LA CONSTRUCTION DU CONCEPT D’ANGLE A L’ECOLE ELEMENTAIRE...

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65 LA CONSTRUCTION DU CONCEPT D’ANGLE A L’ECOLE ELEMENTAIRE A TRAVERS LA NOTION DE CHAMP VISUEL Valérie MUNIER, Hélène MERLE IUFM de Montpellier DEVICHI Claude Université Montpellier 3 REPERES - IREM. N° 64 - juin 2006 matiques de 2002, l’accent est mis sur l’acqui- sition des connaissances spatiales par les élèves. Un des objectifs de l’enseignement de la géométrie est d’aider à la construction de l’espace chez l’enfant, et il est même annon- cé que « l’objectif principal est de permettre aux élèves d’améliorer leur « vision de l’espace » … ». De plus « Les activités du domaine géométrique 1. Introduction L’expression « enseignement de la géo- métrie » à l’école élémentaire recouvre deux champs de connaissances distincts : le champ des connaissances spatiales, nécessaires à l’enfant pour contrôler ses rapports à l’espa- ce, et celui de la géométrie proprement dite [1]. Depuis plusieurs années, et plus encore dans les nouveaux programmes de mathé- Résumé : A l’école élémentaire, malgré la polyvalence des maîtres et les incitations des programmes, les liens entre mathématiques et physique sont peu développés dans les classes. Pourtant de nombreuses situations se prêtent à une articulation entre ces deux disciplines. En particulier la géométrie permet de modéliser des situations de l’espace sensible et d’appréhender un cer- tain nombre de phénomènes physiques. Nous avons travaillé sur la construction du concept d’angle à partir de plusieurs situations issues de la physique (réflexion de la lumière, notion d’azimut, hauteur du soleil …). Le travail que nous présentons ici porte sur la notion de champ visuel en présence d’un obstacle. Nous exposons les résultats d’une expérimentation dans des classes de CE2 et de CM1, menée conjointement par des didacticiens de la physique, des mathéma- tiques et par des psychologues du développement. Nous montrons l’efficacité de la séquence éla- borée pour une première approche du concept d’angle. La comparaison des performances des élèves après enseignement montre que, contrairement aux pratiques habituelles qui introdui- sent l’angle au CM1, cet apprentissage peut démarrer avec profit dès le CE2. Ce concept, dont la difficulté a été soulignée par de nombreux auteurs, nécessite des approches multiples dans des contextes différents et un apprentissage à long terme ; les résultats obtenus permettent de proposer une progression sur l’ensemble du cycle 3. Cette étude fait partie d’un projet de deux ans financé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche dans le cadre de l’appel d’offre « école et sciences cognitives ». Ont participé à ce projet : DUSSEAU Jean-Michel, FAVRAT Jean-François, IUFM de Montpellier et BALDY René, AUBERT Florence, Université Montpellier 3.

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LA CONSTRUCTION DU CONCEPTD’ANGLE A L’ECOLE ELEMENTAIRE A TRAVERS LA NOTION DE CHAMP VISUEL

Valérie MUNIER, Hélène MERLEIUFM de Montpellier

DEVICHI ClaudeUniversité Montpellier 3

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matiques de 2002, l’accent est mis sur l’acqui-sition des connaissances spatiales par lesélèves. Un des objectifs de l’enseignement dela géométrie est d’aider à la construction del’espace chez l’enfant, et il est même annon-cé que « l’objectif principal est de permettre auxélèves d’améliorer leur « vision de l’espace » … ».De plus « Les activités du domaine géométrique

1. Introduction

L’expression « enseignement de la géo-métrie » à l’école élémentaire recouvre deuxchamps de connaissances distincts : le champdes connaissances spatiales, nécessaires àl’enfant pour contrôler ses rapports à l’espa-ce, et celui de la géométrie proprement dite[1]. Depuis plusieurs années, et plus encoredans les nouveaux programmes de mathé-

Résumé : A l’école élémentaire, malgré la polyvalence des maîtres et les incitations des programmes,les liens entre mathématiques et physique sont peu développés dans les classes. Pourtant denombreuses situations se prêtent à une articulation entre ces deux disciplines. En particulierla géométrie permet de modéliser des situations de l’espace sensible et d’appréhender un cer-tain nombre de phénomènes physiques. Nous avons travaillé sur la construction du concept d’angleà partir de plusieurs situations issues de la physique (réflexion de la lumière, notion d’azimut,hauteur du soleil …). Le travail que nous présentons ici porte sur la notion de champ visuelen présence d’un obstacle. Nous exposons les résultats d’une expérimentation dans des classesde CE2 et de CM1, menée conjointement par des didacticiens de la physique, des mathéma-tiques et par des psychologues du développement. Nous montrons l’efficacité de la séquence éla-borée pour une première approche du concept d’angle. La comparaison des performances desélèves après enseignement montre que, contrairement aux pratiques habituelles qui introdui-sent l’angle au CM1, cet apprentissage peut démarrer avec profit dès le CE2. Ce concept, dontla difficulté a été soulignée par de nombreux auteurs, nécessite des approches multiples dansdes contextes différents et un apprentissage à long terme ; les résultats obtenus permettent deproposer une progression sur l’ensemble du cycle 3.

Cette étude fait partie d’un projet de deux ans financé par leministère de l’enseignement supérieur et de la recherche dansle cadre de l’appel d’offre « école et sciences cognitives ».

Ont participé à ce projet : DUSSEAU Jean-Michel, FAVRATJean-François, IUFM de Montpellier et BALDY René, AUBERTFlorence, Université Montpellier 3.

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ne visent pas des connaissances formelles(définitions), mais des connaissances fonc-tionnelles, utiles pour résoudre des problèmesdans l’espace ordinaire ».

Or Berthelot et Salin [2] ont montré quemalgré ces intentions, une des caractéris-tiques majeures de l’enseignement actuel dela géométrie est de sous-estimer la difficultéd’acquisition des connaissances spatiales pro-prement dites. On laisse à l’élève la charge d’éta-blir les rapports adéquats entre l’espace et lesconcepts géométriques qui lui sont enseignéset qui sont censés lui donner prise sur cedomaine de réalité. Ces auteurs ont montréque, dans l’enseignement actuel, les connais-sances géométriques sont présentées de façonostensive (où nous retenons la définition del’ostension donnée par Ratsimba-Rrajhon :« donnée par l’enseignant de tous les élé-ments et relations constitutifs de la notionvisée »), c’est-à-dire qu’elles sont montréeset non construites comme des outils de réso-lution de problèmes. L’espace de travail àl’école élémentaire reste essentiellement celuide la feuille de papier et, malgré les intentionsaffichées, les élèves ne sont que rarementconfrontés à des activités de modélisation del’espace sensible. Quand elle est évoquée, laréférence à l’espace sensible ne sert en fait quede prétexte à des activités de tracé et il s’agitalors d’ostention déguisée. L’acquisition desconnaissances spatiales et géométriques et leurarticulation sont alors difficiles pour les élèveset ils ne parviennent pas ou peu à mobiliserleurs connaissances géométriques pour résoudredes problèmes dans l’espace sensible.

Face à ces constatations, il nous semblepertinent d’introduire dès l’école élémentai-re les savoirs géométriques de base comme outilspermettant de résoudre effectivement desproblèmes spatiaux et d’articuler probléma-

tique de modélisation et problématique géo-métrique. En effet la géométrie permet demodéliser de nombreuses situations de l’espa-ce sensible et d’appréhender un certain nombrede phénomènes physiques.

Cette démarche permet d’inscrire l’appren-tissage mathématique et plus particulière-ment géométrique dans une démarche scien-tifique plus globale conformément aux IO.En effet, même si les disciplines mathématiques,sciences expérimentales et technologie seconstituent au cycle 3, elles sont regroupéesdans les nouveaux programmes de 2002 dansune partie intitulée éducation scientifique,afin de permettre « d’articuler un enseignementde mathématiques exigeant avec la découver-te du champ disciplinaire des sciences expé-rimentales et de la technologie. ». L’objectif annon-cé est tout d’abord « d’amener les élèves àcomprendre ce qu’est une attitude scienti-fique et à exercer leur pensée rationnelle ». Audelà des attitudes communes visées à tra-vers ces apprentissages, on peut souligner lasimilitude des démarches à mettre en œuvreà l’école : « l’enseignement des mathématiquesest tout naturellement centré sur la résolu-tion de problèmes », et en sciences expéri-mentales et technologie les élèves doiventmettre en œuvre des démarches d’investiga-tion pour répondre aux questions productivesdégagées par la classe.

L’inscription des mathématiques dans lecadre d’une éducation scientifique large doitenfin permettre, « à travers les activités d’élu-cidation qui se développent dans le cadre dessciences expérimentales » de donner du sensaux notions mathématiques abordées : « lesconnaissances proposées sont d’autant mieuxassimilées qu’elles sont nées de questions quise sont posées à l’occasion de manipulations,d’observations, de mesures. ».

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Malgré ces incitations fortes des pro-grammes et la polyvalence des maîtres del’école élémentaire, les liens entre mathé-matiques et physique sont en pratique peu tra-vaillés dans les classes. Il nous paraît donc néces-saire de développer des travaux de didactiquepermettant de produire des séquences d’ensei-gnement inscrites dans une vision globale del’enseignement scientifique.

2. Problématique

2.1 Problématique générale

Contrairement à Sophie Gobert pourqui « faire de la géométrie à l’école consis-te à apprendre des connaissances de géométrieet apprendre que ces connaissances sontutiles pour résoudre des problèmes spa-tiaux » [3], nous avons fait le choix ici de nousappuyer sur une expérience spatiale met-tant en jeu des phénomènes physiques pourpermettre aux élèves non pas de mobilisermais de construire un concept géométriquequ’ils n’avaient jamais abordé à l’école.Nous avons choisi de travailler sur la gran-deur angle, réputée comme particulière-ment difficile. Nous avons émis l’hypothè-se que l’introduction de ce concept géométriqueà partir de situations de physique, dansl’espace sensible, pouvait permettre, outrele développement de liens entre mathéma-tiques et physique, une meilleure appro-priation de ce concept. Pour tester cettehypothèse nous avons élaboré, observé et ana-lysé plusieurs situations d’apprentissageen physique [4, 5, 6]. Elles permettent laconstruction du concept d’angle par l’élèvecomme connaissance nécessaire au contrô-le de situations spatiales, puis comme savoirde géométrie, afin que l’apprentissage pren-ne racine dans une réalité spatiale qui a dusens pour l’élève.

Ces situations d’apprentissage font inter-agir trois espaces : non seulement les espacessensible et géométrique des mathématiciens[7], mais aussi l’espace physique. Dans cet espa-ce on considère des objets conceptuels (champmagnétique, rayon lumineux, droite de visée),et les problèmes du physicien sont déjà des pro-blèmes modélisés dans un cadre théorique. Cetespace physique est donc, tout comme l’espa-ce géométrique où on manipule des objetsconceptuels (droites, angles, points, …), un espa-ce construit qui ne doit pas être confonduavec l’espace sensible [7].

Les élèves ont à réaliser une doublemodélisation, de l’espace sensible à l’espacephysique, puis à l’espace géométrique. C’estdonc bien, comme pour Sophie Gobert, une« géométrie comme modèle de l’espace » quiconstitue le cadre de notre travail [3], tou-tefois notre spécificité est d’avoir choisi uncadre pluridisciplinaire, avec pour doubleobjectif de construire de nouveaux savoirs phy-siques et mathématiques. Dans chacune desséquences que nous avons élaborées, laconceptualisation de l’angle dans l’espaceréel est nécessaire, l’identification de la per-tinence de cette grandeur étant laissée à lacharge des élèves. Dans ces situations « gran-deur nature », les enfants manipulent dansla cour puis dans la classe, et ils sont ame-nés à modéliser la situation. Les activités decomparaison et/ou de reproduction des anglessont induites par la situation et apparaissentaux élèves comme nécessaires ; elles pren-nent ainsi du sens pour eux.

2.2 Questions liées aux difficultés des élèves et à la durée des apprentissages

Les difficultés des élèves face au conceptd’angle sont nombreuses. Plusieurs recherches[8, 9, 10] ont pointé l’existence d’une concep-

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tion erronée, résistant à l’enseignement clas-sique : l’angle est perçu comme la donnée dedeux segments ayant une extrémité commu-ne et des supports distincts. Avec une telleconception, deux figures qui ne diffèrent quepar la longueur des segments qui les consti-tuent apparaissent comme représentant desangles différents, la grandeur d’un angle sem-blant dépendre de la longueur des segmentstracés. Par exemple pour les élèves les deuxangles ci-dessous ne sont pas égaux :

On peut penser que ces difficultés sont liéesaux relations que font les élèves entre figuresgéométriques et concepts. Charalambos [11]souligne que les figures géométriques sontdes instruments nécessaires à la compré-hension des concepts géométriques et, qu’à cetitre, elles jouent un rôle important dansl’enseignement de la géométrie. Si elles pos-sèdent certaines propriétés d’un concept (idéa-lité, abstraction, perfection, universalité) ellesont aussi des propriétés figuratives (au senspiagétien du terme) que ne possèdent pas lesconcepts, mais qui peuvent avoir un fortimpact visuel, comme c’est le cas ci-dessus :les élèves semblent comparer les zones del’espace limitées par les segments tracés et paspar les demi-droites que ces segments sont sen-sés représenter.

De plus les élèves ont du mal à donner dusens au concept d’angle quand il n’est pasprésenté sous sa forme primitive, scolaire, età le reconnaître comme sous-figure d’uneautre figure.

Les séquences que nous avons expéri-mentées ont été conçues pour invalider laconception de l’angle comme paire de seg-ments car elles mettent toutes en jeu l’idée dedirection, ce qui devrait permettre aux élèvesde prendre conscience et de vérifier expéri-mentalement que l’angle ne dépend pas de lalongueur des côtés.

Berthelot et Salin [9] ont émis l’hypo-thèse que l’obstacle lié à la longueur des côtésétait d’origine didactique. Il peut aussi s’agird’une représentation issue de la vie couran-te, l’angle d’une pièce, d’une table, etc., c’est-à-dire « le coin d’un objet ». Cela rejoint uneconception erronée de l’angle soulignée par L.Vadcard : l’angle comme un coin attaché à unefigure [12].

Pour notre part nous pensons que cettedifficulté peut avoir une autre origine, l’intro-duction qui est faite de l’angle droit au cycle2. En effet au cycle 2, les élèves doivent s’ini-tier à l’organisation de l’espace, reconnaîtrequelques figures géométriques simples etmettre au point des techniques de repérage,de reproduction et de construction. Cela néces-site l’utilisation d’un gabarit d’angle droit.L’étude de plusieurs manuels montre quel’approche des angles en cycle 2 se limitepresque exclusivement à la description de latechnique de fabrication d’un gabarit d’angledroit, par double pliage d’une feuille de papier,et à l’utilisation de ce gabarit pour identifierdes angles droits. Ce premier contact avec leterme d’angle, sans travail explicite sur l’idéed’écartement, risque d’enraciner chez lesélèves la représentation erronée de l’anglecomme coin attaché à une figure. Cette repré-sentation pourra fonctionner plusieurs annéesavant d’être mise en défaut, ce qui peut doncla rendre d’autant plus difficile à déstabiliser.Il serait intéressant de réfléchir aux raisons

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qui conduisent à ce choix d’introduire l’angledroit un à deux ans avant que les programmesne fassent apparaître explicitement la notiond’angle. On peut noter que dans de vieuxmanuels de mathématiques de cours moyen[13] l’angle est défini dans une première leçon,et l’angle droit n’est introduit que quelques leçonsplus tard. Pourquoi cette inversion ? Est-il troptôt, d’un point de vue développemental, pourintroduire le concept d’angle en fin de cycle2, et si c’est le cas est-il réellement nécessai-re d’introduire l’angle droit à un moment oùles enfants ne peuvent pas encore construirele concept d’angle ?

Une analyse de manuels actuels et des pra-tiques courantes des enseignants montre quele plus souvent l’angle est introduit en CM1,voire au CM2, rarement au CE2. Or de nom-breux travaux montrent la nécessité d’un tra-vail à long terme sur ce concept difficile. Mit-chelmore et White ont proposé des activitéspédagogiques qui confrontent les élèves à unegamme large d’expériences relatives au conceptet au mot « angle » [10]. Malgré le nombre impor-tant de séances (15) ces auteurs montrentque le concept de l’angle construit ainsi parles enfants n’est pas encore général. Les tra-vaux de Douek [14], qui permettent la construc-tion du concept de hauteur angulaire du Soleil,nécessitent eux aussi un apprentissage trèslong. Nous avons choisi de tenir compte descontraintes de l’école élémentaire et de nepas proposer de séquences d’une durée supé-rieure à 4 ou 5 séances, ce qui correspond àune durée acceptable pour les enseignants.Toutefois les travaux précédemment citésmontrent la nécessité d’un travail à longterme. Cela nous amène à envisager, plutôtqu’une séquence très longue, un apprentissagequi démarrerait dès le CE2 et serait repris dansdes contextes différents en CM1 et CM2. Celapose le problème de savoir si les élèves de CE2

peuvent accéder à ce concept ou s’il est troptôt d’un point de vue développemental. Afind’apporter des éléments de réponse à cette ques-tion et de voir dans quelle mesure les élèvessont capables de construire le concept d’angleen fonction de leur âge, nous avons fait lechoix d’expérimenter une même séquence enCE2 et en CM1.

3. Compte-rendu des activités réalisées dans les classes

3.1 Situation proposée

La situation que nous présentons ici estbasée sur la notion de champ visuel. Lesélèves sont amenés à se poser le problème sui-vant : « que peut-on voir quand on est devantun obstacle ? ». La situation vécue par lesélèves se situe dans l’espace, mais la modéli-sation effectuée ne prend en compte que la pro-jection sur le plan horizontal, l’analyse com-plète en 3 dimensions étant trop complexe àl’école élémentaire.

Les élèves formulent alors des hypothèsessur la forme de la zone cachée au sol, puisconstruisent une expérience permettant de lestester. Cette expérimentation doit leur per-mettre de construire le concept d’angle commelimitant, ici, la zone cachée pour un observateursitué devant un écran.

Pour concevoir l’espace non visible pourcet observateur, l’enfant doit mobiliser lanotion de droite de visée, qui s’appuie sur leconcept de propagation rectiligne de la lumiè-re. A cet âge, le modèle de référence est sou-vent celui d’un rayon indéterminé issu del’œil [15], mais le sens de propagation n’inter-venant pas dans le problème qui nous préoc-cupe, nous en ferons abstraction. Même si lanotion de champ visuel ne figure pas explici-

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tement dans les programmes de cycle 3, elleest nécessaire pour pouvoir appréhender cer-tains phénomènes astronomiques, et des dif-ficultés liées au concept de champ visuel ontété mises en évidence dans des travaux surl’enseignement de l’astronomie à l’école élé-mentaire [16]. Ces travaux ont montré qu’untiers seulement des enfants de cycle 3 déter-minent correctement un champ visuel avantapprentissage. Il est donc nécessaire de tra-vailler explicitement les notions de droite devisée et de champ visuel avant d’aborderl’étude des phénomènes astronomiques. La situa-tion présentée ici vise au départ la construc-tion du concept d’angle, mais elle doit égale-ment permettre aux élèves de construire et/oude consolider ces notions.

3.2 Remarques méthodologiques

La séquence « champ visuel » que nous pré-sentons a été expérimentée dans quatreclasses de cycle 3, de niveau scolaire moyen,n’ayant encore jamais étudié les angles : deuxclasses de CE2 et deux classes de CM1 (classesdes écoles Sibelius, Pottier et Condorcet de Mont-pellier, 2004). Les maîtres ont eux-mêmesanimé les séances, que nous avions préparéesen détail et que nous avons filmées.

Nous disposons, pour analyser l’impact decette séquence, d’évaluations réalisées pardes psychologues du développement cognitif,sous forme d’entretiens d’une dizaine deminutes avant et un mois après la fin de laséquence, ainsi que d’évaluations écrites réa-lisées par des didacticiens en fin de séquen-ce. Le corpus analysé par les didacticiensconcerne la totalité des élèves de chaque clas-se présents aux évaluations (42 et 45 élèvesde CE2, 47 et 48 de CM1). Pour l’évaluationréalisée par les psychologues du développe-ment, nous ne prenons en compte que les

élèves présents lors des bilans initiaux etfinaux, ce qui ramène les effectifs à 36 élèvesde CE2 et 36 de CM1. Etant donné la varia-bilité de ces effectifs ils seront systémati-quement rappelés entre parenthèses dans laprésentation et l’analyse des résultats.

En raison des effectifs relativement faiblesdes populations étudiées, les pourcentagesétablis n’ont qu’une valeur indicative facili-tant la comparaison.

3. 3 Description de la séquence

Deux « versions » de la séquence ont ététestées, une dans un CE2 et un CM1, l’autredans les deux autres classes. Les différencesentre ces deux versions sont faibles et limi-tées aux séances 2 et 3. Notre objectif icin’étant pas de comparer ces deux versions, nousne détaillerons pas les résultats de chaque clas-se mais nous les regrouperons par niveau.

1ère séance : Dévolution du problèmeet formulation d’hypothèses.

La première séance a pour objectif desensibiliser les élèves à la notion de champvisuel. Pour introduire la situation, les maîtresdistribuent un schéma représentant la sortied’une école, dans lequel des enfants sont endanger car ils vont traverser la rue alorsqu’ils ne sont pas visibles d’un véhicule quidouble un bus en stationnement.

Les élèves doivent analyser cette situa-tion. Les avis sont différents : certains pen-sent qu’en effet les enfants qui s’apprêtent àtraverser ne sont pas visibles par le chauffeurdu véhicule, mais tous ne sont pas du mêmeavis. Un débat s’engage et aboutit à la for-mulation du problème : « que voit-on quandon a un obstacle devant les yeux ?».

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L’introduction du questionnement à tra-vers une situation de prévention routièrepermet bien la dévolution du problème et lesmaîtres posent ensuite aux élèves l’exercice1, après une discussion collective qui per-met de s’assurer que les élèves compren-nent bien cette schématisation « vue de des-sus ». On obtient principalement trois typesde réponses.

Les différentes réponses sont affichées :si certains élèves répondent correctement,d’autres considèrent qu’on ne voit pas la bandeperpendiculaire à l’écran (solution «bande»),et enfin certains tracent des limites recti-lignes obliques passant par les bords de l’écranmais ne passant pas par l’observateur (solu-tion «obliques.»). Un débat est organisé. Lesélèves proposent rapidement une vérification

Exercice 1 réponse correcte « bande » « obliques »

Un enfant est derrière un écran,colorie la zone qu’il ne peut pas voir.

Ecran

Enfant• • •

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expérimentale pour tester les différenteshypothèses.

2ème séance : Expérimentation dans la cour, détermination des limites de la zone visible.

On positionne dans la cour un écranopaque et une chaise sur laquelle s’assoit unobservateur. Les autres élèves se position-nent d’abord de l’autre côté de l’écran de façonà ne pas être visibles par l’observateur. Ils sedéplacent ensuite jusqu’à la limite de la zonevisible en s’arrêtant au signal de l’observateur,et placent une quille sur cette limite (photo 1).

Lors de la mise en commun qui suit, lesélèves remarquent que ces quilles sont alignéeset le vérifient à l’aide d’une corde tendue(photo 2). Ils notent aussi que les droites sont« obliques » ou « en diagonale » ce qui leur per-met d’éliminer l’hypothèse « bande ». On leurdemande ensuite si on aurait pu prévoir la posi-tion des quilles, quelques élèves rappellentl’hypothèse selon laquelle les limites passentpar l’observateur, ce qu’ils vérifient expéri-mentalement à l’aide de la corde. Ils réalisentensuite la même activité avec des cordes detailles différentes puis, dans certaines classes,en modifiant la position de l’observateur, touten restant sur la « médiatrice » de l’écran(photo 3).

A la suite de cette expérimentation, lesélèves dégagent donc les points suivants : leslimites de la zone cachée sont des demi-droites,obliques, passant par les bords de l’écran etpar l’observateur, et que l’on peut prolonger« autant qu’on veut ».

De retour en classe les maîtres propo-sent l’exercice ci-contre permettant de sché-matiser la série d’expériences (pour ceux qui

Photo 1

Photo 2

Photo 3

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ont modifié la position de l’observateur). Pourles autres élèves un exercice analogue estproposé avec trois cases de taille différente maisla même position de l’observateur.

3ème séance : Emergence du conceptd’angle comme limitant la zone cachée. Elaboration de techniques permettant decomparer des angles.

Les maîtres affichent des agrandisse-ments des schémas réalisés à la fin de laséance précédente et demandent si la zonecachée est la même partout, ou si elle plus gran-de ou plus petite et dans quels cas.

Pour les deux schémas correspondant àla même position de l’observateur, certains élèvespensent que la zone cachée est la même, maistous ne sont pas d’accord : pour certains, lefait que la zone coloriée soit plus grandeentraîne que la zone cachée est plus grande.Après une discussion collective qui ne permetpas de conclure, les maîtres distribuent àchaque élève les schémas des expériences,puis leur demandent de rechercher une tech-nique permettant de comparer les zonescachées. Après une longue phase de tâtonnementles élèves se mettent d’accord sur le fait queles zones cachées sont les mêmes car on peut

les superposer (découpage ou papier calque),quelle que soit la longueur des côtés dessinés.Les maîtres demandent ensuite par quoi estdélimitée cette zone cachée. Les élèves par-lent rapidement de « triangles », ou de « V »,puis les maîtres leur indiquent qu’on appel-le cela un angle. Les élèves concluent donc quec’est un angle qui délimite la zone cachée(hormis le petit triangle devant) et qu’il estle même pour une position donnée de l’obser-vateur, même si les côtés ont des longueursdifférentes.

Pour les deux classes ayant modifié la posi-tion de l’observateur la discussion se poursuitsur la comparaison des deux derniers schémas.Par superposition les élèves concluent quela zone cachée est plus grande quand l’obser-vateur se rapproche de l’écran et plus petitequand il s’en éloigne et les maîtres font ver-baliser cette conclusion en termes d’angles.

4ème séance : Séance de mathématiquessur les angles et exercices d’application.

A l’occasion d’un rappel, les maîtres intro-duisent du vocabulaire : la zone cachée est déli-mitée par un angle dont le sommet est l’obser-vateur et dont les côtés passent par les bordsde l’écran.

Colorie sur ces 4 schémas la zone cachée.

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En prolongement du travail de comparaisonréalisé la fois précédente, les maîtres distri-buent un exercice de reproduction d’angle etdemandent aux élèves d’élaborer d’autrestechniques permettant de comparer et dereproduire des angles. Après quelques diffi-cultés manipulatoires, ils parviennent à réa-liser des gabarits par pliage.Les maîtres demandent ensuite de réfléchirà un instrument plus pratique que les gaba-rits pour comparer et reproduire des angles.Dans certaines classes les élèves proposent d’uti-liser des ciseaux, en posant les deux lames àplat sur les côtés de l’angle, dans d’autres ilsne parviennent pas à imaginer un tel ins-trument. Dans tous les cas les maîtres intro-duisent alors une fausse équerre (deux bandesde carton étroites reliées par une attacheparisienne) qu’ils utilisent ensuite pour intro-duire du vocabulaire (angle aigu-1, droit-2, obtus-3) et soulever des discussions au sujetde différents points problématiques. Lors-qu’en l’écartant ils arrivent à l’angle plat (4),certains élèves pensent que là il n’y a plusd’angle. Une discussion collective permetd’aboutir à la conclusion qu’il y a toujoursun angle qu’on appelle l’angle plat. Lorsqu’ilsdépassent 180° (5) certains élèves considèrentque l’angle est passé en bas ce qui permet delancer une discussion et d’aboutir à l’idée quepour deux demi-droites il y a deux angles, un« ouvert » et un « fermé » (les angles rentrantet saillant).

Ces débats se font avec peu d’interventionsdes maîtres, les enfants sont très actifs au cours

de ces phases et s’impliquent beaucoup. Cettediscussion aboutit à la nécessité du marqua-ge des angles pour savoir celui qui nous inté-resse. Les maîtres reviennent alors sur lasituation de départ : l’angle «fermé» délimi-te la zone qu’on ne voit pas (hormis le petittriangle devant) et l’angle « ouvert » tout cequ’on peut voir de l’endroit où on est, enregardant dans toutes les directions.

4. Evaluations

Rappelons que ces évaluations ont étéréalisées par les psychologues sous formed’entretiens avant et après la séquence etpar les didacticiens en fin de séquence sousforme écrite. Elles ont pour but de tester l’effi-cacité de la séquence didactique et de voir s’ilest pertinent de mettre en place cette séquen-ce dès le CE2, à travers l’analyse et la com-paraison des performances respectives desélèves de CE2 et de CM1.

4. 1 Résultats des épreuves écrites en classe

Les objectifs des différents exercicessont multiples. Pour chaque niveau nousvoulons d’une part tester les acquis desélèves sur le concept d’angle et voir s’ilssont capables de réinvestir leurs connaissancesdans des situations de géométrie différentes; en particulier nous voulons savoir s’ilssont capables de reconnaître des anglesdans une figure fermée (triangle, pentago-ne), ce qui n’a pas été fait en classe (nous dési-gnerons ces premiers exercices par « exer-cices de mathématiques »). D’autre partnous souhaitons déterminer dans quellemesure les enfants ont construit le conceptde champ visuel (exercices spécifiques à lasituation). Enfin nous cherchons à savoir s’ilsparviennent à réinvestir leurs connaissancessur l’angle dans une situation physique

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autre que celle à laquelle ils ont été confron-tés (exercice de transfert).

Exercices de mathématiques

Les trois premiers sont des exercices« classiques » de mathématiques qui ont étéchoisis ou construits pour pouvoir comparerles résultats de nos élèves avec ceux de Close[17] et de Berthelot et Salin [9], ces derniersrésultats concernant des élèves ayant vécu unesituation a-didactique visant l’acquisition duconcept d’angle (le jeu du « géométri-scrabble »).

Il s’agit dans tous les cas de comparerdes angles. Les élèves disposent pour cela depapier calque, de brouillon pour réaliser desgabarits et de fausses équerres. Ils peuventutiliser le matériel et la technique de leurchoix.

Les deux premiers sont tirés de l’articlede Berthelot et Salin [9]. Il s’agit dans ces exer-cices d’identifier des angles égaux dans desfigures (triangles et pentagone). Aucune desréponses ne peut être donnée à l’œil car lesmesures des angles concernés sont proches.Les côtés des angles égaux sont de longueursdifférentes, alors que ceux des angles dont ladifférence de mesure est environ de 5 degréssont de même longueur.

Pour ces exercices les résultats donnés parBerthelot et Salin sont une moyenne des deuxitem pour chaque exercice, nous faisons de mêmeci-dessous pour faciliter la comparaison.

Les pourcentages de bonnes réponsesque nous obtenons pour ces deux premiersexercices sont inférieurs à ceux de Berthe-lot et Salin, surtout dans le cas des anglestrès voisins (item 2 de chaque exercice : R est

Triangle 1

Triangle 2

Y a-t-il dans le triangle 2 un angleégal à l’angle Q du triangle 1 ? Si ouilequel ?

Y a-t-il dans le triangle 1 un angleégal à l’angle T du triangle 2 ? Si ouilequel ?

Angles dans une CE2 CM1 B&Sfigure fermée (CM2)

Exercice 1 57 % 69 % 85 %(ci-dessus)Sans prise en compte 64 % 77 %des erreurs duesà la précision

Exercice 2 53 % 69 % 90 %(pentagone)Sans prise en compte 85 % 86 %des erreurs duesà la précision

Pourcentages de réussite

P

Q

R

T

U

S

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voisin de T pour les triangles par exemple,cf. figure précédente).

Deux raisons peuvent expliquer cela.D’une part des effets de contrat, certainsélèves cherchant à tout prix à trouver unangle égal et sélectionnant par défaut le plusproche. D’autre part nous avons observé queles élèves ne mettent pas en œuvre des pro-cédures très précises : ils utilisent souvent uncalque ou un gabarit aux côtés trop courts, ouils ne maintiennent pas assez fermement lescôtés de la fausse équerre, qui prend du jeuet ne permet donc plus des comparaisons pré-cises. Il serait donc nécessaire, au cours desséances, d’insister davantage sur le besoin deprécision et d’introduire, au cours de la der-nière séance, des exercices d’application met-tant en défaut les procédures imprécises. Deplus les élèves sont plus jeunes que ceux deBerthelot et Salin [9], donc moins habilesmanuellement. Si on ne tient pas compte desproblèmes de précision pour ces item (parexemple en considérant la réponse R commecorrecte pour les triangles), on obtient pources exercices des résultats du même ordreque Berthelot et Salin pour les CM1, desrésultats légèrement inférieurs pour les CE2,alors que Berthelot et Salin ont expérimen-té avec des CM2.

Le troisième exercice est aussi tiréde l’article de Berthelot et Salin et com-plété par un item supplémentaire. Lesélèves ont à comparer 8 paires d’angles.Les configurations ont été choisies pourobserver dans quelle mesure les élèvessont capables d’éviter certains pièges et

ont pu dépasser les obstacles cités précé-demment.

Dans cet exercice, sur les 8 item propo-sés, 6 permettent de contrôler si les élèves conçoi-vent la taille des angles comme indépendan-te de celle de leurs côtés, et s’ils sont capablesde donner du sens à la relation « sêtre plusgrand que » entre deux angles de même natu-re. Les deux autres item proposent la com-paraison d’un angle saillant et d’un anglerentrant dont la somme est égale à 360 degrés,l’angle saillant étant une fois aigu une fois obtus.

Sur chaque paire d’angles écris le nom duplus grand ou écris « ils sont égaux »

AB BDAC BCCD CDGH EF

CE2 CM1 Berthelot et Salin (CM2)

Angles de même Entre 52 et 87 % Entre 58 et 88 % Entre 76 et 93 % la 1ère annéenature entre 74 et 87 % la 2nde année

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Pour ce qui est de la comparaison d’anglesde même nature, nos résultats sont là enco-re inférieurs, mais dans chaque classe le pour-centage le plus faible concerne une paired’angles voisins, ce qui rejoint le problème deprécision évoqué précédemment.

Ce sont les item « Comparaison d’un anglesaillant et d’un angle rentrant dont la sommeest égale à 360 degrés » qui posent tradi-tionnellement le plus de problèmes.

Il s’agit de questions difficiles et les élèvesont des résultats supérieurs à ceux de Berthelotet Salin et Close, ce qui montre que les séancesproposées permettent une certaine appro-priation des angles saillants et rentrants,même si ce n’est pas le cas pour tous lesenfants.

Le quatrième exercice fait partie de l’éva-luation EVAPM6 1987 réalisée en fin de sixiè-me. Nos élèves avaient pour consigne dereproduire un angle donné, avec la techniquede leur choix (calque, gabarit ou fausse équer-re), alors qu’en fin de sixième les enfantsdevaient vraisemblablement utiliser un rap-porteur.

Le pourcentage d’élèves capables de repro-duire un angle en fin de sixième est de 70 %.Nous obtenons 83 % de tracés parfaits enCE2, et 87 % en CM1, donc des résultatssupérieurs, bien que les enfants soient plusjeunes de deux ou trois ans.

Nous avons enfin confronté les élèves àune tâche de production d’angles. Les

élèves devaient tout d’abord dessiner un anglepuis en dessiner un différent. 89 % des élèvesde CE2 et 96 % des CM1 dessinent un anglesous sa forme prototypique. Les rares élèvesqui échouent dessinent une figure géométrique,fermée ou non, un seul dessine un segment.Cette tâche est donc globalement bien réus-sie. Parmi les élèves qui ont réussi à dessinerun angle, 68 % des élèves de CE2 et 58 % desCM1 parviennent à en dessiner un différent,c’est-à-dire qu’ils identifient comme perti-nent l’écartement entre les côtés dans la taillede l’angle. Parmi ceux qui se trompent l’erreurla plus fréquente consiste à dessiner le mêmeangle avec une orientation différente.

Exercices spécifiques à la situation

A la question « que devient la zone cachéequand l’enfant avance vers l’écran, quand ilrecule ou si l’écran est plus grand ? », 60 % desélèves répondent correctement à chacune destrois questions, en CE2 et en CM1, et 69 % setrompent uniquement quand on fait varier lataille de l’écran en CE2, 71 % en CM1. Unelarge majorité des élèves est donc capable, àl’issue de cette séquence, de maîtriser la rela-tion fonctionnelle entre la position de l’obser-vateur sur la médiatrice et l’angle d’ouverturedu champ.

Dans un autre exercice il s’agit de savoiroù il est préférable de placer un passage pro-tégé pour que des enfants puissent traverserune rue sans danger malgré la présence d’unobstacle visuel. En CE2, 16 élèves sur 42choisissent le bon schéma (2) et expliquent cor-rectement leur réponse (page suivante).

CE2 CM1 Berthelot et Salin (CM2) Close

Angles de natures 40 % 46 % 27 % 33 %différentes

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Onze autres élèves choisissent aussi ce sché-ma mais ne justifient pas leur réponse oudonnent des explications difficiles à inter-préter.

Pour les CM1, 33 élèves sur 47 choisissentle bon schéma, 16 d’entre eux justifiant clai-rement leur choix.

Exercices de transfert

Nous avons présenté aux élèves la des-cription d’une autre situation, qu’ils n’avaientpas étudiée en classe, dans laquelle la gran-deur pertinente est l’angle.

On décrit aux élèves une expérience réa-lisée par des enfants qui souhaitent repérerla position du Soleil dans le ciel. On leur pro-pose les schémas de deux relevés d’ombreréalisés à la même heure avec des bâtonsverticaux (gnomons) de tailles différentes.On leur demande ensuite ce qui est différentet ce qui est pareil dans ces schémas, puis onleur propose un schéma incomplet à terminer,avec un bâton de taille encore différente, pourlequel seuls le sol et le bâton sont dessinés.

Pour tracer l’ombre sur ce schéma il fautidentifier l’égalité des angles entre le sol et lesrayons solaires dans les deux premiers sché-mas, réaliser un gabarit suffisamment grandde cet angle puis le faire coulisser parallèle-ment au sol sur le dernier schéma pour quele second côté passe par l’extrémité du gno-mon. Il s’agit donc d’une tâche très complexepour des élèves de cet âge. Cette situation apar ailleurs été « réellement » mise en œuvredans plusieurs autres classes et nous avonsmis en évidence les difficultés des élèves à iden-tifier l’égalité des angles dans les premiers sché-mas, alors même qu’ils avaient eux-mêmes réa-lisé puis schématisé l’expérience [18].

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Seuls 3 élèves sur 45 au CE2 et 10 sur 48au CM1 réalisent parfaitement cet exercice,c’est-à-dire remarquent l’égalité des angles entrele rayon de Soleil dessiné et le sol et réalisentun tracé parfait. Cependant 11 élèves sur 45en CE2 et 11 sur 48 en CM1 réussissent unepartie de la tâche, c’est-à-dire remarquentl’égalité des angles mais se trompent dans lestracés ou ne formulent pas l’égalité des anglesmais réalisent des tracés parfaits pouvantdifficilement être attribués au hasard.

4. 2 Résultats des évaluations des psychologues avant et après les séquences

Nous analysons ici les réponses des élèvesà trois des questions posées lors des entretiens :

les élèves étaient invités à dessiner un anglesur une feuille A4, à en dessiner un différentpuis à identifier des angles dans la figure dePiaget, Inhelder et Szeminska ci-dessous [19],en les coloriant.

Figure 1

Les réponses ont été catégorisées et lesrésultats figurent dans les tableaux 1, 2 et 3.

Catégories Exemples CE2 (36) CE2 (36) CM1 (36) CM1 (36)bilan initial bilan final bilan initial bilan final

Angle (A) 19 20 15 28

Figure 9 12 15 6géom. (FG)

Ligne (L) 2 3 3 2

Pas de rép. (N) “je ne sais pas” 6 1 3 0

Tableau 1 : Catégories, exemples de dessins d’élèves et résultats pour la tâche de dessin d’un angle.

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Si au CE2 on constate peu de différenceentre les deux bilans pour ce qui est des tra-cés corrects, et en particulier une adhésion quireste forte à la figure géométrique, au CM1en revanche les progrès sont nettement plusimportants.

En ce qui concerne le dessin d’un angledifférent nous n’avons pris en compte que lesélèves capables de dessiner un angle. Dans lesdeux niveaux, on constate qu’à l’issue desséquences, malgré un progrès important, par-ticulièrement au CM1, seule la moitié desélèves capables de dessiner un angle estcapable d’en dessiner un différent, la plupartdes autres dessinant le même angle orientédifféremment.

Certains de ces résultats diffèrent deceux obtenus pour les mêmes tâches lors desévaluations écrites posées par les didacti-ciens à l’issue des séquences. En effet pour latâche de production 89 % des élèves de CE2et 96 % des CM1 parvenaient à dessiner unangle, au lieu de 56 et 78 % ici.

Lorsqu’il s’agit de dessiner un angle dif-férent les pourcentages de réussite diffèrentlà encore selon le contexte d’interrogation : parmi

les élèves qui ont réussi à dessiner un angle,68 % des élèves de CE2 et 58 % des CM1 par-viennent à en dessiner un différent lors desévaluations écrites, et 50 % dans les deuxniveaux lors des entretiens individuels. La dif-férence est encore plus nette si on se réfère àl’ensemble des élèves. Les élèves capables dedessiner un angle puis un angle différentsont 28 % au CE2 et 39 % au CM1 lors des entre-tiens, et 60 % et 56 % lors des évaluations écrites.On peut penser que certains élèves ne sont pasencore capables, après enseignement, de mobi-liser les connaissances géométriques nouvel-lement « acquises » hors du contexte scolai-re, ce qui montre que le concept d’angle estencore en cours de construction. Il peut aussis’agir d’une difficulté à s’exprimer lors d’unentretien individuel. Cela incite donc à unecertaine prudence lors de l’analyse des diversesévaluations et montre l’intérêt d’un regard croi-sé didactico-psychologique sur les perfor-mances des élèves.

On constate tout de même des similari-tés malgré les contextes d’interrogation dif-férents : que ce soit lors des évaluations écritesou lors des entretiens, l’erreur la plus fré-quente consiste à dessiner le même angleavec une orientation différente.

Catégories CE2 (19) CE2 (20) CM1 (15) CM1 (28)bilan initial bilan final bilan initial bilan final

Réponse correcte 7 10 6 14

Dessinent le même angle 8 8 3 8orienté différemment

Autre 3 1 4 4

Pas de réponse 1 1 2 2

Tableau 2 : Catégories et résultats pour la tâche de dessin d’un angle différent.

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Le tableau 3 ci-dessus rassemble les résul-tats obtenus dans la tâche d’identificationdes angles dans la figure de Piaget (figure 1).

Ce tableau montre un net progrès dansla tâche d’identification, particulièrement auCE2. Autre fait notable, les pourcentagesd’élèves capables d’identifier au moins unangle sont quasiment identiques en CE2 et enCM1 à l’issue des séquences. Par contre lesélèves de CM1 parviennent davantage à iden-tifier l’angle obtus.

5. Conclusion

En ce qui concerne l’efficacité globale dela séquence, les résultats des trois premiersexercices de mathématiques ne sont que fai-blement inférieurs à ceux de Berthelot etSalin [9] et Close [17] si on néglige les erreursliées à la précision, bien que les élèves soientplus jeunes d’un ou deux ans, et ils leur sontlégèrement supérieurs pour ce qui est desangles rentrants et saillants.

Les deux exercices spécifiques à la situa-tion montrent que la majorité des élèves (envi-ron les deux-tiers) a acquis les connaissances

spatiales et géométriques permettant la maî-trise de la situation à laquelle ils ont étéconfrontés.

L’épreuve de transfert quant à elle montredes résultats plus faibles mais tout de mêmeencourageants. Certains enfants arrivent àdéterminer l’angle comme grandeur perti-nente dans une situation complexe qu’ils n’ontjamais rencontrée auparavant. Il semble doncque la confrontation avec une situation spa-tiale dans laquelle la grandeur angle prendtout son sens conduise à une maîtrise duconcept d’angle suffisante pour permettre àcertains élèves d’appréhender de nouvelles situa-tions physiques.

Les exercices de production d’un angle, puisd’un angle différent, sont des tâches peu cou-rantes en classe, qui ont été proposées par lespsychologues du développement et utiliséesdans les deux contextes d’évaluation. Lesentretiens individuels avant et après ensei-gnement montrent des progrès pour ces deuxtâches, principalement en CM1.

Les résultats obtenus pour ces productions,même s’ils diffèrent selon le contexte d’éva-

Catégories CE2 (36) CE2 (36) CM1 (36) CM1 (36)bilan initial bilan final bilan initial bilan final

Reconnaissent l’angle 1 9 15 7 8

Reconnaissent les 4 8 9 13angles 1 et 2

Reconnaissent les 0 3 0 3angles 1, 2 et 3

Reconnaissent 13 26 16 24au moins un angle

Pas de rép. ou rép. fausse 23 10 20 12

Tableau 3 : résultats pour la tâche d’identification d’angles dans la figure 1.

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luation, montrent qu’il est plus difficile dedessiner un angle, puis un différent, que decomparer des paires d’angles. On peut doncse demander si les exercices de comparaisontraditionnellement proposés permettent detester la conceptualisation de l’angle ou s’ilsrévèlent une simple acquisition de techniques.En effet les élèves peuvent, grâce à un recoursmécanique aux différentes techniques (utili-sation de calque, de gabarit ou de la fausse équer-re) réussir les tâches de comparaison sans avoirpour autant atteint le niveau de conceptua-lisation nécessaire pour produire un anglepuis un autre différent. Le recours à unetechnique peut donc masquer des difficultésconceptuelles.

Les tâches de production sont rarementtravaillées en classe, or ce travail montrequ’elles sont plus complexes que celles decomparaison et on peut donc conclure qu’ellesdevraient faire l’objet d’un enseignement.

Pour les tâches concernant la figure de Pia-get, les progrès sont à souligner car l’identificationd’angles dans des figures est une difficulté miseen évidence par de nombreux travaux.

Ces différents résultats montrent l’acqui-sition par les élèves d’une bonne représenta-tion de l’angle formé par deux demi-droites.La situation ayant permis de prévenir l’ins-tallation des conceptions erronées usuellespour une grande partie d’entre eux. Cesélèves se sont crées un référent empiriquequi leur permet d’invalider le rôle de la lon-gueur des côtés dans la taille d’un angle, à lafois dans cette situation, mais égalementdans d’autres situations où elle pourrait se mani-fester. Cette situation expérimentale, dans l’espa-ce réel, permet donc aux enfants d’acquérir desconnaissances en mathématiques d’une partet en physique d’autre part (concept de droi-

te de visée, notion de champ visuel en présenced’un obstacle). Cependant ces résultats sontà nuancer dans la mesure où, pour certainsde ces élèves, ces savoirs ne sont encore mobi-lisables que dans un contexte scolaire, commele montrent les évaluations réalisées par lespsychologues.

Si on confronte maintenant les résultatsobtenus au CE2 et au CM1, on constate que,pour la plupart des tâches, les résultats sontdu même ordre dans les deux niveaux : pourla comparaison de paires d’angles de mêmenature, pour les exercices spécifiques de la situa-tion, pour la tâche de dessin d’un angle puisd’un angle différent, enfin pour l’identificationdes angles dans la figure de Piaget. Les seulesdifférences significatives apparaissent lorsqueles tâches nécessitent de la précision, lorsqu’ils’agit d’angles rentrants et lors des exercicesde transfert. Ces résultats montrent qu’unepremière approche du concept d’angle esttout à fait envisageable dès le CE2, ce qui per-met d’imaginer une progression pour l’appren-tissage de ce concept sur tout le cycle 3. Onpeut, en CE2, se limiter à des situations danslesquelles les angles ont des côtés de lon-gueurs variées mais sont nettement diffé-rents, de manière à prévenir la conception erro-née de l’angle liée à la longueur des côtés. AuCM, ce travail pourra être poursuivi avecdavantage d’exigence en ce qui concerne la pré-cision des tracés et des comparaisons et avecl’introduction des angles rentrants. Nousavons vu que l’utilisation d’une situation dephysique dans l’espace sensible était pertinente.On peut donc proposer aux élèves, à chaqueniveau, des séquences qui les confrontent à desactivités de modélisation de l’espace sensibledans lesquelles la grandeur « angle » est la gran-deur pertinente. L’utilisation de contextesdifférents devrait ainsi permettre d’avancerdans la construction du concept d’angle.

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