L’Education nationale à l’épreuve de la démocratie participative. · 2006. 7. 17. ·...
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Université Paris 1 2004-2005
L’Education nationale à l’épreuve de la démocratie participative.
Le ‘débat national sur l’avenir de l’Ecole’ ou quand une innovation procédurale tient lieu de politique éducative.
Mémoire pour le DEA Gouvernement, option sociologie de l’action publique.
Alice Mazeaud
Sous la direction de Mme Brigitte Gaïti.
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RESUME
Cette recherche propose une analyse pragmatique, c'est-à-dire sans cynisme ni
idéalisme, de la première expérience française de débat public national que constitue le ‘débat
national sur l’avenir de l’Ecole’ organisée à partir de septembre 2003 en vue de l’élaboration
d’une nouvelle loi d’orientation. En d’autres termes, elle analyse la mise en place d’une
innovation procédurale de type participatif dans un secteur qui semblait régulé par des
relations anciennes et solides entre des représentants du ministère et de certains syndicats
enseignants. Ainsi, il s’agit d’analyser la mise en œuvre d’un instrument d’action publique
dans un secteur qui, du fait des grèves à répétition et des réformes avortées, a pu apparaître
ingouvernable. Cette procédure fait plus que la démonstration de l’inutilité syndicale en
matière de réflexion sur l’Ecole, elle dilue le poids des acteurs jusqu’ici reconnus, dans un
processus de formation d’une ‘base’ de profanes éclairés par la délibération collective. En ce
sens, on comprend que ses objectifs se révèlent dans sa mise en œuvre, et à travers les usages
qu’en ont faits les acteurs pour tenter de préserver leur position ou d’en gagner de nouvelles.
Cette procédure peut donc s’analyser comme une mise à l’épreuve des acteurs efficaces sur
les questions éducatives. C’est pourquoi, au-delà de l’échec qu’ont construit certains acteurs,
déçus par les résultats de l’épreuve, en posant la question de l’efficacité de la procédure au
regard de sa carrière décisionnelle, on peut considérer cette politique éducative comme
achevée avant le vote de la loi ; ou, formulé autrement, il s’agit de comprendre que c’est lors
du retour à une phase plus classique unissant à nouveau les experts, les représentants du
ministère et les partenaires sociaux que se retrouvait le jeu recomposé.
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« L’Université n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme
propres à leur auteur. »
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Merci à Mme Brigitte Gaïti qui, par sa patience et ses conseils, m’aura guidée et soutenue tout au long de cette recherche.
Merci à l’ensemble des professeurs du DEA pour nous avoir faits partager leur expérience et leur passion de la recherche.
Merci à M Loïc Blondiaux pour m’avoir ‘accueillie’ dans son cours, celui-ci ayant été éminemment utile à cette recherche.
Merci à tous ceux, cités ou non dans ce mémoire, qui ont eu la gentillesse de prendre sur leur temps pour me recevoir et me faire partager leur ‘débat
national sur l’avenir de l’Ecole ‘.
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A ceux sans qui rien ne serait possible…
Merci à vous tous d’être là. Vous m’offrez chaque jour le plus beau des cadeaux : me permettre d’être plus moi-même.
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L’Education nationale à l’épreuve de la démocratie participative.
Le ‘débat national sur l’avenir de l’Ecole’ ou quand une innovation procédurale tient lieu de politique éducative.
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« L’Ecole, 60 millions d’avis à partager ». Ce slogan révèle à lui seul l’enjeu politique
du ‘débat national sur l’avenir de l’Ecole’. Organisé à partir de septembre 2003 en vue de
l’élaboration d’une nouvelle loi d’orientation sur l’Ecole, il a été présenté comme un
dispositif original et novateur, comme une démarche signe d’un renouveau démocratique
destinée à être étendue à d’autres secteurs.
Même si les promoteurs de ce grand débat public ont largement insisté sur le caractère
innovant de ce dispositif, il est difficile, sauf peut-être à avoir hiberner pendant de longues
années, de nier le contexte « participationniste »1 dans lequel il s’inscrit. En effet, l’action
publique de ces dernières années a été marquée par un engouement général pour une
ouverture des processus de décision publique à la participation des citoyens. Ainsi, il n’existe
plus aujourd’hui de collectivité publique (locale, nationale ou européenne) qui ne place son
action sous le signe d’une démocratie participative naissante. C’est pourquoi finalement,
compte tenu de l’inflation de ces démarches participatives, la scène publique a pu être
qualifiée de « nouveau passage obligé de toute action publique légitime »2.
Malgré tout, et sans s’en remettre aux envolées lyriques du gouvernement, on ne peut
que reconnaître la place à part qu’occupe le débat national sur l’avenir de l’Ecole au sein de
cette nébuleuse participative3.
1 C. BLATRIX, 2002, « Devoir débattre. Les effets de l’institutionnalisation de la participation sur les formes de l’action collective », Politix, 15, n°57. 2 R. LEFEBVRE, 2003, « La proximité à distance. Typologie des intéractions élus-citoyens » contribution à « La proximité dans le champ politique : usages, pratiques, rhétoriques » Journée d’études, Université Lille2, 18 et 19/09/2003. 3 La littérature portant sur ces expériences participatives est particulièrement dense.
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Premièrement, parce qu’il constitue la première expérience française de débat public
au niveau national, ce dispositif est exceptionnel à double titres. Tout d’abord, il est
impossible de négliger le caractère particulièrement novateur de ce qui peut être qualifié de
procédure législative avec concertation préalable. De plus, le caractère national de cette
expérience participative fait qu’elle détonne par l’ampleur de la participation qu’elle a
engendrée car, même si les chiffres sont difficiles à vérifier, le nombre de personnes qui s’est
exprimé au travers de l’une des voies du débat est évalué à un million. Certes, ce nombre est
loin du slogan des « 60 millions d’avis à partager », et les esprits critiques n’ont d’ailleurs pas
manqué de le faire remarquer4. Mais il reste considérable et tranche ainsi nettement avec les
expériences participatives précédentes5.
Mais surtout, et c’est certainement là sa plus grande originalité, ce débat a été organisé
dans un secteur connu pour la solidité et la stabilité des relations nouées entre des
représentants du ministère et de certains syndicats enseignants. L’Education nationale, cette
« Forteresse enseignante »6 a longtemps été considérée comme le symbole du corporatisme
public à la française7. Comme le débat national sur l’avenir de l’Ecole visait à éclairer la
préparation d’une nouvelle loi d’orientation, il est intéressant, afin d’illustrer concrètement le
fonctionnement historique de ce secteur, de se pencher sur le processus d’élaboration de la loi
d’orientation Jospin de 19898. Cette loi a été élaborée à partir d’un projet éducatif développé
au sein même de la FEN9. A son arrivée au ministère, Lionel Jospin avait été contraint de
poursuivre des négociations déjà entamées par les hauts fonctionnaires du ministère sur la
base de ce texte. Au final, c’est le résultat de cette négociation qui avait été soumis au vote
des parlementaires. Au-delà de l’anecdote, cette histoire reflète bien la façon dont la cogestion
entre syndicat et ministère a fonctionné grâce des mécanismes bien huilés jusqu’à
l’éclatement de la FEN en 1993. L’apparition d’un pluralisme syndical et de son corollaire
qu’est la baisse des taux de syndicalisation et de participation aux élections professionnelles a
largement mis à mal ces mécanismes. Cependant, s’il semble difficile aujourd’hui de
continuer à parler de cogestion, la prégnance d’un certain nombre d’habitudes héritées de
cette tradition néo-corporatiste fait que l’Education nationale reste un secteur relativement
4 Notamment les parlementaires PS et un certain nombre de journalistes. 5 Les expériences de démocratie participative ont été menées soit sur des questions globales mais au niveau local, soit sur des questions techniques ou scientifiques ou sur des projets d’aménagement. 6V.AUBERT, A. BERGOUNIOUX, JP. MARTIN, R. MOURIAUX, 1985, La forteresse enseignante : La fédération de l’Education nationale, Paris, Fondation St-Simon. 7 B. JOBERT, P. MULLER, 1987, L’Etat en action. Politiques publiques et corporatismes, PUF. 8 G. BRUCY., 2003, Histoire de la FEN, Paris, Belin. 9 FEN : Fédération de l’Education nationale. Ou la « forteresse enseignante ». Le syndicat enseignant dominant avec lequel le ministère avait tissé de telles relations, que l’Education nationale a pu apparaître cogérée.
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fermé et principalement organisé autour d’un partenariat privilégié entre les syndicats
enseignants et le ministère.
C’est pourquoi, organiser un débat public en vue de l’élaboration d’une nouvelle loi
d’orientation sur l’Ecole constituait une véritable innovation politique.
Un an après la fin des débats, et quelques mois après le vote de la loi d’orientation sur
l’avenir de l’Ecole (adoptée en commission mixte paritaire le 25 mars 2005), un sentiment
paraît dominant : celui d’un immense gâchis. Ce débat, comme le rapport de la commission
Thélot, n’aura finalement que peu influencé une loi d’orientation qui déçoit tout le monde.
Les critiques fusent, chacun désignant le responsable tantôt du coté du ministère tantôt du coté
des organisations syndicales, mais une question demeure latente : comment « la montagne a-t-
elle pu accoucher d’une souris ? » Dans la presse, l’ironie est de mise lorsqu’il s’agit
d’évoquer une loi issue de deux ans de débats, qui bien de loin de traduire le « diagnostic
partagé » attendu fait l’unanimité contre elle. Cependant, si ce sentiment d’une belle occasion
gâchée est aujourd’hui partagé par tous, il est assez loin de l’attitude prédominante au moment
des débats puisque tous les participants clamèrent haut et fort qu’ils participaient certes, mais
tout en restant sceptiques sur les répercussions qu’aurait leur participation sur la loi
d’orientation annoncée. Une « participation sans illusions » constitua non seulement le mot
d’ordre de l’ensemble de la ‘communauté éducative’ lors de l’ouverture des débats, mais c’est
aussi ce qui est ressorti des enquêtes commandées et rendues publiques par le ministère lors
de la clôture des réunions publiques. Aussi, il s’agira d’analyser cette « participation sans
illusions » pour s’interroger sur les enjeux et les ressorts d’un investissement qui ne reposerait
pas sur l’espoir d’influencer le projet éducatif des prochaines années.
L’interrogation sur les enjeux de la participation se pose avec d’autant plus d’acuité si
on la nourrit d’un bref rappel du contexte dans lequel est né ce débat. L’idée d’inviter la
‘Nation’ à s’exprimer sur son Ecole était déjà présente dans le projet politique de Jacques
Chirac lors de la campagne présidentielle de 1995. Ce projet est réapparu lors d’une
intervention de Jean-Pierre Raffarin le 1 décembre 2002 c’est-à-dire au milieu d’un conflit
social ouvert avec les enseignants sur les questions budgétaires. Mais l’annonce officielle de
l’organisation d’un débat public est intervenue en mai 2003 lorsque Luc Ferry, alors ministre
de l’éducation10, ouvre le débat par la publication de sa « Lettre à ceux qui aiment l’école ».
10 Remplacé par François Fillon le 1 avril 2004.
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Je rappellerai simplement ici que cette publication avait largement ravivé le feu11 d’un
mouvement enseignant déjà particulièrement dur.
Afin de mieux comprendre l’état d’esprit de la ‘communauté éducative’ aux premiers
jours de ce grand débat, il est utile de rappeler quelques éléments de ce mouvement de mai
2003. Ce mouvement enseignant s’inscrivait dans le cadre plus large des grèves qui
regroupèrent les salariés du secteur public et du secteur privé sur la question des retraites. A
cette question s’ajoutaient des enjeux plus spécifiques au secteur éducatif puisque l’appel à
mobilisation portait aussi sur la décentralisation des personnels non-enseignants et sur le
budget 2004 qui prévoyait des suppressions de postes. Au moment de la réflexion sur
l’opportunité de prolonger ce mouvement, les divisions syndicales se révélèrent
particulièrement criantes. La sortie de crise, urgente compte tenu de l’imminence du
baccalauréat et de la menace de boycott qui pesait sur son organisation, s’est faite par une
négociation de salon entre le SNES (syndicat majoritaire dans le second degré) et le ministère
lors du week-end de la Pentecôte12. Lors de cette négociation, le SNES a accepté de lever la
menace de boycott et de « lâcher les ATOS » en échange de la promesse que la
décentralisation ne concernerait aucun des personnels concourant directement au service
public de l’éducation. Au-delà de la surprise des enseignants et des autres syndicats au retour
de ce week-end prolongé, cette sortie de crise a surtout été marquée par la fermeté du
gouvernement sur la question du paiement (ou plutôt du non-paiement) des journées de grève
d’un conflit qui aura duré plus d’un mois. L’intersyndicale enseignante a été particulièrement
ébranlée par cette expérience, à la fois dans la capacité des syndicats à agir ensemble et dans
la relation qu’ils entretiennent avec leur base. L’écoeurement des enseignants par rapport aux
journées de grève non payées s’est en effet aussitôt traduit pour l’ensemble des syndicats, et
plus particulièrement pour le SNES, par une baisse du nombre d’adhérents.
Ces remarques sur le climat social délétère de l’Education nationale à l’aube de ce
grand débat pourraient nous inciter à l’observer à la lumière des recherches de Charles Suaud
sur les Etats généraux agricoles13 ou de Gérard Mauger sur la Consultation Nationale des
Jeunes14, c’est à dire de l’appréhender comme un outil de sortie de crise, comme un moment
de construction d’une base qui viserait à délégitimer les représentants institués. Cette
hypothèse serait d’autant plus plausible compte tenu de l’importance du système de 11 Le 15 mai 2003, à Rodez, des manifestants ont ‘bombardé’ Luc Ferry de dizaines d’exemplaires de son ouvrage qu’il avait distribué gratuitement à l’ensemble des enseignants. 12 Information rendue publique par Le canard enchaîné. 13 C. SUAUD, 1984, « Le mythe de la base », ARSS, n°52-53. 14 G. MAUGER, 1996, « La consultation nationale des jeunes : contribution à une sociologie de l’illusionnisme social », Genèses, n°25.
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représentation au sein de l’Education nationale. En effet, en dehors des habitudes de
négociations précédemment évoquées, il existe un comité consultatif paritaire (le Conseil
Supérieur de l’Education, CSE) dans lequel siègent les représentants des syndicats du
personnel de l’Education nationale et des représentants d’usagers (parents d’élèves, lycéens et
étudiants).
Mais, alors même qu’elle serait peut-être en partie au moins vérifiable, il m’a semblée
intéressant de ne pas retenir cette hypothèse et de m’éloigner ainsi de la voie déjà largement
défrichée des usages politiques de la participation, de la consultation ou de l’appel à la base.
Pour résumer, mon objectif sera de ne céder ni à un optimisme béat qui verrait dans ce
débat le signe d’un renouveau démocratique qui viserait à ouvrir à la parole profane les
processus de décision publique, ni à l’a priori cynique qui me conduirait à regarder ce même
débat comme un simple usage stratégique du contexte participationniste. Aux antipodes de ces
présupposés, je prendrai au sérieux15 le caractère novateur de ce dispositif, ce qui, formulé
autrement, me conduira à observer l’Education nationale à l’épreuve de la démocratie
participative.
Comme souvent les histoires commencent ainsi : le 15 septembre 2003, Luc Ferry et
Xavier Darcos ont officiellement confié à Claude Thélot la responsabilité de présider la
Commission nationale sur l’avenir de l’Ecole qui serait chargée d’organiser un débat sur
l’éducation. Mon premier travail sera de reconstituer le processus d’inscription sur l’agenda
politique de ce débat comme instrument d’une nouvelle politique éducative.
L’organisation de ce débat devait répondre à une double ambition : « réconcilier la
Nation avec son Ecole » afin d’aboutir à un « diagnostic partagé » par l’ensemble des acteurs,
et permettre ainsi à la commission d’éclairer la préparation du projet de loi d’orientation en
élaborant un ensemble de propositions visant à faire évoluer le système éducatif16.
Puisque ce débat devait permettre une réflexion de la ‘Nation’ sur son Ecole, et
conduire à l’émergence d’un « diagnostic partagé », il s’agira dans un premier temps
d’analyser « l’efficacité d’un dispositif qui s’accomplit dans sa mise en œuvre,
15 En référence directe à L. BLONDIAUX, 2004, «Prendre au sérieux l’idéal délibératif : un programme de recherche », communication du 11/11/2004 à la conférence de la Chaire MCD « Démocratie délibérative et démocratie participative », (à paraître dans La Revue Suisse de Science Politique, début 2005), En ligne : http://www.chaire-cd.ca 16 Lettre de mission à Claude Thélot, 15 septembre 2003.
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indépendamment de ses répercussions en termes de décision »17. Ce travail visera à montrer
que le choix du débat comme instrument de la politique éducative était déjà porteur d’une
problématisation des enjeux éducatifs. Ainsi, je ne m’interrogerai pas sur l’efficacité de ce
dispositif à produire du consensus sur une représentation du problème de l’Ecole, mais je
chercherai à montrer que sa réussite, ou du moins son évaluation positive, ne reposait pas
exclusivement – voire pas du tout - sur sa capacité à produire du consensus autour d’un projet
utilisable politiquement. A l’inverse, je montrerai que ce dispositif s’accomplissait
principalement dans sa mise en œuvre.
Cependant, ce dispositif a officiellement été mis en place en vue d’éclairer la
préparation d’un projet de loi d’orientation, il s’inscrit donc bel et bien dans un processus
décisionnel. Ma démarche ne sera pas de suivre la carrière du rapport Thélot afin de
rechercher si celui-ci a ou non été repris dans la loi. Mais, puisque j’ai formé l’hypothèse que
cette innovation procédurale était à la fois l’instrument et la solution d’une nouvelle politique
éducative, j’appréhenderai ce processus décisionnel comme le temps son évaluation.
Ma recherche sera guidée et structurée par trois hypothèses.
Premièrement, le choix du débat public comme instrument d’une nouvelle politique
éducative est porteur d’une problématisation procédurale des enjeux éducatifs, donc la mise
en œuvre de cette procédure constitue déjà une solution au problème et a été un enjeu disputé.
Deuxièmement, la participation des acteurs à ce dispositif n’a pas été homogène, elle a
été un investissement dans une procédure qui ouvrait la possibilité d’une redéfinition des
porte-parole légitimes de la ‘communauté éducative’.
Troisièmement, l’élaboration de la loi d’orientation n’est pas le moment de la décision,
mais celui de l’évaluation d’une politique déjà achevée.
A partir de ces hypothèses, je montrerai que le débat national sur l’avenir de l’Ecole
n’était pas une nouvelle procédure d’élaboration de la politique éducative mais qu’elle était
elle-même une politique éducative.
Si afin de ne céder à aucun des deux principaux travers de la recherche portant sur les
expériences participatives ou délibératives, j’ai pris le parti de centrer mon attention sur les
17 J’utilise ici les recherches faîtes sur la réforme Code de la Nationalité. A MICOUD et M PERONI, « Le débat public dans sa ‘vraie’ dimension. Les auditions télévisées de la Commission de la Nationalité » in CRESAL, 1993, Les raisons de l’action publique. Entre expertise et débat, Paris, L’Harmattan.
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enjeux sectoriels de ce débat, il n’était pas souhaitable de se focaliser exclusivement sur cette
dimension sectorielle.
Avant d’être un instrument d’action publique, le débat public est un dispositif
technique construit à partir des théories délibératives18. C’est pourquoi il serait dommage de
ne pas le mettre en perspective avec les expériences participatives ou délibératives
précédentes.
Cette mise en perspective permet d’utiliser les apports de la recherche en la matière
dans le but de mieux comprendre le fonctionnement et le déroulement de ce dispositif, et
l’analyse de cette première expérience de débat public national permettra - en tous cas tel est
aussi son but - de participer à « l’effort de renouvellement de la réflexion sur les
reconfigurations contemporaines de l’idéal démocratique »19.
Du point de vue théorique, le dispositif du débat national sur l’avenir de l’Ecole se
situe à la croisée des modèles : entre délibération et participation, entre les « forums
hybrides » de Michel Callon20 et les assemblées participatives locales. Son organisation est
particulièrement complexe21 car ce dispositif proposait une multiplicité de formes
d’expression : les réunions publiques (13000 débats avec chaque fois 2 réunions), l’expression
directe par courrier postal ou sur le forum internet, la réalisation d’enquêtes auprès de
l’opinion non mobilisée et l’audition d’associations ou d’experts. De plus, le débat s’est
déroulé sur une période relativement longue car entre la mise en place de la commission
Thélot22 et la remise de son rapport au gouvernement23 il s’est écoulé plus d’un an. Il est
d’ailleurs nécessaire de préciser la place particulièrement importante de cette commission
dans le dispositif car cette place tend à le distinguer de l’idéal-type délibératif pour le
rapprocher d’avantage des comités de sages. Cette commission était chargée d’organiser le
débat c’est-à-dire de déterminer les formes que celui-ci allait prendre, d’en élaborer les
« outils » c'est-à-dire les documents d’informations et les questions ouvrant le débat, et de
procéder à sa synthèse. Ce premier travail se traduira par la publication, en avril 2004, d’un
premier rapport intitulé « Les français et leur Ecole : le miroir du débat » qui donne à voir ce
18 Le terme de délibération doit ici s’entendre non pas dans le sens usuel de décision, mais comme le processus de formation de la volonté, à savoir le temps qui précède la décision 19 L. BLONDIAUX, 2004, «Prendre au sérieux l’idéal délibératif : un programme de recherche », op. cit. 20 M. CALLON, P. LASCOUME, Y. BARTHE, 2001, Agir dans un monde incertain, Seuil. 21 On peut ici s’interroger sur le caractère particulièrement technocratique de cette procédure. B. JOLY, 1999, « La gouvernance technocratique par consultation ? Interrogation sur la première conférence de citoyens en France », Cahiers de la sécurité intérieure, n°38. 22 Le 15 septembre 2003. 23 Le 12 octobre 2004.
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qui s’est dit dans les débats. Mais c’est aussi cette commission qui, à partir de cette synthèse
et des auditions qu’elle a réalisées, a rédigé le rapport d’expertise remis au gouvernement le
12 octobre 2004 et intitulé « Faire réussir tous les élèves ».
Cette présentation rapide du dispositif appelle un certain nombre de remarques afin de
mieux situer l’objet de ma recherche au sein d’une littérature consacrée à ces nouvelles
formes d’expression démocratique déjà particulièrement dense.
Premièrement, je m’intéresserai à la méthode en ce qu’elle est un enjeu, une contrainte
ou une ressource pour les acteurs, en revanche je ne m’interrogerai pas sur la capacité du
dispositif à produire une opinion publique légitime car représentative et informée.
Ma deuxième remarque porte sur le public de ce débat. Alors que souvent la
participation à ce type de dispositif est résiduelle, le nombre de ses participants a été évalué
un million de personnes, et la participation a été particulièrement importante parmi l’opinion
efficace24. Une part importante de ma recherche sera de comprendre et d’expliquer l’ampleur
de cette participation. Cependant je ne chercherai pas à ouvrir la boîte noire du débat lui-
même, c’est-à-dire à savoir qui s’est exprimé, comment et pour dire quoi. J’essaierai de
montrer que participer, ou ne pas participer, était un enjeu et/ou une opportunité, et je
réfléchirai donc aux anticipations des participants sur les bénéfices à tirer de la participation.
En revanche, je n’entrerai pas dans les arènes du débat et donc ne m’interrogerai pas sur la
capacité des acteurs à participer efficacement.
Le troisième point sur lequel je souhaiterai attirer l’attention est celui de l’interaction
entre la participation au dispositif et les formes de l’action collective. Puisque cette interaction
se produit à deux niveaux, ou à deux moment du processus, il s’agira, dans un premier temps,
de réfléchir à la façon dont les ressources d’une organisation ou d’un groupe sont déclinées et
mobilisées dans une procédure qui privilégie la participation à titre individuel ; et dans un
deuxième temps aux effets de la participation à ce dispositif sur les modalités de l’action
collective. Dans ce deuxième temps, on réfléchira à partir du constat de Bruno Jobert selon
lequel « l’émergence de la société civile constitue le pendant du corporatisme »25 et de
l’interrogation de Cécile Blatrix sur le caractère « soluble dans la participation » du potentiel
protestataire26.
24 P.BOURDIEU, 1973, « l’opinion publique n’existe pas » dans Questions de sociologie, Editions de Minuit. 25 B. JOBERT, 1996, « Actualité des corporatismes », Pouvoirs, n°79. 26 C. BLATRIX, 2002, « Devoir débattre », op. cit.
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Ma dernière remarque est bien évidemment tournée vers la question de l’articulation
de ce dispositif participatif avec la décision politique. Les recherches sur les expériences
délibératives ou participatives précédentes qui visaient à mesurer l’impact de ces nouvelles
procédures sur la décision ont souvent conclu à la quasi absence d’effets. Le problème de ces
conclusions est qu’elles nourrissent la frustration des participants et leur sentiment d’avoir
participer à une vaste mascarade. Afin d’éviter cette ornière, il m’a semblé intéressant de ne
pas chercher à évaluer l’influence de ce dispositif sur la décision, mais de chercher à
comprendre la façon dont son existence influence le processus décision, que ce soit en le
publicisant, en modifiant la configuration d’acteurs ou en contraignant leur répertoire
d’actions.
Après avoir ainsi longuement explicité les enjeux théoriques de cette recherche qui
débordent la question de la politique scolaire proprement dît, il me semble utile d’apporter
quelques précisions sur le travail empirique réalisé.
Le premier temps de la recherche a consisté en une appropriation du dispositif mis en
place. Compte tenu de la complexité du dispositif, sa compréhension relève d’un véritable
processus d’apprentissage, mais celui-ci m’a été facilité par l’existence et la qualité du site
internet du débat national sur l’avenir de l’Ecole. Ce site offre une description complète de la
méthode (les différentes voies du débat, la méthode de synthèse…), met à disposition
l’ensemble des contributions envoyées à la commission, les auditions réalisées et les
synthèses des débats, et permet un accès direct à l’ensemble des documents d’expertise
utilisés en amont du débat, commandés en vue de celui-ci et bien entendu aux deux rapports
qui en sont issus. Je note ici - non sans sourire - que le fait que ma première approche du
débat se soit faite grâce à ses outils de communication n’est pas qu’une anecdote ; car, à mon
insu, et pourtant devant mes yeux grands ouverts, ce dispositif se déployait déjà dans sa
« vraie dimension »27 : celle d’un débat qui se met en scène.
Cet apprentissage a été aussitôt suivi d’un essai de reconstitution de la physionomie du
débat (ou plutôt des débats) dont l’objectif était de donner corps au ‘miroir du débat’ et aux
enquêtes réalisées sur les participants. Mais ma tentative s’est heurtée à deux difficultés
majeures. La première à laquelle j’ai été confrontée, et face à laquelle je dois reconnaître mon
échec, a été d’essayer d’obtenir ces enquêtes commandées par la commission Thélot et le
27 A MICOUD et M PERONI, « Le débat public dans sa ‘vraie’ dimension. Les auditions télévisées de la Commission de la Nationalité », op. cit.
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ministère. Des comptes-rendus de ces enquêtes ont été insérées au ‘miroir du débat’ et/ou sont
accessibles sur le site internet des instituts les ayant réalisées, mais ils sont incomplets. Seuls
les résultats agrégés y figurent alors que les commentaires indiquent des différences selon que
les participants étaient des enseignants ou des parents d’élèves, et je suppose - mais peut-être
à tord - que certaines questions ont porté sur la participation en fonction de l’appartenance
syndicale. Malheureusement, un refus motivé par la confidentialité de ces enquêtes ou par
mon incompétence à les lire correctement, a été opposé à mes demandes.
La deuxième difficulté de cette reconstitution a posteriori a été que, conformément au
souhait de la commission, la participation à ce débat s’est faite de manière anonyme. Ce qui
signifie concrètement qu’il est officiellement impossible de savoir où ces débats ont eu lieu et
qui y a participé. Pour contourner cette difficulté, j’ai utilisé des relations personnelles pour
prendre contact avec des participants au débat, et de fil en aiguille j’ai pu rencontrer les
délégués syndicaux des établissements dans lequel j’avais été introduite. C’est la même
démarche qui m’a fait participer à la manifestation enseignante du 20 janvier 2005. Ces prises
de contact et discussions, plus ou moins informels suivant les cas, m’ont permis de me faire
une idée de la diversité des débats et de leurs participants ainsi que de m’interroger sur
l’existence d’enjeux locaux de la participation. Mais ils ne me permettent en aucun de
prétendre en reconstituer - ou ne serait-ce que d’en dessiner un pâle reflet - la physionomie.
En effet, le matériau recueilli ne satisfait aucunement à la première exigence qui serait celle
de la représentativité, car ce mode d’accès au terrain auquel j’ai été contrainte n’offre
principalement une ouverture que sur l’opinion déjà mobilisée. Cependant, cette démarche
n’aura pas été vaine, car elle m’aura permis de me socialiser dans ce secteur de l’Education
nationale.
Le deuxième temps de ma recherche a consisté à identifier les acteurs pertinents puis
à suivre leurs prises de positions. Les acteurs les plus clairement identifiables étaient les
représentants institutionnels de la ‘communauté éducative’ que sont les syndicats
d’enseignants et les associations de parents d’élèves (j’exclue ici les lycéens et leurs
représentants car même s’ils font partie de ces partenaires sociaux, ils ont peu participé au
débat et leur action obéit à des logiques spécifiques dont il serait impossible de rendre compte
ici). Ensuite, au centre de la configuration se trouvent les acteurs permanents des analyses de
politiques publiques : le ministère composé du ministre, de son cabinet et des hauts
fonctionnaires. Le troisième groupe d’acteurs serait celui des experts de l’éducation ; mais il
n’a pas l’homogénéité de ceux évoqués précédemment puisqu’on peut y intégrer des
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chercheurs en sciences de l’éducation, des experts du ministère ainsi que des responsables
d’associations pédagogiques (en particulier ceux ayant milité en faveur du débat public), et
surtout ces acteurs sont intervenus dans le processus sous des formes et à des moments très
différents. Le dernier acteur essentiel est bien entendu la commission : ses membres et Claude
Thélot lui-même.
J’ai procédé au suivi systématique des prises de positions des acteurs notamment à
partir d’un relevé des communiqués de presse portant sur le débat, le rapport Thélot et la loi
d’orientation publiés depuis 2002 ; mais aussi de l’ensemble de leurs prises de positions
publiques : tribunes dans les médias, discours officiels, rapports publics. Même si ils ne
rentrent pas véritablement dans cette catégorie, j’ajoute les débats parlementaires en précisant
que je n’ai étudié que ceux du 20 janvier 2004 (la présentation des premiers résultats du
débat) et ceux ouvrant les discussions sur le projet de loi d’orientation. En parallèle, j’ai
réalisé des entretiens avec ces mêmes acteurs et avec certains observateurs privilégiés, pour
qu’ils m’expliquent quels étaient les enjeux de leur participation, et pour pouvoir, à partir
d’un certain nombre de recoupements, connaître les prises de positions non publiques.
Malheureusement, l’agenda politique (élaboration de la loi, puis le référendum sur le traité
instituant une constitution pour l’UE et finalement le changement de ministre) ne m’a pas
permis de rencontrer un représentant du ministère.
Une précision sur les médias s’impose pour que le tour d’horizon de ma démarche soit
complet. A défaut d’avoir fait une étude exhaustive de la couverture médiatique -
particulièrement dense – de ce débat puis de l’élaboration de la loi d’orientation, j’ai d’une
part travaillé sur la presse spécialisée (revues associatives, Le Monde de l’Education) mais là
encore de façon non exhaustive ; d’autre part sur des revues de presse concurrentes mises à
jour quotidiennement : celle du ministère, celle réalisée par une association liée au
mouvement des ‘Pédagogues’, et deux autres réalisées par des associations liées au
mouvement des ‘Républicains’28 que j’ai croisées grâce à un suivi, cette fois-ci exhaustif, des
articles publiés dans le journal Le Monde ; et enfin sur des sites internet spécialisés sur les
questions éducatives. Cependant, j’ai ensuite essayer de prendre du recul par rapport à ce
traitement médiatique, et d’interroger ces médias comme de véritables acteurs du débat afin
28 Le clivage ‘Républicains’ / ‘Pédagogues’ sera exposé et développé lors de la recherche. Pour ce qui est des revues de presse : du coté des ‘Pédagogues’ voir education.devenir.free.fr ; et du coté des ‘Républicains’ : www.precoces.org et www.sauv.net
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de comprendre l’ampleur de cette couverture médiatique, et donc la façon dont le débat s’est
diffusé et déroulé en dehors du dispositif mis en place.
A partir de ces différentes approches, il s’agira de comprendre et de montrer que la
mise en place d’un tel dispositif répondait à d’autres enjeux que celui de l’apport d’une parole
profane dans l’expertise, et que ces enjeux se révèlent plus à partir d’une analyse des
conditions de son organisation et de son déroulement que d’une analyse de ses objectifs
annoncés ou de ses effets sur la décision.
L’ambition de cette recherche est de parvenir à déconstruire l’image d’un débat qui
s’est mis en scène. C’est pourquoi je chercherai à montrer que la réussite affichée de cette
méthode participative, la réussite s’entendant ici comme participation du plus grand nombre et
non-contestation de la légitimité de la procédure, a été produite. De la même manière,
j’analyserai cette « participation sans illusions » au regard des rapports de forces reconfigurés
au cours du processus décisionnel fondé sur la délibération et ses vertus.
Pour la petite histoire, la suite sera classique, les uns reprochent au gouvernement son
absence de projet politique et son manque de courage pour faire passer en force une réforme
nécessaire, et les autres dénoncent l’autisme d’un gouvernement qui refuse d’écouter les
revendications de la rue. Cependant, et bien qu’il soit difficile de tirer des conclusions sur une
loi, unanimement contestée, mais pas encore appliquée (sic), j’essaierai de montrer que son
élaboration a bel et bien décerné les trophées à ceux qui avaient le mieux traversé l’épreuve
participative.
La première partie de la recherche visera à révéler les enjeux de cette innovation
procédurale. Pour ce faire, j’analyserai la construction progressive du débat public comme
instrument de la politique éducative, et je dégagerai les conditions de cette innovation.
La deuxième partie sera centrée sur les usages du dispositif. Il s’agira de montrer en
quoi cette nouvelle procédure offrait un nouvel espace de lutte pour le statut de porte-parole
légitime de la ‘communauté éducative’, et comment les acteurs ont donc cherché à l’investir.
La troisième partie sera consacrée aux évaluations de la procédure. Il sera alors
question de réfléchir à la diversité des effets que l’épreuve participative a pu avoir sur le
secteur de l’Education nationale.
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Première partie : Les conditions d’une innovation procédurale. Le ‘débat national sur l’avenir de l’Ecole’ comme instrument de la politique éducative.
Que la première expérience française de débat public national ait été organisée sur
l’avenir de l’Ecole peut immédiatement sembler relever du paradoxe, ou de l’innovation
risquée. En effet, puisque l’Education nationale semblait réguler par des relations anciennes
entre les représentants de certains syndicats enseignants et du ministère, la forme participative
peut signifier d’emblée la fragilisation de ce réseau d’action publique qui a longtemps semblé
solide et ce, même si c’est moins le cas depuis quelques années. Cependant, il s’agira de ne
pas s’arrêter à ce constat mais au contraire de chercher à en dégager les raisons. Ou formulé
autrement, il s’agit de dégager les conditions de cette innovation procédurale, car ce sont dans
ces conditions que se révèlent ses enjeux.
Ainsi, il s’agira de comprendre comment, dans la sphère politique, le débat public sur
les enjeux éducatifs a progressivement été construit comme un instrument de la politique
éducative (chapitre 1). Cette approche permettra de dépasser une vision purement stratégiste
de cette innovation politique qui ne pourrait rendre compte du fait que sa mise en œuvre se
soit globalement faîte sans heurts. En effet, comme toute procédure novatrice, elle ne pouvait
fonctionner qu’à la condition que « sa cible » ait intérêt à l’investir. Or, au moment de la
présentation officielle de cette innovation, la cible se trouve être une ‘communauté éducative’
déjà en redéfinition (chapitre 2). C’est donc la dimension procédurale de ce dispositif qui en
constituait l’enjeu majeur. C’est pourquoi, son organisation n’a été possible qu’à la condition
de trouver un accord sur la procédure et donc un garant de ces nouvelles règles du jeu
(chapitre 3).
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Chapitre 1 : Une construction progressive du débat public comme instrument de la politique éducative.
Qu’il soit simplement surprenant ou bien qu’il soit dénoncé pour son caractère
démagogique, le débat national sur l’avenir de l’Ecole est en tout cas un instrument novateur
de la politique éducative. Or, « l’instrumentation de l’action publique est révélatrice d’une
théorisation plus ou moins explicite du rapport gouvernant/gouverné »29. C’est pourquoi, il est
intéressant de s’interroger sur « les problèmes posés par le choix et l’usage des instruments
qui permettent de matérialiser et d’opérationnaliser l’action gouvernementale »30. Dans la
mesure où je compte consacrer l’essentiel de la seconde partie de ma recherche aux usages de
ce nouvel instrument de la politique éducative, ce premier chapitre, qui vise à rompre avec
l’illusion de la parfaite neutralité axiologique de l’instrument pour rendre compte de la façon
dont le débat public a progressivement été construit puis mobilisé comme instrument de la
politique éducative, en est le préalable nécessaire.
Section 1. La problématisation des enjeux éducatifs par la rhétorique démocratique. Démocratiser l’Ecole par la démocratisation de la politique éducative.
La multiplication du recours aux procédures visant à mettre en débat les situations
sociales problématiques peut laisser penser à un nouveau rituel de légitimation des politiques.
Rituel qui serait d’autant plus facile à perpétuer par les gouvernants qu’il est difficile de
contester la mise en place de dispositifs visant à démocratiser la prise de décision en
redonnant la parole aux publics d’une politique. Ainsi, la tendance participationniste,
entendue comme l’instauration d’ « une nouvelle règle à la fois normative et pragmatique
(selon laquelle) la légitimité de l’action publique et politique renvoie désormais à la mise en
place de dispositifs adéquats permettant une plus grande association des citoyens »31, facilite
le recours aux procédures délibératives en limitant le coût de leur justification. Cependant, il
serait erroné de croire que l’existence de ce nouveau style d’action publique dominant fasse
des procédures participatives des instruments d’action publique indifféremment disponibles.
La simple référence aux qualités démocratiques de ces nouveaux instruments ne peut à elle
seule justifier le fait d’y avoir recours. Bien au contraire, un recours trop systématique à ces
29 LASCOUMES P, LE GALES P (Dir), 2004, Gouverner par les instruments, Paris, Presses de sciences-po. 30 Idem 31 C. BLATRIX, 2002, « Devoir débattre », op. cit.
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procédures, sans autre justification que celle de leur vertu démocratique, aurait plutôt l’effet
inverse, et tendrait à renforcer la méfiance en donnant du crédit à des slogans tels que
« démocratie participative ou démagogie participative ?».
C’est pourquoi, si ce contexte participationniste fait des procédures participatives des
instruments de régulation de situations sociales controversées ou problématiques à disposition
des gouvernants, il ne les rend pas immédiatement mobilisables. En effet, pour que les
dispositifs participatifs soient susceptibles de trouver leur public, leur mise en place doit
apparaître comme la solution adaptée aux problèmes du secteur en question. Ainsi, si le débat
public sur l’éducation a pu être pensé et présenté comme la solution à la crise scolaire, c’est
parce que les enjeux éducatifs ont été problématisés comme des enjeux engageant l’avenir de
la Nation dont le traitement intéressait non plus le seul cercle de spécialistes de l’éducation,
mais bel et bien la Nation toute entière.
Depuis la IIIème République, l’Ecole est vue et célébrée comme un vecteur
d’intégration et de promotion sociale. Même si cette vision est aujourd’hui écornée, fragilisée
par les chiffres du chômage et les enquêtes sociologiques qui sont venues démontrer que
l’Ecole ne réussissait plus à jouer le rôle d’ascenseur social, le Président de la République a
tenu à la rappeler lors de son allocution à l’occasion de l’ouverture du débat.
« Depuis plus d'un siècle, la République et l'école se sont construites l'une avec l'autre.
L'école a été le rêve de la République. Et elle reste sans aucun doute la plus belle de ses réussites.
Permettre à chaque esprit de conquérir sa liberté, faire vivre l'égalité des chances, donner corps à la
fraternité en faisant de tous les élèves les enfants de la République, nourris du même savoir et de la
même culture : voilà les objectifs que la France s'est fixé lorsqu'elle a instauré l'enseignement gratuit,
laïque et obligatoire.(…) L'école de la République, ciment de la nation, est à la source même de
l'identité française. » 32
Il a cependant aussi souhaité signifier aux enseignants qu’il n’ignorait pas leur
« malaise », et qu’il avait pleinement conscience que « l’Ecole [était] en panne » - pour
reprendre les termes de Luc Ferry-, et donc de l’urgence à proposer une solution à la crise
scolaire.
32 Jacques Chirac. Le 20 novembre 2003. Allocution du Président de la République à l’occasion de l’ouverture du débat national sur l’avenir de l’école.
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« Pourtant, chacun le sent bien, notre système éducatif marque un peu le pas. Il cherche un
nouveau souffle. Au fil des crises, l'école exprime une forme de désarroi. Elle s'interroge sur le
contenu de ses missions, sur ce qu'elle peut enseigner, sur ce qu'elle doit refuser. Elle dit son doute,
son scepticisme, devant des réformes toujours plus nombreuses, pas toujours appliquées, rarement
évaluées. »33
Mais avant cela, la campagne présidentielle de 2002 avait marqué les esprits pour le
peu de place qui y avait été accordée aux enjeux éducatifs. Le Monde s’était ému de constater
que l’Ecole était « la grande oubliée de la présidentielle » alors qu’une réforme du système
éducatif est traditionnellement présentée comme la clef de voûte d’une politique qui viserait à
redonner une chance à tous34. Si la crise scolaire est un registre récurrent de la politique qui
présentait en plus la particularité d’être absent de la campagne de 2002, comment expliquer
que deux ans plus tard l’Ecole ait été au centre des préoccupations de la Nation ?
On pourrait croire que l’explication de ce retour de l’Ecole au premier plan réside dans
une évolution des problèmes éducatifs, mais il tient en réalité davantage à un changement de
problématisation qu’à une évolution de la situation de fait. En effet, une nouvelle
problématisation signifie qu’une nouvelle définition du problème et/ou une nouvelle solution
est proposée. En l’espèce, la définition du problème n’a pas véritablement évolué puisque
parler de crise de scolaire signifie toujours que le système éducatif français ne réussi pas, ou
plus, à assurer l’égalité des chances, mais un revirement radical a été opéré dans la solution
proposée. Jusqu’alors, la recherche de solutions à la crise scolaire consistait en un
affrontement de projets pour le système éducatif portés par les spécialistes de l’éducation, que
ces spécialistes soient des syndicalistes, des chercheurs en science de l’éducation ou des hauts
fonctionnaires. Le projet choisi, celui sur lequel un compromis parvenait à être formé était en
suite validé par le gouvernement et le parlement. Ainsi, le registre de légitimation dominant
était bien celui de l’expertise : dans la mesure où l’Ecole est un enjeu majeur pour la Nation,
les problèmes qu’elles soulèvent doivent être traités et résolus par les experts du secteur. Or, à
partir de 2002, un nouveau lien de causalité est opéré entre la définition du problème et son
mode de résolution. Désormais, la logique qui est mise en avant n’est plus celle de l’expertise
mais celle de la délibération démocratique : puisque l’Ecole engage l’avenir de la Nation, elle
ne peut pas être l’affaire des seuls spécialistes, elle est l’affaire de tous.
33 Idem 34 « L’Ecole, la grande oubliée de la présidentielle », Le Monde, 14 février 2002.
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C’est le 1 décembre 2002, dans une interview au journal Le Monde que le 1er ministre
Jean-Pierre Raffarin annonce l’organisation prochaine d’un grand débat sur l’éducation.
« Notre enjeu, c’est de mobiliser l’ensemble de la nation autour de l’objectif d’amélioration
globale de la formation des Français. C’est pour ça que je souhaite qu’il y ait en France un grand
débat national au cours du premier trimestre 2003, devant le Parlement mais aussi dans le pays. Je
souhaite que l’on puisse débattre de notre ambition nationale pour l’éducation. »35
A cette date, le changement de mode de résolution des problèmes n’est pas encore
clairement formulé et affirmé. Les discours de 2003 seront plus explicites quant au
changement radical de problématisation opéré à travers le choix du débat public.
Ainsi si dans son discours investissant Claude Thélot comme président de la
commission organisatrice du ‘débat national sur l’avenir de l’Ecole’, Luc Ferry n’insiste pas
encore sur son caractère novateur, il expose plus clairement l’ambition démocratique de ce
débat.
« Il convient aujourd’hui d’œuvrer collectivement à une refondation de notre souveraineté
politique dans le domaine de l’éducation, de définir l’ambition et l’effort que doit engager la Nation
pour son école. (…) C’est pourquoi ce débat ne peut être l’affaire des seuls spécialistes de
l’éducation. Il concerne la Nation toute entière. Les questions d’éducation ne doivent pas être
caricaturées et l’on doit évidemment se méfier des solutions simplistes : les problèmes sont en ce
domaine souvent beaucoup plus difficiles qu’on ne le croit à première vue. Pour autant, rien ne justifie
au fond qu’ils continuent à se traiter seulement entre ‘spécialistes’. Assurer l’égalité des chances,
définir la mission des enseignants, lutter contre la violence dans les établissements, s’accorder sur les
objectifs et le sens de notre éducation : c’est là l’affaire de tous les citoyens et de leurs représentants.
Quoi de plus naturel que d’en débattre le plus largement possible ? »36
Ainsi ce n’est que quelques mois plus tard, lors de l’allocution du Président de la
République à l’occasion de l’ouverture officielle du débat que la volonté de rupture par
rapport au mode de régulation traditionnel des enjeux éducatifs a été affirmée.
« Un débat ouvert bien sûr à toutes et à tous, aux praticiens de l'école naturellement, mais
aussi à toutes les familles, à toutes les professions, à tous les Français. Car l'école est notre
35 Jean-Pierre Raffarin. Interview du Premier Ministre au journal Le Monde, 1 décembre 2002. 36 Luc Ferry. Le 15 septembre 2003.
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patrimoine commun. Sachons dépasser des clivages d'un autre temps. Le débat sur l'école a été trop
longtemps confisqué. Il n'est l'apanage d'aucun camp, d'aucun parti, d'aucun clan. Il est temps qu'il
soit rendu aux Français. »37
C’est l’affichage de cette volonté de rupture avec l’héritage néo-corporatiste de
l’Education nationale qui a donc justifié le recours à un instrument participatif. En effet, en
soulignant les échecs des réformes antérieures portées par les spécialistes, ces discours
délégitiment les pratiques existantes et par là même légitiment le choix d’une nouvelle
procédure. L’organisation d’un débat public sur l’éducation a pu ainsi être présenté, non pas
comme l’usage opportun du contexte participationniste, mais comme l’utilisation adéquate
d’un nouvel instrument à disposition du gouvernement.
Section 2. Le débat public sur l’éducation : un hybride des formes populiste et délibérative de la démocratie directe. La rencontre du référendum chiraquien sur l’Education et des comités de délibération de Luc Ferry.
Le changement opéré dans la problématisation des enjeux éducatifs explique comment
le débat public sur l’éducation est devenu un instrument mobilisable de la politique éducative.
Cependant, il est nécessaire de rappeler que jusqu’à cette première expérience, le débat public
national n’existait pas en France en tant qu’instrument d’action publique. Il a donc été
construit en tant que tel. Cette construction a été progressive, et le débat tel qu’il a été
organisé est en fait le résultat de la rencontre entre deux formes, deux idées d’une démocratie
plus ou moins directe. C’est pourquoi il présente un caractère hybride par rapport aux
dispositifs participatifs ou délibératifs connus. Il associe une dimension participative et
quantitative - c'est-à-dire que son organisation visait à permettre l’expression du plus grand
nombre - et une dimension délibérative et qualitative - puisque l’existence de la commission
Thélot avait pour objectif de permettre la confrontation des intérêts et des points de vue dans
une démarche de construction collective de l’intérêt commun.
La première dimension de ce débat constitue l’héritage du projet politique de Jacques
Chirac. En effet, l’idée de consulter les français sur les questions éducatives était déjà
présente dans le projet politique du RPR en 1991 relancée par Jacques Chirac lors de sa 37 Jacques Chirac, le 20 novembre 2003.
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campagne présidentielle de 1995. Mais à cette époque, le projet reste assez flou mais tourne
essentiellement autour de l’idée d’organiser un référendum. Outre l’obstacle posé par l’article
11 de la constitution qui limite les domaines du référendum, l’idée avait soulevé des
réticences au sein du parti sur les questions qui pourraient être soumises à consultation, et
parmi les partenaires sociaux qui craignaient une tentative de manipulation par l’opinion
publique. Face à ces difficultés, l’idée du référendum avait été abandonnée. Cependant le
débat national sur l’avenir sur l’Ecole est clairement l’héritier de ce projet. Pour s’en
convaincre, il suffit de regarder comment la presse tentait de résumer le projet en 1995, et
d’observer les points communs avec le débat national sur l’avenir de l’Ecole organisé en
2003.
« A plusieurs reprises, M. Chirac a expliqué qu'il s'agit de renouer un « pacte républicain »
sur l'école, de « marquer l'importance qu'il accorde à ce sujet » en organisant « une très large
consultation nationale », du type de celle des « états généraux » de la Sécurité sociale en 1987. Une
loi-cadre serait ensuite élaborée, puis soumise à l'approbation des Français, « pour qu'elle s'impose à
tous ». 38
Peu importent ici les raisons pour lesquelles le projet est resté dans les tiroirs jusqu’en
2002. Il est cependant remarquable que ce projet soit réactivé après les élections présidentielle
et législatives de 2002. En effet, à cette date c’est à Luc Ferry que le Premier Ministre confie
la fonction de ministre de l’Education nationale. Que ce choix témoigne ou non d’une volonté
préexistante de réactiver le projet, toujours est il qu’il en a été un élément déterminant ; Luc
Ferry n’étant pas seulement un ministre issu de la société civile, mais une personnalité qui
défend depuis longtemps le principe délibératif. Ainsi, dans un article qu’il publie en 199139
figure déjà un certain nombre d’éléments clefs du débat national sur l’avenir de l’Ecole.
Il partage avec Jacques Chirac l’idée que « seul un débat public de grande envergure
convient à des questions qui concernent la vie de chacun d’entre nous » bien que, insistent-ils,
ce débat n’ait pas vocation à se substituer au Parlement mais à éclairer son action. En
revanche, à la différence du président de la République, Luc Ferry accorde une place
importante à l’existence d’un comité de sages ou de délibération composés à la fois d’experts
et de profanes dont la mission serait de développer et d’exposer l’ensemble des modèles
38 « Jacques Chirac : aboutir à un diagnostic partagé. », Le Monde, 16 juillet 2003. 39 L. FERRY, 1991, « Tradition ou argumentation ? Des comités de ‘sages’ aux comités de délibération », Pouvoirs, 56.
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d’argumentation. Ainsi, c’est dans cette conception de la délibération que l’on peut trouver
l’origine et l’importance du rôle qui a été accordé à la commission Thélot.
C’est donc la rencontre entre ces deux hommes, entre ces deux projets qui a donné
naissance à ce nouvel instrument d’action publique, à cette procédure législative avec
consultation préalable qui se décompose en trois phases : participation du plus grand nombre,
délibération de la commission, et débat parlementaire.
Alors que cela semble évident dans une démocratie représentative, il est utile ici de
souligner que l’affirmation d’une procédure en trois phases a participé pleinement de la
construction du débat public comme instrument crédible de l’action publique. En effet, alors
que les multiples consultations antérieures constituaient des éléments complémentaires du
processus décisionnel, ce débat est lui annoncé comme l’élément central de la procédure
d’élaboration d’une nouvelle loi d’orientation. En tout cas, tel est le sens qui lui a été donné
par le Président de la République : « et surtout un débat pour agir, puisqu'il débouchera sur
l'adoption d'une nouvelle loi d'orientation fondant le nouveau projet éducatif de la
France. »40 Ainsi dès l’origine, l’organisation du débat est associée à l’idée qu’il faut donner
une impulsion législative à une réforme du système éducatif.
« Certes le système éducatif ne se réforme pas par une loi mais par des actions quotidiennes.
Mais nous sommes dans un pays où la dimension législative est importante, c’était donc important
d’encadrer cette réforme par une loi. C’était une condition nécessaire. Il fallait essayer de créer un
choc, une prise de conscience. Et ce débat c’était un moyen de donner de la légitimité à cette
réforme » Claude Thélot.41
Le lien sans cesse réaffirmé entre le débat et le processus législatif était aussi un
moyen de moyen de motiver les futurs participants.
« Il fallait annoncer la couleur ! Sinon pourquoi vouliez-vous que les gens se déplacent ? Déjà
qu’en France l’idée de participation n’est pas spontanée… » 42Claude Thélot.
40 Jacques Chirac, le 20 novembre 2003. 41 Claude Thélot, entretien. 42 Idem
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C’est pourquoi, dès mai 2003, le Premier Ministre insiste sur le fait qu’« à l'issue du
débat, nous aurons une loi nationale d'orientation dont la représentation nationale pourra
débattre, et qui définira notre action pour les dix années qui viennent »43.
Le découpage de la procédure en trois phases, et l’insistance à rappeler le lien entre le
débat et la future loi d’orientation a tendu « à mettre en forme et en scène un hypothétique
processus de décision [et à reproduire] ce que devrait être un processus de décision
démocratique idéal : le temps du recueil de l’information et le temps de la confrontation des
arguments précédent le temps de la décision ».44Cette mise en forme a permis de construire le
débat comme un instrument véritablement novateur et de le démarquer ainsi des consultations
précédentes.
« En quoi le débat annoncé sur l’école est-il différent de toutes ces consultations
(précédentes) ?
Pour la première fois, un calendrier législatif est affirmé. (…) et ce débat repose sur une
consultation inédite de l’ensemble de la société ».45 Claude Lelièvre, historien de l’éducation.
Or, ce travail de démarcation par rapport aux expériences précédentes restées dans les
souvenirs au mieux comme inutiles au pire comme des tentatives de manipulation, a été la
première condition pour que le débat soit perceptible par son public non pas comme « une
nouvelle technique de gouvernementalité » mais comme un « instrument de démocratisation
de la décision politique ».46
Section 3. La mobilisation du débat public comme instrument de la politique éducative. Sortir l’Ecole de la crise par une innovation politique.
La question de la perception du dispositif par son public est une question
déterminante pour la compréhension de sa carrière. En effet, dans un premier temps, le crédit
accordé à Luc Ferry, ministre de la société civile et philosophe défenseur du principe
délibératif, a permis de crédibiliser le dispositif en atténuant la méfiance existante vis-à-vis du
projet de Jacques Chirac. Mais ce crédit a été complètement gaspillé par le calendrier adopté
43 Jean-Pierre Raffarin. Le 28 mai 2003. 44 L. BLONDIAUX, Y. SINTOMER, 2002, « L’impératif délibératif », Politix, vol 15(57). 45 Claude Lelièvre interview à Le Monde. 11 septembre 2003 46L. BLONDIAUX, Y. SINTOMER, 2002, op. cit.
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par le gouvernement. Lorsqu’en décembre 2002 Jean-Pierre Raffarin annonce l’organisation
du grand débat, celle-ci est prévue pour le premier trimestre 2003. Mais la crise iraquienne,
puis les mouvements sociaux du printemps de 2003 ont repoussé son organisation à l’hiver
2003-2004. Or, le fait que l’annonce officielle du débat soit intervenue au beau milieu des
mouvements de mai 2003 a relancé la polémique sur les intentions du gouvernement.
Qualifié d’ « opération endormissement »47 par Jack Lang, ce débat a été perçu par
l’ensemble des acteurs de l’Education nationale comme une grande « mystification »48 qui
n’avait qu’un seul objectif : permettre au gouvernement de se sortir de la crise.
« Le risque était immense que les syndicats refusent de participer avec un argument du type :
c’est pas pour faire une réforme, c’est pour sortir de la crise »49
Luc Ferry se défend d’avoir voulu utiliser ce débat comme un « outil de management
de crise » mais reconnaît qu’une partie du personnel politique, dont le Président de la
République, était partisan de l’organisation d’un débat qui ferait fonction de « défouloir ». Si
le ministre ne nie pas le potentiel de régulation de la crise offert par l’organisation d’un débat,
il estime en revanche que la « ficelle est trop grosse, trop visible pour que ça marche ». Il
préfère donc insisté sur les vertus d’un débat qui « permet d’élever le niveau de compétence
de (ses) concitoyens sur des problèmes qui sont hyper compliqués dès qu’on sort des
discussions de café du commerce »50. Il met ainsi en avant la dimension délibérative d’un
débat dont l’objectif n’est pas de faire parler l’opinion publique mais de permettre à chacun de
se former une opinion qui irait au-delà de sa propre expérience du système éducatif. Grâce au
même registre de justification, Claude Lelièvre (futur membre de la commission Thélot) est
venu défendre dans la presse l’organisation de ce débat.
« Pensez-vous que le débat sur l’école, après les conflits du printemps, est aujourd’hui
nécessaire ?
Il est urgent que ce grand débat ait lieu. C’est le seul moyen de sortir par le haut de la crise
du printemps. (…) »51
47 « Jack Lang : une opération endormissement », Le Monde, 11 septembre 2003. 48 Christian Forestier. Entretien. 49 Claude Thélot, entretien. 50 Luc Ferry, entretien. 51 Claude Lelièvre, le 11 septembre 2003.
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Sans préjuger des intentions du gouvernement, la mise en place d’un débat public peut
s’analyser plus pragmatiquement comme une innovation politique destinée à rendre à nouveau
gouvernable un secteur marqué, ces dernières années, par des grèves à répétition qui ont, en
quelque sorte, publiquement révélé une cogestion entre représentants de certains syndicats
enseignants et du ministère devenue inefficace. Mais sur ce point, l’attention du
gouvernement a certainement aussi été particulièrement attirée par le rapport de la Cour des
Comptes sur la gestion du système éducatif, publié en avril 200352. En effet, ce rapport fait le
constat suivant : « le système éducatif français n’est parvenu à relever le double défi que
constituaient l'exigence d'une amélioration des niveaux de qualification et le développement
d'un enseignement de masse que dans une relative ignorance de ses coûts et au prix de la
mise en oeuvre de procédures dont la complexité même a contribué à multiplier les
contraintes et à diluer les responsabilités. Une telle situation ne lui permet pas de répondre
de la façon la plus efficace possible à la demande aujourd'hui générale d'une adaptation la
plus fine possible aux caractéristiques et aux besoins des élèves et des étudiants. A l'avenir,
l'organisation du système éducatif devra s'adapter aux exigences actuelles de la gestion
publique : préciser ses objectifs, mieux maîtriser l'emploi de ses moyens, compléter
l'évaluation de ses résultats. »
Aussi, dans un contexte budgétaire exigu et puisque s’ouvrait – du fait de l’importance
des prochains départs en retraite - « une fenêtre pour réformer qui ne se représenterait pas de
sitôt »53, il pouvait sembler particulièrement pertinent d’ouvrir le forum des questions
éducatives afin de rouvrir les options possibles en matière de réforme du système éducatif.
C’est pourquoi, le choix d’un instrument participatif peut aussi s’analyser comme la
mobilisation – ou en tous cas, une tentative de mobilisation - d’un public élargi pour affronter
une coalition de politique publique restée solide bien que n’apportant plus la preuve de son
efficacité54.
Malgré l’important travail de justification du choix de ce nouvel instrument de la
politique éducative opéré par le gouvernement n’aura pas suffit à lever les doutes. En effet,
l’opinion publique étant un danger connu, les partenaires sociaux, comme la majorité des
52 COUR DES COMPTES, 2003, La gestion du système éducatif, Paris, Direction des journaux officiels. 53 Claude Lelièvre, op cit 54 On retrouve ici l’hypothèse développée par P. HASSENTEUFEL sur les possibilités d’évolution des réseaux d’action publique. P. HASSENTEUFEL, 1995, « Do policy network matter? Lifting descriptif et analyse de l’Etat en interaction. » in LE GALES P., THATCHER M., 1995, Les réseaux de politique publique. Débat autour des Policy Networks, Paris, L’Harmattan.
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acteurs éducatifs, sont restés dubitatifs par rapport à la justification du gouvernement, et se
sont surtout interrogés sur ce que le gouvernement pourrait faire dire à l’opinion publique
exprimée dans le débat.
« On se demandait quelles étaient leurs intentions, si leur projet était pas déjà écrit et comme
ça après ils auraient juste eu à dire que l’opinion publique était d’accord. »55
Le SNES, par exemple, craignait que le gouvernement profite de cette expression de
la base pour faire passer certaines réformes auxquelles les enseignants sont opposées.
« La FCPE avait porté plainte sur la question des remplacements. On savait que le
gouvernement allait nous pondre un texte. Le plus simple c’était de le faire demander par la
base ».Gisèle Jean, co-secrétaire nationale du SNES.56
Mais, comme en témoigne, le communiqué interfédéral publié le 23 octobre 2003 –
c'est-à-dire moins d’un mois après la mise en place de la commission Thélot – ce que
craignaient le plus les partenaires sociaux, c’est que le gouvernement profite de ce débat pour
faire passer ses choix budgétaires.
« Ces choix budgétaires sont en relation avec les multiples déclarations et propositions rétrogrades mises en avant par le gouvernement et augurent mal de ses intentions au moment où
s’ouvre le grand débat pour l’école. » FAEN, FERC-CGT, FSU, SGEN-CFDT, UNSA-Education.
Si, a posteriori, ces différents éléments ont pu faire dire à Luc Ferry que « l’agenda
politique avait plombé le débat »57, ils montrent surtout que les représentants de la
‘communauté éducative’ percevait cette mobilisation de l’opinion publique comme un danger
potentiel. Aussi, ce qu’il s’agit de comprendre, c’est pourquoi ils se sont mobilisés dans un
dispositif qu’ils jugeaient risqué.
55 Jean-François Vincent, Président de l’OCCE, contact du Manifeste pour un débat public sur l’Ecole, Entretien. 56 Gisèle Jean. Entretien. 57 Luc Ferry entretien
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Chapitre 2 : La publication du « manifeste pour un débat public sur l’Ecole » : un plaidoyer pour une redéfinition de la ‘communauté éducative’.
La ficelle était peut-être grosse, elle aurait pu être trop grosse et bloquer complètement
le déroulement du dispositif, mais force est de constater que ce débat a fonctionné. En effet,
quelles qu’aient été les intentions du gouvernement, l’organisation d’un débat public sur
l’éducation était publiquement demandée par une partie de la ‘communauté éducative’. Donc
si dénoncer publiquement le caractère démagogique d’un débat annoncé pendant une crise
sociale « était bien le minimum qu’ils pouvaient dire »58, les acteurs de l’Education nationale
étaient au contraire plutôt prompts à investir un dispositif qu’ils appelaient de leurs vœux, et
qui se présentait comme une opportunité de redéfinir les positions au sein de la ‘communauté
éducative’.
Section 1. Renouveler la problématisation des enjeux éducatifs par l’ouverture aux paroles profanes. « L’éducation est une affaire trop sérieuse pour être confisquée par l’Education nationale ».
Quelques mois avant que le gouvernement ne présente le débat public comme
l’instrument adéquat d’une nouvelle politique éducative, l’idée d’un débat public sur
l’éducation avait déjà fait une discrète apparition par la publication en février 2002
d’un « manifeste pour un débat public sur l’Ecole »59. L’objectif de ses auteurs était que « le
politique se saisisse de la question et organise un grand débat », c’est pourquoi ils ont été
« satisfaits de voir que l’idée était reprise par le cabinet Ferry ». Cependant, ils conviennent
eux-mêmes qu’il n’existe aucun lien formel entre la publication de ce ‘manifeste’ et le débat
organisé, dans la mesure où Luc Ferry n’a pas répondu à leur demande d’audition, et que
malgré la journée-débat organisée à l’Assemblée Nationale par le groupe du ‘manifeste’, cette
publication a connu un succès en librairie plus que timide et une couverture médiatique quasi
nulle.60
Qu’il y ait ou non un lien entre cette publication et la décision du gouvernement,
l’existence de ce ‘manifeste’ est à prendre en considération, non pas pour déterminer la
58 Claude Thélot, entretien. 59 J. GEORGE (Dir), 2002, Manifeste pour un débat public, Paris, La Découverte. 60 Jean-François Vincent. Signataire et contact du Manifeste. Entretien.
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paternité de ce débat, mais pour comprendre comment il a pu être organisé malgré le
scepticisme ambiant.
Les auteurs du ‘manifeste’ sont partis du constat que « l’Ecole n’a jamais vraiment été
une question politique puisque le débat sur l’école à l’Assemblée Nationale se résume à une
demi journée lors du vote de la loi de finance alors que trois jours sont consacrés aux
chasseurs et qu’il n’y jamais eu d’appel à l’opinion publique». Or, il leur semblait urgent que
le politique se saisisse enfin de la question, car le fait que le débat sur l’Ecole soit
« confisquée depuis des décennies a complètement sclérosé la réflexion ».61
« Le chantier de la transformation de l’école, en permanence à l’ordre du jour, reste trop
souvent confiné au cercle étroit des spécialistes. Mais l’éducation est une affaire trop sérieuse pour
être confisquée par l’éducation nationale. Un véritable débat public s’impose pour cerner les priorités
d’un service public d’éducation de qualité et en finir avec l’hypocrisie et les faux-semblants ».62
Ainsi, leur démarche obéissait à la logique simple de coup de pied dans la fourmilière,
à savoir, susciter le débat par quelques idées fortes pour sortir de l’impasse dans laquelle se
trouve la réflexion sur l’Ecole. En effet, depuis plusieurs années, le débat théorique sur
l’Ecole tourne essentiellement autour de l’affrontement entre ‘Pédagogues’ et ‘Républicains’.
Les ‘Pédagogues’, nés en tant que mouvement dans les années 1980, défendent la vision
d’une Ecole qui doit s’adapter à la massification et à l’hétérogénéité de ses publics, alors que
les ‘Républicains’, apparus lors de la contestation des déclarations de Claude Allègre dans les
années 1990, prônent un retour à l’enseignement traditionnel. Les signataires du ‘manifeste’
estiment que ce débat est stérile, puisque les premiers sont accusés par les seconds d’être
responsables du malaise de l’Ecole, et de la baisse du niveau, du fait de toutes les innovations
qu’ils ont imposés au système éducatif, alors que les seconds sont cesses discrédités pour leur
vision archaïque et rétrograde de l’Ecole. Les syndicats ne sont pas ‘épargnés’ par le
‘manifeste’ qui estime que « le monopole d’expertise dont ils disposent depuis des décennies
a complètement sclérosé leur réflexion »63, et fait que leurs revendications se limitent
désormais à la sempiternelle question des moyens.
61 Idem 62 GEORGE J (Dir), 2002, Manifeste pour un débat public, op. cit. 63 Jean-François Vincent, Contact du manifeste, entretien.
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Pour sortir de ces affrontements jugés stériles, le ‘manifeste’ a fait le choix de la
provocation et se targue d’éviter la langue de bois en ayant recours à des formules choc
(« ‘Tous les savoirs se valent’ : un discours hypocrite », « Démocratisation : peut mieux
faire ») et en proposant des idées novatrices. Ainsi, il suggère par exemple de repenser le rôle
et la formation des enseignants, ou de rechercher des formes de pédagogies alternatives
permettant de sortir de la logique du toujours plus de moyens.
Pour faire comprendre et accepter ces idées, il prône un débat qui, tout en étant ouvert
à tous et donc pas limité au cercle des initiés, soit un véritable débat de fond.
« Nous aimerions souligner la nécessaire ouverture qui s’impose à tous ces acteurs : ils ne peuvent plus garder le monopole du processus éducatif. Ils doivent reconnaître la nécessité de
travailler avec d’autres partenaires, sans frilosité, sans craindre de perdre leur âme. »
Par ce débat, il s’agit de dépasser « les habituelles polémiques assorties d’anathèmes
réciproques, les traditionnelles envolées lyriques sans rapport au réel, les petites phrases choc un peu
creuse mais si médiatiques » pour laisser la place à « une discussion argumentée, raisonnée, qui
prenne enfin le temps des nuances, et permette au citoyen de se forger une opinion qui ne soit pas
entièrement biaisée par son expérience personnelle. »64
Malgré la différence de ton, l’analogie avec le sens donné à ce débat par le ministre est
évidente au point qu’une personnalité telle que Claude Lelièvre a pu venir témoigné du fait
que ce ‘manifeste’, cosigné par des personnalités d’horizons divers, révélait bien de
l’existence d’une conversion de toute une partie de la ‘communauté éducative’ à l’idée qu’une
ouverture du débat est une condition indispensable d’une réforme du système éducatif.
« De plus en plus de hauts administrateurs et de syndicats en sont venus à penser qu’il est
nécessaire qu’un tiers rompe leur face à face ou leur tête à tête sur l’école. » Claude Lelièvre,
historien de l’éducation.65
Cependant, si la compétence de Claude Lelièvre à faire ce constat est difficilement
contestable, cette compétence ne doit pas faire oublier qu’il a cosigné ce ‘manifeste’ et qu’il
est donc lui-même un converti.
64 GEORGE J (Dir), 2002, Manifeste pour un débat public, op. cit. 65 Claude Lelièvre, interview à Le Monde, op. cit.
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Aussi, est-il instructif de regarder plus en détail qui s’est converti, car cet appel à
l’ouverture d’un débat public sur les questions éducatives s’apparente à une véritable remise
en cause du mode de régulation d’un secteur traditionnellement fermé. Or, les signataires du
‘manifeste’ ne sont pas des personnalités extérieures à l’Education nationale, ils en sont des
acteurs à part entière. C’est pourquoi, ce plaidoyer pour la mise en œuvre des théories
délibératives sur les questions éducatives ne peut être lu à l’unique lumière de cet
argumentaire mais doit aussi être appréhendé à partir de l’intérêt qu’ont ces acteurs à la mise
en œuvre d’un nouveau forum d’élaboration de la politique éducative.
Section 2. Derrière les enjeux éducatifs : la revendication d’un droit à la parole. Un intérêt au débat public partagé par l’ensemble des acteurs minoritaires.
L’histoire de ce ‘manifeste’ commence le 11 novembre 2001, dans une petite salle
d’un lycée parisien, par la réunion d’un groupe de personnes organisée à l’initiative de deux
spécialistes de l’éducation66. En présence de quelques journalistes invités, ce groupe décide de
susciter un grand débat public sur l’Ecole en publiant un petit ouvrage qui regrouperait un
certain nombre d’idées novatrices. Quelques mois plus tard, ce groupe publie un ouvrage
collectif, à savoir ‘le manifeste pour un débat public sur l’Ecole’, que les auteurs cosignent en
leur nom propre et en leur qualité d’« enseignants, chercheurs, chefs d’établissement, parents
d’élèves, militants d’associations ou de mouvements pédagogiques, syndicalistes… ». Mais
bien évidemment, le groupe ne réuni pas n’importe quel ‘militant’ ; il est composé en majorité
de cadres dirigeants d’associations, de mouvements et de syndicats engagés de plus ou moins
longue date dans la défense des pédagogies alternatives. Ainsi même si le choix d’un
« ouvrage de personnes plutôt que d’un ouvrage d’institutions » est justifié par des raisons de
commodités et la volonté de garder une « liberté de ton », derrière les noms ce sont bien des
organisations qui militent pour l’organisation d’un débat public sur l’Ecole.
« Les signataires ? Ce sont tous des personnes avec des postes à responsabilité, mais on voulait que ce soit des personnes qui signent et pas qu’ils signent es-qualité. Comme ça, ça permettait
aux uns et aux autres de ne pas engager les structures. Et puis les institutions ont beaucoup de mal à
travailler ensemble. Je vois bien avec le groupe des 14 (un collectif de mouvements éducatifs qui se
66 Philippe MEIRIEU et Jacky BEILLEROT
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réunit ponctuellement pour dénoncer publiquement un point de l’actualité éducative et auquel
appartiennent bon nombre des personnalités signataires) : pour écrire un communiqué de 20 lignes, il
faut 15 jours avec des dizaines d’amendements et d’aller-retour, alors vous imaginez pour un ouvrage
de 120 pages… ». Jean-François Vincent, contact du manifeste.67
Sans dresser un portrait exhaustif des 19 cosignataires, il faut souligner qu’ils
appartiennent tous au mouvement des ‘Pédagogues’. Si les contours de ce mouvement
fluctuent en fonction des questions abordées - toutes les organisations ou personnalités se
classant du coté des ‘Pédagogues’ n’ont d’ailleurs bien évidemment pas signé le ‘manifeste’ -
les alliances entre les différentes organisations ou experts se font toujours autour de l’idée
qu’il est nécessaire de s’adapter à la diversification des publics de l’Ecole en développant des
formes pédagogiques alternatives. Aussi, parmi ces signataires figurent des représentants
d’associations pédagogiques ou de coopération à l’Ecole, ou des cadres intermédiaires de
l’Education nationale qui présentent la particularité de gérer des écoles dîtes alternatives. Il
est intéressant de s’arrêter sur les associations promouvant ces écoles car leur situation, en
marge de l’Education nationale, leur a permis de développer des partenariats avec les élus
locaux, ce qui explique la signature de Maurice Charrier – vice-président de la communauté
urbaine de Lyon, et surtout avec les parents d’élèves, notamment la FCPE, puisque ces
associations tendent à proposer aux parents jugeant le système éducatif inadapté à leur enfant
de le « changer d’école ». Mais ces associations, et plus largement le mouvement
‘Pédagogues’ ne se limitent pas à proposer des solutions alternatives pour des situations
particulièrement problématiques, ils ambitionnent aussi de « changer l’Ecole » en faisant
reconnaître pa