Histoire universelle du théâtre (1893)

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HISTOIRE UNIVERSELLE

DU THTRE

POITIERS.

TYP.

DE A. DUPRE.

HISTOIREUNIVERSELLE

DU THTREPAR

ALPHONSE ROYER

TOME DEUXIEME.

PARIS LIBRAIRIE A.1869

FRANCK

67, RUE RICHELIEU, 67

TOUS UKOITS DE THADUCTION RtSnr.VS.

ML

HISTOIRE UNIVERSELLE

DU THTRE-s:^!^=s-

CHAPITREXVr SICLE.

XVI.

THTRE ITALIEN,

La llpnaissance italienno. La Cour et le Thtre du Vatican. Peintres de Les Pastorales. Les Trafdies. Les Comdies. Naissance dcors, machinistes et dessinateurs de costumes. La Comdie improvise. de l'Opra.

I.

La Renaissance desItalie

lettres et des arts s'accomplit

en

ds

le

xv^ sicle, quoiqu'elle ne se soit

gnrale

lise

dans

les autres

pays de l'Europe que pendant

cours du xvl^ Ds l'anne 1428,hritier des

Cosme de

Mdicis,se faire

immenses biens de son pre, pourles Florentins

pardonner par

son usurpation du poufrais, les

voir, attirait prs

de;

lui,il

grands

savants et

les artistes clbres

ouvrait au public des bibliothles

ques o l'on avait rassemblII.

manuscrits

les plus

,

12

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.il

rares,

instituait des chairesil

de sciences

et

de

littra-

ture o

appelait les plus illustres professeurs de

l'Europe. Lorsquestantinople,

ce

Mahomet II se fut empar de Confut Cosme qui recueillit les savantsl'asile

byzantins, et Florence devint ainsi

de toutes

les

lumires des sicles antiques. La dcouverte de l'impri-

merie vint propos aider aux

efforts

des Mdicis, et la

nouvelle invention passa immdiatement d'Allemagne

en

Italie,

pour multiplier profusion

les rares copies

des manuscrits grecs et latins. Les successeurs de

Cosme continurent l'uvre du chef denatellO;

leur famille;

:

Michellozzi et Brunelleschi, pour l'architecture

Do-

pour

la sculpture;

Masaccio, pour la peinture,

furent les prcurseurs des Michel-Ange et des Raphal.

Et pendant que cesl'esprit

hommesles

d'lite

veillaient

dans

du peuple

ides de l'art grandiose, les,

doctes professeurs Jean de Ravenne

Chrysolorasle

Guarino de Vrone

,

Ambrosio Traversait

Camal-

dule, Leonardo Bruni, Francesco Filelfo, ouvraient tous les trsors de la savante antiquit,

et ser-

vaient

en

mme temps

d'interprtes diplomatiques

au gouvernement de Florence dans ses relations avecles

souverains de la pninsule et de l'Europe.

Cosmeromai-

tablissait

un muse de sculptures grecquesle

et

nes dans son palais, Laurent

Magnifique s'attachaitet

commela

conseillers

et

comme

amis Politien

Pic de

Mirandole, et se chargeait de l'ducation du jeuneil

Michel-Ange, dont

avait devin le gnie.

A

Rome, le pape Nicolas

V recueillait de

son ctels

savants grecs migrs et leur distribuait des pensions

THEATRE ITALIEN.et des prsents

XVl'

SIECLE.

3

pour

les fixer

dans ses tats.

A

Fer-

rare, les princes de la

maison d'Est

faisaient revivre

aussi les lettres et les sciences et reconstituaient leuruniversit.et

Les marquis deMantoue,

les

ducs d'Urbinrivali-

de Milan tenaient des cours somptueuses et

saient avec les Rois et les Pontifes. Tel est l'tat de la

premire priode dexv sicle.

la

Renaissance en

Italie

au

Vers

le

milieu du xvi sicle tous ces germes avaient

produit leurs

plantureuses moissons. Michel- Ange

avait succd son matre Ghirlandaio,

comme

Ra-

phal au Prugin.

Lele

fils

d'un notaire, Lonard de Vinci, tait devenu;

prince de l'cole milanaisele palais

le Titien et le

Vronse

couvraienttantes;

des doges de leurs couleurs cla-

le

suave Corrge couronnait de sa gloire MoII et

dne

et

Parme. Les papes Juleslouables efforts,

Lon

X faisaient,

oublier les

de Nicolas,

V,

comme

Alphonse

II

duc de Ferrareet

effaait,

grce la

renomme du Tassede terre

de l'Arioste

les

premiresle

tentatives de son pre, lequ'il gouvernait.

duc Hercule, dans

coin

Toutes ces cours, grandes et petites, celles de Rome,de Florence, de Milan, de Ferrare, de Mantoue, d'Urbino, dans leur dsir de frapper les imaginations des

peuples, ne pouvaient ngliger,l'action puissante la

comme moyen

d'effet,

du thtre,les arts,

qui, tant le produit

de

runion de tous

devait naturellement le

plus impressionner les masses.

Mais

il

n'existait

pas encore ce

moment de thtres

4

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THEATRE.

publics, et les palais

o se donnaient

les

reprsenta-

tions ne pouvaient accueillir la population tout entire.

Les Mdicis, bientt imits par d'autres princes, imaginrent les chars et les chants carnavalesques (canticarnascialeschi)et,

ftes qui se passaient sur les places

dans

les

rues.et

Ces

mascarades sortaient aprstrois

l'heure

du dner

ne rentraient qu'les acteurs qui

ou quatre

heures de

la nuit.

Tous

y participaient

taient splendidement vtus, et les chars qui les portaient taient suivis de plusieurs centaines de cavaliers,

tenant la main des torches de cire blanche qu'onallumait la nuit. Les masques chantaient, au son

d'un orchestre, des canzoni, des ballades, des madri-

gaux

et des Barzellette.

Les auteurs de ces chants,Lasca,en 1559, taient Lau-

recueillis et publis par le

rent de IMdicis, Bernardo Ruccella, Alamanni, Gelliet le Lasca.

Laurent de Mdicis composaet cV Ariane et le

le

TriompheFilles etet les

de Bacchus

Chant des jeunes

des Cigales^les Fileuses d'or, les Jeunes

Femmesetle

Vieux Maris.)

le

Chant des muletiers

celui desla

Faiseurs de gaufres; Alamanni crivit

Char de

Mort

et les

Maris qui

se

plaignent de leurs femmes;

Ottonajo, hraut de la seigneurie de Florence, donnale

Chant des joueurs d'chins; MachiavelDiable^ celui des

fit

le

Chant

du

Bienheureux,

celui des

Ermites

et celui

des Marchands de

pommes

de pin.la

Ces joyeusets,trs

libres,

ddommageaient

mul-

titude des reprsentations de palais auxquelles

on ne

pouvait l'admettre faute d'espace.

Htons-nous de reconnatre que

les Italiens sont les

THTRE ITALIEN.crateurs du thtre

XVI^le

SICLE.

5ils

moderne

rgulier,

comme

sont les premiers matres dans toutes les branches del'art

moderne. Mais pourquoi

progrs du thtre ne

suivit-il

pas chez eux, non plus que chez nous, les pro-

grs des autres arts? C'est ce qu'il s'agit d'examiner.Si,

dansla

la liste

des auteurs italiens qui ont critsicle,

pourdes

scne au xvi^

nous ne rencontrions quelesle;

noms inconnus, nous pourrions penser quede talent de cette poque avaient adopt

hommes

parti de diriger leurs efforts vers

un

tout autre but

mais, quand nous voyons figurer parmi les auteurs

dramatiques de cette priodel'Arioste,

les

noms du

Tasse, de

de Machiavel,l'infriorit

il

faut bien chercher autre partla

que dans

des esprits

cause de cette ano-

malie. Pourquoi, d'une part, ce dveloppement magnifique dans la Jrusalem, dans le Roland, dans l'Histoire de Florence et les Dcades,relativeet cette pauvretla

dans Torrisniondo

,

dans

Lena, dans

la

ClizialLa questionparle

me

semble

s'clairer

sensiblement

simple examen des sujets traits et par la forme

peu prs identique qu'ils ont revtue.

Plusieurs de ces comdies sont empruntes, sans

dguisement, Plante ou Trence

;

les autres ont

bien pour point de dpart des vnements apparte-

nant aux

murs modernes, maiss'agit

elles

sont soigneuse-

ment

taillesil

sur le modle des

pices anciennes.

Quand

du Tasse

,

de l'Arioste ou de Mail

chiavel, le fond tant cart,style, qui est la personnalit

demeure toujours

le;

de l'auteur et qui survit

mais

si

l'on vient

aux crivains de second ordre,

6

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.

Ruccella, l'Alamanni, l'Aretino, Lodovico Dolce,

on reconnat du premier coup d'Jlcration factice.tine,

le vide

de cetteet la-

Le

festin

de littrature grecque

dont

s'est

gloutonnement repue

cette gnration,

compose pourtant

d'esprits dlicats, n'a

pu

s'assimiler

compltement. L'imitation du thtre antique n'a tqu'une contrefaon pour ainsi dire mcanique, tandis

que dans

les autres

branches dela

l'art la

fusion des l-

ments

s'est

opre dans

proportion normale. Saint-

Pierre de

Rome est bien Bramante et MichelAnge, comme les fresques du Vatican sont bien Raphalpoque,;

mais, dans le rpertoire dramatique de cette

la

grande part demeure Plante

et

Trence.

Les uns se sont inspirs de

l'antique^, les autres l'ont

maladroitement calqu. Les crivains franais exagrrent encore le dfaut qu'on est en droit de repro-

cher aux crivains

italiens, et ils

ne rachetrent pas

le

fond par la forme^, la langue qu'ils parlaient n'ayant

pas cette poque,

comme la

langue italienne, atteintet

un degr

suffisant

de maturit

de perfectionnement.

Voil pourquoi la Renaissance, qui, au xvi" sicle, nourrit si

fortement de ses sucs

la terre

fconde d'o sor-

tirent tant de chefs-d'uvre, demeura une lande rela-

tivement ingrate en ce qui concerne la production

dramatique.

En examinant les uvres scniques de cette priode,il

faut toutefois

que

le lecteur

d'aujourd'hui,

s'il

veut

s'en rendre

un compte

exact, se reporte

en esprit aux

ides qui avaient cours alors.

Que

n'a-t-on pas

imprim en France sur

le

thtre

THTRE ITALIEN.italien

XVI^

SICLE.

7

en gnral? Les diatribes que l'abb d'Aubi-

gnac

et

Saint-vremond crivaient imperturbablement

sur des ouvrages qu'ils n'avaient jamais lus attirrent

bon droit

les

foudres

des critiques de

l'Italie,

et

ceux-ci nous taxrent d'ignorance et d'outrecuidance,

jugeant de la population franaise par l'chantillonqu'ils avaient

sous les yeux. L'abb d'Aubignac^,

le

prototype des jugeurs imprudents, a crit un ouvrageintitul la

Pratique du thtre, o

il

parle de tout ce

qu'il sait et

mme

de ce

qu'il

ne

sait pas.

Ce bon abb,des

trs convaincu qu'il a reulois

du

ciel la rvlation

primordiales de la scne, dcrte, au

nom

d'Aris-

tote et des trois units,

sur le sujet, sur la vraisem-

blance, sur les histoires

deux fils, dont

l'un estfils il

nommla

pisode par

les

modernes (par ces deux deux actions);

entend

marche

parallle de

sur la prparation

des incidents, sur

la,

catastro2)he, sur les

pomes dra-

matiques dont faction se passe la nuit, etc.

Quant Saint-vremond,

homme

d'esprit,

mais ne

reconnaissant rien de bon hors de Paris et de la cour,voici ce qu'il crivait

en 1677 propos des pices

ita-

liennes

:

Quand vous tes las des bouffonsle thtre,

qui ont trop de-

meur surd'unfrer

les

amoureux paraissent pouravis le dernier supplice

vous accabler. C'est

mon

homme dlicat,:

et

on aurait plus de raison de prla patience

une prompte mort a

de les couter.

Et plus loind'tre

Les

Italiens aujourd'hui se contentent

clairs

du

air et d'habiter la

mme soleil, de respirer le mme mme terre qu'ont habite autrefois

8les vieux

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THEATRE.

Romains

;

mais

ils

ont laiss pour les his-

toires cette vertu svre qu'ils exeraient,

ne croyant

pas avoir besoin de

la tragdie...

Ce dernier regretqu'il

de Saint-vremond est caus par la suppositionfait

gratuitement que les Italiens n'avaient pas alors;

de tragdies on verra tout l'heure quel pointtrompait, carils

il

seet

en furent malheureusement chargs

surchargs. Le second grief de l'ancien ami de Ninon

de l'Enclos, du courtisan desur celiens,fait,il

madame Mazarin, reposaitcomment, que tout le r-

qu'ayant vu jouer Paris les bouffons ita-

se figura,

on ne

sait

pertoire thtral de l'Italie se bornait ce genre se-

condaire. Si l'on pouvait s'tonner de quelque chose

en matire de tmrit de jugements, on se demanderait

comment un gentilhomme, un

savant dans les let-

tres grecques et latines pouvait ignorer que Machiavel,l'Arioste et le Tasse eussent

compos des pices de

thtre restes classiques, et qu'il existt en Italierpertoire tragique plus

un

nombreux que leet

ntre.

Depuis ce temps, Sismondi

Ginguen, qui ont

parl en bons termes et en connaissance de cause de lalittrature itahenne, ont

heureusement

rhabilit la

critique franaiseIl

au del des Alpes.dans l'examen des nombreuses

serait fastidieux,

pices qui forment le rpertoire italien au sicle qui

nous occupe, de suivre un ordre chronologique absolu.Il

est

admis que

la

premire tragdie crite en bon

style fut la Sophonisbe,

du Trissino

;

comme

la

pre-

mire comdie rgulire de quelque mritelandria,

fut la

Ca-

du cardinal Bibbiena. Ces deux pices furent

THTRE ITALIEN.

XVl'

SICLE.

9

reprsentes Rome, peu prs aul'on jouait Ferrare les

mme momentet

o

deux premires comdies de / Suppositi,Florencela la

l'Arioste, la

Cassaria

et

Mandragola^ de Machiavel. Avant d'abordervoyons d'abord dans quel milieu intellectuelleurs auteurs eurent les produire.

repr-

sentation des pices que nous venons de mentionner,et

moral

IF.

lia

Cour

et le

Thtre du Vatican.

En devenant le pape Lon X, Jeanvait

de Mdicis n'a-

pas abdiqu les instincts et les gots d'artiste qui

distingurent tous lesdinal taille

membres de

cette famille. Car-

13 ans,

exil

de son pays, combattant la badroits de son prdcesseur

deRavenne pour lesII,

le

pape Jules

restaurant les Mdicis Florence,

fondant toujours

Rome la bibliothque le mme grand seigneurdu plaisir. Ce

Laurentienne,lettr et poli,

il

fut

ami depoquede

la distraction et

n'est pas notre

que l'on se croira oblig de releverlgret de

les accusations

murs

portes contre Jean de Mdicis par

quelques-uns de ses contemporains, accusations dmenties, du reste, par d'autres tmoins de sa vie.

La

10

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.

lgret desrale

mursil

tait d'ailleurs la conditionvivait, et les

gn-

du temps oles

auteurs franais, aussi

bien que

auteurs italiens, en font la preuve dans

leurs ouvrages. Sans citer l'autorit de Paul Jove, con-

temporain de Lon X, biographe qui pourrait tre

souponn de

partialit,

l'anglais, le protestant

W.

Roscoe, qui publia une histoire de ce Pontife, lui rendpleine justice.Il

trouve seulement que ses amusements

n'taient pas toujours conformes sa haute dignit.

Ce Pape jouait aux cartes avectait

ses cardinaux, et profi-

de l'occasion pour se faire gagner son argent parqu'il affectionnait. Il passait

ceux

pour excellent musi-

cien, chantait et jouait

de plusieurs instruments. Ses

habits pontificaux taient d'une magnificence particulire. Il tenait table

ouverte et rgalait ses convives desfi-

mets

les plus

recherchs, quoiqu'il restt lui-mme

dle sa sobrit naturelle.les

On lui

a reproch d'aimer

choses plaisantes et mme les bouffonneries un peu;

grossires

mais on n'a peut-tre pas assez remarqutait

que cette disposition d'esprit

commune

tous lesroi et

grands seigneurs de l'poque,

et

que chaquelui

chaque prince entretenait toujours auprs de

un ou

plusieurs fous vtus de la faon la plus bizarre et arms

de

la

marotte traditionnelle.se retirait sala Malliana,il

Quand Lon Xfavorite,

maison de campagnemontait, en costumevifs, etil

nomme

de cavalier, les coursiers les plus

chassait

courre ou l'oiseau. Ce fut lui qui instruisit dans sonart son grand- veneur Giovanni Neroni.trait

Quand

il

renle

au Vatican aprs une mauvaise chasse, tout

THTRE ITALIEN.

XVI^

SICLE.

11

monde

le fuyait

pour ne pas s'exposer aux contre-

coups de son humeur.Tel taitle

Souverain Pontife quila

fit

jouer sur une

scne improvise au Vaticanchiavel et la Calandria

Mandragore de Ma-

du cardinal Bibbiena, sans pr-

judice des pices qui avaient dj obtenu quelques

succs sur les thtres des princes ou sur les scnes des

acadmiciens.C'estici le

lieu de dire quels taient les acteurs qui

formaient

la

troupe du Vatican. L'Italie n'avait pas,

comme la

France, l'Angleterre et l'Allemagne, ses cor-

porations ouvrires et bourgeoises, se faisant honneur

de reprsenter devant

le

peuple les ouvrages d'un pote

de circonstance souvent sorti de leurs rangs. Les troupes nomades italiennes se rservaient pourla farce

et

pour

les places

publiques

;

le

genre noble tragique et

comique appartenait aux acadmies, ou bien des jeunesgens de famille se runissaient pour donner ces fteslittraires

aux personnages en renom, qui

les

rcom-

pensaient par quelques dons ou par quelques faveurs.

Le thtre du Vatican

tait

naturellement, de tous les

thtres, celui qui possdait le meilleur personnel dra-

matique. Parmi la noblesse romaine,ratrait sur cette

c'tait qui pa-

scne minente, devant ce parterreet

de princesses, de cardinaux

de prlats, o figuraient

Louis d'Aragon, Hippolyte d'Est, Sigismond de Gonzague, le cardinal Jules de Mdicis, cousin du Pape, etle

cardinal Bibbiena, qui donnait l'exemple, en crivant;,

lui aussi,

sa comdie. Quelquefois c'taient des acadla sollicitation

miciens qui,

du Saint-Pre

,

venaient

12

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THEATRE.

gayer les aprs-dner du Vatican. Les Rozzi de Sienne,qui reprsentaient de prfrence des scnes populairescrites et dbites

dans

le

jargon des rues et des mar-

chs, plaisaient surtout

Lon X, en

lui

rappelant ses

bons Florentins

et leurs saillies grivoises.si

Les acadmies taient en

grand nombre en

Italie,

que, dans le livre de Quadrio (Stora d'ogni poesia),\e

catalogue dtaill de ces institutions ne tient pas moins

de soixante pages. Chacune de ces runions se donnait

un nom comique et prenait une devise l'avenant. C'taient les Endormis de Gnes, les Indisposs et lesMlancoliques de Rome, les Insenss de Prouse, lesObstins de Viterbe, lestres

de Florence.

Enrhums de Lucca, les RusLes membres de ces socits s'intiYEnflamm,le

tulaient VInsipide, le Distill,

Sans-

Nom,

Y Incomprhensible

,

Y Enfarin,;

etc....

Tous

taient acteurs

ou auteurs dramatiques quelques-unsIls

joignaient les deux qualits.

alternaient, selon les

gots, la tragdie, la comdie rudite et la farce. C'tait

une production incessante; oncinq mille le

fait

monter plus de

nombre des

pices imprimes en Italie

depuis 1500 jusqu' 1700. Quant aux troupes de comdiens de profession qui

parcouraient les

villes et les

campagnes,

elles

s'adonnaient presque exclusivement

la comdie improvise dont nous parlerons en sonlieu.

THTRE ITALIEN,

XVI^

SICLE.

18

III.

lies

Tragdies.

La

tragdie du Trissino, la Sofonisha (ou la Sophol'italien,

nisha, car

cette poque, n'avait pas encore1'/"),

remplac ]eph par

fut

probablement l'un des preles

miers ouvrages reprsents dans

appartements du

Vatican devant Lon X, puisqu'elle est ddie ce Pontife et

que

la

ddicace date de 1515, deux ans seulele sige

ment avant que Jean de Mdicis occupt

dela le

saint Pierre. La preuve de cette faveur accorde

Sophonisha n'est pas historiquement acquise, maisfait est

probable, carle

le

Pape

affectionnait particuli-

rement

Vicentin Giorgio Trissino, qu'il chargea plus

tard d'importantes ambassades Venise, enet

DanemarkTrissinolaque,

en Allemagne. Voltaire

dit

tort queIl

le

fut prlat et

archevque de Bnvent.

mourut

g de soixante-douze ans, aprs avoir ajout son bagage dramatique une comdie imite des Mnechmesde Plante, intitule:

I Simillimi.

Ce

sujet de

Sophonisbe parat avoir sduit beaucoup

d'auteurs, car, aprs le Trissino, Saint-Gelais le prsentait

au public parisien en 15G0, Marmet enl583,

Montchrtien en 1596, Nicolas de Montreux en 1601,Mairet en 1629, puis enfin, enl663, Pierre Corneille, ce

,

14

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.

qui n'empcha pas

La Grange-Chancel dela fille

le traiter

de,

nouveau en 1716et Alfieri,

,

Voltaire de refaire la pice en 1771

en 1787, de ramener,

d'Asdrubal sur la

scne italienne

son point de dpart dramatique. Jeles sicles futurs soient saisis

ne

crois pas

que

de

la

mme

passion pour ce sujet de Sophonisbe, qui, du

reste, a fourni

une assezici

belle carrire dans lel'Italie et

monde,de

pour ne parler

que de

de

la

France.sait, tir

Cede

sujet tant exploit est^

comme on

Tite-Live. Aprs la prise de la ville de Cyrtha, capitalela

Numidie,

,

par l'arme romaine que

Scipion

le

jeune prince Massinissa,sa partetil

comprend dansduroi

commande de Rome, de butin Sophonisbe, la femmealli

Syphax,

l'pouse,

afm de

lui

pargner

la

honte de l'esclavage. Maisla

les chefs

romains rclamentcelle qu'il

captive,,

et

il

est rduit,

pour dlivrer

aime

lui envoyer une coupe de poison.,

Pas plus que ses successeursenfrais

Trissino ne s'est mis

d'imagination pour donner l'ensemble de

cette action le

mouvement qui

lui

manque. Tout

l'in-

trt se rduit la catastrophe.

On

a reproch l'au-

teur (non pas de son temps

,

mais du ntre) de n'avoirtel

pas crit sa pice d'un style assez noUe,

que

la

tragdie l'exige. Cette critique peut passer pour

undu

loge

,

car ce qu'il y a de remarquable dans le style

Trissino, c'est le naturel qu'il cherche conserver

dans

le

dialogue de ses personnages, laissant au

churainsi

seul les exaltations

du lyrisme. En agissantil

Giorgio Trissino se souvenait des Grecs, dontduisait la pense et la

repro-

manire

,

au lieu de s'aban-

THEATRE ITALIEN.donner au troples scnesfacile

XVI^

SICLE.

15

pathos qui envahit bientt toutes

de l'Europe. rire, ne dut pas assurmentles

Lon X, qui aimaittements du Vatican.

abuser des reprsentations tragiques dansIl

appar-

est certain qu'il prfrait voir

jouer la Calandria, comdie fameuse du cardinal Bibbiena, la

Mandragore de Machiavel ou quelque

farce

du

Rozzi.

Giovanni Ruccella, l'un des clbres tragiques dusicle,il

ne reproduit que

le squelette d'Euripide,

quand

croit faire revivre le

grand pote dans son Oreste.

Ce

travail

obstin de

gauche imitation, auquel se,

livrent ce

moment

tous les rudits

n'amne que des

rsultats ngatifs.

Sousil

cette influence, l'art dramati-

que ne renat pas,

demeure enla

l'tat.;

La phrasece ne sont

redondante remplace partout

pense,

jamais des personnages qui agissentfesseurs qui dissertent. Ainsi,

mais des pro-

quand Euripide entre-

mle avec rapidit

les rpliques d'Oreste et d'Iphig-

nie, Ruccella leur fait prononcer des discours.la

Dans

scne

8^la

du

4" acte,

par exemple

,

il

allonge indfi-

niment

lettre

qu'Iphignie charge les trangers

venus en Tauride de porter son frre Oreste, qu'elle

ne

sait

pas

si

prs

d'elle.

Sept lignes de l'auteur grecitalien.

en deviennent quarante-ciuatre dans l'auteur

Rien ne prouve mieux que ce

petit

fait

l'absence de

toute inspiration et de tout naturel chez les rhteurs

qui entreprirent de rgnrer le thtre. Et pourtantRuccella est

un

crivain la fois lgant et nergique

quand

il

perd de vue pour un instant son parti pris

46

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.Il

d'imitation.dit

y a du naturel dans cette scne o Piladequi le presse de partir pour la Grce et:

Oreste

,

de l'abandonner

Et tu penses que je vais

te laisser ?

Tu peux

le penser? Je porterai la nouvelle de la,

mortet

de son roi

qui

?

au misrable peuple de Mycnela

d'Argos ? J'annoncerai

mort d'un

frre, qui ? des,

surs dsoles quitre

,

cette heure,

implorent peut-

genoux ton retour

leurs mains et leurs

vuxsur,

levs vers le ciel?

Comment,

aborderai-je

mon pre ?,

De

quels yeux pourrai-je regarder Electre

ta

ma chre

pouse, sans toi

sans

mon ami ?

Ruccella,

mme

en choisissant un sujet moderne,

conserve sa manie de reproduire l'antique. Rosmunda,la

femme

d'Alboin

,

premier roi

des

Lombards

,

s'exprime sous sa plume du

mme ton

qu'Iphignie.

Un jeune commensal duMartelli,

prince deSalerne,Lodovico,

pote d'avenir, qui mourut vingt-huit ans

en 1527, choisit un sujet plus odieux encore que

la

Rosmunda;vius Tullius

il

mit

la

scne Tullie

,

cette

fille

de Ser-

,

roi de

Rome

,

qui

fit

passer son char

sur le corps de son pre.

Le pote pique Alamanni

parodia XAnixgone de Sophocle, en employant les procds de ses devanciers. Pauvre d'invention, imitateur

comme

les autres,,

comme eux aussien Francefois

il

se distingue* par

son style

ce qui

l'a fait

survivre au naufrage.;

On croit

qu'il crivit sa pice

elle fut

imprime

Lyon pour la premire

(1553). Passons sous silence,

l'innombrable arme des tragiques

parmi lesquels,

pourtant l'Artin mrite d'tre mentionn

pour son

nom,

si

ce n'est pour son Oreste, et arrivons Jean-

THTRE ITALIEN.

XYI'^

SICLE.

17

Baptiste Giraldi Cinthio. plus connu en France

commec'est

auteur de nouvelles que

comme

pote dramatique.

Le Cinthio un

n'est

assurmentpas un gnie, mais

esprit original qui tirait ses pices des Nouvellesfaire

contenues dans ses Hccatommiti, sans

d'emprunt

aux formes des tragiques grecs ou

latins,

except pour

deux pices donttons

les sujets lui

lui furent

imposs. Ajoufable

que

Shakspeare

prit

la

d'Othello.

Giraldi Cinthio tait de Ferrare, trs en faveur la cour

du duc Hercule

II,

dont

il

fut le secrtaire,

et

il

de-

meura danstrs naves

sa charge sous le successeur d'Hercule, leII.Il

duc Alphonse,

composa neuf tragdies toutesd'incidents

trs charges

romanesquesest inti-

des plus invraisemblables. La plustule Orbecche.

renomme

Le Cinthio

tait trs

jeune quand

il

crivit cette

Or-

becche, qui passe en noirceur Atre et Thieste etbrielle

Ga:

de Vergy.

Il dit

lui-mme dans sa ddicace

Donc, ds que j'eus compos cette tragdie,

travail

qui ne dura pas plus de deux mois,

mon ami

Girolamo

Maria Contugo ayant prpar une scne convenable,elle fut

joue par Sebastiano Clarignano de Alontefalco,

lequel peut assurment se dire le Roscius et l'sope de

notre temps.

si

Cette Orbecche, ou Orbeck,

l'on veut, est la

fille

d'un roi de Perse que l'auteur appelle Salmon.

Au

moment

de marier sa

fille

au roi des Parthes

,

Salmon

dcouvre que cette ingnue a pous secrtement unjeune Armnienenfants.II.

nomm

Oronte

et qu'elle

en a eu deux

On

se fcherait moins, mais ce pre barbare2

18

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.

emploie dans sa vengeance des raffinements qui feraient frissonnerprits'il

se rencontraitil

un

auditoire qui les

au srieux

;

et

parat que cet auditoire se ren-

contra au temps o l'on donnala pice. Salmon gorge

donc Orontepecer^,

et ses

deux

fils; il les fait

artistement d-

de faon ce que leurs ttes

et leurs

mains puis-

sent tenir facilement dans un vase d'orfvrerie

muni

de son couvercle,fille.

et

il

envoie le tout en prsent sa

Orbeck, pour ne pas demeurer en reste, tue sonet se suicide. et les

pre

Nmsisnoyer dans

Furies paraissent dans la pice enet elles

manire de prologue,le

annoncent qu'elles vont

sang cette cour impie de Salmon. Leaussi sa part dans l'ouvrage, afin delesla

chur antique a

ne pas rompre entirement avec

habitudes

la

mode. Riccoboni a beaucoup vant

scne du

3^ acte

de cette tragdie entre le Roi et son conseiller; j'avoueque, tout en louant le style de cette scne, je ne puis lui

reconnatre aucune qualit dramatique. C'est

un

plai-

doyer d'avocat des deuxparts pour savoir

si le

Roi doitdoit

pardonner au jeune Orontecontraire les punir.

et

Orbeck, ou

s'il

au

Ce qui distinguede son temps,la

le

Cinthio des crivains tragiques

c'est l'effort qu'il tente

pour chapper Il

contrefaon des Grecs et des Romains.,

faut lui sa-

voir gr de tcher

en dpit du

flot

qui le pousse, del'horrible do-

rester italien et moderne.

Le got de

minait

la

composition potique de cette poque, et Gi-

raldi Cinthio l'a peut-tre trop subi. Cette contagion

s'tendit de l'Italie l'Angleterre.

THTRE ITALIEN.

XVI*^

SICLE.

19

VAltile, pice plus clmente que l'Orbecche, puisqu'elle

ne contient qu'un meurtre^

et

encore celui du

personnage odieux de

la pice, fut crite

par ordre

du duc

d'Est.

Le

Giraldi prit sa revanche dans sa

Sln, tragdie

romanesque gyptienne, qui met pen-

dant tout un acte deux ttes coupes sous les yeuxdes spectateurs. BarnsV Epitia, tragdie tyrolienne, lesviols

remplacent

les

meurtres

;

il

y en a deuxmineur,

:

le

pre-

mier commis par un jeunecond parle

homme

et le sela

premier magistrat d'Inspruck sursollicite et

sur

du coupable, quison frre.

obtient ainsi la grce de

La meilleure pice, sinonest sans contredit

la plus clbre,

duCinthio

VArrenopia, tire aussi de sa collecGli Hecatommiti. Assurment, au

tion de Nouvelles

point de vue de la combinaison des

moyens

et

de

l'a-

gencement des scnes,

c'est

encore

l l'enfancefait,

de l'art,prvoirles trop

mais on reconnat une enfance robuste qui

une prochaine

virilit.

La manie deset la

tirades

nombreux monologuesMais

frquence des scnes vides

sont les dfauts qui sautent tout d'abord aux yeux.il

y a des passions en jeu

:

l'amour, la jalousie,la gnrosit

le

remords des fautes commises,

du par-

don. Le sujet d'Arrenopia a de l'analogie avec l'un desMiracles de

Notre-Dame que nous avons analys:

et quilala

a pour titre

Olhon Roi d'Espagne. L'hrone de

tragdie rappelle beaucoup Denise, surtout dans

deuximefait

partie de l'ouvrage, oii la

fille

guerrire se

reconnatre et se justifie devant les souverainsqu'elle a rconcilis.

ennemis

Les deux histoires sont

20

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.la chevalerie.

empruntes galement aux murs de

Le

sujet trait par le Giraldi se produisait heureuse-

ment devant despar

spectateurs habitus

rompre desde

lances dans les tournois, et encore tout impressionnsla rcente publication

de Roland furieux

et

la

Jrusalem dlivre.

Aprs un premier acte destin condaire de la pice, \oici

tablir l'action sele vritable sujet

comment

s'expose dans la scne 6^ du second acte.

Un

familierles

du palais d'Astazio, Roi d'Hibernie (nom donn par

Romains

l'Irlande), rencontre le page d'un chevaher

mystrieux

nomm

Agnorito, venu pour prendre part

la guerrecontre l'Ecosse, et qui, bless dans un combat, a t recueilli par

un gentilhomme du pays, Ipo-

lypso, seigneur de Rba. Ce sont l des

peu

irlandais,

mais qu'importe

!

noms bien nous sommes dans lequ'il

sicle

de la fantaisie historique. Ce page raconte

a

nagure servi l'infortune Reine d'Irlande Arrenopia,

que son marisie.

fit

assassiner dans

un accs de

jalou-

La

Reine, souponnant les desseins de son poux,

endossa l'armure qu'elle avait coutume de porter quandelle s'exerait

dans

les tournois

avec son mari, et

elle

monta cheval pour

aller se rfugier

chez son pre.

Elle avait l'pe au flanc et la lance la main, et moi,dit le

page, je cheminais derrire elle sur un poney, etle

nous nous dirigions versvers minuit,le

bord de la mer. Tout coup, enarrt,

un homme,

la lance

nous barre:

passage C'tait Omosio,

l'estaffier

du Roi!

Femme

coupable, s'cria-t-il, arrte, tu es morte Arrenopia nes'intimida pas.

Tu meus,

rpondit-elle: Arrenopia ne

THTRE ITALIEN.

XVI*

SICLE.!

21

fut jamais coupable, tu lsais bien, misrabledit, elle

Et cecifier

courut sur

lui

la lance

en avant. Dans ce

assaut les deux lances se brisrent. Les combattants

mirent l'pe

la

main, mais tout d'abord

la

Reinele

tomba comme morte.familier

Que

fis-tu alors?

demande

du palais.montais un cheval de petite

Que pouvais-je faire? rpond l'enfant. J'tais sansarmes;jetaille, et

Omo-

sio tait si

haut que

mon

front arrivait peine ses

perons.

Le pagetazio,

se trouve bientt en la prsencele

du Roi Asson

que

remords consume,la

et qui' donneraitqu'il

royaume pour retrouver

femmelui

a

si

cruelle-

ment condamne. Le page

parle de son nouveau

matre, qui est venu on ne sait d'o, qui combat vail-

lamment, mais qui garde toujourscasque baisse.Il

la visire

de son

est jeune,

il

est beau,

dit-on,

maisle

toujours triste et parlant peu. L'hte qui a recueilli

jeune bless a cru surprendre quelques signes d'intelligence entre Agnoristo et satratre,

femme.

Il

punira

le

mais

il

faut attendre la fin de la guerre

pour ne

pas encourir la disgrce du Roi. Cependant Agnoristose rtablit.Il

Son page

lui

a racont les regrets du Roi.

se dcide aller trouver Astazio et lui avouer qu'il

n'est autre

que sa chre Arrenopia, chappe ciel.

la

mort

par une faveur du

Elle lui a djelle

pardonn dans

son cur.

En mme temps

consolera son pre, qui

a pour elle entrepris une longue guerre, et elle ram-

nera

la

paix dans ce pays dvast. Les deux Rois ont

dcid qu'un combat de trois guerriers de chaque na-

22tion,

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.rappelant celui des guerriers d'Albe et de Rome,

terminerait le diffrend. Agnoristo est choisil'un des trois reprsentants de l'Irlande.

commede

Les deux

Rois se trouvent face face en

champ

clos, escorts

leurs champions. C'est alors qu'Arrenopia se fait connatre.fille.

Astazio, voici ton Arrenopia.

Sire,

voici votre

Ipolypso, qui assiste cette scne,

demande pardonunrival,

la Reine de l'avoir dlie, la prenant pouret tout le

monde demeure entrois cents

paix.

Aprs

ans passs dans la poussire de la

bibliothque de Ferrare, le manuscrit authentiqueCinthio, crit et corrig de sa main, et intitul: De'

dua

Ro-

manzi^

dlie

commedie,

dlie tragdie, fut publi

il 3^

quelques annes Milan. C'est un document des pluscurieux, une Potique de cette poque fixant les rgles

dramatiques

comme on les comprenait alors,et

et donnant

des dtails sur les reprsentations

sur les acteursitalien

du thtre ducal de Ferrare. Le dramatisteavoue hautementqu'il prfre

Snque Sophocle

et

Euripide. Les churs surtout lui semblent suprieurs dans le pote latin parcequ'ils coyitiennent des discours

morauxque des

et

naturels, tandis que ceux des Grecs ne sont

rcits.

Ce

qu'il

admire surtout dans Snque,Il

ce sont les belles sentences.

blme

le

Trissino d'avoir

cherch se rapprocher des Grecs dans sa Sophonisbe.Il

ajoute qu'il n'a

manqu

Snque, pour surpasser

Euripide, que d'avoir possdl'auteur d'Alceste et

un

style pareil celuiCv

de

cVAndromaque.

Oui, s'crie-t-il.

THTRE ITALIEN.

XVl'

SICLE.

23

on peut dire que personne n'a surpass Snque en majest,

en lvation de sentiments.et c'tait l'ide

Telle est l'opinion

de Giraldi,crivains

dominante laquelle tous

les

du temps n'ont pas manqu deItalie.

se conformer,

en France aussi bien qu'ende tout le

L

est l'explication

systme dramatique de cette poque.

Cinthio, renchrissant ensuite sur les faiseurs dergles, veut

que

la

comdie dure au moins

trois

heures

et la tragdie pas((

moins de quatre.le trs excellent

Pourtant, continu e-t-il,le

seigneur

Monseigneurft

duc Hercule voulut que cette dureheures pourla Cloptre.

tendue

six

On comTon

menanefinit

jouer la pice

une heure de))

la nuit, et

qu'au jour naissant.

Il

termine par ces mots:

peu modestes,

puisqu'il parle de sa propre tragdieles spectateurs;, et ils taientle

Et encore tous

nom-

breux, trouvrent

spectacle trop court.

Messer Giulio Ponzio Ponzoni, qui l'auteur ddiasa Potique, et qui tait lui-mme jouait avec le

un pote en herbe,

plus grand succs sur le thtre du duc

de Ferrare.fut

Il

reprsenta Oronte dans VOrhecche. Cele

un autre jeune gentilhomme, dsign sous

nomle

de Flaminio, qui joua l'hrone de la pice. Mais

premier sujet par excellence,

le

grand acteur de

la

troupe, tait Sebastiano Montefalco, qui, au dire duCinthio, tait miraculeux dans VOrhecche,fut aussi dans la Cassaria et dans la

comme il

le

Lena de

l'Arioste.le

On ne vitdon

jamais un

homme,oules

dit-il,

possdant ainsi

d'exciter le rire

larmes sa volont.

Cinthio raconte, dans l'une de ses lettres,

que ce

24

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.le

Flaminio, qui crases qualits et

personnage d'Orhecche, et qui parcligne de V immortalit,

par sa grce tait

vient d'tre assassin par

une main

sclrate au

mo-

ment o

il

se disposait jouer VAltile.

Qui aurait

jamais pens, s'crie l'auteur dsappoint par cette catastrophe, qu'un jeunesi

hommeunefin

si

noble,

si

vertueux et!

tranquille dt avoir!

aussi misrableil

Pauvre

garon avec quelle bonne volontreprsenter

s'tait

charg de

mon Altile ! Commequand il

il

exprimait gentiment

ces sentiments royaux,

faisait paratre vrais les

pleurs et les soupirs de la Reine! Et le jourla

mme

de

premire reprsentation

il

nous a t vol!

(ci

stato rubatoj.

Nous pouvons voirmonde.

parla, Messer Giulio,et

que

la

mauvaise destine trouble

confond souvent

toutes les choses de ce

La tragdie de Sperone-Speroni,fut

intitule Canace,

un des succset,

retentissants de cette curieuse poil

que,

comme

de beaucoup de grands succs,la possibilit

n'en

reste rien, pas

mme

pour des gens d'un

autre temps de comprendre ce qui put donner lieu cesuccs. L'auteur fut pourtant accueilli et choy par le

Pape, par

les

ducs de Ferrare

et

d'Urbin, et

il

mourut

88

ans, plein de gloire, laissant la postrit

un nom

et cinq volumes d'uvres en vers et en prose touchant

tous les genres de littrature.

Vdipe^ d'Andraunque l'auteur

dell'

Anguillara, obtint d'abord

certain retentissement, malgr les

arrangementsSophocle;

avait fait subir l'uvre de

mais, lorsqu'un autre pote eut montr au public unevritable traduction de l'uvre grecque,il

ne

fut plus

THTRE ITALIEN.

XVI

SICLE.

25

question de ce triomphateur d'un jour. Grattarolo,

Manfredi, Luigi Dolce, Decio da Orte, avec leurs tragdies

d'Astyanax, d'Agameryinon, de Smiramis et,

d'Acripanda

eurent des succs faciles parmi leurs

contemporains.

Passons sur ces gloires oublies

et

venons au Torris-

mondo dufaut

Tasse. Cette tragdie jouit encore aujour-

d'hui d'un grand

renom parmi

les critiques italiens. Illa belle;

assurment rendre justice

langue qu'y

parle l'auteur de lale style

Gerusalemme

on

le

retrouve dans;

de certains passages du Torrismondo

mais

il

faut avouer aussi que ce Roi des Goths, incestueux in-

volontaire, n'offre pas parrt, et,

lui-mme un bien

vif int-

de plus,

le

sujet a pris

une forme par trop

pique, c'est--diie qu'il est plus dclamatoire qu'il

ne convient une action destine au thtre. Ajoutons que la conduite de la pice du grand gnie que nousadmironsest aussi enfantine

que possible. Les monoil

logues succdent aux monologues,

y a des rpliques

de trois cents vers sans dsemparer; en un mot, c'esttoujoursle

pote qui parle et jamais le personnage.

Cette tragdie, reflet de la fatalit antique, fut com-

mence quandde l'ge;tal

le

Tasse

tait

encore dans la vigueur

elle fut

termine pendant son sjour l'hpi-

des fous. Le succs qu'elle obtint en Italie passa

bientt les

monts

;

elle

fut traduite

en franais par

Charles Vion, et publie Paris en 1G26. Signorelli,qui s'emporte contre lescritiques franais

de son

temps, et leur reproche d'avoir mdit outre mesure du

Torrismondo, confesse cependant

qu'il n'est

pas un

26

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.Il

aveugle admirateur de cette uvre.supporterait plusdrait voir

avoue qu'on ne

un planla fable

aussi nglig, qu'on vou-

purger

des scnes de la nourrice,et trop circonstancies etil

des descriptions trop longues

des rptitions trop frquentes;les scnescits

voudrait retrancherles r-

de Torrismondo avec son conseiller,le

de

la

Reine mre,

programme des

ftes

que doit

donner Torrismondo,

et qu'il rcite

lui-mme avec

une complaisance trop grande. Signorelli ajoute qu'ilsouhaiterait encore que le style- se tnt toujours la

mme

hauteur.

Nous n'en demandons pas davantage.

Quelques lignes suffiront pour raconter ce sujet peu

sympathiqueraldi.

et tout d'invention,

comme

ceux du Gi-

TorrismondO;, roi des Goths, devient l'amant dela connatre.

sa

sur sans

L'inceste et la fatalit re-

nouvels de l'antique taient fort en faveur. Sans lui

avouer

la

cause de sa rsolution,le

le

Roi rompt avecetil

Alvida (c'est

nom

de la jeune

fille),

veut la

contraindre pouser Germondo, roi des Sudois, quilui taitla

d'abord destin pour mari. Alvida, croyant

trahison de son amant, se tue de dsespoir et Torle

rismondo se poignarde sur

cadavre de sa matresse.

Ce

rle d' Al vida, qui

compte un certain nombre de

vers lgants, mais

qui parie trop souvent pour le

compte de

l'auteur,

a quelques lans

naturels qui

auraient d mettre le grand pote sur la trace

du

vraila

genre dramatique

et lui faire quitter la voie

de

mode

et

de

la fausse doctrine.fait

Quand Alvida apprend:

le refus

que

son amant de l'pouser

patrie

!

s'crie-t-elle, terre! ciel! vivrai-je

donc repousse?

THTRE ITALIEN.vivrai-je

XVl"

SICLE.

27

mprise?

vivrai-je

avec une telle honte?

J'attends encore? Je crains encore?le

Quoi?

la

mort ou

retard de

ma mort?

Et j'aime encore? et je soupire

encore ?pleurer?

et je

pleure encore ? N'est ce pas une honte defont ces soupirs? timide

Que

plus timide, qui pourtant aspire la

main cur mort? Les armes,

manquent-elles

la colre,

ousi

la colre

l'me? Si tuil

ne veux passuffit

la

vengeance,

l'amour n'en veut pas,

d'un

moment pour(1)!

mourir: meurs donc et aime

en mourantI^e rcit

o

le

cameriero annonce

la

fm de

la

pauvre

Alvida (car la catastrophe se passe en rcit) est crit

en trs bons vers.t'a

Hlas! s'cria

le

Roi, quelle fureur

pousse ainsi

te

frapper toi-mme? Hlas! est-ceblessures:

ta

main qui

t'a fait ces

?

Alors

elle

rpondit

d'une voix languissante

Pouvais-je vivre la

femme

d'un autre et repousse par vous? pouvais-je vivre avecvotre haine ou avec votre mpris, votrevie,

moi qui

vivais dela

amour?

Il

est

moins douloureux de ddaigner

moins douloureux de mourir!...le

Quand

elle fut

morte,

Roi demeura quelque temps muet,patria! terra! cielo

triste

de

(1)

!

lUfiutata vivr? vivr scliernita?

Vivr con tanto scorno? Ancora indugio?

Ancor pavento? E che?Morire? Et

amo

la morte, o 1' tardi ancor? ancora sospiro ?

Lacrimo ancor? Non vergogna il pianto? Che fan questi sospir? timida mano, Timidissimo cor che pur agogni? Mancano l'arme ail' ira, o l' ii'a ail' aima? Se vendetta non vuoi, ne vuole amore, Basta un punto la morte or mori et ama Morendo:

!

28

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.:

piti et confus d'horreurle

il

refoulait la douleur:

dans:

fond de son cur puis;

il

dit

a

Alvida, tu es morteil

puis-je vivre sans

mon me ?

Et

ne parla plus

(1).

IV.

lies Coniilies*

Les comdies de cette priode sont de beaucoupsuprieures aux tragdies. L'imitation des anciens s'yfait

toujours sentir; mais, au lieu d'imiter Snque, on

imite Plaute etTrence, ce qui est

un

sensible progrs.les,

Et puis

le

genre de,

la

comdie autorise

auteurs

crire en prose

si

c'est leur fantaisie

ce qui leur

(1)

Quai furorcos

ti

spinse

A

ferir te

l'iaghe

medesma? Oim son queste de la tua niano? AUor gravosa:

Ella rispose con languida voce

Dunque

viver devea d'altrui che vostra

E da voi nfiutata? E potea col vostro odio, o Se de l'amor vivea?Assai

col disprezzo,

morire ch'ella fu morta, il Re sospeso Stette per brve spazio, muto, e mesto De la pietate, e da l'orror confuso

E Dappoi

men grave men grave

il il

riflutar la vita,

:

Il

suo dolorpremeanel cor profondo:

;

Poi disse

Alvida, tu sel morta

:

le vivo

Senza l'anima? E tacque.

THTRE ITALIEN.

XVl^

SICLE.et

20de ne

permet de prendre un langage plus humainpas dclamer toujours.

Le premier grand succs dansdela

la

comdie

fut celui

Calandria, du cardinal Bernardo Divizio da Bib-

biena.

La

pice fut joue pour la premire fois

Man-

toue,

si

l'on

en croit l'Equicola, dans sa Storia di Man-

tova, et ensuite

Rome, en 1514,

l'occasion du s-

jour que

fit

dans cette

ville Isabelle d'Est,

marquise

de Mantoue, puis enfin Urbino. Toutefois, une lettrede Baldassar Castiglione, que nous traduirons ci-aprs,

semble prouver que

c'est

Mantoue que

la pice futle

joue d'abord (en 1508, selon Tiraboschi), puisque

prologue du cardinal n'tait pas termintiglione enfit

et

que Cas-

dire

un autre

qu'il avait

improvis.

La comdie du Bibbienaqu'en 1548, Lyon,solennelleelle fut

eut une telle

renomme

reprsente pour l'entre

du Roi Henri

II et

de

la

Reine Catherine.

On

y avait joint des intermdes en vers. Les deux souverains furentsi satisfaits qu'ils

rgalrent defait

800 doppie

en or

les acteurs italiens,

qu'on avait

venir exprs

de Florence. Ce fut alors que l'on commena goter

en France

la

comdie

italienne.

Le lendemain de

la

reprsentation la cour d'Ur-

bino, Castiglione crivait son

ami Lodovico Canossa,rendre compte dela

vque de Tricarico, poursolennit.l'histoire

lui

Lesdela

dtails

qu'il

donne sont curieux pour

mise en scne.

Nos comdies

dit-il

(je rsume la lettre), ont trs bien march, surtout la

Calandria^ qui a paru trs honorablement monte. Lasalle tait

orne de verdure

et

de fleurs,

et

deux rangs

30

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.la salle. J'arrive

de candlabres suspendus traversaient

au Calandro de notre Bernard, qui a plu extrmement.

Comme

il

avait distribu trop tard son prologue, celui

qui en tait charg en a dit

un de

moi...

Le premier un

intermde fut une moresque de Jason, danse par un

premier sujet arm l'antique, avec une pemagnifique bouclier. Ensuite

et

on

vit

paratre deux

taureaux, imits au naturel, et qui jetaient du feu parla

gueule.

Le bon Jason s'approcha d'euxle

et lesil

fit

la-

bourer, aprs leur avoir mis

joug; puis

semala

les

dents du dragon, et

il

surgit

du plancher de

scne

une

foule de guerriers. Ceux-ci dansrentd'occire Jason;

une

terriblefinir, ils

moresque avant

,

puis

,

pour

s'entre-turent tousla

mais

ils

allrent

mourir hors de

vue des spectateurs.

Le second intermde nous montra un magnifiquemonts deuxles

char de Vnus, tran par des colombes^ sur lesquellestaientpetits

amours avec

leurs flam-

beaux allums,Ils taient

arcs et les carquois aux paules.

prcds et suivis de huit autres amours,

qui dansrent; d'abord seuls, puis avec neuf autres

personnages, une moresque belle au possible.

Le troisime intermde

offrit

un char de Neptune,faits;

tran parle

deux chevaux marins trs bientrident.Il

sur

char,

Neptune arm de son

mit pied sujets.

terre et dansa

un branle avec quatre autresAprs

Le char de Junon,du

tran par des paons, terminala

cette partie

spectacle.

comdie unen

petit

amour

vint

sur la

scne

expliquer,

quelques

stances, le sujet des intermdes.

THA.TRE ITALIEN.

XVI"

SICLE.

31

Aprs

les stances

on entendit une musique quatrevioles, qui

voix,

accompagnes par quatrecharmant,

chantrentsatis-

un

air

et ainsi finit la fte, la

grande

faction des spectateurs.

Danscelui-ci

le

vritable prologue

compos par

l'auteur,

j^cuse

auprs du public d'avoir crit uned'antique, vulgaire et

pice en prose,

moderne au heu

non

latine. Il prvient les spectateursil l'a

que ce

titre

de

Calandria,

donn sa pice parce queC'est

le principal

personnage set-il,

nomme Calandro.

du

reste, ajoute;

un

sot qui passe toute vraisemblance

mais on en

a vu d'aussi impossibles au thtre, le Martine par

exemple, qui croyait que

l'toile

Diana

tait sa

femmeou

et qu'il pouvait, sa volont, devenir Dieu, arbre

poisson. Le pote affirme en outre qu'il n'a rien vol

Plaute. Pourtant,il

si

quelqu'un n'est pas de son

avis,

l'engage n'en rien aller dire au Barigel.

Ce Calandro,

le

type des Grontes de

la

comdie mo-

derne, passe en effet en imbciUit toute vraisemblance,

comme l'avoue son auteur. Amoureux d'une fille nomme Sautilla, qui n'est autre qu'un jeune garon, amantde sa femme, et dup par un valet qui rendrait despoints tous les Frontins et tous les Mascarillesse laisse,

il

enfermer dans un coffre

et

porter sur lesil

paules d'un facchino chez la belle dont

est pris.

Mais,,

dit-il,

il

faudra un grand coffre.,

Qu'im-

porte

rpondentier,

le

scapin Fessenio

si

vous n'y tenez

pas en

on vous coupera en morceaux.

Comment, en morceaux?si

Oui!

Vous sauriez

cela

vous aviez navigu

:

vous auriez vu que, voulant

32

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THEATRE.

mettre dans un petit navire une centaine de personnes,elles n'y

pourraient entrer,

si

l'on,

ne coupait d'abord ,

qui les mainsle

qui les bras

qui les jambes

selon

besoin. C'est ainsi qu'elles arrivent ne pas tenir

plus de place que les autres marchandises.

Et aprs?l'on

Aprs

,

chacun reprend ses membres lorsque(la ix"

arrive au port.

Dans une autre scne

du second

acte),

Calans'il

dre, prt tenter l'aventure, faut rester dans le coffrel'un ni l'autre:

demande

Fessenio

,

veill

ou endormi.

Ni?

il

faut mourir. Comment,

mourir

Mauvaise

affaire

!

tes-vous jamais mort? Commentfait-il

Pas

que

je sache.

savez-vous donc que c'est

Cela Comme de dormir. Leune mauvaiseaffaire?

beaucoup de malde revivre

?!

difficile, c'est

C'estcouvrentdises

l

un

secret que je vous apprendrai. les

Cependant

portefaix requis

par Fessenio d-

qu'ils

portent un corps au lieu des marchan;

qu'on leur a annoncesd'un pestifr, etla rivire.

ils

s'imaginent que

c'est le corpsle coffre

ils

font

mine de

jeter,

dans

Calandro pousse un

cri

et

cette apparition inattendue les

met en

fuite. Ilil

reproche

Fessenio d'avoir voulu le noyer^ etquelle est cettesorti

veut savoiril

femme

qu'il a

vue s'enfuir quand

est

du

coffre.

C'est la

mort rpond,

le valet

,

la

mort qui

tait

renferme avec vous l-dedans.

La mort? aveclorsque vous

moi?vule

Je ne

l'ai

pas vue?

Bon. Avez-vous jamaisla soif

sommeil en dormant, oufoi!

buvez? Et de bonne

maintenant que vous vivez.

THTRE ITALIEN.VOUS ne voyez pasla vie;

XVI*^

SICLE.

33

elle est

pourtant avec vous.

Cette logique persuade Calandro, qui ne trouve rien

rpondre aux arguments du

valet.

On

rencontre assurment peu de coups de thtre etla

peu d'habilet matrielle dans

contexture de la Cale

landria; mais, pour racheter ces dfauts,tincelle d'entrain et de naturel.brille

dialogue

Le pur

style toscan

y

de tout son

clat,

mme au milieu des quivoques

graveleuses dont l'auteur l'pice plaisir. Ce parterre

de cardinaux et de princes du Vatican se montrait de

bonne composition pour

les hardiesses qui

abondentles

dans l'uvre de l'Eminence,

comme

dans toutes

uvres de ses contemporains. Boccace semble avoirinspir toute cette gnration d'auteurs et leur avoir

inculqu les audaces de son libre gnie.

V.

SUITE DES COMEDIES.

Thtre do

l'Arioste.

C'est en

1514 que TArioste,

le

grand pote pique3

de VOrlando furioso, acheva les deux premires deII.

,34

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.

ses cinq comdies, la Cassaria (du

nom

de cassa;

c'est

une

caisse qui

forme

le sujet

de

la pice);

I

Siqrpositi.

nies

avait d'abord crites en prose versil

1494. Aprs

vingt annes d'oubli,C'est lui qui

se rsolut les mettre en vers.le

donne ces dates dansil

prologue de

la

Cassaria, o

apprend aux spectateurs que vingtla pice

ans auparavant, planches:

a t joue sur ces

mmes

...

La Cassaria

Ch' un' altra volta, gi venti anni passano,

Yedor

si

foce sopr quosti pulpiti.

Cette reprsentation avait eu lieu pour le mariage

d'Alphonse

II et

de Lucrce Borgia.

La comdieLena

intitule le

Negr ornante

est

de 1520,

la

et la Scolasiica sont de 1528; cette dernire,

reste inacheve, fut termine par le frre

du pote.

L'Arioste avait toujours aim le thtre. L'an de dix enfants,il

traait dj,

dans son jeune

ge, des bauches dialogues qu'il rcitait, avec sespetits frres, sur

une scne improvise. Au collge deTrence,

Ferrare,

il

tudiait spcialement Plaute et

sous la direction de son professeur, Grgoire de Spolte.

Quand

le

prince Alphonse d'Est hrita de la

couronne du duc Hercule son pre, l'Arioste quitta,

pour suivre sa fortune,et le

le service

du cardinal

d'Est,

gentilhomme potepalais.

devint^ selon l'usage, l'un des

commensaux du

nait dans sa tte ce

En mme temps qu'il combimonde de personnages grandioses,

gracieux ou plaisants, qui peuple sa merveilleuse po-

THTRE ITALIEN.pe de Roland furieuxpremiers souvenirs,

XVl'il

SICLE,

35

il

revenait par instants sescrivait ses

littraires, et

com-

dies, la sollicitation

du duc.

Il

avait la joie de les voir

reprsenter par les brillants seigneurs et les belles

dames de

la

cour de Ferrare.

Il

trouvait encore leet latins ses

temps d'improviser en vers toscans

admi-

rables satires, ses sonnets, ses canzoni,, ses madrigaux

tout empreints de cette grce et de cette lgance de

forme

qu'il savait

donner tout ce quiil

sortait

de sa

plume. La faveur dont

jouissait auprs

du Pape

Lon

X

et

de tous les princes italiens neil

lui inspira

jamais

la

moindre ide d'ambition;il

mourut modes-

tement

comme

avait vcu,

mais laissant un

nom

immortel.

Les comdies de l'Arioste furent regardes partout

commeque

le

dernier

mot dele

l'art.

On les

estima l'galsi

de son pope, dont

succs tait devenu

populaire

les ouvriers et les

paysans en rcitaient par cur

des strophes entires. Les rudits, qui critiquaientVOrlanclo, admiraient sans rserve les comdies; le

prjug du temps

tait si fort,

que l'imitation semblait

suprieure l'invention. Lorsqu'une ide, bonne ou

mauvaise, s'empare d'une gnration,pouvoirsi

elle

rgne d'un

absolu,- que personne n'chappe son

influence. C'est avecle

un profond tonnement qu'on

voit

crateur de tant de beauts originales crire ceci:

dans sa prface des Suppositi (version en prose)

L'auteur avoue

qu'il

a suivi Plante et Trence, etles

que non-seulement dansles sujets,il

murs, mais

aussi dans Et,

veut tre l'imitateur des anciens.

36

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.il

partant de ce point,

se

met bravementde Plante et

copier dans

les Suppositi les Captifs

VEunuque de

Trence.toutes les

Il

en est de:

la

mode

littraire

comme

de

modes

ce que nous avons trouv gracieuxridicule et dtes-

et excellent

nous paratra plus tardfait-il

table

;

mais comment se

que des gens senss

aientIl

pu tous ensemblelivre

se

tromper ainsi?:

y a un

curieux crire

c'est l'histoire

du

succs.

La Cassaria

et les

Suppositi sont des sujets tout deil

convention. Dans la premire de ces pices,

s'agit

d'une cassette pleine d'or, qu'rophilC;,bule, drobe en l'absence de son pre,

fils

de Crisola

pour

mettre

en nantissement chez un marchand d'esclaves

nommdontle

Lucramo, propritaire dejeune

la

belle

Eulalia,il

hommepay

est

amoureux. Par ce moyen

acquiert

sa matresse, et la cassette restera en gage jusqu' cequ'il aitle prix

convenu de deux cents ducats.le

Quand

le

pre d'rophile revient de son voyage,

valet Volpino, reproduction

des valets de Trence,le

persuade au

bonhomme queil

marchand

d'esclaves a

vol la cassette, et

l'engage aller reprendre son

bien, aid de quelques amis.les crisle

Le plan s'excute malgr

de Lucramo

;

celui-ci intente

un procs devant

juge. Volpino conseille alors au pre de son matreretii^er la plainte,

de payer deux cents cus pour faireet tout le

monde

est content.latins, l'Arioste

Sur ce scnario, renouvel descrit

a

de charmantes scnes^ pleines de bonne humeur,et l

et

semes

de

traits d'esprit

contre les vices et

THEATRE ITALIEN.les travers

--

XVl' SICLE.d'aller se plaindre

37au

du jour.il

Au moment

juge du vol dontla

est victime,

Chrysobule, rappelants'crie:

mauvaise renomme de sa partie adverse,

A

qui ces grands matres (les gens de justice) don? Ils

nent-ils plus de crdit qu'aux ruffians

les prfrent

aux gens de bien.

A

c^ui

tendent-ils plus

d'embches

qu' nous autres marchands, parce que nous avons larputation d'tre riches?... Si je vais trouveril

le

juge,

me fera rpondre

qu'il est sur le point

de se mettre

table ou qu'il vient de sortir pour affaire urgente. Je

connais bien les manires de ceux qui nous gouvernent.Ils

ne sont jamais

si

occups que lorsqu'ils jouent;

aux checs ou aux tarots

ils

placent la porte

un

serviteur pour introduire les joueurs et les ruffians, et

expulser les honntes citoyens et lestueux.

hommes

ver-

Dans

les Suppositi,

on

voit le matre et le serviteur

changer de

rles.

Le jeune tudiant rostrate prend levalet,

costume de Dulippo, sonPolymneste, aprsdela

pour courtiserpourle

la belle

s'tre fait accepter

service

maison, tandis que Dulippo, son domestique,

tient sa place l'Universit.

Le pre deoil

l'tudiant

arrive de sa province Ferrare,

trouve non-seule-

inent

un homme inconnu, soussonfils;

le

nom

et

dans

le

logis de

mais un pre de comdie inventlui soutient

pour

les besoins

de l'intrigue, et qui

har-

diment que

c'est lui qui

est le vritable

Philogone,

pre d'rostrate. Tout se dbrouille par une reconnaissance finale, la manire du dnoment des Fonrheries de Scapin,

o Argante reconnat un bracelet

38safille,

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.

qu'on

lui avait vole l'ge

de quatre ans.

Ici

c'est le

docteur Cleandro, d'abord rival d'rostrate

auprstudiantles

de Polymneste, qui reconnat dans

le

faux

un

fils

qui lui fut jadis enlev Otrante par

Turcs. Ce sont l des rminiscences du thtre

latin

que nous retrouvons chez nous pendant toutexvii^ sicle.le

une priode duchez son

Lorsque Philogono,fils

pre d'rostrate, se prsenteDalio lui refuse laest occupe.

Ferrare,

le cuisinier

porte, en allguant

que

la

maison

Par

qui? Par Philogono. Philogono? Philogono,

pre d'rostrate, qui arrive de

Sicile!

Il

y a deux

heures peine

qu'il est

descendu de cheval l'aubergel'est

de l'Ange; les chevaux y sont encore. rostrateall

chercher et

l'a

amen

ici.

Le

vritable Philogono croitetil

que

le valet

de son

fils

est ivre,

appelle l'hte nouveau de la maison.

Celui-ci parat

la fentre.

Vous me demandez,

seigneur?Sicile.

Je voudrais

savoir d'o vous tes.

De

De quelle ville? De Catane. Votre nom? Philogono. Votre profession? Marchand. Quelles marchandises avez-vous apportes? Aucune.Je suis venu pour voir

depuis deux ans.rostrate est votre

le

Il

mon fils que je n'ai pas vu se nomme? rostrate. ,

Oui. Et vous tes Philo Marchand de Catane? Qu' estgono? Je besoin de vous redire? En menti? Absolument, vous tes un fripon, pire des hommes! Vous avez grand tort de me dire des injures. fils?

le suis.

il

ai-je

le

Au

lieu

de t'en dire, je devrais t'en

faire,

homme

sans

THTREpudeur, qui veuxtu n'es pas.dit.

ITALIEN*.

XXf

SICLE.

39es ce

me donner1

croire

que tu

quel'ai

Je

suis Philogono,

comme

je

vous

!

mon

Dieu

quelle

audace

quelle effron-

terie

Ici le

domestique intervient:

et injurie

son tour

le

nouveau venu

Je ne souffrirai pas que vous disiez

des injures au pre de

mon

matre. Si tu ne quittes

cette porte, bte brute, je te mettrai en fuite

coups

de bton.

]\lallieur toi si

rostrate venait rentrer!

Cette scne peut donner une ide

du dialogue, qui

ne manque pas de naturel.

La Lena, dontmdie de

le

nom

sert de titre la troisime co-

l'Arioste, est le

lestine espagnole.

mme personnage que la CElle fait le mme mtier avec autantAux jeunesgalants qui lales

de conscienceviennent

et d'habilet.

visiter, elle

rpond tout d'abord que pour

servir elle

ne se contentera pas de paroles, maisce

qu'il

faut de l'argent,dit-elle

Tu ne mefille,

feras pas croire, Flavio,sollicite

un jeune cervel qui

son entremise

auprs d'une jeune

que tu ne peux trouver vingt-

cinq florins? Tes pareils trouvent toujours de l'argent!Si tes amis ne veulent pas te prter, tu as sous lales usuriers.

main

Envoie tes beaux habits chez

les juifs, tu

en as de rechange.

La jeune personne dontfille

Flavio est

amoureux

est la

d'un vieux dbauchla

nomm

Fazio, qui fut jadiselle

l'amant de

Lena,

et

qu'aujourd'hui

aide vivreet

du

fruit

de ses exploits. Le portrait est d'une vrit

d'une abjection inoues.Corbolo, le valet de Flavio, parvient soutirerle.s

40

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.

vingt-cinq ducats au pre de son matre, vieil avare, enlui faisant croiresailli

que

le

jeune

homme

vient d'tre as-

de nuit par des bandits, qui l'ont dpouill de ses

habits, et qui

ne

le

rendront que contrele rcit

la

somme

de-

mande. Pendantvalet, le

fantastique que lui dbite le

bon

Ilario, qui,

au fond du cur, aime son fils,Il

tremble

qu'il n'ait t bless.

ne veut pasqu'il faudrait

aller

d-

poser sa plainte au juge, parcece magistrat la bourse en main.

aborder

Que

faire alors,

moncelle

sieur?

Prendre patience. Flavio n'aura pas Ah! Dieu d'attendre. Puisqu'il est hors de danger!

lui a, crois-moi,

accord

l

une

belle grce.

Survient le juif chez qui Corbolo a mis en gage les

vtements de son jeune matre,;

et

dont

les rvlations

peuvent tout compromettre l'habile fourberie de Corbolole tire

de ce mauvais pas

;

il

finit

par avoir les

vingt-cinq florins et par procurer. l'insu del Lena,

un rendez-vous

son matre avec Licinia, la

fille

du

vieux Fazio. L'esclandre se termine par

un mariage,

car Ilario cde aux menaces de Fazio et aux prires de

son

fils.

La morale

seule n'est pas satisfaite de toutes

les pripties

de cette trange histoire. Pour n'tre pas

plus difiante, la fable de la Clestine est bien aucre-

ment conue,

et le caractre

du principal personnage yIl

est surtout trait d'une faon plus magistrale.

est

impossible cependant de ne pas remarquer la ressem-

blance de quelques-unes des

scnes que j'indique

avec les scnes de Molire dans les Fourberies de Scapin. Flavio et son valet Corbolo sont bien les anctres

de Landre et de Scapin,

comme

Ilario est

bien

le

THTRE ITALIEN XVI' SICLE.

41

sosie de Gronte. L'antre des bandits a inspir proba-

blement

la galre

du Tare.le

Le Negromante oul'Arioste. C'tait la

Sorcier est encore une pice

d'intrigue, mais la plus complique de toutes celles de

forme qui

plaisait alors.

Il

s'agit

d'un jeunesecret

homme nommfilleil

Cinthio, qui a pous en

une jeune

appele Lavinia, et qui est conn'ose avouer sa dsobis-

traint par son pre, qui

sance, de s'unir une autre femme.

La bigamie

est,

comme on voit,pour rester

le

point de dpart de l'action. Cinthio,

fidle

son pouse secrte, feint de ne pou-

voir accomplir ses devoirs de mari avec sa seconde

femme,lement.

afin

que ce nouveau mariagefripon de

soit dissous lga-

Un

Ngromant

est requisIl

parestla

le

beau-pre pour dsensorceler son gendre.

ensela

mme

temps pay par Camillo, l'amoureux de

conde marie, et aussi par Cinthio, pour qu'il aide dissolution de cet

hymen

forc.

Le magicien

et

son

serviteur emploient mille ruses pour arriver la ruine

complte des sots qui croient au pouvoir de leurs enchantements. Lelacoifre^ qui

joue un

si

grand rle danscette

Calandria du cardinal Bibbiena, apparat dans

action complique et

augmente l'imbroglio peu prspendant que ses dupes

de

la

mme

manire, en servant de cachette l'amous'enfuit

reux.

Le Ngromant

se dbrouillent.

Cette comdie

du Ngromant

fut toujours

tenue en

grande estime parles critiquestarit

italiens. Signorelliil

ne

pas en loges sur ses beauts, et

cite

comme

des plus comiques la scne o Cinthio s'entretient, avec

42

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.le sorcier,

son valet Temolo, des prodiges oprs parprodiges que le valet rfute avec son

bon sens

naturel,

plus concluant que la demi-science de son matre. dit

On

que

le sorcier fait le!

jour et la nuit sa fantaisie.

J'en puis faire autantles

rpond

le valet.

Comment?et

En allumant une bougie pendant la nuitfentres pendant le jour.Il

en fermant

Que

fait

encore notre

sorcier?

se rend invisible.

L'avez-vous jamais!

vu en

cet tat,

mon

matre?

Imbcile

cela est- il

possible?

Cinthio ajoute que le

Ngromant prend et le

sa volont lavalet

forme de toute sorte d'animaux,qu'il a

rpond

vu des notaireset

et et

des banquiers des conseillers

se

changer en loups

en renards,

se changer en nes.

Quant ceuxil

qui prennent la

forme de btes cornes,relli

n'en veut pas parler. Signocelui d'Aristophane

compare

ce

comique

dans

les

Nues.il

Lorsque l'Arioste mourut,d'une comdie intitulebriel:

laissa

un

acte et

demiGaprend

la Scolastica.

Son

frre

acheva

la pice sur les plans retrouvs. Elle

son

nom des deux principaux personnages, qui tudientcomdie se nommerait en franais

la scolastique. Cetteles

tudiants. C'est la moins bonne des cinq comdiesle

formantS'il

rpertoire de Fauteur

deVOrlando furioso.y sechagrin

l'avait

crite jusqu'au bout, les caractres;

raient sans doute mieux accuss et suivis

le

de Claudio se croyant trahi, les sentiments d'Euriale etd'Ippolita seraient plus

chaudement exprims

;

le rle

de Piston,

le valet

imbcile, contiendrait plus de

mots

plaisants. Flaminia, la matresse de Claudio, ne parat

THTRE ITALIEN.

XYI*"

SICLE.

43

pas dans la pice. Le rle de l'ecclsiastique casiiistequi,

en vertu d'une

bulle,

promet au bonhomme Bar-

tolo de lui remettre sesle faire le

pchs aussi bien que pourrait

Saint-Pre lui-mme, n'a pas les dveloppel'effet

ments

ncessaires pour produirele

que

s'tait

sans doute propos

premier auteur. En un mot,

le

plan de l'Arioste n'a pas trouv dans le frre

du grand

pote un crivain capable de l'interprter.

VI.

Thtre de

iTf

acliiavel.

Niccolo Machiavelli,

le

profond penseur qui

crivit

les Histoires florentines, le

Trait de Varl de la guerrela meilleure

et le

Livre du Prince^ nous a laisscette clbre

com-

die de son sicle,

Mandragore^ qui seet la

jouait dans les appartements

du Pape

cour des

princes italiens les plus clairs, cette

Mandragore

dont La Fontaine

fit

l'un de ses plus charmants contes,

mais qu'aujourd'hui notre pruderie regardel'une des excentricits les plus lgresjours.

comme

des anciens

Chacun a

lu pourtant, tout haut,

ou tout bas, sinon

la

comdie du Secrtaire florentin

du moins

le

conte de

44

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.la

La Fontaine, dont

simple transcription pourrait ser-

vir d'analyse la pice.

On

n'a pas oubli certainement

madame Lucrce

et

son mariMesser Nicia Calfucci.

Ce fut un sot on son temps trs insigne; Bien le montra lorsque bon gr mal gr11

rsolut d'tre pre appel.

Onconte

se souvient

du moyen quela

lui

suggre, dans

le:

comme

dans

comdie,

le

jeune Callimaque

une infusion de racine de mandragore donner enboisson sa

femme

;

puis,

comme

le

poison pourrait

devenir funeste au mari, y exposer un

homme

de rien

qu'on prendra dans

la

rue

:

On banderaIl

les

yeux si

ce paillard.

ne saura qui, quoi, n'en quelle part,

N'en quel logis, ni

dedans Florence,l'aura

Ou bien dehors, on vous

men.

Lorsquec'est

Mme

Lucrce refuse d'accepter l'preuve,lui

son confesseur, Frre Timothe, qu'onla dcider, et l'aventure se suitelle

dp-

che pourpoint,

de point en

comme

est relate

dans

le petit

pome de

La Fontaine.C'est

assurmentet

l

un

singulier sujet pour tre mis

en action

reprsent devant une assemble de cardi-

naux prside par un Pape.Ce qui distinguecette

comdie de toutes

les autres,

c'est la nettet et la prcision avec lesquelles sont des-

sins les caractres

;

ce ne sont pas l des personnages

de convention, mais des portraits vivants, la pure ex-

THTRE ITALIEN. XV!*" SICLE.pression des

45

murs florentines du tempsa

des Mdicis.

La Mandragore

une valeur historique au moins

gale sa valeur littraire.

On

retrouve dans ce dialo-

gue, toujours cultiv et rempli de traits d'observation,cette socit italienne

du

xvi" sicle qui rappelait celle

d'Athnes par ses qualitsl'on

comme

par ses vices, et oentoure

voyait la courtisane Imperia toujours

d'une cohorte de prlats et d'abbs, ainsi que jadis

Aspasie

tait

entoure des disciples de Socrate, des

artistes et des

premiers magistrats de

la cit.

Commefrquen-

aux jours de Pricls,struites

les courtisanes taient alors in-

dans

les lettres et

dans

les arts, et leur

tation devaitalors,

comme jadis, avoir une vive influencetraduit les alluresvraie, tre ce

sur les murs.

La comdie qui nousdoit,

de cette socitqu'elle est;il

pour demeurer

nous faut donc l'apprcier son point dentre.\si

vueIl

et

non pas autrois

ya

tudes de caractres dans

Mandragore :mari de

Nicia, Frretraites

Timothe

et

Mme

Lucrce, toutes troisle

de main de matre. Messer Nicia,

Mme

Lucrce, n'est pas un niais ordinaire, c'est:

un

docteur es lettres lathies et grecquesce qu'on peut apprendre, maisil

il

a appris toutrien de ce

ne

sait

qu'on doit deviner. Callimaque, qui arrive de l'Universit

de Paris, conquiert tout d'abordlui

la bienveillanceet,

de Messer Nicia en

parlant latin,

aprs leur:

premire entrevue,plus confiancepes.

celui-ci dit

au jeuneles

homme

J'ai

en vous quela

Hongrois dans

les

La vertu de

racine de mandragore, qui a

guri de

la strilit la Pieine

de France et une foule

G

4

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.

d'autres princesses

du royaume, ne

lui

semble pas im-

possible, puisqu'elle est affirme par un docteur de

Paris qui parle latin

comme

Cicron.

Quandpar

il

s'agit

dein-

faire neutraliser le venin

de

la racine

le

modeet

diqu,il

le

docteur prouve quelque rpugnance; mais

se rsigne ce

moyen, puisque tant de princes

de

rois l'ont pratiqu ainsi. Ligurio, l'ami de Messer Nicia,

lui

demande

vingt-cinq ducats pour les offrir au

confesseur afm qu'il dcide

Mme

Lucrce se soului

mettre l'preuve convenue; Nicia lesil

donne, car

sait l'avidit

de ces Frres, g wi

n'o7it tant cV influence

que parce

qu'ils savent leurs pchs et les ntres.fait,

Et

quand

le

tour est

par

sa faute et avec son aide, le

savant imbcile, mais toujours logique dans sa sottise,croit devoir

remercier son ingnieuxi-conseiller. Messer

Nicia a une telle confiance dans ses propres mrites

que jamais

l'ide

ne

lui

viendra que quelqu'un soit

assez fin pour le tromper.

Frre Timothe est un de ces pauvres porte-besace,hypocrite par ncessit, avide par apptit, et qui ne seprte mal faire que lorsque sa bourse est compltement sec.Il

pratique son tat non pas par vocation, mais par

habitude,

comme

il

exercerait le mtier de cordonnieril

ou de maon; seulement

aime mieux

tre assis

que

debout, tenir un brviaire qu'une alne ou une truelle.

Quand Ligurio

vient lui proposer quelques centainesil

de ducats distribuer en aumnes sa volont,

est

d'avance dispos tout. L'missaire du docteur Nicia,qui veut voir jusqu'o peut aller sa conscience, lui ditqu'il s'agit

d'une jeune

fille

au couvent

qu'il faudrait

THTRE ITALIEN.aider,

XYI*"

SICLE.

47

au moyen d'une potion,

sortir

d'une situation

qui dshonore sa famille. Frre Timothe a d'abord

des scrupules, mais

il

finit

par demander

la fiole et le

nom du couvent o ille

faut la porter. Ligurio lui avoueil

alors qu'il a voulu rire et

n'a pas de peine dcider

Frre proposer

Mme

Lucrce l'expdient ima-

gin par Callimaque, ce qui devient une bagatelle aprs

racceptation de l'autre proposition. Ce qui rassure Ti-

mothe,secretcrce.les;

c'est

que ceux qui l'emploient ont intrt au

la seule difficult serail

donc de dcideril

Mme Lula

Quand

se trouve vis--vis d'elle,

puise tous

charmes de son loquence pour prouver le cas est fort simple^, et

jeune

femme quetion,il

que, dans cette acle

n'y aura de sa part aucun pch. Ce n'est pasc'est la volont;

corps qui pche,

ce ne peut tre

une

faute que de faire plaisir son mari. Je vous jure,ajoute-t-il,

que vous ne commettrez passi

l

un

plus

gros pch quecredi, et ce

vous mangiez de

la

viande un mer

pch s'en va avec de l'eau bnite.va se consommer, le

Quandfait

le sacrifice

remords seje

jour dans l'me du Frre.

Malheureux que

suis! se dit-il, est-il possible

que

je vive entre

de telles

craintes et de telles esprances ? Je ressemble

un na-

vire pouss par des vents contraires, d'autant plus enpril qu'il est plus prsfois:

du port

Je

me

dis

quelque-

ignores-tu quel peu de flicitla

l'homme trouve

dans

satisfaction de ses

dsirs relativement cele pis qui puisse arriver,Il

qu'il a

espr? D'autre part,

c'est

de mourir et d'aller en enfer.il

y a tant de gens

qui sont morts, et

est

en enfer tant de gens de bien!

.

^8

HISTOIRE UNIVERSELLE DU THTRE.ta destine;

Regarde en face

fuis le mal, et si tu

ne

peux

le fuir,

supporte-le en

homme.

Il

complte sa:

pense dans un autre monologue au quatrime acte Ils

disent vrai ceux qui disent que la mauvaiseet

com-

pagnie conduit l'homme la potence,

souvent on setre trop

perd pour tre

trop bon comme pour

m-

chant. Dieu sait que je ne mditais de taire de

mal office,

personne;

j'tais

dans une

cellule, je disais

mon

j'entretenaisfait

mes

ouailles.

Ce diable de Ligurio m'a

mettre

le

doigt dans une faute o a bientt passle

le

bras et tout

corps. Je

me

rassure pourtant en r-

flchissant

que lorsqu'une chose intresse beaucoup

de monde, beaucoup de

monde

s'en occupe. celui qui aurait

L'vnement ayant tourn au gr deeule droit

de s'en plaindre,

il

ne reste plus qu' rendrel'-

grce Dieu. Frre Timothe prcde la famille glise,

rcompens de ses soins

et

remis de toutes ses

motions

Quant