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APPRENTISSAGE DE LA COMMUNICATION EN MILIEU SCOLAIRE

Agns FLORIN*, Daniel VERONIQUE**, Jean-Pierre COURTIAL* & Yann GOUPIL*avec la participation de Christelle LAMARCHE*, Laurent PUREN** et Florence REMY-THOMAS**

Synthse pour la Direction de la Recherche Programme COGNITIQUE ECOLE ET SCIENCES COGNITIVES

* Labcd, Universit de Nantes **DELCA-SYLED, Universit Sorbonne III

Fvrier 2002

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PrambuleCe rapport est constitu de deux parties : - la synthse proprement dite ; il sagit dune analyse classique de la littrature, ralise partir dinterrogations de plusieurs bases de donnes. Quatre bases ont t consultes, en utilisant les mmes mots-cls ou combinaisons de mots-cls : PSYCHINFO, ERIC ; FRANCIS ; INRP ; - une analyse scientomtrique de la dynamique gnrale des recherches, ralise avec la mthode des mots associs partir de la base PASCAL du CNRS. Elle constitue une analyse complmentaire la prcdente.

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Plan APPRENTISSAGE DE LA COMMUNICATION EN MILIEU SCOLAIRE : SYNTHSE

Agns FLORIN & Daniel VERONIQUE1. Introduction 2. Questions de terminologie 3. Emergence de la notion de communication dans le champ des sciences sociales 4. La communication : perspectives dveloppementales 4.1 Communication verbale et non verbale : complmentarit et / ou autonomie 17 14 15 5 10

4.2 Communication non verbale et dveloppement langagier5. Les variations dans les processus de socialisation langagire 5.1. Les interactions adulte-enfant et le langage adress lenfant 5.2. Les processus de socialisation langagire 5.3. Le rle des partenaires dans lapprentissage de la communication et du langage 6. La communication en milieu scolaire 6.1. La spcificit des situations de communication en milieu scolaire 6.2. Le contexte scolaire dapprentissage de la communication : les interactions enseignants-lves 6.3. Quest-ce qui sapprend et quest-ce qui senseigne ? 6.3.1. Loral comme objet de travail 6.3.2. Comment dfinir les capacits acqurir ? 6.4. Lhtrognit des comptences et leur stabilit 7. Communication orale et didactique du franais, langue premire et langue seconde 7.1. Une interrogation partage propos de l'enseignement de l'oral dans diffrents pays 7.2. Trente ans d'enseignement du franais langue premire et langue seconde 33 31 26 27 25 23 23 20 20 21

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7.2.1. Une priodisation de l'mergence de l'oral dans l'enseignement du franais langue premire et langue seconde 7.2.2. Une interrogation autour de lenseignement de loral et de la communication : quelques lments du dbat des trente dernires annes 34 33

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7.2..3. La prise en compte du langage et de la communication dans les programmes de lcole primaire franaise 35

7.3. Agir sur la communication en classe7.3.1. La communication et les autres apprentissages 7.3.2. Lapprentissage de la communication orale et crite 7.3.3. Lapprentissage de la communication non verbale 7.3.4. Lvaluation des comptences de communication en milieu scolaire 7.4. L'apprentissage de la communication en milieu plurilingue et diglossique : l'exemple d'une recherche-action la Runion. 7.5. L'accueil linguistique des enfants issus de l'immigration 8. Pratiques langagires scolaires et milieu familial 9. Les langues vivantes l'cole maternelle et primaire 10. Bilan et perspectives - Rfrences 58 62 64 65 57 43 44 53 56

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DYNAMIQUE GENERALE DES RECHERCHES SUR LAPPRENTISSAGE DE LA COMMUNICATION EN MILIEU SCOLAIRE : UNE ANALYSE SCIENTOMETRIQUE A PARTIR DE LA METHODE DES MOTS ASSOCIES

Jean-Pierre COURTIAL & Yann GOUPIL

1.Introduction 2.Donnes utilises 3.Principes mthodologiques 4.Lanalyse des mots associs 5.Rsultats 5.1.Lvolution des thmes de recherche 5.2.Analyse des axes de recherche en termes de revues 5.3.Examen du diagramme stratgique 5.4.Articles typiques 5.5.Etat des recherches en 2001 6. Conclusion 101 93 96 97 91

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LISTE DES EXPERTS CONSULTES

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APPRENTISSAGE DE LA COMMUNICATION EN MILIEU SCOLAIRE : SYNTHSE

Agns FLORIN & Daniel VERONIQUE

1. INTRODUCTION

Le domaine de la communication est pour le moins vaste comme l'indique, par exemple, la Critique de la communication de Sfez (1988), qui tente de dmonter les mcanismes de la reprsentation et de l'expression, notions auxquelles rfre la communication selon cet auteur, qui la pose comme l'pistm de l'poque. Le Vocabulaire des sciences cognitives de Houd, Kayser, Knig, Proust & Rastier (1998) propose, son tour, plusieurs entres, recueillies auprs des neurosciences, de la psychologie, de la linguistique et de l'intelligence artificielle, pour communication . Le prsent rapport se centrera sur une dfinition de la communication fonde essentiellement sur des recherches en psychologie, en sciences du langage et en sciences de l'ducation. En premire approximation, ce sont les dimensions et activits relevant de la communication pragmatique , activits organises sur la base d'une planification d'vnements mentaux (Houd & al., 2000, p.87) qui intressent ce rapport. La centration sur des activits intentionnelles et significatives conduit envisager la communication comme un ensemble de conduites verbales et non verbales qui relve davantage d'un modle orchestral ou polyphonique d'interaction que d'une reprsentation de la communication comme pure transmission selon une reprsentation associe au message tlgraphique (Winkin, 1981/2000, 1996/ 2001), et qui implique des oprations smantiques (de smantique sociale tout autant que de smantique linguistique (cf. Mucchielli, Corbalan & Ferrandez, 1998) et pragmatiques (Beaudichon, 1982).

Lapproche retenue ici sera centre sur la communication orale en milieu scolaire. Apprentissage de la communication sera entendu comme dsignant la transmission de savoirs et de savoir-faire relatifs aux activits communicatives, l'oral, dans leurs dimensions verbales et non verbales, et l'crit, et leur appropriation par des lves-apprenants. Les situations scolaires considres peuvent tre diverses : moments consacrs lapprentissage de la langue maternelle ou dune langue trangre, mais aussi autres activits en milieu scolaire (autres activits acadmiques ou changes informels). Elles impliquent galement des partenaires multiples : enseignants et autres adultes de lcole, lves dge divers. La question de l'apprentissage de la communication ne se pose pas videmment dans les mmes termes selon les ordres d'enseignement, en fonction, entre autres, de la maturation sociale et cognitive des lves, de l'volution de leurs savoir-faire communicatifs et des projets de l'institution ducative (Beaudichon, 1982 ; Florin, 1991).

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Centr sur l'apprentissage de la communication en maternelle et au primaire, ce rapport sera conduit voquer non seulement la transmission de savoirs et savoir-faire relatifs au langage et au non-verbal mais galement des questions lies la matrise linguistique en diffrentes situations sociolinguistiques. On abordera chemin faisant diverses situations d'apprentissage, apprentissage incident, apprentissage intentionnel et apprentissage rflexif. Certes, l'objet principal de ce travail est bien de mieux cerner la communication l'cole, dans ses multiples composantes, et son apprentissage, mais on ne saurait ngliger pour autant la communication verbale, objet des soins de l'cole. Il n'est pas inutile de rappeler ici la distinction pratique par certains linguistes entre le langagier, renvoyant des pratiques langagires, des changes verbaux et non verbaux dtermins socialement et aux valeurs pragmatiques qui leur sont associes, et le linguistique, rfrant plutt aux usages codiques des langues. C'est une distinction proche que l'on retrouve sous la plume du linguiste Benveniste, entre un mode smantique et un mode smiotique du langage humain (Benveniste, 1974). Les objets dont la transmission et l'appropriation nous intressent se situent tout autant dans la sphre du langagier, incluant la communication non verbale, que dans la sphre du linguistique, y compris de la communication crite. En d'autres termes, nous nous intresserons aux pratiques communicatives, verbales et non verbales, et aux pratiques langagires. Bautier (2001, pp.125-126) rappelle opportunment que la notion de pratique langagire , en tant que renvoyant des usages du langage socialement construits , a suscit trois directions de travail et trois inflexions smantiques, sur lesquelles nous reviendrons ultrieurement : un intrt pour la variation des usages et pour les activits langagires des lves en tant que faire social, une critique de la non-prise en compte des rapports de domination marqus dans la langue et une asepsie sociale concomitante des analyses pratiques d'une part, et une recherche sur la production de genres discursifs, d'autre part.

Au titre des distinctions pralables, il convient galement de rappeler que le langage, en tant qu'il participe de la communication, sera envisag ici la fois comme activit lie la mise en uvre des dimensions smiotiques, ou linguistiques, et langagires, ou smantiques, de la communication verbale, et comme fonction psychologique, ou dans une autre formulation, comme l'un des modes d'exercice des fonctions cognitives (c'est--dire des programmes de traitement de l'information et de transformation des situations), ou comme indicateur de reprsentations smantiques sous-jacentes (Cordier, 1994). troitement li tous les autres aspects du dveloppement cognitif, affectif et social, le langage est tout la fois objet et moyen de connaissance. Il se construit en interaction avec d'autres composantes du fonctionnement psychologique - la perception, la motricit, les oprations intellectuellesdont il rgule - pour une part, les manifestations comportementales et la psychogense . (Florin, 1991, p.23).

En principe, il faudrait dissocier l'enseignement et l'appropriation de la communication de la matrise du franais, langue premire de nombre d'lves (cf. infra), matire disciplinaire et mdium de la communication scolaire. En pratique, cette distinction ne sera rappele que lorsque la ncessit s'en fera sentir. La notion de communication , et plus prcisment d'apprentissage de la communication, ne recouvre pas compltement celle d'oral, ou plus exactement de matrise de l'oral, ni celle d'interaction verbale, en l'occurrence d'interaction didactique. Nous consacrerons une partie de ce rapport l'tat des connaissances sur le fonctionnement de la communication

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verbale et non verbale, en la distinguant d'un tat de la question sur l'enseignement de l'oralit en langue maternelle ou seconde, voire en langue vivante trangre, dans le cadre des interactions didactiques.

Le thme de recherche voqu dans ce rapport se trouve lintersection de diffrents champs disciplinaires, parmi lesquels la psychologie du dveloppement et la psycholinguistique, la linguistique, la sociologie et lethnomthodologie, l'ethnographie de la communication et la sociolinguistique, la didactique et les sciences de lducation, lhistoire. Dans ce rapport, aucune perspective disciplinaire ne sera privilgie a priori ; on ne manquera pas de constater cependant que certaines thmatiques de recherche, esquisses ici et l, n'ont gure t explores, du moins dans le domaine franais. Ainsi, dans un passage consacr aux contextes d'apprentissage en classe, Gumperz (1989a, p. 117) fournit l'indication suivante : la meilleure faon de dfinir la perspective ethnographique sur les processus d'apprentissage est de la considrer comme une perspective socio-cologique. En effet, l'intrt ne porte pas sur le contenu du cours et sur les techniques d'enseignement en tant que telles, mais sur les conditions d'apprentissage, autrement dit, sur les aspects de la situation et de l'exprience, de l'lve et de l'enseignant, qui ont une incidence sur la transmission du savoir et sur la dfinition des acquis . Il ajoute un peu plus loin (Gumperz, 1989a, p. 126) : il est sans doute important de mettre jour le caractre interactif des changes verbaux et de montrer que la transmission de l'information est interactionnellement gre ; mais le fait de se centrer sur les fondements organisationnels de la communication verbale n'est pas suffisant. Nous avons besoin d'une thorie de la communication plus labore pour montrer, d'une part, ce qui, dans l'origine linguistique et culturelle des participants, ainsi que dans leur idologie en matire d'apprentissage, joue un rle dcisif sur leur aptitude accomplir en classe des activits dtermines et, d'autre part, ce qui fait que des diffrences d'origine peuvent aboutir dans des contextes d'apprentissage apparemment similaires des diffrences de niveau dans l'acquisition . Ce programme de travail allchant ne nous semble gure avoir t rempli, comme nous pourrons l'voquer dans la partie bilan et perspectives de ce travail.

Au sein de certaines de ces disciplines, notamment des sciences du langage, de la psycholinguistique et de la psychologie du langage, de la didactique et des sciences de l'ducation, l'mergence du thme de la communication est un phnomne qui s'est manifest essentiellement dans les trente dernires annes1. Bien que l'intrt pour la communication et pour la langue parle, dans le domaine franais du moins, soit peu prs contemporain, il est sans doute ncessaire de dissocier les deux mouvements, qui ont pu, par instants, se rejoindre.

La perspective retenue pour aborder la communication dans le cadre scolaire implique une interaction orchestrale entre participants. La mise en uvre de processus de communication en situation dfinit un espace interactionnel dans lequel des processus1

Winkin, 1981 /2000 et 1996 /2001 indique diverses reprises que, dans les travaux amricains de langue anglaise, la rflexion sur l'tude de la communication dans une perspective anthropologique est plus ancienne d'au moins deux dcennies.

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sociolinguistiques inconscients d'interprtation et d'infrence dterminent des cours d'action et l'engagement conversationnel (Gumperz, 1989a, 1989b). La comptence de communication que l'enfant dveloppe structure sa capacit participer, par exemple, la communication scolaire. Cicourel (1979, p. 203) rsume ainsi, travers l'analyse de la mise en uvre des procds interprtatifs qu'effectue l'lve en classe - conduites tudies grce l'analyse d'une transcription soigneuse de donnes audio et vido - la tche de l'enfant : reprsenter ses penses et sa comprhension de la situation et de ce qu'on lui demande, en utilisant des constructions qui visent dplacer et clarifier ses expriences . L'une des pistes qui guidera notre exploration des travaux recenss pourrait tre de saisir la transmission sociale du savoir comme le produit d'une exprience communicative interactivement cre (Gumperz, 1989a, p. 130). La proposition de Gumperz (1989a, p.131) selon laquelle explorer la transmission culturelle du savoir en la considrant comme affaire de comptence communicative exige que nous regardions les relations de face--face entre l'enseignant et l'lve comme interactivement immerges dans un contexte constitu de procdures et de pratiques scolaires lgitimes par les politiques et l'idologie en matire d'ducation , sera reprise la lumire des synthses ralises.

L'examen des diffrents domaines de recherche et d'exprimentation qui sont en relation avec le thme de ce rapport, l'apprentissage de la communication en milieu scolaire , fait apparatre un rseau de rflexions, d'actions et de rsultats enchevtrs. Outre l'mergence d'une diversit de travaux de toutes grandeurs sur l'une ou l'autre des dimensions de la communication voques dans Houd et al. (2000), lon observe galement une interrogation rcurrente sur l'enseignement de l'oral dans la plupart des systmes ducatifs - fort bien illustre par le Plan Rouchette et ses dveloppements en France et l'laboration du plan d'tudes Matriser le franais (1979) en Suisse romande et ses volutions ultrieures -, des propositions de dispositifs d'enseignement de la communication orale et crite (Instructions Officielles, Observatoire des pratiques et propositions didactiques), l'laboration de recherches-actions, qui ne manquent pas de produire leur lot de rsultats, et les interactions de ces activits varies de statut et de finalit diffrents.

Ce rapport cherche tout d'abord rendre compte des recherches fondamentales sur la communication pragmatique , pertinentes pour notre champ d'observation. Compte tenu de ce

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qui a t voqu supra, ne seront pas carts de cette synthse cependant les compte rendus d'expriences pdagogiques ou de recherches-actions, mme si leurs effets ventuels n'ont fait l'objet d'aucun contrle. Nous distinguerons et signalerons en tant que tels les travaux orientation fondamentale et les compte rendus de pratiques non values. l'instar de Jaffr (1992), nous serons conduits identifier dans le domaine que nous explorons, des recherches thoriques tournes vers la discussion de l'adquation des outils conceptuels aux ncessits didactiques, des recherches exprimentales, des recherches descriptives et des recherches-actions. Notre sentiment est que la confrontation de ces ensembles de travaux et de rsultats, en apparence disparates, devrait clairer notre objet.

Cela tant prcis, l'objet de ce rapport n'est nullement de recenser des pratiques didactiques et pdagogiques en matire d'enseignement de la communication, et encore moins de proposer des pistes de travail didactique. Il existe en ce domaine nombre d'excellents travaux ; citons, entre autres : Dolz & Schneuwly (1998), Le Cunff & Jourdain (1999). Nous n'voquerons les travaux didactiques comme ceux cits supra que pour autant qu'ils ouvrent des perspectives de rflexion pertinentes. Ainsi, l'intrt d'tudier le cheminement qui conduit les chercheurs en didactique et en sciences du langage en Suisse romande de l'laboration de Matriser le franais (1979), des discussions sur l'enseignement de l'oral (1991) et au lancement d'un programme de recherche sur l'oral (1993-2001), qui aboutit, lui-mme, en 2001, la publication d'un ensemble pdagogique S'exprimer en franais (de Pietro, 2001) (cf. infra), rside pour nous dans

l'articulation d'une diversit de postures de recherche des pratiques pdagogiques, plutt que dans le dtail des dbats, des prises de dcision et des actions pdagogiques.

Pour la bonne comprhension de ce rapport, il est ncessaire en tout premier lieu de prciser, au-del de cette introduction, certains usages terminologiques en relation avec les notions cls voques ici. La deuxime partie de ce travail sera, donc, consacre une mise au point terminologique. Aprs avoir examin lmergence de la notion de communication dans le champ des sciences sociales, nous dresserons un bilan des recherches sur les dimensions de la communication verbale et non verbale chez l'enfant. L'ontogense des fonctionnements linguistiques et langagiers ne sera pas directement aborde cependant, en dpit de l'apport des travaux en pragmatique gntique sur l'mergence des actes de parole (Bernicot, 1992, 2000), des

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conduites explicatives et argumentatives (Golder, 1996 ; Veneziano, 2000 a et b), et dans une perspective d'analyse de discours sur les conduites conversationnelles (Garitte, 1998) et sur les conduites narratives (Hickmann, 2000). Aprs avoir considr le dveloppement des processus de socialisation langagire, nous procderons un examen des travaux sur la communication en milieu scolaire et des principales questions poses par son analyse. A partir de lexamen de quelques pratiques didactiques d'enseignement de la communication et de l'oral, nous examinerons sil est possible dagir sur lapprentissage de la communication en milieu scolaire. Lapprentissage de la communication sera examin dans le contexte du franais langue premire et langue seconde, en milieu plurilingue et diglossique, et en considrant les questions poses par les relations entre pratiques langagires scolaires et milieu familial. Le rapport s'achvera sur quelques perspectives de recherche.

2. QUESTIONS DE TERMINOLOGIE

Poursuivons la mise en place d'un glossaire, dj esquisse en introduction ce rapport. La communication verbale et non verbale l'cole, c'est l'ensemble des changes oraux, mimogestuels, proxmiques et kinsiques qui se droulent en classe et hors de la classe dans l'institution scolaire. Dans ce vaste ensemble, nous tiendrons compte des analyses des moments didactiques, qui font l'objet d'une intervention planifie (Cazden, John & Hymes, 1972 ; Sinclair & Coulthard, 1975 ; Mehan, 1979 ; Florin, 1991 ; Schubauer-Leoni, 1994 ; Bange, 1994), tout autant que des moments communicatifs plus fortuits.Dans le systme scolaire franais, les pratiques langagires l'cole maternelle et primaire semblent renvoyer ne varietur la mise en uvre de la langue de premire socialisation ou langue maternelle. Or, rien n'est moins certain dornavant. Il nous parat ncessaire de rappeler quelques aspects dfinitoires des termes langue premire , langue seconde et langue trangre . Cela devrait tre mis en rapport avec la notion de pratique langagire qui implique divers aspects de la socialisation, dont la pratique du bi-dialectalisme et de la diglossie (Bautier, 2001).

Kochman (1982) livre une tude lexicale du terme langue maternelle en traits smantiques dans lequel il retient les plus caractristiques : - idiome parl par un des gniteurs, gnralement la mre, - idiome parl dans le pays o l'on est n, - idiome vis--vis duquel on manifeste un sentiment d'appartenance. On conoit qu'une partie de

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la population scolaire ne puisse pas tout fait considrer la langue de l'cole dans les termes d'une langue maternelle. Moore-Caporale (1992) montre, d'ailleurs, que les quatre critres les plus souvent cits en rapport avec la langue maternelle - le rapport linguistique mre-enfant, l'antriorit d'acquisition et le degr de matrise, la fonction emblmatique, l'ventail tendu des fonctions sociolinguistiques - sont tous fragiles, pris isolment ou en combinaison.

Certains segments de la population scolaire franaise vivent de facto des situations de communication verbale plurilingue, o plusieurs langues sont susceptibles de contribuer la socialisation de l'enfant. Lamendella (1977) propose de nommer l'appropriation normale des langues entre deux et cinq ans, quel que soit le nombre de langues acquises, acquisition primaire du langage. L'acquisition secondaire des langues s'accomplit en rgle

gnrale en milieu naturel - c'est la situation des enfants trangers qui vivent en France et acquirent le franais l'cole et hors de l'cole. L'apprentissage d'une langue trangre se droule en milieu institutionnel - c'est le cas des langues vivantes trangres. On pourrait retenir le terme de langue premire pour la ou les langues matrises lors de l'acquisition primaire, langues acquises simultanment et de faon prcoce (Meisel, 1990), et langue seconde et langue trangre pour les deux autres types de situation d'appropriation identifis par Lamendella (1977).

Aeby, de Prieto & Wirthner (2001) dans des Propositions et interrogations de la recherche pour l'enseignement du franais en Suisse romande appellent une rflexion sur le statut du franais, langue d'enseignement et d'apprentissage. Ils insistent sur trois points tout particulirement : - le besoin de repenser la dnomination franais langue maternelle (ils suggrent franais langue premire ) afin d'autoriser une didactique mieux adapte aux ralits sociolinguistique de la Suisse romande ; - la ncessit d'articuler l'enseignement du franais celui d'autres langues l'cole ; - l'urgence d'envisager le franais comme objet et outil d'apprentissage.

Les pratiques de langage l'cole maternelle la Runion, dpartement crolophone (cf. infra.) contraignent galement rviser les distinctions reues.

Associes l'mergence du thme de la communication, les notions de rpertoire et de comptence de communication, maintes fois dfinies par Hymes (cf. par exemple Hymes, 1972), sont frquemment employes en didactique des langues. Certes, comme l'indique Halt (1993), le chantier de la communication, ouvert par l'cole une premire fois dans les annes 70, est rouvrir. Cet auteur attribue prcisment le premier chec essuy par la thmatique de la communication, entre autres, la trop grande gnralit de la notion de comptence de communication. Pour Hymes (1972, p. XIX), qui pose que les fonctions remplies par la communication langagire (language) en classe constituent un cas particulier de la question gnrale de l'tude du langage dans le contexte social , les notions de rpertoire communicatif et de comptence communicative sont centrales pour une ethnographie de la classe. Un rpertoire individuel, de groupe ou communautaire se dfinit selon Hymes l'aide des questions suivantes :

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(i) De quels moyens de communication dispose t-on ? Quelles sont les significations associes ces moyens ? (ii) Quelles sont les situations de communication pertinentes pour les entits (individu, groupe etc.) observes, y compris les situations de communication verbale ? Quelles sont les significations associes ces contextes ? (iii) Quelles sont les relations d' propos (appropriateness) ou de non-adquation que l'on constate entre les moyens de communication et les situations ? Quelles significations attribuer au choix d'un moyen au sein du rpertoire ?

La notion de comptence de communication s'adosse la notion de rpertoire communicatif, tel que les questions numres ci-dessus permettent de le cerner. Elle renvoie essentiellement des rgles d'emploi et d'interprtation de performances verbales et non verbales situes (comment entendre une interrogation, prendre la parole, faire une allusion, viter d'injurier et de blesser verbalement etc.) (Hymes, 1972). Gumperz (1989a, p. 115) rappelle, son tour, que l'usage de la langue dpend de la culture, de la sous-culture et de normes propres au contexte ayant un rle actif tant dans le choix des options communicatives que dans l'interprtation de ce qui est dit . Comme Halt (1993) le signale, d'autres lectures ont pu tre fournies de la notion, la rendant difficile mettre en uvre.

A la suite des travaux de Gumperz et Hymes, on s'est intress diffrentes proprits des changes en face face, tout particulirement aux indices de contextualisation et l'infrence conversationnelle. Cela a conduit aborder la communication interethnique (Gumperz, 1989b), lieu privilgi des incomprhensions et des malentendus. Pour Gumperz (1989c), l'chec des processus de ngociation conversationnelle dans le dialogue natif - non-natif tient au recours des stratgies rhtoriques diffrentes de part et d'autre, et l'impossibilit de ngocier un arrire-plan commun pour la comprhension, c'est--dire un systme ngoci de conventions de contextualisation.

la suite de ces travaux, Porquier (1979 et 1984) dfinit la communication exolingue comme le versant linguistique de la communication inter-ethnique. Il voque sous cette notion un ensemble de situations de communication qu'il caractrise l'aide de combinaisons des cinq paramtres suivants : les langues que matrisent et que partagent ventuellement les interlocuteurs engags dans l'change, le milieu linguistique de l'interaction, son cadre situationnel, le type d'interaction en cours et son contenu. Les situations de communication exolingue se caractrisent par leur asymtrie (De Hrdia, 1990). Bange (1987) observe que la communication exolingue est une communication risques sur les deux plans de l'intercomprhension et de la relation, d'o une bi-focalisation potentielle de ce type de communication entre l'orientation ordinaire vers un but de toute interaction et l'attention accorde son propre droulement. Mller (1991) rajoute un trait supplmentaire la dfinition de la communication exolingue, domine, selon lui, au niveau de son organisation locale, par l'orientation rtrospective dans l'organisation squentielle, cause des repairs des reprises et des traductions. Deux aspects principaux de la communication

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exolingue ont fait l'objet d'analyses : la gestion de la comprhension, entrevue travers les invitables malentendus et incomprhensions, et la collaboration natif - non-natif la production et la comprhension en langue trangre, tudie notamment travers la notion de squence potentielle d'acquisition (De Pietro, Matthey & Py, 1989). La proposition de Porquier conduira ultrieurement une importante rflexion sur le continuum qui va de la communication endolingue (natif - natif) la communication exolingue (natif - non-natif) (cf. De Pietro, 1988 ; Arditty & Levaillant, 1989). Dans une perspective proche de Gumperz, mais en s'en distinguant, on pourra galement se reporter l'ensemble des tudes runies par Franois (1990), qui voque les dimensions de la communication verbale et non verbale. L'tude de Langumier (1990), et les monographies de De Heredia-Deprez (1990), et Vasseur (1990) sur la communication entre autochtones et trangers, envisagement tout particulirement les incomprhensions et les malentendus. Pekarek Doehler (2000) et Mondada & Pekarek Doehler (2000) dressent d'excellents bilans sur les croisements et recoupements entre l'tude des interactions en classe et les recherches sur l'appropriation linguistique, principalement de langues secondes et trangres.

Aborder l'apprentissage de la communication l'cole maternelle et lmentaire ne signifie pas paradoxalement envisager la question connexe de l'oralit et de son enseignement. L'irruption de l'oral dans une institution ducative tourne essentiellement vers l'crit, pratique partir des annes 70, est concomitante de l'avnement de la linguistique dans la formation des matres et dans la dfinition des programmes. La consultation de diverses publications, de Langue Franaise n13 de 1972, consacre au franais l'cole lmentaire , au numro 99 des E.L.A de 1995, qui dressent un bilan de vingt-cinq ans de rnovation l'cole lmentaire, indique clairement le rapport entre les dbats propos de l'apport de la linguistique dans ses contradictions avec la tradition grammaticale scolaire, et les activits autour de l'crit et de l'oral l'cole.

3. EMERGENCE DE LA NOTION DE COMMUNICATION DANS LE CHAMP DES SCIENCES SOCIALES

Depuis louvrage de Bachman, Lindenfeld & Simonin de 1981, et le recueil de textes consacr la nouvelle communication, collig par Winkin la mme anne, on a vu saffirmer dans le domaine franais des courants danalyse des interactions verbales et de recherche sur la communication non verbale (Corraze ; Deschamps). Louvrage de Caron (1983) a certainement exerc, sa parution, une forte influence sur les travaux danalyse des discours et des interactions verbales, au-del de la sphre de la psycholinguistique. On se reportera galement KerbratOrecchioni (1990 et 1991) pour un tat de la question.

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Dans le domaine de la linguistique, les premiers travaux publis sont marqus par une approche oriente vers lanalyse des discours selon des catgories sui generis, sur la base de corpus recueillis auprs denfants en franais langue maternelle (FLM) (cf. Franois, 1977, 1980, 1984). A ce courant sadjoint une direction plus sociolinguistique, issue de la rencontre de lanalyse conversationnelle et de lethnographie de la communication, rencontre dabord ralise dans les travaux en langue anglaise (cf. Gumperz 1989a, b). Dans les annes 80, les travaux linguistiques commencent galement sintresser aux inter-relations entre les activits communicatives et les activits dappropriation (Porquier & Noyau, 1984 ; Russier, Stoffel & Vronique, 1991). En parallle aux recherches linguistiques et smio-linguistiques sur la communication verbale, sont publis divers ouvrages sur la communication non verbale et sur la communication enfantine, qui relvent tout autant de la smiologie que de lthologie humaine (Corraze 1983 ; Cosnier & Brossard 1984).

A quelques exceptions prs (cf. Florin, 1985 et 1991 ; Nonnon, 1990 ; Schneuwly 1988), le dveloppement des capacits communicatives loral et lcrit en milieu scolaire semble avoir t peu tudi. Lide reue, depuis au moins la discussion en France de lhypothse de Bernstein sur la rpartition sociale des capacits socio-smiotiques (lhypothse du code restreint et du code labor) dans la population scolaire (cf. Espret, 1979 ; Franois, 1980), est que lcole doit contribuer lappropriation des registres et des types de discours labors.En 1985, Kail dcrit le retour en force du thme de la communication en psycholinguistique. Louvrage dit par Noizet & al. o parat cet article, ouvrage consacr au thme de la communication, complte ce qui sesquisse en ce domaine entre les travaux de psychologie sociale exprimentale (Beaudichon, 1982), la relecture de Vygotski par Bronckart et ses disciples (Bronckart, 1985), et Caron (1983) qui met en parallle les avances en pragmatique linguistique et ltat des travaux sur les rgulations du discours en psycholinguistique. Ces derniers travaux trouveront un cho non ngligeable par la suite en didactique du FLM. En 1986, un numro de Langue Franaise est consacr au thme Communication et enseignement . Chiss & Filliolet y crivent les lignes suivantes, toujours dactualit : Si la communication constitue indiscutablement lune des lignes de force du renouveau en didactique des langues depuis une vingtaine dannes, ses rfrents thoriques et ses techniques pdagogiques ont chang : alors que les travaux structuralistes sordonnent autour de notions comme outil ou fonction de communication, la nouvelle matrice pragmatique se construit en intgrant les concepts de situation, dnonciation, dinteraction .

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4. LA COMMUNICATION : PERSPECTIVES DEVELOPPEMENTALES

Lapprentissage de la communication dbute ds les premires interactions de lenfant avec ses partenaires humains, lorsque le nourrisson commence utiliser ses cris, ses pleurs, ses missions vocales pour agir sur autrui, et ds quil a reconnu en ladulte un partenaire privilgi : 2 mois, il vocalise davantage en sa prsence quen son absence. Quelques mois plus tard, les changes entre lui et son partenaire privilgi (en gnral sa mre) sont structurs dans le temps et les deux partenaires ne vocalisent plus simultanment, mais tour de rle, ce qui correspond une premire acquisition de tour de parole. Vers 6 mois, il peut suivre la ligne du regard de ladulte, puis attirer lattention de ladulte sur ce quil fait, lui montrer ce quil a dans la main ou offrir des objets. Si ladulte est dabord considr comme un moyen pour obtenir la satisfaction de ses besoins, et en quelque sorte instrumentalis, il est ensuite considr comme une fin en soi et devient, notamment au travers de lattention partage, un agent intentionnel (Tomasello, Kruger et Ratner, 1993), considr par lenfant comme susceptible dtre intress ou pas par quelque chose. Lmergence de lintention communicative saccompagne de regards et de gestes qui vont progressivement se conventionnaliser : pointage du doigt accompagn dchange de regards, offrandes, demandes avec inclinaison de la tte sur le ct

Si dans les premiers mois, cest principalement ladulte qui a linitiative de cette communication, lenfant devient progressivement un partenaire actif et il va lui-mme susciter les interactions. Il apprend parler dans un dialogue daction , comme la montr Bruner (1983), avec un adulte qui lui enseigne la fois des connaissances sur le monde et sur la faon de communiquer. Il comprend un certain nombre de fonctions pragmatiques du langage, avant de disposer dune matrise linguistique suffisante pour les exprimer (Bruner, 1995). Cest dans les formats dattention conjointe que lenfant va dvelopper son lexique, grce la dnomination propose par ladulte pour lobjet observ en commun ; plusieurs travaux ont montr que la quantit dattention conjointe est lie au dveloppement du lexique chez des enfants de 2 ans, et notamment du lexique rfrentiel, caractris par un taux lev de noms communs (Tomasello & Farrar, 1986 ; Dunham, Dunham & Curwin, 1993).

Dans une analyse de la communication prcoce, Van Straten (1990) rappelle les caractristiques du langage adress au bb tant sur le plan phontico-phonologique (timbre de voix lev, nombreuses variations mlodiques, utilisation frquente de la voix chuchote, lenteur du dbit) que sur le plan syntaxique (noncs brefs dcoupes par de longues pauses, peu d'hsitations et de rats etc.). ses yeux, dans l'interaction parents-bb, le comportement de l'enfant est souvent l'origine de l'interaction, bien que l'initiative de l'change revienne l'une ou l'autre des parties, ds 12 mois, voire avant. Le choix du thme et des enchanements, puisant dans des ressources verbales et non verbales, revient galement aux deux personnes impliques dans l'change. Entre la premire et la deuxime anne, le rle des moyens verbaux, et de leurs fonctions, notamment interogative et mtalinguistique, s'accrot. Thollon-Behar (1997) repre des schmes sociaux, constitus d'lments de mimo-gestualit et d'intentionnalit dans l'action, dans la communication adulte-bb. Ces schmes se transforment en schmes

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symboliques la fin de la priode sensori-motrice. Tout comme Van Straten, elle montre le rle important de l'adulte dans la communication prcoce mais galement le rle de la mimo-gestualit, et des moyens posturaux et vocaux chez le nourrisson.

Ainsi, il semble galement que le jeu symbolique avec combinaison dactions et de gestes soit contemporain des progrs dans la communication et que la combinatoire des actions soit corrle avec celle des lments verbaux : les enfants progressent simultanment dans les deux registres. L'imbrication du verbal et du non verbal dans l'ontogense appelle des prcisions.

4.1 Communication verbale et non verbale : complmentarit et / ou autonomie

Des recherches ont t conduites afin de comprendre les articulations entre les composantes verbales et non verbales de la communication en face face ; Nouveaux actes smiotiques Geste, cognition et communication de 1997 (52-54), par exemple, est tout entier consacr l'tude de la mimo-gestualit. On s'est ainsi interrog sur la fonctionnalit des signaux non verbaux, sur leur comprhension et leur traitement. On s'est interrog sur l'autonomie du non verbal ou inversement sur la valeur linguistique des gestes rfrentiels de la main et leur complmentarit avec le verbal (Feyeresein, 1997), sur le caractre multifonctionnel de la gestualit discursive et son rle dans la coordination des changes entre deux interlocuteurs (Cosnier & Vaysse, 1997). Ainsi, Calbris (1998) examine l'illustration gestuelle des sens figurs ou abstraits lors de la communication, travers une analyse des relations entre le geste et l'image verbale d'une part, et entre le geste et l'imagerie mentale d'autre part.

Bates, Dale & Thal (1995) ont montr que la comprhension de mots saccompagne de limitation de nouveaux gestes. De mme, la production des premiers mots saccompagne de gestes de dsignation, de gestes conventionnels (bravo, au revoir, etc.), de gestes symboliques (faire semblant de boire, de tlphoner, etc.). Pour certains auteurs (Morford & Goldin-Meadow, 1992 ; Capirci et al., 1996), les gestes constituent un mcanisme de transition dans laccs au langage : les gestes sont dabord produits seuls, puis accompagns de mots. Comme pour le lexique, la comprhension des gestes prcderait la production : les enfants peuvent comprendre des combinaisons de gestes et de mots sans pouvoir les produire. La frquence des gestes dclinerait lorsque lenfant parvient combiner des mots. Guidetti (1998, 2001) montre au contraire que le rpertoire des gestes conventionnels est large et saccrot avec lge : ils constituent une modalit de communication relativement indpendante du langage, et non pas une modalit transitoire avant laccs la combinaison des mots. Elle propose donc dintgrer ltude de leur dveloppement dans une analyse pragmatique de la communication, prenant en compte leurs diffrentes formes et fonctions, comme pour les actes de langage. Selon Tourrette (1999), lattention conjointe, la dsignation gestuelle, les gestes symboliques sont actuellement plutt considrs comme des prcurseurs de la thorie de lesprit, qui est indispensable la communication non verbale puis verbale.

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Beattie & Shovelton (1999) prsentent les deux principales thses qui tentent de rendre compte des gestes manuels valeur iconique qui accompagnent le discours. La thorie de McNeill pose que les gestes et le discours sont deux facettes d'une mme structure psychologique tandis que celle de Butterworth & Hadar postule que la composante verbale est la seule qui soit ncessaire pour rendre compte du sens du message, le geste apparat alors comme redondant par rapport au discours. A partir de l'analyse d'enregistrements vido de sujets racontant des dessins anims, les auteurs tentent de dterminer la part d'information smantique qui revient au discours et celle qui revient aux gestes accompagnateurs

Lock (1997) plaide, quant lui, pour une vision du dveloppement linguistique et langagier ou symbolique en termes de stade pr-symbolique, symbolique et propositionnel o les lments verbaux et gestuels sont dans un rapport de complmentarit et de continuit. Certaines units verbales peuvent avoir un contenu pr-symbolique, tandis que des comportements non verbaux peuvent avoir une valeur propositionnelle. Blake, Olshansky, Vitale & Macdonald (1997) indiquent que la communication non verbale remplit tout la fois un rle de prcurseur de la communication verbale et qu'elle se dveloppe galement indpendamment du verbal chez le jeune enfant.

Dans une exprience conduite auprs de cent quarante-quatre enfants, appartenant trois groupes d'ge (trois, quatre et cinq ans), Bradmetz, Barillot & Fauvinet (2000) tablissent que les enfants de trois ans ne parviennent pas rsoudre les conflits entre les informations discordantes fournies par les canaux verbal et gestuel dans une simulation de communication en face--face. Ce n'est qu' partir de quatre ans que l'information verbale crase l'information gestuelle si cette dernire n'est pas congruente avec le message.

Baider, Roman & Embleton (1998) examinent la connexion entre la communication verbale et la communication non verbale qui l'accompagne, afin de dterminer si toutes les mtaphores exprimes par des adjectifs sont galement exprimes gestuellement. Ils soumettent des sujets bilingues franais /anglais l'exprience suivante : ils sont chargs de lire un extrait de bande dessine puis de le raconter. Les rsultats indiquent qu'il existe bien une corrlation entre les mtaphores linguistiques et les mtaphores gestuelles, et qu'en outre, les gestes peuvent tre

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utiliss pour remplir un vide ou un silence, ce qui peut reprsenter une fonction complmentaire de la modalit non verbale lorsque la modalit verbale n'est pas accessible. La recherche mene par Cassell, McNeil & McCullough (1999) tablit que les rcepteurs de message font tout autant attention l'information gestuelle qu' l'information verbale, mme lorsque le message gestuel semble contredire le message verbal. Barrier (1997) postule, quant lui, une autonomie de la mimo-gestualit par rapport au verbal.

Garber, Alibali & Goldin-Meadow (1998) ont conduit une recherche exprimentale pour dterminer si la gestualit enfantine est porteuse d'informations que d'autres enfants seraient susceptibles de comprendre, dans un autre contexte. Des enfants de CE2 (fourth-grade) sont interrogs propos de la rsolution de problmes mathmatiques. Les squences gestuelles d'explication, l'exclusion du verbal, sont repres. On vrifie par la suite si les mmes enfants peuvent rcuprer l'information gestuelle dans une tche d'valuation qui n'implique pas de communication non verbale. Les enfants interprtrent positivement les solutions non verbales qu'ils avaient proposes au dtriment de solutions qui n'manaient pas d'eux. Il semble que la gestualit soit un support qui permette aux enfants de vhiculer des connaissances. Ces savoirs vhiculs non verbalement sont disponibles pour d'autres tches.

La recherche de Hadar, Wenkert-Olenik, Krauss & Soroker (1998) sur la gestualit coverbale chez des sujets souffrant de diffrents types d'accidents crbraux indiquent que des gestes idationnels, lis au contenu des units lexicales produites, rendent la rcupration lexicale plus facile. Les processus lexicaux et conceptuels n'exercent pas la mme influence sur les gestes idationnels. L'observation systmatique des comportements de communication non verbale chez le jeune enfant en crche conduite par Khebbeb (1998) dmontre l'existence d'interactions sociales dans les groupes de pairs et l'mergence de profils comportementaux. Ces profils sont du type hdonique lorsqu'ils sont bass sur l'offrande, la sollicitation et les liens d'apaisement, et du type agoniste lorsqu'ils s'appuient sur la menace et l'agression. La modulation de ces comportements se fait en fonction de l'ge de l'enfant, de l'imitation des pairs et de l'environnement familial. 4.2. Communication non verbale et dveloppement langagier

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Une recherche de Smith (2000), sur le dveloppement linguistique et communicatif subsquent d'une cohorte de 145 enfants de 10 mois choisis alatoirement, 24 mois et 35 mois, confirme que la communication pragmatique prcoce de l'enfant (production de signalisation et coordination de l'engagement mutuel) est un bon prdicteur des difficults communicationnelles et linguistiques rencontres 24 et 35 mois.Akhatar et al. (1991) rapportent l'exprience suivante. Des vidogrammes d'interactions entre des mres et leur enfant, g de 13 mois, ont t raliss. Cent noncs provenant de la mre ont t analyss en termes d'intention pragmatique. Les noncs prescriptifs ont t envisags comme soit modifiant le focus attentionnel de l'enfant, soit s'inscrivant dans la suite de son activit. Les rsultats des observations indiquent qu'une focalisation conjointe et le guidage du comportement des enfants devraient avoir un effet positif sur le dveloppement de l'enfant.

Lenfant acquiert les bases de sa langue maternelle dans les premires annes de sa vie : 2 ou 3 ans il parvient se faire comprendre, au moins de son entourage ; 5 ans, il possde gnralement les structures de base de sa langue maternelle, tant du point de vue du vocabulaire de la vie quotidienne que des constructions syntaxiques courantes ou des principales fonctions de la communication. Les explications innistes se sont dailleurs fondes souvent sur la rapidit de ces acquisitions. Or, outre le fait quun enfant utilise ou produit certaines structures ou units de la langue ne signifie pas quil le fasse de la mme manire des ges diffrents, de nombreuses annes lui seront encore ncessaires pour dvelopper ses comptences discursives et choisir les formes linguistiques adaptes ses intentions de communication.

Dannequin (1989) rapporte une recherche conduite auprs d'enfants de trois coles maternelles de la rgion parisienne, gs de 5-6 ans (grande section de maternelle), observs en interaction en petit groupe (6 9 participants) ; leur tche est d'laborer, en commun, un projet d'animation. L'objet de la recherche est d'observer les moyens verbaux et non verbaux employs par les enfants pour rguler et grer les tours de parole dans le groupe. L'une des premires observations a trait aux changements continuels de postures des interactants. Dannequin note que les combinaisons - changements posturaux, gestes et production d'noncs - peuvent tre successives ou simultanes. La combinaison la plus frquente semble tre un changement postural, qui prcde un geste, suivi d'une prise de parole. L'attitude corporelle ou le geste semble avoir pour rle de prparer les autres participants l'nonc qui suit. Elle constate galement que le rpertoire gestuel et postural utilis par les enfants est partag par tous.

5. LES VARIATIONS DANS LES PROCESSUS DE SOCIALISATION LANGAGIERE

5.1. Les interactions adulte-enfant et le langage adress lenfant

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Quelle que soit la place accorde aux dispositifs inns qui sous-tendent le dveloppement des comptences de communication, les enfants napprennent pas communiquer et parler tout seuls. Les recherches des annes 7080 (cf. Rondal, 1983, pour une revue de question) effectues sur un nombre important de langues, montrent que les parents - ou, plus largement, les personnes qui assurent la prise en charge des jeunes enfants, dans les diffrentes cultures - sont sensibles lvolution des capacits de communication de leur enfant ; le langage quils lui adressent est modifi pour de nombreux aspects (hauteur tonale, intonation, dbit de parole, diversit lexicale, complexit syntaxique, fonctions du discours). Le langage simplifi adress au jeune enfant va progressivement se complexifier, selon lvolution de celui-ci.

5.2. Les processus de socialisation langagire

Le processus de socialisation, cest--dire dadaptation dun enfant au milieu socioculturel dans lequel il est lev, est universel, mais son contenu varie largement selon les cultures : chaque socit, chaque groupe social dveloppe une conception de lducation qui reflte ses propres valeurs culturelles. Lun des instruments de la socialisation est le langage, comme la dvelopp Vygotsky (1985), et cest en ce sens quon peut parler de socialisation langagire travers la communication et le langage (Bruner, 1983 ; Snow, 1986). Lapprentissage de la communication correspond aussi cette adaptation de lenfant son milieu, travers plusieurs aspects (Ely & Gleason, 1995) : - Une part importante de la socialisation est effectue explicitement par le langage que les adultes adressent aux enfants pour leur expliquer le monde, leur donner des directives, leur raconter des histoires. - Les enfants doivent galement apprendre les conditions dusage du langage lui-mme : savoir ce quil faut dire, quand, comment et qui le dire, pour reprendre la terminologie de la pragmatique du langage. - Les enfants participent des interactions verbales marques, souvent de manire subtile, quant aux rles, aux statuts et dautres aspects de la structure sociale. Cest le cas par exemple du marquage du genre travers les contextes de communication parents-enfants choisis pour les garons et les filles, les premiers tant davantage sollicits dans des contextes de jeu et les secondes dans des situations daide) ou travers la frquence des interruptions, plus leve avec les filles quavec les garons (Gleason & al., 1994 ; Greif, 1980 ; Wells, 1985).

Dans les socits occidentales, il est frquent que les enfants soient insrs, ds leurs premires annes, dans des lieux de socialisation diffrents : la famille, lcole et souvent un autre mode daccueil avant la scolarisation (crche, jardin denfants, assistante maternelle, halte-garderie). De ce fait les comptences de communication se dveloppent dans des contextes multiples, dont les rgles et les pratiques sont probablement diffrentes (Florin, 1998).

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5.3. Le rle des partenaires dans lapprentissage de la communication et du langage

Les comparaisons interculturelles montrent que les processus de socialisation langagire varient selon les cultures et les milieux (voir Lieven, 1994 ; Ochs & Schieffelin, 1995) : plusieurs aspects de ladaptation du langage de ladulte adress lenfant (LAE), lorganisation des formats de communication, la poursuite du thme initi par lenfant ne se manifestent pas galement dans les diffrents groupes sociaux tudis. Il est donc difficile de considrer que telle ou telle caractristique du LAE ou de linteraction adulte-enfant, dont on peut penser quelle aide lenfant dans lacquisition du langage, en soit une condition ncessaire, dans la mesure o son effet direct sur le dveloppement du langage de lenfant na pas t attest. Selon plusieurs auteurs (Schachter, 1979 ; Bruner, 1983 ; Florin, 1995), ce serait davantage le cadre conversationnel offert par linterlocuteur lenfant ou son style langagier (Hampson & Nelson, 1993) qui produiraient des effets sur le dveloppement langagier, plutt que telle ou telle caractristique locale dadaptation. Une autre difficult dinterprtation vient du fait que ce qui peut aider lenfant un moment donn de son dveloppement peut ne pas avoir deffet un autre moment, comme le souligne Veneziano (2000). Ceci a t dmontr notamment pour lacquisition du premier lexique et du lexique ultrieur (Snow, 1994, 2001), pour la qualit de la production orale (Lano, 1999).

Selon dautres auteurs (Nelson, 1987 ; Nelson et al., 2001), des vnements rares peuvent suffire pour produire des effets sur les comptences de communication. Un seul ou quelques pisodes dapprentissage peuvent ainsi permettre des acquisitions significatives, et cest alors la varit des expriences de communication et celle des modalits du LAE qui doivent tre privilgies. Lapprentissage de la communication est conu selon un modle complexe, intgrant de multiples facteurs dordre social, motionnel, perceptif, moteur, linguistique et cognitif. Lorsque lenvironnement prsente de manire dynamique des challenges clairs, explicites avec un bon niveau dajustement, de soutien (dencouragement) de la rgulation motionnelle et motivationnelle et la mise en valeur de traitement structural spcifique (paraphrases, expansions, utilisation de canaux dinformation multiples), lapprentissage peut tre rapide. De mme, lapprentissage de nouvelles habilets de communication serait favoris par la mise en place par ladulte de situations faisant appel chez lenfant la persvrance, la planification et au contrle de son activit. Cest ainsi que des apprenants faibles dans un domaine peuvent apparatre soudainement comme des apprenants trs comptents. Selon Nelson et al. (op. cit.), ceci vaut pour les enfants ne manifestant pas de dficit, mais galement pour les enfants autistes ou souffrant de troubles auditifs, pour la communication artistique tout autant que la communication par le langage, pour lapprentissage dune premire ou dune seconde langue. Mais lenvironnement ( la maison ou lcole) fournit des conditions dapprentissage qui peuvent tre extrmement diffrentes selon les enfants.

6. LA COMMUNICATION EN MILIEU SCOLAIRE

6.1. La spcificit des situations de communication en milieu scolaire

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Dans les annes qui prcdent la scolarisation, les enfants dveloppent leurs comptences de communication verbale et non-verbale au contact de diffrents adultes et des autres enfants avec lesquels ils ont des expriences interactives. La premire scolarisation correspond, pour tous les enfants, la dcouverte de nouvelles situations de communication avec de nouveaux partenaires. Lune des premires spcificits reprables est la dimension du groupe : quels que soient les modes daccueil prscolaires utiliss par la famille (garde la maison, crche ou jardin denfants, halte denfants, assistante maternelle, etc.), lenfant se trouve insr dans un groupe relativement large2 au sein duquel il doit apprendre trouver sa place ; bien souvent, il nest en interaction avec ladulte quau sein du groupe, et - autre spcificit - pour parler dun thme choisi par lenseignant, thme quil sagit de traiter selon des modalits prcises (Florin, 1998).

6.2. Le contexte scolaire dapprentissage de la communication : les interactions enseignants-lves

On peut situer au dbut des annes soixante-dix les premires descriptions des interactions verbales en milieu scolaire, lcole lmentaire, au collge et au lyce. On a ainsi soulign lasymtrie de la participation verbale et des rles de lenseignant et des lves (Delamont, 1976 ; Stubbs & Delamont, 1976 ; Brossard, 1981 ; Merritt, 1982). Lenseignant monopolise une grande partie du temps de parole et contrle ainsi la conversation (Rondal, 1978 ; Postic, 1979 ; Jones & Pouder, 1980). Ces pratiques ont des effets diffrentiels sur la participation des enfants, certains utilisant plus que dautres le peu de temps de parole qui leur est laiss. En outre lenseignant semble oprer un tri parmi les lves qui demandent la parole, en sollicitant plutt ceux qui se conforment aux buts quil se fixe (Postic, 1979). Cest galement lenseignant qui dfinit le thme de la conversation, partir duquel les enfants doivent construire des discours pertinents, en rponse aux nombreuses questions, souvent fermes, qui leur sont adresses (Leroy, 1970 ; Franois, 1980). Dans les annes soixante-dix, on considrait que lcole maternelle tait dune autre nature, une cole o les enfants ne sont pas contraints et o tout est mis en uvre pour dvelopper chez eux lexpression libre (Lurat, 1977). Les tudes de Florin, Braun-Lamesch, Bramaud du Boucheron (1985) et Florin (1991) ont montr que cette spcificit napparat pas et que les interactions verbales lcole maternelle sont assez similaires celles des niveaux scolaires ultrieurs.

Lenseignant dirige fermement la conversation par divers moyens : quantit de discours produit (il parle plus que tous les enfants runis), nombreuses questions fermes, vrification de connaissances, subtile distribution de la parole, changes trs brefs entre lenseignant et les lves ; les changes entre enfants sont rares, de courte dure et peu encourags. Quels que soit la situation ou lge des enfants, le discours magistral est peu adaptatif (il varie peu) Le ratio adulte-enfants varie selon les modes daccueil et selon les pays. Il va de 1 pour 30 dans des institutions prives en Espagne 1 pour 10 dans des institutions publiques en Europe du Nord. En France, une classe dcole maternelle runit en moyenne 25 enfants ; ils sont encadrs par deux adultes lorsque lenseignant est assist par un2

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et les conversations en maternelle prsente globalement les mmes caractristiques que celles de lcole lmentaire, lorsque lenseignant fait un cours sur un point dtermin du programme.

Si lon reprend les trois aspects du processus de socialisation langagire dfinis prcdemment (2.2. cidessus), il apparat que les jeunes lves reoivent de nombreuses explications du monde et des directives (requtes daction, contrle du comportement, rappel des consignes, rituels quotidiens) et les histoires, notamment les contes traditionnels, constituent un support des interactions au moins quotidien. Quant lapprentissage des normes dusage du langage, cest essentiellement dans limplicite que les enfants doivent apprendre ce quil faut dire, quand et comment le dire. Loin de respecter le schma trinitaire de linteraction ducative dfini par Sinclair & Coulthard en 1975 (question du matre -rponse de llve - valuation par le matre), les enfants reoivent peu de rponses magistrales leurs interventions (en moyenne une fois sur deux) ; soit le matre sadresse immdiatement aprs un autre lve, soit un autre enfant prend spontanment la parole, dans des changes rapides et extrmement brefs.

De plus lenseignant opre une subtile gradation des non-rponses en fonction du degr de pertinence des interventions enfantines. Par ses rponses ou leur absence, le rle cognitif de lenseignant apparat comme une fonction de focalisation, indiquant les aspects qui constituent le gros plan et ceux qui doivent rester larrire-plan. Bien sr, il existe des dcalages frquents entre les perspectives de ladulte et celles des enfants, et la question de lintercomprhension entre enseignant et lves est tout fait centrale. Elle constitue, du point de vue de lenseignant, le moyen par lequel ses objectifs didactiques peuvent acqurir une certaine ralit ; pour les enfants peu familiariss avec ce type dinteraction, lobjectif peut savrer beaucoup trop implicite dans une interaction quils assimilent une activit de communication ordinaire (Spigolon, 2001).

Pour ce qui est du marquage de divers aspects de la structure sociale, les lves doivent apprendre que limportant est de traiter le thme aussi compltement que possible, quel que soit lauteur de la contribution : lenseignant rpond davantage la classe quaux lves, et leur apprend ainsi se considrer comme les membres dun groupe qui doit raliser collectivement une certaine tche verbale. De plus, lorsque lenseignant rpond, il sadresse aux enfants qui parlent et sollicite peu les autres, qui restent ainsi rgulirement lcart de la communication. Enfin, par le jeu des questions et des non-rponses magistrales, les enfants apprennent rapidement que les rles sont fixs : cest lenseignant qui pose des questions et il leur appartient de lui rpondre.

Dans ces conditions, les difficults de communication des enfants sont nombreuses : les plus jeunes (2-3 ans) produisent de nombreuses rponses incorrectes (20% en moyenne), faute de comprendre exactement de quoi il faut parler ou par manque de connaissances par rapport aux questions poses ; le discours des enfants est peu complexe et peu informatif, souvent composs de mots isols (plus des 2/3 des noncs jusqu 5 ans) qui rpondent aux nombreuses questions fermes de lenseignant, dans des sortes dexercices trous du type Et la galette descend Agent Territorial Spcialis dEcole Maternelle, ce qui nest pas toujours le cas (cf. Florin, 2000, pour une revue de

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de la ? fentre ! . La rpartition des prises de parole est trs ingalitaire tous les niveaux scolaires : si quelques enfants parlent beaucoup, environ un tiers de leffectif ne participe pas ou quasiment pas aux changes, et ceci de manire rgulire. Dans le passage CM2/ 6me, Manesse (1987) montre que, si on parle beaucoup en classe de franais on parle plus quon crit -, les changes rapides ne permettent pas aux lves de dvelopper des prises de parole autonomes et complexes. On rejoint l une contradiction entre les objectifs dclars des enseignants et les pratiques relles de classe, telle que De Pietro & Wirthner (1998) ont pu la mettre en vidence dans une tude conduite avec des enseignants suisses.

6.3. Quest-ce qui sapprend et quest-ce qui senseigne ?

Il est vrai que la mise en place dactivits de communication orale en classe prsente des difficults relles, comme le souligne Nonnon (1999) : difficults matrielles lies la taille des groupes, au temps ncessaire, aux problmes techniques pour lcoute ; difficults pdagogiques avec, notamment, le risque daccrotre la discrimination dlves lhabitus non conforme , interfrence avec des aspects sociaux ou psychologiques ; difficult dfinir des objectifs prcis et valuer le travail effectu et les productions des enfants. La programmation des activits pose le problme de ce qui peut tre enseign en rapport avec ce qui peut tre appris, tant pour loral que pour lcrit, ainsi que celle des interventions magistrales et de la place donne llve dans la parole scolaire (Halt, 1993 ; Florin, 1995).

6.3.1. Loral comme objet de travail

Selon Nonnon (op. cit., p. 110), la plupart des chercheurs seraient daccord pour dire que loral peut tre objet de travail explicite lcole, sinon quil senseigne, condition dviter toute illusion techniciste. Comme pour lcrit, la question est de savoir ce qui de loral peut tre enseign directement, ce qui passe par des modes dapprentissage incidents ou indirects, ce que veut dire enseigner dans ce cas. Cela pose celle des rapports entre pratiques orales et explicitation des rgles et savoirs linguistiques, donc la place du mtalangage. Nonnon (op. cit.) reprend galement la question de la temporalit des apprentissages : quelles comptences est-il possible datteindre court, moyen et long terme travers des squences didactiques ? Plusieurs auteurs (Perrenoud, 1991 ; GarciaDebanc, 1996 ; Nonnon, 1999) rejoignent les psycholinguistes du dveloppement pour considrer quil vaut mieux privilgier une pdagogie extensive visant le long terme, par la multiplication de situations mmes minuscules (on pourrait ajouter, en reprenant le point de vue de Nelson (2001) : mmes rares) obligeant des reprises et des transferts. Peut-on valuer les acquisitions aprs une intervention pdagogique, en proposant une mesure classique (valuation initiale/finale) ? Comment rendre compte des transferts dans des situations non homognes celles qui

question).

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ont t travailles ? Par ailleurs la communication engage des comptences plus gnrales, au niveau cognitif et celui des attitudes : il faut galement tenir compte de la qualit des connaissances et des concepts utiliss, des capacits de synthse, de prise en compte du point de vue dautrui. Comme le souligne Nonnon, les carter risque daboutir au formalisme.

6.3.2. Comment dfinir les capacits acqurir

Un autre point de dbat est celui des capacits acqurir : peuvent-elles tre dduites dune analyse des conduites expertes, comme on a pu le faire pour lapprentissage de la lecture (en supposant quil y ait quelque homognit entre les deux apprentissages, ce qui nest pas dmontr) ? Le manque dtudes descriptives des conduites de communication dadultes experts, tout comme la raret des tudes gntiques sur le dveloppement des conduites de communication chez lenfant et ladolescent ne permettent gure davoir une vue densemble des volutions.

Au cours des annes soixante-dix, du moins dans la littrature francophone trs inspire des travaux de Bernstein et de son hypothse de code restreint et de code labor (Espret, 1979 ; Franois, 1980), lintrt principal portait sur la matrise de la langue et les composantes du langage labor, surtout lexicales et syntaxiques. Le modle dapprentissage tait essentiellement celui de limprgnation ; cest celui qui apparat en France dans le texte officiel des objectifs pour lcole maternelle (Ministre de lEducation Nationale, 1977), dans lequel on nutilise pas encore le terme communication : Le langage ne senseigne pas, on le sait, mais se construit par un effort personnel et permanent de lenfant, qui discrimine dans les modles adultes les mots ncessaires lexpression de ses dsirs ou manifestant ses options. On prne alors lexposition un bon modle de langage que llve intrioriserait travers des exercices structuraux et la participation une interaction intensive avec ladulte qui fournit le matriau linguistique et en favorise lappropriation et lautomatisation par lenfant (Lentin, 1976, 1977). Ces pratiques ont t largement utilises dans lcole maternelle franaise, tout en faisant lobjet de nombreuses critiques sur la

valorisation de la norme et de la langue standard, sur cette conception de lapprentissage par imitation et renforcement dans des situations dcontextualises, et leur peu defficacit en dehors des situations dexercice. Suite aux travaux de Labov et de la sociolinguistique, la notion de norme a t largement critique (Franois, 1977 ; Stubbs, 1983 ; Bronckart & al., 1985). Laccent a t mis sur la ncessit dlargir le rpertoire verbal des enfants, de les aider varier leurs conduites de communication selon les situations, sans que tout formalisme soit pour autant abandonn, avec la dfinition des variantes possibles ( niveaux de langue , registres de langue ) et de situations dexercices correspondants.

6.4. Lhtrognit des comptences et leur stabilit

Ainsi que nous lavons dj soulign, les comptences des lves en matire de communication sont trs htrognes, et ce, ds les dbuts de la scolarisation : certains jeunes enfants arrivent lcole en parlant de manire

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incomprhensible, alors que dautres disposent de capacits de communication diversifies et sont laise pour changer avec les adultes de lcole et les autres enfants. Quest-ce qui fait que lon communique efficacement ?

Wilkinson & Calculator (1982) ont ralis une tude sur les locuteurs efficaces dans des interactions scolaires entre enfants de 6-7 ans. Ils ont montr que plusieurs paramtres sont prdictifs de rponses appropries : faire des requtes dinformation plutt que des requtes daction, les exprimer dans une forme directe, les adresser un locuteur dsign.

Eder (1982) a tudi les diffrences de styles communicatifs entre jeunes enfants (environ 6 ans) en situation scolaire. Ltude porte sur une classe du premier grade dans laquelle les 23 lves sont rpartis, ds la rentre scolaire, en quatre groupes de niveaux daprs leurs comptences en lecture. Outre le fait que lessentiel de lenseignement est dispens sur la base de ces groupes de niveau, chaque groupe se runit quotidiennement avec lenseignante pendant 20 minutes pour des activits de lecture et de discussion. Lauteur procde une analyse des interactions pendant ces sances en petits groupes de 4 ou 6 lves (32 sances : 8 pour chaque groupe) et pendant six discussions gnrales de la classe tout entire. Le codage des actes de langage des enfants est inspir des dfinitions dveloppes par Corsaro (1979) : les initiatives ainsi que les interruptions des tours de parole sont codes distinctement selon quelles sont en rapport ou non avec le thme dfini par lenseignante. Les catgories de codage des rponses magistrales sont voisines de celles utilises par Mehan (1979) : rprimander (lenseignante dcourage explicitement llve de poursuivre), interrompre, ignorer, rpondre lnonc (faire au moins un commentaire reli celui de llve. Les rsultats indiquent tout dabord que les enfants du groupe de niveau le plus lev manifestent de plus grandes comptences de communication par rapport leurs camarades, en ce sens quils prennent davantage la parole : dans les discussions en petit groupe, 54 initiatives pour 17 dans les deux autres groupes de niveau mdian et 8 dans le groupe de niveau faible ; 17 initiatives dans les discussions gnrales (toute la classe) pour 4 dans les deux groupes de niveau mdian et 0 dans le groupe de niveau faible. La plupart des initiatives des enfants ne reoivent pas de rponse de la part de lenseignante, avec une diffrence notable selon que les commentaires sont relis au thme (42% de rponses magistrales) ou non (12% de rponses magistrales seulement). Les lves des deux groupes les plus forts produisent plus de remarques dans le thme que les membres des deux groupes faibles. Les enfants sinterrompent frquemment les uns les autres et la majorit de ces interruptions sont ignores par lenseignante quel que soit le groupe. Cependant les interruptions dans le groupe de niveau le plus faible reoivent plus souvent des rponses magistrales et moins souvent des rprimandes que dans les autres groupes. En fait ces interruptions diffrentielles ne concernent que les interruptions en rapport avec le thme de la discussion. Selon lauteur, il y aurait l une tentative de la part de lenseignant pour encourager la participation des lves faibles et maintenir leur intrt pendant les tours de parole de leurs camarades. Mais il semble que les rponses diffrentielles contribuent dvelopper des styles de communication diffrents selon les groupes : entre lautomne et le printemps, le nombre dinterruptions entre enfants dans le groupe fort diminue de 56%, alors quil augmente de

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47,5% dans le groupe faible. Dans ce dernier, ce sont les interruptions en rapport avec le thme qui augmentent ; les interruptions hors thme, systmatiquement dcourages, diminuent dans tous les groupes. Ainsi, la principale diffrence de style communicatif dveloppe dans la classe concerne la distribution des noncs et non pas leur pertinence thmatique : contrairement aux lves forts, les lves faibles nont pas appris les rgles de prise de parole en classe.

Green et Harker (1982) ont tudi les tentatives dlves dcole maternelle pour participer la discussion avec le matre ou avec le groupe lorsque dautres ont la parole ou lorsquelle est ouverte tous. Les auteurs montrent que prendre la parole est une tche complexe : les enfants doivent dterminer quand, propos de quoi, et qui ils peuvent parler. Parler propos du thme dfini est une condition ncessaire, mais non suffisante pour tre admis parler ; les enfants doivent reprer les demandes de participation et les rgles gouvernant cette participation ; ils doivent galement slectionner dans leur rpertoire les moyens comportementaux appropris. Tout cela sapprend partir des informations reues sur les rgles de participation, ; partir aussi de leur observation de leurs interactions avec lenseignant et de ce qui se produit lorsque les rgles ne sont pas respectes.

Comme le souligne Florin (1991), les comptences des enfants dans cette tche complexe sont trs htrognes, et les variations interindividuelles de prise de parole effectives ne font que renforcer cette htrognit. Prendre la parole et recevoir une rponse de lenseignant est dabord la manifestation dune certaine comptence communiquer ; cest aussi la manifestation dune capacit saffirmer socialement dans des situations particulires ; cest enfin la condition mme de lexercice de comptences communicatives, sociales et linguistiques. A contrario, les enfants qui ne parviennent pas se faire entendre, qui se trouvent en marge du processus communicatif, sont dfavoriss pour progresser dans la matrise de la langue. Sil est vrai quune faible participation des changes directs nempche pas un enfant danalyser les interactions auxquelles il assiste (par exemple entre sa mre et un enfant plus g) et de comprendre ce qui se passe entre les partenaires (Dunn & Munn, 1985), il savre quobserver les autres ne suffit pas pour dvelopper ses comptences ; il faut aussi participer activement aux changes de communication, ainsi que Bruner (1983) la montr.

Dans un suivi longitudinal de 200 enfants dcole maternelle et lmentaire (cycles 1 et 2) sur une dure de quatre ans, Florin (1991) montre que les comportements de participation aux conversations scolaires sont stables : statistiquement, les petits parleurs ou les non-parleurs tendent le rester ; de mme pour les grands parleurs. En outre, la participation aux conversations scolaires constitue le prdicteur ou lun des prdicteurs3 en maternelle de ladaptation ou de la russite scolaire dans les premires annes dcole lmentaire. Florin (Florin & al., 1985 ; Florin, 1991) relve que les grands parleurs sont ceux auxquels les enseignants sadressent le plus, la fois pour les solliciter et leur rpondre, ce qui contribue encourager leur participation aux changes de la classe. Les enseignants3

Selon le nombre dannes qui spare la prdiction du niveau atteint en lmentaire. B.Zazzo (1978) avait dj constat que la participation la conversation scolaire en dernire anne de maternelle constituait le meilleur prdicteur de ladaptation scolaire en premire anne lmentaire.

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les valuent plus positivement sur un ensemble de dimensions comportementales (capacits de communication, attitudes face aux tches scolaires, intgration dans la classe, etc.) et les petits parleurs apparaissent en quelque sorte en ngatif par rapport leurs camarades plus loquaces. Il savre par ailleurs que grands, moyens et petits parleurs nont pas les mmes comptences langagires, telles quelles peuvent tre values grce diverses preuves en comprhension et en production. Toutefois les diffrences semblent se situer moins dans le domaine de la comprhension que dans celui de la production, et lampleur des diffrences, lorsquelles existent (tests dinformation et de vocabulaire de la WWPSI, preuve de production en labsence de rfrents) nexplique pas lampleur des carts de participation la conversation scolaire. Il importe de chercher galement dautres explications dans les conditions de pratique des changes enseignants-lves en classe.

Evans (1996) confirme un certain nombre de ces rsultats. Elle a ralis une tude longitudinale de deux ans avec 128 lves, afin dexplorer les facteurs associs la loquacit lcole maternelle et au premier grade, ainsi que la stabilit des styles conversationnels dans le temps et divers contextes. Elle emprunte Leary (1983) le terme reticent pour caractriser des enfants qui participent peu aux conversations scolaires. Certains enfants reticent peuvent tre considrs comme timides, ayant un certain repli social, une inhibition comportementale, ou une apprhension communiquer. Lapprhension communiquer peut tre transitoire ou limite un contexte particulier. Aussi Evans tudie-t-elle la stabilit des styles conversationnels denfants dcole maternelle dans deux autres situations : la maison et en classe de premier grade. Les lves sont classs par leur enseignant lautomne en deux groupes : les parleurs et les silencieux . Au printemps, environ un tiers des enfants silencieux deviennent plus loquaces, ce qui conduit une subdivision de ces enfants en deux sous-groupes : les enfants reticent , qui restent silencieux, et les enfants mixtes qui deviennent plus loquaces. La distinction savre pertinente, puisque les enfants du groupe reticent obtiennent, par rapport aux enfants parleurs , des valuations parentales moins bonnes de leurs capacits de communication la maison, ainsi que des scores plus faibles une srie de tests langagiers administrs pendant la premire anne dcole lmentaire. Le groupe mixte obtient des scores intermdiaires. On observe une certaine stabilit de la participation la conversation scolaire lanne suivante (1re anne lmentaire) : Les enfants loquaces le demeurent, et la moiti des enfants du groupe reticent restent silencieux. Les meilleurs prdicteurs en maternelle des rsultats obtenus lanne suivante sont lvaluation par les enseignants des capacits de communication et les rsultats un test de vocabulaire.

Alors quavec des sujets plus gs, une corrlation ngative a t mise en vidence par plusieurs auteurs (Buss, 1984 ; Rubin & al., 1989) entre lestime de soi et lanxit dans la communication, la timidit, le repli social, Evans ne trouve pas de diffrence dans lestime de soi des trois groupes dlves : reticent , mixte , parleur . La question des aptitudes verbales a souvent t voque, mais peu tudie. Plusieurs auteurs supposent que les lves qui sont moins comptents sur le plan verbal ou non verbal ne sont pas capables de rpondre aussi bien ni aussi vite lors les conversations scolaires. Rubin (1982) a trouv des scores plus faibles dans le lexique en rception ; Evans note un discours expressif moins complexe, Landon & Sommers (1979) trouve des performances moindres des tests de morphologie en production, de syntaxe en rception et de rptition de phrases. Dans ltude dEvans, les

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enfants du groupe reticent sont dcrits par leurs parents comme moins loquaces que les autres et timides lorsquils rencontrent des adultes inconnus. Il semble donc que les comptences langagires et de communication contribuent largement expliquer la participation la conversation scolaire, et quil importe de dvelopper ces comptences travers une participation active.

7. COMMUNICATION ORALE ET DIDACTIQUE DU FRANAIS, LANGUE PREMIERE ET LANGUE SECONDE

7.1. Une interrogation partage propos de l'enseignement de l'oral dans diffrents pays

Genishi & Fassier (1999) relvent que depuis une trentaine d'annes, les Etats-Unis se proccupent de mettre en place des programmes qui visent dvelopper les capacits communicatives des enfants de maternelle et de primaire l'oral. Dans le chapitre qu'il consacre aux () pratiques langagires orales (pp. 193-242), dans son ouvrage de 2000, Culture crite et ingalits scolaires. Sociologie de l"chec scolaire" l'cole primaire, Lahire dresse un bref bilan de la question de l'oral et de la communication orale dans l'cole franaise. Il note que la question de l'oral l'cole n'est pas une question nouvelle puisqu'on en trouve mention chez Bral ds 1872. L'interrogation de Bral, linguiste et germaniste, doit lui venir de sa connaissance du mouvement de rnovation de l'enseignement des langues vivantes qui connat, dans ses annes-l, un bouleversement l'chelle de l'Europe (cf. Puren, 1988). Lahire montre que ds les origines l'oral est li, et subordonn aux pratiques d'criture. Les travaux de la commission Rouchette (1963-1966) et les instructions officielles qui s'en inspirent, introduisent la notion de communication orale l'cole. Cependant, comme l'indique Lahire, [] le signe le plus flagrant du flou de la catgorie d'expression orale aux yeux mmes des enseignants (du point de vue de leurs catgories sociales de perception) est le fait que ceux-ci abordent le plus souvent la question de l'expression orale avant mme que le sujet ne soit abord, propos de la lecture, du vocabulaire ou de l'expression orale (Lahire, 2000, p.196).

La proccupation de l'enseignement de l'oral renvoie, selon Nonnon (1999, p. 91) des ordres de problme diffrents. Un premier contexte de questionnement est celui du fonctionnement de la classe et de l'cole comme lieu social, o la circulation de la parole est insparable des reprsentations rciproques, des relations de pouvoir, des habitus et des appartenances culturelles : il correspond la dimension identitaire, relationnelle, sociale de l'enseignement. Le terme oral signifie ici l'ensemble des interactions verbales par lesquelles se mettent en place la communaut scolaire, les rapports au savoir et les contrats didactiques, les relations d'identification, d'affiliation ou de rejet, c'est--dire l'ensemble des conditions qui rendent possibles les apprentissages spcifiques . Les deux autres niveaux distingus par

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Nonnon rfrent l'oral comme mdiateur privilgi de la construction de connaissances et de dmarches intellectuelles (Nonnon, 1999, p. 92). et l'acquisition de comptences langagires spcifiques

Dolz & Schneuwly (1998, p. 14) rappellent que l'enseignement de l'oral comme domaine propre du franais ne s'installe qu'avec la rnovation du franais durant les annes soixante dans tous les pays francophones (et mme, au-del, dans la plupart des pays europens) . Ils citent, lappui de leur thse selon laquelle la finalit de lenseignement de la langue maternelle a t fondamentalement redfinie, le passage suivant du Plan de rnovation de l'enseignement du franais, 1970 : l'objet de l'enseignement du franais [] est l'usage et le dveloppement des moyens linguistiques de la communication ; il s'agit de rendre l'enfant capable de s'exprimer oralement et par crit et capable de comprendre ce qui est dit et crit . Aeby, de Pietro & Wirthner (2000) confirment pour la Suisse romande, le bilan dress par Dolz & Schneuwly (1998) propos de la comprhension et de l'expression orales. Dans cette situation didactique particulire, un cheminement se dgage qui conduit d'une volution des leons d'locution et de rcitation la mise en uvre d'un plan d'tudes, concrtis par le manuel Matrise du Franais (1979). A cette dmarche succde une autre o l'on travaille en termes de types de texte ou de genre et de squences didactiques ; cela est fort bien illustr par les contributions l'ouvrage collectif de Dolz & Schneuwly (1998) (cf. infra).

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7.2. Trente ans d'enseignement du franais langue premire et langue seconde

7.2.1. Une priodisation de l'mergence de l'oral dans l'enseignement du franais langue premire et langue seconde

Dans une note de synthse de 1999 propos de la question de "l'enseignement de l'oral et les interactions verbales en classe", Nonnon esquisse une priodisation de la rfrence la matrise de l'oral l'cole. Elle note que les annes 70 sont marques par des proccupations sociolinguistiques en ce domaine alors que les annes 80 sont plus cognitivistes. Elle ajoute : s'il faut parler plus de rsurgence que d'mergence, l'importance prise rcemment par la demande de l'institution et des enseignants concernant la matrise de l'oral, l'essor des proccupations thoriques relatives la verbalisation et aux interactions constituent cependant un lment nouveau. (Nonnon, 1999, p. 88).

Pour Chiss (2001), trois priodes distinctes sont identifiables dans l'volution de l'enseignement du franais :- lapparition de loral et de la communication lcole partir de 1970 travers une prise en compte des besoins des apprenants ; - le retour de lcrit dans les annes 80 travers le recours, entre autres, aux typologies textuelles ; - le retour de la communication dans les annes 90. Le modle dominant, selon Chiss, est celui du passage de loral lcrit, modle qu'il attribue Laurence Lentin. Il semble cependant que cet auteur ait eu davantage en tte le collge que lcole.

Bouchard (2001) propose une autre lecture de la priode en relevant labsence du terme communication des programmes denseignement, sauf travers la notion de techniques de communication , atteste dans le programme des IUT. Il suggre la prsence rgulire de bouffes doralit et rappelle notamment le Congrs de lAssociation Franaise des Enseignants de Franais (AFEF) de 1978 consacr loral. Hbrard (2001) signale, lui, limportance du Plan Rouchette de 1966 pour linstauration de loral dans le 1e degr et dfinit la priode 1966-75 comme consacre essentiellement loral. La thmatique de la lecture apparat

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dans les annes 80. A partir de la fin des annes 90, le thme de la lecture stagne et celui de lenseignement de loral reprend le dessus.

Aeby, de Pietro & Withner (2000) citent la thse de Lazure (1992) consacre un inventaire des recherches francophones relatives l'enseignement de l'oral depuis les annes 70 jusquaux annes 90 pour poser leur priodisation de l'enseignement du franais en Suisse romande. Selon eux, les annes 70 voient s'opposer une approche d'imprgnation, inspire de la linguistique applique l'enseignement des langues et de sa mthodologie audio-orale (cf. les tudes de linguistique applique, n20 de 1975, numro consacr aux exercices structuraux), et une approche par analyse de la langue orale. une priode o la langue est enseigne de faon dcontextualise, succde l'approche communicationnelle, o il s'agit d'apprendre parler (et couter) dans les situations les plus authentiques. (Une volution similaire se fait jour dans l'enseignement des langues vivantes trangres et du franais en tant que langue trangre). Les auteurs notent cependant que le dficit de connaissances scientifiques sur la grammaire de l'oral conduit une consolidation de l'crit au dtriment de l'oral. D'o le retour de l'oral dans l'enseignement des annes 90, et le dveloppement de l'oral intgr aux activits de la classe. Ce que favorise, par exemple, la pratique des squences didactiques. Un historique similaire est prsent dans Dolz & Schneuwly (1998).

7.2.2. Une interrogation autour de lenseignement de loral et de lenseignement de la communication : quelques lments du dbat des trente dernires annes

On relve des interrogations autour de l'articulation de certains aspects de la communication didactique et de la question de loralit. Cela apparat avec nettet chez Nonnon (2001). Linterrogation de cette dernire porte moins sur les caractristiques de la langue orale que sur la question de la norme des genres discursifs loral et sur les familles de tches qui sont possibles dans ce domaine. Tout se passe comme si une certaine confusion existe entre lenseignement de loral et lenseignement de la communication (et par la communication). On sinterroge sur le statut des pratiques langagires orales et sur leur fonctionnalit. La question du rle du/des vernaculaires de groupe lcole est pose. Est galement pose celle de la

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fonctionnalit des interventions orales. Sagit-il dune manifestation identitaire, de phnomnes lis la socialit en uvre ?

Dans le contexte canadien, Tochon & Cambron (1992) discutent de deux modles d'enseignement de l'oral proposs par Rubin (1985) : le premier suppose un contenu autonome centr sur les types de discours ; le second envisage l'oral au service de l'intgration des matires scolaires. Ils recensent les principaux obstacles l'implantation de l'oral en salle de classe et proposent, l'instar de Cazden (1988), diffrentes stratgies d'exploitation du vcu des lves tout en prconisant un apprentissage actif fond sur l'exploration collective d'ides, la spculation, l'analyse, la critique, etc. Ils prnent une meilleure intgration de l'oral dans la classe tout en soulignant les limites inhrentes l'authenticit et la varit des situations de communication orale.

Plessis Belair (1994) tente de dmontrer que, contrairement ce que peuvent laisser croire les pratiques bien tablies d'enseignement de l'oral, la communication orale est encore trs peu aborde l'cole canadienne. Cette situation s'expliquerait de diverses manires : - par des connaissances parcellaires du domaine et l'absence d'un modle d'analyse du discours ; - par l'occultation des lments de spcificit de l'oral (construction dialogique, immdiatet, irrversibilit, implication, cohsion par les lments paralinguistiques, etc.) ; - par l'indigence des stratgies d'enseignement, sur le plan des activits d'apprentissage (l'expos allant l'encontre de toutes les caractristiques spcifiques de l'oral) et des pratiques d'valuation ; - par l'existence d'enjeux sociaux qui poussent privilgier l'apprentissage de l'crit, au dtriment de l'oral. Selon l'auteure, si l'cole ne prend pas les moyens de dvelopper la communication, il risque de se produire un clivage social, l'heure o les approches d'enseignement exigent de plus en plus de verbalisations mtacognitives.En 1991, l'ouvrage de Wirthner, Martin & Perrenoud, Parole touffe, parole libre. Fondements et limites d'une pdagogie de l'oral, se fait l'cho des dbats du systme ducatif suisse romand sur l'enseignement de l'oral. Faut-il vraiment enseigner l'oral, et si oui comment ? Roulet consacre sa contribution la ncessit de la mise en place d'une pdagogie de l'oral fonde sur une approche de la dimension dialogique des changes. Il prne le

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recours des documents authentiques. Perrenoud part de l'ide qu'il y a autant de reprsentations de la place de l'oral dans l'enseignement que d'