Foucault Et Agamben

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CORPS ET POLITIQUE : FOUCAULT ET AGAMBEN Saïd Chebili John Libbey Eurotext | L'information psychiatrique 2009/1 - Volume 85 pages 63 à 68 ISSN 0020-0204 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2009-1-page-63.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Chebili Saïd,« Corps et politique : Foucault et Agamben », L'information psychiatrique, 2009/1 Volume 85, p. 63-68. DOI : 10.3917/inpsy.8501.0063 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour John Libbey Eurotext. © John Libbey Eurotext. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.163.236.151 - 24/03/2015 13h37. © John Libbey Eurotext Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.163.236.151 - 24/03/2015 13h37. © John Libbey Eurotext

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sociologia

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  • CORPS ET POLITIQUE : FOUCAULT ET AGAMBEN

    Sad Chebili

    John Libbey Eurotext | L'information psychiatrique

    2009/1 - Volume 85pages 63 68

    ISSN 0020-0204

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2009-1-page-63.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Chebili Sad, Corps et politique : Foucault et Agamben , L'information psychiatrique, 2009/1 Volume 85, p. 63-68. DOI : 10.3917/inpsy.8501.0063--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • LInformation psychiatrique 2009 ; 85 : 63-8

    LE CORPS RETROUV (1)

    Corps et politique : Foucault et Agamben

    Sad Chebili

    RSUMFoucault prend pour objectif les technologies du pouvoir, au XVIIIe sicle, quand elles investissent les corps individuels.Celles-ci, fondes jusque-l sur la souverainet, se transforment et donnent dabord la discipline o le corps et surveill etdress puis le bio-pouvoir qui prend en compte le corps lchelle des masses humaines. Agamben prolonge lathorisation de Foucault en rintroduisant le pouvoir souverain qui continue de sexercer sur la vie nue , normalementexclue de la sphre du politique, linverse de la vie naturelle, inscrite dans la comptence du champ de ltat. lappui desa dmonstration, il invoque lexprience des camps de concentration, o, lindividu, totalement dpossd de sa vie nue,perd toute humanit, pour devenir ce que lon appelait un musulman . partir de lanalyse du corps, nous retrouvons laproccupation fondamentale dAgamben : linterrogation sur les frontires de lhumain, que ce soit partir de laproblmatique de lanimalit ou au travers de lexprience concentrationnaire. Agamben est proche de nos interrogations.

    Mots cls : discipline, Agamben, Foucault, bio-pouvoir, souverainet, dshumanisation

    ABSTRACTBody and politics : Foucault and Agamben. Foucaults objective was the 18th century technologies of power asapplied to individuals bodies. These technologies, until then based on sovereignty, are transformed and first instructthe discipline by which the body is supervised and made to behave and then the biopower of the body as appliedto groups of people. Agamben broadens the theorisation of Foucault by reintroducing the sovereign power thatcontinues to be practised on naked life, normally excluded from the area of politics, as opposed to natural life,included in the competency of the States arena. To support his theory, he refers to the experience of concentrationcamps where the individual dispossessed of his naked life loses all humanity to become what we would call aMuslim. Based on body analysis, we are confronted with Agambens basic concern : questions on humanboundaries, whether broached from the issue of animality or through the concentration camp experience. Agambencomes close to our questions.

    Key words: discipline, Agamben, Foucault, biopower, sovereignty, dehumanisation

    RESUMENCuerpo y poltica Foucault y Agamben. Foucault se fija como objetivo el estudio de las tecnologas del poder, en elsiglo 18, cuando stas se apoderan de los cuerpos individuales. Dichas tcnicas, basadas hasta entonces en lasoberana, se transforman y originan primero la disciplina donde se vigila y doma el cuerpo y despus el bio-poder que considera el cuerpo a la escala de masas humanas. Agamben prolonga la teorizacin de Foucault yreintroduce el poder soberano que sigue ejercindose sobre la vida desnuda , normalmente excluida de la esferapoltica, contrariamente a la vida natural, inscrita dentro de las competencias, dentro del mbito del Estado. Parailustrar su demostracin toma como ejemplo la experiencia de los campos de concentracin, en los que el individuo,completamente desposedo de su vida desnuda, pierde toda humanidad, convirtindose en lo que llamaban un musulmn . A partir del anlisis del cuerpo, encontramos la principal preocupacin de Agamben : la interrogacinsobre las fronteras de lo humano, ya sea a partir de la problemtica de la animalidad o bien a travs de la experienciaconcentracionaria. Las interrogaciones de Agamben son cercanas de las nuestras.

    Palabras clave : disciplina, Agamben, Foucault, bio-poder, soberana, deshumanizacin

    LINFORMATION PSYCHIATRIQUEVOL. 85, N 1 - JANVIER 2009 63

    doi:10

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    4/ipe.20

    09.043

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    Centre Henri-Duchne, 17, rue Charles-Tillon, 93300 Aubervilliers

    Tirs part : S. Chebili

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  • Il ny a pas eu doubli du corps dans la tradition philo-sophique, linverse, peut-tre, de ce que lon peut cons-tater en psychiatrie. Dans cette dernire, le corps nest paspris en compte pour soi, puisquil a fallu crer une disci-pline spciale la psychosomatique pour penser les rela-tions du corps en lien avec le psychisme. En philosophie,ds lAntiquit le corps a stimul la rflexion des philoso-phes. On a ainsi vu le corps comme miroir de lme. Puis,dans une tradition plus phnomnologique, on a parl decorps propre, constitutif de lidentit de lindividu, opposau corps lieu de toutes les oprations physiologiques.Enfin, le corps a rapidement t investi par la politiqueEn effet, ds Hobbes, corps et politique ont tiss des lienstrs forts. Lauteur du Lviathan ainsi que les philosophesde la tradition contractualiste Locke et Rousseau com-prenaient le corps comme mtaphore de ltat. Ds lors, ilssemparaient de lexpression corps politique , qui, ainsique chacun peut le constater actuellement, a fait flors.Foucault, toujours soucieux de reprendre les questions lesplus videntes, se situe sur un tout autre terrain, celui dupouvoir. Qualifi darchiviste du pouvoir [10] par Deleuze,Foucault na pas ajout un poncif supplmentaire au voca-bulaire philosophique. Au contraire, avec sa conception dupouvoir, il a ouvert un champ nouveau de recherches, parson ide, vritablement heuristique de lier corps et pouvoir.Novateur, Foucault lest assurment quand il analyse lesdispositifs par lesquels le pouvoir investit les corps dessujets. Changement radical riche de perspectives prochesde nos interrogations en psychiatrie. Trois tapes ontrythm la rflexion de Foucault sur le corps et la politique :lanalyse du pouvoir souverain, de la discipline et enfin dubio-pouvoir.

    Agamben se situera dans le sillage de la rflexion fou-caldienne, avec toutefois une problmatisation diffrente.Nous dtaillerons en premier lieu les travaux de Foucault.

    Du pouvoir de souverainetau bio-pouvoir chez Foucault

    Foucault expose tout dabord la violence exerce sur lescorps. Rflchissant aux modalits dexpression de cetteviolence, il parviendra distinguer des formes bien spcifi-ques de pouvoir. Laissons-lui la parole : Mon problmeest la rationalisation de la gestion de lindividu. Mon travailna pas pour but une histoire des institutions, mais lhistoirede la rationalit telle quelle opre dans les institutions etdans la conduite des gens [16]. Le corps est la cible parexcellence du pouvoir souverain, des techniques discipli-naires et du bio-pouvoir. Il dfinit une premire forme depouvoir, la plus classique, le pouvoir souverain. Le souve-rain dtient le privilge dun pouvoir de vie et de mort surles individus, privilge qui drive du droit romain, selonlequel le pater familias disposait, selon son libre dsir, dela vie de ses enfants et de ses esclaves. Toutefois, dans la

    socit fodale, cette forme primitive du droit de tuer, per-dait de sa vigueur pour ne plus sexercer que conditionnel-lement. La condition essentielle de son exercice est simple :le souverain doit se sentir directement menac dans sonexistence mme. Ainsi entendu le droit de vie et de mortnest plus un privilge absolu : il est conditionn par ladfense du souverain, et sa survie propre [14]. Foucaultinvoque deux hypothses explicatives de ce pouvoir souve-rain. Est-il laccaparement exclusif par le prince des prro-gatives que chacun soctroyait, ltat de nature, de tuerlautre pour sauvegarder sa vie ? Ou bien, correspond-il un droit spcifique li lmergence dune individualitnouvelle, celle du souverain ? Il ne tranche pas mais sou-ligne que ce droit de vie et de mort est un droit dissym-trique. Le pouvoir souverain ny exerce son droit sur la viequen faisant jouer son droit de tuer, ou en le retenant ; il nemarque son pouvoir sur la vie que par la mort quil est enmesure dexiger [14]. La souverainet sinscrit dans unefiliation dans laquelle le pouvoir est conu comme essen-tiellement coercitif.

    Cette conception du pouvoir est selon Foucault juridico-discursive. Quentend-il par cette formule absconse ? Fou-cault prcise que le pouvoir nonce la loi, que le discoursjuridique vient ensuite limiter et circonscrire. Partout lepouvoir est le mme [] Le pouvoir est domination :tout ce quil peut faire, cest interdire, et tout ce quilpeut commander, cest lobissance. Le pouvoir en dernierressort, cest la rpression ; la rpression cest limpositionde la loi ; et la loi exige quon sy soumette [11].

    Forme extrme du pouvoir de souverainet, le supplicede Damiens1 ouvre la geste de Surveiller et punir. Cet car-tlement particulirement atroce exprime les derniers feuxdun pouvoir de souverainet moribond. Ce dernier setransforme lge classique, en une forme plus perni-cieuse, la discipline. En effet, lge classique voit la muta-tion de cette forme de pouvoir en deux configurations, nonexclusives lune de lautre : la discipline et le bio-pouvoir.La discipline renoncera la disjonction des corps, dontsmeuvent les philosophes Beccaria avec son livre Desdlits et des peines [8] proposait une proportionnalit de lapunition en fonction de la nature de linfraction pourpromouvoir des techniques de contrle et de quadrillagedu temps, de lespace et du mouvement des individus.Tous les segments de son corps, ses attitudes, ses gestesseront jaugs, analyss et valus en rfrence unenorme, afin den tirer le meilleur rendement. Riennchappe ce pouvoir perfectionn. Sa dmarche ignorele hasard pour obir des objectifs prcis : Commentsurveiller quelquun, comment contrler sa conduite, soncomportement, ses aptitudes, comment intensifier sa per-formance, multiplier ses capacits, comment le mettre la

    1 Damiens, qui a os porter la main sur Louis XV, a t cartel en place deGrve dans un supplice particulirement horrible.

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  • place o il sera le plus utile [17]. Cette forme de pouvoirhante notre socit, en tant que pouvoir qui, au contraire dece que dcrivait Foucault dans lHistoire de la folie lgeclassique [12], nexclut plus, mais inclut. Ainsi, il sim-misce dans tous les segments de la vie quotidienne et nenglige aucun aspect du corps.

    Ce dernier est paramtr de manire de plus en plussophistique : les empreintes gntiques en sont le dernieravatar. Lobjectif essentiel revient tenir le corps dans lesrets du dressage dont lefficace ne sera pas conteste.La rationalisation des capacits du corps se porte sonmaximum defficacit.

    Pourquoi personne ne se rvolte contre cette domestica-tion du corps ? Car, le moment historique des disciplines,cest le moment o nat un art du corps humain, qui ne viseplus seulement la croissance de ses habilets, ni non pluslalourdissement de sa sujtion, mais la formation dun rap-port qui dans le mme mcanisme le rend dautant plusobissant quil est plus utile et inversement [13]. Fou-cault a peru la complexit des mcanismes disciplinaires, partir de son exprience de militant au sein du GIP(Groupe dInformation sur les Prisons). Il nous met engarde contre une conception simpliste qui cantonnerait la prison le champ daction des disciplines. Bien aucontraire, il stend lhpital et lcole. La psychologieintervient ce niveau. En effet, dans son extension institu-tionnelle, la psychiatrie la plupart du temps stigmatise instrumentalise la psychologie, pour avancer, masque der-rire elle et investir de nouveaux domaines du savoir par lacration de nouvelles sciences. Jamais dfinitif, le pouvoirsur le corps se perfectionne sans cesse. Ainsi, la discipline,selon lexcellente expression de Foucault, nest que la pre-mire accommodation des technologies du pouvoir sur lecorps individuel. Elle ouvre la voie au bio-pouvoir, dontFoucault situe prcisment lavnement. la fin duXVIIIe sicle intervient une seconde accommodation, surles phnomnes de population, avec les processus biolo-giques ou bio-sociologiques des masses humaines.Accommodation beaucoup plus difficile car, bien entendu,elle impliquait des organes complexes de coordination etde centralisation [15]. Il ne faudrait pas cder la facilitde penser que le bio-pouvoir signe la disparition de la dis-cipline. Au contraire, ils sont complmentaires.

    En effet, la discipline considre le corps commemachine,quil sagit de contrler et de dresser, domaine de lanatomo-politique du corps humain. Le bio-pouvoir, quant lui,stend au-del du corps et plus spcifiquement vers la viequil sagit maintenant de prendre en compte, champ de labio-politique de la population. Le bio-pouvoir sexerce doncconjointement sur lindividu et sur la population.

    Le bio-pouvoir sadresse lhomme comme espce, lamultiplicit des hommes, non pas considrs comme descorps, mais linstar dune masse globale soumise desprocessus comme la vie, la maladie et la mort. Ds lors, lesphnomnes de natalit, de mortalit et de longvit

    deviennent les cibles privilgies du contrle bio-politique. Dsormais, cette dernire rglemente des domai-nes aussi varis que lhygine publique, les accidents, lesinfirmits et enfin les relations entre lespce humaine etson milieu naturel. Il apparat ainsi que le bio-pouvoir meten vidence un nouveau corps diffrent de celui de la disci-pline, au sens o ce nest plus le corps individuel qui retientlattention. En effet, il sagit maintenant de la population,sur laquelle sexercent de nouvelles techniques : prvi-sions, oprations statistiques et mesures globales. Mesu-rons limportance du changement dcrit par Foucault.Le pouvoir de souverainet, dont le rle consistait fairemourir, se transforme en un pouvoir sur la population, surlhomme en tant qutre vivant, un pouvoir continu, savant,qui est le pouvoir de faire vivre [15]. Soulignons unpoint essentiel : le bio-pouvoir et la discipline ne sexcluentpas, mais agissent en totale complmentarit, ainsi que celase montre avec nettet dans la sexualit. La sexualit, elleest exactement au carrefour du corps et de la population.Donc, elle relve de la discipline, mais elle relve aussi dela rgulation [14]. Les corps indisciplins gnrent toutessortes de maladies. Et en outre, la dbauche sexuelle joueau niveau de la population, par des effets nfastes sur ladescendance, ainsi que le suppose la thorie de la dgn-rescence. Cela tant prcis, il reste se demander commesexerce le droit de faire mourir, dans nos socits moder-nes soumises au rgne du bio-pouvoir.

    Le droit de faire mourir sexerce travers le racisme, odes catgories dindividus sont stigmatises et soumises toutes sortes de contraintes pouvant aller jusqu la mort.

    La reprise de la questionde la souverainet par Agamben

    Donnons quelques dtails biographiques sur GiorgioAgamben, encore en dficit de notorit au sein de luni-versit franaise. N en 1942 en Italie, o il sest imposcomme lditeur des uvres de Walter Benjamin, ensei-gnant lUniversit de Venise, il consacre des travaux des thmes aussi varis que la thologie, le langage, lani-malit ou encore la philosophie politique. Cest dans cedomaine quil reprend et roriente le travail de Foucault,non seulement la question du bio-pouvoir, mais aussi cellede la souverainet. Il stonne que Foucault nait pas portintrt aux lieux paradigmatiques du bio-pouvoir : les tatstotalitaires, les camps, mais aussi les services de mdecine.Quoi quil en soit, lintroduction de la zoe dans la sphrede la polis, la politisation de la vie nue comme telle,constitue lvnement dcisif de la modernit et marqueune transformation radicale des catgories politico-philosophiques de la pense classique [3]. Pour bien sai-sir cette terminologie, rappelons quAristote distinguait lazoe, ou simple fait de vivre, commun tous les tresvivants du bios qui est la manire de vivre propre un

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  • individu particulier. Le monde antique veillait avec soin lexclusion de la zoe de la sphre de la polis et la confinait la sphre de lconomie domestique. Selon le philosophevnitien, qui reformule le propos de Foucault, quand lapolitique se transforme en bio-politique, les mcanismesde pouvoir commencent sintresser la vie naturelle.Toutefois, linclusion de la zoe dans la polis date dj deplusieurs sicles. La nouveaut rside dans le fait que lespace de la vie nue, situe lorigine en marge delorganisation politique, finit progressivement par conci-der avec lespace politique, o exclusion et inclusion, ext-rieur et intrieur, bios et zoe, droit et fait, entrent dans unezone dindiffrenciation irrductible [3]. Ds lors, nousentrons dans ltat dexception. Celui-ci est rgi par unparadoxe.

    En effet, le souverain y rgne la fois en dedans et endehors de lordre juridique, situation qui lui octroie le pri-vilge de proclamer ltat dexception. Ainsi, lexceptionest la structure de la souverainet. Dans ltat dexception,lindividu est littralement mis au ban, avec pour cons-quence que lindividu, non seulement nest plus protgpar la loi, mais abandonn par elle, et sa vie est expos.Il devient Homo Sacer.

    Deux caractres dfinissent lHomo Sacer : il y a impu-nit pour celui qui le tue et il est interdit de la sacrifier.LHomo Sacer possde un statut dexception, hors dat-teinte du droit humain et du droit divin. Il est expos laviolence, au meurtre que chacun peut commettre sonencontre. On dira souveraine la sphre dans laquelle onpeut tuer sans commettre dhomicide et sans clbrer unsacrifice ; et sacre, cest--dire expose au meurtre et insa-crifiable, la vie qui a t capture dans cette sphre [3]. Les individus Homo Sacer se rencontrent, selon Agamben,dans deux lieux de prdilection. Dans les camps, les per-sonnes internes sont des Homo Sacer. On peut les tuersans commettre dhomicide. Il existe mme une catgoriedindividus aux corps dcharns, entre la vie et la mort etmpriss de tous. Ils sont tellement dnutris quils ressem-blent des squelettes. Ils se distinguent des cadavres uni-quement par leur aptitude la mobilit. On les surnomme,dans le jargon du camp, les musulmans. Le musulmannest pas seulement, ou pas tant, une limite entre la vie etla mort ; il marque le seuil entre lhomme et le non-homme[4]. Ils sont considrs et traits comme des hommes-momies, des morts vivants dnus de conscience et devolont. Les opinions divergent sur lorigine de ce terme.Toutefois, lexplication la plus probable renvoie au senslittral du terme arabe muslim, signifiant celui qui se sou-met sans rserve la volont divine, et do proviennentles lgendes sur le prtendu fatalisme islamique, assezrpandues en Europe depuis le Moyen ge [] Mais, tan-dis que la volont dAllah est luvre chaque instantdans le moindre vnement, le musulman dAuschwitzsemble avoir perdu toute volont et toute conscience [4].

    Au-del de cette appellation infamante, le corps desinterns subit des expriences inhumaines tests de subs-tances dltres, soumission des tempratures extrmes,injection de drogues varies, ingurgitation deau de mer qui peuvent soit leur ter la vie ou la leur rendre. Ce pouvoirsur leur zoe dpend uniquement des prrogatives du pou-voir souverain.

    Le camp est un espace dexception o le droit est sus-pendu, o les individus sont rduits la vie nue. Dans lecamp, la souverainet est le gardien qui veille ce que leseuil indcidable entre violence et droit, nature et langage,ne soit pas mis en lumire [2]. On peut dire que nousavons affaire un camp lorsque deux conditions sont satis-faites. Premirement, il doit rgner un tat dexception.Deuximement, la vie nue et la norme sont brouilles pardes seuils dindistinction. Le concept de corps est toujourspris dans un dispositif. Il est toujours dj corps bio-politique ; il est toujours dj vie nue ; il na pas de protec-tion stable contre le pouvoir souverain. Agamben dclaresa dfinition du camp valide, non seulement pour les tatstotalitaires mais aussi pour les tats modernes. Il tend lemme raisonnement la mdecine. En effet, le mdecin etle scientifique se meuvent dans ce no mans land, o autre-fois seul le souverain pouvait pntrer [3]. La salle de ra-nimation est un lieu dexception, dexpression de la vie nueentirement contrle par la technologie qui maintient lavie ou donne la mort. Mais dfinir le moment de la findoit revenir au lgislateur. Ds lors, les organismesappartiennent la puissance publique : on nationalise lescorps [9]. Lintrt extrme du pouvoir pour la vie estsous-tendu par laction de la machine anthropologique ,qui a pour fonction de dfinir lhumain. Cette interrogationest fondamentale pour la psychiatrie. En effet, le pige danslequel elle risque de senfermer, se dfinit simplement : force de tracer des frontires avec lautre, on risque dex-clure de proche en proche, de plus en plus de personnes.Tout dabord lanimal, que lhomme, non seulement necesse de rduire un infrieur, mais encore de rduire la vie nue [5].

    Puis viennent limmigr, le malade mental, la personnehandicape, et le dlinquant. Ds lors, sous couvert de priseen charge thrapeutique, les psychiatres ne feront queprenniser ltat dexception qui rgnera au sein de cesenceintes hermtiquement closes, zones dindistinctionentre public et priv, corps biologique et corps politique,bios et zoe.

    On assiste alors une animalisation progressive delhomme. Aprs avoir considr lanimal comme un objetauquel il a fait subir de multiples svices, aprs avoir abusde lui au-del des ncessits vitales, voil que le pige sereferme sur lhomme lui-mme. Il na pas saisi tout le dan-ger de son exclusion qui de proche en proche la pris dansses rets. Dsormais, la limite entre lhomme et lanimal estabolie au dtriment du premier, considr comme un ani-mal dans le rgne du pouvoir souverain. Celui-ci trans-

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  • forme un corps essentiellement politique en un corpsessentiellement biologique, dont il sagit de contrler etde rguler la natalit et la mortalit [4]. On sintressede prs au patrimoine gntique de lhomme dont onconstitue des fichiers : des empreintes digitales, desempreintes gntiques. Rcemment, avec la constitutiondu fichier Edvige, les drives du programme bio-politiquesont apparues au grand jour. Ainsi, la bio-politique sim-misce de plus en plus dans le biologique voire dans lemolculaire. Tout se passe alors, comme si, partirdun certain moment, tout vnement politique dcisiftait toujours double face : en gagnant des espaces, desliberts et des droits dans leurs conflits avec les pouvoirscentraux, les individus prparent chaque fois simultan-ment une inscription tacite mais toujours plus profonde deleur vie dans lordre tatique, offrant ainsi une assise nou-velle et plus terrible au pouvoir souverain dont ils vou-draient saffranchir [3]. La biopolitique agit par undouble processus. Elle fonctionne comme une machinedsubjectivante qui dsubjective les individus et rend trou-bles les identits. Mais elle agit aussi comme une machinesubjectivante qui cre des identits nouvelles totalementassujetties ltat.

    Ce mcanisme peut se poursuivre linfini : ltatdsubjective les individus qui le mettent en danger lesmarginaux et les dviants et dans le mme mouvementles resubjective sous forme de catgories qui lui sont assu-jetties les malades mentaux, les dlinquants. Ici Agam-ben rejoint nos proccupations.

    En effet, sil nest pas concevable, actuellement, deconcevoir les hpitaux psychiatriques comme des camps,il est toutefois permis de les apprhender comme des lieuxde dshumanisation, o la frontire humain-inhumain estlargement remise en question. Les malades mentaux per-dent leur identit pour se fondre dans la masse indistinctedes singularits quelconques [1]. Ils sont singuliers,mais sans identit, et jamais ne tombent sous un conceptqui leur serve didentit. Toutes les discussions actuellessur la dlinquance, la dangerosit, la rcidive, ne sont-elles pas des stratgies utilises par le bio-pouvoir pouraffermir sa puissance et son insatiable dsir de matrise dela vie nue ? Pour Agamben, lobjet de la souverainet, dansnos socits modernes, nest pas le sujet de droit, mais lavie nue, celle dune multitude de personnes, qui ont pourcaractristique dtre la marge. La psychiatrie plonge,bien malgr elle, au cur de ce problme. Nous en voulonspour preuve la loi de rtention du 31 janvier 2008. Celle-ciprvoit lenfermement des criminels dangereux rcidivistesdans des centres mdico-socio-judiciaires. Ces structures,mal dfinies par le lgislateur, incarnent avec une nettetsaisissante le pouvoir souverain dans toute sa violence. Sinous ny prenons garde, nous donnerons notre caution aupouvoir de souverainet dans son dsir de faire des person-nes incarcres des corps dociles et des mes asservies.

    Conclusion

    La vie nue est devenue la proccupation essentielle destats, qui surveillent, tablissent des fichiers, contrlent lasexualit, tendent la surveillance des marqueurs biologi-ques : empreintes gntiques. La dcision sur la vie setransformera en pouvoir sur la mort, au moment o labio-politique peut ainsi se renverser en thanatopolitique [3]. Agamben a tendu de manire exhaustive les prroga-tives de la souverainet, en donnant une extension trsimportante la notion foucaldienne de dispositif. ChezFoucault, elle se centrait sur les mcanismes de domina-tion. Agamben en fait le vecteur essentiel de la gnralisa-tion du pouvoir souverain. Le dispositif est tout ce qui peutcontrler les conduites, les gestes et les opinions desvivants, pas seulement les prisons donc, les asiles, lepanoptikon, les coles, la confession, les usines, les disci-plines, les mesures juridiques, dont larticulation avec lepouvoir est en sens vidente, mais aussi, le stylo, lcriture,la littrature, la philosophie, lagriculture, la cigarette, lanavigation, les ordinateurs, les tlphones portables et,pourquoi pas, le langage lui-mme, peut-tre le plus anciendispositif [7].

    trop tendre le pouvoir de souverainet, ne perd-il pasde sa pertinence ? Mais si ltat dexception tend tou-jours plus se prsenter comme le paradigme de gouver-nement dans la politique contemporaine [6], commentdvelopper alors des stratgies de lutte pour lui chapper ?Cest le sens de la critique formule par Negri. [18]. Tou-tefois, cette remarque porte faux si lon se souvient quelauteur dHomo Sacer envisageait des stratgies de luttecontre le pouvoir souverain. En effet, il ne faudrait pasprendre les malades parqus dans ces hpitaux psychiatri-ques modernes dshumaniss qui forment la cohorte de cessingularits quelconques, individus sans identit dfinie,comme une masse inerte. Ils forment, au contraire, les fer-ments de la rvolte. Car la nouveaut de la politique quivient, cest quelle ne sera plus une lutte pour la conquteou le contrle de ltat, mais une lutte entre ltat et le non-tat (lhumanit), mais disjonction irrmdiable des singu-larits quelconques et de lorganisation tatique [1]. Peut-tre qu trop vouloir dshumaniser le malade mental, lidentifier un animal, on fait resurgir toutes les peursimaginaires archaques lies ce dernier ? Gare linstru-mentalisation effrne de nos patients !

    Rfrences

    1. Agamben A. La communaut qui vient, thorie de la singu-larit quelconque. Paris : ditions du Seuil, 1990.

    2. Agamben A. Moyens sans fins, notes sur la politique, 1995.Paris : ditions Payot et Rivages, 2002.

    3. Agamben G. Homo Sacer I, le pouvoir souverain et la vienue, 1995. Paris : ditions du Seuil, 1997.

    Corps et politique : Foucault et Agamben

    LINFORMATION PSYCHIATRIQUEVOL. 85, N 1 - JANVIER 2009 67

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  • 4. Agamben G. Ce qui reste dAuschwitz, Homo Sacer III,1998. Paris : ditions Payot et Rivage, 2003.

    5. Agamben A. LOuvert. De lhomme lanimal, 2002. Paris :ditions Payot et Rivages, 2002.

    6. Agamben A. tat dexception, Homo Sacer II, 1, 2003.Paris : ditions du Seuil, 2003.

    7. Agamben G. Quest-ce quun dispositif ? 2006. Paris : di-tions Payot et Rivages, 2006.

    8. Beccaria C. Des dlits et des peines, 1765. Paris : GF, 1991.

    9. Dagognet F. La matrise du vivant. Paris : Hachette littratu-res, 1998.

    10. Deleuze G. Foucault. Les ditions de Minuit, 1986.

    11. Dreyfus H, Rabinow P. Michel Foucault : un parcours phi-losophique. Paris : Folio Essais, 1984.

    12. Foucault M. Histoire de la folie lge classique, 1961.Paris : Tel Gallimard, 1972.

    13. Foucault M. Surveiller et punir, 1975. Paris : Gallimard,1975.

    14. Foucault M. Histoire de la sexualit, tome I : La volont desavoir. Paris : Gallimard, 1976.

    15. Foucault M. Il faut dfendre la socit. Cours au Collge deFrance, 1976. Paris : Hautes tudes, Gallimard, Seuil, 1977.

    16. Foucault M. Michel Foucault tudie la raison dtat, 1980.In : Dits et crits, IV, N 280, 1980-1988. Paris : Gallimard,1994.

    17. Foucault M. Les mailles du pouvoir, 1981. In :Dits et crits,IV, N 297, 1980-1988. Paris : Gallimard, 1994.

    18. Negri A. Ce divin ministre des affaires de la vie sur terre. Larevue internationale des livres et des ides, janvier-fvrier2008.

    S. Chebili

    LINFORMATION PSYCHIATRIQUEVOL. 85, N 1 - JANVIER 200968

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