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Les relations siège filiales dans les pratiques deresponsabilité sociale: Lafarge et la lutte contre le sida
en AfriqueFlorent Pestre
To cite this version:Florent Pestre. Les relations siège filiales dans les pratiques de responsabilité sociale: Lafarge et lalutte contre le sida en Afrique. XVIè conférence de l’AIMS, Jun 2007, Montréal, Canada. pp.XX,2007. <halshs-00170297>
Les relations siège-filiales dans les pratiques de
responsabilité sociale : Lafarge et la lutte contre le sida en
Afrique
Florent Pestre
Doctorant
Centre de Recherche DMSP
Dauphine Recherches en Management
Université Paris Dauphine
Place du Maréchal de Lattre de Tassigny
75775 Paris Cedex 16 France
06 76 29 52 56
L‟objectif de cet article est d‟analyser le processus de mise en œuvre de la Responsabilité
Sociale de l‟Entreprise (RSE) au sein des firmes multinationales. Une étude de cas retrace la
mise en œuvre du programme de lutte contre le sida du Groupe Lafarge en Afrique. L‟angle
d‟attaque retenu dans cette illustration est celui des relations entretenues entre le siège et les
filiales et l‟article vise ainsi à contribuer aux trois questions suivantes. La gestion des enjeux
de RSE au sein d‟une firme multinationale nécessite-t-elle l‟élaboration de systèmes de
pilotage spécifiques ? Quelle est l‟influence et l‟importance du contexte local sur le
comportement des filiales ? Comment les filiales peuvent-elles développer des initiatives
locales pertinentes dans un cadre de RSE global ?
Responsabilité sociale de l‟entreprise, étude de cas, firmes multinationales, relations siège-
filiales
2
Les relations siège-filiales dans les pratiques de
responsabilité sociale : Lafarge et la lutte contre le sida en
Afrique 1
L‟objectif de cet article est d‟analyser le processus de mise en œuvre de la Responsabilité
Sociale de l‟Entreprise (RSE) au sein des firmes multinationales. Une étude de cas retrace la
mise en œuvre du programme de lutte contre le sida du Groupe Lafarge en Afrique. L‟angle
d‟attaque retenu dans cette illustration est celui des relations entretenues entre le siège et les
filiales et l‟article vise ainsi à contribuer aux trois questions suivantes. La gestion des enjeux
de RSE au sein d‟une firme multinationale nécessite-t-elle l‟élaboration de systèmes de
pilotage spécifiques ? Quelle est l‟influence et l‟importance du contexte local sur le
comportement des filiales ? Comment les filiales peuvent-elles développer des initiatives
locales pertinentes dans un cadre de RSE global ?
1 The data was collected from a case study conducted in a French multinational company, Lafarge, to which I
am very indebted for the information, time and collaboration generously provided
3
Introduction
Comment les firmes multinationales exercent-elles leur responsabilité sociale dans les
multiples environnements dans lesquels elles opèrent ? Le concept de RSE laisse entrevoir un
formidable espoir en termes de contribution au développement et notamment envers les
populations les plus pauvres, dans les pays émergents. Cependant, l‟exercice de la
responsabilité sociale peut aussi, que ce soit par erreur ou par mauvaise interprétation, nuire à
ces mêmes communautés. Le maintien de la légitimité globale d‟une firme multinationale
implique une forte coordination des activités et des pratiques socialement responsables. Mais
le rôle des équipes dirigeantes des filiales n‟est pas, non plus, confiné et limité à la stricte
application des recommandations du siège. Aussi, le type de relations entre le siège et les
filiales revêt une importance capitale dans la gestion de la responsabilité sociale des firmes
multinationales. La littérature sur le sujet de la mise en œuvre de la RSE au sein des firmes
multinationales demeure cependant largement sous développée.
L‟objectif de cette recherche est double. D‟abord, ce papier vise à fournir quelques
perspectives sur le rôle du siège dans la gestion des activités RSE. Plus particulièrement,
l‟étude porte sur le pilotage des activités de RSE et, notamment, sur l‟utilisation des outils et
des mécanismes de coordination, de contrôle et d‟incitation appropriés. Ensuite, la recherche
propose une clarification du rôle de la filiale dans le développement d‟initiatives RSE
pertinentes. Cela permet de prendre en considération l‟influence des contextes locaux sur les
activités de RSE.
L‟engagement du secteur privé à combattre le sida est un exemple concret d‟application du
discours de développement durable. Jusqu‟à présent, la plupart des entreprises
reconnaissaient que la pandémie était l‟une des plus importantes préoccupations humanitaire
et économique rencontrées en Afrique sub-saharienne2. De Jongh (2004) estime que le
VIH/SIDA constitue une catastrophe humanitaire et que les entreprises, en Afrique du Sud,
considèrent leur participation à la lutte contre la maladie comme absolument nécessaire.
Margolis et Walsh (2003 : 271) indiquent que : « l’étendue des problèmes rencontrés, que ce
2 « Perhaps, the biggest challenge we face when operating in Southern Africa is the HIV/AIDS epidemic »,
Speech of Tony Trahar, Anglo American CEO, to the World Summit, 31st August 2002
4
soit celui de la malnutrition, du VIH, de l’illettrisme ou du logement, implique de prendre en
considération toute forme d’aide disponible, et notamment celle des entreprises »3. Par
conséquent, ce papier considère la politique VIH/SIDA comme un proxy pertinent des enjeux
de RSE. Une étude de cas centrée sur la mise en œuvre d‟une politique VIH/SIDA dans une
grande entreprise multinationale française est ainsi proposée.
La première partie de cet article propose une revue de la littérature sur les travaux en RSE et
sur les firmes multinationales. Son but est de relier ces deux domaines bien séparés. La
deuxième partie expose la méthodologie de la recherche et justifie le recours à l‟étude de cas
unique. La troisième partie décrit le cas étudié. Elle dresse un tableau de l‟épidémie, poursuit
avec une biographie de Lafarge et introduit les différents traits du programme VIH/SIDA du
groupe Lafarge. Suit une description des initiatives de la filiale sud-africaine. En décrivant le
processus, cette recherche tente d‟identifier certains des facteurs qui facilitent ou gênent la
mise en œuvre de la RSE au sein de la MNC. La dernière section propose une discussion et
des voies de recherche, elle conclue sur les limites de cette étude de cas.
Revue de la littérature
Entreprises multinationales et Responsabilité Sociale de l’Entreprise
La responsabilité sociale est difficile à définir. Le concept est apparu dans les années 1960 et
peut être même plus tôt, et était profondément enraciné dans des conceptions morales et dans
la primauté des intérêts humains sur ceux de l‟entreprise. Les recherches apparaissent
principalement comme une prescription de considérations morales aux entreprises. Elles
invitent les entreprises à faire davantage de choses pour la prospérité sociale (Wood, 2000).
McWilliams et Siegel (2001) ont défini la RSE comme des situations où l‟entreprise va au
delà de la conformité et s‟engage dans « des actions qui semblent apporter un bien-être
social, au delà des intérêts de la société et de ce qui est requis par la loi »4. Le Pacte
3 “The sheer magnitude of problems, from malnutrition and HIV to illiteracy and homelessness, inspires a turn
toward all available sources of aid, most notably corporations” 4 “actions that appear to further some social good, beyond the interests of the firm and that which is required by
law”
5
Mondial des Nations Unies (Global Compact, 2003)5 suggère trois domaines conceptuels
pour caractériser la RSE : les droits de l‟homme, le travail et l‟environnement. Cependant,
l‟idée de RSE a été critiquée en affirmant que c‟était trop vague et trop ambigu. Les travaux
traitant de RSE distinguent deux motivations différentes pour l‟engagement dans des actions
de RSE. Tout d‟abord, des entreprises adoptent une approche purement philanthropique avec
peu de souci de gain pour l‟entreprise. Baron (2001) explique que si la motivation est de
servir la société, au détriment des profits, l‟action est „socialement responsable‟. Ensuite,
certaines entreprises intègrent leurs programmes de RSE dans leur stratégie en cherchant des
impacts favorables à leurs intérêts économiques. Baron indique que si la motivation est
orientée „business‟, alors l‟action est „privately responsible‟. Dans ce cas, il peut y avoir des
bénéfices sociaux supérieurs aux coûts de l‟action entreprise par la firme.
Certains chercheurs affirment que le mot de RSE est peu à peu remplacé par „citoyenneté de
l‟entreprise‟ (Logsdon et Wood, 1999), un changement normatif dans la façon de comprendre
comment les entreprises devraient agir vis-à-vis de leurs parties prenantes. Plus récemment,
Logsdon et Wood (2002) et Wood et al. (2006) ont défini le concept de Global Business
Citizen comme « une entreprise (incluant ses managers) qui exerce de façon responsable ses
droits et applique ses devoirs aux individus, aux parties prenantes, et aux sociétés dans et en
dehors de ses frontières nationales et culturelles »6 (2006: 35). Cette définition illustre deux
grandes transformations dans l‟unité d‟analyse : de l‟individu à l‟organisation et du niveau
local au niveau global.
La littérature qui examine la RSE dans un contexte international est encore à un stade
embryonnaire. Cependant, comme le dit Arthaud-Day (2005: 19), « les entreprises
multinationales représentent une force puissante dans le nouvel ordre économique actuel, et
la question de savoir quelles relations elles entretiennent avec les sociétés dans le monde, est
un problème qui vaut bien notre attention »7. Les entreprises multinationales explorent de
plus en plus les marchés émergents dans les pays en développement (London et Hart, 2004).
Les marchés dans les pays en développement présentent à la fois de formidables opportunités
et de grands défis. Cependant, un des enjeux cruciaux rencontrés par les entreprises
5 Compact for the New Century, http://www.un.org/partners/business/davos.htm
6 “a business enterprise (including its managers) that responsibly exercices its rights and implements its duties
to individuals, stakeholders, and societies within and across national and cultural boarders” 7 “multinational companies are a powerful force in the new, emerging economic order, and the question of how
they relate to societies worldwide is an issue well worth our attention”
6
multinationales implique la création et le maintien de leur légitimité. Kostova et Zaheer
(1999) font la différence entre la légitimité de l‟entreprise multinationale, considérée comme
une entité globale, et celle de ses différentes composantes, dispersées au sein de multiples
contextes. En effet, de telles entreprises évoluent au sein d‟environnements et de cultures
différents. En tant que résidents locaux, elles doivent se conformer aux règles de chaque pays
et prendre en compte les différentes conditions socio-économiques. Avec
l‟internationalisation des parties prenantes, les entreprises multinationales ont à faire face à
des attentes sociales de plus en plus complexes. Celles-ci peuvent entrer en contradiction les
unes envers les autres. Les entreprises doivent ainsi concilier les attentes des différents
groupes de parties prenantes et des Organisations Non Gouvernementales (ONG). Les
institutions internationales, telles que l‟Organisation pour la Coopération et le
Développement Economique (OCDE), et le Pacte Mondial des Nations Unies, font pression
sur les entreprises multinationales pour qu‟elles adoptent des standards communs
harmonisés. La gestion des questions de RSE dans les entreprises multinationales demeure
peu étudiée dans la littérature.
Le champ théorique de l‟éthique des affaires internationales pose la question centrale
suivante : comment devraient se conduire les dirigeants, à l‟étranger, lorsque les standards du
pays d‟accueil sont plus bas que ceux du pays d‟origine ? Donaldson et Dunfee (1999)
indiquent que les dirigeants internationaux doivent agir dans des sphères troubles, à la croisée
de différentes cultures. La mise en œuvre des politiques éthiques nécessite d‟être bien
pensée, articulée et requiert une attention bien particulière.
De nombreux cas illustrent les „meilleures pratiques‟ dans le domaine de la RSE
internationale8, il existe des actions exemplaires et remarquables. Beaucoup d‟expériences
sont actuellement développées. Elles suggèrent des pistes intéressantes d‟apprentissage quant
aux relations entretenues entre l‟entreprise multinationale et ses parties prenantes. En effet,
on ne sait pas comment ces initiatives naissent et se développent au sein de l‟entreprise. Cet
article propose d‟analyser les activités de RSE sous l‟angle des relations siège-filiales.
8 See, for example, the collection of case studies proposed by the World Business Council on Sustainble
Developement WBCSD: www.wbcsd.org
7
Les entreprises multinationales et la mise en oeuvre de politiques globales
La gestion des relations siège-filiales s‟est révélée être un enjeu crucial pour les dirigeants
des entreprises multinationales. L‟approche centre-périphérie considère que le phénomène
d‟intégration dans les grandes organisations complexes dépend principalement de deux
procédés. : le contrôle et la coordination (Baliga et Jaeger, 1984; Roth et Nigh, 1992). Une
synthèse des mécanismes formels et informels de coordination et de contrôle, utilisés
traditionnellement par les entreprises multinationales, est fournie par Martinez et Jarillo
(1989). Il apparaît que les mécanismes formels et bureaucratiques sont limités dans leur
capacité à coordonner et à contrôler les filiales étrangères. Les approches informelles ont pris
énormément d‟importance dans les entreprises multinationales. Alors que la recherche s‟est
développée, la perspective s‟est élargie de l‟étude d‟une simple relation parent-filiale à
l‟étude d‟un type de relations plus complexes. Ghoshal et Bartlett (1990: 603) ont définit
l‟entreprise multinationale comme “un réseau intra organisationnel ancré dans un réseau
externe composé de toutes les autres organisations telles que les clients, les fournisseurs, les
régulateurs, etc. et avec lesquelles les différentes unités de l‟entreprise multinationale doivent
interagir »9. Roth et Morrison (1992) ont examiné le lien entre les caractéristiques des filiales
et le choix de la mise en oeuvre d‟une stratégie globale. L‟entreprise multinationale a été
décrite comme créatrice de connaissances et comme pôles d‟apprentissage (Macharzina et
al., 2001). Plus récemment, l‟attention des chercheurs s‟est portée vers le rôle de la filiale
dans l‟entreprise multinationale. L‟orientation filiale a été adoptée pour étudier le potentiel
que représente le comportement entrepreneurial de certaines filiales (Birkinshaw, 1997;
Birkinshaw et al., 2005). L‟importance d‟étudier de manière équilibrée les relations entre le
siège et les filiales a été mis en évidence par le travail d‟ O‟Donnell (2000). L‟auteur affirme
que l‟utilisation des mécanismes de surveillance, d‟incitation et de compensation, fondée sur
la théorie de l‟agence, n‟est pas suffisante pour expliquer le phénomène de contrôle de la
filiale étrangère. L‟étude de l‟interdépendance au sein de l‟entreprise est nécessaire.
Birkinshaw et Hood (1998) proposent un cadre pour analyser le rôle de la filiale. Trois
facteurs interviennent : la recommandation („assignment‟) du siège, le choix de la filiale et le
déterminisme de l‟environnement local. Les recommandations du siège comprennent les
9 “an interorganizational network embedded in an external network consisting of all other organizations such
as customers, suppliers, regulators and so on, and with which the different units of the MNC must interact”
8
décisions prises par les dirigeants du siège en ce qui concerne l‟allocation des activités à la
filiale. Le choix de la filiale concerne les décisions prises par les dirigeants de filiales quant
aux activités entreprises par la filiale. Le déterminisme de l‟environnement local est
l‟influence des facteurs du contexte local sur les décisions prises par les dirigeants du siège
et/ou de la filiale en ce qui concerne les activités entreprises par la filiale. Kostova (1999)
analyse le phénomène du transfert transnational de pratiques organisationnelles stratégiques.
Dans sa recherche, l‟auteur met en évidence trois types de facteurs : sociaux,
organisationnels et relationnels. Le contexte social fait référence à la distance institutionnelle
entre les pays d‟origine et d‟accueil de l‟entreprise. Le contexte organisationnel considère le
degré de compatibilité entre la culture organisationnelle de la filiale et la pratique. Le
contexte relationnel fait référence aux types de relations entretenues entre le siège et la
filiale. Il y a donc trois différents niveaux d‟étude : pays, organisation et individu.
Christmann (2004) examine deux niveaux pour expliquer les déterminants de la
standardisation de la stratégie globale et de la conduite environnementale de la firme
multinationale. Il s‟agit à la fois des parties prenantes externes à l‟entreprise et des
caractéristiques internes de l‟entreprise multinationale.
A partir de cet exposé rapide de la littérature, trois types de facteurs s‟avèrent être important
dans le processus de mise en place des politiques générales dans l‟entreprise multinationale.
- le rôle du siège dans la conception du programme et dans l‟élaboration des outils et
des mécanismes appropriés de coordination et de contrôle.
La littérature sur les relations centre-périphérie révèle des facteurs tels que le degré de
formalisation du programme, le degré de planification, le type de contrôle et l‟impact de la
culture, le niveau de centralisation de la prise de décision, les systèmes de pilotage et les
outils de reporting.
- Les caractéristiques de la filiale
Pour comprendre le comportement de la filiale, quelques aspects essentiels se dégagent : le
rôle du dirigeant de la filiale, le niveau d‟autonomie, le type de relations entretenues avec le
siège et le type de ressources détenues par la filiale.
9
- Les caractéristiques du contexte local
L‟environnement local peut faciliter ou entraver la mise en place d‟une politique globale. Les
caractéristiques culturelles et les pressions des institutions locales constituent des forces
importantes à prendre en considération.
Methodologie
Etant donné la nature plutôt récente et inexplorée du phénomène, les relations siège-filiales
dans les pratiques de RSE, cet article adopte une stratégie de recherche exploratoire
(Eisenhardt, 1989; Yin, 2003). Les méthodes quantitatives sont traditionnellement largement
privilégiées dans la recherche en management international. Très peu de travaux empiriques
se sont intéressés à l‟application de principes de RSE dans le contexte de la firme
multinationale. L‟objectif de cette recherche est d‟analyser les expériences des praticiens qui
évoluent à différents niveaux dans l‟organisation et qui sont concernés par l‟application des
principes de RSE. La question de recherche fournit le fil directeur et contribue à identifier les
questions pertinentes (Yin, 2003). Cela implique de collecter des données aux deux
niveaux suivants : d‟une part sur la stratégie utilisée par le siège dans l‟élaboration de la
politique RSE et sur la conception des systèmes de pilotage appropriés, et d‟autre part sur la
mise en œuvre concrète au sein des filiales. L‟objet de l‟étude est l‟application de la politique
VIH/SIDA dans une grande entreprise multinationale française, Lafarge, leader mondial en
matériaux de construction.
Le choix de l‟entreprise étudiée est fondé sur deux critères importants. L‟entreprise est tout
d‟abord, une grande entreprise française, fortement internationalisée, et agissant dans plus de
76 pays. Ensuite, l‟entreprise est très engagée dans la voie du développement durable et dans
les problématiques de RSE. En 2006, Lafarge a été reconnue pour la seconde année
consécutive comme faisant partie des 100 plus grandes entreprises mondiales les plus
impliquées dans le développement durable10
. Afin d‟étudier la gestion de la RSE et son
application concrète, il est important de sélectionner des entreprises qui ont la motivation et
l‟envie réelle de mettre en place, de manière effective, les politiques de RSE. Le président de
Lafarge, Bertrand Collomb, est particulièrement sensible aux enjeux éthiques et moraux. Il
10
http://www.global100.org/2006/index.asp
10
affirme que la forte culture du groupe s‟inscrit dans l‟humanisme chrétien porté par les
fondateurs de l‟entreprise. Le fait de focaliser la démarche empirique sur un cas unique
permet au chercheur d‟étudier un phénomène dans son contexte spécifique (Dyer et Wilkins,
1991). Bien qu‟un seul cas ait des limites certaines, le but de l‟étude n‟est pas de confirmer
mais plutôt d‟explorer.
La recherche a été menée pendant l‟été 2005. Plusieurs sources de données ont été utilisées à
des fins de triangulation. Des documents internes ont été consultés (accès au site Intranet),
des documents externes récoltés (tels que les rapports annuels, les études de cas existantes,
les articles de presse, etc.), des entretiens conduits à deux niveaux : des dirigeants au siège et
des acteurs dans une filiale sélectionnée. Une première série de rencontres a été organisée :
15 entretiens en face à face avec des dirigeants au siège de l‟entreprise à Paris, et avec la
principale ONG partenaire. Chaque entretien dure environ une heure et a été réalisé en
français (certains interlocuteurs ont été interrogés plusieurs fois). Par la suite, la filiale sud
africaine a été choisie comme un cas de réussite de la mise en oeuvre du programme
VIH/SIDA, c‟est-à-dire comme un cas exemplaire. Au cours du printemps 2005, l‟entreprise
organise un voyage de presse en Afrique du Sud dans le but de communiquer sur ses actions.
Les plus grands journaux français11
publient dans la foulée des articles sur l‟engagement de
Lafarge dans la lutte contre le sida en exposant des exemples bien précis de la situation locale
et des actions menées sur place par l‟entreprise.
Le dirigeant de cette filiale accepta d‟organiser une visite de 10 jours pour cette recherche.
Des entretiens se sont déroulés au siège à Johannesburg, avec le directeur général et les
dirigeants de l‟entreprise impliqués dans la mise en œuvre du programme VIH/SIDA.
Ensuite, une visite fut organisée dans la plus grande cimenterie, à Lichtenburg, une contrée
reculée connue comme étant très conservatrice. Des rencontres avec des employés ont permis
d‟interroger les ouvriers et employés au plus bas niveau de la hiérarchie. Un long entretien
s‟est déroulé avec l‟infirmière de l‟usine. Un déplacement à Durban a permis de recueillir
l‟opinion du Directeur de la Division Granulats & Béton et de rencontrer également des
employés et ouvriers travaillant dans la carrière. De manière indépendante, un contact a été
noué avec un Professeur sud africain de l‟Université de Wits, à Johannesburg. C‟est un
expert dont les travaux portent sur la gestion du problème du sida par les entreprises.
11
Le Monde, Libération, La Croix, Le Point, Alternatives Internationales
11
Finalement, 10 entretiens, d‟une durée moyenne d‟une heure, furent conduits en anglais,
enregistrés puis retranscrits. Les contacts avec les ouvriers, à Lichtenburg et à Durban, furent
plus courts et pas toujours enregistrés, ils s‟ajoutent toutefois aux 10 entretiens réalisés.
Le lecteur critique pourrait remettre en cause la décision d‟étudier un exemple de réussite de
la mise en œuvre du programme et donc le choix de la filiale sud africaine. L‟analyse serait
ainsi d‟un plus grand intérêt si les données étaient aussi collectées sur des cas d‟échecs. Cela
permettrait d‟établir des comparaisons au sein de la même entreprise. Comme le propos de
cet article n‟est pas de généraliser les résultats, le choix s‟est porté sur une étude de cas afin
de collecter des données sur le contexte et afin de mieux comprendre le processus par lequel
la filiale sud africaine développe une initiative locale qui soit en cohérence avec les objectifs
et aspirations du Groupe. Cependant, les entretiens au siège n‟ont pas portés uniquement sur
le comportement de la filiale exemplaire mais aussi sur les difficultés et obstacles rencontrés,
quel que soit le pays, dans le processus de mise en œuvre dans son ensemble. De plus, un
entretien téléphonique avec le directeur général de la filiale nigérienne (WAPCO) a permis
d‟évoquer les difficultés d‟application du programme VIH/SIDA rencontrées dans ce pays-là.
La recherche par étude de cas est fiable si l‟on obtient les mêmes résultats en répétant la
collecte de données (Yin, 2003). Pour des raisons de fiabilité, l‟ensemble des entretiens, en
français ou en anglais, furent enregistrés et retranscrits (cela représente plus de 250 pages A4,
interligne simple), et un protocole pour la collecte des données à été respecté grâce à
l‟utilisation d‟un guide d‟entretien. A la fin du processus de collecte de données, une
monographie du cas fut écrite et soumise, en août 2006, au Directeur Général des Politiques
Sociales du Groupe Lafarge. Cette étape de validation est préconisée par Yin (2003). Pour
des raisons de validité interne, des documents internes et externes furent rassemblés en
suivant une logique de triangulation des méthodes de récolte de données.
Grâce aux entretiens menés au siège, les discussions se sont orientées d‟une part, autour du
vaste thème que constitue les relations siège-filiale et d‟autre part, autour du thème de
l‟élaboration de la politique RSE étudiée. Cela inclut des questions générales sur le type de
contrôle utilisé, sur le reporting, sur les mécanismes traditionnellement utilisés par
l‟entreprise pour interagir avec ses unités opérationnelles, et de manière générale sur les
facteurs clés de succès de la mise en place de politiques générales au sein de l‟entreprise.
12
Ensuite, des questions plus spécifiques concernant le niveau de formalisation du proxy RSE
étudié, le programme VIH/SIDA, furent posées. Les questions embrassèrent les thèmes
suivants, nécessaires à la reconstitution d‟un processus : les différentes étapes suivies dans la
construction du programme VIH/SIDA, le rôle de chaque acteur impliqué dans le
programme, le type d‟interactions entre le siège et la filiale et les outils de pilotage utilisés.
Dans la filiale, un guide d‟entretien différent a été utilisé. Les questions portèrent plutôt sur
le type de soutien, d‟aide, ou de contrainte apporté par le Groupe, sur le positionnement du
siège vis-à-vis de la filiale et sur le type de relations entretenues au sein du Groupe. D‟autres
questions portèrent sur l‟environnement de la filiale et sur les caractéristiques du contexte
local. Enfin, des questions orientaient la discussion sur le rôle des acteurs locaux et sur la
description des différentes étapes suivies et des actions et initiatives de lutte contre le sida
entreprises.
Etude de cas
L’épidémie du VIH/SIDA
Depuis l‟apparition du virus en 1981, 65 millions de personnes ont été infectées par le VIH et
le sida a tué plus de 25 millions d‟individus, un chiffre comparable à celui de l‟épidémie de
peste qui sévit au XIVème siècle. Les conséquences du sida sont dramatiques pour les pays
les plus touchés par l‟épidémie. L‟Afrique compte 13 millions d‟enfants orphelins du sida.
Dans les pays africains, le taux d‟infection parmi les professions médicales et les éducateurs
est particulièrement élevé, ce qui constitue un ravage des ressources humaines, déjà limitées,
dans les domaines de la santé et de l‟éducation. Le secteur privé souffre d‟un taux de rotation
du personnel jamais atteint : certaines entreprises n‟hésitent pas à embaucher trois personnes
pour deux postes vacants, afin de compenser la perte de travailleurs due au sida. Au
Botswana, l‟espérance de vie a chuté de 61 ans en 1990 à 36,3 ans en 200512
. Le continent le
plus touché est l‟Afrique : les deux tiers des personnes infectées par le virus vivent dans les
12
Human Development Report 2005, http://hdr.undp.org/reports/global/2005/pdf/HDR05_complete.pdf
13
pays d‟Afrique Sub-Saharienne13
. D‟après la CIA14
, l‟agence de renseignement américaine,
le taux d‟infection au VIH/SIDA dépassait 21,5% en Afrique du Sud en 2003 et atteignait
37,3% au Botswana. Le sida représente une menace grandissante pour des pays et des régions
situés hors d‟Afrique, et particulièrement en Inde, en Chine et en Europe de l‟Est.
En 2001, l‟utilisation étendue des médicaments antirétroviraux (ARV) a permis d‟allonger la
durée de vie des personnes infectées par le virus du sida en Europe, aux Etats-Unis et dans
les autres pays industrialisés. Les tri-thérapies, une triple combinaison d‟antirétroviraux, sont
de mieux en mieux tolérées, mais inaccessibles à la plupart des personnes vivant avec le
VIH/SIDA. En 2003, seulement 2% des personnes ayant besoin de médicaments ARV en
recevaient15. Les personnes infectées par le virus du sida ont une espérance de vie comprise
entre 3 et 10 ans. En effet, sans médicament, le virus commence à détruire le système
immunitaire et favorise les infections opportunistes, telles que la tuberculose ou le syndrome
de Kaposi, qui entraînent inévitablement la mort.
Au début de l‟année 2001, l‟attention grandissante de la communauté internationale conduit à
une prise de conscience des conséquences sociales et économiques terribles du VIH/SIDA en
Afrique sub-saharienne. Face à une crise de santé publique dramatique, M. Kofi Annan,
Secrétaire général des Nations unies, décide d‟engager celles-ci dans une véritable croisade
contre ce qui est l‟épidémie la plus dévastatrice de l‟histoire moderne. Un des changements
les plus importants qui s‟est produit entre 2000 et 2001 a été la baisse considérable des prix
des médicaments antirétroviraux. Mais si le prix du traitement est passé de 12 000 $ par an et
par personne en 1998 à 700 $ en 2002, la thérapie restait inaccessible pour la majorité des
personnes infectées dans les pays les plus pauvres. En Afrique du Sud, le nombre de
personnes recevant un traitement antirétroviral est passé de 5 000, au début de l‟année 2004,
à environ 190 000, à la fin 200516
.
Cela ne fait que 5 ans que le VIH/SIDA est devenu une préoccupation pour les entreprises.
Les entreprises implantées en Afrique ont été confrontées à l‟impact du VIH/SIDA sur leur
13
Les données sur le SIDA proviennent de l‟UNAIDS, « 2006 Report on the Global AIDS Epidemic »,
http://www.unaids.org/en/HIV_data/2006GlobalReport/default.asp, accédé en juillet 2006. 14
https://www.cia.gov/cia/publications/factbook/geos/sf.html 15
OMS, « Couverture des adultes dans les pays en développement par le traitement antirétroviral, par région en
2003 ». http://www.who.int/3by5/publications/en/3by5strategyfrench.pdf 16
OMS/ONUSIDA (2005), Progress on Global Access to HIV Antiretroviral Therapy: An update on “3 by 6”.
Site Internet accédé en juillet 2006: http://www.who.int/3by5/en/
14
propre lieu de travail et également dans les communautés avoisinantes. Le VIH/SIDA a
soulevé des questions de responsabilité sociale pour les entreprises opérant dans les régions
fortement touchées. La pression des parties prenantes (telles que les syndicats, les
gouvernements, les Organisations Non Gouvernementales) s‟est accentuée dans les années
2000 pour que les entreprises apportent une réponse à l‟épidémie. Créée en 1997, la Coalition
Mondiale des Entreprises (CME) contre le VIH/SIDA (Global Business Coalition on
HIV/AIDS), est un réseau professionnel voué à développer une réponse effective du secteur
privé à une échelle globale. En 2001, la Coalition Mondiale (CME) a mesuré l‟impact de
l‟épidémie sur les opérations des entreprises et a identifié trois coûts directs17
:
- une baisse de la productivité : un absentéisme croissant et un taux de rotation du
personnel élevé, une perte de compétence et d‟expérience et une détérioration du
moral des employés de l‟entreprise ;
- des coûts supplémentaires : tels que la formation et le recrutement des nouveaux
employés, les dépenses de soins et de santé, les fonds de retraites et les frais de
funérailles ;
- des investissements et des profits en baisse, puisque l‟épidémie touche aussi les
consommateurs et les communautés locales.
Le sida représente un sujet sensible et, au delà de ses impacts directs, il peut affecter
significativement les rapports humains dans l‟entreprise : les sentiments d‟exclusion, les
craintes de discrimination, le refus de certains employés de collaborer avec d‟autres, la
circulation de rumeurs sont autant de facteurs pouvant altérer les relations au sein de
l‟entreprise.
De nombreux enjeux et des défis cruciaux
Au début de l‟année 2001, aucune des entreprises multinationales présentes en Afrique
n‟avait de politique contre le sida qui comprenne le traitement pour les employés africains.
17
Pour une analyse approfondie des impacts économiques sur l‟entreprise, voir l‟article de Nattrass N et al,
« Opportunities for Business in the Fight against HIV/AIDS », January 2004, Global Business Coalition on
HIV/AIDS, Site Internet: http://www.kintera.org/atf/cf/{4AF0E874-E9A0-4D86-BA28-
96C3BC31180A}/Executive%20Summary.pdf
15
En 2006, la situation a terriblement changé : les médicaments sont pris en charge par la
plupart des entreprises. Cependant, il reste de nombreux défis à relever.
Aujourd‟hui, la grande majorité des grandes entreprises présentes en Afrique du Sud
prennent en charge les traitements de leurs employés. A la fin de l‟année 2005, le géant
minier Angloamerican affichait un taux de prévalence du sida parmi ses employés de 23% en
Afrique du Sud. 11% d‟entre eux reçoivent une thérapie antirétrovirale, ce qui représente
3034 employés (sur un total de 120 000 employés). Le coût du traitement est estimé à 194 $
par employé et par mois18
. L‟entreprise Heineken, qui possède des brasseries dans six pays
africains, comptait fin 2005, 370 personnes séropositives parmi ses employés. 230 recevaient
un traitement antirétroviral19.
Cependant, la lutte contre le sida ne se limite pas à la simple fourniture de médicaments.
C‟est un processus complexe qui a amené les entreprises à s‟interroger sur des
problématiques nouvelles. En général, les programmes de lutte contre le sida développés par
les entreprises commencent par l‟incitation au test. Le dépistage est relativement simple et
rapide puisqu‟il s‟effectue à partir d‟un échantillon de salive. L‟enjeu consiste pour
l‟entreprise et son management à convaincre l‟ensemble de son personnel de pratiquer ce
test. Cependant, les employés sont souvent suspicieux sur les motivations du management.
En Afrique, l‟entreprise Angloamerican affiche en 2005 un taux de test de 31%. Heineken
affirme, quant à elle, avoir réalisé 5 500 tests durant l‟année 2005 et indique que 70 à 80%
des employés sont testés et plus de la moitié des femmes et des enfants de ces employés l‟ont
également été. En mai 2005, Lafarge indique que 40% de ses employés en Afrique sub-
saharienne ont participé volontairement à des campagnes de dépistage.
Le problème du sida met en évidence l‟imbrication entre des comportements relevant de la
sphère privée et le monde du travail. Autrement dit, le lien entre l‟entreprise et ses
communautés locales est très fort sur un tel sujet. Les frontières de l‟entreprise sont difficiles
à délimiter. Le besoin de traiter les familles et les partenaires des employés soulève la
question de savoir jusqu‟où s‟étend la responsabilité de l‟entreprise. La question se pose
18
Angloamerican Report to Society 2005: http://www.angloamerican.co.uk/static/reports/2006/rts/hc-hiv-
aids.htm 19
Source : Heineken N.V. 2004-2005 Sustainability Report:
http://www.heinekeninternational.com/content/live/files/downloads/InvestorRelations/Heineken%20N.V.%202
004-2005%20Sustainability%20Report.pdf
16
également pour les ex-employés de l‟entreprise : Heineken par exemple continuait en 2005 à
fournir un traitement à 10 de ses ex-employés qui sont séropositifs. La question se pose
également pour les fournisseurs, distributeurs et prestataires de l‟entreprise.
Pour comprendre le rôle que peut jouer le secteur privé dans la lutte contre le sida, il convient
d‟analyser le contexte africain. Des études montrent que la prévalence au VIH est
particulièrement forte chez les travailleurs saisonniers, les travailleurs en contrat déterminé,
et les employés les moins qualifiés. C‟est-à-dire que le sida touche d‟abord les populations
les plus pauvres. En Afrique du Sud, mais aussi dans les pays voisins, le Mozambique, le
Zimbabwe, le Botswana, la vie économique est fondée sur un système de travail migrant.
L‟industrie minière est très développée, elle favorise les mouvements de main d‟œuvre. De
surcroît, la violence et l‟instabilité de certaines régions (guerre en Angola, au Mozambique)
et la famine (au Zimbabwe) amplifient ce phénomène. D‟un point de vue sanitaire, quand les
personnes circulent, les maladies circulent avec elles. Le problème est donc de savoir
comment atteindre et sensibiliser les travailleurs.
Dans les problématiques sociales et d‟aide au développement, l‟approche multi-partenariale
et la notion de co-investissements sont essentielles. Le développement des partenariats
Public/Privé est un moyen d‟impliquer plusieurs acteurs dans la lutte contre le sida. Les
entreprises recherchent, par ce type de partenariat, un ou plusieurs co-financeurs de manière
à intégrer dans leurs démarches toute une série d‟acteurs. Cela permet de réduire le risque de
dépendance que l‟entreprise pourrait créer si elle agissait seule.
Le contexte du Groupe Lafarge: le type de relations siège-filiales
Lafarge est une entreprise de ciment qui a été créée en 1833 dans la vallée du Rhône. Elle
s‟est progressivement métamorphosée pour devenir le groupe leader mondial du secteur des
matériaux de construction, aujourd‟hui présent dans 76 pays et employant 80 000
collaborateurs. Ces dernières années, le groupe a connu une croissance très forte. En huit ans,
le chiffre d‟affaires est passé de 6 413 millions d‟euros, en 1997, à 15 969 millions d‟euros
en 2005.
17
Lafarge a accéléré le rythme de sa croissance en pénétrant de nouveaux pays par l‟acquisition
d‟autres entreprises. Dans le cadre de sa politique de développement, Lafarge a fait deux
acquisitions majeures ; en 1997, l‟entreprise anglaise Redland ; cette acquisition lui a permis
de renforcer sa branche Béton & Granulats et d‟entrer sur le marché de la toiture ; et en 2001,
a eu lieu la plus grande opération de croissance externe, avec le rachat de Blue Circle ; cette
entreprise anglaise était le sixième producteur mondial de ciment. Lafarge est alors devenu le
leader mondial de la fabrication de ciment et le leader dans l‟industrie des matériaux de
construction.
Les marchés émergents affichent des taux de croissance impressionnants et représentent une
forte consommation de ciment. Ces pays sont au cœur de la stratégie d‟internationalisation du
groupe Lafarge. En 2005, Lafarge comptait 7000 collaborateurs en Afrique. Le groupe
possède 12 cimenteries dans la région sub-saharienne de l‟Afrique.
Cette transformation de l‟entreprise en leader global ne fut pas une tâche facile. Lafarge
commença, à la fin des années 1999, à effectuer une restructuration organisationnelle pour
faciliter le processus de changement. L‟entreprise recadra ses politiques de groupe dans
chaque direction fonctionnelle à des fins de simplification, de clarification et de
formalisation. En 2003, l‟entreprise commença une large consultation interne en réunissant
les 800 dirigeants du groupe, à Evian. L‟objectif était de redéfinir l‟ambition de l‟entreprise
et de réécrire ses « Principes d‟action ». Le groupe lança le projet “Leader For Tomorrow”
(LFT) qui formalise l‟ambition du groupe d‟être “le leader incontesté des matériaux de
construction”. Ce document souligne l‟engagement du groupe à être “le fournisseur privilégié
de ses clients, l‟employeur préféré de ses collaborateurs, le partenaire le plus apprécié des
collectivités avec lesquelles il est en relation, l‟investissement préféré de ses actionnaires”.
De plus, le “Lafarge Way” a été mis en place et représente les recommandations sur le style
de management attendu de tous les managers de Lafarge ; il explicite l‟organisation « multi-
locale » du Groupe Lafarge20
. Après la discussion de 2003, le groupe adopta en effet ce
concept de stratégie « multi-locale » qui vise à s‟appuyer sur les forces globales du groupe
sans ébranler l‟esprit entrepreneurial local21
. Chaque entreprise est d‟abord une entreprise
20
Les Principes d‟action du Groupe sont disponibles sur le site Internet : www.lafarge.com 21
“leveraging our global strenghts without undermining our local entrepreneurial spirit”. The Principles of
action can be found on www.lafarge.com
18
locale car les produits ne peuvent pas être transportés à de grandes distances, les relations
avec les communautés locales sont essentielles et les marchés de la construction sont
marqués par des caractéristiques locales. Les relations siège-filiales reposent sur quatre
principes clés : « les divisions sont responsables de la performance et de la réussite de leurs
activités à long terme, la direction générale est responsable des stratégies de long terme et de
l‟identité globale du groupe, les réseaux internationaux accélèrent la capacité à partager
l‟expérience globale et, enfin, le groupe reconnaît l‟importance des initiatives des unités
opérationnelles »22
.
Le Groupe Lafarge et la lutte contre le VIH/SIDA
L‟histoire commença en 2001, lorsque Bertrand Collomb, le président du Groupe Lafarge, se
rendit compte, lors d‟un déplacement en Afrique, de l‟enjeu humain et social que représentait
le VIH/SIDA. A cette époque, il pris conscience de l‟existence d‟un dilemme éthique majeur
car les prix des médicaments antirétroviraux étaient excessivement élevés. On ne savait pas à
quel point l‟entreprise était touchée et il n‟y avait pas de solutions évidentes à proposer.
Bertrand Collomb énonça deux principes de base à respecter dans l‟approche du problème du
sida: la confidentialité et la non-discrimination envers les employés.
S‟en suivi une importante phase de discussion et de réflexion. En 2001-2002, le groupe
cherchait de l‟aide et des exemples dans son environnement externe. En 2002, un partenariat
de long terme fut créé entre Lafarge et Care, une ONG internationale. Ce partenariat, basé sur
l‟apprentissage réciproque, aida le groupe à mettre en forme ses actions contre le sida et à
formaliser son approche. Lafarge s‟engagea rapidement dans des réseaux professionnels et
devint un membre actif de la GBC (la Coalition Mondiale des Entreprises contre le sida23
), et
du PIA (Private Investors for Africa).
En 2002, le groupe décida de lancer un projet pilote en Afrique avec l‟aide de la direction de
zone Afrique. La première étape fut de rassembler et de collecter les initiatives et les actions
existantes grâce à des questionnaires envoyés aux filiales africaines. En même temps, le
22
“divisions are responsible for improving performance and ensuring the long term success of their activities,
corporate is responsible for long term strategies and for the global identity of the Group, international
networks accelerate the ability to share global experience and the recognition that the Group relies on the
initiatives of the Business units” 23
Global Business Coalition on HIV/AIDS
19
groupe demanda aux filiales d‟évaluer les coûts induits du sida sur leurs activités. Le Groupe
fournit aux filiales un outil et une méthode afin de calculer précisément ces coûts.
Un phénomène de cristallisation se produisit l‟année suivante, en 2002-2003, avec la
rencontre entre l‟enjeu éthique et l‟enjeu économique. Gérer le VIH/SIDA est devenu un
facteur clé de succès dans l‟activité. La direction de la région Afrique s‟appropria
véritablement le problème quand il devint un enjeu économique. Le Groupe décida de
renforcer ses ressources en embauchant à temps complet un chargé de mission VIH/SIDA.
La nomination de ce „champion interne‟ se fit en juin 2002 au sein du Département des
Politiques Sociales. Un comité santé Afrique fut créé à la même époque et constitua le fer de
lance du programme de lutte contre le sida. Avec à sa tête le président de la Région Afrique,
le comité regroupait un représentant du Département des Politiques Sociales, les dirigeants
des filiales africaines, un médecin et un représentant de l‟ONG Care.
Après un intense travail de formalisation des politiques avec les partenaires extérieurs à
l‟entreprise (l‟ONG Care, les syndicats, les fédérations, les organisations internationales, les
réseaux professionnels), trois documents principaux furent publiés en octobre 2003 :
- les directives „santé publique‟ du Groupe
- les directives VIH/SIDA du Groupe
- les directives VIH/SIDA de la région Afrique
L‟entreprise insista sur la non discrimination et la confidentialité. Lafarge affirme que « la
santé publique est principalement la responsabilité du gouvernement » mais aussi que
Lafarge agira en cas d‟urgence, notamment si « la contribution de l’entreprise est une partie
intégrante des initiatives de la communauté locale »24
.
Depuis lors, des systèmes de gestion ont été créés pour mettre en application la politique
VIH/SIDA. La Direction de la Région Afrique a conçu, au début 2004, une feuille de route
élaborée à partir des meilleures pratiques locales. Elle décrit les principales étapes à suivre
pour mettre en place un programme VIH/SIDA. Les filiales font face à des enjeux
typiquement locaux mais on leur demande de mettre en application tous les aspects de la
24
“contribution of the company is a component and a support of sustainable local initiatives coming from the
community”
20
politique VIH/SIDA globale du groupe. Les expériences des autres entreprises participant au
PIA ou à la CME furent très utiles dans l‟élaboration de la feuille de route. Pendant les
réunions du comité santé Afrique, un tableau de bord fut utilisé pour comparer et encourager
les filiales sur la base de plusieurs critères. Des visites multi-experts furent organisées et
certains directeurs de filiales eurent leur bonus indexés sur la réalisation des objectifs du
programme VIH/SIDA. Un site Intranet fut créé et mis à la disposition du comité santé
Afrique. Régulièrement mis à jour, il répertoriait les comptes-rendus des réunions, regroupait
les ressources sur la maladie, indiquait les meilleures expériences et les rendait accessibles à
chaque filiale africaine.
En 2006, le département des politiques sociales et le département d‟audit mettaient au point
un référentiel afin de rendre le programme VIH/SIDA „auditable‟. Le groupe cherche à
étendre le programme VIH/SIDA à d‟autres pays (Russie, Inde et Chine en particulier). Le
groupe tire partie de l‟expérience développée dans la lutte contre le sida en l‟appliquant à la
gestion d‟autres maladies chroniques, tel que le paludisme.
Les actions de Lafarge en Afrique du Sud
En 2001, Frédéric de Rougemont fut nommé directeur générale de Lafarge en Afrique du
Sud. Confronté à la pandémie du sida sur le lieu de travail, il fit du problème du sida une
priorité stratégique pour la filiale. Il impulsa une approche structurée pour faire face à
l‟épidémie. Il disposait à l‟époque de très peu d‟informations sur la situation réelle et il se
retrouvait dans une situation d‟incertitude très forte. Il demanda à son équipe de direction
d‟élaborer un programme orienté vers la performance. En 2006, la filiale emploie 2300
collaborateurs et propose un éventail d‟actions de lutte contre le sida, allant du traitement, au
soin et à la prévention. Les aspects principaux de ce programme sont présentés ci-dessous.
- Construction participative du programme en 2001
La première étape fut l‟organisation de réunions dans tout le pays, dans chaque bureau,
cimenterie ou carrière de l‟entreprise. Un consultant externe, expert en matière de gestion du
sida sur le lieu de travail, impliqua les employés et le principal syndicat sud africain (le
Cosatu) dans l‟élaboration d‟un programme pertinent pour Lafarge en Afrique du Sud. La
communication, la consultation et l‟implication des employés ne furent pas chose facile :
21
50% des travailleurs sont illettrés ; 11 langues officielles cohabitent et un climat de suspicion
plane de la part de la population noire vis-à-vis des motivations de la direction de
l‟entreprise.
- Comité VIH/SIDA
Rapidement, un comité chargé des problèmes de VIH/SIDA fut créé sous la supervision du
directeur des ressources humaines. Ce comité regroupe le directeur de la communication et
des directeurs opérationnels. Le pré requis est que chaque directeur, qui peut être confronté
au problème du sida, devrait être préparé à gérer ses employés directement touchés par la
maladie et à intégrer ces préoccupations dans le fonctionnement quotidien de ses opérations.
Le comité définit la politique, planifie les actions et rend des comptes au directeur général.
Le directeur des ressources humaines fait aussi partie du comité santé Afrique, il est ainsi en
contact avec les autres filiales africaines du groupe.
- Dépistage et études KAP (Knowledge, Attitude,
Practice)
Pour obtenir un indicateur du taux de prévalence du VIH au sein de la filiale, une grande
campagne de dépistage eut lieu d‟abord en 2001 et fut répétée les années suivantes. La
connaissance du statut sérologique des employés est la première étape du programme. Pour
des raisons de confidentialité, la campagne de test VCCT (Voluntary Confidential
Councelling and Testing) fut réalisée par un prestataire de services, Lifeworks. Le directeur
général participa lui même au test. Les études KAP portent sur l‟ensemble des employés et
sont réalisées régulièrement. Ces enquêtes évaluent et mesurent les progrès réalisés ou à
réaliser et servent à bâtir les actions conséquentes. Les stratégies sont adaptées selon les
résultats de ces enquêtes et selon l‟évolution des chiffres de la prévalence du virus.
- Communication
La communication sur le sujet a besoin d‟être créative afin de remettre en cause et de changer
les attitudes, les croyances et les pratiques. En 2004, le directeur de la communication a
disposé d‟un budget de $160,000, en 2004, pour mener des actions innovantes et organiser
des événements. Pour éveiller les consciences, on demande aux employés d‟assister à un
certain nombre d‟activités comme les « industrial theaters », ce sont animations basées sur la
mise en scène de la maladie, ou encore à des témoignages de personnes séropositives et à des
22
ateliers organisés par des pairs éducateurs. Des préservatifs sont distribués et Lafarge
promeut leur utilisation grâce à différentes actions pédagogiques.
- Le système de pair éducateur
Lafarge en Afrique du Sud comptait 70 pairs éducateurs en 2005. Ils représentent un maillon
clé du programme VIH/SIDA. Des volontaires de tous les niveaux de l‟organisation et de
profils différents (directeurs/employés, noirs/blancs, parlant des langues différentes,
syndiqués ou pas, hommes/femmes, etc.) reçoivent une formation et du soutien de la part de
l‟entreprise pour démultiplier l‟effort d‟éducation, de prévention, d‟information, de
sensibilisation au sein de l‟entreprise. Les pairs éducateurs répondent aux questions des
employés. Lafarge fournit aussi d‟autres structures telles qu‟un numéro de téléphone
accessible gratuitement par tous les employés. Ce service, géré par un prestataire extérieur,
permet aux employés de trouver de l‟assistance et du soutien sur les sujets du VIH/SIDA. Les
pairs éducateurs organisent des ateliers au cours de l‟année et ils reçoivent, en fin d‟année, un
certificat personnalisé de la part directeur général, attestant de leur travail bénévole, et les
remerciant.
- Traitements
En Juillet 2004, Lafarge Afrique du Sud décida de prendre en charge la totalité des frais de
traitements pour les employés et leurs épouses, ou partenaires. Si Lafarge assume les coûts
des thérapies antirétrovirales, le programme inclut aussi la prise en charge d‟interventions
importantes telles que les conseils diététiques, la fourniture de compléments alimentaires et
de vitamines pour les employés concernés par la maladie. Le coût total du programme
VIH/SIDA représente environ la somme de $500 000 par an. Mais Lafarge sait que le coût de
l‟inaction dépasserait nettement le coût du traitement.
23
Discussion et conclusion
Les préoccupations de Lafarge pour la problématique du VIH/SIDA résultent, en partie, de la
stratégie d‟internationalisation qui a amené l‟entreprise à considérablement investir et
augmenter sa présence sur le continent africain. Le but de cet article était, surtout, de fournir
au lecteur un exemple empirique du processus par lequel l‟entreprise fait face à un enjeu de
RSE internationale. Les différentes étapes suivies par Lafarge sont mises en perspective. Une
analyse plus approfondie est nécessaire pour tirer des conclusions et des recommandations
sur la mise en œuvre de la RSE au sein de l‟entreprise multinationale. Toutefois, voici
quelques voies de recherche présentées autour des trois questions clés de départ.
- Est-ce que la RSE requiert des systèmes de pilotage
spécifiques ?
Il existe des différences mais aussi des ressemblances dans la façon dont la RSE est gérée
quand on la compare à d‟autres types d‟enjeux d‟ordre économique. Pour répondre à cette
question, il faut distinguer deux phases. La première concerne l‟identification d‟un problème
de RSE en termes moraux et éthiques. La deuxième phase concerne la transformation de ce
problème social, moral ou éthique, en un problème „économique‟. C‟est là, un changement
de perspective fondamental. Le processus de mise en œuvre de la RSE dans l‟entreprise
multinationale semble être spécifique pendant la première phase alors qu‟il devient plus
traditionnel pendant la seconde phase. Bien sûr, la direction générale joue un rôle majeur et
crucial, au début du processus, en identifiant et en comprenant l‟enjeu moral et éthique
rencontré par l‟entreprise. Il suit de cette prise de conscience, une forte impulsion de la part
du Président de l‟entreprise : il donne l‟élan nécessaire, dans cet exemple, à l‟engagement de
l‟entreprise dans la lutte contre le sida. Le groupe entre alors dans une phase
d‟expérimentations en découvrant l‟étendue du problème. A ce moment-là, l‟approche n‟est
pas structurée, mais la volonté de s‟attaquer à l‟enjeu de RSE est bien réelle. Le leadership
est important car il y a, au début, une situation de dilemme éthique. A la fin des années 1990,
le coût du traitement est prohibitif et une prise en charge par l‟entreprise semble
inconcevable. L‟engagement dans la lutte contre le sida, ne semble pas, à ce moment-là, être
un combat facile. Puis, la transformation progressive d‟une perspective morale à une
perspective économique pousse l‟entreprise à gérer le problème de façon plus familière,
c‟est-à-dire en utilisant les outils, les moyens et les mécanismes de pilotage traditionnels.
24
Quand les aspirations morales de la direction générale rejoignent les réalités économiques
locales, un phénomène de cristallisation s‟opère au niveau du pouvoir exécutif, la direction
de la région Afrique. Le Président de la région Afrique est alors un acteur central du
processus. Il décide de fixer la réalisation du programme VIH/SIDA comme prioritaire. A
partir de cette décision, la méthode de mise en place du programme devient très structurée.
Des politiques générales sont établies, un comité est créé ainsi qu‟un site Intranet, les
meilleures pratiques sont échangées, un „sponsor‟ est nommé au niveau du Groupe, etc.
On peut noter ensuite quelques petites différences dans la façon d‟appliquer la RSE. Bien sûr,
cette étude de cas montre clairement que la mise en œuvre effective du programme de RSE
dépend de la valeur ajoutée proposée par le „siège‟25
à ses filiales. Les mécanismes de
coordination informels et les méthodes d‟incitations sont largement utilisés. Le „siège‟ se
situe en expert, capable de fournir aux unités opérationnelles la méthodologie qui convient, et
les outils à utiliser. La crédibilité, pour convaincre les filiales, est essentielle. Le „siège‟ la
bâtit en développant ses compétences, en participant notamment à de nombreux „think
thanks‟ et autres institutions. Le rôle régalien du „siège‟ est limité en ce sens qu‟il n‟a pas les
moyens coercitifs pour imposer le programme de lutte contre le sida dans les filiales. Plutôt,
le „siège‟ tente d‟encourager les filiales, d‟organiser la stimulation et l‟émulation. Le pouvoir
exécutif reste au niveau de la Direction de la région Afrique. Plus le degré de maturité de
l‟enjeu de RSE avance, plus le niveau de formalisation des outils et des mécanismes de
pilotage utilisés s‟accroît.
- Quelle est l‟importance du contexte local ?
Les relations siège-filiales dans la mise en oeuvre de tels programmes de RSE se
caractérisent par un important besoin d‟autonomie locale. La description des initiatives de
Lafarge en Afrique du Sud indique que le programme VIH/SIDA fait sens localement. Les
particularités contextuelles poussent la filiale à trouver la façon la plus appropriée de
résoudre le problème. Cet article fournit de nombreux exemples sur la manière dont, par
exemple, le système médical dual en Afrique du Sud influence la réponse de l‟entreprise face
au sida, comme l‟illustre l‟importance de prendre en compte les guérisseurs traditionnels. Il
montre aussi comment l‟histoire de l‟apartheid rend encore plus complexe le dépistage des
employés. La filiale sud-africaine fait preuve, en retour, d‟un grand niveau de créativité et
25
The term « Corporate » refers here to the Social Policies Department, which is in charge of the HIV/AIDS
program at the headquarters of the Group.
25
d‟innovation dans les actions entreprises et dans le choix des partenaires locaux. Il est
important de noter le lien entre le niveau d‟appropriation de l‟enjeu par la filiale et
l‟implication du directeur général et de sa volonté à gérer le sida par un programme structuré
et surtout, orienté vers la performance. La personnalité du directeur général joue un rôle clé
dans le choix d‟engager la filiale, de manière pro-active, dans la lutte contre le sida.
- Comment les filiales développent des initiatives locales
à des enjeux de RSE globaux ?
Les interactions entre les filiales et le siège peuvent être considérées comme un processus
d‟apprentissage. Les initiatives, les actions concrètes et les meilleures pratiques des filiales
aident le „siège‟ à définir et à formaliser la politique VIH/SIDA du groupe. Cet article décrit
la stratégie „multi-locale‟ et la structure du groupe Lafarge. Le processus de mise en place du
programme VIH/SIDA est encastré dans cette structure et dans l‟esprit de la stratégie multi-
locale.
En conclusion, cette recherche a mis en lumière le rôle de quatre acteurs dans le processus de
mise en œuvre de la RSE dans l‟entreprise multinationale. Le Président du groupe joue un
rôle crucial en termes de leadership et dans la détection de l‟enjeu de RSE ; le Président de la
région Afrique est le champion du processus en ce sens où il concilie les aspirations de la
direction générale avec les réalités économiques locales ; le „sponsor‟ du projet au niveau du
groupe bâtit sa crédibilité sur son expertise ; et la personnalité du dirigeant de la filiale
détermine le rythme et la qualité de la mise en œuvre locale du programme de RSE. De plus,
une contribution importante de ce papier réside dans la distinction entre les deux phases
différentes et la transformation d‟une perspective morale et éthique à une perspective
économique.
Puisque cette recherche est d‟ordre exploratoire, il y a un certain nombre de limites. Ce
papier décrit principalement un „business case‟. La densité de ce cas invite le chercheur a une
analyse plus approfondie du processus, en utilisant les outils de l‟analyse qualitative.
D‟autres travaux empiriques seraient souhaitables. En particulier, des voies de recherche
s‟ouvrent en ce qui concerne l‟étude comparative de plusieurs entreprises multinationales :
cela permettrait de mieux comprendre les relations siège-filiales dans des contextes
organisationnels différents.
26
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