Les grands courants en linguistique -...

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Manfred Overmann Introduction à la linguistique http://www.ph-ludwigsburg.de/html/2b-frnz-s-01/ overmann/baf5/introling.doc http://www.ph-ludwigsburg.de/html/2b-frnz-s-01/overma nn/baf3/3m.htm Je tiens à remercier tout particulièrement Henriette Gezudhajt du département d’études françaises de l’Université de Toronto qui m’a autorisé à utiliser ses documents pour la construction de ce dossier Sources : http://www.linguistes.com/ [Henriette Gezundhajt] Les grands courants en linguistique I La Linguistique et ses écoles Il faut savoir que la linguistique regroupe un certain nombre d'écoles qui ont toutes en commun d'avoir le langage comme objet d'étude mais qui n'abordent pas forcément les problèmes du même point de vue. Les linguistiques internes sont des disciplines autonomes. On y trouve les linguistiques structurales proprement dites (fonctionnalisme, distributionnalisme, générativisme reliés au structuralisme à des degrés divers) et les linguistiques *énonciatives qui en découlent. Certaines linguistiques dites internes se suffisent à elles-mêmes alors que d'autres sont associées à une discipline différente (sociologie, ethnologie, psychologie, neurologie...). Par exemple, la sociolinguistique étudie la langue comme révélateur sociologique....

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Manfred OvermannIntroduction à la linguistique

http://www.ph-ludwigsburg.de/html/2b-frnz-s-01/overmann/baf5/introling.doc http://www.ph-ludwigsburg.de/html/2b-frnz-s-01/overmann/baf3/3m.htm  

Je tiens à remercier tout particulièrement Henriette Gezudhajt du département d’études françaises de l’Université de Toronto qui m’a autorisé à utiliser ses documents pour la

construction de ce dossierSources : http://www.linguistes.com/ [Henriette Gezundhajt]

Les grands courants en linguistiqueI La Linguistique et ses écoles

Il faut savoir que la linguistique regroupe un certain nombre d'écoles qui ont toutes en commun d'avoir le langage comme objet d'étude mais qui n'abordent pas forcément les problèmes du même point de vue.

Les linguistiques internes sont des disciplines autonomes. On y trouve les linguistiques structurales proprement dites (fonctionnalisme, distributionnalisme, générativisme reliés au structuralisme à des degrés divers) et les linguistiques *énonciatives qui en découlent.  Certaines linguistiques dites internes se suffisent à elles-mêmes alors que d'autres sont associées à une discipline différente (sociologie, ethnologie, psychologie, neurologie...). Par exemple, la sociolinguistique étudie la langue comme révélateur sociologique....

II Historique :

Avant 1916 on s'occupait surtout de linguistique historique (philologie). Saussure était à l'origine un spécialiste de l'indo-européen. En 1875, il avait publié un ouvrage diachronique sur les voyelles de l'indo-européen.

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En 1916, deux de ses étudiants publient le « Cours de linguistique générale » (1916)

De 1930 - 1975 on constate l'hégémonie du structuralisme

Les linguistiques énonciatives apparaissent en 1956 avec « La nature des pronoms » de Benveniste et n'ont cessé d'évoluer depuis.

* Un énoncé est le produit d’un énonciateur au cours d’un acte d’énonciation dans une situation donnée.

III L'objet du structuralisme

La linguistique structurale est un courant qui réunit un groupe d'écoles dans lesquelles la langue est étudiée comme un système doté d'une structure décomposable.

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Le langage est découpé en plusieurs niveaux, et chacun est étudié par une discipline qui lui est propre :    

Articulation - phones Phonétique (Description des unités sonores de base)

Phonèmes (36 en Français) Phonologie (Étude du rôle des sons dans le système linguistique)

Syllabe (quelques centaines) Morphologie (Étude de la structure grammaticale des mots)Mots (environ 50 000, mais la liste n'est pas exhaustive)

Lexicologie (Étude des vocabulaires composant le lexique d'une langue)

Propositions Sémantique (Étude de la signification)

Phrases (nombre illimité) Syntaxe (Étude des combinaisons et des relations entre les formes qui composent la phrase) 

Énoncés (nombre illimité)Énonciation et pragmatique (Étude de la production et de la reconnaissance langagière par des énonciateurs dans une situation donnée)

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IV Les grands courants structuralistes

1. Fonctionnalisme (École européenne de Martinet)

Ce courant dégage une procédure pour analyser la phonologie, puis la généralise aux autres niveaux. (morphologie, lexicologie, syntaxe).

Les unités n'ont de valeur linguistique que par rapport à leurs possibilités d'opposition ou de combinaison.

2. Distributionnalisme, école américaine,en parallèle au fonctionnalisme. (Harris et Bloomfield)

Le distributionnalisme a eu ses heures de gloire des années 1930 à 1950. Cette école est issue du behaviorisme avec l'idée du comportement langagier en stimulus /réponse. On se base sur un empirisme radical, sur ce qu'on constate. La sémantique est considérée comme du mentalisme. La langue est un corpus (un recueil de données linguistiques brutes dont on a une trace perceptible) et la place du sens n'est pas dans la linguistique. La description se fait selon le modèle de la linguistique anthropologique lors de la découverte d'une langue étrangère.

L'un des grands ouvrages en est : Bloomfield (1933), Language

Série de combinaisons et de sélections dans le paradigme qu'on installe sur le syntagme.

V L'influence du structuralisme

Les linguistiques structurales vont influencer :

a . La linguistique générative de Chomsky.

Pour le mouvement génératif, on part de la syntaxe dont on dégage un corps de concepts puis on les généralise à la phonologie, la morphologie et la sémantique.

b. La psychosystématique de Gustave Guillaume Dynamique basée sur la morphologie.

VI Les grands poncifs du structuralisme

1. Paradigme et syntagmePARADIGME SYNTAGME

Axe de sélection sur lequel on peut effectuer des commutations

Axe de combinaisons où on opère des permutations

ex. "j'ai vu mon […]"

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On peut illustrer cette idée d'axe et de connexion de contexte par rapport à la connexion

d'opposition par le principe de la machine à sous.

Axe de combinaisons de formes : ex. citron - pomme - orange (syntagme) 

Il existe un autre axe non visible, opposition à d'autres formes sur un axe de sélection. (paradigme)

Dans un exemple comme:

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1. À un premier niveau on met en opposition les deux phonèmes /b/ et /p/. Ce qui est étudié c'est le rôle distinctif joué par l'opposition "p" et "b" qui apportera un sémantisme différent.

2. À un second niveau, celui du morphologique, on observera la structure "il a -u" où /u/ joue un rôle fondamental. On verra qu'on a affaire à deux passés composés de deux verbes du même groupe commutables sur un axe paradigmatique.

3. Au troisième niveau, celui des lexèmes, on comparera "boire" à "pouvoir" qui renvoient tous deux à une image mentale empirique.

4. Au quatrième niveau, on s'intéressera à la syntaxe, autrement dit aux combinaisons de formes.

Pour résumer, nous dirons qu'aux yeux des structuralistes, les formes linguistiques, quelles qu'elles soient, sont reliées entre elles selon deux fonctions :

fonction distinctive (mise en opposition) fonction combinatoire (possibilité de mise en contexte) ou les deux (ex. Le rouge et le noir)

Le langage humain se singularise par le phénomène de la double articulation :

La première articulation est constituée par les unités significatives que sont les unités lexicales et grammaticales. Le unités distinctives dépourvues de sens en elles-mêmes forment la deuxième articulation.

On peut schématiser de la façon suivante :

Nomenclature Structureliste de motsex: dictionnaire

agencement de combinaisons

On peut faire une comparaison avec un jeu d'échec. Chaque pièce se déplace différemment sur l'échiquier, mais la combinaison de ces pièces fait que chaque pièce prend sa valeur par rapport au reste du jeu.

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2. Forme et substance

À chacun des signifiants et signifiés que Louis Hjelmslev (1968) appelle expression et contenu, on peut attribuer une forme et une substance. Ainsi, on pourrait faire la représentation suivante :

FORME SUBSTANCE EXPRESSION

(= signifiant)

phonèmes, morphèmes, lexèmes, syntagmes

phones, morphes, prédication, énoncés

(production physique et individuelle des formes)

CONTENU

(= signifié)

Concept en système, délimité, spécifique et

distinctif

(ex. la maison de campagne par opposition

à un appartement, un immeuble ou toute autre

forme d'habitation)

MatièreLes concepts, la pensée,

l'image mentale.

(ex. une maison de campagne telle que nous

nous la représentons d'après des critères

définitoires et qualitatifs - matériaux, taille, fonction,

etc.)

Cette représentation peut être d'ordre référentiel

(ex.la représentation que j'ai de la maison de

campagne de mes amis chez qui nous sommes

invités)

VII L'appréhension des phénomènes énonciatifs.

Dans la tradition stucturale née de Saussure

la langue est un objet d'étude extérieur au monde et s'oppose à la parole et ne prend pas en compte les situations discursives.

Toutefois, en grammaire générative

on considère la langue en mouvement et on envisage le concept de "locuteur idéal »pourvu d'une compétence qui sera mise à profit lors de la performance. Cependant la co-énonciation n'est pas prise en

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considération. Les énonciativistes pensent que qui dit énonciateur implique co-énonciateur (allocutaire).

Ils prendront le problème sous l'angle du repérage (localisation d'une notion par rapport à une autre notion ou par rapport à la situation), et remarqueront que l'un de ces énoncés n'est pas autonome et implique un ancrage contextuel ou situationnel pour être considéré comme valide.

Au niveau du verbe:

- ordonnancement des procès,

- procès par rapport à la situation présente.

Par exemple, dans « il a pu » comparé à « il a bu », on remarque que « il »renvoie à un élément préconstruit ou préasserté :

« Pierre, il ne se sent pas bien, il a bu ».

Par ailleurs, on a affaire dans les deux cas à un procès accompli au moment de l'énonciation. Cependant, on remarquera le fait que « pu » appelle généralement une suite et que l'énoncé perd sa signification, sans ce repérage :

« Il a pu voir Marie. »

De plus, « bu » marque le constat d'un procès, alors que « pu » renvoie à une modalité, c'est à dire un commentaire de l'énonciateur sur les propriétés du sujet.

L'analyse des formes se fera d'un point de vue différent selon les niveaux d'analyse:

Au niveau syntaxique fonction du constituantAu niveau sémantique rôle de la notionAu niveau énonciatif statut de l'information

Lorsqu'on analyse les formes, tous les niveaux devraient être pris en compte.

Ainsi le même objet linguistique pourra changer d'étiquette selon le point de vue de l'analyse :

Phrase sur le plan formelProposition sur le plan sémantiqueÉnoncé sur le plan énonciatif

VIII La linguistique énonciative

Il s'agit d'un groupe d'écoles de linguistique étudiant le langage tel que mis en situation par l'activité d'un énonciateur.

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La linguistique énonciative postule, et ne renie pas le structuralisme. Elle en hérite, c'est une étape de travail :

1.travail de taxinomie2.construction d'une continuité.

Avec l'énonciation, c'est l'acte même de produire un énoncé et non simplement l'énoncé lui-même qui est étudié.

C'est la langue dans son utilisation qui est étudiée, et non la langue réifiée comme une langue morte, comme c'est le cas pour le structuralisme qui considère le référent comme ne faisant pas partie de la langue mais du monde. Ce dernier ne fait pas partie des objets de réflexion.

Ainsi, contrairement aux structuralistes qui pensent qu'on ne peut pas connaître les sens d'un mot sans l'opposer ou le combiner à d'autres formes linguistiques, les énonciativistes pensent qu'on peut se passer du contexte linguistique, si la situation nous met en présence du référent.

ex. En forêt, l'énonciateur pourra dire :

Une oronge est un champignon

mais aussi :

Une oronge, c'est ça.

Tiens ! Une oronge.         

sans faire appel au contexte linguistique.

Les formes linguistiques sont prises en charge par des énonciateurs et reçues par des co-énonciateurs qui y répondent. Le fait qu'il y ait un énonciateur et un co-énonciateur détermine le fonctionnement des formes. On peut même dire que le fait qu'il y ait un énonciateur et un co-énonciateur détermine la valeur sémantico-syntaxique des formes.

Les grands noms de la linguistique énonciative

Benveniste Les deux articles les plus considérables sont :

« La nature des pronoms » (1956) dans lesquels il pose les jalons de l'énonciation sans la nommer

« L'appareil formel de l'énonciation » (1970) où il explique les fondements de l'énonciation en connaissance de cause.

Benveniste se réclame du structuralisme de Saussure et rend hommage à Roman Jakobson. Il remet en question la dichotomie langue/parole, opposition introduite de façon opératoire par Saussure.

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« Rien n'est dans la langue qui n'ait d'abord été dans le discours ».

On lui reproche de mélanger l'activité de langage et le monde.

L'une des questions qu'il se pose préalablement est : Quel est le signifié de « je » dont le référent varie en fonction du locuteur, instance de discours ? Certaines formes ne sont pas aussi stables que « table » :

Emmène-moi ailleurs.

Demain, on rase gratis

Passe-moi ce livre (accompagné d'une monstration) deixis. (je, ici, maintenant)

Ces même remarques peuvent s'appliquer au verbe aller/venir à l'aspect passé composé : « Il est arrivé »

Ducrot S'inspire des philosophes du langage Austin et Searle. Il montre l'importance de la situation discursive et de la pragmatique. Il intègre la composante pragmatique à la sémantique. On peut dire qu'il relève d'un structuralisme divergent. On ne peut pas décrire les énoncés sans faire référence aux conditions énonciatives.

Il pose l'existence d'un énoncé, noyau sémantique stable pouvant diverger selon les conditions d'énonciation.

forces locutoire, illocutoire, effet perlocutoire.

« qu'est-ce que tu fabriques ? » = « arrête de faire ce que tu fais ».

« justement »

« décidément »

Ducrot s'intéresse aussi à l'implicite (ce qui est dit sans dire) :

- les présupposés Jacques continue de fumer (présuppose que Jacques fumait avant)

- les sous-entendusIl ne déteste pas le vin (sous-entend « il aime beaucoup le vin »)

Les présupposés sont indéniables mais on peut nier avoir fait un sous-entendu.

Culioli Quant à lui est plus dans la mouvance de Benveniste même s'il s'inspire d'une philosophie stoïcienne, basée sur les processus et les changements d'états. On s'intéresse plus au dicible (lekton traduit en latin par dictum) qu'au dit. (Curieusement, il se rapproche en cela de Saussure et de Chomsky)

Il existe pour chaque énonciateur un faisceau de propriétés physico-

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culturelles (physique ou social)

La Notion est prédicative et modalisable.

C'est le monde de l'Instabilité

Les mots sont des capteurs de l'organisation du monde.

Le Domaine notionnel est déformable.

ex. Pour moi, ce n'est pas un chien, c'est une saucisse sur pattes.

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LES DOMAINES DE LA LINGUISTIQUE

A. Représentation statique

Les éléments constitutifs du langage

son mot phrase

LEXICOLOGIE GRAMMAIRE

nature fonction et

arrangement*forme sens forme

des mots**fonction et

arrangement des mots

PHONÉTIQUE PHONOLOGIE MORPHOLOGIELEXICALE

SÉMANTIQUE MORPHOLOGIE GRAMMATICALE

SYNTAXE

*Arrangement des sons dans la chaîne parlée **Variation de la forme des mots dans la phrase

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B. Représentation dynamique

phonèmecomposition

morphème motdécomposition

phrase

Forme/Expression PHONOLOGIE MORPHOLOGIE SYNTAXE

Contenu/Sens SÉMANTIQUE

« Deuxième articulation » « Première articulation »

Au niveau de la première articulation, l’énoncé s’articule en unités douées de sens dont les plus petites sont les morphèmes (ou monèmes) ; au niveau de la deuxième articulation, chaque morphème s’articule en unités dépourvues de sens dont les plus petites sont les phonèmes. (A. MARTINET, « La double articulation du langage », dans Éléments de linguistique générale, A. Colin, 1960.

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Les concepts de base de la linguistique

Pourquoi étudier la langue?Quand on y pense, on constate que le langage humain est un phénomène assez extraordinaire. Par le simple fait de faire bouger les cordes vocales d'une certaine façon, nous pouvons influencer une autre personne d'une manière prévisible.

Très souvent, les énoncés que nous entendons et que nous prononçons sont nouveaux pour nous: c'est la première fois de notre vie que nous les utilisons. Par exemple, si vous considérez l'ensemble des phrases que vous avez lues jusqu'ici dans ce manuel, il est très probable que presque toutes sont nouvelles pour vous. Pour le dire autrement, les langues se caractérisent par l'ouverture et par la créativité. Mais en même temps, en comparant les différentes langues entre elles, nous constatons des traits communs essentiels partagés par toutes. Les paramètres de l'ouverture semblent donc fixés de façon assez sévère.

Autre aspect surprenant: malgré le fait que nous connaissons tous des milliers de mots (et des millions de phrases possibles), nous arrivons à trouver, très rapidement et sans même y faire attention, les mots et les phrases nécessaires dans notre communication de tous les jours. Ceux qui apprennent une langue étrangère peuvent mesurer l'écart entre les difficultés qu'ils ont dans les premières années de l'apprentissage d'une autre langue et leur utilisation quotidienne de leur langue maternelle.

Non seulement avons-nous la capacité de manipuler un nombre énorme de mots et de phrases, mais nous pouvons aussi ajuster notre utilisation de la langue pour tenir compte du contexte. Par exemple, il arrive parfois qu'on ne comprenne pas un mot qu'on entend ou qu'on lit. Malgré cela, le plus souvent on arrive à combler de telles lacunes au moyen du contexte. Ou encore, dans une situation où il est difficile d'entendre l'autre personne (musique forte, machines bruyantes) nous faisons les ajustements nécessaires pour que la communication fonctionne. Et ce n'est pas tout: il n'existe pas deux personnes qui parlent de la même façon. C'est même l'existence de ce genre de variation qui nous permet d'identifier notre interlocuteur au téléphone, par exemple. Mais malgré ces divergences interindividuelles, nous comprenons la plupart des phrases que nous entendons.

Malgré la richesse de nos capacités linguistiques, il n'existe jusqu'à présent aucune grammaire complète d'aucune langue humaine. Nous savons comment parler, mais dans l'ensemble, nous avons beaucoup de difficulté à expliciter ce que nous savons. C'est justement la tâche de la linguistique: rendre explicite ce que nous savons sur la langue.

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Les points de vue normatif et descriptifLa linguistique est l'étude scientifique du langage humain. Cette définition très générale appelle un certain nombre d'explications et de distinctions.

Considérons les phrases suivantes:

1. J'ai mis la tasse sur la table.2. Mes ami est là.3. Elle a septante-trois ans.4. On a pris une autobus. Ça a coûté quinze piasses.5. Fais pas ça!6. Où est la tasse que j'ai mis sur la table?7. Bébé dodo.8. Elle est assez cute.9. C'est une professeure de linguistique à Montréal.10. ARRIVE DEMAIN. AMITIES. PAUL.11. l'école [kel l]

 Selon un point de vue strictement normatif (c'est-à-dire du point de vue des dictionnaires et des grammaires de ce qu'on appelle le français standard), toutes les phrases sauf la première seraient fautives.

Exercice: Trouvez les 'erreurs' et expliquez dans quel contexte on utiliserait chacun des exemples précédents.

Par contre, à part la deuxième phrase, qu'en principe aucun francophone ne prononcerait en connaissance de cause, toutes ces phrases se disent dans la francophonie, dans un contexte ou dans un autre.

Il faut admettre dès le début que ce qu'on appelle le français `standard' ou le français `normatif' ne représente qu'une très petite tranche du français. Tout un ensemble de dimensions viennent compliquer ce tableau. Comme toute autre langue, le français varie selon la région, l'âge, le sexe, le niveau d'instruction des locuteurs, le registre, le genre, la situation et le médium (langue orale ou langue écrite), pour ne nommer que ces facteurs. En même temps, une langue se renouvelle constamment, au moyen de créations internes et d'emprunts à d'autres langues.

La grammaire normative d'une langue fixe des principes pour la communication écrite soignée, mais n'a pas beaucoup à dire sur les autres variétés. Et pourtant, toutes les sortes de variation présentées ci-dessus existent, et ont existé depuis bien longtemps. Il faut donc en tenir compte.

Pour le faire, la linguistique se sert de l'approche descriptive, qui consiste à relever et à décrire les variations d'usage dans une communauté, sans porter de jugements a priori sur leur acceptabilité. Notez bien cependant que cela n'implique pas l'absence de jugements de valeur dans une communauté linguistique. Chaque registre, chaque région a ses normes, et tout écart est vu comme 'bizarre' par les locuteurs: on dira que la personne qui a un parler trop soigné

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qu'il (ou elle) "parle comme un livre", ou dans le cas de la prononciation, qu'il (ou elle) "a un accent". La linguistique tiendra compte des jugements de la sorte, puisqu'ils indiquent les limites de chaque variété linguistique. Mais aucun linguiste ne rejetera une variété linguistique pour des questions de norme.

Expérience: Trouvez un cas de conflit entre variétés linguistiques que vous avez vécu. Qu'est-ce qu'on a dit ou fait qui a mis en valeur le conflit? Quelle dimension linguistique était en jeu dans le conflit?

Sources des données linguistiquesLes données linguistiques proviennent d'une variété de sources, principalement l'observation et les corpus.

L'observation

Tout autour de nous, on se sert de la langue. Le plus souvent, ce qui nous intéresse, c'est le contenu de ce qu'on dit ou écrit. La forme particulière nous intéresse moins.

Expérience: Pour vous convaincre du statut secondaire de la forme dans la communication quotidienne, écoutez quelqu'un qui parle, en personne, à la radio, ou à la télévision. Au bout de trente secondes, essayez de répéter ses paroles exactes. Ensuite, essayez de résumer la signification de ce que vous venez d'entendre. Laquelle des deux activités est plus facile?

Par contre, ce qui nous intéresse en tant que linguistes est justement comment on parle et écrit. Il est important de prendre l'habitude de noter ce qu'on entend et ce qu'on lit. Par exemple, la prochaine fois que vous assistez à un cours en français, notez le langage utilisé par le professeur. Est-ce qu'il ou elle utilise des phrases complexes, ou bien des phrases simples? Est-ce qu'il ou elle répète souvent ce qui vient d'être dit? Quel est son registre? Par exemple, dans ses phrases négatives, trouve- t-on ne ... pas ou simplement pas? Quelles sortes d'interjections entend-on au cours des explications: hein, ok, d'accord?

Tout linguiste devrait garder une liste des exemples de la sorte: elle fournira de précieux exemples pour l'avenir.

Performance et compétenceCe sont des individus qui se servent de la langue, à un moment précis dans le temps, dans un lieu particulier et dans une situation bien définie. Chaque utilisation individuelle d'une langue est un exemple de performance. Le plus souvent, on utilise ce terme pour désigner la production linguistique, mais en fait il s'applique tout aussi bien à la réception.

Puisque la performance se fait au niveau individuel, elle est sujette à des contraintes hic et nunc qui l'influencent. Ces contraintes peuvent être d'ordre psychologique (facteurs de mémoire ou d'attention), physique (questions de voix, de niveau sonore, de rapidité du

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discours) ou physiologique (questions de muscles, de perception). Dans la vaste majorité des cas, tout fonctionne bien: c'est même cela qui est surprenant dans la langue, sa résistance aux effets extérieurs (voir le concept de redondance plus loin).

Par contre, il arrive que l'un ou l'autre des facteurs empêche le bon fonctionnement de la langue. Il se produit alors ce qu'on appelle une erreur de performance. En voici quelques exemples:

1. *C'est petit -- je veux dire grand.2. *C'est celui-là qui me l'a donné -- j'ai oublié son nom.3. *Il les voient.4. *C'est toit qui a fait ça.5. *[ pR de Riks]

Notez la convention linguistique qui consiste à mettre un astérisque devant un mot ou une phrase considéré comme fautif.

Les erreurs de performance peuvent nous renseigner sur la structure de la langue: en fait, on ne se trompe pas de façon aléatoire. Le plus souvent, il y a un système derrière de telles erreurs.

Très souvent, quand on se trompe, on est capable par la suite de reconnaître l'erreur. C'est que nous avons dans nos têtes une compétence individuelle. Il s'agit de connaissances pour la plupart implicites. Si on demande à un locuteur natif (c'est-à-dire, quelqu'un qui a appris une langue comme sa langue maternelle) d'expliquer pourquoi il ou elle parle de telle ou telle façon, on entend le plus souvent des réactions comme: "Mais ça sonne mieux comme ça". Il ne faut pas l'oublier: l'accès aux règles de grammaire est le plus souvent secondaire: la plupart des locuteurs francophones auraient de la difficulté à expliquer ce que c'est qu'une préposition, mais tous utilisent des prépositions à tous les jours.

Malgré la diversité individuelle, il reste beaucoup d'éléments communs entre les locuteurs d'une langue. À cause de cela, les linguistes peuvent dans certains cas faire abstraction des variations individuelles pour étudier ce qu'on appelle la compétence idéale ou tout simplement la compétence. Il s'agit d'une abstraction: c'est un ensemble des règles implicites qu'on suppose présentes dans la tête d'un locuteur idéalisé, sans limites de mémoire, sans erreurs de performance. Ce concept nous permet d'étudier la langue à l'extérieur de la tête, en quelque sorte, mais il ne faut jamais oublier que c'est bien une construction théorique. Il ne faut jamais la prendre pour la réalité.

Malgré cela, ce concept nous permet de préciser ce que nous savons sur la langue. Voyons un exemple. Quelle serait la phrase la plus longue qu'on pourrait faire en français? Supposons un locuteur qui se met à parler, et qui s'exclame en répétant: Je suis fâché, fâché, fâché.... On tomberait bientôt sur une limite supérieure de performance: il faudrait respirer, manger, etc. et à la fin de la vie, on arrête de parler. Mais on ne peut pas nommer une limite maximale théorique. Un locuteur idéal pourrait faire une phrase de la sorte pendant des siècles, et elle serait tout aussi grammaticale qu'une phrase de 5 mots (même si ça commencerait à manquer d'intérêt au bout de quelques minutes). En d'autres termes, le concept de compétence idéale nous a permis de saisir le fait que la phrase n'a pas de limite supérieure théorique.

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Langue, parole et langageDans la tradition linguistique française, il existe une autre opposition terminologique, entre langue et parole. La langue désigne deux choses différentes:

1. un système linguistique partagé par un groupe social, comme la langue française, la langue anglaise, etc.,

2. le concept même de système linguistique partagé. Ainsi, le français et l'anglais sont des langues, mais ils ont en commun un certain nombre de caractéristiques  qui nous permettent de faire abstraction des différences entre les deux pour parler de la langue dans les deux cas.

La parole désigne aussi deux choses distinctes:

1. l'activité qui consiste à se servir d'une langue dans une situation particulière. On parle ainsi d'un acte de parole. Notez bien que ce terme désigne l'activité qui consiste à parler mais aussi l'activité qui consiste à écrire. Quand j'écris ce manuel, je fais un acte de parole. Quand je dis à mon voisin: ``Il fait beau, hein?'' je fais un autre acte de parole.

2. Le terme parole désigne aussi le produit d'un acte de parole. On utilise aussi le terme de discours dans ce sens. Le discours écrit ou oral d'un individu peut être étudié, comme nous verrons par la suite.

Le terme langage s'emploie, lui aussi, dans deux contextes différents. Cela signifie ou bien: la capacité d'apprendre une langue humaine. Cela s'appelle la faculté du langage. Ainsi, un enfant exposé à une communauté linguistique apprendra la langue parlée dans la communauté. Cela est d'autant plus surprenant quand on considère que les données auxquelles l'enfant est exposé sont souvent limitées et défectueuses.

Le langage, la langue et la parole

Langage Langue Parole

Aptitude innée à communiquer propre à l'être humain.

Produit acquis : instrument de communication ; code constitué en un système de règles communes à une même communauté.

Utilisation individuelle du code linguistique par un sujet parlant.

Les langues ne sont pas tout à fait un produit de la nature dans le sens qu'un enfant ne peut pas acquérir une langue sans être plongé préalablement dans un bain linguistique spécifique ; mais les langues ne sont pas non plus un produit de la culture car on ne peut pas changer le système d'une langue par décret.

Les langues naturelles sont appelées ainsi car elles n'ont pas été inventées par les humains, contrairement aux langues artificielles que sont les langues fabriquées par les utopistes comme l'esperanto ou le langage informatique.

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Axe paradigmatique et axe syntagmatiqueLa langue est un phénomène qui se déroule dans le temps. Quand on parle, on prononce un mot, suivi d'un autre, et d'un autre, et ainsi de suite. La série des mots qu'on prononce définit un axe ou ligne qu'on appelle l'axe syntagmatique. L'existence de cet axe a une influence fondamentale sur le fonctionnement de la langue. Si on veut relier deux éléments dans l'axe syntagmatique, il faut le faire en fonction de la linéarité, soit en les rapprochant dans la chaîne, soit en les reliant par un autre mécanisme, comme l'accord. En même temps, le choix des éléments dans l'axe syntagmatique se fait en général élément par élément. Prenez les phrases suivantes: 1. Cette salle de classe a une porte et cinq fenêtres.2. La salle de classe a une porte et cinq fenêtres.3. Cette chambre a une porte et cinq fenêtres.4. Cette salle de classe possède une porte et cinq fenêtres.

Notez les colonnes. On a remplacé un seul élément de la première phrase par un élément dans une autre phrase. L'axe des substitutions s'appelle l'axe paradigmatique. Cet axe fonctionne au niveau des sons, au niveau des mots, et même au niveau des phrases.    

Expérience: Pensez à des phrases qui pourraient se remplacer.

La substitution peut laisser le sens global plus ou moins inchangé, ou elle peut obéir seulement à des contraintes grammaticales (où on remplace un nom par un autre nom, par exemple, et non pas par un verbe).

En général, la substitution se fait un élément à la fois. Mais il arrive que le choix d'un élément détermine le choix d'autres. Prenez les exemples précédents. Une fois qu'on choisit un nom féminin comme salle de classe ou chambre, on est obligé de choisir un article féminin comme la ou cette plutôt qu'un article masculin. Ou encore, le choix d'un sujet singulier demande le choix d'un verbe singulier. Les contraintes de la sorte s'appellent des dépendances syntagmatiques.

Forme et substanceLe linguiste suisse Ferdinand de Saussure (Saussure 1972) a dit que la langue est une forme et non pas une substance. Par cela, il voulait dire que malgré les variations individuelles, il existe une base commune qui nous permet de communiquer, au niveau des formes, et au niveau des sens.

Prenez l'exemple des graphies (les formes d'écriture). Il existe plusieurs façons de former la plupart des lettres, mais nous arrivons le plus souvent à les distinguer. C'est que derrière la substance de chaque graphie individuelle, il existe une base commune.

Expérience: Étudiez les variantes d'une lettre, d'un mot, d'une phrase dans des contextes différents

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On trouve la même chose au niveau du sens. Une phrase comme Je l'ai vu hier peut s'employer dans une infinité de contextes différents. Malgré cela, son sens essentiel reste le même.

Signifiant, signifié et signeLe plus souvent en linguistique, ce n'est pas ce qui est individuel qui nous intéresse, mais plutôt ce qui est commun. Le fait que tel ou tel individu a telle ou telle prononciation nous intéresse moins que le fait qu'il existe une façon de prononcer qui caractérise un groupe.

Par exemple, il existe un grand nombre de prononciations individuelles pour le mot chat, mais toutes ces prononciations ont un noyau commun. Ce noyau s'appelle le signifiant. Notez que le signifiant n'existe pas comme entité physique. On ne peut pas entendre un signifiant: on entend des sons. Mais le signifiant montre sa présence par le fait que nous sommes capables de reconnaître qu'une série de prononciations sont en fait des exemples du même mot.

Il en va de même pour le sens. Comme nous l'avons vu dans le cas de Je l'ai vu hier, une suite de mots peut avoir une variété d'interprétations selon la situation et le contexte. Malgré cela, chaque mot possède un sens général constant d'une situation à l'autre. C'est cette base abstraite qui nous intéresse: nous l'appelons le signifié. Par exemple, la suite je peut s'employer par beaucoup d'individus différents. Malgré cela, son signifié reste identique: `la personne qui parle'. Comme le signifiant, le signifié est une entité abstraite dont on peut déceler l'existence par l'observation des exemples de communication.

Notez bien cependant qu'on ne peut pas observer un signifiant ou un signifié sans sa contre-partie. On peut parler du signifiant chat seulement dans le contexte d'un mot, où il y aurait en même temps un signifié. Par exemple, la suite de lettres c h a t ne serait pas un signifiant dans le mot achat. De la même façon, nous avons dans nos têtes beaucoup de sentiments, d'impressions, d'idées, mais ces choses ne deviennent des signifiés linguistiques qu'au moment où nous les exprimons au moyen d'un signifiant.

Donc, les signifiants et les signifiés ensemble font partie d'une unité plus complexe, qu'on appelle le signe linguistique.

Le signe et la signification

La linguistique est un sous-ensemble de la sémiologie, la science qui étudie les signes.

Le signe 1 :

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il s'agit d'un élément cognitif qui comprend les indices, les signaux, les icônes, les symbôles et aussi les signes linguistiques.

Il y a des signes naturels et des signes artificiels. Ils peuvent se diviser comme suit :

Indice «Fait immédiatement perceptible qui nous fait connaître quelque chose à propos d'un autre fait qui ne l'est pas» ( Prieto, Sémiologie, dans Le Langage, La Pléïade, p. 95)

Il y a un lien logique et implicatif entre l'indice et ce à quoi il renvoie. L'indice est, en fait, la manifestation des effets implicatifs d'un phénomène empirique.

La fumée est l'indice de l'existence d'un

feu.

Signal «Fait qui a été produit artificiellement pour servir d'indice». (Prieto, Sémiologie, dans Le Langage, La Pléïade, p. 96).

Il est utilisé volontairement par convention.

Le signal a un effet implicatif univoque à message conventionnel. Le signal est subit. Il vise à déclencher une réaction.

Le signal a toutes les propriétés du signe linguistique, mais il évolue hors syntaxe. Il ne se combine pas linéairement avec d'autres éléments. Dans l'exemple du panneau routier, il peut y avoir une combinaison mais celle-ci n'est pas linéaire. C'est une combinatoire simultanée et non enchaînée.

ex. Certains signaux du code de la route.

Symbole Signal qui, de par sa forme ou sa nature évoque spontanément dans une culture donnée quelque chose d'abstrait ou d'absent.

C'est une représentation fondée sur une convention qu'il faut connaître pour la comprendre.

ex. La colombe de la paix

Icône Signe artificiel qui a pour propriété d'imiter perceptuellement ce à quoi il réfère.

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En cela, l'onomatopée est une icône sonore.

En revanche, une photo n'est pas une icône. Ce n'est pas une représentation à vue sémiologique.

Le signe linguistique (signe 2)

Signe 2 Union d'un concept (le signifíé) et d'une image acoustique (le signifiant).

Signifié concept, contenu sémantique.

Signifiant image mentale du son, expression phonique. Le lien entre le signifiant et le signifié est arbitraire et nécessaire, contrairement aux icônes et aux pictogrammes qui sont motivés, c'est-à-dire reliés empiriquement à ce à quoi ils renvoient. Les onomatopées sont des signes partiellement motivés.

Le signifiant est un phénomène sonore linéarisé dans le temps, alors que le signifié est un phénomène cognitif, autrement dit un ensemble stable de caractéristiques. Il existe aussi un phénomène physique appelé référent, c'est l'objet lui-même dans le monde.

Les signes ne se correspondent pas de manière univoque selon les langues. Il n'y a pas de correspondance terme à terme.

Signification passage du signifiant à son signifié ou vice-versa.

Le chien est un animal domestique de la famille des canidés

Arbitraire du signe

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La relation entre signifiant et signifié dans le signe est assez spéciale. Suivant Saussure, on dit que le lien entre les deux est arbitraire. Ce terme peut avoir deux sens:

1. Au niveau le plus simple, cela signifie que les combinaisons de signifiants et de signifiés varient d'une langue à l'autre, ce qui est assez évident. Ainsi, on dit chat en français et cat en anglais.

2. Mais le concept d'arbitraire prend son importance seulement au moment où on reconnaît que même pour parler d'un signifiant ou d'un signifié, il faut prendre en considération le système linguistique qui sous-tend le signe.

Examinons les exemples suivants:

1. porte portière / door2. feu lumière / light3. Le médecin est entré dans la pièce. / The doctor walked into the room.4. L'architecte a perdu ses clés. / The architect lost (his/her) keys.

On voit qu'entre le français et l'anglais, il n'existe pas de correspondance simple entre signifiants et signifiés. On n'a même pas les mêmes signifiants et signifiés dans les deux langues. Là où le français a deux signifiants porte et portière, l'anglais n'a qu'un seul. Là où le français ne fait pas de distinction de genre, l'anglais doit en faire une (his/her).

Exercice: Trouvez d'autres exemples de différences entre le français et l'allemand. En particulier, trouvez des lacunes lexicales où il existe un mot dans l'une des langues mais non pas dans l'autre.

Donc, pour étudier les signes d'une langue, il faut tenir compte de tout le système. C'est l'arbitraire du signe qui permet à une langue de changer radicalement dans tous ses aspects: prononciation, morphologie, syntaxe, sémantique.

Les fonctions linguistiquesPrenons la situation où deux personnes se parlent. Le linguiste Roman Jakobson (1960) a proposé un modèle pour décrire les facteurs qui entrent en ligne de compte.

Il a appelé la personne qui parle le destinateur et la personne qui écoute le destinataire. Bien sûr, la même personne sera tantôt destinateur tantôt destinataire. En même temps, pour garder la communication, il faut garder le contact entre les deux personnes. Il faut aussi partager le même code (on sait ce qui se passe si on ne partage pas la même langue). En outre, on ne parle pas dans le vide, mais dans une situation particulière, dans un endroit et à un moment donné: tout cela s'appelle le contexte. Finalement, il y a ce qui se transmet entre les deux, ce qu'on appelle le message.

Jakobson a identifié une fonction linguistique qui correspond à chacun des facteurs.

La fonction centrée sur le destinateur, ce que le destinateur se montre sur lui-même, s'appelle la fonction émotive. Par exemple, il existe un ensemble de mécanismes linguistiques disponibles pour montrer les émotions du destinateur: pour montrer qu'on est fâché, on hausse la voix, on insiste sur ses mots, etc.

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Expérience: Testez vos amis. Essayez de simuler les marques d'une émotion ou une autre, et voyez s'ils réagissent de la façon appropriée.

La fonction centrée sur le destinataire s'appelle la fonction conative. Par exemple, pour faire agir quelqu'un, on a à sa disposition une série de ressources, allant d'une phrase impérative: Ferme la porte à une demande plus polie Pourrais-tu fermer la porte à une simple suggestion Il y a un courant d'air qui passe par la porte.

Exercice: Exprimez le même contenu de 3 manières différentes. Une autre personne doit décider à quel type d'interlocuteur vous vous adressez (comme on le fait souvent quand quelqu'un parle au téléphone).

D'autres aspects de la fonction conative concernent des changements d'accent ou de langue; l'ajout ou l'élimination de traits élégants ou populaires; le choix d'un vocabulaire de niveau intellectuel ou vulgaire.

La fonction linguistique basée sur le contact s'appelle la fonction phatique. Beaucoup d'interjections (oui, oui) et de gestes (regards, hochements de tête) contribuent à maintenir le contact.

Expérience: Testez l'importance de la fonction phatique dans une situation donnée que vous jouez en cours.

La fonction linguistique centrée sur le code s'appelle la fonction métalinguistique. Nous nous en servons chaque fois que nous expliquons le sens d'un mot inconnu, ou que nous faisons une traduction dans une autre langue.

La fonction basée sur le contexte s'appelle la fonction référentielle. Chaque fois que nous transmettons de l'information sur le monde à une autre personne, c'est la fonction référentielle qui est en jeu.

Finalement, la fonction axée sur le message lui-même s'appelle la fonction poétique. Chaque fois que la forme des mots influence le choix des mots utilisés, nous avons un exemple de la fonction poétique. Prenez l'annonce publicitaire: Tide est là. La saleté s'en va. Remplaçons s'en va par part. Le message reste le même, mais le texte a changé: on a perdu la rime, et l'effet est moins frappant.

Expérience: Prenez une chanson et remplacez la moitié des mots par un synonyme. Qu'est-ce qui change?

On a donc tort de limiter la fonction poétique à la poésie. En fait, elle est fréquente dans la langue de tous les jours. En même temps, il faut reconnaître que les différentes fonctions peuvent coexister dans le même énoncé. Finalement, il faut admettre que le modèle de Jakobson est incomplet: il existe plusieurs fonctions qu'il n'a pas prévues.    

Expérience: Pensez à d'autres fonctions que Jakobson n'a pas prévues dans son modèle.

Langage et communication

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Les innovations technologiques survenues au début du siècle (téléphone, magnétophone, télévision) ont permis l'appréhension de l'activité langagière au grand complet.

SCHÉMA DE LA COMMUNICATION : Roman Jakobson (1963)

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Le langage humain et les autres langagesOn entend souvent des expressions dans lesquelles figure le terme langage: on parle du langage des fleurs, du langage des gestes, du langage des abeilles. Il est facile de comprendre pourquoi on utilise des expressions de la sorte. Dans tous les cas, il y a un signal et un message. Si j'offre des fleurs, c'est le signal d'une émotion. Si un chien montre ses dents, c'est le signal de quelque chose. Le choix des vêtements peut fonctionner comme signal.

Mais en même temps, qu'est-ce qui distingue le langage humain au sens strict de ces autres langages? Voici trois différences:

1. Le langage humain permet de parler de choses dans le passé, dans l'avenir, hypothétiques, ou même impossibles. On parle de sa capacité de déplacement.

Exercice: Trouvez trois exemples concrets de déplacement

1. Le langage humain peut servir à définir son propre système. Ainsi, si je ne comprends pas un mot, je peux demander son sens à mon interlocuteur, ou je peux chercher dans un dictionnaire. Ce qui est même plus frappant, c'est qu'on peut traduire n'importe quel autre système de signes dans le langage. À la place des fleurs, je peux dire: Je t'aime. À la place d'une affiche, je peux dire: Il est défendu de fumer ici. Cette capacité métalinguistique dépasse de loin ce qu'on trouve dans les autres langages.

Expérience: Essayez de traduire une phrase dans un autre langage que le langage humain.

1. La troisième caractéristique particulière du langage humain, formulée d'abord par le linguiste André Martinet, s'appelle la double articulation. Pensez au nombre total de phrases possibles en français. En fait, il y en a une infinité. Par contre, on peut former cette infinité de phrases au moyen d'un nombre élevé mais fini de mots (disons quelques centaines de milliers, au maximum). Et on peut former ces milliers de mots au moyen d'un petit nombre de sons (une trentaine en français) ou de lettres (26 lettres plus quelques diacritiques).

La division d'une infinité de phrases en un nombre fini de mots, s'appelle la première articulation, tandis que la division des mots en un petit nombre de sons ou lettres s'appelle la deuxième articulation. Aucun autre système ne possède une telle double articulation: c'est cela, semble-t-il, qui explique la puissance de la langue comme mécanisme de communication.

Synchronie et diachronieL'étude de la langue peut se faire selon deux perspectives temporelles. D'un côté, on peut analyser un état de langue, c'est-à-dire la façon de parler d'une communauté linguistique à

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un moment donné. Ainsi, le français parlé dans les années 90 serait un état de langue. Évidemment, les dimensions d'un état de langue sont variables. Le système grammatical d'une langue change assez lentement; par conséquent, dans une étude grammaticale, un état de langue peut représenter quelques décennies. Par contre, le lexique change plus rapidement; un état de langue lexical peut se limiter à quelques années seulement. L'étude d'un état de langue s'appelle la linguistique synchronique.

Dans une autre perspective, on peut étudier l'évolution d'une langue à travers le temps, les gains et les pertes, ainsi que le passage d'une langue à une autre. Cela s'appelle la linguistique diachronique.

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La Phonétique Étude des sons de la parole (phones) tels qu'ils existent.  Elle exclut les autres sons produits par les êtres humains, même s'ils servent parfois à communiquer (les toux, les raclements de gorge). Elle exclut aussi les sons non humains. S'oppose à la phonologie en cela que la phonétique étudie la prononciation réelle alors que la phonologie étudie le système qui sous-tend cette prononciation.

On distingue trois domaines principaux:

1. La phonétique articulatoire s'occupe de l'activité des cordes vocales, de la bouche, etc. qui rendent possible la parole. Par exemple, nous savons que pour faire un [p] en français, il faut mettre les deux lèvres ensemble, sortir un peu d'air des poumons, et ensuite ouvrir les lèvres

2. la phonétique acoustique  étudie la transmission des sons en tant que signaux acoustiques (renvoie à la transmission des sons – envoyer des sons). Elle examine les caractéristiques sonores des sons du langage. Par exemple, nous savons que le son produit par la consonne [s] en français a une fréquence plus élevée que le son produit par une consonne comme [ ]. Comparez sou et chou.

3. la phonétique auditive / perceptive est la partie la plus subjective de la phonétique, qui étudie la manière dont sont perçus les sons de la parole par l'oreille (renvoie à la réception des sons – recevoir des sons).  Elle  examine les phénomènes de perception des sons du langage par les êtres humains. Par exemple, qu'est-ce qui nous permet de saisir une syllabe accentuée? Est-ce la durée, la force, la fréquence ou une combinaison des trois?

Exercice: Pour chacune des lettres suivantes, trouvez les sons du français qu'elle peut représenter et les contextes où cela se produit: c, e, o. De même, pour chacun des sons suivants, trouvez les lettres susceptibles de le représenter, ainsi que leur contexte: [u], [a], [i].

La PhonologieL'étude phonétique d'une langue peut se faire sans faire appel au sens. À la limite, on pourrait étudier les caractéristiques phonétiques d'une langue qu'on ne comprendrait même pas.

Par contre, la phonologie s'occupe de la fonction des sons dans la transmission d'un message. Il faut donc comprendre une langue pour faire de la phonologie. En d'autres termes, la phonologie recherche les différences de prononciation qui correspondent à des différences de sens, ce qu'on appelle des oppositions distinctives.

Or, tous les changements de prononciation ne changent pas le sens. Par exemple, il existe dans les pays francophones plusieurs variantes du [R]. Ou encore, si on compare la prononciation québécoise et française d'un mot comme toute, on entend une différence. Malgré ces différences, le sens ne change pas: tout le monde comprend le même mot.

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Mais d'autres changements de prononciation peuvent influencer le sens. Prenez le cas de [Ru] (rouge). Si on remplace la première consonne par un [b], le résultat est un autre mot (bouge). Ce simple test nous montre qu'en français, [R] et [b] s'opposent entre eux. Nous le savons puisque le seul élément qui change entre [Ru ] et [bu ] est la consonne initiale. [Ru ] et [bu ] forment ce que nous appelons une paire minimale: deux mots qui se distinguent par le sens et qui diffèrent entre eux par un seul son. Le fait de remplacer un son par un autre dans une paire minimale s'appelle la commutation.

Si la commutation change le sens, nous tirons la conclusion que les deux sons appartiennent à deux classes distinctes. Chaque classe s'appelle un phonème. Contrairement à un son, qu'on peut entendre et mesurer, un phonème est une entité abstraite, une classe de sons qui partagent la même opposition à d'autres sons dans une langue.

Exercice: Trouvez des paires minimales pour /g/ en l'opposant aux autres consonnes du français, en position initiale et en position finale

.

La morphologieLa morphologie s'occupe des plus petites unités de forme et de sens, qu'on appelle les morphèmes. À un moment donné, il existe un nombre fini de morphèmes dans une langue, qui constituent en quelque sorte les briques qu'on utilise pour faire les phrases. Or, puisqu'il s'agit d'unités de forme et de sens, il faut étudier les deux aspects: d'un côté, nous verrons comment on peut classer les morphèmes du point de vue de leur forme et de leur fonctionnement, et d'un autre côté, nous essayerons de saisir comment les morphèmes d'une langue (ici, le français) structurent notre façon d'exprimer la réalité.

Critères en morphologieComme les autres linguistes, les morphologistes ont des outils spéciaux pour manipuler l'objet qu'ils étudient. Les critères les plus utilisés sont le sens, la forme et la distribution. Nous allons illustrer les trois en nous servant d'un exemple bien connu: les parties du discours.

Les critères traditionnels des parties du discours sont d'ordre sémantique, comme on peut voir par les exemples suivants.

Un nom se définit comme un mot qui nomme une personne, un lieu, une chose ou un concept.

Un verbe se définit comme un mot qui nomme une action.

Un adjectif se définit comme un mot qui nomme une qualité.

Ces critères sémantiques ne sont pas faux, mais ils sont difficiles à utiliser seuls, puisqu'ils sont assez imprécis. Par exemple, un nom comme arrivée désigne une action, et un nom comme rougeur désigne une qualité. C'est pour cela que nous avons tendance en linguistique à utiliser en même temps les critères de forme et de distribution.

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Prenons le cas des noms. Qu'est-ce qu'il y a dans le fonctionnement des noms qui les distingue des verbes? Du point de vue de la forme, les noms peuvent prendre le nombre singulier ou pluriel, mais non pas la personne ou le temps. Par contre, on trouve les trois caractéristiques dans les verbes. Du point de vue de la distribution, les noms peuvent suivre un déterminant (ex. le cahier, cette table, ma soeur), mais non pas un pronom (ex. *je cahier, *tu table, *elle soeur). Par contre, les verbes peuvent suivre un pronom (ex. je marche, tu pars, elle travaille) mais non pas un déterminant (ex. *le marche, *cette pars, *ma travaille).

Si on étend l'analyse aux adjectifs, on constate qu'ils se rangent en partie du côté des noms. Un adjectif peut varier en nombre (ex. grand, grands), mais non pas en personne ou en temps. De même, les adjectifs peuvent suivre un déterminant, mais non pas un pronom (ex. le petit, *je gros). Mais dans ce cas, qu'est-ce qui distingue les adjectifs des noms? Une différence, c'est que les adjectifs peuvent suivre un adverbe de degré ou un adverbe d'aspect: on peut dire très petit, assez gros, toujours rond, mais les noms n'ont pas cette possibilité (*très chaise). Une autre, c'est que les adjectifs peuvent varier en nombre et en genre (ex. petit, petites), ce qui n'est pas le cas pour les noms (sauf les noms d'êtres animés, qui peuvent varier en genre pour indiquer le sexe).

Une autre partie du discours est l'adverbe comme bientôt, hier, là. Qu'est-ce qui distingue les adverbes des adjectifs? Entre autres choses, les adverbes ne s'accordent pas en genre ou en nombre: ils sont invariables. En outre, un adverbe peut suivre un verbe (ex. elle travaille là) tandis qu'un adjectif suit (ou parfois précède) un nom (ex. un cahier bleu, un petit cahier).

Exercice: Trouvez des critères formels et distributionnels pour identifier les prépositions, les conjonctions et les pronoms.

Derrière la terminologie

En morphologie, il faut connaître la terminologie traditionnelle, pour la simple raison qu'on s'en sert, dans les dictionnaires et dans les grammaires, par exemple. Mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit de simples étiquettes qu'il ne faut pas prendre pour des réalités. Il faut toujours essayer d'identifier les classes naturelles sur la base des critères sémantiques, formels et distributionnels.

On peut voir l'importance de cette distinction dans le cas des déterminants. Prenez les exemples suivants:  

le la les sont des articles définisun une des sont des articles indéfinismon ma mes sont des adjectifs possessifsce cette ces sont des adjectifs démonstratifs

Or, même au premier coup d'oeil, il est évident que les membres de cette liste ont quelque chose en commun. Dans tous les cas, on trouve une forme masculine singulière, une forme féminine singulière et une forme plurielle. Du point de vue de la distribution, on constate que tous ces éléments peuvent précéder un nom (ou un adjectif). Et pourtant, dans la terminologie traditionnelle, on appelle les deux premiers membres de la liste des articles et les deux derniers des adjectifs. Ce qui est pire, c'est que les `adjectifs' possessifs et démonstratifs ne satisfont même pas aux

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critères des adjectifs, dans le sens qu'on ne peut pas mettre un adverbe de degré devant une forme de la sorte (ex. *très mon cahier).

On voit donc que la terminologie traditionnelle correspond assez mal à la réalité linguistique. C'est à cause de cela que les linguistes utilisent un autre terme pour nommer les quatre sortes de formes: on les appelle des déterminants, puisqu'ils déterminent un nom.

À la recherche des morphèmes

Prenez les listes suivantes:

   1. acheteur, fleur, danseur, acteur    2. cuisinette, cigarette, toilette, fillette

Prenons la forme eur dans la première liste. S'agit-il d'un morphème dans tous les cas? On peut le déterminer en demandant

- si la même forme est présente dans tous les cas; - si cette forme porte le même sens dans tous les cas; - si cette unité de forme et de sens se trouve dans au moins un autre contexte.

Or, on constate que dans acheteur et danseur la forme eur signifie `une personne qui fait l'action indiquée par le verbe'. Cette unité de forme et de sens se trouve dans ces deux contextes, et dans d'autres aussi (vendeur, buveur, lanceur etc.). Il s'agit donc d'un morphème. Par contre, dans le cas de fleur, la suite de lettres eur n'a pas de sens. Seul la suite totale fleur signifie quelque chose. eur n'est donc pas un morphème dans fleur.

La lexicologieQu'est-ce que c'est que la lexicologie?Après la phonétique et la phonologie, qui s'occupent des sons, et la morphologie qui s'occupe des unités minimales de forme et de sens, nous arrivons dans la lexicologie, qui s'occupe des masses de mots qui forment le lexique d'une langue, et le stock lexical des individus. Nous verrons que la notion même de mot est assez complexe, et que l'étude des mots demande des procédures assez fines.

Pour saisir l'importance de la lexicologie, il vaut la peine de réfléchir sur nos capacités de manipulation lexicale. Chaque locuteur d'une langue possède des milliers de mots. Certains de ces mots sont utilisés tous les jours, mais d'autres n'apparaissent pas dans la bouche ou sous le stylo qu'une ou deux fois par année. Malgré cela, nous arrivons à trouver les mots qu'il nous faut dans un instant, sans même y faire attention. Il y a donc une question de stockage et d'accès qu'il faut examiner. Mais avant même d'analyser les mots de la langue, il faut commencer par préciser ce qu'on étudie. Qu'est-ce que c'est qu'un mot?  

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Définitions de l'unité lexicaleIl faut commencer par noter que la notion de mot est assez floue. Par exemple, combien de mots y a-t-il dans chacun des exemples suivants?

1. le tableau est contre le mur2. un petit stylo sur une petite table

En (1), certains locuteurs diraient qu'il y a 6 mots, tandis que d'autres diraient qu'il y en a 5 (en comptant comme un seul mot les deux fois qu'on trouve le). On voit donc qu'il faut faire une distinction préliminaire entre ce qu'il y a physiquement (ce qu'on appelle les occurrences) d'une part, et d'autre part les formes, c'est-à-dire les unités formelles, qui peuvent apparaître plus d'une fois. Ainsi, en (1), on trouve 6 occurrences, mais deux d'entre elles sont des occurrences d'une seule forme le.

Exercice: Combien de formes et d'occurrences y a-t-il dans les suites:

1. ma tasse est sur ma table,2. mets le cahier dans le livre contre le mur.

En (2), la situation se complique davantage. Certains locuteurs diraient qu'il y a 7 mots dans la suite, tandis que d'autres y verraient 5. Les premiers comptent les occurrences, tandis que les autres mettent ensemble un et une, d'une part, et petit et petite d'autre part. On voit qu'il faut faire une deuxième distinction: on peut analyser certaines formes comme des manifestations d'un même lexème. Ainsi, il existe un lexème PETIT, une classe abstraite, qui possède quatre formes possibles à l'écrit (petit, petits, petite, petites) et deux formes à l'oral ([p ti], [p tit]), et chacune de ces formes peut avoir une ou plusieurs occurrences dans un texte.

Notons que la répartition des formes en lexèmes n'est pas toujours évidente. Par exemple, s'il est facile de voir que deux formes comme table et tables représentent le même lexème, et qu'il en va de même pour les adjectifs, l'identité des articles soulève des problèmes. Est-ce qu'on considère comme relevant d'un même lexème un et une? Si oui, faut-il les mettre ensemble avec des, qui serait leur forme plurielle? Faut-il combiner dans un seul lexème les différentes formes de l'adjectif possessif mon, ton, son, ma, ta, sa, mes, tes, ses? Et à un niveau plus général, faudrait-il mettre ensemble toutes les formes du déterminant dans un seul lexème?

Lexique et vocabulaireIl existe deux lieux d'existence pour les unités lexicales. D'un côté, pour désigner les unités lexicales utilisées et comprises par un individu, nous utilisons le terme de vocabulaire. Chaque individu a son vocabulaire à lui, qui fait partie de son idiolecte, sa façon individuelle de s'exprimer.

En même temps, tous les locuteurs qui parlent une même langue partagent une masse d'unités lexicales. Aucun locuteur ne possède toutes, mais ensemble, leurs vocabulaires combinés définissent une unité supérieure qui existe au niveau de la communauté: nous l'appelons le lexique.  

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Vocabulaire passif et vocabulaire actifLes locuteurs d'une langue possèdent chacun deux façons d'utiliser leur vocabulaire. Il existe des unités lexicales qu'ils utilisent (qu'ils prononcent ou qu'ils écrivent). Certaines de ces unités sont employées tous les jours (ex. le, je, être), tandis que d'autres sont utilisées plus rarement. Par exemple, pensez à la dernière fois que vous avez utilisé le mot fourchette. Le vocabulaire qu'on utilise dans la parole et dans l'écriture s'appelle le vocabulaire actif. Il est clair que le vocabulaire actif d'un individu change avec le temps. On apprend des mots nouveaux (ou on en fabrique au moyen des mécanismes de créativité lexicale) et on les utilise. En même temps, il existe des mots qu'on laisse de côté, soit parce qu'ils sont passés de mode, soit parce qu'ils appartiennent au parler d'une autre couche d'âge.

Exercice:

1. Trouvez des mots que vos grands-parents ou vos parents utilisent, mais que vous n'utilisez plus (sauf peut-être quand vous leur parlez). Quels sont les termes qui les remplacent dans votre vocabulaire?

2. Trouvez 10 mots français que le dictionnaire catégorise comme `vieillis'. Trouvez 10 mots (dans un magazine ou un journal, par exemple) qui sont courants en français aujourd'hui, mais qui n'étaient pas attestés en 1980.

La syntaxeLa notion de phraseLa syntaxe est le domaine de la linguistique qui s'occupe de l'étude des phrases. Notons cependant que le concept de phrase implique déjà un niveau d'abstraction assez élevé. Prenons les exemples suivants:

1. tables fauteuils murs planchers lits2. Cette petite fille est assez rapide.

La plupart des locuteurs auraient tendance à considérer le deuxième exemple comme une phrase, mais non pas le premier. C'est que la notion de phrase implique un niveau minimal de structure. Les éléments sont reliés de façon régulière. Cette régularité se manifeste à deux niveaux: la forme et le sens.

Du point de vue formel, on constate que, contrairement à l'exemple (1) l'exemple (2) comprend un ordre (on dit cette petite fille mais non pas petite cette fille), et une série de dépendances (le choix d'un nom féminin implique le choix d'un adjectif féminin, qui se termine par -e, et le choix d'un nom singulier implique le choix d'un verbe singulier).

Du point de vue sémantique, on remarque que la phrase se caractérise par le fait de porter un contenu qui représente en quelque sorte la composition de ses composantes. Ainsi, cette

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petite fille permet d'indiquer l'existence d'une fille en particulier ( cette), le fait que cette fille n'est pas grande ( petite) et le fait qu'il s'agit d'une fille.

Ces deux niveaux de structure supposent une connaissance de la langue. Si on ne parle pas français, on ne peut pas savoir que (2) est une phrase mais que (1) n'en est pas une. Les suites de mots que nous entendons et que nous lisons à tous les jours sont classées comme des phrases ou non selon ces connaissances.

Dans ce qui suit, nous ferons une distinction entre phrase, une entité abstraite qui suppose la connaissance de la langue, et énoncé, une production physique séparée par deux périodes de silence (dans la langue parlée) ou par des blancs (dans la langue écrite). Les énoncés existent au niveau de la parole, mais les phrases sont des entités de la langue.

La sémantiqueButs de la sémantiqueLa sémantique est l'étude scientifique de la signification. En tant que telle, elle exige des techniques et des outils particuliers, et des méthodes scientifiques. Nous verrons cependant que, contrairement à la phonologie et à la syntaxe, où il existe un accord assez général sur les méthodes à utiliser, la sémantique se caractérise par une grande diversité d'approches.

La complexité de la sémantique s'explique aussi par le fait qu'elle met en jeu plusieurs niveaux de données, allant du sens des mots, à celui des phrases, aux relations sémantiques entre phrases dans le discours, et aux relations pragmatiques qui mettent en jeu l'utilisation du langage dans les situations diverses.

Dans ce qui suit, nous commencerons par faire de la sémantique lexicale, qui traite du sens des mots. En particulier, nous examinerons les analyses sémantiques basées sur la lexicographie, sur l'analyse structurale (ou componentielle), et sur les critères logiques.  

L'analyse structurale ou componentiellePar leur richesse et leur complexité, les dictionnaires représentent un outil important pour l'analyse sémantique. Mais en même temps, ils ont des faiblesses. L'une des principales consiste en leur métalangage. En principe, un dictionnaire peut utiliser tous les mots de la langue pour définir les entrées. Et ce qui est pire, dans une définition particulière, le choix d'un mot plutôt qu'un autre relève souvent d'un choix personnel. Par exemple, dans la définition de frapper, on pourrait remplacer toucher par entrer en contact, et dans la définition de grange, on pourrait remplacer bâtiment par construction sans détruire la définition. Ce flottement rend difficile la vérification des définitions.

Pour éviter ce genre de problème, les linguistes cherchent depuis quelques décennies à trouver d'autres outils d'analyse sémantique qui seraient plus explicites et plus faciles à vérifier.

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L'un des premiers qu'on a proposé s'inspire de l'analyse phonologique. Prenons le tableau phonétique suivant:

occlusif sourd sonore oral nasal bilabial apico-dentalp + + - + - + -b + - + + - + -m + +/- +/- - +  +  -t  +  +  -  +  -  -  +d  +  -  +  +  -  -  +n +  +/-  +/-  -  +  -  +

Pour chacune des consonnes à analyser, on trouve une série de catégories possibles, y compris occlusif, sourd, sonore, etc. Et pour chaque catégorie, on trouve une valeur exprimée sous forme de + et de - , où le plus signifie que la catégorie est satisfaite par la consonne et où le moins signifie que la catégorie n'est pas satisfaite. On voit donc que la consonne sourde /p/ comporte un plus pour la catégorie sourd et un moins pour la catégorie sonore. Ensemble, les valeurs pour chaque catégorie définissent le portrait d'une consonne en particulière. Chaque combinaison d'une catégorie et d'une valeur s'appelle un trait. Ainsi, +sourd est un trait, tout comme -nasal....

L'avantage principal d'un système de traits comme celui-ci est d'être totalement explicite. En même temps, le métalangage utilisé (le système de catégories et de valeurs) est fermé. La présence de ces avantages a poussé les linguistes à adopter un tel modèle pour l'analyse sémantique aussi. Voyons quelques exemples de ce que cela peut donner.

humain  adulte  enfant mâle  femellehomme  +  +  -  +  -femme  +  +  -  -  +garçon  +  -  +  +  -fille  +  -  + -  +

On a utilisé l'analyse componentielle pour résoudre un grand nombre de questions en sémantique. Au niveau des micro-systèmes lexicaux (de petits groupes de mots ayant une base sémantique commune), une telle méthode permet de mettre clairement en évidence les relations sémantiques. Ainsi, dans l'exemple suivant, on voit que ce qui distingue rivière et fleuve est la destination.

cours d'eau  finit dans l'océanrivière  +  -fleuve  +  +

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Le structuralisme http://1libertaire.free.fr/structuralisme03.html

I- Introduction

1)- Origine

Le structuralisme tire son origine du Cours de linguistique générale (1916) de Ferdinand de SAUSSURE qui envisage d’étudier la langue comme un système dans lequel chacun des éléments n’est définissable que par les relations d’équivalence ou d’opposition qu’il entretient avec les autres. Cet ensemble de relations forment la structure.

2)- Définition

Dans les années 1950, les analyses de LEVI-STRAUSS des systèmes de parenté permettent de penser que l’homme, envisagé comme un être pensant, être social, être communiquant avec ses semblables, va pouvoir enfin être un objet de science. Ainsi, pour LEVI-STRAUSS, la structure possède une organisation logique mais implicite, un fondement objectif en deçà de la conscience et de la pensée (structure inconsciente). Par conséquent, le structuralisme vise à mettre en évidence ces structures inconscientes.

Les principaux auteurs et penseurs structuralistes sont: LEVI-STRAUSS, ALTHUSSER, LACAN, FOUCAULT et DERRIDA.

3)- Les limites

Toutefois, l’analyse structuraliste tend à laisser de coté l’histoire de l’homme et à vider l’action humaine de son individualité.

II- La théorie structuraliste

Pour les structuralistes, les processus sociaux sont issues de structures fondamentales qui demeurent le plus souvent inconscientes. Ainsi, l’organisation sociale génère certaines pratiques et certaines croyances propres aux individus qui en dépendent.

Cette théorie se base sur une nouvelle science, la linguistique. F. DE SAUSSURE avait révolutionné l’approche du langage en montrant que toute langue constitue un système au sein duquel les signes se combinent et évoluent d’une façon qui s’impose aux acteurs et selon des lois qui leur échappent (ainsi Nicholas TROUBETSKOJ a appliqué cette méthode à l’étude des sons en montrant les lois par lesquelles ils se combinent dans différentes langues).

Ainsi, s’inspirant de cette méthode, le structuralisme cherche à expliquer un phénomène à partir de la place qu’il occupe dans un système, suivant des lois d’association et de dissociation (supposées immuables). "Si l’activité inconsciente de

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l’esprit consiste à imposer des formes à un contenu, et si ces formes sont fondamentalement les mêmes pour tous les esprits, anciens et modernes, primitifs et civilisés_comme l’étude de la fonction symbolique, il faut et il suffit d’atteindre la structure inconsciente, sous jacente à chaque institution et à chaque coutume, pour obtenir un principe d’interprétation valide pour d’autres institutions et d’autres coutumes" (LEVI-STRAUSS).

III- Les différents courants structuralistes

1)- L’anthropologie et l’ethnologie structuraliste

Le point de départ de cette fusion sont les travaux effectués par LEVI-STRAUSS. Se penchant sur les relations de parenté au sein des sociétés dites "primitives", il entreprit de montrer que celles-ci sont régies par des lois d’association et de dissociation comparables à celles régissant les rapports entre les sons au sein d’une langue.

Par exemple, les structures élémentaires de la parenté ont pour fonction de déterminer quels conjoints sont interdits et de prescrire la catégorie d’individus à épouser selon les trois types de relations de parenté toujours données dans la société humaine: consanguinité, alliance, filiation; cela fait ainsi apparaître la signification profonde de la prohibition de l’inceste comme condition primordiale de l’échange (travaux liés à la psychanalyse freudienne: interdiction de l’inceste, et à celle de JUNG: archétype de la trinité). En renonçant à la consanguinité, l’homme s’astreint à pratiquer des échanges (dont la femme est le plus important) avec autrui.

Ainsi, pour les structuralistes, les types d’arrangements matrimoniaux fixent les limites entre lesquelles jouent les choses individuelles, les considérations sociales et économiques inconscientes (Ils fixent la limite de tous les échanges).

2)- Un structuralisme lié à la philosophie et aux "sciences humaines"

Le structuralisme est lié à la philosophie et aux sciences humaines (psychanalyse, sociologie) mais on ne peut pas réellement parler de philosophie structuraliste ou de structuralisme philosophique (le structuralisme s’englobant, suivant les différents courants, dans la plupart des sciences, qui s’alimentent aussi dans les théories structuralistes).

Ainsi, on peut parler de différents structuralismes, un structuralisme lié aux théories marxistes sur les structures économiques et sociales dégagées par le Capital, mise en place par Louis ALTHUSSER. Pour lui la structure économique, constituée par l’ensemble des rapports de production (rapports sociaux), est déterminée par la théorie de la praxis, de la pratique collective. (La praxis étant la relation dialectique entre l’homme et la nature et l’homme et l’environnement social, relation par laquelle l’homme en transformant la nature par son travail ou en transformant l’environnement social par son travail se transforme lui-même). Ainsi, l’homme en général, transformant son environnement naturel et social par son travail, détermine la structure économique.

Jacques LACAN, lui, fonde un structuralisme imprégné de psychanalyse freudienne. Pour lui, l’inconscient est structuré comme un langage. Il rejette, ou tout du moins critique, l’autonomie du sujet dans la vie sociale. L’individu n’a que très peu

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de rôle dans la constitution de la structure économique (terme marxiste), celle-ci est comme prédéterminée inconsciemment (inconscient collectif). La société impose donc à l’individu un certain environnement social et non le contraire. D’autres auteurs, comme Michel FOUCAULT, partagent cette conception (Pour lui, le structuralisme annonce l’effacement du sujet et le point d’aboutissement ultime des sciences humaines).

Jacques DERRIDA se fonde, quand à lui, sur un structuralisme basé non plus que sur l’étude du langage pour expliquer les structures inconscientes sociales mais aussi sur l’étude de l’écriture, inaugurant ainsi le poststructuralisme.

IV- Conclusion

Ainsi, l’apogée de ce courant fut des années1950 aux années 1970. Le structuralisme voue ses recherches à trouver les structures sociales inconscientes qui régissent l’humanité en affirmant que celles-ci sont organisées logiquement. Ainsi, le structuralisme implique une mathématisation du réel, et l’organisation des structures est étudiée de manière rigoureuse, à l’aide des mathématiques modernes.

Malgré la différence entre les divers courants structuralistes, ceux-ci ont influencés les sciences humaines d’aujourd’hui et notamment la sociologie. Ainsi, Pierre BOURDIEU invente la notion d’habitus, qui correspond à une capacité acquise socialement par un individu et qui lui permet d’avoir la réaction immédiate et appropriée à un environnement. Ainsi, lorsque l’habitus est acquis, tout semble naturel à un individu ce qui lui permet d’effectuer les choix correctes, c’est-à-dire ceux conformes à son ethos (la culture de son groupe). L’habitus s’apparente à une partie de la structure sociale, inconsciente à l’individu et déterminé par les échanges entre les individus.

Objections:

Cependant, le structuralisme se limite a une analyse synchronique des institutions pour en dégager la structure et le sens. Les structuralistes étudient donc la structure à un moment donné de l’histoire car ils considèrent cette structure comme inchangeable. Ainsi, l’évolution de l’homme et des sociétés à travers l’histoire est mise de coté.

De plus, le structuralisme enlève toute individualité, toute action individuelle sur la détermination de la structure sociale. Au contraire, pour eux, l’individu et les échanges entre individus sont déterminés par la structure sociale, sorte d’inconscient collectif. Cela semble être vrai, mais partiellement seulement. Car il est vrai que la conscience humaine propre à chaque individu est déterminée par les rapports de production eux-mêmes déterminés par la structure sociale. Toutefois, d’un point de vue historique, ce principe empêche toute évolution, toute transformation de la société. C’est le cas dans certaines sociétés primitives où la conscience humaine n’émerge de l’inconscient que sous une forme collective issue de la structure inconsciente. Cependant, dans des sociétés en évolution, l’homme transforme les rapports sociaux et économiques au fil du temps. Certains expliquent cela par la praxis, mais cette théorie n’explique pas le pourquoi de ces transformations. Elles sont dû à l’émergence de la conscience individuelle qui donne une liberté à l’individu par rapport à la structure inconsciente et collective. Philosophiquement, la conscience individuelle est sans doute liée à la conscience de l’individu d’être pour soi, c’est-à-dire à la conscience d’exister et donc

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de mourir. Cela entraîne une recherche personnel du bonheur à travers les passions qui expriment la volonté de puissance c’est-à-dire la volonté de bonheur absolu. Ainsi, l’erreur du structuralisme est de vider de toute action humaine et de toute historicité l’analyse de la structure. Car si tout au long de l’histoire, la conscience individuelle a transformé (par le praxis) les rapports de production alors que ceux-ci sont déterminés par la structure sociale inconsciente, c’est que celle-ci a aussi évolué et n’est donc pas immuable (bien que son fondement premier, appelé en psychanalyse l’inconscient collectif, reste sans doute immuables, d’autres couches viennent sans doute s’y superposer au cours de l’histoire ou au cours d’une vie humaine).

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Monèmes, morphèmes et lexèmes.1. Analyse fonctionnaliste (Martinet)

L'école fonctionnaliste réfléchit à la fonction des unités. Si le phonème est une unité distinctive, le monème (unité minimale de sens) est une unité significative. Le monème se répartit en deux types d'unités les lexèmes et les morphèmes, toutes deux porteuses de sens.

Lorsque les distinctions de catégories de genre, de nombre, de temps, d'aspect ou de mode ne sont pas marquées par un morphème spécifique, on parle de morphème Ø (morphème zéro).ex. Dans un lexème comme locataire, rien ne marque hors contexte s'il s'agit d'un féminin ou d'un masculin, et dans une unité comme époux, la distinction singulier / pluriel n'est pas marquée.

Morphème

= le signe minimal, constitué d'un signifiant et d'un signifié

Grewendorf (1989 : 254) : "einfache ("kleinste") sprachliche Zeichen, die nicht mehr weiter in kleinere Einheiten mit bestimmter Lautung und bestimmter Bedeutung zerlegt werden können"

On peut distinguer les morphèmes grammaticaux (appelés parfois grammèmes) et les morphèmes lexicaux (= lexèmes). Le linguiste français André Martinet utilise le terme de 'monème' (au sens où est employé ici le terme de 'morphème') et distingue, parmi les monèmes, les morphèmes grammaticaux et les lexèmes.

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