LES DÉBUT DS E LA PRÉVISION...

3
126 H O l N La Météorologie 8 e série - numéro spécial - avril 1995 MISE AU POINT D'UN MODÈLE BAROTROPE LES DÉBUTS DE LA PRÉVISION MÉTÉOROLOGIQUE AUTOMATIQUE EN ALGÉRIE Jean Coiffier Météo-France Service central d'exploitation de la météorologie 42, avenue Gustave-Coriolis 31057 Toulouse Cedex Tout de suite après sa création en 1965, le jeune Service météorologique algé- rien a compris l'importance de l'automatisation dans le domaine de la météoro- logie. En 1969, il faisait l'acquisition d'un ordinateur scientifique universel (IBM 1130) qui allait permettre, d'une part, de moderniser les applications de climatologie, d'autre part, d'entreprendre les premières études en prévision numérique et de créer ainsi un premier pôle de compétences dans ce domaine. Le récit de la mise en oeuvre des premières applications de prévision numérique du temps en Algérie rend assez bien compte des conditions de travail artisanales, qui ont dû être partagées par bien d'autres équipes de la communauté météorolo- gique à la même époque. La première application pratique consistait à fournir un modèle de prévision numérique. Commencées en 1969, les études bénéficient ensuite de l'appui enthousiaste de Jean Lepas, expert de l'OMM auprès du Service météorologique algérien, et débouchent, en 1970, sur la réalisation d'un modèle barotrope filtré, appliqué à la surface géopotentielle 500 hPa (Zerroukhat, 1970). Écrit de façon modulaire, le programme effectue les calculs classiques par étapes successives : - facteur d'échelle et paramètre de Coriolis, - tourbillon absolu, - jacobien, - résolution de l'équation elliptique donnant la tendance, - avance temporelle. Il fonctionne sur une grille relativement modeste de 255 points (15 x 17) avec une dimension de maille de 381 km et fournit alors des prévisions jusqu'à l'échéance de 36 heures. La prévision nécessite une demi-heure de temps de cal- cul et la capacité de mémoire de 16 Ko (dont une moitié est mobilisée par le sys- tème résident) impose le recours à des techniques de recouvrement. Pour rendre le modèle opérationnel, il restait encore à imaginer un système pour entrer les données initiales : on demande alors à l'analyste de plaquer sur la carte analysée un transparent sur lequel a été dessinée la grille de travail du modèle. Le travail de saisie est simplifié en n'effectuant le relevé que d'un point sur quatre seulement, ce qui oblige cependant à interpoler visuellement 72 valeurs (8 x 9) du gôopotentiel à 500 hPa. Le message correspondant est ensuite envoyé au centre de calcul pour être saisi sous forme de cartes perforées ; un programme d'interpolation automatique restitue alors le champ initial sur la grille de travail du modèle.

Transcript of LES DÉBUT DS E LA PRÉVISION...

126

H

O l N

La Météorologie 8 e série - numéro spécial - avril 1995

MISE AU POINT D'UN MODÈLE BAROTROPE

L E S D É B U T S D E L A P R É V I S I O N

M É T É O R O L O G I Q U E

A U T O M A T I Q U E E N A L G É R I E

Jean Coiffier Météo-France Service central d'exploitation de la météorologie 42, avenue Gustave-Coriolis 31057 Toulouse Cedex

Tout de suite après sa création en 1965, le j eune Service météorologique algé­rien a compris l ' impor tance de l 'automatisat ion dans le domaine de la météoro­logie . En 1969, il faisait l ' a cqu i s i t i on d ' u n ord ina teur sc ient i f ique universe l ( IBM 1130) qui allait permet t re , d 'une part, de moderniser les applicat ions de c l ima to log ie , d ' a u t r e par t , d ' e n t r e p r e n d r e les p r e m i è r e s é tudes en p rév i s ion numér ique et de créer ainsi un premier pôle de compétences dans ce domaine . Le récit de la mise en œuvre des premières applicat ions de prévision numér ique du temps en Algérie rend assez bien compte des condit ions de travail artisanales, qui ont dû être par tagées par bien d 'aut res équipes de la communau té météoro lo­gique à la m ê m e époque.

La première application prat ique consistait à fournir un modèle de prévision n u m é r i q u e . C o m m e n c é e s en 1969, les é tudes bénéf ic ien t ensu i te de l ' appu i enthousiaste de Jean Lepas, expert de l ' O M M auprès du Service météorologique algérien, et débouchent , en 1970, sur la réalisation d 'un modè le barotrope filtré, appl iqué à la surface géopotentiel le 500 hPa (Zerroukhat , 1970). Écrit de façon modulaire , le p rog ramme effectue les calculs classiques par étapes successives :

- facteur d 'échel le et paramètre de Coriolis ,

- tourbillon absolu,

- jacobien,

- résolution de l 'équat ion elliptique donnant la tendance,

- avance temporel le .

Il fonctionne sur une grille relat ivement modeste de 255 points (15 x 17) avec une d i m e n s i o n de ma i l l e de 381 k m et fourni t a lors des p r év i s ions j u s q u ' à l ' échéance de 36 heures . La prévision nécessite une demi-heure de temps de cal­cul et la capaci té de mémoi re de 16 Ko (dont une moit ié est mobi l isée par le sys­tème résident) impose le recours à des techniques de recouvrement .

Pour rendre le modèle opérat ionnel , il restait encore à imaginer un sys tème pour entrer les données initiales : on demande alors à l 'analyste de plaquer sur la carte ana lysée un t ransparent sur lequel a été dess inée la gril le de t ravai l du modèle . Le travail de saisie est simplifié en n 'effectuant le relevé que d 'un point sur qua t re s e u l e m e n t , ce qui ob l ige c e p e n d a n t à in te rpo le r v i s u e l l e m e n t 72 valeurs (8 x 9) du gôopotentiel à 500 hPa. Le message correspondant est ensuite envoyé au centre de calcul pour être saisi sous forme de cartes perforées ; un p r o g r a m m e d ' in te rpo la t ion au toma t ique rest i tue alors le c h a m p initial sur la grille de travail du modèle .

La Météorologie 8 e série - numéro spécial - avril 1995 127

Figure 1 - Exemples de prévision du modèle barotrope et de l'analyse vérifiante

Les résultats sont f inalement t ransmis aux prévis ionnis tes sous forme d ' un message Prontour permettant de coder les points caractérist iques du champ d ' i so-hypses . Paral lèlement , les sorties du modè le sont archivées sous forme de cartes perforées pour const i tuer des fichiers permet tant d 'effectuer u l tér ieurement la vérification de la prévision et le calcul des scores statistiques.

La créat ion, en 1970, de l ' Inst i tut hydrométcoro log ique de formation et de r e c h e r c h e ( I H F R ) , à O r a n , c o n d u i t à r e g r o u p e r sur ce s i te les a c t i v i t é s de recherche et déve loppemen t . L ' a n n é e 1972 voit l ' ins ta l la t ion d ' un ordinateur IBM 1130 doté d 'une capacité de mémoire de 64 Ko, soit un gain utile d 'un fac­teur 3 pour l 'utilisateur. Cette augmentat ion de puissance permet d 'accroî t re la taille du domaine du modèle barotrope et de travailler dès lors sur une zone de 483 points (21 x 23).

Parallèlement, la chaîne de prévision numérique est complétée par l 'automatisa­tion de l 'al imentation du modèle en données (Tabet-Aoul et Coiffier, 1970). Un programme de décodage automat ique des messages T e m p et Pilot, contenant les données d 'al t i tude, est mis en place. Le support de l ' information est consti tué par les rubans perforés récupérés sur les té lé imprimeurs de 1THFR. Ceux-ci sont lus sur le lecteur de ruban de l 'ordinateur et les messages , codés suivant l 'a lphabet té légraphique n° 2, sont interprétés en code-caractère interne, puis décodés afin de récupérer les valeurs des paramètres météorologiques . Un contrôle syntaxique

LA CHAÎNE DE PRÉVISION

NUMÉRIQUE

En l ' ab sence de t raceur de courbes , la t echn ique adoptée pour fournir des cartes au prévisionnistc, c o m m u n e d 'a i l leurs à de nombreuses équipes , consiste à matérialiser le c h a m p de géopotent iel sous forme de plages «zébrées» de carac­tères impr imés , qui font apparaître les isohypses. Cette technique est à l 'or igine de la dimension de la mail le de 381 km, correspondant à un pouce (2,54 cm) sur les projections car tographiques au 1/15 000 000, les d imensions des caractères d ' i m p r i m a n t e étant des sous -mul t ip les du pouce . Un opéra teur fixe, avec du ruban adhésif, le fond de carte pré impr imé sur le papier de l ' impr imante , jus te avant la sortie du tracé. Un exemple est donné en figure 1.

128 La Météorologie 8 e série - numéro spécial - avril 1995

Figure 2 - Exemple de correction de lignes de messages erronées

relativement simple est effectué et permet à un opérateur de corriger sur le clavier de l 'ordinateur les passages erronés (suppression de caractères, transformation de lettres en chiffres, séparation de blocs), comme l'illustre la figure 2.

Le p rog ramme d 'ana lyse objective utilise les données de géo­potentiel et de vent à 500 hPa pour corriger un champ d ' ébauche consti tué par une prévision récente du modèle . Il s ' appuie sur la méthode des ajustement itérés (dite de Cressman) , consistant à corriger l ' ébauche , pour chaque point de grille, en fonction des écarts entre observa t ions et ébauche aux points d 'obse rva t ion (Tabet -Aoul et al., 1971). Un facteur de pondérat ion dépendant de la distance permet de donner plus d ' impor tance aux stations les plus proches , et l 'hypothèse géost rophique est utilisée pour corriger le géopotent iel en tenant compte des données de vent.

Tous les é léments d ' u n e chaîne de prévis ion classique sont donc en place. Les rubans des té lé imprimeurs sont lus sur l 'ordi­nateur ; les messages à syntaxe douteuse sont corrigés en super­vision avant d 'a l imenter la banque de données utilisée par l ' ana­lyse objective ; le modèle de prévision peut donc être initialisé sans avoi r à recour i r aux se rv ices d ' u n ana lys te . Le s y s t è m e d ' impress ion des cartes nécessite toujours la fixation du fond de carte sur le papier de l ' impr imante . L 'ar rê t du fonct ionnement du cent re de calcul lors de la j ou rnée de repos h e b d o m a d a i r e impose d'effectuer un rattrapage en début de semaine pour dis­poser ainsi d ' un cycle cont inu d ' ana lyses et de prévis ions . La

possibil i té d 'effectuer une saisie des points de grille superposés sur une analyse manuel le est cependant conservée à titre de solution de secours .

CONCLUSION Ains i , en 1972, une chaîne au tomat ique complè te permet ta i t d ' a l imente r le centre de prévision de 1THFR en prévis ions numér iques . Ces modes tes réalisa­tions, mises e n œuvre il y a un vingtaine d ' années , montrent q u ' e n dépit d 'un matériel dont les per formances apparaissent désormais dérisoires (mémoi re de quelques dizaines de kilo-octets , vitesse de l 'o rdre du microflop), il était possible de réaliser une chaîne de prévision numér ique opérat ionnel le , en faisant preuve d 'un peu d ' ingénios i té . Durant les années qui suivirent, les études entreprises se sont poursuiv ies , permet tant à de j eunes ingénieurs de par t ic iper à la mise au point de modèles plus perfect ionnés (Lepas et al., 1971).

L ' intérêt de ces premiers t ravaux consistait surtout à montrer que la prévision numér ique n 'é ta i t pas un outil magique pour fournir des cartes météorologiques , mais un ensemble de processus compréhensib les et tout à fait maîtr isables avec un m i n i m u m de formation. Cette action déterminante est à porter au crédit des responsables du Service météorologique algérien, de l ' encadrement de 1THFR et des experts de l ' O M M qui, conscients de l ' impor tance de l 'enjeu, ont su fournir les m o y e n s nécessaires au déve loppement d 'un service météorologique résolu­ment moderne et ont ainsi apporté aux jeunes météorologis tes algériens une for­mat ion équivalente à celle des pays les plus avancés .

BIBLIOGRAPHIE L e p a s J., D . Ze r roukha t , R. Math ieu et J. Coiffier, 1971 : P rév i s ion n u m é r i q u e sur un

d o m a i n e restreint à l ' a ide des équa t ions pr imi t ives t rai tées de façon impl ic i te . Cahie rs de

la Météoro log ie n° 2, Alger .

Tabe t -Aou l M. et I . Coiffier, 1970 : D é c o d a g e au toma t ique des données mé téo ro log iques sur ca lcula teur . Cahie rs de la Météoro log ie n° 1, Alger , 11-28.

T a b e t - A o u l M. , L. F inaud et J. Coiffier, 1971 : M é t h o d e des a jus tements i térés appl iquée

à l ' ana lyse objec t ive du géopotent ie l à 5 0 0 mbar . Cahie rs de la Météo ro log ie n° 2, Alger .

Ze r roukha t D. , 1970 : In tégrat ion d ' u n m o d è l e ba ro t rope à équat ion filtrée ; compara i son

des m é t h o d e s d ' i t é ra t ion et d ' i nve r s ion . Cah ie r s de la Mé téo ro log ie n ° l , Alger , 29 -50 .