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Université de Paris I (Panthéon – Sorbonne) DEA Relations Internationales option Politique et Stratégie Année Académique 1991 – 1992 Intelligence and Policy : les relations renseignement – politique dans les études américaines depuis 1945 par Mademoiselle Hélène BLANC sous la direction de Monsieur Dominique DAVID

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Université de Paris I (Panthéon – Sorbonne) DEA Relations Internationales option Politique et Stratégie

Année Académique 1991 – 1992

Intelligence and Policy : les relations renseignement – politique

dans les études américaines depuis 1945 par Mademoiselle Hélène BLANC sous la direction de Monsieur Dominique DAVID

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à Pierre Gautier-Gentès, mon fils

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Introduction

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INTRODUCTION

Alvin Toffler, dans le titre de son récent ouvrage (Nouveaux pouvoirs : savoir, richesse et violence à la veille du XXIème siècle), juxtapose de façon frappante les notions de savoir, de richesse et de violence. La formule fait mouche, pour celui qui s'occupe de stratégie, même s'il peut sembler que le pouvoir du savoir est reconnu de longue date. Quelques décennies plus tôt, André Beaufre, étudiant les stratégies indirectes, écrivait : "Contrairement à nos traditions, il est devenu extrêmement important de bien prévoir, plus important que de réaliser des forces dont la valeur sera incertaine". "Réaliser des forces", objet désormais insuffisant de la stratégie militaire, cède le pas au "bien prévoir" ou, comme l'auteur le formule dans le même passage de son Introduction à la stratégie, à la nécessité "d'organiser au mieux l'étude de la conjecture". Les faits ne cessent de donner raison à ce partisan d'une approche globale de la stratégie quant à l'importance du "savoir organisé pour prévoir" (ibid.) dont la puissance croît, portée et démultipliée par le développement des moyens de communications. La reconnaissance du phénomène ne semble cependant pas en avoir favorisé l'étude, dans les domaines de la défense et de la politique étrangère. Est-ce parce qu'alors information se mue en "renseignement" ? Ce dernier n'appartenant pas, en France, au champ de la recherche académique, c'est en vain qu'on chercherait quelque étude théorique sur l'organisation de ce savoir particulier, ou un cadre conceptuel aidant à décrire ou évaluer l'ensemble des rapports qu'il entretient avec les décisions prises en matière de stratégie et de politique de sécurité. Il n'en va pas de même aux Etats-Unis où le renseignement est objet de débat public et de recherche académique. Un chercheur peut y trouver une floraison d'ouvrages et articles de fond, remontant à l'après-guerre, susceptibles de lui fournir des éléments de réponse. De tendance et d'intérêt divers, ces travaux de recherche ont en commun la volonté de trouver un cadre de références en vue d'élaborer une théorie descriptive et normative du renseignement. C'est-à-dire d'en traquer la définition, d'en identifier les concepts majeurs, d'en dresser les typologies, d'élaborer les cadres théoriques de l'étude des processus par lesquels le renseignement s'articule, ou devrait s'articuler rationnellement, à la "policy", au sens commun de politique gouvernementale - nous reviendrons sur ce terme. L'ambition du propos et la vitalité de la production des chercheurs américains méritent attention : ils s'efforcent les premiers de rechercher des critères rationnels applicables à un nouveau champ d'étude dont une des caractéristiques est la rareté des sources disponibles et accessibles; malgré cet obstacle majeur, avec le recul de quelques décennies et un oeil étranger, l'on s'étonne du foisonnement et de la diversité des travaux publiés depuis 1945. Ce sont ces travaux, méconnus en France, que nous avons pour but de présenter et de soumettre à une analyse critique. Plusieurs remarques s'imposent. La première : il ne s'agit pas ici de dresser un catalogue de ces travaux. Bien au contraire, nous avons volontairement repoussé l'idée de constituer un corpus exhaustif. Si le dénombrement systématique peut être un outil méthodologique tout à fait utile dans certains types d'études, nous l'avons écarté dans notre cas. Abondants, les travaux américains sur le renseignement sont d'originalité et de profondeur très inégales. Dans l'optique particulière d'en

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Introduction

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dresser un bilan, le simple fait d'exister ne nous a pas paru un critère de sélection suffisamment pertinent. Un tri sévère a donc été opéré, en vue de constituer un corpus représentatif de la production américaine, en fonction de deux critères : qualité et influence. Le critère de qualité, éminemment subjectif, s'est trouvé en effet, à l'usage et conformément à nos espoirs, heureusement pondéré par celui de l'influence, plus mesurable. Influence de fait, car il est courant aux Etats-Unis qu'universitaires et chercheurs fassent carrière quelques années dans les services de renseignement ou comme consultants auprès des commissions spécialisées du Congrès. A l'inverse, les anciens professionnels du renseignement enseignent volontiers. Et cet état de fait n'est pas sans altérer le "statut" des publications des uns et des autres, dans le monde de la recherche. Influence enfin, dans la communauté scientifique, qu'on mesure par comptage systématique de citations (c'est la technique de la bibliométrie, en langage des sciences de l'information) à l'intérieur des bibliographies spécialisées, recensions de périodiques, notes à l'intérieur d'ouvrages portant sur des sujets voisins ou connexes. L'annexe 1 précise les types d'ouvrages retenus comme représentatifs de 45 ans d'études universitaires américaines sur le renseignement, ceux qui ont été exclus, et les outils bibliographiques qui ont servi à effectuer la sélection titre par titre. Les références bibliographiques de chaque publication constituant le corpus se trouvent en annexe 2, accompagnées par les mentions biographiques qui ont pu être collectées (pas toujours et parfois incomplètement) propres à situer les auteurs, notamment au regard de leur expérience directe ou non des activités de renseignement. Enfin, nous avons inclus dans notre corpus les productions de quelques non-Américains, en petit nombre : tous très constamment impliqués dans les débats et publications de la communauté académique de nationalité américaine, parfois enseignant et vivant aux Etats-Unis. Cette annexion a, il est vrai, des couleurs d'arbitraire, que la qualité de leurs apports peut rendre admissible. Seconde remarque : malgré la sélection d'ouvrages ainsi opérée, il est apparu que la diversité des thèmes abordés et des points de vue des chercheurs, rendait difficile le travail de synthèse et de bilan poursuivi. La lecture de milliers de pages à la file a eu l'avantage de faire rapidement apparaître que le cœur du sujet, pour les pionniers de la théorie du renseignement, était le territoire des interconnexions entre "intelligence" et "policy". Ce constat a modifié notre idée de départ dont le rappel permet de comprendre l'état actuel de cette étude. Notre propos était à l'origine de tirer des recherches menées aux Etats-Unis sur le renseignement, des enseignements sur la manière dont la stratégie de l'information s'articulait avec la stratégie globale, au sens de L. Poirier et de A. Beaufre; c'est-à-dire comme stratégie particulière située à sa place dans une séquence logique ou une hiérarchie de stratégies spécifiques, remontant vers un tout : la stratégie globale. C'est pécher par excès de logique : aucune stratégie particulière ne peut exister sans se nourrir de données informationnelles ni en produire elle-même. Autrement dit, les flux d'information parcourent inévitablement tous les niveaux stratégiques. Dans ce contexte, il paraît impropre d'isoler l'information comme une stratégie particulière placée à tel niveau de l'élaboration de la stratégie globale. Dire que l'information se rapproche d'une "fonction de service" s'exerçant à tous les niveaux stratégiques est sans doute une représentation plus juste de la réalité, telle qu'elle se dégage, le plus souvent implicitement, des lectures systématiques effectuées dans les ouvrages américains sur les sujets qui nous intéressent.

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Introduction

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Si le thème des relations entre "intelligence" et "policy" est récurrent, au point de figurer dans le titre de nombreuses publications, c'est que le renseignement est à l'une des intersections entre savoir et action, et qu'il se trouve, à cette interconnexion précisément, en concurrence avec d'autres savoirs, non issus des institutions gouvernementales. Si l'on prend l'image de deux ensembles booléens, l'un l'"intelligence", l'autre la "policy", leur intersection paraît l'évidence; elle se révèle problématique. Non du seul fait de la concurrence : que d'ensembles aspirant à se réunir à celui de la "policy" ! Mais du fait des éléments qui la composent, de leurs fonctions, de leur organisation, de leurs buts... C'est pourquoi le thème "intelligence and policy" peut susciter de l'intérêt : il ouvre sur une succession de questions plus vastes qu'on ne peut éluder si l'on veut avancer dans la compréhension du problème qui nous préoccupe : comment le corps de connaissances rassemblé et traité sous le vocable de renseignement s'intègre-t-il (et comment) ou ne s'intègre-t-il pas ou mal (et pourquoi), à la sphère de l'action politique ? Le schéma se complique au reste, puisqu'aux Etats-Unis le renseignement comporte une part - modeste - d'action ("covert-action" et "counter-intelligence"). De même, la politique prend en compte par obligation des savoirs de toutes natures et origines aux fins de l'action, qui demeure son but principal. Le renseignement n'est pas plus assimilable au seul savoir que la politique ne l'est à l'action. Même si ce n'est qu'une nuance, car la dominante de l'un et de l'autre demeure établie et affirmée, elle n'est pas sans conséquence : c'est parce que le renseignement déborde la sphère du savoir qu'il se trouve, aux Etats-Unis, faire violemment obstacle à l'image que les Américains ont d'eux-mêmes, face à la réalité du fonctionnement des institutions et aux impératifs extérieurs. Notre corpus prend en compte ces données particulières. Ainsi que nous l'avons dit, nous nous proposons tout d'abord de faire connaître la littérature spécialisée sur le renseignement, replaçant ainsi le thème du renseignement et de la politique dans les grands courants de recherche qui nous semblent se dégager. Puis une analyse critique du corpus présenté permettra, dans un second temps, de mettre en valeur leurs apports à la connaissance des liens renseignement-politique, d'évaluer, autant que nous le pouvons, les méthodes employées par les chercheurs dans le cadre des conditions inhabituelles de la recherche qui est le leur, pour enfin, tenant compte de certaines faiblesses et lacunes, signaler les questions qui mériteraient d'être traitées pour enrichir la connaissance du thème qui nous intéresse.

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Partie 1-. Les grands courant de recherche sur le renseignement

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1ére Partie-. Les grands courants de recherche sur le renseignement

Suivant en cela les analyses de l'Anglais Kenneth G. Robertson, quatre courants seront distingués. Aucun d'entre eux n'échappe à l'histoire. Le contexte historique et culturel a largement déterminé la problématique des chercheurs, marqué leurs priorités. Cependant la part de l'artifice propre à tout découpage ne doit pas conduire à ériger de trop rigides frontières : nombreux sont les thèmes secondaires communs aux chercheurs du domaine. La première tendance de la recherche sur le renseignement est directement issue de l'expérience de la deuxième guerre mondiale. Pour en comprendre l'émergence, il faut revenir en arrière et rappeler l'absence de tradition du renseignement aux Etats-Unis, faute sans doute de menaces extérieures sérieuses. Au XIXème siècle apparaît l'idée que la guerre nécessite une préparation du temps de paix. Le service du chiffre du State Department aura cependant une existence éphémère à cause de la méfiance chronique des Américains pour toute activité gouvernementale secrète, susceptible de menacer les libertés publiques. Avant 1941 n'existe qu'un embryon de renseignement militaire. A cette date est créé l'Office of the Coordination of Information, devenu le célèbre Office of Strategic Services (O.S.S.), dirigé par le légendaire William Donovan. La contribution de l'O.S.S. au succès de la guerre semble être, avec le recul, estimée à sa juste place : modeste. Mais Donovan a fondé des traditions, mis en place des méthodes de travail et des priorités qui, pour discutables qu'elles soient, sont devenues la norme pour les services de renseignement qui se sont développés par la suite. Parmi les traditions instituées par lui : l'emploi, au sein de la section Research and Analysis de l'O.S.S., d'universitaires formés aux sciences sociales, ayant pour mission de produire le renseignement stratégique, et l'existence à côté de la branche analyse, d'une branche chargée de la collecte clandestine d'informations et des activités secrètes (covert action), créée peu après au sein de l'O.S.S. L'O.S.S. est dissous en 1945, la branche analyse rattachée au State Department, la collecte clandestine au War Department. Mais les termes du débat ont évolué depuis sa création. Pendant et après la guerre, l'organisation, les missions, la coordination de services de renseignement désormais conçus comme permanents, suscitent de vives discussions. Pourquoi ? La guerre a été l'occasion de prendre conscience des dysfonctionnements de la machinerie administrative, du manque de coordination des plans, de l'insuffisance de la planification à long terme. Plus encore, le lien entre les questions militaires et l'économie, l'industrie, la politique générale du pays apparaît clairement. C'est à cette époque qu'émerge la notion de politique de sécurité nationale. Que recouvre-t-elle ? Les hommes politiques utilisent le terme de façon rhétorique pour décrire le premier des buts de la politique, et s'acquérir le soutien de leur électorat. Pour les chercheurs, c'est un concept qui désigne la capacité d'une nation à protéger ses valeurs internes des menaces extérieures. Celle-ci implique un appareil complexe qui met en oeuvre la politique de sécurité nationale et ses programmes. Elle englobe cinq domaines : la politique étrangère, les questions de défense, les programmes économiques internationaux, la sécurité intérieure, et - nous retrouvons notre sujet - le renseignement. C'est le National Security Act de 1947 qui, s'inspirant de rapports et travaux antérieurs (le rapport Eberstadt de 1945

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notamment), met en place ses structures : le National Security Council et la CIA. Le renseignement devient légalement un pilier de la sécurité nationale. Cette nouvelle orientation s'impose comme une donnée aux pionniers des travaux sur le renseignement. Les plus connus d'entre eux, George Pettee en 1946 et surtout Sherman Kent trois ans plus tard, en font les prémisses de leurs recherches. Pour Kent, le renseignement est un savoir qui sert de fondement à la politique de sécurité nationale. Au plus haut niveau de décision politique correspond le plus haut niveau du renseignement, le renseignement stratégique. Il le définit comme "ce que les Etats-Unis doivent savoir pour atteindre leurs buts", essentiellement défendre le pays contre des Etats hostiles (politique de sécurité) et travailler à l'instauration d'un meilleur ordre mondial (politique positive). Ce que Pettee avait désigné sous le nom de stratégie de la paix : assurer dans le monde une paix durable, tâche difficile, écrivait-il. Le leadership américain qui doit l'assurer a de ce fait une vocation mondiale. D'où le besoin d'un renseignement "total" (total intelligence) dans ses centres d'intérêt et ses méthodes, et en constante évolution. En 1946 déjà, Pettee insistait sur la nécessité de comprendre que ni la politique, ni l'économie n'étaient des systèmes clos; que la psychologie individuelle et collective, la culture des peuples appartenaient au même cadre de références. Faire durer la paix implique une action politique et économique combinées et donc un renseignement combiné (combined intelligence), multidisciplinaire, à l'échelle mondiale. Pettee, comme Kent, s'applique à rationaliser le domaine du renseignement à cause précisément de son statut de "moyen" des fins politiques, confirmé par le National Security Act (1947). C'est ce statut ainsi institué qui fait du renseignement un objet de théorie ou à tout le moins digne de l'être. En 1947 se trouve posé au coeur de l'étude du renseignement, et pour longtemps, le thème "intelligence and policy". En effet, la seule raison d'être du savoir particulier qu'on appelle renseignement, c'est de fournir la meilleure information et celle-là seulement en vue d'aboutir à la meilleure action politique - action entendue au sens générique : action de contrer une menace, action "positive", abstention de l'action, c'est tout un - dont on présuppose que la valeur, en terme de sécurité nationale, sera d'autant plus élevée qu'elle reposera sur le savoir le plus sûr dont on peut disposer. Cette position, largement implicite, dont nous tentons de restituer la cohérence, est, nous y insistons, profondément ancrée dans la mentalité des premiers chercheurs et de leurs successeurs, jusqu'aux années 80. Rationaliser l'activité de renseignement, c'est, disent nos deux auteurs, rationaliser le processus (process) de recherche qui permet la production de ce savoir. L'un et l'autre sont chauds partisans de l'introduction des méthodes des sciences sociales puisque, explique Pettee, le renseignement consiste en une séquence d'opérations logiques par lesquelles sont produites, à partir des informations brutes, des conclusions, par une série d'étapes successives et interdépendantes, jusqu'à leur dissémination auprès des différents usagers; Rationaliser, c'est aussi prendre en compte l'organisation qui produit le renseignement. Le renseignement stratégique n'est pas, insiste Kent, un produit de l'activité normale de gouvernement, mais celui d'une machinerie compliquée, d'un effort collectif volontaire et d'une division logique du travail. L'on connaît les vues fameuses de Kent, conformes au reste au National Security Act, envisageant la CIA comme une petite agence vouée à la coordination des renseignements issus des quatre services de renseignement des forces armées, du State Department et d'une vingtaine d'organismes producteurs de renseignement spécialisés (Department of the Treasury, Department of Energy, FBI pour certaines questions communes...). Ce renseignement des départements (departmental intelligence) est produit par

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eux pour assurer l'activité effective du département et autant que de besoin la mise en oeuvre d'une politique nationale déterminée. La somme du renseignement des départements ne remplira les besoins de la grande stratégie et de la sécurité nationale que si une agence centrale la coordonne et la gère avec un même niveau d'expertise que les directeurs le font dans leur département, conclut Kent. Pettee va dans le même sens, pour qui il est clair que la haute politique dépasse les préoccupations des départements et qu'une autorité centralisée peut seule produire le renseignement stratégique, tout en exerçant un contrôle sur les autres services de renseignement, avec le soutien du gouvernement. Son souci s'étend aussi à la reconnaissance des professions du renseignement et à la formation des hommes. Il le partage avec Kent qui trace le portrait du professionnel idéal, condensé de perfections multiples, doté de surcroît d'une inébranlable aspiration à la sainteté. Ces préoccupations sont le reflet de l'importance prise après-guerre par les débats sur les structures des futurs services. L'enjeu sous-jacent est de taille et nous ramène au cœur du sujet : si la CIA contrôle le renseignement, le centralise, c'est pour mieux le communiquer au politique; autrement dit elle centralise du même coup l'influence sur ce dernier, conquérant de ce fait du pouvoir. Thème permanent que celui de l'influence des services de renseignement, du degré de coopération souhaitable en termes d'objectivité ou d'efficacité entre eux et les détenteurs du pouvoir de décision politique. Son succès est naturel puisqu'il est, si l'on ose dire, la version "opérationnelle", la transcription dans la pratique bureaucratique du thème central des rapports renseignement/politique. Pettee souhaitait que les liens fussent étroits de l'un à l'autre, tout en mettant en garde contre la propension de la haute hiérarchie du renseignement à complaire. Kent ne dit pas autre chose : on a souvent, à tort, réduit son livre à un plaidoyer pour une stricte séparation entre les deux camps. Au fait de la réalité du fonctionnement des organisations, Kent conçoit le renseignement comme un service (service function) rendu par des spécialistes aux politiques, qui au reste ne les estiment guère. Si ce service est absorbé dans l'opérationnel, estime-t-il, l'esprit critique et le contrôle de qualité s'en ressentent. La pression des délais à respecter, l'engagement insensible et inévitable dans la défense d'une certaine ligne au côté des politiques, la recherche de l'influence permettant d'imposer ses vues, sont incompatibles avec les normes rigoureuses qu'il préconise pour le renseignement en s'inspirant du modèle de la recherche académique. Il convient donc de recevoir des politiques toute l'orientation (guidance) nécessaire à l'accomplissement des tâches de renseignement. Pour lui, meilleure est la crédibilité des services, meilleure est la collaboration : "(our) goal... should be to be relevant within the area of (our) competence, and above all it should be to be credible", écrit Kent dans un bel article du Foreign Service Journal, en 1969, donc fort de l'expérience acquise en quelques années à la CIA. Et cette crédibilité ne peut naître d'une fusion des services avec les bureaux s'occupant de politique au sein du gouvernement. Rien là n'étonne : cette position est dans la logique de la conception qu'a Kent de la qualité du renseignement comme la "meilleure aide possible à la meilleure décision politique possible". Conception trop bureaucratique des liens renseignement/politique, dénonce W. Kendall, auteur en 1949 de la plus fameuse recension de l'ouvrage de Kent. Pour lui, Kent prend trop aisément son parti du fait que les services de renseignement ont pour principaux usagers, en terme quantitatif, d'autres fonctionnaires. D'où sa suggestion que les services de renseignement s'attachent davantage à l'analyse des alternatives politiques existant sur une question débattue, et travaillent ainsi directement pour les hommes politiques.

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Suggestion assurément intéressante, mais dont Kendall ne détaille nulle part les modalités pratiques d'application. Il ne fournit pas davantage d'éclaircissements sur le modèle d'une collaboration renouvelée entre les hommes du renseignement et ceux qui participent à l'élaboration de la politique, ni dans cette critique de quelques pages du livre de Kent, ni dans d'autres publications à notre connaissance. L'ouvrage de Pettee, abondamment cité mais peu exploité, et celui de Kent, devenu un manuel classique de formation des personnels du renseignement, ont posé les fondements du nouveau champ d'étude qu'ils ouvraient, ainsi que ses thèmes majeurs. Celui des liens renseignement/politique est en bonne place, par la grâce du National Security Act, si l'on ose dire. A la guerre totale, à la paix totale (Pettee), correspond un renseignement total (total intelligence, combined intelligence). Notions qu'il est bon de garder en mémoire pour apprécier l'originalité de leurs successeurs. Ils ont reconnu aussi que les relations renseignement/politique prenaient forme entre deux organisations, dans un contexte bureaucratique donné qui rendait problématique leur nature et leur degré. La logique même de leur foi en un processus quasi scientifique de production du renseignement, les pousse à concevoir une coopération qui préserve les valeurs d'objectivité qu'ils mettent en avant, en réaction sans doute à une certaine anarchie dans le fonctionnement des services où ils acquérirent leur expérience du renseignement. Tout est question de mesure, dirait-on. Mais cette mesure-là occupa inlassablement les esprits de leurs successeurs. Un des plus singuliers d'entre eux, Roger Hilsman, revient sur le thème renseignement/politique en 1956 dans un ouvrage justement célèbre, Strategic intelligence and national decisions. Il n'a pas, comme ses devanciers, pour principal souci de contribuer à la réflexion sur la mise en place urgente des services de renseignement américains de l'après-guerre. Il fait oeuvre de chercheur en science politique, en même temps que de sociologue. Son livre se propose de chercher à identifier et à examiner de façon critique les doctrines du renseignement, explicites ou implicites, qui se développent dans les services, les attitudes et les présupposés que dissimulent ces doctrines, à travers les sources historiques, réglementaires, académiques et les entretiens avec des professionnels et usagers du renseignement. Ce sont ces derniers qui éclairent le mieux l'objet de notre étude. Ces entretiens révèlent de la part des hommes politiques un net dédain pour les travaux d'évaluation et d'analyse sur les intentions des autres pays ou les développements futurs de telle situation. Ce qu'ils attendent des services, c'est la recherche systématique de faits vérifiés sur et autour d'un événement donné, un travail de collecte et de vérification, mais sans commentaire. Cette demande semble passer avant la fonction d'alerte tenue communément pour la tâche prioritaire incombant aux services de renseignement. Ni analyse, ni encore moins d'examen d'alternatives politiques possibles, chasse gardée des décideurs en matière politique : ces positions reflètent des luttes de pouvoir, mais aussi des préjugés contre les intellectuels, dépourvus de "l'expérience" valorisée à l'extrême. De plus le travail du politique est orienté vers l'action, non vers la réflexion. Les qualités d'énergie, de volonté sont tenues pour plus utiles que l'aptitude à l'analyse, accusée d'expliquer les problèmes davantage que de guider l'action pour en venir à bout. Derrière cette attitude se profile une croyance tenace, sans doute ancrée dans la mentalité américaine : qu'à tout problème correspond une solution, et que de la juxtaposition exacte de "tous" les faits concernant une question jaillira tout armée la solution et la seule juste. Tout

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homme raisonnable disposant de l'ensemble des faits l'a donc à portée de main. Si elle se dérobe, c'est que des faits manquent. Cette vision candide des choses perdure sur toute la période objet de notre étude. Elle est exprimée de façon stéréotypée par l'image du puzzle (jigsaw puzzle) ou du grand tableau (big picture) dans lequel il s'agit d'agencer habilement les petits bouts d'information pour obtenir une carte miniature de la réalité. La vérité de chaque nouveau morceau d'information se vérifie par la facilité avec laquelle il prend sa place dans l'ensemble. A l'inverse, c'est l'incomplétude de l'image qui détermine les besoins en information. Qu'est-ce qu'un fait ? Comment déterminer qu'on a "tous" les faits, cela n'intéresse pas. L'analogie avec le puzzle sert de modèle à la méthode analytique des services et aussi de guide pour l'organisation de ce type de travail, dans ce sens que chaque organisation peut assembler un morceau du puzzle, l'agence centrale se chargeant de les rassembler en un tout. La doctrine du puzzle est largement partagée par les professionnels du renseignement. Pour eux, dit Hilsman, assembler cette image globale d'une situation et la projeter dans le futur, afin de donner l'alerte, c'est cela, interpréter l'information. Leur rôle est d'essayer d'indiquer les développements possibles, les pistes (starting points) aux hommes politiques. Comme Kendall, Hilsman remarque que les services cherchent la clef pour lire dans le futur comme s'il était une histoire déjà écrite, sans penser à l'influencer - peut-être dit-il du fait de la division acceptée du travail entre eux et les bureaux chargés des décisions politiques. Il leur faut exposer les faits objectivement, qu'ils aillent ou non dans le sens de la politique envisagée ou en cours, et ajouter un peu d'imagination basée elle aussi sur les faits. Peu d'agents pensent qu'il leur revient de proposer et d'évaluer des alternatives politiques, ou d'éclairer de possibles développements futurs par des études de fond. Ceux-là, minoritaires, ne craignent pas d'être réduits au fameux "backstopping" (dans le jargon professionnel, l'expression désigne l'emploi des analyses du renseignement pour étayer des décisions politiques antérieures). L'un d'eux résume en une formule heureuse sa position : "being objective (is) a question of maintaining a mental discipline, not a mental vacuum". Hilsman a pris la précaution de ne pas généraliser à l'excès à partir d'entretiens limités en nombre. Cependant leur lecture laisse, sur la manière dont se perçoivent les producteurs de produits élaborés de renseignement et leurs usagers, l'impression d'une mutuelle insatisfaction, peut-être l'exaspération traditionnelle de l'homme d'action et de terrain pour l'expert, qu'exprime avec justesse une phrase de Thomas Hugues : "... almost always there will be a difference between the clear picture seen by a convinced policy-maker and the cloudy picture usually seen by intelligence". Si nous nous faisons l'écho des entretiens qu'a conduits Hilsman, c'est qu'il est le seul, parmi les chercheurs de notre corpus, à utiliser cette méthode. Soucieux de ne pas limiter sa description aux pratiques et procédures visibles qui mettent en contact les services de renseignement, les politiques et leurs bureaux, il s'est attaché à montrer les différences de mentalité, de formation, d'orientation entre eux. L'étude descriptive de Hilsman est complétée par une réflexion plus "normative" introduite comme commentaire d'un modèle complexe de la prise de décision rationnelle en matière de politique étrangère. L'idéal serait, écrit-il, des choix rationnels poursuivant des buts clairs. La rationalité implique d'apporter tout le savoir disponible pour que les moyens soient les plus adaptés aux fins, et les fins compatibles (consistent) entre elles. Or parler d'"apporter tout le savoir disponible" pour la formulation de la politique et des opérations, pour l'analyse des alternatives, leurs choix et leur mise en oeuvre, c'est, pour lui, définir le renseignement. Le commentaire de son modèle l'amène à conclure qu'une complète intégration de ce type de

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savoir à l'action est indispensable à chaque étape de la décision. Le savoir doit être adapté aux nécessités de l'action (uses of action), se plier à sa tâche propre qui est d'utiliser au mieux les moyens dont on dispose. Ainsi permettrait-il la mise en oeuvre de l'action en complète connaissance de toutes les alternatives possibles et de leurs implications ultimes. Hilsman demeure toutefois conscient des obstacles qui s'opposeraient dans la pratique à l'application de la parfaite intégration savoir-action qu'il décrit; le principal d'entre eux étant que le travail dévolu alors aux services de renseignement entrerait en concurrence avec la bureaucratie et les conseillers qui préparent et assurent le suivi des décisions du côté des politiques. Néanmoins l'ouvrage de Hilsman occupe une place unique et représente une avancée dans la compréhension des rapports politique-renseignement, reconnue et reprise par les chercheurs venus après lui (KNORR, 1964; RANSOM,1970; Chester L. COOPER, 1972). C'est un modeste "review article" de Harry H. Ransom, en 1974, qui fait la synthèse des apports de la période écoulée à l'étude du renseignement. Il y rappelle que faute de théorie descriptive et normative du renseignement, on ne peut en apprécier l'impact sur les choix politiques (Knorr). Les informations produites et traitées par les services de renseignement ont le pouvoir potentiel d'influencer le politique, qui demeure libre de trouver ailleurs ses sources d'information ou de s'en passer. Leur impact peut être indépendant de leur exactitude, de leur pertinence au vu du problème posé, de leur crédibilité. Il n'y a pas de critères, pas d'indicateurs pour évaluer l'efficacité ou l'influence du travail des services. Comment dire après coup s'il a influencé la conduite de tel dossier? L'absence d'accès aux archives ne constitue qu'une des difficultés à résoudre pour établir des indicateurs d'une interaction politique-renseignement. La question trouve brutalement une actualité : les remises en cause publiques des activités de la CIA au Vietnam, l'épisode du Watergate et la succession incessante de révélations sur les pratiques abusives des services de renseignement ont commencé. Le thème de l'échec du renseignement (intelligence failure) fait florès - dans le monde politique aussi. La CIA est désignée comme un danger à l'intérieur, par ses violations de la loi, et à l'extérieur, par l'inefficacité de ses opérations. C'est la fin de la période où le renseignement échappait au débat public pour cause de guerre froide. Les travaux de Ransom marquent bien la transition vers les années 70; disciple de Kent, il voit, l'un des premiers, venir l'évolution. Non sans ironie, il propose en 1974 de mettre à profit les événements pour trouver de nouvelles sources de recherche en partant de deux hypothèses : que les services de renseignement tendent à donner aux politiques ce que ceux-ci veulent recevoir; que les politiques n'entendent que ce qu'ils veulent entendre, quelle que soit l'information fournie. La deuxième tendance qui se dégage de la masse d'écrits sur le renseignement parus aux Etats-Unis, a émergé dans les années 70. Elle est liée aux révélations par la presse de pratiques, trafics et opérations dont la légalité fut aussi douteuse que l'efficacité, où se sont trouvés impliqués certains services des agences de renseignement : l'espionnage contre des citoyens américains aux Etats-Unis mêmes et à l'étranger, fit scandale; certaines opérations spéciales parurent avoir été entreprises dans des conditions qui firent douter du contrôle effectif exercé sur elle par l'exécutif. Si l'actualité américaine suscita les réflexions des universitaires, c'est qu'elle ravivait la suspicion ancienne des Américains à l'égard des activités secrètes conduites par l'Etat, et des abus de pouvoir potentiels dont elles menacent les citoyens. Pour intéressantes qu'elles soient,

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nous écartons ici les publications à contenu juridique sur, par exemple, les violations du Bill of Rights, les règles de droit applicables aux opérations de contre-espionnage par rapport à celles qui s'appliquent dans les affaires criminelles ou les commentaires des procès célèbres de l'époque où des agents de renseignement virent engager leur responsabilité personnelle, qui firent couler beaucoup d'encre. Nous ne nous ferons pas non plus l'écho des débats institutionnels sur les responsabilités respectives du Congrès et de l'exécutif en matière de contrôle des opérations de renseignement, en temps que tels. C'est la mise en question du statut des services de renseignement comme instrument et soutien des buts de la politique de sécurité nationale tel qu'accepté dans les années 1945, qui nous intéresse ici. En d'autres termes, le renseignement fut choisi alors comme instrument de pouvoir parmi d'autres pour poursuivre les intérêts de sécurité américains par des choix politiques, ceux instaurant la politique de sécurité nationale. Ce choix, comme expression et mise en forme de certaines valeurs et objectifs acceptés par la société de l'époque, est remis en cause. Les relations renseignement/politique se trouvent du même coup envisagées sous un autre angle. D'où vient le débat ? Essentiellement, pour faire court, de la présence au sein des services de renseignement, particulièrement la CIA, de sections opérationnelles à qui sont confiés la collecte clandestine d'informations, le contre-espionnage (le terme français ne comprend qu'une partie de ce que les Américains classent sous le terme counter-intelligence, mais nous le conservons parce qu'il est plus évocateur pour le non-spécialiste que le terme contre-renseignement calqué sur le mot américain), et surtout les opérations clandestines, la covert action (le terme est cette fois spécifiquement américain; on en trouve en France des traductions approximatives : guerre secrète, opérations spéciales...). La coexistence des branches analyse et action au sein d'une même agence remonte à l'O.S.S. de William Donovan qui lui-même valorisait beaucoup l'énergie, le goût de l'action et l'esprit opérationnel. Le National Security Act mentionnait de façon floue que le National Security Council pouvait faire appel à la CIA pour mener certaines opérations point autrement détaillées. La guerre froide, le secret entourant les activités de renseignement et, dit-on, l'influence durable de Donovan aidèrent au développement de ces activités. Avant le déchaînement des années 70 contre les pratiques de la CIA, des auteurs avaient déjà mis en garde contre elles. Si Kent n'y fait qu'une allusion, pour préciser que la CIA doit se garder d'entreprendre des opérations susceptibles d'entrer en concurrence avec celles menées par les départements, un autre pionnier dans l'étude du renseignement sonne l'alarme : Harry H. Ransom, dès 1958, dénonce le langage trop vague de l'Act de 1947. Les tâches spécifiques sont assignées aux agences par l'administration, hors du contrôle du Congrès. Leur directeur, le D.C.I., participe au National Security Council, censé contrôler les services. Et Ransom, persuadé que la communauté du renseignement peut servir l'intérêt national, de s'interroger sur le contrôle politique qui s'exerce, quant à la conformité de ses activités aux valeurs politiques américaines. Tout est dit. Paul Blackstock (1964) introduit le débat futur sur l'efficacité de la covert action : en dénonçant le manque de doctrine d'emploi, de "guidelines" et l'ignorance du public à son sujet, cultivée par les services eux-mêmes. Plus encore, la confiance excessive des hommes politiques dans ces opérations auxquelles ils attribuent le pouvoir de résoudre par exemple les problèmes de la guerre froide, n'est que le reflet de leurs visions simplistes des défis internationaux. Il montre que la covert action peut se trouver en contradiction avec la politique officielle ou avoir des effets à terme incontrôlables. S'ajoute à cela la menace de l'apparition d'un état dans l'Etat, favorisée par la puissance bureaucratique croissante de la CIA et le secret. Comme Ransom, Blackstock est l'un de ceux qui se montrent réticents à faire coexister analyse et action au sein de la même agence. Cette coexistence, écrit-il, influence la

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prise de décision politique, du fait que la covert action tend à être considérée comme une option possible (c'est la fameuse "third option" que bien plus tard Theodore Shackley défendra, entre l'envoi des marines et l'abstention de toute action, avec tapage). Le Congrès, selon l'auteur, répugne à jouer son rôle. Blackstock s'interroge avec pessimisme sur la possibilité même d'un contrôle effectif de la covert action, de l'extérieur. Hilsman rejoint ces vues : la CIA cumule les avantages en termes de puissance au point de poser problème dans le processus démocratique de prise de décisions politiques, écrit-il en substance. De même, il recommande la stricte coordination des opérations de renseignement avec les autres instruments de la politique étrangère et une doctrine d'emploi rationnelle pour la covert action. Autant d'avertissements clairvoyants pour que soient ramenées dans le cadre et la norme des instruments de la politique intérieure et extérieure américaine les opérations sensibles conduites par les services de renseignement. Ils demeurèrent vains, on le sait. Et c'est dans un climat polémique et de scandales portés au jour par les media, que la question du contrôle conjoint et effectif de l'exécutif et du Congrès sur le renseignement s'est posée. Dans l'optique de notre étude, le contrôle sur le renseignement ne constitue pas à proprement parler une nouvelle modalité des rapports politique-renseignement. Il demeure dans la logique du renseignement comme pilier de la politique de sécurité, même si cette dernière est contestée comme trop compétitive : nous sommes tentés de dire que c'est le point de vue qui change, de la confiance à la défiance, sur l'usage des instruments de pouvoir américains à l'étranger et les normes ressenties comme nécessaires à cet usage - le renseignement, auquel s'est trouvé historiquement rattachée la covert action, étant l'un de ces instruments. C'est en 1985 seulement que paraît la synthèse de John Oseth sur la période tumultueuse mais brève dont le vote de l'amendement Hughes-Ryan de 1974 au Foreign Assistance Act (1961) peut marquer l'émergence dans la vie publique, et 1980 (échec du vote de la seconde version de la loi qui devait remplacer le National Security Act) la retombée alors qu'elle s'essouffle déjà depuis 1978. L'objet du débat de l'époque, lié à l'examen d'ensemble des actes du gouvernement aux Etats-Unis et à l'étranger, c'est l'opportunité de fixer des limites légales aux opérations menées par les services de renseignement, et lesquelles. Oseth suit par le menu les avatars de chaque projet de réglementation, partant de l'hypothèse que les décisions en matière de contrôle ou non du renseignement permettent d'identifier les valeurs de la société américaine et les conflits entre elles. Le débat sur le renseignement, écrit-il, est à l'intersection des idéaux internes et des intérêts extérieurs, des buts de politique interne et des impératifs de la vie au sein du système international. S'inspirant des travaux de Samuel Huntington, il perçoit les décisions concernant les services de renseignement comme autant de choix quant aux idéaux et aux valeurs essentielles pour l'image que les Américains ont d'eux-mêmes ou, pour le dire autrement, comme une ocasion de suivre et d'évaluer le processus continu de création de la nation (nation-creating) qui est, écrit-il, le processus de la politique américaine. Nous ne rendrons pas compte du détail des travaux d'Oseth, qui suit tous les stades et étapes du débat réglementaire jusqu'à la mise sous le boisseau de la fameuse grande charte du renseignement dont l'idée même se meurt, à la veille de l'accession de Ronald Reagan à la présidence. Sur le long terme, le poids de l'argument de sécurité bat en brèche l'idée que les Etats-Unis n'ont pas besoin des moyens douteux de la covert action pour relever les défis, leurs forces consistant d'abord à conserver, par restrictions auto-consenties, les valeurs qui les différencient de leurs adversaires. Au-delà, toute remise en question du monopole du Président sur les instruments de la sécurité nationale, esquissée au début de la présidence Carter, est enterrée. Et Oseth rejoint les préférences d'autres professionnels (Cline, Kirkpatrick...) pour un contrôle direct du renseignement par le Président. Au terme de l'étude

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détaillée qu'il lui consacre, l'approche réglementaire du contrôle du renseignement rencontre en effet ses limites : celles des pratiques bureaucratiques et des marchandages invisibles contre lesquels, conclut-il, elle demeure sans effet. Le troisième courant d'étude sur le renseignement que nous avons distingué est celui qui a pris pour centre d'intérêt les attaques par surprise. L'on pourrait dire qu'il est une suite traumatique du choc de Pearl Harbor. Au début des années 60, des universitaires tentent d'employer des concepts d'analyse comme outils pour comprendre de façon globale les racines de la surprise, rappelle A. Ben-Zvi (1976). Ils se proposent d'aider à prévenir ce type d'attaque en en dégageant les variables communes principales pour constituer à terme une théorie opérationnelle du renseignement. Les débuts sont modestes : il s'agit d'étudier par le menu les cas connus d'attaque par surprise (post-mortem examination, autopsie, selon l'expression imagée utilisée par ces chercheurs). Surprise militaire d'abord, élargie au fil de l'avancement des travaux à la notion de surprise en général, surprise diplomatique, technologique, politique... Les cas pour lesquels on dispose de données suffisantes ne sont pas si nombreux. Les exemples empruntés à la seconde guerre mondiale, Pearl Harbor, Cuba, l'offensive du Têt, reviennent souvent. En 1973, ils s'augmentent de l'attaque égyptienne contre Israël, lors de la guerre dite du Yom Kippur. Les préoccupations des chercheurs israéliens après l'événement se trouvent rejoindre naturellement celle du petit groupe américain qui poursuit ces recherches, et une collaboration étroite, aux Etats-Unis ou depuis Israël, s'instaure, dont les mutuelles et constantes citations des publications des uns et des autres dans les notes bibliographiques portent témoignage. Il semble un peu vain de distinguer par nationalité des travaux que les chercheurs ont mêlés et qui constituent un ensemble assez cohérent pour que leurs auteurs reconnaissent appartenir à une école de recherche sur la surprise, groupée autour de Richard Betts (l'annexe 2 précise la nationalité des auteurs non-américains, à toutes fins utiles). Les études de cas sont menées essentiellement de 1962 à 1980. Elles s'ouvrent rapidement du domaine d'étude somme toute limité de la surprise à des questions générales de politique et de stratégie. En effet la surprise est liée de façon inhérente à une défaillance en matière d'information et de transmission de l'information : information négligée, mal comprise ou mal interprétée par les services de renseignement; information transmise trop tard ou au mauvais échelon par la machinerie bureaucratique, ou encore édulcorée ou mise sous le boisseau par la haute hiérarchie du renseignement; information transmise effectivement au politique qui la néglige, n'y ajoute pas foi, en mésuse ou prend, sur sa foi, des décisions mauvaises ou inefficaces car trop tardives. Ces dysfonctionnements, dont on ne cite que quelques éventualités, relèvent de plusieurs catégories : problèmes de perception des signes d'alerte et d'interprétation des informations par les services de renseignement et les usagers finals; problèmes nés de l'organisation bureaucratique (lenteur, hiérarchie, compartimentation, secret); problèmes psychologiques et politiques liés à l'alerte (crédibilité, délai, coûts et conséquences). Les recherches s'orientent de façon logique vers l'étude des rapports renseignement-politique dans le contexte de la surprise, c'est-à-dire dans un climat de tension ou de crise, et enrichissent de ce fait le thème qui nous intéresse. L'ouvrage fondateur est celui, fameux, de Roberta Wohlstetter (1962), étude minutieuse des conditions de toutes natures qui rendirent possible Pearl Harbor. C'est elle qui la première posa les hypothèses et les concepts utilisés communément depuis. Empruntant à la théorie de l'information les notions de bruit et de signal, elle montre que les signaux d'alerte parviennent noyés dans des "bruits", masses d'informations non pertinentes, fausses ou délibérément

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introduites par l'ennemi pour tromper. Pour discerner des sons précis parmi les bruits, il faut, dit-elle, guetter quelque chose, il faut disposer d'hypothèses qui guident l'analyste. Percevoir est un acte. Les signaux sont toujours équivoques et ambigus, décodés dans un contexte politique donné. Les intentions ennemies sont interprétées selon les présupposés dominants du moment, à l'intérieur d'un horizon souvent limité. Les fausses alertes répétées ou une lente accumulation de signes de péril endorment la vigilance. La tendance à dénier les signes qui vont à l'encontre de ce qu'on attend ou de ce que l'on souhaite, celle qui consiste à attribuer à l'ennemi nos valeurs, nos modes de raisonnement et d'évaluation des risques, vont dans le même sens. S'ajoutent à cela la lenteur des liaisons bureaucratiques, les rivalités entre services, les préjugés contre les spécialistes, et le peu de prestige accordé aux carrières du renseignement. R. Wohlstetter conclut à l'incertitude inhérente à la perception des signaux d'alerte qu'on peut réduire mais non supprimer. Etudiant l'affaire de Cuba, Klaus Knorr (1964) insiste, lui, sur la difficulté de prévoir le comportement d'un pays hostile. Les services de renseignement utilisent des séries d'hypothèses nées d'expériences accumulées, pour tâcher d'anticiper les surprises. Hypothèses inévitables, utiles même, écrit-il, mais qui peuvent induire en erreur : soit parce qu'elles ont été justes à un moment donné mais sont devenues obsolètes - dans ce cas, justement parce qu'elles ont rendu service, ce sont les plus difficiles à remettre en cause (Shlaim, 1976) -, soit parce que la décision de l'adversaire d'attaquer a été très soigneusement cachée ou prise en fonction de facteurs émotionnels et irrationnels. Knorr plaide pour l'élaboration d'une théorie du renseignement destinée à clarifier les problèmes complexes de la prévision : distinguer les événements selon leur degré de prédiction possible, observer les déviations par rapport au comportement rationnel de certains leaders, mettre au jour et évaluer les hypothèses en cours dans les services. Ainsi, espère-t-il, les professionnels du renseignement pourraient se protéger contre une attente excessive de la part des usagers en matière de prévision, notamment en temps de crise. Les questions liées aux indicateurs possibles de la surprise, aux difficultés de la prévision, amènent les chercheurs à s'intéresser à la perception des informations, dans un contexte politique ou psychologique donné. Alors qu'A. Ben-Zvi (1976) insiste sur le poids des a priori stratégiques qui prévalent sur les informations tactiques en cas de surprise, A. Shlaim (1976) utilisent les travaux classiques de Irving Janis sur la prise de décision en situation de stress qui selon lui amoindrit la tolérance et renforce la cohésion donc le conformisme des groupes. Et ceux de Robert Jervis sur l'importance des images propres à chaque individu dans son évaluation d'une situation. Une information nouvelle est interprétée de façon à confirmer ces images jusqu'à supprimer purement et simplement les informations qui vont contre sa tendance première. Shlaim éclaire par ces travaux sa propre recherche des racines psychologiques et institutionnelles de la surprise. Harold Wilensky, dans un célèbre ouvrage (Organizational intelligence), s'intéresse lui aussi aux pathologies liées à l'information, moins aux distorsions de la perception qu'aux dysfonctionnements de la circulation des flux d'informations au sein des organisations de renseignement. Selon lui, la hiérarchie, la spécialisation et la centralisation en sont les causes principales. Il dénonce la tendance de ceux qu'il appelle des empiristes, juristes ou militaires, qui veulent séparer la fonction de collecte de "faits bruts" de leur interprétation; ainsi que la part trop belle faite au renseignement courant, apportant à très court terme des réponses simples à des questions immédiates. Elles entraînent des prédictions, elles aussi à court terme, simplistes et souvent erronées; les experts sont mal utilisés, censés remplir des attentes irréalistes, voire dangereuses. Pour Wilensky, la surestimation des sources secrètes demeure.

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Quant à réorganiser la structure administrative du renseignement, le remède est chronique autant qu'inefficace puisque les sources de la rétention ou de la distorsion des informations demeurent : le fait de faciliter les flux d'informations entre en contradiction avec la nature spécialisée des tâches du renseignement, qu'on doit aussi contrôler, coordonner, centraliser, tout en assurant le secret nécessaire à la sécurité interne... et à la concurrence. D'où l'importance de l'attitude de la haute hiérarchie à l'égard du savoir, elle-même fonction de sa formation et des sources indépendantes dont elle peut disposer. Et de la capacité des spécialistes de l'information à s'adapter au ton général du discours politique. C'est Steve Chan qui fait la synthèse de vingt années d'étude sur la surprise (1979) et oriente les recherches vers l'interaction renseignement-politique en approfondissant la notion d'alerte. L'alerte n'est pas value-free, écrit-il. Elle implique une distribution nouvelle de l'attention des hommes politiques et des ressources. La mise en état d'alerte induit des coûts psychologiques et politiques à l'intérieur et à l'extérieur d'un Etat. Encore faut-il que le récepteur de l'alerte puisse agir efficacement en fonction d'elle. Autrement dit l'exactitude d'une prévision n'offre aucun intérêt en soi, mais seulement si elle préserve le délai pour agir, à supposer même qu'il existe une possibilité de contrer les intentions mises au jour d'un adversaire. Améliorer la qualité des alertes émises par les services de renseignement n'implique pas une prise de décision améliorée de leurs usagers. Toute alerte, dit Chan, doit être située pour être jugée fausse ou exacte dans le contexte politique général. L'attention portée par l'homme politique à la surveillance de tels acteurs, les ressources qu'il est prêt à y consacrer, ses conceptions sur les alternatives politiques entrent en jeu. D'autre part un état d'alerte peut pousser un ennemi à annuler ses plans, réduisant à néant les justifications d'une telle décision. Il convient aussi de distinguer la capacité d'un adversaire à infliger une attaque par surprise des motivations qu'il a de la mettre en oeuvre effectivement. L'inconvénient de l'étude d'un petit nombre de cas est justement de sur-interpréter ces cas et d'induire l'impression que les surprises sont une éventualité fréquente et redoutable. Afin d'améliorer la qualité des évaluations proposées aux hommes politiques, notamment aux fins d'alerte, Shlaim a suggéré (1976) de multiplier les rapports émanant de sources de renseignement plus nombreuses, afin qu'une variété de points de vue puisse être soumise à l'appréciation des hommes politiques. L'idée paraît bonne mais difficile à mettre en pratique : leur emploi du temps ne leur permet pas de consacrer un temps plus important à la lecture des rapports et à la réflexion préalable à la décision. De plus les ressources affectées à la surveillance sont limitées et ne peuvent être éparpillées sans risque d'en devenir inefficaces. Le pluralisme des sources, enfin, n'assure pas de facto la diversité des perspectives intellectuelles. Comment savoir, s'interroge Chan, si, mis en présence d'évaluations émanant de sources plus nombreuses, les politiques en décideraient plus sagement? La question de la diversité des opinions rejoint celle de leur indépendance, débattue depuis la mise en place même des services de renseignement. L'autonomie des producteurs de renseignement par rapport au politique est selon Chan fonction du nombre d'usagers en concurrence. Or leur nombre est réduit - le gouvernement, les autres agences, un peu le Congrès - et le demeurera. Augmenter le nombre des producteurs sans augmenter le nombre des usagers ne fera que renforcer la dépendance des premiers et la concurrence qu'ils se livreront. L'effet pervers sera d'accroître le conformisme et la complaisance envers les politiques. L'indépendance des services de renseignement est, de l'avis de S. Chan, illusoire et peu souhaitable : ces derniers reflètent inévitablement les priorités des leaders politiques. En pratique, un système de renseignement coupé de la pensée des politiques aboutirait à substituer les mobiles des producteurs à ceux des usagers.

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L'article est célèbre : il fait un point exact de l'avancement des recherches concernant la surprise, notamment des emprunts à des disciplines voisines : théorie de l'information, recherches sur la perception, psychologie sociale ou individuelle, théorie des organisations. De la notion d'alerte, de sa perception, l'intérêt se déplace vers les flux d'information allant du renseignement vers le politique, aux fins d'alerte : sur quels indicateurs les fonder, comment mesurer l'incertitude et tenter de la réduire, quelles sont les barrières institutionnelles qui les freinent, quelles sont leurs conséquences, quelle réception leur réservent les décideurs politiques. La logique de la recherche commande l'intérêt nouveau pour les relations entre le renseignement et la politique; l'actualité joue sans doute aussi son rôle. Le thème de l'échec du renseignement (intelligence failure) fait florès tout au long des années 70. C'est d'abord la relation allant du renseignement vers la politique qui est objet d'analyse, l'interaction entre les deux le devenant davantage à la fin des années 80. Peu avant Steve Chan, Richard Betts (1978) tente de conceptualiser la notion d'échec en matière de renseignement. Il faut, dit-il, mettre cette notion en perspective : qu'appelle-t-on échec? Dispose-t-on d'indicateurs clairs de l'échec, a-t-on seulement une idée de la proportion réelle de ces échecs par rapport aux succès? Il convient en outre de distinguer des échecs à proprement parler les pathologies de la communication et les paradoxes de la perception : à quoi bon, écrit-il, des systèmes d'alerte de plus en plus sophistiqués si les jugements stratégiques préconçus demeurent, si les informations sont bloquées le long de la chaîne de commandement, sont noyées dans un climat de deception ou se heurtent à l'incrédulité. L'échec caractérisé est rare (pouvait-on même, alors, espérer raisonnablement le succès?) et n'a pas toujours de graves conséquences. La preuve en est que, par exemple, la mauvaise estimation du nombre d'ICBMs soviétiques par la CIA n'a pas entraîné un changement de la stratégie nucléaire américaine. Pour reconnaître ce qui sépare l'échec du renseignement de l'échec d'une politique, il faut faire la part des différences de contraintes et de motivations entre le renseignement et la politique. Les qualités nécessaires à l'exactitude ne sont pas celles exigées pour exercer de l'influence. Les limites de l'analyse doivent aussi être connues : elle peut clarifier les variables en jeu, présenter un éventail de développements possibles (sans pouvoir les dater exactement), attirer l'attention sur des détails qui échappent aux généralistes que sont les hommes politiques, mais elle demeure équivoque, car fondée sur des preuves ambigues, qui pourraient soutenir plus d'une opinion. C'est faute de savoir qu'on évalue, en vue de faciliter la prise de décision dans un environnement incertain. Cette incertitude renvoie à l'inadéquation des données brutes : soit qu'elles manquent, soit au contraire qu'elles surabondent dans un environnement de "bruits" et de deception. La conséquence de ce trop-plein de données, c'est que le temps manque pour les trier; l'incertitude en est accrue et le recours à l'intuition plus systématique. Le renseignement échoue ainsi souvent parce qu'il laisse trop de place au jugement politique plutôt qu'il ne lui impose trop de contraintes. Plus grande est l'ambiguité, plus réduits les délais, plus les préjugés et stéréotypes prévalent; les différents points de vue exposés acquièrent tous une même respectabilité empirique. Et le décideur choisit parmi eux celui qui rencontre ses propres préjugés. C'est à tort, renchérit Michael Handel (1987 à 1989), qu'on suppose que l'objectivité croît avec la technicité et l'étroitesse d'un sujet. Les services de renseignement ne peuvent évaluer objectivement les données chiffrées, et moins encore celles qui échappent à la quantification. C'est le sens qu'il faut leur donner qui ne peut susciter d'accord clair. Les faits ne parlent pas d'eux-mêmes : ils sont susceptibles d'interprétations différentes, faute de critères objectifs d'analyse, ou d'une norme commune de référence. C'est cette ambiguité qui rend le processus

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d'analyse du renseignement poreux à l'interférence politique. Les parties les plus motivées politiquement trouvent là motif à choisir l'interprétation soutenant au mieux leurs intérêts. Nulle réforme administrative ne viendra à bout de difficultés méthodologiques. Evoquant le modèle de "contrôle subjectif" proposé par Samuel Huntington, à propos de la propension des civils à utiliser l'armée à des fins partisanes, Handel suggère que la tentation est encore plus grande d'utiliser le contrôle de la communauté du renseignement sur l'information à des fins politiques. Son autonomie professionnelle est constamment mise en question. La politisation du renseignement résulte du fait élémentaire que le renseignement est essentiel à la promotion de presque tous les intérêts politiques (y compris les siens propres), à l'exercice et à l'extension du pouvoir politique et militaire en général. L'idée d'une communauté du renseignement politiquement neutre est une chimère : elle ne fonctionne pas dans le vide politique (voir aussi Gazit, 1988). Cherchant à élaborer un cadre pour l'analyse systématique des interférences de la politique dans le renseignement (1987), Handel se heurte à la difficulté de définir d'un côté le policy-making, de l'autre le renseignement. Les préoccupations politiques pénètrent tous les aspects du renseignement : tout est policy-making, écrit-il. Sur le renseignement pèse la pression confondue de la politique extérieure et intérieure. Handel rappelle que le renseignement a aussi pour tâche celle de répercuter la vision portée par les pays étrangers sur la politique américaine, éveillant par là la suspicion des hommes politiques, peu enclins à accueillir d'une âme égale d'éventuelles critiques contre les politiques mises en oeuvre et à voir fournir leur opposition en arguments. La communauté du renseignement, elle-même, introduit ses propres biais. Dans un contexte de ressources limitées, la concurrence entre agences est un jeu à somme nulle. La pression sociale s'exerce au sein de la communauté pour rechercher un consensus générateur de biais. Le processus de coordination du renseignement entre agences aboutit à une "vérité acceptable", un plus petit commun dénominateur, résultat de compromis et négociations internes. Il reflète souvent les positions de l'agence la plus puissante dans un contexte donné. D'où la laborieuse production de produits de renseignement comme les National Intelligence Estimates (NIEs), auxquels on reproche d'être peu clairs ("talmudiques" aurait dit H. Kissinger) et inadaptés à l'action politique. Or l'uniformité n'est pas une fin en soi : les services de renseignement ne sont pas, comme la Cour suprême, tenus par les précédents, commente Handel. Au reste, la qualité ne suffit pas. Une analyse exacte demeure sans poids si les services n'obtiennent pas des décideurs que les mesures adéquates soient prises. Handel s'accorde avec Betts pour souligner l'importance de contacts suivis entre les hommes politiques et leurs interlocuteurs pour le renseignement (le D.C.I. principalement), ces derniers devant idéalement combiner les qualités un peu antinomiques d'un expert de premier ordre et d'un fin tacticien politique. A tout le moins doivent-ils se soucier d'assurer entre les deux mondes la meilleure communication possible. Handel constate le paradoxe de la démocratie qui exacerbe la lutte pour influencer l'opinion, donc la politisation du renseignement, mais la contient et la limite aussi. La maîtrise du politique sur le renseignement est normale et doit être distinguée d'une interférence abusive : tout n'est pas pathologique dans les dimensions politiques du processus de renseignement, assure Handel. Si le renseignement tel qu'il fonctionne est clairement éloigné du renseignement idéal, il n'en reste pas moins utile de chercher à en saisir la logique, à fixer une norme de référence pour conduire les activités réelles du renseignement. Comme ses devanciers (Hilsman, Kent), Handel croit que les services gagnent à travailler en fonction d'un modèle de référence, fût-il hors d'atteinte.

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Partant du rôle du renseignement pour éviter la guerre ou la défaite dans la guerre, l'école dite "de la surprise" a approfondi la notion d'alerte. L'alerte amène dans le débat les partenaires politiques des services. Et l'analyse des difficultés entre eux a pris le pas sur l'étude de la surprise, comme si les recherches sur cette dernière avaient épuisé la question. Une autre génération de chercheurs semble revenir au thème de départ, faute sans doute d'avoir trouvé chez leurs aînés la théorie opérationnelle de la surprise qu'ils se proposaient de construire à la fin des années 50. C'est le cas d'Ariel Levite (1987, 1989) qui appelle de ses voeux un renouvellement de la méthodologie des études sur la surprise, afin de déterminer plus rigoureusement les variables en jeu. Contrairement à R. Betts, il craint moins la sous-estimation par les politiques de la menace, que les risques d'escalade qu'elle pourrait augmenter. Faute d'idée claire sur la probabilité de la survenue des attaques de ce type et sur leurs conséquences stratégiques, c'est-à-dire faute d'études sur des cas suffisamment nombreux, on ne peut trancher. Levite s'attira les foudres, et l'épithète de revisionnist de la part de Richard Betts (1989) - qualification dont la connotation en France et aux Etats-Unis n'est pas la même : hétérodoxe serait la traduction la moins inexacte. La virulence de l'article, due à des blessures d'amour-propre que Betts reconnaît en s'en défendant, ne doit pas obscurcir l'approfondissement théorique dont il est l'occasion. Rejetant la tentation et même la possibilité d'être plus "scientifique" pour étudier les attaques par surprise, Betts met en garde contre une dépolitisation de la question de l'alerte, qui pourrait faire croire faussement qu'un "bon" renseignement peut remplacer le renseignement ambigu, évitant ainsi aux politiques les erreurs du passé. Levite usa fort respectueusement de son droit de réponse, et apparemment peu attiré par les schismes, remit la querelle qu'on lui cherchait à sa juste place. Il tint ferme cependant sur la question, très réelle pour qui connaît l'ensemble du dossier, de la méthodologie. Comment, avec le recul, ne pas voir que le souci de donner des fondements plus sûrs aux recherches sur les attaques par surprise ne peut que bénéficier à celles conduites sur la prise de décision dans un contexte d'ambiguité et d'incertitude? Dans les deux cas, c'est de sens et d'interprétation qu'il est sans cesse question. Tout ce courant, homogène dans sa compositon (des universitaires), se tient assez à part et porte peu d'intérêt aux questions de renseignement qui s'écartent de la fonction d'alerte, supposée essentielle. La dernière tendance du renseignement que nous distinguons est celle qui vient après la cassure du Vietnam, l'affaiblissement relatif des Etats-Unis sur les plans politique et économique, les scandales en série et les échecs de nombreuses opérations qui mirent à mal l'ensemble des services de renseignement américains. C'est un courant très divers qui voit le jour à la fin des années 70 et que, faute de mieux, l'on peut appeler réaliste. Sa production fait davantage place aux anciens professionnels et aux données nouvelles tant politiques que technologiques. Ray Cline, ancien Deputy Director à la CIA, donne très tôt le ton qui sera celui de nombreux ouvrages publiés dans les années 80 : c'est de renseignement efficace qu'il s'agit, et des réformes nécessaires pour le mettre en oeuvre. Radicales : démantèlement de la CIA, remplacée par une agence consacrée exclusivement à l'analyse; collecte clandestine mise à part, opérations spéciales dont la mauvaise image nuit aux autres branches du renseignement, limitées et sans structure permanente. Cline appelle de ses voeux un vrai service central de renseignement, en meilleure position pour satisfaire les besoins du Président. Le D.C.I. serait le conseiller de ce dernier pour le renseignement concernant les pays étrangers (foreign intelligence, abrégé en FI : l'expression désigne toujours le renseignement sur l'étranger, et non les services de renseignement étrangers). Il serait aussi responsable de la mise en oeuvre

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des programmes de collecte de renseignement et du contrôle sur les projets d'opérations spéciales. L'on a compris que pour Cline, le lien entre la branche analyse du renseignement et le politique est premier. Il doit exister au plus haut niveau (NSC et Président) afin d'assurer la bonne compréhension du renseignement par ses usagers politiques. Encore marqué par les accusations d'illégalité portées contre les pratiques de la CIA, Cline préconise l'acceptation du contrôle global du Congrès sur le renseignement, et la reconquête du soutien de l'opinion grâce à de claires explications de la politique étrangère américaine. Si ses ouvrages sont abondamment cités, c'est qu'ils sont représentatifs d'un état d'esprit "d'après crise" partagé par de nombreux professionnels du renseignement qui veulent mettre fin à l'impopularité des services de renseignement. Comment? Pour Cline, c'est en privilégiant l'agence vouée à l'analyse sur toutes les autres, dont le sort futur n'est guère éclairci et, réflexe ancien, en en faisant en tous points l'agence du Président. On imagine volontiers que les rapports entre elle et le Président, ses conseillers et le National Security Council, seront étroits via le D.C.I., qu'il sera mieux tenu compte des réactions en retour des usagers. Mais la réflexion de Cline se limite au mécanisme institutionnel; encore passe-t-il sous silence le rôle du Department of Defense et du Département d'Etat dans l'affaire, son goût de la réforme prenant par instants le pas sur le réalisme. C'est là un reproche qu'on ne peut appliquer à l'opuscule publié par Thomas L. Hughes (1976). Sa notoriété, la qualité d'une écriture brillante et ironique soutenue par une évidente culture, ont eu raison de nos hésitations à l'inclure dans notre corpus. Hughes (Département d'Etat) aborde d'un point de vue modeste, marginal dit-il, les relations entre le renseignement et la politique : il traite du côté humain (human sides of intelligence and policy). Qu'on ne s'y fie pas : la modestie n'est pas le fort de l'auteur qui, avec la complaisance de l'homme qui connaît le dessous des cartes, brocarde Kent et ses austères disciples, dédaigneux des pédants efforts des théoriciens. L'on aurait cependant tort de craindre qu'une plume impressionniste s'attache à quelques anecdotes. Hughes connaît et comprend parfaitement ce qu'il regarde avec une ironique distance. Il l'a assimilé et l'utilise fort à propos dans sa description des rapports entre les services et les hommes politiques, jeu entre personnes se ménageant bon gré mal gré dans le commun souci d'assurer la longévité de leurs carrières. Hughes résume ainsi les relations renseignement-politique : des faits, des idées et des hommes. Les faits surgissent dans le monde des hommes et y subissent tous les aléas de la perception humaine : ils sont le jouet des outils conceptuels que chacun apporte au moment de les appréhender, et en sont rapprochés ou éloignés d'autant de l'objectivité idéale. Les antipathies entre personnes jouent leur rôle dans la perception des faits, moins cependant que le rang, la place dans la pyramide hiérarchique, les reponsabilités que les hommes ont ou croient avoir. Le sort des idées (c'est-à-dire des produits analytiques du renseignement) n'est pas meilleur, objet de concurrence entre les hommes du renseignement et les hommes politiques. Problème de définition, allègue Hughes : "no one agrees on what is policy and what is intelligence". C'est moins de définition que de répartition des compétences qu'il s'agit ici : les évaluations et estimations en matière de politique étrangère font-elles partie des fonctions de renseignement, ou reviennent-elles aux politiques exclusivement? Qu'est-ce, alors, qu'un policy-maker? "The man who actually has something to say about a policy actually being decided", répond Hughes, précisant que toute politique ayant de multiples initiateurs, la relation renseignement-politique ne peut être conçue de façon figée. Elle varie selon les sujets en discussion. Les facteurs sujet, intérêt, rôle contribuent à rendre le processus d'ensemble bien moins subjectif et chaotique que les ingrédients humains qui le mettent en oeuvre.

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Les hommes politiques qui ont occupé un même poste ont des visions du monde (big picture) très différentes et les services de renseignement sont chargés, pour faire court, de les modifier. Face à l'homme politique désireux d'imprimer sa marque sur une politique donnée, le renseignement peut, dit plaisamment Hughes, l'aider à échouer par une opposition si opiniâtre , des prédictions si pessimistes qu'elles servent ses adversaires. C'en est alors fini de la politique en question. Plus le politique veut donner une dimension personnelle à ses décisions, plus il est atteint par l'hostilité des services. Il cherche alors à s'en passer mais ne le peut durablement, le renseignement étant institutionnalisé de façon irréversible dans la vie gouvernementale américaine. Le mieux pour le politique est d'infléchir sa relation avec le renseignement dans un sens positif : choisir ses interlocuteurs, exprimer ses intérêts et désintérêts pour que la sélection d'informations qui lui parvient soit pertinente, accepter la contradiction sur les sujets mineurs en contrepartie de soutien sur les plus importants. L'homme politique se trouve en position, explique Hughes, de défendre et justifier sa politique face aux interlocuteurs les plus variés. Pour ce faire, les services de renseignement sont d'une efficacité supérieure à la moyenne. D'autre part, les directeurs des services de renseignement ont presque tous le souci de fournir des produits adaptés aux besoins connus ou présumés de l'usager. Ils recherchent la plus grande pertinence dans l'élaboration de la politique afin de ne pas être cantonnés dans un rôle instrumental. L'usager décide, mais il est bien avisé d'utiliser les produits de renseignement qui vont dans son sens. C'est une tâche facile, bénéfique à plus d'un titre, de les surévaluer même; sont ainsi vite oubliés les renseignements contraires à ses idées demeurés sous le boisseau. Il peut faire appel aux agents pour trouver a posteriori des arguments favorables à une décision déjà prise, mais pas trop souvent, recommande Hughes, car l'homme politique devient alors dépendant des services de renseignement, qu'il ne peut écarter que difficilement par la suite. Le politique doit contrôler et diriger le renseignement, avec une modération propre à éviter les outrances nuisibles de la politisation des produits et de hommes du renseignement, ces derniers devant aussi, pour leur part, y résister. Veiller à l'harmonieuse coexistence des deux sphères, vouées à la coopération, revient à la haute hiérarchie du renseignement dont Hughes énumère les multiples et délicates fonctions de médiatrice, et donc les rares qualités nécessaires pour s'en acquitter. La description alerte de la pratique quotidienne des relations renseignement-politique telle que nous la livre Hughes, en la ponctuant de remarques inattendues, se lit avec intérêt. L'auteur a pris la précaution de limiter son propos au "côté humain" comme c'est, après tout, légitime. Quand il s'échappe de la pratique pour donner sa vision de ce que devrait être cette relation, se fait alors sentir le défaut d'analyse globale, politique, de celle-ci, dont l'exhortation à la modération du politique ou le recours au médiateur providentiel pallient mal l'absence. Ce n'est pas par hasard que l'ouvrage de Hughes est une référence constante. Il peut venir au secours de n'importe quelle position, particulièrement de celles qui laissent entendre qu'une théorie du renseignement s'essouffle à rendre compte de la richesse de la réalité, dont l'intuition et l'expérience, elles, suffisent à donner avec simplicité une exacte idée. C'est pourtant dans le but d'un renouvellement théorique que Roy Godson, professeur à Georgetown University, a réuni autour de lui un groupe d'universitaires, d'anciens professionnels civils ou militaires, de personnes occupant ou ayant ocupé des fonctions importantes dans l'Exécutif, et d'élus du Congrès. C'est en 1979 que la réunion fondatrice du Consortium for the Study of Intelligence a lieu. La date est significative : c'est le moment où l'accent mis sur les contraintes légales à imposer au renseignement perd de sa force, comme

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pouvant mettre en danger l'aptitude des services à servir les intérêts nationaux (Oseth, 1985). L'effet désastreux des "fuites" sur les services est mis en avant au Congrès, contre les tenants de la liberté d'expression et de presse (First Amendment, Freedom of Information Act, et Privacy Act). Les événements du Moyen-Orient et du Golfe Persique, l'affaire iranienne notamment, montrent la vulnérabilité des Etats-Unis. Le Président Carter revient au thème du monde dangereux. L'argument des intérêts de sécurité, naguère encore suspect, revient en force; il est repris à son compte dans les années qui suivent par l'idéologie reaganienne. Le Consortium se propose de conceptualiser le renseignement, de le rationaliser avec l'objectif déclaré d'améliorer son efficacité. Il s'agit de le remettre en position d'assumer sa fonction essentielle dans la politique de sécurité nationale, tout en permettant par surcroît de reconquérir une réputation tombée au plus bas. Mettant en commun les ressources de participants d'horizons variés - parmi lesquels les universitaires sont minoritaires, il convient de le préciser -, Godson parvint en quelques années à aborder, dans les sept volumes de la série de publications qu'il dirigea, tous les grands sujets à l'ordre du jour. Une large diffusion des travaux du Consortium auprès de tous les hommes en place chargés de prendre des décisions ou de peser sur elles, dans le domaine du renseignement et de la politique étrangère, fut assurée, conformément à l'esprit du Consortium qui voulait leur proposer des solutions pratiques susceptibles de les aider à sortir le renseignement de la crise subie depuis plusieurs années. De même, plusieurs membres influents, comme Angelo Codevilla, proche de Godson, et Godson lui-même, firent partie de l'équipe d'évaluation du renseignement mise en place par R. Reagan au début de son mandat, ou furent consultants auprès de l'Exécutif durant ses mandats. Il faut cependant bien se garder de considérer tous ceux qui participèrent à un débat ou présentèrent une communication, comme des sympathisants de l'équipe Reagan. Godson réussit à réunir toutes les compétences disponibles sur le renseignement, de formation et d'opinion les plus diverses. Les publications du Consortium sont le reflet de ce tour de force : elles sont hétérogènes tant leurs auteurs présentent de points de vue variés, d'intérêt inégal, mais en même temps stimulantes pour la recherche puisque les positions de chacun sont échangées et critiquées hors du vase clos habituel. Nous ne retenons ici, parmi les contributions qui nous semblent les meilleures, que celles qui ont un lien avec les rapports renseignement-politique. L'idée de départ de Godson est que les Etats-Unis ont besoin de ce qu'il appelle une "full-service intelligence capability", résultant de la coordination et de l'intégration dans la politique de quatre éléments rigoureusement interdépendants : collecte, analyse, contre-espionnage, covert action. L'on remarque que trois de ces éléments (collecte et contre-espionnage en partie, covert action entièrement), requièrent un engagement actif des services (Godson, Codevilla, K. de Graffenried, Vol. I et IV). D'autre part Godson donne une définition de la policy : ce n'est ni la rhétorique des hommes politiques, ni la routine bureaucratique, ni quelque décision isolée, ou pas seulement. C'est le choix de moyens pour des fins choisies. La sécurité nationale est une partie de la politique publique qui concerne la protection et le renforcement des valeurs vitales américaines contre ce qui les menace. Les plans et pratiques du renseignement en font partie. L'Intelligence policy désigne le choix d'objectifs et de moyens pour le renseignement. De la qualité et de la cohérence de la politique de sécurité nationale dépend l'efficacité du renseignement (Godson, VII). Pour ce qui nous concerne, la politique publique du renseignement est une modalité des relations politique-renseignement, cette fois dans le sens de la politique vers le renseignement. Elle doit, dit Godson, fixer ses structures, son budget, recruter, former et gérer ses personnels. Elle a aussi pour mission d'améliorer les liens entre les moyens du

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renseignement et les besoins des bureaux politiques. Enfin il lui revient de déterminer l'usage du renseignement comme outil de politique étrangère. Graffenried (VII) va dans le même sens : jusqu'à présent les politiques n'ont pas su discerner dans le renseignement davantage que des informations, un véritable instrument de la politique. Il y a une gamme de renseignements possibles, entre lequels le politique ne doit pas négliger de choisir. Pour lui, pas de bon renseignement a priori. Est satisfaisant celui qui atteint les objectifs du politique. Au plus haut niveau, le renseignement est utile pour anticiper les réactions à la politique étrangère américaine et pour saisir les occasions d'avancer les intérêts de sécurité (opportunity intelligence). Le renseignement n'est jamais apolitique, ce qui ne signifie pas qu'il est nécessairement politisé, mais qu'il est le renseignement choisi parmi la gamme des possibles par le politique. Dès que l'on désigne le renseignement comme instrument actif de la politique étrangère, ressurgit la question des branches de ce dernier les plus tournées vers l'action. Elles ont de chauds partisans dans le Consortium. Si leurs échecs furent si fréquents, c'est que leurs missions durent tenir le rôle de substitut d'une politique défaillante, sans buts clairement établis (Codevilla, IV), ou comme arme de dernier recours. Or si tout a échoué, il y a de fortes chances que la covert action échoue aussi, écrit David Charters (Intelligence : policy and process...; participe aussi au groupe Godson), qui seul s'interroge sur le sens de la covert action dans un monde surinformé. Adda Bozeman voit des raisons plus générales aux bévues et échecs du renseignement : l'ignorance américaine de l'histoire, des autres cultures, la croyance que les valeurs américaines sont universelles. "Culture is a non-concept and a non-reality when statecraft is in issue", écrit-elle en dénonçant avec sévérité, dans ses contributions au Consortium mais aussi dans de nombreuses publications, l'ethnocentrisme bien ancré des Américains. Ses énergiques plaidoyers en faveur des études de politique et d'histoire comparées, ainsi que des usages divers du renseignement selon les cultures et les époques, ne sont pas si originaux qu'il y paraît. Ils s'inscrivent dans un courant qui s'intéresse aux concepts de culture, de caractère national (Platt, 1961), à l'ethnocentrisme (Ken Booth, UK, 1979; Clyde Kluckholn, années 50), à l'importance d'une connaissance approfondie des cultures (Pettee, 1946; Hilsman, 1956; R. Pipes, II et VII). Adda Bozeman, elle, veut convaincre que ce type d'études servirait très efficacement la prise de décision en matière de politique étrangère, en augmentant la qualité du renseignement politique. Les politiques n'ont que trop tendance à croire qu'ils peuvent produire eux-mêmes ce type de renseignement (Arthur Hulnick, II), alors qu'est criante l'ignorance du contexte politique à l'étranger (l'exemple du Moyen-Orient est donné par Godson, à propos d'un développement sur la guerre Iran-Irak). Face à ces crises, la rhétorique sert de pensée politique improvisée : rien d'étonnant alors si une communauté du renseignement laissée sans directives politiques cohérentes, n'est capable ni d'anticiper les événements, ni d'alerter le politique. Une détermination préalable des idéaux et des intérêts réellement inaliénables des Etats-Unis, est un pré-requis (Godson, IV); et Adda Bozeman de regretter dans le même ordre d'idée que la réflexion en matière de sécurité nationale stagne depuis les années 70. Le problème des branches "actives" du renseignement, qui se trouvent, rappelons-le, rattachées à la CIA du fait de circonstances historiques, doit être examiné dans ce contexte plus large de crise de la politique étrangère américaine. Leur intégration fait question parce que la politique elle-même fait question. Et leur spécificité, de ce point de vue précis, s'estompe - sans ignorer les styles et pratiques tout à fait différents entre eux de la covert action, de la collecte clandestine et du contre-espionnage dans ses fonctions autres que de sécurité. C'est la conclusion qui se dégage de la lecture des sept volumes produits par le

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Consortium et, à notre avis, le meilleur de son apport, dans la lignée des pionniers que furent Blackstock (1964) et Westerfield (1963). Si les travaux du Consortium ont bénéficié d'une large diffusion et attiré ainsi sur eux l'attention, ils ne représentent pas la seule vision du renseignement conçue dans les années 80. Pendant cette décennie, des disciples de Pettee, Kent et autres novateurs de l'après-guerre ont poursuivi la tendance pionnière de la recherche, en tenant compte des changements de tous ordres survenus depuis. Arthur Hulnick est l'un d'entre eux. Revenant sur le cycle du renseignement (intelligence cycle), il veut en proposer une représentation nouvelle. En ce que ce cycle comporte des interfaces obligées avec le monde politique, il nous intéresse. Peu d'ouvrages qui ne fassent référence au cycle du renseignement, conçu comme une suite de séquences logiques et interdépendantes. A. Hulnick dit que l'origine de l'idée n'est pas claire, mais qu'elle s'imposa. Avec quelques variantes, les auteurs distinguent les étapes suivantes : identification des besoins des usagers en renseignement, collecte, analyse, production d'un produit de renseignement présentant sous un format normalisé les faits et leur évaluation, distribution du renseignement à ceux qui ont le need to know. La boucle est bouclée lorsque l'usager reçoit les informations demandées et prend sa décision ou formule de nouvelles demandes. La première et la dernière séquences intéressent directement notre sujet d'étude : identification des besoins de l'usager et réaction de l'usager. Il apparaît cependant que tout ce qui se passe entre les deux a un effet sur elles. Sur la qualité du renseignement : l'étape de collecte, par exemple, recherche les meilleures sources et évalue la confiance qu'on peut leur accorder. Sur la présentation des informations, thème récurrent de plainte de la part des usagers : la mise en forme et la production du renseignement transmis sont d'une importance cruciale dans la pratique. La représentation du processus du renseignement sous forme de cycle, référence obligée, n'est que rarement soumise à examen. L'étude d'Arthur Hulnick (CIA) fait exception : il remarque que les auteurs présument toujours que l'interface producteurs-usagers du renseignement existe au début et en fin de cycle. C'est, dit-il, simplifier à l'excès la réalité. D'où son souhait de trouver un autre cadre théorique pour les relations producteurs-usagers. Pour ce faire, il s'avère nécessaire de revoir la conception globale du processus, dont certaines parties sont bien séquentielles mais d'autres quasi autonomes. Les processus de production et de collecte -Hulnick exclue la covert action et le contre-espionnage de son étude - comprennent en eux-mêmes un cycle complet. L'approche du processus de renseignement, peu satisfaisante, se voit substituer une approche par les catégories de produits de renseignement auxquelles correspondent selon lui des relations différentes entre producteurs et usagers. Réutilisant une typologie classique du renseignement, il distingue le renseignement d'alerte (warning intelligence), pour lequel les usagers se fient aux services de renseignement. Si des signes de crise sont décelés, il leur revient de les mettre en perspective, tout en évitant de crier au loup (le fameux cry wolf syndrom, cher à "l'école de la surprise"). Puis vient le renseignement courant, quotidien. Ses producteurs doivent connaître les préoccupations du moment des bureaux politiques, et déterminer ce que les politiques demanderaient s'ils formulaient leurs besoins. De diffusion aisée, attendu, le renseignement courant sert d'information de contexte dans le cadre de réunions de service. Le renseignement de fond sur des sujets et pays particuliers est lui en déclin. C'est, écrit Hulnick, celui qui demande le plus de contact, surtout au niveau des services, entre le producteur et l'usager : quelles recherches seront utiles, quelles lacunes doivent être comblées en priorité? Il accroît l'expertise des analystes. Les politiques l'apprécient sous forme brève, accessible en temps utile, pertinente quant à l'ordre du jour. L'ordre des critères s'inverse pour les producteurs... Le renseignement d'évaluation

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(intelligence estimates) est lui produit pour informer le politique en fonction de besoins immédiats (policy support intelligence) : NIEs, rapports interagences, jugements demandés en vue de réunions... Leur impact sur les bonnes relations renseignement-politique peut être sensible s'ils remplissent les conditions de délai et de pertinence requises. C'est aussi la catégorie de renseignement la plus sujette à la politisation. Hulknick recommande d'obtenir à son sujet le plus possible de réactions en retour, par des contacts informels entre services, pour mieux connaître les besoins des politiques, et d'apporter un soin particulier à des explications verbales de ces évaluations, lors de leur remise au niveau politique. La dernière catégorie est celle du renseignement primaire : les raw data font l'objet de larges distributions. Les politiques en sont friands, mais c'est le rôle des services de les prévenir qu'il n'est pas évalué, recoupé ni comparé aux données antérieures. S'il n'échappe pas au lecteur que A. Hulnick réutilise sans s'en justifier des catégories de renseignement traditionnelles, correspondant probablement à la division du travail en usage dans les services américains, il n'en demeure pas moins que son étude offre l'un des rares exemples de modèle des relations renseignement-politique, ici fonction d'une variable principale, la catégorie de renseignement, avec des variables mineures (délai, pertinence, présentation). Continuateurs de Kent, Berkowitz et Goodman (1989) le furent plus qu'aucun autre. Leur ouvrage devait être rien moins que la mise à jour du célèbre classique. Mais quarante ans avaient passé depuis sa publication. "C'est un livre écrit pour les mêmes raisons que le sien mais qui concerne des problèmes différents", concluent-ils avec à propos. Dans le foisonnement d'une synthèse logiquement ordonnancée du renseignement moderne, le lecteur attentif peut discerner des développements originaux sur les rapports renseignement-politique. Le point de départ de leur raisonnement est la remarque que Kent, considérant le renseignement comme une catégorie particulière de la connaissance, ne fournit ni théorie du renseignement ni n'explique par quelle méthode est produite l'analyse. Pourquoi? A cause de la variété infinie des sujets traités par le renseignement, qui ne peut être prévue, répondent-ils. Il faut déterminer quelle information doit être analysée pour le politique. Si l'on accepte leur distinction entre quatre catégories d'informations : les faits connus, les secrets, la désinformation et les mystères pour lesquels on ne dispose pas d'explication, l'on peut dire que l'analyse peut être considérée comme un processus destiné à fournir aux politiques des faits connus, des secrets découverts, de la désinformation identifiée, et des avertissements sur ce qui ne peut être percé à jour. Contrairement aux adeptes de l'image du puzzle dans lequel viennent prendre place les petits fragments d'information, Berkowitz et Goodman pensent que le manque d'information n'est pas toujours à l'origine des mystères, mais plutôt le trop grand nombre de facteurs impossibles à connaître (les intentions de l'ennemi par exemple). Il importe alors de dire au politique ce qu'il en est, de l'aider à reformuler sa question pour lui donner à tout le moins quelques informations utiles, à partir desquelles c'est à lui d'émettre un jugement politique. L'intérêt de ces zones résistant à la connaissance est de tracer la frontière entre le renseignement et la décision politique, saut à franchir, disent-ils, en l'absence d'information suffisante. Au reste, il ne faut pas surévaluer, comme les théories de la prise de décision en matière de politique étrangère tendent à le faire, l'influence du renseignement sur le politique. Elle est bien moindre qu'on ne l'imagine : une évaluation de renseignement n'est que très rarement déterminante. Et si le politique n'est pas satisfait de l'opinion d'une agence, il peut toujours recourir aux services d'une autre, concurrente. La pression du politique souvent dénoncée s'exerce aussi de façon indirecte. A lire Berkowitz et Goodman, les relations initiées par le politique en direction du renseignement sont limitées voire

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Partie 1-. Les grands courant de recherche sur le renseignement

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insuffisantes. Au moment de prendre certaines décisions politiques, il est arrivé qu'on ne se soucie ni du coût du renseignement nécessaire pour les mettre en oeuvre, ni même de la simple possibilité de le produire. L'exemple souvent repris est celui des accords d'arms control soviéto-américains. Le renseignement devait surveiller l'application de ces accords. Outre les problèmes technologiques posés, les services se sont défendus, devant les violations soviétiques de ces accords, d'avoir à trancher les débats politiques que la révélation de ces violations entraînait. Et Berkowitz et Goodman préconisent que de véritables études d'impact sur le renseignement soient effectuées lors de l'implantation de nouvelles politiques et programmes d'armements, afin de savoir si le renseignement approprié existe ou peut être acquis, et à quel coût. Ils vont jusqu'à conclure que les ambitions politiques ne doivent pas excéder les moyens en renseignement. Position extrême qui provient, à bien lire, de leur conviction d'anciens professionnels concernant la nécessité d'expliciter les contraintes techniques et les ressources à allouer pour toute tâche supplémentaire requise des agences. Les usagers raisonnant trop souvent comme si le renseignement qu'ils veulent obtenir échappait à toute contingence. Qu'on n'imagine pas cependant de leur part une réticence devant l'obligation du renseignement de servir le politique : ils sont au contraire de ceux que la relative et selon eux inévitable politisation du renseignement n'effraie pas; c'est la loi de la démocratie. Mais pour eux, les nouveaux enjeux, dans un contexte d'élargissement du champ et de la complexité de la politique étrangère, d'accroissement de la demande en renseignement parallèle à une diminution des ressources, ce sont la planification des systèmes de collecte et la sélection des cibles. Ces deux domaines sont le quasi monopole des techniciens (operators) des systèmes de collecte. Pour les auteurs, aussi bien les politiques que les analystes qui les fournissent en produits finis de renseignement sont tenus à l'écart de décisions que leurs besoins spécifiques devraient uniquement inspirer. Nul arbitraire à achever sur la synthèse de Berkowitz et Goodman la présentation du corpus : l'histoire en est la cause. L'effondrement du système communiste, la fin proclamée de la guerre froide, semblent avoir brusquement paralysé la recherche. Quelques articles de revues spécialisées, médiocres plaidoyers pro domo, tâchent en vain de remodeler au gré de la conjoncture une argumentation usée, tandis que la presse américaine remet en question l'utilité de conserver des services de renseignement aux objectifs obsolètes. Le recul du temps manque pour savoir si les circonstances historiques se trouvent faire de notre corpus le legs d'une époque révolue, curieusement clos par un ouvrage qui, retournant aux sources, boucle la boucle. La question en suspens - que demeurera-t-il des études ici rassemblées - rend plus nécessaire encore leur critique.

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Partie 2-. Bilan et lecture critique

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2ème Partie-. Bilan et lecture critique

Ce n'est pas seulement difficile de décrire en quoi consiste l'appréciation, c'est impossible. Pour décrire en quoi elle consiste, nous devrions décrire tout son environnement

Wittgenstein, Leçons sur l'Esthétique Le cadre est étroit, quasi technique, du thème intelligence and policy que nous nous sommes donné à dessein. Que la discussion du corpus montre ce thème faisant office de point de vue avantageux (vantage point, disent les Anglo-Saxons), d'où l'on voit plus loin, rencontrerait notre objectif. C'est la raison, à laquelle s'ajoute l'impossibilité d'analyser dans ses détails un corpus foisonnant et divers, pour laquelle nous privilégierons trois aspects : les définitions et typologies; les flux d'échanges politique -- renseignement et renseignement -- politique; les considérations sur le difficile mariage du savoir et de l'action. Par souci de clarté, l'analyse du contenu est distinguée des remarques sur les méthodes employées par les auteurs. La mise au clair des définitions fut la première tâche des chercheurs. Tâche élémentaire de toute recherche, mais qui ne fut pas superfétatoire dans un domaine où de tenaces stéréotypes demeurent. On lit encore, sous des plumes honorables, que si les concepts doivent être d'ordinaire cernés rigoureusement, un petit nombre d'entre eux échappent à la règle. Dont le concept de renseignement. Que dire alors de celui de policy? L'embarras vient, semble-t-il, de ce que le terme recouvrirait un ensemble si disparate d'éléments qu'il serait impossible d'en saisir l'essence. Toujours est-il que les partisans du flou, à peine l'ont-ils déclaré irréductible, qu'ils énoncent ou recourent implicitement à ce qui est bel et bien une définition de leur cru. Toute définition nous concerne : c'est d'elle qu'émerge la mise en relation des termes renseignement et politique. Quand Sherman Kent ouvre, après Pettee, le champ d'étude du renseignement, il commence à le définir "en creux" : le renseignement n'est pas le savoir pour le savoir. Traduisons : il n'est pas le savoir intéressant. Il est la somme des connaissances, de nature non limitée à l'avance, qui fonde la politique de sécurité nationale et les multiples décisions secondaires qui en découlent. Savoir vital pour la survie nationale, savoir utile à la recherche de la meilleure solution et de celle-là seule, au problème posé au politique. Le thème "intelligence and policy" trouve sa genèse dans cette définition de base. Le lien entre les deux termes marque la différence essentielle entre renseignement de gouvernement et information au sens commun du terme. C'est pourquoi le thème envahit les études académiques, spécifiquement les tentatives de clarification de termes et les mises au point de typologies qui en découlent. Kent a apporté une contribution décisive dans ces domaines. Il distingue - et exclue de son champ d'étude - en premier lieu le renseignement tactique (combat intelligence) du renseignement stratégique, savoir sur lequel repose les relations étrangères en temps de paix comme en temps de guerre, qui seul l'intéresse. Il pose ensuite que le vocable renseignement désigne tout à la fois un savoir, l'organisation qui le produit et le processus de recherche, apparenté à la méthode académique nécessaire pour ce faire. La nature "triple" du renseignement multiplie les catégories correspondant à chaque composante. Le renseignement comme savoir en comprend plusieurs : le renseignement descriptif de base sur l'étranger, le

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Partie 2-. Bilan et lecture critique

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renseignement courant, recouvrant la surveillance au jour le jour des changements survenus et l'identification des problèmes futurs, le renseignement spéculatif-évaluatif toujours imparfait mais préférable, dit Kent, à la boule de cristal. Ce savoir doit être délivré aux responsables politiques de façon pertinente, complète, précise et dans les délais requis. La tâche de le produire incombe à plusieurs organismes. Un service de renseignement, écrit Kent, peut se comparer à une faculté où règnerait une certaine liberté d'investigation, dotée d'une bonne bibliothèque, avec des contraintes de délai et des directives en plus. Sa tâche présente certains points communs avec le travail des journalistes (enquête, mise en forme) et celui du monde des affaires (matières premières, produits finis, label, norme, emballage). Le service de renseignement doit anticiper, voire créer la demande des usagers, tout en maintenant la qualité pour maintenir la demande. La concurrence entre les services peut mettre utilement en valeur les produits de renseignement et faire connaître aux agences les réactions de ses consumers. A organisation médiocre, renseignement médiocre : la somme du renseignement des départements ne remplira les besoins de la grande stratégie et de la sécurité nationale que si une agence centrale coordonne le renseignement produit, comme critique placé hors concurrence. C'était la vision qu'avait Kent du rôle de la CIA : petit groupe d'experts non producteurs de renseignement mais ayant accès aux dossiers des départements et bénéficiant du soutien politique. La suite des événements en décida autrement. Enfin le renseignement est une activité, ou plutôt, rectifie Kent, un processus (process) de recherche qui produit un savoir le plus proche possible de la vérité. C'est un effort systématique pour donner un sens solide à des impressions, que conduit une méthode inspirée de celle des sciences sociales. De l'émergence d'un problème lié à la sécurité nationale à la remise du jugement de renseignement s'effectue une suite d'opérations logiques, interdépendantes, qui se perpétue en un cycle. Insistons avec Kent : c'est une demande du politique qui est à l'origine d'une question soumise au service de renseignement, ou bien un fait repéré par les services de surveillance, qui risque de se transformer en problème politique ou bien encore un analyste anticipant sur le développement d'une situation. Le problème émerge sous forme brute. Il faut le modeler afin que la solution si elle existe soit applicable politiquement, c'est-à-dire adopter un point de vue pour que l'observation future puisse être utile en termes de sécurité nationale. La ligne d'attaque la plus fructueuse est fournie certes par le haut niveau d'expertise de l'analyste, mais surtout par le politique lui-même. En d'autres termes, il n'est pas souhaitable de soumettre au politique une analyse de renseignement (produit fini) conduite dans l'ignorance de ce qui se prépare, de l'usage exact auquel on la destine, des actions envisagées. Sans optique de départ, l'analyse la plus soigneuse n'acquière, au travers du cycle le plus rigoureux du renseignement, qu'une faible valeur ajoutée aux yeux de l'usager. Or il semble établi que cette guidance requise du politique est rarement obtenue - faute de temps, d'intérêt, de compréhension du travail de renseignement, plusieurs hypothèses ont cours. Plus que le premier article du cahier de doléances des services de renseignement, c'est là une question clé : si le politique néglige de diriger le renseignement, celui-ci ne peut que lui fournir des produits non pertinents et décevants, ce qui ne manque pas d'entraîner une sous-utilisation aggravée des services. Diriger ne voulant pas dire exercer une pression politique systématique sur eux, mais leur fournir des spécifications claires des produits désirés, la connaissance des questions et options en débat, l'expression des priorités parmi les centres d'intérêt, en général et dans le moment particulier... C'est bien parce qu'il place lui aussi la question de la guidance au centre des relations renseignement-politique que A. Hulnick esquisse une typologie du renseignement fondée non plus sur les fonctions mais sur les catégories usuelles de renseignement (renseignement d'alerte, courant, de fond,

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d'estimation...). Il choisit de fait comme variable principale le type de guidance du politique requis pour chaque produit de renseignement. De même Godson, avant d'élaborer sa théorie fondée sur l'intégration de quatre éléments du renseignement, ainsi qu'il les nomme (collecte, analyse, covert action, contre-espionnage) pose comme pré-requis la claire définition par le politique des buts de la politique étrangère et sa direction effective sur les quatre services. Nous pourrions citer encore d'autres exemples : toutes les définitions et typologies proposées présupposent ou tiennent pour acquis que le politique joue en effet sa partie dans les relations renseignement-politique, comme condition de leur validité. Si la norme le requiert avec insistance, serait-ce que la pratique suggère la possible défaillance d'un des partenaires, plus que son omniprésence? Mais sur ce partenaire essentiel, nos auteurs de définitions sont moins diserts. Pour les pionniers, politique signifie politique de sécurité nationale et tout est dit. C'est aussi la tendance des chercheurs de "l'école de la surprise"; centrée sur la fonction d'alerte du renseignement, il est naturel que celle-ci soit destinée au plus haut niveau politique du gouvernement. Les autres ont un emploi flou du terme : les politiques désignent selon les cas les responsables de la mise en oeuvre de la politique étrangère et de sécurité, mais aussi les conseillers du Président, et au sens large les political bureaus. Roy Godson est l'un des rares à définir explicitement le contexte politique des études qu'il conduit (VII). Il propose deux définitions de la politique. La première, minimale : l'activité politique, la policy, est le choix par les responsables officiels d'objectifs et la mise en oeuvre des actions propres à les atteindre. Plus largement, c'est le choix d'objectifs opéré selon une échelle d'intérêts déterminée, et des moyens les plus appropriés pour les atteindre, engagés pour une certaine durée. La national security policy correspond à une partie de la politique publique qui concerne la protection et le renforcement des valeurs vitales du pays contre les menaces. Les plans et pratiques du renseignement en sont une partie. Ceci nous amène au thème central des études : les flux d'échanges entre renseignement et politique, du premier vers le second, du second vers le premier. Mais avant d'entrer dans le sujet, il faut noter que les chercheurs ont fréquemment fait place à l'hypothèse de l'absence de flux de l'un à l'autre. Cette hypothèse théorique est émise sur le constat que la relation qu'on suppose met en présence deux organisations : le renseignement est sous la tutelle du politique. Il n'assume pas en dernier ressort la responsabilité des décisions prises par le politique sur son avis. Si le renseignement n'est pas utile au politique, son existence devient ipso facto sans objet. Plus encore, il est en situation de dépendance puisque c'est le politique qui, discrétionnairement, décide de l'existence ou non de la relation. En théorie, ce dernier peut donc choisir de recourir à d'autres sources d'information, d'ignorer les rapports de ses services de renseignement ou d'élaborer son renseignement lui-même. Thomas Hughes, en praticien expérimenté, ne manque pas de rappeler qu'une telle attitude est dangereuse et insoutenable à terme : les services de renseignement étant selon lui des instruments très efficaces pour la promotion des intérêts de toutes natures. De fait, un certain degré d'interdépendance est reconnu par les auteurs du simple fait de la détention par les services d'énormes stocks de données et d'informations sur les sujets les plus divers. Le recours à eux est inévitable, étant donné la variété des problèmes que les hommes politiques doivent aborder. Si l'on met de côté la non-relation prolongée entre le monde politique et la communauté du renseignement, les flux d'échanges descendant à l'initiative du policy-maker vers les services de renseignement sont constitués de la politique du renseignement (intelligence policy) d'une

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part; des instructions et demandes concernant le travail quotidien des services et des réactions sur les produits du renseignement, de l'autre. La politique du renseignement se définit, dit Godson, comme le choix des objectifs pour les services de renseignement et des moyens raisonnables pour les atteindre. Elle devrait inclure selon lui l'organisation des agences et leur financement, le personnel et les normes de travail, l'attribution des responsabilités. Elle comprendrait parmi ses objectifs les mesures propres à améliorer la pertinence des produits du renseignement en fonction des attentes des usagers. Et dans l'optique particulière du Consortium, elle devrait assurer l'utilisation du renseignement comme instrument actif de la politique étrangère. Mis à part ce dernier point, Godson se fait l'interprète des idées dominantes sur la politique du renseignement. Mais rares sont ceux dont l'intérêt dépasse les questions d'organisation et de procédures internes ou l'amélioration du recrutement et de la formation. K. de Graffenried (Godson, VII) est l'un d'entre eux : pour lui, les politiques, pendant la guerre froide, ont négligé de choisir entre une gamme de politiques du renseignement possibles. Le "bon" renseignement n'existe pas a priori, ni comme savoir ni comme activité : il est celui qui atteint les buts fixés par le politique; il ne conduit pas forcément à un choix politique avisé. Ses activités, ses processus, ses organisations, reliés entre eux fonctionnellement, sont aussi reliés à la politique globale de sécurité nationale. C'est au Président de déterminer la politique du renseignement, c'est-à-dire les types d'informations à collecter et d'activités de renseignement à entreprendre. D'où l'importance des définitions, nullement abstraites : quelle part de savoir, quelle part d'action range-t-on sous le vocable renseignement? La conception traditionnelle (Kent) qui sépare politique et renseignement s'oppose à la notion même de politique de renseignement, selon Graffenried. Les services n'ont pas à déterminer la part de savoir qui doit remonter vers le politique, c'est le contraire. Il n'y a pas de politique du renseignement apolitique : elle reflète nécessairement la vision politique du Président, et ce n'est pas plaider pour la politisation des services que de l'affirmer. Légalement le Président a le pouvoir d'établir une politique du renseignement et les procédures de contrôle afférentes. L'on aurait sans doute surpris Sherman Kent, obsédé par la survie nationale et le renseignement stratégique, en le présentant comme opposé à la politique du renseignement fixée par le Président. C'est faire un amalgame hâtif entre ses conceptions théoriques du renseignement, point tant éloignées de celles de Graffenried, et des considérations concernant la day-to-day routine, le niveau opérationnel des échanges entre le politique et le renseignement. Ces échanges, nous l'avons vu, relèvent de la toute première étape du cycle du renseignement. Il se met en branle pour satisfaire une demande d'un responsable politique. En effet, les auteurs s'accordent à penser que la complexité et le nombre des données sur les pays étrangers excluent que ces derniers puissent seuls élaborer le renseignement dont ils ont besoin. Pourtant il semble que dans la pratique les leaders politiques ne formulent pas clairement leurs besoins en renseignement, ni quant à la quantité, ni quant à la qualité requise : inexpérience en ce domaine, souci de leur liberté d'action, répugnance à demander des jugements qui peuvent aller à l'encontre de leurs convictions, expériences antérieures, de nombreux facteurs peuvent concourir à cet état de fait. A l'autre extrémité du cycle du renseignement, est attendue la réaction des usagers sur les produits de renseignement qui leur ont été transmis, condition essentielle de leur amélioration. Là encore, en pratique, cette réaction redescend rarement vers les producteurs, qui demeurent le plus souvent dans l'ignorance quant à l'impact du travail fourni. Ce que rapportent les chercheurs, c'est l'appréciation généralement négative portée par les politiques quant à l'utilité de ces produits surabondants, trop longs, inutilisables pour l'action faute d'apporter des avis nets et tranchés

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sur les questions à l'ordre du jour. Ils ajoutent encore de l'incertitude, plaie du politique, à la décision à prendre. Seuls trouvent grâce à leurs yeux les services assurant le renseignement courant et les memos, brèves notes rédigées au coup par coup sur des affaires urgentes. Facts, non opinions, demandait (dit-on) Kissinger : voilà ce qui aux yeux des politiques devrait alimenter les flux d'informations remontant vers eux. Dans ces conditions, gageons sans risque d'erreur que la même insatisfaction trouve libre cours du côté des personnels mis en cause. Pressions, manque d'orientation et de directives, désintérêt, incompétence et vues simplistes sur l'étranger, utilisation des services pour argumenter des décisions déjà prises ou servir de bouc émissaire en cas d'échec : autant de motifs qui alimentent les débats. Une mutuelle insatisfaction, profonde et constante, transparaît dans toutes les descriptions de la réalité des relations politique-renseignement. Et qui inspire un pessimisme tel sur leur compte que peu d'audacieux se risquent à proposer un modèle normatif à leur sujet; s'ils s'aventurent, ils y mettent tant de conditions qu'il semble improbable que la norme s'impose, ne fût-ce que comme objectif à atteindre dans l'esprit d'aucun de ces partenaires obligés. Face aux argumentations des deux parties et aux hypothèses multiples et détaillées émises par les chercheurs pour éclairer la difficile relation entre elles, on ne peut s'empêcher de faire le rapprochement avec la mésentente traditionnelle entre hommes de savoir et hommes d'action. Il ne s'agit pas seulement d'échec de la communication mais d'opposition profonde. Revenons à la conception des faits s'assemblant en une grande image qui, une fois complète, livrerait sa solution. D'origine militaire, elle a été étendue au problème de gouvernement. De ce fait, le politique attend du renseignement d'être d'abord un outil, parmi d'autres, de collecte des faits nouveaux. Il va au devant de la déception car l'analyste, lui, s'intéresse au moins autant aux faits déjà connus et travaille à construire les concepts au moyen desquels il les interprètera. Aurait-on, demande Max Milikan (Politics and the social sciences... Annexe 2) l'idée saugrenue d'imaginer que rassembler les faits suffit à résoudre un problème de physique? A cette idée fausse mais tenace s'ajoute une attente irréaliste dans la capacité du renseignement à prévoir en détail des comportements complexes. C'est ignorer la difficulté de mesurer avec précision certaines variables, leur part relative et leur combinaison à propos d'un phénomène. Des analyses de renseignement, l'on peut seulement espérer, et ce n'est pas négligeable, le renforcement de la validité du processus intuitif qui fonde les jugements pratiques. Elles l'explicitent, déterminent sa valeur, clarifient les bases d'une conclusion déjà perçue. Elles peuvent d'autant mieux réussir que le destinataire de l'analyse est capable de préciser le cadre conceptuel du problème posé, et l'usage qu'il compte faire des avis qu'il sollicite - mais l'on a vu que cette condition ne se réalise que rarement. Pour l'homme politique, seules comptent les conclusions; l'analyse ne l'intéresse pas : c'est un exercice scholastique. De même les études sur les pays et sociétés étrangères lui semblent trop statiques. Seuls leurs développements, leur dynamique retiennent son attention. Or les processus d'évolution mettent en jeu un grand nombre de facteurs, relevant de plusieurs disciplines, surtout lorsqu'il s'agit des grandes unités que sont les nations. Complexes, ils sont difficiles à étudier et apportent plus d'hypothèses que de conclusions certaines (Milikan, ibid.). C'est l'image d'une collaboration obligée mais difficile que donnent des relations entre le renseignement et la politique les études américaines. Difficile parce qu'opposés dans l'état d'esprit, les normes de travail, la formation. Inégale aussi, entre des experts sans autorité et des autorités sans expertise (M. Handel).

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L'apport du corpus dont nous avons essayé de dégager les thèmes essentiels n'est pas séparable des méthodes qui ont été choisies et utilisées pour conduire les recherches. Précisons d'emblée que les chercheurs dans le domaine du renseignement sont confrontés à des conditions de travail particulières : leur liberté de choix et d'accès aux sources est limitée. Elles sont classifiées et demeurent peu accessibles, malgré des mesures de déclassification progressive, délicates à appliquer puisque les dossiers contiennent presque toujours des documents de niveau de classification différents. Les documents officiels peuvent être déclassifiés longtemps après les faits qu'ils concernent et donc manquer au chercheur. Ils ne peuvent l'être que partiellement, handicapant ainsi l'analyse d'une autre manière. Rares, les sources, dans le domaine particulier du renseignement, peuvent en outre être manipulées, rendant plus difficile leur critique objective. Ajoutons enfin la jeunesse de ce domaine de recherche, commun à un tout petit nombre de pays (les Etats-Unis, Israël, le Royaume-Uni et un peu l'Italie, ces derniers se consacrant davantage à l'histoire). D'où le manque de données et d'analyses comparatives. Ces conditions de travail, notamment le secret, peuvent sans doute affecter d'autres disciplines, mais rarement aussi systématiquement que le domaine du renseignement. Elles ne sont pas sans conséquences. Certaines affaires retentissantes ont donné lieu à enquêtes officielles. Les rapports des commissions d'enquête, et les documents et témoignages qu'elles ont rassemblés sont souvent rendu publics. Ils sont à l'origine de nombreuses études de cas. Mais les événements, en nombre restreint, qui ont donné lieu à de surabondantes publications de sources officielles, posent aussi problème : ces cas ne sont pas choisis par les chercheurs. Ils ne sont pas forcément significatifs pour sa recherche, puisque le critère de la publicité accordée à telle enquête est davantage fonction du scandale soulevé dans l'opinion que de la représentativité de l'événement au sein d'un échantillon. En somme, le chercheur a en face de lui quelques événements isolés sur lesquels le projecteur a été braqué, à côté de milliers d'autres noyés dans l'obscurité, et dont il n'a pas toujours la possibilité de soupçonner même l'existence. Il ne peut négliger l'opportunité qui lui est offerte d'étudier les quelques cas pour lesquels la documentation est massivement accessible; non sans inconvénient : nous avons signalé par exemple que l'école dite de la surprise fonde ses conclusions sur un nombre de cas limités à une quinzaine tout au plus. Les risques ne sont pas négligeables de les sur-interpréter, de tenir pour corrélations établies de simples coïncidences dues à l'étroitesse de l'échantillon (Ariel Levite, 1987). De plus la généralisation à partir de données qui ne sont pas recueillies par des techniques choisies en adéquation avec la recherche, peut être plus difficile à valider. En effet, le secret affecte, en le restreignant, le choix des techniques de travail. Hilsman est le seul à avoir publié des compte-rendus d'entretiens non directifs. Peu nombreux, ses interlocuteurs appartiennent à plusieurs catégories de personnel du renseignement et à leurs usagers. Leurs fonctions ne sont pas définies très précisément et les sujets abordés demeurent généraux. L'auteur est au reste fort prudent dans ses conclusions. Le groupe réuni autour de Roy Godson comprend, lui, d'anciens professionnels parlant à titre personnel, mais leurs interventions contribuent à la recherche menée par le Consortium. Elles ne sont pas étudiées en tant que telles. Il est peu vraisemblable que des techniques comme les sondages, les entretiens, les questionnaires, les enquêtes de terrain puissent être envisagées. L'analyse de contenu peut convenir pour l'étude des doctrines des différents acteurs en présence, surtout pour les décennies récentes, où les publications d'articles de presse, de mémoires et récits autobiographiques, les revues s'intéressant au renseignement, se sont multipliées. Elle demeure toutefois peu utilisée : Hilsman, comme Oseth, la pratique informellement, sans

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grille d'analyse systématique. Le premier pour identifier les schémas de comportement des différents acteurs, le second pour mettre au jour les tensions entre les valeurs de la société et la poursuite des intérêts nationaux dont le renseignement est un des instruments, à travers les réglements et procédures de contrôle qui le régissent. Compte tenu de ces conditions spécifiques de recherche (sources rares, secret, manque d'arrière-plan historique et de comparaisons à l'étranger),une question vient à l'esprit : peut-on, et dans quelle mesure, attendre de l'étude du renseignement selon les méthodes de la recherche en sciences sociales, l'élaboration d'une théorie descriptive et normative? Les auteurs du corpus, bien que conscients des difficultés, répondent, avec un optimisme raisonnable et des ambitions variables selon les époques, qu'on peut avec profit conceptualiser le renseignement, introduire de la rationalité là où l'empirisme et l'intuition dominent. Dans quel but? Le sévère critique de ces travaux, l'Anglais K. Robertson, fait remarquer que ce but n'est pas toujours sufisamment éclairci. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler qu'il est dans la tradition américaine de mener de vastes enquêtes sur un secteur de la vie sociale, d'analyser les facteurs qui ont une influence sur lui, pour formuler un programme de réforme en sollicitant généralement le soutien de l'opinion publique (social surveys). Cette forme d'enquête en vue d'une réforme emportant s'il se peut l'adhésion générale, se retrouve exactement dans le propos du Consortium réuni autour de Roy Godson. L'idée n'est pas étrangère tout à fait au courant d'étude qui s'attache aux tensions entre démocratie et renseignement : mettre à plat l'état de la question, les faits, dans le but de trouver une norme socialement acceptable, tout en assurant le travail efficace des services. L'objectif des recherches est toujours l'efficacité, l'amélioration d'une situation, l'établissement de critères pour juger des performances. Pas plus que le renseignement n'est un savoir pour le savoir, la recherche sur le renseignement n'enferme en elle-même sa propre fin. Ce sont les pionniers, après-guerre, qui attendent le plus de la rationalisation du renseignement. Tout est à faire : ils le savent d'expérience. Et dans l'urgence croissante du fait du rôle international que doivent assumer - pour longtemps, ils le pressentent - les Etats-Unis, et de la guerre froide commençante. A partir du donné, ils voient le possible : ils définissent le renseignement et ses buts, ils classent ses aspects généraux et récurrents. La première généralisation fait florès : le renseignement est un savoir, une organisation, une activité,ou plutôt un processus dit Kent. Plus tard, Godson, lui, tiendra pour l'activité, au sens d'un instrument actif de la politique étrangère, et Berkowitz ajoutera : une mission, un savoir-faire (skill). Cette division est fondamentale parce qu'elle met en oeuvre les concepts essentiels pour la théorie à bâtir. De quoi en effet devrait s'occuper cette théorie : de l'organisation des services, de l'étendue (quantité) et de la nature (qualité) de l'information nécessaire, des modes d'analyse et de production (produits de renseignement), de la nature des demandes des consommateurs (Knorr, 1964). Au centre des préoccupations : les propriétés spécifiques aux données et produits de renseignement. La distinction du renseignement entre savoir, organisation, processus de production de ce savoir, a été immédiatement opératoire. Elle a engendré pour chaque élément d'autres concepts qui ont permis de dégager par exemple le modèle le plus connu de production d'information, le cycle de renseignement. Même si chacun reconnaît les limites du modèle, il demeure une utile représentation du processus. Il facilite la genèse de données nouvelles, auxquelles il offre un cadre de classement qui s'adapte au niveau de détail requis. En effet, si les données disponibles sur le renseignement sont particulièrement limitées, il existe là comme ailleurs la possibilité de générer des données. Data are made, not born, résume J. David Singer. Il est frappant, pour qui étudie le corpus limité dont nous nous occupons, de constater que cette genèse de données, et des indicateurs pour les utiliser, est inégale selon les courants. Nous prendrons deux exemples extrêmes.

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Des quatre courants que nous avons distingués (pour faire court : les pionniers et leur postérité, la tendance libérale, l'école de la surprise et le groupe Godson), il nous semble que le groupe de Godson est de loin celui dont l'apport en données est le plus pauvre, malgré le bénéfice non négligeable d'une quarantaine d'années de travaux antérieurs de bonne qualité. Plusieurs raisons à cela. La première est à notre avis que les quatre éléments du renseignement dont part Godson, nécessairement interdépendants et intégrés dans la politique de sécurité, n'ont pas de justification théorique. On hésite à leur attribuer le statut de théorie provisoire et limitée du renseignement, car rien ne nous assure du caractère provisoire de leur choix, au contraire. Ces quatre éléments (collecte, analyse, covert action, contre-espionnage) appartiennent à des catégories nullement originales. Ce n'est pas un défaut en soi, mais alors pourquoi ces quatre-là de préférence à d'autres? L'on reste sur sa faim d'autant qu'une lecture attentive montre qu'ils font office de définition du renseignement au long des recherches. Or ils sont des parties du renseignement,mais ne sauraient constituer comme tels une définition complète. Ceci nous amène à la principale faiblesse, à notre sens : le manque de frontière claire entre les quatre éléments eux-mêmes. La faille n'est pas seulement dans la méthode. Derrière le flou, se dessinent des divergences de fond quant aux intérêts de sécurité américains, entre autres à propos de l'usage ou non de la covert action. Nous touchons à la seconde raison qui réduit forcément l'apport de données de ces travaux : le contexte dans lequel Godson crée le Consortium (ère Reagan, crainte du déclin américain, souci de reconquête de l'image de la communauté du renseignement, composition hétérogène du groupe), le fait dévier de ce qui, autant que nous pouvons en juger, aurait dû être sa voie naturelle : la remise à plat de la notion de politique de sécurité nationale. Godson en a l'intuition, qui insiste sur la dépendance des quatre éléments du renseignement vis-à-vis des objectifs fixés par elle, sur la nécessité qu'elle soit aussi solidement établie que clairement énoncée. Le choix un peu arbitraire de quatre éléments aux contours peu précis n'a pas été la principale entrave au développement de sa conception. L'approfondissement de l'idée d'intégration dans la politique étrangère et de sécurité était suffisamment riche pour corriger les erreurs du modèle de départ (combien de modèles faux furent utiles!) et mener la recherche bien au-delà du point où l'a laissé son souci immédiat de suggérer une politique du renseignement au gouvernement en place. Toute autre est la démarche des chercheurs dans la mouvance de Richard Betts. Leur domaine d'étude est au reste plus limité : c'est celui de la survenue des surprises stratégiques et des conditions d'exercice de la fonction d'alerte des services de renseignement. Limité mais vital en termes de sécurité nationale. Leur ambition de départ était de mettre au point un cadre théorique d'analyse pour aller dans le sens de la conceptualisation de la surprise. A partir des cas connus, il s'agit d'extraire et de classer les indicateurs de surprises militaires et autres. La logique de leur recherche les mène à considérer la part de jugement, d'évaluation que contiennent les indicateurs eux-mêmes. D'autre part ces indicateurs se révèlent insuffisants à remettre en cause les présupposés stratégiques et à convaincre les politiques. L'intérêt des chercheurs se déplace alors vers la recherche de toutes les variables qui affectent la production des analyses, évaluations et prévisions de renseignement. Ainsi que les problèmes soulevés par la transmission de ces analyses au politique, donc sa mise en alerte éventuelle, dans un climat d'incertitude et d'ambiguité, reconnu désormais comme inhérent à l'analyse. Des données riches et nombreuses ont été produites par les travaux que nous avons présentés dans la première partie de cette étude. Comment? Tout d'abord en exploitant les données et pistes déjà suggérées par les chercheurs des années 1945-1960. Mais surtout en empruntant des concepts aux disciplines voisines des sciences sociales. De ces emprunts la trace n'est pas toujours facile à reconnaître; les

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références explicites aux travaux d'autres disciplines figurent en petit nombre dans les bibliographies et se répètent. Sans doute du fait que les notions acquises des recherches sur la perception humaine, la psychologie sociale, les facteurs culturels individuels, les organisations ou la théorie de l'information faisaient probablement partie de la formation antérieure des chercheurs. Cet acquis multidisciplinaire a été assimilé très vite à leur champ d'étude et exploité dans tous ses aspects (d'où la publication fréquente d'articles de synthèse) avec une inlassable curiosité d'esprit. Citons un seul exemple, celui de Michael Handel (1989) qui, utilisant les travaux de Charles Perrow sur l'accident survenu au réacteur nucléaire de Three Miles Island, suggère des rapprochements entre les surprises stratégiques et ce type d'accidents (complex man-machine accidents). Il cite Perrow : "... The normal accident is unforeseeable; its 'warnings' are socially constructed (souligné dans le texte de l'article de Perrow : Normal accident at Three Miles Island, Transaction (Social Sciences and Modern Society), July-August 1981). Et Handel de conclure : "There is still much more the strategic analysts can learn from man-machine accidents and disaster theory". La recherche active des meilleures sources, de données variées et complètes, de corrélations fécondes, a permis le passage, en moins de trente ans, d'études de cas d'attaques militaires par surprise à des développements originaux concernant tous les grands sujets de stratégie générale. Malgré de remarquables avancées, le corpus présente aussi ses faiblesses et lacunes qu'une lecture systématique, aidée du recul du temps, laisse paraître plus aisément. Nous avons relevé des thèmes qui, effleurés seulement, auraient mérité un traitement plus approfondi eu égard au sujet qui nous intéresse, aussi bien que des faiblesses, autant que nous pouvons en juger, dans certains raisonnements. L'intérêt du thème intelligence and policy nous paraît être dans sa position centrale dans les études sur le renseignement. Quels que soient les points de départ des recherches, elles aboutissent toutes à lui. Que ce soit à propos des flux d'informations entre les deux, du contrôle du second sur le premier, de la politique publique du renseignement. Nous avons observé plus haut que la relation qui lie le renseignement à la politique ne va pas d'elle-même; elle présente tous les symptômes d'opposition existant traditionnellement entre savoir et action. Pourtant des approches sont possibles pour l'étudier si l'on garde à l'esprit que le renseignement ne constitue pas, et de loin, la seule source d'informations disponible pour le politique. On peut résumer la situation en disant que, parmi les savoirs en concurrence pour informer et influencer les responsables politiques, le renseignement est le seul dont c'est l'unique mission. Ceci posé, la concurrence, accrue par le développement des moyens de communication, que subit le renseignement a des conséquences sur l'exécution de ses missions et son statut, donc sur ses liens avec la policy.. La compétition vient de l'extérieur mais fait rage aussi à l'intérieur d'une communauté du renseignement, qu'on croirait désignée ainsi par antiphrase. Or, cette situation concurrentielle et ses conséquences n'ont pas à notre connaissance suscité d'intérêt. Plus encore que de connaître et d'évaluer précisément la position du renseignement dans la sphère des savoirs intéressant le politique, il n'existe pas non plus d'étude d'impact du renseignement sur les décisions politiques. L'on ne trouve que des "discours" sur la question qui oscillent entre la crainte irrationnelle de la toute-puissance des services et le constat désabusé des vétérans, persuadés du peu d'utilité finale de leur travail. La lacune est au reste signalée et expliquée par le manque d'accès aux dossiers. Même si les historiens étudiaient des dossiers déclassifiés, il semble tenu pour acquis qu'on ne pourrait évaluer la part d'influence réelle des produits de renseignement sur les décisions politiques dont les archives feraient état (Ransom). Ce serait assurément délicat mais peut-être pourrait-on au moins

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essayer, sur des cas variés et aussi nombreux que possible. Le résultat dépendrait certainement des faits et événements concernés, comme de l'ampleur des déclassifications (par exemple de l'accès ou non à des dossiers connexes). En tout état de cause, c'est se résigner trop vite que de renoncer a priori à des évaluations de ce type qui permettraient de donner un fondement solide aux jugements intuitifs portés sur l'impact du renseignement. On saisirait mieux grâce à elles l'évolution de cet impact selon la manière dont les Présidents successifs conduisent la politique américaine. On saurait peut-être enfin si Thomas Hughes a raison d'affirmer qu'une décision suggérée par une boule de cristal a autant de chance (ou de risque) d'être bonne (ou mauvaise) que prise sur la foi d'une épaisse documentation. L'impact du renseignement sur le politique n'intéresse pas seulement les spécialistes de science politique. Il intéresse aussi la pratique des échanges entre les services et les responsables politiques. On se souvient que, dans le modèle du cycle de renseignement, la dernière étape est celle de la distribution des produits de renseignement aux hommes politiques et des réactions en retour de ces derniers qui, selon le modèle, devraient redescendre vers les producteurs. Ceux-ci devraient en principe tenir compte de ces réactions pour améliorer la pertinence et la présentation des produits, en fonction des usagers, et leur planification. Il semble que le modèle soit sur ce point pris en défaut d'irréalisme et que l'impact des produits ne soit qu'exceptionnellement connu de leurs auteurs, avec pour conséquence une perception floue des besoins des usagers, qui ne manquent pas de se plaindre d'être envahis d'informations non pertinentes, et une perte d'énergie et de motivation du côté des personnels de renseignement. Seules les crises ou conflits armés fournissent l'occasion, peu fréquente, de suivre l'influence des analyses de renseignement (Berkowitz). A moins qu'au cas par cas, en fonction de bonnes relations personnelles, puissent s'instaurer des procédures de travail régulières (S. Gazit) qui permettraient une évaluation directe de l'utilité du travail fourni. Il ne faut pas négliger cependant le poids des procédures de sécurité dont on suggère, sans l'étudier plus avant, qu'elles contribuent par la compartimentation extrême, à isoler les deux protagonistes. Une meilleure évaluation de l'impact du renseignement ne peut assurément qu'avoir des effets positifs pour une compréhension globale de la relation renseignement-politique. Pour parvenir à celle-ci, il faut avoir répondu à la question centrale que pose à bon droit K. Robertson : quelle quantité et quelle qualité de renseignement sont nécessaires à la conduite de la policy? Car il n'y a pas, dans l'absolu, de limites à l'une ni à l'autre. Pourtant les situations concrètes, la réduction des ressources parallèlement à l'augmentation des coûts en matière de collecte d'informations, sont autant de contraintes qui imposent une rigoureuse sélection des priorités. De nombreux auteurs consacrent des développements à ces priorités à établir, qui reviennent à préciser et quantifier les besoins (requirements) en renseignement - besoins qui peuvent ne pas recouvrir tout à fait les demandes formulées explicitement par telle catégorie d'usagers. Godson et son équipe ont consacré sept volumes aux besoins en renseignement de la décennie 80. Après avoir posé que la réponse est fonction des buts fixés par la politique de sécurité nationale, qui doit être d'une grande qualité, cohérente, et rencontrer un large consensus, la série entre dans le détail des domaines relevant d'une politique publique du renseignement jusque là trop discrète ou négligée. C'est aller vite en besogne puisqu'une telle politique, qui est bien une modalité des rapports entre le renseignement et la politique, consiste à déterminer les buts du renseignement et le doter de ressources et moyens appropriés. Ces buts varient selon le contexte international du moment et le contenu de la politique de sécurité nationale conduite pendant la période considérée. Ils concernent directement par exemple la question de la quantité de renseignement posée plus haut, indirectement celle de la qualité puisque l'évaluation du renseignement devient possible,

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une fois ses missions précisément déterminées. Les voies-et-moyens dérivent aussi de ces buts (c'est, au fond, la stratégie du renseignement) : c'est dire que faire des plans pour reconstituer la capacité nationale de covert action (Godson IV) sans que ces buts soient fixés, c'est proprement élaborer des modèles dans le vide politique. L'absence d'étude systématique des facteurs déterminant la quantité de renseignement qu'il est à la fois souhaitable et possible de produire, a de quoi surprendre, d'autant que des éléments ponctuels existent pour susciter une synthèse. La qualité du renseignement a fait l'objet de plus nombreuses recherches. Les déterminants en sont répertoriés (Wilensky, Ransom, Berkowitz, Lowenthal...) dont les auteurs sont d'accord pour préciser qu'ils ne suffisent pas à donner du poids aux produits finis de renseignement : sans effort de présentation, sans respect des délais, sans relations et discussions personnelles au plus haut niveau du renseignement et de la politique, la qualité du savoir ne saurait s'imposer dans le monde de l'action. Enfin il existe à propos des buts de renseignement une autre sorte de cycle : c'est que ses buts sont fixés en fonction des objectifs de la politique de sécurité nationale, elle-même pour partie déterminée par le ren-seignement (Ransom). Meilleure est la politique, meilleur le renseignement stratégique, meilleure est la politique, concluent Godson et Codevilla (VII). Quantité et qualité renvoient donc, en dernière analyse, au processus de prise de décision politique, tel qu'il se déroule aux Etats-Unis. Le recours systématique aux réformes administratives, à la mise en place de nouvelles politiques du renseignement ne peuvent dispenser de s'interroger : qui fixe et comment les besoins qui vont ensuite déterminer les priorités en matière de renseignement, ou, dit autrement, comment sont identifiées les menaces affectant ou pouvant affecter la sécurité nationale qui deviendront des priorités du renseignement. Le corpus n'éclaircit pas ces points, pourtant liés de près à l'échec ou au succès des activités de renseignement. Ray Cline appelle de ses voeux un "vrai service centralisé de renseignement". Mais y a-t-il en face un vrai mécanisme central de décision en matière de politique étrangère pour servir d'interlocuteur? Le débat dépasse le cadre de cette étude. Notons seulement que le fonctionnement du système politique américain décrit par F. Géré comme un "complexe décisionnel polycentré" rend peu plausible la claire énonciation d'une politique de sécurité nationale. Peu plausible aussi, de ce fait, la claire détermination de critères de qualité et de quantité en matière de renseignement. Que la réflexion sur les difficiles relations entre renseignement et politique nous mène à considérer l'organisation du système politique américain, est bien signe que ce thème est central, mis en abîme dans notre corpus. Il peut mener plus loin encore. Carnes Lord (1985) définit ainsi la culture stratégique d'un Etat : "...les pratiques traditionnelles, les habitudes de pensée selon lesquelles les forces sont organisées et employées dans une société au service de ses buts politiques...". Il n'y a pas de raison - en admettant que le renseignement constitue l'équivalent d'une "force" - que la relation existant aux Etats-Unis entre la politique et le renseignement ne s'inscrive pas aussi, peu ou prou, dans la culture stratégique américaine. A en croire le sévère jugement que porte sur elle Colin Gray (1981), la politique américaine se réduit à une improvisation pragmatique au fil des événements. Les jugements politiques formulés au cas par cas sont dépourvus du sens de la valeur de l'Histoire, de culture et de toute distance critique. Si telle est bien la tradition américaine, les relations renseignement-politique ne peuvent qu'être (et demeurer?) laborieuses. Est-ce un problème de renseignement, demande K. Robertson, répondant aussitôt, comme l'aurait sans doute fait Colin Gray, que le problème est davantage du côté du politique. Que des chercheurs se penchent sur le thème intelligence and policy, qu'ils cherchent à décrire et préciser ce que devraient être la distance et l'échange idéal entre ces deux partenaires obligés, remarquons enfin que c'est aussi à la culture politique des Etats-Unis que nous le

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devons. Se poser la question d'une séparation entre les deux sphères est le fait exclusif d'un régime démocratique. Partout ailleurs, l'idée même n'a pas cours. A ce titre au moins, le corpus que nous avons présenté fait figure d'exception.

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Conclusion

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CONCLUSION

Suivre de près quarante-cinq ans d'études, les meilleures d'entre elles, sur un domaine, c'est par le menu observer la genèse des thèmes, leur entrecroisement, la naissance de problématiques qui s'étoffent et s'argumentent au fil des années; c'est voir comment un domaine de recherche nouveau se nourrit des travaux d'autres disciplines, en y puisant, par la grâce de chercheurs à l'esprit hardi et imaginatif, leur substance. Plus encore, c'est tirer de cette lecture critique nos propres données. Elles peuvent être de deux sortes : la première, c'est l'estimation de l'avancement théorique de ces études. Leur diversité amène à distinguer entre les quatre courants, qui n'ont pas progressé du même pas. L'on songe à l'image plaisante de J. David Singer, qui écrit qu'il n'y a pas de mal à additionner les pommes et les oranges quand il est question de fruits, mais que lorsqu'on parle de pommes, il faut s'intéresser à toutes les variétés : assurément, la théorie du renseignement en est aux pommes et aux oranges, ou plus orthodoxement, aux généralisations, aux hypothèses, à la pré-théorie. Pourtant, à l'intérieur du champ d'étude, certains en sont déjà à répertorier les variétés de données : le renseignement comme processus, les déterminants de l'analyse et de la prévision en matière de renseignement, les facteurs qui rendent difficile l'intégration du savoir à l'action, sont par exemple proches de ce stade. Ces thèmes intéressent de près un modèle des relations renseignement-politique, encore à naître, ceux qui ont été esquissés n'emportant pas la conviction. Autre enseignement tiré de nos lectures : l'évidence qu'aucun courant de recherche n'échappe au contexte historique et culturel dans lequel il est né et se développe : la seconde guerre mondiale pour Kent et ses disciples, Pearl Harbor pour l'école de la surprise, les scandales des années 70 pour Oseth et la tendance libérale, l'idéologie reagannienne pour le groupe de Roy Godson. François Géré a défini naguère la stratégie américaine comme un "complexe stratégique, vaste système intellectuel, administratif, politique et militaire où s'effectue le traitement des différents objets que doit saisir la stratégie pour connecter entre eux les moyens et les fins". L'information est, à notre sens, l'un de ces "objets", l'un des principaux. S'agissant de relier les moyens et les fins, le renseignement, défini comme l'information générée par et pour l'action, a sa place comme instrument de la stratégie. Appartenant au champ stratégique, il est naturel qu'il renvoie à des données culturelles et de société, qu'il en reflète les caractéristiques et les tensions. Cette étude rétrospective prend place au moment où les services de renseignement américains ont perdu leur ennemi privilégié. On a pu faire observer, non sans raison, que ces services, dans leur structure organisationnelle, leurs priorités désignées, leurs choix et répartitions en moyens et ressources, leur état d'esprit même, s'étaient, à tout le moins en partie, modelés, par effet de miroir, en fonction des menaces advenues ou potentielles auxquelles l'URSS soumettait les Etats-Unis et leurs alliés. L'effondrement de l'ancien ennemi, au secours duquel il faut maintenant voler au nom de la stabilité du continent européen , a de quoi bouleverser toutes les conceptions et pratiques établies de la communauté du renseignement américain.

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Conclusion

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Lucien Poirier (1992) rappelle à propos que "la culture stratégique de notre génération, appauvrie par la fixation sur un Autre unique et obsédant, ne nous est d'aucun secours pour définir une stratégie ouverte aujourd'hui à tous les possibles". Seule certitude : quelle qu'elle soit, cette stratégie future aura toujours et encore besoin d'informations. L. Poirier lui-même en fait état qui, proposant pour la France une"posture générale d'attente stratégique", remarque que "le passage de (cette) attente à la stratégie de dissuasion effective" "implique la surveillance constante de l'évolution du système international et l'information politique, scientifique et technique" indispensable à la décision politique. Dans le contexte américain, l'on peut imaginer que la multiplicité des lieux d'énonciation de la stratégie, concurrents entre eux, accroîtra encore la prévalence des voies-et-moyens liés à l'information. Reste, dit encore L. Poirier, à "ériger en élément de doctrine l'absence d'ennemi désigné" (Poirier, 1992), c'est-à-dire, selon les processus complexes et spécifiques aux Etats-Unis, à réajuster le contenu de la "national security" aux ambitions, priorités, fragilités reconnues. Comment, alors, le corpus étudié passerait-il le test imposé par le nouvel état des choses ? Demeurerait-il des éléments assurant - point secondaire - la continuité du champ d'étude ouvert ? Demeurerait-il surtout ceux qui guideraient utilement le recentrage efficace des activités de renseignement au service de buts politiques et stratégiques redéfinis ? La réponse aux deux interrogations nous semble positive. Nous avons fait état de la jeunesse des études académiques sur le renseignement, du manque de données accessibles, du poids du contexte historique et idéologique pesant sur certaines de ces études. Aussi ne prétendons-nous pas qu'elles aient vocation en l'état à se poser en "ensemble cohérent d'énoncés opératoires" (ibid.) propre à résoudre toutes les difficultés. C'est, plus modestement, comme somme de définitions, de concepts, d'expériences variées et de réflexions examinées à distance et soumises à la critique d'auteurs de tendances diverses, que les études sélectionnées pour constituer notre corpus prennent leur valeur. C'est à dessein, rappelons-le, qu'en font partie celles qui ont trouvé un écho, exercé une influence. Citées, lues, critiquées, reprises, enrichies, elles constituent un ensemble de connaissances, certes imparfaitement organisé et vérifié, mais qui peut ne pas être ignoré lors de la reformulation des politiques du renseignement américain. Si l'exercice était proposé, aidé de la synthèse de Berkowitz et Goodman, complétée par l'éclairage politique et stratégique qu'apportent le recueil d'articles de M. Handel (Strategy, war and intelligence, 1989), le meilleur article de R. Betts (à notre sens, "Intelligence for policy-making", 1980) et celui, non encore dépassé, de Steve Chan (1979), prenant en compte le point de vue juridique et éthique dont John Oseth cerne l'essentiel, l'on pourrait proposer pour cette reformulation quelques directions et garde-fous non dénués de sens.

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Annexe 1-. Constitution du corpus étudié

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Annexe 1-. Constitution du corpus étudié

Centré sur le thème des relations entre le renseignement et la politique, le corpus a été constitué selon plusieurs critères : - la nature du corpus : monographies, actes, ouvrages collectifs; articles, seulement si un auteur s'y exprime exclusivement, ou s'ils enrichissent substantiellement l'oeuvre d'un auteur; - les auteurs : des universitaires, chercheurs, ou professionnels du renseignement s'ils satisfont aux critères de la recherche académique. Américains, à l'exception de quelques étrangers liés de façon régulière et constante aux publications et débats américains; - les limites de temps : de 1945 à 1991; - l'exhaustivité : elle n'a pas été recherchée. Au contraire, seuls ont été retenus les ouvrages de première main, et qui ouvraient des voies nouvelles de recherche. Ce critère d'originalité a été pondéré par celui de l'influence : la sélection a été effectuée en fonction des signalements ou recensions dont les ouvrages ont fait l'objet dans les bibliographies courantes et les revues spécialisées, par comptage de citations dans les bibliographies fournies en fin de volume, et plus encore dans les notes, témoignages plus certains d'un usage réel de l'ouvrage référencé. Les auteurs les plus novateurs sont aussi les plus cités. Avec de rares exceptions, dans les deux sens : quelques auteurs de grande qualité sont peu cités et figurent dans le corpus. Quelques autres sont extrêmement cités, dont les écrits sont plus habiles qu'originaux : ils trouvent place dans la bibliographie (Annexe 3). Pour la clarté, précisons que sont exclus du corpus : - les mémoires, autobiographies, chroniques, - les ouvrages de journalistes et articles de presse, - les ouvrages purement historiques consacrés à un épisode, un conflit, une opération, une agence ou un service de renseignement, - les documents des commissions d'enquête et audiences devant le Congrès; les textes réglementaires, en tant que tels. Il peut cependant en être question à travers le regard porté sur ces documents officiels par les auteurs retenus.

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Annexe 1-. Constitution du corpus étudié

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Outils bibliographiques Sont décrits ci-dessous les instruments bibliographiques ayant servi à sélectionner le corpus. Ils sont distingués de la Bibliographie (Annexe 3) qui, elle, recense les ouvrages ayant permis le commentaire du corpus. Bibliography of intelligence literature, ed. Walter PFORZHEIMER.- Defense intelligence college, 8th ed., 1985. Intelligence and espionage : an analytic bibliography, ed. George C. CONSTANTINIDES.- Boulder, Col. : Westview Press, 1983. International bibliography of social sciences : international bibliography of political sciences, ed. UNESCO.- Comité international pour l'information et la documentation en sciences sociales.- London, New York : Routledge, Vol. 1, 1952 (publ. 1954) - Vol. 36, 1987 (publ. 1991). Les recensions des revues spécialisées suivantes ont été utilisées de façon systématique : - Intelligence and National security (London), 1986- - World Politics (USA), 1948- - Strategic Review (Cambridge, Mass.), 1973- - Comparative Strategy (New York), 1978- - International Security (Cambridge, Mass.), 1976- - Foreign Affairs (New York), 1922- - Orbis (Philadelphie, USA), 1957- citées par ordre décroissant d'intérêt pour les questions de renseignement. A ces bibliographies s'ajoutent celles figurant à la fin des volumes lus ou consultés, ainsi que leurs notes de bas de page et de fins de chapitres. Elles permettent de préciser plus sûrement la fréquence et la nature de l'usage fait des oeuvres citées.

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Annexe 2-. Le corpus

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Annexe 2-. Le corpus

Dans la mesure du possible, on trouvera après le nom de l'auteur une indication biographique permettant de le situer (universitaire et/ou professionnel du renseignement). BEN-ZVI (Abraham), Hebrew University, Jerusalem Hindsight and foresight : a conceptual framework for the analysis of surprise attacks, World Politics, April 1976, pp. 381-395. BERKOWITZ (Bruce D.), a été analyste à la CIA GOODMAN (Allan E.), a appartenu à un service de renseignement Strategic intelligence for American national security.- Princeton : Princeton University Press, 1989. BETTS (Richard K.), Columbia, puis Johns Hopkins Univ., puis Brookings Institution, consultant au NSC et Commission du Sénat sur le renseignement Surprise, scholasticism and strategy : a review of Ariel Levite's Intelligence and strategic surprises (New-York : Columbia University Press, 1987), International Studies Quarterly, vol. 33, 1989, pp. 329-343. Policy-makers and intelligence analysts : love, hate or indifference?, Intelligence and National Security, vol. 3, n° 1, January 1988, pp. 184-189. Surprise despite warning : why sudden attacks succeed, Political Science Quarterly, vol. 95, n° 4, Winter 1980-1981, pp. 551-572. Intelligence for policymaking, Washington Journal, vol. 3, n° 3, Summer 1980, pp. 118-129. Analysis, war and decision : why intelligence failures are inevitable, World Politics, vol. 31, October 1978, n° 1, pp. 61-89. BLACKSTOCK (Paul W.), renseignement militaire, spécialiste de l'URSS The strategy of subversion : manipulating the politics of other nations.- Chicago : Quadrangle books, 1964. BOZEMAN (Adda B.), Sarah Lawrence College Strategic intelligence and statecraft.- Washington... : Pergamon Brassey's, 1992. Recueil d'articles précédemment parus. Non-Western orientations to strategic intelligence and their relevance for American national interests, Comparative Strategy, vol. 10, n° 1, January-March 1991, pp. 53-72. Statecraft and intelligence in the Non-Western world, Conflict : an international journal, vol. 6, n° 1, 1985, pp. 1-35.

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Annexe 2-. Le corpus

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US foreign policy and the prospects for democracy, national security, and world peace, Comparative Strategy, vol. 5, n° 3, 1985, pp. 223-267. A ces publications s'ajoutent de nombreuses contributions à la série Intelligence requirements for the 1980s, recensée ci-après. BRITISH AND AMERICAN APPROACHES TO INTELLIGENCE, ed. Kenneth G. Robertson.- London : Macmillan, 1987. Particulièrement la contribution de Roy Godson. Kenneth G. Robertson enseigne à l'Université de Reading, en Grande-Bretagne. CHAN (Steve), Texas A & M Univ. The intelligence of stupidity : understanding failures in strategic warning, American Political Science Review, vol. 73, March 1979, pp. 171-180. CLINE (Ray S.), ancien Deputy Director, CIA The CIA : reality vs. myth.- Washington, D.C. : Acropolis Books, 1982. Secrets, spies and scholars.- Washington, D.C. : Acropolis Books, 1976. COMPARING FOREIGN INTELLIGENCE : the US, the USSR, the UK and the Third World, ed. Roy Godson.- Washington... : Pergamon Brassey's, 1988. Particulièrement les contributions de Roy Godson, Kenneth G. Robertson, Adda Bozeman. GODSON (Roy), Georgetown Univ. Voir au titre de la série qu'il dirige : Intelligence requirements for the 1980s... HANDEL (Michael I.), Israélien, Hebrew Univ., Jerusalem, puis Harvard, puis US Army War College Strategy, war and intelligence.- London : F. Cass, 1989 (Cass series on politics and military affairs in the twentieth century). Recueil très bien conçu d'articles antérieurs. Leaders and intelligence, Intelligence and National Security, vol. 3, n° 3, July 1988, pp. 3-39. The politics of intelligence, Intelligence and National Security, vol. 2, n° 4, October 1987, pp.5-46. Perception, deception and surprise : the case of Yom Kippur War.- Jerusalem : Hebrew University, Leonard Davis Institute for International Relations, 1976 (Jerusalem Papers on Peace Problems, 19). HILSMAN (Roger), O.S.S., Columbia Univ., puis carrière dans le renseignement au State Department Strategic intelligence and national decisions.- Glencoe, Ill. : The Free Press, 1956. HUGHES (Thomas L.), State Department (ancien Director of Intelligence and Research)

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Annexe 2-. Le corpus

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The fate of facts in a world of men : foreign policy and intelligence-making.- New-York : Foreign Policy Association, Dec. 1976 (Headline Series, 233). HULNICK (Arthur S.), analyste, CIA The intelligence producer - policy consumer linkage : a theoretical approach, Intelligence and National Security, vol. 1, n° 2, May 1986, pp. 212-223. INTELLIGENCE REQUIREMENTS FOR THE 1980s, ed. Roy Godson, Consortium for the study of intelligence. Vol. 1.- Elements of intelligence, 1979, éd. rev. 1983. Vol. 2.- Analysis and estimates, 1980. Vol. 3.- Counterintelligence, 1980. Vol. 4.- Covert action, 1981. Vol. 5.- Clandestine collection, 1982. Vol. 6.- Domestic intelligence, 1986. Vol. 7.- Intelligence and policy, 1986. - Washington; London : National Strategy Information Center (pour les vol. 1 à 5) - Lexington, Mass. : Lexington Books (pour les vol. 6 et 7). Recension approfondie par Kenneth G. Robertson. Voir ce nom. INTELLIGENCE : POLICY AND PROCESS, eds. Alfred C. Mauer, Marion D. Tunstall, James M. Keagle.- Boulder, Col.; London : Westview Press, 1985. Introd. sur le cadre conceptuel (modèle des niveaux d'analyse); contributions de Roger Hilsman, Mark Lowenthal, Stafford T. Thomas, William L. Dunn, David Charters. INTELLIGENCE POLICY AND NATIONAL SECURITY, eds. Robert L. Pfaltzgraff jr, Uri Ra'anan, Warren Hilberg.- London : Macmillan, 1981. Les contributions de Richard Hancke et Richard Betts notamment. KENDALL (Willmoore), a eu une expérience du renseignement pendant la guerre The functions of intelligence, World Politics, vol. 1, July 1949, pp. 542-552. Célèbre recension de l'ouvrage de Sherman Kent. KENT (Sherman), O.S.S., Yale puis CIA Strategic intelligence for American world policy.- Princeton : Princeton Univ. Press, 1949 (2° éd. avec nouv. préf. en 1966). KNORR (Klaus), Princeton Univ., CIA Failure in national intelligence estimates ; the case of the Cuban missiles, World Politics, April 1964, pp. 455-467. LEVITE (Ariel), Israélien, Tel-Aviv Univ. Intelligence and strategic surprises revisited : a response to Richard K. Betts' "Surprise, scholasticism and strategy", International Studies Quarterly, vol. 33, 1989, pp. 345-349. OSETH (John M.), professionnel du renseignement, fut élève de R. Hilsman à Columbia Regulating US intelligence operations : a study in definition of the national interest.- Lexington, Ky : University of Kentucky Press, 1985.

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Annexe 2-. Le corpus

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PLATT (Washington), général National character in action : intelligence factors in foreign relations.- New-Brunswick : Rutgers Univ. Press, 1961. PETTEE (George Sawyer), Amherst College, a eu une expérience du renseignement pendant la guerre The future of American secret intelligence.- Washington : Infantry Journal Press, 1946. RANSOM (Harry Howe), Harvard Strategic intelligence and foreign policy, World Politics, vol. 27, October 1974, pp. 131-146. The intelligence establisment.- Cambridge : Harvard Univ. Press, 1970. Mise-à-jour de l'ouvrage cité ci-dessous. Central intelligence and national security.- Cambridge : Harvard Univ. Press, 1958. ROBERTSON (Kenneth G.), Univ. of Reading, UK Intelligence requirements for the 1980s, Intelligence and National Security, vol. 2, n° 4, October 1987, pp. 157-167. Recension approfondie de la série référencée ci-dessus à son titre. Voir aussi ci-dessus ses contributions à : British and American approaches to intelligence... et à Comparing foreign intelligence... SHLAIM (Avi ou Avraham), Israélien, Hebrew Univ., Jerusalem Failures in national intelligence estimates : the case of the Yom Kippur War, World Politics, vol. 28, April 1976, pp. 348-380. SPECIAL OPERATIONS IN US STRATEGY, eds Franck R. Barnett, B. Hugh Tovar, Richard H. Schultz.- National Defense University Press; National Strategy Information Center.- 1984. WILENSKY (Harold L.), Berkeley Organizational intelligence.- New York, London : Basic Books, 1967. WOHLSTETTER (Roberta) Pearl Harbor, warning and decision.- Stanford : Stanford University Press, 1962. Trad. française sous le titre : Pearl Harbor n'était pas possible.- Paris : Stock, 1964.

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Annexe 3-. Bibliographie

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Annexe 3-. Bibliographie

BOOTH (Ken).- Strategy and ethnocentrism.- London : Croom Helm, 1979. BRECKINRIDGE (Scott D.).- The CIA and the US intelligence system.- Boulder, Co : Westview Press, 1986. CARVER (George A., jr).- Intelligence in the age of glasnost, Foreign Affairs, vol. 69, n° 3, Summer 1990, pp. 147-166. COOPER (Chester L.).- The CIA and the decision-making, Foreign Affairs, vol. 50, n° 2, January 1972, pp. 223-236. GAZIT (Général Schlomo).- Intelligence estimates and the decision-maker, Intelligence and National Security, vol. 4, n° 3, July 1988, pp. 261-287. GRAWITZ (Madeleine).- Méthode des sciences sociales.- 8° éd.- Paris : Dalloz, 1990. GRAWITZ (Madeleine), LECA (Jean).- Traité de science politique.- 1ère éd.- Paris: PUF, 1985. Vol. 1, passim. GRAY (Colin).- National style in strategy : the American example, International Security, vol. 6, n° 2, Fall 1981, pp.21-47. HIBBERT (Reginald).- Intelligence and policy, Intelligence and National Security, vol. 5, January 1990, n° 1, pp. 110-127. HUNTINGTON (Samuel P.).- American ideals versus American institutions, Political Science Quarterly, vol. 97, n° 1, Spring 1982, pp. 1-37. INTERNATIONAL ENCYCLOPEDIA OF SOCIAL SCIENCES, ed. David L. Sills.- s.l. : The Macmillan Company & The Free Press, 1968. Notamment les articles : Decision making (James A. Robinson) Intelligence, political and military (Harry Howe Ransom) National interest (James N. Rosenau) National security (Morton Berkowitz; P.-G. Bock) Organizational intelligence (Harold L. Wilensky) Political process (Bertram M. Gross) KIRKPATRICK (Lyman B., jr).- The US intelligence community.- New-York : Hill and Wang, 1973. KNORR (Klaus).- Foreign intelligence and the social sciences, ed. Center of international studies.- Princeton : Princeton University Press, 1964 (Research Monograph, 17).

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Annexe 3-. Bibliographie

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LAQUEUR (Walter).- A world of secrets : the uses and limits of intelligence.- New-York : Basic Books, 1985. Partie IV : Theories of intelligence, et conclusion, soit les pp. 255-344. LES LAURIERS INCERTAINS : stratégie et politique militaire des Etats-Unis, 1980-2000, éd. Observatoire de la stratégie des Etats-Unis, sous la direction de François Geré.- Paris : Fondation pour les études de défense nationale, 1991. LORD (Carnes).- American strategic culture, Comparative Strategy, vol. V, n° 3, 1985, pp. 269-293. LOWENTHAL (Mark).- US intelligence : evolution and anatomy, ed. Centre for strategic and international studies.- Washington, 1984. LOWENTHAL (Mark).- The intelligence library : quantity vs. quality, Intelligence and National Security, vol. 2, n° 2, April 1987, pp. 368-373. POIRIER (Lucien).- La crise des fondements, Stratégique, n° 53, 1er trim. 1992, pp. 117-152. POLITICS AND THE SOCIAL SCIENCES, ed. by Seymour Martin Lipset.- New-York, N.Y. : Oxford University Press, 1969. LES "SCIENCES DE LA POLITIQUE" AUX ETATS-UNIS : domaines et techniques... sous la direction de Harold D. Lasswell et Daniel Lerner.- Paris : Libr. A. Colin, 1951 (Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, 19). Les sciences sociales aux Etats-Unis, n° spécial, Esprit, n° 269, janvier 1959, pp. 1-124. Particulièrement les contributions de : Daniel Lerner, Max F. Millikan Clyde Kluckhohn. TOFFLER (Alvin).- Les nouveaux pouvoirs : savoir, richesse et violence à la veille du XXI° siècle.- Paris : Fayard, 1991. TOINET (Marie-France).- Le système politique des Etats-Unis.- 2° éd.- Paris : P.U.F., 1990 (Thémis. Science politique). TURNER (Stanfield).- Intelligence for a new world order, Foreign Affairs, vol. 70, n° 4, Fall 1991, pp. 150-166. WESTERFIELD (H. Bradford).- The instruments of America's foreign policy.- New-York : Crowell, 1963. Chapitres 8 et 22 notamment.

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Table des matières

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Table des matières

INTRODUCTION 3

1ERE PARTIE-. LES GRANDS COURANTS DE RECHERCHE SUR LE RENSEIGNEMENT 6

2EME PARTIE-. BILAN ET LECTURE CRITIQUE 27

CONCLUSION 39

ANNEXE 1-. CONSTITUTION DU CORPUS ETUDIE 41

ANNEXE 2-. LE CORPUS 43

ANNEXE 3-. BIBLIOGRAPHIE 47