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Université de Lyon Université Lyon 2 Institut d’Etudes Politiques de Lyon La protection pénale internationale des femmes contre le viol en temps de conflit armé Éléments d’analyse juridique et perspectives d’évolution GRENERON Chloé Diplôme I.E.P. 4 ème année – Affaires Internationales Séminaire de droit international public Mémoire soutenu le : 2011-09-07 Jury : Michel Julien

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Université de LyonUniversité Lyon 2

Institut d’Etudes Politiques de Lyon

La protection pénale internationale desfemmes contre le viol en temps de conflitarmé Éléments d’analyse juridique etperspectives d’évolution

GRENERON ChloéDiplôme I.E.P. 4ème année – Affaires Internationales

Séminaire de droit international publicMémoire soutenu le : 2011-09-07

Jury : Michel Julien

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6

Les notions de viol et d’agression sexuelle en droit pénal français : éléments de définition. . 8La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme : Affaire M.C. contreBulgarie, le viol comme atteinte à l’intégrité physique . . 11La protection internationale des femmes contre les violences sexuelles . . 13La protection des femmes en droit international relatif aux droits de l’Homme . . 15Une protection complémentaire en situation de conflit armé : les réglementations en droitinternational humanitaire . . 19

Partie I : Définir la nature du viol constitutif de crimes internationaux : la jurisprudencepionnière des Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’Ex-Yougoslavie . . 23

A. La réponse des tribunaux pénaux spéciaux pour le Rwanda et l’Ex Yougoslavie à lapratique du viol en temps de guerre . . 23

La définition inédite du viol élaborée par le TPIR dans l’affaire Akayesu . . 25Définir les éléments constitutifs du viol : l’examen des systèmes juridiques internespar le TPIY dans l’affaire Furundzija . . 30

B. L’affaire des « camps de viol » de Foča : la définition de nouveaux éléments constitutifsdu crime de viol . . 35

Les éléments du crime de viol : l’actus reus et la mens rea . . 37Le viol constitutif de torture et l’esclavage sexuel comme crime contre l’humanité. . 38

Partie II : La récrimination du viol comme crime international : applications par la Courpénale internationale . . 45

A. La Cour pénale internationale : les violences sexuelles constitutives d’un crimeinternational . . 45

La qualification du viol comme crime de guerre, crime contre l’humanité et génocidedans le Statut de Rome : éléments d’analyse . . 47La complémentarité de la CPI auprès des juridictions nationales et les applicationsjurisprudentielles du viol comme crime de guerre et crime contre l’humanité :l’exemple de la République démocratique du Congo . . 51

B. La protection des victimes témoins de violences sexuelles en temps de guerre : phaseprocédurale . . 55

Définition juridique et protection de la victime par le TPIY : une action pionnière . . 57La stratégie de la CPI concernant les victimes : un approfondissement desdispositions mises en place par les Tribunaux spéciaux internationaux . . 62

Conclusion . . 67Bibliographie . . 69

Ouvrages . . 69Périodiques . . 69Articles . . 70Rapports, circulaires et textes internationaux . . 70

Statuts et Règlements . . 73Sites internet . . 73

Annexes . . 75

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Annexe 1. Tableau récapitulatif des différentes législations nationales . . 75Annexe 2. Loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et decertains attentats aux mœurs . . 75Annexe 3. Arrêt de principe de la Cour de Cassation du 5 septembre 1990 . . 75Annexe 4. Loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l ’institution de la cour pénale internationale . . 75Annexe 5. Circulaire du secrétaire général des nations Unies sur le respect du droitinternational humanitaire par les forces des Nations Unies . . 76Annexe 6. Loi n°06/18 du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le décret du 30janvier 1940 portant Code pénal congolais . . 76Annexe 7. Jugement et notes d ’ observation, Jugement Songo Mboyo . . 76Annexe 8. Comparatif des jugements des Tribunaux pénaux internationaux . . 76Annexe 9. Carte – Le viol comme tactique de guerre : une réalité mondiale . . 76Abréviations . . 76Résumé . . 77

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Remerciements

GRENERON Chloé 5

Remerciements Je remercie plus particulièrement M. Moncef KDHIR, M. Jan KLEIJSSEN et M. Michel JULIEN.

Je remercie également toutes les personnes qui m'ont apporté leur aide et leur soutien tout aulong de la rédaction de ce mémoire.

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Introduction

La découverte de l’ampleur des atrocités sexuelles commises en Ex-Yougoslavie a engagé,dans les années 1990, une prise de conscience de la communauté internationale. Véritablecatalyseur faisant des crimes sexuels en temps de conflits armés une priorité dans l’agendade la communauté internationale, l’attention du monde s’est tournée vers cet usage du violet de la violence sexuelle, devenus des outils intentionnels et systématiques de la guerre.Ces évènements donneront naissance à l’expression « le viol comme arme de guerre »1. Demême, « poussant la logique de la modification de la composition ethnique des territoiresà l’extrême, les troupes serbes ont créé ce que le droit a désigné ensuite sous le vocablede "grossesse forcée" »2.

Pour autant, l’usage des violences sexuelles en temps de conflits armés n’est pas unphénomène propre à la fin du XXème siècle. Bien qu’ayant pris une visibilité sans précédentau lendemain de la découverte de l’existence de centres de détention mis en place dans lebut explicite de violer et violenter les femmes en Europe, l’usage des violences sexuellescomme « arme de guerre » est un phénomène que l’on peut dater de l’histoire de l’Antiquité.

Saint Augustin soulignait dans le Livre Premier de son ouvrage La Cité de Dieu 3 que

le viol constituait une pratique courante, notamment lors des pillages de village. Celui-cicondamnait déjà l’insolence du viol des femmes chrétiennes, pratique perçue par les auteursde ces actes comme une forme de triomphe contre le christianisme.

Bien que passé sous silence pour diverses raisons, l’usage du viol et des violencessexuelles durant la Seconde guerre mondiale fut une réalité d’ampleur. Les recherchesmontrent bien l’existence de « femmes de confort » pour l’armée japonaise, soit descentaines de femmes et fillettes asiatiques réduites à l’état d’esclaves sexuels, subissantdes viols plusieurs fois par jour. Cette réalité a toutefois été dissimulée notamment du faitque ces pratiques étaient usitées par les deux « côtés » des forces armées. Force estde constater qu’aucune mention à ces violences sexuelles n’est faite dans les Chartes deNuremberg ou de Tokyo. Et bien que l’usage du viol ait servi de preuves lors des jugementsayant eu cours au tribunal de Nuremberg, aucune charge à proprement parler pour viol n’aété retenue. Il est toutefois intéressant de souligner que certains procès ayant eu lieu autribunal de Tokyo ont abordé la question de l’usage du viol. C’est notamment le cas dans

l’affaire relative au Général Matsui 4 , condamné pour crimes contre l’humanité et crimes

de guerre, ces accusations étant en partie fondées sur le fait que les troupes placées sousson commandement avait commis des viols massifs. Il n’en reste pas moins que l’usage duviol n’a à aucun moment été mentionné comme un crime à part entière dans cette affaire,

1 Eléments issus du document suivant : Les violences sexuelles faites aux femmes pendant les conflits armés et la réponse desjuridictions pénales internationales, par Claire Fourçans, Séminaire Femmes et conflits, 29 avril 2008.2 Ibid.

3 Titre exact de l’œuvre : De Civitate Dei contra pagnos, La Cité de Dieu contre les païens. Le Livre Premier fut rédigé en 413.4 Pour plus d’éléments sur les conclusions du Tribunal de Tokyo et notamment une analyse sur l’usage du viol et les « femmes

de confort », voir le lien suivant : http://droitcultures.revues.org/2079

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Introduction

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les violences sexuelles n’étant à l’époque considérées que comme un aspect secondairedu procès, un « dommage collatéral » de la guerre.

Le siècle passé marque une évolution dans la nature même de la guerre. Aux conflitsarmés internationaux et non internationaux, s’ajoute désormais un nouveau type de conflit :les guerres asymétriques5. Malgré ces évolutions structurelles de la guerre, la situationdes femmes reste quant à elle constante : elles sont toujours une des victimes les plusaffectées par les conflits. Selon les chiffres du CICR, les femmes et les enfants représententla majorité des populations civiles réfugiées ou déplacées, les estimations en chiffres étantles suivantes : les femmes représentent en temps de guerre environ 80% des pertes en viehumaines et, au niveau mondial, 80% des réfugiés et des personnes déplacées dans leurpropre pays sont des femmes et des enfants.

Ces nouvelles formes de guerre ont également marqué uneévolution dans l’usage desactes de violence sexuelle: « ces actes ne se produisent pas de manière sporadique, maisde plus en plus souvent comme de véritables attaques systématiques, conçues commedes stratégies militaires ayant pour but de détruire, terroriser, humilier ou faire déplacer descommunautés entières. On peut parler de la violence sexuelle comme arme de guerre »6.Les statistiques des Nations Unies sur la question sont choquantes et significatives : l’ONUestime à plus de 500.000 le nombre de femmes violées pendant le conflit au Rwanda. Audébut des années 1990 en Bosnie-Herzégovine, c’est entre 20.000 et 50.000 femmes quiont subi des violences sexuelles. Enfin, on estime que durant le conflit en Sierra Leoneplus de 50.000 femmes ont été des déplacées internes et ont subi des violences sexuellesperpétrées par les combattants armés7.

Bien que le viol bénéficie d’une visibilité accrue depuis les événements ayant eucours en Ex-Yougoslavie, la violence sexuelle en temps de guerre ne se limite pas à cettepratique. D’autres phénomènes peut être moins visibles mais tout aussi dévastateurs sontutilisés dans les conflits armés ; c’est le cas notamment des mutilations génitales, de laprostitution forcée, ou encore des grossesses forcées. Il serait réducteur d’imaginer quela protection particulière des femmes mise en place par différents textes internationauxest due à une plus grande vulnérabilité de celles-ci par rapport aux hommes. Les femmespeuvent recouvrir différents rôles en temps de guerre : elles peuvent bien sûr en êtrevictimes, mais aussi être actrices de la paix ou combattantes. Les dispositions particulièresmises en place visent davantage à prendre en considération quels risques en particulierles femmes doivent affronter en temps de guerre ; cette démarche s’ancre bien dans unsouci d’équité entre les femmes et les hommes. Ce travail s’intéresse particulièrementà laprotection pénale internationale des femmes – et par delà, des filles – parce que la guerreles touche différemment.

Ainsi, comme le note le Comité international de la Croix-Rouge – ci-après CICR –dans un document d’information8 : « Si ce sont en grande majorité des hommes qui

5 Type de guerre suggérant une différence de nature entre les forces armés ; c’est le cas par exemple quand les forces arméesétatiques sont opposées à des groupes rebelles.

6 La protection des femmes en temps de conflit armé, Deteseanu, Daniela-Anca in La protection des personnes vulnérablesen temps de conflit armé, ouvrage sous la direction de Jean-Marc Sorel et Corneliu-Liviu Popescu. Bruxelles : Bruylant, 2010 p.257-294.

7 Ibid.8 Les femmes et la guerre, 0944/001 02.2008 2,000, 28 février 2008, Comité international de la Croix-Rouge. Disponible en

ligne pour téléchargement : http://www.icrc.org/fre/resources/documents/publication/p0944.htm

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sont tués, détenus ou portés disparus pendant une guerre, les femmes, en période deconflit armé, sont de plus en plus visées en tant que personnes civiles et sont exposéesà la violence sexuelle ». Les violences sexuelles sont une violation des droits de lafemme mais aussi et surtout une des pratiques les plus courantes que subissent lesfemmes au cours d’un conflit armé. Longtemps sous-estimées, les violences sexuelles sontaujourd’hui reconnues comme pouvant constituer une méthode de guerre. Le CICR proposedes éléments d’analyse permettant d’appréhender dans quelles mesures les violencessexuelles constituent une méthode de guerre9 :

Le viol est considéré comme une méthode de guerre lorsque des forces ougroupes armés l’utilisent pour torturer, blesser, extraire des informations,dégrader, faire fuir, intimider, punir, ou simplement pour détruire le tissucommunautaire. La seule menace de violence sexuelle peut pousser descommunautés entières à fuir. En violant les femmes, les porteurs d’arme arriventà humilier et démoraliser les hommes qui n’ont pas pu les protéger. Là oùl’intégrité de la communauté et de la famille est considérée comme étroitementliée à la « vertu » des femmes, le viol peut être utilisé comme une tactiquedélibérée pour déstabiliser familles et communautés. Comme, dans de nombreuxcontextes, on estime qu’une femme qui a été violée apporte le déshonneur àsa famille ou à sa communauté, les victimes peuvent être abandonnées, voiretuées pour sauvegarder la réputation de la famille – ce qu’on appelle « un crimed’honneur ». Les victimes de violence sexuelle peuvent aussi être rejetées parleur communauté parce qu’elles ont peut-être été infectées par le VIH.

L’ensemble de ce travail se concentrera principalement sur l’incrimination pénaleinternationale du crime de viol. Pour ce faire, nous allons effectuer un premier détour par ledroit national et européen. Cette première approche apportera des éléments juridiques dedéfinition qui nous permettront d’envisager le concept, largement accepté, du crime de viol.

Les notions de viol et d’agression sexuelle en droitpénal français : éléments de définition

La définition du viol donnée dans les différents codes pénaux nationaux10 est une premièreapproche intéressante pour cerner la conception largement acceptée de ce crime. LeTribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie a lui-même effectué un comparatif desdifférentes dispositions nationales en la matière, pour dresser sa propre définition du violdans l’affaire Furundzija, affaire que nous analyserons dans le détail plus loin.

Les articles 222.22 et 222.22.1 donnent tout d’abord une définition globale de la façondont le code pénal français envisage la notion d’agression sexuelle, y compris le viol :

9 Ibid.10 Pour un tableau comparatif des différentes législations nationales, voir annexe 1.

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Introduction

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Article 222-22 Modifié par loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 - art. 36 11 Constitue

une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte,menace ou surprise. Le viol et les autres agressions sexuelles sont constituéslorsqu’ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par laprésente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseuret sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage. Lorsque lesagressions sexuelles sont commises à l’étranger contre un mineur par unFrançais ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, laloi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l’article 113-6 etles dispositions de la seconde phrase de l’article 113-8 ne sont pas applicables.

Article 222-22-1 Créé par loi n°2010-121 du 8 février 2010 - art. 1 12 La

contrainte prévue par le premier alinéa de l’article 222-22 peut être physique oumorale. La contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entreune victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait quecelui-ci exerce sur cette victime.

La définition du crime de viol a connu différentes évolutions dans le code pénal français.Notons d’abord la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol etde certains attentats aux mœurs13. Ainsi, si l’ancien article 332 du Code stipulait que laChambre criminelle exigeait une union sexuelle stricto sensu imposée par la force à unefemme par un homme, l’article 222.23 le remplaçant stipule aujourd’hui que « Tout actede pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui parviolence, contrainte, menace ou surprise, est un viol ». Ainsi, si le terme « pénétrationsexuelle » permet de bien distinguer le viol des autres agressions sexuelles, l’utilisationde la terminologie « de quelque nature que ce soit » permet une interprétation bien plusextensive que celle que proposait l’article 332. Le législateur considère désormais commeconstitutif d’un viol toute pénétration sexuelle vaginale, anale ou orale, mais égalementtoute pénétration sexuelle par la main ou par un objet. De même, le vocabulaire « commissur la personne d’autrui » marque une avancée considérable : si l’acte de viol ne pouvaitau préalable être constitué que dans le cas d’une union sexuelle imposée par un hommesur une femme, le Code protège désormais toute victime, qu’il s’agisse d’une femme, d’unhomme, d’un enfant – tout sexe confondu – et que l’agresseur soit connu ou inconnu dela victime. Le Code protège désormais également des viols commis au sein de la cellulefamiliale.

Il est à noter que la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a renforcé la protectioncontre le viol entre époux dans un arrêt de principe en date du 5 septembre 199014. LaChambre a ainsi noté que « la volonté des époux de mettre en commun et de partager toutce qui a trait à la pudeur n'autorise nullement l'un d'entre eux à imposer à l'autre par violenceun acte sexuel s'il n'y consent et que notamment doit être respectée la liberté sexuelle de

11 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des

couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.12 Loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer

la détection et la prise en charges des victimes d’actes incestueux.13 Voir annexe 2.

14 Voir annexe 3.

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la femme mariée », et ce, en affirmant que « l’article 332 (article 222.23 aujourd’hui) ducode pénal, en sa rédaction issue de la loi du 23 décembre 1980, qui n’a d’autres fins quede protéger la liberté de chacun, n’exclut pas de ses prévisions les actes de pénétrationsexuelle entre les personnes unies par les liens de mariage lorsqu’ils sont imposés dans lescirconstances prévues par ce texte ». Enfin, la nouvelle définition du viol offre un éventailplus large des moyens pouvant être incriminés au moment de la commission du viol ;par l’expression « par violence, contrainte, menace ou surprise », le législateur considèredésormais que c’est le non-consentement de la victime qui caractérise le viol et non plusl’emploi de la force.

Comme le stipule l’article 222.23 du Code pénal, la peine encourue pour la commissiondu crime de viol est de quinze ans de réclusion criminelle. L’article 222.24, modifié parl’article 150 de la loi n°2011-525 du 17 mai 201115 prévoit toutefois une peine de vingt ansde réclusion criminelle dans les situations suivantes :

Article 222-24 Modifié par LOI n°2011-525 du 17 mai 2011 - art. 150 Le viol estpuni de vingt ans de réclusion criminelle : 1° Lorsqu'il a entraîné une mutilationou une infirmité permanente ; 2° Lorsqu'il est commis sur un mineur de quinzeans ; 3° Lorsqu'il est commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité,due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique oupsychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de l'auteur ;4° Lorsqu'il est commis par un ascendant ou par toute autre personne ayantsur la victime une autorité de droit ou de fait ; 5° Lorsqu'il est commis par unepersonne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ; 6° Lorsqu'il estcommis par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ;7° Lorsqu'il est commis avec usage ou menace d'une arme ; 8° Lorsque lavictime a été mise en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour ladiffusion de messages à destination d'un public non déterminé, d'un réseau decommunication électronique ; 9° Lorsqu'il a été commis à raison de l'orientationsexuelle de la victime ; 10° Lorsqu'il est commis en concours avec un ouplusieurs autres viols commis sur d'autres victimes ; 11° Lorsqu'il est commispar le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par unpacte civil de solidarité ; 12° Lorsqu'il est commis par une personne agissant enétat d'ivresse manifeste ou sous l'emprise manifeste de produits stupéfiants.

Enfin, les peines sont croissantes si des circonstances aggravantes s’ajoutent au crime deviol, comme le stipulent les articles suivants :

Article 222-25 Le viol est puni de trente ans de réclusion criminelle lorsqu’il aentraîné la mort de la victime. […] Article 222-26 Le viol est puni de la réclusioncriminelle à perpétuité lorsqu’il est précédé, accompagné ou suivi de tortures oud’actes de barbarie. […]

15 L’article 222.24 du Code pénal a dans un premier temps été modifié par la loi n° 2010-121 du 8 février2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise encharges des victimes d’actes incestueux. De nouvelles modifications lui ont été apportées avec la loi n° 2011-525 du17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit. Pour plus d’éléments sur la loi, voir le site deLégifrance : http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=04FC9374C0CD48022A44C732C7D4DBDD.tpdjo06v_2?cidTexte=LEGITEXT000006070719&idArticle=LEGIARTI000024041213&dateTexte=20110728&categorieLien=id#LEGIARTI000024041213

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Introduction

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Les autres agressions sexuelles ne sont pas considérées comme un crime mais commedes délits, comme le stipule l’article 222.2716 : « Les agressions sexuelles autres que le violsont punies de cinq ans d ’ emprisonnement et de 75000 euros d ’ amende ». Comme pourle viol, certaines circonstances aggravent la peine encourue17.

Enfin, relevant du domaine civil, l’article 2270.1 du Code Civil prévoit comme suit – ledeuxième alinéa ayant été modifié par la loi Guigou18 :

Article 2270-1 Modifié par Loi n°98-468 du 17 juin 1998 - art. 43 JORF 16 juin1998 Abrogé par LOI n°2008-561 du 17 juin 2008 - art. 1 Les actions enresponsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter dela manifestation du dommage ou de son aggravation. Lorsque le dommage estcausé par des tortures et des actes de barbarie, des violences ou des agressionssexuelles commises contre un mineur, l'action en responsabilité civile estprescrite par vingt ans.

Il est à noter que la loi n° 2010-930 du 9 août 201019 a introduit dans le droit pénal françaisles dispositions contenues dans le Statut de la Cour pénale internationale. Les violencessexuelles sont désormais constitutives de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre,en application des dispositions du Statut de Rome.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits del’Homme : Affaire M.C. contre Bulgarie, le viol commeatteinte à l’intégrité physique

Selon la conception de la Cour européenne des droits de l’homme, les violences sexuelles,notamment le viol, peuvent constituer, selon les faits, des atteintes à l’intégrité physique dela personne. Preuve en est dans l’affaire M.C. contre Bulgarie du 4 décembre 200320. Unbref rappel des faits est ici intéressant : la requérante, M.C., est une ressortissante bulgare,née en 1980. Le 31 juillet 1995, elle se rend en discothèque avec deux hommes – A. etP., âgés respectivement de 20 et 21 ans – et un de ses amis ; elle se rend plus tard dansune autre discothèque avec ces mêmes personnes. Sur le chemin du retour, les individusarrêtent la voiture. M.C. dit alors avoir été forcée d’avoir des relations sexuelles avec P., cequi provoqua chez elle un profond désarroi. Le lendemain au lever du jour, A. et P. emmènentla jeune fille dans une maison. A. la force alors à avoir des relations sexuelles avec lui dans

16 Article 222-27, modifié par Ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000 - art. 3 (V) JORF 22 septembre 2000 en vigueur le1er janvier 2002.17 Voir à ce propos les articles 222.28, 222.29 et 222.30 du Code pénal français.

18 Loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protectiondes mineurs.19 Voir annexe 4.20 Cour européenne des droits de l’homme, Affaire M.C. c. Bulgarie n°39272/98, 4décembre 2003. Arrêt définitif disponible en ligne dans la base de données HUDOC de laCour : http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=M.C%20%7C%20int%E9grit%E9%20%7C%20physique&sessionid=73948963&skin=hudoc-fr

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ce lieu ; M.C. dit qu’elle n’a cessé de pleurer pendant et après le viol. Quand la mère de lavictime la retrouve plus tard, elle l’emmène à l’hôpital pour effectuer un examen médical ; ilest constaté que l’hymen a été rompu. M.C. a quatorze ans au moment des faits, âge fixépar la loi bulgare pour le consentement à des relations sexuelles.

A. et P. démentent tous les deux avoir violé la requérante. L’enquête menée ne permetpas de déterminer au-delà de tout doute raisonnable que M.C. a été contrainte d’avoirdes relations sexuelles avec les deux accusés. Il n’est en effet pas possible de réunir leséléments suffisants pour prouver le recours à la force ou aux menaces et pour établir queM.C. a opposé une résistance. Le procureur de district décide donc d’un non-lieu le 17 mars1997. M.C. a toutefois soumis à la Cour les avis écrits d’experts qui ont fait état d’une « peurparalysante », syndrome d’infantilisme psychologique traumatique qui constitue la réactionla plus courante des victimes d’un viol : la victime étant terrorisée, soit elle se soumetpassivement, soit elle se dissocie psychologiquement du viol. Il est également constatéque sur les vingt-cinq cas de viol survenus en Bulgarie analysés, concernant des femmesâgées entre 14 et 20 ans, vingt-quatre des victimes ont réagi de cette manière lors de leuragression.

La requête a été introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme

le 23 décembre 1997, transmise à la Cour le 1er novembre 1998 et déclarée recevable le 5décembre 2002. La requérante dénonce le droit et la pratique bulgare comme n’offrant pasune protection effective contre le viol et les abus sexuels dans la mesure où seule la preuved’une résistance active de la part de la victime donne lieu à des poursuites judiciaires. M.C.soutient que la Bulgarie a l’obligation positive, en vertu de la Convention européenne desDroits de l’Homme, de protéger l’intégrité physique et la vie privée de l’individu et de luifournir un recours effectif, en violation de l’article 3 (interdiction des traitements dégradants),l’article 8 (droit au respect de la vie privée), l’article 13 (droit à un recours effectif) et l’article14 (interdiction de la discrimination).

Il est ici important de noter que le droit à l’intégrité physique dans le texte de laConvention européenne des Droits de l’Homme ne fait pas l’objet d’un article déterminé21.Toutefois, ce droit s’inscrit dans des dispositions multiples. C’est le cas de l’article 3 où elleest, en la matière, la principale disposition. L’article 8 peut également être mentionné, laCour interprétant la notion de « vie privée » comme protégeant les individus contre certainesformes d’atteintes à l’intégrité physique, tel que le viol22.

Les conclusions de la Cour furent les suivantes : les Etats ont l’obligation positive, envertu de l’article 3 et de l’article 8, de protéger l’intégrité physique de l’individu et, pour cefaire, d’adopter des dispositions pénales sanctionnant effectivement le viol. La Cour conclutdonc à la violation des obligations positives qui incombent à la Bulgarie en vertu des articles3 et 8 de la Convention.

M.C. c. Bulgarie n’est qu’un exemple parmi d’autres dans la mesure où, à d’autresoccasions, les conclusions jurisprudentielles de la CEDH sont allées dans le sens où les

21 Pour davantage de précisions, voir Les obligations positives en vertu de la Convention européenne des Droits de l’Homme– Un guide pour la mise en œuvre de la Convention européenne des Droits de l’Homme, Jean-François Akandji-Kombe, Précis surles droits de l’homme n°7, Direction générale des droits de l’homme, Conseil de l’Europe 2006. Disponible en ligne en format PDF :echr.coe.int/NR/rdonlyres/37798829.../0/DG2FRHRHAND072006.pdf

22 Ces éléments ne sont pas exhaustifs : bien que non concernés par la jurisprudence analysée ici, on peut également citerl’article 4 interdisant l’esclavage, le travail forcé et la servitude, constituant tous trois une forme particulière d’atteinte à l’intégrité dela personne ; ainsi que l’article 2 relatif au droit à la vie.

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Introduction

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violences sexospécifiques constituaient une atteinte à l’intégrité physique de la personne.Ce fut notamment le cas dans l’affaire plus récente Opuz c. Turquie du 9 juin 2009, relativeaux violences domestiques23 ou encore dans l’affaire Gauer et autres c. France 24, relativeà la stérilisation de jeunes femmes handicapées mentales. L’intérêt des conclusions de laCour européenne des droits de l’homme est que celle-ci admet qu’il existe bien un lien entrel’atteinte à l’intégrité physique d’une personne et les violences sexospécifiques.

La protection internationale des femmes contre lesviolences sexuelles

Sur un plan juridique international, deux types de droit sont ici à appréhender plusparticulièrement : le droit international humanitaire – ci-après DIH – et le droit relatifau droits de l’Homme – ci-après DH. Connu également sous l’appellation « droit dela guerre » ou « droit des conflits armés », le droit international humanitaire est unrégime conçu spécialement pour réglementer les conflits armés. Les règles de droitinternational humanitaire sont lex specialis, dans le sens où elles s’appliquent à dessituations considérées comme « exceptionnelles » dont l’état de guerre fait partie. Ilest un domaine du droit relatif à la protection des personnes qui ne participent pas ouplus aux hostilités que sont les civils, les malades, les blessés, les naufragés et lescombattants capturés. Ce droit s’applique aux conflits revêtant un caractère international,mais également aux conflits non internationaux, comme l’indique l’article 3 commun auxquatre Conventions de Genève de 1949 :

ARTICLE 3. En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère internationalet surgissant sur le territoire de l'une des Hautes Parties contractantes, chacunedes Parties au conflit sera tenue d'appliquer au moins les dispositions suivantes : 1) Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y comprisles membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ontété mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autrecause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucunedistinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou lacroyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue […].

23 Cour européenne des droits de l’homme, Affaire Opuz c. Turquie n° 33401/02, 9 juin 2009. Cet arrêt est d’autant plusintéressant qu’il note la sexospécificité de ces violences : en l’espèce, la requérante a allégué la violation de l’article 14 (interdictionde la discrimination) combiné à l’article 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants).En guise de conclusion, la Cour note que la passivité dont les juridictions turques ont fait preuve crée un climat favorable à laviolence domestique, qui doit être considérée comme fondée sur le sexe et donc constitutive d’une forme de discrimination àl’égard des femmes. Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 14 combiné avec les articles 2 et 3.Pour davantaged’informations, arrêt définitif disponible en ligne dans la base de données HUDOC de la Cour : http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=opuz&sessionid=73950644&skin=hudoc-fr

24 Cour européenne des droits de l’homme, Affaire Gauer et autres c. France n°61521/08. Pour plus d’éléments sur cetteaffaire, voir Note d’information sur la jurisprudence de la Cour n° 139 – Version provisoire, Mars 2011, Cour européenne des droits del’homme, Conseil de l’Europe. Disponible en ligne dans la base de données HUDOC de la Cour : http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/portal.asp?sessionId=73972091&skin=hudoc-in-fr&action=request

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L’obligation de respecter les dispositions du DIH dans les conflits non internationaux a étérenforcée par le Protocole additionnel II aux Conventions de Genève, datant de 197725.Le DIH est contraignant à la fois pour les Etats et les groupes d’opposition armés. Dansune circulaire26 datée du 6 août 1999, le Secrétaire général des Nations Unies de l’époque,M. Kofi A. Annan a également édicté que les règles du DIH s’appliquent pour les troupesqui participent aux opérations multilatérales de maintien de la paix et d’imposition de lapaix, quand celles-ci prennent part au conflit. En dehors des quatre Conventions de Genèvede 1949 et des deux Protocoles additionnels de 1977, de nombreuses autres conventionsviennent compléter par leurs dispositions les règles du DIH. Enfin, un important corpus derègles coutumières existe également, au sein duquel certaines règles visent directement laprotection des femmes en conflits armés27.

Le droit relatif aux droits de l’Homme contient également des textes de droit internationalapplicables dans les situations de conflit armé. Le DH est toutefois applicable en tout temps,dans la mesure où les dispositions prévues dans ce droit sont également applicables entemps de paix : ces règles sont dîtes lex generalis. Elles apportent donc une protectioncomplémentaire à celle du DIH, qu’il est important de souligner. Si certains traités corrélatifsaux droits de l’Homme permettent aux États de déroger à certains droits en cas d’étatd’urgence28, l’état d’urgence ne déroge toutefois pas les États à leur obligation de protégercertains droits. C’est le cas du droit à la vie, de l’interdiction de la torture et d’autrestraitements cruels, inhumains ou dégradants, de l’application rétroactive des lois pénales etde la servitude. La force du droit relatif aux droits de l’Homme est qu’il dispose aujourd’hui,sur le plan régional notamment, de mécanismes judiciaires de protection sophistiqués etefficaces29.

Ces deux types de droit sont intimement liés s’agissant de la protection internationaledes femmes contre les violences sexuelles en conflit armé. Il est important, pour introduirenotre sujet, d’envisager selon une perspective globale le cadre juridique international danslequel s’ancre la protection des femmes en temps de conflits armés30. Il y a en effet unaccord entre la jurisprudence, la pratique et la doctrine internationales pour dire que cesdeux branches du droit, bien que distinctes, ne s’excluent pas dans la mesure où leur

25 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés noninternationaux, 1977 (PA II). Le Protocole additionnel I (PA I) est, quant à lui, relatif à la protection des victimes des conflits armésinternationaux.26 Voir annexe 5 : Circulaire du Secrétaire général, Respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies, doc.Nations UniesST/SGB/1999/13, 6 août 1999. Également disponible en ligne sur le site du CICR : http://www.icrc.org/fre/resources/documents/misc/5fzg69.htm27 Certaines de ces règles seront envisagées plus loin dans l’introduction.

28 Mesure prise par un gouvernement en cas de danger public menaçant l’existence de la nation. Les dérogations faîtes enpareilles circonstances ne doivent toutefois pas être en contradiction avec les obligations découlant du droit international, y comprisle droitinternational humanitaire. Sur le plan international, l’article 4 du Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiquesrégule l’état d’urgence. Les conditions de son application sont également mentionnées dans l’article 15 de la Convention européennedes Droits de l’Homme, relatif à la Dérogation en cas d’état d’urgence.

29 On pense notamment ici à la Cour européenne des droits de l’Homme ou à la Cour interaméricaine des droits de l’Homme.30 L’intégralité des éléments d’analyse qui suivent, concernant la complémentarité du droit international relatif aux droits de

l’Homme et du droit international humanitaire en matière de protection des femmes sont issus de l’ouvrage suivant : La protectiondes femmes en temps de conflit armé, Deteseanu, Daniela-Anca in La protection des personnes vulnérables en temps de conflitarmé, ouvrage sous la direction de Jean-Marc Sorel et Corneliu-Liviu Popescu. Bruxelles : Bruylant, 2010 p. 257-294.

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Introduction

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action est régie par le principe de specialia generalibus derogant31. Aussi, durant un conflitarmé, les règles de droit international des droits de l’homme sont toujours applicables,mais viennent s’ajouter à elles les normes spéciales de protection garanties par le droitinternational humanitaire.

La protection des femmes en droit international relatifaux droits de l’Homme

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, on assiste à un développement du processusnormatif international au sein duquel est distinguable un certain régime de protection centrésur les femmes et sur leurs besoins spécifiques. L’évolution du DIH s’est faite en parallèle decelle du droit international relatif aux droits de l’Homme, de telle sorte que la protection desfemmes concerne des réalités à la fois intra-étatique – la violence conjugale par exemple–, mais également interétatique – comme les questions relatives à la traite des femmes ouà l’esclavage sexuel.

Ainsi, les femmes jouissent bien entendu des protections offertes par lesréglementations générales en matière de droit relatif aux droits de l’Homme et ce, danstous les domaines : droits civils et politiques, droits économiques, sociaux et culturels. Dansl’article 2§1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques32, le principe général denon discrimination sur le critère du sexe est rappelé comme étant « entièrement opérant ».On retrouve la même chose concernant les droits économiques, sociaux et culturels puisquele Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels rappelle, dans lemême article 2§1, le principe de non discrimination sur des critères de sexe. Toutefois, laspécificité de certains droits a imposé une réglementation particulière tenant compte dela position particulière des femmes. Ces éléments d’attention sur la situation spécifiquedes femmes ont trouvé une première consécration normative dans le Pacte internationalrelatif aux droits économiques, sociaux et culturels, notamment concernant les conditionsde travail. En témoignent les articles 7 et 10 :

Article 7. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu'à toutepersonne de jouir de conditions de travail justes et favorables, qui assurentnotamment: a) La rémunération qui procure, au minimum, à tous les travailleurs :i) Un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égalesans distinction aucune; en particulier, les femmes doivent avoir la garantie queles conditions de travail qui leur sont accordées ne sont pas inférieures à cellesdont bénéficient les hommes et recevoir la même rémunération qu'eux pour unmême travail […]. Article 10 Les Etats parties au présent Pacte reconnaissentque: […] 2. Une protection spéciale doit être accordée aux mères pendant unepériode de temps raisonnable avant et après la naissance des enfants. Les mères

31 Principe selon lequel « Les clauses spéciales dérogent aux générales, et non les clauses générales aux spéciales ». Définitiondisponible en ligne : http://www.locutio.net/modules.php?name=Encyclopedia&op=content&tid=5543

32 Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI)du 16 décembre 1966 ; entré en vigueur le 3 janvier 1976.

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La protection pénale internationale des femmes contre le viol en temps de conflit armé Élémentsd’analyse juridique et perspectives d’évolution

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salariées doivent bénéficier, pendant cette même période, d'un congé payé oud'un congé accompagné de prestations de sécurité sociale adéquates.

Sur un plan régional européen, dans le cadre des travaux menés par le Conseil de l’Europe,la réglementation a suivi une évolution similaire. La consécration des droits et libertésfondamentales tant civiles que politiques et bénéficiant autant aux femmes qu’aux hommes,sans distinction sur le critère du sexe, est rappelée par différentes dispositions. D’abord parl’article 14 de la Convention (européenne) de sauvegarde des Droits de l’Homme et desLibertés fondamentales, stipulant l’interdiction de la discrimination « fondée notamment surle sexe ». Cette disposition a été renforcée par la suite par le Protocole 12 à la Constitutionportant une interdiction générale de discrimination33, applicable à l’intégralité des droitsconférés par la législation nationale des Etats parties au Protocole. Comme dans le cas dusystème international, les droits économiques, sociaux et culturels ont été proclamés dansun traité distinct avec la Charte sociale européenne révisée34, texte prévoyant des règlesspécifiques de protection des femmes, comme le stipulent – entre autres – les articles 8 et20 de la Partie II :

Article 8 – Droit des travailleuses à la protection de la maternité En vue d'assurerl'exercice effectif du droit des travailleuses à la protection de la maternité, lesParties s'engagent: 1. à assurer aux travailleuses, avant et après l'accouchement,un repos d'une durée totale de quatorze semaines au minimum, soit par uncongé payé, soit par des prestations appropriées de sécurité sociale ou par desfonds publics; 2. à considérer comme illégal pour un employeur de signifierson licenciement à une femme pendant la période comprise entre le moment oùelle notifie sa grossesse à son employeur et la fin de son congé de maternité,ou à une date telle que le délai de préavis expire pendant cette période; 3. àassurer aux mères qui allaitent leurs enfants des pauses suffisantes à cettefin; 4. à réglementer le travail de nuit des femmes enceintes, ayant récemmentaccouché ou allaitant leurs enfants; 5. à interdire l'emploi des femmes enceintes,ayant récemment accouché ou allaitant leurs enfants à des travaux souterrainsdans les mines et à tous autres travaux de caractère dangereux, insalubreou pénible, et à prendre des mesures appropriées pour protéger les droits deces femmes en matière d'emploi. Article 20 – Droit à l'égalité de chances et detraitement en matière d'emploi et de profession, sans discrimination fondéesur le sexe En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à l'égalité de chanceset de traitement en matière d'emploi et de profession sans discriminationfondée sur le sexe, les Parties s'engagent à reconnaître ce droit et à prendreles mesures appropriées pour en assurer ou en promouvoir l'application dansles domaines suivants: a. accès à l'emploi, protection contre le licenciementet réinsertion professionnelle; b. orientation et formation professionnelles,recyclage, réadaptation professionnelle; c. conditions d'emploi et de travail, ycompris la rémunération; d. déroulement de la carrière, y compris la promotion.

Sur le plan international, l’Organisation des Nations Unies – ci-après ONU – a participéactivement au développement des droits de la femme et ce, par l’adoption de différentes

33 Protocole 12 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, ouvert à la signature à Rome

le 4 novembre 2000, entré en vigueur le 1er avril 2005.34 Charte sociale européenne révisée, ouverte à la signature le 3 mai 1996 à Strasbourg, entrée en vigueur le 1er juillet 1999.

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conventions. La Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes dediscrimination à l’égard des femmes – ci-après CEDAW – est un exemple parlant. Adoptée àNew York le 18 décembre 1979 et entrée en vigueur le 3 septembre 1981, cette conventionse présente comme étant un véritable complément de la Convention des Nations Unies surl’élimination de toutes les formes de discrimination raciale35. La CEDAW se présente commele fruit du long travail entrepris par la Commission de la condition de la femme, organe fondéen 1946 par les Nations Unies, afin d’examiner la situation des femmes dans le monde et detravailler à la promotion de leurs droits. L’article Premier de la Convention offre une définitionde ce que les Nations Unies entendent par « discrimination à l’égard des femmes » :

Article PREMIER Aux fins de la présente Convention, l’expression "discriminationà l’égard des femmes" vise toute distinction, exclusion ou restriction fondéesur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire lareconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leurétat matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits del’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique,social, culturel et civil ou dans tout autre domaine.

Cette première convention s’est présentée comme une véritable opportunité pour ledéveloppement des droits de la femme ; s’en sont suivies de nombreuses conventions qu’onne peut citer de façon exhaustive. On peut toutefois mentionner la Convention sur les droitspolitiques de la femme36 ou encore la Convention sur le consentement au mariage, l’âgeminimum du mariage et l’enregistrement des mariages37. Ainsi, comme le note l’auteur38, si« certaines de ces conventions n ’ ont connu qu’un succès limité, elles ont eu au moins lemérite d ’ attirer l ’ attention sur la condition des femmes et leurs besoins spécifiques ».

Cette concentration portée sur les femmes a permis notamment d’identifier assezrapidement le fait que la violence, qu’il s’agisse de violence sexuelle ou de violencedomestique par exemple, est un problème chronique. Sur le plan régional européen39, laréglementation normative concernant le phénomène de violence envers les femmes setraduit notamment par l’adoption, sous l’égide du Conseil de l’Europe, de la Convention

35 Adoptée par l’assemblée générale des NU dans sa résolution 2106 (XX) du 21 décembre 1965 et entrée en vigueur le 4 janvier1969.

36 Ouverte à la signature en application de la résolution 640 (VII), adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20décembre 1952 et entrée en vigueur la 7 juillet 1954.

37 Ouverte à la signature conformément à la résolution 1763 (XVII), adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le7 novembre 1962 et entrée en vigueur le 9 décembre 1964.

38 Deteseanu, Daniela-Anca in La protection des femmes en temps de conflit armé. La protection des personnes vulnérablesen temps de conflit armé, ouvrage sous la direction de Jean-Marc Sorel et Corneliu-Liviu Popescu. Bruxelles : Bruylant, 2010 p.257-294.

39 On ne saurait être exhaustif concernant les initiatives régionales en matière de protection des femmes contre la violence.Concernant le système régional interaméricain, on peut toutefois citer la Convention interaméricaine sur la prévention, la répressionet l’éradication de la violence envers les femmes, la Convention de Belém Do Para, adoptée le 6 septembre 1994 et entrée en vigueurle 3 mai 1995. Il est toutefois intéressant de noter que la Convention donne une définition large de ce que constitue la violence enversles femmes en indiquant que « tout acte ou action, fondée sur le critère , qui cause la mort, des torts ou des souffrances physiques,sexuelles ou psychiques à la femme, aussi bien dans sa vie publique que dans sa vie privée » et consacre avec valeur de principe larègle suivante : « toute femme a le droit d’être libre de toute forme de violence dans la sphère publique, comme dans la sphère privée ».

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sur la lutte contre la traite des êtres humains40. La toute récente Convention du Conseilde l’Europe sur la prévention et la lutte contre le violence à l’égard des femmes et laviolence domestique41 est une initiative à saluer. Il est ici intéressant de mentionner certainséléments du rapport explicatif42 sur cette Convention, notamment parce qu’ils apportentdes éléments de définition permettant de cerner la conception dans laquelle s’ancre cetteinitiative européenne :

Article 3 – Définitions Aux fins de la présente Convention : a. le terme « violenceà l’égard des femmes » doit être compris comme une violation des droits del’homme et une forme de discrimination à l’égard des femmes, et désigne tousles actes de violence fondés sur le genre qui entraînent, ou sont susceptiblesd’entraîner pour les femmes, des dommages ou souffrances de nature physique,sexuelle, psychologique ou économique, y compris la menace de se livrer àde tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dansla vie publique ou privée; b. le terme « violence domestique » désigne tousles actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique quisurviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuelsconjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infractionpartage ou a partagé le même domicile que la victime; c. le terme « genre »désigne les rôles, les comportements, les activités et les attributions socialementconstruits, qu’une société donnée considère comme appropriés pour les femmeset les hommes; d. le terme « violence à l’égard des femmes fondée sur le genre» désigne toute violence faite à l’égard d’une femme parce qu’elle est une femmeou affectant les femmes de manière disproportionnée; e. le terme « victime »désigne toute personne physique qui est soumise aux comportements spécifiésaux points a et b; f. le terme « femme » inclut les filles de moins de 18 ans.

Quant à l’article 36, celui-ci vise même expressément les obligations attenantes aux Étatsconcernant les femmes victimes de violence sexuelle, y compris le viol :

Article 36 – Violence sexuelle, y compris le viol 1 - Les Parties prennent lesmesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale,lorsqu’ils sont commis intentionnellement: a. la pénétration vaginale, anale ouorale non consentie, à caractère sexuel, du corps d’autrui avec toute partie ducorps ou avec un objet; b. les autres actes à caractère sexuel non consentissur autrui; c. le fait de contraindre autrui à se livrer à des actes à caractèresexuel non consentis avec un tiers. 2 - Le consentement doit être donnévolontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considéréedans le contexte des circonstances environnantes. 3 - Les Parties prennentles mesures législatives ou autres nécessaires pour que les dispositions duparagraphe 1 s’appliquent également à des actes commis contre les anciens ouactuels conjoints ou partenaires, conformément à leur droit interne.

40 Signée à Varsovie le 16 mai 2005 et entrée en vigueur le 1er février 2008.41 Rédigée à Istanbul le 11 mai 2011.42 Rapport explicatif à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes

et la violence domestique. Disponible en ligne sur le site du Conseil de l’Europe : http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Treaties/Html/DomesticViolence.htm

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Introduction

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Comme l’indique l’article 36 de la Convention, les États membres du Conseil de l’Europes’engagent à favoriser l’incrimination pénale des auteurs des actes de violence sexuelle.Si cette tendance est observable à l’échelle européenne, elle l’est également sur le planinternationale puisque, comme le note l’auteur43, la violence envers les femmes « a faitl’objet d’une réglementation internationale dans le contexte de la coopération internationaleen matière pénale et de l’émergence d’un ensemble de traités en matière de criminalitétransfrontalière ». Ces traités prévoient notamment pour les États une obligation aut dedereaut judicare, notion que l’on pourrait traduire par l’expression « extrader ou poursuivre». C’est ici une véritable coopération des Etats parties en matière de répression de cesinfractions qui est attendue.

Pour autant, le constat que les effets les plus dévastateurs sur les femmes sont ceuxproduits lors de conflits armés a marqué la nécessité d’une réglementation spécifique, celledu droit international humanitaire. Un droit qui s’applique bien « en conjonction avec lesnormes protectrices du droit international des droits de l’homme »44.

Une protection complémentaire en situation de conflitarmé : les réglementations en droit internationalhumanitaire

Comme l’indique l’article 27§1 de la Convention de Genève IV relative à la protection despersonnes civiles en temps de guerre : « Les personnes protégées ont droit, en toutescirconstances, au respect de leur personne, de leur honneur, de leurs droits familiaux, deleurs convictions et pratiques religieuses, de leurs habitudes et de leurs coutumes. Ellesseront traitées, en tout temps, avec humanité et protégées notamment contre tout acte deviolence ou d’intimidation, contre les insultes et la curiosité publique ». Par cette disposition,le DIH confère aux femmes en période de conflit armé le même statut qu’aux hommes,qu’elles soient personnes civiles, combattantes ou personnes hors de combat . La règle8845 du droit international humanitaire coutumier stipule comme suit :

Règle 88. Toute distinction de caractère défavorable dans l’application du droitinternational humanitaire fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, lareligion ou la croyance, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ousociale, la fortune, la naissance ou une autre situation, ou tout autre caractèreanalogue, est interdite.

Ce principe fondamental de non discrimination également rappelé à plusieurs reprises dansles Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels. A titre d’exemple, l’article

43 Deteseanu, Daniela-Anca in La protection des femmes en temps de conflit armé. La protection des personnes vulnérablesen temps de conflit armé, ouvrage sous la direction de Jean-Marc Sorel et Corneliu-Liviu Popescu. Bruxelles : Bruylant, 2010 p.257-294.

44 Ibid.45 Droit international humanitaire coutumier, Volume I : Règles, Jean-Marie Henckaerts et Louise Doswald-Beck, Bruxelles :Bruylant, 2006. Disponible en ligne pour téléchargement sur le site du CICR : http://www.icrc.org/fre/resources/documents/publication/pcustom.htm

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La protection pénale internationale des femmes contre le viol en temps de conflit armé Élémentsd’analyse juridique et perspectives d’évolution

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75§1 du Protocole additionnel I relatif à la protection des victimes des conflits armésinternationaux du 8 juin 1977 stipule comme suit :

Article 75 - Garanties fondamentales 1. Dans la mesure où elles sont affectéespar une situation visée à l'article premier du présent Protocole, les personnes quisont au pouvoir d'une Partie au conflit et qui ne bénéficient pas d'un traitementplus favorable en vertu des Conventions et du présent Protocole seront traitéesavec humanité en toutes circonstances et bénéficieront au moins des protectionsprévues par le présent article sans aucune distinction de caractère défavorablefondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou la croyance,les opinions politiques ou autres, l'origine nationale ou sociale, la fortune,la naissance ou une autre situation, ou tout autre critère analogue. Chacunedes Parties respectera la personne, l'honneur, les convictions et les pratiquesreligieuses de toutes ces personnes.

Les Conventions de Genève prévoient un régime spécial de protection des femmes, sebasant sur leurs particularités physiques mais aussi psychologiques : plusieurs articles46

prévoient que « les femmes seront traitées avec tous les égards particuliers dus à leursexe ». Quant à l’article 27§2 de la Convention de Genève IV47, il prévoit que « les femmesseront spécialement protégées contre toute atteinte à leur honneur, et notamment contrele viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur ». Cette disposition estrenforcée par la règle coutumière 93 stipulant que « Le viol et les autres formes de violencesexuelle sont interdites ». Il est à noter que la pratique a spécifié que l’interdiction de laviolence sexuelle n’a pas de connotation sexospécifique. Cette interdiction est donc valableà la fois pour les femmes et les hommes, pour les adultes et les enfants.

Si l’article 3 commun aux Conventions de Genève ne cite pas expressément le viol etles autres formes de violence sexuelle, il interdit toutefois « les atteintes portées à la vie età l’intégrité corporelle » ainsi que « les atteintes à la dignité des personnes ». Ce dernierprincipe est rappelé dans les deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève. Leviol est même cité expressément dans l’article 4§2 du Protocole additionnel II :

Titre II Traitement humain Article 4 - Garanties fondamentales 1.Toutes les personnes qui ne participent pas directement ou ne participent plusaux hostilités, qu'elles soient ou non privées de liberté, ont droit au respectde leur personne, de leur honneur, de leurs convictions et de leurs pratiquesreligieuses. Elles seront en toutes circonstances traitées avec humanité, sansaucune distinction de caractère défavorable. Il est interdit d'ordonner qu'il n'yait pas de survivants. 2. Sans préjudice du caractère général des dispositionsqui précèdent, sont et demeurent prohibés en tout temps et en tout lieu à l'égarddes personnes visées au paragraphe 1: […] e) les atteintes à la dignité dela personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, le viol, lacontrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur ; […]

L’interdiction du viol était toutefois déjà reconnue dans le Code Lieber, acte égalementconnu sous le nom de Instructions de 1863 pour les armées en campagne des Etats-Unis

46 C’est le cas notamment de l’article 12§4 de la Convention de Genève I pour l’amélioration du sort des blessés et des maladesdans les forces armées en campagne, 12 août 1949 et de l’article 12§4 de la Convention de Genève II pour l’amélioration du sort desblessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer, 12 août 1949.47 Convention de Genève VI relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949.

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Introduction

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d’Amérique 48. Signé en avril 1863 par le président Lincoln, cet acte est un premier essai decodification du droit de la guerre. Ainsi, dès le XIXème siècle, l’article 44 stipulait :

Article 44. Toute violence délibérée commise contre les personnes dans le paysenvahi, toute destruction de biens non ordonnés par un officier qualifié, tous vol,pillage ou mise à sac, même après la prise d'une place de vive force, tous viol,blessure, mutilation ou mise à mort de ses habitants, sont interdits sous peine demort ou de toute autre peine grave proportionnée à la gravité de l'offense. […]

Une attention particulière est également portée sur certaines sous catégories de femmes :c’est le cas des femmes en couche, des femmes qui allaitent et des mères d’enfants en basâge, considérées comme d’autant plus vulnérables du fait de leur particularité biologique. Ledroit international humanitaire dispose ainsi de nombreuses normes légiférant spécialementen faveur de la protection des femmes dans les conflits armés tant internationaux que noninternationaux.

Dans le cadre de conflits armés internationaux, les normes spécifiques concernentles femmes comme partie de la population civile et les femmes privées de liberté. Elless’appliquent à quatre domaines spécifiques : la sécurité personnelle – et notamment lesproblèmes de violence sexuelle –, la santé, les conditions de vie et les garanties judiciaires.

En matière de sécurité personnelle, point qui nous intéresse plus particulièrement,l’article 14 de la Convention de Genève IV stipule que les parties au conflit « pourrontcréer sur leur propre territoire et, s'il en est besoin, sur les territoires occupés, des zones etlocalités sanitaires et de sécurité organisées de manière à mettre à l'abri des effets de laguerre […] les femmes enceintes et les mères d'enfants de moins de sept ans ». Concernantles normes de protection portant sur les femmes arrêtées, détenues ou internées pour desraisons liées à un conflit armé, certaines règles protectrices sont à mentionner concernantles conditions de vie et le logement de cette catégorie de femmes49. Tandis que l’article97 de Convention de Genève III stipule que « Les prisonnières de guerre subissant unepeine disciplinaire seront détenues dans des locaux distincts de ceux des hommes etseront placées sous la surveillance immédiate de femmes », l’article 75(5) du ProtocoleAdditionnel I note que « Les femmes privées de liberté pour des motifs en relation avec leconflit armé seront gardées dans des locaux séparés de ceux des hommes. Elles serontplacées sous la surveillance immédiate de femmes. Toutefois, si des familles sont arrêtées,détenues ou internées, l'unité de ces familles sera préservée autant que possible pour leurlogement ». Il est également à noter que, comme le stipule l’article 97 de la Convention deGenève IV, « Une femme internée ne pourra être fouillée que par une femme ». Enfin, enmatière de garanties judiciaires, un régime de protection spécifique est également accordéaux femmes. Ce régime vise une mise en pratique du principe de non-discrimination dansl’application des peines, comme le stipule l’article 88 de la Convention de Genève III :

[…] Les prisonnières de guerre ne seront pas condamnées à une peine plussévère, ou, pendant qu'elles subissent leur peine, traitées plus sévèrementque les femmes appartenant aux forces armées de la Puissance détentricepunies pour une infraction analogue. En aucun cas, les prisonnières de guerrene pourront être condamnées à une peine plus sévère, ou, pendant qu'ellessubissent leur peine, traitées plus sévèrement qu'un homme membre des forcesarmées de la Puissance détentrice, puni pour une infraction analogue […]

48 Instructions for the Government of Armies of the United States in the Field.49 La liste ne saurait être exhaustive.

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Ces normes sont aujourd’hui devenues de véritables normes coutumières en droitinternational humanitaire, comme le démontrent notamment les deux règles suivantes :

Règle 119. Les femmes privées de liberté doivent être gardées dans des locauxséparés des hommes, sauf dans le cas de familles logées en tant qu’unitésfamiliales, et elles doivent être placées sous la surveillance immédiate defemmes. Règle 134. Les besoins spécifiques des femmes touchées par lesconflits armés en matière de protection, de santé et d’assistance doivent êtrerespectés.

Enfin, concernant les conflits armés non internationaux, si les normes sont moins détaillées,« les grands principes restent les mêmes », comme le note l’auteur50. C’est ce que rappellel’article 3 commun aux Conventions de Genève I à IV, vu préalablement. D’autres précisionssont apportées notamment concernant les violences sexuelles, puisque l’article 4§2 duProtocole Additionnel II stipule que « […] sont et demeurent prohibés en tout temps et entout lieu […] les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliantset dégradants, le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur ».

Les dernières années ont été marquées par une harmonisation sans précédentdu droit pénal international, du droit relatif aux droits de l’Homme et du droitinternational humanitaire. Ces trois domaines du droit sont aujourd’hui inextricablementliés. Appréhender les éléments de protection des femmes contenus dans le DIH et dansles DH est nécessaire pour cerner le cadre juridique général dans lequel le doit pénalinternational s’est développé. La violation d’un droit fondamental proclamé par les droits del’homme peut être incriminé de diverses façons : en droit des droits de l’Homme, en droitinternational humanitaire et en droit pénal international. Ces trois disciplines convergent defaçon croissante et s’échangent de nombreux principes ayant valeur de règle de droit.

Ce travail se penchera sur la protection pénale internationale des femmes contre leviol en temps de guerre. Pour appréhender le sujet, il faudra d’abord s’interroger sur leséléments constitutifs du viol comme crime international, pour ensuite envisager quel typede protection internationale est offert aux femmes contre cette violence sexuelle, en tempsde conflit armé. Autrement dit, quelle nature doit revêtir le viol pour être catégorisé commecrime de guerre, crime contre l’humanité ou génocide ?

Dans une première partie, nous envisagerons la nature même du crime de viol commecrime international. Nous verrons ainsi que la jurisprudence des Tribunaux spéciaux pour leRwanda et l’Ex-Yougoslavie a été pionnière en la matière. Puis, dans une seconde partie,il sera étudié comment le viol est récriminé dans le Statut de Rome et quelle protection estofferte aux victimes, lors de la phase procédurale, par différents organes de la Cour.

Enfin, seront étudiées les évolutions envisageables pour améliorer l’aide aux victimesde viol et la protection des témoins.

50 Deteseanu, Daniela-Anca in La protection des femmes en temps de conflit armé. La protection des personnes vulnérables entemps de conflit armé, ouvrage sous la direction de Jean-Marc Sorel et Corneliu-Liviu Popescu. Bruxelles : Bruylant, 2010 p. 257-294.

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Partie I : Définir la nature du viol constitutif de crimes internationaux : la jurisprudence pionnièredes Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’Ex-Yougoslavie

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Partie I : Définir la nature du violconstitutif de crimes internationaux : lajurisprudence pionnière des Tribunauxpénaux internationaux pour le Rwandaet l’Ex-Yougoslavie

La jurisprudence du TPIR est pionnière en matière de définition du crime de viol. Dansl’affaire Akayesu, la Chambre a dressé une première définition très englobante qui, malgrédes lacunes importantes, sera un véritable catalyseur du développement du droit pénalinternational pour la protection contre les violences sexuelles.Le TPIY viendra préciser cettedéfinition quelque temps plus tard, dans l’affaire Furundzija. Devant l’absence d’élémentsde définition dans les instruments juridiques internationaux ou dans les textes relatifs auxdroits de l’Homme, la Chambre à l’occasion de ce procès a effectué une vaste étude desdifférentes législations nationales. Ces éléments seront envisager dans une première partie.

Dans un second temps, une attention particulière sera portée sur la définition du violdéveloppée dans l’affaire Kunarac et consorts relative à l’instauration de « camps de viol »à Foča. En effet, à l’occasion de cette affaire, la Chambre du TPIY a pu approfondir un peuplus la définition juridique international du viol. La Chambre a examiné à cette occasion defaçon détaillée les questions de la mens rea51et de l’actus reus52. Enfin, pour la premièrefois, des charges d’esclavage ont été retenues pour agressions sexuelles.

A. La réponse des tribunaux pénaux spéciaux pourle Rwanda et l’Ex Yougoslavie à la pratique du viol entemps de guerre

La première juridiction pénale internationale ayant vu le jour est le Tribunal pénalinternational pour l’Ex-Yougoslavie – ci-après TPIY. Cette instance a été instituée le 22février 1993 par la résolution 808 du Conseil de Sécurité de l’Organisation des NationsUnies. Cette résolution crée un tribunal international dans le but de juger les responsablesde violations graves du droit international humanitaire s’étant produites sur le territoire del’Ex-Yougoslavie dans les années 1990. Le Statut du TPIY est défini quant à lui dans larésolution 827 du 25 mai 1993, ce texte spécifiant que la juridiction du Tribunal couvre toutesles atteintes graves commises par les individus dans l’Ex-Yougoslavie. Le TPIY repose doncsur le principe nullum crimen, nulla poena sine lege, principe de légalité des délits et des

51 Mens rea : esprit criminel, intention de commettre une infraction criminelle.52 Actus reus : acte de culpabilité comme élément externe ou objectif d’une infraction criminelle.

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peines. Il s’agit de l’idée selon laquelle un individu ne peut être condamné pénalement qu’envertu d’un texte pénal précis et clair.

Le 8 novembre 1994, le Conseil de sécurité de l’ONU, par la résolution 955, portecréation du Tribunal pénal international pour le Rwanda – ci-après TPIR. Le Conseil desécurité de l’ONU « Se déclarant de nouveau gravement alarmé par les informationsselon lesquelles des actes de génocide et d'autres violations flagrantes, généralisées etsystématiques du droit international humanitaire ont été commises au Rwanda »53 décidede la création de cette autre juridiction internationale afin de juger les individus responsablesde violations graves du DIH sur le territoire du Rwanda. Le mandat du TPIR concerneégalement les citoyens rwandais ayant commis des violations du DIH sur le territoire desÉtats voisins. Parmi ces violations, on trouve des actes de génocide.

Bien que sa jurisprudence ne sera pas envisagée dans cette partie, on peut égalementmentionner la création le 14 août 2000, par la résolution 1315 du Conseil de sécurité desNations Unies, du Tribunal spécial pour la Sierra Leone – ci-après TSSL. Cette juridictiona été instituée afin de juger les crimes commis durant la guerre civile sierra-léonaise quise déroula du 23 mars 1991 au 18 janvier 2002. Si la résolution des Nations unies portantcréation du Tribunal date de 2000, l’Accord pour et le Statut du TSSL sont signés entre l’ONUet le gouvernement sierra-léonais le 16 janvier 200254. Le Parlement de la Sierra Leoneratifie l’accord en mars 2002. Les premiers chefs d’accusation à l’encontre des individusprévenus sont confirmés en mars 2003. Comme le note la résolution 1315, le TSSL a pourobjectif de juger « […] notamment les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre etautres violations graves du droit international humanitaire, ainsi que les crimes, au regarddes règles pertinentes du droit sierra-léonais »55.

Ces juridictions internationales ont ainsi engagé un véritable travail de reconnaissancejuridique des violences sexuelles et notamment du viol comme étant constitutifs de crimesinternationaux. Elles ont ainsi jeté les fondements de la répression des violences sexuellescommises en temps de conflit armé. Si le TPIR est la première de ces juridictions à avoirreconnu la qualité de crime international des violences sexuelles dans l’affaire Akayesu56 de 1998, le TPIY avait quant à lui déjà reconnu les violences sexuelles comme étantconstitutives de crimes de guerre dans les affaires Tadic 57, Delalic 58 et Furundzija 59.L’affaire des "camps de viol" de Foča de février 2001, relative à l’instauration de véritables« camps de viol » est, comme nous le verrons, une affaire symbolique dans la répressiondes violences sexuelles par le TPIY.

De part les conclusions qu’ils ont dressées, le TPIR et le TPIY ont non seulementcréé de la jurisprudence sur la récrimination des violences sexuelles en temps de conflitarmé, mais ils ont également et surtout permis de définir la nature même du crime de viol.Comme nous l’envisagerons dans cette partie, les définitions du viol sont différentes selon

53 Résolution 955-1994, adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 8 novembre 1994.54 Texte disponible en ligne sur le site du CICR : http://www.icrc.org/dih.nsf/0/1adf75435d6055ebc1256c21003d544c?

OpenDocument55 Résolution 1315 (2000), adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 14 août 2000.56 Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, ICTR-96-4-T, Jugement, 2 septembre 1998.57 Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-T, Jugement, 7 mai 1997.58 Le Procureur c. Ejnil Delalic, Zdravko Mucic alias "Pavo", Hazim Delic et Esad Landzo alias "Zenga" (Jugement Celebici),

IT-96-21-T, 16 novembre 1998.59 Le Procureur c. Anto Furundzija, IT-95-17/1-T, Jugement, 10 décembre 1998.

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qu’il s’agisse du Statut du TPIR ou du Statut du TPIY, du fait de la différence de naturedes conflits ayant eu lieu dans les deux pays. C’est toutefois bien à partir des conclusionsdressées par ces deux tribunaux spéciaux que l’ensemble de la justice pénale internationalea convergé vers une conception largement acceptée aujourd’hui : les violences sexuellessont constitutives des crimes internationaux les plus graves.

La définition inédite du viol élaborée par le TPIR dans l’affaireAkayesu

En janvier 1996, le Rapporteur spécial pour le Rwanda fournit un rapport à la Commissiondes droits de l’homme des Nations Unies sur la question des violations des droits del’homme et des libertés fondamentales sur le territoire rwandais. A cette occasion, le constatsuivant est dressé : durant le conflit rwandais, les violences sexuelles étaient systématiqueset bel et bien utilisées comme une arme de guerre60. Le rapport est éclairant sur l’intensitéde ces pratiques.

Dans le Titre I du rapport, relatif au génocide, une attention particulière est portée sur lasituation des femmes et les violations qu’elles ont subies durant le conflit. Ainsi, si commele note le rapporteur « […] plusieurs femmes ont participé à la perpétration du génocide etdes autres crimes contre l ’ humanité », il n’en demeure pas moins que « […] la plupart d ’entre elles ont été plutôt victimes. L ’ on pourrait même les considérer comme les principalesvictimes des massacres. Et pour cause : elles ont été massacrées, violées et ont subi d ’autres sévices »61. Si l’on se réfère à la définition donnée par le CICR, vue en introduction,les évènements ayant eu lieu au Rwanda sont significatifs de l’usage du viol comme tactiquede guerre. En témoigne le constat suivant dressé dans le rapport62 :

Les viols étaient systématiques, étant utilisés comme "arme de guerre" parles auteurs des massacres. On peut en juger de par le nombre et la qualitédes victimes autant que par les formes de viols. D'après des témoignagesconcordants et dignes de foi, beaucoup de femmes ont été violées, la règleétant le viol et l'exception le non-viol. On ne dispose malheureusement pas destatistiques en la matière pour en avoir une idée, sinon précise, à tout le moinsapproximative. […] Toutefois, ce qui importe n'est pas tant le nombre que leprincipe et les formes des viols. La qualité des personnes visées témoignedavantage de la systématisation des viols. […] Etaient également visées desfemmes "intouchables", selon les coutumes (cas des nonnes) et même descadavres. Ce dernier cas se rapporte à celui des femmes violées tout justeaprès avoir été tuées. Les formes de viols ne témoignent pas moins de leursystématisation. On peut en retenir deux : les viols collectifs et les rapportsincestueux […]. A ces différentes atrocités s'ajoutent des sévices divers ayantgénéralement causé la mort des femmes. Certaines ont subi des humiliationssexuelles : elles ont été déshabillées et/ou balafrées et présentées à la railleriedu public. D'autres ont vu introduire dans leur sexe des morceaux de branches60 Rapport sur la situation des droits de l’homme au Rwanda soumis par M. René Degni-Ségui , Rapporteur spécial de la Commissiondes droits de l’homme, Commission des droits de l’homme, E/CN.4/1996/68, 29 janvier 1996.

61 Ibid., §12.62 Ibid., §16, 17 et 18.

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d'arbres. D'autres, encore plus nombreuses, ont subi des ablations d'organesgénitaux externes, des fesses et des seins.

La violence de ces actes est extrêmement choquante. Mais le mal ne se limite pasà l’accomplissement du viol. Les séquelles inhérentes aux violences sexuelles sont unobstacle de plus pour les femmes victimes. Elles ont un impact direct sur le futur desvictimes, provoquant des conséquences dévastatrices sur la communauté touchée63 :

Les séquelles et autres conséquences des viols se ramènent essentiellementaux lésions corporelles, aux troubles psychiques et à la marginalisation desvictimes. […] Si certaines femmes s'en sont tirées avec de simples écorchures,d'autres, au contraire, souffrent encore de traumatismes plus graves qui, dansnombre de cas, ont atteint leur appareil génital au point de voir compromettreleur maternité future. C'est malheureusement le sort qui guette les fillettesviolées […]. Les troubles psychiques ont été la chose la mieux partagée par lesvictimes des massacres en général et des viols en particulier. Ils résultent destraumatismes psychiques qui affectent même les femmes qui ont été seulementtémoins oculaires des atrocités ci-dessus décrites. A fortiori en est-il de mêmede celles qui les ont personnellement subies. Ces traumatismes sont d'autantplus graves qu'ils ont été provoqués par des actes ou des faits que la traditionafricaine considère généralement comme prohibés, constituant un véritabletabou […].

Parmi les survivantes, de nombreuses femmes se sont vues devoir faire un choix entre unavortement illégal ou une grossesse forcée, portant l’enfant d’un violeur :

Ces enfants nés de viols en sont les victimes innocentes. Ils doivent, dans lesmeilleurs des cas, s'attendre à un mauvais traitement. Les noms qu'on leurattribue, les assimilant à leurs géniteurs, sont déjà révélateurs de ce fait. Ils sontappelés : "enfants de la honte", "cadeaux de l'ennemi", "petits interahamwe".Ces "petits monstres" s'en tirent à bon compte par rapport aux autres qui sontcondamnés à mort avant même d'avoir instruit leur dossier. De nombreusesfilles-mères ont en effet recouru soit à l'avortement, soit à l'infanticide avec ousans la complicité de la famille. Une enquête menée en mars 1995 par le Ministèrede la famille et de la promotion féminine révèle que, malgré la loi interdisantl'avortement, un nombre important de victimes de viols ont recherché une aidemédicale et, dans le désespoir, ont eu recours à des moyens traditionnels pour

interrompre leur grossesse. 64

Au regard des faits commis durant le conflit rwandais, il est avéré que le viol constituaitbel et bien un instrument génocidaire. Preuve en est du fait que les femmes Tutsi étaientparticulièrement visées par ces violences. De plus, si un nombre inestimable de femmesTutsi ont été tuées à la suite de leur viol, la grande majorité des survivantes du génocideont été volontairement contaminées par le VIH au moment de l’acte. En témoignent les faitsrapportés dans le rapport65, la contamination volontaire de ces femmes les condamnantsciemment à une mort à long terme :

63 Ibid., §19, 20 et 21.64 Ibid., §23.65 Ibid., §17 et 20.

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Ont été en effet également victimes de viols, dans les hôpitaux, des femmesprêtes à accoucher ou juste après leur accouchement. Leur situation étaitd'autant plus inquiétante qu'elles étaient violées par des miliciens dont certainsétaient porteurs du virus du SIDA (c'était le cas du chef national des miliciens,rapportent plusieurs témoins). Celles qui venaient d'accoucher faisaient desinfections foudroyantes et en mouraient. […] les miliciens porteurs du virus l'ontutilisé comme "arme de guerre", visant ainsi à provoquer la mort à retardement.

Si les estimations dressées par le Rapporteur sont des éléments de preuve considérables,celui-ci reconnaît que « Comme pour toutes les victimes du génocide, l'on ne sauraprobablement jamais le nombre exact de femmes tuées, ni de celles qui ont été violées »66.

Les éléments considérés dans le rapport, bien que extrêmement éclairants sur l’usagedes violences sexuelles et plus particulièrement du viol dans le conflit rwandais, n’ont àproprement parler aucune valeur juridique. C’est bien avec la mise en place du TPIR ennovembre 1994 et plus particulièrement avec les conclusions dressées par le tribunal en

1998 dans l’affaire Akayesu 67 , qu’une véritable protection pénale internationale pour les

victimes de viols a été créée.Un élément déterminant est à souligner pour expliquer la prise en compte des violences

sexuelles dans les affaires traitées par le Rwanda. Le temps écoulé entre la mise en placedu tribunal de Nuremberg et celle du TPIR est marqué par l’émergence d’un mouvementféministe efficace. Sur la base du lobbying effectué par de nombreuses Organisationsnon gouvernementales, les évènements ayant eu lieu au Rwanda sont mis à l’agendainternational. En dépit des preuves accablantes de viol réunies dans l’affaire Akayesu,il semble que le procureur du TPIR n’avait initialement pas l’intention de modifier l’acted’accusation initial à l’attention du prévenu, pour y inclure toutes les charges de violencesexuelle68. Le procureur a toutefois changé d’avis deux semaines plus tard, après que luisoit soumis les commentaires de différents groupes de défense des droits de la femme etdes droits de l’Homme admis en amicus curiae69. C’est en 1997 que la première mise enaccusation de crime pour viol a été faite, chose qui paraît étonnante dans la mesure oùle Statut du Tribunal prévoyait depuis le départ le viol comme étant constitutif d’un crimecontre l’humanité. C’est en effet ce que prévoit l’article 3 du Statut du TPIR, ainsi que l’article4 relatif aux violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocoleadditionnel II :

Article 3: Crimes contre l’humanité Le Tribunal international pour le Rwandaest habilité à juger les personnes responsables des crimes suivants lorsqu’ilsont été commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique dirigéecontre une population civile quelle qu’elle soit, en raison de son appartenancenationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse: […] g) Viol […] Article 4:Violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocoleadditionnel II Le Tribunal international pour le Rwanda est habilité à poursuivre66 Ibid., §15.

67 Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, affaire n°ICTR-96-4-T, Tribunal pénal international pour le Rwanda, 2 septembre 1998.68 International criminal law and human rights, Part 4. International human rights in international criminal law, Chapter 11.

Women, sexual violence and international crime : a unifying example, De Than Claire, London : Sweet & Maxwell, 2003.69 Expression latine signifiant « ami de la Cour » : expression légale pour une « partie civile » qui se porte volontaire pour

aider la Cour à trancher une matière.

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les personnes qui commettent ou donnent l’ordre de commettre des violationsgraves de l’article 3 commun aux Conventions de Genève du 12 août 1949 pourla protection des victimes en temps de guerre, et du Protocole additionnelII auxdites Conventions du 8 juin 1977. Ces violations comprennent, sanss’y limiter : […] e) Les atteintes à la dignité de la personne, notamment letraitements humiliants et dégradants, le viol, la contrainte à la prostitution et toutattentat à la pudeur; […]

Un bref rappel des faits est intéressant : Jean-Paul Akayesu était bourgmestre de lacommune de Taba à l’époque où les crimes allégués ont été commis. A ce titre, il était chargédu maintien de l’ordre public, donc du contrôle de la police locale, ainsi que de l’exécutiondes lois dans la commune. Entre le 7 avril et la fin juin 1994, des centaines de civils déplacésont cherché refuge au bureau communal de Taba ; la majorité de ces civils étaient desmembres de la communauté Tutsi. Parmi eux, de nombreuses femmes ont été soumisesà des sévices sexuels par des policiers communaux et/ou des miliciens locaux. Comme lenote le Tribunal dans les actes d’accusation70, « De nombreuses femmes ont été forcées desubir des actes multiples de violence sexuelle, qui étaient par moments commis par plus d'unassaillant. Ces actes de violence sexuelle étaient généralement accompagnés de menacesexplicites de mort ou d'atteinte à l'intégrité physique. Les personnes déplacées de sexeféminin vivaient dans une frayeur constante et leur condition physique et psychologiques'est détériorée des suites des violences sexuelles, des sévices et des tueries ». Selonla Cour, les massacres perpétrés à Taba étaient si ouverts et d’une telle ampleur que, enqualité de bourgmestre, le prévenu a nécessairement eu connaissance de ces faits71. Alorsen fonction au moment des faits, entre le 7 avril et la fin juin 1994, au moins 2000 Tutsis ontété tués dans cette commune. Il n’a pas été plaidé que l’accusé avait lui-même commis cesviolations ; toutefois, le tribunal note les éléments suivants72 :

Jean-Paul Akayesu savait que ces actes de violence sexuelle, ces sévices etassassinats étaient commis et à certains moments il a été présent pendant leurcommission. Jean-Paul Akayesu a facilité la commission de ces actes de violencesexuelle, de ces sévices et de ces assassinats en permettant qu'elle ait lieu àl'intérieur ou près du bureau communal. Par sa présence lors de la commissionde ces actes de violences sexuelles, de ces sévices et de ces assassinats, et enomettant de l'empêcher, ces sévices et ces assassinats, Jean-Paul Akayesu aencouragé ces actes, sévices et assassinats.

Jean-Paul Akayesu a été pénalement responsable de quinze Chefs d’accusation, trois deschefs d’accusation étant relatifs au génocide (Premier Chef d’accusation), à la complicitédans le génocide (Chef d’accusation 2) et à l’incitation directe et publique à commettre legénocide (Chef d’accusation 4). Une attention particulière sera ici portée sur l’accusationde génocide dans la mesure où les conclusions de la Chambre sur la question ont constituéune avancée remarquable sur la qualification du crime de viol. Il est cependant égalementimportant de mentionner les Chefs d’accusation 13 et 15 puisque le prévenu a été accusé

70 Jugement dans l’affaire Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, §12A. Jugement disponible en ligne : http://ictr-archive09.library.cornell.edu/FRENCH/cases/Akayesu/judgement/1.html71 Ibid., §1272 Ibid., §12B

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de crime contre l’humanité ainsi que de violations de l’article 3 commun aux Conventionsde Genève73, et ce expressément pour viol.

Tout l’intérêt de ce jugement réside dans le fait que la Chambre a examiné la questionde savoir si le crime de viol peut être constitutif de crime de génocide. Ainsi, commevu auparavant, si le Statut du Tribunal pour le Rwanda déclare bien que le viol, laprostitution forcée et tout attentat à la pudeur74 sont des violations de l’article 3 communaux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II, la question de savoir si oui ounon, les crimes de violence sexuelle peuvent être constitutifs d’un crime de génocide a posécertaines difficultés. La Chambre considère que le crime de génocide requiert la preuved’une intention spécifique ou ultérieure ; les actes de viol doivent être commis dans le butde « détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux »75.Le tribunal requiert ainsi la preuve claire que les viols ont été commis dans une intentionprécise de génocide. Pour de nombreux observateurs des évènements ayant eu lieu auRwanda, il était certain que la majorité des viols commis envers les femmes faisaient partied’une intention génocidaire, de même que pour de nombreux auteurs des viols, leurs actess’ancraient dans une volonté d’infliger des dommages psychologiques et physiques auxfemmes, comme nouvelle étape dans le vaste plan de destruction du peuple Tutsi. Enfin,on note que de nombreuses victimes de viol furent tuées ou laissées pour mortes, cequi constitue une nouvelle preuve de l’intention génocidaire que revêtaient ces violencessexuelles76.

Les conclusions de la Chambre sont ici très intéressantes et ont constitué une étapeimportante dans la protection pénale internationale des femmes contre les violencessexuelles. La Chambre a ainsi noté que les viols et les violences sexuelles sontindéniablement des atteintes graves à l’intégrité physique et mentale des victimes. Elle notemême qu’ils constituent « l’un des pires moyens d’atteinte à l’intégrité de la victime, puisquecette dernière est doublement attaquée : dans son intégrité physique et dans son intégritémentale »77. Sur la base des éléments de preuve et des nombreux témoignages qui lui ontété présentés, la Chambre a ainsi établit que les actes de violences sexuelles et de violsétaient commis exclusivement contre les femmes du clan Tutsi ; celles-ci se sont vues infligerles pires humiliations publiquement, violées et mutilées, à plusieurs reprises pour certaines.De même, la Chambre estime que les faits commis à Taba s’inscrivaient clairement dans uneintention génocidaire : les témoignages rapportent que de nombreux viols ont été commisaux environs des fosses communes, dans le but de tuer sur place les femmes victimes. Lesviols ont de plus bel et bien revêtus un caractère systématique, les victimes de ces actesétant délibérément choisies selon leur appartenance ethnique au groupe Tutsi. L’ensemblede ces éléments marque la preuve, selon l’opinion de la Chambre, que ces viols et autres

73 L’intitulé exact du Chef d’accusation 15 est le suivant : Violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et de l’article4.2.e du Protocole additionnel II, tels que repris dans l’article 4.e du Statut du TPIR : les atteintes à la dignité de la personne, notammentle viol, les traitements dégradants et humiliants et l’attentat à la pudeur.

74 Tel que stipulé dans l’article 4 du Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda relatif aux violations de l’article 3commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II.

75 Tel que stipulé dans l’article 2.2 du Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda relatif au génocide.76 Ces éléments d’analyse sont issus de l’ouvrage International criminal law and human rights, Part IV. International human

rights in international criminal law, Chapter XI. Women, sexual violence and international crime : a unifying example. Than Claire,London : Sweet & Maxwell, 2003 – p. 345-383

77 Voir Résumé du jugement rendu dans l’affaire Jean-Paul Akayesu le 2 septembre 1998 – TPIR-96-4-T, Tribunal PénalInternational pour le Rwanda, Groupe de la Presse et des relations avec le public.

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La protection pénale internationale des femmes contre le viol en temps de conflit armé Élémentsd’analyse juridique et perspectives d’évolution

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violences sexuelles ont été commis « dans le dessein de détruire le groupe Tutsi tout enfaisant terriblement souffrir ses membres » et « permettent à la Chambre de déduire au-delàde tout doute raisonnable l’intention génocidaire de l’accusé dans la commission des crimessusmentionnés »78. La Chambre a ainsi conclue à l’engagement de la responsabilité pénaleindividuelle de Jean-Paul Akayesu pour crime de génocide, pour les faits mentionnés ci-dessus.

Cette affaire est bien historique. Non seulement, pour la première fois, un tribunalinternational condamnait des faits pour crime de génocide mais le TPIR a aussi concluque les violences sexuelles, y compris le viol, peuvent être constitutifs de génocide. Deplus, la Chambre à l’occasion de ce jugement a élargi la définition du viol au-delà de cellesprévues dans les lois nationales, énonçant par la même occasion une définition générale dela violence sexuelle : « […] tout acte sexuel commis sur la personne d’autrui sous l’empire dela coercition. L’acte de violence sexuelle, loin de se limiter à la pénétration physique du corpshumain, peut comporter des actes qui ne consistent pas dans la pénétration ni même dansdes contacts physiques ». En ce sens, l’affaire Akayesu est la décision la plusprogressivedetoutes les jurisprudences internationales ayant traitédes violences sexuelles en temps de

guerre. Ainsi, comme le note Rhonda Copelon 79 :

Akayesu was a landmark : the first international conviction for genocide, the firstjudgment to recognize rape and sexual violence as constitutive acts of genocide,and the first to advance a broad definition of rape as a physical invasion of asexual nature, freeing it from mechanical descriptions and required penetrationof the vagina by the penis. The judgment also held that forced nudity is a form ofinhumane treatment, and it recognized that rape is a form of torture and noted thefailure to charge it as such under the rubric of war crimes.

Jean-Paul Akayesu a été condamné à trois peines d'emprisonnement à perpétuité pourgénocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Le Tribunal l'a également condamnéà 80 années d'emprisonnement pour les viols commis et le fait d'avoir encouragé laperpétration de viols et d'actes de violence sexuelle. Ce jugement a été confirmé en appel.

En juin 2011, le TPIR a condamné à la prison à perpétuité Pauline Nyiramusuhuko80, ancienne ministre de la famille et de la promotion féminine, en fonction au moment dugénocide rwandais. La prévenue et son fils, Arsème Shalom Ntahobali, étaient accusésde crime contre l’humanité pour meurtres, incitation au meurtre et viols systématiques àl’encontre des femmes Tutsi. Cette affaire est notoire en ce que, pour la première fois,une femme est condamnée pour viol constitutif de crime international par une juridictioninternationale.

Définir les éléments constitutifs du viol : l’examen des systèmesjuridiques internes par le TPIY dans l’affaire Furundzija

78 Ibid.79 Rhonda Copelon, Gender Crimes as War Crimes : Integrating Crimes Against Women into International Criminal Law, (2000)

46 McGill L.J. 217 ; tel que cité dans International criminal law and human rights, Part IV. International human rights in internationalcriminal law, Chapter XI. Women, sexual violence and international crime : a unifying example. Than Claire, London : Sweet & Maxwell,2003 – p. 345-383

80 Le Procureur c. Pauline Nyiramusuhuko et Arsème Shalom Ntahobali, affaire n°ICTR-97-21-T, juin 2001.

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Partie I : Définir la nature du viol constitutif de crimes internationaux : la jurisprudence pionnièredes Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’Ex-Yougoslavie

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Le 21 juillet 2000, Anto Furundzija est condamné à dix ans d’emprisonnement par le TPIY,après avoir été reconnu coupable de deux chefs d’accusation retenus contre lui : coupablede torture en qualité de coauteur et coupable d’avoir aidé et encouragé des atteintes àla dignité des personnes, y compris le viol81. A l’occasion d’un procès précédent, l’affaireDelalic 82 , la Chambre de première instance du TPIY a repris la définition des élémentsconstitutifs du viol telle qu’elle avait été formulée par le TPIR dans l’affaire Akayesu. Acette occasion, la Chambre a également conclu qu’au regard du droit international, le viols’assimile dans certains cas à la torture. C’est ce que nous étudierons plus en détail dansla seconde partie du développement.

La Chambre a toutefois jugé dans l’affaire Furundzija qu’il était approprié de préciserla définition du viol préalablement formulée par le TPIR dans l’affaire Akayesu. Il s’agissaitpour elle d’évaluer les éléments constitutifs du crime de viol qui n’étaient pas exposés dansle Statut du TPIY et dans les instruments des droits de l’homme ou du droit internationalhumanitaire. Pour ce faire, la Chambre a mené une vaste étude des différentes législationsnationales, estimant « que pour arriver à une définition précise du viol basée sur le principeen vertu duquel les normes pénales doivent avoir un contenu précis ([…]exprimé par lebrocard latinnullum crimen sine lege stricta), il faut rechercher des principes du droit pénalcommuns aux grands systèmes juridiques. On peut, avec toute la prudence nécessaire,dégager ces principes du droit interne »83. Du point de vue de la Chambre, dégager uncertain nombre de concepts communs à un panel de systèmes juridiques internes estrévélateur « […] d’une certaine tendance internationale sur un point de droit, dont onpeut considérer qu’elle fournit une bonne indication de l’état du droit international en lamatière »84. L’étude de ces éléments de droit comparé est ici intéressante85.

A la vue des éléments étudiés, la Chambre de première instance a relevé un principefondamental dans l’ensemble des systèmes juridiques observés : la pénétration sexuelleest constitutive d’un crime de viol dès lors qu’il y a non consentement de la victime. Cetteconception met donc l’accent sur l’interprétation largement partagée que le viol constitueune violation grave de l’autonomie sexuelle de la victime. La Chambre a ainsi étudié endétail trois aspects récurrents des éléments constitutifs du viol observés dans les définitionsdes différents systèmes juridiques nationaux. D’abord, le non-consentement de la victime ;puis l’emploi de la force ou la menace de son emploi et, dernier aspect, les circonstancesparticulières qui rendent la victime vulnérable ou la privent de la possibilité de refusersciemment l’acte sexuel.

Du non-consentement de la victimeLa Chambre entend le défaut de consentement de la victime comme l’absence departicipation volontaire de celle-ci. Il est largement accepté par la majorité des systèmes

81 Le Procureur c. Anto Furundzija, affaire n°IT-95-17/1-T, 10 décembre 1998.82 Le Procureur c. Delalic et consorts, affaire n°IT-96-21-T, 16 novembre 1998. Affaire également connue sous le nom d’affaireČelebići.

83 Le Procureur c. Anto Furundzija, affaire n°IT-95-17/1-T, Jugement, 10 décembre 1998, §177.84 Le Procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovač et Zoran Vuković, affaire n°IT-96-23-T et IT-96-23/1-T, Jugement, 22

février 2001. Affaire également connue sous le nom de l’affaire des « camps de viol » de Foča.85 Les éléments des codes pénaux des différents systèmes juridiques internes développés dans cette partie sont cités tels

qu’ils étaient rédigés à l’époque des faits considérés dans l’affaire Furundzija et Kunarac et consorts. Ces éléments ont, sans aucundoute, évolués depuis.

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juridiques de la common law 86 que l’absence de consentement libre et réel au rapport sexuelest constitutive de viol. Le Sexual Offences Amendment Act de 1976 a amendé l’articlepremier du Sexual Offences Act de 195687. Cet acte, signé par le Parlement de Grande-Bretagne, avait pour but de consolider la législation nationale relative aux crimes à caractèresexuel. La définition donnée en 1976, valable à l’époque des faits considérés dans le procès,prévoit qu’un individu commet un viol :

a. Lorsqu’il a des relations sexuelles illicites avec une femme qui, au moment desfaits, n’est pas consentante et b. Dès lors qu’à ce moment-là il sait qu’elle n’yconsent pas ou qu’il ne se soucie pas de savoir si elle y consent […]

Selon cette conception, le consentement de la victime doit être véridique et donnévolontairement. Ces dispositions sont en effet reprises dans le Code criminel canadienqui définit la notion de consentement à l’article 273.1.1 comme « l ’ accord volontaire duplaignant à l ’ activité sexuelle »88. Le Crimes Act australien de 1958 définit quant à lui leconsentement comme étant « le libre accord »89 d’une personne et précise qu’on ne peutconsidérer comme relevant du libre accord la soumission au rapport sexuel en raison del’emploi de la force ou de la menace de son emploi, de la peur de la victime de coups etde blessures ou lorsque celle-ci est abusée ou ne peut comprendre la nature de l’acte. LeCode pénal bengali prévoit, entre autres, deux circonstances engageant la responsabilitépour viol90 : si le rapport sexuel est imposé à la victime « contre sa volonté » et « sans sonconsentement ». En Inde, une autre circonstance est listée91 : « Avec son consentement,si, lorsqu ’ elle l ’ a donné elle n ’ était pas en mesure de comprendre la nature et lesconséquences de ce à quoi elle consentait, par déficience mentale, par ivresse ou parce quel ’ auteur ou un tiers lui a administré une substance stupéfiante ou toxique ». Enfin, en dehorsdes systèmes juridiques de la common law, on peut mentionner les dispositions suivantescontenues dans le Code pénal de la Belgique92 : « Tout acte de pénétration sexuelle, dequelque nature qu ’ il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne quin ’ y consent pas, constitue le crime de viol ».

La plupart des systèmes juridiques de la common law ne considèrent pas qu’il soitnécessaire de prouver l’emploi de la force ou de la menace de son emploi pour que le viol soitconstitué. Ce n’est toutefois pas le cas pour l’intégralité des législations nationales étudiées.Par exemple, le Maryland Ann Code de 195793 exige la preuve du non-consentement de lavictime et l’emploi de la force ou la menace de son emploi pour que soit constitué le viol.

De l’usage de la force, de la contrainte ou de la menace de leur emploi86 Définition de Common law : « Droit commun des pays anglo-saxons, qui résulte non de textes législatifs mais de la pratique des

juridictions » in Lexique des termes juridiques, 16ème édition, Raymond Guillien et Jean Vincent, ouvrage sous la direction de SergeGuinchard et Gabriel Montagnier, Dalloz, mai 2007.87 Tel cité dans Le Procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovač et Zoran Vuković, affaire n°IT-96-23-T et IT-96-23/1-T, Jugement,22 février 2001.88 Ibid., Code criminel canadien, article 273.1.1.89 Ibid., Crimes Act 1958 (Victorian Consolidated Legislation), article 36.90 Ibid., Bangladesh Penal Code, article 375.91 Ibid., Indian Penal Code, article 375.92 Ibid., Code pénal de la Belgique, article 375.

93 Ibid., Maryland Annotated Code de 1957, article 27, 463.a.1.

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Partie I : Définir la nature du viol constitutif de crimes internationaux : la jurisprudence pionnièredes Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’Ex-Yougoslavie

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La Chambre a notamment étudié les dispositions suivantes : l’article 88 du code pénal de laRépublique socialiste de Bosnie-Herzégovine stipule, à l’époque considérée, qu’un individucommet un viol dès lors qu’il « […] aura contraint une femme, en usant de violence ou demenace contre la vie ou l ’ intégrité corporelle de cette femme ou d ’ une personne prochede cette femme, à subir l ’ acte sexuel hors mariage […] »94. En Espagne, le Code pénalprévoit à l’article 178 que « L ’ atteinte à la liberté sexuelle d ’ autrui, accompagnée deviolence ou d ’ intimidations, est passible des mêmes peines que les violences sexuelles[…] »95. La Chambre a noté à ce propos que ce type de dispositions est également reprispar exemple dans le Code pénal norvégien qui dispose à l’article 192 : « Est coupable deviol toute personne qui, par la force ou en suscitant la crainte pour la vie ou la santé d ’ unepersonne, contraint autrui à commettre un acte indécent ou s ’ en rend complice […] »96.

La majorité des systèmes juridiques de la common law étudiés considèrent que le violconsiste en « […] la pénétration forcée du corps humain par le pénis ou l ’ introduction d ’un autre objet dans le vagin ou l ’ anus »97. La Chambre note toutefois que l’incriminationde la pénétration orale revêt des disparités d’une législation nationale à une autre :certaines législations la qualifie de viol tandis que d’autres législations la catégorisentcomme une violence sexuelle. Face à l’hétérogénéité de ces dispositions, la Chambre noteles conclusions suivantes98 :

La Chambre de première instance estime que la pénétration buccale forcéepar l’organesexuel masculin constitue une atteinte à la dignité humaineparticulièrement humiliante etdégradante. L’aspect essentiel des règles du droitinternational humanitaire ainsi que du droitrelatif aux droits humains résidedans la protection de la dignité de la personne, qu’elle soit desexe masculinou féminin. Le principe général du respect de la dignité humaine est à la basedudroit international humanitaire et des droits de l’homme et en est, en fait, laraison d'être ; il est désormais si important qu’il imprègne le droit internationaldans son ensemble. Ce principe a pourbut de protéger l’être humain de touteatteinte à sa dignité personnelle, que celle-ci découle de violences corporelles,d'humiliations ou de coups portés à l’honneur, au respect de soi ou au bien-êtremental d’une personne. Qu’une violence sexuelle aussi grave que la pénétrationorale forcéesoit qualifiée de viol est dans le droit fil de ce principe.

Dans un souci de respect du principe nullum crimen sine lege99, la Chambre stipule qu’unprévenu se rendant coupable d’un acte de pénétration orale forcée soit inculpé pour viol,alors que la législation de son pays qualifie cet acte de violence sexuelle, n’est pas contraireau dit principe100 :

Il ne s’agit pas d'incriminer des actesqui n’étaient pas criminels au moment oùils ont été commis par l’accusé, vu que lapénétration orale forcée est en tout état94 Ibid., Code pénal de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine de 1991, article 88.1.95 Ibid., Còdigo Penal Español, article 178.96 Ibid., Code civil pénal général de Norvège, article 192.

97 Le Procureur c. Anto Furundzija, affaire n°IT-95-17/1-T, Jugement, 10 décembre 1998, §181.98 Ibid., §183.

99 Principe de légalité en droit pénal : un individu ne peut être condamné pénalement qu'en vertu d'un texte pénal précis et clair.100 Le Procureur c. Anto Furundzija, affaire n°IT-95-17/1-T, Jugement, 10 décembre 1998, §184.

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de cause un crime et assurément un crimeextrêmement grave. En effet, étantdonné la nature de la compétence ratione materiae duTribunal international,la pénétration orale forcée qui donne lieu à des poursuites devantcelui-ci estimmanquablement une agression sexuelle aggravée puisqu'elle est commiseenpériode de conflit armé à l’encontre de civils sans défense. Il ne s’agit doncpas d’uneagression sexuelle simple, mais d’une agression sexuelle assimiléeà un crime de guerre ou àun crime contre l’humanité. Par conséquent, dès lorsqu’un accusé est convaincu de viol etcondamné pour avoir imposé par la forceun rapport sexuel oral […] il n'est pas pénalisé par la qualificationde viol retenuede préférence à celle de violence sexuelle.

Il est ordinairement accepté par les législations nationales étudiées que la mort de la victime,la pluralité des violeurs, l’âge jeune de la victime, ainsi que la vulnérabilité de celle-ciconstituent des circonstances aggravantes.

Des circonstances rendant la victime particulièrement vulnérable oul’abusantS’il est largement accepté que l’emploi de la force ou de la menace de son emploi lors d’unacte sexuel imposé constitue un viol, d’autres circonstances particulières sont contenuesdans de nombreux systèmes juridiques internes. C’est le cas des situations où la victime estparticulièrement vulnérable en raison d’une incapacité mentale ou physique ou en raisonde son jeune âge, du fait qu’elle ait été mise hors d’état de résister ou encore qu’elle ait étéprise par ruse ou par surprise.

Le Code pénal estonien stipule dans l’article 115.1 qu’est constitutive de viol touterelation sexuelle obtenue non seulement « par l ’ usage de la force ou la menace de sonemploi », mais également « par l ’ exploitation de la vulnérabilité de la victime »101. En Suisse,le Code pénal envisage qu’un individu commet un viol dès lors qu’il contraint une femme àavoir une relation sexuelle par l’usage de la menace ou de la violence, « en exerçant sursa victime des pressions d ’ ordre psychique ou en la mettant hors d ’ état de résister »102.Certains États des Etats-Unis d’Amérique, notamment la Californie, considèrent que lerecours à la force n’est pas nécessaire pour qualifier une relation sexuelle non voulue.En effet, comme prévu dans certaines dispositions de l’article 261 du Code pénal deCalifornie103, est constitutif de viol le fait d’avoir une relation sexuelle alors que la victime étaitdroguée ou inconsciente, qu’elle était dans l’incapacité de donner un consentement valablejuridiquement du fait qu’elle souffre d’un handicap mental et/ou physique et qu’elle ait étéabusée par l’auteur de l’acte sexuel. Le Code pénal danois dispose que le viol consiste à« [imposer] des rapports sexuels par la violence ou la menace d ’ y recourir », en précisantles éléments suivants : « mettre une personne dans une situation qui l ’ empêche d ’ opposerune résistance à cet acte revient à lui faire violence »104. Enfin, le Code pénal japonais peutégalement être cité105 : tandis que l’article 177 prévoit qu’ « est coupable de viol quiconque,

101 Tel que cité dans Le Procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovač et Zoran Vuković, affaire n°IT-96-23-T et IT-96-23/1-T, Jugement, 22 février 2001 ; Kriminaalkoodeks 1992, article 115.1.

102 Ibid., Code Pénal suisse du 21 décembre 1937, article 190.103 Ibid., Code pénal de Californie, article 261.a, alinéas 1, 3, 4 et 5.104 Ibid., Code pénal danois, article 216.1.105 Ibid., Code pénal du Japon, articles 177 et 178.

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Partie I : Définir la nature du viol constitutif de crimes internationaux : la jurisprudence pionnièredes Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’Ex-Yougoslavie

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par la violence ou la menace, connaît charnellement une personne de sexe féminin detreize ans ou plus […] », il est précisé à l’article 178 que dès lors qu’un individu « tirantavantage d ’ une perte de raison ou d ’ une incapacité à résister ou causant une telle pertede raison ou incapacité, commet un acte indécent ou connaît charnellement une femme »,il est passible des mêmes peines que celles applicables au viol.

L’intégralité des éléments étudiés par la Chambre pour le procès d’Anto Furundzijane saurait être rappelée ici. Toutefois, les conclusions de cette étude montre bien undénominateur commun à l’ensemble des systèmes juridiques examinés par la Chambre :toutes les circonstances énumérées dans les législations nationales montrent que le viol estconstitué quand l’accomplissement du rapport sexuel passe outre la volonté de la victime,ou que celle-ci n’était pas en mesure de refuser librement ce rapport. En ce sens,c’estla répression de la violation de l’autonomie sexuelle de la victime qui est au cœur desdifférentes conceptions nationales.L’élément matériel constitutif du crime de viol dressé parla Chambre dans l’affaire Furundzija est, à la lumière de ces éléments de droit comparé,le suivant :

i)la pénétration sexuelle, fût-elle légère : a.du vagin ou de l’anus de la victimepar le pénis ou tout autreobjet utilisé par le violeur ; ou b.de la bouche de lavictime par le pénis du violeur ; ii)par l’emploi de la force, de la menace ou de la

contrainte contre la victime ouune tierce personne. 106

La Chambre a ainsi conclu que la responsabilité pénale individuelle107 d’Anto Furundzijaétait engagée au motif des éléments juridiques constitutifs de la complicité qui suivent :celui-ci a apporté une aide, un encouragement ou un soutien moral pratique ayant un effetimportant sur la perpétration du crime. La Chambre note la preuve des éléments matérielsde l’incrimination ou actus reus. De plus, du fait que le prévenu sache que ces actes aidentà la perpétration du crime, les actes d’Anto Furundzija sont constitutifs de la mens rea, soitl’élément moral de l’incrimination.

La « définition Furundzija » du viol a été reprise telle quelle dans l’affaire Kunarac,affaire relative aux évènements ayant eu cours dans la municipalité de Foča que nous allonsmaintenant appréhender.

B. L’affaire des « camps de viol » de Foča : ladéfinition de nouveaux éléments constitutifs du crimede viol

La Chambre d’appel du TPIY rend son jugement dans l’affaire Le Procureur c. DraganZelenović le 31 octobre 2007108. Après l’appel interjeté de Zelenović, la peine de 15 ansd’emprisonnement est confirmée, réaffirmant les conclusions de la Chambre de premièreinstance109.

106 Ci-après la «définition Furundzija ».107 Telle que sanctionnée par l’article 7.1 du Statut du TPIY.108 Le Procureur c. Dragan Zelenović, Affaire IT-96-23/2-S, Arrêt, 31 octobre 2007.109 Le Procureur c. Dragan Zelenović, Affaire IT-96-23/2-S, Jugement portant condamnation, 4 avril 2007.

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Il s’agit de la dernière affaire traitée par le Tribunal pour l’Ex-Yougoslavie relative auxatrocités commises dans la municipalité de Foča, en Bosnie-Herzégovine. Cette affaireest également la dernière ayant abouti à un verdict, d’autres affaires relatives aux crimescommis à Foča ayant été renvoyées aux autorités de Bosnie, puis à la Cour de Bosnie-Herzégovine. Un rappel de certains des faits commis est ici éclairant.

La municipalité de Foča a été un des théâtres du conflit opposant les forces serbes etmusulmanes. Aussi, « les habitants musulmans et d ’ autres non serbes ont été soumis àdes mauvais traitements généralisés et systématiques visant à chasser la majorité d ’ entreeux hors de la municipalité. Les habitant musulmans et d ’ autres non serbes ont été victimesde rafles méthodiques »110. Les femmes musulmanes ont été particulièrement ciblées :séparées des hommes, elles ont été conduites dans différents centres de détention. Diverstémoignages relatent des évènements du même genre. Une fois emmenées dans cescamps de détention (écoles, bâtiments municipaux, prison de la municipalité, maisons departiculiers et autres), les femmes sont interrogées pour savoir où se trouvent les hommesde leur communauté et les armes qu’ils détiennent. Pour obtenir ces informations, l’accuséet d’autres soldats présents au moment des faits, menacent les femmes d’agressionsexuelle et de meurtre. Le comportement de Zelenović et d’autres hommes en présencene se limite pas à la menace.

La victime FWS-75 témoigne qu’aux alentours du 3 juillet 1992, elle est emmenée aucours de son interrogatoire dans une pièce où elle est violée par dix soldats à tour de rôle.Zelenović ne participe pas directement au viol de FWS-75 ; toutefois, la Chambre note quel’absence de réaction et les menaces qu’il a formulées à l’encontre de la victime ont facilité lepassage à l’acte des soldats. Zelenović est donc accusé de complicité de viol. A cette mêmedate, ou aux alentours de cette date, la victime FWS-87, jeune fille de 15 ans, est interrogéepar l’accusé et trois autres soldats. Accusée de mentir au cours de l’interrogatoire, FWS-87est violée par les quatre hommes en présence, tour à tour. Un des soldats a menacé lavictime alors qu’il la violait, en appuyant un revolver sur sa tête. Zelenović est accusé duviol de FWS-87. Entre le 3 et le 13 juillet 1992, quatre femmes et jeunes filles sont choisiesparmi les détenues et violées après avoir été attribuées chacune à un soldat. Parmi cesfemmes, FWS-75 et FWS-87 étaient présentes. Zelenović s’est lui-même attribué FWS-75.Il est accusé de viol en tant que auteur et coauteur. De nombreux autres faits similairesont été rapportés à la Chambre. L’impact psychologique et physique de ces agressionssexuelles ont grandement détérioré l’état des détenues.

Comme le montrent les faits exposés, les femmes musulmanes ont été victimes deviols répétés et d’autres abus sexuels. Choquées par les atrocités qu’elles ont subies etvivant dans une peur permanente, le traumatisme des détenues a été d’autant plus amplifié.Certaines d’entre elles ont développé un penchant suicidaire, d’autres sont tombées dans degraves dépressions. C’est ainsi un véritable « système de torture physique et psychologiquepermanente (comprenant des attaques sexuelles et des viols) [qui] a été mis en place parles forces serbes »111. Ainsi, « Les soldats avaient un accès libre aux centres de détention,qui acquirent la réputation de "camps de viol" et avaient la permission d’y sélectionner etd’en emmener des jeunes filles et des femmes qu’ils violaient, torturaient et humiliaientensuite de la manière la plus cruelle qui soit »112.

110 Ibid., paragraphe 19111 Les « camps de viol » de Foča : la jurisprudence du TPIY sur une page sombre de la guerre, Fiori Matteo, Journal judiciaire

de la Haye, Volume 2, Numéro 3, 2007, p. 3.112 Ibid.

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Partie I : Définir la nature du viol constitutif de crimes internationaux : la jurisprudence pionnièredes Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’Ex-Yougoslavie

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L’affaire Le Procureur c. Dragan Zelenović n’est pas le seul procès relatif auxévènements ayant eu lieu dans la municipalité de Foča. L’affaire Le Procureur c. Kunarac etconsorts 113 a également traité des atrocités commises à cet endroit. Comme le note le JugeMumba, président de la Chambre dans cette affaire, le viol était utilisé comme un véritable« instrument de terreur »114. S’adressant directement aux accusés, le Président Mumba aformulé les propos suivants :

Par l’ensemble de ces actes, vous avez manifesté le mépris le plus criant pourla dignité des femmes et leur droit humain fondamental à l’autodétermination enmatière sexuelle, et ce à un degré qui dépasse, de très loin, ce qu’en l’absenced’une meilleure formule, on pourrait qualifier de "degré habituel de gravité desviols en temps de guerre".

Le procès de Kunarac est significatif dans le sens où les conclusions dressées parla Chambre du TPIY chargée de l’affaire ont apporté des éléments novateurs surl’appréhension et la définition des éléments constitutifs du viol comme crime international.Aussi, pour appréhender ces éléments, une attention particulière sera portée sur leséléments contenus dans cette affaire. D’autres affaires seront également étudiées encomplément de celle-ci, afin d’envisager de manière globale la réflexion menée par leTribunal dans l’inspection des exactions de viol.

Les éléments du crime de viol : l’actus reus et la mens reaOn entend par éléments spécifiques du viol l’élément matériel, ou actus reus et l’élémentmoral, soit mens rea. L’affaire Kunarac et consorts est significative car, pour la première fois,l’accusation portait uniquement sur des faits d’agressions sexuelles, sans autres chargesretenues115. Bien plus encore, ce fut lapremière fois que des inculpations de réduction enesclavageétaient formulées pour des crimesde violence sexuelle.

Comme mentionnée plus avant, la Chambre a repris dans cette affaire la définitiondu viol telle que formulée dans le jugement de l’affaire Furundzija. Ainsi, les juges de laChambre ont décidé que l’élément matériel tel que envisagé dans la « définition Furundzija »constituerait le point de départ de leur analyse dans l’affaire Kunarac 116. Toutefois, enl’espèce, la Chambre estime que les éléments contenus dans le paragraphe ii) de la« définition Furundzija », exigeant « […] l’emploi de la force, de la menace ou de lacontrainte contre la victime ou une tierce personne » pour que le viol soit constitué, sont troprestrictifs. Aussi, au regard des besoins du droit international, la Chambre a estimé que ladéfinition envisagée dans l’affaire Furundzija omettait de mentionner d’autres circonstancesdans lesquelles la pénétration sexuelle ne saurait également être consensuelle. Reprenantles conclusions dressées à la suite de l’analyse dans l’affaire Furundzija des dispositionscontenues dans un certain nombre de juridictions internes, la Chambre décide que l’élémentmatériel du crime de viol est la violation de l’autonomie sexuelle de la victime. En ce sens,

113 Le Procureur c. Kunarac et consorts, affaire IT-96-23 & 23/1, date114 Résumé du jugement, Jugement de la Chambre de première instance II dans l’affaire Kunarac et al, Communiqué de

presse, CC/S.I.P./566-f, La Haye, 22 février 2001.115 International criminal law and human rights, Part IV. International human rights in international criminal law, Chapter XI.Women, sexual violence and international crime : a unifying example. Than Claire, London : Sweet & Maxwell, 2003.

116 L’ensemble des éléments d’analyse qui suivent est issu du document Les « camps de viol » de Foča : la jurisprudence duTPIY sur une page sombre de la guerre, Fiori Matteo, Journal judiciaire de la Haye, Volume 2, Numéro 3, 2007.

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La protection pénale internationale des femmes contre le viol en temps de conflit armé Élémentsd’analyse juridique et perspectives d’évolution

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la Chambre de première instance rejoint les conclusions dressées dans l’affaire Furundzija,en considérant que l’« absence de consentement » de la victime fonde l’actus reus du crimede viol.

Déterminés à élargir la définition du viol en droit international, les juges ont doncreformulé la « définition Furundzija », pour en dresser une plus complète. Ainsi, la chambrede première instance conclut dans le jugement de l’affaire Kunarac et consorts que l’actusreus constitutif du viol est117 :

(i) la pénétration sexuelle, fût-elle légère : a) du vagin ou de l’anus de la victimepar le pénis du violeur ou tout autre objet utilisé par lui ; ou b) de la bouche de lavictime par le pénis du violeur (ii) dès lors que cette pénétration sexuelle a lieusans le consentement de la victime.

La Chambre note à ce propos qu’elle entend le consentement de la victime comme étant lefruit de « l’exercice du libre arbitre de la victime »118. Il revient alors aux juges d’évaluer, àla vue des circonstances de l’affaire, si la victime était en mesure d’user de son libre arbitreou non.

Enfin, concernant la mens rea, la Chambre a conclu que « L’élément moral est constituépar l’intention de procéder à cette pénétration sexuelle, et par le fait de savoir qu’elle seproduit sans le consentement de la victime »119.

Le viol constitutif de torture et l’esclavage sexuel comme crimecontre l’humanité

L’intérêt de cette affaire réside également dans les conclusions dressées par la Chambred’appel120. Les Appelants ont ainsi argumenté leur appel sur la base que la Chambrede première instance aurait commis une erreur en les déclarant coupables, sur la basedes articles 3 et 5 du Statut, pour le même comportement. Pour notre sujet, nous nousconcentrerons sur les conclusions que la Chambre d’appel a dressées sur la question plusparticulière du cumul de déclarations de culpabilité sur la base de l’article 5 du Statut, articlerelatif aux crimes contre l’humanité.

Le viol constitutif d’une forme de tortureConcernant le viol et la torture, les Appelants fondent leur argumentation sur l’idée que laChambre de première instance se méprend « en cumulant des déclarations de culpabilitépour torture – article 5. f du Statut – et pour viol – article 5. g du Statut »121. Concluanttoutefois que chacun de ces deux crimes contient « un élément matériellement distinct quifait défaut dans l’autre »122, le cumul de déclarations de culpabilité est ici autorisé.

117 Le Procureur c. Kunarac et consorts, affaire IT-96-23 & 23/1, Jugement, paragraphe 460.118 Ibid.

119 Ibid.120 Le Procureur c. Kunarac et consorts, affaire IT-96-23 & 23/1, Arrêt, 12 juin 2002.121 Ibid., paragraphe 179.122 Ibid.

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La Chambre d’appel choisit également de se pencher sur les conclusions dresséespar la Chambre de première instance dans l’affaire du « camp de Čelebići ».Dans le procès Le Procureur c. Delalic et consorts 123, la Chambre a ainsi examiné laquestion de la torture par le viol. Pour ce faire, la Chambre de première instance a effectuéune analyse détaillée de la jurisprudence émanant de différents organes internationauxet notamment des conclusions que la Cour européenne des droits de l’homme et laCommission interaméricaine des droits del’homme ont pu dresser dans leur jurisprudencerespective. Revenons sur ces éléments d’analyse.

Rappelant les dispositions interdisant le viol et les violences sexuelles contenuesen droit international humanitaire124, la Chambre de première instance précise ensuitequ’elle accepte le raisonnement construit par le TPIR dans l’affaire Akayesu. Les élémentscontenus dans la définition du viol formulée dans l’affaire Akayesu sont donc repris125. LaChambre décide toutefois de se pencher sur la jurisprudence émise par d’autres instancesjudiciaires internationales, ou quasi-internationales, qui ont eu l’occasion de traiter de laquestion du viol en tant que torture. Pour envisager si le viol peut être assimilé à une torture,il faut que celui-ci possède tous les éléments constitutifs nécessaires. Ainsi, comme le notela Chambre, « le viol ne pouvait être assimilé à une torture que pour autant qu’il avaitoccasionné des souffrances suffisamment vives »126.

La CEDH a eu à s’interroger sur cette question dans l’affaire Aydin c. Turquie du 25septembre 1997127. Prohibés par l’article 3 de la Convention européenne des Droits del’Homme, les éléments constitutifs de torture et de traitements inhumains et dégradantsne sont toutefois pas détaillés dans le contenu de l’article. C’est donc à partir de lajurisprudence émise par la Cour que sont définis les éléments constitutifs de ces crimes.Afin de distinguer les deux, la torture est envisagée par la CEDH comme les « traitementsinhumains délibérés provoquant de graves et cruelles souffrances »128. Cette définition estreprise des conclusions dressées par la Cour dans l’arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18janvier 1978129. Expliquant sa démarche d’analyse à partir des faits en l’espèce, la Cournote les éléments suivants130 :

Le viol d'un détenu par un agent de l'Etat doit être considéré comme uneforme particulièrement grave et odieuse de mauvais traitement, compte tenude la facilité avec laquelle l'agresseur peut abuser de la vulnérabilité de savictime et de sa fragilité. En outre, le viol laisse chez la victime des blessurespsychologiques profondes qui ne s'effacent pas aussi rapidement que pourd'autres formes de violence physique et mentale. La requérante a également subi

123 Le procureur c. Zejnil Delalic et consorts, IT-96-21, Jugement, 16 novembre 1998.124 Ces éléments ne seront pas repris ici puisqu’ils ont déjà été développés dans l’introduction. Pour plus d’informations,

se reporter au paragraphe Une protection complémentaire en situation de conflit armé : les réglementations en droit internationalhumanitaire de l’introduction du devoir.

125 Le Procureur c. Zejnil Delalic et consorts, IT-96-21, Jugement, paragraphes 478 et 479.126 Ibid., paragraphe 489.127 Affaire Aydin c. Turquie, Requête n° 57/1996/676/866, Arrêt du 25 septembre 1997, Cour Européenne des Droits de

l’Homme.128 Ibid., paragraphe 488.129 Affaire Irlande c. Royaume-Uni, Requête n° 5310/71, Arrêt du 18 janvier 1978, Cour Européenne des Droits de l’Homme.130 Affaire Aydin c. Turquie, paragraphes 83 à 86.

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la vive douleur physique que provoque une pénétration par la force, ce qui n'apu manquer d'engendrer en elle le sentiment d'avoir été avilie et violée sur lesplans tant physique qu'émotionnel. Pendant sa garde à vue à la gendarmeriede Derik, des membres des forces de sécurité ont aussi soumis la requérante àune série d'expériences particulièrement terrifiantes et humiliantes, eu égard àson sexe, à sa jeunesse et aux circonstances dans lesquelles elle a été détenue.Elle est restée en garde à vue pendant trois jours, apeurée et désorientée par lebandeau qui lui couvrait les yeux, dans un état permanent de douleur physique etd'angoisse provoquées par les coups accompagnant les séances d'interrogatoireet l'incertitude sur son sort. On la montra aussi nue, dans des circonstanceshumiliantes, ce qui ne pouvait qu'accentuer son sentiment de vulnérabilité, etelle fut même arrosée de violents jets d'eau alors qu'on la faisait tourner dans unpneu. […] Dans ces conditions, la Cour est convaincue que l'ensemble des actesde violence physique et mentale commis sur la personne de la requérante et celuide viol, qui revêt un caractère particulièrement cruel, sont constitutifs de torturesinterdites par l'article 3 de la Convention.

Élément d’autant plus révélateur, la Cour précise aussi qu’elle « serait d'ailleurs parvenueà la même conclusion pour chacun de ces motifs pris séparément »131. Cette précisionest extrêmement significative dans le sens où, si des souffrances suffisamment vives sontcausées, le viol peut être en lui-même assimilé à une forme de torture. La violation de l’article3 de la Convention a donc été conclue par 14 juges contre 7.

Dans l’affaire Fernando et Raquel Mejia c. Pérou 132, la Commission interaméricaine desdroits de l’homme a eu l’occasion d’étudier la question de la torture par le viol. La requérante,une institutrice, avait été violée à deux reprises par des membres de l’armée péruviennedans la soirée du 15 juin 1989. L’article 5.2 de la Convention américaine relative aux droitsde l’homme133 se lit comme suit : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Toute personne privée de sa liberté seratraitée avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine ». Pour aboutir àla conclusion que le viol de Raquel Meija était bien constitutif de torture, la Commissioninteraméricaine a définit trois éléments qui, une fois réunis, sont constitutifs de torture. Ainsi,au sens de l’article 5 de la Convention, la torture est constituée lorsque134 :

Premièrement, il [y a] un acte intentionnel par lequel une personne inflige unesouffrance physique ou mentale à une autre personne ; deuxièmement, cettesouffrance [est] infligée dans un certain but ; et troisièmement, elle [est] infligéepar un agent de l’État ou par une personne privée agissant à l’instigation d’unagent de l’Etat.

131 Ibid., paragraphe 86.132 Affaire Fernando et Raquel Meija c. Pérou, Annual Report of the Inter-American Commission on Human Rights, Report No.

5/96, Affaire No. 10 970, 1er mars 1996, tel que cité dans l’affaire Le Procureur c. Zejnil Delalic et consorts.133 Article 5 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme du 22 novembre 1969, article relatif au doit à l’intégrité

de la personne.134 Affaire Fernando et Raquel Meija c. Pérou, Annual Report of the Inter-American Commission on Human Rights, Report No.

5/96, Affaire No. 10 970, 1er mars 1996, p. 185 tel que cité dans l’affaire Le Procureur c. Zejnil Delalic et consorts.

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A partir de ces principes, la Commission a conclu que, en l’espèce, le premier de ceséléments constitutifs de torture était présent puisque le viol provoquait non seulementune souffrance physique à la victime, mais également un traumatisme psychologiqueconsidérable. En complément et de façon très intéressante, la Commission a noté et pris enconsidération les conséquences socioculturelles d’un tel crime pour le futur de la victime.Elle a en effet noter la possibilité d’un traumatisme supplémentaire pour la victime du fait« de la condamnation des membres de sa propre communauté si la victime raconte ce qu ’on lui a fait subir »135. Concernant le deuxième élément constitutif de torture, la Commissioninteraméricaine a conclu qu’il était prouvé que la requérante avait été violée « dans le butde la punir personnellement et de l ’ intimider »136 après qu’elle ait contredit les proposd’un soldat la qualifiant "d’élément subversif". La souffrance de Mme Meija occasionnée parson viol a donc bien été infligée dans un but précis. Enfin, dans la mesure où le viol a étéperpétré par un soldat de l’armée péruvienne, le troisième élément constitutif de torture estégalement présent dans les faits concernés.

Il est enfin à noter que la Chambre de première instance dans l’affaire Čelebićis’est également penchée sur les conclusions dressées par le Rapporteur spécial desNations Unies sur la torture et qui vont dans le sens d’une acceptation du viol commeétant constitutif d’une forme de torture. Ainsi, citant les mots du Rapporteur, la Cours’appuie sur les éléments suivants 137 :

Il est évident que dans la mesure où, de manière particulièrement ignominieuse,ils portent atteinte à la dignité et au droit à l’intégrité physique de la personne, leviol et toutes les autres formes de violence sexuelle dont peuvent être victimesles femmes placées en détention constituent des actes de torture.

Il est à noter que des commentaires comparables avaient déjà été formulés par les jugesdu TPIR dans l’affaire Akayesu.

Aussi, à la vue des éléments d’analyse issus de l’étude de ces jurisprudences, laChambre de première instance dans l’affaire Čelebići a dressé sa propre définition dela torture qu’elle a formulée comme suit 138 :

À la lumière de ce qui précède, la Chambre de première instance esti mequ’aux fins de l’application des articles 2 et 3 du statut, les éléments constitutifsde la torture sont les suivants : (i) il doit y avoir un acte ou une omissionqui provoque de vives souffrances, morales ou physiques, (ii) infligéesdélibérément, (iii) dans le but, par exemple, d’obtenir des informations oudes aveux de la victime ou d’une tierce personne, de punir la victime pour un actequ’elle ou qu’une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis,d’intimider ou de contraindre la victime ou une tierce personne, ou pour toutautre raison fondée sur une discrimination quelle qu’elle soit, (iv) et cetacte ou cette omission doit être commis par un agent de l’État ou une personneagissant à titre officiel, ou à son instigation ou avec son consentement.

135 Ibid., p. 186.136 Le Procureur c. Zejnil Delalic et consorts, paragraphe 485.

137 Ibid., paragraphe 491.138 Ibid., paragraphe 494.

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Enfin, dernier élément extrêmement intéressant, la Chambre de première instancerappelle dans son jugement les conclusions dressées dans le Rapport sur les formescontemporaines d’esclavage, le viol systématique, l’esclavage sexuel et les pratiques tenantde l’esclavage en période de conflit armé. Aussi, elle prend en considération pour dresserses conclusions le fait que « le Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard desfemmes [des Nations Unies] a reconnu que la violence faîte aux femmes parce qu ’ ellessont des femmes, notamment les actes qui infligent des maux ou des souffrances d ’ ordrephysique, mental ou sexuel, représente une forme de discrimination qui empêche largementles femmes de jouir des libertés et des droits de l ’ homme »139. Comme le montre ladéfinition mentionnée plus avant, la formulation choisie par la Chambre pour définir la tortureprend bien en considération la dimension discriminatoire de ces violences, notamment desviolences sexuelles.

Les conclusions de la Chambre de première instance ont donc, en toute logique, étédans le sens d’une qualification de torture des actes de viol commis par les accusés. L’affairedu « camp de Čelebići » est en ce sens une incroyable évolution dans la protectiondes femmes le viol en temps de conflit armé.

Pour revenir sur l’affaire Kunarac et consorts, la Chambre d’appel a jugé qu’à la vue desconclusions dressées dans l’affaire Čelebići , l ’ argument des Appelants – selonlequel le cumul de déclarations de culpabilité était erroné – n ’ était pas convaincant.Elle note alors que « la souffrance physique, la peur, l’angoisse, l’incertitude etl’humiliation auxquelles les Appelants ont à plusieurs reprises soumis leurs victimes,font de leurs actes des actes de torture […]. Vu les circonstances odieuses de l’espèce, laChambre d’appel conclut que tous les éléments constitutifs du viol et de la torture existent.Elle rejette donc l’appel sur ce point. »140.

La Chambre a également noté que la mens rea du crime de torture résidait dans lefait que l’accusé savait que son acte ou son omission pouvait causer une humiliation etune dégradation sérieuses à la victime. Elle note ainsi que le simple fait de connaître lespossibles conséquences de son acte ou de son omission constitue une attaque sérieuse àla dignité de la personne par l’accusé.

L’esclavage sexuel comme crime contre l’humanitéDeux des accusés de l’affaire Čelebići , Kunarac et Kovac, indiquèrent leur désaccordavec la définition du crime de réduction en esclavage donnée par la Chambre de premièreinstance141. Selon eux, l’esclavage est constitué uniquement lorsqu’il y a eu "possession"prolongée de la victime et qu’elle a fait preuve d’un non-consentement manifeste. Selonl’argument des Appelants, pour qu’il y ait crime de réduction en esclavage, la Chambre doitdémontrer que les accusés ont considéré la victime « comme son propre bien »142.

La Chambre d’appel a ainsi du évaluer ces arguments et est arrivée à un certainnombre de conclusions intéressantes et novatrices. Elle note dans son arrêt que le

139 Ibid., paragraphe 493.140 Le Procureur c. Kunarac et consorts, paragraphe 185.

141 L’ensemble de ces éléments d’analyse est issu de l’ouvrage International criminal law and human rights, Part IV. Internationalhuman rights in international criminal law, Chapter XI. Women, sexual violence and international crime : a unifying example. ThanClaire, London : Sweet & Maxwell, 2003.142 Le Procureur c. Kunarac et consorts, paragraphe 106.

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Partie I : Définir la nature du viol constitutif de crimes internationaux : la jurisprudence pionnièredes Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’Ex-Yougoslavie

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concept traditionnel de l’esclavage ayant évolué, il existait de nouvelles formes d’esclavagecontemporaines peut être moins extrêmes, mais qui ne faisaient pas moins partie ducrime d’esclavage tel que envisagé en droit international coutumier. La Chambre d’appela donc identifié les facteurs constituant l’existence d’une réduction en esclavage. Elle noteà ce propos, en reprenant les termes utilisés par la Chambre de première instance, queces éléments comprennent « le contrôle des mouvements d’un individu, le contrôle del’environnement physique, le contrôle psychologique, les mesures prises pour empêcherou décourager toute tentative de fuite, le recours à la force, les menaces de recourir à laforce ou la contrainte, la durée, la revendication de droits exclusifs, les traitements cruelset les sévices, le contrôle de la sexualité et le travail forcé »143. La Chambre rejette ainsil’argument des Appelants voulant que le manque de consentement manifeste et durable dela victime soit un élément matériel constitutif de la réduction en esclavage. Elle note en effetque « la réduction en esclavage découle de la revendication d’un droit de propriété »144 etque de fait, le défaut de consentement ne peut être reçu comme élément constitutif. Surla question de la nécessité d’une détention prolongée des personnes pour que le crimesoit constitué, la Chambre d’appel rejette également cet argument des Appelants. Elle noteà ce propos que « la durée de la réduction en esclavage n’est pas un élément constitutifde ce crime. La question qu’il faut se poser concerne la nature du lien entre l’accusé etla victime.[…] La Chambre d’appel est d’avis que la durée de la réduction en esclavagequi peut être considérée comme appropriée dépendra des circonstances particulières àchaque affaire »145.

Sur la question de la mens rea du crime de réduction en esclavage, la Chambre d’appel,reprenant les arguments avancés par la Chambre de première instance note les élémentssuivants :

Enfin, pour ce qui est de l’élément moral de la réduction en esclavage, laChambred’appel souscrit à la conclusion de la Chambre de première instanceselon laquelle l’élémentmoral requis pour ce crime réside dans l’intentiond’exercer les attributs du droit de propriété. Il n’est pas nécessaire de prouverque l’accusé avait l’intention de détenir les victimes souscontrôle permanent,pendant une période prolongée, dans le but de les utiliser sexuellement.

Ce procès marque la première condamnation de l’esclavage sexuel comme crimecontre l’humanité. Dans cette même affaire, le viol a été reconnu expressément comme unearme de guerre. C’est ainsi de nombreuses nouvelles condamnations qui sont désormaisrattachées au crime de viol.

De plus, un dernier élément est à souligner, qui n’est pas des moindres : pour lapremière fois, le Tribunal a condamné des actes de violence sexuelle sans dresser de lienentre la question de "l’honneur" de la femme et ce type d’agression.

En conclusion, les jurisprudences du TPIR et du TPIY représentent le développement leplus significatif en matière de criminalisation de la violence sexuelle en droit international146.

143 Ibid., paragraphe 119.144 Ibid., paragraphe 120.145 Ibid., paragraphe 121.146 L’ensemble de ces éléments est issu de l’ouvrage International criminal law and human rights, Part IV. International

human rights in international criminal law, Chapter XI. Women, sexual violence and international crime : a unifying example. ThanClaire, London : Sweet & Maxwell, 2003.

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La protection pénale internationale des femmes contre le viol en temps de conflit armé Élémentsd’analyse juridique et perspectives d’évolution

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La violence sexuelle a été qualifiée de génocide, de crime contre l’humanité, de crime deguerre, de torture et de violations graves d’un certain nombre de textes de droit internationalhumanitaire.

Cette jurisprudence, pionnière, a permis de définir la nature du crime de viol, ainsi queses éléments constitutifs. Le TPIR et le TPIY ont, en ce sens, jeté les fondements qui ontpermis à la Cour pénale internationale de définir dans son Statut les crimes de violencesexuelle.

Ce point est considérable car de par son caractère permanent, la CPI représenteaujourd’hui une des garanties les plus fondamentales de la protection des femmes contrele viol en temps de conflits armés.

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Partie II : La récrimination du viol comme crime international : applications par la Cour pénaleinternationale

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Partie II : La récrimination du violcomme crime international : applicationspar la Cour pénale internationale

La Cour pénale internationale a, dès 2002, suivi le chemin tracé par le TPIY et le TPIR.Aussi, à partir des conclusions jurisprudentielles dressées par les deux tribunaux spéciaux,le Statut de Rome a été rédigé en prenant particulièrement en compte les questions deviolence sexuelle.

Dans un premier temps, l’étude portera sur les dispositions contenues dans la Statutde la CPI qui a qualifié le viol de crime de guerre, crime contre l’humanité et génocide. Demême, nous envisagerons le principe de complémentarité de la Cour auprès des juridictionsnationales, en nous arrêtant plus particulièrement sur le cas de la République démocratiquedu Congo.

Dans un second temps, nous étudierons le système de protection des victimes témoins,mis en place par les tribunaux spéciaux internationaux et la Cour pénale internationale.

A. La Cour pénale internationale : les violencessexuelles constitutives d’un crime international

La jurisprudence des tribunaux spéciaux envisagée plus avant est importante en ce qu’ellea fondé les bases de l’évolution du droit pénal international dans le domaine de la luttecontre les violences sexuelles. Contrairement à ces juridictions ad hoc, bénéficiant d’unecompétence limitée dans le temps et l’espace, la Cour Pénale Internationale147 est unejuridiction permanente. Elle a une compétence générale pour les crimes les plus graves, dèslors que ces crimes ont été commis dans un des pays signataires du Statut de Rome et quecelui-ci est entré en vigueur. C’est ce qu’on appelle sa compétence rationae materiae148. Sacompétence revêt également deux autres aspects : une compétence rationae personae149

dans le sens où elle « est compétente à l’égard des personnes physiques » âgées d’aumoins dix-huit ans au moment de la commission prétendue d’un crime relevant de saresponsabilité150 ; une compétence rationae temporis, dans le sens où seuls les crimescommis postérieurement à la date d’entrée en vigueur du Statut sont concernés.

147 La Convention du 17 juillet 1998, communément appelée Statut de Rome, est le texte qui a donné naissance à la Cour Pénale

Internationale. Elle est entrée en vigueur à la date du 1er juillet 2002. Depuis le 22 juin 2011, 116 pays sont États Parties au Statutde Rome.148 Article 5 du Statut de Rome.149 Article 25§1 du Statut de Rome.150 Article 26 du Statut de Rome.

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La protection pénale internationale des femmes contre le viol en temps de conflit armé Élémentsd’analyse juridique et perspectives d’évolution

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Pendant de nombreuses années les textes internationaux majeurs n’ont pas traitédirectement des violences exercées à l’égard des femmes. C’est le cas avec la Conventionsur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes – ci-aprèsCEDAW – de 1979151. D’autres, comme la Convention contre la torture et autres peineset traitements cruels, inhumains ou dégradants152 n’ont pas considéré dans leur texte lasexospécificité de certains types de violence exercés envers les femmes.

A partir des affaires traitées par les tribunaux spéciaux mis en place pour l’Ex-Yougoslavie et le Rwanda, c’est une avancée majeure qui a été faite dans la protectiondes femmes contre les violences sexuelles en temps de conflits armés. Véritable catalyseurdu sujet, la jurisprudence de ces deux tribunaux spéciaux a, en déterminant la nature ducrime de viol, permis de grandes avancées dans la récrimination pénale internationale descrimes à caractère sexiste. L’apparition d’une nouvelle notion, celle de « crime à caractèresexiste », dans le Statut de la Cour Pénale Internationale marque un tournant décisif etrelativement récent en droit international.

Inclure dans le Statut de Rome la possibilité pour la Cour d’enquêter et de poursuivreles auteurs de « gender crimes »153 a d’abord posé divers problèmes154. Le rôle de laCPI était davantage de codifier le droit international existant plus que de travailler à sondéveloppement. La situation était plutôt dichotomique : tandis que les traités internationauxexistants ne traitaient pas à proprement parler de ces formes spécifiques de violences,le droit international coutumier disposait quant à lui d’outils pouvant servir à combler cesmanquements. Mais c’est également un autre problème qui s’est présenté au moment dela rédaction du Statut de Rome. Les Etats-Unis se sont alors opposés à l’utilisation dela définition englobante du viol utilisée par le TPIR lors de l’affaire Akayesu. La définitiondu viol étant formulée comme suit dans cette affaire, « une invasion physique de naturesexuelle commise sur la personne d’autrui sous l’empire de la contrainte », les Etats-Unisont insisté sur l’idée que l’usage de la force et la pénétration devaient tous deux être incluscomme des éléments constitutifs du viol. La vision américaine restrictive du viol ignore lesréalités de l’usage du viol en temps de guerre : les circonstances sont souvent suffisammentcoercitives et effrayantes pour la victime pour que l’usage de la force ne soit pas nécessairepour commettre un viol. De plus, la pénétration physique par le pénis n’est pas le seulélément constitutif d’un viol, dans le sens où il existe d’autres actes tout aussi dégradants etdommageables pour la victime. Ces divergences conceptuelles viennent en partie expliquerpourquoi les Etats-Unis n’ont pas ratifié le Statut de Rome155.

151 Adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations Unies et entrée en vigueur le 3 septembre 1981après ratification par 20 pays.

152 Adoptée et ouverte à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale dans sa résolution 39/46 du10 décembre 1984 ; entrée en vigueur le 26 juin 1987.

153 L’expression anglaise « gender crimes » est ici volontairement conserver dans la langue originelle pour ne pas dénaturerle sens de l’expression.

154 L’ensemble de ces éléments est issu de l’ouvrage International criminal law and human rights, Part IV. Internationalhuman rights in international criminal law, Chapter XI. Women, sexual violence and international crime : a unifying example. ThanClaire, London : Sweet & Maxwell, 2003 – p. 345-383

155 La Chine et la Russie non plus n’ont pas ratifié le Statut de Rome, tout comme d’autres Etats où ont lieu des conflits et degraves violations des droits de l’Homme : le Sri Lanka, le Soudan, la Côte d’Ivoire, l’Angola et l’Inde.

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Partie II : La récrimination du viol comme crime international : applications par la Cour pénaleinternationale

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Toutefois et malgré ces obstacles, la Règle 70 du Règlement de la procédure et depreuve 156 apporte des précisions non négligeables sur cet aspect :

Règle 70. Principes applicables à l’administration de la preuve en matière deviolences sexuelles Dans le cas de crimes de violences sexuelles, la Coursuit et, le cas échéant, applique les principes suivants : a) Le consentementne peut en aucun cas être inféré des paroles ou de la conduite d’une victimelorsque la faculté de celle-ci de donner librement un consentement véritablea été altérée par l’emploi de la force, de la menace ou de la contrainte, ou à lafaveur d’un environnement coercitif ; b) Le consentement ne peut en aucuncas être inféré des paroles ou de la conduite d’une victime lorsque celle-ci estincapable de donner un consentement véritable ; c) Le consentement ne peuten aucun cas être inféré du silence ou du manque de résistance de la victime deviolences sexuelles présumées; d) La crédibilité, l’honorabilité ou la disponibilitésexuelle d’une victime ou d’un témoin ne peut en aucun cas être inférée de leurcomportement sexuel antérieur ou postérieur.

La mise en place de cette règle marque bien la volonté de la CPI d’appliquer les principesmis en avant dans les jurisprudences étudiées plus avant des tribunaux spéciaux. Il estaujourd’hui reconnu par la doctrine que l’emploi de la force physique à proprement parlern’est pas toujours nécessaire, la force coercitive de certaines situations étant suffisantenotamment en cas de conflits armés.

Après s’être interrogé dans notre première partie sur la nature du crime de viol, telle quedéveloppée dans la jurisprudence du TPIY et du TPIR, il s’agira ici d’envisager quelles sontles incriminations pénales internationales développées par la Cour Pénale Internationale –ci-après CPI – dans le Statut de Rome. A partir des dispositions juridiques établies dansle Statut de la CPI, les violences sexuelles exercées sur les femmes peuvent désormaisêtre constitutives de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide. Sera ensuiteétudiée la question de la complémentarité entre la CPI et les juridictions nationales etcomment le Statut de Rome a un impact direct sur ces juridictions. Pour ce faire, uneattention particulière sera portée sur la situation en République Démocratique du Congo etsur les conclusions dressées par le Tribunal congolais dans l’affaire Songo Mboyo.

La qualification du viol comme crime de guerre, crime contrel’humanité et génocide dans le Statut de Rome : éléments d’analyse

Le Statut de Rome dispose d’un certain nombre de provisions qualifiées de « gender-specific » qui constituent une avancée considérable dans le développement d’une réponsejuridique internationale aux violences sexospécifiques. Ainsi, les crimes dits "à caractèresexiste" occupent une place importante dans le Statut de Rome de la CPI. Preuve en estde l’article 7.1-h, qualifiant de crimes contre l’humanité les faits suivants :

156 Comme indiqué dans le texte officiel du Règlement de procédure et de preuve : « Le Règlement de procédure et de preuveest un instrument d’application du Statut de la Cour pénale internationale (Statut de Rome), auquel il est subordonné dans tous les cas.Lors de l’élaboration du Règlement, on a veillé à ne pas paraphraser les dispositions du Statut et, dans la mesure du possible, à ne pasles répéter. Quand il y a lieu, le Règlement renvoie explicitement au Statut, afin de mettre en relief le rapport existant entre les deuxtextes, comme le prévoit l’article 51, notamment aux paragraphes 4 et 5. Dans tous les cas, le Règlement de procédure et de preuvedoit être lu en regard des dispositions du Statut, auxquelles il est subordonné. Le Règlement de procédure et de preuve n’affecte enrien les règles de procédure qu’applique tout tribunal ou système juridique national dans le cadre de poursuites nationales. »

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La protection pénale internationale des femmes contre le viol en temps de conflit armé Élémentsd’analyse juridique et perspectives d’évolution

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[…] Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pourdesmotifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ousexisteau sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critèresuniversellementreconnus comme inadmissibles en droit international, encorrélation avec toutacte visé dans le présent paragraphe ou tout crimerelevant de la compétence dela Cour.

C’est ici le terme de « sexiste » qui nous intéresse. La CPI, selon la conception envisagéedans le Statut de Rome, entend le terme « sexe » comme étant de « l’un et l’autresexes, masculin et féminin, suivant le contexte de la société »157. Il est à noter que laquestion du crime de persécution représentait un enjeu important pour notre sujet : selonles termes de l’article 7 du Statut de la CPI, la persécution peut désormais reposer autantsur des motifs de genre que sur des motifs ethniques, religieux, politiques, raciaux oude nationalité. Cette conception est d’autant plus renforcée par les précisions apportéespar l’article 21.3 du Statut relatif au droit applicable qui stipule que « L’application etl’interprétation du droit prévues au présent article doivent être compatibles avec les droitsde l’homme internationalement reconnus et exemptes de toute discrimination fondée surdes considérations telles que l’appartenance à l’un ou l’autre sexe tel que défini à l’article7, paragraphe 3 […] ». Les juges de la Cour pourront en conséquence se référer à laCEDAW, aux Déclarations de Beijing et de Vienne, ainsi qu’à l’ensemble des documentsinternationaux relatifs aux droits de l’homme afin d’interpréter les provisions contenues dansle Statut de Rome158.

C’est ainsi l’ensemble des violences à caractère sexuel qui sont condamnées par uncertain nombre de dispositions du Statut de Rome. On ne saurait être exhaustif mais ilconvient de souligner que selon l’article 7.1-g et les articles 8.2-b.xxii) et 8.2-e.vi)159 duStatut, le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée160, la stérilisationforcée et toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable et constituant uneviolation grave aux Conventions de Genève, constituent, selon l’article concerné, un crimecontre l’humanité et/ou un crime de guerre. Pour autant, dans ces deux articles, aucuneprécision n’est faite quant à la définition précise du viol selon la CPI.

En se penchant davantage sur les violences sexuelles comme crimes de guerre – article8 du Statut de Rome – il apparaît que le crime de guerre de viol se définit selon les Élémentsdes crimes 161, définition s’inspirant de celle établie par le TPIR dans l’Affaire Akayesu :

1. L’auteur a pris possession du corps d’une personne de telle manière qu’ily a eu pénétration, même superficielle, d’une partie du corps de la victime ou

157 Tel que stipulé dans l’article 7.3 du Statut de Rome.158 International criminal law and human rights, Part IV. International human rights in international criminal law, Chapter XI.Women, sexual violence and international crime : a unifying example. Than Claire, London : Sweet & Maxwell, 2003 – p. 345-383

159 Il est à préciser que l’article 8.2-b.xxii) est applicable aux conflits internationaux et l’article 8.2-e.vi) est applicable aux conflitsne présentant pas un caractère international.

160 L’article 7.2-f du Statut de Rome définit la grossesse forcée comme suit : « Par « grossesse forcée », on entend la détentionillégale d’une femme mise enceinte de force, dans l’intention de modifier la composition ethnique d’une population ou de commettred’autres violations graves du droit international. Cette définition ne peut en aucune manière s’interpréter comme ayant une incidencesur les lois nationales relatives à la grossesse ».

161 Article 9-1 du Statut de Rome, Éléments des crimes : « Les éléments des crimes aident la Cour à interpréter et appliquerles art. 6, 7 et 8 […] »

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de l’auteur par un organe sexuel, ou de l’anus ou du vagin de la victime par unobjet ou toute partie du corps. 2. L’acte a été commis par la force ou en usantà l’encontre de ladite ou desdites ou de tierces personnes de la menace de laforce ou de la coercition, telle que celle causée par la menace de violences,contrainte, détention, pressions psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à lafaveur d’un environnement coercitif, ou encore en profitant de l’incapacité deladite personne de donner son libre consentement. 3. Le comportement a eu lieudans le contexte de et était associé à un conflit armé international. 4. L’auteuravait connaissance des circonstances de fait établissant l’existence d’un conflitarmé.

Il convient ici de préciser que ces dispositions ne revêtent pas de caractère sexospécifique,dans le sens où elles concernent à la fois les viols commis par les femmes et les hommes,sur les femmes et les hommes. C’est bien ce qui indiqué à la note 50 du document :« L’expression "prendre possession" se veut suffisamment large pour être dénuée deconnotation sexospécifique. »

Concernant la qualification du viol comme crime contre l’humanité, des éléments deprécision sont également contenus dans les Éléments des crimes. La définition est similaireà celle du crime de guerre de viol, si ce n’est les troisième et quatrième alinéas remplacéspar les éléments suivants :

3. Le comportement faisait partie d’une attaque généralisée ou systématiquedirigée contre une population civile. 4. L’auteur savait que ce comportementfaisait partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre unepopulation civile ou entendait qu’il en fasse partie.

La force de ces dispositions est que les crimes contre l’humanité sont sous la juridiction dela CPI, que ces crimes soient commis durant le temps de guerre ou de paix, par des acteursétatiques ou non étatiques. C’est donc bien une appréhension large qui est envisagée ici,bien que celle-ci contienne une limite majeure : l’alinéa 3 de la définition indique la nécessitéde l’existence « d’une attaque généralisée ou systématique », ce qui entend qu’elle soit enlien avec un État ou une politique organisée et qu’il s’agisse d’actes multiples.

Le viol n’est pas cité expressément dans le crime de génocide défini à l’article 6 duStatut de Rome. La définition du génocide162 – reprise mot pour mot dans le Statut deRome, ainsi que dans les statuts des Tribunaux pénaux internationaux pour la Yougoslavieet le Rwanda – a été formalisée juridiquement pour la première fois dans l’article 2 de laConvention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948163.Comme on l’a vu, la question de savoir si le crime de viol peut être constitutif de crime degénocide a été analysée par le TPIR dans l’affaire Akayesu. Les affaires dont la CPI a étésaisie jusqu’à présent ne lui ont pas permis de statuer sur le sujet. Néanmoins, on peutpenser qu’en pareil cas la Cour suivra les conclusions dressées par le TPIR.

Les orientations prises par la CPI vont bien dans ce sens puisque comme l’indiquel’article 6.b du Statut de Rome relatif au crime de génocide :

162 Le concept de crime de génocide a été formulé pour la première à l’issue du procès des grands criminels de guerreallemands, se tenant à Nuremberg.

163 Approuvée par l’Assemblée générale dans sa résolution 260 A (III) du 9 décembre 1948 et entrée en vigueur le 12 janvier1951.

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Aux fins du présent Statut, on entend par crime de génocide l’un quelconquedes actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, ungroupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : […] b) Atteinte grave àl’intégrité physique ou mentale de membres du groupe […]

Les Éléments des crimes relatifs à l’article 6.b du Statut confirment explicitement ceséléments puisqu’il est stipulé comme suit, en note 3 de bas de page :

Génocide par atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale Éléments 1.L’auteur a porté gravement atteinte à l’intégrité physique ou mentale d’une

personne ou de plusieurs personnes3. Note 3. Ce comportement peutcomprendre, mais sans s’y limiter nécessairement, des actes de torture, desviols, des violences sexuelles ou des traitements inhumains ou dégradants.

Dernier élément non négligeable à ce propos, il faut noter que, bien que les peines prévuespour ces crimes soient uniformément passibles des mêmes peines164, il est possible deconsidérer qu’il existe une hiérarchie de gravité entre le crime de guerre, le crime contrel’humanité et le génocide, ce dernier constituant le crime le plus grave165.

Les orientations prises dans le Statut de la CPI, catégorisant la violence sexuellecomme crime sérieux, marque l’importance grandissante accordée aux crimes à caractèresexiste par l’institution et plus généralement par la communauté internationale. Il estainsi spécifié dans l’article 54.1-b relatif aux devoirs et pouvoirs du Procureur en matièred’enquêtes que le Bureau du Procureur doit, pour mener à bien les enquêtes dont la Courest saisie, « [tenir] également compte de la nature du crime, en particulier lorsque celui-ci comporte des violences sexuelles, des violences à caractère sexiste ou des violencescontre des enfants ».

L’article 42.9 du Statut vient renforcer l’idée de fournir aux victimes et aux témoins touteprotection nécessaire, mais engage également la Cour à dessiner une protection davantageadaptée à la particularité des violences sexuelles : « Le Procureur nomme des conseillersqui sont des spécialistes du droit relatif à certaines questions, y compris, mais s'en s'ylimiter, celles des violences sexuelles, des violences à motivation sexiste et des violencescontre les enfants ». En effectuant cette précision, le Statut de Rome marque la spécificité detraitement que réclament les victimes de violences sexuelles. C’est ainsi que le Bureau duProcureur a créé l’Unité des violences sexistes et des violences contre les enfants, nouvelleunité de travail composée de conseillers spécialisés « en matière de violences sexuelles, deviolence à motivation sexistes et de violences contre les enfants »166. C’est ainsi un véritableappui qui est apporté au Bureau du Procureur tout au long du déroulement d’une affaire

164 Voir à ce propos l’article 77 du Statut de Rome relatif aux peines applicables pour les coupables d’un crime visé à l’article 5 duStatut que sont le crime de génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et le crime d’agression.165 Cette conception est à nuancer dans la mesure où elle n’est pas partagée par l’ensemble de la doctrine ou même de lajurisprudence ; preuve en est de l’extrait suivant : « Comme la Chambre l'a indiqué dans le jugement portant condamnation, qu'elle arendu le 4 septembre dans l'affaire : Procureur contre Jean Kambanda, le Statut et le Règlement ne créant pas une hiérarchie entreles différents crimes de la compétence du Tribunal, nous avions dit que s'il n'est pas contesté que malgré la gravité, les violationsaux Conventions de Genève soient d'une moindre gravité que le génocide ou le crime contre l'humanité, il paraissait en revancheplus difficile d'établir une hiérarchie entre le génocide et le crime contre l'humanité, quant à leur gravité respective. » - Tribunal pénalinternational pour le Rwanda, Cause No : ICTR-96-4-T, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu , Sentence, le 2 octobre 1998. Disponibleen ligne sur le site officiel du TPIR : http://www.unictr.org/Cases/tabid/127/PID/18/default.aspx?id=4&mnid=4

166 Voir Section 3 du Règlement du Bureau du Procureur relative aux Sections d’appui et Unité des violences sexistes et desviolences contre les enfants.

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dont la CPI est saisie, de la phase initiale d’analyse à la phase des poursuites des auteursdes crimes.

La complémentarité de la CPI auprès des juridictions nationales etles applications jurisprudentielles du viol comme crime de guerre etcrime contre l’humanité : l’exemple de la République démocratique duCongo

Le principe de complémentarité entre la CPI et les juridictions nationales veut que la Courne puisse connaître une affaire que si les Etats concernés par cette même affaire n’ont pasla volonté ou la capacité de juger, par leurs juridictions nationales, les auteurs des crimesprétendus. Envisager cette question revient donc à étudier l’impact du Statut de Rome surles tribunaux nationaux. En effet, ce principe de complémentarité se présente comme unoutil additionnel prompt à récriminer les auteurs de crimes de violence sexuelle dans denombreux pays ayant connus des situations de conflits armés. En nous intéressant plusparticulièrement au Tribunal congolais, il sera envisagé comment les systèmes judiciairesnationaux peuvent répondre à leurs obligations internationales en matière de répressioneffective des crimes internationaux.

A la suite de la ratification du Statut de Rome167 par la République Démocratiquedu Congo, le Parlement national a intégré les incriminations du Statut de la CPI dans leCode pénal militaire168. Par cette démarche, les juridictions militaires ont désormais unecompétence exclusive dans la répression de ces crimes169.

Ainsi, l’article 169 du Code pénal militaire stipule désormais que le viol est un desactes constitutifs de crime contre l’humanité – avec entre autres le meurtre et la torture– qu’il ait été commis en temps de paix ou en temps de guerre, dans le cadre d’une« attaque généralisée ou systématique lancée sciemment contre la République ou contre lapopulation ». Autre avancée majeure, le 20 juillet 2006, face au constat du développement« à travers le monde [d’]une nouvelle forme de criminalité à grande échelle […] : [les]violences sexuelles », il s’est avéré nécessaire de réviser certaines dispositions du Codepénal congolais170. Ainsi, les « modifications portent principalement sur les articles relatifsaux infractions de viols et d’attentat à la pudeur. Les dispositions prévues complètent etérigent en infractions, différentes formes de violences sexuelles, jadis non incriminées dansle Code pénal et consacre la définition du viol conformément aux normes internationalesapplicables en la matière »171. C’est un grand ensemble de violences sexuelles quisont désormais incriminées pénalement avec la promulgation de cette loi : viol, attentat

167 La République démocratique du Congo a ratifié le Statut de Rome le 30 mars 2002. Les crimes commis sur son territoireont été renvoyés devant la CPI pour les enquêtes et les poursuites le 19 avril 2004.

168 Pour plus d’éléments sur l’impact de la CPI sur le système judiciaire congolais, voir L’Impact du Statut de Rome et de laCour Pénale Internationale en République Démocratique du Congo, Mirna Adjami et Guy Mushiata, Mai 2010, ICTJ briefing, Centreinternational pour la justice transitionnelle. Disponible en ligne : ictj.org/sites/default/files/ICTJ-DRC-Impact-ICC-2010-French.pdf

169 Loi n° 023/2002 du 18 novembre 2002 portant Code judiciaire militaire et Loi n° 024/2002 du 18 novembre 2002 portantCode pénal militaire

170 Voir annexe 6 – Loi n° 06/18 du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal

congolais, Journal Officiel, n°15 du 1er aout 2006.171 Ibid.

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à la pudeur, esclavage sexuel, mutilations sexuelles ou encore prostitution forcée. Cetteloi va même au-delà de l’incrimination des seules violences sexuelles puisqu’elle prévoitégalement de nouvelles dispositions relatives au harcèlement sexuel et au mariage forcé.La définition du viol érigée par cette loi n’est toutefois pas similaire à celle de la CPI, telleque développée dans les Éléments des crimes vue préalablement. En effet, la loi stipulecomme suit :

Paragraphe 2 : Du viol Article 170 Aura commis un viol, soit à l’aide de violencesou menaces graves ou par contrainte à l’encontre d’une personne, directementou par l’intermédiaire d’un tiers, soit par surprise, par pression psychologique,soit à l’occasion d’un environnement coercitif, soit en abusant d’une personnequi, par le fait d’une maladie, par l’altération de ses facultés ou par toute autrecause accidentelle aurait perdu l’usage de ses sens ou en aurait été privé parquelques artifices : a) tout homme, quel que soit son âge, qui aura introduit sonorgane sexuel, même superficiellement dans celui d’une femme ou toute femme,quel que soit son âge, qui aura obligé un homme à introduire superficiellementson organe sexuel dans le sien ; b) tout homme qui aura pénétré, mêmesuperficiellement l’anus, la bouche ou tout autre orifice du corps d’une femme oud’un homme par un organe sexuel, par toute autre partie du corps ou par un objetquelconque ; c) toute personne qui aura introduit, même superficiellement, touteautre partie du corps ou un objet quelconque dans le vagin ; d) toute personnequi aura obligé un homme ou une femme à pénétrer, même superficiellement sonanus, sa bouche ou tout orifice de son corps par un organe sexuel, pour touteautre partie du corps ou par un objet quelconque.

Il est à noter que cette définition est plus pragmatique que celle figurant dans le Statut deRome du fait qu’elle incrimine expressément le viol commis sur un homme172. Toutefois,le principe de non rétroactivité de la loi pénale ne permet pas aux juges statuant sur lesaffaires que nous allons maintenant évoquer de se référer à ces éléments juridiques, lesfaits en cours de jugement étant antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi173.

Le procès de Songo Mboyo 174 s’est voulu exemplaire. A l’occasion de cette affaire,

des militaires du 9ème bataillon des Forces armées de la République démocratique duCongo – FARDC – ont été condamnés pour crime contre l’humanité en raison des violsmassifs de femmes175 commis dans la localité de Songo Mboyo, territoire de Bo Ngandanga,District de la Mongola en Province de l’Equateur en République Démocratique du Congo.Les prévenus sont accusés d’avoir procédé dans la nuit du 21 au 22 décembre 2003 auviol collectif d’au moins 119 femmes, parmi lesquelles on relève un nombre importantsde filles mineures. Cette affaire est notoire dans la mesure où, pour la première fois, lesjuges congolais ont eu l’occasion de faire application directe du Statut de Rome. La partie

172 Cet aspect est une grande avancée dans la mesure où, avant la promulgation de cette loi, le droit interne congolais n’incriminaitque le viol commis sur une femme, comme l’indique le document suivant : Etude de jurisprudence – L’application du Statut de Romede la Cour pénale internationale par les juridictions de la République démocratique du Congo, Avocats Sans Frontières, Mars 2009.173 Ibid.

174 Tribunal Militaire de Garnison de Mbandaka, Affaire Songo Mboyo, RPA 615/2006, 12 avril 2006.175 Les juges congolais ont notamment eu recourt dans cette affaire à la jurisprudence des Tribunaux Pénaux Internationaux.

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II du jugement176, relative aux accusations de crime contre l’humanité, indique que huit desprévenus177 sont poursuivis pour avoir « […] dans le cadre d’une attaque généralisée lancéecontre la population civile et en connaissance de cette attaque, conjointement commis lesviols sur la personne de plusieurs femmes », ces actes constituant « […] un des actesinhumains énumérés au paragraphe 1 de l’article 7 du Statut de Rome ». Le tribunal préciseégalement que « Dans le cas sous examen les viols pour lesquels les femmes de SongoMboyo se plaignent constituent l’illustration des actes inhumains prévus et punis par laloi ». Le tribunal reconnaît également que la définition du viol comme acte inhumain estdifférente s’agissant du droit interne ou du droit international ; il s’est ainsi explicitementappuyé sur la définition large proposée par les Éléments des crimes du Statut de Rome pourstatuer sur les faits sous examen. La défense a appuyé son argumentaire de contestationdu viol sur l’absence de preuves. Le tribunal a, à ce propos, développé une argumentationextrêmement pertinente et pragmatique qu’il est intéressant de rapporter178 :

Attendu cependant que contrairement à la défense l’atteinte sexuelle est unedes choses les plus difficiles à signaler à cause du contexte socio-culturel. Danspresque toutes les sociétés, une femme, un homme ou un enfant qui porte desallégations de viols, de violence ou d’humiliation sexuelle a beaucoup à perdreet risque de faire l’objet d’énormes pressions ou d’ostracisme de la part desmembres de sa famille immédiate et de la société en général ; Compte tenu deson caractère d’intimité et d’humiliation il paraît trop difficile de réunir pour laréalisation du crime autant de témoignages possibles, c’est ainsi, au regard decette difficulté de la victime de l’infraction passe pour premier témoin parce queayant vécu elle même le fait ; S’agissant de la faillibilité de certains témoignagesdes victimes d’agression sexuelle il est vrai que les victimes pour éviter derevivre les moments pénibles ou encore par gène ou par honte se taisent decertaines choses ou encore éprouvent d’énormes difficultés à se remémorerfidèlement certains épisodes de ce qu’elles ont vécues et confondent les lieuxou les dates ou ajoutent d’autres détails qui leur viennent à l’esprit à mesurequ’elles se sentent en confiance. Cette attitude peut donner à tort l’impressionque les témoignages ne sont pas fiables voire qu’ils ne sont pas crédibles. Ilen est de même de celles qui peuvent ressentir le besoin d’en rajouter le pluspossible pour que leur histoire fasse forte impression et soit cruelle. Il appartientdonc au juge de fond de filtrer les témoignages en se débarrassant des chosesexagérément déclarée.

Les juges congolais ont, à l’occasion de l’analyse des preuves présentées par l’Accusation,dressé quelques conclusions qu’il est ici intéressant de reprendre179. Les juges se sontainsi basés sur l’intervention d’un expert médical qui a permis d’identifier les causes des

176 Voir annexe 7 : Jugement et notes d’observation, Jugement République démocratique du Congo RMP154/PEN/SHOF/05,Ministère de la Défense nationale RP 084/2005, Justice militaire, Tribunal militaire de Garnison, Mbandaka. Disponible en ligne :http://droitcongolais.info/cas_droit_penal.html in Section Droit pénal militaire.

177 L’accusation portait au total sur 12 prévenus.178 Tribunal Militaire de Garnison de Mbandaka, Affaire Songo Mboyo, RPA 615/2006, 12 avril 2006, p. 17-18. Ces éléments

sont également repris dans le document Etude de jurisprudence – L’application du Statut de Rome de la Cour pénale internationalepar les juridictions de la République démocratique du Congo, Avocats Sans Frontières, Mars 2009.179 La liste ne saurait être exhaustive.

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lésions des victimes et ainsi de prouver les actes de viol dont sont accusés les prévenus.Concernant le prévenu Bokila Lolemi, le tribunal note également que « […] la qualité deparents ou d ’ alliance révélée ne fait pas défaut à la réalisation du crime dès lors que leséléments constitutifs sont remplis »180. Le tribunal a également statué, dans l’examen ducas de Vonga Wa Vonga, qu’un supérieur hiérarchique, du fait qu’il ait commis un viol, peutêtre condamné comme « auteur moral » dans la mesure où « Dans le cas sous examen,la possession de la Dame Iyolo Boteya par le prévenu, de loin supérieur, constitue pourles subalternes un encouragement aux actes analogues et partant engage la responsabilitépénale du prévenu »181. Concernant les faits reprochés à l’accusé Mombanya Nkoy John,la Cour note les points suivants182 :

Attendu que le prévenu est poursuivi pour avoir commis le viol sur la personnede Djemi Antoine tel qu’il ressort de l’acte d’accusation, La défense dans sesmoyens rejette les faits mis à charge du prévenu. En effet, étant institué pourprotéger la personne du sexe féminin, le viol ne peut se commettre sur unepersonne de sexe masculin ; […] Attendu cependant que contrairement à ladéfense et au Ministère public, le viol tel que défini dans les éléments des crimes,source complémentaire et interprétative au statut de Rome a une extension largecomprenant aussi tous les actes à connotation sexospécifique.

Le tribunal confirme ainsi par ce commentaire que le viol peut se commettre contre unepersonne de sexe masculin. Enfin, en ce qui concerne le prévenu Yangbanda Dumba, letribunal a noté que les imprécisions relevées dans les déclarations des victimes ne peuventêtre utilisées pour démolir les témoignages et qu’« il appartient donc au juge d ’ apprécierla valeur du témoignage en filtrant les [éléments qui ont été] exagérés »183.

C’est ici une avancée considérable qui a eu lieu : se basant sur leur compétence àstatuer sur les crimes punis par le Statut de Rome, les juridictions militaires ont pu jugerdes cas de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, en application directe du Statutde la CPI184.

Certaines limites à cette complémentarité entre la CPI et les tribunauxcongolais peuvent toutefois être soulignées185 : bien que les conclusions du tribunal,notamment dans l’affaire Songo Mboyo, constituent des progressions considérables, cesavancées sont fragilisées par l’évasion de la plupart des condamnés des différents procès.De plus, à ce jour, le paiement par les militaires condamnés et l’Etat des indemnisationsjudiciaires aux victimes n’a toujours pas été effectué. La justice congolaise a donc encorecertains obstacles à franchir afin qu’elle réponde aux standards internationaux relatifs auprocèséquitable.Enfin, les poursuites ont été engagées essentiellement à l’encontre des

180 Ibid. p. 20181 Ibid. p. 21182 Ibid.183 Ibid. p. 22

184 Il est ici à noter que la République démocratique du Congo est dans un système moniste : un traité international, une foisratifié, est donc considéré comme incorporé en droit interne.

185 L’ensemble de ces éléments d’analyse sont issus du document suivant : L’Impact du Statut de Rome et de la Cour PénaleInternationale en République Démocratique du Congo, Mirna Adjami et Guy Mushiata, Mai 2010, ICTJ briefing, Centre internationalpour la justice transitionnelle.

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militaires de rang. Les hauts responsables militaires n’ont pas toujours été poursuivis et ce,en partie du fait qu’ils jouissent de privilèges auprès des juridictions militaires congolaises.

Trois autres procès relatifs à notre sujet sont actuellement en cours d’examen par leschambres concernées de la CPI. Dans l’affaire Le Procureur c. Germain Katanga etMathieu Ngudjolo Chui , les charges retenues contre les deux prévenus sont, en partie,les suivantes186 :

Charges Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui auraient conjointementcommis par l’intermédiaire d’autres personnes, au sens de l’article 25-3-a duStatut : Les crimes de guerre : […] f. l’esclavage sexuel, crime punissable envertu de l’article 8-2-b-xxii du Statut. g. le viol, crime punissable en vertu del’article 8-2-b-xxii du Statut. Les crimes contre l’humanité : […] b. des viols,punissables en vertu de l’article 7-1-g du Statut. c. des actes de réduction enesclavage sexuel, punissables en vertu de l’article 7-1-g du Statut.

Le mandat d’arrêt a été délivré par la Chambre préliminaire I le 2 juillet 2007 pour GermainKatanga et le 6 juillet 2007 pour Mathieu Ngudjolo Chui. La décision de confirmation descharges s’est faite le 26 septembre 2008 pour les deux accusés. L’ouverture du procèspour les deux prévenus a eu lieu le 24 novembre 2009. L’Accusation a fini de présenter sondossier le 8 décembre 2010. Deux témoins ont été présentés par les représentants légauxdes victimes. Le 21 mars 2011, la Défense a commencé à présenter son dossier.

Deuxième affaire nous concernant, l’affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo .Le procès s’est ouvert à la Haye le 26 janvier 2009 ; les charges à l’encontre de ThomasLubanga Dyilo concernent l’enrôlement et la conscription présumés d’enfants soldats pourles faire activement participer aux hostilités, notamment en les incitant à utiliser le viol.Les déclarations de clôture de la Défense, de l'Accusation et des victimes participant sontprévues pour les 25 et 26 août 2011.

Enfin, concernant la situation en République centrafricaine, le 15 juin 2009, la Chambrepréliminaire dans l’affaire Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo 187 a confirmé lesaccusations de crime contre l’humanité – pour viol et assassinat – et de crimes de guerre– pour assassinat, pillage et viol .

Il est enfin à noter que l’Ouganda, État Partie au Statut de Rome, a également déféréà la Cour des faits de crimes de violence sexuelle s’étant déroulés sur son territoire. LaConseil de sécurité des Nations Unies a quant à lui déféré à la CPI la situation de certainsEtats non partie au Statut de Rome, comme la région du Darfour au Soudan ou la Libye.

B. La protection des victimes témoins de violencessexuelles en temps de guerre : phase procédurale

186 Telles que stipulées sur le site officiel de la CPI : http://www2.icc-cpi.int/menus/icc/situations%20and%20cases/situations/situation%20icc%200104/related%20cases/icc%200104%200107/democratic%20republic%20of%20the%20congo?lan=fr-FR

187 Affaire Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, ICC-01/05-01/08, Cour Pénale Internationale.

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En janvier 2011, dans un Rapport de la Commission des questions juridiques et des droitsde l’homme relatif à la protection des témoins comparaissant pour les faits commis dans lesBalkans 188, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe note les éléments suivants :

Le Tribunal Pénal International pour l'Ex-Yougoslavie (TPIY) a pu rendre justice àdes milliers de victimes en condamnant plusieurs criminels, parmi les pires, pourdes atrocités commises pendant les conflits. Le mandat du TPIY arrive bientôtà échéance et les tribunaux nationaux des pays concernés prennent le relais dece travail de justice fondamental. Pour le TPIY et les tribunaux nationaux, lesdépositions de témoins sont indispensables. En témoignant, ceux-ci contribuentde manière capitale à la justice et à la réconciliation dans la région, puisque nonseulement les tribunaux s’appuient sur leurs témoignages pour rendre leursdécisions, mais leurs dépositions révèlent aussi aux habitants de la région et àla communauté internationale la vérité sur les crimes commis. Les témoins quise présentent au nom de la vérité doivent pouvoir bénéficier d'une assistance etd’une protection fiable et durable.

L’utilisation des témoignages des victimes par le TPIY dans l’investigation des affairesdont il est saisi est pionnière. C’est un rôle tout à fait novateur qui est donné aux témoinsdans le fonctionnement du Tribunal pour l’Ex-Yougoslavie. Tandis que les procureursdes tribunaux de Nuremberg disposaient d’un grand nombre de documents attestant descrimes commis durant la Seconde Guerre Mondiale par les forces nazies, les preuvesdocumentaires disponibles pour les évènements ayant eu cours en Ex-Yougoslavie sontinsuffisantes. Les investigations sur les évènements ayant eu lieu dans le pays ont démarréen 1995-1996, pour des faits principalement commis entre mars et novembre 1992. Letémoignage des victimes et des témoins visuels est donc un outil fondamental pour établirlavérité sur les exactions commises. Toutefois, tout témoin peut être soumis au harcèlementet aux représailles. Conscient de ces risques, le TPIY note dans l’article 75.d de sonRèglement de procédure et de preuve les éléments suivants : « La Chambre assure […]le contrôle du déroulement des interrogatoires aux fins d'éviter toute forme de harcèlementou d'intimidation ». C’est ainsi un ensemble de mesures de protection des victimes et destémoins que le TPIY a mis en place afin d’assurer la sécurité des témoins, mais aussi defaciliter le travail du Tribunal.

La Section d’aide aux victimes et aux témoins, unité ad hoc de soutien, a ainsi étécréée dans l’optique de « contribuer au fonctionnement effectif du TPIY en facilitant laparution des témoins devant le Tribunal, qu'ils soient appelés par les Chambres, le Bureaudu Procureur ou la Défense ». La protection des témoins est par ailleurs directement assuréepar les Chambres qui peuvent accorder sans entremise, à la demande des parties, lesmesures de protection appropriées. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a suivi lemouvement, ainsi que la Cour pénale internationale et c’est aujourd’hui tout un système deprotection des témoins qui est effectif. S’intéresser à la protection des victimes au momentde leur témoignage devant la Cour ou devant un tribunal n’est pas anodin, puisque, commele note la CPI dans son Rapport sur la stratégie concernant les victimes : « La participation

188 La protection des témoins : pierre angulaire de la justice et de la réconciliation dans les Balkans, Rapport de la Commission desquestions juridiques et des droits de l’homme, Rapporteur : M. Jean-Charles Gardetto, Monaco, Groupe du Parti populaire européen,Doc. 12440 rev, 12 janvier 2011, Assemblée parlementaire, Conseil de l’Europe. Disponible en ligne : http://assembly.coe.int/Documents/WorkingDocs/Doc10/fdoc12440.htm

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des victimes n ’ est pas un privilège mais un véritable droit consacré par la Statut deRome »189.

Définition juridique et protection de la victime par le TPIY : une actionpionnière

Dans leur Règlement de procédure et de preuve – ci-après RPP – respectif, le TPIY, le TPIRet la CPI offrent une définition juridique de la victime. Si le TPIR et le TPIY ont une définitionsimilaire au mot près dans leurs articles 2 respectifs, celle de la CPI est toutefois différente.Ainsi, comme le stipule les règlements des deux tribunaux pénaux internationaux :

Article 2. Définitions A)Sauf incompatibilité tenant au contexte, les expressionssuivantes signifient : […] Victime : toute personne physique à l'égard de laquelleaurait été commise une infraction relevant de la compétence du Tribunal.

La Cour pénale internationale dispose quant à elle des éléments suivants dans la règle 85de son Règlement de procédure et de preuve : « Le terme "victime" s ’ entend de toutepersonne physique qui a subi un préjudice du fait de la commission d ’ un crime relevant dela compétence de la Cour »190. La règle 85 contient des dispositions notifiant que la notion devictime peut également inclure « toute organisation ou institution dont un bien consacré à lareligion, à l ’ enseignement, aux arts, aux sciences ou à la charité, un monument historique,un hôpital ou quelque autre lieu ou objet utilisé à des fins humanitaires [ayant] subi undommage direct »191.

Une attention particulière est ici portée sur le Règlement de procédure et de preuve duTPIY puisqu’il est le premier des règlements à être entré en vigueur192, le 14 mars 1994193.La première version de ce texte date du 11 février 1994, la dernière version modifiée194

du 8 décembre 2010. Le Règlement de procédure et de preuve du Tribunal pour l’Ex-Yougoslavie a été rédigé par les juges du Tribunal, puisque, comme l’établit l’article 15 duStatut du TPIY : « Les juges du Tribunal international adopteront un règlement qui régirala phase préalable à l'audience, l'audience et les recours, la recevabilité des preuves, laprotection des victimes et des témoins et d'autres questions appropriées ». L’article 22du Statut précise par ailleurs que « Le Tribunal international prévoit dans ses règles deprocédure et de preuve des mesures de protection des victimes et des témoins. Les mesuresde protection comprennent, sans y être limitées, la tenue d ’ audiences à huis clos et la

protection de l ’ identité des victimes ». Au 1er janvier 2011, les chiffres officiels du TPIYnote que plus de 4000 témoins ont comparu devant le Tribunal depuis le premier procèsen 1996195. Trois types de témoins peuvent être amenés à comparaitre : les témoins de laDéfense, de l’Accusation et des Chambres.

189 Rapport sur la stratégie concernant les victimes, ICC-ASP/8/45, 10 novembre 2009, Assemblée des États Parties, Courpénale internationale, paragraphe 45.190 Règlement de procédure et de preuve, Cour pénale internationale, Règle 85.a191 Ibid., Règle 85.b

192 Le Règlement de procédure et de preuve du TPIR est entré en vigueur le 29 juin 1995, celui de la CPI le 9 septembre 2002.193 Règlement de procédure et de preuve, Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie, Article 1.194 Version 45 du 8 décembre 2010, disponible en ligne sur le site du TPIY : http://www.icty.org/sid/136195 Statistiques relatives aux témoins disponibles en ligne sur le site du TPIY : http://www.icty.org/sid/10175

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Nombre de témoins et accompagnateurs entre 1996 et 2010Chiffres au 31 juillet 2010.Source : site officiel du TPIY, Statistiques relatives aux témoins.

Témoins de l’Accusation, de la Défense et des Chambres en 1996 et 2010.Chiffres au 31 juillet 2010.Source : site officiel du TPIY, Statistiques relatives aux témoins.

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Peu d’éléments statuant sur la protection des victimes et des témoins existaient endroit international. Les juges ont donc du utiliser les outils et les règles existants dansles juridictions nationales pour rédiger les dispositions du RPP sur la question, tout enprenant un certain recul afin d’adapter les dispositions aux évènements particuliers ayanteu lieu en Ex-Yougoslavie196. Les faits de viol jugés par le TPIY se déroulant en temps deguerre, la grande majorité des éléments contenus dans les systèmes juridiques observésétaient impertinents ou irrecevables pour les faits concernés.Le travail des juges du TPIY estremarquable en ce que les règles de procédure et de preuve qu’ils ont établies en matièrede violences sexuelles, y compris de viol, ont été grandement élargies en comparaison decelles contenues dans les systèmes juridiques internes. De plus, leur travail de rédactions’est ancré dans une véritable volonté de compromisentre les droits de l’accusé, ceux desvictimes et des témoins et le besoin, revendiqué par la communauté internationale, de punirles auteurs de crimes internationaux.

L’article 69 du RPP du Tribunal pour l’Ex-Yougoslavie dispose des éléments suivants :Article 69. Protection des victimes et des témoins A)Dans des cas exceptionnels,le Procureur peut demander à un juge ou à la Chambre depremière instanced'ordonner la non-divulgation de l'identité d'une victime ou d'untémoin pourempêcher qu'ils ne courent un danger ou des risques, et ce jusqu'aumoment oùils seront placés sous la protection du Tribunal. B)En déterminant les mesures deprotection destinées aux victimes ou témoins, le jugeou la Chambre de premièreinstance peut consulter la Section d’aide aux victimes etaux témoins. C)Sanspréjudice des dispositions de l’article 75 ci-dessous, l’identité de cette victimeoude ce témoin devra être divulguée avant le commencement du procès et dansdesdélais permettant à la défense de se préparer.

L’article 75 relatif aux mesures destinées à assurer la protection des victimes et des témoinsprévoit ainsi un certain nombre de dispositions « pour protéger la vie privée et la sécurité devictimes ou de témoins, à condition toutefois que lesdites mesures ne portent pas atteinteaux droits de l ’ accusé »197. Afin d’empêcher la divulgation de l’identité de la victime,du témoin, de personnes qui leur sont apparentées ou de leur lieu de vie au public ouaux médias, des pseudonymes peuvent être utilisés198, les voix et les photos peuvent êtreélectroniquement modifiées et les retranscriptions peuvent être éditées après la suppressionde toute référence à l’identité de la victime199. L’identité d’une victime ou d’un témoin pouvantêtre divulgués ultérieurement dans une autre affaire, le RPP précise toutefois que si desmesures de protection ont été mises en place au cours d’une affaire précédente, elles« continuent de s ’ appliquer mutatis mutandis200 dans toute autre affaire portée devantle Tribunal [ … ] ou une autre juridiction »201. L’article 79 du RPP du Tribunal pour l’Ex-

196 L’ensemble de ces éléments d’analyse est issu de l’ouvrage International criminal law and human rights, Part 4.International human rights in international criminal law, Chapter 11. Women, sexual violence and international crime : a unifyingexample, De Than Claire, London : Sweet & Maxwell, 2003.197 Règlement de procédure et de preuve, TPIY, Article 75.a198 Ibid., Article 75.b.i199 Voir graphique suivant.200 Locution latine signifiant littéralement « ce qui devait changer ayant été changé », autrement dit « une fois effectués leschangements nécessaires ». Cette expression signifie ainsi qu’une analogie sera effectuée entre les deux affaires.201 Ibid., Article 75.f.i

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Yougoslavie rappelle également que les audiences peuvent se tenir à huis clos, et cenotamment afin d’« assurer la sécurité et la protection d ’ une victime ou d ’ un témoinou pour éviter la divulgation de son identité en conformité à l ’ article 75 ci-dessus »202.Des provisions similaires sont contenues dans le Règlement de procédure et de preuve duTPIR, dans la règle 96 – protection des victimes et des témoins – et la règle 75 – mesuresdestinées à assurer la protection des victimes et des témoins.

[Moins de 1% ont été réinstallés dans un autre pays]Mesures de protection judiciaire, 1996-2010. Chiffres au 31 juillet 2010.Source : site officiel du TPIY – Statistiques relatives aux témoins.

L’ensemble des éléments contenus dans l’article 75 sont également renforcés parcertaines des dispositions contenues dans l’article 77 du RPP relatif à l’outrage au Tribunal.De la sorte, selon les paragraphes A.iv) et A.v) de cet article, est passible d’être déclarécoupable d’outrage au Tribunal toute personne qui :

iv)menace, intimide, lèse, essaie de corrompre un témoin, ou un témoin potentiel,qui dépose, a déposé ou est sur le point de déposer devant une Chambre depremière instance ou de toute autre manière fait pression sur lui ; ou v)menace,intimide, essaie de corrompre ou de toute autre manière cherche à contraindretoute autre personne, dans le but de l’empêcher de s’acquitter d’une obligationdécoulant d’une ordonnance rendue par un Juge ou une Chambre.

202 Ibid., Article 79.a.ii

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Afin d’assurer l’effectivité de la protection des victimes, une unité spéciale a été créée.Placée sous l’autorité du Greffier dans la Division des services d’appui judiciaire203, laSection d’aide aux victimes et aux témoins est opérante depuis 1995. Sa création est établiepar l’article 34 du RPP comme suit :

Article 34. Section d'aide aux victimes et aux témoins A.Il est créé auprèsdu Greffier une Section d'aide aux victimes et aux témoins, composée d'unpersonnel qualifié et chargée de : i)recommander l'adoption de mesures deprotection des victimes et des témoins conformément à l'article 22 du Statut ; ii)fournir conseils et assistance aux victimes et aux témoins, particulièrementen cas de viols et violences sexuelles. B.Il est dûment tenu compte, lors de lanomination du personnel de la Section, de la nécessité d'y employer des femmesayant une formation spécialisée.

Reconnaissant le rôle crucial des témoins dans la poursuite pénale des crimesinternationaux, le Tribunal a créé cette section afin d’apporter « un soutien logistiqueet psychologique aux témoins et prend toutes les dispositions nécessaires au respectdes mesures de protection pour que les témoins déposent en toute sécurité et dans lesmeilleures conditions possibles »204. Les membres de la Section sont sensibilisés sur letraumatisme que peut représenter un témoignage en ravivant les souvenirs d’une victime oud’un témoin visuel. C’est pourquoi elle dispose d’un personnel qualifié pour accompagnerpsychologiquement les témoins au moment de leur comparution au Tribunal.

Particulièrement sensibilisé aux traumatismes liés aux cas d’agressions à caractèresexuel, le Tribunal pour l’Ex-Yougoslavie dispose dans son RPP d’un article se rapportantspécifiquement aux victimestémoignant sur lescas de violence sexuelle. L’article 96comporte les éléments suivants :

Article 96. Administration des preuves en matière de violences sexuelles Encas de violences sexuelles : i. la corroboration du témoignage de la victime pardes témoins n'est pasrequise ; ii. le consentement ne pourra être utilisé commemoyen de défense lorsque lavictime : a)a été soumise à des actes de violenceou si elle a été contrainte, détenueou soumise à des pressions psychologiquesou si elle craignait de lessubir ou était menacée de tels actes, ou b)a estiméraisonnablement que, si elle ne se soumettait pas, une autrepourrait subir detels actes, en être menacée ou contrainte par la peur ; iii.avant que les preuvesdu consentement de la victime ne soient admises,l'accusé doit démontrer à laChambre de première instance siégeant à huis closque les moyens de preuveproduits sont pertinents et crédibles ; iv.le comportement sexuel antérieur de lavictime ne peut être invoqué commemoyen de défense.

Analysons ici plus en détail les dispositions contenues dans la règle 96205. Il est à noter quecette règle a été rédigée par les juges dans le souci de trouver un compromis acceptableentre les droits de l’accusé et de la victime. Le paragraphe ii) de la présente règle porte

203 Voir l’organigramme de l’organisation du TPIY, disponible en ligne en format PDF : www.icty.org/x/image/ABOUTimagery/Org%20charts/org_char_fr.pdf204 Tel que stipulé dans les éléments d’information sur l’aide apportée aux témoins. Site officiel du TPIY : http://www.icty.org/sid/158205 L’ensemble de ces éléments d’analyse son issus de l’ouvrage International criminal law and human rights, Part 4. Internationalhuman rights in international criminal law, Chapter 11. Women, sexual violence and international crime : a unifying example, De ThanClaire, London : Sweet & Maxwell, 2003.

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une interdiction générale de fonder une défense sur le consentement de la victime. Cettedisposition a été ainsi rédigée car le Tribunal considérait comme irrecevable le fait deparler de consentement en temps de conflit armé, la victime faisant partie intégrante despersonnes subjuguées par l’attaque. Les éléments de précision a) et b) apportés à ceparagraphe ont été introduits pour jugerl'accusésur la basede sespropres actions plutôtquesur l'existence d'une violence « généralisée » en temps de guerre. En prenant enconsidération notamment l’usage de la force, de la contrainte ou de la menace de sonemploi, le Tribunal juge les faits pour lesquels le comportement du prévenu a eu un impactdirect sur le cours des évènements.

Le paragraphe iii) stipule qu’ « avant que les preuves du consentement de la victime nesoient admises, l'accusé doit démontrer à la Chambre de première instance siégeant à huisclos que les moyens de preuve produits sont pertinents et crédibles ». De cette façon, lesjuges peuvent filtrer et juger eux-mêmes les preuves avancées par la Défense, afin d’éviterdes allégations de consentement inacceptables. Reste à savoir toutefois s’il serait possibleque ces moyens de preuve convergent vers une même conception objective, sur laquellel’ensemble des juges serait en accord. L’article ne disposant pas de précision à ce sujet, onserait tenté de penser qu’il s’agit davantage d’une conception subjective, amenant chaquejuge à estimer par lui-même si les éléments sont « pertinents et crédibles ». Une autrelacune est notable dans cette règle : comme le précise l’auteur206, il serait intéressant qu’ilsoit spécifié qu’un enfant en dessous d’un certain âge, disons 16 ans, n’est pas en mesurede formuler un consentement susceptible d’être repris par la Défense. D’autant plus que lesfaits envisagés dans les jurisprudences du TPIR et du TPIY ont été significatifs : les violsmassifs ont concerné également les enfants, notamment les fillettes.

Enfin, la provision contenue dans le paragraphe iv) de la règle 96, qui stipule : « lecomportement sexuel antérieur de la victime ne peut être invoqué comme moyen dedéfense » est très forte. Elle protège ainsi les victimes contre la détresse et l’humiliationqu’un tel examen – de leur passé – pourrait leur infliger. Dans les circonstancesexceptionnelles que représente un conflit armé international ou non international, lecomportement antérieur imputable à un individu – accusé ou victime – ne peut être pertinentpour examiner les faits concernés.

Des mesures similaires ont ainsi été envisagées par la CPI qui, à partir des fondementsjetés par les deux tribunaux internationaux spéciaux, a approfondi ce système de protection.Un véritable travail d’analyse de l’impact de ces mesures sur les populations concernéesest également fréquemment effectué par les services de la Cour.

La stratégie de la CPI concernant les victimes : un approfondissementdes dispositions mises en place par les Tribunaux spéciauxinternationaux

Le Statut de Rome de la CPI accorde également un rôle particulier aux victimes dans lesaffaires dont la Cour est saisie. La Cour s’est, bien entendu, inspirée des dispositions prisespar les Tribunaux pénaux internationaux pour l’Ex-Yougoslavie et le Rwanda. Néanmoins,sa spécificité en tant que Cour permanente à compétence universelle a permis l’instaurationde nouvelles règles de droit international, relatives à la participation et à la protectiondes victimes et des témoins. Les dispositions contenues dans le Statut de Rome, comme

206 Claire De Than in International criminal law and human rights, Part 4. International human rights in international criminallaw, Chapter 11. Women, sexual violence and international crime : a unifying example

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fondement juridique de la CPI, et dans son RPP sont donc un pas de plus dans la protectioncontre les violences sexuelles, véritable complément au travail fourni par les TPIY et leTPIR. Mais ces deux textes ne sont pas les seuls à contenir d’importantes dispositionsen la matière. Le Règlement de la Cour et le Règlement du Greffe disposent égalementd’un certain nombre de mesures visant à protéger et soutenir les victimes et les témoinsparticipant aux procédures. L’ensemble des dispositions mis en place par les organes de laCPI ne saurait être envisagé ici. Certaines d’entre elles sont toutefois significatives et serontdéveloppées ci-après.

Dans le Rapport de la Cour sur la stratégie concernant les victimes 207, l’Assemblée desÉtats Parties note les points suivants : « Une des caractéristiques essentielles du systèmemis en place par le Statut est la reconnaissance du fait que la CPI a une fonction réparatriceet pas seulement punitive. Le système reflète ainsi un consensus grandissant au niveauinternational selon lequel la participation aux procédures et les réparations jouent un rôleessentiel lorsqu’il s’agit de rendre justice aux victimes »208. L’article 68 du Statut de Romerelatif à la protection et participation au procès des victimes et des témoins prévoit différentesdispositions visant à reconnaître les droits des victimes à la justice, mais également à laparticipation et à la réparation. Bien plus encore, la rédaction de cet article s’ancre dansune perspective qualifiée de « gender sensitive ». En intégrant une dimension sensible augenre dans cette disposition, la CPI reconnaît le caractère particulier des traumatismes liésaux violences sexuelles :

Article 68. Protection et participation au procès des victimes et des témoins LaCour prend les mesures propres à protéger la sécurité, le bien-être physiqueetpsychologique, la dignité et le respect de la vie privée des victimes et destémoins.Ce faisant, elle tient compte de tous les facteurs pertinents, notammentl'âge, lesexe tel que défini à l'article 7, paragraphe 3, et l'état de santé, ainsique la naturedu crime, en particulier, mais sans s'y limiter, lorsque celui-cis'accompagne deviolences à caractère sexuel, de violences à caractère sexisteou de violences contredes enfants […].

De même, le paragraphe 2 du présent article précise que, dans le cadre de la protectiondes témoins par l’ordonnance de la procédure à huis clos et la dissimulation de l’identité,« Ces mesures sont appliquées en particulier à l'égard d'une victime de violences sexuelles[…] ». Il est également à noter que la règle 90 du RPP de la Cour relatif à la représentationlégale des victimes dispose que ces dernières peuvent choisir librement leur représentantlégal209. La possibilité de recourir à un représentant légal commun est envisageable dansle cas où plusieurs victimes comparaissent pour une même affaire. La règle précise bienque « Lorsqu’un représentant légal commun est choisi, les Chambres et le Greffe prennenttoutes les précautions raisonnables pour que les intérêts propres de chaque victime […]soient représentés et que tout conflit d’intérêts soit évité »210. Si la participation desvictimes aux audiences a débuté prudemment, elle a augmenté significativement au fil des

207 Rapport sur la stratégie concernant les victimes, ICC-ASP/8/45, 10 novembre 2009, Assemblée des États Parties, Courpénale internationale. Disponible en ligne sur le site de la CPI : http://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP8/ICC-ASP-8-45-FRA.pdf

208 Ibid., paragraphe 3209 Règlement de procédure et de preuve, Cour pénale internationale, Règle 90.1210 Ibid., Règle 90.4

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années211 : dans le procès Lubanga 212, première affaire à atteindre le stade du procèsdevant la CPI, seulement quatre victimes ont participé à l’audience de confirmation descharges. Dans l’affaire Katanga 213, dont le procès s’est ouvert quelques mois plus tard, cesont près de 350 victimes qui ont été admises et qui ont pris part activement au déroulementdu procès.

Dans son Bilan de la justice pénale internationale 214, la CPI rapporte le constat dressépar les ONG présentes sur le terrain, stipulant que « la participation active des victimes dansles procédures peuvent aider à former un lien crucial entre La Haye et les communautésaffectées, et de cultiver un "sentiment d ’ investissement dans les procédures de la CPI" »215.Aussi, à la vue de cet apport, la CPI a mis en place une Stratégie concernant les victimesdont il est intéressant de développer ici certains des six principes généraux fondateurs216.

L’Objectif 1 de la Stratégie vise tout d’abord une meilleure visibilité des travaux et dusoutien que les organes de la Cour sont en mesure d’apporter aux victimes et aux témoinscomparaissant. De plus, la Cour fait preuve d’une véritable logique d’adaptation à la volontéet aux besoins de chaque victime témoin souhaitant s’informer et/ou participer activementà l’instruction d’une affaire saisie. L’Objectif 2 vise à faciliter le dialogue entre les victimes etla Cour et à protéger celles-ci lorsqu’elle s’engage dans une démarche de comparution. LaCour peut ainsi, comme pour le TPIY, mettre en œuvre des mesures de protection – commel’expurgation des documents – et instaurer des dispositions de sécurité par l’intermédiairede l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins. La Cour rappelle également dans cet objectifla nécessité d’une coopération étroite entre la CPI et les autorités nationales concernées,selon la bonne application du principe de complémentarité. L’Objectif 3 de la Stratégie traitede la sensibilisation des services à engager une approche psychologique avec les victimes.Les organes concernés sont notamment appelés à mettre en place une approche spécifiquepour les victimes de violence à caractère sexuel, et ce notamment en s’assurant « que leurpersonnel est formé aux techniques à utiliser pour interroger des enfants et les victimes deviolences sexuelles »217. Ce même objectif précise quel type de soutien peut être apportéà ces victimes particulières, en notant qu’il est fondamental de « Recruter du personnelcompétent, possédant notamment une expérience en matière de crimes sexuels [ … ] etfournir la formation nécessaire au personnel »218. Enfin, l’Objectif 5 de la Stratégie visel’élaboration de principes relatifs aux réparations prévues par l’article 75 du Statut de Rome.Cet article est relatif à l’exercice du droit à réparation des victimes d’un crime relevant dela compétence de la CPI. La Stratégie recommande ainsi une évaluation, au cas par cas,du type de réparation adéquat et insiste de nouveau sur la nécessité de la coopération des

211 Éléments d’analyse issus du document Bilan de la justice pénale internationale, L’impact du Statut de Rome sur les victimeset les communautés affectées, RC/11, annexe V(a), Rapport final des points focaux (Chili et Finlande), Appendice III, Cour pénaleinternationale.212 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, affaire n° ICC-01/04-01/06.213 Le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, affaire n° ICC-01/04-01/07.

214 Bilan de la justice pénale internationale, L’impact du Statut de Rome sur les victimes et les communautés affectées, RC/11,annexe V(a), Rapport final des points focaux (Chili et Finlande), Appendice III, Cour pénale internationale.

215 Ibid., paragraphe 8.216 L’ensemble de ces éléments est issu du document Rapport sur la stratégie concernant les victimes, ICC-ASP/8/45, 10

novembre 2009, Assemblée des États Parties, Cour pénale internationale.217 Ibid., paragraphe 38.218 Ibid., paragraphe 42.

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Partie II : La récrimination du viol comme crime international : applications par la Cour pénaleinternationale

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États parties afin d’identifier les biens de l’accusé, pour qu’ils soient ensuite localisés, geléspuis saisis afin d’exécuter les ordonnances de réparation. Les ordonnances de réparationdonnées par la CPI peuvent ensuite être mises en place par le Fonds d ’ affectation spécialeau profit des victimes 219. Ainsi, ce Fonds a pour principale mission « [d’] insuffler la vie auxprincipes de dignité, guérison, et autonomisation des victimes en travaillant avec elles pourreconstruire leur vie »220.

La Cour note également dans son Bilan de la justice pénale internationale les obstaclesculturels qui peuvent exister et empêcher certaines victimes de participer à un procès lesconcernant. Une approche sensible à ces difficultés est préconisée, puisque sont stipulésles éléments suivants221 :

Les populations vulnérables, telles que les femmes et enfants (les survivants deviolences sexuelles en particulier), ont souvent le moins d’accès à l’informationsur la Cour parce qu’elles sont moins susceptibles de posséder des radiosou d’assister à des forums communautaires. En effet, les stratégies desensibilisation exécutées en partenariat avec des organisations locales pour lacommunauté féminine peuvent aider femmes et filles à dépasser les barrièressociales, physiques et psychologiques qui entravent souvent leur accès à la CPI.

L’article 43 du Statut de Rome dispose de la mise en place d’une Division d’aide aux victimeset aux témoins au sein du Greffe, pour protéger et soutenir les victimes amenées à témoignerdans une affaire saisie par la Cour. Il est par ailleurs précisé que « Le personnel de laDivision comprend des spécialistes de l'aide aux victimes de traumatismes, y compris detraumatismes consécutifs à des violences sexuelles »222. L’intervention d’un psychologueexpérimenté peut être envisagée afin d’informer les juges et les parties sur la manièred’interroger ces victimes considérées comme particulièrement vulnérables. Si, comme onla vu avec le TPIY, la Cour peut envisager la mise en place de mesures de protection desvictimes à long terme, la Division peut, quant à elle, instaurer ce type de dispositions defaçon immédiate. Ainsi, peuvent être mises en place des délocalisations à court terme auniveau national ou des transferts internationaux si les risques encourus par la victime voulanttémoigner sont très élevés. Elle peut également instaurer des mesures de préemption,comme ce fut le cas lors de « l ’ utilisation innovante de 20 initiatives de surveillance dequartier à Bangui, capitale de la République centrafricaine, [combinée à] l ’ assistance desforces de l ’ ordre au niveau local »223.

Ainsi, depuis sa mise en place en 2002, la CPI a instauré un véritable système deprotection et de soutien à la fois psychologique et social pour les victimes témoignant. Lajurisprudence de la CPI est également prise en considération pour améliorer à chaquefois le système de protection qui leur est offert. Ce système a été instauré pour rendreles procédures plus pertinentes pour les victimes témoins. Véritable amélioration etapprofondissement des mesures engagées par le TPIY et le TPIR, la CPI a effectué unimportant travail de sensibilisation de ses organes aux besoins spécifiques de chaque

219 La mise en place du Fonds d’affectation spéciale au profit des victimes est prévue à l’article 79§1 du Statut de Rome.220 Bilan de la justice pénale internationale, L’impact du Statut de Rome sur les victimes et les communautés affectées, RC/11,

annexe V(a), Rapport final des points focaux (Chili et Finlande), Appendice III, Cour pénale internationale, paragraphe 22.221 Ibid., paragraphe 11.

222 Statut de Rome, Cour pénale internationale, article 43.6223 Bilan de la justice pénale internationale, L’impact du Statut de Rome sur les victimes et les communautés affectées, RC/11,annexe V(a), Rapport final des points focaux (Chili et Finlande), Appendice III, Cour pénale internationale, paragraphe 15.

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victime. De plus, l’ensemble des dispositions envisagées dans cette partie montre bien quela Cour prend en compte la particularité des traumatismes liés aux expériences de violencessexuelles.S’il est impossible de réparer entièrement les pertes et les traumatismes liés à cetype de crimes internationaux, l’attention portée par la Cour sur la nécessité d’accompagnerles victimes est un pas de plus dans la protection de ces dernières.

La sensibilisation internationale au droit des victimes à réparation ne se limite pas àla CPI ou aux tribunaux spéciaux internationaux étudiés ici. L’Organisation des NationsUnies a ainsi établi en 2005 des Principes fondamentaux et directives concernant le droità un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international desdroits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire 224. Ces principesinsistent sur l’idée que les victimes doivent être traitées avec humanité, dans le respect deleurs droits fondamentaux et de leur dignité. L’ONU rappelle à cette occasion l’importancede prendre des mesures appropriées pour assurer la sécurité, le bien-être physique etpsychologique et la protection de la vie privée des victimes témoins et des membres deleur famille.

224 Pour plus d’informations sur ces principes, voir le texte disponible en ligne sur le site officiel de l’ONU : http://www2.ohchr.org/french/law/reparation.htm

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Conclusion

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Conclusion

C’est le vaste croisement des différentes jurisprudences des tribunaux internationauxétudiées supra qui fait qu’aujourd’hui les femmes bénéficient d’une véritable protectionpénale internationale contre le viol en temps de conflit armé.

Les conclusions jurisprudentielles des différentes Chambres concernées se sont ainsialimentées et renforcées au fil du temps ce qui permet aujourd’hui d’incriminer au plan pénalinternational un grand nombre de violences à caractère sexuel.

On comprend à travers cette étude que la protection pénale des victimes de violencessexuelles ne se limite pas dans le temps au seul conflit armé mais se prolonge dans lapériode post conflictuelle lors de la phase procédurale.

Le système en vigueur à la CPI – encore en cours d’évolution – doit être souligné,d’autant que le principe de protection ne se limite pas à ces deux phases.

Ainsi, la CPI effectue un travail de sensibilisation sur le terrain en amont de laphase procédurale pour rendre la protection encore plus efficace.L’information délivrée àla population sur ses droits et sur les peines encourues par les auteurs des violencessexuelles favorise une véritable prise de conscience. La Cour pénale internationale a, à ceteffet, créé une Unité de sensibilisation225 dont l’objectif est d’informer les populations descommunautés qui sont touchées par une enquête et/ou une procédure diligentée par la CPI.

Toutefois, l’effort de sensibilisation pourrait être amélioré sur le terrain auprès despopulations géographiquement isolées. Leur accès à l’information étant limité, un travail devisibilité de la CPI et de ses attributions doit y être développé. Ce sont en effet les femmeset les fillettes de ces communautés qui sont particulièrement touchées par les violencessexuelles lors des conflits.

Une partie de notre étude a également démontré l’importance de la coopération desjuridictions nationales dans la récrimination des crimes sexuels. Les juridictions des Étatsparties sont les véritables relais de la bonne application des principes de droit international.Leur engagement sans réserve est nécessaire pour permettre une réelle punition descrimes.

Ces mesures sont elles suffisantes ? Le constat est dans l’ensemble positif mais ilest intéressant de se demander quelles peuvent être les évolutions du système existant.

Aussi, allons nous étudier une proposition de Rosalind Dixon 226 qui, dans son exposé

intitulé Rape as a Crime in International Humanitarian Law : Where to from Here, développedes pistes de réflexion pour améliorer la reconnaissance internationale des victimes deviolences sexuelles. Selon l’auteur, l’importance de la reconnaissance des victimes –par la compensation et la réparation – n’est pas suffisamment reconnue par le systèmeinternational actuel. De son point de vue, le système existant n’est pas suffisant pourrépondre aux besoins thérapeutiques des victimes.

225 Pour plus d’informations, voir le site de la CPI : http://www.icc-cpi.int/Menus/ICC/Structure+of+the+Court/Outreach/226 Dixon Rosalind, Rape as a crime in international humanitarian law : where from to here ?, European journal of international

law, Volume 13, no. 3, Juin 2002, p. 697-719.

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La protection pénale internationale des femmes contre le viol en temps de conflit armé Élémentsd’analyse juridique et perspectives d’évolution

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Ainsi, elle propose l’instauration d’un Tribunal international de compensation desvictimes227. La procédure suivrait parallèlement le processus pénal d’incrimination etpermettrait la production d’une jurisprudence parallèle de "reconnaissance juridique" dela compensation et de la réparation des victimes. Cette production de jurisprudenceinternationale complèterait directement la jurisprudence pénale, afin que la dimension desbesoins particuliers des victimes de violences sexuelles soit prise en compte. Les juridictionsnationales seraient, dans ce système, un véritable relai appliquant les compensations et lesréparations attribuées aux victimes.

Le bon fonctionnement de ce système comporte cependant une limite majeure. Lesviolences sexuelles sont encore aujourd’hui très souvent rattachées à la notion "d’honneur"de la femme dans certaines acceptations nationales et/ou religieuses. Ces donnéessocioculturelles apparaissent comme un obstacle auquel une réponse internationale resteà inventer.

La question de l’usage du viol en temps de guerre est plus que jamais d’actualité : le27 juin 2011, la Cour pénale internationale a lancé un mandat d’arrêt international contre

l’homme d’État libyen Mouammar Kadhafi 228 . L’usage du viol par les forces armées pro-

khadafistes a été rapportée par les média. Toutefois, elles ne sont pas encore mentionnéesdans les charges. Doit-on y voir la preuve que, une fois de plus, les violences sexuellessont envisagées comme un "dommage collatéral " de la guerre ou que les faits ne sont pasencore avérés ?

227 Traduction non officielle : International Victims’ Compensation Tribunal (IVCT).228 Affaire Le Procureur c. Muammar Mohammed Abu Minyar Gaddafi, Saif Al-Islam Gaddafi and Abdullah Al-Senussi

, ICC-01/11-01/11.

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Bibliographie

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Périodiques

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Articles

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Répondre aux besoins des femmes affectées par les conflits armés – Un guidepratique du CICR, ICRC_001_0840, novembre 2004, Centre international de laCroix-Rouge.

Annexe au guide pratique La protection générale et la protection spécifique desfemmes dans le droit international humanitaire, ICRC_001_0840, novembre2004, Centre international de la Croix-Rouge.

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Rapport préparé par le Comité international de la Croix-Rouge, XXVIII e Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Lesfemmes et la guerre – Synthèse du document de référence « Les femmes affectéespar les conflits armés : protection et assistance », O3/IC/08, Genève, 2-6 décembre2003, Centre internationale de Croix-Rouge.

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Bilan de la justice pénale internationale – L’impact du Statut de Rome sur lesvictimes et les communautés affectées, RC/11, annexe V(a), Rapport final despoints focaux (Chili et Finlande), Appendice III, Cour pénale internationale.

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Statuts et Règlements

Statut du Tribunal spécial international pour l’Ex-Yougoslavie

Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda

Statut de la Cour pénale internationale

Règlement de procédure et de preuve du Tribunal spécial pour l’Ex-Yougoslavie

Règlement de procédure et de preuve du Tribunal spécial pour le Rwanda

Règlement de procédure et de preuve de la Cour pénale internationale

Éléments des crimes de la Cour pénale internationale

Règlement du Bureau du Procureur, Cour pénale internationale

Sites internet

L’ensemble de la jurisprudence étudiée dans ce travail est issu des différents sites quisuivent.

Site officiel du Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie :

http://www.icty.org/

Site officiel du Tribunal pénal international pour le Rwanda :

http://www.unictr.org/

Site officiel de la Cour pénale internationale :

http://www.icc-cpi.int/Menus/ICC?lan=fr-FR

Site officiel de la Cour européenne des Droits de l’Homme :

http://www.echr.coe.int/echr/Homepage_FR

Base de données HUDOC de la Cour européenne des Droits de l’Homme :

http://www.echr.coe.int/ECHR/FR/hudoc

Site de Légifrance :

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La protection pénale internationale des femmes contre le viol en temps de conflit armé Élémentsd’analyse juridique et perspectives d’évolution

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http://www.legifrance.gouv.fr/

Site de l’Observatoire international des violences sexuelles dans les conflits armés :

http://www.viol-tactique-de-guerre.org/

Site Droit et Cultures, Revue internationale interdisciplinaire :

http://droitcultures.revues.org/

Site sur le droit de la République Démocratique du Congo :

http://droitcongolais.info/

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Annexes

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Annexes

(A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiquesde Lyon)

Annexe 1. Tableau récapitulatif des différenteslégislations nationales

Source : www.viol-tactique-de- guerre .org/IMG/pdf/Comparatif_definitions_viol.pdf

Annexe 2. Loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relativeà la répression du viol et de certains attentats auxmœurs

Source : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000886767

Annexe 3. Arrêt de principe de la Cour de Cassationdu 5 septembre 1990

Source : blog.dalloz.fr/wp-content/uploads/2010/07/90-83786.pdf

Annexe 4. Loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portantadaptation du droit pénal à l ’ institution de la courpénale internationale

Source : http://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?idDocument=JORFDOLE000018942577&type=general

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La protection pénale internationale des femmes contre le viol en temps de conflit armé Élémentsd’analyse juridique et perspectives d’évolution

76 GRENERON Chloé

Annexe 5. Circulaire du secrétaire général des nationsUnies sur le respect du droit international humanitairepar les forces des Nations Unies

Source : http://www.icrc.org/fre/resources/documents/misc/5fzg69.htm

Annexe 6. Loi n°06/18 du 20 juillet 2006 modifiant etcomplétant le décret du 30 janvier 1940 portant Codepénal congolais

Source : Journal Officiel n°15 du 1er août 2006

Annexe 7. Jugement et notes d ’ observation,Jugement Songo Mboyo

Source : http://droitcongolais.info/cas_droit_penal.html

Annexe 8. Comparatif des jugements des Tribunauxpénaux internationaux

Source : Anne-Marie L.M. de Brouwer, Supranational Criminal Prosecution of SexualViolence: The ICC and the Practice of the ICTY and the ICTR, Antwerpen – Oxford:Intersentia, 2005, pp.336-337

Annexe 9. Carte – Le viol comme tactique de guerre :une réalité mondiale

Source : http://www.viol-tactique-de-guerre.org/

Abréviations

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Annexes

GRENERON Chloé 77

∙ CEDAW Convention sur l’élimination de toutes les formes de∙ discrimination à l’égard des femmes∙ CEDH Convention européenne des droits de l’homme ou Cour∙ européenne des droits de l’homme∙ CICRComité international de la Croix-Rouge∙ CPI Cour pénale internationale∙ DIH Droit international humanitaire∙ DH Droit relatif aux droits de l’Homme∙ ONUOrganisation des Nations Unies∙ RPPRèglement de procédure et de preuve∙ TPIR Tribunal pénal international pour le Rwanda∙ TPIY Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie

RésuméMots clés :

Conflits armés, Cour pénale internationale, droits de l’homme, droit internationalhumanitaire, droit pénal international, femmes, Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie, Tribunal pénal international pour le Rwanda, violences sexuelles, viol.

L’usage du viol en temps de conflits armés est une pratique courante. Bien que ayantpris une visibilité sans précédent au lendemain de la découverte des atrocités ayant eu lieusur le territoire de l’Ex-Yougoslavie, cette pratique est ancestrale. La réponse juridique àces crimes s’est développée – et continue de se développer – au fil des années.

Les travaux des deux tribunaux spéciaux internationaux pour l’Ex-Yougoslavie et leRwanda ont jeté les fondements de la protection pénale des femmes contre le viol en conflitarmé. A partir de cette base jurisprudentielle, la Cour pénale internationale a rédigé dansson Statut un grand ensemble de dispositions juridiques punissant les violences sexuelles.

Ce travail étudie les évolutions, les limites et les perspectives d’évolution de laprotection pénale des femmes contre le viol en temps de conflit armé.