc. /A/47/277,

S/24111 du 17 juin 1992. 4 Article 16 du Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité.

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stabilité, à travers la conclusion du Protocole d’Accord, conformément aux pouvoirs conférés par

le Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, elles vont

collaborer. Ceci étant, il en ressort que l’UA et les CER entretiennent des liens étroits dans le

domaine du maintien de la paix et de la sécurité. Dès lors, quel est l’impact ou l’importance du

protocole dans les relations entre l’UA et les OSR en matière de paix et de sécurité? A

l’observation, l’Union Africaine et les organisations sous régionales entretiennent un rapport

multiforme en matière de paix et de sécurité. Faisant donc partie intégrante de l’AAPS de l’UA,

les CER se doivent de respecter les principes et objectifs de l’Union afin de permettre une

collaboration étroite dans leurs différentes activités. Ainsi, pour matérialiser cette reconnaissance,

un Protocole fut signé (I) et au travers de l’application dudit Protocole (II).

I- L’ADOPTION DU PROTOCOLE D’ACCORD EN 2008

La promotion de la bonne gouvernance et, de manière plus générale, celle de mesures axées

sur la prévention structurelle des conflits, ainsi que la mise en œuvre de programmes pour la

reconstruction et le développement post-conflit sont essentiels à la promotion de la sécurité

collective et à l’instauration d’une paix et d’une sécurité durable sur le continent5. C’est pourquoi

dans le but de renforcer et d’approfondir leurs relations et d’améliorer leur capacité à faire face

collectivement au fléau des conflits et assurer le maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité,

un Protocole fut conclu entre l’UA et les mécanismes régionaux. Signé en 2008, ce Protocole

prouve l’engagement de ces organismes à promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le

continent. Ce Protocole a des objectifs bien définis (A) et un domaine de coopération bien précise

(B).

A- Le renforcement de la coopération au travers des objectifs poursuivis par le Protocole

de 2008

L’élaboration des activités et programmes conjointes dans le domaine de la paix, de la

sécurité et de la stabilité en Afrique s’effectue par « l’intensification des efforts des parties en vue

5 Préambule du Protocole d’accord de coopération dans le domaine de la paix et de la sécurité entre l’Union Africaine,

les communautés économiques régionales et les mécanismes de coordination des brigades régionales en attente de

l’Afrique de l’Est et de l’Afrique du Nord.

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de la prévention structurelle des conflits, à travers notamment des politiques visant à promouvoir

de principes et pratiques démocratiques, la bonne gouvernance, l’état de droit, la protection des

droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que le respect du caractère sacré de la vie

humaine et du droit international humanitaire »6. Selon le Protocole portant création du CPS de

l’UA, entré en vigueur en décembre

2003, les mécanismes régionaux de paix et de sécurité sont les piliers de l’architecture

africaine de paix et de sécurité. En signant en 2008 le Protocole d’accord en matière

de paix et de sécurité, l’UA et les CER se sont entendues pour institutionnaliser et

renforcer leur partenariat et leur coopération dans le domaine7. Pour le renforcement de leurs

capacités à prévenir et à prévoir et à prévenir les conflits, et les actions qui pourraient conduire

contre l’humanité, les parties coopèrent8.

A cet effet, pour la pratique effective de ce Protocole et sa a mise en œuvre, plusieurs

objectifs furent énumérés. Ainsi cette pratique est en ce qui la concerne guidée par ce qui suit :le

respect scrupuleux des principes et dispositions de l’Acte constitutif et du Protocole relatif au CPS,

ainsi que des autres instruments pertinents convenus au niveau continental; la reconnaissance et le

respect de la responsabilité principale de l’Union dans le maintien et la promotion de la paix, de la

sécurité et de la stabilité en Afrique, conformément à l’article 16 du Protocole relatif au CPS ; la

reconnaissance du rôle des CER et, le cas échéant, de celui des Mécanismes de coordination dans

la prévention, la gestion et le règlement des conflits dans leurs zones de juridiction, ainsi que de la

contribution qu’ils peuvent apporter à la promotion et au maintien de la paix, de la sécurité et de

la stabilité dans d’autres régions du continent ; et le respect des principes de subsidiarité, de

complémentarité, ainsi que des avantages comparatifs respectifs des Parties, afin d’optimiser le

partenariat entre l’Union, les CER et les Mécanismes de coordination dans la promotion et le

maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité.9

6 Article 7(1) du protocole d’ accord entre de 2008. 7 Union africaine, Mémorandum d’Entente de 2008 sur la coopérationdans le domaine de la paix et de la sécurité entre

l’Union africaine, les Communautés économiques régionales et les mécanismes de coordination, Addis Abéba, 2008. 8 Article 7(3) du protocole d’Accord de 2008. 9 Article 4 du protocole de 2008 portant accord entre l’UA et les Communautés Economiques Régionales dans le

domaine de la paix en Afrique.

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Ce Protocole de 2008 entre l’UA et les CER/MR fournit la base juridique à partir de

laquelle l’UA et les CER/MR se coordonnent pour opérationnaliser l’Architecture africaine de

paix et de sécurité (APSA). Un des objectifs du Protocole est de « contribuer à la mise en œuvre

opérationnelle intégrale et au fonctionnement effectif de l’architecture continentale de paix et de

sécurité »10.

Le Protocole d’accord de coopération dans le domaine de la paix et de la sécurité entre

l’Union Africaine et les Communautés économiques régionales et les mécanismes de coordination

des brigades régionales en attente de l’Afrique du Nord11 est adopté en 2008. Ce Protocole pose

comme principe la reconnaissance du rôle des CER et des Mécanismes de coordination dans la

prévention, la gestion et le règlement des conflits dans leur zone de juridiction12. C’est justement

ce qui ressort de l’article III (2) du Protocole, où mention est faite que « les Parties

institutionnalisent et renforcent leur coopération et coordonnent étroitement leurs activités pour

réaliser leurs objectifs communs d’éliminer le fléau des conflits sur le continent et de poser les

jalons d’une paix, d’une sécurité et d’une stabilité durables ». Le protocole de 2008 poursuivait

plusieurs objectifs : contribuer à la mise en œuvre opérationnelle intégrale et au fonctionnement

effectif de l’Architecture continentale de paix et de sécurité; assurer l’échange régulier

d’informations entre les parties sur toutes leurs activités relatives à la promotion et au maintien de

la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique; promouvoir un partenariat plus étroit entre les

Parties en vue de la promotion et du maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité sur le

continent, et renforcer la coordination de leurs activités; élaborer et mettre en œuvre des activités

et programmes conjoints dans le domaine de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique ;

assurer que les activités des CER et des Mécanismes de coordination sont conformes aux objectifs

et principes de l’Union; faciliter la coordination et renforcer le partenariat entre les Parties, d’une

part, les Nations unies et leurs agences, ainsi que d’autres organisations internationales

compétentes, d’autre part; contribuer à assurer que toute initiative extérieure dans le domaine de

10 Article 3, paragraphe 2 (i) du Protocole d’accord de 2008. 11 Le Protocole définit comme « Mécanisme de coordination » l’EASBRICOM et la capacité régionale pour l’Afrique

du Nord (NARC) qui ne sont pas des CER mais qui servent de support à la mise en place de leur brigade régionale,

citée par Amandine GNANGUENON dans « Le rôle des Communautés Economiques Régionales dans la mise en

œuvre de l’Architecture africaine de paix et de sécurité », octobre 2010, p. 44. 12 Article 4 du Protocole de 2008.

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la paix et de la sécurité sur le continent est entreprise dans le cadre des objectifs et des principes

de l’Union; consolider et renforcer les capacités des Parties dans les domaines couverts par le

Protocole. Au vue de ces objectifs, force est de constater la volonté absolue de collaborer entre

l’UA et les CER dans le cadre de la mise en œuvre des objectifs établis par le Protocole de 2008.

Ainsi, en renforçant leur collaboration, il va naitre un rapport étroit entre elles.

B- L’établissement d’un rapport entre l’UA et les CER

Les Parties institutionnalisent et renforcent leur coopération et coordonnent étroitement

leurs activités pour réaliser leurs objectifs communs d’éliminer le fléau des conflits sur le continent

et de poser les jalons d’une paix, d’une sécurité et d’une stabilité durables. A cet effet, le Protocole

de 2008 établi un rapport étroit entre l’UA et les CET/MR dans le domaine de maintien de la paix

et de la sécurité. Pour ce fait, plusieurs rapports seront mis en exergue par le Protocole en vue

d’une coopération plus étroite et coordonnée. Pour ce fait, les parties doivent dans le but de mieux

collaborer : contribuer à la mise en œuvre opérationnelle intégrale et au fonctionnement effectif

de l’Architecture continentale de paix et de sécurité; assurer l’échange régulier d’informations

entre les Parties sur toutes leurs activités relatives à la promotion et au maintien de la paix, de la

sécurité et de la stabilité en Afrique; promouvoir un partenariat plus étroit entre les Parties en vue

de la promotion et du maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité sur le continent, et

renforcer la coordination de leurs activités; élaborer et mettre en œuvre des activités et programmes

conjoints dans le domaine de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique; assurer que les

activités des CER et des Mécanismes de coordination sont conformes aux objectifs et principes de

l’Union; faciliter la coordination et renforcer le partenariat entre les Parties, d’une part, les Nations

unies et leurs agences, ainsi que d’autres organisations internationales compétentes, d’autre part;

contribuer à assurer que toute initiative extérieure dans le domaine de la paix et de la sécurité sur

le continent est entreprise dans le cadre des objectifs et des principes de l’Union; et consolider et

renforcer les capacités des Parties dans les domaines couverts par le Protocole13.

Afin de réaliser les objectifs énoncés à l’article III (2) du Protocole, les parties coopèrent

dans tous les domaines concernant la promotion et le maintien de la paix, de la sécurité et de la

13 Article 3 du protocole de 2008.

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stabilité en Afrique, y compris : la mise en œuvre opérationnelle et le fonctionnement de

l’Architecture continentale de paix et de sécurité, telle que prévue par le Protocole relatif au CPS

et d’autres instruments pertinents; la prévention, la gestion et le règlement des conflits; l’action

humanitaire et l’intervention en cas de catastrophe; la reconstruction et le développement post-

conflit; le contrôle des armements et le désarmement; le contre-terrorisme, ainsi que la prévention

et la lutte contre le crime organisé transnational; la gestion des frontières; le renforcement des

capacités, la formation et le partage des connaissances; la mobilisation des ressources; et tous

autres domaines d’intérêt commun et de priorités partagées dont les Parties pourraient convenir.

Pour une réalisation et la réussite de ces objectifs, l’UA et les CER doivent tout mettre en œuvre

concernant leur coopération et leur collaboration. Ce qui revient à dire que ces deux organisations

doivent d’une manière ou d’une autre tout faire et tout mettre en œuvre pour que les objectifs

énoncés dans ledit Protocole soient atteint.

II- LA MISE EN OEUVRE AU TRAVERS DU PROTOCLE DANS LA GESTION

DES CONFLITS

Dans l’application du Protocole de 2008, il en ressort l’établissement d’un rapport entre

l’UA et les CER, un rapport de coordination et de coopération fut établi en ce qui concerne leurs

différentes collaborations. Ce protocole servira à établir une harmonisation des mécanismes de

promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité sur le continent. Ainsi donc, dans la gestion

de, l’UA et les CER sont appelées à œuvrer conjointement tout en coopérant (A) en coordonnant

leurs efforts dans le cadre de l’Architecture de paix et de sécurité africaine (B).

A- La coopération entre l’Union Africaine et les Communautés Économiques Régionales

dans le cadre de gestion des conflits

Dans un souci d’efficacité, l’UA (article 3-1 de l’Acte constitutif) décidait à Maputo, en

juillet 2003, de l’établissement d’une plate-forme de collaboration avec les Communautés

économiques régionales (CER), dans l’optique de la création d’une Force africaine en attente

(FAA) dont l’opérationnalisation était prévue en 2015, et plus récemment la Capacité africaine de

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réponse immédiate aux crises (CARIC)14. Les CER (5 brigades issues des 5 sous-régions), aux

multiples avantages comparatifs,15 fondées sur le principe de subsidiarité en matière de maintien

de la paix, constituent les organes centraux de prévention et de gestion des conflits de l’UA, au

niveau sous régional. Au plan structurel, chaque force régionale comprend trois composantes

classiques : une composante civile (60 personnes par région), une composante police (720 agents

de police et 5 unités de police constituées par région) et une composante militaire (300 à 500

observateurs militaires et des unités terre-mer-air d’environ 5 000 hommes par région).

A cet effet, dans le but de résoudre les problèmes de paix et de sécurité sur le continent, les

parties intensifient leurs efforts en vue de la prévention structurelle des conflits, à travers

notamment des politiques visant à promouvoir des principes et pratiques démocratiques, la bonne

gouvernance, l’état de droit, la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales,

ainsi que le respect du caractère sacré de la vie humaine et du droit international humanitaire. Les

Parties coopèrent et s’aident mutuellement en ce qui concerne l’action humanitaire et

l’intervention en cas de catastrophe naturelle majeure, conformément aux dispositions pertinentes

du Protocole relatif au CPS16.

Au fin de mise en œuvre des dispositions de l’Article 3 (a) du présent Protocole et des

Articles è7(j) et 16(4) du Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union,

les parties conviennent : (a) d’harmoniser et de coordonner leurs activités dans le domaine de la

paix, de la sécurité et de la stabilité afin d’assurer leur compatibilité avec les objectifs et principes

de l’Union et ceux des CER ; (b)d’œuvrer à l’établissement d’un partenariat effectif entre elles

dans la promotion et le maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité, (c) et de définir les

modalités de leur relations en matière de la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité

dans un Protocole d’accord entre l’Union et les CER. A cet effet, « tout différend entre les parties

11La création de la CARIC a été annoncée le 27 mai 2013 à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’UA tenu à

Addis-Abeba.

12Il s’agit du voisinage étatique, des affinités culturelles, de l’existence d’une organisation à compétence régionale

défendant les intérêts politiques et économiques communs aux États-membres telle que la CEEAC en Afrique centrale,

la CEDEAO en Afrique de l’Ouest, l’UMA en Afrique du Nord, la SADC en Afrique australe et le COMESA en

Afrique orientale.

16Article VIII du Protocole de 2008.

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né de l’interprétation ou de l’application des dispositions du présent Protocole est réglé à

l’amiable par les parties concernées au sein du Comité de Coordination »17. Et « si le Comité de

coordination ne parvient pas régler le différend, l’une des Parties peut en saisir la Cour de justice

de l’Union pour régler conformément aux Articles 18 et 19 du Protocole de ladite Cour »18. « En

cas de différend né de l’interprétation ou de l’application des dispositions de l’Acte constitutif, du

Traité et des traités, l’Acte constitutif prévaut, ipso facto, et constitue avec le présent Protocole

la base juridique pour les Parties non signataires du Traité »19. Le Protocole sur les relations entre

les CER et l’UA prévoit un mécanisme de coordination entre la Communauté économique

africaine et les CER. Ce mécanisme comporte les deux éléments suivants :

Le Comité de coordination fournit des conseils stratégiques et supervise la mise en œuvre

du Protocole (article 7). Il est également chargé de coordonner et de suivre les progrès accomplis

par les CER dans la réalisation des objectifs d’intégration régionale. L’article 6 du Traité d’Abuja

en indique les différentes étapes. Ce Comité est composé du président de la Commission de l’UA,

des secrétaires généraux des CER, du secrétaire exécutif de la Commission économique des

Nations Unies pour l’Afrique (CEA), du président de la Banque africaine de développement

(BAD) et des directeurs généraux des institutions financières de l’UA. Conformément à l’article 8

du Protocole, le Comité doit se réunir au moins deux fois par an. Il est présidé par le président de

la Commission de l’UA. Le Comité prend ses décisions par consensus ou, à défaut, à la majorité

simple des membres présents et votants. Il transmet ses décisions au Conseil exécutif sous forme

de recommandations. Des experts et des conseillers peuvent accompagner les membres du Comité

aux réunions.

Le Comité des hauts fonctionnaires du secrétariat quant à lui prépare des rapports

techniques pour examen par le Comité de coordination (article 9 du Protocole). Il est composé de

hauts fonctionnaires de la Commission de l’UA et des CER chargés des affaires communautaires,

ainsi que de hauts fonctionnaires de la CEA et de la BAD. Le Comité se réunit au moins deux fois

par an, avant les réunions du Comité de coordination, sous la présidence de la Commission de

17 Article 32 (1) du Protocole de 2008 18 Article 30 (2) du Protocole de 2008. 19 Article 30 (3) du Protocole de 2008.

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l’UA. Le Comité prend ses décisions par consensus ou, à défaut, par un vote à la majorité simple

(article 9).

B- La coordination dans le cadre de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité

La création de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité (APSA) s’inscrit dans le

cadre de la mutation de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en Union Africaine. A l’issue

de la guerre froide, cette mutation procède d’évolutions tant en Afrique que dans le reste du monde.

Pour symboliser le passage de la non-intervention à la non-indifférence, avec la mise en place

d’une architecture institutionnelle sophistiquée20, l’UA voit le jour.

L’APSA21 repose sur une conception élargie de la sécurité22 qui prend en compte les «

menaces à l’existence, au développement et à la durabilité des systèmes politiques, économiques,

militaires, humains, sociaux, du genre et de l’environnement au niveau de l’État, régional et

continental»23 . Cette acception de la sécurité a l’avantage de rendre compte de la diversité des

causes des conflits sur le continent et permet, en même temps, de légitimer diverses initiatives

politiques, militaires, économiques, environnementales, etc., que l’Union pourrait entreprendre en

faveur de la sécurité et de la paix. Cependant, dans la mise en œuvre opérationnelle de

l’Architecture continentale de la paix et de sécurité, les parties œuvrent conjointement24.

Nous avons la coordination et la coopération dans le cadre de l’APSA. Dans ce rapport, il

y’a eu intensification des efforts déployés conjointement par l’UA et les Communautés

économiques régionales/Mécanismes régionaux pour la prévention, la gestion et le règlement des

conflits (CER/MR) pour résoudre des conflits violents. Entre 2013 et 2014, les efforts conjoints

de l’UA et des CER/MR ont de plus en plus évolués. Ces efforts sont passés de 56% à 69% et ont

20 Le socle normatif de l’APSA est formé par l’Acte constitutif de l’Union Africaine, le Protocole relatif à la création

du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine (Protocole relatif à la création du CPS) et la Politique Africaine

Commune de Défense et de Sécurité (PACDS). 21 L’APSA a été créée avec l’adoption du Protocole relatif à la création du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union

Africaine par la première session ordinaire de la Conférence de l’Union Africaine à Durban, le 9 juillet 2002. 22 Anthoni van Nieuwkerk, « The regional roots of the African peace and security architecture: exploring centre-

periphery relations », South African Journal of International Affairs, vol.18, no.2 (2011), p.171, cité par Arsène Brice

BADO, op.cit.,p. 2. 23 Commission de l’Union Africaine, Plan stratégique 2009-2012, Addis Ababa, 19 mai 2009, p.22. Disponible en

ligne : http://www.au.int/en/sites/default/files/Plan_Strategique_2009_2012.pdf (consulté le 3 sept. 2020). 24 Article VI du Protocole de 2008.

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même atteint 75% en 201425. On constate cependant que plus l’UA et les Communautés

économiques régionales alignent et coordonnent leurs activités, plus leurs interventions n’ont des

chances d’être efficaces.

En plus de la coordination et de la coopération, les interventions de l’UA et des CER/MR

passent également par une combinaison d’instruments, généralement de la médiation conjuguée à

de la diplomatie. Cette combinaison de médiation et de diplomatie de l’UA et des CER/MR ne

cesse d’augmenter entre 2013 et 2015, passant de 32% à 40%, puis44%26. En outre, le déploiement

d’une intervention et d’activités de l’UA et des CER/MR sous l’égide de l’APSA est d’autant plus

probable que le conflit gagne en intensité. L’exemple palpable est l’intervention conjointe dans

89% des guerres en Afrique au cours de la période 2013-2015. A la même période, l’UA et les

CER/MR ont accentué leurs efforts de médiation et de diplomatie préventive face aux conflits

violents. Les chiffres montrent qu’au cours de cette même période, ils ont pris part à 73% des

processus ayant abouti à la signature d’un accord de paix, bien qu’ils y aient le plus souvent joué

les seconds que les premiers rôles car l’UA, en particulier s’engage toujours plus. Les missions

liées aux élections sont par ailleurs devenues des plates-formes pertinentes pour la diplomatie

préventive de l’UA et des CER face à des contextes propices aux conflits, surtout lorsque des

missions pré-électorales de haut niveau sont conjuguées à des missions d’observation électorale à

court et à long terme.

Conclusion

Le maintien de la paix et de la sécurité a permis aux Etats Africains grâce à l’Union

Africaine à avoir un maintien de la paix et de la sécurité africaine ceci avec la collaboration des

organisations sous régionales qui ont prêté mains fortes à cette dernière. Ce qui a permis également

l’africanisation des opérations de maintien de la paix et le développement de la sécurité

25 DESMIDT (S.), HAUCK (V.), « Gestion des conflits dans le cadre de l’Architecture africaine de paix et de sécurité

(APSA), Résultats d’une analyse des interventions menées par l’Union Africaine et les Communautés économiques

régionales en vue de résoudre et de prévenir des conflits violents en Afrique au cours de la période 2013-2015 »,

Document de réflexion, ecdpm, No 211, juillet 2017, p. ii. 26 Idem.

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collective27. Dans sa collaboration avec les organisations sous régionales, l’Union Africaine et les

organisations sous régionales ont ensemble au travers de la signature d’un protocole d’accord leur

permettant de base juridique signé leur engagement et prouvé leur détermination à maintenir la

paix et la sécurité.

En somme, la collaboration plus étroite entre l’Union africaine et les Mécanismes régionaux

pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits afin de faire effectivement face aux

problèmes posés par l’insécurité28 a permis de mieux gérer les conflits régionaux et sous régionaux

et à trouver des solutions plus efficaces et fiables. Ainsi, les Parties institutionnalisent et renforcent

leur coopération et coordonnent étroitement leurs activités pour réaliser leur objectif commun

d’éliminer le fléau des conflits sur le continent et de poser les jalons d’une paix, d’une sécurité et

d’une stabilité durables. A cet effet, la contribution de l’Union africaine et des Mécanismes

régionaux pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits à la promotion et au maintien

de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique, ainsi que la coopération et la collaboration

accrues entre eux dans la mise en œuvre de l’agenda paix et sécurité du continent a été d’une

grande importance.

27 AYISSI (A.), « Le défi de la sécurité régionale en Afrique après la guerre froide : vers la diplomatie préventive et

la sécurité collective, Travaux de recherche no 27 UNIDIR, Nations Unies, 1994, p.3. 28 Tels que la prolifération, la circulation et le trafic illicites des armes légères et de petit calibre, au fléau des mines

antipersonnel et à la menace du terrorisme et du crime organisé transnational, ainsi que l’importance que revêt le

contrôle des armements et le désarmement, et ce sur la base des instruments africains et internationaux pertinents.

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Le contrôle fiscal des entreprises multinationales au Cameroun

Par :

David Bienvenu NKAKE EKONGOLO

Docteur/Ph.D en droit public

Université de Douala (Cameroun)

Résumé :

Face aux impératifs de développement, l’administration fiscale camerounaise, à l’instar

des autres pays d’Afrique noire, met en œuvre l’élargissement de l’assiette fiscale comme le levier

stratégique pour une collecte optimale des ressources fiscales. C’est dans ce contexte que se

conçoit la fonction de contrôle fiscal confrontée à la mondialisation de l’économie dont le

corolaire est l’expansion des entreprises multinationales. Pour accroitre le rendement de l’impôt

et saisir les flux financiers illicites de ces grandes entreprises, le contrôle administratif fiscal

connait des reformes de ses organes et de ses mécanismes. Il en va ainsi de la spécialisation de la

Direction des Grandes Entreprises qui implémente l’initiative des Inspecteurs des impôts sans

frontière et l’échange des renseignements fiscaux afin d’appréhender les prix de transfert de ces

multinationales. Les litiges fiscaux qui en résultent permettent de constater le renforcement du

contrôle juridictionnel des multinationales tant du point de vue des techniques fiscales que de la

lutte contre les abus de conventions fiscales.

Mots clés : Entreprises multinationales, contrôle fiscal, prix de transfert, juge fiscal.

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Introduction

Une étude restée classique de Jean THILL identifie quatre défauts majeurs de la fiscalité

des pays francophones d’Afrique. Elle a des incidences économiques négatives, sa fragilité tient à

une assiette particulièrement étroite, les services chargés de l'assiette et du recouvrement sont

faiblement efficaces et enfin, la législation fiscale est inadaptée tant au comportement des

contribuables qu'à la capacité de gestion des administrations1. Plusieurs années après ce rapport de

1991, comment se comporte la fiscalité camerounaise face à la mondialisation de l’économie et à

l’implantation de plus en plus visible des entreprises multinationales ? Tel est le sens à donner à

cette étude consacrée au contrôle fiscal des entreprises multinationales au Cameroun. Avant toute

chose, il s’agit d’envisager que la présente réflexion s’applique à un pays en voie de

développement. Ces pays sont sans cesse à la recherche d’une amélioration de leurs ressources

intérieures nécessaires au financement de leurs programmes de développement. L’Etat du

Cameroun n’en constitue pas une exception lorsque son gouvernement s’efforce de financer de

manière optimale sa stratégie d’émergence par une collecte efficiente des ressources budgétaires2.

L’une de ses priorités porte sur l’optimisation des recettes fiscales internes qui sont passées de 809

à 1900 milliards de FCFA, soit un taux d’évolution de 134,85% pour la décennie 2010-20203. Ces

réalisations résultent d’une série de réformes touchant aussi bien la structure de l’administration

fiscale, les normes fiscales ainsi que les procédures d’assiette, de liquidation, de recouvrement et

de contrôle fiscal. L’un des mécanismes concernant le dernier aspect évoqué qui ne cesse d’être

clamé est la rationalisation des contrôles fiscaux. Il s’agit de réduire le nombre de contrôles

fiscaux, mais de les rendre efficaces. En effet, le contrôle fiscal vise généralement trois objectifs

principaux : « un objectif budgétaire de recouvrement des recettes, un objectif répressif de sanction

des fraudeurs et un objectif dissuasif visant à prévenir les fraudes 4». Thierry LAMBERT,

appréhende ainsi le contrôle fiscal comme « la recherche des contribuables, et l’analyse des

1 Cf. J.THILL : Fiscalité et ajustement structurel en Afrique francophone. Rapport, Paris, mars 1989, IIAP ; J.

THILL (dir.), "Rapport de synthèse sur la fiscalité et l’ajustement structurel en Afrique francophone", Inspection

générale des Finances, République française, Paris, avril 1991, pp. 185-226. 2 Cf. République du Cameroun, Stratégie Nationale de développement 2020-2030, Pour la transformation structurelle

et le développement inclusif (SND30), 1ère édition 2020, 231p, spéc. n° 427, p.100. 3 Cf. Direction Générale des Impôts du Cameroun (DGI), Rapport annuel 2018, pp. 34-47. 4 Cf. Cour des Comptes de la France, Le pilotage national du contrôle fiscal, Rapport public annuel 2012, pp.229 et

s. ; V. également B. DELAUNEY, BEPS et contrôle fiscal, in : REIDF n° 1, 2018, pp. 111- 117, spéc. p.113

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éléments déclarés5 ». Il s’agit d’une vérification de l’impôt ou des impôts6. Envisagé dans un

système fiscal déclaratif7, le contrôle fiscal permet de vérifier la sincérité des déclarations des

contribuables et leur conformité à la législation en vigueur. La loi fiscale consacre à cet effet le

pouvoir de contrôle de l’administration sur les éléments déclarés par le biais des procédures de

contrôle8. Ce qui lui permet le rehaussement des impôts éludés, la rectification des déclarations, le

redressement des bases imposables9, voir la sanction du contribuable. Dans cette optique, le

contrôle fiscal est conçu comme une mission régalienne, « le garant du civisme et de l’égalité

devant l’impôt 10». Le Professeur Alexandre MAITROT DE LA MOTTE voit d’ailleurs en la

souveraineté fiscale, le fondement nécessaire des contrôles fiscaux11. C’est la contrepartie normale

de l’obligation qui est faite aux contribuables à l’effet de produire des déclarations à la fois sincères

et exactes de la matière imposable12. Le contrôle fiscal prend dès lors deux formes classiques.

Premièrement, il peut s’agir d’un contrôle de bureau, depuis les locaux de l’administration,

consistant en une analyse des déclarations fournies par le contribuable. Le second mode est le

contrôle sur place qui permet, une fois descendu au sein de l’entreprise, de s’assurer de l’exactitude

des éléments déclarés par le contribuable, d’examiner sa comptabilité, ses transactions avec des

clients ou des tiers ou encore sa situation fiscale personnelle ou d’ensemble13. Le contrôle fiscal

consiste également pour l’administration, de demander des renseignements, mener des enquêtes et

études particulières des déclarations, contrats, actes et opérations du contribuable servant de base

5 T. LAMBERT, Contrôle fiscal : droit et pratique, 2ème éd., Paris, PUF, Septembre 1998, p. 14. 6 T. LAMBERT, « Contrôle fiscal (organisation générale du-)», in PHILIP (Loïc) (sous la dir. de), Dictionnaire

encyclopédique de finances publiques, Paris, Economica, 1991, pp. 497-500.D.D DJOUSSI KWETCHE, Le contrôle

fiscal des sociétés étrangères implantées au Cameroun à travers leurs filiales, Mémoire de Master professionnel en

fiscalité appliquée, FSJP, Université de Douala, 2014-2015, pp.11-12 7 M.G PEKASSA NDAM, « L’obligation déclarative en droit fiscal camerounais », in ANOUKAHA (François),

OLINGA (Alain Didier) (sous la coordination de), L’obligation, Etudes offertes au Professeur Paul Gérard

POUGOUE, L’Harmattan Cameroun, 2015, pp. 793-807. 8 S. LAMBERT-WIBER, Le contrôle fiscal décodé : Comprendre le contrôle fiscal et apprendre à gérer les risques,

L’Apart éditions, 2013, pp.11 et s. 9 J. KWUIMO, Le redressement fiscal en droit fiscal camerounais, Editions PUL, Douala, 2010, 170 p ; A.J FAUTIER

SOUOP, La procédure de redressement fiscal au Cameroun, Mémoire de Master 2 professionnel, Université de

Yaoundé II, 2015, 109 p. 10 Ibid, p.12 11 A. MAITROT DE LA MOTTE, « Contrôle fiscal et souveraineté », in : Gestion & Finances Publiques / N° 12 -

Décembre 2011, pp.905-910, spec. p.907 12 C. DE LA MARDIÈRE, « La déclaration fiscale », in : RFFP, n° 71, 2000 13 J. BRURON, Le contrôle fiscal, LGDJ,1991.

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à l’impôt, faire de recoupements, investiguer et rechercher14 toute information afin de prélever

dans sa plénitude tout impôt. La tâche est dès lors très ardue lorsqu’il s’agit du contrôle fiscal des

entreprises multinationales. Ce constat résulte de la complexité de la forme de ce type d’entreprise.

Du point de vue structurel, l’entreprise multinationale comprend généralement une société-mère

et une ou plusieurs filiales souvent disséminées à l’étranger dont la société-mère détient le contrôle

voire le centre de décisions15. L’entreprise multinationale se dit ainsi « d’un groupe plus ou moins

institutionnalisé de sociétés de nationalité différente opérant chacune dans son État national mais

relevant ensemble d’une direction commune, plus ou moins effective et plus ou moins localisée

dans un seul État16 ». L’on parle aussi d’entreprise ou de firme multinationale, de société

transnationale ou encore de « multinationale », de holding ou même de groupe de sociétés. Selon

MERCADAL et JANIN, le groupe de sociétés est l’ensemble constitué par plusieurs sociétés

ayant chacune leur existence juridique propre, mais unies entre elles par des liens divers en vertu

desquels l’une d’elles, dite société-mère, qui tient les autres sous sa dépendance, exerce un contrôle

sur l’ensemble et fait prévaloir une unité de décision.17 Le groupe de sociétés18 est susceptible de

contenir une société mère, une ou plusieurs filiales ainsi que des succursales. La société mère

est celle qui a sous contrôle les filiales et les succursales .Les filiales ou société-fille sont dotées

de la personnalité juridique alors que la succursale19 est un démembrement d’une société mère ne

disposant pas d’une personnalité juridique distincte20. En la matière le juge administratif

camerounais a procédé à la distinction de la notion de filiale par rapport à la succursale lorsqu’il

14 M.BOUVIER, Introduction au droit fiscal général et à la théorie générale de l’impot,10ème éd., LGDJ, Lextenso

Editions, paris 2010, pp. 127 et ss. 15 B. TROTIER « Le contrôle juridique des entreprises multinationales », Les Cahiers de droit, Volume 27, numéro

2, 1986, pp. 419–435, spc. pp. 420 et ss. 16 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 12ème éd. Mise à jour, Quadrige, PUF, 2018,

pp.1432 17 B. MERCADAL et P. JANIN, Droit des affaires, Sociétés Commerciales, éd. LEFEBVRE (F.), 2004, p.

1097. 18 Selon D. VIDAL, un groupe de sociétés « est un ensemble de sociétés qui présentent une structure juridique

distincte, mais qui sont liées par des participations ou des relations contractuelles leur conférant une certaine

interdépendance économique ou financière laquelle peut se manifester par l’existence d’un pouvoir de décision,

uniquement prépondérant ou partagé, extérieur à plusieurs de celles-ci et propre à l’ensemble du groupe ». Cf. D.VIDAL, « Les mérites de la méthodologie ponctuelle d’un droit des groupes de sociétés », LPA, 1993, n° 78, p. 17. 19 Voir l’article 117 alinéa 1 de l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du Gie

révisé : « La succursale n’a pas de personnalité juridique autonome, distincte de celle de la société ou de la

personne physique propriétaire ». 20KAMAL LAGTATI, les succursales en droit international européen, Thèse, Université d’Auvergne-

Clermont-Ferrand, 2011, p. 7 – 22.

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décide que : « (…) les unités installées au Cameroun des sociétés d’origine étrangère ne sont pas

des succursales desdites sociétés, mais des sociétés autonomes régies par la loi camerounaise »21.

Les articles 179 et 180 de l’acte uniforme OHADA sur le droit des sociétés commerciales et des

Groupements d’Intérêt économiques distinguent la société-mère22 de la filiale23, la première

possédant dans la seconde plus de la moitié du capital. Les entreprises multinationales sont aussi

des entités complexes à saisir sous l’angle juridique24 de leur organisation25 et même en

considérant les aspects économiques de leur capital26, leur taille ou leurs activités27. L’étude du

contrôle fiscal des entreprises multinationales au Cameroun implique des enjeux liés au droit

public, droit fiscal, au droit comptable, au droit social, au droit des affaires et de la concurrence,

ainsi qu’au droit financier. Sous cet angle, le contrôle fiscal se voit de plus en plus assigner une

mission de performance dans les finances publiques28.

Les sociétés multinationales développent ainsi des techniques complexes de manipulation des

prix des transactions avec leurs filiales leur permettant de transférer en toute quiétude les revenus

ou bénéfices réalisés dans les pays d’accueil à fiscalité contraignante vers des territoires à fiscalité

plus souple, désignés sous le vocable de paradis fiscaux. Les conséquences de cette évasion fiscale

sont néfastes sur les économies des Etats. Elle fait perdre selon l’OCDE entre 100 et 240 milliards

21 Cf CSCA, Jugement n° 31/05-06 du 14 décembre 2005, Société HAMELLE AFRIQUE c/ Etat du Cameroun

(MINEFI). 22 Voir l’article 179 de l’Acte uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE révisé : « Une

société est société mère d’une autre société quand elle possède dans la seconde plus de la moitié du capital. La

seconde société est la filiale de la première » 23 Voir l’article 180 de l’Acte uniforme OHADA relatif au droit des sociétés et du GIE révisé : « Une société est une

filiale commune de plusieurs sociétés mères lorsque son capital est possédé par lesdites sociétés mères, qui doivent :

1) posséder dans la société filiale commune, séparément, directement ou indirectement par l’intermédiaire de

personnes morales, une participation financière suffisante pour qu’aucune décision extraordinaire ne puisse être

prise sans leur accord ;

2) participer à la gestion de la société filiale commune ». 24 L’entreprise multinationale et le droit international, Colloque SFDI 19, 20,21 mai 2016, Université Paris 8

Vincennes Saint-Denis. 25 B. GOLDMAN et Ph. FRANCESCAKIS, L’entreprise multinationale face au droit, Librairie Technique, Paris,

1977. 26 L’interdépendance économique et financière entre les sociétés d’un même groupe a conduit Yves GUYON à penser

qu’un groupe de sociétés « est un ensemble de sociétés juridiquement indépendantes les unes des autres mais en fait

soumises à une unité de décision économique». Cf. Y. GUYON, « Droit des Affaires », Droit commercial général et

sociétés, Tome 1, 9e Ed., Economica, 1996, p. 600. 27 G. S.O. ADETONAH, L’évasion fiscale des multinationales dans les pays de l’UEMOA, Thèse de Doctorat en

droit, Université d’AIX MARSEILLE, 9 février 2018, pp.31-47. 28 E.S AMOUGUI ATANGANA, Contrôle fiscal et performance des finances publiques au Cameroun, Thèse de

doctorat en droit, Université de Paris I Panthéon –Sorbonne, 21 avril 2017.

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de dollars de recettes fiscales c’est-à-dire l’équivalent de 4 à 10 % de la somme des recettes

résultant de l’impôt sur les sociétés à l’échelle planétaire.29 Conscient de cette réalité, l’Etat du

Cameroun développe un système d’imposition accordant la priorité aux impôts non pétroliers. Il

s’agit d’améliorer son système de taxation pour mieux appréhender le recouvrement des

prélèvements obligatoires30 et accroitre l’efficacité des contrôles fiscaux en développant la

coopération fiscale bilatérale et multinationale. Compte tenu de la part très importante qu’occupent

les multinationales dans les économies des pays d’Afrique noire francophone en général et dans

celle de l’Etat du Cameroun en particulier, il est nécessaire que l’administration fiscale nationale

soit de plus en plus outillée pour être en mesure d’imposer à leur juste valeur les nombreuses

transactions que les multinationales effectuent au quotidien. La tâche est même de plus en plus

complexe compte tenu de la mondialisation, de la digitalisation des services, du développement

exponentiel des transactions par internet, via les logiciels, les plates-formes numériques ou les

contenus électroniques31. Pour agir dans ce contexte, l’Etat du Cameroun conclut des conventions

fiscales bilatérales selon les modèles de l’OCDE et de l’ONU. Par ailleurs, il adhère aussi aux

conventions de coopération, d’échange d’information et d’assistance fiscales. Les entreprises

multinationales quant à elles développement des stratégies complexes d’optimisation fiscale à

travers l’érosion des bases d’imposition et la dissimulation des bénéfices. Elles se rendent parfois

coupables de fraude fiscale lorsque leurs transferts illégaux de bénéfices finissent par être détectés.

Néanmoins, ces entreprises de grande taille évoquent l’obligation de protection des

investissements directs étrangers et la nécessité de l’amélioration du climat des affaires alors que

l’Etat escompte accroitre ses revenus fiscaux pour être en mesure de financer les nombreux projets

de développement donc priorité est donnée à la construction des infrastructures. Sur le plan

strictement fiscal, le contrôle des entreprises multinationales concerne l’ensemble des

prélèvements obligatoires en vigueur notamment les impôts directs, les impôts indirects, les impôts

réels, les impôts personnels, les impôts proportionnels, les impôts progressifs, les impôts

spécifiques, les impôts ad valorem, les taxes, les taxes parafiscales, les redevances et même des

29 OCDE, Collecter et analyser les données sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Paris,

Editions OCDE, 2015 30 M.G PEKASSA NDAM, « Les transformations de l’administration fiscale camerounaise », in ONDOA (Magloire)

(s. dir. de), L’administration publique camerounaise à l’heure des réformes, L’Harmattan Cameroun, 2010, pp. 29-65. 31 O. SIVIEUDE, « Les enjeux du contrôle fiscal pour l’administration », RFFP, mai 2017, p.43.

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cotisations sociales. Le sujet en examen se conçoit dans le contexte d’un pays en développement

qui fait face à des contraintes budgétaires d’accroissement des recettes fiscales et donc de

recherche de la soutenabilité des finances publiques. La doctrine oppose dans ce sens la logique

de rendement budgétaire des contrôles fiscaux à l’obligation de protection des droits des

contribuables.32 Cette problématique classique reste actuelle en ce que les Etats confrontés à la

crise des finances publiques ne peuvent plus rester passifs face aux montages fiscaux agressifs des

entreprises multinationales.33 Avec l’évolution des systèmes juridiques34, elle côtoie les nouvelles

problématiques du contrôle fiscal que le Professeur Thierry LAMBERT contribue à identifier

notamment les questions relatives à la mise en place des dispositifs facilitant l’accès à

l’information , l’adaptation des pouvoirs d’investigation de l’administration fiscale et l’échange

automatique d’informations dans le cadre international35. Le Professeur Michel BOUVIER

souligne à ce propos que le contrôle fiscal est également nécessaire pour des raisons liées à la

justice fiscale et à l’acceptation de l’impôt36. S’agissant du Cameroun, le système de contrôle

fiscal connait une évolution normative depuis le décret du 30 décembre 1912 sur le régime

financier des colonies37 jusqu’au code général des impôts adopté dès l’indépendance intervenue

en 1960.Ce système détermine les mécanismes du contrôle fiscal , l’administration qui en est

chargée à savoir la Direction générale des Impôts (DGI), ainsi que les droits et obligations des

contribuables, avec en toile de fond l’obligation de remise à ces derniers de la Charte du

contribuable vérifié à l’entame de toute procédure. Compte tenu de ce qui précède, la question

centrale au cœur de cette recherche peut être formulée ainsi qu’il suit : quelles sont les mutations

que connait le contrôle fiscal des entreprises multinationales au Cameroun ? Pour répondre à cette

32 R.ATANGA FONGUE, Contrôle fiscal et protection du contribuable dans un contexte d’ajustement structurel : Le

cas du Cameroun, Thèse Publiée, Paris, l’Harmattan, 2007, 242 p. spec.pp.22-25 33 Contrôle fiscal des entreprises multinationales, Communication de M. P. MARINI devant le SENAT français ,26

juin 2013, p.1. 34 M.DJOUHRI, L’évolution du contrôle fiscal depuis 1945 : aspects juridiques et organisationnels, Coll.

Bibliothèque finances publiques et fiscalité, LGDJ, 2012, p.12. 35 T. LAMBERT, Contribution à la définition des nouvelles problématiques du contrôle fiscal, Les métamorphoses

du contrôle fiscal. Quelles procédures ? Quelles conséquences ? Revue européenne et internationale de droit fiscal, n°

1, 2018, Bruylant, pp.7-15. 36 M. BOUVIER, Le contrôle fiscal dans une société en transition, RFFP n° 138, mai 2017, pp. V-IX. 37 V. décret du 30 décembre 1912 sur le régime financier des colonies, Journal Officiel de l’Afrique Equatoriale

Française (J.O. A.E .F) 1913, p 222. Ce texte a été complété par le décret 15 février 1937. A ce propos, l’article 21 de

ce texte disposait que : « les réclamations relatives à l’impôt personnel sur le revenu sont présentées, instruites et

jugées comme en matière de contributions directes et conformément aux dispositions des décrets du 05 août 1881, du

22 février 1896 sur le Conseil du contentieux et du 30 décembre 1912 sur le régime financier des colonies ».

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question, l’on doit observer que dans sa dimension administrative, ce contrôle a été reformé (I).

Par ailleurs, dans son aspect juridictionnel, le contrôle fiscal des entreprises multinationales est

renforcé (II).

I- UN CONTRÔLE ADMINISTRATIF REFORMÉ

L’administration a toujours joué un rôle essentiel dans l’exécution du service public en Afrique.

Crainte pour sa toute puissance et sa tendance à privilégier ses prérogatives de puissance

publique38 parfois au détriment des droits des particuliers, l’administration occupe une place

centrale au sein de l’Etat, surtout lorsqu’il lui est assigné une fonction de collecte des ressources

publiques. Les administrations fiscales africaines, héritières de l’histoire coloniale39 et des

traditions juridiques métropolitaines, ont entamé dès l’indépendance, leur « africanisation ». Il

fallait mettre en place une administration fiscale nationale capable d’impulser, par le recouvrement

des ressources, le nouvel Etat indépendant. Sur le plan national, c’est d’abord la direction du trésor

et la direction des douanes qui avaient la charge d’assurer la rentrée des ressources d’ordre divers

provenant des différentes sources de revenus de l’Etat40. L’administration fiscale naissante

s’articula alors autour des différents impôts et taxes en vigueur41. Cette organisation ne facilita pas

son déploiement. Elle entraina un rendement mitigé42. La crise économique de la fin des années

1980 agira comme un électrochoc puisque l’administration fiscale camerounaise est inscrite dans

le programme d’ajustement structurel avec son corollaire, la réforme des finances publiques43.

Cette administration est désormais astreinte à la direction par objectifs (DPO), un mécanisme

managérial qui détermine les objectifs chiffrés à atteindre. Le rendement financier ainsi privilégié

heurte les droits des contribuables de sorte qu’il devient inéluctable de rationaliser le contrôle

38 M.G PEKASSA NDAM, « La notion d'administration publique dans la jurisprudence de la Cour de Justice de

l’Union européenne », RDP 2012 - n° 2 – p. 347. 39 M.DJOUHRI, L’évolution du contrôle fiscal depuis 1945 : Aspects juridiques et organisationnels, LGDJ, 2012,

Coll. Bibliothèque des thèses de finances publiques et fiscalité, T.57, 466p, spec.pp 13-35. 40 Cf. B.BIDIAS, Finances publiques et économie financière de la République fédérale du Cameroun, Imprimerie

nationale du Cameroun, Yaoundé, mars 1971, pp.389-390. 41 R.OSSA, « Le dispositif organisationnel des administrations fiscales en Afrique: une réforme à achever », RFFP,

n°121, février 2013, p. 264. 42 S.M OUEDRAOGO, « Les mutations récentes des administrations fiscales africaines : à la

recherche de la performance » in : Annales de l’Université de Ouagadougou, Série B, Vol. 006,

Décembre 2017, pp.7-60. 43 Il s’agit de la réforme fiscalo-douanière instituée au Cameroun au cours de l’année 1993/1994.

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fiscal. Intervient alors la circulaire cadre du 03 juin 2016 fixant les modalités des interventions des

services fiscaux auprès des entreprises dans le cadre des contrôles et investigations. La réforme du

contrôle fiscal ainsi effectuée entraine le renforcement des organes de contrôle administratif (A)

et l’affinement de ses mécanismes (B).

A- Le renforcement des organes de contrôle administratif

La réforme de l’administration fiscale camerounaise permet d’avoir des services non plus

organisés en fonction des impôts et taxes en vigueur, mais plutôt en fonction de la population

fiscale. Aux petits contribuables, les Centres Divisionnaires des Impôts (CDI). Aux moyens

contribuables, les Centres des Impôts des Moyennes Entreprises (CIME). Aux contribuables

professionnels, les Centres Spécialisés des Impôts des Professions Libérales et de l’Immobilier

(CSIPLI). Aux grandes entreprises, multinationales, groupes de sociétés et holdings : la Direction

des Grandes Entreprises (DGE). Pour mieux contrôler les transactions des entreprises

multinationales, celle-ci s’est spécialisée par secteur économique (2) tout en créant en son sein une

cellule des prix de transfert (1).

1- L’activation d’une cellule des prix de transfert

La logique actuellement développée en Afrique noire francophone s’agissant de l’aspect

organisationnel des services fiscaux, est la segmentation de la population fiscale. Elle consiste à

regrouper les contribuables en fonction de leur taille : petits, moyens, grands, le chiffre d’affaire

étant retenu comme critère de classification44. Ainsi, au Cameroun, la loi n° 2010 / 001 du 13 avril

2010 portant promotion des PME au Cameroun modifiée par la loi n° 2015/010 du 16 juillet 2015

définit la grande entreprise comme une entreprise employant plus 100 personnes et dont le chiffre

d’affaires annuel Hors Taxe est supérieur à 03 (trois) milliard de FCFA. Sur cette base, les grandes

entreprises parmi lesquelles l’on classe les multinationales, sont regroupées dans un fichier unique

confié à la Direction des Grandes Entreprises (DGE), elle-même logée au sein de la Direction

Générale des Impôts (DGI).Un organisation similaire est observée au Sénégal avec la structure

44 Toutefois, la Circulaire n° 006/MINFI/SG/DGI/DER du 28 avril 2014 précisant les critères de rattachement des

contribuables aux unités de gestion de la Direction Générale des Impôts a apporté une exception au principe de

rattachement selon le chiffre d’affaires. Elle précise que, sans considération du chiffre d’affaires, les contribuables

sont rattachés à la DGE lorsqu’ils opèrent dans les secteurs ci-après : pétrolier amont, minier ( à l’exclusion des

artisans miniers), gazier , téléphonie mobile , banque de premier ordre.).

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dénommée Centre des Grandes Entreprises (CGE)45. La DGE est l’interlocuteur fiscal unique des

multinationales au Cameroun. L’interlocuteur fiscal unique regroupe au sein d’un même service

l’ensemble des impôts à acquitter par chaque catégorie de contribuable. Le ciblage des grandes

entreprises est justifié en ce que celles-ci, qui figurent uniquement dans le fichier de la DGE (0,4%

du fichier de la DGI), contribuent à hauteur de 70% de recettes fiscales mobilisées par la DGI en

201846. Pour assurer un contrôle fiscal efficace des entreprises multinationales, la DGE a activé en

son sein une cellule des prix de transfert. L’Etat camerounais comme la plus part des Etats dans le

monde perd une bonne partie de ses recettes fiscales par voie de transfert indirect de bénéfices

effectué par les multinationales installées sur le territoire au profit de leurs filiales ou autre société

apparentées basées à l’international. Pour inverser cette tendance, le pays a adhéré à l’initiative

BEPS (Base Evasion and Profit Shifting) dans le cadre de l’Organisation pour la coopération et le

développement économique (OCDE). Il s’agit de réduire voir éliminer les risques d’érosion de la

base d’imposition et de transfert des bénéfices pratiqués les groupes multinationaux.

L’opérationnalisation effective de cette unité dédiée au contrôle des prix de transfert constitue en

enjeu majeur et une condition nécessaire pour obtenir un contrôle fiscal de qualité. Instituée par la

circulaire présidentielle relative à la préparation du budget de l’Etat pour l’exercice 201847, la

cellule des prix de transfert de la Direction des Grandes Entreprises (DGE) assure la lutte contre

les formes les plus ingénieuses d’évasion fiscale permettant d’améliorer la qualité et le rendement

des vérifications fiscales. L’opérationnalisation de cette unité de contrôle des prix de transfert

s’appuie sur trois éléments essentiels afin de parvenir à une gestion performante du contrôle des

transactions intragroupes :

- La maîtrise du phénomène d’évasion fiscale par la généralisation de l’utilisation du

matériel informatique en vue de l’appropriation progressive et optimale des logiciels

informatiques par les vérificateurs fiscaux ;

45 Cf Y.S DIAGNE, La réforme du Code General des Impôts au Sénégal : principales mesures et implications, Thèse

Cotutelle, Université de Reims Champagne-Ardenne, 2017,338p. spéc. pp. 160-180. 46 En 2018, l’on compte 455 contribuables inscrits au fichier des Grandes entreprises de la DGI au Cameroun. Cf. Rapport annuel 2018 de la Direction Générale des Impôts du Cameroun, pp.47 – 48. 47 Cf. Le circulaire n° 001/CAB/PRC du 20 juin 2017 relative à la préparation du budget de l’Etat du Cameroun pour

l’exercice 2018, point 28.

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- La formation des vérificateurs portant sur les plus récents développements en matière

de planification fiscale abusive ;

- L’application de sanctions sévères aux phénomènes de corruption et de malversation.

Ayant signé l’Instrument Multilatéral (IML) de lutte contre l’érosion des bases

d’imposition et les transferts illicites des bénéfices, le 11 juillet 201748, l’Etat du Cameroun, à

travers la Cellule des prix de transfert, développe une stratégie de contrôle fiscal portant sur le

contrôle des charges payées ou dues par des résidents fiscaux camerounais à des personnes

soumises, dans leur Etat ou territoire de résidence49, à un régime fiscal privilégié ou non

coopératifs50. Par ailleurs, elle effectue également la correction des bases taxables des entreprises

liées coupables du transfert indirect des bénéfices à travers le redressement des sommes

indirectement transférées et leur réintégration dans le chiffre d’affaires consolidé imposable. Pour

prévenir tout risque ou abus dans la manipulation des prix de transfert, cette unité spéciale exige

aux entreprises multinationales, dans le cadre de l’obligation documentaire, des accords préalables

de prix51 et des accords de répartition des coûts52. Ce déploiement est rendu possible par la

spécialisation économique du service fiscal dédié aux grandes entreprises.

48 Cf. Cadre inclusif BEPS, Programme d’appui de l’OCDE-Atelier technique 13 février 2018, Yaoundé (Cameroun),

Inédit 49 J. AYANGMA, AYANGMA, La Pratique du contrôle fiscal des prix de transfert dans l’espace CEMAC, le cas du

Cameroun, Paris, l’Harmattan, 2015, p.12. 50 Il s’agit du principe de non déductibilité des charges résultant des transactions avec les pays à fiscalité privilégiée

ou « paradis fiscaux ». C’est en 2012 que le Cameroun a établi une liste des paradis fiscaux. D’après l’annexe 2 de la

circulaire n° 001/MINF/DGI/LC/L du 30 janvier 2012 précisant les modalités d’application des dispositions fiscales

de la loi n° 2011/020 du 14 décembre 2011 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice

2012, sont considérés comme « paradis fiscaux », les pays ci-après désignés : «

1-Andorre ;2-Anguille ;3-Antigua ;4-Belize ;5-Bermudes ;6-Brunei ;7-Costa Rica ;8-Dominique ;9-Guatemala ;10-

Grenade ;11-Iles Marshall ;12-Iles Cook ;13-Montserrat ; 14-Nauru ;15-Niue ;16-Panama ;17-Philippines ;18-

Saint Kitts et Nevis ;19-Sainte Lucie ;20-Saint Vincent et Grenadine ;21-Vanuatu » 51 En anglais, Advance Pricing Agreement ou « APA ». Un accord préalable en matière des prix de transfert (« APP »)

est un accord qui fixe, au préalable à des transactions entre entreprises associées, un ensemble approprié de critères

pour la détermination des prix de transfert appliqués à ces transactions au cours d’une certaine période

donnée. C.SILBERZTEIN « Prix de transfert : négociez un accord préalable avec l’administration », Option Finance,

1999, n° 653, p. 45. K.SID AHMED, Le cas des accords préalables sur les prix de transferts (APP), Les relations entre

l’administration fiscale et les contribuables in : Les Annales de la Faculté de Droit et des Sciences Politiques, de la

Faculté de droit et des sciences politiques de l’Université d’Oran 2, Numéro Spécial, Laboratoire : Investissement et

Développement Durable (IDD), ENADAR, 2017, pp.227-236. 52 L’Accord de Répartition des coûts (ARC) est un arrangement écrit dans le cadre duquel deux ou plusieurs entités

liées, membre d’un groupe, s’entendent pour partager les coûts et les risques de production, de mise en valeur ou

d’acquisition d’un bien, ou encore d’acquisition ou de prestation de services, proportionnellement aux avantages qu’il

est raisonnable de croire que chaque participant tirera du bien ou des services par suite de l’arrangement. Cf. P.-

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2- La spécialisation de la Direction des Grandes Entreprises par secteur

économique ou d’activités

L’impôt est un moyen privilégié du point de vue économique. Il agit sur la consommation

en s’interférant dans le comportement des ménages. Lorsque le législateur fait varier son taux ou

lorsqu’il accorde des exemptions fiscales, l’impôt laisse une liberté de choix beaucoup plus grande

que tous les autres moyens d’intervention étatique. Sous l’angle économique, l’impôt peut être

utilisé comme instrument d’incitation53 ou de dissuasion54. L’impôt peut également constituer un

élément de relance économique en cas de crise sécuritaire55 ou de crise sanitaire56. Toutes ces

considérations expliquent la pertinence de la classification économique de l’impôt retenue dans

la théorie fiscale par la doctrine.57 En matière économique, les impôts sont alors classés soit en

J.DOUVIER, « Cost Contribution Arrangements – France », International Transfer Pricing Journal, mai-juin 2001,

p.93. T.LAMORLETTE et P.RASSAT, Stratégie fiscale internationale, Maxima, 1997, p.35. 53 L’on parle de la fiscalité incitative. L’utilisation de l’impôt dans le secteur économique s’illustre alors à travers les

régimes de faveur du code des investissements (loi sur les incitations à l’investissement privé), la loi sur les contrats

de partenariat, le régime des zones franches, le régime des zones économiques, les conventions d’établissements, les

dépenses fiscales etc Tel est également le cas avec l’exonération de patente pour la 1ère année d’activité afin

d’encourager la création des entreprises. 54 C’est la fiscalité dissuasive. Elle consiste à augmenter la charge contributive d’un contribuable pour le dissuader

d’adopter un comportement déterminé. Elle peut pourra prendre la forme d’un taux alourdi sur un impôt déterminé,

soit celle d’une imposition nouvelle. Au Cameroun, l’on peut citer le cas de la forte taxation des véhicules d’occasion

à cause de leur caractère très polluant, des pneumatiques d’occasion et même des articles de friperie. Cf. Loi n°

2018/022 du 11 décembre 2018 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2019 en son

article Cinquième qui augmente le taux des droits d’accises applicables aux pneumatiques d’occasion et aux articles

de friperie à 12 %. Par ailleurs l’on note dans le même registre, l’augmentation de la taxe à l’exportation du bois en

grume au titre de la loi de finances 2018 (de 17 % à 30 %), en vue d’amener les exploitants de cette filière à transformer

le bois localement au Cameroun. 55 Cf. Décret n° 2019/3179 PM du 02 septembre 2019 portant reconnaissance du statut de zone économiquement

sinistrée aux régions de l’Extrême-Nord, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest au Cameroun. Ce texte institue une fiscalité

incitative en faveur des entreprises qui réalisent de nouveaux investissements dans les zones économiquement

sinistrées au Cameroun du fait de la guerre contre les groupes terroristes et séparatistes : (exonération de TVA, de

patente, de droits d’enregistrement, de taxe foncière), voir l’article 121 (1) de la loi de finances 2020. Ces entreprises

bénéficient d’un crédit d’impôt de 30 % des dépenses engagées aux entreprises qui réalisent des investissements visant

à la reconstruction de leur outil de production dans une zone économiquement sinistrée (article 121 bis (1) de la loi

de finances 2019). La loi de finances 2020 renforce les avantages fiscaux accordés aux entreprises installées dans les

zones économiquement sinistrées, à travers l’exonération de TVA sur leurs intrants et l’abattement de 75 % de leurs

arriérés fiscaux (articles 121 et 121 ter). 56 Cf.D.B NKAKE EKONGOLO, Les mesures financières, budgétaires et fiscales de lutte contre la COVID 19 : entre

concertation sous-régionale et concertation nationale, Chapitre 3 de l’ouvrage collectif intitulé : Concertocratie locale,

nationale et internationale contre le Covid-19 : Quelles leçons pour le futur ? Sous la coordination d’E.KAMDEM

et J - R. ESSOMBE EDIMO NYA BONABEBE, Une publication de l’Institut Panafricain pour le Développement

(IPD), en collaboration avec l’Université des Nations Unies pour la paix, la Fondation P. CROUGNEAU pour la

Recherche Scientifique et Technique et le Bureau International du Travail, pp. 53 à 67, 2020, 268p ; 57 Cf. M. BOUVIER, Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, Paris, LGDJ, Lextenso 14e éd.,

2020, pp.20-22. O. NÉGRIN : « Une légende fiscale : la définition de l’impôt de Gaston Jèze », in RDP nº 1-2008.

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fonction des éléments économiques taxés, soit en fonction des facteurs et acteurs économiques

supportant la taxation, soit en fonction de l’objet ou de la catégorie socio-économique visés par la

taxation. La classification économique de l’impôt considérée comme plus claire et plus opératoire

permet ainsi à l’administration fiscale de s’organiser en fonction des secteurs d’activités qui

présentent toujours des particularités. La Direction des Grandes Entreprises traite de l’assiette, du

recouvrement et du contrôle fiscal des entreprises multinationales en se déployant par secteur

économique ou d’activités. Ses différents services ont en charge un portefeuille de sociétés qui

relèvent toutes d’un même secteur d’activité. La DGE regroupe autour d’une même équipe, des

entreprises qui relèvent de dispositions qui ne concernent que leur seul secteur d’activité, ceci à

deux niveaux opérationnels :

- Les cellules de gestion et de suivi des grandes entreprises ;

- Les brigades de contrôle et de vérification des grandes entreprises.

Ces deux composantes de la DGE qui ne se distinguent qu’au niveau de la fonction

opérationnelle la gestion/suivi et de contrôle/vérification, se spécialisent par secteur. L’on

dénombre ainsi respectivement des cellules et des brigades chargées du :

- Secteur des industries ;

- Secteur du commerce général ;

- Secteur des banques, des Assurances, des technologies de l’information et de la

communication ;

- Secteur de la forêt, de l’eau et du pétrole ;

- Secteur des services.

Ce regroupement permet de développer les compétences de l’équipe sur le secteur

d’activité. Chaque cellule spécialisée de gestion et suivi comporte à sa tête un chef de cellule qui

coordonne une équipe de six (06) inspecteurs gestionnaires et six (06) contrôleurs gestionnaires.

Chaque brigade de contrôle et vérification comprend à sa tête un chef de brigade et huit (08)

inspecteurs vérificateurs. Ces démembrements de la Direction des Grandes entreprises travaillent

en collaboration avec la Division des Enquêtes, de la Programmation et du Suivi du Contrôle Fiscal

(DEPSCF) de la Direction Générale des Impôts. Pour l’exercice 2021, l’orientation stratégique des

interventions fiscales au Cameroun consacre la mise en œuvre de la phase pilote du contrôle fiscal

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reformé dont les axes phares sont le suivi informatisé de l’ensemble de la chaine du contrôle

fiscal58 et la mise en place d’un dispositif de contrôle de qualité.59 Ce contrôle se fait sur la base

de l’analyse-risque notamment des opérations économiques internationales à fort risque fiscal

incluant la taxe spéciale sur le revenu. Par ailleurs, l’attention est également portée sur les transferts

des dossiers entre structures opérationnelles avec une précision sur les risques fiscaux à adresser

de ce fait. Aussi, les changements de comportement fiscal manifestes faisant suite notamment à

l’opérationnalisation des procédures dématérialisées, sont pris au sérieux. Dans ce sens les types

d’interventions retenus dans le cadre de ce contrôle reformé sont :

- les vérifications générales de comptabilité ;

- les contrôles sur pièces et ;

- les droits d’enquête et de constatation.

D’abord, cette note de service met à la charge de la Direction des Grandes Entreprises ,50

(Cinquante) vérifications générales de comptabilité. Il s’agit d’un contrôle sur place prescrit par

l’article L16 alinéa 1, 2, 3 du CGI. Par ce contrôle l’administration fiscale vérifie l’ensemble des

impôts et taxes dont un contribuable est assujetti au titre de la période non prescrite .Elle a pour

objet, l’examen critique de la comptabilité d’une entreprise, et permet de confronter les éléments

d’exploitation, aux renseignements détenus par l’administration fiscale à la suite des recherches

externes ou internes de l’entreprise afin de mesurer la sincérité et l’exactitude de ses déclarations.

Elle prend la forme d’un contrôle général et approfondi de comptabilité. En se fondant sur l’idée

que chaque contribuable est astreint à la tenue d’une comptabilité60, les grandes entreprises dont

les multinationales font l’objet de vérifications générales de comptabilité excluant tout autre

58 Cf. R.GOUYET, Les grands principes du contrôle fiscal des comptabilités informatisées, in REIDF n° 2018/1,

Bruylant, pp. 45-50. 59 Cf., Note de service n° 076/MINFI/DGI/DEPSCF du 17 septembre 2021 portant orientation des interventions en

matière fiscale au titre de l’exercice 2021, point I. 60 La comptabilité apparait comme « un système d’organisation financière permettant de saisir,

classer, enregistrer de données de base chiffrées et présenter des états reflétant une image fidèle

du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entité à la date de clôture ». C’est

également un « procédé permettant d’enregistrer grâce à la tenue permanente de comptes toutes

les opérations commerciales réalisées par un commerçant personne physique ou par une

entreprise commerciale et de dégager la situation financière générale de cette personne physique

ou de cette entreprise par la présentation du bilan ». Cf. S.EVRAERT ; C. PRATDIT HAURET,

Comptabilité cours et applications, 6e éd., Paris, Vuibert, Mai 2004, p. 24.

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contrôle fiscal. C’est le sens à donner à la rationalisation du contrôle fiscal implémentée au

Cameroun depuis 201661.La VGC d’un contribuable ne peut être effectuée que par les agents de

l’administration fiscale ayant au moins le grade d’inspecteur. Elle a lieu dans les locaux de

l’entreprise, c’est-à-dire son siège social ou le lieu de son principal établissement. Au cours de ce

contrôle, sont principalement visés le livre journal, le grand livre, la déclaration statistique et

fiscale (DSF), les balances des comptes, la balance générale, le livre d’inventaire, les états

financiers annuels tels que le bilan, le compte de résultat, le tableau des flux financiers, ainsi que

les annexes. La VGC appliquée par la DGE aux entreprises multinationales installées au Cameroun

vise les méthodes de la détermination des prix des opérations de nature industrielle, commerciale

ou financière qu’elles effectuent avec les entreprises, groupes de sociétés, filiales succursales ou

sociétés apparentées. Les inspecteurs y détectent des dissimulations de chiffres d’affaires, des

prélèvements injustifiés, les mouvements suspects dans les comptes courants associés, les cessions

d’éléments d’actifs dépréciés, les abandons généreux de créances etc Pour les années 2017 et 2018

la fonction de contrôle fiscal à travers les vérifications générales de comptabilité ont permis de

recouvrer respectivement 2,72% et 3,58 % du montant total annuel des impôts recouvrés sur le

plan national62.

Ensuite, au sein de la DGE, les contrôles sur pièces sont également programmés en raison

de cinquante (50) pour l’ année 2021. Les contrôles sur pièces63 sont des contrôles effectués

depuis les bureaux de l’administration fiscale, c’est-à-dire des contrôles de cohérence menés au

vue des seuls éléments contenus dans le dossier fiscal des contribuables et plus particulièrement

ses déclarations. Les contribuables et particulièrement les entreprises multinationales sont obligés

de souscrire un certain nombre de déclaration de façon périodique ou occasionnelle relatives à

leurs activités de par les informations qu’elles renferment. Ces contrôles sont focalisés sur

l’examen des déclarations, des actes utilisés pour l’établissement des impôts et taxes ainsi que des

documents déposés en vue d’obtenir des déductions, des restitutions ou des remboursements64. La

61 Cf. Circulaire cadre n°1011/MINFI/DGI/DEPSCF du 03 juin 2016 fixant les modalités des interventions des

services fiscaux auprès des entreprises dans le cadre des contrôles et investigations fiscaux 62 Voir Rapport annuel 2018 de la Direction Générale des Impôts du Cameroun, pp.42 – 43. Pour cette période les

rendements de la fonction du contrôle fiscal suite à vérification générale de comptabilité connaissent une progression

de 42,7%. 63 Les contrôles sur pièces sont consacrés à l’article L21 du Code général des Impôts. 64 Cf. Lettre de notification de redressement n° 1944/DGI/CRIL1/CIMED-B/CGS/SCSP du 15 décembre 2016 relative

au contrôle sur pièces effectué contre la Société Commerciale des Industries du Bois (SOCIB SA) Cameroun.

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DGE privilégie ce type de contrôle du fait de son caractère ponctuel65 et restreint sur un ou

plusieurs impôts et taxes66.

Enfin, la Division des Enquêtes, de la Programmation et du Suivi du Contrôle Fiscal (DEPSCF)

avec l’appui de sa Cellule de Recherches et d’Analyse des Informations Fiscales (CRAIF) et la

Brigade des Enquêtes fiscales (BEF) ont implémenté pour l’exercice 2021, 20 (vingt) procédures

de droits d’enquête et de constatations des stocks. L’article L 50 ter en son alinéa troisième du

Code Général des Impôts consacre la procédure de droit de constatation physique des stocks ainsi

qu’il suit : « [d]ans tous les cas, l’assujetti ou son représentant a l’obligation de faire tenir aux

agents des impôts ayant au moins le grade d’Inspecteur, copie de tous documents ou supports

numériques relatifs à la gestion de ses stocks (…) ». Cette procédure vise à déterminer les stocks

existants, les manquements constatés ou l’absence de tels manquements, au regard des règles

comptables fiscalement admises en matière de gestion de stocks67. Le droit de constatation

physique des stocks participe du renforcement des moyens d’action de l’Administration fiscale en

matière de contrôle de l’impôt68. Ce dispositif complète le droit d’enquête69 et le droit de

communication70. Depuis son institution au Cameroun en 2016 cette procédure contribue au

renforcement des pouvoirs de collecte de l’information fiscale. Elle a fondé plusieurs

redressements fiscaux des entreprises multinationales dont la plupart ont révélé d’importants

65 Cf. Lettre n° 1005/MINFI/DGI/CRIN/CSIB/BC/SBCSP du 29 décembre 2016 du Chef de centre spécialisé des

impôts du Nord à M. Le Directeur exécutif de CNPC Cameroun. 66 Cf. Notification de redressement n° 068/MINFI/DGI/DGE/CGS du 06 juin 2014, suite à contrôle sur pièces effectué

contre TOTAL Cameroun SA. 67 Cf.La circulaire n° 004/MINFI/DGI/LRI/L du 24 février 2016 précisant les modalités d’application des dispositions

fiscales de la loi de n°2015/019 du 21 décembre 2016 portant Loi de finances de la République du Cameroun pour

l’exercice 2016. 68 Cf R.D YANKE, Le droit de constatation des stocks des entreprises en droit fiscal camerounais, Mémoire de Master

professionnel en fiscalité appliquée, Faculté des sciences juridiques été politiques de l’Université de Douala, année

académique 2015/2016,112p. spec. pp. 21-37. 69 Selon l’article L49 du CGI, le droit d’enquête permet aux agents des impôts d’intervenir de manière inopinée dans

les entreprises pour faire des constatations matérielles et se faire présenter tous les documents comptables dont ils

peuvent solliciter la communication au cours d’un contrôle de la TVA. 70 Conformément à l’article L4 du Code Général des Impôts, « les contribuables sont tenus de présenter à toute

réquisition de l’Administration fiscale, tous les documents et pièces comptables obligatoires complétés, le cas échéant,

par les éléments de la comptabilité spécifiques à la nature de l’activité exercée, permettant d’établir la sincérité des

éléments portés sur leurs déclarations ».

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achats à l’étranger dissimulés,71 des passifs fictifs ayant échappé à l’IS et à l’IRCM72, des stocks

de productions reconstitués entrainant des risques fiscaux en termes de reste à payer73 et de reste

à recouvrer74.

B- L’affinement des mécanismes de contrôle administratif

Compte tenu des nombreuses recettes fiscales que font perdre aux pays en développement les

pratiques d’évitement fiscal développées par les entreprises multinationales, les administrations

fiscales d’Afrique se trouvent dans l’obligation d’affiner leurs mécanismes de contrôle

administratif de l’impôt. En effet, il est question de rendre les contrôles fiscaux beaucoup plus

efficaces en les ouvrant mécanismes internationaux de contrôles transfrontaliers (1) et d’échanges

internationaux de renseignements à fins fiscales (2).

1- L’ouverture contrôle fiscal à l’initiative des « Inspecteurs des impôts

sans frontières »

Initié en 2012 par l’OCDE et le PNUD, le Programme des Inspecteurs des Impôts sans

frontière (IISF) a pour but d’aider des pays en développement à renforcer leurs capacités en

matière fiscale et accroitre la mobilisation de leurs ressources intérieures75. Ce programme permet

l’échange des savoirs et de compétences en matière de vérification fiscale avec les administrations

71 Cf. Lettre n° 0489/MINFI/DGI/DGE/ DEPSCF/CRAIF du 27 novembre 2019 portant notification de redressement

au Directeur général de la société CAMCI SA, suite à procès-verbal de clôture d’enquête fiscale du 15 novembre 2019

de la Brigade de contrôle et de vérification de la Division des Enquêtes, de la Programmation et du Suivi du Contrôle

Fiscal (DEPSCF) de la Direction Générale des Impôts. 72 Cf. Lettre n° 0161/MINFI/DGI/ DEPSCF/CRAIF du 27 avril 2017 portant avis de passage complémentaire suite à

procès-verbal d’ouverture d’enquête fiscale et de constatation des stocks du 11 avril 2017 au Directeur général de la

société SMPC, et le procès-verbal de clôture d’enquête fiscale du 16 novembre 2017 de la Brigade de contrôle et de

vérification de la Division des Enquêtes, de la Programmation et du Suivi du Contrôle Fiscal (DEPSCF) de la

Direction Générale des Impôts. Ici, le contrôle a révélé sur la base de l’exploitation du Grand livre, dans la rubrique

« Autres dettes » Tableau 4 Ligne 29, de montants exercice 2014 : 2 851 229 351 FCFA ; exercice 2015 :

2 606 258 433 FCFA ; exercice 2016 : 2 852 695 504 FCFA ; des sous comptes intitulés « comptes de regul.

Interco » qui ne sont pas assez expressifs. En l’absence de justificatifs probants l’administration fiscale les considère

comme des passifs fictifs à soumettre à l’impôt sur les sociétés (IS) et à l’impôt sur le revenu des capitaux mobiliers

(IRCM) 73 Cf. Lettre n° 0199/MINFI/DGI/ DEPSCF/CRAIF du 18 mai 2017 portant avis de passage au Directeur General de

la Société CIMENCAM SA filiale du Groupe français LAFARGE HOLCIN. Voir la lettre n° 4689/ MINFI/DGI/

DEPSCF/CRAIF du 13 juin 2017 portant réponse à la demande de report de la procédure d’enquête et de constatation

des stocks. 74 Ibid. Cf. Procès-verbal de clôture d’enquête fiscale du 1er novembre 2017 suite à l’avis de passage n°

0199/MINFI/DGI/ DEPSCF/CRAIF du 18 mai 2017. Les inspecteurs vérificateurs tirent les conséquences des écarts

entre la production déclarée et le production reconstituée. 75 S.ABDELGHANI, L’initiative « Inspecteurs des impôts sans frontières » au service de la mobilisation des

ressources intérieures, in REIDF n° 2018/1 Bruylant , pp.103-110.

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fiscales des pays en développement grâce à une approche ciblée fondée sur l’apprentissage par la

pratique en temps réel76. Les experts travaillent avec les inspecteurs des administrations d’accueil

sur les dossiers réels. L’initiative est destinée à enrayer le manque de maîtrise, par l’administration

fiscale, des caractéristiques des entreprises multinationales et facilite l’assistance d’experts dans

des domaines tels que : la sous-capitalisation, les règles anti-évasion, les taxes sur la

consommation (TVA, impôts généraux sur les ventes), les particuliers fortunés, l’évaluation des

risques avant une vérification et la sélection des dossiers, les techniques d’enquêtes ainsi que les

questions spécifiques à une industrie ou un secteur donné. A l’instar des autres pays africains qui

implémentent cette initiative77, le Cameroun a consacré le dispositif de l’Inspecteur des impôts

sans frontières dans son système fiscal camerounais depuis l’exercice 2015. Ce dispositif permet

à l’administration fiscale de se faire assister à l’occasion de certains contrôles complexes qu’elle

juge opportune, par des inspecteurs internationaux notamment des inspecteurs des impôts d’autres

Etats avec lesquels il dispose des accords en la matière. Le champ d’application de l’assistance

technique de ces experts internationaux est bien déterminé. Ainsi, les demandes d’assistance

technique étrangère78 doivent être effectuées exclusivement dans le cadre des investigations

fiscales complexes79. Pour ce faire, les besoins d’assistance technique peuvent être formulés par

les Centres Régionaux des Impôts ainsi que la Direction des Grandes Entreprises et transmis au

Directeur Général des Impôts pour approbation. Ils peuvent aussi être identifiés d’office à

l’occasion des opérations de programmation des contrôles fiscaux par la Division des Enquêtes de

la programmation et du Suivi des contrôles fiscaux (DEPSCF). Cette autorisation trouve son

fondement à l’article L18 du LPF du CGI qui prévoit que « L’administration fiscale peut (…)

faire appel à des experts internationaux dans le cadre des accords dont le Cameroun est partie ».

Les demandes de services doivent préciser, le nom ou la raison sociale de l’entreprise, la nature

des opérations réalisées, ainsi que les enjeux financiers y relatifs, la période concernée, l’objet et

76 Cf. Inspecteurs des impôts sans frontières, Rapport 2017/2018, PNUD/OCDE, 2018, p.11 77 C’est le cas du Ghana, du Lesotho, du Kenya, le Tchad, le Maroc etc. Il convient de noter que de juin 2013 à juin

2014, le rendement fiscal du Kenya est passé de 52 millions de dollars américains (environ 28.6 milliards de FCFA)

à 107 millions de dollars américains (soit environ 58 milliards de FCFA) grâce à l’IISF. Le Sénégal a collecté, toujours

grâce à cette initiative, un montant de 12 millions de dollars soit environ 6.6 milliards de FCFA en 2014 78 C’est le continent africain qui concentre la plus forte demande d’assistance IISF. S.ABDELGHANI, L’initiative

« Inspecteurs des impôts sans frontières » au service de la mobilisation des ressources intérieures, op.cit. p.107. 79 D.D DJOUSSI KWETCHE, Le contrôle fiscal des sociétés étrangères implantées au Cameroun à travers leurs

filiales, Mémoire de Master professionnel en fiscalité appliquée, FSJP, Université de Douala, 2014-2015, pp.93-96.

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la durée de l’assistance sollicitée. Cependant, s’agissant de son autorisation, seul le Ministre des

finances peut, sur proposition du Directeur Général des Impôts, autoriser l’assistance technique

étrangère en matière fiscale. S’agissant des modalités d’assistance technique par le mécanisme des

Inspecteurs des impôts sans frontières, deux techniques sont envisageables à savoir l’assistance

sur place et l’assistance à distance. L’assistance sur place peut être permanente ou ponctuelle, pour

une période déterminée, longue ou courte. Quant à l’assistance à distance, elle peut être à plein

temps ou à la demande du service, renouvelable ou non. Les grands contrôles appuyés par

l’Initiative Inspecteur des Impôts sans Frontière (IISF) ont été effectués dans les secteurs de la

téléphonie mobile, de la banque et des brasseries. A la demande du gouvernement camerounais,

un expert international de nationalité française80 a été mis à la disposition de la Direction Générale

des Impôts (Direction des Grandes Entreprises), dans le cadre de la stratégie globale

d’élargissement de l’assiette fiscale ayant comme pilier majeur la lutte contre la fraude et l’évasion

fiscales internationales. Sept (07) missions sur place entièrement financées par la France ont été

effectuées. A l’issue des travaux, les résultats sont élogieux81 ; tant cette assistance a permis de

récupérer une bonne frange de fiscalité manquante auprès des entreprises de ces secteurs ciblés. Il

convient de signaler qu’un nouveau programme IISF consacré à d’autres secteurs a été lancé pour

une période de douze mois à compter du 05 mars 2019 toujours sous l’égide de l’OCDE en

collaboration avec le Gouvernement du Royaume du Maroc dans le cadre de la coopération sud-

sud de l’IISF. Le financement dudit programme est assuré par le Programme des Nations Unies

pour le Développement (PNUD).

Pour une amélioration du contrôle fiscal des entreprises multinationales, l’administration

fiscale camerounaise devrait :

- suspendre toute relation avec les territoires non coopératifs, c'est-à-dire les territoires qui

s’appuient sur le secret bancaire pour appliquer une coopération judiciaire virtuelle ;

80 Il s’agit de M. F. QUILICHINI. Cf. Rapport annuel 2018 de la Direction Générale des Impôts du Cameroun, pp.89.

C’est le Programme F2017-0002 des Inspecteurs des impôts sans frontières. 81 Cf. S’agissant du Cameroun, voir le Programme F2018-0012 des Inspecteurs des impôts sans frontières qui a pour

impact à long terme :

- L’amélioration du respect de leurs obligations fiscales par les entreprises ayant fait l’objet d’une vérification ;

- L’évolution dans le comportement des contribuables qui se montrent plus disposés à communiquer des données et des

renseignements.

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- recourir à tout moyen qui permet de garantir la traçabilité des revenus et mouvements des

fonds y compris des trusts, des fiducies et des fondations ;

- renforcer les moyens de vérifications et d’entraide judiciaire.

2- Le développement du contrôle fiscal par le mécanisme de transparence et

d’échange de renseignements à fins fiscales

La coopération fiscale internationale est un axe majeur de la stratégie de mobilisation des

recettes de l’administration fiscale camerounaise. En effet, quelles que soient la qualité de son

organisation, l’expertise de ses fonctionnaires ou l’efficacité de sa planification, aucune

administration fiscale ne peut prétendre atteindre ses objectifs sans coopérer avec d’autres

juridictions fiscales. C’est fort de cette certitude que le Cameroun a engagé de nombreuses actions

de coopérations dynamiques et fructueuses en matière fiscale avec d’autres Etats et certaines

organisations internationales82, sous-régionales83 et régionales84. Le Cameroun est le 70ème pays à

adhérer à la convention de l’OCDE sur l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale85.

C’est en mars 2013 que le gouvernement avait déposé sur la table du parlement, un projet de loi

autorisant le chef de l’Etat à faire adhérer à la convention susmentionnée86. Elaborée en 1988, puis

amendée en 2010, cette convention, selon l’OCDE, est « l’instrument multilatéral le plus complet

et offre (aux pays qui y adhèrent) toutes les formes possibles de coopération fiscale pour combattre

82 C’est le cas de l’OCDE. 83 Sur le plan sous régional, le Cameroun est partie à la convention fiscale de nom double imposition du 13 décembre

1966 conclue entre les six Etats membres de la CEMAC ainsi que la convention d’assistance administrative mutuelle

en matière fiscale conclue entre ces mêmes Etats le 14 décembre 1965. 84 Le Cameroun est membre de l’ATAF (Forum de l’Administration Fiscale Africaine) . Au sein de l’ATAF, le

Cameroun a joué un rôle actif dans l’élaboration du modèle africain de convention fiscale de non double imposition.

L’ATAF permet de mettre ensemble les administrations fiscales du continent africain pour un partage d’expériences

et des meilleures pratiques. L’ATAF, grâce à son programme d’assistance technique à différents pays a constamment

noté un besoin urgent de décisions stratégiques dans le domaine fiscal, en vue de mettre en œuvre les changements

législatifs requis pour un recouvrement optimal des recettes fiscales. Le Cameroun officie au sein du CREDAF (Centre

de Rencontre et d’Etudes des Dirigeants des Administrations Fiscales). Cette association dédiée aux hauts

responsables des administrations fiscales francophones est depuis plus d’une trentaine d’années (en 1982), date de

création du CREDAF, l’acte constitutif et les statuts sont préparés à Yaoundé (Cameroun) un lieu d’échange et un

laboratoire des réformes et des meilleures pratiques en termes de management fiscal via des séminaires et autres

colloques qu’elle organise. 85 Ph. DEROUIN, Les avancées de l’échange international d’information à des fins fiscales, in REIDF 2018, n° 1,

Bruylant, pp.118-124. 86 La loi n° 2013/001 du 18 avril 2013 a autorisé le Président de la République à procéder à l’adhésion du Cameroun

à la Convention de l’OCDE relative à l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale signée en 1988, amendée

par le protocole du 27 mai 2010 et ouverte à l’adhésion des pays non membres depuis novembre 2011. Cette

Convention a été signée par le Ministre des Finances le mercredi 25 juin 2014, au siège de l’OCDE à Paris.

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l’évasion et la fraude fiscale ». Les pays membres du Forum mondial sur la transparence et

l’échange des renseignements à des fins fiscales se sont réunis à Yaoundé au Cameroun le 15

novembre 2017. Ils ont signé un « Appel à l’action pour lutter contre les flux financiers illicites

par la coopération fiscale internationale. 87» Le contrôle fiscal des entreprises multinationales au

Cameroun s’opère ainsi par le développement des mécanismes institués par ce Forum. Cette

plateforme promeut et surveille la mise en œuvre de deux normes internationales sur la

transparence et l’échange des renseignements (ER) à des fins fiscales. Il s’agit de la norme sur

l’échange des renseignements sur demande (ERD) et la norme sur l’échange automatique des

renseignements sur les comptes financiers (EAR). Ces deux normes sont complétées par les

normes minimales de transparence liées à l’érosion de la base et au transfert de bénéfices, c’est-à-

dire la déclaration pays par pays et l’échange des décisions fiscales anticipées. Les autres normes

d’échange des renseignements comprennent l’échange des renseignements spontané, le contrôle

fiscal à l’étranger, le contrôle fiscal simultané et l’échange de renseignements à l’échelle du

secteur88. Le mécanisme de l’échange de renseignements sur demande (ERD) implique qu’une

administration fournisse, sur demande, des renseignements à une autre administration fiscale qui

sont utiles pour que cette administration puisse enquêter et appliquer sa législation fiscale ou les

dispositions de l’accord fiscal. Si le Cameroun constitue la juridiction A, il émet la demande de

renseignement à l’intention d’un membre du Forum qui représente la juridiction B. Cette dernière

apporte une réponse à la demande initiale. Les renseignements demandés peuvent être des

renseignements sur la propriété (propriété légale et bénéficiaires), les documents comptables et les

renseignements bancaires. La transparence fiscale qui est au cœur de ce mécanisme oblige les

Etats-membres du Forum mondial à rendre l’information fiscale disponible et à permettre l’accès

aux renseignements par les autorités compétentes. Cette obligation de transparence à la charge de

chaque Etat membre, exige pour chacun d’entre eux de rendre effectif l’échange de renseignements

entre les autorités fiscales du monde entier. Dans la même perspective du contrôle fiscal des

entreprises multinationales en vue de lutter contre les flux financiers illicites (FFI), le Cameroun a

également adhéré à la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière

87 Cf. La Déclaration de Yaoundé, in : Transparence fiscale en Afrique 2021, Rapport de progrès de l’initiative en

Afrique, UA/OCDE 2021, pp.84-85. 88 Cf. Transparence fiscale en Afrique 2021, Rapport de progrès de l’initiative en Afrique, UA/OCDE 2021, p.18.

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fiscale (désignée en anglais : MAAC89). L’Etat camerounais a opté pour l’échange de

renseignements sur demande (ERD) et l’assistance technique sur mesure. La mise en œuvre de la

norme ERD y a été jugée conforme pour l’essentiel lors du premier cycle d’examen des ERD en

2016.90 Une assistance technique est fournie pour la mise en œuvre de la norme ERD renforcée y

compris la disponibilité des renseignements sur bénéficiaires effectifs. Les autorités compétentes

ont mis en place l’infrastructure de l’échange de renseignement à savoir : une unité ER, un

personnel dédié et des procédures y afférentes. Une évaluation préliminaire du cadre de

confidentialité et de protection des données en vue de la mise en place du deuxième mécanisme

du Forum Mondial, à savoir l’échange automatique de renseignements (EAR), a été réalisé en 2019

et les premières discutions ont débuté en vue de sa mise en effectivité. Par ailleurs douze

fonctionnaires fiscaux ont participé à une formation du Forum mondial sur l’échange de

renseignements en 2020 et une formation a réuni soixante fonctionnaires de l’administration

fiscale. On le voit très bien, l’Etat du Cameroun implémente les mécanismes de coopération

internationale de contrôle fiscal pour circonscrire et saisir les flux financiers illicites des entreprises

multinationales91 dont l’activité se développe sur son territoire, en vue d’accroitre les ressources

fiscales. Le juge de l’impôt contribue également à cette dynamique inhérente à la mondialisation.

II- UN CONTRÔLE JURIDICTIONNEL RENFORCÉ

Le juge fiscal est un acteur essentiel qui contribue à l’application des règles du système fiscal.

C’est à lui que revient la noble tâche d’assurer l’application de la loi fiscale par une administration

soucieuse de recouvrer le maximum de recettes fiscales et par des contribuables jaloux de la

sauvegarde de leurs droits92. Lorsque la phase administrative n’a pas permis à l’administration

fiscale et au contribuable de s’entendre sur l’impôt à payer, la phase juridictionnelle du contrôle

fiscal devient inéluctable. Plusieurs études identifient la nature du juge de l’impôt93. Pour certains,

89 MAAC : Mutual administrative assistance convention. Plusieurs pays africains rejoignent progressivement la

MAAC. Au titre de l’année 2021, 14 pays l’ont signée et ratifiée à savoir : l’Afrique du Sud, Cabo Verde, Cameroun

, Eswatini, Ghana, Kenya, Maroc, Maurice, Namibie, Nigeria , Seychelles , Tunisie , Ouganda. 90 Cf. Transparence fiscale en Afrique 2021, Rapport de progrès de l’initiative en Afrique, UA/OCDE 2021, p.68. 91 D. FALCO, Pratiques abusives et fiscalité indirecte, in REIDF 2020/3, pp. 313-328. 92 R. ATANGA FONGUE, Contrôle fiscal et protection du contribuable dans un contexte d’ajustement structurel, le

cas du Cameroun, l’Harmattan, Paris, Janvier 2008. 93 C. de la MARDIÈRE, Recours pour excès de pouvoir et contentieux administratif de l’impôt, LGDJ, Bibliothèque

de science financière, Tome 41,2002 ; J. MARTINEZ-MEHLINGER, Le recours pour excès de pouvoir en matière

fiscale, L’Harmattan 2002.

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le juge fiscal n’est autre que le juge administratif94 qui applique des normes spéciales édictées dans

le Code général des Impôts (CGI), le Livre des Procédures Fiscales (LPF), la constitution et les

conventions internationales95. Pour d’autres, il est le juge judiciaire ou le juge administratif lorsque

le litige concerne respectivement les impôts indirects96 ou les impôts directs,97 cette distinction

tendant à s’estomper s’agissant du système camerounais98. Une partie de la doctrine n’hésite pas à

considérer le juge fiscal comme un juge financier malgré l’inexistence de l’autonomie d’une

juridiction financière99dans les systèmes judiciaires d’Afrique noire francophone. L’incertitude du

statut du juge fiscal côtoie donc la difficulté de détermination des contours de son office100. En

effet, le juge fiscal intervient dans une matière jugée hermétique, technique voire rébarbative

traversée par des données des sciences mathématique, économique, comptable et de gestion101.

C’est dans cette zone de fortes turbulences que le juge fiscal102 est appelé à effectuer un contrôle

94 AKONO ONGBA SEDENA, L’apport du juge administratif au droit fiscal au Cameroun, Thèse pour le Doctorat

Ph/D en droit public, Université de Yaoundé II-, 2013, 654 p. 95 E. BOKDAM-TOGNETTI, Le juge fiscal face à la règle comptable : la connexion fiscalo-comptable ne serait-elle,

au fond, qu’une forme d’union libre ? In : Le contrôle fiscal des entreprises, RFFP n° 138-Mai 2017, pp.31-37. 96 Les impôts indirects sont ceux qui ne frappent le contribuable que lorsqu’il dépense son revenu. Il s’agit des impôts

supportés pas le redevable réel mais acquittés parle redevable légal. Au Benin et en France, l’impôt indirect relèvent

de la compétence du juge judiciaire. Cf. N. MEDE, Le juge fiscal en Afrique de l’ouest francophone, Regards sur un

moucharabieh juridictionnel, in : Les nouveaux chantiers des finances publiques en Afrique, Mélanges en l’honneur

de Michel BOUVIER, l’Harmattan Sénégal, 2019, pp.405-410. 97 Les impôts directs sont ceux qui font l’objet de rôle nominatif et qui sont directement acquittés par ceux qui y sont

assujettis. Les impôts directs relèvent de la compétence du juge administratif. Cf. N. MEDE, Le juge fiscal en

Afrique de l’ouest francophone, Regards sur un moucharabieh juridictionnel, op.cit. p.406. 98 Au Cameroun, depuis 2015, l’on observe un mouvement d’unification du contentieux fiscal en faveur du juge

administratif. Ceci découle des dispositions de la loi de finances de l’exercice 2015, dont le nouvel article 412 du

CGI établit que : « Les règles de procédure en matière de contentieux et de recouvrement des droits

d’enregistrement sont les mêmes que celles prévues par le Livre des Procédures Fiscales en matière d’impôts, taxes

et droits directs. » Par ailleurs, l’article L126 du LPF dispose qu’: « En matière d’impôts directs et de taxe sur la

valeur ajoutée ou de taxes assimilées, les décisions rendues par le ministre en charge des finances sur les

réclamations contentieuses, et qui ne donnent pas entièrement satisfaction aux intéressés, peuvent être attaquées

devant les Tribunaux administratifs, dans un délai de soixante (60) jours à partir du jour de la réception de l’avis

portant notification de la décision.» Cette unification du contentieux fiscal au profit du juge administratif (c'est-à-

dire du Tribunal Administratif ou de la Chambre Administrative de la Cour Suprême en cas de cassation) induit une

compétence résiduelle du juge judiciaire qui ne conserve que le contentieux pénal de la fraude fiscale. 99 P.E ABANE ENGOLO, Pour un ordre juridictionnel financier, in Les nouveaux chantiers des finances publiques

en Afrique, Mélanges en l’honneur de Michel BOUVIER, l’Harmattan Sénégal, 2019, pp.313-330. 100 H. AKEREKORO et S. A. LASSISSI, L’office du juge administratif en contentieux de l’impôt au Benin et au

Cameroun, Revue Africaine de Finances Publiques (RAFIP), n° 09, 2021, pp.73-100. 101 P.E ABANE ENGOLO, Pour un ordre juridictionnel financier, in Les nouveaux chantiers des finances publiques

en Afrique, p.327. 102 M. MATENBOU, Recherches sur le contentieux fiscal au Cameroun, Thèse de droit public, Université de Yaoundé

II, 2016, 421 p

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juridictionnel de la régularité de la procédure d’imposition103 appliquée aux entreprises

multinationales au Cameroun. Ce pan de l’étude questionne l’apport du juge administratif au

système fiscal dans son ensemble104, lui qui a pour mission d’instaurer et de sauvegarder la sécurité

juridique au sein du cadre d’imposition105. La question devient plus ardue lorsqu’on considère le

contexte camerounais106 marqué par le rapprochement du juge fiscal près des contribuables avec

la mise en effectivité depuis 2012, des Tribunaux administratifs officiant dans chacune des dix

(10) régions du pays107. Ces Tribunaux administratifs statuent en premier et en dernier ressort sur

le contentieux fiscal et financier108, entre autres champs de compétence. La Chambre

Administrative de la Cour Suprême, en sa section du contentieux fiscal et financier109, demeure

l’instance suprême qui connait en cassation110, des décisions rendues par les premiers juges. Par

ailleurs avec la croissance économique en cours, l’on observe le développement des affaires et

l’augmentation des investissements de sorte que la plupart des contribuables (ici, les entreprises

multinationales) se tournent de plus en plus régulièrement vers le juge fiscal notamment du lieu de

situation de leur résidence ou de leur siège social111 généralement basé à la capitale économique

du Cameroun, c’est-à-dire Douala dans la région du Littoral. Dès lors, comment se manifeste le

103 Cf. L. AYRAULT, Le contrôle juridictionnel de la régularité de la procédure d’imposition, L’Harmattan, Collection

Finances publiques, 2004. 104 AKONO ONGBA SEDENA, L’apport du juge administratif au droit fiscal au Cameroun, Thèse, op.cit., p.-v. P.

ALAKA ALAKA , Les procédures de contrôle en matière fiscale dans l'espace Ohada, Universitaires Européennes -

septembre 2017, 84 p. 105 F. ATECK A DJAM (F), Droit du contentieux fiscal camerounais, Paris, L’harmattan, 2009, 267 p. 106 I. MOULIOM, Le contentieux de l’imposition au Cameroun : essai d’analyse sur sa nature juridique. Thèse de

Doctorat en droit, Université de Yaoundé II , Juin 2002, 107 Cf. Décret n° 2012/119 du 5 mars 2012 portant ouverture des tribunaux administratifs a consacré l’ouverture d’un

tribunal administratif par région, avec pour siège le chef-lieu de celle-ci. 108Cf. Loi n° 2006/022, du 29 décembre 2006, fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs

est claire dans son article 2 (alinéa 2) : « Les tribunaux administratifs connaissent en premier ressort, du contentieux

des élections régionales et municipales et en dernier ressort, de l’ensemble du contentieux du contentieux administratif

concernant l’Etat, les collectivités publiques territoriales décentralisées et les établissements publics administratifs,

sous réserve des dispositions de l’article 14 (2) de la présente loi. » . 109 Article 9 alinéa 1, loi n°2006/016, du 22 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour

Suprême:« La Chambre Administrative comprend :

- une section du contentieux de la fonction publique ;

-une section du contentieux des affaires foncières et domaniales ;

- une section du contentieux fiscal et financier ;

-une section du contentieux des contrats administratifs ;

-une section du contentieux de l’annulation et des questions diverses ». 110 Cf. La loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême, op. cit. 111 Cf. Article L 124 du CGI camerounais. : « En cas de silence du Ministre des Finances aux termes du délai de deux

(02) mois, le contribuable peut saisir d’office le Tribunal administratif du Centre des impôts de rattachement ou le

Tribunal administratif de sa résidence ou de son siège social. »

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renforcement contrôle juridictionnel fiscal des entreprises multinationales ? A l’évidence, la

saisine de plus en plus fréquente du juge fiscal l’amène à contribuer de manière décisive au

renforcement du contrôle fiscal qui se traduit par un contrôle juridictionnel progressivement

approfondi des techniques fiscales (A) et une sanction juridictionnelle fondamentalement accrue

des abus de conventions fiscales internationales.

A- Le contrôle juridictionnel approfondi des techniques fiscales

La théorie générale de l’impôt comprend d’abord l’étude des techniques juridiques qui lui sont

propres. Ces techniques peuvent être assez différentes suivant la nature des impositions. S’il est

difficile d’en faire une synthèse exhaustive, du moins est-il possible d’examiner les techniques

dont l’utilisation est la plus fréquente, celles qui s’appliquent pour les impôts les plus importants.

En s’inspirant de la définition donnée par CORNU à propos de la technique juridique112, l’on peut

dès lors identifier la technique fiscale comme l’ensemble des moyens spécifiques en termes de

procédés, opérations, présomption, fiction, assimilation, qualification, etc, qui président à

l’agencement et à la réalisation de la procédure d’imposition. La technique fiscale comporte ainsi

les procédures d’assiette, de liquidation et de recouvrement de l’impôt ainsi que les opérations de

contrôle fiscal conduites par l’administration. Il est donc intéressant de voir comment le juge fiscal

camerounais examine la mise en œuvre par l’administration des techniques d’imposition (1) et

des opérations de contrôle (2).

1- Le contrôle juridictionnel de la conformité des opérations d’assiette, de

liquidation et de recouvrement fiscal

La plupart des opérations, activités, contrats et transactions des entreprises multinationales

imposables au Cameroun ont un caractère international indéniable. L’œuvre du juge fiscal consiste

ici, non seulement à vérifier que la matière imposable prélevée est bien celle expressément

déterminée par la loi fiscale, mais aussi à s’assurer que le taux de l’impôt effectivement appliqué

est celui qui est strictement consacré par la norme fiscale.

112 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri CAPITANT, 12ème éd. Quadrige, PUF, 2018, pp.1263-1264.

Voir aussi A. ANDRÉ-JEAN, (Sous la dir. de), Entrée : « Technique juridique », Dictionnaire encyclopédique de

théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 1993, 1456 p ; pp 605-607.

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S’agissant de la matière imposable, l’intervention du juge fiscal vise à vérifier que l’administration

fiscale a recherché, qualifié, et évalué la matière imposable qui peut être un revenu, une activité,

un bénéfice, un bien, une plus-value, une transaction, une opération économique , un contrat, un

acte, une prestation etc, conformément à la norme fiscale. C’est dans ce sens que le juge fiscal

camerounais a rejeté le recours pour excès de pouvoir d’un établissement financier international

tendant à obtenir l’annulation de la taxation à la TVA des intérêts rémunérant un emprunt

obligataire de l’Etat. Pour le juge fiscal, « (…) l’emprunt obligataire est une opération économique

de prestation de service113 (…) Qu’il résulte de ce qui précède que contrairement à l’interprétation

de la société requérante, l’exonération appliquée ne concerne pas la TVA, s’agissant d’un impôt

indirect sur la consommation114. »

Par ailleurs, le juge fiscal sanctionne d’annulation toutes les impositions assises sur un

avoir fiscal car, «(…) l’impôt ne peut être calculé sur l’impôt, (…) un impôt ne peut être assis sur

une créance fiscale115.» Dans le même sens, toute procédure d’imposition effectuée en violation

des règles régissant l’assiette fiscale, encourt annulation. C’est le cas d’une décision et d’un titre

de perception émis par l’administration domaniale et appliqués à une entreprise multinationale

spécialisée dans la diffusion d’images par satellite, alors même que la loi fiscale attribue le

recouvrement des redevances foncières à un régisseur de recettes, à charge pour ce dernier de les

reverser au receveur des domaines territorialement compétents. La motivation du juge fiscal est

des plus précises : « Attendu (…) que ni le titre de perception ni la mise en demeure ne précise les

fondements et l’assiette des redevances réclamées (…) Attendu que l’incompétence et le défaut de

motivation sont constitutifs d’excès de pouvoir, qu’il y a lieu d’annuler les actes querellés pour

ces motifs. » 116 Le contrôle des opérations d’assiette conduit tout aussi le juge fiscal à rejeter la

prétention d’une entreprise multinationale africaine tendant à imputer l’impôt sur le revenu des

capitaux mobiliers sur le crédit de l’impôt sur les sociétés, sanction juridictionnelle retenue au

113 L’instruction du 10 mars 1999 portant application de la loi de finances 1998/1999 définit une activité économique

comme : « toute opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes

ayant un caractère de permanence. » 114 Cf. TA Littoral, Jugement n° 349/FF/17 du 28 septembre 2017, EDC Investment Coorporation SA c/ Etat du

Cameroun(MINFI) 115 Cf. TA Littoral, Jugement n° 029/FF/2020 du 05 mars 2020, Société L.D International SARL c/ Etat du Cameroun

(MINFI) 116 TA Littoral, Jugement n° 013/FF/2020 du 16 janvier 2020, Canal + Cameroun SA c/ Etat du Cameroun (Recette

départementale des domaines du Wouri).

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motif qu’une telle opération ne peut prospérer s’agissant des impôts de nature différente, car en

effet , « (…) tandis que l’impôt sur les sociétés qui est un impôt direct acquitté par l’entreprise

elle-même , est assis sur le bénéfice par elle réalisé sur une période donnée , l’impôt sur le revenu

des capitaux mobiliers quant à lui est un impôt indirect ,retenu à la source par l’entreprise en cas

de distribution du bénéfice réalisé après paiement de l’impôt sur les sociétés117. » Dans la même

espèce, un simple contrôle de cohérence objet de la procédure de contrôle sur pièces ne saurait

fonder le redressement fiscal des opérations internationales de ladite multinationale. Selon le juge

fiscal : « (…) l’administration fiscale n’est pas fondée à opérer un tel redressement dans le cadre

d’un contrôle sur pièces dès lors que la nature juridique des sommes payées à l’étranger (…)

nécessite des investigations approfondies et des documents fiables dont l’interprétation est

incompatible avec le contrôle de cohérence ayant abouti à ce redressement. 118» Pour respecter la

lettre et l’esprit de la loi fiscale , le juge fiscal camerounais analyse les méandres des opérations

du commerce international s’agissant des transactions d’une entreprise de transport maritime pour

rejeter l’imposition des surestaries définis comme les sommes dues par l’affréteur au voyage pour

le dépassement du laps de temps, compté par jour et par heure, mis gratuitement à sa disposition

pour charger ou décharger la cargaison119. La motivation est la suivante : « Attendu (…) que les

surestaries ne sauraient être considérées comme des rémunérations de prestation de service et

comme telles passibles de la taxe spéciale sur le revenu, encore que la personne morale bénéficiaire

n’est pas domiciliée au Cameroun120.» La problématique des procédures d’imposition des

entreprises multinationales est donc étroitement liée au principe de territorialité fiscale.

Le juge fiscal camerounais opère un contrôle strict de l’application des taux légaux

d’imposition aux entreprises multinationales en vertu du principe d’égalité des contribuables

devant la loi fiscale. Deux espèces sont mobilisées pour illustrer cette assertion.

D’abord, à la suite du contrôle du droit d’accises perçu suite à une opération d’importation,

l’administration fiscale s’est fondée sur une nouvelle disposition de la loi de finances 2015 créant

117 TA Littoral, Jugement n° 019/FF/2018 du 1er février 2018, Société NSIA assurances SA c/ Etat du Cameroun

(MINFI).

118 Ibid. 119 Cf. G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri CAPITANT, 12ème éd. Quadrige, PUF, 2018, pp.2083,

2116. 120 TA Littoral, Jugement n° 201/FF/18 du 05 juillet 2018, Société GETMA Cameroun SA c/ Etat du Cameroun

(MINFI).

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à côté des droits d’accises ad valorem, un droit d’accises spécifique relatif aux tiges de tabacs,

pour appliquer à une entreprise multinationale un taux d’imposition de 76 %, malgré une directive

CEMAC qui limite ce taux d’imposition à 25%. Pour résoudre ce litige, le juge fiscal

décide : « Attendu qu’il est de jurisprudence établie qu’un justiciable peut se prévaloir , à l’appui

d’un recours dirigé contre un acte administratif non règlementaire , des dispositions précises et

inconditionnelles d’une directive , lorsque ladite directive n’a pas été transposée dans les délais

prévus à cet effet ou a été mal transposée ; Attendu que l’article 57 de la directive n° 07/11-UEAC-

028-CM-22 du 19 décembre 2011 édicte que ‘’le taux normal applicable au droit d’accises ad

valorem est arrêté librement par chaque Etat membre dans une fourchette allant de 0 à 25% sans

possibilité de rabattement. Nonobstant les dispositions de l’article 55 ci-dessus , la mise en œuvre

d’un systèmes de taxation spécifique aux droits d’accises est laissée à l’appréciation de chaque

Etat membre et devra comprendre obligatoirement les tabacs et les boissons alcooliques’’ (…)

Attendu qu’en l’espèce , il est acquis aux débats que le taux appliqué au droit d’accises et ayant

généré les impositions contestées est supérieur à 25% ; qu’il y a donc violation de la directive

suscitée ; qu’il échet par conséquent d’annuler les impositions contestées (…)121. Une application

exagérée des droits d’accises a tout aussi été sanctionnée par le juge fiscal s’agissant de

l’imposition des bouteilles de vins importés122.

Enfin, le respect du taux d’imposition spécifique applicable à une entreprise multinationale

du fait de son classement dans le régime stratégique du code des investissements, est de mise.

Faute d’appliquer ce régime incitatif, les inspecteurs-vérificateurs de la Direction des Grandes

Entreprises (DGE) voient leur avis de mise en recouvrement suite à vérification générale

comptabilité, annulé. Suivons le juge fiscal à cet effet : « Attendu que la requérante fait grief à

l’administration fiscale d’avoir méconnu les dispositions de l’arrêté n° 002/MINDIC/CGCI du 15

janvier 2004 du Ministre du développement industriel et commercial portant son reversement au

régime des entreprises stratégiques du Code des Investissements pour une durée de sept ans

(…) ; Attendu que l’article 2 dudit arrêté dispose :’’ pendant ladite période, la Société

Camerounaise de Transformation de Blé (SCTB) bénéficie des avantages ci-après : (…) - la

121 TA Littoral, Jugement n° 040/FF/18 du 15 mars 2018, Société de Distribution et de Négoce International

(SODESNI) c/ Etat du Cameroun (MINFI). 122 TA Littoral, Jugement n° 385/FF/18 du 05 décembre 2019, Société Africaine de Distribution (SAFDI) SARL c/

Etat du Cameroun (MINFI).

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réduction de : - (…) 50 % de la taxe proportionnelle sur les revenus de capitaux mobiliers

(TPRCM) ; Attendu qu’à la lecture de ce texte , il est aisé d’affirmer , contrairement à la position

du Ministère public , que la requérante bénéficie de la réduction d’IRCM de moitié , qu’elle soit

redevable réelle ou légale ; qu’il n’est pas ans intérêt de rappeler que la loi fiscale est

d’interprétation restrictive ; qu’il convient par conséquent d’annuler les impositions relativement

à ce point ; (…)123 ».

2- Le contrôle juridictionnel de la légalité des opérations de contrôle fiscal

La chronique jurisprudentielle du contrôle de la légalité des procédures de contrôle fiscal

appliquées par l’administration124 aux entreprises multinationales au Cameroun, illustre

l’évolution la situation d’un juge fiscal confronté à l’impératif d’assurer l’équilibre entre les

pouvoirs d’investigation du fisc et le respect des prérogatives des contribuables. D’un côté,

l’administration fiscale dispose d’une panoplie de procédures de contrôle fiscal consacrées dans le

Livre des Procédures Fiscales (LPF). De l’autre, les contribuables défendent de plus en plus leurs

garanties légalement consacrées. Dans ce contexte, le juge fiscal camerounais s’assure du respect

des conditions de recours par l’administration à une procédure spécifique de contrôle, d’émission

des titres exécutoires, de redressement ou de recouvrement des ressources fiscales. Ainsi,

l’administration fiscale n’est fondée à déclencher une procédure de déclaration pré- remplie que si

le contribuable n’a pas déclaré ses impôts au cours de la période considérée125.Est par contre

conforme à la loi, une taxation d’office effectuée par l’administration fiscale (ici la Direction des

Grandes Entreprises) suite au défaut de dépôt de la déclaration statistique et fiscale (DSF), malgré

la mise en demeure dument notifiée à l’entreprise126. Aussi, est exposée à la nullité absolue, la

procédure de contrôle dans laquelle l’administration fiscale répond aux observations du

contribuable au-delà du délai de 60 (soixante) jours imparti par l’article L 24 du Livre des

123 TA Littoral, Jugement n° 382/FF/18 du 06 décembre 2018, Société Camerounaise de Transformation de Blé

(SCTB) SA c/ Etat du Cameroun (MINFI). 124 B. RICOU, Chronique jurisprudentielle annuelle des procédures fiscales, in : REIDF n° 2018/1, Bruylant , pp. 138-

147. 125 TA Littoral, Jugement n° 177/FF/2020 du 20 août 2020, Société Le Grand Moulin du Cameroun (SGMC) SA c/

Etat du Cameroun (MINFI). 126 TA Littoral, Jugement n° 155/FF/19 du 06 juin 2019, Société BAKER HUGHES SA c/ Etat du Cameroun

(MINFI).

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Procédures Fiscales du Cameroun127. Cette nullité s’étend également à une procédure de contrôle

effectuée sans remise au contribuable d’une notification de redressement ou d’un avis d’absence

de redressement suite au procès-verbal de fin de contrôle128. Cette solution est confirmée par le

juge fiscal saisi suite à pourvoi en cassation introduit par l’Etat129.Le juge fiscal retient aussi la

nullité d’ordre public de la procédure de vérification générale de comptabilité conduite contre une

entreprise multinationale du secteur bancaire au motif que l’avis de redressement a été notifié au

contribuable 73 (soixante-treize) jours après la clôture de la vérification en violation de la loi

fiscale qui accorde strictement un délai de 60 (soixante jours)130. Le contrôle fiscal d’une

entreprise multinationale de distribution des images par satellite a permis au juge fiscal de

consacrer le principe de l’interdiction des contrôles fiscaux multiples s’agissant des mêmes impôts

au cours d’un exercice fiscal. Selon le juge fiscal : « Attendu que l’article L 36 dispose : ‘’Lorsque

la vérification au titre d'un exercice fiscal donné, au regard d'un impôt ou taxe ou d'un groupe

d'impôts ou taxes est achevée, l'Administration ne peut procéder à une nouvelle vérification pour

ces mêmes impôts ou taxes sur le même exercice fiscal’’; Qu’une nouvelle vérification n’est

possible que lorsque l’administration fiscale a déposé une plainte pour agissement frauduleux ;

Que par ailleurs , non seulement le fisc ne peut se prévaloir de son droit de reprise en ce que les

renseignements reçus ou regroupés proviennent d’un contrôle sur pièces postérieur à la vérification

générale de comptabilité effectuée dans la société requérante mais aussi, en l’absence d’une plainte

pour agissements frauduleux ; Qu’il y a lieu en conséquence d’annuler l’avis de mise en

recouvrement contesté.131 » Le juge fiscal camerounais sanctionne aussi le dépassement du

périmètre du contrôle sur pièces lorsque celui-ci, par la faute de l’administration, a abouti à une

vérification générale de comptabilité, conformément à une circulaire cadre n°

0004/MINFI/DGI/CC/C du 08 mai 2008 qui dispose qu’ « (…) aucun document ayant servi à

l’enregistrement d’une opération en comptabilité ne doit être réclamé à l’usager dans le cadre d’un

127 TA Littoral, Jugement n° 307/FF/19 du 24 octobre 2019, Security Services Group (SSG) SARL c/ Etat du

Cameroun (MINFI). 128 TA Littoral, Jugement n° 080/FF/15 du 05 novembre 2015, Société GENITRAM/TP SARL c/ Etat du Cameroun

(MINFI). 129 CSCA, Section du contentieux fiscal et financier, Arrêt n° 108/FF/2017 du 08 novembre 2017, Etat du Cameroun

(MINFI) c/ Société GENITRAM/TP SARL 130 TA Littoral, Jugement n° 136/FF/18 du 17 mai 2018, Société CITIBANK Cameroun SA c/ Etat du Cameroun

(MINFI). 131 TA Littoral, Jugement n° 022/FF/19 du 28 février 2019, Société ASTON SAT SARL c/ Etat du Cameroun (MINFI).

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contrôle sur pièces.». Par une motivation méthodique et argumentée, le juge fiscal le réitère ainsi

qu’il suit : « Attendu qu’il ressort de l’exploitation des pièces du dossier que la reconstitution des

achats effectuée par l’administration des impôts à partir du listing communiqué par la douane a ,

dépassant le cadre normal du contrôle sur pièces , abouti à la reconstitution du chiffre d’affaires ;

qu’une telle opération juridique ne peut être réalisée , en application des dispositions légales et

doctrinales précitées , que dans le cadre d’un contrôle général de comptabilité afin de garantir au

contribuable tous ses droits, notamment par la discussion contradictoire des éléments essentiels de

sa comptabilité susceptibles d’apporter des éclaircissements ou même de contredire ceux contenus

dans le listing en cause dont on ne saurait établir , en l’état , le caractère probant ; qu’ainsi, la

reconstitution et la déduction des valeurs facture , la reconstitution du chiffre d’affaire à partir du

listing communiqué par la douane , le retraitement supposé des informations y contenues sont

autant d’éléments établissant que les vérificateurs se sont largement écartés du cadre juridique du

contrôle sur pièces dès lors que ledit contrôle porte sur des éléments substantiels de la procédure

administrative ; qu’il échet, sans s’attarder sur les autres moyens invoqués , d’annuler l’avis de

mise en recouvrement querellé comme résultant d’une procédure irrégulièrement menée et

d’invalider subséquemment les impositions qui en sont issues132. » Les entreprises multinationales

sont également contrôlées au niveau de l’application des conventions fiscales internationales

qu’elles invoquent généralement à l’appui de leurs opérations.

B- La sanction juridictionnelle accrue des abus de conventions fiscales internationales

Parmi les causes évoquées pour expliquer l’évasion fiscale des multinationales dans l’espace

africain subsaharien de l’UEMOA133, figurent entre autres :

- La faiblesse des administrations fiscales malgré l’attractivité fiscale de leur législation ;

- Les stratégies fiscales agressives des entreprises multinationales ;

- Et l’utilisation abusive des conventions fiscales par ces dernières.

Cet état des lieux est similaire aux pays membres de la CEMAC en général et au Cameroun en

particulier s’agissant du cas spécifique des entreprises multinationales opérant sur le territoire

132 Cf. TA Littoral, Jugement n° 006/FF/18 du 18 janvier 2018, Société Horizon Phyto Plus c/ Etat du Cameroun

(MINFI). 133 Cf. G. S. O. ADETONAH : L’évasion fiscale des multinationales dans les pays de l’UEMOA, Thèse de doctorat

en droit, Faculté de droit et science politique d’Aix-Marseille, Ecole Doctorale ED 67,09 février 2018,528p, spéc. p.6.

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national. Dans leurs opérations internationales, les multinationales exploitent généralement les

multiples possibilités offertes par les conventions fiscales bilatérales ou multilatérales ratifiées par

le Cameroun. Dès lors l’optimisation fiscale internationale côtoie la fraude fiscale. L’élargissement

du réseau des conventions fiscales, élément central de la politique fiscale internationale du

Cameroun constitue aussi un canal plus que probable des abus de conventions. L’administration

fiscale camerounaise tente tant bien que mal de juguler ces abus par les opérations de contrôle

fiscal, d’échange de renseignements, de contrôle des prix de transfert et d’assistance administrative

examinés plus haut. Ces contrôles administratifs fiscaux, gravitant autour de la question de la

territorialité de l’impôt134, génèrent dans la plus part des cas d’énormes redressements qui sont

soumis à la sanction du juge fiscal camerounais. Cette occasion permet ainsi au juge fiscal national

d’identifier des abus de conventions fiscales (1) et de contrôler les mesures administratives

unilatérales de lutte contre ces abus (2).

1- L’identification prétorienne des abus de conventions fiscales

L’abus de convention dont il est question ici traduit des cas où des entreprises

multinationales opérant au Cameroun cherchent à bénéficier ou à profiter d’une protection plus

avantageuse consacrée par un traité en termes d’exonérations fiscales ou de réduction du taux de

l’impôt. L’administration fiscale, notamment la Direction des Grandes Entreprises procède aux

notifications de redressement dès lors qu’elle constate de tels agissements de la part des entreprises

multinationales. Les contestations qui s’en suivent généralement aboutissent à la saisine du juge

fiscal qui a la charge de sanctionner aussi bien les fraudes des contribuables que les abus de

l’administration. Il en résulte l’identification par le juge fiscal de plusieurs types d’abus des

conventions fiscales. L’un de ces mécanismes consiste pour le juge fiscal à confirmer l’imposition

d’une multinationale qui tente d’invoquer une convention fiscale afin de soustraire sa filiale ou sa

succursale du paiement de l’impôt dû, au nom de l’évitement de la double imposition. Tel est le

cas dans l’affaire Société BANOS Cameroun S.A c/ Etat du Cameroun (MINEFI)135. La Société

BANOS Cameroun S.A. société de droit camerounais, ayant une filiation avec la Société BANOS

134 F. ABENG MESSI, « L’impôt au Cameroun : entre territorialité, extra-territorialité et re-territorialité », RFFP nov.

2021, p. 109. Voir aussi l’article 5 du CGI du Cameroun. 135 Cf. CS/CA, Jugement n°36/2014 du 22 Janvier 2014, Société BANOS Cameroun S.A c/ Etat du Cameroun

(MINEFI)

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et Compagnie domiciliée à Bangui en République Centrafricaine (RCA), pays membre de la

Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), fait l’objet d’un contrôle

de comptabilité générale des exercices 1994/1995, 1995/1996, 1996/1997 et 1997/1998. Au terme

dudit contrôle fiscal, la Société BANOS S.A est redressée « minorisation du chiffre d’affaires » et

fait immédiatement l’objet d’une taxation d’office136. Ici, la société-mère BANOS Cameroun S.A

se réfère aux dispositions communautaires de la CEMAC en matière de TVA afin de permettre à

sa filiale BANOS et Compagnie RCA d’échapper à l’imposition sur les revenus issus de l’activité

de transport exercée au Cameroun. La Directive convoquée ici est celle n°1/99/CEMAC-028-CM-

03 du 17 décembre 1999 portant harmonisation des législations des Etats-membres en matière de

TVA et de droit d’accises, dont l’article 9 paragraphe 3 dispose que : « par exception, en ce qui

concerne les transports internationaux, les opérations sont réputées faites dans l’Etat du lieu du

domicile ou la résidence habituelle s’il s’agit d’un transporteur individuel, ou du lieu du siège s’il

s’agit d’une société, alors même que le principal de l’opération s’effectuerait hors de cet Etat ».

Le principe étant que : « sont soumise à la TVA, toutes les affaires réalisées dans un Etat non

comprises dans la liste des exonérations (…), quand bien même le domicile de la personne

physique ou le siège social de la société débitrice serait en dehors des limites territoriales de cet

Etat 137». Le juge fiscal se prononce ainsi qu’il suit : « Attendu en l’espèce qu’il ressort du dossier

que non seulement les opérations de transport ont été réalisées au Cameroun par la Société BANOS

Bangui, au profit d’une entreprise camerounaise (AITI) mais que la société recourante n’a pu

rapporter la preuve ni l’imposition du chiffre d’affaire relative auxdites opérations à Bangui ni

celle de la séparation du patrimoine des deux sociétés ; Que c’est donc à juste titre que

l’administration fiscale a, en vertu des textes susvisés procédé à la taxation d’office de la société

concernée ; Qu’il s’ensuit que le recours n’est pas justifié et qu’il encourt le rejet. » Le juge fiscal

conforte le principe de l’imposition des sociétés étrangères au Cameroun tel que consacré par les

136 Lire à ce propos l’excellente note d’A. EYANGA MEWOLO sous CS/CA, Jugement n° 36/2014 du 22 Janvier

2014, Société BANOS Cameroun S.A c/ Etat du Cameroun (MINEFI) (RECOURS n° 1160/99-2000), in : Revue

Africaine de droit public (RADP), Vol VIII, n° 15, janvier - juin 2019,pp. 07-30. 137 Cf. Article 9, paragraphe 1, de la Directive n° 1/99/CEMAC-028-CM-03 du 17 décembre 1999 portant

harmonisation des législations des Etats-membres en matière de TVA et de droit d’accises.

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articles 13138 et 14139 du Code Général des Impôts (CGI). Selon ces dispositions, les sociétés

étrangères non installées au Cameroun et qui disposent des liens de filiation ou d’interdépendance

avec d’autres personnes morales ou entreprises installées au Cameroun sont imposables de plein

droit, si elles exercent une activité commerciale à cycle complet. Le juge fiscal camerounais établit

ainsi une inflexion de la localisation du siège social à l’étranger comme cause de non-imposition

à l’impôt sur les sociétés et un dépassement de l’extranéité fiscale140.

L’identification prétorienne de l’abus de convention fiscale concerne aussi l’imposition de

multinationale ayant opté à dessein pour la nationalité d’un Etat de source, dépourvue de domicile

fiscal dans l’Etat d’accueil, mais qui y réalise des revenus par l’intermédiaire des sociétés

partenaires sur la base d’une convention fiscale favorable, une pratique désignée sous le vocable

« treaty shopping 141». Tel est le cas dans l’affaire relative à la Société Western Union Network.

En effet, ladite société, leader mondial des services des services de transfert international d’argent

est de nationalité américaine comme étant basée dans l’Etat fédéré du New Jersey. Pour les besoins

de la cause, la Société Western Union Network crée une filiale de nationalité française sous la

forme d’une société par action simplifiée (SAS) chargée de développer ses activités en Afrique.

Compte tenu du fait que la France dispose de conventions fiscales favorables avec la plupart des

Etats africains dont le Cameroun142, cette filiale française de la Société mère américaine Western

Union Network conclut des conventions avec des établissements financiers partenaires qui

138 Cf. Article 13 du CGI : « Les personnes morales situées hors du Cameroun et ayant des liens de filiation ou

d’interdépendance avec d’autres personnes morales ou entreprise installées au Cameroun, ont pour lieu d’imposition

le même que celui des personnes morales avec lesquelles elles ont des liens. Ces dernières sont solidairement

responsables du paiement de l’impôt dû par les personnes morales situées hors du Cameroun. » 139 Cf. Article 14 du CGI : « L’impôt sur les sociétés est établi sous une côte unique au nom de la personne morale ou

association pour l’ensemble de ses activités imposables au Cameroun, au siège de la direction de ses entreprises ou

à défaut au lieu de son principal établissement. (…) En ce qui concerne les personnes morales situées hors du

Cameroun et ayant des liens de filiation ou d’interdépendance avec d’autres personnes morales ou entreprises

installées au Cameroun, le lieu d’imposition sera le même que celui des personnes morales ou entreprises avec

lesquelles elles ont ces liens. Ces dernières sont solidairement responsables du paiement de l’impôt dû par les

personnes morales situées hors du Cameroun… ». 140 Cf. A. EYANGA MEWOLO, Note sous CS/CA, Jugement n° 36/2014 du 22 Janvier 2014, Société BANOS

Cameroun S.A c/ Etat du Cameroun (MINEFI), op. cit. p.15. 141 K. JESTIN, Le treaty shopping à la lumière du droit de l’Union européenne, REIDF 2020/3, pp. 329-337. 142 Cf. Convention fiscale entre le Cameroun et la France, signée le 21 octobre 1976 et modifiée par les avenants du

31 mars 1994 et du 28 octobre 1999. L’article 3 de cette convention dispose que : « On ne considère pas qu’une

entreprise d’un Etat contractant a un établissement stable dans l’autre Etat contractant du seul fait qu’elle y effectue

les opérations commerciales par l’entremise d’un courtier , d’un commissionnaire général ou de tout autre

intermédiaire jouissant d’un statut indépendant , à condition que ces personnes agissent dans le cadre ordinaire de

leur activité (…) ».

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exploitent chacun, au sein de ses guichets, le service Western Union. C’est dans ce sens que la

Banque Internationale du Cameroun pour l’Epargne et le Crédit (BICEC) S.A143 fait l’objet d’une

vérification générale de comptabilité menée par les inspecteurs de la Direction des Grandes

Entreprises (DGE), portant sur les exercices 2008,2009 et 2010. Il en résulte un avis de mise en

recouvrement d’un montant total de 1.571.535.992 FCFA soit 994.323.622 FCFA en principal et

577.212.369 FCFA en pénalités. L’administration fiscale est confrontée à une multinationale non

installée au Cameroun, mais qui réalise d’énormes revenus par un service mondialement connu à

travers ses partenaires. Le fisc décide de considérer la BICEC comme un établissement stable de

la Société Western Union Network afin de l’assujettir à l’impôt sur les sociétés dont le taux est de

38,5 % à l’époque des faits et non d’appliquer le taux favorable de la taxe spéciale sur le revenu

(TSR) de 15/85, soit 17,64 % prévu par la convention fiscale franco-camerounaise lorsqu’une

société de nationalité française est concernée. La BICEC fait grief à l’administration fiscale de

l’avoir, pour l’assujettir à l’impôt sur les sociétés en substitution à la TSR et la TVA initialement

notifiées, considérée comme établissement stable du bénéficiaire des commissions querellées, tout

ceci au mépris des dispositions de l’article 3 de la convention fiscale franco-camerounaise tendant

à éviter la double imposition. Le juge administratif applique dans le cas d’espèce les dispositions

de l’article 226 du CGI selon lequel : « Pour être imposables, les produits ci-dessus doivent avoir

été soit payés par les entreprises ou établissements situés au Cameroun, (…) à des personnes

n’ayant ni établissement stable ni une base fixe au Cameroun, soit comptabilisés comme charges

déductibles pour la détermination des résultats de la partie versante (…).» Finalement, le Tribunal

administratif décide : « (…) Qu’il y a lieu de conclure que les commissions querellées

appartiennent à cette catégorie de revenus, la Société Western Union Network étant dépourvue de

domicile fiscal au Cameroun ; (…) Qu’il convient en définitive de la soumettre à la TSR et à la

TVA et de maintenir les impositions y relatives comme justifiées sur cette base légale, (…) Attendu

que la BICEC fait grief à l’administration d’avoir reconduit les impositions de 104.030.865 FCFA

alors que , procédant à une substitution d’impôt , la liquidation à l’IS a nécessairement intégré

lesdites impositions ; Attendu que cette assertion n’est justifiée qu’autant que l’assujettissement

des commissions susvisées à l’impôt sur les sociétés est maintenu ; Qu’ayant été rejeté par le

143 Cf. TA du Littoral, Jugement n° 81/FF/15 du 05 novembre 2015, Banque Internationale du Cameroun pour

l’Epargne et le Crédit (BICEC) S.A c/ Etat du Cameroun (MINFI).

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Tribunal au profit de la TSR et la TVA y relative, la double imposition alléguée n’est plus établie. »

Il est à mentionner que l’application de l’impôt sur le revenu aux opérations de transfert d’argent

au départ du Cameroun est rendu possible à la suite d’un changement de législation interne

intervenu respectivement en 2009144 et en 2015.145 Par cette décision le juge fiscal camerounais a

validé une nouvelle législation destinée à imposer à sa juste mesure une multinationale ayant

jusque-là bénéficié d’un abus de convention fiscale146.

2- Le contrôle juridictionnel des mesures administratives unilatérales de

lutte contre les abus de conventions fiscales

A la suite du législateur qui agit par voie de modification de la législation applicable,

l’administration fiscale camerounaise met en œuvre des mesures unilatérales de lutte contre les

abus de conventions fiscales. Le juge fiscal est alors sollicité pour en apprécier la légalité. La

première espèce convoquée dans pallier met en scène la Société Camerounaise Equatoriale de

Fabrication de Lubrifiants (SCEFL) qui a effectué des versements au profit de la Société Lybia Oil

Supply SMCC dont le siège social est situé à Dubaï dans les Emirats Arabes Unis. Il est à rappeler

que le Cameroun dispose avec les Emirats Arabes Unis d’une convention fiscale destinée à

éliminer la double imposition147. Suite à un contrôle sur pièces, la Cellule de coordination de la

Direction des Grandes Entreprises (DGE) met à la charge du contribuable un redressement total

de 3. 402 378 126 FCFA à travers une déclaration pré-remplie, montant d’ailleurs confirmé par

144 L’article 225 du CGI camerounais complété par la loi de finances 2009, rajoute dans le champ d’application de la

TSR, en plus des autres dispositions, en son dernier paragraphe : « (…) s’applique (…) d’une manière générale, sur

l’ensemble des sommes versées à l’étranger, en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées au

Cameroun » 145 Avec la loi de finances 2015, le législateur camerounais a établi de nouvelles dispositions avec l’article 5 bis du

CGI qui spécifie à son alinéa 2 que : « Le bénéfice des entreprises ne remplissant pas les conditions visées à l’alinéa

(1), est imposable au Cameroun dès lors qu’elles y réalisent des activités formant un cycle commercial complet. »

Cette nouvelle législation ciblait ainsi les commissions des opérations Western Union tirées de son activité au

Cameroun et imposées désormais au taux général de l’impôt sur les sociétés de 33%. 146 Ladite solution a d’ailleurs été notifiée aux autres établissements financiers abritant les opérations de transfert

d’argent de la firme Western Union Network SAS. Cf. Lettre du Ministre des finances du Cameroun n° 001170

/MINFI/DGI/DC/CCF du 01er mars 2017 adressée au Président de la Société Western Union (WU) – France SAS. 147 Il s’agit de la convention tendant à éviter la double imposition et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts

sur le revenu entre le gouvernement de la République du Cameroun et le gouvernement des Emirats Arabes Unis du

13 juillet 2017, disponible sur le site www.dgi.cm (consulté le 15 novembre 2021, 21h40). La signature de cette

convention est intervenue le 13 juillet 2017 auprès du Ministère des Affaires financières des Emirats Arabes Unis à

Dubaï. La signature a été accomplie coté camerounais par le Ministre des Finances M. Alamine Ousmane MEY, et

coté émirati par son homologue Monsieur OBAID HUMAID AL TAYED.

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une correspondance du Ministre des finances à ladite société. Les représentants de l’Etat du

Cameroun allèguent que les Emirats Arabes Unis donc Dubaï constituent un paradis fiscal au

sens de l’article 8 ter alinéa 3 du Code général des Impôts.148

Le juge fiscal est donc appelé à contrôler la légalité de cette mesure unilatérale ayant

consisté à imposer une déclaration pre-remplie au contribuable tout en rejetant comme non

déductibles ses rémunérations et charges pour la détermination de l’impôt sur les sociétés ou de

l’impôt sur le revenu des personnes physiques, au motif qu’ils auraient été exposés avec une

entreprise basée dans un paradis fiscal. Pour y parvenir, le juge fiscal, en application du critère

légal d’identification des paradis fiscaux, vérifie si le taux de l’impôt sur le revenu des personnes

physiques ou morales en vigueur dans ce pays, est inférieur au tiers de celui pratiqué au Cameroun.

Il constate ainsi qu’au Cameroun, le taux nominal de l’impôt sur les sociétés est de 30 % tandis

que celui de l’impôt sur le revenu des personnes physiques est progressif, soit de 10 à 35 %. Au

regard de ce critère, un Etat ou un territoire ne devrai être assimilé à un paradis fiscal que si son

taux d’imposition est inférieur à 10% pour l’IS et 11,66 % pour l’IRPP. Cette recherche

approfondie pousse le juge fiscal à admettre la prétention du demandeur qui relève qu’à Dubaï ,

l’impôt sur le revenu est régi par le décret du 1er janvier 1969 duquel il ressort qu’une personne

morale est assujettie à un taux d’imposition d’au moins 20% dès lors que son revenu imposable

franchit le seuil de 320.500.000 FCFA, taux largement supérieur au tiers du taux d’IS requis au

Cameroun, en dessous duquel tout pays ou juridiction est considéré comme un paradis fiscal.

Tirant les conséquences de son analyse, le juge fiscal décide : « Attendu qu’en l’espèce, l’Etat du

Cameroun n’a ni prouvé que l’Emirat de Dubaï est un paradis fiscal au sens des dispositions légales

sus rappelées, ni établi que les achats réintégrés dans la base imposable n’ont jamais été soumis

aux droits de douane ; (…) Que dans ces conditions, cet Emirat ne peut être considéré comme un

paradis fiscal , d’où il en suit que le redressement n’est pas justifié ; (…) il y a lieu (…) d’annuler

conséquemment les impositions qui en découlent (…). » Au final le juge fiscal condamne

l’administration, qui voulant lutter contre les transferts illicites de bénéfices des entreprises

multinationales, est allé jusqu’à considérer comme paradis fiscal un pays avec lequel l’Etat du

148 Selon cette disposition : « Est considéré comme paradis fiscal , Un Etat ou territoire dont le taux de l’impôt sur le

revenu des personnes physiques ou morales est inférieur au tiers de celui pratiqué au Cameroun ou un Etat ou un

territoire considéré comme non coopératif en matière de transparence et d’échanges d’informations à des fins fiscales

par les organisations financières internationales .»

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Cameroun dispose pourtant d’une convention fiscale bilatérale de lutte contre la double imposition

et de la prévention de l’évasion fiscale internationale.

La deuxième affaire convoquée concerne l’entreprise multinationale SIEMENS SAS. Au

terme d’une vérification générale de comptabilité, faite au titre des exercices 2011 à 2013,

l’administration fiscale met à sa charge un montant global d’imposition de 612.629.682 FCFA. Le

fisc reproche à la succursale SIEMENS SAS basée au Cameroun de ne pas avoir enregistré comme

revenus imposables, les importations d’équipements réalisées par KPDC une société parapublique

camerounaise dans le cadre de deux (02) contrats signés avec cette dernière et la société française

SIEMENS Transmission et Distribution, société-mère du groupe éponyme située à Grenoble en

France. Pour l’administration fiscale, les achats des équipements par SIEMENS-France auraient

contribué à la minoration du chiffre d’affaires de la succursale camerounaise, raison pour laquelle

elle les a subséquemment valorisées au taux de marge de 20% en tenant compte des listings

douaniers des importations de la société KPDC. En présence d’un élément d’extranéité à savoir

une succursale camerounaise ayant conclu des contrats pour son client KPDC avec la Société -

mère française, il était question pour le juge fiscal de savoir si l’administration fiscale en imposant

la succursale et la société-mère, avait violé la convention bilatérale franco- camerounaise visant à

éviter la double imposition. Avec méthode, le juge fiscal décide que : « Attendu qu’aux termes de

l’article 10 alinéa 2 de la Convention fiscale franco-camerounaise du 21 octobre 1976 ‘’lorsqu’une

entreprise possède des établissements stables dans les deux Etats contractants, chacun d’eux ne

peut imposer que le revenu provenant de l’activité des établissements stables situés sur son

territoire’’ ; Que d’autre part , le Code Général des impôts soumet à l’impôt sur les sociétés

uniquement ‘’ les bénéfices obtenus dans les entreprises exploitées ou sur les opérations réalisées

au Cameroun’ ; Attendu qu’il est constant que l’achat du matériel a été réalisé en France entre la

société SIEMENS-SAS, société-mère , fiscalement autonome et la société KPDC , bénéficiaire du

matériel au Cameroun ; Que c’est donc à tort et en violation de la Convention fiscale susvisée que

l’administration a reconstitué le chiffre d’affaire de SIEMENS Succursale camerounaise comme

sus indiqué , les opérations d’achat de matériels ne lui étant pas attribuables ; Que de même , c’est

sans fondement légal que ces opérations ont été soumis au taux de 20% ; qu’il échet , en

considération de ce qui précède , d’annuler les impositions relatives à l’impôt sur les sociétés

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(…)149 » Une fois de plus, l’intervention du juge fiscal consiste à s’assurer que l’action de

l’administration fiscale, respecte les clauses des conventions fiscales internationales légalement

ratifiées , malgré sa volonté légitime de saisir toutes les transactions internationales qui

éluderaient les impôts au Cameroun.

Conclusion

Le professeur Marie Christine ESCLASSAN s’interrogeait sur la question de savoir si

l’organisation du contentieux fiscal est toujours actuelle150, tant il est nécessaire d’adapter les

finances publiques aux évolutions contemporaines. La question conserve toute son pesant d’or

s’agissant du cas particulier du contrôle fiscal des entreprises multinationales au Cameroun. Une

fois rendus au terme de cette réflexion, des constantes s’imposent : une administration fiscale

menant un contrôle reformé et un juge fiscal auteur d’un contrôle renforcé. Plusieurs espoirs sont

placés en ce contrôle fiscal de plus en plus dématérialisé dont le rendement croissant doit permettre

d’assurer la soutenabilité des finances publiques. Il restera alors l‘exigence du respect des droits

des contribuables dont la rationalisation du contrôle fiscal constitue déjà, de ce point de vue, un

signe encourageant, de même que la consécration récente de la médiation fiscale151. La justice

fiscale en dépend !

149 Cf. TA du Littoral, Jugement n° 228/FF/19 du 22 aout 2019, Société SIEMENS SAS c/ Etat du Cameroun (MINFI). 150 M.-C. ESCLASSAN, L’organisation du contentieux fiscal est-elle toujours actuelle, in RFFP n° 100/2007, p.59-

69. 151 L’article L 140 bis nouveau du CGI camerounais institué par la loi de finances 2020 consacre la médiation comme

mode alternatif de règlement des litiges fiscaux. La loi de finances de l’exercice 2020 formalise pour la première fois

au Cameroun la procédure de médiation en matière fiscale. La médiation est la procédure par laquelle les parties à un

litige fiscal conviennent de recourir à un tiers médiateur pour son règlement amiable. La médiation fiscale constitue

un mode alternatif de règlement des litiges fiscaux qui trouve son fondement dans l’Acte uniforme OHADA relatif à

la médiation, adopté le 23 novembre 2017 à Conakry en Guinée.

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Le contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste en

Afrique noire francophone

Par:

Julien EKOTO

Doctorant en Droit public

Université de Douala (Cameroun)

Résumé :

Le contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste en Afrique noire

francophone a pour objet d’assurer la conciliation entre l’ordre public et les droits et libertés

individuelles dans le contexte de la lutte contre le terrorisme. L’importance du recours à ce

contrôle se pose de nos jours avec acuité en Afrique noire francophone au regard de la

multiplication des attentats terroristes et de la floraison des lois antiterroristes afin de trouver le

juste milieu entre le maintien de la survie de l’Etat menacée par les actions terroristes et la

préservation des droits humains dont la lutte contre le terrorisme peut constituer une menace.

Toutefois, la législation antiterroriste semble, de par sa nature singulière, difficilement saisissable

par le juge et l’amène non seulement à adapter le contrôle de proportionnalité de ladite législation

à cette nature particulière, mais aussi oblige le juge à procéder à un contrôle restreint façonné et

adapté lui aussi au fait terroriste étant donné que le contrôle classique de proportionnalité

apparaît en l’espèce inapproprié.

Mots clés : contrôle de proportionnalité, contrôle restreint, législation antiterroriste, juge

constitutionnel, terrorisme.

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Introduction

La lutte contre le terrorisme est l’une des préoccupations contemporaines majeures des

Etats de l’Afrique subsaharienne francophone en raison non seulement de la prolifération des

mouvements terroristes152 mais aussi et surtout, de l’implosion des activités terroristes dans cette

partie du continent africain comme partout dans le monde153. Il va de soi que ces différents Etats

prennent des mesures au plan militaire, politique et juridique pour faire face au terrorisme154. Au

plan juridique particulièrement, l’on assiste à l’adoption d’un certain nombre d’instruments

juridiques dont le degré de rigueur des dispositions qui y sont contenues reste très impressionnant.

Ceci certainement dans le souci de mieux faire face à la gravité du phénomène du terrorisme155.

Cependant, la lutte contre le terrorisme en Afrique noire francophone doit se faire dans le

respect de l’Etat de droit156 qui constitue également une exigence majeure des temps modernes.

Cette exigence ne peut être atteinte que sous le regard du juge constitutionnel appelé à « maintenir

l’action politique dans les limites de l’Etat de droit, dans le but d’assurer, en toutes circonstances,

la conservation et la protection de la Constitution et de l’ensemble des valeurs démocratiques

qu’elle proclame »157 en opérant par exemple le contrôle de proportionnalité de la législation

antiterroriste. De manière concrète, il s’agira pour le juge constitutionnel africain francophone de

152 On peut citer comme exemple, la Secte islamiste Boko Haram. 153 NCHOUWAT (Amadou), « L’Etat de droit à l’épreuve de la menace terroriste », Revue Juridique et Politique,

2016, N° 3, p. 403. 154 Idem. 155 On peut le voir par exemple avec la Loi camerounaise N° 2014/028 Portant répression des actes de terrorisme ; Loi

n° 003/PR/2020 portant répression des actes de terrorisme en République du Tchad ; Loi N° 2018-17 du 25 juillet

2018 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en République du Bénin ; et,

la Loi N°084-2015/CNT Portant modification de la Loi N°060-2009/AN du 17 Décembre 2009 Portant répression

d'actes de terrorisme au Burkina Faso. 156 L’Etat de droit est une expression traduite de l’allemand Rechtsstaat, employée pour caractériser un Etat dont

l’ensemble des autorités politiques et administratives, centrales et locales, agit en se conformant effectivement aux

règles de droit en vigueur et dans lequel tous les individus bénéficient également de libertés publiques et de garanties

procédurales et juridictionnelles. En droit français, l’Etat de droit s’incorpore techniquement dans le principe de

légalité. Il correspond au concept anglo-saxon de rule of law. Cf. GUINCHARD (Serge) et DEBARD (Thierry) (dir.),

Lexique des termes juridiques, 25e éd., Paris, Dalloz, 2017-2018, p. 472. A cette conception formelle de l’Etat de

droit, le professeur Jacques CHEVALLIER suggère qu’elle soit relayée par une conception matérielle ou substantielle

où l’Etat de droit devra désormais être entendu comme « impliquant l’adhésion à un ensemble de principes et de

valeurs qui bénéficieront d’une consécration juridique explicite et seront assortis de mécanismes de garantie

appropriés ». Cf. CHEVALLIER (Jacques), L’Etat de droit, 5e éd., Montchrestien, 2010, p. 95. 157 Le juge constitutionnel devient ainsi en même temps, le garant du respect des principes essentiels qui constituent

l’essence de l’Etat et le garant des droits de l’Homme, qui appartiennent aussi à ces principes et constituent l’un des

piliers des démocraties modernes. Cf. ROUDIER (Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation

antiterroriste ou la conciliation des libertés avec la raison d’Etat », Politique américaine, 2014/2 N° 24, p. 109.

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parvenir à combiner le souci pour les autorités publiques d’assurer la sécurité publique troublée

par les actes terroristes dont la législation antiterroriste a pour ambition de parer et parvenir en

même temps à maintenir les actions des Etats dans les limites de l’Etat de droit. Le besoin de clarté

invite à s’intéresser au contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste en Afrique noire

francophone. Mais cela n’exclut pas le fait que l’on puisse, si l’opportunité se présente aller au-

delà de cet espace géographique. Ceci dit, avant tout développement sur le thème de réflexion, des

clarifications conceptuelles méritent au préalable d’être faites.

A cet effet, il faut dire d’emblée que « le contrôle de proportionnalité renvoie à l’examen

par le juge du degré du lien qui unit deux ou plusieurs éléments de la norme contrôlée »158. Il peut

aussi être entendu comme l’ensemble des techniques contentieuses qui conduisent le juge à

apprécier un acte ou une situation en faisant une balance entre les moyens et le but159 visé. La

législation quant à elle est comprise comme l’ensemble des règles se rapportant à un objet

particulier160. De son côté, le terme terrorisme est certes défini de manière sectorielle à travers les

différentes conventions comme celles concernant la sécurité aérienne, la navigation maritime, le

financement du terrorisme ou le terrorisme nucléaire qui s’attardent sur les aspects particuliers du

phénomène en présentant certains actes et éléments fondamentaux161. Mais il n’existe pas, en l’état

actuel du droit international, une définition générale, claire et précise du concept de terrorisme162.

Selon le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, « on entend communément

par terrorisme les actes de violence visant des civils et poursuivant des buts politiques ou

idéologiques »163. Ainsi, en l’absence d’une perception juridique uniforme du terrorisme, la

158 DUCLERCQ (Jean-Baptiste), « Les mutations du contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil

constitutionnel », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 01 octobre 2015, n° 4, p. 121. 159 KALFLECHE (Grégory), « Le contrôle de proportionnalité devant le juge administratif », Les Petites Affiches, n°

46 spécial, 5 mars 2009 ; v. du même auteur, KALFLECHE (Grégory), « Le contrôle de proportionnalité exercé par

les juridictions administratives », Petites affiches, 05 mars 2009, n° 46, p. 46. 160 CORNU (Gérard), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitan, 11e éd. Mise à jour, Paris, PUF, 2016, p.

601. 161 In Droits de l’Homme, terrorisme et lutte antiterroriste, Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de

l’Homme, Office des Nations Unies à Genève, Fiche d’information n° 32, 2007, p. 6. 162 NCHOUWAT (Amadou), « L’Etat de droit à l’épreuve de la menace terroriste », op. cit., p. 405. Pour

approfondissement lire HENNEBEL (Ludovic) et LEWKOWICZ (Gregory), « Le problème de la définition du

terrorisme », in Juger le terrorisme dans l’Etat de droit, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 17-59. 163 Office des Nations Unies aux droits de l’Homme à Genève, Fiche d’information n° 32, 2009, p. 6. La définition

donnée par le Vocabulaire juridique du Doyen Gérard CORNU n’est pas très loin de cette dernière puisqu’elle perçoit

le terrorisme comme étant des « agissements criminels destinés à semer l’épouvante dans la population civile, par

leur caractère meurtrier systématiquement aveugle », CORNU (Gérard), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 1021.

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qualification, par les législations nationales africaines francophones, d’un groupe, d’un individu

ou d’un acte de terroriste sera fonction d’elles comme on l’observe aujourd’hui et, à certains

égards, relèvera de la discrétion voire de l’arbitraire des Gouvernements en place164. Malgré cette

difficulté à définir le terrorisme, la législation antiterroriste sera appréhendée dans cette étude

comme étant l’ensemble des règles de droit adopté par les Etats pour lutter contre le terrorisme.

Néanmoins, il convient de remarquer que la législation antiterroriste précédemment

appréhendée semble combiner en même temps les normes de droit commun et les normes

d’exception pour répondre aux actes terroristes165. Il se pose alors le problème de la nature de la

législation antiterroriste, qui définit le type de contrôle dont le juge constitutionnel pourrait

soumettre celle-ci. Pour ce faire, le contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste en

Afrique noire francophone peut-il assurer une conciliation satisfaisante entre le besoin de sécurité

de l’Etat et le souci de préservation des droits et libertés fondamentaux des citoyens ? La réponse

à ce questionnement laisse voir que pour qu’il y ait conciliation entre le besoin de sécurité et le

souci de préservation des libertés, il faut que le juge constitutionnel africain adapte non seulement

le contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste à la nature particulière de cette

législation (I) mais aussi et surtout qu’il se limite à effectuer un contrôle restreint de ladite

législation (II).

I- UN CONTROLE MODELE PAR LA NATURE DE LA LEGISLATION

ANTITERRORISTE

Le contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste doit s’adapter à la nature

particulière du droit antiterroriste. Il s’agit d’un contrôle modelé par la nature de cette législation.

Primo, la législation antiterroriste peut être considérée comme un droit en quête d’identité. Il se

pose en effet un problème de classement de cette législation dans l’une des deux situations,

164 Le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme est aussi arrivé à cette conclusion : « sans

définition, on peut interpréter les appels de la communauté internationale à la lutte contre le terrorisme comme signifiant qu’il appartient à chaque Etat de définir ce qu’il faut entendre par terrorisme. Il peut en résulter des violations non intentionnelles des droits de l’Homme et même une utilisation délibérément abusive du terme par certains Etats », In Droits de l’Homme, terrorisme et lutte antiterroriste, Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, Office des Nations Unies à Genève, Fiche d’information n° 32, précité, p. 41. 165 MONEBOULOU MINKADA (Hervé Magloire), « Le terrorisme au Cameroun : d’une loi confuse à l’émergence

d’un droit pénal terroriste », Revue Burkinabè de Droit, N° 53, 2e Semestre 2017, p. 265.

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normale ou d’exception, connues en droit. En réalité, on peut se poser des questions sur la nature

ou l’identité véritable de la législation antiterroriste, à savoir, si elle relève du droit ordinaire ou

du droit d’exception. Et de ce fait, secundo, on constate donc qu’on est en face d’une législation

hybride. Ainsi, l’examen de la nature de la législation antiterroriste laisse comprendre qu’il ne

s’agit ni du droit ordinaire de l’Etat encore moins du droit d’exception généralement prévu par les

textes juridiques d’un Etat (A) mais plutôt d’une législation hybride (B).

A- La législation antiterroriste : un droit en quête d’identité

La législation antiterroriste est un droit en quête d’identité. C’est dans ce sens que le

professeur Karine ROUDIER la considère comme une sorte d’entre-deux166. Cette législation ne

relève en réalité ni uniquement du droit ordinaire ni uniquement du droit exceptionnel, elle est

située entre les deux. Elle est écartelée entre le droit ordinaire et le droit d’exception. Les raisons

étant dues au fait que ladite législation est devenue plus exceptionnelle (1) et plus ordinaire (2).

1- Une législation d’exception du fait du degré de sévérité

La législation antiterroriste est devenue plus exceptionnelle au regard du degré de sévérité

des dispositions qu’elle met en œuvre167. Les Gouvernements n’hésitent pas, au fil du temps, à

renforcer le degré de sévérité de l’arsenal législatif de lutte contre le terrorisme dans deux

directions. Les mesures antiterroristes étaient au départ assez bien circonscrites, elles s’élargissent

aujourd’hui, d’une part horizontalement, à travers l’extension du champ d’application des lois et

d’autre part, elles sont modifiées verticalement, pour grimper sur l’échelle de sévérité. Le tout met

en place des mesures à large spectre d’intervention. L’on remarque ainsi que chaque modification

des lois antiterroristes correspond à une extension de son emprise sur le régime des droits

fondamentaux. Ceci se produit très souvent dans le cas d’une résurgence et récurrence de nouvelles

attaques terroristes qui viennent démontrer les failles des mesures en vigueur et inciter les

166 ROUDIER (Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste ou la conciliation des libertés

avec la raison d’Etat », op. cit., p. 110. Du même auteur, ROUDIER (Karine), Le contrôle de constitutionnalité de la

législation antiterroriste. Etude comparée des expériences espagnole, française et italienne, Thèse pour le Doctorat

en droit public, Université du Sud Toulon-Var, 10 décembre 2011, 537p. 167 On peut, à titre d’illustration, le voir avec la Loi camerounaise N° 2014/028 Portant répression des actes de

terrorisme ; Loi n° 003/PR/2020 portant répression des actes de terrorisme en République du Tchad ; Loi N° 2018-17

du 25 juillet 2018 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en République

du Bénin ; et, la Loi N°084-2015/CNT Portant modification de la Loi N°060-2009/AN du 17 Décembre 2009 Portant

répression d'actes de terrorisme au Burkina Faso.

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Gouvernements à les retoucher, afin de les rendre plus effectives. Que ce soit au Cameroun, au

Tchad ou au Burkina Faso, on remarque bien que de nouvelles lois de lutte contre le terrorisme

sont apparues avec la résurgence et la récurrence des actes terroriste. Face à de telles situations,

les doutes des populations sur la nécessité de ces révisions répétées sont le plus souvent balayés

par la gravité de la menace que le terrorisme fait peser sur les États168. La rigueur croissante des

dispositions législatives ainsi observée due au niveau élevé de la menace terroriste pousse la

législation antiterroriste vers les frontières du droit d’exception sans toutefois atteindre ce droit au

regard de son caractère permanent qui laisse subsister son caractère de droit ordinaire.

2- Une législation ordinaire au regard de son caractère permanent

La législation antiterroriste devient plus ordinaire au regard de son caractère permanent.

On a qu’à se concentrer sur sa durée d’application. Force est de constater « qu’elle perd

fréquemment, pour ne pas dire systématiquement, son caractère temporaire pour acquérir un

caractère ordinaire car les mesures antiterroristes sont appliquées sur des périodes de plus en

plus longues, au point de devenir quasiment permanentes »169. De ce fait, tout un pan de lois

antiterroristes entrent et restent en vigueur sans une véritable limite temporelle et intègrent ainsi le

corpus normatif de manière définitive170. Or, le propre de la législation d’exception est qu’elle est

souvent limitée dans une durée encadrée par les textes. C’est le cas par exemple de la Constitution

tchadienne qui accorde au Président de la République, le pouvoir de prendre des mesures

exceptionnelles pour une durée n’excédant pas trente jours171. C’est pour cette raison que,

l’affirmation du professeur Amadou NCHOUWAT selon laquelle « les attentats terroristes

peuvent être considérés comme des circonstances exceptionnelles justifiant l’adoption de la

légalité d’exception »172 mérite d’être prise avec réserve. A la vérité, on constate que la législation

antiterroriste ne relève ni uniquement du droit ordinaire ni uniquement du droit d’exception, elle

est en réalité hybride.

168 ROUDIER (Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste ou la conciliation des libertés

avec la raison d’Etat », op. cit., p. 111 ; ROUDIER (Karine), Le contrôle de constitutionnalité de la législation

antiterroriste. Etude comparée des expériences espagnole, française et italienne, op. cit., pp. 8 et 9. 169 Idem. 170 Ibid. 171 V. l’article 96 de ce texte. 172 NCHOUWAT (Amadou), « L’Etat de droit à l’épreuve de la menace terroriste », Revue Juridique et Politique,

2016, N° 3, p. 412.

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B- La législation antiterroriste : un droit hybride

La législation antiterroriste est hybride. Elle est plus sévère d’un côté et plus permanente

de l’autre. Elle est en effet le produit du mélange de deux catégories juridiques différentes. Cela

se traduit par le fait qu’elle combine en même temps du droit ordinaire et du droit d’exception. Il

s’agit donc d’une législation imbriquée (1) mais à dominance ordinaire (2).

1- Une législation imbriquée

Le droit de lutte contre les actes terroristes est un droit imbriqué c’est-à-dire qui mêle en

même temps le droit des périodes normales ou ordinaire et le droit des périodes de crise encore

appelé droit d’exception. Plusieurs raisons peuvent démontrer le caractère hybride des mesures de

lutte contre le terrorisme. Mais la justification de ce propos se limitera à deux d’entre elles. La

première raison est liée au degré de sévérité des dispositions qu’elle met en œuvre et dans ce cas,

elle semble se rapprocher du droit d’exception. L’autre raison tient à son caractère permanent, sur

ce point, elle porte en quelque sorte la coloration du droit ordinaire. C’est d’ailleurs ce que

remarque le professeur Karine ROUDIER : « cette ondulation renforce sa position de législation

hybride puisque plus sévère d’un côté et plus permanente de l’autre ». La législation antiterroriste

« s’éloigne du droit ordinaire, tout en semblant le devenir. Elle se rapproche du droit d’exception

sans jamais en recevoir la qualification »173. On constate au demeurant que la lutte contre le

terrorisme entraîne ainsi une altération de l’ordre des choses avec « un ordinaire qui s’éloigne et

un exceptionnel qui s’installe et qui, sans être jamais qualifié comme tel, devient le nouvel

ordinaire »174.

En tout état de cause, le droit antiterroriste est une législation imbriquée mais à dominance

ordinaire.

2- Une législation à dominance ordinaire

Malgré l’affirmation du caractère hybride du droit antiterroriste, ce qu’on remarque de ces

règles juridiques est qu’il s’agit d’un droit plus proche de l’ordinaire qu’il ne l’est par rapport à

173 ROUDIER (Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste ou la conciliation des libertés

avec la raison d’Etat », op. cit., p. 111. 174 Idem, p. 112.

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l’’exception. On note ainsi une forte coloration de l’ordinaire au détriment de l’exception. Il s’agit

en réalité d’une législation exceptionnelle et non d’exception175 puisque le droit d’exception est

d’abord et avant tout un droit appelé à s’appliquer pendant un temps précis. En outre, « la menace

terroriste par l’intermédiaire des organes et des instruments du droit ordinaire, qui ne sont

pourtant pas destinés habituellement à la gestion de l’urgence et, surtout, sans que cela interdise

aux dispositions adoptées d’altérer les caractéristiques fondamentales du cadre constitutionnel

ordinaire, tels que l’équilibre et la séparation des pouvoirs, le principe de légalité, le

développement des fonctions de contrôle sur les organes exécutifs, l’exercice des droits et

libertés »176. Ce qu’il faut noter en définitive est que la législation de lutte contre le terrorisme

accorde, au regard de la gravité de ce phénomène, un pouvoir discrétionnaire élargi aux autorités

publiques afin de mieux faire face à ce dernier. Mais en dépit du caractère élargi de ce pouvoir

discrétionnaire octroyé, le juge exerce tout au moins un contrôle restreint de cette législation.

II- UN CONTROLE RESTREINT DE LA LEGISLATION ANTITERRORISTE

Les caractéristiques du terrorisme, notamment sa gravité, conditionnent, en effet, la

rédaction des normes législatives qui visent à lutter contre ce phénomène. Ces mêmes

caractéristiques agissent ensuite sur le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste.

De ce fait, le contrôle de constitutionnalité de cette législation ne peut, par conséquent, être

identique à celui qui est mis en œuvre pour les autres lois177. C’est un contrôle restreint. La

restriction du contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste provient de ce que l’on

observe une certaine inefficacité du contrôle classique de proportionnalité (A) pour un contrôle

constitutionnel de proportionnalité façonné par le fait terroriste (B). Mais en l’absence, en l’état

actuel, de jurisprudence constitutionnelle sur la question, un recours à celle de certains Etats

européens comme la France, l’Espagne et l’Italie sera fait.

175 LAHORGUE (Marie-Béatrice), « L’état de droit à l’épreuve de la lutte anti-terroriste : le pot de terre contre le pot

de fer », Journal des Accidents Collectifs (JAC), n° 151, pp. 2-4 et 8-10. 176 ROUDIER (Karine), Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste. Etude comparée des

expériences espagnole, française et italienne, op. cit., p. 16. 177 ROUDIER (Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste ou la conciliation des libertés

avec la raison d’Etat », op. cit., p. 114.

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A- L’inadaptation du contrôle classique de proportionnalité au fait de terrorisme

En Europe, terre natale du contrôle de proportionnalité, celui-ci se décompose

classiquement, en trois phases, à savoir, le contrôle de l’« aptitude »178 ; celui de la « nécessité »179

; et le contrôle de la « proportionnalité au sens strict »180. Cependant, le contrôle de

proportionnalité de la législation antiterroriste ne peut pas s’accommoder avec ce schéma

classique. La raison tient au fait que la gestion de la menace terroriste sur le long terme par les

pouvoirs publics en Afrique francophone ne peut pas aisément permettre au juge constitutionnel

africain de trancher la question de savoir si la loi antiterroriste adoptée et qu’il doit contrôler est

adaptée à l’objectif de lutte contre le terrorisme poursuivi (1). De même, il apparaît

presqu’impossible pour le même juge de vérifier la nécessité de ce même droit de lutte contre les

actes terroristes (2).

1- La difficulté à vérifier l’adaptation de la législation antiterroriste au but poursuivi

Il est, pour plusieurs raisons, difficile pour le juge constitutionnel d’apprécier si la

disposition antiterroriste dont il doit examiner la constitutionnalité est adéquate au but poursuivi.

L’on observe d’abord une certaine persistance du terrorisme sur l’ensemble des pays africains

francophones malgré la multiplication des arsenaux législatifs au fil des attentats terroristes. Cela

illustre pleinement que la question de l’adaptation des moyens employés pour l’éradication du

phénomène est soumise à une forte relativité puisque le but poursuivi n’est pas toujours atteint.

En outre, les Gouvernements africains veulent généralement parer efficacement la menace

terroriste, si bien qu’ils mettent en place des mesures à large spectre qui, en toute logique, sont

susceptibles d’atteindre l’objectif visé. En plus de cela, le perfectionnement incessant des

dispositifs antiterroristes prouve l’inadéquation des mesures antérieures et soumet les nouvelles à

une adéquation toute relative. Il est difficile de compter avec exactitude le nombre de fois que les

Etats africains francophones sont victimes des attaques terroristes malgré l’existence de tout cet

178 « Geeignetheit ». 179 « Erforderlichkeit ». 180 « Verhaltnismassligkeit im engeren Sinne ». Pour approfondissement, lire à ce sujet CAPITANT (David), Les effets

juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, Paris, LGDJ, 2001, n°s 213 et s ; BOUSTA (Rhita), « Contrôle

constitutionnel de proportionnalité. La spécificité française à l’épreuve des évolutions récentes », Revue française de

droit constitutionnel, 2011/4 (n° 88), pp. 1-9.

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arsenal juridique. Le Burkina Faso, le Cameroun181 et le Mali par exemple ont été à plusieurs

reprises le théâtre des actes de barbarie perpétrés par les terroristes.

Enfin, il semble délicat, pour les juges constitutionnels, d’exercer un contrôle de

l’adaptation des mesures au but poursuivi, dès lors qu’ils ne contrôlent que rarement la réalité de

la situation à laquelle le législateur doit faire face. En effet, les juges constitutionnels ne peuvent

pas tous adopter la même attitude face à la qualification juridique de la réalité de la situation que

le législateur doit affronter au travers de l’adoption de la norme législative qu’ils doivent contrôler.

Si la gravité et le danger des actions terroristes pour la société toute entière sont admis, les juges

se livreront à une appréciation générale de la situation, qui a incité le législateur à intervenir. Un

tel contrôle induit qu’en cas d’erreur grossière ou manifeste d’appréciation, le juge constitutionnel

pourrait censurer l’appréciation manifestement erronée du législateur. Or, la qualification par les

juges constitutionnels, de la réalité de la situation que crée le terrorisme n’est pas systématique

dans les décisions sur la législation antiterroriste. Bien que tous reconnaissent la nécessité de lutter

contre le terrorisme, par le biais d’instruments juridiques adaptés à ce phénomène. L’absence de

qualification précise de la réalité de ce qui anime l’action législative place, dès lors, le contrôle du

juge dans une zone d’incertitude qui limite considérablement le contrôle de l’adéquation des faits

dans le cadre du contrôle de proportionnalité. L’appréciation du juge constitutionnel est

relativement étroite en l’espèce, car l’action des pouvoirs publics face au terrorisme ne répond pas

toujours à des critères objectifs, préalablement énumérés dans les normes sur lesquelles l’action se

fonde, qui permettraient de jauger, en amont, l’utilité de l’intervention. Le cadre de l’action

politique en la matière confère au législateur une large marge d’appréciation182 qui rend ainsi

difficile le contrôle de l’adaptation de la législation antiterroriste au but de sécurité publique

recherchée. Le juge se retrouve en même temps dans une sorte d’impossibilité à contrôler la

nécessité du droit antiterroriste.

181 L’armée camerounaise a par exemple perdu huit militaires lors d’une attaque perpétrée par des présumés éléments

de Boko Haram dans un poste militaire situé près de la frontalière entre le Cameroun et le Nigéria. Explication donnée

par Gouverneur de l’extrême-Nord, Bakari MIDJIYAWA le 24 juillet 2021. 182 ROUDIER (Karine), Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste. Etude comparée des

expériences espagnole, française et italienne, op. cit., pp. 407-409.

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2- L’impossibilité de contrôler la nécessité du droit antiterroriste

Le contrôle de la nécessité d’une décision adoptée par la personne publique voudrait que

ne puissent justifier le but poursuivi que les moyens employés qui lui sont proportionnels. C’est

ce qui peut être lu dans l’affaire DJOUAKOUA Gérard C/ Etat du Cameroun (MINDEF) où le

juge administratif camerounais recommande à l’Administration d’employer des moyens qui «

soient proportionnels au but poursuivi »183.

En effet, le contrôle de nécessité laisse voir que les pouvoirs publics dans

l’accomplissement de leurs missions d’intérêt général, à l’instar du maintien de l’ordre public, ne

doivent plus prendre toutes mesures qu’ils désirent même si elles semblent adapter à la situation,

mais doivent plutôt adopter les décisions qui apparaissent nécessaires. Ici, la légalité ou la validité

d’une décision est conditionnée par sa nécessité.

Ceci étant dit, le contrôle de la nécessité de la mesure adoptée passe, de la part du juge

africain, par la vérification de la nécessité même du moyen employé pour atteindre la décision qui

s’est avérée adaptée à l’objectif poursuivi184. A la vérité, le moyen choisi doit être nécessaire à

l’objectif185 qu’il prétend poursuivre186. Cela implique pour le juge de vérifier si la personne

publique a fait le choix du moyen optimal. Ce qui le conduit nécessairement par la suite, à se

rassurer de l’absence d’un moyen alternatif. Certains auteurs comme le professeur Karine

ROUDIER, traitant du contrôle de nécessité préfère parler du contrôle du bien-fondé de la décision

prise par la personne publique187.

Ce postulat de départ n’est valable que lorsqu’on est en face d’une législation ordinaire,

mais face au droit antiterroriste, les paramètres de contrôle du juge se trouvent modifiés. Il apparaît

183 Tribunal administratif du Centre, Jugement n° 203/2015/TA(YDE du 1er décembre 2015, DJOUAKOUA Gérard

C/ Etat du Cameroun (MINDEF). 184 MERLAND (Guillaume), L’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Paris, LGDJ, 2004,

p. 305. 185 ROUSSEAU (Dominique), GAHDOUN (Pierre-Yves) et BONNET (Julien), Droit du contentieux constitutionnel,

11e éd., Paris, LGDJ, 2016, p. 310. 186 BOUSTA (Rhita), « La ‘’spécificité’’ du contrôle constitutionnel français de proportionnalité », Revue

internationale de droit comparé, Vol. 59, N° 4, 2007, p. 862 ; du même auteur, BOUSTA (Rhita), « Contrôle

constitutionnel de proportionnalité. La spécificité française à l’épreuve des évolutions récentes », Revue française de

droit constitutionnel, 2011/4 (n° 88), p. e3. 187 ROUDIER (Karine), Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste. Etude comparée des

expériences espagnole, française et italienne, op. cit., p. 417.

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impossible pour le juge constitutionnel de contrôler la nécessité de la législation antiterroriste. Au

vu de la gravité du phénomène terroriste, il est impossible pour le juge de se prononcer sur le bien-

fondé d’une disposition législative réprimant les actes terroristes. Il ne saura demander au

législateur s’il a fait le choix du moyen optimal ou se prononcer sur l’existence d’un moyen

alternatif moins contraignant.

En clair, le contrôle classique de proportionnalité s’avère inadapté au fait de terrorisme.

Deux raisons permettent de l’expliquer, la difficulté pour le juge à vérifier l’adéquation de la

législation antiterroriste avec l’objectif poursuivi et l’impossibilité de contrôler la nécessité du

droit antiterroriste. Pour l’efficacité du contrôle de proportionnalité de la législation de lutte contre

le terrorisme, il s’avère nécessaire que les juges constitutionnels africains adaptent le contrôle de

proportionnalité au fait de terrorisme.

B- La nécessité d’une adaptation du contrôle constitutionnel de proportionnalité au

phénomène du terrorisme

La singularité du terrorisme rend particulier en terme de rigueur la législation adoptée pour

y faire face. Cela ne va pas sans impacter le contrôle constitutionnalité opéré par le juge

constitutionnel sur ladite législation. Pour ce faire, le contrôle constitutionnel de proportionnalité

de la législation de lutte contre les actes terroristes devrait s’adapter au phénomène terroriste.

Deux tendances se présentent. D’une part, le contrôle de constitutionnalité doit s’adapter au

terrorisme (1) et d’autre part, il est délimité par le fait de terrorisme (2).

1- L’adaptation du contrôle constitutionnel de proportionnalité au fait de terrorisme

L’adaptation du contrôle de constitutionnalité au fait de terrorisme est symbolisée par un

glissement du cadre du contrôle vers une zone de tolérance plus grande que d’ordinaire. Le juge

va en effet effectuer son contrôle avec plus de souplesse que d’habitude. Ce déplacement du cadre

du contrôle est exigé par la dangerosité du terrorisme et l’exigence de lutter contre ce phénomène.

La dangerosité du terrorisme est généralement mise en avant par les différentes appréhensions

législatives des actes terroristes. Pourtant, l’appréhension des actes terroristes pèse sur le contrôle

de constitutionnalité. La dangerosité de l’objet même que la législation antiterroriste a pour but de

combattre se trouve, en effet, automatiquement intégré par le juge constitutionnel dans les

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paramètres de l’examen. Par ailleurs, la dangerosité du terrorisme exige une réaction normative

efficace. La reconnaissance par l’ensemble des juges constitutionnels de la nécessité de lutter

contre le terrorisme, les conduit à faire glisser le cadre de leur contrôle dans une zone plus souple,

dans laquelle ils acceptent, par principe des aménagements plus importants que d’ordinaire. Pour

cela, ils admettent dans un tel contexte, que les droits fondamentaux puissent impérativement «

céder » sous le poids de la menace sans jamais, évidemment, être totalement remis en cause188. En

sa qualité de garant des droits fondamentaux, le juge de la Constitution reste tout de même éveillé

face aux éventuels débordements des autorités publiques qui peuvent prendre pour prétexte la lutte

contre le terrorisme afin de restreindre l’exercice des droits. Malgré tout, en dehors de l’exigence

d’adaptation du contrôle du juge au fait de terrorisme, ce contrôle se retrouve également délimité

par le même fait.

2- La délimitation du contrôle constitutionnel de proportionnalité par le fait de terrorisme

La délimitation du contrôle de constitutionnalité par le fait de terrorisme est induite par

l’influence qu’il opère sur l’étendue de la compétence législative et ce, quelle que soit la

configuration normative, y compris constitutionnelle, qui encadre la législation antiterroriste.

L’action contre le terrorisme confère aux législateurs ainsi qu’aux autorités administratives un

pouvoir discrétionnaire très étendu vis-à-vis de leur liberté de choix des mesures à prendre

notamment celles limitatives des droits et libertés fondamentaux des individus. Le juge

constitutionnel ne peut, en conséquence, en pareille circonstance, développer qu’un contrôle réduit

dont les paramètres se trouvent, en outre, modifiés189. Cela peut se voir en droit comparé dans la

jurisprudence des juges constitutionnels français190, espagnol191 et italien192.

188 V. la décision de la Cour constitutionnelle italienne n° 15 de 1982, cons. en droit n° 5. Lire aussi ROUDIER

(Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste ou la conciliation des libertés avec la raison

d’Etat », op. cit., p. 115. 189 ROUDIER (Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste ou la conciliation des libertés

avec la raison d’Etat », op. cit., p. 116. 190 Conseil constitutionnel français n° 86-213 DC. 191 Tribunal constitutionnel espagnol 199/1987. 192 Cour constitutionnelle italienne n° 15 de 1982, cons. en droit n° 7.

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Mais, ce même juge constitutionnel se positionnant toujours comme un rempart solide

contre l’arbitraire, sera amené à censurer les erreurs d’appréciations193 du législateur. Ainsi, en

matière de lutte contre le terrorisme, le législateur bénéficie d’une marge d’appréciation très forte

au regard de l’objectif poursuivi194. C’est pourquoi le juge constitutionnel limitera son contrôle à

un degré restreint et ne va censurer que les erreurs manifestes d’appréciation195 de ce dernier.

Conclusion

En conclusion, le contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste en Afrique

noire francophone est un contrôle qui a pour ambition de concilier la sécurité et l’ordre afin de

maintenir la lutte contre le terrorisme dans un cadre démocratique et respectueux de l’Etat de droit.

Mais compte tenu de la particularité du phénomène terroriste et de la législation adoptée pour le

contrer, le contrôle de proportionnalité de cette législation se retrouve en temps modelé par la

nature particulière de la législation antiterroriste et restreint. L’analyse de la législation de lutte

contre le terrorisme a démontré qu’elle apparaît comme un droit qui manque d’une identité

particulière puisqu’il semble mêlé en même temps le droit d’exception du fait de son degré de

sévérité et du droit ordinaire au regard de son caractère permanent. Les lois antiterroristes relèvent

donc du droit hybride mais à forte dominance ordinaire. Ce qui impacte fortement sur le contrôle

de constitutionnalité de ces lois qui est restreint. Etant donné que c’est un contrôle restreint, le

contrôle classique de proportionnalité est inadapté pour assurer la constitutionnalité de ces lois. Il

est nécessaire pour le juge de savoir concilier la lutte contre le terrorisme dont lesdites lois ont

pour ambition de mener d’avec la protection des droits humains qui ne doit pas être totalement

relayée au second plan.

193 L’erreur manifeste d’appréciation est « une erreur évidente, invoquée par les parties, reconnue par le juge et qui

ne fait aucun doute pour un esprit éclairé », BRAIBANT (Guy), Conclusion sous CE, 13 novembre 1970, Lambert,

AJDA, 1971. 194 ROUDIER (Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste ou la conciliation des libertés

avec la raison d’Etat », op. cit., p. 122. 195 GREWE (Constance) et KOERING-JOULIN (Renée), « De la légalité de l’infraction terroriste à la proportionnalité

des mesures antiterroristes », in Mélanges G. COHEN-JONATHAN, Liberté, justice, tolérance, Bruxelles, Bruylant,

2004, pp. 891-916.

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Le principe de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par

carte bancaire en droit CEMAC à l’épreuve du commerce

électronique

Par :

MOHAMAN NAZIR

Docteur en Droit privé

Université de Maroua (Cameroun)

Résumé :

La réalisation d’une opération de paiement à partir d’une carte bancaire repose sur le

principe de l’irrévocabilité qui signifie que l’ordre de paiement donné par carte n’est pas

susceptible de révocation. Néanmoins, cette situation est remise en cause par le développement du

commerce du commerce électronique, et en particulier par les modalités de paiement par carte

sur internet ainsi que les exigences de protection du consommateur. A partir de ce constat, une

question se pose : dans quelle mesure doit-on admettre l’irrévocabilité de l’ordre paiement par

rapport aux modalités du commerce électronique pour garantir une protection efficace des

titulaires sans pour autant sacrifier la sécurité des transactions ? Cette interrogation a permis de

faire un rapprochement entre le principe de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement et le

développement du commerce électronique. Dans un premier temps, l’analyse est menée dans le

cadre de l’évolution des modalités de paiement dans le « E-commerce ». Dans un second temps,

elle est menée dans le cadre de la protection du consommateur dans le « E-commerce ». Ceci nous

a permis surtout de relever la crise du principe de l’irrévocabilité qui se manifeste par la

fragilisation de la protection du titulaire de la carte et l’insécurité dans le processus du paiement

par carte. C’est à ce titre que des pistes de solution ont été dégagées.

Mots clés : Irrévocabilité, Ordre de paiement, Carte bancaire, CEMAC, Commerce électronique.

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Introduction

Dans la vie quotidienne de chacun, les éléments qui relèvent de la matière d’instrument de

paiement tiennent une place essentielle. A maints égards, il s’avère même impossible de se passer

des instruments de paiement. En effet, les hommes entretiennent souvent des rapports

d’obligations qui se dénouent généralement par un paiement. C’est dire qu’aucune activité

économique n’est possible sans qu’on prenne très au sérieux la question du paiement1. Le paiement

est un mot polysémique. Dans son sens courant, il désigne l’action de payer une somme d’argent

ou de s’acquitter d’une obligation portant sur une somme d’argent. Juridiquement le paiement a

un sens plus large et consiste en l’exécution de toute obligation quel que soit son objet2. Dans son

sens qui consiste à payer une somme d’argent, il faut noter que divers moyens ou instruments de

paiement sont mis en place pour la réalisation de cette obligation de payer. Entre autre, l’on peut

relever le chèque3, la carte de paiement4, le virement5, le prélèvement6, la monnaie électronique7.

La présente étude porte sur la carte de paiement qui est une carte émise par un établissement

de crédit ou par une institution ou un service autorisé à effectuer des opérations de banque et

permettant à son titulaire de retirer ou de transférer des fonds8. La carte de paiement constitue en

fait une opération de banque. D’où son de carte bancaire9. Le législateur de la Communauté

Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale10, réserve en effet l’émission des cartes de

1 BRAUD (A), Droit des instruments de paiement et de crédit, Galino éditeur, EJA – Paris – 2007, p. 19. 2 BRUSORIO-AILLAUD (M), Droit des Obligations, Larcier collection paradigme, 5eed., p. 326. 3 V. art. 13 à 78 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21

décembre 2016. 4 V. art. 166 à 176 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21

décembre 2016. 5 V. art. 177 à 189 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21

décembre 2016. 6 V. art. 190 à 192 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21

décembre 2016. 7 V. art. 193 à 195 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21

décembre 2016. 8 GUINCHARD (S) (dir.), Lexique des termes juridiques, 22eed., Paris, Dalloz 2014, p. 151. 9 COQUELET (M-L), Entreprises en difficulté, instrument de paiement et de crédit, 6eed, Dalloz, 2017, p. 545. 10 Instituée par le traité du 16 mars 1994 signé à N’djamena au Tchad, la Communauté économique et monétaire de

l’Afrique centrale, en abrégé CEMAC, est composée des six pays : le Cameroun, le Congo Brazzaville, le Gabon, la

Guinée Equatoriale, la République centrafricaine, et le Tchad.

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paiement aux seuls établissements de crédit et établissements assimilés11. En pratique, une carte

bancaire peut jouer plusieurs fonctions. Elle peut être une carte de retrait, c’est-à-dire qu’elle

permet le retrait d’espèces auprès d’un distributeur automatique de billets12. Elle peut aussi être

une carte de crédit. Dans ce cas, même si sa fonction première est celle du paiement, la carte donne

lieu à un débit différé du compte de titulaire ou tout autre forme de crédit consentie expressément

au porteur13. Du point de vue juridique, la carte bancaire est un instrument de paiement qui vient

rompre avec les vieilles habitudes tant au niveau du régime juridique applicable (une relation

largement contractuelle entre les parties et subsidiairement légale) que de la mise en œuvre

effective du droit14.

L’utilisation de la carte bancaire est tributaire des plusieurs contrats. Le premier est celui qui

lie l’émetteur au porteur de la carte. Le second contrat est celui qui lie l’émetteur au fournisseur

des biens et des services. Aux termes de celui-ci le fournisseur s’engage à honorer les cartes

présentées selon les modalités convenues. Enfin le contrat qui lie le porteur au commerçant ou

fournisseurs des biens et service qui accepte d’être payé par la carte.

La réalisation d’une opération de paiement à partir d’une carte bancaire repose sur le principe

de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement. D’après le vocabulaire juridique de Gérard CORNU,

l’irrévocabilité signifie le « caractère de ce qui n’est pas susceptible de révocation unilatérale

(…) »15. La révocation d’un acte désigne par contre une « déclaration unilatérale de volonté par

11 art. 66 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21 décembre

2016 dispose que « constitue une carte de paiement toute carte émise par un établissement assujetti et permettant de

transférer des fonds ». Et l’art. 1er de ce Règlement définit l’établissement assujetti comme « entités qui émettent ou

acceptent des moyens de paiement. Il s’agit :

- Des établissements de crédit au sens de la convention du 17 janvier 1994 portant harmonisation de la

règlementation bancaire dans les Etats de l’Afrique Centrale ;

- Des établissements de microfinance au sens du Règlement no01/02/CEMAC/UMAC/COBAC/CM du 13 avril

2002 relatif aux conditions d’exercice et de contrôle de l’activité de microfinance dans la CEMAC.

- Du trésor public et des services de chèques postaux, sous réserves des spécificités liées à leur statut ;

- Des autres établissements agréés ». 12 NAMMOUR (F), Instruments de paiement et de crédit, librairie générale de Droit et de la jurisprudence, EJE,

Paris, 1ereed., Mars 2008, p. 78. 13 SIDI MOUKAM (L), La sécurisation des moyens de paiement dans la zone CEMAC, Mémoire de Master II,

Université de Dschang, p. 49. 14 MAMADOU KOUNVOLO (C), « La problématique de la protection juridique des titulaires de carte bancaires dans

le traitement des réclamations dans l’espace UEMOA », Revue de l’ERSUMA, NO 04-septembre 2014, p. 112. 15 CORNU (G) (dir), Vocabulaire juridique, PUF, 11e édition, 2016, p. 577.

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laquelle une personne anéantit un droit éventuel dont elle est la source (exemple d'une offre) »16.

Concrètement le principe de l’irrévocabilité signifie que l’ordre de paiement donné par carte

bancaire n’est pas susceptible de révocation.

Néanmoins, cette situation est remise en cause par le développement du commerce du

commerce électronique, et en particulier par les modalités de paiement par carte sur internet ainsi

que les exigences de protection du consommateur. Cette remise en cause est accentuée par le fait

que la règle de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par carte était souvent discutée,

pourtant rarement sans confusions17. Dès lors, il est légitime de se demander si le législateur

CEMAC, dans sa politique de promotion des nouveaux instruments de paiement scripturaux, a pris

en compte les spécificités du commerce électronique dans le processus du paiement par carte

bancaire. Plus précisément, dans quelle mesure doit-on admettre l’irrévocabilité de l’ordre

paiement par rapport aux modalités du commerce électronique pour garantir une protection

efficace des titulaires sans pour autant sacrifier la sécurité des transactions ? l’analyse de cette

interrogation est d’une importance capitale en ce sens que d’une part, le législateur communautaire

s’est fixé l’objectif d’édicter des règles fondamentales destinées, à promouvoir, à encadrer, l’usage

et l’essor des moyens modernes de paiement 18. A ce titre, la carte bancaire joue un rôle essentiel

dans la mise en œuvre de cet objectif. Et d’autre part, le commerce électronique vient révolutionner

la vente et les achats des biens et services. De plus en plus naissent des plateformes de vente et de

paiement en ligne19 et par carte bancaire. Envisagée sous l’angle d’efficacité, la démarche ainsi

adoptée par le législateur CEMAC, notamment la consécration de l’irrévocabilité de l’ordre de

paiement donné par carte, quand bien même classique, semble inadéquate par rapport aux réalité

du commerce électronique. C’est pourquoi, il convient d’étudier tour à tour l’irrévocabilité de

l’ordre de paiement donné par carte face à l’évolution des modalités de paiement dans le « E-

16 CABRILLAC (R) (dir.), Lexique de vocabulaire juridique, Lites, 1ere éd., 2002, p. 243. 17 HENDRYCHOVA (K), Ordre de paiement sur internet, Mémoire de DEA, Université Robert Schuman Strasbourg

III, 2001, p. 31. 18 Préambule du Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21

décembre 2016. 19 CEPPA (J B), La sécurisation des instruments de paiement dans la CEMAC, Thèse de doctorat, Université de

Ngaounderé, 2020, p. 224.

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commerce » (I) et ; l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par carte face aux modalités de

protection du consommateur dans le « E-commerce » (II).

I- L’IRREVOCABILITE DE L’ORDRE DE PAIEMENT DONNE PAR CARTE

FACE A L’EVOLUTION DES MODALITES DE PAIEMENT DANS LE « E-

COMMERCE »

A l’origine, le caractère irrévocable de l’ordre paiement reposait sur les conventions types liant

le titulaire de la carte à l’émetteur20. On admet de la sorte que la banque émettrice doit rester

étrangère à tout différend pouvant naitre entre le titulaire de la carte et le commerçant. Il en découle

que si un litige survient entre le titulaire de la carte et le commerçant, le premier ne pourra pas

invoquer ce litige pour refuser de rembourser les paiements effectués par la banque21. Cette

solution fut reprise par la jurisprudence, notamment française, puis consacrée par le législateur22.

Dans la CEMAC, l’admission de l’irrévocabilité (A) résulte de la réforme des moyens de paiement

qui est intervenue en 2003. Au départ, la carte de paiement était utilisée dans le commerce de

proximité où le titulaire de la carte avait la possibilité de vérifier la qualité et la conformité du bien

qu’il envisage d’acheter. Or avec le commerce électronique cette possibilité est devenue difficile.

En outre, les modalités de paiement sont simplifiées. Désormais le titulaire de la carte peut

déclencher un ordre de paiement par simple communication du numéro apparent de la carte.

Cependant, la simplification n’est pas toujours synonyme de sécurité. Cette simplification des

modalités de paiement annonce d’ailleurs une certaine crise de la règle de l’irrévocabilité par

rapport à l’ordre de paiement donné par simple communication du numéro de la carte (B).

A- L’admission de l’irrévocabilité par le législateur CEMAC

La CEMAC étant un espace économique et monétaire23, le législateur veille à ce que les

paiements puissent être exécutés dans des conditions de sécurité et de stabilité maximale. Ceci est

20 Le fonctionnement de la carte de paiement intervient dans un cadre contractuel préétabli qui met en relation trois

acteurs : le titulaire de la carte donneur d’ordre, l’émetteur de la carte, et le bénéficiaire du paiement ou le commerçant.

V. BRAUD (A), Droit des instruments de paiement et de crédit, op.cit., p. 213 ; v. aussi CHAMINAH (L), La

responsabilité civile du banquier en Droit malagasy, Thèse de Doctorat Université de Paris I Panthéon-Sorbonne

décembre 2015, no 691, p. 303. 21 JEANTIN (M) et LE CANNU (P), Droit commercial, instrument de paiement et de crédit, entreprises en difficultés,

6eed, 2003, p. 138. 22 Ibid. 23 V. art. 2 du Traité de la CEMAC révisé en janvier 2009.

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d’autant plus vrai que parmi les missions essentielles du législateur communautaire figure en

bonne place l’adoption des bases juridiques harmonisées et organisationnelles nécessaires à la mise

en place et au fonctionnement de systèmes de paiement modernes efficaces et conformes aux

normes et standards internationaux24. Dans le cadre de la recherche de cette stabilité, le Règlement

numéro 02/03 du 04 avril 2003 relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiement tel que révisé

en décembre 2016 a consacré le principe de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par carte

(1). Ce principe permet d’assurer la stabilité des transactions. Du point de vue de l’accepteur25,

l’irrévocabilité de l’ordre de paiement est essentielle. Si l’ordre pouvait être révoqué à l’instant où

la livraison du bien a eu déjà lieu, le commerçant s’exposerait à la perte du bien. Il préférerait être

payé en espèces. Ou bien il devrait attendre si son compte est crédité ou non. Dans cette situation,

il paraît raisonnable d’instaurer le système de l’irrévocabilité absolue. Or, du point de vue du

donneur d’ordre, il y a des situations où l’irrévocabilité de l’ordre de paiement engendre des

conséquences trop dures. C’est à ce titre que le principe est assorti de quelques tempérament (2).

1- Le principe

Lorsqu’il précise que « l’ordre ou l’engagement de payer donné au moyen d’une carte de

paiement est irrévocable »26, le législateur communautaire assimile un ordre de paiement à une

instruction inconditionnelle, sous quelque forme que ce soit, donnée par le titulaire à une banque

émettrice de mettre à la disposition d’un bénéficiaire une somme d’argent déterminée. En d’autres

termes, cette règle interdit au client qui a payé par carte de se rétracter et d’empêcher l’émetteur

de régler sa facture27. Ainsi, celui qui a composé le code au guichet d’un distributeur automatique

ne peut revenir sur son engagement ; pas plus que l’adhèrent l’ayant composé sur la machine d’un

commerçant28. Cette disposition emporte des conséquences considérables. Ainsi, l’on note

l’absence d’influence du décès ou de l’incapacité du titulaire de la carte postérieurement à l’ordre

de paiement. Si le décès ou l’incapacité du titulaire intervient après le déclenchement de l’ordre

de paiement, l’opération doit être poursuivie. Dans une telle hypothèse, le compte du titulaire est

24 V. préambule du Règlement nO 02/03 du 04 avril 2003 relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiement. 25 HUET (J), indiquait que « l’irrévocabilité permet de donner plus de sécurité à la banque, tout comme au fournisseur

de biens et service, car elle implique l’interdiction pour le client de revenir sur son ordre une fois celui-ci émis ». 26 V. art. 170 du règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21

décembre 2016. 27 SIDI MOUKAM (L), La sécurisation des moyens de paiement dans la zone CEMAC, op.cit., p. 51. 28 BRAUD (A), Droit des instruments de paiement et de crédit, op.cit., p.217.

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bloqué en réalité à la date du décès ou la survenance de l’incapacité. Le bénéficiaire du paiement

se trouve donc rassuré. Mais, il se pose un problème. En fait, le titulaire de la carte autorise un

débit automatique sur son compte bancaire, en exécution de son ordre de paiement. Le débit a lieu

immédiatement, sauf stipulation contractuelle contraire prévoyant un débit à une date ultérieure29.

Au regard de cette disposition, une distinction doit être opérée entre la catégorie des cartes à débit

immédiat30 et la catégorie des cartes à débit différé31. Pour la seconde catégorie, la question se

pose de savoir : la révocation de l’ordre de paiement peut-elle intervenir entre la date où l’ordre de

paiement est donné et celle pendant laquelle le débit du compte du titulaire a eu lieu ? Lorsqu’il

s’agit d’une carte à débit différé, généralement le titulaire de la carte bénéficie d’une ligne de crédit

spéciale lui permettant de régler ses transactions même si son compte est débiteur. Le bénéficiaire

de l’ordre de paiement désintéressé, le donneur d’ordre devient alors le débiteur de l’émetteur.

2- Les tempéraments du principe

L’alinéa 2 de l’article 170 du règlement relatif aux systèmes moyens et incidents de paiement

précise que « seules sont autorisées les oppositions motivées par la perte, le vol, l’utilisation

frauduleuse de la carte ou des données liées à son utilisation, l’ouverture d’une procédure de

redressement judiciaire ou de liquidation des biens à l’encontre du bénéficiaire du paiement ». Il

ressort que les tempéraments ne concernent que deux situations : le cas des ordres de paiement

frauduleux et le cas d’ouverture d’une procédure collectives d’apurement du passif. Les ordres de

paiement réguliers ne sont pas concernés. On doit appliquer à leurs égards le principe absolu de

l’irrévocabilité.

En fait, le titulaire de la carte bancaire court le risque d’un ordre de paiement frauduleux soit

parce qu’il est dépossédé de sa carte du fait de la perte ou du vol, soit parce que sa carte fait l’objet

29 Art. 171 du règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21

décembre 2016. 30 Il s’agit de carte de paiement au sens strict du terme. Le titulaire ne peut que retirer ou transférer des fonds avec une

telle carte. Elle est donc dépourvue de la fonction de crédit. 31 Comme il a été relevé à l’introduction la carte bancaire peut être investie d’une fonction de crédit. Il s’agit en réalité

du crédit revolving où le porteur de la carte peut dans la limite d’un plafond d’encours étaler le remboursement.

Concrètement chaque fois que le porteur a réglé le solde débiteur, il bénéficie d’un nouveau découvert.

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d’une utilisation frauduleuse alors que le titulaire n’est pas dépossédé de sa carte32. Pour

l’utilisation frauduleuse sans dépossession, deux situations sont possibles : soit les informations

confidentielles permettant l’utilisation de la carte ont été divulguées ou découvertes, soit la carte a

été contrefaite ou falsifiée33. Dans tous les cas si le titulaire veut annuler un ordre de paiement

frauduleux, il doit déclarer à l’émetteur la perte, le vol ou l’utilisation non autorisée de son

instrument dans un délai de trois jours francs après qu’il ait eu connaissance de la perte ou du vol

de la carte34. Contrairement au cas de perte et de vol où le titulaire de compte n’a pas effectué un

paiement de son plein gré, dans le cas d’opposition pour ouverture de procédure de redressement

ou de liquidation judiciaires, le titulaire du compte a valablement ordonné le paiement, il fait

opposition simplement par crainte de ne pas recevoir la contrepartie due à la situation du

bénéficiaire35. Toutefois, il faut avouer qu’une telle crainte réside également dans le commerce à

distance où le « E-consommateur » qui commande un produit sur internet court le risque de

recevoir à la livraison un produit défectueux ou non conforme à sa commande. Au regard de

l’article 171 précité, il ne pourra pas malheureusement révoquer l’ordre de paiement.

B- La crise de la règle de l’irrévocabilité par rapport à l’ordre de paiement donné par

simple communication du numéro de la carte

Il sera question, dans un premier temps, d’analyse la critique de la règle de l’irrévocabilité par

rapport à l’ordre de paiement donné par simple communication du numéro de la carte (1) ; et dans

un second temps proposer une piste de solution (2).

32 V. CHAMINAH (L), La responsabilité civile du banquier en Droit malagasy, op.cit., p. 311 ; aussi FOKO (A), « La

responsabilité du titulaire d’une carte bancaire dans la zone CEMAC », RDJ-CEMAC, n001 /2èmesemestre 2012, p.

152. 33 Cette dernière hypothèse fait l’objet d’une incrimination pénale au regard du Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM

relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21 décembre 2016. V. art. 239 et 243. 34 V. art. 172 al. 2 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21

décembre 2016. 35 CHAMINAH (L), La responsabilité civile du banquier en Droit malagasy, op.cit., p. 313.

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1- La critique de la règle d’irrévocabilité par rapport à l’ordre de paiement donné par

simple communication du numéro de la carte

Il s’agira pour nous de mettre en relief l’analyse critique de la doctrine (a). En outre, les juges

ne sont pas restés indifférent sur ce point. A cet effet nous nous appuierons sur la jurisprudence

française, où les juges hésitent à appliquer l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par simple

communication du numéro de la carte (b).

a- L’analyse critique de la doctrine

L’indication du numéro apparent de la carte vaut il ordre irrévocable ? La réponse à cette

question n’est pas chose aisée. En effet, au regard de la règle de l’irrévocabilité consacrée par le

législateur communautaire, chaque utilisation de la carte par son titulaire dans le cadre de l’achat

d’un bien ou d’un service constitue un ordre de paiement donné par celui-ci à l’émetteur en faveur

de l’accepteur. Et cet ordre est irrévocable.

Mais pour qu’il en soit ainsi, il faut que le mandat de payer émane bien du titulaire de la carte.

Il se pose donc le problème de l’authenticité de l’ordre de paiement. La preuve de cette authenticité

pèse, en principe, sur l’émetteur qui se prétend libérer de son obligation de restituer au dépositaire

les sommes déposées par celui-ci sur son compte bancaire. Cette authenticité résulte suffisamment,

lorsque c’est le cas du paiement par saisie du code confidentiel ou par signature de la facturette36.

S’agissant du paiement par simple indication du numéro apparent de la carte, bien que possible,

ce mécanisme est beaucoup plus risqué. A cet effet, le constat est que, s’il a pu être admis qu’un

paiement soit effectué au profit d’un fournisseur sans signature ni manuscrite ni électronique du

porteur de la carte c’est parce que celui-ci a la faculté, au reçu de son relevé de compte, de contester

le débit correspondant au paiement. Le banquier donne suite automatique à des telles instructions

ainsi qu’il est prévu dans le contrat porteur, à la seule condition que la contestation soit formulée

dans le délai convenu. On notera que l’irrévocabilité des ordres de paiement par carte n’intervient

pas dans ce cas puisque précisément, l’émetteur a payé en l’absence d’ordre.

36 Dans le commerce de proximité, il y a généralement combinaison à la fois de la saisie du code confidentiel et la

signature de la facturette. Dans ce cas l’identification du titulaire de la carte est facilité car le commerçant est tenu de

vérifier la conformité de la signature figurant sur la facturette et celle apposée sur la carte de paiement.

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S’attaquant à la règle de l’irrévocabilité, l’on peut s’interroger sur la formulation « au moyen

d’une carte » contenue dans la disposition communautaire37, plus précisément sur le point de

savoir si la seule communication du numéro facial de la carte suffit à caractériser l’ordre de

paiement donné au moyen d’une carte. L’acceptation de la simple communication du numéro

d’identification de la carte comme l’utilisation conforme de la carte mènerait à la négation du rôle

de la piste magnétique, la puce électronique ou la signature. Dès lors il est à constater que l’ordre

de paiement donné par communication du numéro facial n’est pas irrévocable car il ne peut pas

être considéré comme donné « au moyen d’une carte ».

b- L’incertitude jurisprudentielle

Si l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné au moyen d’une carte est admise sans difficulté

pour l’ordre passé par la signature de la facturette38, tel n’est pas le cas pour l’ordre passé par

l’indication du numéro apparent. Après consécration de l’irrévocabilité par le juge français, l’on

note un revirement jurisprudentiel. Ce qui traduit une certaine incertitude dans l’application du

principe d’irrévocabilité par les juges.

En effet, le 8 juin 1999, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt intéressant notre sujet,

bien qu’il s’agisse de l’ordre de paiement passé par fax39. L’importance de cet arrêt tient non

seulement dans le fait qu’il accepte l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par simple

communication du numéro facial de la carte. Il paraît aussi être le premier à consacrer la validité

d’un tel ordre40.

37 V. art. 170 du Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21

décembre 2016. En droit français l’art. L132-2 du Code monétaire et financier est l’équivalent de de cette disposition. 38 Dans un arrêt du 12 mai 1995, la Cour d’appel de Paris rappelle cette règle en prononçant que « l’apposition de la

signature du titulaire de la carte sur l’ordre de paiement confère à celui-ci un caractère irrévocable et abstrait ; le

donneur d’ordre doit rembourser les factures réglées par l’émetteur […], sans pouvoir lui opposer aucune exception

tirée du rapport fondamental qui a donné lieu au paiement […] ». V. CA Aix-en-Provence, 18 juin 1984, D. 1986, IR.,

p. 326, obs. VASSEUR (M). 39 C.A. Paris, 8e ch. A, 8 juin 1999, Mlle Marcilhacy c/ CIC, D. 2000, Somm., p. 337, obs. Thullier (B). 40 WELLE (D), Commerce électronique et ordre de paiement : l’exemple des cartes bancaires dans l’espace UEMOA,

Mémoire, Université de Saint-Louis du Sénégal, 2006, p. 14.

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Suite à une conversation téléphonique, Mlle Marcilhacy a envoyé un fax à la société

anglaise Byte Indirect en vue de l’achat d’un ordinateur. Le fax contenait son numéro apparent de

la carte bancaire de la SA Crédit industriel et commercial (CIC). N’ayant pas obtenu confirmation

de sa commande, Mlle Marcilhacy l’a annulée par téléphone. (Elle n’arrive pas à prouver ce dernier

événement.) Mais son compte bancaire a été pourtant débité. Elle protestait auprès du CIC qui a

recrédité le compte et a établi un bordereau de réclamation. Or, comme la réclamation ne pouvait

pas être traitée sans justificatif de l’annulation de la part de Mlle Marcilhacy, son compte a été

redébité. Mlle Marcilhacy a alors assigné le CIC en paiement de la somme débitée et en

dommages-intérêts. Le tribunal d’instance l’a débouté et elle a interjeté appel.

La Cour d’appel de Paris déboute l’appelante et confirme le jugement déféré. Avant de

pouvoir faire cette conclusion, la Cour procède à une application parfaitement correcte des

dispositions applicables. Elle cite tout d’abord l’article 9 des conditions de fonctionnement de la

carte bancaire et l’article 57-2 du décret-loi du 30 octobre 1935 qui, tous les deux, posent la règle

de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné au moyen d’une carte. Après, elle vérifie s’il s’agit

d’un ordre de paiement. Ainsi, elle s’assure si Mlle Marcilhacy a passé la commande et si elle a

accepté de procéder au règlement de celle-ci au moyen de sa carte bancaire. Donc, la Cour vérifie

l’imputabilité de l’ordre à son prétendu auteur et l’approbation de l’ordre de paiement, deux

conditions sans lesquelles il ne peut pas s’agir de l’ordre de paiement valide. La vérification faite,

la Cour d’appel de Paris conclue à l’irrévocabilité de l’ordre de paiement.

Cependant, quelques années plus tard, la Chambre commerciale de la Cour de cassation

française décide que la règle de l’irrévocabilité ne pouvait pas jouer à l’égard d’un ordre de

paiement donné par simple indication du numéro apparent.41.

En avril 2000, M. Bardie avait constaté, sur ses relevés de compte bancaire, un débit par

carte de 6191,97 Frs en faveur d’une société France By Alekx. M. Bardie contestait l’opération

auprès de sa banque, la Banque Populaire Provençale & Corse, en affirmant qu’il n’était pas à son

origine et qu’il n’en connaissait pas le bénéficiaire. La banque refusait d’annuler le débit ce qui

emmène M. Bardie à saisir le juge. N’ayant pas obtenu gains de cause M. Bardie formule un

41 www.courdecassation.fr., consulté le 05 janvier 2020.

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pourvoi en cassation. A l’issue de ce pourvoi, il s’ensuit, dès lors que l’ordre de paiement était

contesté et que le paiement était intervenu par le seul moyen de la communication du numéro de

la carte, ce dont il résultait, d’une part, qu’il appartenait à l’émetteur de rapporter la preuve de

l’ordre de paiement en question, d’autre part, que la règle de l’irrévocabilité du paiement ne jouait

pas. Le tribunal devrait effectivement en déduire que la banque avait l’obligation d’annuler le débit

litigieux, d’où la cassation prononcée. L’acheteur se trouve donc efficacement protégé42

2- Proposition d’une piste de solution

Au regard de l’analyse critique de la doctrine et les hésitations jurisprudentielles, il est à retenir

que le véritable problème n’est pas l’irrévocabilité, mais plutôt le paiement par simple

communication du numéro apparent de la carte qui est un procédé peu sécurisant. La fiabilité du

moyen de paiement, dans le cas de la communication du numéro apparent de la carte de paiement,

et l’irrévocabilité de l’ordre de paiement ne sont pas des notions corrélatives. La fiabilité du moyen

de paiement ne peut pas avoir une influence sur la révocabilité ou irrévocabilité de l’ordre. La

fiabilité du moyen de paiement est une catégorie qui nous enseigne sur le taux d’ordres frauduleux

possibles avec un moyen de paiement précis tandis que l’irrévocabilité concerne seuls les ordres

de paiement émanant d’un ayant droit, c’est-à-dire libres de toute fraude. L’enjeu du paiement par

simple communication du numéro facial de la carte concerne en réalité les mécanismes

d’authentification43 de l’ordre de paiement donné par carte. C’est par rapport aux mécanismes

d’authentification que l’on pourrait déterminer si l’ordre de paiement émane du titulaire ou s’il

s’agit d’un ordre frauduleux44. Ainsi, nous considérons irrévocables tous les ordres de paiement

donnés par n’importe quel usage de la carte, à savoir par la communication du numéro facial de la

carte, la tabulation de numéro de code confidentiel, ou encore par le contrôle physique de la carte.

Dans cette logique, on pourrait dissiper tout équivoque à l’avenir pour les praticiens y compris les

juges qui ont jusqu’ici des hésitations vis-à-vis de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné

par simple communication du numéro apparent de la carte.

42 HONTEBEYRIE (A), « La relative fragilité de l’ordre de paiement à échéance successives », (com., 27mars 2012)

Actualité du droit civil des affaires, disponible à l’adresse : www.erudit.org, p.1. 43 L’authentification signifie en réalité l’action d’authentifier un ordre de paiement c’est-à-dire identifier avec

assurance l’identité de l’auteur et du bénéficiaire de la transaction, le montant, la date de l’opération etc.. 44 Le cas échéant le titulaire de la carte est fondé à faire opposition. Le régime de l’opposition fera l’objet d’une analyse

dans la deuxième partie de notre travail consacrée au traitement des fraudes et incidents de paiement.

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Pour renforcer la sécurité du paiement, le législateur CEMAC peut envisager un standard

auquel le banquier émetteur et le commerçant accepteur de la carte devront être soumis lorsqu’ils

examinent un ordre de paiement donné par simple communication du numéro apparent de la carte.

A cet effet, le droit canadien nous offre un exemple qui pourrait être source d’inspiration. Le

commissariat à la protection de la vie privée du Canada, afin de prévenir le vol d’identité et les

conséquences désastreuses qui peuvent en découler, a édicté des lignes directrices45 en matière

d’identification et d’authentification. Ces lignes proposées conformément à la loi sur la protection

des renseignements personnels et les documents électroniques prévoient quelques balises pour

aider les entreprises lors de l’identification et l’authentification de leurs clients. Le commissariat

indique que les discussions sur l’authentification portent sur au moins trois types d’éléments

d’informations. Il s’agit de :

- Quelque chose que la personne connaît, par exemple un mot de passe, un numéro de

compte, une couleur préférée, le nom du premier animal de compagnie ;

- Quelque chose que la personne possède par exemple un jeton d’authentification, une carte

d’identité, un certificat d’utilisateur numérisé ;

- Quelque chose qui fait partie de la personne par exemple un trait biométrique comme le

visage, la rétine, la voix…

II- L’IRREVOCABILITE DE L’ORDRE DE PAIEMENT DONNE PAR CARTE

FACE AUX MODALITES DE PROTECTION DU CONSOMMATEUR DANS LE

« E-COMMERCE »

Avec les nouveaux moyens de communication, la traditionnelle vente par correspondance s’est

transformée en vente à distance. Cette vente fait appel à l’utilisation d’un ou plusieurs moyens de

communication tels qu’internet, téléphone46 etc. C’est ainsi par exemple, que le client découvrira

le produit ou le service sur le site internet du vendeur, ce qui conduira ceux-ci à s’engager dans

une relation contractuelle. Celle-ci se dénoue généralement après que le vendeur ait livré le produit

45 Commissariat à la protection de la vie privée du CANADA, lignes directrices en matière d’identification et

d’authentification, octobre 2006, disponible en ligne à l’adresse : www.priv.gc.ca/information/auth_061013_f.cfm. 46 GRYNBAUM (L), LE GOFFIC (C), LYDIA MORLET-HAIDARA (L), Droit des activités numériques, 1ere éd.,

Dalloz, 2014, p. 201.

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ou le service et que le client ait payé le prix. Le paiement se fait conforment aux clauses du contrat.

Elles peuvent stipuler que le paiement se face à distance grâce aux instruments tel que le virement,

la carte bancaire ou la monnaie électronique.

Cependant, dans le commerce électronique, la possibilité pour le consommateur de voir le

produit qu’il commande et de prendre connaissance est très limitée47. La promotion de l’économie

numérique dans la CEMAC mise fondamentalement sur l’adhésion de la clientèle des services

électronique à ces derniers par la consécration d’un droit exceptionnel : le droit de rétractation48

du consommateur. Cette faveur du droit du commerce électronique s’articule avec les principes du

droit commun de la consommation reconnus dans le contexte de la protection de la partie faible

dans les contrats à distances49. Toutefois, il a été souligner un peu plus haut que la règle de

l’irrévocabilité interdit au client qui a payé par carte de se rétracter et d’empêcher l’émetteur de

régler sa facture. Dès lors, il ressort que le droit de rétractation de « E- consommateur »

et l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par les instruments de paiement électronique sont

difficilement conciliables (A). Mais une tentative de conciliation à partir de commun de contrat

serait envisageable (B).

A- L’irrévocabilité de l’ordre de paiement et le droit de rétractation de « E-

consommateur » : deux mécanismes difficilement conciliable

Du latin retractare, le substantif « rétractation » dérive du verbe rétracter ou se rétracter qui

est considéré comme le fait de désavouer ses propos50. En d’autres termes, c’est la « manifestation

de volonté contraire par laquelle l’auteur d’un acte ou d’une manifestation unilatérale de volonté

entend revenir sur sa volonté et la retirer comme si elle était non avenue, afin de la priver de tout

effet passé ou à venir »51. Le droit de rétraction est donc une faculté reconnue par la loi ou établie

par le contrat permettant à son bénéficiaire, pendant un certain délai, de rétracter unilatéralement

47 V. GHAZOUANI (C), « La protection du consommateur dans les transactions électroniques selon la loi du 9 août

2000 », Revue de jurisprudence et de législation RJL, juin 2003, p. 14. 48 Sur la question v. aussi EDDEROUASSI (M), Le contrat électronique international, Thèse de doctorat, Université

de Grenoble Alpes, décembre 2017, pp. 413 et suivant. 49 BEPYASSI OUAFO (V), « Le droit des technologies de l’information dans la communauté économique et

monétaire de l’Afrique centrale », Les cahiers de droit, volume 60, numéro 3, 2019, pp. 691-692. 50 NDOUMGA (M), La théorie générale du contrat à l’épreuve du numérique, Thèse de Doctorat, Université de

Maroua, 2020, p. 149. 51 CORNU (G) (dir), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 925.

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son engagement, par dérogation au principe de l’irrévocabilité de la promesse52. C’est donc une

prérogative comme le confirme l’article 48 projet de directive de la CEMAC sur le commerce

électronique53. Toutefois, certains législateurs nationaux54 ont devancé celui de la CEMAC en

mettant en place un cadre légal de protection des consommateurs des contrats à distance à partir

du fondement du projet de la directive communautaire55.

Si le droit de rétractation est octroyé au consommateur afin de le protéger contre les pratiques

commerciales agressives56 et lui permettre par la suite d’opérer un choix en toute connaissance de

cause dans la vente à distance de produits et services tant au niveau national qu’au niveau

communautaire, alors une harmonisation du droit de rétractation est souhaitable dans l’espace

CEMAC. Etant donné qu’internet brise les frontières, une transaction électronique peut s’opérer

hors du cadre légal interne. Ainsi par exemple, le consommateur camerounais ne doit pas être

seulement protégé par le droit de rétractation de son pays mais il doit pouvoir être protégé quand

il effectue un achat avec une entreprise installée dans un autre pays de la CEMAC comme c’est le

cas en matière d’obligation d’information du professionnel57.

Certes, l’irrévocabilité est nécessaire pour assurer la stabilité et la sécurité des transactions58.

Néanmoins son application peut susciter des difficultés dans le cas de la vente à distance réalisée

par un consommateur59. Ce dernier bénéficie d’une prérogative qui lui permet de revenir sur une

opération commerciale conclue à distance pour laquelle il a effectué un ordre de paiement au

52 GUINCHARD (S) (dir), Lexique des termes juridique, op.cit., p. 383. 53 Le législateur CEMAC dispose que le consommateur exerce son droit « sans avoir à motiver sa décision ». Le projet

de directive de la CEMAC prévoit un droit de rétractation fixé à 14 jours à partir du jour de la conclusion du contrat

pour assurer la protection des consommateurs dans les contrats à distance. 54 V. Loi no2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun. Il ressort par exemple

de l’art. 20 que l’exécution du contrat de consommation offre la possibilité au consommateur de disposer du droit de

se dédire par la rétractation dans un délai de 15 jours suivant la signature du contrat électronique. 55 BEPYASSI OUAFO (V), « Le droit des technologies de l’information dans la communauté économique et

monétaire de l’Afrique centrale », consulté à l’adresse www.ohada.com-ohadata D-16-01, p. 693. 56 ALLEME (A), La protection du consommateur à l’épreuve des technologies de l’information et de la

communication : étude du Droit ivoirien à la lumière du Droit français, Thèse de Doctorat Université de Perpignan,

2019, p. 86. 57 V. Directive no 02/19 du 22mars 2019 harmonisant la protection du consommateur au sein de la CEMAC ;

Règlement nO 01/20/CEMAC/UMAC/COBAC relatif à la protection des consommateurs des produits et services

bancaires dans la CEMAC. 58 GARANCE (M) et SAHUT (J M), « Le paiement : enjeu du E-commerce », 2emecolloque Etienne Thill, septembre

1999, p. 224. 59 Ibid.

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moyen d’une carte. La question qui se pose est celle de savoir : dans le cadre d’un contrat de vente

ou de prestation de service à distance par exemple, le consommateur qui se rétracte peut-il

demander à son banquier de révoquer l’ordre de paiement qu’il a émis pour payer son

cocontractant ? Cette interrogation soulève la difficulté relative à la conciliation entre le droit de

rétractation et le principe de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné au moyen d’une carte

en droit CEMAC (1). Mais la recherche d’une solution pourrait être envisagée en droit comparé

(2).

1- La difficile conciliation en droit CEMAC

En l’état actuel des choses en droit CEMAC, l’ordre de paiement donné par carte a un caractère

irrévocable. C’est-à-dire que le paiement doit s’effectuer en toute hypothèse. Ainsi celui qui a

effectué un achat sur internet ne peut revenir sur son engagement pas plus que le titulaire ayant

composé le code confidentiel de sa carte sur la machine d’un commerçant. De ce fait, l’acheteur,

lorsqu’il s’agit de vente à distance, s’oblige à laisser la banque débiter son compte du montant de

l’opération effectuée par carte. Les rapports entre la banque et le titulaire de la carte sont donc

constitués d’obligations réciproques60. Et il existe une indépendance entre le contrat qui est à

l’origine du paiement par carte et le paiement par carte lui-même61. De la sortes, l’organisme

émetteur ne peut pas se voir opposer une exception du fait des rapports existants entre le titulaire

et le commerçant62. Dès lors, l’exercice du droit de rétractation par le titulaire de la carte ne peut

entrainer la révocabilité d’un ordre de paiement qu’il s’agisse d’un ordre à échéance successive ou

un ordre à échéance unique.

Toutefois, concernant l’ordre de paiement à échéances successives, une analyse nuancée peut

être faite. Si l’on analyse l’ordre de paiement comme un mandat, dans ce cas la révocabilité du

mandat de payer est envisageable63 notamment pour les sommes qui n’ont pas encore été versées

au créancier au jour de la révocation. Si l’ordre de paiement peut être analysé comme un mandat

de payer, l’on ne doit pas ignorer qu’il s’agit d’un mandat donné au « moyen d’un carte ». Et le

paiement par carte bancaire se trouve au carrefour de plusieurs disciplines notamment le droit des

60 COQUELET (M-L), Entreprises en difficulté, instrument de paiement et de crédit, op.cit., p. 547. 61 BRAUD (A), Droit des instruments de paiement et de crédit, op.cit., p. 217. 62 Infra. 63 V. GARANCE (M) et SAHUT (J M), « Le paiement : enjeu du E-commerce », op.cit., p. 224.

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obligations, le droit bancaire et le droit de la consommation. C’est ainsi que le paiement par carte

bancaire a reçu diverses qualifications en doctrine64 à savoir : le mandat65, l’acte d’indication d’un

tiers pour la remise des fonds en dépôt prévu à l’article 193766 du code civil, la subrogation légale,

la cession de créance, la délégation, la novation. Tout en faisant l’économie des débats au tour de

ces différentes qualifications, il convient de préciser qu’aucune de ces qualifications ne fait l’objet

d’un consensus. Les spécialistes de droit bancaire concluent que la carte constitue un moyen de

paiement autonome dont le régime juridique découle des contrats et des règles de droit impératives

qui lui sont spécifiquement applicables67. A cet effet, le Règlement numéro 03/CEMAC/

UMAC/CM du 21 décembre 2016 Considéré comme un droit spécial des instruments de paiement

peut évincer le droit commun. En l’espèce le texte précise que « l’ordre de paiement ou

l’engagement de payer donné au moyen d’une carte de paiement est irrévocable »68. Dans ce cas

et, à titre de droit prospectif, la recherche de l’équilibre entre l’irrévocabilité de l’ordre de paiement

donné par carte et la protection du consommateur dans le commerce électronique pourra être trouvé

en droit comparé.

2- Un regard prospectif en droit comparé

Certes l’irrévocabilité d’un ordre de paiement donné au moyen d’une carte est un principe

majeur qui garantit la sécurité des transactions. Mais les exigences du droit de la consommation

ont permis d’accorder au consommateur une protection supplémentaire. Cette protection permet à

ce dernier de faire valoir à l’endroit de l’institution émettrice de la carte les moyens de défense

qu’il a vis-à-vis du commerçant. Ainsi le titulaire d’une carte qui, au moyen de sa carte, a effectué

l’achat d’un bien ou d’un service à distance peut, en cas d’exercice de son droit de rétractation,

demander à son banquier l’annulation du paiement effectué. L’idée que les institutions émettrices

de carte puissent agir en quelques sortes comme médiatrices entre le titulaire et le commerçant se

justifie simplement. En fait, les institutions financières sont très bien placées pour concevoir et

64 V. pour approfondir la question v. par ex. CUMYN (M) et LALANCETTE (L), « Le cadre juridique du paiement

par carte de crédit et les moyens de défense du titulaire », Revue générale de droit, vol.35, no 1, 2005, p. 34 – 42. 65 V. JEANTIN (M) et LE CANNU (P), Droit commercial, instrument de paiement et de crédit, entreprises en

difficultés, op.cit., p. 110. 66 Cette disposition précise que « le dépositaire ne doit restituer la chose déposée, qu’à celui qui la lui a confiée, ou

à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir ». 67 CUMYN (M) et LALANCETTE (L), « Le cadre juridique du paiement par carte de crédit et les moyens de défense

du titulaire », op.cit., p. 23. 68 V. art. 170 al. 1.

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mettre en œuvre des procédures efficaces de règlement des litiges en faveur des titulaires. Elles

possèdent un pouvoir de contrôle important sur les commerçants, à qui elles peuvent refuser le

paiement de certaines transactions ou qu'elles peuvent désaffilier du système. D'ailleurs, elles ont

intérêt à exercer ce contrôle, puisque le simple fait qu'un commerçant soit affilié par les grands

systèmes de carte de crédit suscite la confiance du consommateur à l'égard de ce commerçant, et

les institutions financières qui opèrent ces systèmes n'ont pas intérêt à ce que cette confiance soit

trahie69.

Dans ce sillage, le législateur canadien, par exemple, a consacré le mécanisme de la

rétrofacturation70 que le professeur Gautrais a qualifié d’une très grande innovation71. En fait, la

rétrofacturation est un recours permettant sous certaines conditions72 à un consommateur de

demander, à la compagnie émettrice de la carte qu’il a utilisée pour payer un achat à distance de

recréditer son compte. Lorsqu’un commerçant est en défaut de rembourser le consommateur qui a

effectué un paiement par carte, celui-ci peut dans les soixante jours suivant le défaut, demander à

l’émetteur la rétrofacturation de toutes les sommes payées en vertu du contrat de même que

l’annulation de tous les frais imputés sur son compte en relation avec ce contrat73.

De même, aux USA, le consommateur peut, en vertu du « Fair Credit Billing Act », opposer à

l’institution émettrice de la carte les moyens de défense qu’il possède à l’encontre du commerçant

qui lui a vendu un bien ou un service dont le paiement a été effectué au moyen d’une carte de

crédit74.

Le droit CEMAC par contre se rapproche du droit européen où le droit de rétractation est

consacré mais le législateur reste muet sur un droit à la rétrofacturation ou sur une éventuelle

solidarité entre l’institution émettrice de la carte et le commerçant. A cet égard le droit Québécois

et le droit américain offre une meilleure protection légale au consommateur. Dans l’espace

69 Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE), « Report on Consumer Protections for

Payment Card-holders (2002) », [En ligne], http : //www.oecd.org/publications, p. 10. 70 V. art. 54.14 à 54.16 de la Loi RLRQ, c. P-40.1 sur la protection du consommateur. 71 V. IONATA (A) « Contrat à distance en droit québécois et en droit européen », Revue juridique étudiante de

l’université de Montréal, vol. 1. 2, 2015, p. 18. 72 V. art. 54.13 de la Loi RLRQ, c. P-40.1 sur la protection du consommateur. 73 V. art. 54.14 de la Loi RLRQ, c. P-40.1 sur la protection du consommateur. 74 CUMYN (M) et LALANCETTE (L), « Le cadre juridique du paiement par carte de crédit et les moyens de défense

du titulaire », op.cit., p. 55.

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CEMAC le seul rempart du consommateur c’est le droit commun qui règle la question de

remboursement en cas d’exercice du droit de rétractation dans le rapport titulaire de la carte et

commerçant.

B- La tentative de conciliation à partir du droit commun de contrat

Lorsqu’un ordre de paiement est intervenu, l’exercice du droit de rétractation doit être cantonné

dans la relation entre le porteur de la carte et le commerçant. L’émetteur de la carte ne peut se voir

opposer une exception résultante des rapports fondamentaux entre le porteur et le commerçant75.

La règle de l’inopposabilité des exceptions trouve ainsi une nouvelle application (1). Cependant la

question n’est pas entièrement résolue, car l’on note une certaine perplexité sur les modalités de

remboursement du prix par le commerçant (2).

1- L’application de la règle d’inopposabilité des exceptions dans la relation porteur-

émetteur

En principe, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites76.

Les contrats ont donc force de loi pour les parties : les obligations nées du contrat s’imposent avec

la même force que si elles étaient imposées par une loi. Toutefois, dans un contrat synallagmatique

chacune des parties est redevable envers l’autre. A ce titre, l’exécution d’une obligation

contractuelle de l’une ne vaut que si l’autre exécute sa propre obligation telle que convenue. Dans

le cadre du commerce électronique, le consommateur peut refuser de payer son vendeur parce qu’il

a exercé son droit de rétractation. A cet effet, il faut relever que l’exercice du droit de rétractation

doit être circonscrit dans la relation commerçant et son cocontractant (donneur d’ordre de

paiement). L’émetteur du moyen de paiement électronique reste donc étranger c’est

l’inopposabilité des exceptions.

En fait, la règle de l’inopposabilité des exceptions a un double revers dans ce cas. D’une part,

l’émetteur est indépendant à tout différend pouvant naitre entre le porteur de la carte et le

commerçant. Les exceptions que le porteur pourrait efficacement faire valoir contre le commerçant

75 LE CANNU (P) GRANIER (T) ROUTIER (R), Droit commercial, instrument de paiement et de crédit, titrisation,

8eed., Dalloz, 2010, p. 222. 76 Art. 1134 du Code civil.

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ne peuvent être opposées à l’émetteur77. D’autre part, une fois que l’ordre de paiement est exécuté

par l’émetteur, la somme transférée au compte du commerçant est indépendante des rapports

juridiques antérieurs qui existe entre le porteur de la carte et l’émetteur. Par conséquent, sont

inopposables, les exceptions qui existent entre l’émetteur et le porteur. C’est le cas par exemple de

l’insuffisance du solde créditeur du compte du donneur d’ordre, si le banquier a malgré tout

exécuté l’ordre. Le bénéficiaire est alors protégé contre tout recours grâce à l’irrévocabilité de

l’ordre de paiement et la règle d’inopposabilité des exceptions.

Néanmoins, l’inopposabilité des exceptions soulève une autre difficulté liée à la protection du

titulaire de la carte. Si ce dernier en exerçant son droit de rétractation ne peut pas demander à son

banquier de révoquer l’ordre de paiement, les modalités de remboursement des fonds versés restent

perplexes.

2- La perplexité sur les modalités de remboursement des fonds par le commerçant

Dès lors que le droit de rétractation est mis en œuvre, le commerçant est tenu de rembourser

les fonds qui lui ont été transférés par le banquier mandataire du consommateur. Ainsi l’on peut

s’interroger sur les modalités de remboursement. En l’absence d’un dispositif juridique

communautaire certaines législations internes relative au commerce électronique78 nous donnent

quelques éléments de réponses. Dans cette situation où l’insuffisance d’harmonisation

communautaire est constatée, le risque de divergence et de déséquilibre dans la protection du

consommateur est avéré.

Conformément à la législation camerounaise, en principe le commerçant est tenu de

rembourser les sommes perçues dans les quinze jours à compter de la date de retour des

marchandises ou de la renonciation au service79. Et le remboursement doit porter sur l’ensemble

des fonds perçus y compris les frais de livraison. Concernant les frais de livraison, les dispositions

ne sont pas précises. En effet, si les frais de livraison devraient être mis à la charge du

consommateur, non seulement cela le dissuaderait d’exercer son droit de rétractation80. En

77 LE CANNU (P) GRANIER (T) ROUTIER (R), Droit commercial, instrument de paiement et de crédit, titrisation,

op.cit., p.223. 78 V. Loi de 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun. 79 Al.3 de art. 20 de la Loi de 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun. 80 AVENA-ROBARDET, « Vente à distance : les frais de livraison doivent être remboursé au consommateur qui se

rétracte », disponible : www.dalloz.fr., consulté le 06 janvier 2020.

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comparaison avec le droit français, le remboursement intégral des frais de livraison est conditionné

par deux critères. D’une part, il faut que les sommes aient été versées pour donner lieu à un

remboursement. D’autre part, ces sommes doivent avoir été versées à l’occasion du contrat. Cela

inclut évidemment les paiements partiels qui interviennent à l’occasion d’un contrat de vente81.

Toutefois, pour ce qui est des frais de retour des marchandises, il est précisé que le consommateur

devrait en supporter82.

Dans les pays de la CEMAC où la question de remboursement n’est pas traitée explicitement,

l’on se demande si le commerçant n’est pas tenu à une telle obligation après avoir reçu le produit

renvoyé par le consommateur ? Nous pensons que dans le silence de la loi relative au commerce

électronique, le droit commun des obligations trouverait à s’appliquer notamment l’enrichissement

sans cause. En effet, l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne

peut avoir aucun effet83. Ainsi, le consommateur peut entamer une action en restitution de l’indu

pour l’enrichissement sans cause du commerçant. Il faudra pour cela démontrer un enrichissement

du débiteur quelle qu’en soit l’origine, un appauvrissement corrélatif du créancier et une relation

de cause à effet entre l’enrichissement et l’appauvrissement84.

En outre, le choix du moyen de paiement pour le remboursement des fonds perçus est

déterminant car, certains sont plus couteux que d’autres. En dépit du mutisme du législateur

communautaire, nous pensons que ce remboursement se fait en principe par le moyen de paiement

utilisé lors de la transaction. Mais, comme il s’agit d’une matière contractuelle, le consommateur

et le commerçant peuvent stipuler que le remboursement se face par un moyen de paiement

différent. A titre de droit comparé, en France le remboursement doit être effectué par tout moyen

de paiement à moins que le consommateur n’opte pour une autre modalité de remboursement85.

81 ALLEME (A), La protection du consommateur à l’épreuve des technologies de l’information et de la

communication : étude du Droit ivoirien à la lumière du Droit français, op.cit. p .84. 82 Al. 4 de l’art. précité. 83 Art. 1131 du Code civil. 84 ALLEME (A), La protection du consommateur à l’épreuve des technologies de l’information et de la

communication : étude du Droit ivoirien à la lumière du Droit français, op.cit. p .84. 85 Art. L 121-20-1 du Code de la consommation française.

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Conclusion

La carte bancaire, principal concurrent du chèque, est devenu aujourd’hui l’un des instruments

de paiement privilégiés dans le commerce électronique. Le choix d’utilisation de la carte plutôt

qu’un autre moyen de paiement est avant tout lié à la stabilité, la sécurité et à la simplicité dans

l’usage86. Parmi les mécanismes garantissant la stabilité des opérations de paiement figure le

principe de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné au moyen d’une carte87. Au regard de ce

qui précède, il ressort que le développement du commerce électronique a largement impacté ce

principe. C’est à ce titre que notre étude a été centré sur la question de savoir dans quelle mesure

doit-on admettre l’irrévocabilité de l’ordre paiement par rapport aux modalités du commerce

électronique pour garantir une protection efficace des titulaires sans pour autant sacrifier la sécurité

des transactions ? une réflexion menée sur cette interrogation montre d’une part une certaine crise

annoncée par la doctrine et la jurisprudence à l’endroit de la règle de l’irrévocabilité par rapport à

l’ordre de paiement donné par simple communication du numéro de la carte. Toutefois une analyse

minutieuse nous a permis de comprendre que le véritable problème n’est pas l’irrévocabilité, mais

plutôt l’authenticité de l’ordre de paiement donné par simple communication du numéro apparent

de la carte qui est un procédé peu sécurisant. Ce qui interpelle le législateur sur la nécessité de

mettre en place un protocole d’authentification adéquate dans le cadre d’un tel ordre de paiement.

D’autre part, il a été constaté que l’irrévocabilité de l’ordre de paiement et le droit de rétractation

de « E- consommateur » sont difficilement conciliables. Au regard de la législation CEMAC,

lorsqu’un ordre de paiement est intervenu, l’exercice du droit de rétractation doit être cantonné

dans la relation entre le porteur de la carte et le commerçant. L’émetteur de la carte ne peut se voir

opposer une exception résultante des rapports fondamentaux entre le porteur et le commerçant.

Toutefois en tenant compte du pouvoir de contrôle que l’émetteur exerce sur les commerçants

accepteurs de carte, on peut accorder au porteur la possibilité de se tourner vers l’émetteur pour

annuler le paiement en cas de rétractation. Ce ci contribuera certainement au renforcement de la

protection du titulaire de la carte dans le commerce électronique.

86 PAUGET (G), CONSTANS (E), L’avenir des moyens de paiement en France, Rapport présenté au Ministère de

l’Economie, des Finances et de l’Industrie, mars 2012, p. 43. 87 V. art. 170 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21

décembre 2016.

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L’adoption en droit camerounais : prendre acte des nouvelles

réalités

Par :

Willy Claudel PINLAP MBOM

Doctorant en droit privé

Université de Dschang (Cameroun)

Résumé :

Si la circulation des enfants a toujours été pratiquée dans les sociétés africaines, l’adoption au sens

juridique du terme n’a été introduite qu’après la colonisation. Initialement conçue comme un moyen destiné

à apporter une consolation aux ménages stériles, on assiste aujourd’hui à un retournement. Une nouvelle

finalité de l’adoption est apparue vers le milieu du XXe siècle, orchestrée par l’État et fondée sur l’idée de

donner une famille à un enfant qui en est dépourvu. C’est l’intérêt de l’enfant qui en devient la

considération primordiale, comme le préconise l’article 3 de la Convention Internationale relative aux

Droits de l’Enfant (CIDE). Toutefois, l’adoption au Cameroun, régie par un texte vieillot, ne s’arrime pas

à ce nouvel objectif ; on note une inadéquation entre les conditions et formes d’adoption et l’intérêt de

l’enfant. Ceci s’observe tant au regard des conditions relatives aux protagonistes qu’à celles relatives aux

rapports entre protagonistes. En outre, l’adoption plénière empêche l’établissement du lien de filiation de

l’enfant avec ses parents de naissance et représente un obstacle au droit de connaître ses origines. Une

adaptation de la législation applicable s’impose donc pour une meilleure prise en compte de l’intérêt de

l’enfant, acteur majeur en la matière.

Mots clés : adoption, adoption coutumière, confiage, filiation, fosterage, intérêt de l’enfant, origines.

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Introduction

L’absence d’enfant dans un couple était et reste source de préoccupation et de nombreux maux,

surtout dans la plupart des ethnies camerounaises1. À l’origine, l’adoption apparaissait comme une

alternative pour de nombreux couples, voire des personnes célibataires, qui souhaitaient connaître

le bonheur d’être parent. Un ou des parents sans enfants pouvaient adopter un descendant destiné

à perpétuer la lignée en héritant des biens et parfois du nom, et à les assister dans leur vieillesse2.

Le but de l’adoption a cependant évolué ; de la recherche d’un descendant héritier, il est passé à la

recherche d’un fils ou d’une fille à chérir, avant d’être aujourd’hui la protection des enfants

abandonnés3. Il convient de relever que, la société traditionnelle africaine en général et

camerounaise en particulier a connu une forme d’adoption particulière, différente de son acception

actuelle et qui subsiste dans les faits.

En effet, l’adoption coutumière ou adoption de fait était et reste une pratique très répandue

dans bon nombre de cultures africaines. Elle s’y trouve pratiquée à travers un modèle de confiage

de l’enfant4. Ce modèle contraste avec celui de l’adoption pratiquée dans les sociétés occidentales5.

Remplissant une fonction sociale multiforme, le confiage de l’enfant vise à renforcer les liens de

parenté ou d’alliance6. Parfois, il est pratiqué en vue de couvrir l’opprobre et la honte des couples

infertiles et leur offrir une progéniture. Il s’agit d’un modèle d’adoption, de type consensuel, à

l’intérieur de la parenté et des alliances. Il présente les caractéristiques d’une adoption simple du

fait qu’il ne rompt pas le lien de filiation avec la famille biologique. Ainsi, en tant que institution

juridique de filiation, l’adoption n’a pas de tout temps existé7. Elle n’apparaît dans le droit français

1 NANA (P. N.), « Aspects psycho-sociaux chez les patients infertiles à la maternité principale de l’hôpital central de

Yaoundé, Cameroun », Clinics in Mother and Child Health, vol. 8, 2011, pp. 1-5. 2 AGNÈS (F.), « L’évolution de l’adoption en France, entre filiation et parentalité », Journal de Pédiatrie et de

Puériculture, Elsevier Masson, 2005, p. 155. 3 Idem. 4 Il s’agit d’un syllogisme pour tenter de mieux désigner ce modèle d’adoption traditionnelle ; en anglais, « fostering »

reste sans doute le terme le plus couramment utilisé. 5 AGNES (F.), « Regard anthropologique et historique sur l’adoption. Des sociétés lointaines aux formes

contemporaines », Informations sociales, 2008, vol. 2, n° 146, p. 10. 6 GOODY (E.), Parenthood and social reproduction : fostering and occupational roles in west Africa, Cambridge

University Press, 1982. 7 AGNES (F.) « L’évolution de l’adoption en France, entre filiation et parentalité », op. cit., p. 155.

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qu’en 1804 avec le code civil8. Ce dernier va résister au temps et traverser les mers pour se diffuser

dans l’empire colonial français où, dans certains pays il reste encore en vigueur aujourd’hui9.

L’adoption au sens juridique du terme est donc définie comme la création, par jugement, d’un

lien de filiation d’origine exclusivement volontaire, entre deux personnes qui, normalement, sont

physiologiquement étrangères10. Il existe en la matière plusieurs types11 : l’adoption ordinaire et

la légitimation adoptive. Dans le premier cas, elle est révocable et il subsiste le lien filial entre

l’adopté et sa famille biologique. Dans le second, elle est irrévocable et le lien juridique entre

l’adopté et sa famille biologique est rompu.

Loin d’être exclusivement une réponse ponctuelle à la souffrance des couples infertiles comme

ce fut le cas à l’origine, l’adoption est aujourd’hui une institution de protection de l’enfant ; elle

vise à donner un toit à un enfant sans parents, ou ayant des parents incapables d’en prendre soin.

Elle doit permettre à un enfant, qui est à un moment donné privé d’une famille, de s’ancrer dans

une nouvelle famille, de lier des liens d’attachement, de se construire une histoire avec un passé,

un présent et un futur. C’est en considérant ce nouveau but, cette nouvelle orientation, que la notion

d’intérêt de l’enfant12 va faire son entrée comme indicateur devant guider les différents acteurs

intervenant dans le processus d’adoption.

L’intérêt de l’enfant est devenu la pierre angulaire de toutes les décisions prises à son endroit.

En matière d’adoption, il est devenue incontournable, au point où aucun acteur ne peut prétendre

à quelque légitimité que ce soit s’il ne souscrit pas d’emblée à ce principe13. En effet, dans sa

perspective la plus élevée, la recherche de l’intérêt de l’enfant devrait être l’âme de l’adoption, la

finalité unique et supérieure qui justifie et transcende toutes ses règles. Le problème est cependant

8AGNES (F.), « Regard anthropologique et historique sur l’adoption. Des sociétés lointaines aux formes

contemporaines », op. cit., p. 10. 9 TCHAKOUA (J.M.), Introduction générale au droit camerounais, PUCAC, 2008, p. 83. 10 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 37. 11 À la différence du législateur camerounais qui a consacré les deux types, le législateur congolais a institué un seul

type d’adoption à savoir l’adoption simple. Voir en ce sens l’article 650 du code de la famille de la République

Démocratique du Congo qui définit l’adoption. 12 La notion d’intérêt de l’enfant est une notion fondamentale qui reste pourtant mal définie ; elle consiste à faire

systématiquement prévaloir l’intérêt d’un enfant face à des intérêts concurrents, notamment ceux de ses parents ou

des tiers ; l’article 523 du code des personnes et de la famille malien prévoit par exemple que toute adoption est faite

uniquement en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. 13 Françoise-Romaine (O.), « L’intérêt de l’enfant adopté et la protection de ses droits », Éthique publique, (2001)

3(1), p. 148.

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que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est défini ni en droit international ni en droit

interne, bien que certaines indications soient données. Ainsi, peuvent être pris en compte les

besoins moraux, intellectuels, affectifs et psychiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère,

son milieux familial et les autres aspects de sa situation14.

L’article 21 de la CIDE dispose en effet que : « les États parties qui admettent et/ou autorisent

l’adoption s’assurent que l’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale en la

matière ». Partant, il nous a semblé nécessaire d’évaluer la législation applicable en la matière au

Cameroun pour s’assurer que l’orientation donnée par la CIDE est respectée. L’adoption, relevant

d’un domaine du droit intimement lié aux mœurs, coutumes et perceptions partagées au sein d’une

société à un moment donné se doit d’évoluer avec celle-ci. La CIDE, prenant en compte le

changement de but de l’adoption, pose des orientations nouvelles qui n’ont point encore été

intégrées en droit camerounais. L’intérêt de cette étude est donc de relever les insuffisances de la

législation camerounaise quant à la prise en compte de l’intérêt de l’enfant en matière d’adoption

et faire des propositions visant à les endiguer.

En raison du principe de la subsidiarité de l’adoption internationale, cette analyse portera

essentiellement sur l’adoption interne. Grâce à cette institution, les enfants abandonnés, orphelins

ou autres devraient pouvoir trouver un foyer, une éducation, une affection qu’aucun organisme ne

saurait leur assurer malgré tout son dévouement. Malheureusement, dans la pratique, cette

institution ne fait pas le grand bonheur des aspirants à la fonction parentale en raison de la vétusté15

des textes applicables en la matière, qui sont de nature à décourager plus d’un postulant. Le code

civil de 1804 encore applicable au Cameroun ne s’arrime pas à la réalité sociale actuelle s’agissant

précisément des règles relatives à l’adoption, puisque l’époque qu’il réglementait est elle-même

révolue16. L’on note une inadéquation des conditions et formes de l’adoption à l’intérêt de l’enfant

(I), d’où la nécessité d’un réaménagement (II).

14 MONA PARÉ, « L’adoption coutumière au regard du droit international : droits de l’enfant vs droits des peuples

autochtones », RGD, vol. 41, n° 2, 2011, p. 638. 15 À titre de comparaison, la législation applicable en matière d’adoption en France a sensiblement évolué avec les

lois de 1976, de 1996 et de 2005. 16 TEGUIA (J.), Plaidoyer pour un accès facile à l’adoption au Cameroun, mémoire de Master, Université de

Dschang, 2012, p. 6.

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I- L’INADEQUATION DES CONDITIONS ET FORMES D’ADOPTION A L’INTERET

DE L’ENFANT

À l’analyse du droit positif camerounais, on s’aperçoit que l’intérêt des protagonistes (et

surtout de l’enfant) n’est pas suffisamment pris en compte tant au regard des conditions (A) que

des formes ou types d’adoption prévus en droit camerounais (B).

A- La rigidité des conditions de l’adoption

En tant qu’institution, l’adoption est soumise à des conditions de fond. Il s’agit des

circonstances qui touchent aux personnes concernées par ladite institution : l’adoptant, l’adopté,

et les rapports qu’ils pourraient entretenir. Lorsqu’on parcourt le code civil, l’on constate que

lesdites circonstances sont loin d’être favorables pour ceux qui seraient intéressés par l’adoption à

nos jours. L’on présentera ces conditions tout en démontrant leur caractère anachronique. Qu’il

s’agisse de l’adoption ordinaire ou de la légitimation adoptive, seront examinées tant les conditions

relatives aux protagonistes (1) que celles relatives aux rapports entre protagonistes (2).

1- Les conditions relatives aux protagonistes

L’on analysera successivement les conditions relatives à la situation conjugale de l’adoptant

(a) et celles relatives à sa situation de descendance (b).

a- La situation conjugale de l’adoptant

L’article 344 du code civil dispose que : « […] toutefois, elle peut être demandée conjointement

par deux époux non séparés de corps dont l’un au moins est âgé de plus de 35 ans s’ils sont mariés

depuis plus de dix ans […] ». À la lecture de cet article, deux points attirent l’attention : il s’agit

d’une part de la condition relative à la durée du mariage et d’autre part celle relative à l’âge. C’est

l’occasion de relever que ces conditions sont identiques qu’il s’agisse de réaliser une adoption

ordinaire ou plutôt une légitimation adoptive.

S’agissant de la durée du mariage, le code civil requiert des époux désirant adopter d’être

mariés depuis plus de dix ans. L’on se demande alors si cette exigence qui, autrefois se justifiait

par la nécessité de s’assurer de la stérilité17 du couple et de sa stabilité reste d’actualité face aux

17 CARBONNIER (J.), Droit civil, la famille, tome 2, 18e éd., PUF, 1997, p. 481.

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progrès de la médecine et au changement de mentalités de la population camerounaise. En effet,

grâce aux progrès de la médecine, la stérilité peut désormais être décelée le plutôt possible ; rien

ne justifie le maintien d’une telle exigence18.

En plus de la durée de mariage, et à condition qu’une séparation de corps n’ait été prononcée,

le code civil exige que l’un au-moins des conjoints soit âgé de plus de trente-cinq ans19. N’eût été

la volonté du législateur de s’assurer de la stérilité du couple, une telle condition d’âge même à

l’époque était excessive. Les mariages étant généralement contractés entre Seize et dix-huit ans20,

demander aux époux d’attendre pratiquement quinze ans avant d’envisager adopter un enfant était

ignorer le but du mariage en Afrique et par ce fait même favoriser les adoptions de fait, sans

garantie aucune pour l’adopté. Que dire de la situation de descendance ?

b- La situation de descendance

Le code civil prévoit en son article 344, alinéa 2 que : « les adoptants ne devront avoir, au jour

de l’adoption, ni enfants ni descendants légitimes. L’existence d’enfants légitimés par adoption ne

fait pas obstacle à l’adoption ». Cet article pose clairement comme condition de l’adoption

ordinaire ou de la légitimation adoptive l’absence d’enfants ou de descendants légitimes issus de

(s) l’adoptant (s). Condition sine qua non de l’adoption, elle fait obstacle dans la pratique à tout

candidat à l’adoption ayant déjà des enfants par le sang. Autrefois nécessaire dans un contexte où

les enfants n’étaient pas traités également, elle visait à protéger les enfants légitimes et s’arrimait

bien au but de l’adoption qui était d’apporter une consolation aux ménages stériles. Cependant,

prenant en compte l’intégration du principe d’égalité en droit de la filiation et l’évolution du but

de l’adoption qui n’est plus d’apporter consolation aux couples stériles mais plutôt d’offrir un foyer

aux enfants qui en sont dépourvus, l’absence de descendance ne devrait plus prévaloir car elle a

perdue de son efficacité. Si les exigences d’âge et de consentement se justifient par des besoins de

sécurité et de sincérité, la condition d’absence de descendance au moment de l’adoption ne cadre

18 En Afrique où l’un des buts du mariage est la procréation, une présomption de stérilité pourrait être tirée du fait

pour deux époux d’avoir passé un temps relativement long sans faire d’enfants ; ce qui conduira sans doute l’un d’eux

à s’en donner aux examens médicaux pour déceler le plutôt possible le problème et ainsi chercher à y remédier dans

la mesure du possible. 19 V. article 344, alinéa 1 du code civil camerounais. 20 V. KUATE-DEFO (B.), « L’évolution de la nuptialité des adolescents au Cameroun et ses déterminants », in

Population, 55e année, n° 6, 2000, pp. 941-973.

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pas avec la conception africaine de la famille21. En outre, il faut relever que l’adoption est parfois

investie, en Afrique, comme un acte magico-religieux ouvrant la chance à l’enfant biologique22.

De plus, comment expliquer qu’en interdisant l’adoption en présence d’enfants légitimes, le

législateur ait prévu que la présence d’enfants légitimés par adoption ou encore la naissance

d’enfants légitimes après l’adoption n’altère pas sa validité ? Il s’agit là d’une grossière

contradiction qu’il convient de corriger. S’il est reconnu que la naissance d’enfant légitime

intervenue après une adoption n’altère pas la validité de celle-ci, et compte tenu du fait que l’enfant

adopté a les mêmes droits et obligations que s’il était né du mariage, en quoi est-ce que la situation

serait différente si l’adoption intervenait plutôt postérieurement à la naissance d’enfant légitime ?

Que l’adoption soit postérieure ou antérieure à la naissance d’enfant légitime, tous ces enfants

auront les mêmes droits et devoirs, ceci en vertu du principe de non-discrimination posé à l’article

3 de la Charte Africaine des Droits et du Bien Être de l’Enfant (CADBEE) de 1990.

L’institution qui, à l’origine ne devait pas concurrencer le mariage légitime23, doit être

réaménagée pour tenir compte de l’évolution tant des buts de l’adoption que de l’abolition de la

hiérarchie entre filiations. Ce réaménagement devant être élargi aux conditions relatives aux

rapports entre protagonistes.

2- Les conditions relatives aux rapports entre protagonistes

L’adoption étant une filiation qui singe la nature, pour qu’elle soit en quelque sorte conforme

à celle-ci, le législateur a entendu s’assurer de l’existence d’une certaine vraisemblance à travers

l’exigence d’une différence d’âge entre adoptant et adopté (a). Il a en outre trouver logique de

subordonner cette création juridique du lien de filiation à une situation affective correspondant

effectivement au rapport familial (b).

21 TIMTCHUENG (M.), Le droit camerounais de la famille entre son passé et son avenir, thèse de Doctorat 3e cycle,

Yaoundé II, 2000, p. 219. 22 TETOU (S.) et al., « Du modèle de confiage à l’adoption plénière de l’enfant : Crises, évolution et émergence d’une

nouvelle parentalité en Afrique (exemple du Togo) », Neuropsychiatr Enfance Adolesc, 2017, p. 1. 23 AGNÈS FINE, « L’évolution de l’adoption en France, entre filiation et parentalité », op. cit., p. 155.

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a- La différence d’âge

Pour s’assurer de toute vraisemblance, le législateur a estimé qu’il était nécessaire de prévoir

un écart d’âge entre l’adoptant ou les adoptants et la personne qu’ils se proposent d’adopter. C’est

dans cette logique qu’il est prévu à l’article 344, alinéa 3 du code civil que les adoptants doivent

avoir quinze ans de plus que les enfants qu’ils se proposent d’adopter. Et si ces derniers sont les

enfants du conjoint, la différence d’âge est ramenée à dix ans. Deux interrogations surgissent alors

à l’esprit : l’on peut se demander si cette différence d’âge est satisfaisante et si en outre elle doit

être appréhendée seule ou être cumulative.

S’agissant tout d’abord de son caractère suffisant, en supposant que cette différence d’âge ait

été déterminée en considération de l’âge nubile chez la femme prévue à l’article 144 du code civil,

l’on peut dire qu’elle est suffisante. Par contre, l’insuffisance dans la prévision législative vient de

ce que le législateur camerounais a omis de prévoir une différence d’âge maximum. En effet, si la

différence d’âge entre adoptant et adopté vise à s’assurer de la vraisemblance de la filiation ainsi

créée, il aurait été souhaitable de prévoir une limite d’âge maximum, cette limite pouvant alors

être fixée en se référant à l’âge de la ménopause chez la femme ou tout autre critère ; ceci pour

éviter qu’un jeune enfant ne puisse être adopté par des personnes qui vraisemblablement pourraient

être, en considération de leur âge, non pas ses parents, mais ses grands-parents .

À la question de savoir si elle doit être appréciée cumulativement avec les autres conditions,

une réponse négative s’impose, qu’il s’agisse de l’adoption de l’enfant du conjoint ou toute autre

adoption. Certes un enfant ne saurait être plus âgé que ses parents, mais cette différence d’âge peut

être sensiblement réduite ou effacée selon les cas, ceci en considération de l’intérêt de l’enfant.

Partant, le législateur pourrait inscrire à la suite de l’article 344, alinéa 3 ci-dessus ce qui suit :

« Toutefois, le tribunal peut, dans l’intérêt de l’adopté, passer outre cette exigence »24. Une telle

recommandation trouverait à s’appliquer qu’il s’agisse d’une adoption extrafamiliale ou

intrafamiliale

24 Une prévision similaire est prévue à l’article 547 du code civil québécois qui dispose que : « L’adoptant doit avoir

au moins 18 ans de plus que l’adopté, sauf si ce dernier est l’enfant de son conjoint. Toutefois, le tribunal peut, dans

l’intérêt de l’adopté, passer outre à cette exigence ».

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b- La question de l’adoption intrafamiliale

L’adoption intrafamiliale peut être entendue comme celle réalisée entre des personnes unies

par un lien de parenté ou d’alliance. Les exemples les plus fréquents sont l’adoption de l’enfant

par ses grands-parents ou par un oncle, une tante. Les législateurs français et québécois se montrent

conciliants envers de telles adoptions qui ne sont pas soumises aux mêmes mécanismes de contrôle

que les adoptions hétéro-familiales25. Ces adoptions peuvent assurer la protection de l’enfant, mais

elles entraînent pour ce dernier un dérèglement de ses repères identitaires et généalogiques26, voire

des troubles psychologiques. En effet, l’adoption doit, avant tout, créer de la filiation respectueuse

de la différence des générations ; or, l’adoptabilité de l’enfant issu de la parenté méconnaît cet

objectif27. Un auteur regrettant l’existence de cette forme d’adoption en France a noté que

l’adoption entre frère et sœur « perturbe fortement les structures familiales, le rapport fraternel se

trouvant changé en un rapport de parent-enfant »28.

Le code civil camerounais, sans expressément traiter de la question a consacré un cas

d’adoption intrafamiliale à savoir : l’adoption de l’enfant du conjoint prévue à l’article 344, alinéa

3 qui ne détermine aucun régime. Partant, l’on peut se demander quelles sont les hypothèses dans

lesquelles elle doit être admise et sous quelle forme doit-t-elle l’être. Pour pallier ces

manquements, l’on pourrait s’inspirer mutatis mutandis de la position du législateur français29 sur

la question. L’adoption à la suite d’un consentement spécial en faveur du nouveau conjoint du

parent qui a la garde de l’enfant devrait créer un lien de filiation avec le beau-parent, sans rompre

la filiation établie avec le parent absent (qui doit y consentir, à moins d’être déchu de ses droits),

sans éteindre la filiation déjà existante entre l’enfant et le parent gardien. C’est dire qu’elle ne

devrait être admise que sous la forme simple. Qu’en est-il des autres hypothèses d’adoptions

intrafamiliales ?

25 LAVALLE (C.), « Pour une adoption sans rupture du lien de filiation d’origine dans les juridictions de civil Law et

de Common Law », Informations sociales, vol. 146, n° 2, 2008, p. 136. 26 LAVALLE (C.), op. cit., p. 136. 27 MAHAMANE COULIBALY, L’adoption et les droits de l’enfant en Afrique francophone : réflexions sur les droits

malien et sénégalais, thèse de Doctorat, Université de Grenoble Alpes, 2015, p. 108. 28 MURAT (P.), note sous Paris, 10 février 1998, Dr. Fam., 1998, comm, n° 83. 29 V. articles 345-1 et 356, alinéa 2 du code civil français.

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Le silence du législateur doit-il être perçu comme une admission ou plutôt comme un rejet de

ces formes d’adoptions ? Faute d’autres précisions, et bien que la jurisprudence y soit favorable30,

il faudrait conclure à leur exclusion. Partant, et pour remédier aux inconvénients qui résulteraient

de cette exclusion, proposition est faite au législateur camerounais de règlementer l’adoption

coutumière pour en faire une institution légale comme son homologue malien31. Au regard des

conditions de fond ainsi étudiées, l’intérêt de l’enfant semble ne pas être la considération

primordiale pour le législateur camerounais en matière d’adoption ; la même observation peut être

faite s’agissant des effets de la légitimation adoptive.

B- L’inadéquation entre légitimation adoptive et intérêt de l’enfant

Cette forme d’adoption voit le jour en France en 196632, grâce à l’intervention d’un nouvel

acteur, l’État, représenté par les services administratifs de la protection de l’enfance33. C’est durant

l’entre-deux guerres mondiales que l’histoire de l’abandon et celle de l’adoption, longtemps

parallèles, se sont croisées de manière durable. Auparavant en effet, non seulement les enfants

adoptés n’étaient pas des enfants abandonnés, mais ces derniers n’étaient pas adoptés34. L’adoption

plénière est exclusive en ce sens qu’elle constitue une barrière à l’établissement de la filiation

d’origine de l’enfant abandonné (2), en outre il faut relever que la distinction adoption et

légitimation adoptive est devenue inopérante en droit camerounais depuis la réforme de 1981 qui

a unifié la procédure d’adoption35. La légitimation adoptive, au regard de ses effets, ne milite pas

en faveur de la préservation de l’intérêt de l’enfant (1).

1- L’inadaptation des effets de la légitimation adoptive à l’intérêt de l’enfant

Comme le relevait un auteur36, les effets de la légitimation adoptive sont inapplicables au

Cameroun ; il est impossible qu’un enfant soit complètement détaché de sa famille par le sang.

Quelle que soit la solidité du lien d’adoption, l’enfant continue d’être tenu à l’égard de sa famille

30 V. TPD de Dschang, Jugement n° 056/C du 26 janvier 2017, Affaire GENTILHOMME Raymond Roger et

AMADZA MANGA Marie Anne ; 31 Voir l’article 522 du code malien des personnes et de la famille. 32 Loi n° 66-500 du 11 juillet 1966. 33 AGNÈS FINE, « L’évolution de l’adoption en France, entre filiation et parentalité », op. cit., p. 157. 34 Idem. 35 Voir l’article 41-1, alinéa 1 de l’ordonnance de 1981. 36 TIMTCHUENG (M.), Le droit camerounais de la famille entre son passé et son avenir, op. cit., p. 221.

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de sang, même si ces devoirs sont moindres. La légitimation adoptive crée une situation identitaire

paradoxale. Elle attribue à l’adopté une filiation adoptive tout à fait exclusive, mais dans un

contexte culturel qui ne permet pas de croire à l’insignifiance de ses liens familiaux d’origine,

lesquels sont conçus comme une part fondamentale de son histoire et de son identité. Le code civil

n’énonce-t-il pas que l’enfant adopté cesse d’appartenir à sa famille d’origine, tout en maintenant

les empêchements à mariage avec les membres de cette famille (père, mère, frère, sœur, etc.)37 ?

Les empêchements à mariage qui subsistent entre l’adopté et les membres de sa famille adoptive

posent l’idée suivant laquelle l’enfant a un passé et un avenir intimement liés à ses origines. La

légitimation adoptive au Cameroun, calquée sur le modèle occidental ne cadre pas avec le contexte

social. En effet, le droit occidental est teinté par la prédominance des droits individuels au

détriment des droits collectifs38. Dans les sociétés occidentales, l’enfant est considéré comme un

individu d’abord et avant tout. Son appartenance à une famille, à une communauté ou à une nation

spécifique ne sera qu’accessoirement prise en considération39.

La personne adoptée plénièrement est tenue de se définir uniquement à travers sa parenté

adoptive, mais l’interdiction qui lui est faite de connaître ses origines familiales et de s’y référer

confère à celles-ci une importance cruciale40. Il n’est pas surprenant, dans ce contexte, que des

adoptés privés de la connaissance de leurs origines se sentent amputés d’une part d’eux-mêmes41.

2- Le déni du passé de l’enfant adopté

La légitimation adoptive assure certes l’égalité juridique de l’adopté par rapport à l’enfant

biologique de ses parents adoptifs ; par contre, le fait qu’elle constitue un obstacle à l’établissement

de la filiation d’origine et fasse de l’enfant un étranger à sa famille d’origine implique que l’enfant

adopté sous cette forme n’a pas, comme tout autre enfant, le droit de connaître ses parents tel que

posé à l’article 7 de la CIDE. Le droit de connaître ses origines biologiques occupe aujourd’hui

une place importante dans le discours juridique. En effet, l’affirmation de l’existence d’un tel droit

37 Voir l’article 370, alinéa 1 du code civil. 38 LAVALLÉE (C.), « L’adoption coutumière et l’adoption québécoise : vers l’émergence d’une interface entre les

deux cultures ? », RGD, vol. 41, n° 2, 2011, p. 682. 39 Idem. 40 FRANÇOISE-ROMAINE (O.) et ROY (A.), « Prendre acte des nouvelles réalités de l’adoption, coup d’œil sur

l’avant-projet de loi intitulé Loi modifiant le code civil et d’autres dispositions législatives en matière d’adoption et

d’autorité parentale », RJT, vol. 3, n° 44, 2010, p. 18. 41 Idem.

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nécessite de s’interroger sur sa véritable signification, ses assises possibles dans notre droit mais

aussi sur la portée que pourrait ou devrait avoir le droit de connaître ses origines. À la réflexion,

on peut se demander si l’intérêt de l’enfant, si souvent invoqué dans ce débat, est réellement servi

par la mise en scène d’une nouvelle naissance faisant fi du passé et des origines biologiques de

l’enfant. Considérant l’impact identitaire de la légitimation adoptive sur l’enfant concerné, il serait

nécessaire que l’on mentionne dans son acte de naissance le fait de l’adoption, ouvrant ainsi la

voie à un possible établissement de sa filiation biologique. En effet, il est possible que l’adopté

exprime un jour la volonté de connaître l’identité de ses parents d’origine, son histoire préadoptive

et le contexte qui a mené à son adoption. Si l’on a pu jadis banaliser la quête identitaire de l’enfant

adopté en y voyant l’expression d’une curiosité déplacée ou d’un caprice malsain, de nombreuses

études permettent désormais d’en saisir l’ampleur et le sérieux42.

La légitimation adoptive répond moins directement à l’intérêt supérieur de l’enfant qu’à celui

des adoptants qui veulent être les seuls parents. L’intérêt de l’enfant, dans le cadre de la

légitimation adoptive, ne peut être apprécié uniquement en fonction de son jeune âge, de ses

besoins immédiats et de la protection que peuvent lui assurer ceux et celles qui sont prêts à

l’accueillir sous leur toit. Il doit l’être aussi au regard de l’impact qu’aura inévitablement la

création d’un nouvel état civil. Il faut non seulement tenir compte de la sécurité et du

développement de l’enfant, mais également du fait que le bambin assigné aujourd’hui à une

nouvelle famille deviendra un jour adolescent, puis une personne adulte qui entendra connaître ses

origines biologiques. L’urgence pour le jeune enfant abandonné est certes d’avoir un ancrage

familial inconditionnel, cependant, cela doit-il nécessairement exclure la possibilité

d’établissement de sa filiation d’origine ? L’intérêt de l’enfant, qui deviendra inévitablement un

adolescent, puis un adulte, est-il de perdre définitivement son lien d’appartenance à sa famille

d’origine en tant que source sociale et symbolique d’identité et d’appartenance ? Faut-il

nécessairement faire obstacle par anticipation aux relations entre un enfant et un parent en grave

difficulté qui lui a fait irrémédiablement défaut, mais qui pourrait bien un jour trouver un meilleur

équilibre ?

42 Idem, p. 33.

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II- PLAIDOYER POUR UNE ADOPTION CONFORME A L’INTERET DE L’ENFANT

Comme évoqué précédemment, l’euphorie que devrait engendrer l’adoption n’est pas très

perceptible au Cameroun, en raison de la vétusté des textes relatifs à ladite institution et du

changement des mentalités ; ce qui justifie largement un souci de réforme de l’adoption. Celle-ci

devant passer par l’assouplissement de ses conditions de fond (A) et la revalorisation de l’adoption

sans rupture du lien de filiation d’origine (B).

A- L’assouplissement des conditions de fond de l’adoption

La réforme de l’adoption au Cameroun doit passer par le réaménagement de ses conditions de

fond, qu’il s’agisse de celles relative à la situation conjugale de l’adoptant, à la situation de

descendance, voire à la différence d’âge entre adoptants et adoptés.

Relativement à la situation conjugale de l’adoptant, tant la durée du mariage que l’âge de

l’adoptant doivent être revus à la baisse. En effet, ne devant plus s’assurer de la stérilité du couple,

et étant donné que cette dernière peut être, en ce XXIe siècle, décelée le plutôt possible, le

législateur camerounais devrait s’inspirer d’autres législations qui ont connu une évolution dans

ce sens pour réaménager la condition d’âge. En France par exemple, l’âge de l’adoptant, marié ou

non a été ramené à plus de vingt-huit ans43. L’Angleterre a mieux fait en ramenant l’âge de

l’adoptant à vingt et un ans44. En considérant l’âge nubile45 prévu en droit camerounais, et s’il

faille tenir compte de la proposition visant à ramener la durée du mariage à deux ans46, le

législateur camerounais pourrait substantiellement modifier la condition d’âge non seulement pour

l’adoption conjointe, mais aussi pour l’adoption individuelle. Il pourrait alors ainsi formuler

l’article 344, alinéa 1 du code civil : « L’adoption n’est permise qu’aux personnes de l’un ou de

l’autre sexe âgées de vingt et un ans (21) au moins ». Partant, il s’inscrirait dans la même logique

que son homologue congolais47.

43 V. article 343-1 du code civil français. 44 V. les articles 50 et 51 de l’Adoption and Children Act de 2002. 45 V. article 144 du code civil camerounais. 46 Cette solution ayant déjà été adoptée par le législateur français, voir l’article 343 du code civil français. À notre

avis, deux années sont largement suffisantes pour vérifier la solidité du couple marié et s’en convaincre de l’aptitude

de la famille d’accueil à recevoir l’enfant.

47 V. article 653 du code de la famille du Congo Kinshasa qui dispose que : « Ne peuvent adopter que les personnes

majeures et capables […] ». La majorité étant alors fixée à 18 ans.

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Si elle convenait bien au but de l’adoption qui était de donner un enfant à un couple stérile,

l’évolution du but de l’adoption et des mentalités de la population devrait conduire la condition

d’absence de descendance dans les décombres. En effet, l’ adoption était sollicitée et l’est encore

aujourd’hui par des personnes ou des couples qui ne souffrent d’aucune stérilité48. La hiérarchie

des filiations ayant cédé la place à l’égalité entre tous les enfants, il n’y a plus lieu de craindre un

amenuisement des droits successoraux de l’enfant légitime en présence d’enfant adopté.

Pour ce qui est de la différence d’âge, son maintien permettrait d’éviter que la maternité ou la

paternité de l’adoptant ne soit pas trop invraisemblable, mais elle ne devrait pas être appréciée

cumulativement avec les autres conditions. En outre, l’adoption ne devrait plus entraîner la rupture

ou constituer une barrière à l’établissement du lien de filiation d’origine.

B- La revalorisation de l’adoption sans rupture du lien de filiation d’origine

Elle passera par le relèvement de l’adoption simple (1) et la reconnaissance de l’adoption

coutumière (2).

1- La revalorisation de l’adoption simple

L’adoption simple traduit en effet l’idée d’une coexistence non seulement en droit, mais aussi

dans la réalité de la vie de l’enfant de plusieurs parents. Elle favorise l’interconnaissance entre les

géniteurs et les parents adoptifs pour ce qui est de l’enfant déjà rattaché aux géniteurs par un lien

de filiation et permettrait l’établissement de la filiation de l’enfant sans filiation (abandonné ou

orphelin) à l’égard de ses parents d’origine qui, après coup, ressentent le besoin de se rattacher à

lui. L’adoption simple permettrait également aux mères d’origine de dédramatiser l’abandon qui

sera alors perçu comme un don altruiste d’un enfant qui gardera des relations avec elles. Elle

pourrait en outre être perçue comme un instrument politique de lutte contre l’avortement.

L’adoption simple apparaît comme la forme d’adoption la plus respectueuse de l’intérêt de

l’enfant, seul critère décisionnel acceptable49. Les limites relevées quant à l’adoption plénière

invitent à réévaluer l’adoption simple, et à éventuellement lui donner une place plus importante,

voire une place exclusive. Il s’agirait alors d’admettre dans le domaine de l’adoption qu’un enfant

48 V. aff. Dame HUGOT GUEYO Rose, TGI de la MIFI, jugement n° 13/civ du 16 décembre 2003. 49 FRANÇOISE-ROMAINE (O.) et al., « L’adoption, projet parental et projet de vie pour l’enfant. L’exemple de la

« banque mixte » au Québec », Informations sociales, 107, 2003, p. 66-75.

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peut avoir besoin pour se construire de plusieurs figures parentales, à condition que le statut des

uns et des autres soit clairement institué sur le plan juridique50.

Les échanges directs entre parents adoptifs et d’origine peuvent en effet favoriser le passage

de l’enfant de sa famille d’origine à sa famille d’adoption en permettant que circulent entre ces

deux familles les paroles, les gestes et les désirs qui font qu’un enfant trouve la place unique qui

lui revient parmi ses proches, sans avoir à se sentir rejeté par les uns et possédé par les autres51.

L’adoption simple semble alors être la seule avenue permettant de respecter l’intérêt de l’enfant à

être adopté, sans qu’il soit pour autant question de lui faire perdre des liens significatifs. À

l’intérieur de la famille cependant, il faudra consacrer l’adoption coutumière.

2- La reconnaissance de l’adoption coutumière

D’emblée précisons le paradoxe consistant à parler d’adoptions de fait ou coutumière. En droit,

l’usage du terme est abusif dès lors qu’il n’y a pas changement de filiation de l’enfant. Cependant,

la manière dont ces transferts informels d’enfants sont vécus et nommés par les acteurs concernés

invite à les rapprocher sinon à les assimiler. En effet, l’usage du mot « adoption » est polysémique

dans l’imaginaire populaire en Afrique. La distinction adoption/fosterage n’est pas communément

réalisée dans le langage commun. Les personnes se réfèrent soit à l’adoption (simple ou

légitimation adoptive) soit au fosterage ou adoption coutumière, tout en parlant d’adoption52.

Pourtant, dans le premier cas, il s’agit d’une procédure juridique régie par l’État, alors que dans le

second cas il s’agit d’une pratique privée entre parents. Le recours à cette pratique étant dans

certains cas justifié par les difficultés liées aux conditions et à la procédure d’adoption ci-dessus

évoquées ; les candidats à l’adoption jugeant la loi trop contraignante53. Dans d’autres cas, elle

trouve son fondement dans une logique de solidarité familiale et lignagère et le refus d’intégrer un

enfant étranger dans la famille. Outre la règle qui pousse à garder le patrimoine dans la famille et

50 Idem. 51 FRANÇOISE-ROMAINE (O.) et ROY (A.), « Prendre acte des nouvelles réalités de l’adoption, coup d’œil sur

l’avant-projet de loi intitulé Loi modifiant le code civil et d’autres dispositions législatives en matière d’adoption et

d’autorité parentale », op. cit., p. 22. 52 BONNET (D.), « Adopter un enfant dans le contexte de la procréation médicalement assistée en Afrique

subsaharienne », Cahiers d’études africaines, n° 215, 2014, p. 770. 53 Idem, p. 773.

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à rester solidaire des proches auxquels on se sent lié affectivement, une autre raison d’adopter dans

la parenté peut être : la certitude de savoir « à quel sang on a affaire ».

De manière générale, on peut donc définir l’adoption coutumière comme un arrangement privé

entre deux familles, qui sert à décider d’un transfert de responsabilité à l’égard de l’éducation et

du soin d’un enfant. En l’état actuel de la pratique en effet, il s’agit essentiellement du transfert

des responsabilités parentales sur une base temporaire ou indéterminée ; la mesure peut être conçue

au départ comme temporaire, mais elle peut durer par la suite sur une longue période et devenir

permanente. Dans ces conditions, il n’est pas toujours aisé de savoir s’il s’agit d’une délégation

complète des droits parentaux ou d’un partage de l’autorité parentale, qui serait exercée

conjointement par les parents biologiques et les adoptants. Il n’est non plus aisé de savoir si

l’enfant ainsi adopté peut être compté parmi les héritiers de ses parents adoptifs ; ce qui n’est pas

dans son intérêt. En l’absence de quelques décisions qui auraient attribué la tutelle ou consacré

l’adoption de l’enfant, la société traditionnelle reconnaît l’existence d’un lien de filiation de fait

plus fort que celui qui unit l’enfant à ses parents biologiques ; les obligations qu’a l’enfant vis-à-

vis de son « tuteur » dépassent celles qu’il aurait envers ses parents par le sang54. Comme le

relevait un auteur55, l’adaptation de l’adoption à l’intérêt de l’enfant doit donc tenir compte de

cette donnée de notre vécu de tous les jours.

Le manque de reconnaissance juridique de l’adoption coutumière peut rendre l’exercice de

l’autorité parentale très difficile pour les adoptants dans les cas où l’enfant confié était déjà

juridiquement rattaché à ses parents biologiques ; en effet, l’autorité parentale appartient aux

parents juridiques, et sans reconnaissance légale de ce transfert d’autorité parentale au profit des

adoptants, ceux-ci ne pourront valablement exercer l’ensemble des droits et obligations qui sont

censés leur avoir été transmis par les parents biologiques dans l’intérêt de l’enfant. Les adoptants,

s’ils ne sont pas les tuteurs légaux de l’enfant, pourraient avoir des difficultés à inscrire l’enfant à

l’école, à consentir aux soins de santé pour l’enfant, à lui obtenir un passeport, à pouvoir voyager

avec lui à l’étranger etc. Ces raisons sont présentées au soutien de la nécessité de reconnaître la

pratique. En sens contraire, la reconnaissance juridique de l’adoption coutumière pourrait elle aussi

54 TIMTCHUENG (M.), Le droit camerounais de la famille entre son passé et son avenir, op. cit., p. 219. 55 Idem, p. 220.

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poser des problèmes selon les effets de cette reconnaissance ; s’il s’agit de la reconnaissance avec

un transfert des effets juridiques de l’adoption plénière par exemple, comme en Colombie-

Britannique56, on risque de dénaturer cette dernière. Les effets de l’adoption légale, notamment la

légitimation adoptive, peuvent être trop radicaux, car ils entraînent notamment le changement de

filiation, le retrait de tous les droits parentaux des parents biologiques, la coupure des liens avec la

famille biologique, les modifications en matière de droit des successions, etc.

L’adoption coutumière concerne majoritairement des nouveau-nés. En principe, le transfert de

l’enfant se réalise à l’intérieur de la famille élargie, mais pas exclusivement. La décision d’adopter

ou de donner l’enfant en adoption est prise durant la grossesse de la mère ou dès les premiers jours

après la naissance. Cependant, il peut arriver que l’enfant soit plus âgé. Dans ces hypothèses, un

ascendant ou un parent en ligne collatérale peut l’adopter sous la forme coutumière. Adoptés au

sein de leur famille, ces enfants vivent souvent dans la même maison que leur mère biologique57.

Si ce n’est pas le cas, l’enfant connaît généralement l’identité de ses parents et peut continuer

d’entretenir, ou non, des relations avec eux. Cette ouverture est considérée comme positive par

toutes les parties. Tout le processus se déroule verbalement ; la parole donnée est sacrée58.

L’adoption coutumière se réalise sans intermédiaire, sans papier et sans délai.

La difficulté en cas de reconnaissance de cette forme d’adoption résidera au niveau de sa

preuve. Pour pallier celle-ci, la procédure pourrait consister à colliger les renseignements sur

l’enfant, ses parents biologiques et l’(es) adoptant dans une attestation établie devant notaire.

L’attestation devrait être signée par le notaire, les parents biologiques, l’(es) adoptant et

éventuellement les témoins. Dans les cas où l’enfant n’a pas de filiation établie, en raison du décès

de sa mère en couche par exemple, l’accouchement valant reconnaissance à l’égard de la mère,

son acte de naissance serait établi avec le « vide » dans la zone réservée à la mention du nom du

père, ceci pour permettre à ce dernier de reconnaître son enfant ultérieurement le cas échéant.

L’acte délivré par le notaire n’est pas un acte de naissance, mais une attestation d’adoption

coutumière devant produire des effets quasi-identiques à ceux produits par un jugement d’adoption

56 Adoption Act, R.S.B.C. 1996, c. 5. 57 L’adoption est souvent réalisée par les grands-parents parce que la mère est trop jeune et n'est pas encore prête à

élever un enfant. 58 LAVALLÉE (C.), « L’adoption coutumière et l’adoption québécoise : vers l’émergence d’une interface entre les

deux cultures ? », op. cit., p. 662.

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simple. Il faut admettre que ces adoptions produisent presque les mêmes effets que si elles avaient

eu lieu selon le droit étatique. La solution ainsi proposée est contraire à celle prévue au Québec

où, s’appuyant sur le préambule de la loi sur la reconnaissance de l’adoption selon les coutumes

autochtones, la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest s’est dite d’avis que les effets de l’«

adoption coutumière » devaient être déterminés par la coutume et qu’en conséquence, les effets

prévus au régime général d’adoption ne trouvaient aucunement application en l’espèce59.

Ainsi, l’adoption coutumière devrait créer une obligation alimentaire réciproque entre adoptant

et adopté, voire une vocation successorale. En effet, « dans la coutume, une fois que le père mettait

un enfant sous sa protection ou que l’enfant était né dans sa concession, il n’hésitait pas à lui

conférer les attributs de fils de la concession »60. Comme dans l’adoption simple, l’enfant adopté

coutumièrement devrait pouvoir hériter des biens de ses parents biologiques en plus de ceux de

ses parents adoptifs. Elle ne devrait cependant entraîner aucun changement dans la filiation ou

dans l’identité juridique de l’enfant. Le maintien du lien de filiation entre l’enfant et les parents

biologiques sans création d’un nouveau lien avec les parents adoptants devant être perçu comme

un élément fondamental de la pratique. Un mécanisme à peu près similaire est consacré en droit

malien, et sa particularité invite à le mentionner ; il s’agit de l’adoption-protection.

L’adoption-protection est une institution consacrée par le droit malien dont l’objet est d’assurer

l’entretien, l’éducation, la protection matérielle ou morale d’enfants sans toutefois créer de lien de

filiation entre l’adoptant et l’adopté. D’après l’article 58 du code de la parenté malien61, toute

personne majeure peut recueillir un ou plusieurs enfants mineurs en état d’abandon matériel ou

moral qui lui sont simplement remis par les parents. L’adoption-protection a lieu selon les règles

de la tradition, sans égard au nombre d’enfants et sans autres conditions que la prise en charge

effective. Elle s’exerce au bénéfice d’enfants orphelins ou non, sans distinction tenant à la filiation,

à la race, à la religion ou à la nationalité. L’adoption-protection est sans effet sur les attributs de la

59 S.KK. v. J.S., [1999] N.W.T.J. 94 (aussi répertorié Kalaserk v. Strickland), cité par FOURNIER (A.), « L’adoption

coutumière autochtone au Québec : quête de reconnaissance et dépassement du monisme juridique », RGD, vol. 41,

n° 2, 2011, p. 727. 60 DJONKO KAMDEM (J. F.), Étude jurisprudentielle de l’énonciation de la coutume bamiléké en matière de

succession, mémoire de maîtrise, Université de Dschang, 2000, p. 71. 61 Ordonnance n° 73-036 du 31 juillet 1973 ; voir également les articles 526 et suivants de loi n°2011 – 087 du 30

décembre 2011 portant code des personnes et de la famille.

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personnalité de l’adopté, le domicile légal excepté62 ; elle n’ouvre droit à la succession que dans

les conditions prévues par la loi sur les successions.

Conclusion

Dans toute procédure d’adoption, l’enfant est la personne la plus vulnérable et celle vers

laquelle doivent converger les préoccupations éthiques. L’intérêt de l’enfant est l’âme de

l’adoption ; cependant, en droit positif camerounais, il n’est pas suffisamment pris en compte. L’on

note un certain anachronisme quant aux conditions de fond de l’adoption. Donner un enfant à des

parents qui n’en ont pas, tel n’est plus l’objet de l’adoption au 21e siècle. L’adoption de nos jours

vise à offrir un cadre familial à un enfant qui en est dépourvu. Partant, nombre de conditions de

fond adapté à l’objet passé doivent connaître une évolution pour s’adapter à la nouvelle orientation.

À titre illustratif, il n’est plus nécessaire de s’assurer de la stérilité du couple adoptant pour lui

ouvrir accès à la procédure. En outre, la revalorisation de l’adoption simple au détriment de

l’adoption plénière participera aussi de la mouvance qui vise à garantir à l’enfant le droit à la

connaissance de ses origines. En facilitant l’adoption, notamment par l’assouplissement de ses

conditions, l’on permettrait à bon nombre de personnes de surmonter leur handicap, en même

temps on permettrait aux enfants en détresse, dont le nombre ne cesse de croître, de pouvoir

bénéficier de la chaleur d’une famille normale. L’adoption coutumière telle que proposée ne

devrait être admise qu’à l’intérieur de la parenté, c’est-à-dire lorsqu’il sera question d’adopter le

neveu, la nièce, le petit fils, etc. La reconnaissance d’un tel mécanisme ne saurait donc résoudre le

problème du vide juridique en matière d’adoption en zone anglophone qui reste d’actualité.

62 Voir l’article 63 du code de la parenté.

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La nature du droit du titulaire d’un compte

Par :

Alice TOUAIBA TIRMOU

Doctorante en droit privé

Université de Ngaoundéré (Cameroun)

Résumé :

La théorie classique de la distinction établit entre le droit réel et le droit personnel

caractérisé par une certaine rigidité semble ne plus être efficace. De nombreuses hypothèses à nos

jours, présentent des droits dénués de sujet passif c’est-à-dire des droits qui ne s’exercent ni sur

une chose ni contre une personne, il existe également des « droits doubles » qui s’exercent en

même temps sur une chose et sur la tête d’une personne comme le présente le droit exercé par le

titulaire d’un compte. En effet, le titulaire d’un compte exerce un pouvoir ou mieux, un droit

concomitamment sur son compte et sur la tête de l’établissement monétaire émettrice. La présente

étude a pour ambition de définir la nature du droit exercé par le titulaire d’un compte. Il ressort

de cette analyse que ce droit se trouve être entremêler. On y retrouve en même temps les

caractéristiques du droit de créance et ceux du droit de propriété. La non détermination exacte de

la nature du droit du titulaire d’un compte s’avère être dangereux dans la mesure où chaque type

de droit à un fonctionnement propre à lui. C’est ainsi que le droit de créance diffère du droit de

propriété de part plusieurs aspects à savoir : leurs natures, leurs origines, leurs mécanismes de

transmission, leurs opposabilités aux tiers, leurs effets sur le patrimoine de leur titulaire et surtout

de par les privilèges qu’ils confèrent à leur titulaire. Néanmoins du fait de la présence des

caractéristiques fondamentales du droit de créance dans l’exercice du droit du titulaire d’un

compte, nous sommes parvenus à une fin avec l’idée que le droit exercé par le titulaire d’un compte

est un droit de créance d’une particularité prononcée.

Mots-clés : Droit réel, Droit personnel, Etablissement monétaire, Titulaire, Compte, Nature du

droit.

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Introduction

Un compte, dans son acception globale, se révèle de nos jours, indispensable dans la vie

quotidienne pour percevoir des ressources financières et effectuer des dépenses ou des charges.1

Son utilité et son usage sont des plus exponentiels et ne cessent de faire des adhérents au fil du

temps. Le compte est un terme que peu de personne peuvent définir précisément car c’est un terme

complexe, un terme à multiple définitions au regard de la nature et des objectifs distincts.2 Tout

d’abord il existe des comptes dans différents types d’établissements monétaires. On peut ouvrir un

compte dans un établissement bancaire aussi bien dans les banques centrales que dans celles

spécialisées3, un compte peut également exister dans un établissement émetteur de monnaie

électronique4 tel que les opérateurs de téléphonie mobiles qui mènent désormais des opérations

bancaires. Ainsi, de manière globale, un compte peut être entendu comme un contrat par lequel

une personne dépose des fonds (sommes d’argent) dans un établissement monétaire qui lui

permettra d’effectuer des opérations financières diverses comme relevé plus haut, à l’instar de la

perception d’un salaire, la réalisation des dépenses de différentes natures, des virements ou des

prélèvements. Il faut préciser qu’il existe plusieurs comptes de différent type à savoir le compte

courant qui est le plus classique et le plus courant, le compte épargne, le compte à terme, le compte

joint ou indivis, pour ne citer que ceux-là. Ces comptes se différencient selon leur utilisation.

Toutefois, malgré cette distinction, malgré cette diversité de comptes, le droit exercé par le titulaire

reste indifféremment le même, quitte à ce qu’il soit exercé sur tel ou tel autre type de compte

Nonobstant le visage attrayant de l’usage d’un compte, le compte reste pour le droit un

domaine partiellement exploré et donc partiellement réglementé. Les relations juridiques qu’il

génère ont besoin d’une linéature, ou mieux, d’une détermination bien précise. La question de la

nature du droit du titulaire d’un compte mérite d’être posée. De ce fait, la nature du droit exercé

par le titulaire d’un compte reste à déterminer.

1 Un compte peut servir à recevoir un salaire, une pension, ou une quelconque paie, il sert à conserver son argent, à

réaliser des dépenses de différentes natures (achat, paiement de facture,..), des virements ou des prélèvements. 2 Compte bancaire : type, fonctionnement et frais en 2021, https://selectra.info. 3 Compte bancaire 4 Compte mobile dans sa généralité mais il existe également des appellations spécifiques selon l’opérateur de

téléphonie mobile qui l’émet ; C’est ainsi qu’on peut relever : compte Orage Money pour les comptes créés par la

société Orange,… etc.

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Le présent article se donne pour objectif de déterminer la nature du droit exercé par le

titulaire d’un compte. En tout état de cause, il n’est pas aisé de dire avec certitude, quel type de

droit le titulaire d’un compte exerce puisque ce dernier se comporte tantôt comme un propriétaire

tantôt comme un créancier. L’on note dans l’exercice de ce droit un « melting-pot »5 de droit de

différente nature (droit de créance et droit de propriété6) avec prédominance du droit de créance.

Cet entremêlement au sujet de la nature du droit du titulaire d’un compte amène à se demander

quelle est la véritable nature du droit exercé par le titulaire d’un compte ? Autrement dit, comment

peut-on donc qualifier le droit dont dispose le titulaire d’un compte ? Nous sommes à même

d’orienter notre interrogation sur la rigidité de la distinction classique établit entre le droit réel et

le droit personnel. Ainsi, nous nous posons la question de savoir si la distinction classique du droit

réel et du droit personnel est applicable au droit exercé par le titulaire d’un compte, considérant

que ce dernier s’exerce concomitamment sur une chose, le compte et sur la tête d’une personne

qui est l’établissement monétaire émettrice.

Cette interrogation revêt d’une importance d’envergure tant sur le plan théorique que

pratique. Au plan théorique, elle permet d’abord de déterminer le régime juridique applicable au

titulaire d’un compte, car chaque type de droit à un fonctionnement propre à lui. Le droit de créance

a un mécanisme de fonctionnement et des règles de droit distincts de ceux applicables au droit de

propriété. C’est ainsi que le droit de créance diffère du droit de propriété de part plusieurs aspects

à savoir : leurs natures, leurs origines, leurs mécanismes de transmission, leurs opposabilités aux

tiers, leurs effets sur le patrimoine de leur titulaire et surtout de par les privilèges qu’ils confèrent

à leur titulaire. Cette interrogation, sur le plan théorique vient ensuite incontestablement illustrer

le caractère évolutif de la nature du droit, permettant de renouveler la réflexion y relative et de

soutenir l’idée d’une réforme nécessaire du droit des biens7 ; par exemple en instaurant un droit

5 Expression anglo-saxonne qui signifie brassage, assimilation, mélange, un lieu où se mêlent divers éléments. Dans

notre contexte, il s’agit de l’entremêlement du droit de créance et du droit de propriété sur la tête du titulaire d’un

compte. 6 Le droit réel étant un droit s’exerçant sur une chose alors que le droit personnel s’exerce sur une personne. Ces deux

droits de différente nature, ont conséquemment des mécanismes de fonctionnement et des effets différents. 7 D’ailleurs, il existe en France, un avant-projet Catala initié par l’Association Henri Capitant des Amis de la culture

juridique française au printemps 2006 sur la réforme du droit des biens, disponible en ligne. Aussi, la doctrine n’a pas

tardé à s’interroger sur l’avenir de cette discipline, en ce sens voire Romain BOFFA (dir.), L’avenir du droit des biens,

op.cit., pp. 1-207. Des critiques sont déjà formulées à propos de cet avant-projet. En ce sens, William DROSS et

Blandine MALLET-BRICOUT, « L’avant-projet de réforme du droit des biens, premier regard critique », Recueil

Dalloz 2009, pp.508 et s.

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mixte ou alors un droit de créance typique ou particulier qui pourrait s’appliquer aisément aux

situations similaires au compte. En effet, la classification du droit de créance et du droit de

propriété semble être trop rigide, car il existe à nos jours, certains droits de propriété qui, bien que

n’ayant pas n’étant pas considéré comme des droits de créances, sont ponctués à certains égards

par des caractères du droit de créance, et vice versa. C’est dans ce même sillage que Mme Nadège

REBOUL-MAUPIN à penser à une rénovation de la summa divisio8 des personnes et des biens9.

L’on relève alors à cet égard que l’ensemble des summa divisio connues en droit civil en général

et plus précisément en droit des biens connaît de profondes mutations. Que l’on songe à la

distinction des personnes et des choses ou à la classification des droits subjectifs, il est notoire de

constater une porosité entre les différents critères adoptés.

Sur le plan pratique, les clarifications juridiques relatives au droit exercé par le titulaire

d’un compte contribueraient à limiter les contentieux liés à l’usage d’un compte. Plus précisément,

le titulaire d’un compte, en contractant, espère à tort détenir les droits de propriétés sur les fonds

déposés et se retrouve alors buté face aux nombreuses contraintes qui s’imposent à lui telles que

la limitation du droit d’usage plus précisément. Une entreprise de clarification de la nature du droit

exercé par le titulaire d’un compte permettra de déterminer avec exactitude, le régime juridique

applicable à ce droit, ce qui participera à la réalisation de l’exigence d’objectivité postulée par la

sécurité juridique.

En tout état de cause, le droit exercé par le titulaire d’un compte n’est ni un véritable droit

de propriété ni un droit de créance au « stricto sensu », mais un droit de créance particulier, ce qui

aboutit alors à l’exercice d’un droit de créance typique ou alors spécial. En effet, il n’est à point

douter que le droit du titulaire d’un compte est un droit de créance, d’où le qualificatif de

8 La summa divisio est une expression d’origine latine qui signifie : « la division la plus élevée ». Elle se compose du

superlatif summus au féminin summa qui signifie « la plus haute » ou « la plus élevée » et du substantif divisio qui

veut dire « division ». 9 Nadège REBOUL-MAUPIN, « Pour une rénovation de la summa divisio des personnes et des biens », Actu-

juridique.fr, 28 Décembre 2016. Dans cet article, il est dénoncé la mise à l’épreuve de la summa divisio des personnes

et des biens qui fait en sorte que certaines entités juridiques ont du mal à trouver leur juste place qui s’ordonne à partir

de cette séparation radicale. L’illustration est prise avec le cas des animaux et celui de l’embryon qui sont concernés

par l’indestructible logique binaire biens-personnes. Afin de surmonter cette fragilité, l’auteur de cet article propose

l’une des solutions, l’adaptabilité de la summa divisio en ménageant la dissociation des biens et des personnes en y

ajoutant une catégorie intermédiaire. Cette solution peut s’appliquer en matière de droit réel ou droit personnel et plus

précisément en matière du droit du titulaire d’un compte.

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« titulaire d’un compte» et non de « propriétaire d’un compte ». Cette qualification oriente déjà

vers le type de droit que le titulaire d’un compte exerce. C’est alors un droit personnel 10 ; Le droit

personnel encore appelé droit de créance renferme des caractéristiques fondamentales que l’on

retrouve dans le droit exercé par le titulaire d’un compte (I). Toutefois, il existe dans l’exercice de

ce droit des dérogations au droit de créance dans la mesure où l’on note des limites au droit de

créance ; il est également retrouvé dans ce même droit exercé par le titulaire d’un compte, des

caractéristiques d’un droit de propriété (II).

I- LE DROIT DU TITULAIRE D’UN COMPTE, UN DROIT DE CREANCE A

DOMINANCE

Au premier abord, le droit du titulaire d’un compte peut être qualifié de droit de créance.

On entend par là, un droit établissant un rapport permettant à une personne, le créancier, d’exiger

d’une autre, le débiteur, une obligation quelconque. Il s’oppose au droit réel11. Le droit de créance

est donc ce droit qui permet au créancier d’exiger du débiteur l’exécution d’une obligation. Le

droit de créance est « généralement utilisé pour désigner le droit d’exiger la remise d’une somme

d’argent »12 selon le lexique des termes juridiques. Il est alors synonyme d’une dette ou d’une

obligation. En effet, du point de vue du créancier, il s’agit à proprement parler de droit de créance

et du point de vue du débiteur, il s’agit d’une obligation. Il ressort de cette définition que le droit

de créance s’exerce à l’encontre d’une personne et crée des exigences à l’encontre de cette

dernière. C’est le même mécanisme qui se perçoit dans les rapports de droit entre le titulaire d’un

compte et d’un établissement monétaire. En effet, le titulaire d’un compte exerce un droit personnel

à l’encontre de l’établissement monétaire (A) et ce droit personnel dont détient le titulaire du

compte, permet à ce dernier d’exiger de l’établissement émettrice, des obligations ou des

prestations diverses (B).

10 Cf. Infra. 11 Le droit réel est un droit subjectif qui porte sur une chose. Il est définit selon l’article 544 du code civil comme le

droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue à moins de ne pas en faire un usage prohibé par

les lois ou par les règlements. 12 Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT, Lexique des termes juridiques, 17e édition, Dalloz, 2010.

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A- L’établissement d’un rapport personnel au profit du titulaire d’un compte

Le droit de créance peut être considéré comme un droit personnel, c’est-à-dire un droit

subjectif d’exiger d’une personne une prestation. C’est en effet un rapport juridique entre deux ou

plusieurs personnes. Contrairement au droit réel qui s’exerce directement sur une chose, le droit

personnel s’exerce contre une personne. En effet, pour que l’on soit en présence d’un droit de

créance, il faudrait que le droit ou le pouvoir exercé par le créancier le soit sur la tête d’une

personne et que celle-ci soit redevable vis-à-vis du créancier c’est-à-dire, qu’elle soit son débiteur.

Plus spécifiquement, le titulaire d’un compte exerce un droit personnel à l’encontre d’une personne

morale (1) et cette dernière agit en tant que débitrice vis-à-vis du titulaire du compte (2).

1- L’exercice du droit personnel du titulaire d’un compte à l’encontre de

l’établissement monétaire, personne morale

La personne morale sur laquelle le titulaire d’un compte exerce son droit de créance n’est

autre que l’établissement monétaire dans lequel il possède un compte. IL n’est plus à démontrer

que l’établissement monétaire constitue une personne morale. D’ailleurs en vertu de l’article

L.511-1 du Code monétaire et financier13, « les établissements de crédit sont des personnes

morales (…) ». Toutefois, il convient de présenter l’établissement émetteur comme une personne

morale. En effet, l’établissement monétaire est doté de la personnalité juridique suite à son

agrément.

Pour exercer valablement une opération bancaire, l’établissement concerné doit être

agrémenté. Dès l’or qu’un organisme souhaite exercer à titre professionnel les services de

paiement, il doit présenter un agrément en qualité d’établissement de paiement à l’autorité de

contrôle prudentiel. Au Cameroun, il s’agit de la Banque Centrale (au Cameroun BEAC) et de la

COBAC pour les Etats de l’Afrique centrale ou l’UEMOA pour les Etats de l’Afrique de l’Ouest.

Relativement à l’émission des moyens de paiement électronique, l’article 4 alinéa 1 du règlement

n°01/11-CEMAC/UMAC/CM relatif à l’exercice de l’activité d’émission de monnaie électronique

précise que « l’exercice de l’activité d’émission de monnaie électronique est soumis à

l’autorisation de la BEAC ».

13 Article L.511-1 du Code Monétaire et Financier français modifié le 27 Octobre 2021.

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L’agrément confère à un établissement monétaire, dûment constitué, le droit d’exercer une

activité bancaire ou financière dans un Etat membre de l’union l’ayant agrémenté. Ainsi, ils

peuvent offrir en libre prestation des services bancaires ou financiers dans toute l’union ou s’y

installer librement selon les modalités définies. Par ricochet, l’agrément contribue à l’attribution

de la personnalité juridique à l’établissement monétaire. Cette personnalité juridique donne à

l’établissement des droits et des devoirs. Concernant les droits, on peut au préalable faire mention

de l’individualisation de l’organisme monétaire. Ce dernier possède un nom, un domicile qui est

son siège social et un patrimoine propre à lui qui est constitué de l’ensemble des apports des

associés et des recettes qu’ils font suite à leurs activités. Ensuite, un droit lié à l’action en justice

qui lui donne la latitude de représenter ses associés en justice et de les défendre et enfin le droit

d’ester en justice. Pour ce qui est des devoirs de l’établissement monétaire, il faut préciser qu’ils

sont assez nombreux. On peut relever l’exécution de sa prestation envers ses clients14 (ordre de

paiement, d’encaissement, …) et les devoir liés au domaine fiscal.

2- L’exercice de la prestation de débiteur par l’établissement émetteur

Dans les rapports de droit entre le titulaire d’un compte et l’établissement émetteur, ce

dernier est le débiteur et le titulaire du compte en est le créancier. Sachant que le débiteur encore

appelé ‘‘solvens’’ désigne une personne physique ou morale qui doit une somme d’argent à une

autre personne qui représente le créancier. Le débiteur a donc une dette envers le créancier. Il faut

toutefois préciser que la dette n’est pas que financière, elle peut se décliner en l’obligation

d’exécution d’une prestation. Un débiteur est donc soumis au droit des obligations. Il existe de

nombreux types de dettes qui peuvent faire naitre une relation d’obligation entre deux personnes,

notamment le créancier et le débiteur. Une dette peut se créer suite à une transaction commerciale

ou financière ou à la contraction d’un emprunt.

Il importe toutefois de préciser qu’il peut se poser des hypothèses où il y a renversement

de la tendance et que la dette se pose plutôt sur la tête du titulaire lui-même. Ainsi, un établissement

monétaire peut être autorisé à octroyer des crédits (c’est le cas des établissements de crédits) et

lorsqu’elle le fait, le client bénéficiaire c’est-à-dire le titulaire d’un compte, sera tenu de

14 Cf. Infra

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rembourser le crédit octroyé sur un temps échelonné et le plus souvent avec intérêt15. On dit alors

que le titulaire du compte se trouve dans une situation de découvert16 qui implique que son compte

est débiteur17. Hormis cette hypothèse, l’établissement monétaire est le débiteur et le titulaire du

compte, le créancier.

En effet, l’établissement monétaire est redevable envers le titulaire d’un compte suite au

dépôt effectué dans son agence considérée comme un prêt puisqu’il est restituable. « Une bonne

partie des ressources courantes de la banque est constituée par les dépôts de la clientèle. Ces

dépôts collectés par les banques constituent une dette à l’égard des déposants »18.

Il découle de cette dette, en même temps l’exécution d’une prestation financière et

l’exécution d’une prestation matérielle de la part de l’établissement émetteur à l’égard du titulaire.

C’est ainsi que l’établissement monétaire exécute les ordres de paiement et d’encaissement du

titulaire d’un compte.

B- L’établissement d’un rapport d’obligation au profit du titulaire d’un compte

Le titulaire d’un compte est en droit d’exiger des prestations diverses à l’égard de

l’établissement monétaire. Ces prestations ou mieux, ces obligations sont des plus diverses et qui

peuvent bénéficier soit au titulaire lui-même soit à un tiers. Néanmoins, on peut les regrouper en

15 L’intérêt, qui, dans son acception financière est la rémunération d’un prêt, sous forme, généralement, d’un versement

périodique de l’emprunteur au préteur. Pour le préteur, cela représente le prix de sa renonciation temporaire à une

consommation : il ne peut utiliser son argent puisqu’il l’a prêté. Pour l’emprunteur, c’est un coût correspondant à une

consommation anticipé. Il peut faire usage d’une somme d’argent, par exemple pour payer l’achat d’un bien ou d’un

service, avant d’avoir acquis les ressources nécessaires pour se l’offrir. Une épargne rémunérée par un intérêt est

assimilable à un prêt, l’emprunteur étant la banque ou l’organisme bénéficiaire de cette épargne. En d’autres termes,

le client qui dépose de l’argent sur un compte à la banque prête en réalité cette somme à celle-ci et reçoit donc un

intérêt correspondant à ce prêt. L’intérêt accru quant-à lui représente les intérêts qui ont été gagnés mais pas encore

payés. 16 Un découvert est un solde négatif sur votre compte. Cela signifie que les sommes prélevées sont supérieures aux

sommes créditées sur votre compte. Vous pouvez prévoir avec votre établissement monétaire une autorisation de

découvert. En contrepartie du découvert, vous paierez des intérêts débiteurs (agios). En cas de dépassement du

découvert, la banque peut vous facturer des frais et commissions bancaires, dont le montant est plafonné. L'autorisation

de découvert peut être révisée ou annulée. 17 On dit qu'un compte est débiteur ou a un solde débiteur lorsque le montant total des sommes enregistrées au débit

est supérieur à celui inscrit au crédit du compte. Un compte bancaire débiteur est alors un compte bancaire dont le

solde est négatif. Autrement, un compte sur lequel il y a eu trop de débit. 18 La finance pour tous, « Dépôts, crédits et création monétaire », https://WWW.lafinancepourtous.com , Publié le 10

Aout 2020.

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deux grandes catégories ; à cet effet, les prestations de l’établissement monétaire impliquent d’une

part, les ordres de paiement (1) et d’autres parts, les ordres d’encaissement (2) de ses clients.

1- L’exécution des ordres de paiement du titulaire d’un compte

Le titulaire d’un compte peut faire des ordres de paiement à l’encontre de l’établissement

monétaire et ce dernier est tenu de l’exécuter. Un ordre de paiement est une instruction donnée à

un établissement monétaire, qui est son teneur de compte, de mettre une somme d’argent ou mieux,

de transférer de l’argent de son compte à un certain bénéficiaire. Cette instruction peut être donnée

pour une opération précise ou pour une série de transferts à des dates différentes. Ainsi, le fait

d’effectuer un virement, un prélèvement ou même un retrait de son compte est constitutif d’un

ordre de paiement.

Un virement représente une opération par laquelle des fonds sont transférés d’un compte

vers un autre compte. C’est en d’autres termes, une opération d’envoi et de réception d’argent

entre deux comptes bancaires. L’ordre de débit ou de crédit doit être donné par le propriétaire du

compte ou par chacun des propriétaires des comptes respectifs à leur établissement monétaire. La

personne qui demande l’émission du virement et dénommée le « donneur d’ordre », celle qui

reçoit l’argent est appelé le « bénéficiaire ». L’exécution d’un virement peut intervenir dans la

minute, c’est-à-dire dans l’immédiat ou alors intervenir à une date programmée.19 Lorsque le

virement est effectué dans un même établissement monétaire, on parle de virement interne,

lorsqu’il est effectué dans deux établissements différents on parle de virement externe. Lorsque le

virement est réalisé dans le même pays, on parle de virement domestique, et lorsqu’il est réalisé

entre deux pays on parle de transfert international. Enfin, lorsque le virement est ponctuel ou

permanent, on parle de virement automatique20.

Concernant le prélèvement, il peut arriver qu’un titulaire d’un compte soit débiteur d’un

titulaire d’un autre compte et qu’il l’autorise à retirer la somme due de son compte pour le placer

dans le compte de son créancier. Ce mécanisme prend le nom de prélèvement ou d’un « Ordre

Général de Paiement (OGP) » selon le jargon bancaire. Il peut lors être défini comme un transfert

19 Cf « Qu’est-ce qu’un virement bancaire ? Gestion de patrimoine », sur France patrimonial. 20 L’exemple est celui d’un virement de son loyer au propriétaire réalisé par un locataire, programmé à date mensuelle

fixe dans le système de l’établissement monétaire.

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réalisé directement d’un compte à un autre sous autorisation du titulaire de du compte dans lequel

il est prélevé la somme. En effet, l’argent est prélevé directement sur le compte d’une personne

qui a fourni ses coordonnées à l’organisme qui est à l’origine de ce prélèvement. Le prélèvement

suppose ainsi que le propriétaire du compte qui sera débité, ait fourni ses coordonnées à

l’établissement monétaire qui va lui prélever de l’argent, et octroie une autorisation de prélèvement

dument signée à cet organisme. Cette autorisation est constitutive d’un ordre de paiement.

Enfin, le titulaire d’un compte peut effectuer des opérations des retraits des sommes issues

de ce compte. Elle consiste (cette opération), pour le titulaire d’un compte, à retirer des espèces

de son compte. Le retrait peut se faire de plusieurs façons différentes : il peut s’effectuer via un

distributeur automatique, au moyen d’une carte ou alors en agence au niveau du guichet. Les

retraits sont gratuits lorsqu’ils sont réalisés dans l’établissement monétaire du titulaire du comte,

mais peuvent être payant -et c’est le mécanisme général- lorsqu’ils sont réalisés dans un autre

établissement. Dans cette dernière hypothèse, l’on parle d’ailleurs de « retrait déplacé ».

2- L’exécution des ordres d’encaissement du titulaire d’un compte

Le titulaire d’un compte peut donner l’ordre d’encaissement à l’établissement monétaire à

travers les dépôts qu’il effectue dans le but de garnir son compte. Les dépôts auprès des organismes

monétaires sont la forme la plus courante de placement financier. Ce sont des ressources de

financement. Le dépôt consiste de manière simple, à remettre des espèces (billets ou pièces de

monnaie) à un établissement monétaire afin de les placer sur le compte du titulaire. Il consiste à

remettre à l’établissement monétaire des actifs, une somme d’argent qui sera gardée et transmis ou

mieux, rajouter à la valeur de son solde bancaire. En général, il prend acte le jour même, dans

l’immédiat, et le titulaire verra une somme apparaitre sur ses relevés quasi-immédiatement. Durant

cette période de conservation, l’établissement a le droit de disposer des fonds issus de ce dépôt

pour son propre compte, mais doit les restituer selon les modalités déterminées telles que les règles

spécifiques fixées par la loi (comme par exemple : les sommes doivent être restituées au titulaire

du compte à première demande de celui-ci) ; et les clauses d’un contrat entre l’établissement

monétaire et le titulaire d’un compte ( la justification des sommes déposées au-delà d’un certain

seuil).

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On distingue plusieurs types de dépôt qu’on peut regrouper en deux groupes à savoir : le

dépôt à vue, le dépôt à terme.

Un dépôt à vue est un dépôt dont les fonds peuvent être retirés à tout moment. C’est en

effet un dépôt fait dans un organisme monétaire et que l’on peut retirer à tout moment, sans qu’il

soit soumis à un délai. Ces fonds déposés peuvent être retirés totalement où en partie. Le dépôt à

vue peut être à l’origine de la création de trois types de compte à savoir : le compte de dépôt21, le

compte courant 22et le compte épargne23.

Un dépôt à terme désigne une somme d’argent mise en dépôt et bloquée sur un compte.

Cette somme ne peut être retirée par son titulaire qu’après un certain laps de temps fixé d’avance

dans un contrat et signé par les personnes concernées par le dépôt. Le dépôt à terme se différencie

par cet aspect du dépôt à vue, qui permet de retirer l’argent à n’importe quel moment. En

contrepartie du blocage de la somme déposée, le dépôt à terme fait bénéficier au titulaire du compte

d’un taux d’intérêt plus élevé. Le taux d’intérêt qui régit ce type de dépôt est librement fixé par les

établissements monétaires. Si le contrat de dépôt à terme est rompu avant l’échéance, des pénalités

peuvent être appliquées à l’encontre de l’initiateur de la rupture ou à l’encontre du fautif de la

rupture. Le dépôt à terme peut être à la base de la création de trois types de compte à savoir, le

compte à terme proprement dit, le compte à préavis et le plan d’épargne.

21 Le compte de dépôt traditionnellement appelé « compte chèque », est un compte ouvert dans les livres d'un

établissement bancaire (dit « teneur de compte ») qui est destiné à accueillir des dépôts de fonds de la part de clients

particuliers (dits « déposants »). L'argent pourra alors être retiré à tout moment par le déposant, dans la limite de la

capacité de la banque au regard de sa liquidité et de sa solvabilité. Le compte de dépôt donne accès aux services de

règlement proposés par l'établissement bancaire. Ce compte est parfois assorti d'une autorisation de découvert

permettant que son solde soit temporairement négatif à concurrence d'un plafond de débit autorisé en contrepartie de

l'application d'un taux d'intérêt. 22 Le compte courant n'est réglementé par aucun texte sinon de jurisprudence et est plutôt destiné aux personnes

morales (bien que s’agissant d'un contrat négocié de gré à gré rien n'interdise à un particulier d'en souscrire). S'il n'est

pas soumis aux règles protectrices du consommateur, il suppose la réciprocité des remises, c'est-à-dire des crédits et

des débits. Le teneur de compte est donc supposé autoriser les paiements allant au-delà de la provision du compte,

dans la limite de cette réciprocité. Le compte courant présume ainsi une certaine opposabilité des autorisations de

découvert. On comprend alors tout l'intérêt du compte courant pour un commerçant ou une entreprise qui doit pouvoir

compter sur les facilités de caisse qui lui sont octroyées. 23 Le compte d’épargne est parfois appelé aussi « compte sur livret », du fait que les opérations étaient à l'origine

reportées sur un livret d'épargne que le titulaire conservait par-devers lui (c'est encore le cas dans certains pays). Il

doit obligatoirement être créditeur. C'est un compte où les fonds sont là-aussi disponibles à vue, mais seulement sous

forme de retrait d'espèces, donc en général sans moyens de paiement. Ces comptes sont rémunérés par un intérêt et

fiscalisés.

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Un dépôt peut être considéré comme un prêt ou une vente selon que la somme déposée le

soit dans un compte au nom du déposant et soit échangée contre remboursement d’un même

montant, soit contre des titres. Pour certains auteurs, le déposant d’une somme sur un compte

ouvert à son nom conserve la propriété de la somme déposée. Selon que le dépôt est à vue ou à

terme, le déposant peut exiger la restitution de la somme à tout moment. On parle alors de compte

courant. Dans le cas d’un dépôt à terme, tel qu’un compte d’épargne ou un compte de titre, la

somme peut être prêtée ou donnée à la banque en échange soit d’une reconnaissance de dette du

même montant soit d’un certain nombre de titres de créance à la valeur du moment.24

En tout état de cause, un ordre de paiement et d’encaissement peuvent être mis en place et

stoppés selon les modalités applicables à chaque organisme monétaire.

Le droit de créance du titulaire d’un compte bancaire se résumant à l’exercice d’un droit

personnel sur la personne de l’établissement monétaire et à l’exigence d’une quelconque prestation

à l’encontre de cette dernière, fort est de préciser que toutefois, ce mécanisme de créance propre

au droit du titulaire d’un compte n’est pas appliqué stricto sensu. Il y a dans l’exercice de cette

créance, des éléments spécifiques qui dérogent au droit de créance ordinaire.

II- LE DROIT DU TITULAIRE D’UN COMPTE, UN DROIT DE CREANCE EDULCORE

Le droit de créance, dans les rapports du titulaire d’un compte et son établissement

monétaire, n’y est pas parfaitement représenté. Le droit de créance du titulaire d’un compte n’est

pas appliqué au sens strict du terme. L’on perçoit à certains égards des éléments spécifiques qui

dérogent au droit de créance. Ces dérogations font ressortir le caractère spécifique voire, particulier

du droit de créance du titulaire d’un compte. En effet, dans la relation qui lie le titulaire d’un

compte et l’établissement monétaire dans lequel il a ouvert un compte, l’on perçoit les limites au

droit de créance d’une part (A) et d’autres parts, l’on note la présence dans cette relation, des

caractéristiques du droit de propriété (B).

24 Dépôt à terme : définition, traduction (définition du mot dépôt à terme), Journal du net (JDN),

https://www.Journaldunet.fr.

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A- Les limites au droit de créance dans les rapports du titulaire d’un compte et de

l’établissement monétaire

Le droit de créance du titulaire d’un compte comporte plusieurs limites auxquelles il faut

s’appesantir. En effet, le droit de créance dispose de nombreuses caractéristiques qui le distinguent

du droit de propriété ou d’autres types de droit25. Parmi cette panoplie d’éléments le différenciant

des droits d’une autre nature, on relève l’exigence faite au débiteur de détenir le titre de propriété

de la chose donnée en paiement or dans les rapports ‘‘titulaire d’un compte - établissement

monétaire’’, le débiteur qui n’est autre que l’établissement monétaire, n’est pas propriétaire des

fonds donnés en paiement (1) ; il n’est qu’un simple dépositaire (2).

1- De l’absence du titre de propriété de la chose donnée en paiement

Les rapports de créance exigent une prestation de paiement. Ce dernier doit se faire sur la

base des biens du débiteur. En effet il est stipulé à l’article 1238 alinéa 1 du Code Civil26 que :

« pour payer valablement, il faut être propriétaire de la chose donnée en payement, et capable de

l’aliéner ». Cet article stipule que le paiement ne peut être valable que si la chose donnée en

paiement relève de la propriété du débiteur. En effet, par principe, aucun débiteur ne peut purger

sa dette en donnant en paiement une somme d’argent ou un bien ne l’appartenant pas et ce, même

s’il en est le possesseur. De nombreux cas de figure illustrent cet argument. Nous pouvons nous

référer au cas de l’usufruit27 où l’usufruitier ne peut aliéner les fruits qui, en réalité appartiennent

au nu-propriétaire. Ainsi, l’usufruitier ne peut ni vendre ni donner en paiement les fruits soumis à

sa gestion. Un deuxième cas de figure nous ramène à l’idée de bail immobilier, contrat de louage28

d’un immeuble dans lequel le locataire est possesseur de l’immeuble et de ce fait dispose de la

latitude de bénéficier de l’usus, à certains égards du fructus29, mais ne peut pas aliéner cet

immeuble qu’il loue. C’est dire en d’autres termes que le locataire fait usage de l’immeuble mais

25 Droit intellectuel. 26 Code Civil camerounais. 27 Droit réel principal, démembrement du droit de propriété, qui confère à son titulaire le droit d’utiliser la chose (usus)

et d’en percevoir les fruits (fructus), mais non celui d’en disposer (abusus), lequel appartient au nu-propriétaire. 28 Contrat par lequel l’une des parties s’engage soit à faire jouir l’autre d’une chose, soit à lui procurer ses services ou

son industrie, temporairement et moyennant un certain prix. 29 Il peut arriver qu’un locataire d’un immeuble loue cet immeuble à une autre personne, cela est appelé « sous-

location ». La sous-location est définit comme un contrat par lequel le locataire d’un immeuble le donne à bail à un

tiers appelé sous-locataire ; le premier preneur est dit locataire principal. Dans le droit commun du bail, cela n’est

possible qu’avec l’accord du bailleur.

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ne peut ni le vendre ni détruire. Il faut toutefois préciser que cela n’est pas le cas de l’emphytéose

qui est plutôt un droit réel qui confère au titulaire, tous les droits d’un propriétaire sur l’immeuble

louer. Bref, pour revenir l’idée des illustrations, il faut prendre en considération toutes les

hypothèses où l’on est en présence d’une simple possession. Ceci signifie qu’un débiteur d’une

dette par exemple ne peut valablement se libérer que s’il paie avec les biens dont il est propriétaire.

Or, dans le cas de figure des rapports entre le titulaire d’un compte et l’établissement

émetteur, ce dernier octroie en paiement une somme déposée par le titulaire du compte qui en est

le véritable propriétaire. Puisque l’idée ici est que le client (titulaire du compte) a déposé une

somme dans le but de la garder et non pas dans le bus que l’établissement monétaire l’utilise à ses

fins personnel comme ce serait le cas pour la « dette »30, c’est donc là la différence entre « la

dette » et « la créance du titulaire d’un compte ».

L’établissement monétaire ne peut aliéner la chose donnée en paiement, car n’étant pas le

propriétaire. Le véritable propriétaire se trouve être le titulaire du compte et l’établissement, joue

le rôle d’un simple dépositaire.

2- L’établissement émetteur du compte, un simple ‘‘dépositaire’’

L’établissement émetteur d’un compte n’est pas propriétaire des fonds déposés dans le

compte. Il agit en tant que simple dépositaire. Ce compte ainsi que les fonds contenus

appartiennent en réalité au titulaire mais il est placé entre les mains de l’établissement émetteur.

On dit alors que le titulaire est le nu propriétaire31 puisqu’il est le véritable propriétaire et

l’établissement émetteur le possesseur.

30 La dette est octroyée par le créancier dans un but personnel, c’est-à-dire que le débiteur sollicite une somme pour

satisfaire ses intérêts personnels (se nourrir, se vêtir, payer des factures, exercer une activité lucrative, ou même

rembourser une autre dette). Alors que les sommes déposées dans un compte dans un établissement financier est fait

à titre de conservation ou à titre de garde, c’est pour cette raison que ces établissement sont appelés des

« dépositaires ». Ainsi, la prestation exigée par le dépositaire est juste une réclamation de la somme gardé par le

dépositaire. C’est en fait le même phénomène que l’on perçoit dans « des réunions de cotisations » où le trésorier est

un simple dépositaire. 31 Droit réel principal, démembrement du droit de propriété, qui donne à son titulaire le droit de disposer de la chose,

mais qui ne lui confère ni usage, ni la jouissance, lesquels sont les prérogatives de l’usufruitier sur cette même chose.

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Le dépositaire est entendu comme une personne qui reçoit quelque chose en dépôt32, une

personne à qui a été remis quelque chose et qui s’oblige à le garder jusqu’au jour où elle le

restituera à première réquisition. En effet, il a été remis une somme d’argent à l’établissement

monétaire et cette dernière la restituera à chaque réquisition jusqu’à la fermeture du compte en

question. Le dépositaire est un simple débiteur de la somme déposée. Cette somme étant portée au

compte du client. Il est débiteur du solde du compte.

L’établissement monétaire assume à l’égard de son client les obligations du dépositaire33.

Il s’engage à garder et conserver les fonds qui lui ont été confiés et à les restituer à première

demande à celui qui les a déposés.

La garde de la chose déposée constitue l’obligation principale du dépositaire. C’est dire

que celui-ci doit prendre soin de la chose et la garantir de toute menace telle que le vol, la perte ou

la dégradation s’il s’agit d’un bien meuble corporel. Il est tenu d’entretenir la chose et de percevoir

les fruits de la chose au profit du déposant. D’ailleurs le code civil en son article 1927 précise que

« le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte

dans la garde des choses qui lui appartiennent ». Cet article laisse entrevoir que le dépositaire doit

gérer la chose déposée en bon père de famille, avec toute la diligence qui soit. En droit monétaire,

un établissement monétaire est soumis à ces mêmes obligations à l’égard du fond déposé, auquel

cas, il pourrait être poursuivi pour abus de confiance ou pour détournement des fonds perçus. Il

faut préciser ici que les fruits dont il est question ici ne sont autres que les intérêts générés par les

fonds déposés.34

Toutefois, lors de sa garde, en tant que dépositaire, l’établissement monétaire a la

possibilité d’utiliser les fonds reçus en déposition. En effet, le dépositaire a « le libre usage »35 de

la somme déposée eu égard du consentement du déposant. Il est libre de l’utiliser mais ne doit pas

32 Le contrat de dépôt est une convention par laquelle une personne, appelée dépositaire, se charge gracieusement de

la garde et de la conservation de la chose qui lui a été remise par une personne appelée déposant. 33 Nicolas FONTAINE, Avocate, « La responsabilité de la banque qui se dessaisit des fonds sur présentation de faux

ordres de paiement », Village de la justice, https://www/village-justice.com, 1ère parution : 14 Janvier 2013. 34 Voir Aurélien BAMDE et Julien BOURDOISEAU, « Le dépôt : les obligations du dépositaire »,

https://aurelienbamde.com., publié en Juin 2019, 35 En principe ce droit d’usage des fonds constitutifs de dépôt est soumis à un consentement de la part du client qui

n’est autre que le déposant, mais dans la pratique, les établissements monétaires ne se gardent pas d’utiliser ces fonds

à des fins personnelles, pour leurs propres affaires.

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perdre de vu qu’il a obligation de restitution à première demande surtout pour ce qui est d’un

compte à vue36. S’il s’agit d’un compte bloqué, il est tenu de restituer le fonds au moment de

l’arrivé du terme fixé.

En principe, la restitution doit se faire entre les mains du déposant. Dans le cas où

l’établissement monétaire restitue les sommes demandées à une personne autre que le déposant, il

engage sa responsabilité, à moins que le déposant ait expressément désigné une personne autre que

lui pour recevoir les fonds. Ainsi, aux termes de l’article 1937 du code civil, « le dépositaire ne

doit restituer la chose déposée, qu’à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt

a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir » et s’il arrive que le dépositaire restitue les

fonds déposés à une autre personne, il doit prouver en cas de contestation qu’il a recul du déposant

l’ordre de restituer les fonds contestés. Appliqué au dépôt bancaire, une jurisprudence affirme le

contenu de cette article précédemment cité en ces termes : « il appartient au banquier, dépositaire

des fonds que lui a confié son client et qui, à ce titre, a l’obligation de ne les restituer qu’à celui

qui les lui a confiés ou conformément aux indications de paiement de ce dernier, d’établir, en cas

de contestation, qu’il a reçu du déposant l’ordre d’effectuer le paiement contesté »37.

Le droit de créance du titulaire d’un compte est tout aussi particulier du fait de la présence

des caractéristiques du droit de propriété dans les rapports liant le titulaire d’un compte et

l’établissement monétaire.

B- Les caractéristiques du droit de propriété dans les rapports du titulaire d’un compte et

son établissement monétaire

On retrouve dans le droit de créance du titulaire d’un compte, les caractéristiques du droit

de propriété. Le droit de propriété étant définit comme « le droit de jouir et de disposer des choses

de la manière la plus absolue, pourvue qu’on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les

règlements ».38En effet, le titulaire d’un compte peut exercer sur le compte un droit attribué à une

36 Un compte à vue également appelé compte courant, sert à gérer les finances au quotidien. C’est un compte qui sert

à effectuer des opérations financières quotidiennes telles que versements, des retraits, des virements, des prélèvements

et paiement. 37Cassation Commerciale, 2 Octobre 2007, n°05-21421. 38 Définition contenu dans l’article 544 du Code Civil français et camerounais. Une définition quelque peu clarifiée

par la doctrine. En ce sens, voir William DROSS, « Que l’article 544 du code civil nous dit-il de la propriété ? », RTD

Civ. 2015, pp.27 et s. ; Frédéric ZENATI, « Notion de propriété », RTD Civ., 1999, PP.305 et s. ; Pierre Joseph

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personne ayant la qualité de propriétaire. C’est ainsi qu’il dispose de la latitude d’user et d’aliéner

ce compte (1), de plus, il est utilisé dans le droit de créance du titulaire d’un compte, des éléments

caractéristiques du droit de propriété à l’instar de l’usufruit et du terme « indivis » (2).

1- Le droit d’aliénation du titulaire d’un compte

Les mécanismes du droit de créance du titulaire d’un compte laissent entrevoir ceux

rattachés aux droits de propriété. On fait allusion ici aux mécanismes d’extinction du droit de

propriété tel que le droit d’aliénation.

Les causes d’extinction d’une créance ou mieux, d’une obligation sont visées à l’article

1234 du Code Civil. Elles sont diverses. Cet article précédemment mentionné précise que « les

obligations s’éteignent : par le paiement, par la novation, par la remise volontaire, par la

compensation, par la confusion, par la perte de la chose, par la nullité ou la rescision, par l’effet

de la condition résolutoire, (…). Et par la prescription (…) ». La remarque faite après la restitution

de cette disposition est que, tous les éléments qui mènent à l’extinction de l’obligation conduit

toujours à l’idée de décharge ou d’apurement de la dette ou de non-conformité du contrat mais

jamais d’aliénation. Ce qui, de toute évidence est normale car, l’aliénation constitue un mécanisme

d’extinction du droit de propriété et non du droit de créance. L’aliénation stipule la destruction ou

la transmission volontaire à titre du droit de propriété ou constitution d’un droit réel qui le

démembre. Ainsi, le propriétaire peut décider de vendre son bien ou décider de transmettre sa

propriété à une autre personne soit en le vendant ou en le cédant à titre de gratuit entre vif ou cause

de mort39.

Toutefois, la créance du titulaire d’un compte déroge à cette disposition. L’aliénation est

admise comme mode d’extinction des rapports entre le titulaire d’un compte et l’établissement

monétaire. Ceux-ci peuvent prendre fin du fait de l’aliénation du compte par le titulaire de ce

compte. La logique voudrait que la relation entre les deux s’éteigne par le fait du paiement, de la

compensation, de la novation ou tout autre élément cité à l’article 1234 du code civil ou alors que,

s’il arrive que l’on parle de l’aliénation dans ce cadre, ce serait celui de la capacité de

PROUDHON, Qu’est-ce que la propriété ? Premier mémoire, Paris, Librairie de Prévot, 1840.

https://www.uqac.uquebc.ca/zone30/Classiques des sciences sociales/index.index.html. 39 Par testament.

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l’établissement monétaire (débiteur) d’aliéner la somme donner en paiement comme nous l’avons

détaillé plus haut40. Or dans ce cas de figure, le droit d’aliénation appartient au titulaire du compte,

celui qui est considéré comme le créancier dans leur rapport de droit (d’autant puisqu’il donne

ordre de paiement à l’égard de l’établissement monétaire qui exécute le paiement vis-à-vis de lui).

En effet, le titulaire d’un compte peut aliéner celui-ci en le vidant, en retirant toute la

somme contenue dans ce compte et ou en fermant son compte dans l’établissement monétaire.

Dans ce cas, il n’aura plus le pouvoir d’exiger un paiement à l’encontre de l’établissement. Il en

est de même également si le titulaire détient un compte débiteur. A cet instant, il y aura plutôt un

changement de tendance, un renversement de la situation, car le titulaire du compte débiteur

deviendra le débiteur et l’établissement monétaire, le créancier.

Dans les rapports titulaire d’un compte – établissement monétaire, il est également utilisé

certains termes propres au droit de propriété pour définir les mécanismes de fonctionnement d’un

compte.

2- Les mécanismes de fonctionnement du droit de propriété dans le

fonctionnement d’un compte

Il est retrouvé dans les rapports entre le titulaire d’un compte et l’établissement monétaire

des termes qui sont exclusivement utilisés en cas de l’exercice d’un droit de propriété. Ces termes

sont notamment, « l’usufruit », la notion d’« indivis » et celle du « droit d’usage ». L’usufruit

étant un démembrement de la propriété et l’on parle généralement de propriété indivis.

Un compte bancaire, sujet du droit de créance entre les deux parties suscitées, peut

également faire l’objet d’un usufruit. L’usufruit étant définit comme un droit réel principal,

démembrement du droit de propriété, qui confère à son titulaire le droit d’utiliser la chose (usus)

et d’en percevoir les fruits (fructus), mais non celui d’en disposer (abusus), lequel appartient au

nu-propriétaire. Le code civil le réglemente aux articles 57841 à 624. Toutefois ce quasi droit de

propriété est exercé par le successeur du titulaire d’un compte. En effet, en présence d’avoir

bancaires ou de liquidités dans la succession, le conjoint survivant usufruitier bénéficie d’un droit

40 Cf. supra (II-A-1). 41 Article 578 du code civil : « L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le

propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ».

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de quasi-usufruit sur les sommes : il peut s’en servir à sa guise, à charge pour lui ou ses héritiers

de les restituer à la fin de l’usufruit. La loi prévoit toutefois certaines garanties au profit des nus

propriétaires. Dans le cadre d’une succession, le conjoint (légalement marié) du défunt peut

bénéficier de l’usufruit des biens à deux titres : soit lorsqu’il choisit d’opter pour l’usufruit au titre

de ses droits légaux, comme le lui permet la loi lorsque le défunt ne laisse que des enfants issus

des deux époux ; soit lorsque le conjoint bénéficie d’une libéralité entre époux (donation au dernier

vivant ou testament) lui accordant des droits en usufruit42. Il est extrêmement fréquent en pratique,

que l’usufruit du conjoint survivant trouve à s’exercer sur des avoirs bancaires ou financiers

dépendant de la succession. En effet, quel que soit le régime matrimonial, le conjoint est toujours

réputé, à l’égard de la banque, avoir la libre disposition des fonds déposés sur ses comptes

personnels43

La loi prévoit toutefois des dispositions destinées à sauvegarder les droits des personnes

concernées. Il s’agit de l’inventaire dressé avant l’entrée en jouissance de l’usufruitier, de la

caution de l’usufruitier aux nus propriétaires et de la possibilité pour les héritiers nus propriétaires

de demander la conversion de l’usufruit en rente viagère. Le conjoint a la même faculté.44

De plus, il est souvent utilisé le terme « indivis » pour définir un compte collectif sur lequel

les opérations réalisées doivent être approuvées par tous les cotitulaires. Cette situation prend le

nom de « compte indivis ». Cependant, le terme « indivis » est le plus souvent employé pour

qualifier les rapports de plusieurs personnes sur une propriété, il découle en fait de ce concept, un

sens d’appartenance et qui dit appartenance dit propriété. On parle souvent de « propriété

indivise ». C’est alors un terme qui est rattaché au droit de propriété et non à un droit de créance.

En effet, ce terme met en évidence le type de rapport ou mieux, le type de pouvoir que plusieurs

personne ou que chacune d’elle peut exercer sur la choses indivise ; et ce type de pouvoir s’exerce

généralement sur un bien réel c’est-à-dire, un bien meuble corporel ou un bien immeuble.

S’agissant d’un bien meuble incorporel tel qu’une créance, le pouvoir issu de l’indivision ne saurait

s’appliquer, il ne peut y avoir qu’un pouvoir personnel dont une personne exige une quelconque

42 Article 1094 du code civil. 43 Cf. article 220 et 221 du code civil. 44 Réda BEY, notaire, « succession : usufruit du conjoint survivant sur les comptes bancaires », Village de la justice,

Parution 5 Aout 2015, https://www.village-justice.com.

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obligation d’une autre personne (la prestation de paiement en ce qui concerne une créance). Bref,

on ne peut diviser qu’un bien matériel, la division d’un bien immatériel est difficile à concevoir.

Ainsi, si ce terme (indivis) est appliqué pour déterminer la nature d’un compte, cela

reviendrait à sous-entendre que chacun des coindivisaires entretiendraient un pouvoir de propriété

sur le compte indivis.

De surcroit, le titulaire d’un compte exerce un droit d’usage sur son compte. Il peut de ce

fait retirer des fonds (de l’argent), effectuer des virements, recevoir des fonds (salaires, pensions,

remboursement divers,), activer des ordres permanents pour régler vos factures récurrentes,

effectuer des paiements en ligne ou dans les grands magasins, …etc. L’on constate alors qu’il

exerce un droit d’usage qui serait attribué au seul propriétaire, il se comporte ainsi comme un

véritable propriétaire sous réserve d’émettre des ordres à l’établissement monétaire.

Toutefois, nonobstant la présence de plusieurs éléments se rapportant au droit de propriété,

le droit du titulaire d’un compte ne saurait être qualifié de droit de propriété car, il existe également

un manquement des caractéristiques fondamentales de ce droit de propriété dans la manifestation

du droit du titulaire d’un compte. L’on remarque en effet des limites de l’usage d’un compte. Cette

limite est dérogatoire au droit de propriété en ce sens où ce dernier recommande un droit d’usage

(l’usus) absolu dans les limites toutefois de la loi ou des règlements.45 Cette limite d’usage du

compte s’explique par la fixation des plafonds. En clair, le droit d’usage d’un compte présente des

limites à cause des plafonds fixés. Il existe ainsi des plafonds de retrait et parfois des plafonds de

dépôt. Les plafonds de retrait peuvent être mensuels, hebdomadaires et journaliers. Les

établissements monétaires fixent des plafonds pour permettre aux clients de mieux gérer leur

argent. En fixant le plafond, il permet au client de limiter les dépenses et d’éviter ainsi les situations

désagréables telles que les découverts. Il permet en outre de lutter contre les situations frauduleuses

sur le compte. Mais toujours est ’il que le titulaire d’un compte ne dispose pas de la totalité de son

droit d’usage comme c’est le cas pour le propriétaire.

45 Cf. Article 544 du Code Civil camerounais.

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Conclusion

En sommes, il était question pour nous de déterminer, tout au long de ce travail, la nature

juridique du droit du titulaire d’un compte. D’emblée, il ressort de cette analyse que deux solutions

similaires peuvent s’appliquer à la nature du droit que le titulaire d’un compte exerce. Il s’agit en

effet du droit de créance à plusieurs égards et du droit de propriété à certains égards. En effet, l’on

note, dans l’exercice du droit du titulaire d’un compte, la présence des caractéristiques

fondamentales d’un droit de créance et également, dans ce même droit exercé par le titulaire d’un

compte, il est perçu à plusieurs reprises des éléments qui dérogent au droit de créance à l’instar

des limites au droit de créance ordinaire ou classique, et la présence des caractéristiques du droit

de propriété. Au vue de tout ceci, nous somme tenter de dire que la nature du droit du titulaire d’un

compte est déclinée concomitamment en droit de propriété et en droit de créance, ce droit est en

fait mitigé. En effet, dans une analyse un peu plus poussée, et on ne peut plus logique, le titulaire

d’un compte exerce un droit de propriété sur le compte et un droit de créance sur la personne de

l’établissement monétaire. Toutefois conclure en disant que la nature du droit du titulaire d’un

compte est double s’avère être dérisoire et rédhibitoire. Suite à notre analyse, nous somme venu à

conclure que le droit exercé par le titulaire d’un compte est un droit de créance particulier en ce

sens que, nonobstant le fait qu’il ne soit pas appliqué « stricto sensu » et qu’il soit teinté ou mieux,

altéré par la présence des caractéristiques du droit de propriété, l’on perçoit néanmoins des

caractéristiques fondamentales du droit de créance. Le droit du titulaire d’un compte est ainsi un

droit de créance partiel et altéré, et donc un droit de créance particulier. Toutefois, pour une

application d’un régime juridique légal et éviter toute sorte de gymnastique des juges, ne serait-il

pas opportun d’additionner à la summa divisio existante en la matière une troisième catégorie qui

mettrait en place un droit mixte? Ou alors spécifiquement, un régime juridique applicable au

titulaire d’un compte ?

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La spécificité de la cessation de paiements des établissements de

crédit en difficulté en droit CEMAC

Par :

PAYDI Raïssa

Docteure en droit privé

Université de Ngaoundéré (Cameroun)

Résumé :

Les autorités monétaires afin de mieux surveiller et d’affirmer la particularité des

activités bancaires étaient obligées d’instaurer une conception spécifique de la cessation des

paiements contraire à celle instauré par le législateur OHADA. Ainsi, le premier critère de

défaillance d’une entreprise commerciale de droit commun est la cessation de paiements, or en

droit CEMAC, il est unanimement admis que la conception de la cessation de paiements de

droit commun ne saurait être applicable aux établissements de crédit en difficulté, à cause de

la nature du contrat de dépôt qui est singulière et le bilan des banques qui est spécifique. Le

législateur CEMAC a donc consacré une nouvelle définition de la cessation de paiements

applicable aux banques. Cette nouvelle définition met l’accent sur la crise de liquidités dont

les indicateurs de référence sont les ratios de liquidité et de solvabilité.

Mots clés : Cessation de paiements, établissements de crédit en difficulté, droit commun

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Introduction

L’établissement de crédit en difficulté est une notion qui auparavant n'était pas définie

légalement par le droit CEMAC. La convention de 19901 constituait le cadre légal de traitement

des difficultés des établissements de crédit. À cet effet, la COBAC était seule habilitée à

nommer un administrateur provisoire si la gestion ne pouvait plus être assurée dans des

conditions normales d’exploitation, ou lorsque les dirigeants étaient démis d’office2. En vertu

de l'article 14 de l'annexe de la convention, ce dernier disposait du pouvoir de déclarer la

cessation de paiements3. Mais l'adoption du Règlementn°02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/CM

du 25 avril 20144 relatif au traitement des établissements de crédit en difficulté est venu lever

le voile sur la notion d’ « établissement de crédit en difficulté »5. La notion de difficulté retenue

par le législateur CEMAC sera plus large et ira au-delà de simples difficultés économiques et

financières comme c’est le cas dans le cadre de l’OHADA avec l’AUPC.

Au-delà de la notion de difficulté qui est appréhendée différemment par le droit

spécifique bancaire, la notion de la cessation de paiements sera différente de la conception

classique du droit commun OHADA.

1La Convention du 16 octobre 1990 portant création d’une Commission Bancaire de l’Afrique Centrale est le texte

de base du régulateur COBAC. Il est accompagné d’une Annexe. 2 Dans ce sens, Arrêt n° 010/CJ/CEMAC/CJ/09, 13 nov. 2009, Aff. Silienou Christophe et a. c/ décision COBAC

n°D-2008/52, Amity Bank Cameroon PLC, Autorité monétaire in Juridis Périodique, n° 83, juill.- août- sept. 2010,

p. 35 et s. note E. KALIEU. 3 D. PIIH, Le traitement des établissements de crédit en difficulté en zone CEMAC, Thèse, Université Paris-

Descartes, 2018, p. 8. 4 Depuis le 25 avril 2014, le Comité Ministériel de l'UMAC (Union Monétaire de l'Afrique Centrale) a adopté un

nouveau Règlement relatif au traitement des établissements de crédit en difficulté. Ce nouveau Règlement, qui

abroge certaines dispositions des conventions de 1990 portant création de la COBAC et de 1992 portant

harmonisation de la réglementation bancaire dans les Etats de la CEMAC, apporte des changements relativement

importants dans le régime jusque-là applicable. 5 le Règlement CEMAC 02/14 en son article 4, dispose qu’« un établissement de crédit est considéré en difficulté

lorsque la COBAC constate des dysfonctionnements de toute nature ayant un impact immédiat ou potentiel sur sa

gestion et/ou sa situation financière. Il s’agit notamment des cas où : il ne fonctionne pas en conformité avec la

réglementation bancaire ; sa gestion ou sa situation financière sont de nature à mettre en cause la bonne fin de

ses engagements ; sa gestion ou sa situation financière n’offrent pas de garanties suffisantes sur le plan de sa

solvabilité, de sa liquidité ou de sa rentabilité ; ses structures de gestion, son organisation administrative ou

comptable ou son contrôle interne présentent des lacunes graves ». La notion de dysfonctionnement majeur est

une notion ouverte qui peut englober d’autres considérations comme les crises relationnelles à la tête de l’entreprise

ou une mauvaise structuration de l’entreprise. Cette notion nous permet de comprendre que les difficultés ne sont

pas seulement d'ordre économique et c'est à l'organe communautaire de régulation bancaire de désigner si un

établissement est en difficulté ou non. Sur les compétences de la COBAC en matière bancaire en général, lire par

exemple. NJOYA KAMGA (B.), « La COBAC dans le système bancaire de la CEMAC », in Annales de la Faculté

des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Dschang, T.13, 2009, pp. 85-100. Cité par KALIEU (E.), « Le

nouveau régime de traitement des établissements de crédit en difficulté en Zone CEMAC », Juridis Périodique

N°105, Rev de droit et de science politique, 2016, p. 141.

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S’agissant ainsi de la cessation de paiements, pendant longtemps, le seul fait de l’arrêt

des paiements ne suffisait pas à caractériser la cessation de paiements, la cour de cassation

française exigeait une situation irrémédiablement compromise. Puis, la chambre commerciale

a défini cette notion floue comme étant « l’impossibilité pour le débiteur de faire face à son

passif exigible avec son actif disponible »6.

De manière triviale, la cessation de paiements d’une entreprise est la situation juridique

d’une personne physique ou morale qui ne peut plus payer ses dettes. Dans les entreprises

commerciales de droit commun, la cessation de paiements est importante puisqu’elle est la

condition d’ouverture des procédures de redressement judiciaire et de liquidation des biens7.

De ce fait, le législateur OHADA a conservé la définition traditionnelle de la cessation de

paiements qui prévoyait que, « ce qui caractérise la cessation de paiements c’est l’absence des

disponibilités immédiates suffisantes pour le passif échu, en d’autres termes l’impossibilité

d’obtenir le moindre concours (bancaire notamment) pour faire face à une échéance »8.

A cet effet, pour qualifier la cessation de paiements en droit commun, trois critères sont

à retenir : Premièrement, il faut un passif exigible, c'est-à-dire que ses dettes doivent être

liquides, certaines et exigibles9. Ensuite, il faut que l’actif soit disponible, cela renvoie au fait

que l’entreprise dispose des fonds immédiatement disponibles soient parce qu’elles sont

liquides, soient parce que leur conversion en liquides est possible sans délai10. Enfin, il faut que

l’entreprise soit dans l’incapacité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible de sorte

qu’il y’a cessation de paiements11.

Si pour les sociétés classiques de droit commun la cessation de paiements renvoie à un

déséquilibre entre l’actif disponible avec le passif exigible, le législateur de la CEMAC n’a pas

entendu maintenir les mêmes critères de qualification que ce dernier.

Cela dit, la cessation de paiements, difficulté classique d’une entreprise ordinaire, n’a

pas la même signification dans une entreprise bancaire. Dans la première, elle évoque donc

6 Cass.com., 14 févr. 1978 : Bull. civ. IV, n°66. Disponible sous le lien https://WWW-actu-juridique-fr. Consulté

le 23/12/2021. 7 Cour d’Appel du Littoral, Arrêt du 16/03/2012, www.ohada.com, Ohadata J-14-14. Disponible sur le site

http://WWW.actualitésdroitohada.com. Consulté le 21/12/2021. 8 J. ISSA- SAYEGH, dans Penant, numéro spécial OHADA, p.211. 9 V. http://WWW.actualitésdroitohada.com. 10 Y. GUYON, Droit des affaires, Tome 2 : Entreprises en difficultés, redressement judiciaire, faillite,

Economica, 8e éd., 2001, n°1031. 11 P-G. POUGOUE, L’organisation des procédures collectives d’apurement de passif OHADA, PUA 1999, n°43.

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l’idée d’un déséquilibre de patrimoine en ce sens que l’actif disponible ne permet plus de faire

face au passif exigible. Dans la seconde, elle traduit plutôt une crise de liquidité12.

Une banque est en cessation de paiements lorsqu’elle n’est plus en mesure d’assurer

ses paiements, immédiatement ou dans un délai de trente jours13. La cessation de paiements

a donc un contenu différent en ce qui concerne les établissements de crédit en zone

CEMAC. Elle s’inscrit en marge à la conception classique de la cessation de paiement telle

que reprise par l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif aux Procédures Collectives

d’Apurement du Passif. Cela est perceptible à travers l’introduction de la cessation de

paiements dans la loi bancaire (I) et la consécration de la cessation de paiements d’office

en droit CEMAC (II).

I- L’INTRODUCTION DE LA CESSATION DE PAIEMENTS DANS LA LOI

BANCAIRE

A ce niveau, il est procédé à la mise à l’écart de la conception classique de la cessation

de paiement (A), pour une mise en place de la cessation de paiements spécifique en droit

CEMAC (B).

A- La mise à l’écart de la conception classique de la cessation de paiements de droit

commun

La cessation de paiements de droit commun est une conception patrimoniale des

difficultés de l’entreprise. Elle renvoie à l’incapacité d’une entreprise à faire face au passif

exigible avec l’actif disponible.

Par passif exigible, il faut entendre le passif échu, c'est-à-dire, les dettes arrivées à échéance et

non réglées14. Si les parties ne se sont pas accordées sur l’échéance de la dette ou s’il y a un

malentendu sur l’échéance15, il ne devrait pas y avoir cessation de paiements16. Ainsi, un

commerçant qui refuse de payer une dette non échue n’est pas en état de cessation de paiements.

Il en est de même de celui qui bénéficie d’un délai de paiement en raison de l’adage « qui doit

12 D. PIIH, Thèse, op. cit., p. 17. 13 Art. 86, Règlement n° 02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/CM relatif au traitement des difficultés des

établissements de crédit en zone CEMAC. 14V. M-A. FRISON-ROCHE, « L’invitation de l’article 52 de la loi bancaire », RD. Bancaire et bourse, 1996, p.

86 ; B. GRELON, « Les banques en difficulté », D. 1997, chr. p. 199. 15Ibidem. 16Ibidem.

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à terme ne doit pas ». Il faut alors se référer sur la partie correspondante du bilan pour identifier

tous les éléments du passif exigible17. En revanche, les dettes doivent être certaines et donc non

litigieuses, c’est-à-dire, qu’elles ne doivent pas être légitimement contestées par le débiteur

quant à leur existence ou leur montant18. Au cas où il y a contestation, il faut qu’elle soit sérieuse

puisque le débiteur ne doit pas pouvoir échapper à la cessation de paiements du seul fait de la

contestation des droits de ses créanciers poursuivant. Il a ainsi été jugé que le débiteur doit

établir que le refus de paiement est motivé par une autre raison que la cessation de paiements19.

La créance est certaine si la dette résulte d’un jugement au fond frappé d’appel mais exécutoire

par provision20.

Un arrêt de la chambre commerciale qui considère que « pour se prononcer sur

l’existence de l’état de cessation des paiements, il n’y a pas à rechercher si le passif exigible a

été effectivement exigé dès lors que le débiteur n’a pas allégué qu’il disposait d’une réserve de

crédit ou d’un moratoire de la part de ses créanciers lui permettant de faire face à son passif

exigible… »21 . La jurisprudence française est restée constante quant à l’exigence du critère du

passif exigible et non du passif exigé22. A cet effet, « le passif exigible ne peut donc être limité

aux seules dettes dont le paiement est expressément demandé. Tout passif échu entre dans la

composition du passif exigible et n’en sort qu’à la condition d’avoir fait l’objet d’un accord

exprès de report »23. Tel est le sens de l’analyse de la Cour d’Appel de Lyon pour laquelle « la

cessation de paiements est suffisamment caractérisée même en l’absence de poursuite de

recouvrement, lorsque le passif actuellement exigible ne peut être payé avec les disponibilités

; que c’est seulement lorsqu’un accord a été trouvé avec les créanciers pour aménager les

conditions de règlement que la cessation de paiements n’est pas caractérisée »24.

17 DIEYNABA SAKHO, Les droits communautaires des procédures collectives dans l’espace OHADA, Mémoire

DEA, Université Gaston Berger de Saint Louis, Sénégal, 2008, p. 59. 18 D. FAURY, « La notion de cessation de paiements et la loi de sauvegarde des entreprises », Gaz. Pal., janv.-

févr. 2007, p. 85. 19 Cass.com. 27 avr. 1993, n° 91. 16470 : JurisData n° 1993-000800. 20 Cass. com. 13 mai 1980, Bull. civ. IV, n° 198. 21 Cass. com. 15 fév. 2011, n° 10-13.625, Bull. civ. IV, n° 23 ; D. 2011. Actu. 591, obs. LIENHARD (A.) ; JCP E

2011. 1280, note ch. Lebel ; LEDEN avr. 2011, p. 3, obs. DELATTRE; BJE. 2011. 176, note MARTINAUD-

BOURGINAUD. 22E.A. MOHO FOPA, Réflexions critiques sur le système de prévention des difficultés des entreprises de

l’OHADA, DEA, Université de Dschang-Cameroun, 2007, p. 71. 23 Cass. com. 15 fév. 2011, n° 10-13.625, Bull. civ. IV, n° 23; D. 2011. Actu. 591, obs. LIENHARD (A.) ; JCP E

2011. 1280, note ch. Lebel ; LEDEN avr. 2011, p. 3, obs. Ch. DELATTRE; BJE. 2011. 176, note MARTINAUD-

BOURGINAUD. 24 CA Lyon, 3e ch., 3 août 2005.

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Par actif disponible, il faut comprendre les fonds immédiatement utilisables,

mobilisables, c'est-à-dire, l’ensemble des sommes en caisse, des effets de commerce à vue, du

solde créditeur du compte courant et des comptes bancaires en général25. L’actif disponible

comprend les marchandises de réalisation immédiate permettant un apport rapide de la

trésorerie et ne s’étend pas au stock de produits intermédiaires ou finis26.

Au critère d’actif disponible, il est ajouté le critère de l’actif réalisable sans que ce

nouveau critère fasse gloser la doctrine comme ce fût le cas du passif exigé. En effet, ce qui est

disponible est différent de ce qui est réalisable27. Un bien réalisable est susceptible d’apporter

de la disponibilité dans un bref délai mais n’est pas en lui-même cette disponibilité. La Cour

Commune de Justice et d’Arbitrage a admis la liquidation des biens lorsque le débiteur avait un

passif exigible supérieur à son actif réalisable et disponible28. Dans le même sens, la CCJA a

homologué un concordat préventif en tenant compte de l’actif réalisable à court terme dans une

motivation qui mérite d’être relevée, « attendu que le règlement préventif tend à éviter la

cessation de paiements ou d’activité de l’entreprise par la formalisation d’un concordat qui ne

peut être homologué qu’à la suite du rapport d’un expert ; qu’il ressort des conclusions du

rapport de l’expert sur la situation économique et financière de la SITACI qu’elle dispose d’un

niveau suffisant d’actifs disponibles et réalisables à court terme pour couvrir ses dettes

exigibles à court terme ; que le niveau et la qualité de ses actifs lui permettent de maintenir la

continuité de l’exploitation dans de bonnes conditions en dépit de quelques difficultés liées à la

crise financière ayant entrainé la chute des cours de matière première dont l’acier ; que le

concordat proposé est viable »29.

Dès lors, il faut tenir compte non seulement de l’actif disponible mais aussi de l’actif

réalisable à court terme. Ce nouveau critère jurisprudentiel peut contribuer à retarder la

25J. STIGLITZ ET A.WEISS, “Credit rationing in market with imperfect information”, La Revue Economique

Américaine (American economic association), vol 71, 1981, p. 393. 26 S. J. MEDAMKAM TOCHE, La sécurité des déposants dans le système bancaire de la CEMAC, Mémoire de

DEA, Université de Dschang, 2006, pp. 49 et s. 27 DIEYNABA SAKHO, Les droits communautaires des procédures collectives dans l’espace OHADA, op. cit.,

p. 80. 28 CCJA, 3ème ch., arrêt n° 22/2011, 6 déc. 2011, Aff. La Compagnie Cotonnière de la Côte d’Ivoire c/ Tiemoko

Koffi et Guillemain Alain, note PIIH. 29 CCJA, Arrêt n° 064/2014, 25 avril 2014, Sté F.J ELNSER Trading GMBH ; Sté STEEL RESSOURCES c/ Sté

Industrielle de Tubes d’Acier dite SITACI ; Sté STEEL LINK ; Sté TRADESCA et Conseil de l’Ordre des Avocats

du Burkina Faso, note D. PIIH.

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cessation de paiements si le débiteur justifie que son actif peut être réalisable dans un délai

bref30.

Par ailleurs, la cessation de paiements se caractérise par une impossibilité pour l’actif

disponible et réalisable à court terme de faire face au paiement du passif exigible. Ainsi, ce

n’est pas tant le volume du passif exigible ou la quantité de l’actif disponible pris isolément qui

caractérise la cessation de paiements. C’est la confrontation entre l’actif disponible et le passif

exigible qui permet de la constater31. L’expression « faire face » a suscité deux interprétations.

Selon la première interprétation, l’emploi de cette expression par le législateur signifie que le

débiteur en cessation de paiements ne peut pas payer, non pas parce qu’il ne le veut pas, mais

parce qu’il ne le peut pas. D’après la seconde interprétation, la cessation de paiements serait

caractérisée dès que le débiteur ne paye pas, sans qu’il soit besoin de s’interroger sur ses

intentions.

En 1984, la Cour d’appel d’Aix-en Provence a eu l’occasion de préciser que la cause

du défaut de paiement est sans incidence lorsque les juges du fond examinent la situation du

débiteur ; ceux-ci n’ont pas à rechercher les mobiles du non-paiement des dettes exigibles32.

Plus récemment, dans une affaire très médiatisée en France, l’affaire Sodimédical33, la Cour de

cassation a considéré que dès lors que le débiteur est en état de cessation de paiements, la

demande d’ouverture de la procédure collective ne peut être rejetée en raison de ses mobiles34.

Un auteur commentait en faveur de cet arrêt que, «… permettre au tribunal de refuser

l’ouverture d’une procédure collective en se fondant sur les mobiles du débiteur reviendrait

tout d’abord à ajouter une nouvelle condition aux textes, mais surtout risquerait de soulever

bien de difficultés d’application tout en retardant l’ouverture de la procédure. Analyser les

mobiles supposés ou réels du débiteur à ce stade serait pour le moins périlleux(…) »35. La Cour

de cassation française est d’ailleurs constante sur cette position puisqu’elle avait déjà jugé que

30 M-A. FRISON-ROCHE, « L’invitation de l’article 52 de la loi bancaire », op. cit., p. 86. 31 DIEYNABA SAKHO, Les droits communautaires des procédures collectives dans l’espace OHADA, op. cit.,

p. 42. 32 CA Aix-en Provence, 24 juin 1984, D. 1984, IR p. 6, obs. A. HONORAT. 33 Cass. com., 3 juill. 2012, n° 11-18.026 : JurisData n° 2012-015231, Rev. proc. coll. 2013, comm.6, obs.

SAINTOURENS (B.). D. 2012, Actu. 1814, obs. LIENHARD (A.); Rev. sociétés 2012. 527, obs. HENRY (L.C.);

JCP E 2012. 1509, note CERATI-GAUTHIER (A.); ibid. 1757, no 1, obs. PÉTEL (Ph.); Gaz. Pal. 5-6 sept. 2012,

p. 5, obs. DEMEYERE (D.); BJE. 2012. 279, concl. BONHOMME (R.);Act. proc. coll. 2012, no 206, obs. FIN-

LANGER (L.); Dict. perm. diff. entrep., Bull. no 340, obs. ROUSSEL GALLE (Ph.); Dr. sociétés 2012, no 189,

note J.-P. Legros ; Dr. et patr. sept. 2013. 48, obs. MONSÈRIÉ-BON (M. –H.). 34 I. ALASSANE OUSSENI, Problématiques de la performance financière des institutions de microfinance : cas

de l’agence PAPME/Bénin, op. cit., p. 81. 35 Ph. ROUSSEL GALLE, « Ouverture des procédures », Rev. proc. coll., juill. 2013, n° 24, p. 2.

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le fait de rechercher à échapper à ses obligations contractuelles36, est sans incidence sur

l’ouverture des procédures collectives, ou à tout le moins d’une procédure de sauvegarde37.

B- La conception de la cessation de paiements instauré en droit CEMAC

La cessation de paiement revêt une conception particulière en droit de la CEMAC.

Elle ne se rapproche pas de celle fournie par le droit de l’OHADA relatif aux procédures

collectives. En effet, avant le Règlement du 25 avril 2014, les pays de la CEMAC, par ailleurs

membres de l’espace OHADA, ne connaissaient qu’une seule définition de la cessation de

paiements : l’impossibilité pour un débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif

disponible. Cette définition avait vocation à s’appliquer à toutes les entreprises sans exception,

notamment aux établissements de crédit de la zone CEMAC. La situation était différente dans

la zone UEMOA qui avait repris depuis 2007 la définition de la cessation de paiements

applicable aux établissements de crédit issue du Code monétaire et financier français, selon

laquelle « sont en état de cessation des paiements, les établissements de crédit qui ne sont pas

en mesure d’assurer leurs paiements, immédiatement ou à terme rapproché »38.

A partir de l’entrée en vigueur de la loi bancaire de l’UMOA en 2007, la définition

de droit commun n’était plus applicable aux établissements de crédit. Ce n’est qu’en avril 2014

que la définition de droit commun a cessé d’être applicable dans la zone CEMAC. Il faut

rappeler que la nouvelle définition proposée par le législateur CEMAC se démarque de celle

applicable en droit français et en zone UMOA par la précision sur le délai du terme rapproché.

Ainsi, d’après le législateur CEMAC, « les établissements de crédit sont en état de cessation

des paiements lorsqu’ils ne sont pas en mesure d’assurer leurs paiements, immédiatement ou

dans un délai de trente (30) jours »39. Ainsi, les établissements de crédit sont en état de cessation

de paiements lorsqu’ils ne sont pas en mesure d’assurer leurs paiements, immédiatement ou

dans un délai de 30 jours. La doctrine a tenté de justifier la spécificité de la définition par le

36S.J. MEDAMKAM TOCHE, La sécurité des déposants dans le système bancaire de la CEMAC, op. cit., pp. 70

et s. 37 Cass. com. 8 mars 2011, n° 10-13.988 : JurisData n° 2011-002852 ; Bull. civ. 2011, IV, n° 33 ; D. 2011, p. 919,

note LE CORRE ; D. 2011, p. 2069, obs. F. LUCAS ; D. 2011, p. 743, obs. A. LIENHARD; RTD com. 2011, p.

420, obs. VALLENS (J. – L.); JCP E 2011, 1215, note B. DONDERO et A. COURET, Ibid, 1263, n° 1, obs. PH.

PETEL ; Gaz. Pal. 1er-2 avr. 2011, p.7, note REILLE (FL.); Dict. perm. diff. entr., mars 2011, p. 2, note ROUSSEL

GALLE; LEDEN avr. 2011, n° 4, p.1, obs. S. GORRIAS et THEVENOT; RJDA mai 2011, p. 359, rapp. J-P.

RÉMERY. 38 Art. 86, loi bancaire UMOA et C. mon. fin., art. L. 613-26. 39 Art. 86, Règlt 02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/CM relatif au traitement des établissements de crédit en

difficulté. Il est à remarquer l’identité du chiffre de l’article en zone CEMAC et UMOA. A la lecture des deux

textes, on s’aperçoit que le législateur CEMAC s’est profondément inspiré de l’architecture du texte de la loi

bancaire de l’UMOA. Nous rappelons que les deux zones utilisent le Franc CFA.

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rôle des établissements de crédit à savoir la monnaie, et la diversification de leurs activités40.

Pour mieux s’en rendre compte, certain aspect particulier des établissements de crédit doivent

être abordés permettant de mettre en lumière la cessation de paiement à savoir le contrat de

dépôt bancaire, l’obligation du banquier et la disparition de la notion d’exigibilité au profit de

celle de disponibilité dans le cadre des comptes à vue notamment.

Il faut relever que le contrat de dépôt bancaire pose des difficultés de qualification

qui ont nourri une controverse doctrinale41. Tout d’abord, il est admis que le contrat de dépôt

bancaire est un contrat intuitu personae42. Il repose sur la confiance43 et l’assurance que

l’épargnant a d’entrer en possession de son argent à tout moment. Le dépôt bancaire s’analyse

comme un contrat par lequel un déposant remet une chose mobilière à un dépositaire à charge

pour lui de la conserver et de la restituer en nature lorsque la demande lui en sera faite44. Il

ressort de cette définition que le déposant demeure au terme de l’obligation, propriétaire de la

chose remise45. Or, du fait de la fongibilité de la monnaie, la seule remise de la chose au

banquier lui fait perdre sa caractéristique de corps certain et se confond avec le patrimoine du

dépositaire46. Ce dernier n’est alors tenu que de la restitution par équivalent47. Il s’opère une

transmutation qui transforme le droit de propriété de l’épargnant en simple droit de créance48.

L’on a pu déduire alors qu’il s’agit d’un dépôt irrégulier49. Cette thèse s’oppose à une position

constante de la doctrine qui considère que le banquier devient propriétaire de la chose déposée

40 S. DIENG, Procédures de sauvetage et coexistence de normes dans l’espace OHADA : le cas des établissements

de crédit, Thèse Université de Toulouse, 2014, n° 106 et s, pp. 113 et s. 41S. PIEDELIEVR et E. PUTMAN, Droit bancaire, Economica, 2011, n° 272, p. 288. 42 D. KRAJESKI, L’intuitu personae dans les contrats, Thèse Toulouse, 1999, n° 48, p. 33. 43 La confiance est la matière première de l’industrie bancaire, lire dans ce sens Ch. LEGUEVAQUES, « Les

apports des nouvelles règles spécifiques sur les faillites des établissements de crédit », LPA, déc. 2003, n° 248, p.

16. 44 Art. 1915 du Code civil camerounais, lequel est identique en droit français. Il faut souligner que du fait de la

colonisation, les Etats africains ont hérité la plupart des législations applicables en France, en l’occurrence le Code

civil. Si en France, le Code civil a connu beaucoup de réformes, le législateur camerounais est resté à la traîne en

continuant à appliquer le même Code malgré l’évolution de la société. 45V. CATILLON, Le droit dans les crises bancaires et financières systémiques, LGDJ, 2011, n° 94, op.cit. p. 80. 46 F. PELTIER, « Le sort des déposants en cas de faillite de la banque dépositaire », RDBB, sept.-oct. 1991, n° 27,

p. 75. 47H.CABRILLAC, « Les difficultés d’interprétation des contrats bancaires », in Mélanges R. Secrétan, Université

de Lausanne, Montreux, 1964, p. 1. 48I. ALASSANE OUSSENI, Problématique de la performance financière des institutions de microfinance : cas

de l’agence PAPME/Bénin, op. cit., p. 98. 49 G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité élémentaire de droit commercial, t. 2, LGDJ, Paris, 13ème éd., 1992, n°

2361.

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et devrait pour cela échapper à l’infraction de vol ou d’abus de confiance50. Il a donc été proposé

une autre qualification du contrat de dépôt bancaire : le prêt de consommation51.

Par ailleurs, au-delà de l’obligation du banquier, l’une des singularités du dépôt de

monnaie en banque est sa disponibilité ad nutum. Les fonds remis au banquier peuvent être des

fonds restituables à terme ou constitutifs de dépôts à vue. Il est classique de distinguer le compte

à vue du compte à terme. Le compte à terme, encore appelé dans la pratique compte bloqué, est

celui dont le titulaire ne peut disposer des fonds avant l’expiration d’un délai déterminé à partir

de la date d’ouverture52. Par compte à vue, on entend des comptes permettant l’utilisation

d’instruments de paiement à vue tels que le chèque, et plus largement le retrait à tout moment

sur demande du client et sous réserve des délais de mise à disposition des fonds figurant sur le

compte53. C’est cette dernière catégorie de compte qui nous intéresse pour démontrer la

disponibilité ad nutum des fonds remis54.

Pour ce qui est de la disparition de la notion d’exigibilité au profit de celle de

disponibilité dans le cadre des comptes à vue, il faut observer que les titulaires des comptes à

vue sont libres d’effectuer des opérations de retrait à tout moment dans le respect des heures

d’ouverture des guichets préalablement affichées et communiquées au public55. La spécificité

de ce compte vient de ce que le dépositaire n’est pas informé ni du délai, ni du montant de

retrait. A cet effet, le banquier, dépositaire doit disposer en permanence des liquidités pour

rendre disponibles en permanence les fonds remis. Ainsi, par exemple, le client qui se présente

devant un distributeur automatique de billets s’attend à recevoir la quantité de billets qu’il lui

est permis de retirer par sa carte bancaire quelle que soit l’heure à laquelle il se présente. De

même, dans la limite de la provision disponible, le banquier est tenu d’exécuter les ordres de

virement de son client et les paiements ordonnés, sans lui opposer une échéance ou une durée.

Il apparaît dès lors que la disponibilité des fonds s’oppose et se substitue à l’exigibilité des

engagements du banquier vis-à-vis du déposant. Plus clairement, la notion d’exigibilité

disparaît au profit de celle de disponibilité56. La créance du client, titulaire d’un compte à vue,

50Ibidem. 51 J. HAMEL, G. LAGARDE et A. JAUFFRET, Traité de droit commercial, t. 2, Dalloz, Paris, 1966, n° 1640. 52 J-M. NYAMA, Droit bancaire et de la microfinance en zone CEMAC, t. 2, CERFOD, 2006, p. 47. 53 S. PIEDELIEVRE et E. PUTMA , op.cit., n° 263, p. 277. 54S-J. MEDAMKAM TOCHE, La sécurité des déposants dans le système bancaire de la CEMAC, op. cit., pp. 80

et s. 55 M-S. FRISON-ROCHE, « L’invitation de l’article 52 de la loi bancaire », op. cit., p. 89. 56 DIEYNABA SAKHO, Les droits communautaires des procédures collectives dans l’espace OHADA, op. cit.,

p. 10.

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ne doit pas être considérée comme une créance exigible, mais plutôt comme une créance

disponible. Elle n’est pas soumise à la condition du temps comme les créances ordinaires.

Aussitôt que les fonds sont remis au banquier, ils doivent immédiatement être disponibles.

Concrètement, le client qui dépose son argent sur son compte, peut décider de le reprendre dans

la minute qui suit. Tout se passe exactement comme si le dépositaire n’était qu’un simple

gardien de la chose qu’il doit restituer à la première demande du déposant57.

En outre, en vertu de l’obligation de tenue d’une comptabilité58, toutes les entreprises

doivent élaborer les états financiers destinés à retracer l’ensemble de leurs mouvements et à

communiquer aux différents intervenants les informations nécessaires sur leur situation

patrimoniale59.

A ce propos, une banque ne peut arrêter de prêter en utilisant ses ressources qu’elle a

l’obligation de rendre disponible à tout moment, c’est l’essence même de son activité. En effet,

elle connaît des difficultés parce qu’elle a des actifs non performants, parce qu’elle subit des

coûts exagérés ou un excès de charges, mais pas parce que le volume du passif est important60.

C’est pour pallier à cette distorsion que le régulateur met un accent particulier sur le respect des

fonds propres inscrits dans le bilan, lesquels doivent être disponibles et permettre de mesurer la

capacité d’un établissement de crédit à faire face aux demandes ad nutum des déposants. Il

apparaît que pour assurer sa stabilité, une partie des actifs dépend non pas des dettes, mais des

fonds propres61. Ce qui explique pourquoi le ratio de solvabilité d’une banque se calcule par le

rapport du montant des fonds propres avec les concours bancaires. Ce ratio a été jugé

insuffisant, c’est pourquoi il a été proposé de nouveaux ratios pour remplacer le ratio COOKE

57E.A. MOHO FOPA, Réflexions critiques sur le système de prévention des difficultés des entreprises de

l’OHADA, op. cit., p. 24. 58L’article 1 de l’Acte Uniforme OHADA relatif au Droit Comptable et à l’Information Financière (AUDCIF)

dispose que « Toute entreprise au sens de l’article 2 ci-après doit mettre en place une comptabilité destinée à

l’information externe comme à son propre usage. A cet effet : elle classe, saisit, enregistre dans sa comptabilité

toutes opérations entraînant des mouvements de valeur qui sont traitées avec des tiers ou qui sont constatées ou

effectuées dans le cadre de sa gestion interne ; elle fournit, après traitement approprié de ces opérations, les

redditions de comptes auxquelles elle est assujettie légalement ou de par ses statuts, ainsi que les informations

nécessaires aux besoins des divers utilisateurs ». Il faut souligner qu’à côté du plan comptable OHADA, il existe

un plan comptable spécifique des établissements de crédit régi par le Règlement COBAC R-98/01 du 15 février

1998 relatif au plan comptable des établissements de crédit. 59S.J. MEDAMKAM TOCHE, La sécurité des déposants dans le système bancaire de la CEMAC, op. cit., pp. 80

et s. 60G. MANCEAU, « La dualité des régimes juridiques », in La Défaillance d’une banque, colloque de Deauville

organisé les 8 et 9 juin 1996 par l’association Droit et Commerce, RJ com., nov. 1996, p. 9. 61I. ALASSANE OUSSENI, Problématique de la performance financière des institutions de microfinance : cas

de l’agence PAPME/Bénin, op. cit., p. 12.

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en pondérant dans un premier temps, les risques par les établissements de crédit et en y

incorporant le risque de crédit, le risque de marché et le risque opérationnel, puis en préconisant

de renforcer le niveau et la qualité des fonds propres62.

II- LA CESSATION DE PAIEMENTS D’OFFICE EN DROIT CEMAC

L’article 86 alinéa 2 du Règlement CEMAC n° 02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/CM

relatif au traitement des établissements de crédit en difficulté dispose que « tout retrait

d’agrément d’un établissement de crédit vaut cessation des paiements ». Par-là, le droit

CEMAC procède à la consécration de la cessation de paiement d’office des établissements de

crédit en difficulté (A), en assimilant le retrait d’agrément à la cessation de paiement d’office

(B).

A- La consécration de la cessation de paiement d’office

En droit CEMAC, un établissement de crédit est en cessation de paiement lorsqu’il

y a eu retrait de son agrément63. En effet, l’activité bancaire est une activité fortement

réglementée dans la zone CEMAC et dans toutes les autres régions64. Pour l’exercice ou l’accès

à cette activité, toute personne est contrainte de se conformer à la réglementation de police

spéciale édictée par la loi bancaire65. Dans la zone CEMAC, composée de six Etats, le dispositif

légal de police spéciale régissant les règles d’accès et de l’exercice de l’activité bancaire ainsi

que sa supervision a été harmonisée par la Convention du 16 octobre 1990 portant création

d’une Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC), complétée par la Convention du

17 janvier 1992 portant harmonisation de la Réglementation Bancaire dans les Etats de

l’Afrique Centrale et par le Règlement CEMAC n° 01/00/CEMAC/UMAC/COBAC portant

institution de l’Agrément Unique dans la CEMAC du 27 novembre 200066. Ces textes

harmonisés posent comme préalable à l’accès et à l’exercice de l’activité bancaire l’octroi d’un

agrément. L’article 12 de l’Annexe à la Convention du 17 janvier 1992 dispose que « l’exercice,

62 Pour une étude approfondie des ratios, V. Bâle II, « La genèse et les enjeux », Rév. éco. fin., n° 73 (4-2003) ; V.

également S. LEBOUCHER (dir.), Bâle III : « Les nouvelles règles passées au crible », Rev. banque éd., Paris,

2010. 63 J.E. STIGLITZ ET A.WEISS, “Credit rationing in market with imperfect information”, op. cit., p. 399. 64S.J. MEDAMKAM TOCHE, La sécurité des déposants dans le système bancaire de la CEMAC, op. cit., pp. 72

et s. 65 M-A. FRISON-ROCHE, « L’invitation de l’article 52 de la loi bancaire », op. cit., p. 86. 66 Pour les principales raisons ayant milité pour l’institution d’un agrément unique ainsi que les obstacles à cette

institution, A. MADJI, « L’institution d’un agrément unique dans la CEMAC : fondements, critères d’admission

et défis pour les banques », disponible sur https://www.beac.int/download/agreuniquecemac.pdf. Consulté le 21

juin 2021, pp. 39 et s.

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par les organismes de droit local et par les succursales d’établissement ayant leur siège à

l’étranger, de l’activité d’établissement de crédit (…) est subordonné à l’agrément de l’Autorité

monétaire, prononcé sur avis conforme de la commission bancaire ». De même que

l’établissement de crédit doit être agréé, leurs dirigeants et leurs commissaires aux comptes

doivent également être agréés dans les conditions prévues par l’article 20 de la même

Convention qui dispose que « l’agrément des dirigeants et des commissaires aux comptes (…)

est prononcé sur avis conforme de la Commission Bancaire ».

A ce propos, l’autorité monétaire de chaque pays membre de la CEMAC délivre

l’agrément pour l’établissement de crédit, pour ses dirigeants et ses commissaires aux comptes,

mais aucun de ces assujettis ne peut s’implanter dans un pays membre de la CEMAC ou ne peut

exercer dans un établissement de crédit sans l’avis conforme de la COBAC67. L’autorité

monétaire nationale intervient en amont et en aval de la procédure de délivrance de l’agrément.

En amont, l’autorité monétaire de chaque pays membre se charge de fixer le capital minimum

qui équivaut à un « ticket d’entrée » dans la profession bancaire68, permettant de recevoir les

dossiers de demande d’agrément69 et, en cas d’accord sur la création de l’établissement de

crédit, à les transmettre à la COBAC pour instruction70 ; à définir les conditions d’implantation

des réseaux sur le territoire national et à déterminer les catégories dans lesquelles peuvent

exercer les établissements de crédit71. En aval de la procédure d’octroi d’agrément, l’autorité

monétaire nationale délivre, après avis conforme de la COBAC, l’arrêté portant agrément,

immatricule auprès du Conseil National de Crédit l’établissement dûment agréé et procède le

cas échéant, au retrait de son agrément lorsque l’établissement ne remplit plus les conditions de

son agrément72. Il apparaît que le rôle de l’autorité monétaire nationale est d’ordre administratif

67I. ALASSANE OUSSENI, Problématique de la performance financière des institutions de microfinance : cas

de l’agence PAPME/Bénin, op. cit., p. 22. 68 Il faut souligner qu’en application du Règlement COBAC R-2009/01 du 1er avril 2009 portant fixation du capital

social minimum des établissements de crédit, la COBAC a harmonisé et porté le capital minimum à 10 milliards

de FCFA, soit environ 15 millions d’euros. L’article 3 de ce Règlement abroge toutes dispositions nationales

contraires qui prévoient un capital social minimum inférieur. Ce texte peut s’interpréter comme une entorse à la

compétence reconnue à l’autorité monétaire nationale de fixer le capital social minimum. 69 Ces dossiers sont reçus en double exemplaire et sont composés : des projets de statuts, de la liste des actionnaires

et dirigeants ainsi que leurs pièces justificatives relatives à leur identité, moralité, compétence et nomination, des

prévisions d’activité, d’implantation et d’organisation, du détail des moyens techniques et financiers dont la mise

en œuvre est prévue etc… 70 Art.14, Annexe à la Convention du 17 janvier 1992 et Art. 7, Règlt n° 02/15/CEMAC/UMAC/CM modifiant et

complétant certaines dispositions relatives à l’exercice de la profession bancaire dans la CEMAC. 71 Art. 15, Annexe à la Convention du 17 janvier 1992. 72 J.G. STIGLITZ et A. WEISS, “Credit rationing in market with imperfect information”, op. cit., p. 398.

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par rapport à celui de la COBAC dont l’avis conforme doit être interprété comme un droit de

véto, car étant obligatoirement sollicité. A cet effet, il ne peut être passé outre à son avis.

Par ailleurs, la COBAC a essentiellement un rôle d’instruction du dossier

d’agrément. De manière générale, elle apprécie l’aptitude de l’entreprise à réaliser ses objectifs

de développement dans les conditions requises pour le bon fonctionnement du système bancaire

et la sécurité des déposants73. Cette instruction consiste notamment à vérifier la cohérence entre

la nature des activités projetées et la catégorie d’établissements de crédit sollicitée ainsi que

l’adéquation des moyens humains, techniques et financiers envisagés au regard notamment du

programme d’activités que le requérant envisage de mettre en œuvre ; s’assurer du respect des

dispositions des articles 474 et 575 du Règlement n°02/15/CEMAC/UMAC/COBAC/CM ;

évaluer la qualité des actionnaires, des administrateurs, des dirigeants et des commissaires aux

comptes ; vérifier l’origine des fonds apportés par les promoteurs pour la constitution du capital

initial de l’établissement de crédit ainsi que la capacité des principaux actionnaires à apporter

un soutien financier à leur établissement en cas de besoin ; apprécier la solidité de la situation

financière prévisionnelle de l’établissement de crédit en rapport avec la stratégie proposée,

l’adéquation des fonds propres envisagés au profil de risque, afin de déterminer la capacité de

l’établissement à respecter ultérieurement les normes prudentielles ; s’assurer que les structures

d’actionnariat et de gouvernance de l’établissement de crédit et du groupe auquel il appartient

n’empêcheront pas un contrôle efficace, tant sur la base individuelle que consolidée et ne sont

pas de nature à entraver, à l’avenir, une mise en œuvre efficace de mesures correctrices ; évaluer

les dispositifs de contrôle interne et de gestion des risques que l’établissement de crédit envisage

de mettre en place, au regard des risques prévisibles, de la nature, du volume et de la complexité

des activités projetées.

B- L’assimilation du retrait d’agrément à la cessation de paiement d’office

Selon le législateur CEMAC, tout retrait d’agrément d’un établissement de crédit vaut

cessation de paiements76. Le retrait d’agrément influe sur la qualification de la cessation de

paiement. En effet, le retrait d’agrément est prononcé soit à la demande de l’établissement de

73 Art. 17, Règlement COBAC R-2016/01 relatif aux conditions et modalités de délivrance des agréments des

établissements de crédit, de leurs dirigeants et de leurs commissaires aux comptes. 74 Cet article traite de l’agrément des bureaux des établissements de crédit ayant leur siège hors de la CEMAC. 75 Cet article oblige les établissements de crédit à se constituer en SA avec conseil d’administration. 76 Art.86 al. 2, Règlt n°02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/CM relatif au traitement des établissements de crédit en

difficulté.

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crédit, soit d’office lorsqu’il ne remplit plus les conditions auxquelles l’agrément est subordonné,

lorsqu’il n’a pas fait usage de son agrément dans un délai de douze mois ou lorsqu’il n’exerce

plus son activité depuis au moins six mois77. En combinant ce texte avec celui de l’article 86 du

Règlement CEMAC n°02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/CM relatif au traitement des

établissements de crédit en difficulté qui dispose sans équivoque que tout retrait d’agrément vaut

cessation de paiements, on peut conclure qu’il y a plusieurs cessations de paiements selon le

mode et la procédure de retrait d’agrément78.

Il faut émettre une réserve quant au champ d’application du Règlement CEMAC

02/14. Ce texte s’applique en matière de difficulté des établissements de crédit. Aussi,

conformément à l’article 86 du Règlement 02/14, l’établissement de crédit en cessation de

paiements ne remplit plus les conditions auxquelles l’agrément est subordonné79. Tous les

autres modes de retrait de l’article 17 ci-dessus ne devraient pas être assimilés à la cessation de

paiements dans la mesure où l’établissement de crédit n’est pas en difficulté. Certes, dans ces

autres cas, l’établissement de crédit peut faire l’objet d’une liquidation, mais il s’agit d’une

liquidation amiable ou « solvable »80.

Si tout retrait d’agrément vaut cessation de paiements, cela revient à admettre

plusieurs cessations de paiements selon la procédure de retrait d’agrément. D’après le

législateur CEMAC, la COBAC peut procéder au retrait d’agrément à l’issue d’une procédure

disciplinaire ou lorsque l’administration provisoire débouche sur l’impossibilité de rétablir les

conditions normales d’exploitation ou encore en cas de clôture des opérations de restructuration

spéciale. Dans le premier cas, on parle de retrait d’agrément disciplinaire et dans les deux

derniers cas, le retrait d’agrément est dit prudentiel81.

L’article 17 de l’Annexe à la Convention du 17 janvier 1992 énonce les différents modes

de retrait d’agrément. Il est d’office retiré si l’établissement de crédit ne remplit plus les

conditions auxquelles il est subordonné82. Cette disposition est la reprise de l’article 19 de la loi

bancaire française. Il incombe à la COBAC, en qualité de régulateur de l’activité bancaire, de

77 J.E. STIGLITZ et A. WEISS, “Credit rationing in market with imperfect information”, op. cit., p. 400. 78I. ALASSANE OUSSENI, Problématique de la performance financière des institutions de microfinance : cas

de l’agence PAPME/Bénin, op. cit., p. 44. 79S.J. MEDAMKAM TOCHE, La sécurité des déposants dans le système bancaire de la CEMAC, op. cit., p. 91

et s. 80 Ch. LEGUEVAQUES, op. cit., n° 528, p. 274 81 M-A. FRISON-ROCHE, « L’invitation de l’article 52 de la loi bancaire », op. cit., p. 90. 82S.J MEDAMKAM TOCHE, La sécurité des déposants dans le système bancaire de la CEMAC, op. cit., pp. 36

et s.

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vérifier si les conditions en question sont respectées. Parmi les conditions que l’établissement

de crédit doit respecter, figurent la solvabilité et l’ensemble du dispositif prudentiel. On pourrait

s’apercevoir que la prévention des risques et défaillances bancaires sont fondées sur un principe

essentiel, celui de la représentation des fonds propres. Il existe bien d’autres règles, dont le non-

respect peut être sanctionné, qui concernent la liquidité, le contrôle interne, la présentation des

comptes. Mais le cœur du dispositif prudentiel, ce sont les fonds propres83. Le postulat est que

tout établissement solvable est à l’abri d’une défaillance et que cette solvabilité est assurée par

la représentation des fonds propres, la protection des tiers, ce qui va assurer en définitive la

conservation de leurs avoirs, ce sont les fonds propres de la banque qui constituent une réserve

de solvabilité. Les résultats vont, le cas échéant, amputer ou améliorer les fonds propres. Les

provisionnements sur les actifs et spécialement sur les crédits consentis aux emprunteurs sont

consommateurs de fonds propres.

Conclusion

Techniquement, un établissement de crédit en difficulté ne peut être rapproché aux

entreprises commerciales classiques qui seraient en difficulté. La situation économique des

établissements de crédit est donc un élément essentiel. C’est pour cela que la cessation de

paiements n’est pas perçue de la même façon en droit CEMAC et en droit OHADA. Le premier

étant considéré comme le droit spécial des établissements de crédit.

Par la consécration de la nouvelle définition de la cessation de paiements et la nouvelle

conception de la cessation de paiements d’office, la cessation de paiements de droit commun

perd son sens et sa portée dans le déclenchement des procédures collectives des établissements

de crédit. Il y a éviction de la cessation de paiements de droit commun dans le déclenchement

de la procédure de redressement judiciaire en ce sens que le juge saisi doit rechercher si les

conditions prévues dans la nouvelle définition applicable aux établissements de crédit sont

réunies84.

83I. ALASSANE OUSSENI, Problématique de la performance financière des institutions de microfinance : cas

de l’agence PAPME/Bénin, op. cit., p. 14. 84 D. PIIH, Thèse, op. cit., p. 167.

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De la gouvernance de la COVID19 au biopouvoir au Cameroun : la

revanche de l’Etat néo régalien

Par :

Georges Francis MBACK TINA

Docteur/Ph.D en Science politique

Université de Ngaoundéré (Cameroun)

Résumé :

Le glissement terminologique objectivé dans le discours savant par le passage du lexème

‘’politiques publiques’’ à celui d’’action publique’’ est porteur de toute une philosophie : celle

d’une clôture temporelle de la trajectoire destinale de cette modalité historiquement datée et

socialement située d’organisation du politique qu’est l’Etat. Tout se passe comme si l’avènement

d’une société civile, la montée en puissance du secteur privé et de ses acteurs corporatifs signaient

l’avènement du post-politique et a fortiori du post-étatique. C’est en tout cas l’inférence à laquelle

incline chez certains spécialistes des politiques publiques, qui par ‘’effet de théorie’’

surenchérissent le déclassement de l’approche ‘’top-down’’ par la perspective ‘’bottom-up’’ dans

l’intervention publique. Si le complexe nominal politiques publiques a pour référent l’Etat, le

complexe nominal action publique serait, quant à lui, le marqueur intellectuel et institutionnel

d’une atrophie socio institutionnelle de la désétatisation des processus sociaux, à telle enseigne

qu’il est légitime de poser la question : que reste-t-il de l’emprise sociale de l’Etat face à la

poussée intrusive des acteurs sociaux dans l’activité de régulation politique ? L’observation de la

gestion de la crise sanitaire dite de la Covid19 au Cameroun donne à voir qu’en dépit d’une

profonde activité de remise en cause, la représentation instituée du politique demeure, à travers

ses politiques publiques réglementaires, distributives et répressives, l’horizon indépassable de

l’intervention publique.

Mots clés : Gouvernance, Politiques publiques, Analyse des politiques publiques, Etat, Etat néo

régalien

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Introduction

L’Analyse des politiques publiques semble avoir constitué – dans la Science politique aussi

bien interne qu’internationaliste – le terreau intellectuel de la déconstruction savante de la majesté

et de l’emprise sociale de l’Etat contemporain. Autant le lien est intime entre l’approche libérale

des politiques publiques à travers le tempérament de recherche labélisé ‘’Action publique’’,

affectionné par les chercheurs, et la gouvernance, autant l’inclination est grande chez ces

chercheurs à conclure, si n’est à une émasculation de l’Etat, du moins à son atrophie politique.

D’un mot, l’Etat ne serait pas loin d’être un empereur sans sceptre.

En fait, aussi bien la conclusion des travaux universitaires1 que les études d’experts de la

société civile et autres organismes idéologiquement imprégnés de libéralisme donnent à voir une

perte du sens et de la puissance des éléments définitionnels de l’Etat et en même temps objectivant

sa puissance en tant que principal instituteur et inspirateur du social. Si l’on considère avec Max

Weber que « l’Etat est une entreprise politique à caractère institutionnel dont la direction

administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la

contrainte légitime »2, la mise en résonnance de cette acception de l’Etat avec les corrélats

épistémologiques de l’analyse des politiques publiques révèle une mise à l’étroit, aussi bien

intellectuelle qu’empirique, de cet Etat-là.

Si l’on considère en effet la prétention de l’Etat au monopole de la contrainte, on ne peut

ignorer la conséquence de ce monopole : la plenitudo potestatis, c’est-à-dire la puissance absolue.

Pourtant, c’est presqu’en opposition à cette prétention que se construit l’Analyse des politiques

publiques comme cadre d’intellection de l’intervention publique, dès lors qu’une frange

importante des jeunes chercheurs trébuchent sur la distorsion cognitive induite par la confusion

entre ‘’Politiques publiques’’ comme cadre d’analyse et ‘’politiques publiques’’ comme

programme d’action gouvernemental. C’est qu’une lecture distraite les amène à assimiler ces deux

ordres de réalité, établissant ainsi une mutuelle référentialité entre eux, dès lors qu’ils sont plus

enclins à retenir deux postulats.

1 NGUELIEUTOU (A.), « L’évolution de l’action publique au Cameroun : l’émergence de l’État régulateur », dans

Polis, R.C.D.S.P/C.P.S.R ; Vol 15, n° 1&2, 2008 ; ELA ELA (P.A.), La politique d’assainissement au crible d’une

sociologie de la gouvernance urbaine au Cameroun, thèse de doctorat en Science politique, Université de Yaoundé

2. 2 Economie et société, Paris, Plon, 1959.

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D’une part, l’enjeu des politiques publiques est de décrypter les logiques, les modalités et

les conséquences sociopolitiques non pas de l’action gouvernementale au sens étroit, mais plus

largement de la gouvernance publique3. D’autre part, les politiques publiques visent un ‘’public’’

multiples bien décidés à faire entendre leurs voix dans les processus de décision et de mise en

œuvre4. On est là au cœur de l’emmêlement générateur de distorsion cognitive constituant le

fermant d’une désacralisant intellectuelle de l’Etat à travers une Analyse épistémiquement biaisée

et, plus moins consciemment, idéologiquement informée de l’intervention publique

contemporaine.

Il résulte, de la plupart des études biaisées par cette distorsion cognitive inhérente à la fautive

et malheureuse assimilation entre ‘’Analyse des politiques publiques’’ et ‘’Politiques publiques’’,

que l’Etat en sort bien souvent : éborgné, amputé et presqu’impotent. Dès lors, la conscience de

ce biais cognitif dans la démarche d’intellection objective de l’intervention publique rend légitime

un retour sur la question suivante: la conception et la mise en œuvre de l’intervention publique

sous le prisme de la gouvernance induisent-elle de manière ferme et décisive un déclassement de

l’Etat comme principal agent instituteur et régulateur du social face à ces publics multiples bien

décidés à faire entendre leurs voix dans les processus de décision et de mise en œuvre de l’action

publique ?

Moyennant une démarche réflexive s’inscrivant dans la sociologie compréhensive wébérienne,

et à partir des faits empiriques que fournit la gestion de la crise de la COVID19 au Cameroun

depuis sonavènement, l’on voudrait vérifier l’idée qu’en dépit de l’activité de délégitimation dont

il est l’objet, l’Etat demeure l’horizon indépassable de l’activité politique en général et des

politiques publiques en particulier. C’est qu’autant la société évolue, autant l’Etat lui-même, qui y

est encastré, modifie ses modalités de domination qu’il rend de plus en plus subtiles, à telle

enseigne que si Jean Paul Chagnaullaud a pu dire à la suite de Bertrand Badie que la souveraineté

n’est plus ce qu’elle était, on pourrait lui renchérir que l’Etat contemporain, cet Etat néo régulateur

là, domine dorénavant autrement en articulant gouvernementalité et biopouvoir à l’exercice

ouvertement surplombant de sa souveraineté. Objet d’une intense entreprise de délégitimation (I),

l’Etat se saisit de la gouvernance de la Codiv19 pour se repositionner comme maitre du jeu (II).

3 ONANA (J.), Initiation à la Science politique. La notion, le mode de connaissance, les savoirs, Paris, l’Harmattan,

2009. 4 MASSARDIER (G.), « quatrième de couverture », in Politiques et action publique, Paris, Armand Colin, 2003.

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I. DE LA DÉ LÉGITIMATION DE L’ETAT COMME PRINCIPAL RÉGULATEUR

DU SOCIAL

Si la science est réputée tenir son crédit social et donc être affectée d’un fort coefficient de

validité du point de vue des savoirs qui en résultent, c’est parce qu’on la tient pour distincte, et

pourquoi pas dichotomique de l’idéologie5. Pourtant à bien y regarder, la production scientifique

n’est jamais entièrement exempte de parasitages idéologiques plus ou moins volontaires, et la

frontière est souvent bien ténue6 entre les deux comme semble le témoigner la remise cause

doctrinale de l’Etat (A) qui trouve un écho dans une actualisation empirique entreprise par divers

acteurs sociaux (B).

A. La remise en cause doctrinale de la prééminence de l’Etat : entre marxisme délégitimant

et libéralisme désacralisant

L’activité doctrinale de délégitimation sociale contemporaine de l’Etat est perceptible aussi

bien dans le marxisme que dans le néo libéralisme.

Faisant pièce aussi bien au système de pensée hégélien que durkheimien sur l’Etat, Karl

Marx mène une activité scientifique, très idéologiquement informée, ayant pour cœur de cible

l’Etat soumis à une critique virulente et voué à un dépérissement inéluctable. C’est que le grand

idéologue socialiste pense que l’Etat est simplement une excroissance pathologique de la société.

D’une part, l’une de prémices fondamentale de l’immense philosophe politique qu’est

Hegel est que l’Etat pousse à la réconciliation des citoyens, parce qu’il est fondé sur la réciprocité ;

ladite réconciliation s’opérant par synthèse entre l’éthique aristocratique et le point de vue

bourgeois. En fait, l’Etat permet la réconciliation entre le Maître reconnu et l’Esclave

reconnaissant. Il y a là en arrière fond un mécanisme de construction cognitive et de légitimation

subliminale de l’Etat dans les représentations citoyennes. D’autre part, c’est précisément ce travail

de légitimation que continue un peu plus tard Emile Durkheim lorsqu’il pense l’Etat comment une

5 KUHN (Th.S.), « Objectivity, Value Judgment and Theory Choice», in KLEMKE (E.D.) HOLLINGER (R.) and

WYSS RUDGE (D.) (eds), Introductory Reading in the Pholisophy of Science, 3rd ed, Prometheus Books, New-

York, 1998pp.435-450. 6 ZIMAN (J.) « What is Science ? », in KLEMKE (E.D.) HOLLINGER (R.) and WYSS RUDGE (D.) (eds),

Introductory Reading in the Pholisophy of Science, 3rd ed, Prometheus Books, New-York, 1998, pp. 48-53.

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nécessité structuro-fonctionnelle qui apparaît comme le seul véritable rempart contre l’anomie

dans une société de plus en plus différenciée et spécialisée.

C’est pourtant exactement le contre-pied de ces deux illustres penseurs politiques prend

Karl Marx7. C’est tout le sens sa thèse du dépérissement de l’Etat, cette excroissance sociale

pathologique résultant de la lutte des classes. En fait, dans le système de pensée marxien, cette

lutte des classes est le moteur de l’histoire et oppose les classes issues de cette division du travail

social, à laquelle Emile Durkheim consacre une partie substantielle de son œuvre. Le conflit des

classes est d’autant plus profond que les intérêts des classes en présence, la bourgeoisie et le

prolétariat, sont antagoniques et inconciliables. Or l’Etat apparaît pour garantir et perpétuer par

instrumentation du Droit, la domination des bourgeois sur les prolétaires. La solution à ce conflit

des classes n’est autre l’instauration d’une société égalitaire, qui ne peut elle-même, advenir à

l’existence que suite à la disparition de l’anomalie sociale qu’est l’Etat. on comprend alors que la

thèse de l’inéluctable dépérissement de l’Etat, bien qu’à certains égards, drapée du manteau

valorisant de ‘’théorie scientifique’’ est bien lestée d’une idéologie délégitimante et

désacralisatrice de l’Etat, moins de deux siècles après son invention comme forme d’organisation

(du) politique, c’est dire comme principal agent instituteur et régulateur du social.

L’activité doctrinale classique de délégitimation sociale de l’Etat a pour pendant contemporain

le néolibéralisme, lui-même, très lié au postmodernisme ; cette collusion épistémique fondant et

nourrissant à la fois une profonde remise en question savante de l’Etat au regard du prestige et du

crédit social dont jouit le savant.

Les tenants du libéralisme, dont quelques-unes des figures les plus représentatives sont James

Rosenau8 et Bertrand Badie, soulignent avec une emphase particulière la position d’usurpateur, au

mieux de simple courtier, de l’Etat aussi bien dans la vie interne que sur la scène internationale.

D’une part, James Roseau remet en question la centralité de l’Etat dans les processus

internationaux. Pour ce faire, il montre que les figures étatiques du diplomate et du soldat sont

désormais concurrencés – avec succès, doit-on dire – par les skillful individuals capables de donner

de la visibilité aux causes en vue de leur inscription à l’agenda, d’initier et de conduire des

7 Cette contradiction est d’autant plus significative que Karl Marx est l’un des critiques les plus systématique et

méthodique de la philosophie hégélienne de l’Etat. 8 Il est le principal théoricien du transnationalisme, et donc au cœur la pensée libérale en Relations internationales et

inspirant à ce titre Bertrand BADIE et les autres libéraux.

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négociation9. La preuve la plus patente du succès de ces skillful individuals, et donc de la

délégitimation insidieuse de l’Etat, étant le recours de ces derniers à leurs comme médiateurs.

D’autre part, quelques-uns des éléments de bibliographie de Bertrand Badie éloquemment

édifiants quant à l’orientation négationationiste de l’emprise sociale de l’Etat moderne chez cet

auteur. Le temps des humiliés : Pathologie des relations internationales10 ; L’Hégémonie

contestée : Un monde sans souveraineté, les Etats entre ruse et responsabilité11 ; Les nouvelles

formes de domination internationale12 ; Quand le Sud réeinvente le monde. Essai sur la puissance

de la faiblesse13 ; L’impuissance de la puissance : essaie sur les nouvelles relations

internationales14 ; La diplomatie des droits de l’homme : Entre éthique et volonté de puissance15.

Dans « Le retournement du monde. Sociologie de la scène internationale »16, cet auteur et sa

collègue tisse la trame de leur ouvrage autour du thème de la crise de l’Etat-nation pour y montrer

comment la revanche des sociétés et des individus aboutit à une multiplication des acteurs, des

enjeux et des espaces internationaux. Le premier axe de leur démonstration est consacré à

l’effritement du monopole de l’Etat sur la scène internationale ; cet Etat, là, ayant du reste échoué

à s’universaliser. En somme, à cause de la crise des identités et de la reconfiguration de l’action

internationale, l’Etat se trouve de plus en plus concurrencé dans sa fonction de mobilisation des

hommes et des ressources. D’autre part, La fin des territoires. Essai sur le désordre international

et sur l’utilité sociale du respect17 permet de voir que l’auteur pense que le territoire, en tant que

marqueur de la souveraineté de l’Etat et support d’une citoyenneté est aujourd’hui ébranlé, tant de

nouvelles dynamiques inhérentes à la mondialisation dépassent les frontières classiques et créent

de nouveaux espaces, à telle enseigne que de ‘’formes inédites d’organisation du politique

réeinventent le principe de territorialité’’.

Il n’est pas excessif que l’économie de la pensée Bertrand Badie est marquée et travaillée par

d’un cachet idéologique négationniste de l’emprise sociale de l’Etat. La distance entre l’activité

9 ROSENAU (J.), Turbulence in World Politics. A Theory of Change and Continuity, Princeton University Press,

1990. 10 BADIE (B.), Paris, Odile Jacob, 2014, 190 p. 11 BADIE (B.), Paris, Fayard, 1999, 306 p. 12 BADIE (B.), Paris, Odile Jacob, 2019, 227 p. 1313 BADIE (B.), Paris, La Découverte, 2018, 250 p. 14 BADIE (B.), Paris, Fayard, 2004, 293 p. 15 BADIE (B.), Paris, Fayard, 2002, 380 p. 16 BADIE (B.) et SMOUTS (M.C.), Paris, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques – Dalloz, 1992. 17 BADIE (B.), Paris, Fayard, 1995, 280 p.

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proprement savante et l’idéologie étant alors mince, l’actualisation empirique de la remise en

question théorique de l’Etat est un pas qui est allègrement franchi par les autres acteurs sociaux

prenant le relais des acteurs du champ savant.

B. De la migration (il)légale à la dérégulation des marchés : l’actualisation empirique de la

remise en question théorique de l’emprise sociale de l’Etat

La migration illégale et la dérégulation des marchés par les acteurs économiques comme

autant d’activités de contestation de la majesté sociale de l’Etat.

L’une des conséquences et marqueurs le plus visibles du travail doctrinal de délégitimation

sociale de l’Etat est l’immigration, qu’elle soit légale ou illégale qu’il est loisible d’observer aussi

bien ailleurs qu’au Cameroun. Mais qu’il suffise de suspendre l’intérêt pour l’’’ailleurs’’ pour bien

prendre la mesure du phénomène au Cameroun.

L’actualisation de la remise en question de l’Etat et des allégeances citoyennes qui en sont

la raison d’existence se donne en effet à voir au Cameroun à travers l’ampleur de la migration des

camerounais vers d’autres pays, dont principalement la France, le Royaume- Uni de Grande

Bretagne et d’Irlande du Nord, les Etats-Unis, le Canada et dans une certaine mesure la Belgique.

Marquons un intérêt particulier pour la migration vers le Canada qui est l’une des destinations

privilégiées des citoyens camerounais en rupture de rationalité avec leur pays d’origine. C’est que

l’attractivité migratoire de pays est renforcée par l’existence d’un puissant programme qui lui est

dédié : Accès Canada. Cette organisation qui structurent les départs des africains, dont les

camerounais, vers ce pays d’Amérique du Nord est installée dans la plus part des pays africains.18

C’est dans ce cadre qu’il est loisible de voir que les citoyens camerounais sont parmi les

plus gros effectifs de migrants. en effet, lorsqu’en 2012 la structure d’intermédiation en procédure

d’immigration en direction du Canada présente fièrement quelques statistiques de ses activités, il

est loisible de lire : « des hausses encore plus spectaculaires pour certains bureaux ACCES

CANADA notamment le Congo RDC avec une hausse de 400 %, 195 % pour le Cameroun, 139 %

pour la Côte d’Ivoire, 133 % pour le Burkina Faso et 100 % pour le Mali (…) toute l’équipe

18 Elle y aide les candidats à l’immigration à entamer et faire aboutir les procédures d’immigration et d’installation au

Canada. Présente à travers des bureaux aussi bien à Yaoundé qu’à Douala, Accès Canada compte parmi ses clients

de nombreux Camerounais.

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d’ACCES CANADA travaille d’ors et déjà afin que l’année 2013 présente encore de meilleurs

statistiques que celles déjà remarquables de 2012 »19.

Cette citation renseigne éloquemment sur la propension des camerounais à migrer vers

l’extérieur. Le fait significatif, pour le présent propos, n’est pas cette migration en elle-même, mais

le rapport affectif entre les migrants camerounais, désormais immigrés, avec leur pays d’origine :

dans la plupart des cas, c’est un sentiment de rejet de ceux-là à l’endroit de celui-ci ; marquant une

quasi rupture d’allégeance citoyenne des immigrés envers l’Etat du Cameroun contesté et

délégitimé dans les représentations qu’ils en s’en font. C’est précisément ce dont témoigne un

échange entre deux immigrés camerounais vivant l’un au Canada, et l’autre aux Etats-Unis et un

de leurs concitoyens restés au Cameroun. La substance de cet échange est la suivante :

- Didier Ibii Otto : Les personnes sous assistance respiratoire suite à la COVID19 font

comment sans électricité ou ce n’est pas mon problème ?

- Notable Bansoa Fotouni : Ils vont bientôt te dire que la coupure fait partie des mesures prises

aujourd’hui par le dictateur pour arrêter les 500 chauves-souris qui se balladent à Yaoundé

(…) donc par conséquent c pour la Prévention COVID.

- Pierre Ndjeck Ndjeck : Notable Bansoa Fotouni : vs racontez mm quoi aux svt avec vos maux

tels que DICTATEUR ? Vs allez en occident aujourdhui vs devenez coe fou parce que vs avez

vu des pays developpés…

- Notable Bansoa Fotouni : affamé. Tu ressembles à quelqu’un qui mange bien ? misérable de

la première génération. Achète même déjà un bon lait de toilette. Ca va te faire ressembler à

quelqu’un, même comme tu n’est rien. Ton gd dictateur n’a rien fait pour développer le pays ;

c moi que tu attends pour venir te nourrir heinnn. MENDIANT20.

Ces échanges très vifs entre camerounais de l’intérieur et camerounais de l’extérieur

illustrent assez éloquemment la désaffection des second vis-à-vis de leur Etat d’origine dont ils

contestent l’autorité, lui déniant parfois leur allégeance en affirmant clairement qu’ils n’y

retourneraient jamais s’installer.

19 www.accescanada.com, consulté le 24 novembre 2020 à 11h 13mn. 20 Page Pacebook de Notable Bansoa Fotouni, le 13 juillet 2020, à 19 h 40 mn.

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Si la libéralisation est présentée comme une condition souhaitable pour le développement des

économies dans cette ‘économie-monde’’ tant exaltée, la lecture économiciste qui en est souvent

faite occulte le fait que la dérégulation nécessaire à l’édification de l’économie-monde implique

au plan politique la remise en question des privilèges de l’Etat. Autant le Cameroun n’échappe pas

à l’actualisation du paradigme libéral.

Vers la fin des années 2000, le Cameroun se retrouve dans un cycle de négociations qui le

conduit à la signature d’un instrument inscrit au cœur de la pédagogie d’action occidentale visant

à l’ancrer dans le terreau du libéralisme économique. En effet, dans ses relations et transaction

avec l’Union Européenne, l’Etat Cameroun signe un APE séparé autrement appelé APE

Intérimaire (APEI). Le principal effet de cet instrument diplomatico-économique est de démanteler

les barrières aussi bien tarifaires et que celles non tarifaires à l’entrée du marché national

camerounais pour les divers produits en provenance des pays de l’UE.

C’est en droit ligne que le 1ier janvier 2008, l’APEI est entré en vigueur de façon unilatérale au

Cameroun. Il en a résulté pour ce pays une possibilité d’exporter ses produits sur le marché

européen, sans être confronté à la question de taxes ou de quotas ; le pays n’étant du reste pas

astreint à accorder la réciprocité à l’UE. Ces avantages ne doivent pourtant occulter la menace que

représente l’APEI pour le Cameroun au regard d’un déséquilibre certain.

La relation UE-Cameroun met, dans le cadre de l’APEI, en présence deux partenaires dont le

niveau de développement est sans commune mesure. En effet, si l’UE est constitué d’un ensemble

d’Etats intégralement développés et puissants, le Cameroun est un pays sous développé. Ensuite,

le déséquilibre s’objective au regard de la nature des échanges entre les deux partenaires en

présence. Alors que les pays de l’UE exportent massivement les produits manufacturés à très forte

valeur ajoutée, le Cameroun n’exporte au mieux que des matières premières sans grande incidence

sur son essor économique. Enfin, il est loisible de prendre acte du déséquilibre en termes de

compétitivité des biens échangés. Ainsi, si les produits mis à disposition par les pays de l’UE

respectent le rapport qualité-prix, s’imposant de ce fait sur la plupart des marchés à travers le

monde, les produits camerounais sont loin de cette trajectoire destinale du fait des difficultés

rencontrées lors des contrôles relatifs aux normes qualité, esthétiques et phytosanitaire.

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L’APEI induit pour l’Etat camerounais une menace qui peut s’énoncer en termes d’éviction de

producteurs locaux et de désintrustrialisation. En fait, avec la signature et l’entrée en vigueur de

l’APEI au Cameroun, il plane une véritable hypothèque sur le secteur privé national. Ainsi,

l’instrument conventionnel entre le Cameroun et l’UE se présente comme un facteur de stagnation,

si ce n’est de régression, des filières de production agricoles, avicoles et aviaires. Par ailleurs, les

entreprises nationales dont les activités sont concernées par l’APEI ne sont pas à mesure de

soutenir une compétition commerciale équitable avec les unités industrielles européennes. Il en

résulte que la très grande – et pourquoi pas trop ? – des produits manufacturés européens ne peut

qu’aboutir à la fermeture des entreprises camerounaises, exacerbant du reste le chômage.

La conséquence la plus grave de cette désindustrialisation induite par l’APEI, et donc la

plus significative du point de vue de la présente réflexion, est la difficulté que peut avoir l’Etat à

prélever l’impôt qui est l’une de ses sources de revenus les plus importantes. Or un Etat désargenté

ne peut très difficilement prendre en charge les aspirations de ses citoyens, perdant ainsi toute sa

légitimité sociale dans les représentations qu’ils s’en font.

Ainsi, la libération et a dérégulation des échanges qui lui est consubstantielle implique,

même de manière insidieuse, une érosion du monopole fiscal, marqueur essentiel de la puissance

et de la majesté sociale de l’Etat qui se trouve ainsi ébranlé dans ses fondements. On est alors

préparé à comprendre que l’Etat Camerounais se saisit, presque, parfaitement de la pandémie de

la COVID19 qui devient une ressource politique a priori méconnaissable dans son travail de

permanent de (re)légitimation.

II. A LA (RE)LÉGITIMATION DE L’ETAT COMME INCOMPRESSIBLE

NÉCESSITÉ STRUCTURO FONCTIONNELLE

La COVID19 se présente comme un péril aussi bien pour les citoyens que pour l’Etat et ses

institutions, en somme, une crise sociétale. Paradoxalement, cette pandémie est le ferment qui

permet au moignon de l’Etat de se régénérer et de redéployer son autorité et son emprise sur la

société toute entière, se réaffirmant ainsi comme une nécessité structuro fonctionnelle

incompressible. D’où l’exploration de la pandémie de la COVID19 comme une crise de sécurité

sociétale (A) et l’idée de l’émergence d’un Etat néo régalien (B).

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A. La crise sanitaire comme crise de sécurité sociétale : désarroi citoyen, désir social d’Etat

La pandémie de la COVID19 apparaît à plusieurs égards comme une crise sociétale. Si elle

inspire une telle perception, c’est bien en regard de la profonde incertitude existentielle dans

laquelle elle plonge aussi bien les institutions de l’Etat camerounais que ses citoyens dont elle

affecte les certitudes destinales.

La pandémie de la COVID19 induit des effets négatifs directs sur les citoyens, surtout ceux

appartenant à la classe populaire n’ayant pas d’emploi stable et devant trouver quotidiennement

des moyens de subsistance. Mais aussi bien la classe moyenne que la haute bourgeoisie ne sont

épargnées des effets négatifs de la pandémie.

Qu’il suffise par exemple de prendre à titre d’illustration la polémique que nourrit au

Cameroun au mois d’avril la convocation de la session ordinaire du Parlement camerounais, alors

que le monde entier est confronté à l’avancée de la pandémie. D’aucun, dont notamment les

membres de l’opposition, affirment que la convocation de la session parlementaire est inopportune

en moment de crise sanitaire mondiale. D’autres soutenant que les instances de l’Etat ne sauraient

être paralysées dans leur fonctionnement par une crise sanitaire. Quoi qu’il en soit, l’idée qui

retient l’attention est celle d’un malaise dans l’être et l’agir de l’Etat.

Le malaise dans l’être de l’Etat et les institutions qui l’incarnent au quotidien se perçoit dans

la manière dont les institutions en question sont rééquilibrées pour leur structuration. Ce qui se

donne à voir sous la modalité pratique du ‘’service minimum’’. Sous ce qui apparaît à la fois

comme une notion et une modalité pratique d’aménagement des institutions de l’Etat en contexte

de crise sanitaire, il convient de voir la réduction à leur plus simple expression de tous les grands

– et même petits – services publics de l’Etat. Si ceci est observable dans une logique républicaine,

il est tout aussi loisible de relever des logiques de pouvoir personnels se nichant au cœur de cette

stratégie de service minimum, notamment au sein de certaines entreprises à capitaux publics.

D’un point de vue républicain, le service minimum s’est objectivé à la faveur de la COVID19

par exemple au niveau des services publics de la justice au Cameroun. Les audiences y ayant été

suspendues et renvoyées à des dates ultérieures. Les justiciables, notamment en détention

préventive étant ainsi privés de manière plus ou moins abusive de leur liberté eu égard aux lenteurs

judiciaires et procédurales inhérentes à la logique du service minimum.

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D’un point de vue du déploiement des stratégies de déploiement et d’aménagement des marges

de pouvoirs personnels, les cas les plus exemplifiant se donnent à voir au sein des entreprises

publiques. La crise et le mesures édictées par le Gouvernement de la République pour combattre

la transmission du virus fournissent au manager d’accroître leurs marges de manœuvres vis-à-vis

de leurs collaborateurs en rusant avec les textes, si ce n’est en les subvertissant. L’on voit en en

effet une entreprise publique comme le Laboratoire National du Génie Civil réduire drastiquement

ses effectifs pour cause de confinement. Raison noble s’il en est. Pourtant à bien y regarder et en

congruence avec certaines données de terrain, le confinement et l’exigence de service minimum

qui s’y attache fournissent l’occasion rêvée aux managers de se défaire pour plus ou moins long

terme des collaborateurs les plus embarrassants car rétifs à leurs options managériales. Il est alors

loisible de relever le cas d’une entreprise publique dont le manager met en congé la majeure partie

des employés de sa structure pour cause d’urgence sanitaire. Seulement à bien y regarder, parmi

les employés ‘’placés en confinement’’ se trouve le Délégué du personnel de l’entreprise dont les

rapports avec la hiérarchie sont réputés bien houleuses. Il n’est pas alors excessif de voir le

confinement et le service minimum comme des ressources de pouvoirs dont se sert le manager

pour accroitre sa marge de manœuvre et donc son autorité autant sur ses collaborateurs que sur

l’entreprise dont il a la charge.

Les effets induits et cumulés de ce service minimum induit par la crise de la COVID19 se

traduisent dans les faits et de manière agrégée en un mal être de l’Etat qui réduit à sa plus simple

expression, n’est pas à même de répondre de manière efficace aux nombreuses sollicitations

sociales dont il fait l’objet, courant ainsi le risque d’une délégitimation sociale, qu’on a déjà vue

assez bien nourrie au plan théorique. C’est précisément pour conjurer un tel péril que l’Etat

s’aménage des moyens de redéploiement de son emprise sur la société toute entière. La COID19

apparaît alors comme une ressource de domination don se sert avec succès l’Etat néo régalien.

B. Confinement comme bio pouvoir réhabilitant l’Etat : surveiller, réguler, punir

La sévère crise de légitimité à laquelle l’Etat a fait face dans les années de gloire du néo

libéralisme n’a, aujourd’hui de pendant, que la revanche de cet Etat qui réinvente ses modes de

domination en se servant de la crise de la COVID19 comme une structure d’opportunités dont il

sait se saisir ainsi que le montre l’usage stratégique qu’il fait du confinement conduisant à

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l’instrumentation des politiques réglementaires et redistributives qui restaures ses légitimité et

majesté sociales.

Face à la fulgurance de la progression de la COVID19, induite par la relativisation des

frontières, et au très fort taux de mortalité l’accompagnant, les dirigeants politiques de tous les

Etats de la planète doivent prendre des mesures drastiques en vue de la préservation de la sécurité

nationale, c’est-à-dire de l’Etat et de leur concitoyen. Or, assurer la sécurité individuelle des

citoyens et collectives de leurs concitoyens permet aux dirigeants, mais aussi et surtout en dernière

ressort à l’Etat, de restaurer leur emprise sur l’ensemble de la société. Comme dans les autres Etats

de la planète, c’est précisément cette situation qui s’observe au Cameroun dans le cadre de

l’édiction et la mise en œuvre de mesures de confinement.

Le confinement est une stratégie de réduction des risques sanitaires qui oblige une

population à rester dans son logement ou à un lieu spécifique21. Il s’agit d’une pédagogie d’action

souvent utilisée pour prévenir la propagation des maladies infectieuses comportant des risques

d’épidémies ou de pandémies22. Dans le cadre de la pandémie de la COVID19, le confinement

renvoie, au Cameroun, à un ensemble de mesures d’hygiène et de distanciation physiques,23 dites

barrières, imposées aux gouvernés par les gouvernants.

Au Cameroun précisément, c’est le 16 mars 2019 que les camerounais sont confrontés à la

dure réalité du confinement qu’ils n’ont jusque-là fait qu’observer à la télévision telle qu’appliquée

en Espagne et en Italie. En effet, plus ou moins médusés, les camerounais, ordinaires, découvrent

soit par le truchement des journaux télévisé et parlé de ce jour la Stratégie gouvernementale de

riposte face à la pandémie de coronavirus (COVID19) dévoilée par M. Joseph Dion Ngute, Premier

Ministre et Chef du Gouvernement. Ce dernier, après avoir présenté les motivations du plan de

riposte, indique l’entrée en vigueur jusqu’à nouvel ordre de certaines mesures. M. Joseph Dion

Ngute indique les mesures qui entrent en vigueur à compter du mercredi 18 mars 202024.

21 BONMARIN et BRUHL (D.), « Apport et modélisation des épidémies dans la décision de santé publique : exemple

de la pandémie grippale », dans Médecine et maladies infectieuses, vol.37, supplément 3, décembre 2007. 22 DEMOULE (Jean Paul), Pré-histoire du confinement, Paris, Gallimard, 2020. 23 DAVID (ROTH) et BONNIE (Henrie), « La distanciation sociale comme mesure de prévention de la grippe

pandémique », in National Collaborating Center for Infectious Deseases, juillet 2011. 24 Les frontières terrestres, aériennes et maritimes du Cameroun seront fermées : tous les vols et passagers en

provenance de l’étranger sont suspendus à l’exception des vols cargos et des navires transportant des produits de

consommation courante ainsi que les biens matériels essentiels dont les temps d’escales seront limités et encadrés ;

- Les missions à l’étranger des membres du Gouvernement et des agents du secteur public et parapublic

sont suspendues ;

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Il est loisible de relever à la lumière de cette dernière restriction que la COVID19 fournit à

l’Etat camerounais – comme à d’autres d’ailleurs – le prétexte d’une recette de domination fondée

sur le contrôle des corps à travers le confinement. En effet, la période-stratégie de confinement

impose à tous les citoyens camerounais une restriction des libertés d’aller et de venir, le port

obligatoire du masque. D’ailleurs, à l’entame de chaque édition du journal télévisé de la chaîne de

télévision à capitaux public Cameroon Radiotélévision (CRTV) il est loisible de regarder et

d’écouter (le Chef de ) l’Etat, (Paul Biya), marteler avec vigueur : « N’oublions pas que la

négligence d’une seule personne peut nuire gravement à l’ensemble de la communauté (…) il est

essentiel que les mesures qui ont été édictées soient absolument respectées par chacun de nous

(…) le port du masque dans l’espace public restera obligatoire jusqu’à nouvel ordre (…) ».

Il s’agit là de prescriptions auxquelles les citoyens se conforment, même contre leur

volonté ; reconnaissant ainsi l’autorité de l’Etat dont ils implorent par ailleurs la magnanimité qu’il

ne manque pas de manifester à travers la mise en œuvre de politiques redistributives et

règlementaires dans cette période de confinement.

Les politiques publiques sont, au premier abord perçues comme le travail du Gouvernement

ordinairement dévolu à la prise en charge des demandes citoyennes quotidiennes. Ainsi que

permettent de le voir les politiques publiques mises en place dans le cadre de la gouvernance de la

COVID19 au Cameroun, ces politiques réglementaires et redistributives un levier substantiel de

redéploiement de l’autorité et un puissant multiplicateur de légitimité de l’Etat qui se repositionne

ainsi en surplomb de la société toute entière.

- Les administrations publiques devront privilégier les moyens de communication électroniques et les

outils numériques pour les réunions susceptibles d regrouper plus de dix (10) personnes ;

- Tous les établissements publics et privés de formation relevant des différents ordres d’enseignement, de

la maternelle au supérieur, y compris les centre de formation professionnelle et les grandes écoles seront

fermés ;

- Les rassemblements de plus de cinquante personnes seront interdits sur toutes l’étendue du territoire

national ;

- Un système de régulation des flux des consommateurs sera instauré dans les marchés et les centres

commerciaux ;

- Les déplacements urbains et interurbains ne devront s’effectuer qu’en cas d’extrême nécessité ;

- Les débits de boissons, les restaurants et les lieux de loisirs seront systématiquement fermés à partir de

dix-huit (18) heures, sous le contrôle des autorités administratives.

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Ces politiques redistributives et réglementaires se sont précisément données à voir à partir

des mesures d’allègement décidées par le Chef de l’Etat Camerounais après près de deux mois de

confinement endurés par les camerounais. En effet, en date du 1ier mai 2020, le Président

camerounais décide de de l’assouplissement des mesures prises pour faire pièce à la propagation

du coronavirus dans le pays. Parmi les secteurs bénéficiant des politiques redistributives figurent

notamment les Transports, l’hôtellerie et la restauration et les entreprises industrielles.

Dans les Transports, le Chef de l’Etat décide l’exonération de l’impôt libératoire et de la

taxe de stationnement pour les taxis et moto taxis, ainsi que de la taxe à l’essieu au titre du

deuxième trimestre, ladite mesure pouvant être étendue au reste de l’année 2020. Ensuite, dans le

secteur de l’hôtellerie et de la restauration, (le Chef de) l’Etat décide de l’exonération de la taxe

de séjour pour le reste de l’exercice 2020 à compter du mois de mars. Enfin, l’Etat prend des

mesures d’accompagnement fiscal pour les entreprises et pour les particuliers. Ces mesures

consistent précisément d’une part en l’exonération au titre du deuxième trimestre, de l’impôt

libératoire et des taxes communales au profit des petits revendeurs de vivres, et d’autre part au

soutien à la trésorerie des entreprises à travers une allocation de 25 milliards de FCFA, en vue de

l’apurement des stocks de crédits de TVA en attente de remboursement.

Si l’Etat justifie ces mesures d’assouplissement du confinement et d’accompagnement des

citoyens pendant cette période éprouvante par les distorsions économiques et sociales induites par

le mesures de lutte contre la propagation du coronavirus, il n’est pas excessif de tenir qu’il s’agit

là d’un ordre de rationalisation noble qui recouvre et voile une rationalisation plus stratégique à

téléologie de (re)légitimation de l’Etat. En effet, derrière cette magnanimité de l’Etat, on peut voir

sa volonté à démontrer qu’il demeure le maître du jeu, c’est-à-dire le principal instituteur et

régulateur de la vie sociale au Cameroun. Car décider d’exonérer les diverses catégories de

contribuables du paiement de l’impôt et diverses autres taxes, c’est procéder à une manipulation

du pouvoir, une administration, en creux, du monopole de la coercition légitime dont il dispose en

matière fiscale. Autant l’Etat manifeste son pouvoir à partir de la sphère fiscale, autant il donne à

voir son emprise en matière pénale.

L’un des aspects importants de la COVID19 au Cameroun est la gestion financière de cette

pandémie. En fait, la crise du COVID19 a amené le Gouvernement camerounais à se doter d’un

Plan global de riposte sur trois (03) ans. C’est dans ce sens qu’un compte d’affection spéciale est

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créé. Il s’agit concrètement du « Fonds Spécial de Solidarité Nationale pour la lutte contre le

coronavirus et ses répercussions économiques et sociales ». Au regard des enjeux liés à la réussite

de ce plan pour la santé des populations et le développement économique national, la chambre des

comptes inscrit l’audit de ce Fonds dans son programme de contrôle de 2020.

De manière générale, toutes les administrations publiques camerounaises reçoivent une

dotation financière en vue de faire face à la pandémie. Seulement, près d’un an après le début de

la pandémie et sa prise en charge institutionnelle au Cameroun, agissant comme lanceur d’alerte,

le député du parti d’opposition Jean Michel Nintcheu du Social Democratic Front (SDF) se dit

convaincu de surfacturations lors de l’achat du matériel sanitaire et dans la construction des

infrastructures d’urgence. Il signe dans ce sens une tribune le 13 juillet 2021 dans laquelle il attire

l’attention de l’opinion publique sur les faits qu’il dénonce. C’est la genèse de l’affaire politico-

judiciaire qui est labellisée ‘’Covidgate’’ par les acteurs médiatiques.

Le parlementaire de la Région du Littoral affirme notamment que : « l’absence d’avis

d’appel d’offres publics dans la fourniture du matériel et des équipements de lutte contre la Covid-

19 soulève de forts soupçons de collusion et de délits d’initiés dans les contrats de livraison de

tests et d’autres matériels (…) on achète une boîte de 100 gants en latex à 10.000 francs CFA

contre 3.500 francs CFA en pharmacie, les thermomètres infrarouges coûtent 150.000 francs CFA

à l’Etat contre 25.000 francs CFA en pharmacie… et on peut multiplier les exemples à l’infini »25.

L’alerte lancée par l’Honorable Jean Michel Nintcheu trouve un écho adjuvant auprès des citoyens,

des ONG et même des institutions financières internationales qui s’en font des relais. S’agissant

de ces dernières, dans le cadre de la coopération avec l’Etat du Cameroun, le Fonds Monétaire

International (FMI), sans doute informée de la sulfureuse actualité autour du fonds Covid, aurait

conditionné le déblocage de nouveaux fonds à un audit portant sur la précédente somme de 125

milliards qu’il avait allouée au pays en mai 2020. Il en résulte que le Chef de l’Etat Paul Biya

instruit au ministre de la justice, Laurent Esso, d’ouvrir une enquête concernant les détournements

présumés de fonds qui estimés à 50 milliards de francs CFA26.

25 FOUTE (F.), « Au Cameroun, soupçons de malversations autour de la gestion des fonds du Covid-19 »,

www.jeuneafrique.com , consulté le 11 décembre 2021 à 16 h 21 mn. 26 OLIVIER (M.), « Cameroun : comment Paul Biya veut reprendre les ‘’fonds Covid’’ en main »,

www.jeuneafrique.com , consulté le 12 décembre 2021 à 16 h 30 mn.

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Les politiques distributives et répressives ainsi élaborées et mises en œuvre au Cameroun

dans le cadre de la lutte contre la pandémie Covid-19 révèlent la capacité de l’Etat à reprendre le

contrôle de la société et se repositionner au centre du jeu comme le principal agent instituteur du

social, à défaut d’être cette nécessité structuro-fonctionnelle dont parlait Emile Durkheim en son

temps.

Conclusion

La gouvernance, comme corpus idéologique et corpus normatif, a instillé, comme par effet

de mode, et induisant effectivement un ‘’ effet de théorie’’ dans de nombreux travaux

universitaires et autres expertises, une idée de désacralisation de l’Etat entant que principal agent

instituteur du social. C’est que les postulats inhérents à la théorisation des politiques publiques

sous leur versant libéral formulé en termes d’’’action publique’’ et de ‘’gouvernance’’ sont souvent

par cet ‘’effet de théorie’’ transposés par une sorte de contrebande méthodologique aux divers

travaux qui essaient de rendre compte de l’intervention publique contemporaine en contexte

polyarchique. Si des acteurs autres que l’Etat nourrissent la prétention de co piloter cette

intervention publique aux côtés ou contre l’Etat, il convient pourtant d’être attentif aux micro et

crypto stratégies que met en œuvre cet Etat-là, prétendument émasculé, pour demeurer au centre

du jeu. Plus que jamais, même de manière insidieuse, - et c’est aussi cela l’activité tactique de

domination -, les politiques réglementaires, les politiques distributives et les politiques répressives

élaborées et mises en œuvres par lui, par-delà leurs fonctions allocative des biens rares et lénifiante

des inégalités sociales en conjonctures routinières ou de crise, lui fournissent les ressorts tant

matériels que symboliques de son emprise sociale légitime. Ailleurs comme au Cameroun, la

gouvernance de la pandémie de la Covid-19 aura contribué en remettre en selle un Etat bien

souvent proclamé désarçonné dans l’énonciation et la maîtrise du devenir collectif. En définitive,

le ‘’bottom-up’’ n’est-il pas qu’un vœu pieux auquel résiste le ‘’top-down’’, l’’’Action publique’’

et la ‘’gouvernance publique’’ le nom pompeux donné aux politiques publiques qui demeurent en

réalité stato-centrés ? L’observation assidue de la réalité effective de la chose sera instructive à

cet égard.

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Organisations féminines : levier du développement local au

Cameroun

Par :

SALI GAÏRI

Doctorant en Science politique

Université de Ngaoundéré (Cameroun)

Résumé :

La pauvreté est un phénomène qui engendre le sous-développement, l’insuffisance

alimentaire. Plusieurs pays en développement sont plus confrontés à cette réalité. Le Cameroun

est engagé dans la lutte contre la pauvreté par la prise des mesures dans les Services publics et

les secteurs privés notamment les groupes associatifs féminins ou les organisations

communautaires de base. Ces regroupements sont entre autres : les associations, les groupes

d’initiatives communes (GIG), les coopératives, les fédérations, les confédérations, etc. Les

associations peuvent jouer plusieurs rôles comme l’amélioration des conditions de vie des

populations, l’impulsion au développement par le lobbying, l’initiative et suivi des actions locales,

etc. Les GIC, coopératives par contre font dans la production, la transformation, la

commercialisation des aliments et servies.

Mots clés : pauvreté, organisations féminines/Organisations, développement.

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Introduction

La dégradation de l’environnement socioéconomique engendrée par la crise économique

des années 1980 a exacerbé la cherche d’une réponse holistique à ce phénomène dans le cadre de

la stratégie de réduction de la pauvreté. En effet, depuis quelques années, la crise économique, les

aléas climatiques, les urgences humanitaires ont modifié l’environnement politique, économique

et social. Or la femme camerounaise joue un rôle indéniable dans l’économie. En tant que

« mamelle nourricière », elle contribue largement dans la survie des populations par des multiples

activités de base. Cependant, sa contribution reste moins visible. Pour relever les défis, la femme

doit se joindre aux autres dans les associations des personnes dans le but d’être plus solidaires,

plus intégrés, plus dynamiques, plus écoutées, plus responsables, plus rentables et plus visibles.,

elles s’exercent dans les organisations créées localement afin de rendre l’entreprenariat collectif et

constructif. Compte tenu de ces difficultés, elles se sont jointes aux décisions des acteurs publics

et privés pour la dynamisation de leurs rôles dans la société et un investissement accru dans les

activités communautaires de base.

Il existe les organisations des sociétés civiles et que leur fonctionnement est conditionné

par une autorisation et les associations des personnes qui se forment et fonctionnent librement

après une simple déclaration par devant une autorité compétente. L’essentiel c’est qu’elles soient

reconnues. C’est ce dernier cas qui fera l’objet de notre étude à l’instar des associations féminines,

les Coopératives et Groupes d’Initiatives Communes (COOP/GIC), les fédérations et

confédérations. En effet, l’adage selon lequel « L’union fait la force » n’est pas encore obsolète.

La politique du développement socioéconomique permet l’amélioration des conditions de

vie des populations et la lutte contre la pauvreté. Dans l’optique de l’amélioration des conditions

de vie et de respect de leurs droits fondamentaux, plusieurs actions ont été menées aussi bien par

l’État que par les femmes. La question est celle de savoir comment les associations féminines

contribuent-elles à la lutte contre la pauvreté et comment façonnent-elles leur épanouissement et

le développement ?

Les organisations féminines contribuent au développement à travers la lutte pour

l’autosuffisance alimentaire, la lutte contre la pauvreté, l’autopromotion et le développement local.

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Le courant de pensée utilisé est le fonctionnalisme. La fonction « est la contribution

qu’apporte un élément à l’organisation ou à l’ensemble dont il fait partie ». Talcott Parsons1 a

identifié quatre fonctions du système d’action : l’adaptation qui est de rechercher des ressources

extérieures pour les adapter aux besoins ; la poursuite de but, qui est important pour déterminer les

moyens ; l’intégration et la latence (motivation). Dont, toute société doit remplir certaines

fonctions naturelles comme la production des biens et services (nourriture), se reproduire et assurer

la protection des membres (solidarité, la défense). La synergie d’action sera analysée en (I) et la

contribution des associations féminines à la gouvernance et au développement local fera l’objet de

la deuxième partie (II).

I- LA SYNERGIE D’ACTIONS DANS LA CONTRIBUTION DES

ORGANISATIONS FEMININES A LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET

L’INSUFFISANCE ALIMENTAIRE

Les experts reconnaissent la pauvreté objective qui a des critères objectifs et vérifiables et la

pauvreté subjective qui concerne les perceptions réelles du vécu quotidien du pauvre. Cette réalité

fait que les femmes ne doivent pas seulement être des simples bénéficiaires ou des retombées du

développement mais celles qui contribuent à l’épanouissement de leur cadre de vie, de leurs

communautés. En effet, La lutte contre la pauvreté et la garantie pour la sécurité alimentaire ont

toujours été un défi pour les hommes, les jeunes et femmes. Cet état des lieux a permis de trouver

les pistes des solutions. Nous allons tabler sur l’aspect institutionnel et les rôles des acteurs de

promotion des associations féminines (A). Par ailleurs, voir les actions des organisations féminines

(B).

A- Le renforcement institutionnel et des mécanismes d’encadrement des organisations

féminines dans leurs actions communautaires

Dreze et Sen2 soulignent l’importance des politiques publiques dans la lutte contre la faim. En

dehors de la pauvreté, les femmes dans la plupart des cas rencontraient des contraintes structurelles

1 Talcott (P.), Social Systems and the Evolution of Action Theory, New York, The Free Press, the present status of

structural functional ; 1975. 2Dreze J. et Sen A. (dir.), L’économie politique de la faim. Trois tomes. Presses de l’Université d’Oxford ; 1991

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et des barrières à la mise en œuvre de leurs potentiels au service du développement. Il s’agit entre

autres :

- Le faible accès aux services sociaux de base par manque d’une offre sanitaire de qualité, à la

terre, aux crédits, manque d’une autosuffisance/sécurité alimentaire à cause de l’économie

embryonnaire comme la pratique d’une agriculture majoritairement de subsistance et l’activité

commerciale informelle, la sous-scolarisation ou la déperdition scolaire au niveau très bas. C’est

l’une des raisons qui a permet la prise en compte de l’évolution de leurs droits dans la société.

D’autant plus que les Organisations à Base Communautaires des femmes ont plusieurs apports.

C’est ce qui ressort dans leurs feuilles de route:

-libérer les femmes des diverses emprises de la société, assurer l’éducation et la formation ;

-susciter l’esprit d’initiative chez les femmes et booster leur insertion aux crédits/ financement des

projets, lutter contre le chômage et l’oisiveté, etc. Il sera question de faire une visibilité sur la

redynamisation du rôle de l’État (1) et les Responsabilités des autres acteurs (2).

1- La redynamisation du rôle de l’État dans les organisations féminines

L’État doit relever les défis pour garantir la vie de ses populations et de leurs biens. En effet, les

mesures de puissances d’un État pour l’intérêt national se mesurent au niveau de l’autonomie

décisionnelle, sa survie, sa sécurité et celle de ses citoyens, la prospérité et son rayonnement. C’est

dans cette logique qu’intervient la lutte contre la pauvreté et la recherche d’une sécurité alimentaire

grâce au Document de Stratégie de Lutte contre la Pauvreté. D’abord, l’État doit mener les actions

pour aider les femmes et les filles à progresser sur tous les plans et bénéficier de toutes les mesures

et autres avantages reconnus à tous les individus, comme les hommes en bénéficient (art. 3 de la

Convention sur l’Élimination des Toutes les Violences à l’Égard). La démocratisation du système

économique, politique et social des années 1990 à libéraliser ces domaines. L’État a cherché à

assurer un cadre propice pour un bon épanouissement des activités de sa population. C’est pour

raison que la volonté politique du Cameroun se manifeste à travers le cadre juridique leur

permettant d’être en groupe.

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- La loi N°92/006 du 14 août 1992 relative aux sociétés coopératives et aux groupes

d’initiatives communes (GIC) et son décret d’application N°92/455/PM du 23 novembre

1992 ;

- La loi N°92/007 du 14 août 92 portant code de travail et le décret N°93/574 du 15 juillet

93 fixant la forme des syndicats professionnels admis à la procédure d’enregistrement ;

- La loi N° 93/015 du 22 décembre 1993 qui s’intéresse aux groupements d’Intérêts

Économique (GIE) ;

- La loi N°99/014 du 22 décembre 1999 régissant les Organisations Non Gouvernementales ;

- La loi n°90/053 du 19 décembre 1990 portant sur les associations.

Dans la rubrique de ces regroupements, nous avons :

En premier point, les GIE au sens de la loi n°93/015 du 22 décembre 1993 en son article 2,

un Groupe d’Intérêt Économique est, une entité résultant d’une convention par laquelle deux ou

trois personnes physiques ou morales, s’engagent à mettre en œuvre tout ou partie de leurs moyens

pour une période déterminée, en vue de faciliter et/ou de développer leur activité économique,

chaque membre conservant sa personnalité juridique. Alors qu’une association n’est pas le cas.

Ensuite l’association, au sens de la loi suscitée est une convention par laquelle les personnes

mettent en commun leurs connaissances ou leurs activités dans le but autre que le partage des

bénéfices. Elle peut être définie également comme le regroupement volontaire de plusieurs

personnes dans le but de la fédération de leurs efforts afin de se soutenir les uns les autres. Elle a

sa raison d’être dans le but de résoudre les difficultés, besoins ou les manquements identifiés dans

la communauté. La naissance d’un projet c’est suite aux désirs de résoudre les difficultés. C’est

cette perspective adoptée comme démarche ou des esquisses de réponses à la solution qui constitue

un projet.

S’agissant des Groupes d’Initiatives Communes (et leur hiérarchisation comme les

coopératives, les fédérations, les Confédérations sont presque similaires dans la définition).Le

GIC : est une organisation à caractère économique et social composées des personnes volontaires

ayant des intérêts communs et réalisant à travers le groupe des activités communes (article 49 de

la loi de 1993 sus-évoquée). Quant aux coopératives, l’article 4 de l’acte uniforme OHADA,

stipule que « La société coopérative est un groupement autonome de personnes volontaires réunies

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pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs, au moyen

d’une entreprise dont la propriété et la gestion sont collectives et où le pouvoir est exercé

démocratiquement et selon les principes coopératifs. »

Enfin, les autres regroupements comme les syndicats professionnels, les Organisations non

Gouvernementales sont aussi importants dans la recherche du bienêtre de la population par leurs

contributions multiformes.

De tout ce qui précède, il y a lieu de reconnaitre que malgré leur différence, ces structures

regorgent un élément commun qui est de mettre l’Homme au centre de leurs préoccupations en

aidant la communauté, de minimiser la pauvreté, etc.

Les pouvoirs publics reconnaissent et contrôlent le bon fonctionnement, la supervision et

le droit de regard sur les associations communautaires. L’assainissement de l’environnement

associatif par l’État, ses institutions et ses partenaires :

Il s’agit la mise en œuvre des politiques gouvernementales en matière d’incitation à

l’implication politique de la femme dans les domaines variés. C’est le cas de l’existence d’une

ligne de crédit allouée aux organisations privées, la professionnalisation des filières de formations

et des acteurs dans leurs services d’activités artisanales, commerciales, les programmes et projets

destinés à l’appui des organisations féminines comme la filière Agropastorale concerne celles qui

optent faire l’agriculture (les semences des tubercules comme la patate, le manioc…) et l’élevage

ou les activités agropastorales. Quelques Programmes et Projets ont été mis en place à l’instar de

Programme National de Développement des racines et Tubercules, le Programme d’Amélioration

de la Compétitivité agricole (ACEFA) ; Programme d’Amélioration de la Compétitivité agricole

(PACA) ; Projet d’Appui à la Micro-finance Rurale (PADMIR) ; le Programme Maïs, le

Programme de Production Laitière. Toutes ces opportunités ont été mise en place pour aider la

population à se nourrir et augmenter aussi la demande sur le marché. Beaucoup des structures de

productions ont été créées. Cependant l’écoulement dans les zones rurales fait problème. Des

regroupements ont été mis en place comme le GIC capital économique dans la ville de

Ngaoundéré ; le Groupes d’Initiatives Communes (GIC) des femmes de cultures maraichères, etc.

Au niveau opérationnel, l’État met en œuvre ces programmes et projets par ses départements

ministériels. Il encourage également les regroupements des femmes en groupes d’initiatives

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communautaires, en associations afin qu’ils soient capables de venir à bout des problèmes

élémentaires de base. C’est ce qui montre l’orientation des politiques inclusives, la définition et la

mise en place d’un dispositif organisationnel à l’épanouissement des associations, au renforcement

des capacités, à une assistance technique. Il s’agit entre autres du Ministère de la Promotion de la

Femme et de la Famille, du Ministère de l’Administration Territoriale et du Ministère de

l’Agriculture et du Développement Rural qui sont des Départements ministériels en matière de

l’encadrement des organisations associatives féminines. Ces structures de terrains ont en charge :

le parrainage des associations dans la recherche de financement, le soutien à l’élaboration des petits

projets à soumettre aux bailleurs de fonds, l’encadrement technique, administratif (appui pour la

reconnaissance juridique, la structuration, conseil en organisation, formations, éducations,

informations…). Ceci dans l’optique de leur permettre à se doter d’un cadre règlementaire pour

défendre leurs intérêts en tant que canaux de mobilisation, cadre de concertation, coordination,

développement de synergie, etc.

Dans leurs interactions, les Organisations féminines aident les Services publics dans

l’atteinte de leurs missions régaliennes. Elles servent des relais pour les activités d’animations dans

localités non représentées par ces services ou dans l’arrière-pays, la diffusion d’informations, la

mobilisation si nécessaire des femmes et associations, la facilitation de l’identification des

problèmes, des difficultés et les attentes rencontrées par les femmes et la population.

2- Le rôle des acteurs et organisations de promotion féminine dans la lutte contre la pauvreté.

La pauvreté est l’insuffisance des ressources et une privation ou limitation de possibilités

de choix et d’opportunités légitimes que font face les individus. D’où nous assistons à des

mauvaises conditions de vie (la santé, le manque d’accès à l’éducation, d’exercice des droits

civiques). Verhaege a insisté tout en relevant le sens de la pauvreté dû à la restriction à l’accès des

ressources matérielles des femmes: « ces lieux de pouvoir qui peuvent être source de revenu, la

femme est exclue ou confinée dans une position inférieure 3». Même si les femmes ne sont pas

assez intégrées dans ce phénomène, elles sont quand même des acteurs importants dans la lutte

contre la pauvreté.

3Verhaege (B.) Femmes Zaïroises Kisangani : combats pour la survie, Paris, l’Harmattan, 1992, p. 214.

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Les études empiriques ont montré que la pauvreté à plusieurs dimensions : la pauvreté non

économique et celle dite économique. La pauvreté non-économiques peut couvrir les aspects

comme l’absence du pouvoir qui exige par exemple le renforcement de capacité d’action par

″l’empowerment ″; l’exclusion sociale pouvant être résolue par la politique de réinsertion sociale ;

l’ignorance d’une identité qu’on peut trouver la résolution par la discrimination positive ‘’

affirmative active’’). Gondard Delcroix4 a mené les travaux sur les types des pauvretés au

Madagascar ce qui a permis de renforcer la vision opposée de la pauvreté de Dubois et Marniesse5

et d’autres conceptions de ce phénomène.

La pauvreté économique : avec trois composantes à l’instar ‘’la pauvreté monétaire’’, ou

de revenu est liée à une insuffisance de ressources comme le niveau de vie ; la ‘’pauvreté des

conditions de vie’’ se manifestant par un manque des besoins concernant l’alimentation (la sécurité

alimentaire), sanitaire (l’accès aux soins de base), l’éducation (faible scolarisation), le logement,

l’eau potable, etc. L’approche des besoins essentiels et dont l’accès aux biens et services de base

commence par l’alimentation, l’éducation, la santé, etc. Streeten P. (et al)6 perçoivent

l’amélioration du bien-être comme la satisfaction d’un ensemble de besoins fondamentaux et non

seulement une croissance soutenue du revenu réel des ménages.

La ‘’pauvreté de potentialités’’ : « retrace l’insuffisance de capital physique (terres,

équipements), ou financier (crédits, actifs financiers), capital humain (niveau d’éducation et de

santé facilitant l’accès à un emploi ou une activité) et capital social (état des relations sociales

permettant l’accès à un revenu). Cette grille d’analyse montre l’obligation d’une réponse holistique

afin de minimiser cette pauvreté.

De prime abord, il faut reconnaitre que les acteurs du système des associations et GIC sont

nombreux. Il s’agit des Organisations Non Gouvernementales (ONG), la société civile, les

individus, etc. Ils jouent plusieurs rôles à l’instar de l’identification des besoins fondamentaux des

femmes ; de la sensibilisation et de l’orientation des femmes vers des activités porteuses ; de leurs

4Gondard (D.) ; « Mondes en développement », 35, n°137, 2007, p. 51-66 5 Dubois, (J.), Marniesse (S.), « Mettre en valeur le lien entre pauvreté et formes d’emploi au Bangladesh, un

objectif pour une adaptation de l’enquête 1-2-3 », Document de Travail, Développement et insertion internationale,

DT/2001/15. 6Streeten (P.), et (al.); Firtthingsfirts : Meeting basic human world ; oxford : Oxford UniversityPress ; 1981

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éducations, formations ; du renforcement d’informations dans le montage des projets et des

business-plans ; de l’initiative et de la mise en œuvre des projets en faveur des femmes (le projet

filets sociaux) ; de la mobilisation des ressources et de l’octroi de financement aux femmes et

groupes des femmes ; de la défense des droits des femmes, etc. Pour le parvenir, ils s’appuient sur

les séminaires et atelier de formations et renforcements des capacités, l’octroi des bourses de

formations, de l’accompagnement financier, technique par des projets et programmes, etc. C’est

dans ce sens que giz voudrait mettre en œuvre le Projet ProCISA « Centre d’innovations vertes

pour le Secteur Agroalimentaire » via le MINADER et le (Ministère de l’Élevage des Pêches et

Industries Animales (MINEPIA). C’est une approche communautaire pour la réduction de la

pauvreté et la faim dans quelques Régions du Cameroun. Ceci sans oublier l’apport des anciens

intervenants comme l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)

dans le combat contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition, de la faim, etc.

En second lieu, il existe d’autres intervenants, c’est notamment les Élites. En effet, les élites

politiques (Sénateurs, Députés, Conseillers Régionaux, etc.) vont non seulement implémenter les

politiques publiques mais d’appuyer les projets grâce à la ligne destinée aux financements des

projets. Les élites intellectuelles pour identifier les obstacles locaux, en débattre et proposer des

pistes de solutions. Les élites économiques pour développer les projets communautaires, la

création des entreprises, etc. la mise sur pied des comités locaux développement ; Les élites

traditionnelles et religieuses pour atténuer la rigueur des pesanteurs socioculturelles néfastes et

faciliter aux femmes l’accès aux espaces d’exploitations, à la terre. En effet, « les autorités

traditionnelles, les leaders d’opinion, les autorités administratives et les autorités religieuses

doivent jouer pour éliminer la discrimination à l’égard de la femme »7.

7 L’article 2 de la CEDEF/

a) Les autorités doivent aider les hommes et les femmes à éliminer les idées reçues, les comportements et les

pratiques qui considèrent les femmes comme des personnes inférieures, faibles ou incapables qui ont besoin

d’être assistées dans tous les actes qu’elles posent au quotidien.

b) Être mère est une lourde responsabilité qui mérite d’être reconnue par les familles les communautés et

l’État. Par conséquent, les hommes et les femmes doivent toujours se mettre ensemble pour entretenir,

élever et éduquer leurs enfants en tenant compte de ce qui est bien pour leur vie et leur avenir.

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B- Le rôle des organisations féminines à la lutte contre la pauvreté et la garantie d’une

autosuffisance alimentaire

L’autonomisation de la femme peut être comprise comme une situation de complémentarité

c’est-à-dire la conjugaison des efforts des hommes et ceux des femmes pour le bien-être de de la

population. Cependant, les préjugés et les stéréotypes orientent les femmes plus comme des

bénéficiaires et moins comme actrices de développement. Pour l’épanouissement de la société, les

femmes doivent intervenir dans les activités communautaires. C’est dans le même sens qu’un

proverbe oriental dit que : « la société humaine ressemble à un oiseau avec ses deux ailes : l’une

masculine et l’autre féminine. Il ne peut voler que si les deux (2) ailes sont développées de manière

égale. » C’est-à-dire que l’admission des femmes à l’égalité serait la marque la plus sûre de

construire la société de demain, qui pourrait être juste et plus fraternelle8.

1- Les motivations de luttes contre la pauvreté et l’insuffisance alimentaire

La gent féminine en période de paix, de tranquillité serait la plus vulnérable et pendant les

crises, les troubles ou les insécurités sociopolitiques, la plus exposée. Si cela semble être non loin

de la réalité, les femmes cherchent non seulement à résoudre leurs problèmes quotidiens mais

d’anticiper les éventuelles situations dégradantes comme les guerres, la famine, etc. Ceci de

manière individuelle par le travail personnel et collective par les Organisations Communautaires

de Base. Les défis de l’heure à l’instar de la contribution à la réduction des maux sociaux. Pour

parvenir à cet objectif, certaines activités sont menées. L’animation des organisations féminines

permet d’assurer la circulation d’informations pour faire connaitre la structure, ses objectifs et ses

activités à ses membres et à toute la communauté. La vulgarisation de ces informations se passe

par l’usage de moyens de communication (communication électronique/médias (téléphones),

séminaires ou les ateliers, des visites d’échanges d’expériences, l’organisation des formations, les

rapports, des procès-verbaux, des comptes rendus, la communication verbale, etc.). Les femmes

africaines en général et les camerounaises en particulier, de manière individuelle ou en groupe sont

interpelées autant que les hommes à redoubler d’efforts. En effet, Daniel Cohen pense que : « les

paysans les plus pauvres du monde vivent majoritairement en Afrique. L’homme le plus pauvre

8 Nicolas Tchingbybe Gong-hai ; La construction de l’autonomisation de la femme dans la société Moudang : pour

une étude des stratégies et des difficultés dans la commune de Léré (Tchad). Mémoire en vue de l’obtention d’un

Master recherche en sociologie de l’Université de Ngaoundéré. 2015/2016 ;

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du monde est sans doute l’un d’eux. C’est une femme, une femme africaine »9. Il s’agit non

seulement d’identifier les facteurs de la pauvreté qui sont à la fois naturels, politiques et

humains comme l’exclusion/marginalisation, manque des politiques incitatives, l’ignorance, la

dépendance, le manque d’éducation, la paresse, l’attentisme, mais de pouvoirs trouver une solution

à ces fléaux qui sont entre autres :

D’abord une tendance à la féminisation de la pauvreté et de certaines maladies. En effet,

l’expérience de la vie courante et les statistiques montrent que les femmes sont plus touchées par

certains fléaux que les hommes. Ceci tant dans l’espace urbain qu’en en milieu rural. Les

conditions précaires de la femme rurale est selon les Objectifs de Développement Durable (OMD)

70% sont des femmes. Cette féminisation de la pauvreté peut s’analyser dans plusieurs domaines.

En effet, les femmes mènent des activités dans le secteur informel, elles ont un accès limité aux

ressources et moyens de production, tels que l’engrais, les technologies améliorées, etc. En matière

d’accès à la terre et aux crédits, quelques femmes seulement sont des propriétaires d’un titre

foncier. Par ailleurs, beaucoup d’entre elles ne s’occupent que des travaux domestiques. Et celles

qui ont d’ambitions ne font que dans l’agriculture vivrière avec toutes ses pénibilités. C’est ces

dernières années que les femmes investissent de plus en plus dans la culture de rente comme le

cacao, le café, la banane dans le Sud et le coton, l’élevage dans la partie Nord du pays. Cette

concentration dans des activités à faible rendement et le fait d’exercer majoritairement dans

l’économie non formelle influencent sur la vie familiale.

Ensuite la « féminisation des responsabilités » et les exigences pour la « survie » des

ménages. La vie urbaine est différente de celle du milieu rural. C’est par exemple l’exigence d’un

emploi tant pour les hommes que pour les femmes. De nos jours, les femmes jouent désormais

plusieurs rôles notamment la production, la reproduction et le travail communautaire.

Conséquemment, elles doivent intervenir non seulement dans la contribution aux charges

familiales ; la gestion des pratiques familiales essentielles et dans des problèmes locaux. Par

ailleurs, le contexte est de plus en plus marqué par la recrudescence des femmes chefs de ménages,

9 Cohen (D.), Richesse du Monde, pauvreté des Nations, Paris, 1997, Flammarion.

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des filles-mères, des femmes célibataires, des femmes divorcées, répudiées et ayant des enfants à

charge, les veuves, etc.

Troisièmement une apparente insuffisance alimentaire : Le manque d’une garantie

alimentaire peut avoir plusieurs causes. C’est le cas d’un déficit alimentaire à cause de sous-

production ; il peut s’agir aussi de la mauvaise utilisation des produits et services par l’exportation.

Pendant, la période des récoltes la vente est à vile prix étant entendu que les paysannes n’ont pas

d’activités parallèles pour subvenir à leurs besoins. C’est la raison d’être des organisations de base

pour canaliser et organiser les ressources du territoire. Selon les Objectifs Mondial de

Développement (OMD) N°2-4, il s’agit d’éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire,

améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable d’ici 2030. Selon les experts, la

sécurité alimentaire comporte quatre composantes notamment : la disponibilité en qualité

suffisante de nourriture ; l’accès à cette nourriture ; la stabilité de l’accès à la nourriture ;

l’utilisation appropriée de la nourriture.

Les pays en développement rencontrent des difficultés qui peuvent se justifier par

l’importation des denrées alimentaires (le riz, le blé, le sucre, etc). La raison d’un développement

autocentré est certes, aucun pays ne peut vivre en autarcie, mais il existe un seuil raisonnable du

taux d’importation. En effet, avec une situation comme le Corona ou Covid-19, où la circulation

des biens et personnes devient restrictive, il serait aussi important de valoriser nos ressources. C’est

paradoxal en ce sens que nous avons des terres arables, de mains d’œuvres abondantes pour parler

d’une tendance à l’insuffisance alimentaire. Les femmes rurales ne demandent qu’un petit appui

pour relever les défis car beaucoup d’entre elles sont oisives par manque des stratégies et moyens

de démarrage des micros-projets. La CEDEF, en son article 14, précise qu’« au regard des

difficultés particulières qu’elle rencontre et du rôle primordial qu’elle joue dans la sécurité

alimentaire, la femme rurale est un partenaire qu’on doit consulter et qui doit bénéficier des actions

spécifiques. De nos jours, les activités comme l’agriculture sont en perte de vitesse quant aux

jeunes, il faut également booster les initiatives dans cette catégorie des personnes qui sont

physiquement actives. La valorisation des produits locaux par la disponibilité des produits

agropastoraux, les denrées alimentaires peuvent non seulement entrainer la diminution du taux

d’importation des denrées alimentaires de base mais de lutter contre la faim et la pauvreté. Les

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problèmes se multiplient à plus d’un titre : la volonté politique d’une part et les catastrophes

naturelles (les inondations, la sècheresse, les aléas saisonniers, etc.). René Dumont, dans une

réflexion sur les moyens de mettre fin au sous-développement, pense qu’il s’agit de « réduire les

inégalités (…) ou manque aussi de maïs et de transports, au Kenya ; et on y souffre plus du manque

de logement et d’une santé rurales très déficientes »10 . Les associations féminines et les GIC

contribuent énormément à nourrir la population par leurs activités agricoles. Le Cameroun est un

bassin de production du riz, de maïs, etc. L’importation excessive peut empêcher l’émergence des

produits locaux. En tant que mamelles nourricières, les femmes en générale et les femmes rurales

par les GIC et coopératives en particulier contribuent énormément à la production agricole et donc

à la sécurité alimentaire. Le manque de l’offre de la production locale pousse les familles

populaires ou modestes à une précarité alimentaire et à la difficulté de répondre efficacement aux

besoins élémentaires de base. Au niveau plus vaste, le manque de surproduction agricole touche

non seulement les entreprises, mais l’État qui, souvent se sent obliger d’importer des produits

alimentaires. Les femmes doivent donc être organisées. Elles doivent être dans la transformation

des outils rudimentaires de production vers les méthodes techniques ; de passer de l’agriculture de

subsistance vers celle dite de seconde génération par l’augmentation de la production agricole,

d’élevage, de pêche, de l’artisanat, etc.

En quatrième lieu le manque d’accès au financement. D’où l’autofinancement des

microprojets par les organisations féminines. L’accès au financement constitue encore un goulot

d’étranglement dans la plupart des pays en développement. C’est la raison pour laquelle ces

associations créent leurs propres sources de financement. En effet, au rang des sources locales, il

a été relevé entre autres, les parents et amis, l’épargne-investissement, etc. Les banques locales

exigent une certaine conditionnalité comme l’apport personnel (au moins « 20% du coût total des

investissements ») et les garanties réelles (assurance vie, l’hypothèque, etc.). Alors que « les

tontines, contrairement aux lenteurs et aux multiples formalités du système bancaire, une démarche

écrite n’est pas nécessaire, en fait tout est simple et rapide ; il suffit que vous soyez membre du

groupe ».11

10 Dumont (R.) ; Marie-France Mottin ; L’Afrique Étranglée 1980, p.185 11 Norbert Monkam et Romain Weladji ; Guide du créateur d’entreprise au Cameroun : Fascicule du Promoteur de

la PME ; 1ère édition ; Collection Métier 1990 ; p. 48 ;

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Enfin, de contrecarrer à l’oisiveté par l’auto-responsabilisation dans des postes dirigeants.

Grâce aux organisations féminines, les femmes apprennent la gestion des activités

communautaires de manière démocratique ; elles font les élections et elles occupent les fonctions

diverses : Présidente, trésorières, etc. La loi accorde la liberté aux membres fondateurs d’une

association de fixer l’objet, l’organisation et le fonctionnement de leur association, pareil pour le

siège et la durée. Elles peuvent réussir ce bon fonctionnement à travers les statuts et règlement

intérieur (articles7, 8 et 9 de la loi suscitée).

2 –Les organisations féminines : Le renforcement du professionnalisme économique, la

promotion des bonnes pratiques pour l’accès et la modernisation de tissu économique

La bonne réalisation des activités se fait par la formation, la gestion du groupe et l’alphabétisation

professionnelle. Les femmes par leurs regroupements vont en guerre contre les difficultés

rencontrées. Ceci par la lutte contre leurs faibles pouvoirs économiques ; la création d’emplois par

le montage et la gestion des micros entreprises ; l’amélioration de cadre de vie des membres; le

renforcement de l’accompagnement financier, technique et administratif, matériel par les pouvoirs

publics et autres acteurs ; la possibilité d’accès aux ressources productives comme les matériels

d’œuvres, la terre, le financement des initiatives locales; la recherche de leur intégration politique

en ce sens que les associations en elles-mêmes sont organisées démocratiquement,

économiquement, socialement et ont des conseils stratégiques. C’est dans ce sens que ces femmes

investissent dans le domaine entrepreneurial pour connaitre les notions de base sur le statut

juridique d’une entreprise et dans les projets de développement, etc. Elles mènent les Activités

Génératrices des revenus par la valorisation de l’entrepreneuriat féminin qui est une base de

l’économie. C’est dans ce sens qu’on peut dire que l’entrepreneur c’est celui qui passe de la théorie

à l’action. Pour cela, les qualités que tout entrepreneur doit apprécier et appliquer sont: « la

ténacité, le sens de responsabilités, l’esprit d’initiative, la résistance aux chocs, la capacité de

travail, la santé, l’enthousiasme et l’aptitude à communiquer cet enthousiasme aux autres,

l’aptitude à décider, l’art de vendre, le bon sens et de jugement, l’adaptation, la curiosité, le désir

de comprendre les autres, et le flair. »12 Chaque femme se bat seule ou en groupe pour être occupée

12 Source : Stratégie pour la création d’entreprise Dunod, 2ème Edition p. 18. Citée par Norbert Monkam et Romain

Weladji: Guide du créateur d’entreprise au Cameroun ; Fascicule du Promoteur de la PME/PMI ; Collection Métier

1ère édition. 1990 ;

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dans la société par une activité financière, économique ou sociale. Les activités valorisées sont

surtout dans la formation, les œuvres artistiques, le travail non déclaré ou occasionnel dans

l’économie marchande ou des prestations des services. Il s’agit de :

❖ Les activités menées sont : Les fonctions publiques/privées (entreprises, la société

civile, associations, GIC/Coopératives) ; la pêche ; l’élevage ; l’agriculture ; les petits jardins ; la

cueillette ; le restaurant/bar ; service traiteur ; l’art/artisanat (Tisserant, poterie, teinture, couture,

coiffure… lits, tabourets, fauteuils, buffets, etc.) ; le petit commerce et buyers and-sellers; la bière

traditionnelle ‶Bilbil″ ; la musique ; l’activité des griot et de danses traditionnelles, la spéculation

des denrées alimentaires ; bailleresses, domestiques, quincaillerie, la santé (accoucheuse

traditionnelles) ; la boulangerie traditionnelle (beignets, gâteaux, etc.).

❖ Les activités moins développées par les femmes : Chauffeur, conducteur de taxi et

mototaxis ; le commandement traditionnel, blanchisserie, l’apiculture, la cordonnerie, le

berger, la maçonnerie, la menuiserie, le charpentier, le travail de la forge, le gardiennage,

la manutention, l’industrie, l’exploitation minière, la soudure, transport, réparation

/mécanique, l’innovation technologique, la boucherie, la chasse, etc.

Les femmes dans leurs regroupements se donnent dans l’apprentissage des métiers porteurs. Sans

être exhaustif, nous avons 04 spécialités ou secteurs d’activités qui permettent aux femmes d’être

autonomes. Il s’agit :

D’abord de technologie de l’information et de la communication. Les métiers possibles

sont par exemples : opérateurs de saisie, opérateurs d’Infographie ; moniteur du support ; opérateur

de télécommunication, etc.

Ensuite la filière textiles et Industrie et habillement (avec au moins 07métiers) : Brodeur,

tisseur ; couturière ; décoratrice ; teinturière ; joaillier ; tricoteuse ;(bonnèterie), blanchisseur, etc.

Troisièmement la filière agropastorale (avec au moins 08métiers) : Porciculteur ;

pisciculteur ; aviculteur ; Producteur de plantes fruitières ; producteur de plantes à tubercule et

racines ; maraichers ; Producteurs des céréales ; Transformateur des produits agricoles ; etc. C’est

l’art d’exercer son métier d’une manière fiable grâce à l’expérience obtenue dans le cadre de

l’exercice des divers métiers. D’une manière pratique, il s’agit ici de la mise en valeur des filières

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étant comme l’ensemble d’activités de production, de commercialisation. Par ailleurs, nous avons

le volet de la transformation de matériels de base (y compris le conditionnement) qui est important.

La transformation chimique comme la fabrication du savon avec des feuilles mortes de manguier

et d’autres composantes ; la teinture sur tissu ; la filière coiffure et cosmétiques (la fabrication des

laits de toilettes, etc.) ; la filière Intervention sociale (sur les pratiques familiales essentielles et les

droits de la femme) et l’éducation entrepreneuriale, etc.

Enfin la filière hôtellerie et Restauration (au moins 04 métiers) : gouvernante ; serveur ;

réceptionniste ; cuisinier, etc.

La femme joue un rôle dans la communauté et l’économie. Dans la famille elle exerce dans

des tâches comme les activités de survie ; la gestion du ménage (éducation des enfants), etc. Au

village, parfois elle travaille plus de 12h/jour. Cependant, les femmes font face à plusieurs

problèmes dans la réalisation des projets. La dégradation de l’environnement économique, social,

politique pousse les femmes à des regroupements pour le reboisement ; le développement de la

dynamique d’autopromotion économique, l’alphabétisation fonctionnelle, etc. Les organisations

sont des lieux d’acquisitions des conseils stratégiques en création, le développement d’une

entreprise est un tremplin politique (mentorat, tutorat, parrainage renforçant les nouvelles

entreprises). C’est aussi un cadre où les femmes peuvent travailler en partenariat avec les

administrations, les partenaires privés, localement ou au niveau national et international. Ce sont

des interlocuteurs privilégiés pour tous les acteurs comme les associations, les publics et les privés.

Ils facilitent l’accès aux marchés intérieurs, extérieurs ; possèdent des techniques

d’accompagnement à la création, la gestion, la pérennité des entreprises, l’acquisition du potentiel

d’initiatives sociales, économiques, le partage d’expérience et plus de réflexion sur les actions à

innover. Ce sont enfin des structures à but non lucratif fonctionnant pour solutionner un problème

ciblé, jugé comme prioritaire pour le développement.

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II - LA CONTRIBUTION DES ORGANISATIONS FEMININES A LA GOUVERNANCE

LOCALE/MUNICIPALE ET AU DEVELOPPEMENT

Joseph Kizerbo13 disait qu’ : « On ne développe pas, on se développe ». « Si on se

développe, c’est en tirant de soi-même les éléments de son développement ». Beaucoup des

politiques, des mesures et d’aides au développement ont été mises en œuvre tant par le Cameroun,

que par les partenaires mais les résultats ne sont pas toujours satisfaisants. C’est la raison pour

laquelle nous avons opté d’autres sources alternatives du développement. Il s’agit des

organisations féminines de base. En effet, comme toutes autres organisations communautaires, ces

dernières n’ont pas nécessairement pour but premier la recherche et le partage des bénéfices. Mais

c’est d’abord la satisfaction des besoins de leurs membres, de leurs communautés, etc. Le premier

rôle c’est d’accomplir les actions de développement. Le faisant, dans leurs actions individuelles

ou collectives elles ne sont pas en mesure, voire incapables de se réapproprier les techniques venant

d’ailleurs et parfois trop techniques. En plus elles connaissent mieux les problèmes élémentaires

de base et les sources d’opportunités pouvant nécessaires. Par ailleurs, il faut aussi dire que « le

développement durable ne se décrète pas, sa mise en œuvre s’inscrit dans des processus

d’apprentissage et de participation des autorités et de la société civile qui requièrent du temps ».14

C’est dire que la notion des « Aires de Développement Concertées » devrait être fluide entre le

« haut » et le « bas ». Si la population à la base est inorganisée, elle devient « un interlocuteur

muet ». C’est qui rend difficile l’aménagement du territoire et le développement du potentiel

humain. L’analyse de cette partie montre une grille à double entrées. D’abord les actions de

développement (A) et ensuite la dynamique de la décentralisation, de gouvernance et du

développement local grâce aux organisations féminines (B).

A-La mise en œuvre des actions de développement par les organisations féminines

La définition de la notion du développement est loin d’être unanime. Il englobe les efforts

des hommes, des jeunes et des femmes et non seulement la contribution d’une catégorie ou groupe

de personnes. Isabelle Droy constate que le développement, vu seulement au masculin, aboutit à

13 Kizerbo (J.), Histoire de l’Afrique noire, Paris, Éd. Hatier, 1972. 14 Développement durable et aménagement du territoire. Presses polytechniques et universitaires romandes. CH

1015 Lausanne Suisse. 2003. P. IX.350 p.

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un non-développement15. La notion du développement local est mise au-devant de la scène depuis

quelques décennies. Pour clarifier son sens, Biranes Owens Ndiaye la définie comme « la

participation des différents acteurs à la libéralisation des initiatives, en particulier, celles locales et

communautaires. »16 L’auteur met en exergue une approche qui se focalise sur la contribution

effective des populations locales au développement. Il faut ajouter pour abonder vers la même

direction que d’autres experts pensent que le développement est « l’ensemble de transformations

sociales, techniques, culturelles accompagnant la croissance de la production ». Nous pouvons dire

que le développement c’est l’amélioration des conditions de vie économique, culturelle, technique,

politique des populations.

L’une des objectifs du développement local est de renforcer une collaboration, un

partenariat dans le jeu socioéconomique, culturel et politique pour la construction d’un éventuel

projet en prenant en compte les efforts de toutes les composantes d’un quartier, d’un village, d’une

commune, etc. Le développement place la femme à une position favorable avec l’épanouissement

de ses conditions de vie. Il sera question de faire une investigation sur la recherche des solutions

pertinentes (1) et l’engagement pour l’auto-épanouissement (2).

1- Les organisations féminines dans la recherche des solutions durables aux

problèmes locaux

La floraison des organisations féminines à base communautaire peut se justifier par la

recherche d’accroissement du bienêtre des populations. Au Cameroun les lois dites de libertés de

décembre 1990 ont été un facteur d’accélérateur pour l’éclosion des organisations dans la société.

Il faut dire que si les associations, les OSC et les ONG œuvrent uniquement dans le domaine social

et caritatif, les GIC, les GIE et les sociétés coopératives mènent les activités économiques. De plus,

l’avènement de la démocratie qui n’a pas uniquement favorisé l’expression des opinions politiques,

mais a aussi suscité l’expansion des activités économiques à travers l’entreprenariat privé a

renforcé le rôle et la place de la gent féminine dans la société. Ces organisations rendent des

services communautaires de diverses formes. Il s’agit :

15 Isabelle (D.) Femmes et développement rural ; p. 124 16 Birane (N.O.), « Rôle des ONG dans la décentralisation pour un développement local » In Les Cahiers du congad

n’’, Janvier 1999

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D’abord la création d’emploi, c’est dans ce sens qu’on peut dire que les regroupements

féminins sont une alternative à la création d’emploi. En effet, le GIC selon l’art 8 de la loi

N°92/006 du 14 août 1992 suscitée, est une Société coopérative, c’est un groupe de personnes

physique/ou morale qui s’associent librement pour atteindre les buts communs par la constitution

d’une entreprise dirigée de manière démocratique et à laquelle elles sont liées par un contrat qui

fixe les règles de leur activité à cette organisation ; la répartition équitable de son capital ; la

participation aux fruits et aux risques liés à ladite activité, etc.

Dans un contexte marqué par le taux de chômage pour les populations moins intégrées que

sont les femmes et les jeunes, ces projets peuvent contribuer à l’amélioration du cadre de vie des

membres par l’accroissement de leurs revenus. L’élaboration des microprojets permet que les

membres soient occupés, aussi à ce que ces entités puissent leur permettre de financer directement

les microprojets qu’elles ont initiés. Cette création d’emploi est suivie de la création des richesses.

Une association ou un GIC qui mène une Activité Génératrice de Revenus génère de l’emploi non

seulement aux membres du groupe grâce à un fonctionnement interne notamment la gestion

administrative, la gestion technique, la gestion comptable, la gestion du stock, mais fait aussi

profiter la population. La coopérative des producteurs de maïs par exemple en dehors d’un surplus

alimentaire, peut offrir un projet de développement comme la construction des magasins des

stockages, l’installation des moulins, des boutiques, etc. Il y a donc l’amélioration des conditions

de vie des bénéficiaires directes membres (car il y aurait plus de bénéfice) et familles (la

scolarisation des enfants, l’investissement, etc.) et des bénéficiaires indirects comme les

consommateurs (manger à suffisance) ; la population (le Communautarisme économique) ; les

établissements d’épargnes et des crédits ; l’État et les partenaires au développement (la croissance

économique et l’amélioration de PIB). C’est dans ce sens que les organisations obtiennent des

dons, appuis ou de l’aide des administrations, des ONG, des élites, etc. Il peut s’agir d’appui

financier ou matériel comme les tracteurs, les moulins, etc. C’est aussi la disponibilité des lignes

des crédits pour l’accompagnement des initiatives privées, etc. Les partenaires techniques et

financiers interviennent dans le cadre des renforcements des capacités, de montage des

microprojets, l’encadrement, le suivi-évaluation. Les institutions de Brettonwoods (FMI –Banque

mondiale), précisément la banque mondiale ou la banque internationale pour la reconstruction et

le développement (BIRD) est une banque interétatique qui vise aussi la promotion de

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développement économique et la réduction de pauvreté dans les pays en développement par le

financement des projets, de l’économie. Elle a trois filiales et l’une d’entre elles qui nous concerne

dans ce travail est : l’Association Internationale de Développement AID (IDA) qui accorde des

crédits aux entreprises privées et donc celles des femmes. Tout ceci dans le but d’augmenter l’offre

des services et des productions. En effet, dans la production, le promoteur cherche à maximiser le

profit. Une entreprise est une unité de production des biens et services destinée pour la vente ou à

la consommation. Elle a besoin de « inputs » comme les intrants ou matières de base, services, les

informations, capitaux. Elle transforme en « outputs » ou production comme les marchandises, les

services, les informations. D’où la création des richesses ou de la valeur ajoutée. Il s’agit également

d’entrevoir une amélioration des conditions de vie. Les groupes d’initiatives communes sont des

organisations à but économique et dont leur raison d’être est de booster les ressources financières

des membres. Ce groupe peut avoir plusieurs branches d’activités. Il peut s’agir d’élevage (de

l’embouche bovine), de l’activité commerciale ou de toute autre activité de production, etc. Cela

donne l’occasion à la création d’une chaine de valeur agricole, d’élevage ou de pêche. Ceci en ce

sens que la première équipe va faire dans la production, la pêche, l’élevage ou la collecte du lait.

Une autre équipe s’occupe de la transformation, du fumage du poisson/viande, du lait en produits

dérivés. Et enfin une dernière équipe qui s’occupe soit du stockage, de spéculation soit de la

commercialisation de ces produits.

Deuxièmement, les organisations féminines aident à la promotion des groupes vulnérables.

Les avantages du regroupement ne sont plus à démontrer. En effet, si les femmes se mettent

ensembles c’est pour rechercher une macro-production, une plus-value dans la réponse ou la

résolution des problèmes holistiques de la précarité économique, du sous-développement, de

l’aspect sanitaire. C’est dans ce sens que la nouvelle donne met l’accent sur une démarche

collective dans la réalisation des projets et des actions pour penser à l’agriculture de seconde

échelle ou de seconde génération. L’impulsion ne peut être faite que par le développement des

branches d’activités multiformes à l’instar des organisations de producteurs d’aliments, les

Activités Génératrices de Revenus comme la valorisation des filières économiques, du secteur

informel par le développement de l’agriculture, le commerce, l’entraide, l’épargne et des crédits,

etc. Il s’agit également des facilités possibles comme le faible coût de production grâce à

l’augmentation des rendements ; de l’acquisition des matières premières à des prix réduits. C’est

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par exemple une Coopérative qui a 100 membres et que chacun décide d’acheter 01 sac d’engrais,

cette forte demande entrainerait une réduction du prix du sac. Ce qui fait que les handicapés, les

veuves, les veufs sont socialement intégrés.

Troisièmement, l’auto-mobilisation des fonds et autres gains, pour l’auto-emploi des

femmes. Les organisations des femmes ont une autonomie d’organisation et de fonctionnement

d’activités. Pour la facilitation de mobilisation des ressources, elles organisent les évènements

récréatifs ou des loisirs pour montrer l’art culinaire d’une Région ou d’un village, d’un peuple.

C’est le cas aussi des kermesses, les foires-expositions-ventes au niveau communautaire, national,

Régional ou international lors des rencontres spéciales. Par ailleurs, il existe aussi d’autres activités

comme les défilés des modes, les soirées culturelles ou de gala qui sont rentables. Dans la même

logique, certains regroupements peuvent faire dans la location des ressources matérielles comme

les meubles à l’instar des chaises, des tentes, des magasins ou d’immeubles pour stocker les

denrées alimentaires et des boutiques, etc. Enfin, dans ces organisations, il y a les moyens

permettant de trouver les ressources financières notamment la caisse de secours, le fonds de

garantie, l’épargne, etc.

Quatrièmement, la promotion et la défense des droits de la femme sont très importantes

dans l’épanouissement de la gent féminine. En effets, les droits fondamentaux de la femme selon

la Convention d’Élimination des toutes les violences à l’Égard des Femmes (CEDEF)

sont notamment : les droits civils : ils concernent la vie professionnelle et donc sa famille et ses

biens ; les droits politiques : c’est la reconnaissance à part entière à la participation politique ; les

droits économiques : il s’agit de production, de la gestion et de contrôle des revenus et biens ; les

droits sociaux: c’est l’épanouissement et la contribution au développement et les droits culturels

liés à la production ( œuvre) intellectuelle, la religion, l’identité culturelle.

Il faut reconnaitre que les pesanteurs socioculturelles ; les préjugés ; les stéréotypes

sexistes influencent sur la femme, sur ses ambitions, ses potentiels et ses activités pour

l’épanouissement communautaire. C’est la raison pour laquelle des mesures récentes ont été prises

dans les avancées sur l’égalité des droits entre les femmes et les hommes par les politiques des

discriminations positives et autres initiatives dans l’environnement juridique. Cependant, il revient

aussi à la femme de les maîtriser et de s’en servir quand le besoin se fait ressentir. C’est dans ce

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sens que Maurice Kamto pense qu’il faut la « transparence, la responsabilité, l’obligation de rendre

compte et la primauté du droit »17dans un État de droit. Les organisations des femmes ont une

grande responsabilité pour diminuer les préjugés sur la gent féminine afin qu’elle participe

activement à l’épanouissement du territoire. Il s’agit de mener des actions porteuses sur quelques

aspects suivants : Les organisations féminines œuvrent à l’employabilité des femmes à travers des

aptitudes techniques et professionnelles pour un travail décent; l’éducation à la gestion rationnelle

de ressources naturelles et environnementales dans le but de lutter contre la destruction des forêts

et faunes, la coupe anarchique des bois (le reboisement, la formation des populations à l’adhésion

de la notion du développement communautaire) ; de booster la solidarité et l’accompagnement des

femmes, les familles pauvres pour qu’elles soient capables d’accéder aux besoins essentiels de

base non seulement dans le renforcement des initiatives locales comme les Activités Génératrices

de Revenus mais à les aider à la création des GIC, des associations ; les appuyer à

l’épanouissement des compétences pratiques par la mise en œuvre des alternatives des structures

de formation et d’éducation professionnelle ; la sensibilisation pour l’amélioration de l’offre des

services ; la sensibilisation et l’accompagnement des familles (pour l’établissement des actes de

mariages, les actes de naissances, les actes de décès ) afin de réduire des violences d’unions libres,

conjugales, familiales et la recherche d’équilibre entre les droits et les devoirs de la femme ; la

promotion de l’égalité de chance et de l’équité, de justice sociale entre les hommes et les

femmes par les plaidoyers; par ailleurs, les associations familiales et communautaires doivent créer

ou renforcer les mécanismes d’entraide dans le but de minimiser les précarités économiques, etc.

2- L’engagement pour l’auto-épanouissement et l’intégration sociopolitique et économique

de la gent féminine

Après des temps du travail individuel, les femmes décident d’unir leurs forces, leurs savoirs

pour agir ensemble car un adage dit que « seul on peut aller vite » et « ensemble on peut aller

loin ». En effet, un groupe est formé des personnes qui se sont fixées et ont décidé de mettre des

moyens ensembles afin d’atteindre un but précis et des mêmes objectifs. Dès lors, les enjeux sont

énormes. Ce sont des enjeux stratégiques à travers la lutte contre l’insécurité, la cohésion sociale

et la paix en ce sens que selon les vœux de Saint Exupéry que la terre soit « une terre des

17Kamto (M.), Droit international de la gouvernance, Paris, -Éditions : A.Pedone, oct.2013, 338 p.

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hommes » ; les enjeux politiques par leurs avis personnels les femmes participent dans les prises

de décisions en ce sens que la femme est appelée à résoudre le problème de citoyenneté ; l’enjeu

économique, les femmes par les associations et les GIC veulent construire un espace de

développement économique. En effet, la perception du niveau du développement par le PNUD en

1990 est fonction du revenu par habitant : L’indice de développement de genre (IDG), compare

IDH des hommes et des femmes. L’indice d’inégalité de genre (ING) s’occupe de l’autonomisation

des femmes. PNUD (ISDH indicateur sexospécifique de développement humain par l’espérance

vie, savoir et revenus. Les IPF indicateurs de participation des femmes à la vie économique

politique 1995 pour réduire les inégalités, l’IPH (indicateur de pauvreté humaine J. Gadrey,

F.Jany-Catrice18, permet de reconnaitre les nouveaux indicateurs de richesses.

L’objectif c’est la recherche de l’intégration et l’insertion socioéconomique, politique,

sociale et culturelle de la femme. Cette intégration est importante dans l’amélioration de leurs

conditions de vie. L’éclosion des GIC et associations sont fonctions du domaine d’activité des

femmes. Il y a les organisations des femmes rurales, des femmes travaillantes dans l’État, les

femmes ménagères, les femmes commerçantes, les femmes d’affaires, les femmes buyers and

sellers, les femmes artisanes, les associations et GIC des femmes des partis politiques, etc. Par

ailleurs, il existe des associations de défenses des droits des femmes comme l’Association des

femmes juristes, l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes, etc. C’est dans ce

sens que Oberschal Antony a montré la dimension horizontale d’intégration en terme de solidarité

communautaires dans les sociétés traditionnelles comme la classe, les tribus, les villages, les

ethnies ou dans la société industrielle par les associations. Le sens vertical d’intégration grâce à la

densité des liens qui unissent les groupes sociaux entre eux19. L’intégration économique de la

femme peut se faire par la réduction de la pauvreté, leur autonomisation économique, etc.

Socialement et culturellement, elle peut se faire grâce à la socialisation moins discriminatoire, la

prise en compte des avis des femmes dans les décisions communautaires. Tandis que l’intégration

politique peut se passer par l’implication, la participation des femmes dans les cercles de décisions.

Pour atteindre ce but, il faut un changement personnel à travers la promotion de

18Gadrey (J.), Jany-Catrice (F.)18, Les nouveaux indicateurs de richesses. Repères, La Découverte, 2007.

19Oberschall (A.), Social conflicts and socialmovement, 1993

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leadership féminin. La femme doit avoir plus de connaissance dans le partage d’expérience ;

l’éveil et le renforcement de la prise de conscience et la connaissance de l’attente de son milieu

(les besoins pratiques des femmes, des jeunes et des hommes). La non prise en compte des

conditions de base de toute la population a toujours des conséquences moins favorables au

développement. Cette idée a été partagée par Isabelle Droy en ce sens qu’il nous amène à

comprendre que « la liste des échecs des opérations de développement est bien plus longue que

celles des réussites, même partielles : le bilan de l’évaluation des générations des projets de toutes

natures est négatif et la répétition de ces constats vire à la litanie .»20Le développement

communautaire peut être lié au volet générateur de revenus ou aux aspects à caractère social. Pour

abonder dans ce sens, Blanc et Cuerrier21, 2007, disent que : « le mentorat organisé par le Groupe

des Femmes Politiques et Démocraties a permis d’acquérir ou de consolider des savoirs

concernant le terrain politique, les règles du jeu électoral, l’administration municipale et

l’organisation politique de la municipalité. Les participantes ont également acquis un savoir-faire :

une meilleure capacité de communication, de réseautage, d’argumentation, de prise de décision,

de résolution de problèmes et de stratégies politiques, et un savoir être : confiance en soi, le sens

relationnel ».

Quant au leadership transformatif, il existe le leadership transactionnel et celui dit

transformationnel. C’est une manière d’apprentissage social et de motivation permettant de

développer et à se forger une personnalité susceptible d’affronter les échanges interindividuels.

Dans le cas de l'engagement politique de la femme, il doit lui permettre de se cultiver

politiquement. Autrement dit, il est question de donner son avis, de prendre la parole et expliquer

son projet de société, d’être candidate à une élection. D’une manière pragmatique, il est question

de faire parler une femme qui a eu à faire une expérience, qui est engagée politiquement afin que

d’autres puissent s’inspirer de son parcours politique. Ceci pourrait susciter en elle, l’envie de

connaitre, d’apprendre la chose politique tant ses difficultés et ses avantages. Pour cela

l’expérience doit être bien « riche et enviable ».

20Droy I., 1990. Femme et développement rural. Karthala, pp. 57, Paris. 21 Blanc (M.) et Cuerrier (C.) Le mentorat en politique auprès des femmes. Un mode d’accompagnement prometteur,

Les éditions du remue-ménage, 2007, 136p. www.ucs.inrs.ca. La participation et la représentation politique des

femmes au sein des instances démocratiques municipales.

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Les Avantages de l’intégration socioéconomique des femmes sont à relever. Il peut aider à

s’émanciper par l’accès à plus des droits notamment la libre participation aux élections, le droit à

l’information, à l’éducation, l’élargissement de l’espace d’opportunités socioéconomiques.

Plusieurs des structures des femmes listées s’occupent de la sensibilisation de l’approche genre

afin de réduire la marginalisation de la femme dans la gestion de la cité. Des associations qui

mettent au-devant de la scène, l’autonomisation des femmes. Ces regroupements tiennent souvent

compte des hommes, proportion par sexe des certaines associations.

B- Décentralisation et organisations féminines : dynamique, gouvernance et développement

local

Le concept de « libéralisme communautaire » ne date pas d’aujourd’hui dans notre pays

même s’il n’est pas facile de voir son impact dans le développement. En effet, il s’agit du « devoir

de solidarité », de la « liberté d’entreprendre » pour s’adapter dans un contexte en pleine mutation.

Tiepolo et Braccio22 ont pensé que le mécanisme de préparation des plans de développement

devraient tenir compte des femmes et les communautés locales dans la prise de décisions et le suivi

de ces derniers. Si la contribution des femmes tant individuelle que dans les organisations est un

droit, alors elles peuvent agir en toute légalité et elles peuvent intervenir dans tous les domaines

d’activités en tant que citoyens à part entière et non comme une faveur. S’appuyant sur la

décentralisation, Awa Gueye23 a montré le caractère participatif, l’éclosion des initiatives tant

individuelles que communautaires de ce système de gestion de proximité. Cela nous permet de

voir le rôle des organisations féminines comme lobbying (1) et la recherche du bien de la

population (2).

1 -Les organisations féminines comme le lobbying

Les organisations à base communautaire ont une contribution dans l’applicabilité des

politiques de l’État en matière de la décentralisation. La réussite des actions communautaires exige

la mobilisation des acteurs, le renforcement de leurs rôles pour une gestion participative en matière

du développement local. Il y a lieu de dire que la décentralisation est une action en synergie à

22Tiepolo (M.) et Braccio (S), « Mainstreamingdisasterriskr eductioninto local development plans for rural tropical

Africa :Asystematicassessment », In Sustainability, 2020 23 Awa Gueye, Les structures élémentaires de parenté, Mouton, 1989, Paris ; p. 132 ;

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travers les interventions des protagonistes comme les élus locaux, les parlementaires qui doivent

prendre de mesures facilitant l’implication des femmes dans les actions communautaires. Elle

exige non seulement la « concertation », la « co-construction » mais la « codécision ». En effet,

« La décentralisation implique un partage du pouvoir, des ressources et des responsabilités et doit

permettre de rapprocher géographiquement les prises de décisions. Dans ce contexte, le rôle de

l’acteur public évolue. Aujourd’hui « le rôle d’une municipalité n’est plus de « faire » pour des

individus mais d’être plutôt catalyseur de l’action des citoyens, en apportant une aide ou en

facilitant la mise en relation des acteurs. Ce type de posture exigeant d’être d’abord à l’écoute des

initiatives, des attentes, des projets, demande corollairement à renoncer à une forme d’action

politique qui impose par le haut »24.

Premièrement la participation collaborative aux programmes et projets de développement.

Le suivi participatif des plans d’actions, des projets et programmes comme l’exemple des

programmes municipaux intégrés de lutte contre la pauvreté au niveau des Communes, du Plan

Régional de Développement initié par le Conseil Régional. Ceci dans le but de soutenir le

Gouvernement dans le cadre de mise en œuvre de la Stratégie Nationale de réduction contre la

Pauvreté (DSRP) et d’autres politiques de développement. C’est dans ce sens que les organisations

accompagnent ces initiatives par des indicateurs précis. Dans ce partage de pouvoir, il existe

également une compétence des acteurs sectoriels afin que les ressources locales soient bénéfiques

pour le bien-être de la population grâce à leurs bons usages. À cet effet,

- Les planificateurs et statisticiens doivent intervenir et sont chargés de la mise en œuvre des

plans et politiques de développement vont non seulement faire approprier la population de

ces concepts mais comment les opérationnaliser pour mettre au service des bénéficiaires ;

- Les chercheurs et les spécialistes pour appuyer les responsables à mieux saisir les enjeux

de développement. Ceci en ce sens que certains élus locaux ne s’approprient pas facilement

des textes ou des nouvelles initiatives pour booster l’épanouissement local. C’est la raison

pour laquelle les filières professionnelles sont créées à cet effet. C’est l’exemple de Master

ou la Licence professionnelle en Collectivités Décentralisées, etc.

24https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2007-1-page-45.htm

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- Les femmes dans le sens de faire prévaloir leurs intérêts de base et stratégiques dans des

projets, ou tout autres opportunités à travers les plaidoyers, de lobbying et des animations

dans les villages et quartiers, etc. Les organisations féminines peuvent changer

positivement les donnes sociales, politiques, etc.

Ensuite le rôle de suivi des projets planifiés pour le développement. Les associations, les

OSC et les ONG bien qu’elles soient apolitiques constituent des lobbies et des groupes de pressions

sérieuses. Elles doivent fonctionner dans le respect de la législation. La société civile devrait jouer

son rôle dans l’exécution et le suivi et même l’évaluation des actions de développement qui sont

destinées au développement des circonscriptions territoriales. En effet, beaucoup des constructions

sont souvent abandonnées ou inachevées à cause de manque de suivi de proximité. Les indicateurs

de suivi sont : les indicateurs de mobilisations qui concernent les ressources permettant de mener

les projets ; les indicateurs d’impacts permettent de constater le changement au sein de la

communauté à l’issue d’un projet réalisé ; les indicateurs de résultats qui sont capables de mesurer

les résultats escomptés ; enfin les indicateurs de performance qui permettent de voir l’état

d’avancement ou de l’exécution d’un projet, etc. La réussite de ces indicateurs est liée au niveau

de partage des rôles. Pour Jean-Christophe Deberre, la décentralisation implique « le partage du

pouvoir, des ressources et des responsabilités ». Il nous fait savoir que « la notion de

développement local est née en France de la prise de conscience que les politiques d’aménagement

du territoire mises en œuvre pour corriger les grands déséquilibres géographiques et

socioéconomiques ne pouvaient trouver leur pleine efficacité qu’en s’appuyant sur une

structuration des populations locales, propice à une mise en mouvement de la société civile. Il

s’agit donc d’un mouvement aux dimensions culturelles, économiques et sociales, qui cherche à

augmenter le bien-être d’une société, à valoriser les ressources d’un territoire par et pour les

groupes qui l’occupent25. C’est dans cette logique que les femmes transcendent les multiples

barrières pour se regrouper dans des structures comme les mouvements associatifs qui sont des

associations dirigées par les femmes, légalisées ou non.

De plus, l’impulsion des initiatives et la valorisation des ressources communautaires

développées et non développées. Parmi les activités connues c’est l’agriculture, le commerce et

25 Jean-Christophe Deberre ; Décentralisation et développement local. Afrique contemporaine 2007/1 ; n°221),p. 45

à 54. https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2007-1-page-45.htm;

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les activités de revenus. Celles qui ne sont pas valorisées sont l’apiculture, les activités touristiques,

etc. Les femmes se donnent aujourd’hui dans les petites entreprises comme : les entreprises de

production : qui sont des entreprises qui produisent ou transforment des produits ; les entreprises

des services : servant à vendre leur main d’œuvre et les entreprises commerciales, elles sont des

entreprises qui font dans l’achat et reventes des produits. L’économie en termes d’emplois et les

ressources des femmes sont de plus en plus grandissantes. Dans l’avenir, les femmes seront à la

hauteur d’exercer moins dans les entreprises individuelles et plus dans les sociétés commerciales

avec – la SARL, -la SA, la société en nom collectif (SNC), etc.

Quatrièmement le rôle de la gouvernance participative. L’appropriation sociale, politique,

économique de la politique de décentralisation assure la gouvernance communale ou Régionale.

La gestion de la cité tend à ne plus être l’apanage d’un groupe privilégié de sorte les élites

« agissantes » et le bas peuple « subissant ». La vision concertée des actions, des programmes et

projets exige l’implication de toutes les parties prenantes à l’instar des femmes, des jeunes, etc.

C’est l’applicabilité de ces variétés de la démocratie qui est nécessaire. Il s’agit de la démocratie

locale c’est la « participation dans les projets d’intérêt général ». Et la démocratie participative est

une prise de décision « plus inclusive ». La démocratie de proximité est la prise en compte des

« avis des bénéficiaires d’un projet/politique ». Enfin, la démocratie délibérative c’est la

« participation au débat public ». Il faut dire que la démocratie et la gouvernance sont les mêmes

réalités au service de développement. Amartya Sen26, parlant de la bonne gouvernance pense que

le progrès et la démocratie sont des processus qui se renforcent mutuellement. Au bout de sa

logique, il conclut que : « Le pilotage unilatéral, y compris s’il est le fait du meilleur des experts,

ne saurait en soi constituer une solution ». Cette problématique de gouvernance au Cameroun a été

aussi posé par M. Finken27 dans le but parait-il de voir sa prise en compte dans la décentralisation.

En effet, Pierre Félix kandolo on’ufuku wa kandolo, « la littérature sur la gouvernance identifie trois

dimensions de la gouvernance. La gouvernance est : économique, c’est le processus de décisions

ayant une incidence sur les activités économiques ; politique : c’est le processus de prise de

26 Sen (A.), La Decouverte, 1999, p. 55 ; 27Finken (M.), Gouvernance communale en Afrique et au Cameroun, Paris ; L’Harmattan, 2011, 324 p.

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décision axé sur l’élaboration des politiques publiques ; administrative : qui concerne la mise en

œuvres des politiques publiques. »28.La gouvernance implique le changement à plusieurs niveaux.

2 – Les organisations féminines et la recherche de bien être des sociétés

Il s’agit d’abord, de l’identification de la gestion concertée des problèmes locaux. C’est

ainsi que l’un des rôles du Maire c’est qu’il puisse appuyer financièrement et matériellement les

associations locales dont les activités concourent au bien-être des citoyens ou à l’amélioration de

leur cadre de vie. Les organisations n’ont pas souvent les sources de financement de leurs activités.

Il serait donc une initiative allant dans ce sens. En effet, certaines organisations féminines ont

bénéficié d’une création de fonds pour les appuyer à l’autonomisation socio-économiquement.

C’est le cas des associations de l’Arrondissement de Garoua IIème dans la Région du Nord

Cameroun. Elles ont bénéficié des renforcements des capacités entrepreneuriales, matérielles,

financières (le prix FEICOM de meilleur pratique des activités communales pour un montant de

50 millions pour soutenir 267 associations féminines) en ce sens qu’elles permettent d’accéder aux

ressources productives ; la scolarisation des enfants, le soutien à la cohésion sociale. L’existence

des OSC /des associations et autres structures locales (comités, chefferies, etc.) est très importante

dans les actions communautaires à savoir : le désenclavement des bassins de productions à cause

de l’impraticabilité des routes desservants ces zones par la réalisation d’ouvrages d’arts (ponts)

afin d’assurer une interconnexion ou l’accès au marché; le renforcement de la collaboration et la

participation de toutes les parties prenantes à l’élaboration et la mise en œuvre des décisions

permettant de réduire les conflits parmi les acteurs notamment entre agriculteurs-éleveurs en

traçant les pistes de transhumance, la limitation des zones de pâturage, les zones de l’agricultures

périurbaine, la bonne gestion domaniale. Il faut la mise en place des comités des quartiers/des

villages, les comités de développement, les comités de concertations, les regroupements associatifs

dans le but de mettre en pratique les politiques et projets (la prise en compte de l’aspect genre, le

Plan de gestion de l’environnement), les engagements du gouvernement pour l’égalité des chances

concrétisent la valorisation des intérêts communs, le curage des lacs et certains points d’eaux pour

l’accès à l’eau et développement des espèces aquatiques comme le poisson. Les Organisations des

28 kandolo (p.f.), Université de Nantes / Université de Lubumbashi, 2005, « De l’exercice des droits et libertés

individuels et collectifs comme garantie d’une bonne gouverne en Afrique noirs : cas de la république démocratique

du Congo ». Dans la catégorie : Droit et Sciences Politiques, Droit de l’homme et libertés fondamentales.

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femmes peuvent veiller à la prise en compte de leurs besoins dans l’élaboration et la mise en œuvre

des politiques locales. L’implication des femmes et associations reconfigure le niveau de pauvreté

à la baisse. En effet, « l’incidence de la pauvreté chez les femmes est passée de 40,5% (2011) à

33,4% en (2007). Ce qui traduit une régression sensible du phénomène parmi les femmes de façon

générale. Le niveau de pauvreté des femmes a baissé dans les régions du Centre, de l’Est, du

Littoral et de l’Ouest. L’Extrême-nord enregistre la proportion la plus élevée de femmes pauvres,

soit prêt de 63% en 200729 ».

Conclusion

En somme, la pauvreté n’est pas une fatalité encore moins l’insuffisance alimentaire. Les

actions de synergie permettent de faire avancer la donne vers le développement participatif. En

effet, les pouvoirs publics qui, dans leurs efforts comme l’élaboration des lois de décembre 1990

portant sur plusieurs types des libertés vont structurer l’épanouissement de diverses organisations

féminines et des OSC qui œuvrent parmi lesquelles les mouvements de défense des Droits de

l’Homme et donc ceux des femmes. L’apparition d’une kyrielle des GIC, GIE et des sociétés

coopératives qui ont esquissé la maquette matricielle d’une économique libérale. Cependant, les

organisations féminines sont en manque de structuration. Beaucoup fonctionnent sans remplir les

conditions. Elles sont souvent limitées financièrement, techniquement et matériellement l’accès à

la terre n’est aisé.

29 Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille. Femmes et Hommes au Cameroun en 2012 : Une analyse

situationnelle de progrès en matière de genre. Mars 2012 ; p.4 ;

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Dynamiques d’urbanisation et gouvernance durable du Lac

Municipal de Yaoundé : contribution à une intelligence socio-

politologique de la ville durable en Afrique noire

Par :

Gérard Didier MEKINDA MBAGA

Doctorant en Science politique

Université de Ngaoundéré (Cameroun)

Résumé :

Le présent article vise à rendre compte du « bricolage » de ce qui s’institue

progressivement au Cameroun, comme une gouvernance urbaine du développement durable du

Lac Municipal de Yaoundé. Bricolage « politique », en l’absence d’un schéma d’ingénierie « sur

mesure » concernant le développement durable urbain des lacs municipaux, d’une part, et d’autres

parts, du fait de l’adossement de l’urbanisation du Lac Municipal de Yaoundé sur « le prêt-à-

porter » institutionnel constitué du schéma directeur de l’aménagement urbain, du plan directeur

de l’urbanisme, et du Programme de Gouvernance Urbaine. Bricolage « politique », dont

l’ingénierie « savante », à l’observation des faits, nous permet de situer entre construction

structuraliste de la gouvernance « top-down » et construction sociale de la gouvernance « bottom-

up ». Le constructivisme structuraliste, nous permet de questionner le poids des « habitus » et du

« champ » dans la construction de la gouvernance urbaine durable « à partir du haut » ; tandis

que le constructivisme social, nous permet d’interroger la force des représentations et des identités

dans son édification « à partir du bas ». Du reste, il ressort après analyse des faits que : la

gouvernance urbaine durable du Lac municipal est à la fois construite dans les structures et

institutions objectives et vécue dans les dispositions et les représentations inter subjectives.

Mots clés : urbanisation, territoires, développement durable, gouvernance top down, gouvernance

bottom up, constructivisme structuraliste, constructivisme social.

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Introduction

« Les villes ne meurent pas, elles se régénèrent »1

La question de l’urbanisation territoriale pose trois problèmes politiques dans « le bassin

versant de la rivière Mingoa »2au Cameroun. Le premier problème est celui de la « polity », à

savoir la répartition « des responsabilité urbanistiques entre l’Etat, les villes, les communes et les

quartiers »3. Le second problème est celui de la « politics », à savoir la place du lac dans les luttes

urbaines de conquêtes et de conservation du pouvoir. Le troisième problème est celui de la

« policy », à savoir la place du lac dans l’agenda territorial de prise et d’exécution des décisions

urbaines.

Le 02 février 2015, le Président de la République du Cameroun, signe deux décrets, en

habilitant le ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, à signer

avec la Deutsche Bank A.G. London Branch « un accord de prêt »4, et la Deutsche Bank S.A.E.

« un accord de prêt complémentaire »5, en vue du financement du projet de valorisation touristique

et économique du Lac Municipal de Yaoundé. Le 13 septembre 2016, le ministre de l’Economie

et des Finance signe avec la Deutsche Bank d’Espagne, un accord de financement d’un montant

de 25 milliard, en vue lancer la première phase des travaux d’aménagement du lac, censé se

terminer en 2019, et consistant en la dépollution et l’assainissement des eaux, l’installation

d’équipements de sports nautique, l’aménagement des berges, la construction d’un hôtel cinq

étoiles, de restaurants de classe internationale, d’un centre de remise en forme, de boutiques, et

d’un espace de détente et de loisirs. Face à l’enlisement des travaux, le Président de la République

signe deux décrets le 04 novembre 2019, autorisant le ministre de l’Economie, de la Planification

et de l’aménagement du territoire à signer avec la Deutsche Bank d’Espagne, des accords de

financement de 9 et 3,6 milliards en vue de lancer la première phase des travaux. Le chantier est

1 Michel Lam, « Des villes à hauteur d’hommes », Planète+, DOC-SOCIETE-CANADA-Ep 5/6, 2018, diffusé le

27/11/2021, 13h06-14h05. 2 Le bassin versant de Mingoa couvre une superficie de 3,7 km2. Il est l’un des sous bassins du Mfoundi. La rivière

Mingoa qui le traverse mesure 4 km de long, pour une largeur comprise entre 0,5 et 3m. 3 J-V. Ntuda Ebodé, « Crise de l’urbanisation et urbanisation de crise. Analyse typologique de la violence des modèles

exogènes », in Cahier de l’UCAC, « Violences urbaines au sud du Sahara », Presses de l’Université Catholique

d’Afrique Centrale, 1998, p. 27. 4 D’un montant de 27 544 454 Euros, soit 18 069 161 824 FCFA. 5 D’un montant de 5 272 002,17 Euros, soit 3 458 433 423,52 FCFA.

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confié à l’entreprise ELEANOR, qui rendu en 2021 à un taux de d’avancement des travaux de

3,71%, capitalise une consommation des délais de 23% dans le cahier de charges. Le 24 juin 2021,

le Premier Ministre pose la première pierre du chantier de construction du complexe hôtelier et

touristique, baptisé « Hôtel du Lac de la vallée de Mingoa à Yaoundé ».

Situé entre les 3°51’55’’ de latitude Nord et 11°30’37’’ de longitude Est, le Lac Municipal,

selon « les paramètres morphologiques »6, s’élève sur une altitude de 710,8 m, et s’étend sur une

surface de 79500 m2. Sa longueur maximale est de 576,3 m, et sa largeur maximale de 267,5 m.

Son volume est de 190000 m3, pour une profondeur maximale de 4,3 m, et une profondeur

moyenne de 2,4 m. Par-delà de cette approche, géographique, le Lac municipal se donne également

à voir, sur le plan de la gouvernance, comme un lieu de l’interaction entre urbanisation et

développement durable.

L’urbanisation se définit, sur le plan économique, comme « l’ensemble des interrelations

entre les mutations économiques et l’élévation rapide de la proportion de citadins dans la

population totale »7, sur le plan social, comme l’ensemble constitué des « politiques urbaines dans

leur double dimension de régulation et de planification, que celle du territoire et de contrôle de la

force de travail »8. Sur cette base l’urbanisation territoriale, renvoi ici, à la planification et à la

régulation urbaine, non à partir de l’Etat central, mais à partir des territoires, constitués en l’espèce,

par les communautés9 urbaines. Si la création coloniale de la ville de Yaoundé est un phénomène

ancien, la trajectoire historique de l’urbanisation territoriale du Lac Municipal pourrait s’inscrire,

pour reprendre J. Njoya, sur la « trilogie temporelle »10, constituée du « territorial escamoté » en

situation coloniale, du « territorial en filigrane » en situation post coloniale, et du « territorial

reconsidéré » en situation de « transition démocratique », selon l’expression de L. Sindjoun. La

trajectoire spécifique de l’urbanisation de Yaoundé se situe, selon M. Naah, entre, hibernation du

6 Les paramètres morphologiques du Lac Municipal de Yaoundé, selon Kemka, Njine et al. (2004) et (2006), Zébazé

Togouet (2011), in M. Naah, Impact du developement urbain du bassin versant de la rivière Mingoa sur la Lac

Municipal de Yaoundé (Cameroun), Thèse de Doctorat en Sciences de la terre, Université Paris-Est, 2013, p. 64. 7 J-V. Ntuda Ebodé, « Crise de l’urbanisation et urbanisation de crise. Analyse typologique de la violence des modèles

exogènes », op. cit., p. 23. 8 Idem. 9 Il s’agit ici principalement de la Communauté Urbaine de Yaoundé et de la Commune urbaine d’arrondissement de

Yaoundé 3. 10 J. Njoya, « Les mutations de la vie politique en Afrique : la trajectoire erratique de l’élu local au Cameroun », Revue

Africaine d’Etudes Politiques et Stratégiques, N° 7, 2010, p. 21.

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processus dûe aux difficultés de l’ajustement structurel, et, initiative dès 2006 « d’une politique de

restructuration des quartiers pauvres et spontanées de la ville dans le cadre des travaux

d’embellissement et d’amélioration du cadre de vie des populations »11. Cette dynamique

territoriale12 de l’urbanisation contraste avec la dynamique centrale au niveau de l’Etat, qui

s’articule, selon E. Voundi, C. Tsopbeng et M. Tchindjang13, principalement en quatre phases : la

première phase dite « coloniale » est celle de l’aménagement des villes sous le modèle occidental ;

la seconde phase (1960-1982), marqué par la croissance économique, est celle de la construction

des bâtiments publics et l’établissement d’un plan directeur. La troisième phase (1985-2006),

marqué par la crise économique, est celle de la mise en sommeil du développement urbain ; la

quatrième phase qui va de 2007 à nos jours, est celle de la reprise en main à travers le Plan directeur

de l’urbanisme de la ville.

La notion de « développement durable » quant à elle, par-delà ses « ambigüités »14, se définit

selon le Rapport Brundtland comme le « processus de changement par lequel l’exploitation des

ressources, l’orientation des investissements, des changements techniques et institutionnels se

trouvent en harmonie et renforcent le potentiel actuel et futur de satisfaction des besoins des

hommes »15. Autrement dit, tout développement qui vise à satisfaire les besoins des générations

présentes, sans compromettre la capacité des générations futures, à satisfaire les leurs. Trois

domaines constituent le développement durable : la protection de l’environnement, la cohésion

sociale et l’efficacité économique. Sur la base du capital produit et reproductible par l’homme, le

capital en ressources naturelles renouvelables, le capital en ressource naturelles non renouvelables,

on distingue « la soutenabilité forte » de « la soutenabilité faible ». En situation de soutenabilité

11 M. Naah, Impact du développement urbain du bassin versant de la rivière Mingoa sur le Lac municipal de

Yaoundé (Cameroun), Thèse pour l’obtention d’un Doctorat en Sciences de l’environnement, Université Paris-Est,

2013, p. 53. 12 Les territoires renvoient, selon E. Ritaine, aux « espaces socio-politiques aux modes de régulation différents, aux

types de mobilisation divers, au rapport à l’Etat différentiel ». E. Ritaine (1997) cité par P. Le Galès, « Régulation,

gouvernance et territoire », in B. Jobert, J. Commaille (dir), Les métamorphoses de la régulation politique, Paris,

LGDJ, 1999, p. 10. 13 E. Voundi, C. Tsopbeng et M. Tchindjang, « Restructuration urbaine et recomposition paysagère dans la ville de

Yaoundé », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 18 Numéro

3 | décembre 2018, mis en ligne le 05 décembre 2018, consulté le 29 novembre 2021. URL :

http://journals.openedition.org/vertigo/23083 14 P. Lascoumes, « Les ambiguïtés du développement durable », pp. 561-570, in Université de tous les savoirs, Qu’est

ce que les technologies ?, vol 5, Paris, O. Jacob, 2001. 15 O. Nay (dir), Lexique de science politique. Vie et institutions, éditions Dalloz, Paris, 2008, p. 141.

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forte, « l’on ne peut pas substituer le capital artificiel au capital naturel »16. En situation de

soutenabilité faible, « le capital produit et reproduit par l’homme est substituable au capital en

ressources naturelles non renouvelable »17.

Si l’essentiel de la littérature18 sur le Lac municipal semble porter sur : « les indicateurs

microbiens de pollution », « la biologie des parasites des poissons », « la bactériologie »,

« phytoplanctons/Cyanobactéries », « Bio indicateurs et pathogènes bactériens »,

« Phytoplancton/eutrophisation », « Zooplancton/eutrophisation », « gestion des eaux usées »,

« Zooplanctons », « « Métaux/sédiments de surface », « Physicochimie/métaux sédiments de

surface », Les travaux portant sur la relation19 entre « urbanisation et développement durable » au

Cameroun peuvent être regroupé en deux axes : les travaux sur la dimension « subjective »,

notamment les analyses en termes de « cohésion sociale et citoyenneté urbaine », et de

« structuration de l’espace urbain au Cameroun », d’une part, et d’autres parts, les travaux sur la

dimension objectives, notamment les analyses en termes de « politiques urbaines et durabilité »,

et de « gouvernance urbaine ».

Les analyses en termes de « structurations de l’espace urbain au Cameroun », s’intéressent aux

questions de : « villes modernes, villes cosmopolites », « composantes spatiales, ségrégation

sociale et replis identitaires », « le phénomène des ghettos : la bidonvilisation des villes ». Les

analyses en termes de « cohésion sociale et citoyenneté urbaine » s’interrogent sur les questions

de : « urbanité et identité sociale urbaine », « communautarisme et citoyenneté : la villégialisation

des villes ».

Les analyses en termes de « politiques urbaines et durabilité » s’intéressent aux questions de :

« la problématique du désordre urbain et les implications pour le développement des villes »,

« changement climatique et implications sur l’urbanisation des villes côtières », « de la révolution

verte au développement durable ». Les analyses en termes de « gouvernance urbaine », quant à

16 M-C Smouts, D. Battistella, P. Vennesson, Dictionnaire des relations internationales, 2e édition, Dalloz, 2006, p.

131. 17 Idem. 18 Selon M. Naah, Impact du développement urbain du bassin versant de la rivière Mingoa sur le Lac municipal de

Yaoundé (Cameroun), op. cit., p. 70. 19 Selon A. Giardinelli (2018), « Urbanisation et développement durable au Cameroun », Appel à contribution,

Calenda, https://calenda.org/435568, (consulté le 22 novembre 2021).

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elles, s’interrogent sur les questions de : « urbanisation et aménagement des villes », « problèmes

et compétences et politiques d’urbanisation », « aménagement et gestion des équipements

urbains », « gestion des déchets dans l’espace urbain », « préventions et gestions des risques dans

les espaces urbains ». D’où la problématique de savoir, si la gouvernance par les acteurs, ainsi

formulée, est conforme à la théorie et à la pratique de la gouvernance du développement durable.

Si la pratique de la gouvernance oscille historiquement entre Corporate Governance20 ou

gouvernance d’entreprise, Good Governance ou bonne gouvernance, Multi-level Governance ou

gouvernance multi-niveau, et Global Governance ou gouvernance globale, la théorie de la

« gouvernance du développement durable »21 distingue, quant à elle, la « gouvernance

programmatique », de la « gouvernance technique », et de la « gouvernance discursive ». La

logique ici est celle de la gouvernance par les institutions, en termes « de structures et de

procédures ». Cette logique contraste avec celle de la gouvernance « par les instruments »22, et

partant celle de la gouvernance par les instruments à partir de la construction. C’est de cette mise

maladroite sous le boisseau par la théorie et la pratique, de la gouvernance come « un construit »23,

qu’émerge la justesse d’un questionnement24 de la gouvernance urbaine durable du Lac Municipal,

en termes de construction par les structures et les représentations. D’où la question de savoir :

Comment se construit territorialement la gouvernance urbaine durable du Lac municipal de

Yaoundé ? Comment les structures sociales contribuent-elles à renforcer potentiel territorial

souverain de programmation urbaine de la durabilité ? Comment les représentations sociales

20 La gouvernance, fait référence ici, aux institutions susceptible de gérer les transactions et les coûts de transactions. 21 P. Pattberg, « La gouvernance, une simple mode ? », in P. Jacquet, R.K. Pachauri, L. Tubiana (dir), La gouvernance

du développement durable, Paris, Presses de Science Po, 2009. Dans son « acception programmatique », la

gouvernance est « un programme politique visant à regagner la capacité étatique de pilotage de la résolution des

problèmes à l’époque postmoderne ». Dans son « acception analytique », la gouvernance éclaire « les modes de

pilotage non hiérarchique et le transfert de l’autorité à des acteurs non-étatique ». Dans son « acception discursive »,

la gouvernance est « un discours hégémonique visant à dissimuler sous la rhétorique les implications négatives des

programmes économiques et politiques néolibéraux ». 22 P. Lascoumes et P. Le Galès, Gouverner par les instruments ?, Presses de Science Po, Paris, 2007. 23 P. Le Galès, « Régulation, gouvernance et territoire », in B. Jobert, J. Commaille (dir), Les métamorphoses de la

régulation politique, op. cit., p. 8. 24 Ce questionnement pourrait se situer dans la trajectoire des questionnements liés à la gouvernance territoriale,

notamment celui de savoir « quels sont les mécanismes et les processus en jeux, pour quelle conséquence ? », telle

que formulé par P. Le Galès, « Régulation, gouvernance et territoire », in B. Jobert, J. Commaille (dir), Les

métamorphoses de la régulation politique, op. cit., p. 26.

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contribuent-elles à renforcer le potentiel « sans souveraineté » territoriale de participation à la

durabilité ?

Le recours aux techniques documentaires et d’entretien, ainsi qu’à l’observation directe, nous

permettra de vérifier empiriquement l’hypothèse que nous avons à charge de défendre dans le

cadre du présent travail, à savoir que, territorialement la gouvernance urbaine durable du Lac

municipal est à la fois construite25 dans les structures et institutions objectives et vécue dans les

dispositions et les représentations inter subjectives. Autrement dit, territorialement, gouverner la

durabilité urbaine du Lac municipal, c’est gouverner par les structures d’agents « d’en haut » et

par les représentations d’acteurs « d’en bas ». Le recours à la théorie constructiviste nous permettra

dans son obédience « structuraliste » de comprendre, avec P. Bourdieu, la construction à partir de

« l’existence dans le monde social de structures objectives indépendantes de la conscience et de la

volonté des agents, capables de contrainte ou d’orienter leur pratiques ou représentations », et de

« la sociogenèse des schèmes de perceptions, de pensées et d’actions (…), et des structures » (I).

L’instrumentation du constructivisme dans son obédience « sociale » nous permettra d’expliquer,

avec J. Searle, P. Berger et T. Luckmann, la construction par les représentations identitaires,

comme « construction de la réalité sociale »26 et « construction sociale de la réalité »27 (II).

I- PROGRAMMER L’URBANISATION DURABLE DU LAC MUNICIPAL : UNE

TECHNIQUE DE CONSTRUCTION « STRUCTURALISTE » DE LA

GOUVERNANCE « TOP-DOWN ».

Programmer territorialement l’urbanisation durable du Lac municipal constitue, pour

emprunter à G. Pinson, une modalité de repositionnement de l’Etat à travers le changement des

modes de coordination, de pilotage, en partant des « organes classiques de gouvernement »28 vers

25 La gouvernance construite est à la fois une gouvernance par les structures d’agents et une gouvernance par les

représentations d’acteurs, d’où la réconciliation des approches de gouvernance en termes « d’acteurs » et les approches

en termes « de structures » et « de représentation ». Les structures d’agents sont dans notre analyse, les structures de

disposition (habitus) et les structures de positions (champ), tandis que les représentations d’acteurs sont des

« représentations d’identités sociales » et des « représentations sociales d’identités ». 26 J. Searle, La construction de la réalité sociale, Paris, Gallimard, 1998. 27 P. Berger, T. Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, 2012. 28 G. Pinson, « Gouvernance et sociologie de l’action organisée. Action publique, coordination et théorie de l’Etat »,

L’année sociologique, PUF, vol 65, 2015, p. 499.

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« l’au-delà »29, que constituent en l’espèce les organes décentralisés. C’est aussi une mutation des

formes de coordination « pures » notamment, « (…) l’imposition réglementaire, la hiérarchie,

l’organisation, la planification, etc. », pour les formes de coordination « mixtes », notamment,

« (…) marché, l’incitation financière, la confiance, la réciprocité, etc. ». Dans son acception

programmatique, la gouvernance repose notamment sur : « le pilotage politique de la

mondialisation (…), plusieurs formes de coopération, de coordination et de processus de décision

à différents niveaux du système (…), la structure essentiellement multipolaire de la

politique (…), l’incorporation d’organisations non gouvernementales comme condition préalable

au renforcement de la légitimité démocratique et à la résolution efficace des problèmes ». Aussi,

l’idée force de notre discussion ici est que, l’action de gouvernance urbaine durable du Lac

municipal est « structuralement »30 construite comme « programme politique », à travers « le

système de dispositions durables et transposables »31, et par « le système de position et de relations

objectives entre les différentes positions »32. Autrement dit, et pour emprunter à P. Bourdieu,

l’action territoriale de gouvernance urbaine durable du Lac Municipal, se comprend en tenant

compte à la fois, de l’espace objectif de distribution des relations de pouvoirs (B), et des

représentations et perceptions qui dominent l’espace social des agents (A).

A- L’« habitus » de la gouvernance urbaine de la durabilité du Lac municipal : la

résilience d’une disposition post coloniale « structurée et structurante »

L’action urbaine de gouverner durablement le Lac Municipal de Yaoundé est une action

héritière des dispositions coloniales d’administration des espaces urbains en Afrique, en l’espèce

il s’agit de la disposition « indirecte » française et de la disposition « directe » anglo-saxonne.

C’est aussi une disposition post coloniale socialement conditionnée par la trajectoire sociale des

agences de formulation de la problématique urbaine de « l’avenir du Lac Municipal », et,

socialement conditionnante des logiques de classes au cœur des processus de formalisation du dit

lac dans l’agenda urbain. Dans la logique constructiviste structuraliste, la résilience des

dispositions est à la fois une résilience des dispositions structurées, et une résilience des

29 G. Pinson, « Gouvernance et sociologie de l’action organisée. Action publique, coordination et théorie de l’Etat »,

op. cit.. 30 En référence au constructivisme structuraliste. 31 Définition de « l’habitus », selon P. Bourdieu. 32 Définition du « champ », selon P. Bourdieu.

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dispositions structurantes. Aussi, dans le cas d’espèce, l’habitus de gouvernance urbaine durable

du Lac Municipale, est-il fonction de la résilience des trajectoires sociales (1), et de la résilience

de la logique de classe (2).

1- Habitus urbain durable et trajectoire sociopolitique des agents : la résilience d’une

disposition structurée de gouvernance

La disposition post coloniale à gouverner durablement est une disposition socialement

conditionnée par les trajectoires sociales de formulation des problèmes de décrue du Lac Municipal

de Yaoundé. Autrement dit, il y’a un habitus urbain de la durabilité qui se donne à voir à travers

la trajectoire sociale des agents urbain de la gouvernance durable du Lac Municipal. La notion de

trajectoire sociale est au cœur du paradigme bourdieusien d’ « habitus », entendu comme

« système de dispositions durables et transposable ». Concept « repris »33 à des auteurs tels

Aristote, Saint Augustin, Marcel Mauss, Max Weber, Edmund Husserl, Alfred Schutz, Maurice

Merleau-Ponty et Norbert Elias, Bourdieu fait de l’habitus le fondement de la « théorie

dispositionnelle »34 de l’action sociale. L’habitus est le produit de « la trajectoire sociale des

individus »35 en ceci que « l’appartenance sociale structure l’acquisition et produit un habitus de

classe »36, et en ceci que « chaque individus n’est qu’une variante d’un habitus de classe »37.

En l’espèce, l’idée de gouvernance urbaine de la durabilité du Lac municipal à travers la

trajectoire sociale des agents permet de voir et de penser les « dispositions post coloniale » de la

durabilité urbaine. Il s’agit en l’espèce, comme évoqué plus haut, des dispositions dites civilistes

ou « francophone »38. La disposition civiliste fondamentalement héritière de la colonisation

française, se distingue des dispositions « commune » liées à la colonisation anglaise en ceci que

reposant sur le principe de « l’indirect rule ». Le principe de l’indirect rule reposait sur la gestion

indirecte des espaces urbains, tandis que le principe du « direct rule » reposait sur une gestion

directe des espaces urbains par les colonisés. La dénomination du Lac de la vallée de Mingoa, en

33 Wacquant Loïc, « Brève généalogie et anatomie de l’habitus », Revue de l’institut de Sociologie, 2016, p. 9. 34 Wacquant Loïc, « Brève généalogie et anatomie de l’habitus », op. cit.. 35 Sur « l’homo sociologicus bourdieusien » comme « agent social », Cf. P. Bonnewitz, « Premières leçons sur la

sociologie de Pierre Bourdieu », 2eme édition PUF, 1998, p. 63. 36 P. Bonnewitz, « Premières leçons sur la sociologie de Pierre Bourdieu », op. cit., p. 63. 37 Idem, p. 65. 38 Op. cit., p. 92.

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« Lac Chrystol » en hommage au maire français de la ville de Yaoundé à cette époque, est un

élément à verser au dossier de la disposition coloniale de l’urbanisation territoriale du Lac

Municipal de Yaoundé, dès les fonds baptismaux.

L’idée bourdieusienne de « trajectoire sociale » commande d’être attentif à la hexis, à l’ethos,

dans la dynamique primaire et secondaire de formation de l’habitus. En effet, les dispositions

constitutives de l’habitus urbain durable sont à la fois des valeurs pratiques ou « ethos », et des

postures du corps ou « hexis », acquises par « les gens de Yaoundé » tout au long de leur processus

de socialisation. Ici l’observation empirique permet de relever un contraste entre dispositions

familiales et dispositions scolaires. L’habitus familial des ménages qui vivent autour du Lac

municipal est celui de la pollution du Lac à travers le déversement des eaux usées dans les

canalisations entrainant les débris sur le lit du lac, et du rejet sur la rivière Ntoungou l’un des

affluents de la rivière Mingoa, « des déchets solides et solides des garages et des laveries »39 . Il

s’en suit ainsi une pollution du lac et un développement d’espèces végétales néfastes pour la survie

de l’écosystème du lac. Le Rapport MINDUH 2009, selon M. Naah, fait état de ce que « 30% des

ménages rejettent leurs eaux dans le milieu naturel via des rigoles par lesquelles les eaux pluviales

convergent vers le Lac municipal ». L’habitus scolaire, quant à lui, acquis à travers les

enseignements secondaires et primaires dans les domaines disciplinaires de la géographie et des

sciences naturelles, consacre la préservation de l’environnement et le développement durable des

cours d’eau.

La disposition post coloniale de la gouvernance urbaine, au Cameroun, est celle de la puissance

publique, qui contraste avec la gouvernance urbaine à partir de la loi commune, propre à la

représentation anglo-saxonne de la gouvernance du développement durable urbain. Le Rapport40

Habitat III, formule les problèmes de la gouvernance urbaine à partir : du renforcement de la

législation urbaine, de la décentralisation et le développement des collectivités locales, de

l’amélioration de la participation et des droits de l’homme dans le développement urbain, du

39 L.B. Jugnia, T. Sime-Ngando, « An assessment of the impact of Mingoa stream input to the bacteriological quality

of the Municipal Lake of Yaoundé (Cameroon) », Water ressource management (15), 2001, p-p. 203-209, cité par M.

Naah, Impact du développement urbain du bassin versant de la rivière Mingoa sur le Lac municipal de Yaoundé

(Cameroun), op. cit, p. 49. 40 République du Cameroun, Troisième Conférence des Nations Unies sur le logement et le développement durable

en milieu urbain (Habitat III), Rapport National de Contribution du Cameroun, 2015.

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renforcement de la sécurité et de la sérénité en milieu urbain, de l’amélioration de l’intégration

sociale et de la justice sociale. Il ressort de cette formulation, par la puissance publique, de la

nomenclature des problèmes de la gouvernance urbaine, le constat de l’absence de dispositions

spécifiques relatives à la gouvernance urbaine des Lacs municipaux. La question relative aux

études de l’aménagement urbain de la vallée de Mingoa dans le centre-ville de Yaoundé, est

survolée dans la rubrique « planification et l’aménagement durable des villes ».

La disposition civiliste de la gouvernance urbaine se donne également à voir à travers l’appui

de l’Institut de la Francophonie pour le Développement Durable, dans la formulation des

problèmes « d’aménagement du Lac municipal de Dschang »41 autour de l’évaluation des impacts

environnementaux directs et indirects. Les impacts directs et indirects du projet de construction

concernent ainsi : la pollution de l’air, l’augmentation de l’érosion du sol, la réduction en porosité

du sol, la pollution et compaction du sol, la modification du cycle et du régime de l’eau, la

déforestation, la destruction de la biodiversité, des habitats, la migration de la faune, la pollution

sonore, les nuisances dues aux vibrations, la réduction des terres cultivables, l’augmentation du

cout de la vie, les accidents de travail. Les impacts directs et indirects dû aux activités

d’exploitation du musée, de la base nautique et du centre artisanal, concernent : l’augmentation de

la compaction du sol, la réduction de la biodiversité du sol, l’augmentation des activités

touristiques, l’augmentation du cout et niveau de vie, la dépravation des mœurs, la modification

du cycle et du régime de l’eau. Les impacts directs et indirects concernant les activités de dragage

du Lac concernent : la réduction de l’humidité de l’atmosphère, l’augmentation de la capacité

d’évaporation de l’air, la modification dans la structure et la texture du sol, la fragmentation du

sol, la réduction de la biodiversité, la réduction des activités touristiques.

La disposition post coloniale à gouverner durablement le Lac Municipal n’est pas qu’une

« disposition socialement conditionnée » de formulation des problèmes urbain à partir de la

« trajectoire politique des agents », c’est aussi une « disposition socialement conditionnante » de

formalisation de l’urbanité dans l’agenda institutionnel à partir de « la logique de classe ».

41 C. Ako Eyong, « Etude d’impact environnemental du projet d’aménagement du lac municipal de Dschang

(Cameroun) », Maitrise des Outils de Gestion de l’Environnement pour le Développement, Institut de la Francophonie

pour le Développement Durable, 2015.

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2- Habitus urbain durable, entre habitus de classe et classe d’habitus : la résilience

d’une disposition structurante de gouvernance

La disposition post coloniale à gouverner durablement est aussi une disposition socialement

conditionnante de classement à l’agenda, du Lac Municipal à partir de la position des individus au

sein des classes, et la position des classes au sein de l’ordre social. En effet, il y’a un habitus

urbain de la durabilité qui se donne à voir à travers les « dispositions de classe » et les « classes de

disposition ». Les classes sociales renvoient, dans la perspective marxiste, à « des groupes aux

intérêts contradictoires liées par des rapports de domination et en lutte permanente pour le contrôle

de la direction de la société »42. Sur le plan sociologique, les classes désignent « des vastes groupes

sociaux relativement homogène sur le plan des conditions matérielles et des valeurs partagées »43.

Idée reprise à K. Marx, la logique de classe en termes de luttes est au cœur la théorie

bourdieusienne de l’habitus en ceci que l’appartenance d’un individu à une classe sociale, autant

elle structure ses acquisition, autant elle produit un habitus de classe. La logique de classe permet

de prendre au sérieux la logique générative de l’habitus comme « système classé » destiné à

fonctionner comme « système de classement », autrement dit « structure structurée destinée à

fonctionner comme structure structurante ».

L’observation des « dispositions classées » dans la genèse historique de la gouvernance

urbaine durable du Lac Municipal permet d’observer deux « classes de dispositions » : la classe

dominante « blanche » et la classe dominée « indigène ». La classe dominante se caractérisait par

la pratique des plaisirs « ludiques » sur le cours du lac municipal. Il s’agissait en l’espèce de la

pratique du sport nautique dans le cadre des activités du « Club Nautique de Yaoundé ». Le dit

club comptait parmi ses membres, des personnes financièrement aisées et pouvant s’offrir le luxe

d’une propriété de bateau de course, au rang desquelles nous pouvons citer Coron, Engold, et J.

Despo. La classe prolétaire, quant à elle, était essentiellement constituée d’« indigènes

volontaires » et de prisonniers, dont la participation à l’urbanisation du lac, consistait pour

l’essentiel à la construction d’un barrage de retenue sur le cours de la rivière Mingoa, en vue de

42 O. Nay (dir), Lexique de science politique. Vie et institutions, op. cit., p. 63. 43 O. Nay (dir), Lexique de science politique. Vie et institutions, op. cit.,

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l’aménagement urbain du lac municipal comme espace nautique : c’est la classe des « bimanes »44.

Ce contraste entre la classe bourgeoise jouisseuse de l’espace nautique, et la classe prolétaire

bâtisseuse manuelle du dit espace, est traductrice des « inégalités » de classes dans l’urbanisation

du Lac municipal. C’est cette disposition raciale des classes dans l’urbanisation du lac, que semble

évoquer M. Naah, lorsque parlant de la disposition spatiale des classes raciales, elle soutient que,

l’urbanisation du bassin versant de la rivière Mingoa, amorcée sous l’administration coloniale

française en 1923, a séparé les « communautés concentrées dans l’agglomération » en deux

classes raciales: la classe « des blancs » occupant le centre de la ville, notamment, le centre

commercial, le centre administratif, le quartier Messa qui abritait à l’époque le camp des

fonctionnaires indigènes ; et, la classe « des noirs », expulsés en périphérie, notamment dans les

quartiers Mokolo et Briqueterie. Ce développement séparé des races blanches et noires change

après l’indépendance avec l’installation des fonctionnaires camerounais dans « la ville blanche ».

En outre, l’observation des « dispositions classées » dans la dynamique actuelle de la

gouvernance urbaine du lac, permet également de contempler la splendeur de la logique de

classement « endogène » en trois classes : La classe bourgeoise constituée des expatriés, des hauts

cadres de l’administration, et, des membres du gouvernement et assimilées résidents aux quartiers

du Lac et du centre administratif ; la classe moyenne constitué des « fonctionnaires moyens » et

de leurs familles, résident les quartiers du SED45 et de la cité SIC46 de Messa ; et, la classe

populaire47 constitué des habitants des quartiers Mokolo et Briqueterie. La construction de la cité

SIC de Messa, aux environs du Lac, nous semble s’inscrire dans la logique de dénivellement des

classes sociales autour du lac, en ceci que la construction des logements « dits sociaux » vise à

mettre dans la même enceinte les différentes couches sociales. L’observation de la réalité concourt

plutôt à soutenir l’hypothèse d’une forte tendance au reclassement des classes moyennes et

44 Les « bimanes » renvoient, selon S. C. Abéga, à ceux qui travaillent de leurs mains. Il s’agit en l’espèce et selon les

propos de G. Kyriakydès : des prisonniers et des indigènes volontaires qui ont travaillé de leurs mains à l’aide des

machettes. M. Naah, Impact du développement urbain du bassin versant de la rivière Mingoa sur le Lac municipal de

Yaoundé (Cameroun), op. cit., 45 Secrétariat d’Etat à la Défense. 46 Société Immobilière du Cameroun. 47 En termes d’occupation de l’espace, la classe populaire réside dans les quartiers « peu structurée et peu équipé »,

contrairement à la classe moyenne et bourgeoise qui réside dans des quartiers structuré et équipés. A. Ngamini Ngui,

Le développement de l’habitat spontané à Bafoussam, ville de l’ouest Cameroun, Montréal, 2012, cité par M. Naah,

Impact du développement urbain du bassin versant de la rivière Mingoa sur le Lac municipal de Yaoundé (Cameroun),

op. cit., p. 49.

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bourgeoise dans les logements sociaux, au détriment des classes populaires, n’ayant pas toujours

les moyens de « payer la clé »48 donnant accès au logement, ou ne disposant pas toujours d’un

réseau de relation à même de les permettre de conclure le contrat de bail. Selon A. Bopda, le

quartier Grand-Messa, c’est le quartier d’attente des fonctionnaires « en instance de

nomination »49.

La « logique de classe »50 de la gouvernance territoriale est aussi celle du classement politique

et technique de l’urbanisation du Lac Municipal. Le classement politique de l’urbanisation est celui

issue des actes délibératifs des conseils municipaux et du conseil de communauté, en tant que

organes politiques de décision au sein des communes et communautés urbaines de Yaoundé. En

l’espèce trois communes urbaines d’arrondissement sont concerné par la gestion urbaine du bassin

versant de Mingoa, il s’agit des communes de Yaoundé 2e, 3eet 6e. Le classement technique, quant

à lui, est celui opéré par le Programme de Développement Urbain (PDU) et les services

déconcentrés des ministères impliqués dans l’urbanisation de la ville de Yaoundé : il s’agit entre

autres du Ministère Développement Urbain et de l’Habitat (MINDUH), du Ministère des

Domaines du Cadastre et des Affaires foncières (MINDCAF), de la Mission d’Aménagement et

d’Equipement des Terrains Urbains et Ruraux (MAETUR). Cette pluralité d’agents intervenant

crée une situation de confusion et de de conflits de compétences. Ce qui fait dire à E. Voundi, C.

Tsopbeng et M. Tchindjang que : « Les informations recueillies auprès des autorités municipales

de la CUY et des communes d’arrondissement de Yaoundé 4e et 6e ne clarifient pas la question et

s’avèrent même contradictoires. Pour certains, les aménagements répondent aux prévisions du

48 L’expression « payer la clé » renvoi dans l’imagerie populaire à deux situations. La première est celle de l’individu

qui fait acte de candidature pour l’attribution d’un logement. Ici la justification d’une mensualité salariale fait partie

des conditions exigées, en plus du payement d’une caution en cas d’attribution du logement. La seconde est celle de

l’individu qui a souscrit avec succès à l’acquisition du logement et procède, soit à sa sous-traitance locative, soit à la

vente de la clé obtenue à un tiers. Les prix de clé varient en fonction de la situation du marché. Il s’élèverait souvent

à un million et plus, selon nos informateurs. 49 A. Bopda, Yaoundé dans la construction nationale du Cameroun : territoire urbain et intégration, Thèse de

Doctorat en Géographie, Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne, Paris, 1997, p 138. 50 Situer « la logique de classe » entre « positions et dispositions de classes » (dominantes, dominées) et « classes de

positions et de dispositions » (politiques, techniques), permet de sortir de l’opposition à l’absolue de « l’habitus »

comme « système de dispositions » et « le champ » comme « système de positions ». L’analyse de la gouvernance,

que nous opérons, à partir des termes séparés de dispositions et de positions, n’a de valeur que comme « idéal type »

au sens wébérien. La position d’un agent dans le champ dépend des dispositions acquises durablement, et les

dispositions s’acquièrent durablement en fonction des positions dans le champ.

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PDU, pour d’autres, ils sont le fruit des délibérations du Conseil municipal au niveau de la

communauté urbaine »51.

La disposition territoriale à la gouvernance urbaine durable du Lac Municipal est également

fonction des positions et systèmes de positions des agents dans le champ.

B- Le « champ » de la gouvernance urbaine durable du Lac municipal : un système de

position et d’opposition en tension

La gouvernance urbaine durable est un espace structuré de positions et de relations objectives

entre les différentes positions. Notion reprise à la physique quantique pour désigner l’espace de

rayonnement de l’énergie matérielle, les champs désignent selon P. Bourdieu « les sphères de la

vie sociales qui se sont progressivement autonomisées dans la société et constituent autant

d’espaces où les individus sont en concurrence pour le contrôle des positions dominantes »52. Dans

la logique constructiviste structuraliste, les tensions du champ, sont des tensions de capitaux et des

tensions de luttes. Aussi, le champ de la gouvernance urbaine durable est-t-il marqué, en l’espèce,

par une tension de distribution inégale des capitaux (1) et une tension de luttes en vue de la

conservation et la transformation de l’ordre établi (2).

1- Se positionner dans le champ : la tension des capitaux de l’urbanisation durable,

entre structures et distributions

Le champ de la gouvernance urbaine durable du Lac Municipal, est un espace structuré de

capitaux dont la dynamique53 historique d’expansion va, du capital originel écologique, au capital

actuel durable constitué du « capital environnemental, du « capital économique », et du « capital

sociale ». La dynamique des capitaux de développement durable du Lac Municipal est celle de la

tension des capitaux du développement durable entre « capitaux légitimes » de la durabilité,

notamment ceux sus évoqués, et, les « capitaux légitimant » notamment, le « capital politique »,

le « capital scientifique », le « capital culturel », pour ne citer que ceux-là. La dynamique des

capitaux de la durabilité est aussi celle de la tension du fait de leur inégale distribution entre les

51 E. Voundi, C. Tsopbeng et M. Tchindjang, « Restructuration urbaine et recomposition paysagère dans la ville de

Yaoundé », op. cit., p. 11. 52 O. Nay (sous la dir), Lexique de science politique. Vie et institutions, op. cit., p. 55. 53 E. Muhenhover, « De l’environnement au développement durable ? », in C. Fréderic (dir.), Les notices des Relations

Internationales, la documentation française, Paris, 2006.

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agents sociaux, créant de fait un rapport de force entre une classe dominante pourvue en capital,

et une classe dominée dépourvue ou disposant d’un volume de capital inférieure.

Penser la durabilité urbaine en termes de capitaux permet de sortir de la logique romantique

du développement durable comme droit de l’homme de troisième génération. Il s’agit en l’espèce

d’envisager le lac municipal à la fois comme « ce par quoi » et « ce pour quoi » les agents

investissent durablement. Le capital, renvoi à l’ensemble de ressources détenues par les agents

sociaux. Les capitaux s’héritent, s’investissent, et dégagent des bénéfices en fonction des

placements. Par capitaux urbains de la durabilité, nous faisons référence à l’ensemble des capitaux

objets de transaction entre les différents agents de la gouvernance du lac municipal, qu’ils soient

légitimes ou légitimant.

La notion de capital, en termes de structures et de distributions, est cœur de la théorie

constructiviste structuraliste du champ. Selon P. Bourdieu, autant chaque champ est marqué par

un capital spécifique, autant un champ peut être traversé par une pluralité de capitaux54. S’agissant

de la structure des capitaux, et sans prétention à l’exhaustivité, Bourdieu en distingue

plusieurs dont : le « capital politique »55, le « capital symbolique »56, le « capital social », le

« capital économique »57, le « capital scientifique »58, le « capital littéraire »59, le « capital

religieux »60. La distribution inégale des capitaux dans un champ permet de distinguer les agents

dominants des agents dominés. Les agents dominants sont ceux qui sont le plus pourvu en capital,

et les agents dominés sont ceux peu pourvus ou en manque du capital.

A l’observation, la structure des « capitaux légitimes » de l’urbanisation durable se donne à

voir sur le plan du « capital environnemental », à travers « le nettoyage et le faucardage des plantes

54 P. Bonnewitz, « Premières leçons sur la sociologie de Pierre Bourdieu », op. cit. 55 P. Bourdieu, « La représentation politique. Eléments pour une théorie du champ politique », in Actes de la recherche

en sciences sociales, vol. 36-37, février-mars, 1981, pp. 3-24. 56 P. Bourdieu, « Sur le pouvoir symbolique », in Annales Economies, sociétés, civilisations 32e année, n° 3, 1997, pp.

405-411. 57 P. Bourdieu, « Le champ économique », in Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 119, septembre 1997,

pp. 48-66. 58 P. Bourdieu, « Le champ scientifique », in Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 2, n° 2-3, juin 1976, pp.

88-104. 59 P. Bourdieu, « Le champ littéraire », in Actes de la recherche en science sociales, vol. 89, septembre 1991, pp. 3-

46. 60 P. Bourdieu, « Genèse et structures du champ religieux », in Revue française de sociologie, vol. 12-3, 1971, pp.

295-334.

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présentes sur la surface du lac » par la société KOOP et les pêcheurs riverains. Il se donne

également à voir sur le plan du « capital social », à travers le système de relations liés aux « plaisirs

ludiques » au sein du Club Nautique de Yaoundé. Il se donne enfin à voir sur le plan du « capital

économique », à travers les facteurs de production en ce qui concerne « les pécheurs établis de

façon permanente sur [les] berges pour pêcher des tilapias et des silures. En fonction de la saison,

10 à 100 kg de poisson peuvent être pêchés par jours ». En outre la structure des capitaux légitimant

permet de distinguer le « capital culturel » constitué des qualifications intellectuelles produites par

l’école ou transmises par la famille, qui se donne à voir à travers « les compétitions de pêche, de

ski nautique, et des courses de pirogues (…), ainsi que des foires et des expositions de peintures » ;

et, le « capital de sécurité incendie », qui se donne à voir par « le service aux pompiers de la ville

de Yaoundé lors des fréquentes ruptures d’approvisionnement en eau ».

La distribution du capital urbain de la durabilité du lac municipal peut être envisagée sur le

plan spatial et sur le plan temporel. La distribution spatiale du capital permet de distinguer deux

types d’agents : les agents de la durabilité forte pour qui l’impératif de protection de

l’environnement du lac est supérieure à sa rentabilisation économique, et les agents de la durabilité

faible pour qui la rentabilité économique du lac devrait être supérieure à l’impératif de protection

de la ressource en eau. La poire nous semble avoir été coupée en deux, à travers le projet de

valorisation du lac municipal qui fait à la fois de la protection de l’environnement du lac et de sa

rentabilisation à travers l’éco-tourisme, un impératif catégorique de survie du lac pour les

générations futures. L’impact de la distribution des capitaux durable dans la variation des

ressources en eau dans l’espace est fonction selon qu’il s’agit des eaux de surface ou des eaux

souterraines du lac. L’impact de la distribution des capitaux urbain de la durabilité dans la variation

des ressources en eau dans le temps est fonction que l’on soit en situation de crue ou de décrue des

eaux.

Toutefois, l’entretien et le développement des capitaux, supposent des stratégies plus ou moins

conscientes d’accumulation, d’entretien et de reproduction.

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2- S’opposer dans le champ : la tension des luttes sur l’urbanisation durable, entre

stratégie dominante et stratégie dominée

Le champ de la gouvernance urbaine durable du Lac Municipal est espacé de luttes entre agents

inégalement dotés en capitaux pour la conservation ou le renversement de l’ordre établi. C’est un

champ d’opposition marqué par la tension des luttes entre dominants et dominés. La stratégie

dominante est celle de la conservation de l’ordre établi de gouvernance, fondé sur le « noyau

dur »61 des modèles exogènes occidentaux d’urbanisation. L’urbanisation à partir des « modèles

exogènes »62, c’est l’urbanisation à partir de l’Etat et de ses démembrements, qui dans une

perspective fonctionnaliste, crée des violences « colériques et frustratives »63. Ici l’ordre social est

centré sur l’individu, l’ordre économique centré sur l’économie de marché, et, l’ordre

environnemental sur la fondation « judéo-chrétienne »64. La stratégie dominée est celle de l’ordre

à établir, celle du renversement de l’ordre établi de gouvernance occidentalisée, à partir des

« modèles endogènes ». C’est la stratégie du « coup de force » traditionnel de « l’ordre à établir »

à partir de la « case pleine »65 et de l’arbre à palabre. La stratégie d’urbanisation à partir des

modèles endogènes est source de violence instrumentale. Ici l’ordre social est centré sur

« l’Ayon »66 et « le Mvog »67, l’ordre économique est centré sur « la femme comme base de

l’économie »68 et « le mariage comme indice de richesse »69, l’ordre politique est centré sur « la

61 L. Sindjoun, L’Etat ailleurs : entre noyau dur et case vide, Paris, Economica, 2002. 62 J-V. Ntuda Ebodé, « Crise de l’urbanisation et urbanisation de crise. Analyse typologique de la violence des

modèles exogènes », op cit. 63 Idem. 64 Sur les propos de pape Benoit 16 concernant la fondation judéo-chrétienne de l’environnement comme « lieu de

vie de la famille humaine, est une création divine dont l’homme a la responsabilité de protéger quotidiennement pour

ses besoins et ceux des générations futures », lire K. Ruppel, « Introducing Environmental Law », in O. Ruppel et E.

Kam (dir.), Droit et Politique de l’environnement au Cameroun, afin de faire de l’Afrique l’arbre de vie, Presses de

l’UCAC, Yaoundé, 2018. 65 Néologisme tiré d’une manipulation de la métaphore de la « case vide » formulé par L. Sindjoun, pour désigner la

force du pouvoir traditionnel. 66 J. F. Owono, Pauvreté ou paupérisation en Afrique. Une étude exégético-éthique de la pauvreté chez les Béti-Fang

du Cameroun, University of Bamber Press, 2011, p. 64. 67 J. F. Owono, Pauvreté ou paupérisation en Afrique. Une étude exégético-éthique de la pauvreté chez les Béti-Fang

du Cameroun, op. cit., p. 68. 68 Idem, p. 78. 69 Idem, p. 81.

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liberté comme base sociale de la vie »70 et « le Ntobo (…) indice d’une société esclavagiste »71,

l’ordre cosmogonique est centré sur l’ancestralité de « Zamba » et la divinité de « Eyo ».

Toutefois, la logique évaluative du rapport entre violence et urbanisation à partir de la « crise

de l’urbanisation et l’urbanisation de crise » des « modèles exogènes » et « endogènes », contraste

avec la logique compréhensive qui est la nôtre de dire que, si la violence des actions coups de

poings de la police municipale sur les marchés et les sites des destruction des habitations illégales,

peut être une ressource d’urbanisation à travers les slogans tel que « Jack Bauer »72, la politique

de restructuration des quartiers pauvres et spontanés de la ville dans le cadre des travaux

d’embellissement et d’amélioration du cadre de vie des populations, gagnerait à s’inscrire

durablement dans l’alternative de la non-violence.

Le rapport de force entre modèle exogène et modèle endogène de gouvernance urbaine,

s’inscrit dans la théorie bourdieusienne du champ comme espace de luttes. Selon P. Bourdieu,

parce que le champ est un espace de luttes pour la conservation et la transformation du rapport de

force, les agents élaborent des stratégies. Ces stratégies dépendent de la forme et de la structure du

champ ainsi que de la position qu’occupent les agents dans le champ. Les dominants ont parti lié

avec l’état global du champ. Les forces du champ orientent les dominants vers les stratégies qui

ont pour fin de renforcer leur domination. Les dominés peuvent soit attaquer les dominants, soit

éviter le conflit. De manière globale, la stratégie des dominés est de transformer le rapport de force

à leur avantage. Cette transformation peut se faire lors de l’entrée en scène d’un nouveau capital

non maitrisé par les dominants, mais maitrisé par les dominés.

A l’observation du projet de valorisation économique et touristique de Lac Municipal, il se

dégage une volonté d’urbanisation selon le modèle exogène occidental. Il s’agit ici de mettre en

place des structures et commodités qui ressortissent de la modernité occidentale, en l’occurrence,

l’installation d’équipements de sports nautique, la construction d’un hôtel cinq étoiles, de

70 Idem, p. 71. 71 Idem, p. 76. 72 Acteur principal de la série « 24h chrono » s’illustrant par sa bravoure à déjouer les plans de menaces à la sécurité

des Etats-Unis, est devenu le sobriquet de l’ancien délégué de la communauté urbaine de Yaoundé G. Tsimi Evouna,

resté célèbre du fait ses opérations de « casses » des habitations illégales, et de déguerpissement des commerçants sur

les chaussées. La rumeur disait que celui-ci se baladait avec un cercueil dans son véhicule afin de signifier aux victimes

des casses qu’un mort n’a peur de rien.

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restaurants de classe internationale, d’un centre de remise en forme, de boutiques, et d’un espace

de détente et de loisirs. Sur un autre registre, à l’observation des « forets urbaines » que constituent

le bois Sainte Anastasie et les chutes du Mfoundi, constat est fait de la restructuration par la

Communauté Urbaine de Yaoundé, du paysage urbain sur un modèle paysagiste endogène reposant

sur la valorisation des essences forestières locales, en l’espèce l’eucalyptus. D’où la tension entre

modèle exogène et modèle endogène. Il s’agit toutefois d’une tension à l’avantage du premier

modèle, du fait de la culture exotique des espaces verts.

Au demeurant, penser l’urbanisation territoriale de la durabilité du lac municipal à partir de la

construction structuraliste, parce que reposant sur la rationalité structurellement limitée, ne permet

pas de prendre au sérieux l’émancipation à l’égard des structures, et donc : la rationalité des

acteurs. D’où l’intérêt, pour une intelligence complète de la dynamique constructiviste, de prendre

au sérieux la rationalité des « représentations actancielles » qui se donne à voir dans le cadre de la

construction sociale.

II- PARTICIPER A L’URBANISATION DURABLE DU LAC MUNICIPAL : UNE

TECHNIQUE DE CONSTRUCTION SOCIALE DE LA GOUVERNANCE

« BOTTOM-UP ».

L’urbanisation durable du lac municipale est socialement construite, à travers les

représentations identitaires des différents acteurs qui participent la gouvernance. Les constructions

« sociale de la réalité » et « de la réalité sociale », si elles admettent une double construction

objective et subjective, se distinguent des constructions structuralistes de P. Bourdieu, en ceci

qu’elles mettent l’emphase sur le poids des représentations intersubjectives, à travers

principalement d’identité comme facteur de conduite sociale. La logique participative permet ainsi

de substituer la gouvernance technique, celle de l’expertise « des petites gens » à la gouvernance

programmatique, celle des structures de l’Etat décentralisé. Dans son acception technique, la

gouvernance « accorde une pertinence particulière aux acteurs non étatique ; analyse différents

niveaux spatiaux et fonctionnels de la politique ainsi que de leurs interactions ; se penche sur les

nouveaux modes et mécanismes de production et de maintenance des biens publics (…) ; souligne,

enfin, la mise en place de nouvelles sphères fonctionnelles d’autorité, en dehors de l’Etat-nation

et de la coopération (…) ». Aussi, la construction par les représentations sociales des acteurs est à

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la fois, en l’espèce, une « construction sociale de la réalité » (A) et « une construction de la réalité

sociale » (B).

A- La « construction de la réalité sociale » de gouvernance : une modalité routinière de

participation des identités urbaines

La participation comme modalité territoriale de construction de la réalité sociale d’urbanisation

durable du Lac Municipal, repose sur le poids des représentations identitaires urbaines : la

participation renvoyant à « l’intervention des citoyens dans les affaires de la cité »73, et l’identité,

à « une catégorie sociale définie par des règles d’appartenance et par certaines caractéristiques

qu’il s’agisse d’attributs ou de comportements probable »74. La participation par les

représentations identitaires urbaines, en l’espèce, oscille entre patrimoine identitaire commun (1),

et pluralité de trajectoires identitaires (2).

1- « Etre comme l’autre » à participer à la durabilité urbaine : le patrimoine identitaire

commun, entre identité compacte et identité relâchée

La participation des identités urbaine est cœur de la dynamique de construction de la réalité

sociale de gouvernance du Lac Municipal de Yaoundé à partir du bas. Les « codes de la mêmeté »75

des identités urbaines permettent de distinguer dans le patrimoine identitaire commun urbain, ce

que le L. Sindjoun76 appelle « l’identité compacte » et « l’identité relâchée ». Dans le cadre de la

constitution du 16 janvier 1996, « l’identité nationale compacte » s’entend à partir de : l’hymne

nationale, la devise, les armoiries et le drapeau national entre autres ; tandis que « l’identité

relâchée » se comprend en référence au notions « d’autochtones » et « d’allogènes ». Sur la base

de l’histoire politique et constitutionnelle du Cameroun, il est possible d’envisager une dynamique

compacte de l’identité urbaine, entre identité unitaire réunifiée (1972-1984) et l’identité unitaire

décentralisée (1996-2021), tout comme il est également possible d’envisager une dynamique de

73 O. Nay (dir), Lexique de science politique. Vie et institutions, op cit., p. 384. 74 D. Alcaud L. Bouvet, J-G. Contamin, X. Crettiez, S. Stéphanie, M. Rouyer, Dictionnaire de sciences politiques,

Paris, Sirey, 2 eme édition, 2010, p. 284. 75 Etat de ce qui est « même », par opposition à ce qui « est différent ». R. Kastoryano (dir), Les codes de la différence.

Race, origine religion. France, Allemagne Etats-Unis, Presses de Sciences Po, 2005. 76 L. Sindjoun, « Identité nationale et révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 : comment constitutionnalise-t-on

le nous au Cameroun dans l’Etat post-unitaire ? », Polis, vol. 1, numéro spécial, 1996, pp. 43-46.

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relâchement de l’identité urbaine, entre identités fédérales et fédérés (1961-1972), et identités

allogènes et autochtones (1996-2021).

La notion de participation identitaire dans la construction de la réalité sociale de la

gouvernance, intègre parfaitement la théorie constructiviste de J Searle, en ceci qu’elle permet de

distinguer le « fait brut », notamment, le Lac Municipal, du « fait institutionnel » construit,

notamment la gouvernance urbaine durable dans son articulation « bottom-up », c’est-à-dire à

partir des acteurs sociaux d’en bas, que constituent les identités urbaines.

A l’observation de la dynamique urbaine des peuples, trois types de peuples s’illustrent de par

leur style de vie sociale autour du Lac Municipal. Le premier peuple est celui de la forêt, dont le

style de vie tourne autour du règne forestier en termes de chasse, de cueillette et d’activités

agricoles. Il s’agit pour l’essentiel des peuples bantous, dans leur variante béti, et qui constituent

le peuple majoritaire dans l’occupation spatiale du territoire du lac, au soir et au matin de

l’urbanisation coloniale de la ville de Yaoundé. Le second peuple est celui des zones arides

septentrionales. Il s’agit pour l’essentiel des peuples soudano-sahélien, dont le style de vie sociale

tourne autour de la quête effrénée des points de ressources en eau, pour l’usage domestique et

l’activité agro-pastorale. Le troisième peuple, communément appelé le peuple des eaux, est

originaire du Wouri et le long de la bande littorale sud du Cameroun. Ici le style de vie sociale

tourne auteur des eaux, à travers les rites et cultes en l’honneur des esprits des eaux. Le festival du

Ngondo, regroupant les tributs Sawa en est une parfaite illustration. Ce peuple se compose d’un

ensemble de groupe qu’on pourrait ranger sous les labels : « les Duala », « les Batanga », etc.

Cette mosaïque des peuples urbains de Yaoundé, peut, selon la constitution du 18 janvier 1996,

se classer en deux ensembles identitaires nationaux : les « autochtones » et les « allogènes ». Les

peuples de la forêt d’Ongola constituent l’essentiel des peuples dits autochtones, tandis que, les

peuples des eaux et des zones arides, en constituent l’essentiel des peuples dits allogènes. L’on

serait tenté de croire que l’autochtonie majoritaire des peuples des eaux et des zones arides auraient

certainement permis au Lac Municipal, une destinée plus heureuse dans l’organisation sociale

urbaine de la ville de Yaoundé. Force-nous est cependant de constater que l’autochtonie

majoritaires des peuples de la forêt semble dominante dans la structuration des représentations

identitaires urbaines du Lac Municipal, du fait de son absence dans l’agenda culturel urbain de

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Yaoundé. On se serait au moins attendu à ce que l’un des moments de magnification de la culture

urbaine de Yaoundé, baptisé « festival Yafé »77, ait pu s’appeler « festival du lac Municipal »,

d’autant plus que les premières éditions de Yafé se déroulaient sur le boulevard du 20 mai, situé à

quelques encablures du lac. Cette destinée urbaine heureuse aurait peut-être permis l’émergence

d’une mobilisation collective en vue de l’inscription du Lac Municipal dans le patrimoine culturel

national que nous appelons de tous nos vœux.

Toutefois « être identique » autour du Lac Municipal de Yaoundé n’est pas seulement « être

comme » l’autre, c’est aussi et surtout « être différents de » l’autre.

2- « Etre différent de l’autre » à participer à la durabilité urbaine : les trajectoires

identitaires de la « rurbanisation » ou « villégialisation »

La participation identitaire comme modalité de construction sociale de la réalité de

gouvernance, se fait aussi à partir des « codes de la différence », des trajectoires identitaires de « la

rurbanisation ou ville éparpillée »78 selon G. Bauer et J.M. Roux. « Être différent de l’autre »,

« être différent des autres » est une modalité de participation identitaire au jeu de la gouvernance

urbaine du lac, dans les parties de l’inscription sur l’agenda et l’exécution des agendas urbains. Il

s’agit ici de la dimension sociale du développement durable à partir des communauté identitaires,

comme semble le souligner A. Bopda « l’intégration métropolitaine africaine est soit le fait

d’appartenir à une communauté nouvelle, distincte et pas nécessairement indépendante des

communautés qu’on a quitté, soit l’évolution vers cette nouvelle appartenance (…) le villageois

venu du pays rural lointain passe par la ville et revient au village proche pour devenir vraiment

citadin (…) en y suscitant la trans formation du village qui l’accueille en ville »79. Être en ville

c’est aussi d’une certaine manière porter et transporter son village en ville, ses habitudes et ses

modes de vies.

L’enquête réalisée par A. Bopda dans la cadre de sa thèse de Doctorat sur la thématique de

« Yaoundé dans la construction nationale : », fait état d’un coefficient d’omniprésence des

77 La dénomination du festival urbain annuel de Yaoundé en « Yafé », dérivant de la jonction de termes « Yaoundé »

« en » « fête », est en réalité, une réappropriation de l’expression béti « Ya’a feu », qui signifie « comment ? » en

Ewondo, comme l’atteste l’intonation de prononciation de l’expression par son créateur G. Tsimi Evouna, par ailleurs

ancien Délégué de la communauté urbaine de Yaoundé, et initiateur dudit festival. 78 G. Bauer, J.M. Roux, La rurbanisation ou la ville éparpillée, Paris, Seuil, 1976. 79 A. Bopda, Yaoundé dans la construction nationale du Cameroun : territoire urbain et intégration, op. cit., p. 120.

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communautés dans la ville de Yaoundé : seuls les autochtones disposent d’un coefficient de 80% ;

celui des Bamiléké, des Douala, des Maka, des Mbo, des Kribiens, est compris entre 50% et 80% ;

celui des Eton, des Bassa, des Boulou, des Bafia, est compris entre 30% et 49% ; celui des Ewondo,

des Haoussa, des sénégalais, des Baya, des Bamoun, est compris entre 20% et 29% ; celui des

Tchadiens, des Nigérians et des Foulbé est inférieure à 20%.

La même enquête, portant sur le rôle de l’origine géographique dans la représentation du

territoire urbain, fait état d’une disposition des communautés selon les quartiers : entre 83% et

87% des interviewés estiment que les quartiers Briqueterie et Ntougou sont des quartiers

« Nordistes » ; 73% estiment que le quartier Etoa-Meki est un quartier des Bassa et des gens du

Littoral ; 58% estiment que le quartier Messa et 79% estiment que le quartier Madagascar sont des

quartiers Bamiléké. Selon l’auteur, « presqu’au même degré qu’à Mokolo, les Eton sont aussi

localisé à Mvolyé, les Ewondo à Nkolndongo, les Haoussa et les Nordistes à la Briqueterie, les

Anglophones à Biyemassi et les Bassa à Essos ».

Sur la base de ces chiffres, il est possible d’envisager une « rurbanisation » du Lac Municipal

à partir des communautés résidents les quartiers situé sur le bassin versant la Mingoa et des

quartiers en amont traversés par les deux fluents de la rivière Mingoa: il s’agit ainsi des quartiers

Messa-Mezala et camp sic Messa, des quartiers Melen 1, 3, 4 et 5, des quartiers Elig-Effa 1, 2, 3,

4, 5, 6, et 7, et, du Quartier du lac. Si globalement, dans les quartiers de Yaoundé « l’autochtone »

est perçu comme un « paresseux », un « fainéant, tandis que « l’allogène » ou « nouveau venu »

est perçu comme un « envahisseur », la dynamique des rapports entre communauté est conviviale.

Parlant des rapports entre communauté dans le quartier de Melen, un informateur s’exprime en ces

termes :

« Le soir il y’a de l’ambiance (…) il y’a des petites « mininga » de toutes les sortes. Si tu as froid

(…) certaines ont le « tobassi » (…) si elles t’aiment elles te charment et tu ne peux plus partir

(…) [les gens de Melen] viennent de partout : Bamileke, Bassa, Ewondo, Bafia, Béti (…) les

Bamiléké vous font du porc (…) les femmes Bamenda vous font un bon « Achu » (…) les filles

douala font un « ndole » magique (…) »80.

80 A. Bopda, Yaoundé dans la construction nationale du Cameroun : territoire urbain et intégration, op. cit., p. 23.

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Si telle est la construction de la réalité sociale de gouvernance à partir du patrimoine identitaire

commun et des trajectoires identitaires de la rurbanisation « d’en bas », qu’en est-il de la

construction sociale de la gouvernance urbaine durable à partir du bas ?

B- La « construction sociale de la réalité » de gouvernance : une modalité conjoncturelle

de participation des civilisations urbaines

La construction sociale de la réalité est celles des représentations, à travers les mythes et

légendes sur le Lac Municipal, et de l’émergence d’une citoyenneté durable.

1- Les traditions urbaines : le poids des mythes et légendes sur le lac

L’idée force de notre discussion ici est que les traditions urbaines, à travers les mythes et

légendes, contribuent à la construction sociale de la gouvernance par « le bas » de l’urbanisation

durable du Lac Municipal de Yaoundé. L’idée féconde du poids des mythes et légendes urbaines

sur le Lac municipal permet d’explorer « les fondements anthropologiques »81 de la gouvernance

telle qu’indiqué par G. Pinson, comme un domaine en « friche » que les travaux sur la gouvernance

ont jusqu’à l’heure éludé. Toutefois, l’analyse de la gouvernance à partir des mythes et légendes,

n’est pas forcément innovante et innovatrice au Cameroun. L’analyse de la gouvernance à partir

de la « totémisation du pouvoir »82 et des « mythes fondateurs »83, constitue un axe

d’argumentation de P. C. Belomo Essono, sur la « Sécurité et ordre politique au Cameroun : entre

dynamiques internes et connexions internationales ». Ceci dit, la plus-value heuristique de la

présente entreprise, réside forcément, sur le niveau d’échelle territorial de l’urbanisation, et le

secteur concerné, notamment, le secteur du développement durable du Lac Municipal de Yaoundé.

L’idée du poids des mythes et légendes s’inscrit dans le cadre de la construction sociale de

la réalité théorisée par P. Berger et T. Luckmann. Selon les auteurs, la construction sociale de la

réalité se fait par un double mouvement de cristallisation dans les institutions, et de vécu dans

l’inter subjectivité des acteurs sociaux. On pourrait dire en l’espèce, pour reprendre les auteurs,

81 Pinson Gilles, « Gouvernance et sociologie de l'action organisée. Action publique, coordination et théorie de

l’Etat », op. cit. 82 P. C. Belomo Essono, « Sécurité et ordre politique au Cameroun : entre dynamiques internes et connexions

internationales », Revue africaine des relations internationales, vol. 12, N° 1 et 2, 2009, p. 47. 83 P. C. Belomo Essono, « Sécurité et ordre politique au Cameroun : entre dynamiques internes et connexions

internationales », op. cit, p. 45.

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que la construction sociale de la réalité territoriale de la gouvernance bottom-up, se fait par

cristallisation de la durabilité du lac dans les traditions urbaines à travers les mythes et légendes.

A l’observation, la composition sociologique de la population urbaine de Yaoundé révèle une

mosaïque de peuples dits « autochtones », tel que dit plus haut, au rang desquels on peut citer : les

Mvog Mbi, les Mvog Atangana Mballa, les Mvog-Betsi, les Mvog Atemgue, les Mvog Ada, les

Mvog-Manzé, les Mvog Belinga, les Mvog Fouda, les Mvog Effa, les Baaba, les Emombo, les

Yanda, les Ndong, les Etoudi. Le groupe Mvog Atemengue est celui qui a durablement occupé le

site abritant le lac municipal. Sans être des peuples des eaux à l’instar des peuples Sawa et assimilés

qui se mettent en scène à travers le festival du Ngondo, les peuples de la foret d’Ongola84 ont un

rapport anthropologique à l’eau à travers leurs divinités85 des eaux, leurs légendes86 des eaux

basées sur la traversée de la Sanaga à dos d’un serpent, et leurs rites et rituels d’initiations où

l’élément eau tient une place de choix lors du bain initiatique. Sur la base de l’origine africaine de

la gouvernance à travers l’arbre à palabre en Afrique de l’ouest, l’on peut se risquer à émettre

l’hypothèse d’une gouvernance historique des eaux du Lac d’Ongola à partir de la « case » du chef

supérieur des Ewondo, en tant qu’institution territorialement compétente en matière de

commandement traditionnel des eaux et de règlement des différends portant sur les conflits

d’utilisation des eaux entre riverains du lac.

84 Nom originel de la ville de Yaoundé signifiant « clôture », et qui selon une première tradition orale viendrait de la

clôture en tige de bam bou, bâtie par les soldats Allemands Kund et Tappenbeck autour de leur camp militaire, situé

sur la colline habité par le notable Ewondo Essono Ela. Selon la deuxième tradition orale, « Ongola » viendrait de la

clôture ou piège « mi- physique, mi- mystique » de capture d’éléphants, construite au niveau de l’emplacement actuel

du rond-point de la BEAC, qui était alors un passage obligé des troupeaux d’éléphants. « Ongolo-Ewondo » faisant

donc référence à cette clôture, ce piège des Ewondo. Cf. A. Bopda, Yaoundé dans la construction nationale du

Cameroun : territoire urbain et intégration, op. cit, p. 23. 85 La théogonie des peuples Beti n’attache pas la souveraineté spécifique des eaux à une divinité particulière. Le nom

Zamba, qui vient de « Za ambe » signifiant « qui était là ? », et le nom Ntondobe qui signifie « soutien de la marmite »,

sont quelques noms exotériques du divin dans la mythologie Béti. Le nom ésotérique de Dieu est « Eyo » qui signifie

« celui qui vomit toutes chose ». Celui-ci après avoir créé le monde et ce qu’il renferme, s’est retiré et « n’intervient

jamais dans les affaires des hommes », bien qu’il « soit présent en toute chose ». Cf. J. F. Owono, Pauvreté ou

paupérisation en Afrique. Une étude exégético-éthique de la pauvreté chez les Béti-Fang du Cameroun, University of

Bamber Press, 2011. 86 Le mythe de la traversée de « Yom », raconte l’histoire de la traversé de la Sanaga par les Béti sur le dos d’un

serpent. Au cours de la traversée, un des voyageurs planta sa lance par accident sur le serpent, qui se retourna et la

traversée fut interrompue. Ceux qui réussirent à traverser, trouvèrent habitant sur le site qui devait devenir plus tard

« Ongolo-Ewondo », un conglomérat de peuples constitués des Maka, des pygmées et des Bassa. Ceux qui ne purent

traverser et restèrent sur l’autre rive sont désigné comme les « Ossananga ». Cf. J. F. Owono, Pauvreté ou

paupérisation en Afrique. Une étude exégético-éthique de la pauvreté chez les Béti-Fang du Cameroun, op. cit.

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Cependant, la tradition urbaine du lac municipal n’est pas qu’une tradition coutumière, elle est

aussi et surtout une tradition républicaine à travers le transfert de compétence, de la chefferie

supérieure aux colons d’abord, puis à l’Etat ensuite, et, du transfert de compétence de l’Etat aux

collectivités territoriales décentralisées, en l’espèce, à la Communauté Urbaine de Yaoundé. De

2002 à 2010, l’activité de la communauté en matière de protection de l’environnement du lac a

consisté : à la signature d’un contrat de désherbage entre la CUY et les pêcheurs, à la signature

d’un contrat de faucardage et de curage entre la CUY et la société Koop, à l’interdiction de la

pêche sur le Lac municipal. L’anthropologie politique du pouvoir permet aussi de relever le lien

entre « le pouvoir de Yaoundé » et le lac municipal à travers la dispositions spatiales des édifices

principaux des organes de pouvoir que sont l’exécutif, le législatif et le judiciaire, à proximité du

lac municipal.

On pourrait, sur la base de la fonctionnalité unificatrice de l’élément eau dans les cosmogonies

occidentales et africaines, creuser le lien entre la proximité du palais présidentiel d’avec le lac puis

sa délocalisation à Etoudi, et, l’évolution politique du Cameroun : ceci en mettant en lumière le

fait que la proximité du lac municipal au palais présidentiel semble avoir été propice à l’impulsion

présidentielle d’une unification nationale sur le modèle de « l’un » entre francophone et

anglophone, et l’éloignement du palais par rapport au lac a été propice à l’impulsion présidentielle

d’une identité nationale sur le modèle du « multiple » entre les différentes compositions sociales,

notamment, autochtones et allogènes selon la constitution du 16 janvier 1996.

La proximité de l’Etat d’avec le lac n’est pas qu’une proximité des pouvoirs87 constitués et

constituants, c’est aussi une proximité des grandes administrations ministérielles de l’Etat et le

quartier général en tant principal laboratoire de la stratégie de défense du Cameroun. La proximité

de l’ENAM88 ou « école du lac » n’est du reste pas anodine. C’est l’Ecole qui forme les hauts

cadres de la république dans le domaine de l’Administration et la magistrature. On pourrait ici

s’accorder la liberté d’invoquer les propos de l’ancien Directeur Général89 dans le cadre d’une

87 Il s’agissait, en l’espèce, du palais présidentiel (symbolisant le pouvoir exécutif), de l’Assemblée Nationale

(symbolisant le pouvoir législatif), et du Ministère de la Justice (symbolisant le Pouvoir judiciaire). Tous ces pouvoirs

étaient disposés autour du lac. En dehors du palais présidentiel qui a été reconstruit à Etoudi, tous les autres pouvoirs

semblent conserver leur position initiale. 88 Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature. 89 L. T. Mendjana.

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interview accordée à la chaine de télévision Canal 2, sur la question de l’opportunité d’une

délocalisation de l’ENAM du fait de l’exiguïté du site abritant les locaux. Le Directeur Général

faisait alors remarquer au journaliste que l’hypothèse que les « anciens » aient enterré quelques

objets de pouvoir sur le site ne serait pas à balayer d’un revers de la main. D’où la justification du

maintien de l’école sur le site du lac.

La construction de la réalité sociale du lac à travers les mythes et légendes sur le lac n’est pas

qu’une construction par cristallisation de la réalité sur les institutions, elle est également vécue à

travers l’émergence et la consolidation d’une citoyenneté urbaine sur les eaux du lac municipal.

2- La citoyenneté urbaine des « gens de Yaoundé » : entre éco-citoyenneté et citoyenneté

durable cosmopolite

L’idée force de notre discussion ici est que la citoyenneté urbaine est une modalité inter

subjective de construction sociale de la gouvernance durable des eaux du lac Municipal. La

citoyenneté fait référence à l’ensemble des droits et des devoirs des citoyens qui, en tant que

membre de la communauté politique, sont habilité à participer aux affaires publiques. En tant que

telle, la citoyenneté suppose l’allégeance à une communauté politique nationale. Dans le contexte

camerounais la citoyenneté environnementale ou écocitoyenneté est encadré par le préambule de

la constitution du 18 janvier 1996, qui dispose que « Toute personne a droit à un environnement

sain. La protection de l’environnement est un devoir pour tous. L’Etat veille à la défense et à la

promotion de l’environnement » : telle est, sur le plan national, le fondement juridique de la

citoyenneté environnementale ou écocitoyenneté, entendue, selon L. Sauvé, comme « une

citoyenneté critique, compétente, capable et désireuse de participer aux débats publics, à la

recherche des solutions et à l’innovation écosociale »90.

Toutefois la citoyenneté n’est pas que nationale, en ceci que dans son évolution, la notion

intègre aujourd’hui désormais et de plus en plus, l’allégeance à des ensembles politiques supra

nationaux et infra nationaux. La citoyenneté urbaine fait référence à l’allégeance aux ensembles

infra nationaux, en l’espèce, l’allégeance aux communes et communauté urbaines. Selon A.

90 L. Sauvé, « Au cœur des questions socio-écologiques : des savoirs à construire, des compétences à développer »,

Education relative à l’environnement, n° volume 11, 2014, p. 21, https://dx.doi.org/10.4000/ere662 (consulté le 11

mai 2020).

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Bopda, « l’appropriation de la ville ou du pays, l’appropriation du statut de citoyen de la ville ou

du citoyen du pays devient tout simplement la recherche du droit de participer à une aventure.

Aventure de construction de la ville par la construction dans la ville, du côté physique, aventure

de la participation à l’invention d’une communauté de cité dans une communauté de nation, du

côté mental ». C’est dire toute la dimension intersubjective de la citoyenneté urbaine, qui intègre

parfaitement la théorie de la construction sociale de la réalité sociale, à partir du vécu des acteurs

sociaux.

Deux faits permettent de d’illustrer l’actualité récente de la citoyenneté d’honneur au

Cameroun, citoyenneté entendu comme une distinction honorifique qu’une municipalité ou un Etat

confère à un individu, pour service rendu, ou pour honorer son mérite pour la défense d’une cause.

Le 21 décembre 2020, après un don aux enfants orphelins et démunis de l’arrondissement de

Yaoundé 6, le footballeur S. Eto’o Fils est fait citoyen d’honneur de la commune urbaine

d’arrondissement de Yaoundé 6. Autre lieu et autre date, mais même événement, le 21 janvier

2021 à la Communauté Urbaine de Douala, le footballeur L. Thuram est fait citoyen d’honneur de

la ville de Douala, au cours d’une cérémonie solennelle qui a vu la participation des chefs Sawa,

cérémonie au cours de laquelle lui seront remises symboliquement les clés de la ville de Douala.

Si l’on peut comprendre l’octroi des dites distinctions à S. Eto’o Fils et à L. Thuram, sur la

base de leur action humanitaire en faveur des cadets sociaux pour l’un, et pour l’autre, de son

militantisme dans la défense de la « cause des noirs », l’on serait tenté tout de même de se poser

la question de la sélectivité d’une telle entreprise de distinction eu égard à l’implication

« héroïque » de deux citoyens de la ville de Yaoundé dans la cause du développement durable du

Lac Municipal de Yaoundé. Il s’agit en l’occurrence, de G. Kyriakidès, qu’on peut considérer

comme le père géniteur du Lac Municipal de Yaoundé, en ceci que c’est à lui que nous devons le

chantier de retenue d’eau de la rivière Mingoa en vue de réaliser un lac au centre-ville de Yaoundé,

comme l’attestent ses propos :

« (…) Je descendais de Mvo-Ada, après une nuit pluvieuse, pour aller acheter du cacao au

comptoir de vente du Mfoundi. Il était six heures du matin. J’aperçue du haut de la colline la vallée

inondée de Djoungolo (…). Ce spectacle exceptionnel me donna l’idée de faire d’un lac, cette

vallée si bien encaissée. Après quelques échanges les jours et les mois suivants sur le sujet avec

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des amis, je fis face aux réticences, et fut obliger d’y renoncer pendant un temps (…). Le 14 juillet

51, je repris contact avec les autorités françaises qui gouvernaient la ville et le pays à l’époque,

et leur fit par de ma proposition d’emménager un lac. Cette fois, l’idée rencontra un intérêt

favorable. Plusieurs sites possibles furent passés en revue sans succès et la vallée de Djoungolo

essuya également un refus. Mais le site actuel du lac, fut favorablement accueilli par les autorités,

y compris M Christol, maire de la ville de Yaoundé à l’époque. Ce site situé derrière l’ancien

palais et contiguë au quartier administratif devait en effet contribuer significativement à

l’embellissement de la ville. L’accord me fut donné, dès le 15 juillet, de m’atteler à ce projet, mais

sans aucun apport. Je décidais néanmoins de relever le défi (…). Je mobilisais autour du site

toutes les populations volontaires (…) auxquelles l’administration accepta d’adjoindre chaque

fois à la demande des prisonniers nourris et entretenu par moi. Tous les travaux furent effectués

manuellement entre juillet 1951 et septembre 1952, avec des moyens rudimentaires (…), et tous

les efforts financiers furent supportés par ma famille. Le 15 septembre 1952, la construction du

barrage de retenue sur le cours de la Mingoa fut achevé et la mise en eau commença (…) ».91

Il s’agit ensuite du Président P. Biya, qu’on peut considérer comme le sauveur du Lac

Municipal à partir de la conception du projet de valorisation touristique du Lac Municipal de

Yaoundé, sa quête effréné de financement pour la réalisation dudit projet par la signature de

nombreux décrets, aux rangs desquels, on peut citer : les décrets du 02 février 2015, habilitant le

ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, à signer avec la

Deutsche Bank A.G. London Branch « un accord de prêt », et la Deutsche Bank S.A.E. « un accord

de prêt complémentaire », en vue du financement du projet de valorisation touristique et

économique du Lac Municipal de Yaoundé.

Protection de l’environnement du Lac municipal, engagé par G. Kyriakidès, et, efficacité

économique renforcée par P. Biya, constituent à n’en pas douter des actions citoyennes en vue de

satisfaire les besoins en eau des générations présentes, sans compromettre la capacité des

générations futures à satisfaire les leurs, selon la conception du développement durable à partir du

Rapport Brundtland. Toute chose contribuant à soutenir l’idée de la construction sociale de la

91 Propos de G. Kyriakidès, cités par M. Naah, Impact du développement urbain du bassin versant de la rivière Mingoa

sur le Lac municipal de Yaoundé (Cameroun), op. cit, pp. 65-66.

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gouvernance urbaine durable du Lac Municipal de Yaoundé à partir des représentations des

acteurs.

En somme, la genèse et la dynamique territoriale de la gouvernance urbaine durable du Lac

Municipal, structuralement et socialement constituée, qui se forme et se transforme à partir du lien

entre urbanisation territoriale et développement durable, semble contredire la théorie de « la

gouvernance durable de l’eau »92, selon laquelle « la gouvernance de l’eau peut être qualifiée de

durable lorsqu’elle soutient ou assure la promotion du développement durable dans le domaine de

l’eau »93, à partir des caractéristiques suivantes :

• La promotion de l’intégration à travers la coordination entre les secteurs concernés, la

coordination verticale entre les différents niveaux de pouvoirs, la coordination horizontale

dans les zones selon l’échelle géographique appropriée ;

• La garantie de clarté du bon fonctionnement des processus à travers l’efficacité

fonctionnelle des institutions et procédures, la clarté de l’attribution des droits et devoirs,

l’efficacité des mécanismes de résolution des conflits ;

• La promotion de la participation à travers l’intégration des acteurs concernés, la

transparence des processus, la possibilité de participation suffisante ;

• Le maintien de la capacité d’adaptation à travers l’accès aux ressources, à la technologie

et au savoir, la flexibilité et la solidité des structures institutionnelles, la capacité

d’apprentissage, de coopération et d’interconnexion.

La présente étude, sur la base des faits observés et observables, se veut une contribution

sociologique aux fondements « positionnels » et « dispositionnels » de la gouvernance urbaine

durable du Lac Municipal de Yaoundé, à travers les notions de « champ » et d’« habitus » qui en

indiquent la dimension « top-down » structuralement construite. Elle se veut également, un essai

sur les fondements anthropologiques de la gouvernance urbaine durable du Lac Municipal, à

travers les notions d’identité et de représentations, qui en constituent la dimension « bottom-up »

92 F. Schmid, F. Walter, F. Schneider, S. Rist, La gouvernance durable de l’eau : enjeux et voies pour l’avenir,

Synthèse thématique n° 4 dans le cadre du Programme national de recherche PNR 61 « Gestion durable de l’eau »,

Berne, 2014. 93 F. Schmid, F. Walter, F. Schneider, S. Rist, La gouvernance durable de l’eau : enjeux et voies pour l’avenir, op.

cit, p. 24.

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socialement construite. Somme toute, il s’agit d’une construction qui admet un matériau

objectivable inscrit dans les « choses », et un matériau intersubjectif inscrit dans les « les têtes et

les cœurs ». C’est aussi une construction qui admet une pluralité de « bâtisseurs » territoriaux

souverains et sans souveraineté, constitués d’acteur sociaux rationnels et d’agences structurelles

dotées de rationalité limitée.

La gouvernance territoriale n’étant toutefois pas une tour de Babel vivant en autarcie94, son

« rapport au monde » de la gouvernance centralisée, semble la confiner au rôle d’agence

d’exécution de celle-ci, dans le cadre du projet de revalorisation touristique et économique du Lac

Municipal. Ici, la dimension « héroïque présidentielle »95, se teste et s’atteste de la quête effrénée

de financement pour la réalisation du dit projet. Il s’agit d’un projet « si cher au Président de la

République », comme en témoigne C. Keutcha Courtez, alors ministre de l’urbanisme, de l’habitat

et du développement urbain, et par ailleurs présidente du comité de pilotage du projet, lors de la

réunion de coordination du projet, le 06 juillet 2021 à Yaoundé. Si l’on accorde, un temps soit peu

de crédit, aux rumeurs inscrivant le projet de valorisation touristique et économique du lac dans la

dynamique des travaux préparatoires en vue de la tenue de la CAN96 en 2022, dans un contexte

des « signes du temps » d’une probable transition politique au sommet de l’Etat, l’on serait tenté

de « donner le Christ sans confession » aux thèses du « coup d’Etat scientifique », ardemment

défendu par P. Messanga Nyamding, en prédisant au projet de valorisation touristique et

économique de Lac Municipal, un à venir « d’éléphants blancs »97.

Au final, assigner à la réflexion sur la gouvernance, et partant sur la gouvernance urbaine

durable du Lac Municipal, la destinée du trafic « d’import-export institutionnels » des modèles

exogènes, au-delà de raviver le sentiment intérieur de « quête du prince charmant » top-down et

de « la belle au bois dormant » bottom-up, suggèrerait une attention plus soutenue aux mille et une

vies de l’origine africaine de la gouvernance. D’où la question de la gouvernance « ailleurs ».

94 Selon P. Le Galès, « l’une des dimensions de la complexité du social renvoi justement à l’impossibilité d’établir des

frontières nettes entre secteurs, territoires, réseaux », P. Le Galès, « Régulation, gouvernance et territoire », in B.

Jobert, J. Commaille (dir), Les métamorphoses de la régulation politique, op. cit, p. 10. 95 La dimension héroïque ou charismatique, selon M. Weber, fait référence « à la vertu héroïque ou à la valeur

exemplaire d’une personne », M. Weber, Economie et société, Plon, « Presses Pocket », Paris, 1921, p. 289. 96 Coupe d’Afrique des Nations. 97 Terme servant à désigner les grands projets non réalisé sous le régime du Président de la République A. Ahidjo.

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La résistance du terrorisme de Boko Haram sur les iles frontalières

du lac Tchad

Par :

Gabriel VAHINDI

Doctorant en Science Politique

Université de Ngaoundéré (Ngaoundéré)

Résumé :

Le bassin du lac Tchad est plongé dans la violence du terrorisme islamique de Boko Haram

depuis presque une décennie. En dépit, des efforts consentis par les Etats de la région pour

éradiquer ce phénomène, la zone lacustre transfrontalière reste encore sous l’emprise de cette

violence. La faible présence des Etats et l’amenuisement des ressources naturelles favorisées par

la dégradation de l’environnement ayant appauvrie les populations a rendu celles-ci vulnérables

et malléables pour la secte islamiste. Et les ressentiments qu’éprouvent les communautés

insulaires envers l’Etat ont aggravé cette criminalité transfrontalière. Les Etats sont aujourd’hui

dans une urgence de redressement de la situation socioéconomique et sécuritaire de la région qui

tarde à avoir ses effets immédiats sur les îles frontalières.

Mots clés : Secte, Boko Haram, terrorisme, Lac, Frontière, Lacustre

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Introduction

Depuis quelques années l’on remarque que les effets du changement climatique ont

provoqué la sècheresse et baissé énormément le niveau des eaux du lac Tchad, « bien public

régional1 » voire mondial. Cette situation constitue une véritable épreuve pour les populations

riveraines et insulaires. La diminution des eaux du lac suite avec la sècheresse consécutive avait

donné lieu à une « pénurie » des ressources halieutiques, mais aussi à une dégradation des sols

cultivables ayant pour conséquence la faible production agricole. Cette calamité naturelle est

visible dans l’espace palustre et lacustre du lac Tchad. Et ce problème climatique qui a des

répercussions sur les conditions de vie des populations attisent les conflits entre les pratiquants des

diverses activités (pêcheurs, éleveurs, agriculteurs). La concurrence autour des ressources

naturelles du lac avait renforcé les prétentions de « privatisation » de ce bien public mondial par

certains Etats membres de la CBLT comme le Tchad. Les antagonismes interétatiques ont été

enregistrés çà et là pour l’accès et la gestion des ressources naturelles, mais sans avoir trop

d’impact sur la stature de l’institution. Si à la création de la CBLT, les acteurs étatiques de la région

avaient pour défis cardinaux les problèmes environnementaux, ces dernières décennies ils sont

confrontés à des nouvelles menaces. De plus, la zone lacustre transfrontalière est soumise à une

dynamique d’insécurité liée à la piraterie fluviale, au trafic des armes, de la drogue, à la criminalité

transfrontalière et aux conflits politico-militaires. Ceci est la manifestation de la fragilité des

acteurs de la CBLT dans ces « périphéries nationales2 » isolés. Et le délabrement progressif du

climat sociopolitique dû aux anciennes crises sécuritaires avait préparé le lit à la secte terroriste

Boko Haram. Cette situation est la conséquence d’un réveil tardif de l’ensemble des Etats membres

de la CBLT après l’envahissement d’une partie de l’Etat du Borno State (Nigéria). La prise de

conscience « tardive » des Etats de la CBLT à mutualiser les forces pour repousser cette horde

des « fous de Dieu3 », est la preuve de la fébrilité de cette institution régionale. Nonobstant,

1Terme emprunté à Louis BAASSID SOOKZO qui distingue fait une distinction entre le « bien public mondial » et

« bien public régional ». En bref, tout bien public dont dépend des millions de vie comme le bassin du lac Tchad, en

dépit son importance sur le plan régional est également un « bien public mondial ». La menace de sa disparition

interpelle l’ensemble de la communauté mondiale.

2John OGUNSOLA IGUE, L’Afrique de l’ouest entre espace, pouvoir et société. Une géographie de l’incertitude,

Paris Kartala, 2006. 3Voir le monde des religions. N° 69 Janvier-Février 2015, pp.24-52. Cité par Bruce Marcel NGOUYAMSA MEFIRE, La lutte contre l’insécurité transfrontalière dans le bassin du lac Tchad, In Ibrahim MOUICHE et Samuel KALE

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l’engagement courageux du Tchad, le Cameroun, un habitué de la « solft power4 » et du Niger,

dont l’on n’entend pas trop parler de ses interventions dans les conflits internationaux ; Boko

Haram résiste encore. La pauvreté ambiante et l’ignorance alimentent encore cette « entreprise

criminelle5 » transnationale dans la zone transfrontalière lacustre devenue son antre en dépit des

efforts militaires et socioéconomiques que fournissent les Etats de la CBLT pour éradiquer cette

criminalité.

En approchant l’espace lacustre des quatre frontières sur le prisme géopolitique, c’est-à-

dire en tenant compte de l’influence des facteurs géographiques, économiques et culturels sur la

politique des acteurs étatiques, nous nous posons les questions suivantes : qu’est ce qui explique

l’enracinement de la secte Boko Haram dans l’espace lacustre transfrontalière du lac Tchad ?

Notre hypothèse est que les causes de l’enracinement de la secte islamiste Boko Haram

viennent de la dégradation des conditions de vie des populations insulaires provoquée par le

changement climatique et les actions anthropiques qui ont entrainé l’amenuisement des ressources

naturelles. Autrement dit, le groupe salafiste radical Boko Haram a profité de la pauvreté de

communautés indigènes insulaires frustrées pour les enrôler comme une « main d’œuvre

criminelle ».

L’analyse met l’emphase sur la situation socioéconomique des populations insulaires

même si elle n’est pas la seule, qui explique l’arrimage de la secte Boko Haram dans l’espace

lacustre transfrontalière du lac Tchad. Notre démarche se nourrit du constructivisme et du

transnationalisme.

EWUSI, Gouvernance et sécurité en Afrique francophone subsaharienne francophone : entre corruption politique et

défis sécuritaires, Addis Abeba, UPEACE, 2015, p.234. 4C’est un concept utilisé en relations internationales. Développé par le professeur américain Joseph NYE, il est

traduisible en français par la « manière douce » ou le « pouvoir de convaincre ». Cf. Joseph NYE, Soft power, The

means to success in world politics. 5Terme emprunté à Issa SAIBOU. Lire ce dernier auteur dans, « Les jeunes patrons du crime organisé et la contestation

politique aux confins du Cameroun, de la Centrafrique et du Tchad », International conférence, Dakar, 2006.

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I- LA BAISSE DU NIVEAU DES EAUX DU LAC TCHAD ET SES CONSEQUENCES SUR

LE PLAN SECURITAIRE.

La création de la CBLT par les Etats riverains n’a pas permis à cette dernière institution de

bien protéger les ressources naturelles du lac. Le lac continu à perdre ses eaux et les problèmes

sécuritaires augmente. Et le terrorisme de Boko Haram, « nouvelle » forme de violence moins

connue dans la région s’est greffé aux criminalités passées dont les « germes » sont encore vivants.

La pauvreté ambiante provoquée par le manque des ressources est devenue pour les islamistes une

sorte « stimulus »6 pour mobiliser les combattants djihadistes. Le terrorisme ravisseur de la secte

Boko Haram est l’expression d’une frustration des insulaires. C’est peut-être dans ce sens que Seid

MBODOU affirme que : « Selon l’opinion générale de la population, le désengagement de l’Etat

dans les îles du lac Tchad plonge les habitants dans la misère et donc dans la déshérence et la

désespérance. Les jeunes s’estiment être aux abois et donc n’ont rien à perdre et c’est

effectivement ce genre de sentiment qui poussent à l’extrémisme. Les habitants des zones

insulaires, dans leur ensemble, disent qu’ils ont ménagé un monde qui ne leur promet rien, qui

non seulement, ne fait plus rêver, mais le confine à la galère et à une mort certaine »7. De tout ce

qui précède, les migrations saisonnières autours des activités agropastorales, halieutiques et la

propagation de l’idéologie obscurantiste (1) et l’endoctrinement des jeunes populations

désœuvrées des îles facilitées par la dégradation de leurs activités et l’interaction avec le Borno

stade (2) feront l’objet de notre analyse.

1-les migrations saisonnieres autours des activites agropastorales, halieutiques et la

propagation de l’ideologie obscurantiste.

Les lignes suivantes nous permettrons de parler de l’expansion de l’islamisme radicale

favorisée par la mobilité incontrôlée autour des activités génératrices de revenu (a) et la

transnationalité comme boulevard du développement des activités criminelles à caractère politico-

religieux (b).

6Jean-Bosco Germain ESAMBU MATENDA, Flux migratoires et émergence du fondamentalisme en Afrique

centrale, Paris, l’Harmattan, 2018, p.33. 7Seid MBODOU, Le terrorisme transfrontalier au lac Tchad : pour lutter efficacement contre Boko Haram, Paris

éditions, L’Harmattan, 2020, p.39.

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a- L’expansion de l’islamisme radicale favorisée par la mobilité incontrôlée autour des

activités génératrices de revenu

Depuis le début de l’existence, la recherche du bien-être a toujours été à l’origine de la

mobilité en masse des hommes. Dans le bassin du lac Tchad la récurrence de la sècheresse

détermine les migrations de faible ou moyen amplitude, en direction des zones disposant encore

de ressources8 (terres fertiles, pâturages, poisson). Les berges du lac Tchad ont été occupées depuis

des siècles par des populations plus ou moins antagonistes. Mais l’implantation des entités

politiques modernes a encouragé la libre circulation des hommes et des biens et a accentué

davantage le phénomène migratoire. Les calamités naturelles qui se succédaient dans cet

« eldorado » sahélien ont amené les populations à occuper les terres émergées du lac. Les

populations ont développé ainsi des formes d’adaptation fondées sur un recours généralisé à la

mobilité, valorisant au mieux les ressources du milieu par des formes variée de pêche, d’agriculture

et d’élevage9. Les îles frontalières sont devenues des greniers et des véritables pôles exportateurs

des produits halieutiques, agricoles et pastoraux pour la sécurité alimentaire de la capitale

tchadienne et bien d’autres métropoles mais aussi surtout les villes du nord du Nigéria, la région

de Diffa au Niger et celle de l’extrême-nord du Cameroun. Les activités exercées dans cet espace

lacustre tchadien, exigent pour la plupart des mouvements permanents. La recherche des eaux

poissonneuses, de verdure, ou des terres fertiles a contraint des nombreux insulaires au nomadisme

et surtout au non-respect des frontières des Etats. Cette situation a donné naissance à un nombre

élevé des populations sans résidence fixe qui suivent le mouvement des activités « productrices »

de naira10 qui fait figure de monnaie d’échange. Profitant des échanges dominés par les populations

d’origines nigérianes et de l’interaction constante, les îles ont développé une criminalité parfois

« voilée ». En d’autre terme, l’abondance des ressources naturelles cachait le malaise profond de

cet espace désétatisé. Et la propagation de l’idéologie islamiste de Boko Haram est la conséquence

de l’absence d’encadrement des religions par les Etats. Les populations des îles qui sont en contact

permanent avec les villes du nord du Nigéria, ont été en grand nombre dans les écoles coraniques

8Issa SAIBOU, Conflits et Problèmes de sécurité a ux abords sud du lac Tchad : Dimension historique (XVIe-XXe

siècles), thèse de doctorat/Ph. D d’Histoire, Université de Yaoundé I, 2001, p. 54. 9Jacques LEMOALLE et Gérard MAGRIN, (dir.), Le développement du lac Tchad : situation actuelle et futurs

possibles, Marseille, IRD Editions, coll. Expertise collégiale, bilingue françaisanglais, 216 p. + clé USB, 2014, p. 41. 10La monnaie nigériane utilisée dans cette frontalière par l’ensemble des populations riveraines et insulaires.

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des fondamentalistes de cette partie du pays. Ces almajirins11 ou talibés dont certains ont suivi les

prêches des leaders de la secte à la mosquée Markaz Ibn Tamiyya12 de Maiduguri, sont revenus

propager ces enseignements dans la zone lacustre. Ces personnes déguisées en commerçants,

marabouts, pêcheurs ont détourné plusieurs jeunes insulaires.

La migration incontrôlée et l’irruption du terrorisme de Boko Haram dans cet espace

lacustre frontalier traduit d’une part la faiblesse des Etats et d’autre part les dynamiques complexes

et enchevêtrement des conflits dans la région du lac Tchad. Le manque des ressources naturelles a

conduit ces populations nomades du lac Tchad sans perspectives d’emploi à entrer dans le

« djihado-banditisme »13. Le regroupement des personnes au degré de moralité et civisme douteux

venant des différents horizons dans cet « no man’s land » a fait des îles frontalières des refuges

des criminels. Le faible ancrage des quatre acteurs de la région (Cameroun, Niger Nigéria, Tchad)

ayant facilité la mobilité sur ces eaux frontalières à favoriser l’implantation de la secte BH.

L’isolement des îles, les alliances « ethnico-religieuses » de la secte islamiste avec les

communautés insulaires Buduma, Kanembu, Kanouri et bien d’autres a rendu la situation

sécuritaire plus chaotique. Le facteur identitaire et religieux est le socle de l’implantation de Boko

Haram dans le lac Tchad. Mais l’incapacité des acteurs souverains à imposer leur volonté en

exerçant leur autorité sur les portions de leurs territoires incite les « organisations criminelles »

transnationales à dicter l’anarchie. Jean Marc SOREL augure quant à lui que « C’est la

confrontation des souverainetés que résulte la nécessité d’une délimitation au moyen de la fixation

d’une frontière destinée à empêcher tout empiètement d’une souveraineté à l’autre. La frontière

est donc l’instrument de séparation de deux souverainetés »14. En réalité, en dépit de la volonté

qui anime les acteurs de la CBLT à éradiquer toutes les formes de criminalités, la perméabilité des

11Nom de élèves des écoles coraniques itinérantes, errants et mendiants leur pitance quotidienne entre deux séance

d’apprentissage. 12Selon Issa SAIBOU et al, littéralement « Centre Ibn TAYMIYYA », nom que donna le fondateur de Boko Haram

Muhamed YUSUF à la mosquée ou il prêchait à Maiduguri. Comme de nombreux fondamentalistes, Muhamed

YUSUF citait abondamment Ibn TAYMIYYA (22 janvier 1263-26 septembre 1328), l’un de plus éminents

théologiens musulmans. Issu de l’école hanbalite, Ibn TAYMIYYA a voulu purifier l’islam en ramenant la

compréhension de ses textes à celles qu’en avaient les savants de premières générations après le prophète. En son

temps, il avait appelé à la guerre sainte contre le Mongols qu’il accusait d’être des mécréants. Des postures qui en font

l’un des principaux inspirateurs des mouvements et leaders fondamentalistes du XXe et XXI siècle, d’Al-Qaeda à

Boko Haram, de Ben LADEN à Mohamed YUSUF. 13Terme emprunté à Issa SAIBOU 14Jean Marc SOREL cité par Jean-Bosco Germain ESAMBU MATENDA, Flux migratoires et émergence du

fondamentalisme en Afrique centrale, Paris, l’Harmattan, 2018, p.51.

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frontières et l’usage des moyens de communication sophistiqués qui rapproche de plus en plus le

monde favorise le terrorisme. C’est aussi dans cette veine que Robert SACK cité par Bertrand

BADIE et Marie-Claude SMOUTS, pense que :’’ A l’heure de la mondialisation, de société post-

moderne et de la globalisation, lorsqu’on sait que les flux transnationaux découpent les territoires

et recomposent les espaces, font fi des frontières tout en dessinant, au gré des dynamiques sociales,

instables et mobiles, des géométries variables de la communication, du commerce, des

investissements, des migrations. Les territoires offre évidemment encore à l’Etat des modes de

contrôles souverain sur les hommes et sur les biens, mais sur de moins en moins de biens et tout

et en retirant de moins en moins d’allégeance citoyenne’’15.

b- La transnationalité comme boulevard du développement des activités criminelles à

caractère politico-religieux

Les acteurs de la CBLT se retrouvent en difficulté pour résoudre cette crise sécuritaire de

Boko Haram au sein d’un peuple qui appartenait au même « micro-Etat-nation », qui aujourd’hui

du fait des indépendances se retrouvent disperser dans plusieurs pays avec des nationalités

modernes différentes. Ces peuples « trait-d ‘unions» ou « transnationaux » aux nationalités

« flottantes », s’identifient plus à leurs ethnies qu’à leurs Etats. Même si paradoxalement ceux

acteurs criminels qui disent n’est pas reconnaitre l’Etat moderne se donnent le pseudonyme parfois

en empruntant le nom de leur pays d’origine, tel comme le tristement célèbre, commandant de la

secte Boko Haram d’origine tchadienne le dénommé Mustapha CHAD. L’identité « ethnico-

religieuse » se retrouve ainsi en opposition à la citoyenneté de l’Etat moderne internationalement

reconnu. Et la difficulté d’identification des acteurs criminels qui pour la plupart ne possèdent pas

des pièces d’identités, facilite leur déplacement dans les quatre territoires voire au-delà. La

transnationalité favorise le développement de la criminalité djihadiste de la secte. Le flux

incontrôlé des personnes et des biens rend complexe les actions de maintien de l’ordre. Cet

embrouillamini constitue un grand obstacle pour les forces de défense et de sécurité qui assurent

la sécurité.

15 Robert SACK cité par Bertrand BADIE et Marie-Claude SMOUTS, L’internationale sans territoire, p.9.

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En sommes, au-delà de l’ « islamo-fascisme »16 de façade, la sociogenèse de Boko Haram

illustre bien qu’il y a un profond malaise lié aux identités blessées. Les Etats de CBLT ont

fabriqués depuis leurs indépendances illettrées et des chômeurs. Cette situation fait renaitre un

ressentiment envers le système occidental de gouvernance. C’est ainsi que Valérie ROUAMBA-

OUEDRAOGO affirme que : « la rébellion, la révolte ou le terrorisme peut s’expliquer par le fait

que, le plus souvent, les autorités politiques orientent leurs actions plus vers certaines régions au

détriment des autres régions. Ainsi, certains citoyens sont favorisés et d’autres en disgrâce »17.

Cette négligence des Etats de la région du lac Tchad des certaines parties de leurs territoires ne

suffit pas et ne justifie pas les actes de violences. Et c’est aussi dans ce sens qu’Emmanuel KANT

qui encourageait la révolte contre la tyrannie à son époque en reconnaissant par exemple la,

‘’justesse de la révolte » contre un chef dictateur quand il affirme que : « le peuple est en droit de

secouer par la rébellion le joug d’un tyran ». Il condamne en même temps cette pratique politique

en ce terme que : « toute révolte n’est pas à cautionner et l’imperfection des autorités politiques

ne doit légitimer ou justifier le recours à la rébellion et au terrorisme’’18.

2-l’endoctrinement des jeunes populations desœuvrees des iles facilitees par la degradation

de leurs activites et l’interaction avec le borno state.

Le développement de cette partie nous conduira à évoquer la vulnérabilité des jeunes

insulaires conséquences de l’amenuisement des ressources naturelles (a) pris en étau entre

l’ignorance et l’inaction des acteurs étatiques : les populations insulaires à la merci de la secte

salafiste (b).

a- La vulnérabilité des jeunes insulaires conséquences de l’amenuisement des ressources

naturelles

La secte Boko Haram qui avait pour ambition de mettre fin aux gouvernances à l’allure

occidentale et corrompu de la région, comptant sur son ancrage dans certains pays. Malgré sa

composante sociologique hétéroclite, le bassin tchadien possède la religion musulmane comme

16Zachée BETCHE, Le phénomène Boko haram : au-delà du radicalisme, Paris l’Harmattan, 2016, p.16. 17Valérie ROUAMBA-OUEDRAOGO, Crise sécuritaire dans les pays du G5 Sahel, Paris, l’Harmattan, 2021.

Consulté en ligne le 19/06/2021 sur https://www.youscribe.com/BookReader/Index/3225778?documentld=4185130. 18Emmanuel KANT cité par Valérie ROUAMBA-OUEDRAOGO, 2021, op.cit.

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objet de convergence et d’union du fait que la quasi-majorité des populations sont les pratiquants

de cette dernière. Plusieurs facteurs ont contribué pour permettre à Boko Haram de gagner une

bonne partie du septentrion de l’Etat fédéral du Nigéria et s’attaquer à ses homologues tels comme

le Cameroun, le Niger et le Tchad. Selon Corentin COHEN cité par Benjamin Eric BITYILI BI

NLEME la mutation idéologique et l’internationalisation des actes de violence de Boko Haram se

lit sous trois dynamiques : « la question de la reformulation des réseaux de clientèle politique, le

phénomène de reconversion dans le mouvement de bandes, criminels et autres coupeurs de routes ;

la redéfinition de l’économie de la région et le rôle de redistribution »19.

Les acteurs de la CBLT se retrouvent quasiment sur la même longue d’onde sur le plan de

développement dans l’espace tchadien et surtout dans sa partie lacustre. Si un pays comme le

Tchad est plongé dans la guerre civile quelques années seulement après son indépendance, cette

partie du territoire national est resté relativement épargné par les conflits armés. Malgré que la

coalition rebelle de la MDD/FAO et MDD/MPLT (Mouvement pour la démocratie et le

développement/Force armées occidentales/Mouvement pour la démocratie et le

développement/Mouvement populaire de libération du Tchad) ait fait des îles du lac Tchad sa base

arrière, mais cet espace est peu politisé et a produit peu d’élites politiques et intellectuelles. Le lac

Tchad demeure largement hors des radars des régimes successifs, même si le président Hissène

HABRE avait initié quelques grands projets de développement comme le polder qui n’ont jamais

été achevé. La grande partie du lac appartenant à l’Etat tchadien n’a pas aussi bénéficié de la manne

pétrolière du début des années 2000, contrairement à d’autres régions du pays. Les avancées sur

le plan économique du pays, l’accès aux biens publics des populations insulaires est insignifiant.

L’Etat fédéral du Nigéria a vu l’initiative de développement agricole par irrigation dénommée

Chad Basin Development Project, bloqué à cause de la sécheresse. Le Cameroun a mise sur pied

de projet agricole de la SEMRY en amont du lac, au bord de son affluent Logone. Ce projet a eu

moins d’impact sur les riverains directs et les insulaires du lac. Et le Niger a brillé par son absence

à entreprendre de lancer un grand projet de développement dans cette zone. Même si le projet de

l’exploitation de gisement du pétrole d’Agadem concerne cette partie du bassin, le lac profond est

resté ignoré. Et le taux de scolarisation dans tout l’espace lacustre frontalier appartenant aux quatre

19Benjamin Eric BITYILI BI NLEME, « Boko Haram : Des paradoxes locaux à la violence armée transfrontalière

dans le bassin du lac Tchad », op.cit. Consulté en ligne le 11/10/2021 sur https://www.academia.edu, p. 8.

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pays reste très dérisoire. Cette situation explique aussi l’enrôlement en grand nombre des jeunes.

Contrairement au « terrorisme de luxe » que l’on voit dans les pays occidentaux, le terrorisme sur

le continent africain est l’œuvre des personnes désœuvrées. Jacques Didier Lavenir MVOM pense

que : « La pauvreté dont sont victimes les populations africaines devient une source d’insécurité

et d’habilitation de nouvelles menaces à la paix et à la sécurité du continent. A partir de ce

moment, il faut considérer que l’Afrique vit sous des menaces multiformes qui nécessitent de

prendre le concept de la sécurité en l’élargissant pour comprendre à la fois, la défense et la

sécurité. Il est question pour l’Afrique, de défendre ses acquis territoriaux, en même temps que

ceux relevant désormais du concept de la sécurité humaine. Cette dernière intègre à la fois la

défense de l’Etat et la protection des individus vivant dans cet Etat »20.

b- Pris en étau entre l’ignorance et l’inaction des acteurs étatiques : les populations insulaires

à la merci de la secte salafiste

Pourchassé aux abords du lac Tchad et surtout dans son bastion de Borno State, certains

combattants de la secte terroriste se réfugient sur les villages-îles qui deviennent de bases arrière.

Dans cet espace lacustre, les illuminés de la mouvance djihadiste revenant des localités terrestres

récupérées par la Force multinationale mixte, procède de plus en plus au recrutement des jeunes

issus en majorité de l’ethnie Yedina, mais aussi des autres communautés et de toutes les

nationalités d’Etats riverains et même au-delà pour grossir leur effectif. La secte islamiste a tissée

une « alliance » avec certains représentants de la communauté indigène. Cette dernière se sent

délaissée et abuser par les différents pouvoirs publics et les groupes ethniques allogènes qui

exploitent anarchiquement les ressources naturelles du lac Tchad. Les frustrations accumulées se

manifestent à travers la violence terroriste. Et une fidélité et un engagement des jeunes Yedina au

sein de la secte, permet à cette dernière de contrôler les espaces isolés du lac. L’implantation de

Boko Haram sur le lac et le recrutement de jeunes sans réelles perspectives d’insertion dans une

zone pourtant dynamique sur le plan économique mettent en relief les défaillances des Etats de la

région dans leurs périphéries. En effet, l’attractivité économique du lac et ses ressources en ont

fait un carrefour commercial qui contraste avec l’insuffisance et l’inconstance des politiques

20Jacques Didier Lavenir MVOM, L’Afrique de la défense et de la sécurité, Paris, l’Harmattan, 2021. Consulté le

24/09/2021 sur https://www.youscribe.com/BookReader/index/3225735?document=4185087.

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publiques menées par les Etats riverains. Et l’urgence interpelle les différents pouvoirs publics et

les organisations internationales d’être solidaire et de trouver une issue à cette crise qui brise une

région et une jeunesse désespérée. Seid MBODOU en faisait allusion à cette situation de détresse

déclare : « Il est à remarquer que dans la région du lac Tchad, les jeunes Boudoumas, natifs du

lac, sont en majorité les combattants de Boko Haram. C’est pourquoi pour éradiquer le mal à sa

racine essentielle dans un contexte d’endoctrinement des jeunes à des pratiques terroristes dans

la région du lac, il est nécessaire d’organiser des campagnes de sensibilisation au bénéfice des

formateurs d’éducateurs et des leaders d’opinion. Ces campagnes de sensibilisation vont

renforcer les capacités des acteurs dans la culture de paix en lien avec l’islam véritable »21.

En définitive, l’homme n’est ni bon ni mauvais par nature, c’est son environnement qui le

façonne. Vivant dans une société politique l’homme intériorise les valeurs et normes de celle-ci et

en font une partie de lui. La socialisation politique est « le processus par lequel les individus

intégrés dans une société donnée, intériorisent les valeurs, normes, codes, symboles et font

l’apprentissage par le langage, l’environnement etc.»22. La socialisation politique sert a consolidé

le fondement de l’Etat. Principal acteur ayant pour rôle d’encadrer les citoyens, l’Etat a également

pour devoir de mettre sur pied certains instruments qui facilitent la socialisation de sa population.

La jeunesse doit être la cible de cette socialisation surtout dans un environnement cosmopolite où

les acteurs transnationaux sont en permanente concurrence avec les Etats. Le faible encrage des

Etats dans un espace désétatisé comme celui du lac Tchad rend très difficile ce travail. La sous-

scolarisation des jeunes est d’une part la cause du taux élevé des analphabètes est d’autre part un

problème que les Etats de la région ont ignoré. L’instruction a un rôle d’inculcation des valeurs

socialisatrices. L’école enseigne ainsi à l’homme l’attachement à la patrie et l’inculcation massive

de l’ « idéologie nationale »23 ou des valeurs patriotiques qui créent des liens sociaux. L’Etat pour

être visible doit s’imposé pour s’enraciner en chaque citoyen, face aux « acteurs libres de

souveraineté » qui cherchent à se substituer à lui. La socialisation politique devient ainsi un travail

de légitimation par lequel tout groupe produit l’effet de croyance en l’existence d’un sentiment

21Seid MBODOU, Le terrorisme transfrontalier au lac Tchad : pour lutter efficacement contre Boko haram, Paris,

l’Harmattan, 2020, p.23. 22Madeleine GRAWITZ, Lexique des sciences sociales, 11e Edition, Paris Dalloz, 2001, p.113. 23Augustin NGUELIEUTOU, Le peuple dans la vie politique camerounaise postcoloniale, Thèse de Doctorat Ph.D,

Université de Yaoundé II, 2004, p.126.

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d’unité, d’indivisibilité et de la représentation qu’il en fournit. D’une part, on peut dire que le

découpage politique colonial du lac en quatre Etats distincts ne facilite pas son contrôle en dépit

de la mise sur pied de la CBLT. Cet instrument d’intégration régional à vocation environnementale

se heurte aux multiples défis sécuritaires avec la montée en puissance des « organisations

criminelles » transnationales comme la secte Boko Haram. Cette secte politico-religieuse qui

conteste le pouvoir de l’Etat moderne cherche à se substituer à lui en instaurant une vision

archaïque du monde. Cette manœuvre violente que l’acteur Boko Haram utilise pour remettre en

question le rôle du « Léviathan » qui est une forme de déviance de l’autorité de l’Etat. Cette

situation force ainsi les acteurs étatiques de faire usage de sa « force physique légitime » Et ceci

va presque dans le même sens de ce que Richard FILATOKO souligne : « La dialectique

dominants/dominés, s’effectue un rapport de force conventionnel et non conventionnel à travers

lequel dominent la violence légitime de l’Etat, et la violence religieusement légitimes des dominés

; les premiers s’organisant pour sauvegarder leur légitimité et se maintenir au pouvoir tandis que

les seconds, animes par leur foi religieuse aspirent à un changement socioculturel, voire

politique »24.

II- LA PRECARITE ET L’INCERTITUDE DU LENDEMAIN MEILLEUR FACTEUR

FACILITANT LA PROPAGATION DE L’IDEOLOGIE TERRORISTE.

L’« entreprenariat d’insécurité25» implantée dans l’Etat de Borno State au Nigéria, étend

ses réseaux dans les autres espaces tchadiens en s’appuyant sur les affinités anciennes, c’est-à-dire

en se focalisant sur le lien de fraternité sanguin et religieuse. Inquiété par leurs conditions de vie

qui se dégrade au fil des années et de l’indifférence des acteurs étatiques d’apporter une solution

durable, les insulaires été nombreux à adhère à cette vision utopiste et obscurantiste. Une situation

accentuée par une injustice sociale donc aucun acteur de la région n’a pu trouver une solution ces

dernières décennies. Nicolas OWONA NDOUNDA, concernant la radicalisation des jeunes au

Nord-Cameroun va presque dans le même sens lorsqu’il affirme que : « Le sentiment d’abandon

par le pouvoir central serait ainsi exploité tant exploité par les djihadistes que les hommes

24Richard FILATOKO cité par Joseph TCHINDA KENFO, Dynamiques locales, transitions et politisations de la

lutte anti-terroristes au nord-Cameroun : les Kanuri entre le marteau et l’enclume ! In Acte du Colloque sur Boko

Haram au Sahel camerounais. Trajectoires identitaires. Expansion territoriale, instrumentalisations et réponses

politiques. Montréal, Revue Béninoise des sciences Po, 2017, pp.50-51. 25Terme emprunté à Issa SAIBOU.

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politiques. […] En effet, la pauvreté ambiante dans la région, les oppressions subies par la

population de la part des autorités traditionnelles et la négligence de l’Etat central, incarné au

plus près par les pratiques des nouvelles élites des nouvelles kirdis encouragent les jeunes à un

replis sur eux, et pour certains, à se retourner vers Boko Haram »26. En effet, les populations

insulaires Buduma appelés Yedina se considèrent marginalisés et abandonnés par l’Etat et se

laissent influencés par la secte islamiste. Voilà pourquoi Boko Haram jouit de la bienveillance des

certains Buduma, car selon le responsable d’une cellule de Boko Haram, arrêté, puis condamné à

mort à N’Djamena (Tchad), le terroriste Bana Fanaye de nationalité camerounaise, disait lors de

son interpellation que : « l’implication des Buduma est prouvée par d’importantes opportunités

logistiques et surtout par le transfert de fonds à Boko Haram »27. Ces insulaires indigènes qui se

considèrent comme « rejetés » géographiquement, matériellement ou symboliquement28 trouvent

ainsi refuge dans le terrorisme de la secte islamiste ou l’utilise comme moyen d’expression

violente. Et nous parlerons de la faillite socioéconomique provoquée par la rareté des produits

halieutiques (1) et du découragement dû au problème climatique et à l’abandon par les Etats : Boko

Haram un refuge pour une jeunesse désespéré (2).

1-La faillite socioéconomique provoquée par la rareté des produits halieutiques.

Pour plus de clarté, il sera judicieux pour nous d’évoquer la dégradation de

l’environnement à la précarité des conditions de vie des insulaires du lac Tchad : les acteurs

étatiques dans une posture indolente (a) et le retour progressif de l’ « Etat providence » face à

l’urgence socioéconomique et sécuritaire (b).

26Nicolas OWONA NDOUNDA, « Boko Haram et la radicalisation des jeunes au Nord-Cameroun : Entre protestation

sociale et nécessité de survie », Emulations : Revue des jeunes chercheuses et chercheurs en science sociales, presses

universitaires de Louvain, 2017, p. 9. 27Seid MBODOU, Le terrorisme transfrontalier au lac Tchad : pour lutter efficacement contre Boko Haram, Paris,

l’Harmattan, 2020, p.40. 28Henri DORVIL, Problèmes sociaux, Tome III, Théories et méthodes de la recherche, presses de l’Université du

Québec, 2007. Consulté le 12/10/2021 sur

https://www.youscribe.com/BookReader/index/3217381?documentld=415662.

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a- De la dégradation de l’environnement à la précarité des conditions de vie des insulaires

du lac Tchad : les acteurs étatiques dans une posture indolente

De nos jours la question écologique s’invite toujours dans les débats politiques nationaux

ou internationaux. Cette dernière se place en amont des activités humaines. Quelle soit

économique, politique, culturelle et même spirituelle, celle-ci est inséparable de l’environnement.

La protection de l’écosystème fait partie de la sécurité des populations. Et la mauvaise gestion des

ressources naturelles peut provoquer un déséquilibre pouvant conduire à certaines crises

sécuritaires. Le bassin du lac Tchad est dans une situation où les problèmes écologiques combinés

à la criminalité endémique accentuent l’instabilité de la région. Jean-Claude LACAZE affirme

que : « Du fait du non-respect des lois de l’écologie, la surpopulation et son cortège de milliards

de pauvre, empêche tout progrès éthiques de la société »29. L’on peut dire que, le manque matériel

entraine d’une part une dégradation de comportement sur le plan moral. Malgré que cette région

ne soit pas totalement dévastée par la sécheresse, mais les prémisses de ce phénomènes naturels

néfastes pour la vie des populations se font déjà ressentie au quotidien. Sur le lac Tchad, l’on

observe une disparition sans pareil des forets de papyrus et l’envahissement du lac par les herbes

et les roseaux. Et dans les zones boisées, il y a une déforestation rapide et cette perte de biodiversité

due aux actions anthropiques dont les conséquences sont aujourd’hui visibles sur la vie des

populations locales. Sur îles de Kofia, Kinasserom, Koulboua, Darack, Blaram, Kawaram,

Koukléa et bien d’autres, les pêcheurs qui autrefois pratiquaient leurs activités non loin des berges

sont obligés de parcourir des kilomètres et sans assurance de capturer une bonne quantité des

poissons afin de subvenir aux besoins alimentaires. A Goria îlot située à quelques encablures de

Kofia dans la partie camerounaise. Le petit lac en face de cette bourgade est envahi par les herbes.

Et la population désespérée se focalise plus sur l’activité agropastorale. Seuls quelques téméraires

parcourent chaque matin et soir la voie serpentée à bord des petites pirogues en bois ou en tôle, au

milieu de longues herbes pour avoir accès au partie du lac encore utilisable pour la pêche. Tel est

le supplice que vit au quotidien les pêcheurs de Basara, Tcholéré à quelques Kilomètres de la

localité riveraine de Guitté sur le territoire tchadien. Cette baisse de la production halieutique a

impacté la vie des populations riveraines et insulaires, au point où, ils sont obligés de faire

29Jean-Claude LACAZE, Surmonter la crise écologique, Paris, l’Harmattan, 2015, p.66.

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l’agriculture et d’autres activités pour leur survie. Bien que le changement climatique est le facteur

majeur, mais il ne faut pas oublier que la surexploitation des ressources a exaspérée la situation et

aucune solution pérenne n’est encore trouvée par les Etats de la CBLT.

La région du lac Tchad sombre longtemps dans une paupérisation endémique et

structurelle. D’ailleurs l’indice de développement humain (IDH) ne cesse de l’étayer chaque

année. Tous les pays du bassin sont classés parmi les pays pauvres selon le Programme des Nations

Unies pour le développement (PNUD). Le revenu par habitant reste également en dessous de la

moyenne mondiale. Et le programme des Nations Unies pour le développement quant à lui,

explique que depuis quelques décennies que les carences gigantesques en termes de

développement humain et la polarisation persistante des ressources sont les bases même de

l’insécurité30. Mais il faut d’une part reconnaitre qu’il existe un problème systémique mais aussi

culturel en Afrique et dans cette région. Car, la trajectoire du développement de l’ensemble des

pays du bassin du lac Tchad est presque « uniforme » dans la portion lacustre. Les acteurs de la

région brillent par leur négligence à investir dans cette zone frontalière enclavée. Le manque de

valorisation des potentialités économiques dont regorge cette périphérie nationale commune au

quatre pays de la CBLT est tributaire du « jacobinisme31 » qui caractérise les différents pouvoirs.

« Tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit ! »32.Une déclaration au cours d’un meeting de

30Programme des nations Unies pour le développement, Nouvelles dimensions de la sécurité humaine, Rapport sur le

développement humain de 1994 cité par Roger MARTELLI dans L’identité c’est la guerre, p.29. 31C’est une doctrine politique qui défend la souveraineté populaire et l’indivisibilité de la république française. Il tient

son nom du club des jacobins, dont les membres s’étaient établis pendant la révolution française dans l’ancien couvent

des jacobins à Paris. Le jacobinisme s’est développé comme une idéologie et mise en application lors de la révolution

française de 1789. Selon les termes de l’historien français FURET dans penser la révolution française, « le jacobinisme

est à la fois une idéologie et un pouvoir : un système de représentation et un système d’action ». De nos jours ce terme

désigne une doctrine qui tend à organiser le pouvoir de façon administrative (bureaucratie) et centralisée

(centralisation) et à le faire exercer par une élite d’experts (technocratie) qui étendent leur compétence à tous les

échelons géographiques et tous les domaines de la vie sociale afin de les rendre uniformes, ce qui en fait l’adversaire

du régionalisme et du fédéralisme. L’usage moderne du mot est anachronique, sans rapport avec le sens du mot sous

la révolution française. En effet, le jacobinisme, pendant cette période, était une réaction aux enjeux particuliers de

l’époque, sans rapport avec les enjeux contemporains de centralisation. Pour n’en retenir que la philosophie, on

pourrait aussi entendre le jacobinisme comme une doctrine opposée aux politiques communautaires qui tendraient,

par exemple, aux divisions internes. Comme mouvement historique le jacobinisme peut s’apparente au XVIIIe siècle

en Autriche au Joséphisme et au XXe siècle en URSS au « centralisme démocratique ».cf

https://www.fr.m.wikipedia.org.wiki/jacobinisme. Dans cadre des Etats postcoloniaux africains, le jacobinisme est

cette tendance à centraliser toutes les décisions ; même dans les Etats dits décentralisés, régionalistes et voire fédéraux.

Cette concentration du pouvoir rend difficile le développement des périphéries nationales. Tel est le cas pour les

acteurs de la Commission du Bassin du Lac Tchad, qui depuis les indépendances négligent cette zone frontalière

commune. 32https//www.osidimbea.cmbiya-paul

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campagne électorale à Yaoundé pour dénigrer l’opération « villes mortes » qui n’était pas suivie

dans la capitale. Cette phrase de son excellence le président Paul Biya de la république du

Cameroun résume d’une part la centralisation des Etats postcoloniaux de la région. Ce

« jacobinisme » privilégie les chefs-lieux des institutions au détriment des zones périphériques ou

l’arrières pays. Et l’institution régionale pivot33 qu’est la CBLT a manqué de créer un contexte

favorable au développement des îles frontalières.

b- Le retour progressif de l’ « Etat providence » face à l’urgence socioéconomique et

sécuritaire

Depuis que les Etats-Unis a déclaré la « guerre contre le terrorisme » ou « guerre contre

la terreur » (« war on Terrorism », « war on terror » ou Global War on terror »34, GWOT), nom

donné par l’administration américaine du président George Walker BUSH à ses campagnes

militaires faites en réplique aux attentats du 11 septembre, les organisations terroristes ont

augmenté à travers le monde. La métastase des bandes criminelles transnationales va crescendo

avec les armes de guerre dans les pays en voie de développement, surtout sur le continent africain.

Cette diffusion « soudaine » des réseaux terroristes à travers la planète est la conséquence du

dérèglement socioéconomique dû à l’affaiblissement progressive des « gladiateurs » du champ

politique international qui sont les Etats face à la montée exponentielle des acteurs légaux et

illégaux « hors-souveraineté ». C’est dans ce « désordre mondial » que la zone du bassin tchadien

voit réapparaitre le premier embryon de prosélytisme islamique de l’époque. L’on pouvait peut

être pensé vivre le « choc des civilisations » de l’historien américain Francis FUKUYAMA, qui

pour cette partie de l’Afrique ressemble à une « lutte des classes » ou une manifestation de la

jeunesse plébéienne contre la « bourgeoisie compradore »35 au pouvoir. L’expression violente de

frustration des populations démunies contre leurs institutions à travers le canevas de l’islamisme

radicale prend de l’ampleur et les Etats-nations encore fragiles vacillent progressivement. Cette

guerre que certains auteurs ont qualifiée de religieuse ou idéologique devient confuse. La barbarie

33Jacques LEMOALLE et Géraud MAGRIN, (dir.), Le développement du lac Tchad : situation actuelle et futurs

possibles, Marseille, IRD Editions, coll. Expertise collégiale, bilingue françaisanglais, 216 p. + clé USB, 2014, p.77. 34https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Guerre_contre_le_terrorisme 35Il s’agit ici des élites politiques qui forment de cercle vicieux ou des réseaux clientélistes autour du pouvoir central

pour la protection de leurs intérêts propres au détriment de l’intérêt général. Ces personnes qui servent parfois les

intérêts des étrangers plutôt que de leurs pays, sont devenues dans beaucoup des pays africains les ennemis du

développement.

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s’augmente et la « civilité » s’éclipse un tout petit peu, par ce que l’« Etat gendarme » est et a du

mal à imposer sa « violence légitime », à cause des organisations transnationales « hors

souverainetés » qui exploitent la vulnérabilité de la masse pauvre des pays du tiers-monde.

En outre, l’illusion de l’harmonie planétaire après la bipolarité s’est vite estompée par la

multiplication des conflits intercommunautaires, interreligieux sur le continent africain.

L’émergence des organisations « hors souveraineté » à caractère politico-militaire, religieux et

économico-mafieux, entrent dans l’arène de la politique continentale et influence de ce fait les

Etats. C’est dans ce cafouillage que la secte terroriste Boko Haram voit le jour. C’est aussi

l’expression de l’ « interdépendance complexe » de Joseph NYE et Robert KEOHANE36 qui

fragilise les acteurs principaux de la scène internationale qui sont les Etats. L’« institution

fragilisée »37 (CBLT) à cause des multiples problèmes à résoudre et l’ « autisme des

gouvernements »38 des pays de la CBLT qui n’ont pas parfois tenu compte des propositions des

experts sur les questions sensibles a conduit ces derniers devant un fait accomplie avec l’explosion

de la violence.

Dans son livre People, States an Fear, publié en 1983, Barry BUZAN en parlant de la

sécurité, pense que celle-ci ne se réduit pas seulement au niveau nationale, c’est-à-dire la sécurité

nationale. Elle a un champ plus large touchant à des nouveaux objets et secteurs. Pour ce dernier

auteur, les secteurs militaires, le politique, l’économique, l’environnemental et le sociétal sont

primordial dans la stabilité d’un pays. Et conscients de leur défaillance sur le plan

socioéconomique, les acteurs de la CBLT touchés se sont engagé individuellement et

collectivement sur le plan du développement en mettant en œuvre quelques grands projets avec

l’aide des partenaires internationaux. En 2016 le Groupe de la banque mondiale a approuvé des

opérations de l’Association internationale de développement (IDA), d’un montant total de 346

millions de dollars, destinées à financer le renforcement de la résilience39 et des moyens de

36Joseph NYE et Rober KEOHANE cité par Abou-Bakr Abélard MASHIMANGO, Les conflits armés africains dans

le système international : Transnationalisme ethnique et Etats dans la corne de l’Afrique 1961-2006, Paris l’Harmattan,

2012, p.26. 37Benoit DURIEUX et al, Dictionnaire de la guerre et de la paix, Paris, l’Harmattan, 2017. Chercher le site 38Cyriaque ESSEBA et Réné BIDIAS, Comprendre les relations internationales contemporaines, Paris, l’Harmattan,

2020, p.29. 39Capacité de résistance d’une personne ou d’une communauté confrontée à l’adversité, au stress ou à toute menace

grave à son existence, à la cohésion, à ses espaces et modes de vie. La récurrence et l’imbrication des crises

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subsistance dans la région du lac Tchad à la frontière de quatre pays (Cameroun, Niger, Nigéria,

Tchad). Le projet pour la relance et le développement de la région du lac Tchad (PROLAC, 170

millions de dollars) ayant pour objectif d’appuyer les plateformes de coordination nationale et

régionale et le renforcement des capacités locales40, contribuer à la restauration d’une mobilité

rurale durable et la connectivité et consolider la reprise des activités dans les portions des territoires

victimes de Boko Haram et les projets PRESIBALT (Programme de réhabilitation et de

renforcement de la résilience socio-écologique du Bassin du Lac Tchad) et PRESIBALT dont

l’objectif est de réduire la pauvreté dans cette zone par l’accompagnement et l’appui matériel aux

populations sont lancés. Ces initiatives de développement contribueront au renforcement de la

situation économique précaire.

2-Du découragement dû au problème climatique et à l’abandon par les Etats : Boko Haram

un refuge pour une jeunesse désespérée.

De tout ce qui précède, il ressort que la fragilité sécuritaire des insulaires liée au problème

climatique est une « aubaine » pour Boko Haram (a) et la secte Boko Haram est une manifestation

violente des ressentiments envers l’Etat d’origine westphalienne des communautés indigènes

insulaires (b).

a- La fragilité sécuritaire des insulaires liée au problème climatique : une « aubaine » pour

Boko Haram

La dégradation de l’environnement dans le bassin tchadien a rendu plus difficile les

conditions vie des populations riveraines et insulaires qui dépendent des ressources du lac.

L’immobilité des populations à la recherche de poisson, des espaces cultivables et du pâturage

pour les bétails devenus insuffisant a accentué leur vulnérabilité socioéconomique. Cette migration

incontrôlée ayant conduit à une pression démographique forte, a fait perdre en quelques années au

environnementales, des clivages identitaires, des conflits d’accès aux ressources et de l’insécurité dans le bassin du

lac Tchad placent la construction de la résilience au cœur de l’action de l’intervenant. Il s’agit à la fois d’un travail

cognitif, du renforcement du mécanisme de gestion des conflits, de la capacitation des jeunes et des femmes pour leur

autonomisation et la réduction de leur vulnérabilité aux offres opportunistes extrémistes, à l’amélioration des sources

de revenus et des modes de production etc. La résilience comme mécanisme intégré de prévention de l’extrémisme

violent, et des crises en général, est au cœur de la Stratégie de la Stabilisation. Cf. lexique d’Issa SAIBOU et al. 40https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2020/0526/world-bank-provides-346-millions-to-

strengthen-resilience-and-livelihoods-in-the-lake-chad-region.

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lac Tchad sa place de pôle d’attraction dans cette zone aride du continent. Les populations

insulaires habituées à suivre le mouvement de poisson sont plongées dans un nomadisme presque

improductif, à cause de la rareté des ressources. Isolés sur les innombrables îles et îlots ; les

insulaires abandonnés à eux-mêmes font face à la force de la nature sans le soutien des Etats qui

brillent par leurs faibles représentations. Et les eaux du lac Tchad qui sont exploité comme des

eaux internationales41 selon Armel SAMBO, ces espaces sont devenus au fil des années, des

espaces des conflits pour les maigres ressources. Des querelles entre les différentes ethnies qui y

vivent, les rebellions contre les pouvoirs de certains Etats membres de la CBLT, ou encore les

actes des violences imposés par les bandes des hors-la-loi, les îles du lac Tchad sont dans une

succession permanente des hostilités armées. Les causes de conflits que connait cette partie du

continent sont variées et complexes, s’ancrant dans les différentes dynamiques de cette région

hétéroclite. Le changement climatique et ses effets sur l’environnement du lac Tchad ne présente

aucun obstacle à la prolifération et à l’action asymétrique qu’ils soient subversifs d’obédience

terroriste ou revendicatif pour le partage des ressources nationales ou prédateurs de par leurs

actions criminelles. Le lac qui se rétrécit au fil des années laisse apparaitre des îlots et îles dans

l’espace lacustre de « quatre frontières ». Ces espaces sont devenus de « no man’s land » dont

s’établissent des différentes communautés venant de tous les pays de la région. La ruée vers ces

zones insulaires attire les « réfugiés climatiques » mais aussi des « organisations criminelles »

transnationales.

Les sentiments d’inégalité et d’injustice qui animent les populations autochtones de la

région, ont facilité l’implantation de la secte terroriste dans les zones lacustres. D’une part, la

récurrence de conflits s’explique en grande partie par les limites et les défaillances dans les

modes de gestion et de résolution des conflits intercommunautaires autour des ressources

naturelles. En effet, que ce soit par le recours à la répression ou par les voies de la négociation, les

processus utilisés portent en eux, le germe du conflit d’après. De plus, les sentiments d’être

abandonnées par l’État a fait naitre au sein des certaines populations insulaires et riveraines des

attitudes antipatriotiques pour les communautés qui ont accepté les valeurs de l’Etat moderne et

de rejet pour le camp opposé. En bref, il y a eu un désengagement des acteurs étatiques pour assurer

41Armel SAMBO, Les cours d’eaux transfrontalières dans le bassin du lac Tchad : accès, gestion et conflits (XIXè-

XXè siècles), mémoire du DEA en Histoire de Université de Ngaoundéré, 2005. p.43.

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leurs fonctions régaliennes. Cette situation a ainsi profité à la secte terroriste Boko Haram de se

substitué à ces derniers. Et ceci a permis une forte adhésion des certaines communautés à leur

autorité mais également à leur idéologie barbare et au mode d’action violente qu’il préconise42.

b- La secte Boko Haram comme une manifestation violente des ressentiments envers l’Etat

d’origine westphalienne des communautés indigènes insulaires

Le ressentiment et désir de vengeance d’une partie des communautés insulaires tchadiennes

dont les membres ont été tués pendant la rébellion des 1990 a attisé cette haine aveugle envers

l’Etat et les autres populations voisines. La répression par les forces de défense et de sécurité

fidèles au pouvoir de N’Djamena contre les insulaires pendant les années de la coalition des

rebelles de la MDD/FAO et MDD/MPLT a laissé des plaies béantes dans la psyché collective. Ce

passé douloureux a créé les conditions d’un cercle de vengeance et a alimenté d’une part les

velléités obscurantistes de la création du Califat islamique imaginaire d’Abubakar SHEKAU.

Comme le dit un dicton populaire, « la nature a horreur du vide ». Le vide sécuritaire a poussé

une partie des populations à suivre les insurgés de BH. Face à l’urgence de la situation sécuritaire,

les FDS de certains pays de la région ont mené des opérations d’éradication, dont il y a eu quelques

bavures contre les populations civiles. Et ces « accidents » ont d’une part creusé un fossé et

renforcer la méfiance entre ceux derniers et les populations civiles. C’est peut-être dans ce sens

que Claude AKE affirme que : « la plupart des régimes Africains ont été si aliénées et si

violemment répressifs que leurs citoyens voient l’Etat et ses agents comme des ennemis à dérober,

tromper et vaincre si possible, mais jamais comme des partenaires. Les leaders ont été si absorbés

à gérer les hostilités causées par leur mauvaise gouvernance et la répression qu’ils sont

incapables de s’intéresser à autre chose, incluant la poursuite du développement »43.

En outre, l’arrivée de Boko Haram a permis aux adeptes majoritairement des jeunes

indigènes insulaires d’exprimer leur mécontentement par la violence aveugle et inouïe contre les

populations civiles, les forces de défense et de sécurité et les symboles de l’Etat. Les

moudjahidines les plus expérimentés sur les îles du lac Tchad, sont des anciens membres de

42Aristide Briand REBOAS, Terrorisme et mutations géostratégiques en Afrique, Paris, l’Harmattan, 2021, p. 35. 43Roger YOMBA NGUE et Takwa Zebulon SUIFON, Qui menace la paix et la stabilité en Afrique ? Paris,

l’Harmattan, 2013, p.98.

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groupes politico-militaires, des milices armées et les déserteurs des rangs de forces régulières. Les

dynamiques de repli identitaire qui a longtemps caractérisé ces communautés ont creusé,

davantage le fossé entre eux et les autres. La secte Boko Haram joue principalement sur l’affinité

religieuse et ethnie au détriment de la nationalité qui est encore une idée fragile dans cet espace

frontalier. Ce qui rend la lutte contre cette nébuleuse très compliqué pour les armées des Etats de

la CBLT.

Les acteurs terroristes dont les liens avec les acteurs « traditionnels » de la criminalité

organisée sont désormais établis, sont parfaitement informés des fragilités des espaces dans lequel

ils opèrent, et exploitent de ce fait les failles des systèmes étatiques44, en exploitant la solidarité

ethnique et religieuse. L’on peut ainsi dire, qu’un ensemble des facteurs45 sont réunis pour attirer

la jeunesse dans cette criminalité transfrontalière. En dépit de l’éparpillement des peuples riverains

et insulaires dans différents pays avec le partage du continent par les puissances impérialistes, les

liens de solidarité n’ont jamais été brisés. Et il en résulte, non seulement des frontières et des

populations mobiles d’un pays à un autre suivant les périodes de crue et décrue du lac Tchad, mais

une continuité ethnique qui partage des valeurs communes. Les adeptes de la secte terroriste Boko

Haram qui pensent que le « hukm est à Allah »46 (la souveraineté est à Dieu) valorisent la oumma

plutôt que la nationalité de l’Etat souverain. Bien que l’action militaire porte des fruits mais les

acteurs de la CBLT doivent valoriser davantage l’aspect socioéconomique. Et combattre non

seulement les insurgés qui sont sur le terrain mais « amputer » les têtes pensantes, c’est-à-dire les

44Aristide Briand REBOAS, Terrorisme et mutations géostratégiques en Afrique, Paris, l’Harmattan, 2021, p.32. 45Selon Nabons Laafi DIALLO, danns son ouvrage Le terrorisme au Sahel, Paris, l’Harmattan, 2020, pp.84-85, un

ensemble des facteurs expliquent l’adhésion des jeunes au sein des « entreprises criminelles ». les facteurs

dits incitatifs (« push factors ») (la pauvreté généralisée, le chômage des jeunes, le manque d’opportunités

économiques, la mauvaise gouvernance, les violations des droits humains par des régimes répressifs,

l’inaccessibilité ou la mauvaise qualité des services publics de base, et la corruption) sont mis en avant pour

expliquer l’adhésion des jeunes à l’idéologie terroriste, il faut ajouter les facteurs attractifs (« pull factors

») qui joue un rôle critique pour attirer certains individus vers les groupes extrémistes. La satisfaction des

jeunes sans perspectifs d’appartenir à un groupe ou de participer à certaines activités ou encore un certain

idéal de réussite social. Et les facteurs dits processuels (« process factors ») qui incluent la capacité des

individus à traiter des donnés, les informations reçues du monde extérieurs, à former des jugements corrects,

à faire preuve d’esprits critique, et à faire des choix pro-sociaux , contribuent à l’incitation aux activités

criminelles.

46Gérard FELLOUS, Daech-« Etat islamique » : cancer d’un monde arabo-musulman en recomposition, Paris,

l’Harmattan, 2015.

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idéologues. Concernant cette question du djihadisme, le politologue Myriam BENRAAD y voit

une « réaction politique », qui, pour le comprendre, nécessite de « le traiter comme une idéologie

contemporaine et s’attacher au discours et à la vision du monde de ses adeptes ».47 Et l’ancien

ministre des Affaires étrangères français Dominique de VILLEPIN opposé autrefois à la guerre

contre l’Irak et l’intervention militaire de la France en Syrie en 2014, déclare quant à lui que :

« L’échec est annoncé par ce que le terrorisme est une main invisible, mutante, changeante,

opportuniste. On ne se bat pas contre une main invisible avec des armes de la guerre. Il faut être

capable d’employer la force de l’esprit, la ruse, les moyens de la paix pour désolidariser des forces

qui s’agglutinent autour de ces forces terroriste »48. Et c’est dans cette logique que les Etats de la

CBLT font aujourd’hui dans la double lutte, c’est-à-dire militaire et socioéconomique.

Conclusion

Tout au long de ce travail nous avons cherché à répondre aux questions suivantes : qu’est-

ce qui explique l’enracinement de la secte Boko Haram dans l’espace lacustre transfrontalière du

lac Tchad ? En ce réfèrent sur les foisonnements des différents facteurs qui expliquent l’irruption

de la secte Boko Haram, sur la base d’une littérature sélective nous et les données du terrain avons

fait l’hypothèse selon laquelle l’enracinement de la secte islamiste Boko Haram viennent de la

dégradation des conditions de vie des populations insulaires provoquée par le changement

climatique et les actions anthropiques qui ont entrainé l’amenuisement des ressources naturelles.

Autrement dit, le groupe salafiste radical Boko Haram a profité de la pauvreté de communautés

indigènes insulaires frustrées pour les enrôler comme une « main d’œuvre criminelle ». En

opposant les données issues de nos recherches à d’autres arguments littéraires glanés çà et là sur

la question, nous arrivons à la conclusion selon laquelle, la désétatisation de la zone

transfrontalière lacustre et l’amenuisement des ressources naturelles provoquées par la variation

climatique, les actions humaines ont conduit à la frustration des communautés indigènes insulaires

devenus une « main d’œuvre guerrière » pour Boko Haram. Face à cette situation urgence les

47Myriam BENRAAD cité par ;Akram BELKAÏD et al, « Beaucoup de controverses et peu d'études de terrain: Le

djihadisme sous la loupe des experts », Le Monde diplomatique (Décembre 2017), p. 8. 48Diensia Oris-Armel BONHOU OU, Le terrorisme international existe-t-il en Afrique noire ?, Paris, l’Harmattan,

2018, pp. 55-56.

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acteurs de la Commission du Bassin du Lac Tchad avec l’aide des partenaires étrangères luttent

pour éradiquer la menace terroriste sur le plan militaire mais ont également entrepris les actions

sur le plan socioéconomique afin de venir à bout du mal en dépit de son faible impact dans l’espace

lacustre.

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La Chine et l’intégration spatiale par le rail en Afrique

subsaharienne depuis la guerre froide1

Par :

Romaric TIOGO

Doctorant en Science Politique,

Université de Dschang (Cameroun)

Résumé :

Depuis la guerre froide, l’implication de la Chine dans la dynamique de configuration des

espaces intégrés par le rail en Afrique subsaharienne contribue à changer la physionomie des

territoires. Appuyées diplomatiquement et financièrement par le gouvernement chinois, les

entreprises chinoises de construction d’infrastructures ferroviaires ont opéré une percée au

détriment de certaines puissances établies et émergentes qui luttent pour se repositionner. Grand

« exportateur » du chemin de fer en Afrique, la Chine y participe, au gré de ses intérêts

géopolitiques et géoéconomiques, à la composition des micro-espaces maillés et à l’imposition de

ses normes. Adulée par la majorité des dirigeants qui voient en elle un acteur susceptible de leur

permettre de redonner sens à leurs territoires et de se refaire une santé économique, la Chine, à

travers ses entreprises de construction, entretient cependant des rapports conflictuels avec les

populations locales, qui s’insurgent contre l’asymétrie des dividendes du rail. Entre ces deux

extrêmes, le deal « rail contre ressources naturelles », que propose la Chine, déresponsabilise

l’Afrique qui a un besoin urgent en transfert de technologie.

Mots clés : Chine, Afrique subsaharienne, intégration spatiale, rail, intérêts, asymétrie.

1 Cet article est extrait de notre thèse (en attente de soutenance) intitulée Aide internationale et cristallisation d’un

espace de sens en Afrique : Analyse comparée des approches de la Chine et de l’Union européenne, dirigée par les

Professeurs Jean Njoya et André Tchoupie.

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Introduction

En 2007, Roland Pourtier, l’un des spécialistes du chemin de fer africain, qualifiait de

rêveurs les Etats africains soucieux de donner sens à l’Afrique en configurant les territoires par le

rail. Substantiellement, il faisait observer que « Le chemin de fer continue pourtant à faire rêver,

tout comme au début du XXe siècle quand des ingénieurs dessinaient des transsahariens. L’utopie

reste d’actualité ainsi qu’en témoignent par exemple les projets ferroviaires présentés par le Niger

dans le cadre du NEPAD, ou le projet inter-Etats AFRICARAIL […] avec pour objectif

l’interconnexion entre les lignes existantes. Mais tout cela n’a d’autre réalité que les traits tracés

sur des cartes et relève plus d’un fantasme géographique que d’une analyse rationnelle des coûts.

Le long terme donnera peut-être raison aux utopistes ; dans l’immédiat, toutefois, l’horizon du

rail africain reste bouché…».2 Le temps lui aurait peut-être donné raison si, en cette période post-

guerre froide, la boulimie de matières premières de la Chine ne l’avait pas poussée à rechercher,

sur le continent noir, des sources additionnelles d’approvisionnement.

On sait en effet qu’avec la fin de la guerre froide, l’Afrique tout entière a souffert d’un

déclassement géopolitique du monde occidental en général et de l’Europe en particulier. Cette

dernière s’était plus occupée à réaliser son unité et à sortir de la marginalité économique les anciens

Etats du giron russe. La guerre des idéologies, qui était au cœur de la guerre froide s’étant soldée

par la victoire américaine, l’Afrique a connu une baisse stratégique pour Washington. Dès lors, le

continent noir est devenu l’une des attractions privilégiées de la Chine qui s’évertue à combler le

vide créé. Plus que tous les autres partenaires internationaux, la Chine y apparaît actuellement

comme le plus grand « exportateur d’infrastructures »3 en général et ferroviaires en particulier. La

présente réflexion, qui analyse le secteur du rail, s’attèle à explorer la contribution de l’Empire du

Milieu à la dynamique de recomposition spatiale en vue de l’intégration des territoires en Afrique

subsaharienne depuis la période de la guerre froide. Car, plusieurs études menées sur l’action

chinoise dans cette partie du monde tendent à ne braquer les projecteurs que sur le bilatéralisme

entretenu avec les Etats.

2 POURTIER Roland, « Les chemins de fer en Afrique subsaharienne, entre passé révolu et recompositions

incertaines », Revue belge de géographie, 2 | 2007, p. 12. 3 NICOLAS Françoise, PAJON Céline et SEAMAN John, « La nouvelle diplomatie économique asiatique : Chine,

Japon, Corée comme exportateurs d’infrastructures », Ifri mai, 2014, p. 52.

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Continent le plus désintégré du globe du fait du déficit en infrastructures routières et surtout

ferroviaires majoritairement configurées au sein des territoires nationaux, l’Afrique a du mal à

communiquer et à commercer avec elle-même. Selon les statistiques des institutions financières

internationales et de l’Union Internationale des Chemins de fer (UIC), malgré sa croissance

économique, la longueur du chemin de fer africain ne représente que 5% de la longueur des voies

ferrées internationales pour une population mondiale de 15 % vivant sur 23 % de la superficie du

globe. Le contraste est saisissant avec l’Europe, mieux maillée : 36% des voies ferrées

internationales pour 11% de la population mondiale et 3% seulement de la superficie terrestre.4 Le

réseau ferroviaire africain, dont la longueur n’était que de 74.773 km contre 2.300.000 km de

routes en 20105, suscite à nouveau l’intérêt des architectes de l’intégration africaine. D’autant plus

que, le trafic des passagers par le rail sur le continent ne représente que 2% du trafic ferroviaire

voyageurs mondial, contrairement à la route, 80/90%, et 7 % du trafic de marchandises mondial,

ce qui fait de l’Afrique le moins loti des continents en la matière.6 Cette faible performance trouve

une explication dans la cherté du rail. Car, comme le dit Soteri Gatera de la Commission

Economique des Nations Unies pour l’Afrique : « Construire un kilomètre de rail coûte en

moyenne 21 millions de dollars. La route est dix fois moins chère ».7 En 2010 à Kampala

(Ouganda), le lancement du Programme pour le Développement des Infrastructures en Afrique

(PIDA) dont les principes sont repris en 2013 dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA)

accorde une place de choix au rail dans une perspective intégrationniste et développementaliste.

Le PIDA indique dans ce sens que : « Le programme des transports vise à relier les grands centres

de production et de consommation, à réaliser des liaisons entre les grandes villes, à définir les

meilleures plates-formes portuaires et liaisons ferroviaires, et à offrir aux pays enclavés un

meilleur accès au commerce régional et international ».8 Notons que l’importance du rail tient au

4 Cf. Banque Africaine de Développement, Les Infrastructures ferroviaires en Afrique : les options de politiques de

financement, Banque africaine de développement, Abidjan, 2015, p. 3. 5 Commission Economique pour l’Afrique, Rapport 2015 sur le développement des infrastructures en Afrique.

Domaines et intervention prioritaires, Addis-Abeba, 7-9 décembre, 2015, p. 4. 6 UIC, La revitalisation du rail en Afrique : Destination 2040, février, 2014, pp. 5-7. 7 Voir DEFAIT Vincent « En Afrique, le train revient au cœur des grands projets du continent », Le Monde, 05 octobre

2016. http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/05/en-afrique-le-transport-ferroviaire-interesse-a-

nouveau_5008330_3212.html, 12/11/2021. 8 Programme pour le développement des infrastructures en Afrique : interconnecter, intégrer et transformer un

continent, p.14. http://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Project-and-

Operations/PIDA%20note%20French%20for%20web%200208.pdf, 12/11/2021.

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fait que, le réseau construit par les colons il y a un siècle, désormais vétuste, tourne au ralenti : 30-

35 km en moyenne, 9 ce qui constitue un véritable goulet d’étranglement. La solution à ce problème

vient pour le moment en grande partie de la Chine, leader mondial du train à grande vitesse (TGV).

A travers ses entreprises de construction d’infrastructures ferroviaires, qui ont fait leurs preuves

en Chine,10 Pékin, qui les soutient financièrement et diplomatiquement, apporte une plus-value

aux territoires africains en les connectant par des rails « made in china », c’est-à-dire construits

selon les normes ou standards chinois. Ceci dit, la question qui guide cette réflexion est la

suivante : Comment et pourquoi la Chine influence-t-elle la configuration des territoires en

Afrique par le rail ? La réponse à l’interrogation consistera à démontrer qu’à travers sa technologie

ferroviaire, la Chine influence, dans un environnement concurrentiel, la composition des territoires

par la configuration de micro-espaces intégrés (I) au gré d’intérêts réciproques (II). Comme

théories d’analyse, nous avons mobilisé l’interaction stratégique11 et l’interdépendance.12

L’interaction stratégique a permis de mettre en exergue le déploiement de la puissance financière

voire diplomatique13 par la Chine en vue de conquérir le marché ferroviaire africain et se

positionner au détriment de ses concurrents qui luttent aussi pour se maintenir. L’interdépendance,

quant à elle, a été non seulement utile pour mettre en relief les liens d’interdépendances

économiques et socio-politiques qui se trouvent renforcés entres les micro-espaces connectés, mais

aussi, pour analyser l’asymétrie des dividendes du rail en dépit de la réciprocité des intérêts entre

les Etats africains bénéficiaires du rail et la Chine.

9 Commission Economique pour l’Afrique, op. cit., p. 3. 10

A la fin de l’année 2015, le réseau ferré chinois était de 120.000 km dont 19.210 km de Lignes à Grande Vitesse

(250 à 350 km/h) et 40,000 km de lignes « express » (160 à 250 km/h) représentant 60% du réseau mondial à grande

vitesse. Cf. CLERC-RENAUD P. « La mondialisation chinoise sur les rails »,

https://www.cnccef.org/TPL_CODE/TPL_PUBLICATIONLISTE_INTERNET/ID_PUBLICATION/2949/DL/PUB

_FICHIER/46-publications.htm, 20/11/2021. 11 LAMBORN Alan C. et LEPGOLD Joseph, World politics into the twenty-first century: Unique contexts, enduring

patterns 1st ed, Upper Saddle River, New Jersey, 2003, p. 485. 12

Sur l’interdépendance, voir KEOHANE O. Robert et NYE Joseph S. Jr., « Power and Interdependence Revisited

», International Organization, Vol. 41, No. 4, 1987, p. 725-753. 13 Désireux d’occuper une position centrale dans la politique infrastructurelle africaine, les autorités chinoises, dont le

Premier Ministre chinois, Li Keqiang, mènent en Afrique ce que nous pourrions qualifier de « diplomatie du chemin

de fer ». En effet, le 5 mai 2014, au siège de l’UA, Li Keqiang avait exposé quatre trains « made in china », un train

de grande vitesse, trois locomotives puis dix modèles d’avions. Cf. People Daily, « Li Keqiang vante les technologies

chinoises dans les transports ferroviaires et l'aéronautique en Afrique », 7 mai 2014.

http://french.peopledaily..com.cn/Chine/8619271.html, consulté le 10 décembre 2021.

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I- LE « RAIL CHINOIS » COMME INSTRUMENT DE CONFIGURATION DE

MICRO-ESPACES INTEGRES DANS UN ENVIRONNEMENT

CONCURRENTIEL

Fredrik Söderbaum et Ian Taylor définissent les micro-espaces comme des espaces

transfrontaliers ou des corridors de développement.14 L’on s’intéresse ici non seulement aux micro-

espaces intégrés par le rail qui se (re)dessinent grâce à l’aide financière chinoise (A), mais aussi

aux luttes qui se font entre la Chine et d’autres puissances installées et émergentes dans la

dynamique de conquête du marché ferroviaire africain (B).

A- La composition de micro-espaces intégrés par le rail

Dans un discours prononcé le 05 mai 2014 au siège de l’Union africaine, Li Keqiang, le

Premier Ministre chinois, avait émis, à la suite des dirigeants africains, le « rêve de voir toutes les

capitales africaines interconnectées grâce à des trains à grande vitesse afin de renforcer

l’intégration régionale et le développement ».15 A la suite de ce discours dont les racines peuvent

remonter à la guerre froide, nous entendons fixer les projecteurs sur les infrastructures ferroviaires

qui, financées par la Chine, configurent des micro-espaces intégrés. Il s’agit, pendant la guerre

froide, du TanZam qui dessine le micro-espace Tanzanie-Zambie (1), et, récemment, des corridors

de Benguela et djibouto-éthiopien (2).

1- La composition du micro-espace Tanzanie-Zambie à l’ère de la guerre froide

Longue de 1860 km, la ligne internationale Tanzanie-Zambie fut financée et construite par

la Chine entre octobre 1970 et juillet 1976, au plus fort de la guerre froide. Dans ce contexte de

conquête des esprits, le leader communiste chinois, Mao Tsé-toung, se déclara prompt à financer

cette infrastructure au sortir de la ruineuse et dévastatrice Révolution culturelle, quitte à délaisser

les grands travaux de développement en cours en Chine.16 Il le fit ainsi au détriment des Allemands

et des Américains, qui considéraient ce projet comme une ‘‘inutile’’ et ‘‘coûteuse folie’’.

14 SÖDERBAUM Fredrik et TAYLOR Ian, Afro-regions: The dynamics of cross-border micro-regionalism in Africa,

Nordiska Afrika Institutet, Sweden, Elanders Sverige AB, Stockholm, 2008, 203 p. 15Li Keqiang's speech at Africa Union, disponible sur http://www.chinadaily.com.cn/world/2014livisitafrica/2014-

05/06/content_17531846_2.htm, page consultée le 10/10/2021. 16 Cf. http://tazarasite.com/?cat=3, 24 mai 2016, consulté le 12 juillet 2021.

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Infrastructure stratégique pendant la guerre froide, le TanZam fut construit pour un montant de

500 millions de dollars, un prêt chinois sans intérêt, remboursable sur une période de 30 ans.

L’objectif des dirigeants des deux États bénéficiaires, Julius Nyerere et Kenneth Kaunda, était non

seulement de s’affranchir de la dépendance infrastructurelle des ‘‘territoires portugais’’ (Angola

et Mozambique), de la Rhodésie du Sud (Zimbabwe) et de l’Afrique du Sud sous apartheid, mais

aussi de connecter Dar-es-Salaam ( Tanzanie ) et Lusaka (capitale zambienne) via la ceinture de

cuivre de Kapiri Mposhi.17 En 2012, cette ligne a bénéficié d’un nouveau prêt chinois de 42

millions de dollars pour sa réhabilitation.18 Il est important de noter qu’étant le projet le plus

important réalisé par la Chine en Afrique pendant la Guerre froide, le TanZam répondait au moins

à une dimension stratégique triadique. Outre la course pour le siège du Conseil de Sécurité de

l’Organisation des Nations Unies, Mao recherchait des clients politiques pour contrecarrer

l’adhésion de l’ex-Union Soviétique à l’Association des peuples Afro-asiatiques dont le sommet

était prévu à Alger en 1965.19 Aussi voulait-il positionner la Chine dans les consciences collectives

en Afrique au même rang que l’ex-Union Soviétique, qui avait financé la construction des barrages

de Volta au Ghana et d’Assouan en Egypte.20 Comme le postule le paradigme de l’interdépendance

développé par Keohane et Nye, il est loisible de constater que la stratégie de financement chinoise

était mue par la quête des soutiens diplomatiques des pays africains. D’autres infrastructures

ferroviaires post-guerre froide s’inscrivent dans la dynamique de configuration de micro-espaces

maillés.

17 LAL Priya, African socialism in poscolonial Tanzania: between the village and the world, Massachusetts,

Cambridge Univesity Press, 2015, p. 57. 18 SCHOLVIN Sören et STRÜVEN Georg, « Tying the region together or tearing it appart? China and transport

infrastructure projetcs in the SADC region », Monitoring regional integration in southern Africa, Year book, 2012, p.

188. 19 Cf. Embassy of the People’s Republic of China in The united Republic of Tanzania, “TAZARA: How the great

Uhuru Railway was built”, disponible sur http://tz.china-embassy.org/eng/media/t921927.htm, consulté le 12 juillet

2021. 20 ALTORFER-ONG Alicia N., Old Comrades and New Brothers: A Historical Re-Examination of the Sino-Zanzibari

and Sino-Tanzanian Bilateral Relationships in the 1960s Thesis submitted for the Degree of Doctor of Philosophy

Department of International History, London School of Economics and Political Science, February 2014, p. 196.

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2- Les connexions spatiales post-guerre froide

Nous ferons allusion aux corridors ferroviaires du Benguela et à la ligne djibouto-

éthiopienne. Relativement au corridor du Benguela, il configure un micro-espace intégré entre

l’Angola, la République démocratique du Congo et la Zambie. Détruite suite à la guerre civile

angolaise qui débuta au lendemain de l’indépendance en 1975, la reconstruction du corridor de

Benguela a été possible grâce à un prêt concessionnel de l’Exim bank China de 1,83 milliard de

dollar.21 Réalisée par la China Railway Construction Corporation (CRCC) en août 2014 au

détriment des entreprises européennes évincées,22 elle a été inaugurée en février 2015 par les

Présidents angolais, congolais et zambien.23 La voie ferrée de Benguela, 1344 km, est ainsi « la

plus rapide et la plus moderne »24 jamais réalisée en Angola. Comme le montre la carte ci-après,

ce corridor régional « stratégique »25 relie le port de Lobito en Angola au réseau ferré du Katanga

en RDC, dans la ville frontalière de Luau.26

21 BARROW Keit, « Benguela railway reconstruction completed », International Railway Journal, 13 août 2014,

http://www.railjournal.com/index.php/africa/benguela-railway-reconstruction-completed.html, page consultée le

24/10/2016. 22 LAMFALUSSY Christophe, « La CHINE réhabilite le chemin de fer de Benguela », La Libre.be, 12 janvier 2006,

http://www.lalibre.be/economie/libre-entreprise/la-chine-rehabilite-le-chemin-de-fer-de-benguela-

51b88d00e4b0de6db9ad4ac6, consulté le 20 Octobre 2016. 23 BATTUTA, « Three presidents inaugurate rebuilt Benguela railway », Railway Gazette, 16 Février 2015.

http://www.railwaygazette.com/news/infrastructure/single-view/view/three-presidents-inaugurate-rebuilt-benguela-

railway.html, page consultée le 24 Octobre 2016. Il s’agissait de José Edouardo Dos Santos (Angola), de Joseph Kabila

(RDC) et d’Egard Lungu (Zambie). 24 Contrairement à l’ancienne ligne coloniale qui roulait à 30 km/h, la nouvelle ligne en fait le triple, soit 90 km/h. Cf.

MUDRONOVA Jana, « Chinese construction of Angola Benguela railway project completed », The Chinafrica

Project, 02 Septembre 2014. http://www.chinaafricaproject.com/chinese-construction-angola-benguela-railway-

project-completed-translation/, page consultée le 24 Octobre 2016 ; Jeune Afrique, « China Railway Construction a

achevé la rénovation du Chemin de fer Angola-Katanga », 22 Août 2014. 25 Luzakatimes, « Lungu pledges completion railway line », 13 Fevrier 2015,

https://www.lusakatimes.com/2015/02/13/lungu-pledges-completion-benguela-railway-line/, 25/10/2016. 25 Jeune Afrique, « China Railway Construction a achevé la rénovation du Chemin de fer Angola Katanga », 22 Août

2014.

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CARTE NO 1 : CORRIDOR REGIONAL ANGOLA-RDC-ZAMBIE

.

© Centre for Chinese Studies (non datée).

Notons enfin le corridor Djibouti-Addis-Abeba, qui intègre les territoires djiboutien et

éthiopien. Soucieux de construire un chemin de fer parallèle à la ligne coloniale djibouto-

éthiopienne afin de doper ses échanges avec Djibouti, dont elle était devenue dépendante à 90 %

depuis la guerre d’indépendance qui l’opposa à l’Erythrée,27 le gouvernement éthiopien se tourna

vers les bailleurs occidentaux. Toutefois, le désintérêt de ces derniers pour cette infrastructure

obligea les bénéficiaires à lorgner vers la Chine qui la finança à hauteur de 4 milliards de dollars28.

La construction de cette ligne fut alors attribuée à la China Railway Engineering Corporation et la

China Civil Engineering Construction Corporation, au détriment des entreprises occidentales

rivales,29 dont les experts et les institutions, l’Union européenne et le FMI30 notamment, trouvaient

la construction « irréaliste »31 du fait de sa cherté. Première ligne « électrique transnationale »32

27 À l’issue du conflit qui opposa l’Éthiopie à l’Érythrée, lequel a reconfiguré les frontières héritées de la colonisation,

l’Éthiopie a perdu sa position stratégique qui donnait à la mer. S’amorça dès lors le rapprochement avec Djibouti. 28 JACOBS Andrew, « Joyous Africans Take to the Rails, With China’s Help », The New York Times, 7 Février 2017. 29 Global Times, « China-built railway brings modern land transport – and hope – to Africa », 10 août 2016,

http://www.globaltimes.cn/content/1010037.shtml, page consultée le 20/10/2016. 30 Voir BAUER Anne, « L’avenir de Djibouti s’écrit avec la Chine », Les Echos. Fr. 31 FOCH Arthur, « Terminus pour le chemin de fer djibouto-éthiopien », Slate Afrique, 21 avril 2011,

http://www.slateafrique.com/1553/chemin-de-fer-djibouti-ethiopie 21/04/2011, 22/10/2016. 32 JACOB (A), « Joyous African Take the Rails, With China’s Help », The New York Times, op. cit.

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construite par la Chine en Afrique pour interconnecter deux pays foncièrement interdépendants,33

elle est longue de 752,7 km et « substitue » 34 la « vieille » ligne coloniale française, plus étroite.

Autrement dit, elle est conforme aux normes ferroviaires internationales adoptées par l’UA, 1,435

m. Comme on peut en apercevoir le tracé sur la carte ci-après, elle a vu le jour en octobre 2015,

quatre ans après le début de sa construction en octobre 2011. Elle permet de gagner en temps

d’autant que, contrairement à la ligne coloniale, le train roule à 120km/h, ralliant le port de Djibouti

en 10 heures au lieu de 10 à 12 jours avant.

CARTE NO 2 : LE CORRIDOR DJIBOUTO-ETHIOPIEN

Source : France 24, 2016.

Il est important de préciser que ce corridor, qui configure un micro-espace intégré entre

l’Éthiopie et Djibouti, est la première phase d’un projet panafricain. Il devrait s’étendre d’est en

ouest, de la Mer Rouge à l’Océan Atlantique, dans le richissime golfe de Guinée. L’ambition est

de relier le Soudan via Mekele (nord), le Kenya via Moyale (sud) et le Soudan du Sud via Gambella

(ouest).35 S’il est ainsi des micro-espaces dont l’interconnectivité a été exclusivement assurée par

des infrastructures ferroviaires financées par la Chine, il n’en demeure pas moins que Pékin subit

la concurrence d’autres acteurs dans le domaine du rail sur le continent.

33 En effet, l’Ethiopie, l’une des économies les plus dynamiques d’Afrique (10, 2% de croissance en 2015 et 6,5% en

2016 du fait de la sécheresse qui l’a impactée), est une puissance démographique (95 millions de personnes) utile à

l’économie djiboutienne qui offre une ouverture stratégique à l’Ethiopie sur la Mer Rouge via son port. 34 Cf. Album des Résultats des 15 Années du Forum sur la Coopération Sino-Africaine à l’occasion du Sommet de

Johannesburg sur le FOCAC tenu en décembre 2015, p. 66. 35 Cf. http://www.france24.com/fr/2016006-ethiopie-djibouti-inauguration-train-chinois-relier-addis-abeba, consulté

le 22 Octobre 2016.

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B- Les luttes entre la Chine et d’autres puissances concurrentes impliquées dans la

dynamique de configuration de micro-espaces intégrés par le rail

En Afrique subsaharienne, la Chine est confrontée à la concurrence d’autres puissances

installées et émergentes dans le secteur du ferroviaire qu’elle domine depuis le début des années

2000. Nous analyserons les collisions franco-chinoises pour la conquête de la boucle ferroviaire

ouest-africaine puis la concurrence entre la Chine, le Portugal et la Turquie sur la ligne ferroviaire

est-africaine.

La domination de Pékin dans le domaine du ferroviaire en Afrique et son approche, qui

consiste à donner de l’aide contre les ressources naturelles n’a cessé d’enrager les Français qui en

sont arrivés à mobiliser la stratégie dite du « jeu d’échecs »36 pour stopper la percée chinoise. A la

différence de la stratégie chinoise du « jeu de go » qui mobilise la « puissance douce » dont l’aide,

et qui prône la coexistence harmonieuse sur un espace disputé, le « jeu d’échecs », d’essence

occidentale, vise l’élimination d’un concurrent, généralement par des voies militaires, en vue d’un

positionnement exclusif sur un territoire convoité. C’est dans ce sens qu’en 2008, trois grandes

entreprises chinoises, la China State Construction and Engineering, Sinohydro et China Tiesiju

Civil Engineering Group se positionnent pour le financement d’un important projet ferroviaire du

PIDA, la boucle ferroviaire ouest-africaine, contre des gisements miniers.37 Infrastructure

prioritaire du PIDA, la boucle ferroviaire ouest-africaine vise à configurer un micro-espace intégré

par le rail sur une distance de 3000 km, d’Abidjan à Cotonou (Benin), via Ouagadougou, Kaya

(Burkina Faso) et Niamey (Niger), avec un possible prolongement sur Lomé.

Le deal « minerais contre infrastructure », proposé par la Chine, avait, selon les mots de

Michel Rocard, soudainement « réveillé » la France. Et, en février 2010, le Président nigérien,

Mamadou Tandja, fut renversé par un coup d’Etat.38 Comme l’a expliqué Michel Rocard, il fallait

36 SWIELANDE STRUYE Tanguy de, La Chine et les grandes puissances en Afrique : Une approche

géostratégique et géoéconomique, Belgique, Presses universitaires de Louvain, 2010, p. 72. 37 Notamment l'uranium déjà exploité par l’entreprise minière française Areva, le manganèse de Tambao au Burkina

Faso ou encore le gisement de Say-Kolo au Niger qui renferme 1,215 milliard de tonnes de fer d’une teneur de 44,9 %,

soit près de la moitié de la plus grande réserve de fer non exploitée au monde. Il faut aussi signaler l’existence dans la

zone du pétrole et du phosphate. 38 Rocard, cité par TILOUINE Joan et MICHEL Serge, « Ligne Cotonou-Abidjan : « Vincent Bolloré est en train

d’essayer de nous voler », dénonce Rocard », Le Monde, 03 septembre 2015.

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arrêter la Chine dont l’objectif « était clair : mettre la main sur Areva ».39 En 2014, l’UE était

entrée dans la danse. Elle avait financé une étude de faisabilité de la construction de ladite boucle.

En 2015, suite à moult manœuvres, la boucle ferroviaire fut confiée au groupe français Bolloré

Africa Logistics au détriment de l’homme d’affaires béninois Samuel Dossou, attributaire

préalable du tronçon Niamey-Cotonou. Il était question pour Bolloré de réhabiliter le tronçon

Abidjan-Kaya via Ouagadougou, de construire Kaya-Parakou au Bénin via Niamey, puis Parakou-

Cotonou pour un montant total de 2,5 milliards d’euros.40 Après la pose des 140 premiers km de

rail « métrique » 41 ou « étriqué » datant de l’époque coloniale plutôt que du rail à l’écartement

standard agréé par l’UA entre Niamey et Gaya dans le désert nigérien, une décision de justice

béninoise d’octobre 2017 intima l’ordre à Bolloré d’interrompre les travaux sur le territoire

béninois, au profit de Samuel Dossou, patron du groupe Pétrolin. Dans les coulisses, la Chine, à

travers la China Railway Coporation, travaillait à évincer le groupe français Bolloré que préférait

Niamey. En juillet 2018, le Président Patrice Talon, qui qualifia l’offre française de « bas de

gamme » du fait du rail métrique suranné se constitua en Voyageur Représentant Placier de Pékin.

Il alla convaincre le Président Mahamadou Issoufou de l’opportunité de s’arrimer à la norme de

l’UA promue par la Chine qui était à ses yeux la meilleure offre de développement économique,

et bien plus en termes de rapport qualité/prix. Il argumentait que « la rentabilité d’un projet de

chemin de fer n’est pas évidente. Il faut des financements particuliers de type concessionnel, qui

comportent des dons ».42

Les luttes sino-françaises ont ainsi donné de constater que, d’un côté, le Niger et le Bénin

ont fini par jeter leur dévolu sur la Chine, qui devrait construire 1000 km de rail pour relier les

deux États et leurs populations, puis, de l’autre, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, qui ont plutôt

requis l’expertise de Bolloré qui poursuit la réhabilitation de leur ligne commune depuis 2017. Si

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/09/03/michel-rocard-vincent-bollore-est-en-train-d-essayer-de-nous-

voler_4744700_3212.html, 20/10/2021. 39 Ibid. 40Cf.http://www.ilboursa.com/marches/le-groupe-francais-bollore-investit-2-5-milliards-d-euros-enafrique_7345,

consulté le 20 Octobre 2016. 41 La Nouvelle Tribune, « Installation de vieux rails métriques : un expert béninois désapprouve le groupe Bolloré »,

10 juillet 2015, http://www.lanouvelletribune.info/benin/politique/24574-installation-de-vieux-rails-metriques-un-

expert-beninois-desapprouve-le-groupe-bollore, 23 Octobre 2021. 42 BAYO Ibrahima Jr., « Boucle ferroviaire ouest-africaine : au Niger, Patrice Talon pousse la piste chinoise », La

Tribune Afrique, 07 Avril 2018.

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l’on pourrait déboucher de part et d’autre sur l’ancrage des micro-espaces intégrés Abidjan-

Bamako puis Cotonou-Niamey, il y a lieu de noter l’impossible contact futur le long de la boucle

ferroviaire, du fait des écartements très divergents implémentés. En effet, alors que la ligne ivoiro-

burkinabé est réhabilitée selon l’écartement métrique, 1 m, le Niger et le Bénin, sous l’impulsion

de Porto-Novo, entendent plutôt construire un chemin de fer conforme aux normes agréées par

l’UA, 1,435 m. L’on aboutirait donc à une boucle fragmentée.

Quant au mégaprojet ferroviaire est-africain, qui a vu l’entrisme du Portugal et de la

Turquie expliquant le retrait chinois, il concerne primordialement les pays de l’East African

Community. C’est-à-dire le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, la Tanzanie, le Burundi et le Soudan

du Sud auxquels il faut ajouter et la RDC, comme l’indique la carte ci-dessous.

CARTE 4 : CARTE DU MEGAPROJET FERROVIAIRE DE L’EAC

Source : Africa Confidential, 2014.

Le 12 mai 2014 à Nairobi (Kenya), Li Keqiang, le PM chinois, avait signé, avec quatre

chefs d’État africains, un accord relatif à la construction d’une ligne ferroviaire en Afrique de l’Est.

Il s’agissait des présidents Uhuru Kenyatta, Kaguta Museveni, Paul Kagame et Riek Machar en

l’occurrence. Aussi avait-on noté la présence des représentants de la Tanzanie, du Burundi et de

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la BAD.43 Le coût global de cette ligne est alors estimé à 13,8 milliards de dollars. Débutée en

décembre 2014, la réalisation de la phase 1 du projet, Mombasa-Nairobi, d’une longueur de 480

km, a été achevée et inaugurée le 31 mai 2017(voir la carte 4). D’une valeur de 3,8 milliards de

dollars, elle a été financée à 90% par Exim Bank of China (3,4 milliards de dollars) et 10% par le

gouvernement kenyan.44

Plus connue sous le nom de Standard Gauge Railway (SGR),45 cette voie à écartement

normal, 1,435 m, vise à desservir les pays fermés de la région (Ouganda, Rwanda, Burundi et

RDC) à partir de la ville portuaire de Mombasa, porte d’entrée du corridor nord.

Contractuellement, l’Ouganda devait collaborer financièrement avec Nairobi afin d’assurer le

prolongement de la ligne kenyane jusqu’à Malaba, sa frontière, une fois qu’elle aura atteint le port

de Kisumu au Kenya. Toutefois, l’Ouganda est allé à l’encontre de cet engagement, faisant

observer que le Kenya était plutôt tenu par « l’obligation d’étendre le chemin de fer jusqu’à

Malaba, faute de quoi il ne le soutiendrait pas dans sa quête de financement chinois pour la

réalisation de la totalité du projet ».46

Si le gain en temps est évident, car la ligne kenyane permet d’acheminer plus rapidement

des marchandises en Ouganda à travers le transport multimodal port-rail-route, il n’en demeure

pas moins que les agissements de l’Ouganda ont contribué à mettre en veilleuse le prolongement

de cette ligne jusqu’à Malaba, la frontière ougandaise. Du fait du désagrément causé par

l’Ouganda, le Rwanda, autre pays enclavé, qui devait prendre le relais une fois la ligne ougandaise

entièrement construite, s’est rabattu sur la Tanzanie pour se tailler une ouverture sur la mer via le

corridor central. Désormais, l’on observe un micro-espace de sens en train de se dessiner entre la

43 BBC, « China to build new East Africa railway line », 12 Mai 2014, http://www.bbc.com/news/world-africa-

27368877, 21/10/2016. 44 De fait, pour le financement de ce projet, Exim Bank China a octroyé 1, 6 milliard de prêt concessionnel

remboursable dans un délai de 20 ans, et 1,82 milliard de prêt commercial, remboursable dans 15 ans. Cf. ORIERE S,

« Kenya readies first standard gauge rail line », International Rail Journal, Juin 2016,

http://www.railjournal.com/index.php/africa/kenya-readies-first-standard-gauge-line.html, consulté le 22 Octobre

2016. 45 KAUNDA D, « Standard Gauge Railway project: forging new frontier in railway development in Kenya and the

region », Uchukuzi, Issue 1 juin 2014, p. 6. 46 MUGABO Peter, « Rwanda bypasses Uganda for its own standard Gauge Railway Line », News of Rwanda, 18

Janvier 2018.

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Tanzanie et le Rwanda,47 ce qui pourrait conduire à un isolement relatif de la ligne kenyane et à la

polarisation du commerce sur le corridor central au détriment du corridor Nord, jusque-là le plus

important de la région. Comme on peut le voir sur la carte précédente (carte 4), il est prévu la

construction de la ligne Kigali-Isaka-Arusha-Moshi-Tanga (port) qui fait partie intégrante du grand

projet ferroviaire est-africain. Alors qu’elle devait financer la construction de cette infrastructure,

la Chine s’est retirée suite à l’attribution de l’axe Kigali-Moshi, en cours de réalisation, aux

concurrents portugais et turcs.48

Si la portion tanzanienne progresse en direction du Rwanda, Kigali est encore en quête

financements, américains notamment, pour la réalisation de l’infrastructure sur son territoire.49 Par

le choix du corridor central en Tanzanie, le Rwanda espère une réduction des prix des

marchandises qui débarquent sur son territoire. Car, selon le Cabinet Infhotep :

« Les coûts logistiques sont 4 à 6 fois plus importants en Afrique subsaharienne que dans

les autres pays émergents. 750$, c’est le coût de déplacement d’un container entre Tokyo et

Mombasa (Kenya) soit 11 180 km. 750$ × 3 ! C’est le coût de déplacement d’un container entre

Mombassa et Kigali (Rwanda) soit 1 437 km ».50

De ce qui précède, bien que concurrencée, il est clair que l’implication de la Chine dans le

processus de composition des territoires interdépendants est une réalité. Toutefois, si dans leurs

discours, les dirigeants chinois affirment promouvoir des gains réciproques, il n’en demeure pas

moins vrai que ces intérêts demeurent asymétriques.

47 Lire, dans ce sens, ATCHA Emmanuel, « Rwanda-Tanzanie : un projet ferroviaire déjà sur les rails », La Tribune

Afrique, 16 Janvier 2018. 48 MUGABO (P), « Rwanda bypasses Uganda for its own standard Gauge Railway Line », op. cit. 49 MULYUNGI Patrick, « Rwanda seeks US $1.3bn to subsidize its portion of the Isaka-Kigali SGR line», May 29,

2019. 50 BERTRAND Olivier et HAKMI Daoya, Les infrastructures de transport en Afrique : enjeux et perspectives, op.

cit., p. 44. Voir, dans le même sens, FOFACK Hippolyte, « Une Afrique compétitive : l’intégration économique

pourrait faire du continent un acteur à l’échelle mondiale », op. cit., p. 50.

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II- LE RAIL COMME INSTRUMENT DE CONSTRUCTION DES INTERETS

RECIPROQUES

Il faut entendre par réciprocité des intérêts une situation dans laquelle chaque acteur tire

des avantages d’une coopération. Toutefois, hâtons-nous de préciser, comme le rappellent

Kehoane et Nye, que la réciprocité entre acteurs sur la scène internationale n’implique pas

forcément la « symétrie ».51 Dès lors, s’il va de soi que le rail apparaît avant tout comme une

stratégie d’affirmation de la puissance chinoise en Afrique (A), ne convient-il pas aussi de faire

observer que la ritournelle « gagnant-gagnant », mise en avant par Pékin, doit être tempérée du

fait d’un déséquilibre constaté dans les échanges ? (B).

A- Une stratégie d’affirmation de la puissance chinoise en Afrique

Comme déjà évoqué, le chemin de fer, le TanZam notamment, a été conçu depuis la guerre

froide comme un instrument de construction des intérêts chinois en Afrique. Ici, il est analysé à la

fois comme une stratégie de « déseuropéanisation » de l’Afrique ou de diffusion des normes

chinoises de construction (2) et comme une stratégie géoéconomique (2).

1- Le « rail chinois » comme technologie de « déseuropéanisation » de l’Afrique

Nous entendons par « déseuropéanisation » le déclassement géopolitique de l’Europe par

la Chine en Afrique à travers la technologie ferroviaire. En effet, par-delà leur vocation première

qui est de connecter les territoires, les lignes ferroviaires construites par la Chine en Afrique sont

avant tout des « marqueurs géopolitiques »52 porteurs de sens. De ce fait, la politique d’exportation

de la technologie chinoise du rail en Afrique sonne progressivement la déseuropéanisation de

l’Afrique, c’est-à-dire la perte de l’influence européenne sur le continent dans le domaine du rail.

Dans son entreprise d’effacement des traces de l’Europe coloniale sur les territoires, la Chine

procède par une double stratégie.

51 KEOHANE O. Robert et NYE S. Joseph Jr., Power and Interdependence: World Politics in Transition, third

edition, New-York, Longman, 2001, p. 8. 52 BEYER Antoine, « Le contact des réseaux ferrés à écartement russe et européen. Héritage embarrassant ou futur

trait d’union continental ? », Strates, 2008. http://strates.revues.org/6681, consulté le 24/10/2016.

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D’abord, à travers la construction des chemins de fer ultramodernes conformes à ses

normes53 et à l’écartement international agréé par l’UIC et l’UA, Pékin inscrit dans le registre

archéologique les chemins de fer coloniaux jusque-là considérés comme des bases européennes de

domination symbolique de l’Afrique. Loin de toute neutralité, son projet d’interconnexion des

capitales africaines par le rail, lancé en 2014 à l’UA, apparaît comme une stratégie de construction

de son omniprésence sur les territoires et de renforcement de son « soft power »54 dans les

consciences collectives.

Il convient cependant de noter que les Africains, autrefois inconditionnels des normes

ferroviaires occidentales jugées « supérieures », les ont souvent réclamées en vain. Ce fut le cas

lors de la construction de l’axe Ethiopie-Djibouti, où les partisans des normes chinoises et

européennes s’affrontèrent, certains jugeant les normes chinoises « inférieures » avant de se

raviser. Comme l’a expliqué l’ingénieur chinois Long Zongming : « Au début, les Ethiopiens

étaient sceptiques au sujet des normes chinoises, parce que leur référence était les normes

européennes et américaines. Ils ont progressivement accepté nos normes après que nous les ayons

invités en Chine à voir les chemins de fer que nous avons déjà construits ».55

Aussi bien les politiciens que les académiciens chinois se réjouissent de la domination de

Pékin. A l’instar du ministre des Affaires étrangères de Chine, Wang Yi, qui exultait au Kenya que

« les normes chinoises ont gagné la confiance des peuples africains », Wang Hongyi, expert en

études africaines à la China Institute of International Studies affirme ce qui suit: « Historiquement,

les infrastructures construites en Afrique ont recouru aux standards européens. La construction

du chemin de fer de Benguela témoigne du grand effort mené par la Chine pour exporter ses

53

S’il est vrai que la Chine a bénéficié de l’expérience des grands groupes occidentaux comme General Electric,

Siemens, etc. elle a dû conjuguer les acquis de la technologie « étrangère » avec sa propre technologie pour procurer

à ses entreprises une identité normative et faciliter l’exportation de ses produits. Les premières normes des TGV

chinois, qui ont été publiées en 2014, couvrent 20 aspects du design et de la construction. Cf. « Des trains à grande

vitesse de conception chinoise vont remplacer les anciens modèles étrangers »,

http://fr2.mofcom.gov.cn/article/chinanews/201507/20150701064930.shtml, 28/10/2016 ; CLERC-RENAUD « La

mondialisation chinoise sur les rails », op. cit. 54 Sur cette notion, lire NYE Jr. J. S., Soft power. The means to success in world politics, Publicaffairs 2004. 55People’s Daily, « Chinese railway standards lauded in Africa », 30 août 2016,

http://en.people.cn/n3/2016/0830/c90000-9107725.html, 24/10/2016.

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propres normes et établir la réputation de ses entreprises ».56 Ainsi, dans le domaine du

ferroviaire, la Chine s’affirme comme une « puissance normative »57 qui bouscule le « statu quo »

établi sur les territoires et dans les têtes en Afrique subsaharienne en imposant subtilement ses

standards.

Ensuite, dans la même veine géopolitique, on peut lire le discours des politiques chinois

sur le développement des infrastructures d’intégration tels les trains à grande vitesse, les réseaux

autoroutiers et les réseaux régionaux d’aviation comme une stratégie de déconstruction de l’axe

Europe-Afrique concurrent. Dans un discours prononcé au siège de l’UA le 27 janvier 2015, Zhang

Ming, le Vice-ministre chinois des Affaires étrangères, l’a clairement exprimé en ces termes

: « l’Afrique est un vaste continent où il devrait être possible que les gens voyagent sans plus être

obligés de transiter par Paris et Londres ».58 Si cette déclaration vise a priori le transport aérien,

l’on peut aussi y voir que, désormais, pour la Chine, les infrastructures sur lesquelles il devient

digne de voyager en Afrique sont non plus européennes mais chinoises. Il est d’ailleurs capital de

préciser qu’en plus des normes de construction européennes et chinoises qui diffèrent, les

infrastructures ferroviaires nouvellement bâties par la Chine en Afrique sont généralement

parallèles à celles construites autrefois par les ex-puissances coloniales. Cette stratégie chinoise

viserait à construire la marginalité des infrastructures européennes avec lesquelles elle souhaite

créer une certaine distance. En attribuant donc à son infrastructure une vocation émancipatrice (il

faut que les gens voyagent sans plus être obligés de transiter par Paris et Londres), la Chine entend

déconnecter l’Afrique de Bruxelles pour consolider l’axe Afrique-Beijing. Véritable grammaire

d’un basculement, « l’infrastructure (ferroviaire) est alors, comme l’a résumé Antoine

Beyer, révélatrice de données géopolitiques que de réponses à de réels problèmes de transport ».59

Ne devrait-on pas voir, dans le discours des politiques chinois sur l’infrastructure ferroviaire,

« l’avènement d’un impérialisme…gondwanien » 60 provenant d’un Sud jadis à la merci du Nord

56 Cité par LEI Zhao « Angola rail line, built by Chine, gets rolling », China Daily, 16 février 2015,

http://www.chinadaily.com.cn/world/2015-02/16/content_19600829.htm, 25 /10/2016. 57 TOCCI Nathalie et MANNERS Ian (2008), « Comparing Normativity in Foreign Policy: China, India, the EU, the

US and Russia», in Tocci Nathalie (ed.) Who is a normative foreign policy actor? The European Union and its Global

Partners, Centre for European Policy Studies, Brussels, p. 301. 58 Cité par OBAJI Konye Orie, « China signs deal with AU to connect Africa's big cities », 2015, op. cit. 59 BEYER A., op. cit. 60 ROPIVIA Marc-Louis (1986), « Géopolitique et géostratégie : L’Afrique noire et l’avènement de l’impérialisme

tropical gondwanien », Cahier de géographie, vol. 30, No 79, 1986, pp. 5-19.

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? A ces ambitions de déclassement géopolitique de l’Europe en Afrique, il faut nécessairement

ajouter des motivations géoéconomiques.

2- Le « rail chinois » comme stratégie de construction des intérêts géoéconomiques

Au début des années 1990, Gerald Segal affirmait que l’Afrique ne sera qu’un appendice

dans la politique étrangère de la Chine montante.61 Il poursuivait que la Chine sera plus utile à

l’Afrique que l’Afrique à la Chine.62 Au regard de l’intérêt sans cesse croissant de la Chine pour

l’Afrique, dont le marché de construction se révèle comme un appât pour sa politique énergétique

et minière, on est en passe d’affirmer que c’est plutôt le contraire qui s’est produit. Grâce au

« triangle d’or »63 constitué des entreprises, de l’Etat et des banques chinoises pourvoyeuses des

prêts « agressifs », la Chine a pu attirer dans sa sphère d’influence des pays africains riches en

ressources naturelles et minières utiles à ses usines. Offrir le rail a donc un sens économique,

surtout lorsqu’on s’attèle si peu que ce soit à décrypter le sens du rail chinois, c’est-à-dire la

direction qu’il prend. Ce sens est loin d’être anodin, surtout lorsqu’on observe le lien étroit qui

existe entre sa politique de création des Zones Economiques Spéciales (ZES) 64 où se trouvent

nombre d’industries chinoises récemment « délocalisées » en Afrique.

Le développement parallèle d’un réseau d’infrastructures multimodales de transport (train,

ports maritimes, aviation) et des ZES en Zambie, Ethiopie, Djibouti, Nigeria et Egypte65 est en

phase avec les besoins de la Chine. Bâtis pour la majorité dans des pays abritant des ZES, le rail

facilite la commercialisation des marchandises manufacturées tout comme sa construction est

motivée par la quête de pondéreux dont il sert d’exutoire.

61 SEGAL Gerald, « China and Africa », The Annals of the American Academy of Political and Social

Science, Vol. 519 No.1, janvier, 1992, p. 126. 62 Ibid. 63 Institute of Developing Economies-Japan External Trade organization (IDE-JETRO), « China in Africa: The Role

of China's Financial Institutions », http://www.ide.go.jp/English/Data/Africa_file/Manualreport/cia_11.html,

23/10/2021. 64 Les ZES construites en Afrique sont les répliques des recompositions spatiales créées autrefois en Chine. De 1979

à 1985, se sont constituées sept zones spéciales munies de quatorze ports ouverts dessinant un espace régional

d’intégration liant Xiamen (Amoy) à Taïwan, Shenzhen à Hongkong ou Zhuhai à Macao. Voir BADIE Bertrand, La

fin des territoires. Essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect, Fayard, Paris, 1995 p. 225. 65 Ces ZES sont : le Parc industriel oriental (Ethiopie), Zone franche internationale (Djibouti) Chambishi (Zambie),

Lekki (Nigeria) et Suez (Egypte).

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Relativement au commerce des marchandises manufacturées, le 05 octobre 2015 par

exemple, l’inauguration de la ligne ferroviaire djibouto-éthiopienne avait suscité beaucoup

d’espoirs chez des industriels chinois désireux de réaliser des gains optimaux. Zhang Huarong, le

président de la société chinoise Huaajian logée au Parc industriel oriental (Ethiopie), qui exporte

mensuellement environ trois millions de chaussures vers les Etats-Unis et l'Europe via le port de

Djibouti construit par la Chine s’était montré confiant ainsi qu’il suit : « Nous espérons que ce

train réduira les efforts logistiques et réduira les coûts. Nous sommes très optimistes…».66 Bien

plus, la Chine souhaite conquérir de nouveaux marchés fermés du fait d’un déficit

d’infrastructures. Le rail, comme les autres infrastructures physiques, permet à Pékin de pénétrer

plus aisément en Afrique et d’y introduire ses produits bon marché. En mai 2014, avant

l’émergence de la covid-19, Li Keqiang indiquait dans un discours en Ethiopie que l’objectif

derrière la connexion des territoires était de porter les échanges commerciaux avec l’Afrique à 400

milliards de dollars à l’horizon 2020.67

En ce qui concerne la quête de pondéreux tels le pétrole, le gaz ou les minerais, une étude

menée en 2014 par Workneh a révélé que l’engagement de la Chine dans la réalisation du

mégaprojet ferroviaire est-africain était motivé par la découverte du pétrole et du gaz au Kenya et

en Ouganda.68 Mue par la recherche du pétrole pour ses industries énergivores, la Chine a intensifié

sa politique infrastructurelle en Afrique depuis que les Etats-Unis ont conquis le Moyen-Orient et

envahi l’Afghanistan qui faisaient partie de ses sources d’approvisionnement.69 Face aux

concurrents établis et émergents, Pékin entend conquérir l’Afrique en donnant le chemin de fer et

d’autres infrastructures telles les ports et les routes qui y font le plus défaut, afin d’assurer un

positionnement prioritaire de ses industries extractives.

Grâce aux chemins de fer considérés comme le « nouveau parangon » du

développement chinois, Pékin trace ses routes en Afrique et se fait de nouvelles frontières

66LE BRECH Catherine, « Ethiopie: un train chinois pour Djibouti », Geopolis 05 octobre 2016.

http://geopolis.francetvinfo.fr/ethiopie-un-train-chinois-pour-djibouti-120817, 26/10/2016. 67 Voir le discours de du PM chinois, Li Keqiang, prononcé au siège de l’UA le 05 mai 2014, précité. 68 Voir CISSÉ Daouda, « Globalisation and sustainable Africa-China trade: what role play the African regional

organisations? », Occasional Paper, http://nai.diva-portal.org/smash/get/diva2:782298/FULLTEXT01.pdf, p. 23. 69 CORKIN Luci, « China’s strategic infrastructural investments in Africa », in Guerrero D-G. et Manji F. (eds),

China’s New Role in Africa and the South: A Search for a New Perspective. Fahamu and Focus on the Global Nairobi,

Oxford et Bangkok, 2008, p. 135.

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économiques. Une « Afrique sans frontières »70 fait d’autant sens à Pékin que la circulation de ses

marchandises et de ses ambassadeurs économiques que sont ses migrants se trouve facilitée. Ceci

amène à questionner la nature des intérêts des Etats africains. S’ils tirent en effet leur épingle du

jeu, des asymétries constatées ne semblent-elles pas répéter l’histoire coloniale ?

B- Un instrument de construction des intérêts africains malgré des asymétries

« Ce projet est la preuve qu’il existe une coopération égalitaire et mutuellement bénéfique

entre la Chine et les pays d’Afrique de l’Est ».71 Tels furent les mots prononcés par le PM Li

Keqiang lors de la signature de l’accord portant construction du chemin de fer est-africain. Ces

paroles ont été ressassées par les diplomates chinois à l’occasion de la signature d’autres

contrats, et surtout lors de la livraison des chantiers achevés comme le corridor Angola-RDC-

Zambie et la ligne djibouto-éthiopienne. Pourtant, si ce discours trouve un écho favorable au

sein de la majorité de la classe dirigeante, car la Chine dote ainsi les États africains d’un

« capital spatial » minimal (1) , il va de soi qu’à l’observation des faits, des « asymétries »

persistent (2).

1- La dotation d’un « capital spatial » aux Etats africains

Par « capital spatial », il faut entendre la capacité des acteurs régionaux à désenclaver

leurs territoires ou à les recomposer par des infrastructures interterritoriales visant la mobilité des

biens et des personnes.72 Au lendemain de la Conférence de Berlin cependant, les infrastructures

ferroviaires ont été « pensées en fonction des configurations spatiales issues du partage de

l’Afrique ».73 A cette fragmentation de l’espace par le rail, s’ajoutait l’implémentation, par les

colons, des écartements divergents, rendant la communication entre les territoires dits allemands,

70MUTANGA Innocent « What a borderless Africa could mean for China »,

https://www.hongkongfp.com/2016/07/14/what-a-borderless-africa-could-mean-for-china/, 25/10/2016. 71Voir Aljazeera, « China to build railway linking »,

12 mai 2014,

http://www.aljazeera.com/news/africa/2014/05/china-build-railway-linking-east-africa-201451263352242135.html,

25/10/2016. 72 Voir LEON Alain, « L’East African Community : vers une intégration régionale des espaces ? », IFRA – Les

Cahiers de l’Afrique de l’Est, No 23, février-mars, 2004, pp. 18-19. 73 POURTIER (R.), « Les chemins de fer en Afrique subsaharienne …», op. cit. p. 2.

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français, anglais, etc. impossible.74 Hormis l’Afrique australe mise au diapason de l’écartement

anglais (1,067 m), le rail fut plutôt un instrument désintégrateur. Or, sans régionalisation voire

continentalisation du train, pas d’intégration, ni commerce intra-régional et encore moins

d’industrialisation en Afrique, nous enseignent les exemples russes, américains et chinois. Grâce

au train en effet, la mobilité des biens et des personnes fut assurée sur ces vastes territoires.75 Dès

lors, depuis longtemps, l’Afrique tout entière connaît un processus de stagnation économique et

de faible intégration régionale tant au niveau des flux de marchandises, de capitaux que des

mouvements de facteurs. Ceci est en grande partie dû à un déficit avéré des voies de

communication interconnectantes.76 Si le continent est devenu une destination prisée pour les

investisseurs, à cause des goulots d’étranglement, entre autres, il ne capte qu’à peine 3% des

Investissements Directs Etrangers.77 D’où l’impératif de lui donner une armature en la

« vertébrant ». Le rail constitue de ce fait un instrument de configuration des espaces. Il apparaît

comme un trait d’union entre les territoires et les économies interdépendantes, et donc entre les

populations, ce qui crée un nouveau rapport à l’espace.

En tant qu’instrument de développement économique des territoires d’abord, il redessine

les frontières dans le but de configurer des corridors économiques. Il assure le désenclavement des

pays sans littoral désireux d’exporter et d’importer plus rapidement les marchandises. Le corridor

de Benguela, par exemple, permet la valorisation du potentiel économique du Katanga ainsi que

celui de la ceinture de cuivre du Nord de la Zambie, deux zones minières dépourvues de littoral et

économiquement dépendantes du port de Lobito en Angola. Le rail s’affirme donc comme un outil

de développement, voire un correctif du désordre territorial créé par les conférenciers de Berlin,

peu soucieux de la non-viabilité de certains territoires coincés à l’intérieur des terres. C’est

pourquoi les dirigeants africains, tous ou presque, voient d’un bon œil l’implication chinoise dans

le développement de l’infrastructure régionale, et ne manquent pas de tancer les Occidentaux et

74 Tandis que les Allemands appliquaient un écartement de 1 mètre au Cameroun, par exemple, les territoires sous

domination anglaise et belge étaient soumis au même écartement de 1,067 m et certains espaces comme le Congo

contrôlés par les Français, 60 cm. 75 GALACTEROS Caroline, « La Chine et la Nouvelle Route de la Soie : vers le plus grand empire de l’Histoire ? »,

27 mai 2016, http://galacteros.over-blog.com/2016/05/la-chine-et-la-nouvelle-route-de-la-soie-vers-le-plus-grand-

empire-de-l-histoire.html, 28/10/2021. 76 LEON (A.), op. cit. p. 2. 77 BROADMAN Harry G, La route de la soie en Afrique : nouvel horizon économique pour la Chine et l’Inde,

Banque Mondiale, http://siteresources.worldbank.org/AFRICAEXT/Resources/ASR_French_Overview.pdf. p. 7.

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leur modus operandi. Tout comme le Président Uhuru Kenyatta voyait en la Chine un « partenaire

honorable »78 relativement aux financements apportés pour la construction du rail est-africain, le

président Museveni, quant à lui, la félicitait en ces termes : « Nous sommes heureux de voir que

la Chine se concentre sur les vraies questions du développement … Elle ne donne pas de leçons

sur la façon dont les gouvernements vont être gérés et sur bien d'autres choses que je ne veux pas

mentionner ».79

L’approche chinoise d’intégration des espaces épouse largement ce que veulent80 les

dirigeants et les populations africains. Ces derniers ont consigné, en mai 2014, dans l’Agenda 2063

de l’UA, des priorités pour les 50 prochaines années. Il s’agit d’intensifier les échanges intra-

africains qui, en 2021, ne sont estimés qu’à environ 16%, d’industrialiser l’Afrique et d’y assurer

la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux, des idées, etc. L’interconnectivité des

territoires est dans ce sens cruciale. En 2015, une étude de la BAD a indiqué que le train est d’autant

indispensable qu’il constituera un catalyseur de l’industrialisation et de la croissance économique

du continent. Car, il est seul capable d’assurer le transport de grandes quantités de marchandises à

l’instar des conteneurs, des voitures, etc. d’un pays à l’autre.81 Les déclarations du Président

kenyan vont dans ce sens. Pour lui, le rail permettra à son pays d’élever son PIB à 1,5% et de

réaliser un taux de croissance d’au moins 8%.82 C’est le même sentiment en Ethiopie où, outre

l’amélioration de la compétitivité de l’industrie qui est attendue, le rail a permis la création d’une

« ceinture économique ».83 Ceci est la preuve que le rail, loin d’être seulement un exutoire de

pondéreux, est appelé à servir dans un continent dont l’économie se diversifie progressivement.

Comme moyen de renforcement de la mobilité des personnes ensuite, il est de notoriété

qu’à l’exception des réseaux « clandestins »84 développés par les « acteurs du bas » irrévérencieux

78 Aljazeera, « China to build railway linking », op. cit. 79 Ibid. 80 Commission de l’Union africaine, Agenda 2063 : l’Afrique que nous voulons, mai 2014, pp. 54-55.

http://www.africa-platform.org/sites/default/files/resources/au_agenda_2063_french.pdf, 25/10/2016. 81 Banque Africaine de Développement, Les infrastructures ferroviaires, op. cit., p. 9. 82 Cf. JUNQING Zhu, « China’s railway construction helps Africa realize modernization », 21 septembre 2015,

http://news.xinhuanet.com/english/2015-09/21/c_134645672.htm, 25/10/2016. 83 Ibid. 84 Voir TCHOUPIE André, « La dialectique État/société dans la dynamique d’institutionnalisation d’une intégration

spécifique entre le Cameroun et le Gabon en Afrique centrale », Annales de la FSJP de l’Université de Dschang, 2015,

p. 41.

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des frontières, « les marchandises circulent plus facilement que les hommes »85 en Afrique. La

décision prise lors du 27e sommet de l’UA en juillet 2016 à Kigali, par les « acteurs du haut »,

d’instaurer un passeport panafricain viserait à renverser cette tendance. Etant donné que le voyage

par train est plus massif et moins coûteux que l’avion, il est plus susceptible de créer des contacts

à grande échelle entre les peuples et de favoriser l’émergence progressive des identités

dénationalisées. Tel est le cas du corridor de Benguela. Le site du Tazara86 indique qu’il a contribué

à renforcer les interactions entre les populations de Tanzanie, de Zambie, du Malawi, de la RDC

ainsi que du Burundi et du Rwanda, effaçant relativement les frontières tant physiques que

mentales issues de Berlin. Au total, en 2016, le TanZam avait déjà permis le transport d’au moins

4 millions de personnes. Citons aussi le corridor djibouto-éthiopien. Il rend particulièrement plus

perméables les rencontres entre les tribus afare, qui vivent de part et d’autre de la frontière, et entre

les populations éthiopiennes et djiboutiennes en général. Le développement accru du ferroviaire

pourrait donc permettre aux Africains, dont les 4% vivent dans des territoires fermés87, d’être

progressivement extirpés de leur enclavement. Pourtant, malgré l’optimisme visible au sommet

des Etats, des remous sociaux et l’absence de transfert de technologie témoignent d’une

péréquation imparfaite entre les États bénéficiaires du rail et la Chine.

2- Les chaînons manquants : entre remous sociaux et déresponsabilisation des

acteurs africains

De toutes les critiques adressées à la Chine et ses à entreprises opérant dans la construction

en Afrique, les plus virulentes sont liées à l’inobservation des normes du travail. A cette asymétrie,

ajoutons une autre, le transfert de technologie qui fait défaut dans ce partenariat que la Chine

qualifie de « gagnant-gagnant », ce qui induit une certaine déresponsabilisation des acteurs

africains.

85 MAGNOUT Christelle, « Glasser A. De l'OUA à l'UA : l'avis d'Antoine Glaser de la Lettre du Continent »

http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/sommet-union-africaine-janvier-

2010/p-6822-De-l-OUA-a-l-UA-l-avis-d-Antoine-Glaser-de-la-Lettre-du-Continent.htm, consultée le 20 octobre

2016. 86 http://tazarasite.com/?cat=3, consulté le 12 juillet 2021. 87 BROADMAN (H. G.), op. cit., p. 6.

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Relativement à la violation des normes du travail, cause des remous sociaux, notons que

des affrontements entre chefs d’entreprises chinoises et employés locaux désireux de tirer un plus

grand profit du rail persistent. En effet, outre les mauvais traitements évoqués, les employés

accusent généralement non seulement les entreprises chinoises de leur verser des salaires de

famine, mais aussi de procéder aux licenciements abusifs. Au Kenya par exemple, où 20.000

locaux et 2.000 Chinois ont participé à la construction de la ligne ferroviaire Mombasa-Nairobi,

des travailleurs qui exigeaient une augmentation de moitié de leur salaire journalier furent

licenciés.88 Le 2 août 2016, environ 200 émeutiers s’armèrent de bâtons et de pierres à l’aide

desquels ils bloquèrent les routes, puis, blessèrent, à l’aide d’armes blanches, 14 Chinois du staff

de la China Road and Bridge Corporation (CRBC).89 Les grévistes pointaient aussi du doigt la

« mauvaise réputation » de la CRBC qui ne leur attribuait que des tâches et postes subalternes ;

importaient une main d’œuvre chinoise bon marché, y compris des chauffeurs, et draguaient,

« secrètement », les fonds des plages kenyanes desquelles ils récoltaient du sable utilisé ensuite

sur le chantier en construction.90

Interpellé sur le traitement salarial « inégal »91 réservé aux Africains lors de sa tournée

africaine en 2014, le PM chinois avait qualifié des réclamations similaires à celles du Kenya de

« cas isolés » dans une coopération qu’il jugeait mutuellement bénéfique. Il mobilisait, pour s’en

convaincre, des projets sociaux : hôpitaux, écoles, stades et points d’eau potable qui accompagnent

les infrastructures ferroviaires, routières, etc. Toutefois, à l’occasion d’un symposium auquel

participaient les entreprises chinoises en Angola, Li Keqiang avait appelé toutes les autres

entreprises sur le continent à « préserver l’image de la Chine en se conformant aux lois, cultures

et coutumes locales ».92 Ces propos, qui n’ont vraisemblablement pas été suffisamment suivis,

88 Ces derniers exigeaient 500 shillings, soit 5 dollars américains, au lieu des 250 shillings qui représentent le salaire

moyen auquel a droit un travailleur non qualifié. Cf. TOMASEVIC Goran “Kenyan rail workers are protesting

against their Chinese employer for a raise—to $5 a day”, 2016, http://qz.com/749177/kenyan-rail-workers-are-

protesting-against-their-chinese-employer-for-a-raise-to-5-a-day/, 28/10/2021. 89 Ibid. 90 Ibid. voir également BUCHANAN Elsa, « Rise in anti-Chinese violence in Kenya forces halt of major rail project

», BST, 19 août 2016, http://www.ibtimes.co.uk/rise-anti-chinese-violence-kenya-forces-halt-major-rail-project-

1576945, 28/10/2016. 91 NATHALIE Ornell, « Premier Li Keqiang called disputes arising from China’s relationship with Africa

“growing pains’’ », China Digital, 05 mai 2014, http://chinadigitaltimes.net/2014/05/premier-sino-africa-disputes-

just-growing-pains/, 28/10/2016. 92 http://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/topics_665678/lkqzlcfasebyfmnrlyaglkny/t1155445.shtml, 28/10/2016.

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témoignent de ce que le partenariat demeure peu équitable. Car, malgré la réciprocité entre la Chine

et les États africains, leurs intérêts restent loin d’être « symétriques ».93 Pour emprunter

l’expression du sociologue américain Erving Goffman, il y a un hiatus entre la partie chinoise qui

se « présente au quotidien »94 aux Africains comme « une force pour le bien »95 et la réalité vécue

par ces derniers.

D’ailleurs, en Ethiopie tout comme au Kenya, la situation n’est pas loin d’être similaire.

La ligne djibouto-éthiopienne a été pendant six ans environ gérée au grand dam des deux pays

bénéficiaires. Le train, chinois, a eu à sa tête des chefs de gare, des techniciens, des contrôleurs et

des personnels navigants chinois travaillant pour les Ethiopiens et les Djiboutiens. Comme l’a

motivé Mekonnen Getachew, le responsable du projet pour la Compagnie ferroviaire éthiopienne :

« Nous n'avons pas encore l'expérience nécessaire. L'accord de gestion prévoit la présence de

personnels chinois pendant cinq ans, avec un homologue éthiopien en formation ».96 Ce n’est

qu’en 2019, que de jeunes Ethiopiens et Djiboutiens se sont rendus en Chine pour suivre des

formations théoriques et techniques, en vue de l’exploitation et de la gestion d’un chemin de fer

électrique.97 L’absence de formation des gestionnaires éthiopiens et djiboutiens, en Chine

notamment, au même moment que la construction du rail, incline à penser que par-delà la quête

des ressources naturelles, la Chine saisit ainsi l’occasion pour trouver des emplois à ses

compatriotes dans des pays africains où le chômage demeure pourtant ambiant.

En ce qui concerne le défaut de transfert de technologie, il conduit inéluctablement à la

déresponsabilisation des acteurs africains. A l’instar du modus operandi de l’Europe coloniale hier,

tout laisse penser que la Chine donne plus du poisson à l’Afrique qu’elle ne lui apprend à pêcher.

93

KEOHANE (O. R.) et NYE (S. J. Jr.), « Power and Interdependence Revisited », op. cit., p. 730. 94 GOFFMAN Erving, The presentation of self in everyday life, University of Edinburgh,

Social Sciences Research Centre 39 George Square, Edinburgh 8 Monograph No. 2, 1956, 174 p. 95 Ces propos sont de Steven Zhao, responsable de la CRBC, entreprise chargée de construire la portion kenyane de

la ligne ferroviaire est-africaine. TOMASEVIC (G), “Kenyan rail workers are protesting against their Chinese

employer for a raise—to $5 a day”, op. cit. 96 La dépèche.fr, « Ethiopie: inauguration d'un train chinois pour relier Addis-Abeba au port de Djibouti », 05 octobre

2016. http://www.ladepeche.fr/article/2016/10/05/2433175-ethiopie-inauguration-train-chinois-relier-addis-abeba-

port-djibouti.html, 10/10/ 2016. 97 NGUEYAP Romuald, « Le chemin de fer Ethiopie-Djibouti, géré par la Chine, aura des chauffeurs locaux d’ici

2020 », Agence Ecofin, 17 octobre 2019, consulté le 22/11/2021 sur

https://www/agencecofin.com/transports/1710.70230-le-chemin-de-fer-ethiopie-djibouti-geree-par-la-chine-aura-

des-chauffeurs-locaux-d-ici-2020.

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Pour mobiliser un adage très populaire à l’Ouest-Cameroun, nous dirions que « la Chine vend à

l’Afrique la chèvre, mais retient la corde ».98 Ce d’autant plus que, dans le domaine du ferroviaire

comme dans d’autres en effet, « le transfert de technologie est encore très rare »99. Lors de la

construction du corridor de Benguela par exemple, « tout est venu de Chine : ciment, wagons,

locomotives, rails, outils de communication, etc. »100. Hormis l’Afrique du Sud101 où 85

locomotives ont été assemblées localement après que la China South Locomotive and Rolling

Stock Corporation Ltd en avait fabriqué 10 pour Pretoria, la Chine construit encore tout pour

plusieurs pays africains. A dire vrai, l’objectif de la Chine, commercial d’abord, est comme l’a

expliqué Clerc-Renaud, « d’écouler ses excédents d’acier et de maintenir l’activité de ses ateliers

de matériels ferroviaires tournant jusqu’alors à plein régime pour équiper la Chine…».102

L’Afrique apparaît donc pour Pékin comme un débouché pour sa technologie.

Or, le montage, en Afrique, d’usines de production du matériel roulant permettrait aux

bénéficiaires de s’approprier la technologie ferroviaire, et réduirait, sur le long terme, leur

dépendance vis-à-vis de la Chine et surtout la déresponsabilisation du continent. Dès lors,

renverser la tendance en partant du modèle « made in China » à « made in Africa » et plus tard

« made by ‘’Africa’’ » serait un gage de coopération mutuellement bénéfique. Naguère « bons à

ne faire que du textile », les Chinois se sont eux-mêmes responsabilisés en exigeant des

investisseurs et constructeurs américains, japonais et européens, le deal matières premières contre

industrialisation et transfert de technologie.103 Ignorer cette variable relèguerait davantage les

98 Chez les Bamiléké de l’Ouest-Cameroun, entre autres, le très populaire proverbe « vendre la chèvre et retenir la

corde » désigne le fait pour un marchand de transférer de façon incomplète la marchandise acquise par le client. En

l’espèce, il renvoie à la volonté de la Chine de garder une emprise sur le domaine du ferroviaire en Afrique au détriment

des Africains et la construction de la dépendance du continent à son égard à travers l’absence du transfert de

technologie. La « chèvre » représente donc le chemin de fer et le matériel roulant qui demeurent construits par la

Chine, tandis que la « corde », cardinale, renvoie à la technologie à la base de la production du rail et des équipements

nécessaires pour faire fonctionner les lignes ferroviaires. 99 GUMEDE William « One-sided relationship between Africa and China is increasingly irking Africans », World

Commerce Review, décembre 2014, p. 20. , 100 LE BELZIC Sébastien. « La Chine et la diplomatie des transports », Le Monde, 02 février2015,

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/02/02/la-chine-et-la-diplomatie-des-transports-en-

afrique_4567960_3212.html ; Lei Z. « Angola rail line, built by China, gets rolling », Chnadaily 16 février,

http://www.chinadaily.com.cn/world/2015-02/16/content_19600829.htm, 20/10/2016. 101 Cf. Album des Résultats des 15 Années du Forum sur la Coopération Sino-Africaine, op. cit., p. 99. 102

CLERC-RENAUD (P.) « La mondialisation chinoise sur les rails », op. cit. 103 Ainsi, la firme américaine General Electric fut obligée, pour avoir accès au marché ferroviaire chinois, de concéder

la construction de certaines locomotives en Chine tout comme le Japon qui, convoitant les ressources naturelles

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Africains à la division internationale du travail qui leur confère la place de pourvoyeurs de matières

premières brutes et d’éternels consommateurs de technologies importées. Il leur revient donc de

renégocier leurs intérêts dans le jeu de l’adversité internationale.

Conclusion

Au terme de cette étude sur la contribution de la Chine en interaction parfois conflictuelles

avec d’autres acteurs concurrents impliqués dans la dynamique de configuration de micro-espaces

intégrés en Afrique susbsaharienne, il ressort que Pékin s’y affirme comme un bâtisseur des ponts

entre les territoires par le rail. En Afrique, la Chine contribue, comme l’aurait dit Bertand Badie,

à la « révision de la géographie westphalienne dont la marqueterie figée n’est plus à l’échelle du

temps ».104 Selon Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères, en septembre 2015, les

entreprises chinoises avaient déjà construit 5 675 kilomètres de chemins de fer en Afrique.105

Contrairement à l’Europe qui divisa l’Afrique pour régner, tout laisse penser que la Chine l’intègre

pour régner. Tout en configurant des micro-espaces au sein desquels se crée une interdépendance

certaine entre les économies, le rail sert en même temps de carte de visite pour les intérêts

géopolitiques et géoéconomiques de la Chine. La Chine souhaite accroître son « soft power » au

détriment de l’Europe dont elle efface symboliquement les traces sur le continent. Aussi, envisage-

t-elle poursuivre sa croissance économique en exploitant l’important potentiel énergétique de

l’Afrique et le milliard de consommateurs de ses produits bon marché. Cette approche intégratrice,

qui vise à recomposer les territoires est très appréciée par les dirigeants. Ceux-ci la perçoivent

comme une aubaine pour booster les échanges intra et extra-africains. Cependant, les manœuvres

locaux, moins compétitifs dans le domaine de la construction par rapport à leurs collègues chinois,

considèrent plutôt les entreprises chinoises des travaux publics comme des « exploiteuses » du fait

chinoises, fut contraint par la Chine d’opérer un transfert de technologie en sa faveur et les industries dont elle avait

besoin pour sa croissance économique. Sur ces deux exemples, voir respectivement U.S. Congress Office of

Technology Assessment, Technology Transfer to China, OTA-ISC-340 Washington, DC: U.S. Government Printing

Office, 1987, p. 6 ; BRAUTIGAM Deborah, « Africa’s Eastern Promise What the West Can Learn From Chinese

Investment in Africa », Foreign Affairs, No 5, janvier 2010, p. 1. 104 BADIE Bertrand, Un monde sans souveraineté : les États entre ruse et responsabilité, Paris, Fayard, 1999, p. 169. 105 Xinhua, « Infrastructures : les Chinois s’engagent dans des projets prometteurs pour l’intégration économique en

Afrique », French/news.cn http://french.xihuanet.com/2015-12/27/c_134954599.htm consulté le 12/10/2021.

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des asymétries dans le traitement. Il convient dans ce sens de se souvenir qu’en 1978, lorsque la

Chine ouvre ses frontières aux investisseurs étrangers qui s’empressent de l’inonder d’une main

d’œuvre qualifiée, elle exige la formation et l’emploi de ses compatriotes en limitant l’octroi des

visas aux travailleurs importés.106 Le réalisme voudrait que la Chine participe à la formation d’une

main d’œuvre panafricaine capable de suppléer ses « bulldozers » certes très appréciés sur le

continent pour leur travail rapide. Bien plus, n’est-il pas temps pour les acteurs africains de

négocier, auprès de la partie chinoise, la « corde », c’est-à-dire la technologie que lui a vendue

l’Occident ? Le transfert de technologie est ce sans quoi le mémorandum d’entente pour la

construction des infrastructures de transport multimodales, signé entre la Chine et la Commission

de l’UA le 27 janvier 2015 à Addis-Abeba, 107 ne serait autre chose qu’un marché de dupe.

106 Voir DOLLAR David, China’s Engagement with Africa: From Natural Resources to Human Resources, The John

L. Thornton China Center at Brookings, Washington, 2016, p. 77. 107 Voir LE BELZIC Sébastien, « La Chine et la « diplomatie des transports » en Afrique », Le Monde, 22 février

2015.

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