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Y v e s B A L A S K O

Fondements de la Théorie

de l'Equilibre Général

ECONOMICA

49, rue Héricart, 75015 Paris

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The Walrasian system of simultaneous equations, however, brought in a host of new problems of a specifically logical or mathematical nature that are much more delicate and go much deeper than Walras or anyone else had ever realized. Mainly they turn upon determinateness, equilibrium, and stability.

Joseph A. Schumpeter History of Economic Analysis,

p. 968.

@ Ed. ÉCONOMICA, 1988

Tous droits de reproduction, de traduction, d'adaptation et d'exécution

réservés p^ûr^lùUf»^ pays.

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Avant-propos

Ce livre est consacré à l'étude de l'équilibre général et de ses principales propriétés. A l'heure actuelle, on trouve des présenta- tions de la théorie de l'équilibre général dans la plupart des ouvra- ges portant sur la microéconomie. Malheureusement, ces présentations donnent presque toujours une image dépassée de la théorie de l'équilibre dans la mesure où elles reflètent la situa- tion de la fin des années cinquantes. Ces années furent marquées, il est vrai, par des contributions souvent définitives dans la voie de la formalisation de certains problèmes économiques et dans l'étude rigoureuse des conditions d'existence de l'équilibre géné- ral, résultats remarquablement bien présentés dans le livre de Debreu (1959). Mais ces progrès, pour importants qu'ils furent, n'ont pas signifié un arrêt des recherches ni dans le domaine de la théorie économique ni dans le secteur plus restreint de la théo- rie de l'équilibre général. Mieux, on a pu assister durant ces quinze dernières années à un renouvellement complet de la théo- rie de l'équilibre général, grâce en particulier à l'introduction des outils mathématiques puissants de la topologie différentielle et de l'analyse globale. Cette marche vers la géométrisation n'est pas propre à la théorie économique. On la retrouve aussi bien en arith- métique (par le rôle de plus en plus important de la géométrie algébrique) qu'en physique, biologie, et jusque aux sciences humaines, et la liste des résultats obtenus est impressionnante.

La première contribution relevant de ce point de vue géo- métrique appliqué à la théorie de l'équilibre général remonte à un article de Debreu publié en 1970. Cet article n'a été que le premier d'une longue liste, articles qui ont été publiés presque exclusivement dans des revues spécialisées. Les résultats obtenus ont modifié substantiellement notre compréhension de la théo- rie de l'équilibre général. En dehors du livre récent de Mas-Colell qui présente les nombreux développements qu'a connu la théo- rie de l'équilibre général au cours de ces trois dernières décen- nies, ces résultats n'ont guère été présentés d'une façon cohérente

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et systématique. L'objectif principal de ce livre, et son originalité réside donc dans l'attention toute particulière apportée au point de vue géométrique qui permet en particulier de mieux structurer et en fait d'unifier la présentation de la théorie de l'équilibre géné- ral. Mais, même si ce livre peut prendre par certains aspects la forme d'une monographie, un réel effort d'interprétation écono- mique à un niveau relativement élémentaire des principaux résul- tats est constamment présent. Ce livre s'adresse principalement aux économistes même si les mathématiciens peuvent lui trouver un certain intérêt. Son objectif principal est d'illustrer les pers- pectives qu'ouvrent à la théorie économique en général et à la théorie de l'équilibre général en particulier le point de vue géomé- trique.

Le plan que nous allons suivre dans ce livre est le suivant. Avant de procéder à l'analyse des propriétés de l'équilibre général, nous commençons dans un premier temps par proposer une défi- nition rigoureuse du concept d'équilibre car celui-ci n'est ni aussi simple ni aussi évident qu'il peut y paraître à première vue. En effet, si la notion d'équilibre n'est que la traduction de l'idée intui- tive d'égalité entre l'offre et la demande, ceci ne suffit pas pour fournir un cadre présentant un degré de rigueur qui convienne à l'élaboration d'une théorie digne de ce nom. Nous commencerons donc par l'étude de modèles théoriques qui tout en étant les plus simples possibles réussissent à préserver les aspects essentiels des déterminants de l'offre et de la demande. Tout en assurant la pertinence économique des modèles considérés, cette démarche permet d'envisager une expression de l'offre et de la demande qui soit suffisamment simple pour que l'équation d'équilibre révèle ses principales propriétés sans difficultés excessives. Le premier modèle économique considéré sera celui d'un marché d'échange dans lequel la prise en compte du comportement des agents éco- nomiques sera particulièrement élémentaire. Malgré ce niveau de conceptualisation plutôt fruste, ce modèle sera déjà suffisant pour nous permettre de formuler le concept d'équilibre général et de mettre en évidence les principaux problèmes que la logique de l'équilibre général conduit tout naturellement à poser. Ce thème introductif va faire tout naturellement l'objet du premier chapitre.

Cependant, ce premier modèle théorique ne permet pas de développer une théorie satisfaisante de l'équilibre général. En effet, il n'est pas possible de fournir des éléments de réponses aux principales questions que soulève cette théorie sans sortir des limites de ce modèle. Ceci s'explique aisément : la formalisation du comportement des agents économiques utilisée dans le chapi- tre 1 ne tient pas assez compte du fait que ces actions sont avant tout le résultat de choix. Pour bâtir une théorie de l'équilibre

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général qui soit conceptuellement assez riche, il faut donc étendre le cadre de ce premier modèle en y intégrant la notion de choix dans l'expression de comportements économiques. On reconnaît dans ce thème la théorie classique du consommateur qui se trouve développée au chapitre II. Bien que cela ne soit pas a priori évi- dent, l'hypothèse que les consommateurs procèdent à des choix va se révéler suffisante pour fournir des solutions à la plupart des problèmes qui s'expriment dans le cadre de la théorie de l'équili- bre général. Les chapitre III à V sont consacrés à l'exposé des prin- cipaux résultats de cette théorie.

Les développements des deux derniers chapitres sont destinés à prolonger les cinq premiers dans deux directions différentes. La première direction cherche à enrichir le contenu de la théorie de l'équilibre général par de nouveaux concepts. Pour ce faire, nous resterons dans le cadre, qui va se révéler suffisant, des économies d'échange. Nous étudierons ainsi la notion d'allocation efficace compatible à une distribution donnée de revenus. Fait remarqua- ble, ce thème que l'on pourrait associer à une certaine conception du socialisme puisqu'il prend comme prémisse une distribution donnée des revenus se révèle être formellement identique à la théorie de l'équilibre général, laquelle cherche à mobiliser une économie de propriété privée. La raison de cette identification réside dans l'existence d'une dualité, au sens mathématique du terme, entre ces deux formes d'économies. Cette théorie, ses déve- loppements et quelques applications, font l'objet du chapitre VI.

L'autre direction est de chercher à améliorer l'adéquation du modèle de l'équilibre général d'une économie d'échange à la réa- lité économique. L'objectif d'un modèle parfait est illusoire car il est impossible de prendre en compte dans le processus de modé- lisation tous les traits distinctifs du monde réel. Nous nous con- tenterons donc de développer à partir du modèle de l'économie d'échange des formes progressivement plus complexes de la théo- rie de l'équilibre général. Seront ainsi pris en compte à des degrés divers de formalisation, de généralité, et de pertinence résultant de l'état présent de la théorie économique et de l'outil mathémati- que utilisé : le processus de production à l'échelle de l'entreprise et du producteur, la dimension temporelle de l'activité économi- que, les mécanismes monétaires, le rôle de l'incertain.

Il va de soi que la réalisation d'un tel travail n'aurait pu être menée à bien sans de nombreux encouragements et aides diverses. Je tiens à adresser tout particulièrement mes remerciements à David Cass, George Haddad, Jean-Charles Moreau, Daniel Royer, Steve Spear et Yves Younès. L'index a été préparé par Raoul Gimeno. Je remercie enfin les Éditions Economica pour le sérieux et la qualité avec lesquels elles ont mené la réalisation de ce livre à bon port.

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De la théorie de l'équilibre général

I.1. INTRODUCTION

L'objectif de la théorie de l'équilibre général est de décrire et d'expliquer les phénomènes économiques du marché dont les plus remarquables se rapportent aux prix. Seule information commune à tous les agents économiques, les prix ont ce pouvoir quelque peu étonnant de permettre dans certaines circonstances une coordination des offres et des demandes individuelles telle qu'il n'y ait ni pénurie ni gaspillage de ressources. On conçoit donc aisément que l'analyse rigoureuse de cette coordination des offres et des demandes ait suscité l'intérêt des économistes depuis plus de deux siècles.

Pour développer cette théorie, il nous faut formaliser les ingrédients essentiels du marché que sont les biens, les prix et les agents. Des difficultés se cachent sous la simplicité apparente de ces concepts. Ainsi tous les biens économiques ne possèdent pas les propriétés qui leur permettraient d'être achetés ou vendus sur un marché. Quant aux prix, ils permettent d'établir des comparai- sons entre biens différents. Ils servent aussi à définir la valeur d'un complexe de biens. Quand ce complexe de biens représente en particulier ce que possède un agent économique, sa valeur défi- nit la richesse de l'agent. Les déterminants du comportement des agents économiques sont d'une part leur richesse, d'autre part les prix des biens eux-mêmes.

Ces notions sont suffisantes pour élaborer un modèle qui per- mette de formuler des concepts d'offres et de demandes indivi- duelles et totales suffisamment riches pour conduire à une définition intéressante de l'équilibre.

L'étude des propriétés de cet équilibre constitue la suite logi- que de sa définition. Très naturellement, le problème de son exis- tence s'impose en premier lieu, même si son importance relative a souvent été surestimée. D'une manière générale, au lieu de nous lancer dans une recherche souvent vaine des propriétés qui sont

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vérifiées par tous les équilibres, nous essayons plutôt de caractéri- ser et d'étudier les propriétés de l'ensemble des équilibres qui vérifient une propriété donnée intéressante d'un point de vue éco- nomique. Pour pouvoir être menée à bien, cette démarche exige avant toute chose de disposer d'une description précise de l'ensemble des économies et de l'ensemble de leurs équilibres.

L'actualité de la citation de Schumpeter placée en exergue reste donc entière puisque les principaux problèmes que nous allons étudier portent sur les équilibres, leur détermination, leur stabilité. Ce chapitre est consacré à une formulation rigoureuse des plus importants de ces problèmes. Leur étude approfondie occupe tout ce livre et soulève de nombreuses questions connexes.

Les résultats obtenus fournissent un début de compréhension certain des propriétés du mécanisme de marché. A titre d'exem- ple, les phénomènes de changement brutal de prix et de perte de stabilité prennent enfin un sens. Dans une autre direction, nous obtenons des arguments purement théoriques qui justifient enfin la validité jusqu'à présent totalement empirique de pratiques éco- nométriques.

Enfin, le cadre mathématique dans lequel s'expriment ces résultats présente un caractère esthétique évident que les écono- mistes ne devraient pas être les seuls à pouvoir apprécier.

I.2. LA NOTION DE B I E N ECONOMIQUE

Un des usages les mieux établis de la théorie économique con- siste à considérer un marché universel au sens qu'il est unique et qu'on y échange tous les biens présents et futurs de l'univers. Cette pratique ne peut être sérieusement défendue pour plusieurs rai- sons.

D'abord, il n'existe pas de marché réel où tous les biens dispo- nibles dans l'univers seraient susceptibles d'être échangés. En règle générale, l'ensemble des biens que l'on trouve sur un marché est considérablement plus petit que l'ensemble de tous les biens que la pensée permet de concevoir.

Par conséquent, un aspect essentiel de la vie économique va être l'interaction complexe de ces nombreux marchés différents coexistant dans l'univers. Cette étude suppose au préalable une connaissance approfondie de chaque marché, objectif clairement défini de la théorie de l'équilibre général. Mais cette complexité des interactions, sujet du plus grand intérêt aussi bien théorique que pratique, est tout simplement exclue du cadre de l'analyse par la douteuse prémisse d'un marché universel. En conséquence, nous nous restreindrons à des marchés réels quant à la définition des biens qu'on trouve sur ces marchés.

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La définition d'un marché commence donc par la description précise de la nature et des principales propriétés des biens qui s'y trouvent échangés. A titre d'exemple, les marchés de grains ou céréales ne traitent que des biens « céréales », même si ceux-ci peuvent se présenter sous des formes et des qualités diverses. De la même façon, les marchés de valeur mobilières se limitent aux actions et aux obligations. Il ne viendrait à l'idée de personne d'aller acheter du blé en allant à la bourse des valeurs mobilières.

On définit un bien matériel par les caractéristiques physiques qui lui permettent d'avoir un intérêt économique et qui le différen- cient des autres biens. Ainsi la forme et la couleur sont souvent des attributs importants de beaucoup de biens matériels et font donc à juste titre partie intégrante de leur définition.

Comme l'intérêt économique d'un bien provient très généra- lement de l'usage que l'on est susceptible d'en faire, ceci permet de mettre en évidence d'autres attributs que la forme ou la cou- leur. D'un intérêt tout particulier sont l'espace et le temps puisque à des dates et à des lieux de livraison différents correspondent bien évidemment des usages différents du même bien physique. Ainsi se profile une différence importante entre biens physiques et biens économiques au sens que la définition du bien économi- que devra en général inclure la date et le lieu de livraison.

D'ailleurs, si l'existence d'un support matériel ou physique est courante pour un bien économique, celle-ci n'est pas une nécessité. Les services d'un avocat sont immatériels. Néanmoins, leurs intérêts économiques évident les classent dans la catégorie des biens économiques. La variété dans la définition des attributs caractérisant les biens économiques est considérable. Considé- rons un dernier exemple pour illustrer cette variété, celui des ser- vices offerts par les compagnies d'assurances, autrement dit les contrats d'assurances. Ceux-ci sont contingents à l'occurence d'événements bien spécifiques — les probabilités parlent alors d'« états de la nature » — qui constituent par là même un de leurs aspects essentiels.

En résumé, certains paramètres ou attributs jouent selon le marché considéré un rôle crucial dans la définition des biens du dit marché. Leur nombre peut d'ailleurs être élevé, mais en fait leur nature précise n'influe guère. Seul compte pour l'étude de l'équilibre général, le fait de disposer d'un ensemble de biens défi- nis une fois pour toute et qui sont susceptibles d'être échangés.

Cette propriété d'échangeabilité, autrement dit le fait pour un bien de pouvoir être échangé contre un autre, n'est ni aussi univer- selle ni aussi anodine qu'il pourrait le sembler à première vue. Tous les biens ne sont pas échangeables. Les contre-exemples abondent dans le domaine des biens publics, biens qui dans les

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cas ext rêmes p résen ten t la par t i cu la r i t é d 'offr i r le même usage à tous les agents de l 'économie, ce qui en rend l 'échange inutile s inon absurde. Les prototypes de ces biens sont la Défense Natio- nale et la télévision publique.

A p a r t i r de main tenant , nous ne cons idérerons donc que des biens dont l 'usage est privat if — on dit auss i exclusif; le bien q u ' u n agent consomme, a u c u n au t re agent ne p o u r r a le consom- m e r — ca r c'est dans ce carac tère que réside la cause pr incipale de l 'échange.

Mesurabi l i té des biens économiques

Le rôle du m a r c h é est de pe rme t t r e l 'échange des biens. Mais p o u r qu' i l soit poss ible d ' échanger des quant i tés diverses de biens, il faut év idemment que la not ion elle auss i au p remie r a b o r d évidente de « quant i té » soit précisée et en fait possède un sens bien défini.

Ce p rob lème est bien connu des... physiciens. Pour le résou- dre, ils ont dû in t rodui re la not ion de g r a n d e u r mesurable . Une g r a n d e u r est mesu rab l e s'il est poss ible de déf ini r l 'égalité entre la s o m m e de deux quant i tés de cette grandeur . Pour des raisons liées aux p ropr ié tés de l 'addi t ion des n o m b r e s réels, on peut rem- p l ace r l ' addi t ion de deux quant i tés quelconques p a r la somme de deux quant i tés égales, au t r emen t dit subs t i tue r à l 'addi t ion la mul t ip l ica t ion p a r deux. Pour mieux comprendre cette not ion de mesurabi l i té , voici deux exemples e m p r u n t é s à la physique. La masse est une g r a n d e u r mesu rab l e : en effet, deux masses sont égales quand, placées dans les p la teaux opposés d 'une balance juste, elles équi l ibrent la ba lance ; la somme de deux masses est ob tenue p a r l 'expérience qui consiste à met t re dans un seul des p la teaux les deux masses en quest ion. Il est impor t an t de noter que le concept masse, p o u r pouvoir être mesurable , nécessi te à la fois un appare i l de mesu re (la balance) et une théor ie de l 'utilisa- t ion de cet apparei l , m ê m e si cette théor ie est par t i cu l iè rement simple. La t e m p é r a t u r e ordinaire, celle qui est repérée p a r un t h e r m o m è t r e à dilatat ion, n 'est pas une g r a n d e u r mesurab le : si le t h e r m o m è t r e p e r m e t bien de s ' a ssure r de l 'égalité de deux tem- péra tures , il n 'est guère possible de déf ini r à pa r t i r de ce seul ther- momè t r e une opéra t ion physique qui représente l 'addi t ion de deux tempéra tures . Bien que la t empéra tu re ainsi définie ne soit pas une g r a n d e u r mesurable , on no te ra cependan t que les progrès de la t h e r m o d y n a m i q u e ont pe rmis dans la deuxième moitié du XIXe siècle d ' é l abore r un concept de t empéra tu re g r andeu r mesurab le en re l iant t empéra tu re et énergie.

La mesurab i l i t é d 'une g r a n d e u r ne peut donc être compr i se i n d é p e n d e m m e n t de l ' i n s t rumen t de mesure util isé et du suppor t théor ique qui relie la mesu re au phénomène observé, ce qui n 'est

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pas p o u r s implif ier le concept de g r a n d e u r mesurable . Nous ferons l 'hypothèse que toutes les marchandises , c'est-à-dire au sens étymologique du mot les b iens p o u r lesquels il y a marché, sont des g randeurs mesurables . Il est c lair que cette hypothèse est nécessaire. En effet, comment déf ini r p o u r des biens économi- ques qui ne seraient pas des g randeurs mesurab les les concepts de pr ix et de valeur qui sont indissociables de la not ion même de marché ? Autrement dit, il est implicite au concept de marché que tous les b iens considérés (les marchandises) sont des g randeurs mesurables .

Tous les biens économiques ne possèdent pas cette propr ié té de mesurabil i té . Nous re t rouvons ici les contre-exemples que sont les biens publics. Ils ne sont pas échangeables car leur consomma- t ion n'est pas exclusive mais en fait ils ne sont m ê m e pas mesura- bles au sens que nous avons donné à ce terme. A ti tre d'exemple, considérons la Défense Nat ionale qui est sans le moindre doute possible un bien économique dans la mesure où il faut lui consa- c re r des ressources qui pour ra i en t avoir d ' au t res uti l isations. Quelle défini t ion peut-on p ropose r de l 'égalité de deux quant i tés de « Défense Nat ionale » et, encore plus difficile, de leur addi t ion ? On retrouve ces mêmes phénomènes de non-mesurabi l i té avec les b iens économiques associés aux effets externes comme la pollu- tion.

En résumé, nous ferons l 'hypothèse que les b iens disponibles su r u n marché sont des g randeurs mesurables , propr ié té qui est loin d 'être vérifiée p a r tous les biens économiques. Remarquons que le fait que cette propr ié té de mesurabi l i té n 'est pas universelle p e r m e t déjà d 'appréc ie r dès ce s tade tout à fait pré l iminai re le carac tère nécessa i rement limité du rôle que peuvent j o u e r le ou les marchés dans l 'al location des ressources. Cette l imitat ion inhérente à la not ion m ê m e de marché a souvent été pe rdue de vue comme l 'atteste les tentatives, p resque exclusivement théor iques d'ailleurs, visant à a s s u r e r l 'ensemble du processus d 'a l locat ion des ressources p a r l ' in te rmédia i re du marché (par exemple, n'a-t- on pas envisagé à cer ta ins moment s un marché des droits de pol- lue r ?). Si le marché ne peut tout faire, il n 'en reste pas moins vrai que son impor tance dans les économies modernes justifie très lar- gement l ' intérêt de la théor ie de l 'équilibre général en tan t que théor ie du marché.

Divisibilité des biens

Un bien est indivisible s'il existe une plus petite quant i té stric- t ement positive, un atome, de ce bien ; dans le cas contraire, on dit qu' i l est divisible. Il est c lair qu 'en toute r igueur aucun bien n'est pa r fa i t ement divisible. Néanmoins, on conçoit a i sément que l 'hypothèse de divisibilité est à prendre comme une approximation

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dont la per t inence dépend du niveau de l 'indivisibilité. Pour le moment , on s ' a t tachera donc à ne cons idére r que des marchés où le niveau des indivisibili tés sera tout à fait négligeable. L' intérêt réel de l 'hypothèse de divisibilité est de s implif ier considérable- men t l 'analyse m a t h é m a t i q u e de l 'échange.

Unités, quan t i t é s uni ta i res

Chaque bien étant supposé mesurab le et divisible, il ne reste plus qu 'à faire le choix d 'une unité, plus préc isément d 'une quan- tité unitaire. L 'unité de chaque bien est choisie ici de façon arbi- traire, sauf ment ion explicite du contraire.

N o m b r e de biens

Un échange ne peut avoir lieu que s'il existe au moins deux biens. Nous suppose rons donc que leur n o m b r e est toujours supé- r i e u r ou égal à deux. L 'hypothèse qu' i l n'y a q u ' u n nombre fini de biens est l a rgement suff isante p o u r une é tude générale des pro- pr ié tés de l 'échange. Sa per t inence n'est guère d iscu tab le ; elle représente en ou t re l 'avantage de ne nécess i ter que des mathéma- t iques re la t ivement é lémenta i res comparées à celles qu' i l fau- drai t u t i l i ser p o u r é tud ie r le cas d ' un nombre infini de biens. On note ra cependan t que la formal isa t ion théor ique de cer ta ins mar- chés c o m m e ceux où le t emps et les aléas jouent un rôle essentiel se fait p lus na tu re l l emen t avec un ensemble infini de biens. Ceci ne d iminue pas p o u r au tan t l ' impor tance du cas fini considéré per se. Nous noterons p o u r le m o m e n t au moyen du m ê m e symbole C l ' ensemble des biens et leur nombre, les r i sques de confus ion é tant inexistants.

Complexes de biens

Un complexe de biens consiste en la descr ip t ion sous une forme vectorielle

x = (xj) = (x', x2, ..., xe) e 1Re

de quant i té de chacun des biens. Ces quant i tés peuvent être positi- ves ou négatives mais l ' in te rpré ta t ion du signe, en par t i cu l ie r du signe négatif, est aisée : il suffit d ' admet t re que le vecteur x repré- sente des quant i tés de biens qui sont « possédées » p a r un agent économique ; les quant i tés positives sont alors effectivement pos- sédées tandis que les quant i tés négatives co r responden t à des dettes.

I.3. LES PRIX

Le prix pj du bien j, où j varie de 1 à 6, est par définition un nombre réel strictement positif. On dit aussi que ce prix est la

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valeur de l'unité du bien j. Le vecteur prix p, encore appelé système de prix, est défini par les e coordonnées pj et il représente sous forme vectorielle la collection des prix des différents biens.

La valeur d'un complexe de biens

On définit la valeur de la quantité xi du bien j pour le prix pj comme le produit pj • xj. La valeur du complexe de biens x e 1Re pour le système de prix p est la somme des valeurs correspondant aux quantités des différents biens. La valeur s'exprime donc sous la forme d'un produit scalaire

(1.3.1)

Le choix d'un numéraire

Il n'est pas nécessaire de disposer d'une théorie de la monnaie pour commencer l'étude de l'échange. Néanmoins, il va se révéler commode dans la suite de disposer d'un bien qui possède à des degrés relativement faibles certes plusieurs des attributs de la monnaie. Nous qualifions ce bien de numéraire pour éviter tout risque de confusion avec la monnaie proprement dite. Le premier rôle que nous allons faire jouer à ce numéraire est de servir de bien de référence pour exprimer les prix des autres biens. Ceci revient à poser que le prix du numéraire est égal à un. Par conven- tion et sauf mention explicite du contraire, nous choisirons comme numéraire le C-ième bien, ce qui revient à écrire pe = 1.

Il convient de noter que cette hypothèse du numéraire revient à postuler que les choix des agents économiques ne sent pas orien- tés par le vecteur prix en tant que tel mais plus précisément par la direction définie par ce vecteur. Il est en général commode de représenter une direction par un vecteur normalisé et le choix d'un numéraire n'est alors rien d'autre qu'une façon se prêtant à une interprétation économique de normaliser le vecteur prix.

Nous notons S l'ensemble des vecteurs prix normalisés à l'aide de la convention de numéraire. Nous avons donc

S = [p = (p., ..., pe) E 1Re 1 pi > 0 pour i = 1, 2, ..., et pe = 1].

L'ensemble S s'identifie naturellement à , l'ensemble des (e - 1) prix strictement positifs.

1.4. P R E M I E R E FORMALISATION DU CONSOMMATEUR

Pour le moment , nous n'allons cons idére r q u ' u n seul type d 'agents économiques, ceux dont on peut définir l 'activité comme é tant l 'échange des biens sur un marché. L 'usage s'est imposé de les appe le r consommateurs . Cette terminologie peut cependant se

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révéler t rompeuse . En effet, u n spécu la teur qui réalise des opéra- t ions d 'achats et de ventes peut t rès bien ne r ien c o n s o m m e r physi- quement . Par conséquent , il faut d issocier dans l 'étude théor ique du c o n s o m m a t e u r la consommat ion physique immédia te des opé- ra t ions d 'achats et de ventes su r les marchés . Le bu t de la théor ie du c o n s o m m a t e u r est p réc i sément l 'é tude de ces compor tements d 'achats et de ventes en fonction des pr ix affichés et du revenu ou de la richesse.

La fonct ion de d e m a n d e individuel le

La façon la p lus c o m m o d e de déf in i r un c o n s o m m a t e u r est de p a r t i r de sa fonct ion de demande. Cette appl icat ion décri t la re lat ion existant ent re la demande du consommateur , le sys- tème de pr ix et le revenu. C'est une appl ica t ion qui est donc dé- finie su r l 'espace des prix-revenu S x IR et qui p rend ses valeurs dans l 'espace des biens IRe. A ce stade, le revenu doit être con- s idéré c o m m e é tant tout s implement u n n o m b r e réel. Dans le cadre de la formal i sa t ion retenue, nous emplo ierons souvent re- venu et r ichesse comme des synonymes parfa i t s m ê m e si dans la réali té leurs s ignif icat ions peuvent différer quelque peu. La ra i son de cette ident i f icat ion réside dans le fait que ce pa ramè t re d é n o m m é revenu ou r ichesse peu t j oue r auss i bien le rôle d 'un revenu que celui d 'une r ichesse suivant les in te rpré ta t ions consi- dérées.

Soit fi la fonct ion de d e m a n d e du c o n s o m m a t e u r lui-même noté i. L ' image fi(p, ws) du couple (p, Wi) p a r l 'appl icat ion fi re- présente le complexe de biens qui est demandé p a r le consomma- t eur i au vu du système de pr ix p e S et de la r ichesse Wi e IR. On note ra que le cas où la r ichesse Wi est un n o m b r e réel stricte- men t négat i f n 'est pas exclu. Ceci peut s ' in te rpré te r comme la tra- duct ion du cas d ' un agent endet té su r le marché considéré. Ce degré de général i té va se révéler c o m m o d e dans la suite ; il n'est c ependan t pas nécessa i re et pou r ra i t être faci lement évité. Nous la issons en exercice le soin d ' adap te r la p résen ta t ion de la théor ie de l 'équil ibre général qui va suivre au cadre plus res t re int où les complexes de biens et les revenus seraient cont ra in ts à être tou- jou r s positifs.

La re la t ion de Walras

Pour le moment , le con tenu économique que t radui t la défini- t ion d 'un c o n s o m m a t e u r est p lutôt modeste. Au fond, seule l ' idée que la d e m a n d e individuel le est dé te rminée p a r les pr ix affichés et p a r le revenu (ou la richesse) est bien pr ise en compte. Le rôle de la re lat ion de Walras (qui va être définie dans un instant) est d ' in t rodui re une deuxième idée économique dans la formalisa- t ion du c o n s o m m a t e u r : la va leur de la demande est égale au

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revenu. Cette hypothèse prend la forme de la relation mathémati- que suivante

(1.4.1)

vérifiée p o u r tout vecteur pr ix p e S et tout revenu Wi e IR. Cette propr ié té est conforme à l ' intui t ion s'il existe au moins un bien qui joue le rôle de réserve de valeur, un des a t t r ibu ts préc isément de la monnaie. Pour fixer les idées, on pour ra i t imaginer que le numéra i re possède également cette fonction. Dans le chapi t re sui- vant consacré à la mise au point d 'une théor ie p lus élaborée du consommateur , nous verrons que la relat ion de Walras se dédui t alors d 'axiomes beaucoup plus fondamentaux por t an t s u r le com- po r t emen t des consommateurs .

N o m b r e de c o n s o m m a t e u r s

Pour qu'il y ait échange, il faut la présence d 'au moins deux consommateurs . Nous supposerons donc dans les développe- ments qui vont suivre que le n o m b r e de consommateu r s est fini et supé r i eu r ou égal à deux. Comme cela a déjà été vu p o u r le nom- bre de biens, cette hypothèse n'est guère cri t iquable. Notons cependan t qu'il existe ici auss i des exemples de marchés qu'il est plus na ture l de représen te r p a r un ensemble infini d'agents. Néan- moins, le cas fini suffit la rgement à l 'é tude générale des propr ié tés de l 'équilibre. Nous notons m le n o m b r e de consommateurs .

1.5. LE CONCEPT D 'EQUILIBRE

Un marché est donc défini p a r la donnée s imul tanée de e biens, de m consommateu r s caractér isés p a r leur fonct ion de demande individuelle fi avec i var iant de 1 à m, et p a r les res- sources init iales ωi de ces m consommateurs . Ces ressources ini- t iales représentent ce que les agents possèdent avant l 'ouverture du marché. Ce sont des complexes de biens, c'est-à-dire des vec- teurs de 1Re et non pas des r ichesses ou des revenus. On note

w = ( W l , W2, . . . , ω m )

les ressources initiales de l 'ensemble de tous les agents. Ceci per- met de représen te r formel lement une économie d 'échange p a r le t r iple t (C, (fi), w) qui co r respond aux biens, aux demandes indivi- duelles et aux ressources initiales.

Définit ion de l 'équil ibre

Le rôle du marché est de pe rmet t r e l 'échange des biens entre consommateu r s compte tenu de la présence de pr ix affichés. Con- s idérons le c o n s o m m a t e u r i qui a r r ivant au marché dispose du

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complexe de biens wi e 1Re représen tan t ses ressources initiales. Il observe le vecteur des pr ix aff ichés p E S et p a r un calcul rapide es t ime sa richesse. Celle-ci est égale au produi t scalaire

Wi = p . ω1.

Il possède alors toutes les informat ions et pa ramè t r e s néces- saires p o u r déf in i r sa demande. Celle-ci est égale au complexe de biens fi(p, p • ω1).

La d e m a n d e totale est la somme des demandes individuelles. Elle est égale à

C'est un complexe de biens a p p a r t e n a n t à IRe.

Pour que les d e m a n d e s individuelles pu issen t toutes être satisfaites, il suffit que la d e m a n d e totale de chaque bien soit infé- r ieure ou égale à l 'offre totale du m ê m e bien. L'offre totale é tant égale à la s o m m e E ω1, il suffit donc que l ' inégalité suivante soit vérifiée coordonnée p a r coordonnée

(1.5.1)

(1.5.2) Définition. Si l ' inégalité (1.5.1) est vérifiée, on dit que p ∈ S est un vecteur pr ix d 'équilibre (ou encore un système de prix d'équilibre) de l 'économie d 'échange définie p a r le triplet (e, (t), w).

Nous al lons c o m m e n c e r p a r é tabl i r u n résul ta t t rès simple, à savoir qu 'à l 'équilibre, non seulement toutes les demandes sont sat isfai tes (c'est-à-dire qu' i l n'y a pénur ie d ' aucun bien) mais encore que toutes les ressources sont p le inement utilisées, aucun bien n 'é tant excédent, résu l ta t qui s 'exprime dans le théorème sui- vant :

(1.5.3) Théorème. Le vecteur prix p est un vecteur prix d'équilibre de l 'économie (6, (fi), w) si et seu lement si l 'égalité suivante est vérifiée:

(1.5.3.1)

On notera que (1.5.3.1) est une égalité vectorielle. Elle t radui t l ' idée c lass ique qu 'à l 'équilibre, il y a égalité entre l'offre et la d e m a n d e de chaque bien.

Démonstra t ion. Commençons p a r mul t ip l ie r les deux mem- bres de l ' inégalité au sens large associée à la coordonnée j dans

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(1.5.1) p a r le prix pj du bien j. Ceci fourni t e inégalités au sens large que nous addi t ionnons m e m b r e à membre. Mais alors, sup- posons qu 'une au moins de ces inégalités soit stricte. Leur somme m e m b r e à m e m b r e fourni t une inégalité stricte, c'est-à-dire

(1.5.3.2)

Il est possible de regrouper les termes de gauche et de droite pour obtenir

(1.5.3.3)

Les relat ions de Walras appl iquées aux composan ts du mem- bre de gauche de cette inégalité conduisent alors à l ' inégalité str icte suivante

(1.5.3.4)

qui est évidemment impossible. Ceci conduit à une contradiction et établit du même coup le théorème. Q.E.D.

I.6. LES PARAMETRES DEFINISSANT UNE ECONOMIE D 'ECHANGE

La théorie de l'équilibre général a pour objet l'étude des pro- priétés du vecteur prix d'équilibre associé à une économie en fonc- tion des caractéristiques de cette économie. Sachant qu'une économie est représentée de manière symbolique par le triplet (biens, demandes individuelles, ressources initiales), ceci revient à étudier la dépendance des prix d'équilibre par rapport aux diffé- rents paramètres que sont les biens, les demandes individuelles et les ressources initiales.

Cependant, si le programme précédent était appliqué à la let- tre, la dimension infinie de la plupart des espaces auxquels appar- tiennent les paramètres considérés conduirait à des complications mathématiques considérables. Nous allons donc chercher à simplifier au maximum le côté mathématique de la théorie de l'équilibre général tout en lui conservant cette formula- tion en terme de dépendance des équilibres par rapport à des paramètres judicieusement choisis. La bonne solution est de se limiter à l'étude d'un cas particulier possédant les caractéristi- ques suivantes :

1. Un seul paramètre est considéré comme étant variable et ce paramètre décrit un espace vectoriel de dimension finie.

2. La relation entre les équilibres et ce paramètre particulier four- nit des indications sérieuses sur les relations les plus générales qui existent entre paramètres et équilibres.

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Qu'un tel cas par t i cu l ie r existe effectivement est tout à fait r emarquab l e ca r r ien ne p e r m e t v ra iment d 'en prévoir l'existence. Ce résul ta t va cependan t s ' imposer progress ivement au cours des chapi t res suivants. Essayons d ' i so ler ce pa ramè t r e en examinant success ivement les différents t e rmes qui in terviennent dans la défini t ion d 'une économie.

Les biens : i n t e rp ré t a t i ons et no ta t ions

Commençons d ' abord p a r s implif ier la s ignif icat ion du para- mèt re « biens ». Nous l 'avons représenté j u squ ' à présent p a r le symbole e. Attention, cette nota t ion décr i t p o u r le m o m e n t non seu lement le n o m b r e de biens mais auss i leurs carac tér is t iques : propr ié tés physiques, local isat ion dans l 'espace et dans le temps, etc. Tout c h a n g e m e n t dans la va leur de ce paramètre , mieux de ce qu ' i l représente, reflète donc soit une var ia t ion du nombre des biens exis tants soit, à n o m b r e de biens constants , une modifica- t ion des carac té r i s t iques de ces biens soit, enfin, une combina i son de ces deux phénomènes . Mais il y a deux façons de p rendre en compte l 'effet d 'une modif ica t ion des carac tér i s t iques des biens s u r le c o m p o r t e m e n t des agents économiques : la p remière est de décr i re d i rec tement cet effet p a r la modif ica t ion du pa ramè t r e 6 qui représen te les b iens — cette façon de p rocéder ne fait pas in tervenir le c o n s o m m a t e u r et c'est en ce sens qu'elle est directe — alors que la deuxième pa r t de la r emarque qu 'une modif icat ion des propr ié tés des biens, l eu r n o m b r e é tant constant , se t r adu i t p a r un changemen t des compor t emen t s d 'achats et de ventes, changemen t qu ' i l est possible d ' expr imer au moyen d 'une modifi- ca t ion des fonctions de d e m a n d e individuelle. Adoptons donc la convent ion que tous les changements des propr ié tés des biens sont effect ivement formulés au moyen des fonctions de demande. Il est alors poss ible d ' a t t r i bue r au pa ramè t r e e une seule signifi- cation, celle de ne représen te r que le nombre de biens de l'écono- mie considérée.

Cette s implif icat ion dans la s ignif icat ion du pa ramè t re e et donc de l 'espace que ce de rn ie r décr i t est év idemment loin d'être suff isante p o u r not re object if d 'une théor ie de l 'équil ibre qui soit m a t h é m a t i q u e m e n t la plus é lémenta i re possible. La recherche des pa ramè t r e s qu ' i l est économiquemen t et m a t h é m a t i q u e m e n t in téressant de cons idé re r comme constants n'est pas encore ter- minée.

N o m b r e de b iens et n o m b r e d 'agents

Faire var ie r le n o m b r e de biens revient à modi f ie r l 'espace des biens 1Re qui ser t de cadre à l 'équat ion d'offre et de demande. Il est c la i r que l 'expression m a t h é m a t i q u e de la théor ie est substan- t ie l lement plus s imple si ce n o m b r e de biens 6 est constant . De la

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même façon, faire var ier le nombre d 'agents économiques est une source évidente de complications. Il appara î t légitime du point de vue de la modél isa t ion de chercher à con tou rne r ces difficultés ma théma t iques dans la mesure où les nombres de biens et d 'agents varient en général beaucoup moins vite que la p lupa r t des aut res pa ramèt re s qui entrent dans la définit ion des écono- mies d'échange. Par conséquent , nous supposerons dans la suite que ces nombres de biens C et d 'agents m sont constants.

Les fonct ions de d e m a n d e

Le pa ramè t re « fonctions de demande individuelle » qui décr i t les m fonctions de demande des m agents peut être repré- s e n t é p a r l ' a p p l i c a t i o n ( f i , f 2 , . . . , f m ) q u i a s s o c i e à ( p , W 1 , W 2 , w m )

E S x IRm l 'é lément

( f l ( p , W L ) , f 2 ( p , W 2 ) , f m ( p , W m ) )

de ( ℝ les m complexes de biens expr imant les m demandes individuelles. Ces appl ica t ions appar t i ennen t à u n espace vecto- riel, l 'addit ion de deux appl ica t ions ainsi que la mul t ip l ica t ion d 'une appl ica t ion p a r un scalaire réel se déf inissant de façon évi- dente. Mais cet espace vectoriel est de d imens ion infinie.

Cette d imens ion infinie soulève des problèmes délicats dès que l 'on in t rodui t les not ions de proximité, de voisinage, en bref de topologie. En effet, dans le cas d 'un espace vectoriel réel de d imens ion infinie, toutes les topologies ra isonnables et en parti- cul ier celles définies p a r des no rmes ne sont pas nécessa i rement équivalentes entre elles, con t ra i rement à ce qui se passe en dimen- sion finie. (Pour une référence sur les no rmes équivalentes en d imens ion finie, voir p a r exemple Dieudonné (1963) (5.9.1) ou le théorème 4.1 dans Loomis et S te rnberg (1968)). Par conséquent , abo rde r de front ce p rob lème de la non-équivalence des topologies considérées ou suscept ibles de l 'être rend inévitable l 'é tude de leur signification et de leur per t inence économique. C'est un pro- b lème p o u r le moins complexe et délicat. Il est donc plus sage de suppose r que les fonctions de demande sont des pa ramèt re s du modèle qui ne varient pas, au t r emen t dit que ce sont des données.

Le seul pa r amè t r e qui est donc encore suscept ible de var ier après toutes ces s implif icat ions est celui qui décr i t les ressources initiales ωi de l 'agent i de l 'économie, l ' indice i var iant de 1 à m. Ce choix du pa ramè t re ω = (coi, ..., ωm) comme pa ramèt re essen- tiel du modèle de l 'équil ibre général représente l ' about i ssement d ' un processus d 'é l iminat ions successives de difficultés d 'origine essent ie l lement mathémat ique , façon de faire qui ne pe rme t pas d ' a f f i rmer que ω est auss i le pa ramè t re le plus in téressant d ' un point de vue économique, ce que nous allons main tenan t établir.

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L'observat ion mont re en effet que les var iat ions dans le temps des valeurs pr i ses p a r les pa ramèt re s économiques sont de valeurs relatives très inégales selon le pa ramè t re considéré. Celles-ci sont impor tan tes p o u r le pa ramè t re « ressources initia- les » alors qu 'en compara ison , elles sont relat ivement faibles ou plus p réc i sément très lentes en ce qui concerne le nombre des biens et leur qualité, le nombre des agents économiques et leurs préférences (ceci ant ic ipe légèrement su r le chapi t re II) qui sont à l 'origine de la demande.

Cette jus t i f ica t ion économique du choix du pa ramè t r e « res- sources init iales » c o m m e pa ramè t r e privilégié suggère d 'ai l leurs une res t r ic t ion supp lémen ta i r e du domaine de variation. En effet, les ressources totales, c'est-à-dire la somme des ressources indivi- duelles, var ient souvent b e a u c o u p moins vite que la d is t r ibut ion de ces ressources p a r m i les agents économiques. Ceci mont re tout l ' intérêt qu'il y a à r a i sonner à ressources totales constantes, donc à définir une économie par le paramètre W = (ω1, ω2, ωm) avec la restriction que la somme vectorielle ∑i Wi des vecteurs de res- sources individuelles est constante et égale à un vecteur r e 1Re qui représente les ressources totales de l'économie. On note Q l'espace des économies, une économie étant identifiée au paramè- tre ressources initiales co correspondant. L'espace D s'identifie donc à l'espace euclidien ℝ " 1).

1.7. LA CORRESPONDANCE D 'EQUILIBRE E T LA PROJECTION NATURELLE

Rappelons que le vecteur prix p e S est un vecteur prix d'équi- libre associé à l'économie w si l'égalité entre l'offre et la demande est vérifiée (1.5.3). Soit W(co) l'ensemble de tous les vecteurs prix d'équilibre associés à l'économie w. On définit la correspondance d'équilibre W comme étant la relation qui associe à toute écono- mie w e Q l'ensemble des prix d'équilibres W(w), lui-même un sous-ensemble de l'ensemble des prix S. Cette correspondance est aussi connue dans la littérature sous le nom de correspondance de Walras. La théorie de l'équilibre général se ramène essentielle- ment à l'étude de la correspondance d'équilibre W.

Nous pouvons d'ailleurs préciser un peu plus la relation liant les principaux résultats de la théorie de l'équilibre général et la cor- respondance d'équilibre. Ces résultats se répartissent en deux clas- ses puisque nous distinguons les propriétés du couple formé par l'économie et son vecteur prix d'équilibre (nous verrons que la sta- bilité en est un exemple) des propriétés de dépendance des équilibres par rapport aux paramètres qui servent à définir les économies. Les propriétés du premier type se rapportent en fait à des sous-ensem- bles du graphe de la correspondance d'équilibre tandis que celles du second type décrivent des propriétés de cette correspondance.

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Correspondance ou appl ica t ion ?

La na ture même de la notion de co r re spondance est une source de complicat ions d 'origine mathémat ique . En effet, une co r respondance n'est pas une fonction (aut rement dit une applica- tion) et s'en différencie de la façon suivante : une appl ica t ion s qui est définie su r un ensemble X et qui p rend ses valeurs dans un ensemble Y est une relat ion qui associe à tout é lément x de X un é lément et un seul y de Y ; une co r respondance de X dans Y est une relat ion qui associe à tout é lément x de X les é léments d 'un sous-ensemble de Y (qui dépend bien év idemment de x). Ce sous- ensemble peut très bien être vide ou au contra i re conteni r plu- sieurs éléments. Ainsi il peut a r r iver qu 'une co r respondance n 'associe aucun é lément de Y à un é lément donné de X. Elle peut aussi associer p lus ieurs éléments de Y à un é lément de X. Ces s i tuat ions différentes peuvent d 'ai l leurs s 'observer avec la même cor respondance . De tels cas de f igure n'existent pas dans le cas d 'une applicat ion.

On notera que l 'ensemble des appl ica t ions de X dans Y est un sous-ensemble de l 'ensemble des co r respondances de X dans Y. L 'ensemble des cor respondances est donc plus grand (au sens ensembl is te du terme) que l 'ensemble des applications. Il est donc prévisible que l 'étude d 'une co r re spondance soulève plus de pro- b lèmes que celle d 'une applicat ion, or é tud ie r une applicat ion, ce n'est déjà pas si facile.

Ce problème s'est déjà présenté en ma théma t iques dans un cadre certes différent : Dieudonné (1963) (Chapitre IX, introduc- tion) ment ionne la théor ie des fonctions analyt iques où la solution a consisté à p rocéder à une « inversion » de la co r respondance à étudier. C'est u n procédé analogue que nous allons suivre ici.

Rappelons d ' abord que si s est une appl ica t ion de X dans Y, on lui associe une correspondance notées s de Y dans X qui associe à tout é lément y de Y son image réc iproque s J (y) dans X, i.e.

s"1 (y) = (x E X 1 s(x) = y.

Ce procédé est pa r t i cu l i è rement commode p o u r subs t i tue r l 'é tude d 'une appl icat ion à celle d 'une co r respondance q u a n d celle-ci peut s ' in te rpré te r comme la réciproque d 'une application.

Pour app l iquer ce p rocéder au modèle de l 'équilibre général, pa r tons du graphe de la co r respondance W qui est l 'ensemble des couples (économies, pr ix d 'équi l ibre de ces économies). L 'usage de la théor ie de l 'équilibre général est de p rendre comme pre- mière coordonnée le vecteur pr ix p et comme deuxième coordon- née le pa ramè t re w représen tan t les ressources initiales. Avec cette

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convention, le graphe de W devient l ' ensemble des couples (p, w) p o u r lesquels l 'égalité ent re l 'offre et la demande est vérifiée, le p a r a m è t r e w décr ivant l 'ensemble des ressources init iales O. D'où l ' intérêt de la déf ini t ion suivante qui se révélera par t i cu l iè rement c o m m o d e p o u r la suite :

(1.7.1) Définition. 1) On dit que le couple (p, w) est un équilibre s'il y a égalité entre l'offre et la demande. 2) On note E l'ensem- ble des équil ibres (dont on remarquera que c'est un sous- ensemble du p rodu i t cartésien (S x Q). 3) La project ion natu- relle n: E - Q est la restriction à l 'ensemble des équilibres E de la project ion (p, w) - co de S x 0 s u r Q.

Il résul te de ce qui précède que nous avons

π ( w ) = W ( w ) x ω.

Par conséquent, l'étude de la correspondance d'équilibre W est clairement équivalente à celle de la projection naturelle π. Ceci constitue une simplification considérable. En effet, nous dispo- sons ainsi des outils puissants de la topologie différentielle et de l'analyse globale qui sont particulièrement bien adaptés à l'étude des fonctions ou applications.

La projection naturelle : un programme pour l'étude de l'équilibre La théorie de l'équilibre général conduit à l'étude de la projec-

tion naturelle n, application définie sur l'ensemble des équilibres E et à valeurs dans l'ensemble Q des ressources initiales. Mais dans quel ordre mener cette étude, quel plan suivre ? Rappelons qu'une application d'un ensemble dans un autre équivaut à la don- née d'un triplet défini de la façon suivante : l'ensemble de départ, l'ensemble d'arrivée, enfin la relation qui existe entre les éléments de l'ensemble de départ et d'arrivée autrement dit la « formule » de l'application. Ces considérations imposent tout naturellement le programme suivant : commencer par décrire les ensembles de départ et d'arrivée et continuer par les propriétés de la formule de l'application.

L'ensemble le plus simple à décrire est l'ensemble d'arrivée Q. En effet, c'est l'ensemble des m-uples qui décrivent les ressour- ces initiales des m agents de l'économie, les ressources totales étant constantes. Nous avons déjà vu que cet espace s'identifie à ( ℝ

Par conséquent, le morceau de résistance de l'étude de la pro- jection naturelle ne comporte à vrai dire que deux parties : d'une part l'étude de l'ensemble des équilibres E ; d'autre part, l'étude de l'application π en tant qu'élément de l'espace des applications de E dans Q. La première partie est développée dans le chapitre

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III alors que les chapi t res IV et V sont p r inc ipa lement consacrés à la deuxième partie.

En résumé, nous avons réduit la théor ie de l 'équil ibre général au cadre abs t ra i t de l 'é tude de la project ion na ture l le p o u r lequel nous disposons d 'ai l leurs d ' un p rog ramme qu' i l ne nous reste p lus qu 'à suivre.

Bien que cela ne soit pas s t r ic tement nécessai re p o u r la suite, nous allons m o n t r e r que les problèmes classiques de la théor ie de l 'équilibre général que sont l 'existence ou l 'unicité se formulent t rès s implement dans le cadre de la project ion naturelle, ce qui ne sera d 'ai l leurs pas sans incidence su r leur solution.

Exis tence de l 'équil ibre

Le prob lème le plus connu de la théor ie de l 'équil ibre général est celui de l'existence. Il est p a r bien des aspects exemplaire de la démarche des théoriciens. En effet, l 'existence du concept d 'équi l ibre tel que défini en (1.5.3) n'est pas garant ie a pr ior i p a r not re cons t ruc t ion théorique. D'où la p remière ques t ion :

Existe-t-il des économies qui admet t en t des équi l ibres ? Une réponse négative ôterait tout intérêt au concept d 'équilibre. Nous verrons qu' i l est facile d 'é tabl i r l 'existence d 'économies qui admet t en t des équilibres. Mais l ' idée sous-jacente à cette pre- mière ques t ion peut être reformulée sous une forme beaucoup plus forte qui n 'admet pas de réponse auss i évidente :

Toutes les économies possèdent-el les des équi l ibres ?

R e m a r q u e s s u r u n faux p rob lème

Pendant longtemps il a semblé que l 'existence d 'une écono- mie qui n 'aura i t pas d 'équi l ibre serai t la preuve d 'une contradic- t ion logique des axiomes de la théor ie de l 'équil ibre général. Ce point de vue excessif est encore par tagé p a r b ien des économistes. Disons d ' abord que dans le cas du modèle de l 'économie d 'échange qui est considéré ici, la présente discussion relève plus de la spéculat ion intellectuelle que d 'un prob lème réel car nous é tabl i rons que toute économie d 'échange admet au moins un équi- libre. Cependant, comme ce p rob lème se retrouve dans le cas de modèles plus spécialisés et p a r conséquent plus complexes, il n 'est peut-être pas inutile d 'en dire quelques mots dès maintenant .

La non-existence de l 'équil ibre sous cer ta ines hypothèses n'est pas la preuve d 'un m a n q u e de cohérence ax iomat ique des hypothèses du modèle considéré. A la différence de la physique où les résul tats négatifs d 'une expérience remet tent en cause les fondements m ê m e de la théor ie dont ils contredisent les conclu- sions, la non-existence de l 'équilibre n'est ici q u ' u n résul ta t théori- que p a r m i d 'autres. L 'ass imiler au résul ta t d 'une expérience au

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sens de la physique relève de l ' e r reu r de ra isonnement . En effet, le concept d 'équi l ibre renvoit nécessa i rement à un système dyna- mique, c'est-à-dire à la donnée d 'un c h a m p de vecteurs défini su r un ce r ta in espace (baptisé l 'espace des phases). Ce c h a m p de vec- teurs n'est que l 'expression m a t h é m a t i q u e de l 'évolution dans le t emps du système considéré et ses points s ta t ionnai res s'identi- fient aux systèmes dont les carac tér i s t iques n'évoluent pas dans le t emps : ce sont les équil ibres. En ce sens, l ' inexistence d'équili- bre dans une économie donnée signifierait tout s implement que le système dynamique qui décr i t l 'évolution temporel le de cette économie et de ses pr ix n ' admet pas de point stat ionnaire. Ceci n 'est q u ' u n e propr ié té m a t h é m a t i q u e d 'un c h a m p de vecteurs et il n'y a là aucune cont rad ic t ion logique en jeu. De plus, un tel c h a m p de vecteurs peu t posséde r des compor temen t s asymptoti- ques (c'est-à-dire q u a n d le t emps tend vers l'infini) qui, mathémat i - quement , se t r adu i sen t p a r l 'existence d 'orbi tes périodiques, voir d 'ensembles a t t r ac teurs encore plus compliqués, mais qui, d 'un point de vue économique, peuvent se révéler tout auss i intéres- sants que des points s ta t ionnaires . Aut rement dit, la preuve de l 'existence ou de la non-existence d 'un équil ibre ne const i tue q u ' u n théo rème p a r m i d 'autres, m ê m e si ce résul ta t peut être con- sidéré c o m m e impor t an t p o u r des raisons diverses.

Exis tence et p ro jec t ion na tu re l l e

La projec t ion na ture l le n p e r m e t de fo rmule r t rès s implement le p rob lème de l 'existence de l 'équilibre. En effet, dire que l'écono- mie w adme t le vecteur pr ix p E S comme vecteur prix d 'équi l ibre revient à dire que le couple (p, ω) est un équilibre. Comme l ' image de ce couple p a r la project ion na ture l le est p réc i sément w, une éco- nomie w adme t au moins un équi l ibre si et seu lement si w appar- t ient à l ' image de la project ion na ture l le n.

Bien évidemment , cette image n'est pas vide (aut rement dit il existe des économies qui admet t en t des équilibres) si et seulement si l ' ensemble des équi l ibres E su r lequel est défini la project ion na ture l le est lui-même non-vide. Nous reprendrons un peu plus loin l 'étude générale de la s t ruc tu re de l 'ensemble des équilibres, dont la non-vacuité n'est év idemment q u ' u n aspect très part icu- lier.

L'analyse précédente à peine modifiée montre aussi que l'exis- tence d 'au moins un équi l ibre p o u r toute économie équivaut à la surject ivi té de la project ion naturel le n, c'est-à-dire à la relation

I m ( π ) = n .

C'est en prouvant cette surjectivité que nous établirons que toutes les économies admettent des équilibres.

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FIGURE 1.1.

Unicité et multiplicité des équilibres

Une fois que l'existence d'un ou de plusieurs équilibres a été établie pour une économie donnée, le problème suivant est celui du nombre de ces équilibres. En effet, s'il y a unicité de l'équilibre, celui-ci est parfaitement déterminé. Il est alors possible d'étudier les problèmes spécifiques se rapportant à cet équilibre puisqu'il est unique et donc défini sans ambiguité. Mais, dans le cas d'une multiplicité d'équilibres, se pose la difficile question du choix de l'équilibre effectivement réalisé parmi tous les équilibres possi- bles. En outre, la multiplicité d'équilibres engendre des proprié- tés tout à fait particulières de discontinuité que nous analyserons à l'occasion d'un exemple.

Ce problème du nombre d'équilibres, c'est-à-dire du nombre de solutions de l'équation d'offre et de demande est important dans l'absolu. Dans le cadre spécifique de la théorie de l'équilibre général cette importance se trouve décuplée par le lien étroit exis- tant entre le nombre des équilibres et leur détermination, lien que nous mettrons en évidence au cours des chapitres V et VI.

Le formalisme de la projection naturelle 1t permet de disposer des outils de la topologie différentielle pour l'étude du nombre # (ω) d'équilibres associés à l'économie w. On trouvera une présentation très simple de ces concepts adaptée au cas particu- lier de la figure 1.1. dans la section 8 de ce chapitre. Ils sont repris avec la généralité adéquate dans les chapitres III et IV.

Dépendance des équilibres par rapport aux paramètres Une fois l'équilibre choisi parmi tous ceux qui sont possibles

le problème suivant est celui de la dépendance de cet équilibre

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p a r r a p p o r t aux p a r a m è t r e s qui déf inissent les économies, ici le vecteur des ressources init iales ω∈Ω. Ce p rob lème possède deux aspects, l 'un quali tat if , l ' autre quant i ta t i f . Nous verrons dans la sect ion suivante que l 'aspect qual i ta t i f se r é sume en l 'é tude des propr ié tés de cont inui té ou de discont inui té des équilibres. Dans les s i tua t ions où la cont inui té peut être établie, l 'é tude quanti ta- tive vise alors à p réc i se r les relat ions quant i ta t ives existant entre p a r a m è t r e et équilibre. Cette b r anche de la théor ie de l 'équil ibre général est connue sous le n o m de s ta t ique comparat ive, termino- logie que lque peu regret table qui tend à faire croire à l ' autonomie relative de ce sujet p a r r appor t au cadre de la théor ie de l 'équil ibre général. Une propr ié té essentiel le dans ce type d ' investigation est la différentiabi l i té des équi l ibres p a r r appor t aux paramètres , ce qui nous recondui t inévi tablement au cadre de la topologie diffé- rentielle.

I.8. UN E X E M P L E (A PEINE) IMAGINAIRE

Pour résumer, i l lus t rons su r un exemple l ' intérêt quan t à l 'explicat ion de cer ta ins phénomènes du marché des concepts que nous pouvons in t rodui re au moyen de la project ion naturelle. Ceux-ci pe rme t t en t n o t a m m e n t d 'éviter des e r reu r s grossières d 'analyse qui sont encore c o u r a m m e n t faites dans des circonstan- ces que le lec teur reconna î t ra aisément . Outre son intérêt immé- d ia tement concret , cette i l lus t ra t ion p e r m e t de percevoir dans le cas pa r t i cu l i e r de la f igure 1.1. l ' intérêt des concepts que l'on va s ' a t t acher à déf ini r dans les chapi t res III et suivants.

P ropr ié tés qual i ta t ives de l 'équil ibre

Nous commençons p a r la not ion de propr ié té quali tat ive de l 'équilibre.

FIGURE 1.2.

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Ces propriétés concernent la dépendance des équilibres aux paramètres définissant les économies, ici w. Nous allons illustrer cette dépendance de façon heuristique à l'aide de la figure 1.2., qui ne fait que reprendre la figure 1.1. en précisant certains sens de variation.

Sur cette figure, l'ensemble des ressources initiales Q est identifié pour les besoins du raisonnement à IR, autrement dit à un espace de dimension un. De la même façon, l'ensemble des prix S est identifié à IR++ (ceci peut s'interpréter comme correspon- dant à une économie à deux biens compte tenu de l'hypothèse de numéraire). L'interprétation de la dimension un attribuée à Ω est un peu moins évidente bien qu'elle soit justifiable ; en effet, elle revient à ne considérer que des variations du paramètre w qui sont contraintes à rester dans un sous-espace de dimension un, c'est-à- dire une droite.

Nous admettrons que nous pouvons représenter l'ensemble des équilibres par une courbe différentiable E du plan SxΩ. Pour une valeur donnée du paramètre w, les équilibres associés à w sont les points de la courbe E à la verticale du point w. Etudions dans le cas de figure considéré comment le prix d'équilibre p varie en fonction du paramètre w.

Le principe de continuité

Un principe de continuité assez naturel permet de postuler que, quand w varie de manière infinitésimale, la variation du prix est elle aussi infinitésimale chaque fois que c'est possible. Cela peut se justifier aisément par une certaine inertie du système éco- nomique : partant d'un système de prix observés, le marché cons- tate que compte tenu de l'évolution des paramètres définissant l'économie, celle-ci n'est plus en équilibre et il y a recherche d'un nouvel équilibre par de petites variations autour de l'ancien équi- libre. Tel est le fonctionnement de la quasi totalité des marchés organisés.

Il résulte de tout ceci que quand on considère un équilibre (p, w) et que co se met à varier infinitésimalement, le prix d'équilibre correspondant va varier de façon à ce que le couple (prix, ressour- ces) décrive la branche de la courbe E passant par (p, w), bien entendu quand ceci est possible.

Economies singulières et équilibres critiques

Nous voyons immédiatement que les points de E à tangente verticale jouent alors un rôle particulier. Nous les qualifierons de critiques. Les économies singulières sont les projections w' et w" sur Q des équilibres critiques. Considérons de petites variations de w qui ne franchissent pas ces valeurs w' et w". Les variations

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inf ini tés imales du pr ix d 'équi l ibre sont alors possibles. Par con- tre, si w f ranchi t une de ces valeurs w' et w" et que l 'équil ibre cor- r e spondan t soit cri t ique, c'est-à-dire un des points à tangente vert icale de E, nous voyons que, au moins dans le cas de figure con- sidéré, il est imposs ib le de pro longer les b ranches de E qui servent à déf in i r les équilibres. Il en résul te une discont inui té inévitable du système de prix. Ce changemen t qual i ta t i f dans la var ia t ion du prix d 'équi l ibre en fonction des ressources init iales est fonda- mental .

Discont inui té des équi l ibres et économies s ingul ières

I l lus t rons cette impor t ance p a r un exemple quelque peu ima- ginaire mais qu' i l n 'est pas difficile de rel ier à une réalité plus con- crète. In te rpré tons le m a r c h é considéré comme é tant celui des a r t i chau t s s u r un lieu de p roduc t ion comme la Bre tagne et exami- nons la séquence des pr ix d 'équi l ibre observés j o u r après jour. Au débu t de la saison, les a r t i chau t s sont d isponibles en peti tes quan- tités représentées p a r une valeur peti te du pa ramè t r e co ce qui dans le cas de f igure donne un pr ix d 'équi l ibre un ique et relative- men t élevé. Chaque j o u r nouveau voit les quant i tés d ' a r t i chauts mises su r le m a r c h é augmenter , w se déplace donc vers la droite. Tant que w n'a pas f ranchi w", il y a unici té du pr ix d'équilibre. En outre, les var ia t ions de pr ix que l 'on consta te sont faibles : l ' accro issement des quant i tés mises su r le marché ne se t r adu i t pas p a r une ba isse sensible des cours. Le f ranch i ssement de w" c o r r e s p o n d à l 'entrée dans une zone d 'équi l ibres mul t iples ; trois équi l ibres sont alors possibles, mais le pr inc ipe de cont inui té déjà vu p e r m e t de c o m p r e n d r e que le pr ix qui va être effectivement observé s u r le m a r c h é est celui qui co r r e spond à la b ranche supé- r ieure de la cou rbe E. Autrement dit, l 'observat ion du système de pr ix ne p e r m e t pas de met t re en évidence, donc d'identifier, une modif ica t ion que lconque des carac té r i s t iques du marché. Lais- sons les jou r s passer . Voici que ma in tenan t w s 'approche de w'. Pour le m o m e n t r ien de significatif n 'est observé si ce n'est des var ia t ions u n peu plus fortes du système de pr ix qui, b ien que res- t an t d ' un ordre de g r a n d e u r relat ivement petit, n'en sont pas moins nouvelles. Ceci est dû au fait que la pente de la tangente à E augmente régul iè rement en valeur absolue. Des observateurs décr ivant cette phase feraient é tat d 'une cer ta ine nervosité du marché.

Puis arr ive le j o u r où w, d ' in fér ieur à w' lui devient supé- rieur. Le pr ix d 'équi l ibre ne peut p lus être prolongé infinitésima- lement. En effet, p o u r la nouvelle valeur du pa ramè t r e w, il n'y a p lus q u ' u n seul pr ix d 'équi l ibre possible et sa valeur est très diffé- rente de l 'ancienne. Quelle s i tua t ion observe-t-on alors su r le marché ?

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log-linéaire, 98-99 propr ié tés

classe C 49 continuité, 41-42 existence, 41-42 quasi-concavité stricte, 51, 267-270 surjectivité, 41-42

valeur régulière, 251 image inverse, 251

variété différentielle, 80-81, 250 B (r), équi l ibres prix-revenus, 90-91 dimension, 81 E, ressources totales fixes, 82, 85, 94 Ë, ressources totales variables, 91-93 Grassmanienne , 170, 175, 258-259 linéaire, 87, 264 P, op t imums de Pareto, ressources tota les fixes, 127-128, 133 Q, o p t i m u m s de Pareto, ressources totales variables, 239-240 T, équi l ibres sans t ransact ion, ressources totales fixes, 86-87 T, équi l ibres sans t ransact ion, ressources totales variables, 91-93

variété orientée, 252 variété p r o p r e m e n t plongée, 259

Walras

correspondance , 18-19 relation, 12-13, 46

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