Les bêtabloquants : État actuel des connaissances Beta...

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193 Revue Tunisienne de Cardiologie . Vol 16 N°3- 3 e Trimestre 2020 Correspondance Ihsen Zairi Service de cardiologie Hôpital Habib Thameur Mail : [email protected] Les bêtabloquants : État actuel des connaissances Beta blockers : Current state of knowledge Résumé Les bêtabloquants sont des médicaments très couramment utilisés en pratique clinique, mais dont les mécanismes et les effets cliniques ne sont pas toujours bien compris, notamment dans certaines situations cliniques spécifiques. Cet article propose une mise au point des connaissances pharmacologiques sur les différentes générations de β-bloquants, ainsi qu'une révision des indications et des effets secondaires dans des situations particulières, telles que la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), l'asthme et l'hypertension portale avec varices œsophagiennes. Summary Beta-blockers are drugs that are widely used in clinical practice, but whose mechanisms and clinical effects are not always well understood, especially in specific clinical situations. This article proposes a review of pharmacological knowledge on the different generations of β-blockers, as well as a review of indications and side effects in specific situations, such as chronic obstructive pulmonary disease (COPD), asthma and portal hypertension with esophageal varices. Ihsen Zairi, Zeineb Oumaya, Imtinen Ben Mrad, Sofien Kamoun, Fethia Ben Moussa, Boutheina Besbes, Sana Fennira, Khadija Mzoughi, Sondos Kraiem Service de cardiologie Hôpital Habib Thameur Mots-clés Bêtabloquants, Indications, Effets indésirables Keywords Beta-blockers, Indications, Adverse events. MISE AU POINT CaRdIOLOgIe TUNISIeNNe

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  • 193Revue Tunisienne de Cardiologie . Vol 16 N°3- 3e Trimestre 2020

    CorrespondanceIhsen Zairi Service de cardiologie Hôpital Habib ThameurMail : [email protected]

    Les bêtabloquants : État actuel des connaissances Beta blockers : Current state of knowledge

    RésuméLes bêtabloquants sont des médicaments très couramment utilisés en pratique clinique, mais dont lesmécanismes et les effets cliniques ne sont pas toujours bien compris, notamment dans certaines situationscliniques spécifiques. Cet article propose une mise au point des connaissances pharmacologiques sur lesdifférentes générations de β-bloquants, ainsi qu'une révision des indications et des effets secondaires dansdes situations particulières, telles que la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), l'asthmeet l'hypertension portale avec varices œsophagiennes.

    SummaryBeta-blockers are drugs that are widely used in clinical practice, but whose mechanisms and clinicaleffects are not always well understood, especially in specific clinical situations. This article proposes areview of pharmacological knowledge on the different generations of β-blockers, as well as a review ofindications and side effects in specific situations, such as chronic obstructive pulmonary disease (COPD),asthma and portal hypertension with esophageal varices.

    Ihsen Zairi, Zeineb Oumaya, Imtinen Ben Mrad, Sofien Kamoun, Fethia Ben Moussa, Boutheina Besbes, Sana Fennira, Khadija Mzoughi, Sondos Kraiem

    Service de cardiologie Hôpital Habib Thameur

    Mots-clésBêtabloquants,Indications, Effetsindésirables

    KeywordsBeta-blockers,Indications, Adverseevents.

    MISE AU POINTCardiologieT u n i s i e n n e

  • IntroductIon

    les bêtabloquants constituent des médicamentsessentiels utilisés en première ligne dans de nombreusesaffections aiguës et chroniques. le Propranolol présentele premier bêtabloquant développé en 1962 par MrJames Black (1,2,3). depuis lors, de nombreux composésde ce groupe ont été synthétisés et couramment utilisésen pratique clinique, dans différentes spécialités. de cefait, une meilleure connaissance des propriétésindividuelles de chaque classe des β-bloquants s’imposeen vue d’optimaliser leur utilisation et profiter de leursbénéfices essentiellement chez des patientspolymorbides.

    MécanIsMes d’actIon 

    les catécholamines endogènes, médiateurs du systèmenerveux adrénergique, comportent la noradrénaline(norépinéphrine), l’adrénaline (épinéphrine) et ladopamine. la noradrénaline et l’adrénaline agissent àdes niveaux plus ou moins importants par l’intermédiairedes récepteurs α (αr) et β (βr) (4,5). les β-récepteurs,sur lesquels agissent les bétabloquants, se divisent entrois types (3) :

    - récepteurs-β1 (β1r) qui se trouvent principalement auniveau du cœur. leur blocage conduit à des effetsnégatifs sur l’inotropisme cardiaque (contractilité dumyocarde), chronotropisme (fréquence cardiaque),dromotropisme (conduction du nœud auriculo-ventriculaire), bathmotropisme (excitabilité dumyocarde), lusitropisme (vitesse de relaxation) (4).

    Par ailleurs, ils sont aussi bien présents au niveau rénal,responsable ainsi de la sécrétion de rénine par l’appareiljuxta-glomérulaire.

    - récepteurs-β2 (β2r) qui sont présents dans lesvaisseaux sanguins, bronches, utérus, pancréas etsystème digestif. ils représentent aussi 30 % des βr auniveau du cœur. le blocage de leur action induit, entreautres, une broncho- et/ou vasoconstriction et troublesmétaboliques (4).

    - récepteurs-β3 (β3r) retrouvés surtout dans le tissuadipeux, et pourraient jouer un rôle dans certainesobésités, mais aussi au niveau cardiaque (4).

    une augmentation de l’expression des βr survient avecun traitement chronique par BB. en cas d’arrêt brutal,un phénomène rebond peut survenir (6).

    classIfIcatIon

    les bêtabloquants constituent aujourd’hui une classeample et hétérogène de médicaments. ils sont classésselon les propriétés suivantes  : la liposolubilité, lacardiosélectivité (β1-sélectivité), l’activitésympathomimétique intrinsèque (asi) caractérisée parune action agoniste partielle qui s  ’ajoute à l’effetantagoniste, et enfin l’effet stabilisant de membraneresponsable de l’action anti arythmique par des effetsdromotrope et inotrope négatifs plus marquées (2,7).

    Par ailleurs, les β-bloquants se répartissent en troisgénérations distinctes en fonction des différences deleurs propriétés pharmacologiques (Tableau 1). lesbloqueurs β de première génération (depuis l’année1962) sont non sélectifs, en bloquant à la fois lesrécepteurs β1 et β2 ; les bloqueurs β de deuxièmegénération (établis en 1968) sont plus cardiosélectifs enraison de leur plus grande affinité pour les récepteursβ1 ; a savoir que cette affinité devient moins marquéeavec l’augmentation des doses ; et les bloqueurs β detroisième génération (datent de 1975) présentent unesélectivité variable pour les récepteurs β1. Ces derniersprésentent également des actions vasodilatatrices enbloquant les récepteurs α1-adrénergiques, en activantles récepteurs β3-adrénergiques (2), mais aussi par ladiminution de la production d’endothéline-1 pour leCarvedilol, et la libération d’oxyde nitrique pour lenébivolol (4).

    effets cardIo-vasculaIres 

    les effets cardio-vasculaires incluent initialement labaisse du débit cardiaque par la baisse de la fréquencecardiaque et de la contractilité myocardique. Cettebaisse du débit cardiaque est compensée par uneaugmentation réflexe des résistances périphériquesinitialement, mais ces résistances tendent à senormaliser et par conséquent la pression artérielles’abaisse secondairement. d’autres mécanismes peuventaussi expliquer la baisse de la pression artérielle et sontprincipalement  la diminution de la sécrétion derénine  par l’appareil juxta-glomérulaire et donc del’activité du sraa, la baisse de la libération denoradrénaline (effets présynaptique), et un effet anti-adrénergique central limité aux bloqueurs lipophiles(4,8). Certains β-bloquants présentent des propriétésantioxydantes et inhibent la prolifération des cellulesmusculaires lisses vasculaires (4).

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    LES BÊTABLOQUANTS

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    I. Zairi & al.

    Certains bêta-bloquants ayant un effet stabilisateur demembrane peuvent provoquer le blocage des canauxsodiques ou potassiques et donc un allongement des Qrset de l’intervalle QTc, ce qui potentialise la toxicité encas de surdosage (8).

    d’autre part, les β-bloquants améliorent le débitcoronarien en assurant une meilleure perfusion descoronaires suite à la prolongation de la diastole, uneredistribution du sang coronaire en faveur de l’endocardeet une diminution du travail cardiaque et des besoins enoxygène (9). ils permettent aussi de réduire le stressmécanique imposé à la plaque d’athérome et prévenirainsi de la rupture de la plaque (10). de plus, cetraitement assure une action sur le remodelagemyocardique délétère par inhibition des effetsmitogéniques des catécholamines (8).

    il est important de rappeler aussi l’effet des β-bloquantssur la baisse de la conduction auriculo-ventriculaire d’oùleur activité anti-arythmique (4).

    autres effets systéMIques les β-bloquants non cardiosélectifs essentiellementpeuvent être responsable de bronchospasmes,

    vasoconstriction périphérique, troubles du transitintestinal, sécheresse de la bouche et des yeux, ainsiqu’un syndrome dépressif, une insomnie, une fatigueintense et une impuissance sexuelle et la perte de libido(10,11) peuvent être identifiés chez certains malades.

    les β-bloquants non cardiosélectifs et les bloquants b1sélectifs sont souvent associés à une élévation du Vldl-cholestérol et des triglycérides de l’ordre de 25% et àune diminution du Hdl-cholestérol de 10-15% alors quele cholestérol total n’est pas significativementmodifié.  Ces effets semblent liés à la suppression del’activité de la lipoprotéine lipase, et sont moinsfréquents si asi (12).

    l’effet diabétogène des bêta-bloquants noncardiosélectifs résulte d’une diminution de la sécrétiond’insuline par les cellules β pancréatiques, d’unediminution de la sensibilité à l’insuline secondaire à uneréduction de l’apport sanguin périphérique, d’uneaugmentation du poids corporel et d’une augmentationde la gluconéogénèse par glycogénolyse secondaire à uneactivité alpha 2 non inhibée (9). le carvedilol, unmédicament possédant des propriétés α et β-bloquantes,a un effet favorable sur la sensibilité à l’insuline et la

    Tableau 1 : Tableau comparatif des propriétés des bêtabloquants (4)

    Noncardiosélectifs

    Cardiosélectifs

    3èmeGénération

    Propanolol (Inderal)

    Sotalol

    Labetalol (Trandate)

    Aténolol

    Métoprolol succinate

    Bisoprolol

    Esmolol

    Carvedilol

    Nébivolol

    Ratio sélectivitéβ1/β2

    -

    -

    -

    35

    40-79

    75-103

    33

    Non sélectif

    293

    Autres propriétés

    MSA

    Anti-arythmique de classe III

    Vasodilatation (α1-antagoniste)ASI faible

    -

    -

    -

    -

    Vasodilatation (α1-antagonisteet anti-endothéline 1)

    Effet anti-oxydant MSA

    Vasodilatation (NO dépendante)Effet anti-oxydant

    Demi-vie

    3-6h

    7-15h

    4-8h

    6-7h

    3-5h

    10-12h

    8-9h

    6-10h

    10-30h

    Métabolisme

    Hépatique

    Rénal

    Hépatique

    Rénal

    Hépatique

    Hépatique etrénal

    Hépatique

    Hépatique

    Hépatique Rénal

    Indications

    VO, Migraine,Hyperthyroïdie, TE

    arythmie

    Crise HTAAnévrysme de

    l’aorteHTA (< 60ans)

    ICHTA (

  • tolérance au glucose, comparé au métoprolol et àl’aténolol. Ceci est possiblement expliqué par lacomposante alpha-bloquante, qui est responsable d’uneaugmentation du flux plasmatique périphérique et de lacaptation du glucose par le muscle squelettique (13).

    une méta-analyse a montré que l’utilisation des β-bloquants non cardiosélectifs (essentiellement lepropranolol, le metoprolol et l’atenolol) entraîne uneaugmentation d’environ 30 % du risque d’apparition dediabète par rapport au placebo (9).

    d’autre part, une hypoglycémie peut survenir suite àl’inhibition de la sécrétion de glucagon et la réductionde la glycogénolyse hépatique, et peut être masquée parl’atténuation des signes sympathiques (4,11).

    les contre-IndIcatIons 

    des effets des β-bloquants découlent les contre-indication qui sont l’insuffisance cardiaquedécompensée non contrôlée, les bradycardies ethypotensions symptomatiques sévères, les blocsauriculo-ventriculaires de 2ème et 3ème degré, l’angorde Prinzmetal, l’asthme sévère, la dépression, lephéochromocytome non traité, et pour les noncardiosélectifs ; la BPCo ou l’asthme mal contrôlés et lephénomène de raynaud (pour les agents noncardiosélectifs et sans asi) (4,10)

    utIlIté clInIque

    le bénéfice et les indications cliniques des β-bloquantsont été clairement définis dans de nombreusesaffections cardiovasculaires et un accord sur leur utilitépotentielle a été clairement établi dans de nombreuxcontextes cliniques, en dehors des contre-indications(10).

    l’hypertension artérielle

    les bêta-bloquants ont été utilisés comme traitement depremière ligne de l’hypertension artérielle depuis la findes années 1960, mais la solidité des preuves de leurutilisation comme traitement de première ligne sansindications convaincantes est un sujet de controverse.de 2004 à 2006, trois méta-analyses ont été publiées,ont montré que les bêta-bloquants étaient moinsefficaces sur la réduction de l’incidence des accidentsvasculaires cérébraux , les infarctus du myocarde et lesdécès, que les autres familles d’antihypertenseurs (14).

    des études récentes ont montré même uneaugmentation de la mortalité et de survenue d’aVC chezles hypertendus traités par β-bloquants,particulièrement chez des patients de plus de 60 ans. lesmécanismes impliqués sont peu clairs. de ce fait, pourcette population, les β-bloquants n’ont pas de placecomme antihypertenseur de premier choix enmonothérapie, sauf en cas de tachyarythmie. Pour lespatients moins âgés, les β-bloquants de 1re ou 2egénération ne représentent plus un traitement depremière ligne en monothérapie(15) , sauf selon lesguidelines britanniques de 2011 et canadiennes de 2016(4). Concernant les urgences hypertensives, égalementpendant les grossesses, le labetalol avec son effetvasodilatateur lié à l’antagonisme non spécifique β et α,est une alternative de premier choix par rapport auxdérivés nitrés ou antagonistes du calcium (4,15).

    Pour l’HTa secondaire, chez les patients atteints d’unphéochromocytome, les bêta-bloquants sont égalementefficaces pour contrôler la tachycardie sinusale, maiss’ils sont administrés seuls, une crise d’hypertensionpeut survenir à la suite d’une constriction non opposéedes α-récepteurs (10).

    Insuffisance coronaire 

    dans la coronaropathie stable asymptomatique et enabsence de dysfonction ventriculaire gauche, il n’y a pasde bénéfice des β-bloquants sur la survie des patientsselon une méta-analyse de 2016 basée sur 4 étudesobservationnelles (4). en cas d’angor, cette moléculeprésente le traitement de première ligne avec desanticalciques, étant efficaces aussi bien sur lessymptômes que sur la capacité physique. Cependant, vuleur effet vasoconstricteur, les β-bloquants sont proscritsen cas de vasospasme coronarien ou de prise de cocaïne.Par ailleurs, suite à un infarctus aigu du myocarde, ilsont été recommandés à long terme chez tous les patientssur la base de plusieurs études de l’époque pré-coronarographie ayant démontré une réductionsignificative de mortalité cardiovasculaire (4,16) enlimitant l’étendue de l’infarctus et le risque de survenuedes arythmies (10,16,17). Cette indication estactuellement débattue dans les idM avec fonctioncardiaque préservée. dans ce contexte,  une étudeprospective et multicentrique récente (ClariFY registry)a constaté une diminution de la mortalité toutes causescomprises à 30 jours d’un infarctus et une diminutionsignificative de la mortalité cardiovasculaire à uneannée, sous traitement β-bloquants. Ces effetsbénéfiques se perdent au-delà de 1-3 ans (17,18).

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  • Par conséquent, il existe une discordance entre lesrecommandations récentes de l’esC 2018 qui ne seprononcent pas sur la durée du traitement, et lesrecommandations américaines, plus anciennes, quiproposent encore de maintenir durant 3 ans letraitement β-bloquants post idM. des étudesrandomisées (reduCe-sWedeHearT) sont actuellementen cours pour essayer de résoudre ce débat. Par contre,en cas d’insuffisance cardiaque post-infarctus, il estindiqué dès les premières 24 h en absence de contre-indication, et à maintenir au long cours(recommandation de classe i pour esC/aHa) (4).

    Insuffisance cardiaque 

    Tous les patients présentant une insuffisance cardiaquechronique, liée à une cardiomyopathie ischémique ounon ischémique, à une fraction d’éjection ventriculairegauche réduite (FeVg

  • bloquants peuvent être utilisés si la voie accessoire estincapable d’une conduction antérograde rapide, commel’ont démontré des études électro physiologiques. eneffet, ils ne bloquent pas la voie accessoire et peuventmême améliorer la conduction, ce qui entraîne uneréponse ventriculaire très rapide pouvant conduire à unehypotension grave ou à un arrêt cardiaque. Pour cesraisons, les bêta-bloquants sont contre-indiqués dans lesarythmies associés au syndrome WPW. ils sont égalementcontre-indiqués chez les patients présentant unedysfonction sinusale ou syndrome debradycardie/tachycardie, du fait qu’arrêt sinusal avecsyncope peut se produire (10).

    Pour les troubles du rythme ventriculaire tels que lestachycardies ventriculaires idiopathiques, lescardiomyopathie arythmogène du ventricule droit et lesautres maladies congénitales, le sotalol est le traitementde choix vu ses propriétés non sélectif, anti arythmiquesde classe iii, en bloquant l’efflux de K+. Par contre,devant le risque de prolongement du QT, il n’est pasrecommandé dans le syndrome de QT long (lQT), ni dansle traitement de la « torsade de pointes » (4).

    Par ailleurs, les β-bloquants sont un pilier du traitementdu syndrome lQT (22). ils sont recommandés chez lespatients diagnostiqués comme atteints de lQTs, etdoivent être envisagés chez les patients porteurs d’unemutation causale du lQTs mais dont l’intervalle QT estnormal. l’augmentation du tonus sympathique (parexemple pendant l’exercice) est l’un des plus importantsdéclencheurs d’arythmie dans le lQT1 (qui est causé pardes mutations dans le gène KCnQ1 entraînant uneréduction du courant iKs), et peut être évité par les β-bloquants (23,24). dans le cas du lQT2 (causé par laperte de fonction des iKr), on pense que les les β-bloquants sont moins efficaces que dans le cas du lQT1.des études récentes comparant l’efficacité de différentsbloqueurs ont montré que le propranolol et le nadololétaient aussi efficaces l’un que l’autre, tandis que lemétoprolol avait une efficacité anti-arythmiquenettement moindre (25).

    la cirrhose 

    il est important de noter que le blocage de β-adrenergicconduit à une diminution plus prononcée du gradient depression veineuse hépatique chez les patients atteints decirrhose hépatique, puisque ces patients présentent unevasodilatation splanchnique et une circulationhyperdynamique (26). les β-bloquants noncardiosélectifs (Tableau 3) ont alors un effet bénéfique

    par vasoconstriction splanchnique (effet β2) et réductiondu débit cardiaque (effet β1)(4). Cela explique pourquoiles β-bloquants non cardiosélectifs ne sont généralementpas efficaces pour prévenir le développement de variceschez les patients atteints de cirrhose (26), maispourraient être capables de prévenir la progression depetites à grandes varices (27). ils sont alors indiqués dansles préventions primaire et secondaire d’un saignementen présence des varices œsophagiennes, des varices depetite taille en cas de lésions érythémateuses et deCirrhose Child Pugh C (4).

    en cas de dysfonction circulatoire : pression artériellesystolique inférieure à 90 mmHg, natrémie inférieure à130 meq/l, insuffisance rénale, syndrome hépatorénal,et ascite réfractaire, il faut diminuer ou suspendre letraitement et reprendre après correction du facteurprécipitant, en repartant de la dose minimale (4,28).

    les autres indications des β-bloquants incluent lathyréotoxicose, la prévention de la migraine, letremblement essentiel, le sevrage de toxicomanie et leglaucome à angle ouvert(4,29) .

    la thyréotoxicose 

    dans le cadre de l’hyperthyroïdie, des étudescomparatives récentes suggèrent que l’aténolol (200 mgpar jour), le métoprolol (200 mg par jour), l’acébutolol(400 mg par jour), l’oxprénolol (160 mg par jour), lenadolol ( 80 mg par jour) et le timolol (20 mg par jour)produisent une réponse clinique bénéfique égale à celleobservée avec le propranolol ( 160 mg par jour) (30).

    administré à des doses adéquates, le propranolol s’estrévélé efficace pour contrôler l’hypercalcémiethyrotoxique. les effets secondaires mineurs (nausées,maux de tête, fatigue, etc.) sont assez fréquents, maisdans l’ensemble, les bêta-bloquants sont bien tolérés. en

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    Tableau 3 : les β-bloquants indiqués dans la cirrhosehépatique et leurs dosagesPropanolol Introduit au dosage de 20 à 40 mg2x/j Une titration de 20 mg par prisetous les 2-3 joursLe dosage recommandé = la dosela plus élevée tolérée

    carvedilolUn effet plus puissant sur la

    réduction du gradient de pressionveineuse hépatique

    Agit sur les non-répondeurs aupropranolol (25)

    Le dosage initial est de 6,25 mg/j.

  • complément des médicaments antithyroïdiens ou del’iode radioactif, les bêta-bloquants produisent uneréponse clinique satisfaisante dans le contrôle dessymptômes en attendant un diagnostic ou un traitementdéfinitif, dans les semaines ou les mois qui précèdentl’euthyroïdie (30).

    le tremblement essentiel 

    le tremblement essentiel est un trouble du mouvementcourant qui provoque souvent un handicap fonctionnel,pouvant entraîner des difficultés physiques etémotionnelles (31). d’après une méta-analyserécemment publiée, il semble que la réponse cliniqueaux bêta-bloquants soit variable et surtout partielle. lesétudes montrent une amélioration chez seulement 40 à50 % des patients. le propranolol semble être le plusefficace pour réduire l’amplitude du tremblement, maispas sa fréquence. la dose optimale varie de 240 à 320mg/jour ; au-delà de 320 mg, aucun bénéfice cliniqueparticulier n’est obtenu (32).

    cas particuliers  : en présence d’autrescomorbidités :

    Asthme 

    une controverse existe sur la sécurité de l’utilisation desbêta-bloquants chez les personnes souffrant d’asthmeléger à modéré. les études examinant l’efficacité del’utilisation des bêta-bloquants chez les patientssouffrant d’asthme léger à modéré ont montré peu oupas d’effets indésirables par rapport aux nonasthmatiques, mais ils ne sont généralement pas utilisésen raison des risques potentiels (11,33). en effet, etraitement β-bloquant induit un bronchospasme surtouten cas l’exposition aiguë chez des patients asthmatiquesvu l’absence d’opposition à l’activation cholinergique(4).

    si asthme est non sévère ou bien contrôlé, les bénéficesdes β-bloquants chez les insuffisants cardiaquesdépassent les risques, et dans ce cas, les cardiosélectifssont ceux à choisir. le patient doit être informé desrisques dès le début du traitement et doit être mis soussurveillance médicale rapprochée, à doses progressives.a savoir que la bronchoconstriction répond au traitementβ–agoniste et qu’elle peut être atténuée par untraitement concomitant d’anticholinergiques de longueaction (4,33).

    Bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) :

    la BPCo est fréquemment associée à l’insuffisancecardiaque ou à la cardiopathie ischémique au vu desfacteurs de risque communs. le risque cardiovasculaireaugmente chez des patients BPCo au vu du remodelageventriculaire et du risque d’arythmie, qui est encore plusélevé pendant les exacerbations. une diminution de lamortalité en rapport avec une amélioration de lafonction cardiaque a été constatée chez les patientsatteints d’une BPCo sous β-bloquants, vu leur rôleprotecteur contre l’effet inotrope et chronotrope des β-agonistes inhalés et grâce à l’augmentation de la densitédes β2r au niveau pulmonaire améliorant ainsil’efficacité des β-agonistes (4). d’autre part, en casd’insuffisance cardiaque, l’utilisation de bêta-bloquantscardiosélectifs réduit la libération de cytokinesinflammatoires systémiques telles que l’interleukine-6et modifie la distribution des leucocytes, ce qui peutégalement avoir un impact sur l’inflammation pendantles infections respiratoires. ils inhibent également lachimiotaxie des neutrophiles et la production deradicaux libres, et réduisent la libération d’endothéline-1, un peptide bronchoconstricteur impliqué dans lapathogenèse des exacerbations de la BPCo (34). enconséquence, en cas d’indication cardiaque et BPCoassociées, la prescription d’un β-bloquant cardiosélectifest plutôt recommandée (4).

    il est aussi important de mentionner que même enabsence de maladie cardiaque, les β-bloquants ont leurplace ; en effet, nous avons identifié dans la littérature18 études observationnelles portant sur l’efficacité desbêta-bloquants chez les patients atteints de BPCo ; uneréduction de la mortalité toutes causes confondues a étéobservée (35). la première étude prospective,multicentrique, randomisée, en double aveugle etcontrôlée par placebo – βloCK CoPd – est actuellementen cours pour évaluer l’effet du Métoprolol surl’évolution de la maladie et la fréquence desexacerbations (4,36).

    Artériopathie oblitérante des membres inférieurs(AOMI) :

    une contre-indication à l’utilisation des β-bloquants en casd’aoMi a été souvent évoquée en raison de la diminutiondu débit cardiaque et de la vasoconstriction (4).

    actuellement, aucune preuve ne suggère que les bêta-bloquants ont un effet négatif sur le périmètre demarche, la circulation sanguine des membres inférieurs,

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    LES BÊTABLOQUANTS

    la résistance vasculaire et la température de la peauchez les personnes souffrant de claudicationintermittente (37,38).

    au contraire, une étude randomisée récente a constatéune amélioration de la distance totale parcourue et del’index « cheville-bras » sous nébivolol et métoprolol.avec une distance plus grande jusqu’à l’apparition de laclaudication sous nébivolol (4). les nouveaux β-bloquants de troisième génération comme le carvédilolou le nébivolol ont des propriétés vasodilatatrices quipourraient être particulièrement bénéfiques (39).Toutefois, en raison de l’absence d’essais publiés àgrande échelle, les bêta-bloquants doivent être utilisésavec prudence (37).

    Chez les artéritiques hypertendus, la prescription des β-bloquants n’est pas le premier choix dans lesrecommendations de l’esC 2018 (classe iib C) (15).

    Pendant la grossesse 

    Bien que l’expérience soit limitée, les b-bloquants sontconsidérés comme indiqués chez les femmes enceintesen cas d’hypertension artérielle, de sténose mitrale avechypertension pulmonaire, de coarctation de l’aorte, deMaladie de Marfan, de cardiopathie ischémique,d’arythmies supraventriculaires et ventriculaires, etpeuvent être poursuivis pendant l’accouchement. lesagents cardiosélectifs, sans effet sur la contraction

    utérine sont préférés (10,40).

    En péri opératoire 

    les β-bloquants peuvent offrir une certaine protectioncontre l’infarctus du myocarde pendant la période péri-opératoire d’une chirurgie extra cardiaque, mais au prixd’un risque plus élevé d’hypotension, de bradycardie,d’accident vasculaire cérébral et de mortalité (6).

    Concernant les chirurgies cardiaques, essentiellement lepontage aorto-coronarien, bien que les β-bloquantspuissent réduire le risque d’arythmies postopératoires,des études montrant qu’elles ont un effet pratiquementneutre sur la mortalité péri-opératoire, les accidentsvasculaires cérébraux ou la durée du séjour (41).

    conclusIon 

    les β-bloquants présentent une composante essentiellede l’arsenal médical et occupent un créneau importantdans la médecine moderne, particulièrement dansl’ensemble des pathologies cardio-vasculaires.Parallèlement, leur utilisation clinique semble trèsrépandue, au-delà de la base de connaissances établies.la formation des différents intervenants pourrait réduirel’écart entre les avantages perçus et prouvés de lathérapie par les β-bloquants.

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