Evolution des formes sociales de la production agricole ...

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EVOLUTION DES FORMES SOCIALES DE LA PRODUCTION AGRICOLE DANS LA PLAINE DE TANANARIVE par R. CABAKES Ayant Ă  Ă©tudier le systĂšme socio-Ă©conomique de la plaine de Tananarive, nous avons Ă©tĂ© beaucoup frappĂ©s par le fait que les gens prĂ©sentaient leurs relations Ă©conomiques, en particulier leurs relations de mĂ©tayage - comme une coopĂ©ration, dors mĂȘme que leurs rapports nous paraissaient,au vue de faits concrets, assez fortement antagonistes. Nous avons alors Ă©tĂ© amenĂ©s Ă  remplacer le mĂ©tayage dans les deux systĂšmes de production oĂč on le rencontre, et Ă  examiner dans quelle mesure il 'pĂšse sur leur fonctionnement actuel. De lĂ , nous avons Ă©tĂ© conduits Ă  restituer dans l'histoire ces deux systĂšmes de production : le foko (1) et l'esclavage (d'oh est issu, pour l'essentiel, le mĂ©tayage actuel). Cet examen du passĂ© ne se veut pas Ă©tude historique, mais seulement schĂ©ma d'Ă©volution et d'explication de la situation actuelle, dans la mesure oĂč nous pensons que certains dĂ©ments qui assurent la reproduction de la situation actuelle, se retrouvent dans le passĂ©, dans une fonction et Ă  un niveau diffĂ©rents. Le problĂšme du rĂŽle de l'idĂ©ologie dans la sociĂ©tĂ© est couramment posĂ©; pour l'objet qui nous concerne, de la maniĂšre suivarite : toute idĂ©alisation de relations sociales qui ont perdu, dans une large rpesure, la base Ă©conomique ou politique dans laquelle elles s'enracinent, ne peuvent que limiter ou interdire un dĂ©veloppement Ă©conomique ((rationnels, c'est-Ă -dire, dans le cas prĂ©sent, capitaliste. Cette ctidĂ©olo- gie,), - qu'on pourrait appeler populiste quand elle se fĂ©licite du phĂ©nomĂšne, ou technocratique quand elle le dĂ©plore - voudrait trouver dans la faible diffĂ©renciation sociale qui existerait dans la plaine de Tananarive une preuve de sa thĂšse selon . laquelle l'idĂ©ologie qui sous-entend les rapports sociaux rend impossible cette diffĂ©renciation ; Ă  I? limite mĂȘme, cette base idĂ©ologique pourrait constituer le point de dĂ©part d'un nouveaux dĂ©veloppement des anciens rapports sociaux de - production. (1) Pour une dĂ©finition du foko. voir ((Plaine de Tananarive : la&ax~tĂ©&bR~~Ô&, ?&marive. - -A* C- 1967.

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EVOLUTION DES FORMES SOCIALES DE LA PRODUCTION AGRICOLE DANS LA PLAINE DE TANANARIVE

par R. CABAKES

Ayant Ă  Ă©tudier le systĂšme socio-Ă©conomique de la plaine de Tananarive, nous avons Ă©tĂ© beaucoup frappĂ©s par le fait que les gens prĂ©sentaient leurs relations Ă©conomiques, en particulier leurs relations de mĂ©tayage - comme une coopĂ©ration, dors mĂȘme que leurs rapports nous paraissaient,au vue de faits concrets, assez fortement antagonistes.

Nous avons alors Ă©tĂ© amenĂ©s Ă  remplacer le mĂ©tayage dans les deux systĂšmes de production oĂč on le rencontre, et Ă  examiner dans quelle mesure il 'pĂšse sur leur fonctionnement actuel. De lĂ , nous avons Ă©tĂ© conduits Ă  restituer dans l'histoire ces deux systĂšmes de production : le foko (1) et l'esclavage (d'oh est issu, pour l'essentiel, le mĂ©tayage actuel). Cet examen du passĂ© ne se veut pas Ă©tude historique, mais seulement schĂ©ma d'Ă©volution et d'explication de la situation actuelle, dans la mesure oĂč nous pensons que certains dĂ©ments qui assurent la reproduction de la situation actuelle, se retrouvent dans le passĂ©, dans une fonction et Ă  un niveau diffĂ©rents.

Le problÚme du rÎle de l'idéologie dans la société est couramment posé; pour l'objet qui nous concerne, de la maniÚre suivarite : toute idéalisation de relations sociales qui ont perdu, dans une large rpesure, la base économique ou politique dans laquelle elles s'enracinent, ne peuvent que limiter ou interdire un développement économique ((rationnels, c'est-à-dire, dans le cas présent, capitaliste. Cette ctidéolo- gie,), - qu'on pourrait appeler populiste quand elle se félicite du phénomÚne, ou technocratique quand elle le déplore - voudrait trouver dans la faible différenciation sociale qui existerait dans la plaine de Tananarive une preuve de sa thÚse selon

. laquelle l'idĂ©ologie qui sous-entend les rapports sociaux rend impossible cette diffĂ©renciation ; Ă  I? limite mĂȘme, cette base idĂ©ologique pourrait constituer le point de dĂ©part d'un nouveaux dĂ©veloppement des anciens rapports sociaux de

- production.

(1) Pour une dĂ©finition du foko. voir ((Plaine de Tananarive : l a & a x ~ t Ă© & b R ~ ~ Ô & , ?&marive. - -A* C - 1967.

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Certes, s’il paraĂźt Ă©vident que cette sorte d’idĂ©alisation peut donner une certaine forme Ă  la situation actuelle, il est aussi certain que ce qui permet de comprendre la stabilitĂ© sociale et politique de la campagne Ă  travers les bouleversements sociaux et politiques de ces 100 derniĂšres annĂ©es, c’est la permanence d’un noyau de rapports de production fondĂ© sur un certain mode d’accession au sol et de propriĂ©tĂ© de la terre qui, jusqu’à maintenant, en tenant compte de l’articulation de l’économie rurale avec le mode de production capitaliste, a maintenu les mĂȘmes groupes sociaux dans les mĂȘmes positions Ă©conomiques. Si une diffĂ©renciation sociale fondĂ©e sur la propriĂ©tĂ© privĂ©e s’est peu opĂ©rĂ©e jusqu’ici, dans la plaine de Tananarive (encore que n’ayant pas d’informations sur la propriĂ©tĂ© des citadins, nous devons ĂȘtre trĂšs prudents Ă  ce sujet), c’est parce que l’accĂšs Ă  la propriĂ©tĂ© privĂ©e, dĂ©gagĂ©e des cadres sociaux prĂ©alables qui l’enserraient, est un phĂ©nomĂšne, non pas rĂ©cent puisqu’il Ă©tait dĂ©jĂ  amorcĂ© avant la colonisation et qu’il a Ă©tĂ© interrompu par elle, mais encore en gestation.

Comme d’autre part, la ville qui est propre permet Ă  la fois l’écrĂ©mage par le haut de ceux qui prĂ©fĂšrent choisir une autre fortune que la fortune fonciĂšre, e t l’accueil de ceux qui ont Ă©tĂ© prolĂ©tarisĂ©s dans le systĂšme Ă©conomique rural ; comme elle assure en outre des complĂ©ments de revenus aux catĂ©gories petites e t moyennes, on voit mal comment cette diffĂ©renciation pourrait s’opĂ©rer rapidement.

Mais il est nĂ©cessaire de souligner que le systĂšme social ancien basĂ© sur la reproduction des rapports de foko ‘a cĂ©dĂ© la place Ă  un systĂšme social basĂ© sur la reproduction de rapports familiaux restreints, ou, rĂ©cemment et par endroits, sur la reproduction du propriĂ©taire privĂ©. C’est cette histoire que nous voulons d’abord essayer d’esquisser.

I - L’HISTOIRE

Un bref rappel historique est nĂ©cessaire, ne serait-ce que pour comprendre la diffĂ©renciation en castes de la sociĂ©tĂ©, et l’articulation des groupements locaux (formĂ©s de diverses castes) et de 1’Etat.

1 - La question de l’origine de la diffĂ©renciation en castes ne rallie pas encore les divers historiens ; c’est plus le fonctionnement de chacune d’elles et leurs rapports rĂ©ciproques qui nous intĂ©ressent ici.

Nous partirons de l’article de M. Bloch (1) : d l est donc Ă©vident qu’avec les andriana (seigneurs) nous avons affaire Ă  des groupes locaux qui ne diffĂšrent des groupes houa (hommes libres) non dans leur structure de base, mais seulement ,dans leur rang rituel ... N. Il propose d’appeler dĂšmes (2) les clans houa comme andriana, qui fonctionnent sur la base des mĂȘmes principes : filiation bilinĂ©aire et endogamie. Notons cependant que, mĂȘme avant l’unification de l’Imerina, sur les 62 dĂšmes dĂ©nombrĂ©s par Mayeur (3) , 20 seulement se nomment en termes de parentĂ© ; les autres font rĂ©fĂ©rence au lieu habitĂ©.

(1) M. Bloch : ({Notes sur l’organisation sociale de 1’Imerina avant le rĂšgne de Radama lern. Annales de l’universitĂ© de Madagascar, SĂ©rie Lettres et Sciences Humaines, n07, 1968, p. 119-132 : gitations p. 128-130.

(2) M. Bloch : Placing the dead. Tombs, ancestral villages and kinship organization in Madagascar, Senuines Presses, London and New York, 1971. A l’occasion d’une Ă©tude sur la plaine de Tananarive. (Plaine de Tananarive : la parentĂ©. ORSTOM, Tananarive, 1967). R. WAAST propose le mot patridĂšme qui met l’accent sur la filiation patrilinĂ©aire.

(3) Mayeur : civoyages dans le Sud et dans l’intĂ©rieur des terres e t particuliĂšrement au pays d’Hancove en 1777)). Bull. de l’AcadĂ©mie Malgache, vol. XII, 1913, p. 139-173, et civoyage au pays d’Ancove en 1 7 8 5 ~ , Bull. de l’AcadĂ©mie Malgache, vol. XII, 2Ăšme partie, 1913, p. 14-49.

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Les arguments que donne Bloch Ă  l’appui de la thĂšse selon laquelle les dĂšmes hova et andriana ne sont pas de nature fonciĂšrement diffĂ©rente paraissent convain- cants :

- ((l’histoire malgache abonde en rĂ©cits racontant comment des dĂšmes entiers, vivants sur des territoires trĂšs Ă©tendus, furent Ă©levĂ©s au rang d’andriana ou perdirent cette dignitĂ© ... B, d’oĂč la diffĂ©rence profonde avec l’Europe fĂ©odale et ses groupes de noblesse... 1) ;

- ((dans l’lmerina de Ralambo (vers 1500)’ Ă  peu prĂšs 114 de la population devait ĂȘtre andriana, chiffre bien trop Ă©levĂ© pour un groupe gouvernant effective- ment ... )) ;

- (( Ă  l’heure actuelle, on trouve encore quelque dĂšmes andriana et hova attachĂ©s Ă  leur territoire ancestral, sans interpĂ©nĂ©tration entre eux n.

M. Bloch dĂ©crit le fonctionnement des de‘mes andriana ainsi : ((Une sociĂ©tĂ© de barons-brigands vivant sur des collines fortifiĂ©es et ,dĂ©fendant des royaumes de quelques villages ; ceci implique un systĂšme de chantage Ă  la protection et le pillage des villages protĂ©gĂ©s par des rivaux)) (p. 122). I1 s’avĂšre donc que le rang rituel confĂ©rĂ© Ă  certains dĂšmes andriana consacrait une puissance de fait, consĂ©quence peut-ĂȘtre de la parentĂ© de ces seigneurs avec un seigneur plus puissant, en tous cas, si dĂšmes houa et andriana ne diffĂšrent en rien dans leur structure de base, on ne peut mettre en doute que les dĂšmes andriana sont gĂ©nĂ©ralement plus puissant.

Au sein des dĂšmes andriana (certains Ă©taient seulement composĂ©s d’andriana et d’esclaves, d’autres d’andriana, de houa et d’esclaves) le seigneur se rĂ©servait une propriĂ©tĂ© personnelle assez importante (tanin-dapa : terres du palais) qu’il faisait cultiver par les membres de son fief. Ces derniers exĂ©cutaient aussi les corvĂ©es communes et les corvĂ©es pour le roi (1)’ et lui payaient un ((tribut)), ainsi qu’à leur prince.

Mayeur (ouv. cit. 1777) dĂ©crit le cas du roi de Tananarive qui rĂ©gnait sur huit principautĂ©s)), ((apanages)) de ses parents proches ou Ă©loignĂ©s - Le tribut versĂ© par le peuple au prince contrĂŽlant la principautĂ© varie entre 1/3 et 2/3,de celui versĂ© au roi (2). I1 est prĂ©sentĂ© comme un dĂ» que le roi exige du peuple pour sesparents ; il varie en principe’en fonction du degrĂ© de parentĂ© avec le roi,.mais surtout en fonction du rapport dĂ« forces existant entre prince et roi. Tel qui s’était rĂ©voltĂ© contre le roi m a i s n’était plus dangereux ne percevait dans son fief que le tiers de ce que percevait le roi ; tel autre qui s’était rĂ©voltĂ© aussi mais qui restait toujours puissant avait droit aux 2/3 et conservait le droit de palissade gĂ©nĂ©ralement retirĂ© aux rebelles. L’autoritĂ© du roi sur ces princes parents est toujours fragile et la segmentation toujours possible.

(1) - CorvQes communes : construction et entretien des fossés autour des villages : entretien des habitations. - CoruQes royales : répartition au village du roi, construction des maisons dans son village ou dans un nouveau village dont la construction a été décidée par le roi (Mayeur, OUV. cité, p. 161).

(2) Tribut versĂ© au roi : - 112 piastre par tete d’homme libre, - 114 piastre par tete d’esclave, - 1 mesure de riz (60 livres) par daboureurr libre ou esclave, - 1/10 des bestiaux de toute la principautĂ©.

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PlutĂŽt qu’un reprĂ©sentant de la famille royale contrĂŽlant une rĂ©gion dĂ©terminĂ©e, le seigneur est davantage un Ă©ventuel concurrent du roi ; d’ailleurs s’il a pu obtenir un fief, alors que ce n’est pas le cas pour tous les membres de la famille royale, c’est Ă  cause de ses capacitĂ©s et des exigences personnelles. Le roi le plus puissant, celui de Tananarive, qui avait 8 ((principautĂ©s)) sous sa dĂ©pendance, devait sa puissance Ă  un groupe d’esclaves (les Manisotra dont Mayeur n’a pu dĂ©couvrir l’origine) qui l’ap- puyait inconditionnellement.

DĂ©jĂ  la terre Ă©tait la propriĂ©tĂ© personnelle de chacun ; s’il n’était Ă©videmment pas possible de l’aliĂ©ner, du moins l’individu jouissait totalement de son produit ; e t le droit du seigneur ne s’exerçait que sur l’acceptation ou l’exclusion des membres de son fief (1).

Cependant, le seigneur n’a pas de force armĂ©e indĂ©pendante ; il arme les habitants de son fief. I1 semble donc que, mĂšme s’il s’immisce dans les affaires Ă©conomiques internes Ă  son fief, en ce qui concerne la rĂ©partition des terres en particulier, c’est surtout au dĂ©triment des autres fiefs qu’il agrandit le sien, e t ses terres personnelles en particulier. Dans le contexte permanent des guerres entre fiefs, il semble que les contradictions Ă  l’intĂ©rieur du fief. 4ent pris une place secondaire et se trouvaient masquĂ©es dans la nĂ©cessaire unitĂ© du fief face aux autres.

Car la guerre entre fiefs, que ce soit pour se procurer des terres, des femmes, des boeufs ou des esclaves, Ă©tait profitable au seigneur ; ses dĂ©pendants ne jouissaient du butin qu’aprĂšs lui et selon sa volontĂ© ; voir l’explication donnĂ©e Ă  Mayeur par le roi de Tananarive en guerre contre son voisin d’Alasora et qui arrĂȘte le combat Ă  la suite de l’envahissement du champ de bataille par les sauterelles ; un de ses dieux avait agi de mĂȘme auparavant. (dl fit mettre bas les armes malgrĂ© les reprĂ©sentatiorp de ses capitaines qui voulaient profiter de leurs avantages ; et il ĂĄnnonça que la destruction des sauterelles importait aux habitants du pays en gĂ©nĂ©ral tandis qu’une guerre particuliĂšre n’intĂ©ressait le plus souvent que l’individu qui l’avait excitĂ©e, (2).

ParallĂšlement Ă  la faiblesse de l’autoritĂ© du roi sur les princes, on peut mettre en relief la contestation dont roi et princes peuvent ĂȘtre l’objet de la part de leurs dĂ©pendants de caste libre. Durant le bref sĂ©jour de Mayeur Ă  Tananarive en 1885,,on peut relever deux incidents qui illustrent ce fait. Lors d’une guerre entre deux seigneurs, une partie des hommes libres sous la dĂ©pendance de l’un d’eux refuse de le soutenir ; le seigneur dĂ©cide alors avec l’aide du roi de les rĂ©duire en esclavage et de les vendre, ce qui est fait pour une trentaine d’entre eux. Leurs parents dĂ©cident aussitĂŽt de passer sous la dĂ©pendance du roi en lui annonçant qu’ils libĂ©reraient leurs compatriotes rĂ©duits Ă  l’esclavage. Ce que le roi, ne disant mot, semble ac- cepter ; ce qui fut fait.

Lorsque le roi, ivre, tue sa premiĂšre femme, le ((peuples se rassemble et exige de lui le serment de ne plus se livrer aux liqueurs fortes. En attendant, ils prennent avec eux son jeune fils, dont ils dĂ©clarent ĂȘtre provisoirement les dĂ©pendants (3): Ainsi, comprend-on que les seigneurs qui ont rĂ©alisĂ© l’unification n’aient pu y parvenir qu’avec l’appui des groupes houa les plus puissants et les mieux organisĂ©s ; Ă  ce sujet, la tradition signale, Ă  deux reprises et pour des rois dont le rĂšgne fut important, leur influence dĂ©terminante.

(1) P.Boiteau : ((Les droits sur la terre dans la société malgache pré-colonialea. in GERM: Sur le mode de production asiatique, Ed. Sociales, Paris, 1969, p. 136-168.

(2) Illayeur, ouv. cité p. 28. (3) Mayeur, o w . cité p. 33.

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On remarque d’autre part que le principal problĂšme des unificateurs successifs de 1’Imerina a Ă©tĂ© de prĂ©voir une succession qui n’était pas codifiĂ©e : l’un fait tuer son frĂšre cadet pour que son fils lui succĂšde ; l’inceste ((si dĂ©criĂ© parmi la population)) permet au roi de concentrer son pouvoir (1). Chaque roi rĂ©organise la caste des seigneurs pour donner prioritĂ© Ă  ses descendants. Dans ces conditions, la ((caste)) des seigneurs ne pouvait jouer un rĂŽle solidaire, et chacun de ses groupes devait nĂ©cessairement s’appuyer sur des groupes extĂ©rieurs Ă  elle. Aussi ne devrons-nous pas nous Ă©tonner de ce que petit Ă  petit au cours du 19Ăšme siĂšcle, le pouvoir Ă©conomi- que et politique passe du roi ou de la reine Ă  ses ministres hova, Lxoyau tĂ© ne servant plus qu’à maintenir l’unitĂ© de l’Etat, au niveau idĂ©ologique.

Avant de voir comment ces foko ou dĂšmes vont s’articuler au pouvoir royal, on doit rechercher le principe de leur fonctionnement interne dans la pĂ©riode qui prĂ©cĂšde la constitution de 1’Etat.

Bien que devenant d’une taille de plus en plus restreinte, le dĂšme a fait preuve d’une assez grande stabilitĂ© jusqu’à nos jours. DĂ©jĂ , avant la constitution de l’Etat, une classe propre Ă  chacun des dĂšmes - on verra comment une classe de tous les ((grands, de dĂšme se constituera en mĂȘme temps que 1’Etat - assure cette stabilitĂ©. - Il semble qu’une telle classe s’appuie prioritairement sur la puissance dĂ©mographique du dĂšme (dans laquelle entre en jeu la possession .des esclaves) en vue de faire face aux autres dĂšmes ne serait-ce que pour Ă©viter l’intĂ©gration, et surtout pour Ă©viter la rĂ©duction Ă  l’esclavage qui guette les groupes les plus faibles. Officiellement choisis selon des normes gĂ©nĂ©alogiques, cette classe a Ă  sa disposition tous les moyens de contrĂŽle propres Ă  ce type de pouvoir, les sanctions extrĂȘmes, pour la faute extrĂȘme qui devait ĂȘtre l’essai de segmentation, Ă©tant la rĂ©duction Ă  l’état d’esclavage ou l’exclusion du dĂšme (ce qui revient Ă  peu prĂšs au mĂȘme).

L’esclavage au 17Ăšme et 18Ăšme siĂšcles semble prendre deux aspects : il y a d’abord les esclaves royaux ou princiers : Mayeur cite deux groupements qui vivent en un mĂȘme lieu, chacun de leur cĂŽtĂ©, qui sont spĂ©cialement affectĂ©s au service de leur prince, et qui Ă©ventuellement preuvent avoir des esclaves..Ă leur =vice. Leur fonction essentielle est de faire la guerre : ils sont mĂ©nagĂ©s : ((011 nlen vend aucun dans la crainte de les voir tous s’enfuir)). (Mayeur, ouv. citĂ©, p. 36). Guerriers de profession, attachĂ©s Ă  un prince, ce n’est certes pas eux qui peuvent ĂȘtre volĂ©s.

Car le commerce des esclaves, nous dit Mayeur, se fait aux marges de la sociĂ©tĂ©. Il n’est pas contrĂŽlĂ© par le roi ou les seigneurs sur une large Ă©chelle : en raison de l’insĂ©curitĂ© qui rĂšgne en Imerina d’abord ; ensuite parce que les esclaves faits dans les guerres sont quasi:automatiquement rachetĂ©s par leurs parents, On a remarquĂ© par ailleurs que le tribut offert au souverain par ses sujets ne comporte jamais d’esclave.

La traite est essentiellement une affaire de YOL arganisĂ© par des petits groupes, clandestinement. Les esçlaves sont ensuite rapidement apportĂ©s sur des marchĂ©s Ă©loignĂ©s, oĂč, dit Mayeur, il s’en traite les 213. Les personnes volĂ©es Ă©taient aussi bien des hommes libres que des esclaves. A la suite de l’incident oh le roi de Tananarive, en accord avec un prince, vend 30 hova Ă  un traitant europĂ©en, une sorte d’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale du dĂšme concernĂ© se tient -oÙ il est fait l’inventaire de de tous leurs parents disparus, rĂ©duits Ă  l’esclavage. Ils en comptent 300 qui ont Ă©tĂ© vendus aux blancs, aux arabes de Majunga, OU rachetĂ©s sur les lieux parleurs

(1) G . Condominas : Fokonolona et collectivités rurates en Imerina. Ed. Berger-Lévrault. p. 35. Cité par Boiteau, ouv. ci-dessous, p . 153.

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familles, au hasard des marchĂ©s ; ((crime inouĂŻr qu’ils ne laisseraient pas se renou- veler)) (p. 26). Comme les vols restent impunis, le commerce se poursuit ; l’esclave est une derniĂšre race, tout voleur d’esclave apprĂ©hendĂ© est thĂ©oriquement mis Ă  mort ; en fait le juge transige (dit Mayeur) Ă  une amende de 15 Ă  20 esclaves quand le coupable est en Ă©tat de payer. Un fait est certain : Ă  la veille de la constitution de I’Etat, l’insĂ©curitĂ© est permanente, le phĂ©nomĂšne appelle quelques explications.

La lutte pour l’unification de l’Imerina, qui dure deux siĂšcles (1575-1787), semble ĂȘtre une consĂ©quence du dĂ©veloppement d u commerce et de la traite qui ont commencĂ© dĂšs la fin du 16Ăšme siĂšcle avec l’établissement des comptoirs arabes de la CĂŽte Ouest-Nord-Ouest qui ont commercĂ© avec 1’Imerina (1).

Par ailleurs, d’aprĂšs plusieurs tĂ©moignages (2), le 17Ăšme siĂšcle a vu la croissance d’une ((fĂ©odalitĂ©)) merina qui Ă©changeait ses esclaves contre des fusils pour l’inter- mĂ©diaire des commerçants arabes de la CĂŽte Nord-Ouest ; commerce interceptĂ© au 18Ăšme siĂšcle par les fĂ©odalitĂ©s Sakalava qui avaient perçu tout le parti qu’on pouvait tirer des armes Ă  feu. DĂ©sormais la traite d’Imerina s’oriente de plus en plus vers l’Est : la sociĂ©tĂ© locale, faits de groupes lignagers, y est peu centralisĂ©e et n’éprouve pas encore un besoin pressant d’armes, ce qui ne sera plus le cas vers le milieu du 18Ăšme siĂšcle (3) avec la crĂ©ation de la confĂ©dĂ©ration betsimisaraka. Bien que celle-ci se dissolve durant la deuxiĂšme partie du 18Ăšme siĂšcle, il apparaĂźt nettement que le commerce avec les traitants ne pourra ĂȘtre rĂ©gulier que dans la mesure oĂč les fĂ©odaux merina se seront organisĂ©s pour imposer des rĂšgles d’échange aux betsimisaraka, mieux pour Ă©viter leur entremise et nĂ©gocier directement avec les traitants, ce qui sera possible au 19Ăšme siĂšcle avec l’annexion du territoire de la CĂŽte Est. En tout cas, dans le courant du l8Ăšme siĂšcle, l’unification de 1’Imerina paraĂźt inĂ©luctable, car il n’est plus possible Ă  chaque roitelet pris isolement de per- pĂ©tuer le systĂšme de traite. Voir le discours du roi de Tananarive retransmis par Mayeur (1777) : il s’agit de stopper les initiatives dĂ©sordonnĂ©es des Merina qui volent des esclaves, trompent sur le poids et la monnaie, mais restent toujours dĂ©pendants des peuples cĂŽtiers pour leur commerce, tout en s’attirant leur hostilitĂ© ; il faut au contraire organiser le commerce, acquĂ©rir la confiance des Ă©trangers pour traiter directement avec eux, et rĂ©agir collectivement lorsque les traitĂ©s ne seront pas respectĂ©s, ce qui permettra de mettre un terme Ă  la rĂ©putation de lĂąchetĂ© des merina ( ceci Ă  l’usage des peuples voisins et cĂŽtiers initiĂ©s au discours).

En 1790 (4), l’élĂ©ment merina domine parmi les esclaves arrivĂ©s Ă  la CĂŽte Est, rĂ©sultat certainement des victoires rĂ©pĂ©tĂ©es d’Andrianampoinimerina sur le point d’achever l’unification de l’lmerina. A partir de 1800, la traite se fait directement et rĂ©guliĂšrement entre les traitants et les merina.

(1) ({La coĂŻncidence entre l’arrivĂ©e des premiers fusils en Imerina (160Q)st les premiers esciaves du royaum‘e hova arrivĂ©s B la Cate Nord-Ouest est frappante)). J.M. Filliot: La traite des esclaves vers les Mascareignes au 186me siecle. tome II. p. 146. RonĂ©o. ORSTOM, 1970.

(2) CitĂ© par Raison J.M. : Utilisation du sol et organisation de l’espace dans 1’Imerina ancienne, RonĂ©o, ORSTOM-Tananarive, 1972, 32 p. (voir p. 3 et 4).

(3) En 1785, Mayeur rencontre encore d’inlportants obstacle pour emmener sa citraite)) de Tananarive à la Cdte Est.

‘(4) Filliot, ouv. citĂ©.

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2 - Guerre et dĂ©veloppement du commerce entraĂźnent la mise en esclavage d’une partie non nĂ©gligeable de la population. (En 1790, 1’Imerina exporte 1 600 esclaves (1) d’autre part et bien que nous ayons peu d’informations Ă  ce sujet, se dĂ©veloppe une diffĂ©renciation sociale Ă  l’intĂ©rieur de chaque groupe ; la richesse de certains (Z), les pratiques de location des riziĂšres, du fehiuaua (un riche cultivateur prĂȘte de l’argent Ă  un autre, en Ă©change il cultive sa riziĂšre jusqu’au remboursement de la somme et des intĂ©rĂȘts), de l’usure, de l’esclavage pour dettes, en sont des indices sĂ»rs. Mais l’important mouvement de colonisation (3) organisĂ© par le pouvoir royal (plusieurs foko participent Ă  chacune des installations), et surtout le regroupement de tous les foko sous l’autoritĂ© du roi ont empĂȘchĂ© que ces contradictions de classe naissantes ne se manifestent, car, au-dessus des foko eux-mĂȘmes, le roi a regroupĂ© leurs dirigeants, qui dĂšs lors ne peuvent plus ĂȘtre mis en cause par leurs membres.

Pour perpĂ©tuer le pouvoir qu’elle impose aux multiples fiefs des seigneurs et aux groupements hova, la 9 monarchie rĂšglemente les droits et devoirs des seigneurs, codifie sa succession, et se prĂ©occupe toute interpĂ©nĂ©tration anarchique qui empĂȘcherait son contrĂŽle ou toute fĂ©dĂ©ration entre dĂšmes (foko) d’hommes libres en les confinant en un lieu bien prĂ©cis (parfois en opĂ©rant des scissions et de nouveaux mĂ©langes de foko 1 et en leur assignant une fonction rituelle trĂšs dĂ©termi- nĂ©e dans leur collaboration au service du souverain : ainsi chacun reste individualisĂ©, alors que dĂ©jĂ  beaucoup de foko (dĂšmes) sont devenus fokonolona (rassemblement en un mĂȘme lieu de segments de dĂšmes diffĂ©rents).

L’état merina du dĂ©but du 19Ăšme siĂšcle prĂ©sente les principales caractĂ©ristiques du monde de production asiatique : quasi-autarcie des communautĂ©s villageoises et absence d’une propriĂ©tĂ© privĂ©e de la terre ; l’état organise la production agricole en rĂ©alisant toute l’infrastructure hydraulique par le moyen de la corvĂ©e, et non par l’esclavage ; dans ce but et pour la sĂ©curitĂ© militaire du territoire, il entretient une bureaucratie en prĂ©levant un surplus sur les communautĂ©s rurales (4).

DĂ©sormais, les domaines de 1’Etat et du foko sont ainsi dĂ©finis : tout groupe de descendance a pour fonction d’assurer la vie et la survie de ses membres ; le pouvoir central la garantit en assurant la paix et en prĂ©voyant des terres nouvelles pour obtenir la prospĂ©ritĂ© nĂ©cessaire Ă  la marche de 1’Etat et faire face Ă  l’accroissement de population.

(1) P. Boiteau : Contribution Ă  l’histoire de la Nation Malgache. Ed. Sociales, 1958, p.69 (sans indications de sources ) . H. Deschamps : Histoire de Madagascar, Ed. Berger-LĂ©vrault. 1965, p. 126, (sans indication de sources). D’apri% S. Roux, traitant B Tamatave, il venait chaque annĂ©e du pays Hova 2 O00 esclaves (de 1800 Ă  1811). Cf. J.M. Filliot, ouv. citĂ©, p. 188.

(2) Certains (triches)) possĂšdent jusqu’à 1 O00 bƓufs. Cf. J. DEZ : ElĂ©ments pour une Ă©tude de l’économie agro-sylvo-pastorale de 1’Imerina ancienne)), Terre Malgache, n O 8 juillet 1970, p. 9-60.

(3) J. DEZ, ouv. cité. estime à 45 ou 50 000, les personnes déplacées par Andrianampoinimerina

(4) Cf. J. Chesneaux : ((Le mode de production asiatique. quelques perspectives de rechercher, pour-coloniser les marges de 1’Imerina.

in : Centre d’Etudes et de Recherches Marxistes : ((sur le mode de production asiatique)). . Paris. Ed. Sociales, 1969, p. 13-45. pour une application de la notion de mode de production asiatique Ă  1’Etat merina. voir P. de Comarmond : uLe village et l’histoiren. in Annales de l’UniversitĂ© de Madagascar, n011, 1970, p. 57-60.

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54 R. CABANES

Au plan idĂ©ologique, la thĂ©orie de la royautĂ© affirme que le roi est en dĂ©finitive seul dĂ©tenteur de la terre car il a le pouvoir de disposer des hommes ; membres d’un groupe de descendance, mais ((donnĂ© par le crĂ©ateur)), son autoritĂ© tient Ă  son caractĂšre sacrĂ©, non Ă  son origine familiale ; d e roi n’a pas de parents, seuls ceux qui approuvent ses ordres et exĂ©cutent ses lois sont ses parents)) (1).

Les esclaves (hormis les esclaves royaux) sont hors descendance ; main-d’oeuvre domestique n’ayant d’existence qu’au sein de la famille leurs maĂźtres, ils s’occupent de leur subsistance, les libĂšrent pour les affaires publiques. Ils sont Ă  la fois cthĂ©ritĂȘs et conquis)) (2), assignĂ©s aux tĂąches de production familiale, sans rĂŽle dans les affaires publiques. Avant l’unification de l’lmerina, ils formaient un groupe pour partie, appui direct des seigneurs, pour partie esclaves domestiques issus du pays mĂȘme des hommes libres et des seigneurs, ou des rĂ©gions voisines, Avec les guerres de conquĂȘte du pouvoir au dĂ©but du 19Ăšme siĂšcle, les esclaves viennent des rĂ©gions conquises, et lorsqu’ils ne sont pas utilisĂ©s pour la traite, sont directement utilisĂ©s pour la production agricole, On a souvent dit que la condition des esclaves ressemblait Ă  celle des enfants (ankizy) ou des parents sans terre (3). S’il est vrai que l’esclave participe ( d e maniĂšre subordonnĂ©e tout de mĂȘme aux cĂ©rĂ©monies familiales du maĂźtre, il faut rappeler qu’il est sans terre et sans espoir rĂ©el d’en avoir ; alors que de vĂ©ritables enfants d’hommes libres (zanaka), ou des parents qui sont provisoirement sans terre, ont un statut familial qui leur permet de rechercher des terres dans les diverses branches de leur famille, ou de partir, avec la bĂȘnĂ©diction des anciens, sur des terres vierges. L’esclave, dans la production agricole, reste dĂ©finitive- ment attachĂ© au maĂźtre, ou va d’un maĂźtre Ă  l’autre indĂ©pendamment de sa volontĂ©. Ce sont justement les favoris des maĂźtres - ceux qui pendant l’esclavage avaient obtenu des terres personnelles - qui ont rompu avec eux quand la colonisation a supprime l’esclavage (plusieurs cas dans la plaine de Tananarive).

Comment enfin imaginer, dans un contexte oh la traite est effective, que les esclaves aient des rapports ((familiaux)) avec les maĂźtres, si ce n’est justement afin d’éviter d’ĂȘtre vendus.

L’Etat, Ă  ce moment, repose essentiellement sur l’esclavage qui d’une part fournit la main-d’Ɠuvre de la production agricole, et d’autre part constitue la seule monnaie d’échange de 1’Imerina. Pour s’assurer de l’importance de l’esclavage, il n’est qu’à considĂ©rer le prix qu’un escĂŹave devait payer pour s’affranchir avant l’abolition officielle (et ‘non rĂ©elle) de la traite en 1817 :1 600 piastres,alors que dans les transactions il valait 1 0 piastres. Par la suite, avec la conquĂȘte des autres rĂ©gions de l’üle pourvoyeuses d’esclaves, son prix baissera rĂ©guliĂšrement (4).

(1) Cf. J. Chesneaux: ((Le mode de production asiatique, quelques perspectives de recherches)), in : Centre d’Etudes et de Recherches Marxistes - ((Sur le mode de production asiatiques. Paris, Ed. Sociales. 1969, p. 13-45. - Pour une application de la notion de mode de production asiatique Ă  1’Etat Merina, voir P. de Comarmond : ((Le village et l’histoire)), in Annales de l’UniversitĂ© de hladagascar, n O 11,1970, p. 57-60.

(2) Callet F. : ((Tantaran’ny Andriana eto Madagasikaran. Edition de 1908 -Tananarive. Traduction française de Chapus et Ratsbna, 1953-1958.

(3) M. Block, ouv. citĂ©, p. 131. (4) Grandidier (Voyages a Madagascar. Notes et souvenir, 1869). p.143, cite le cas d’un

bijoutier de Tananarive qui rachĂšte 7 de ses parents et lui-mĂȘme avec 2 400 piastres.

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EVOLUTION DES FORMES SOCIALES AGRICOLES DE TANANARIVE . 55

L’Etat repose ensuite sur les communautĂ©s rurales qui lui payent l’impĂŽt ; son administration, juges et gouverneurs de divers niveaux, n’est pas payĂ©e par lui, mais directement par le peuple. De mĂȘme, l’armĂ©e n’est pas une armĂ©e de mĂ©tier mais le peuple en armes recrutĂ© dans le cadre des 6 divisions de l’Imerina, regroupant chacune quelques clans. La corvĂ©e aussi est accomplie sur la base du clan et par compĂ©tition entre eux. L’Etat n’existe pas en tant que force constituĂ©e, indĂ©pendante des communautĂ©s locales ; il ne fait que rĂ©aliser les fonctions (1) nĂ©cessaires Ă  l’ensemble des communautĂ©s (il assure la paix, l’administration et la justice, les les amĂ©nagements hydrauliques importants irrĂ©alisables dans le cadre du clan) avec la collaboration des divers chefs de foko dont il assure par la mĂȘme occasion l’unification et la cohĂ©sion (2) .

3 - Par la suite, avec la constitution de 1’Etat en force indĂ©pendante des communautĂ©s dont il est l’émanation, les contradictions entre les communautĂ©s rurales et 1’Etat apparaissent plus clairement, sans que les contradictions internes aux communautĂ©s rurales en soient pour autant oblitĂ©rĂ©es puisque Ă  ce moment se constitue une oligarchie sur la base du commerce de traite e t de l’esclavage productif, dont les personnages se trouvent toujours Ă  la tĂȘte des foko.

La question de l’esclavage est au centre du 19Ăšme siĂšcle ; autour d’elle s’articu- lent les rapports de 1’Etat merina et des nations Ă©trangĂšres. La dĂ©cision (1817) du mi, sur pression d’un conseiller anglais, de supprimer l’exportation des esclaves a fait l’objet de longues nĂ©gociations avec une .oligarchie rĂ©ticente. Cette derniĂšre y voyait une atteinte Ă  ses moyens d’existence car c’est surtout des esclaves faits lors des guerres qu’elle obtenait ses bĂ©nĂ©fices et particuliĂšrement la monnaie. Pourtant l’esclavage productif ne fut jamais la caractĂ©ristique essentielle de 1’Etat merina d’une part parce que certains ((dignitaires)) continuent clandestine- ment la traite des esclaves, d’autres part parce que les nouveaux besoins de 1’Etat nĂ©cessitent un main-d’Ɠuvre spĂ©cialisĂ©e qu’il ne peut obtenir que par la corvĂ©e. Ne reste aux esclaves outre le travail domestique de la production.agrico1e que la fonction du portage commercial ; encore cette derniĂšre activitĂ© est-elle souvent accomplie par le moyen de la corvĂ©e. Parce que la corvĂ©e est gratuite pour l’Etat, alors que l’esclave doit ĂȘtre nourri. En dĂ©finitive la mesure de 1817, interdisant l’exportation, mais non l’importation des esclaves a Ă©tĂ© un facteur, parmi d’autres, du dĂ©veloppement d’un certain type de fĂ©odalitĂ©.

Grandidier estime que le nombre d’esclaves a quintuplĂ© de 1833 Ă  1869. A cette Ă©poque 113 des hommes libres n’en avaient pas, tandis que certains en possĂ©daient 2 Ă  300. Esclaves productifs certes mais dans le cadre de propriĂ©tĂ©s d’un type nouveau et non dans le cadre de 1’Etat.

La dĂ©cision de 1817 est par ailleurs Ă  l’origine d’une transformation importante dans 1’Etat. Aux dignitaires traditionnels de l’armĂ©e issus de dĂšmesla plupart andriana, opposĂ©s Ă  la suppression de la traite des esclaves et rĂ©ticents eu Ă©gad Ă  la pĂ©nĂ©tra- tion commerciale extĂ©rieure, s’opposent - e t bientĂŽt se substitueront - de nouveaux dignitaires issus de la caste des hommes libres pour lesquels l’activitĂ© commerciale va devenir principale.

(1) Sur le ccpouvoir de fonction)) de 1’Etat. cf. P. de Comarmond, OUV. citĂ«. (2) Carle donne un exemple concret de ce r61e de 1’Etat. La cdation de rizikres sur une grande

Ă«chelle, rĂ«alisĂ«e par 1’Etat entraĂźne l’interdĂ«pendance des foko pour l’irrigation et l’entretien dFs ouvrages hydrauliques. Seul le roi peut arbitrer les conflits. G. Carle : ((Note sur les bassins rĂ©servoirs de la vallĂ«e infĂ«deure de la Mamba, affluent de l’Ikopa)), Bulletin Economique, vol. n O. 2, 1910, p. 169-173.

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Une armĂ©e de mĂ©tier se crĂ©e, formĂ©e d’hommes riches ayant de nombreux dependants et esclaves. Ils se payent sur le pays conquis, mais aussi un impĂŽt sp6cial est levĂ© pour l’armĂ©e, et les terres des militaires sont cultivĂ©es par le moyen de la corvĂ©e. Administrateurs et propriĂ©taires fonciers se lancent dans le commerce. Officiellement en 1832 (l), et officieusement bien avant, le monopole du commerce des fusils et de la poudre Ă©changĂ©s contre bƓufs et riz, appartenait Ă  la famille royale. Puis, petit Ă  petit, ce monopole Ă  caractĂšre politique devient, aux mains de la classe des hommes libres qui gravitent autour de la cour (2) , un monopole Ă©conomi- que englobant tout le commerce. Le premier ministre, contrĂŽlant les opĂ©rations de douane ; associĂ© Ă  plusieurs entreprises europĂȘennes de commerce, de transport et d’exploitation des minerais, en est le plus illustre reprĂ©sentant. L’histoire politique de 1’Etat est Ă  ce moment le simple reflet des contradictions Ă©conomiques entre les sociĂ©tĂ©s commerciales europĂ©ennes qui dĂ©sirent s’implanter dans le pays et contrĂŽler davantage le commerce, et les commercants malgaches qui veulent les limiter au commerce des comptoirs, mais qui ont besoin d’elles. Quand, de 1845 Ă  1853, le commerce extĂȘrieur est interrompu Ă  la suite d’incidents o Ù les traitants ĂȘtrangers avaient montrĂ© leurs trop grandes ambitions, les fonctionnaires-commerçants pren- nent leur siirplus sur le pays lui-mĂȘme, et des troubles sont signalĂ©s un peu partout : en particulier, les chefs militaires envoient leurs aides de camp rafler sur le marchĂ© les produits de la population pour les revendre Ă  leur propre compte.

Les commerçants sont libĂ©rĂ©s, non sans avoir auparavant complotĂ© contre elle, par la mort de Ranavalona I (1861) qui s’appuyait sur un parti traditionnaliste stigmatisant les dangers de la pĂ©nĂ©t.ration du commerce et de l’influence extĂ©rieurs ; mais ensuite ils feront assassiner Radama II qui avait ouvert trop grandes les portes : permission accordĂ©e aux compagnies commerciales de s’installer Ă  l’intĂ©rieur des terres, (alors que jusqu’ici elles Ă©taient limitĂ©es aux comptoirs de la cĂŽte), droit pour elles de recruter la main-d’Ɠuvre, d’immatriculer des concessions,

Ces contradictions au niveau politique de l’appareil d’Etat recouvrent d’autres contradictions qui ont par exemple Ă©clatĂ© en 1863, autour de l’assassinat du roi. L’alliance conjoncturelle dans cet assassinat entre le parti traditionnel qui voyait l’oligarchie s’occidentaliser Ă  outrance, et le parti des commerçants (qui avait pourtant coqtribuĂ© Ă  placer le roi sur le trĂŽne), masque un mouvement de base qui se produit pendant le rĂšgne de Radama II et dans les annĂ©es qui suivent sa mort, et qui est dirigĂ© contre les grands du royaume. S’il est vrai qu’aux manifestations populaires de 1863 se mĂȘlaient des motivations politico-idĂ©ologiques (on refusait une europĂ©anisation excessive pour revenir Ă  la tradition), certains faits, tels que le pillage ou l’incendie des grandes propriĂ©tĂȘs des environs de Tananarive, laissent penser qu’il y avait une exploitation ressentie (3). Exploitation ressentie d’abord par les petits commerçants branchĂ©s sur le marchĂ© intĂ©rieur ou situĂ©s aux tout derniers Ă©chelons du marchĂ© d’import-export, commerçants ctcivilsn qui n’avaient de place ni

(1) Une ordonnance spĂ©cifie” que le riz et les bƓufs,principaux produits d’exportation. ne doivent dtre livrĂ©s que contre des fusils et de la poudre, dont le gouvernement avait dĂ©j5 le monopole d’achat.

(2) Grandidier, p. 173, signale que ctministres et grands personnages ont une armĂ©e d’aides de camps (500, 800, 1200) qui font du commerce pour le patron et qui en Ă©change ont leur protection. Selon Boiteau (ouv. cit.) :((Partout le commerce est alliĂ© a l’organisation militaire, les armĂ©es participent Ă  la rĂ©parition des produits importĂ©s)) (p. 93) : ((Toutefois les gains seront rapidement monopolisĂ©s par les militaires les plus haut gradĂ©s (p. 100) h.,

(3) Grandidier, ouv. cit8.p. 149. signale que les commissaires fiscaux et les porteurs de message royaux en tournĂ©e dans les villages avaient et fait de repĂ©rer les riches, et sous pretexte d’une faute quelconque, de les piller. De mĂȘme, il est facile de mettre quelqu’un en esclavage (par exemple, manger un bƓuf volĂ© par un autre est un motif suffisant).

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dans l’armĂ©e ni dans l’administration : exploitation d’autant plus ressentie par les paysans que les successeurs d’Andrianampoinimerina non seulement n’ont pas poursuivi ses grands travaux d’hydraulique, mais encore n’ont pas entretenu ceux qui existaient dĂ©jĂ  ; voire, l’oligarchie se permettait d’utiliser Ă  son seul profit d’importants ouvrages d’intĂ©rĂȘt collectif (1).

* Mais l’engrenage du commerce extĂ©rieur enclanchĂ© dĂšs la constitution du royau- me est irrĂ©versible, et l’exploitation des communautĂ©s locales par les reprĂ©sentants de 1’Etat ne pourra aller qu’en s’aggravant au fur et Ă  mesure que les sociĂ©tĂ©s commer- ciales europĂ©ennes s’implanteront dans le pays, rĂ©duisant les commerçants malgaches Ă  un rĂŽle accessoire. Ceux-ci ne peuvent que reporter leur exploitation sur le pays par le biais administratif (qugmentation des impĂŽts), en augmentant les prix de dĂ©tail des objets importĂ©s et en accroissant leur propriĂ©tĂ© fonciĂšre.

Pour empĂȘcher que cette pression n’entraĂźne des rĂ©actions en retour, l’encadre- ment administratif s’alourdit et entraĂźne l’accroissement des impĂŽts et des corvĂ©es.

Par ailleurs, le dĂ©veloppement du portage parallĂšle Ă  celui du commerce, l’accroissement des besoins de la cour (constructions, artisanat et petites industries de 1’Etatr) , (recherche de l’or), les nouvelles exigences des sociĂ©tĂ©s Ă©trangĂšres et des colons, enfin la guerre de 1883, entraĂźnent un accroissement considĂ©rable de la corvĂ©e. Plusieurs rĂ©voltes ont pour origine les corvĂ©es abusives imposĂ©es par les gouverneurs de province (2)..La condition d’homme libre pauvre est tellement peu enviĂ©e que des esclaves prĂȘtĂ©s par leurs maĂźtres Ă  des commerçants europĂ©ens qui leur donnent un salaire et qui ont la possibilitĂ© de se racheter, ne le font en gĂ©nĂ©ral pas, pour Ă©viter corvĂ©es, rĂ©quisitions e t impĂŽts (3).

Ainsi on peut souligner, Ă  la fin de cette pĂ©riode prĂ©coloniale, que les diffĂ©- renciations sociales qui se rĂ©alisent Ă  l’intĂ©rieur des communautĂ©s rurales ne se basent pas sur la production agricole, mais sur les activitĂ©s qui se sont dĂ©veloppĂ©es avec la constitution de 1’Etat : armĂ©e, administration, commerce. Certains de ces possĂ©dants ont transfĂ©rĂ© leur fortune dans le domaine foncier comme le montre la rĂ©volte de 1863 contre les grands propriĂ©taires. La disparition de 1’Etat merina entraĂźnera leur disparition en tant que classe constituĂ©e au niveau national, en mĂȘme temps que la dĂ©gradation du systĂšme du foko, dont le principe (unitĂ© du territoire par l’endoga- mie) continue pourtant Ă  opĂ©rer Ă  des Ă©chelles diverses de plus en plus restreintes .

NĂ©anmoins, cette nouvelle richesse fonciĂšre est d’une nature radicalement di€fĂ©rente de celle de la pĂ©riode de l’unification ou de la pĂ©riode prĂ©cĂ©dente. Avant l’unification, le seigneur est riche dans le cadre du groupe e t du fief qu’il contrble : s’il peut I’entrĂ ĂŹner dans des guerres pour rĂ©aliser des ambitions bersonneIles, il doit nĂ©gocier le soutient de ses membres, et l’enrichissement, s’ilest inĂ©gal, est tout de mĂȘme parallĂšle. Le droit de propriĂ©tĂ© n’existe pas (seul le droit de possession), laterrenepouvait faire l’objet d’accaparement ; c’est par le tribut que I...] faire l’exploitation.

Avec Andrianampoinimerina, les terres donnĂ©es aux militaires Ă©chappent au contrĂŽle des fiefs et des groupes de descendance ; un vĂ©ritable droit de propriĂ©tĂ© apparaĂźt de mĂȘme pour certaines terres rec.onquises sur les Sakalava et rĂ©servĂ©es par

(1) J.P. Raison : (ouv. citĂ©) et Carle : {(Etude sur l’hydraulique et les amĂ©liorations fonciĂšres $ Madagascar. Bulletin Economique. vol. XI. n ? 1. 1911, p. 81-99.

(2) Des champs, ouv. cite p. 209. (3) cf. Grandidier, ouv. citĂ©, p. 144 - Selon Chapus: ((80 ans d’influence europĂ©enne eh

Imerinan. p. 303, la valeur de rachat de l’esclave dminue de moitide entre 1870 e t 1890.

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le roi Ă  ceux qui pouvaient les acheter, afin de dĂ©fendre les marges du royaume. L’accession Ă  ces terres est soumise au prĂ©alable de la lĂ©gislation royale, mais une fois acquises elles sont aliĂ©nables. Par la suite, les terres concĂ©dĂ©es aux militaires deviennent de plus en plus nombreuses et Ă©tendues, des concessions sont accordĂ©es, puis refusĂ©es aux europeens mais l’oligarchie du rĂ©gime conserve toujours un droit de propriĂ©te absolu. Ceci alors que le code de 1881 abonde en clauses prĂ©voyant la rĂ©vocation des fiefs. Le systĂšme de la propriĂ©tĂ© ctfĂ©odalen est donc dĂ©jĂ  dominĂ© par le simple droit de propriĂ©tĂ© privĂ©e. Ce droit s’exerce massivement sur les terres non occupĂ©es par fiefs ou des groupes de descendance, mais sur les terres de ce statut la pratique de l’esclavage pour dettes, trĂšs rĂ©pandue Ă©quivaut simplement 1 une vente forcĂ©e. Il est difficile de dire, en l’absence d’enquĂȘtes historiques concrĂštes, si le phĂ©nomĂšne de la concentration fonciĂšre est liĂ© - et comment - au phĂ©nomĂšne de la segmentation des dĂšmes - ce dernier phĂ©nomĂšne n’est pas, de plus, trĂšs prĂ©cisĂ©- ment dĂ©crit, m6me s’il est bien rĂ©pĂ©rĂ© (1).

On peut voir a posteriori combien Ă  la fin de cette pĂ©riode, le fossĂ© entre ces communautĂ©s et l’oligarchie est profond : les mouvements populaires de rĂ©sistance Ă  la colonisation n’ont jamais Ă©tĂ© coordonĂ©es par des hauts reprĂ©sentants politiques traditionnels qui en auraient eu la possibilitĂ©. Si certains les encourageaient, de maniĂšre toutefois discrĂšte, les autres s’employaient Ă  maintenir activement la paix, certains mĂȘme furent victimes de rebelles ( 2 ) .

4 -Le pouvoir colonial qui se substitue Ă  la monarchie se superpose, comme elle, Ă  la cellule de base qu’est le foko. En mĂȘme temps, il instaure le processus qui aboutira Ă  la dĂ©gradation de ce dernier : changement des responsables de foko interlocuteurs du gouvernement, dĂ©part de nombreux autres sur la cĂŽte ou dans la ville de Tananarive qui s’agrandit. L’organisation hydraulique et agricole de la plaine ne peut qu’en pĂątir, et les exemples abondent de riziĂšres redevenues marais, peu avant ou peu aprĂšs la colonisation ( 3 ) .

Certains fonctionnaires de 1’Etat malgache : ceux en particulier qui se trouvent dĂ©pourvus de main-d’Ɠuvre Ă  la suite de la suppression de l’esclavage, partent aussi sur la cĂŽte faire des plantations commerciales ou du commerce ; mais d’élite)) est rapidement utilisĂ©e pour faire les cadres administratifs, sociaux (infirmiers, mĂ©decins), culturels (Ă©coles, missions), techniques, du nouveau pouvoir, aussi bien dans leur rĂ©gion propre que dans les autres rĂ©gions de l’üle ... Le commerce se dĂ©veloppe, mais les mesures d’ordre Ă©conomique et politique apportĂ©es par la colonisation pour interdire l’essor des commerçants autochtones et favoriser les français provoquent un certain repliement sur les communautes rurales. C’est cette petite bourgeoisie qui sera la premi6re Ă  ressentir les obstacles portĂ©s par la colonisation, et qui d’abord isolĂ©s (1916), puis en union avec le peuple (1947), engagera la lutte nationale. Ainsi les foko se retrouvent avec Ăą leur tĂȘte de nouveaux chefs, naturels ou imposĂ©s. Dans le nouveau contexte de diffĂ©renciation de l’activitĂ© Ă©conomique (commerce, salariat), la culture du riz, surtout lĂ  o Ù elle exige de grands travaux comme dans la plaine de Tananarive, est parfois dĂ©laissĂ©e. Les possibilitĂ©s de trouver des sources de revenu ailleurs que dans l’agriculture et dans le cadre social du foko deviennent plus grandes pour chaque individu. La mobilitĂ© gĂ©ographique, que permet le

(1) cf. Bloch : Placing the Dead, p. 46-49

(2) Raison ( o w . cit.) d’aprĂšs Archives de la RĂ©publique Malgache, Cabinet Civil, D. 44, TP. (3) Carle (ouv. citĂ©).

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changement politique et Ă©conomique, s’accroĂźt, particuliĂšrement sur la plaine de Tananarive que les gens peuvent considĂ©rer comme une Ă©tape en attendant de pĂ©nĂ©trer dans la ville elle-mĂȘme. Au foko, dĂšme, est substituĂ© presque dĂ©finitivement le fokonolona, ou rassemblement de segments de dĂšmes.

La suppression de l’esclavage entraĂźne le dĂ©part de certains esclaves Ă  la capitale comme manƓuvres, ou ailleurs sur des terres vierges, mais beaucoup, sans ressources, et sans initiative prĂ©fĂšrent rester prĂšs de leurs maĂźtres et deviennent peu Ă  peu leurs mĂ©tayers. Eux, dans la mesure oh ils restent Ă©conomiquement dĂ©pendants des maĂźtres, se sentiront moins concernĂ©s par la lutte nationale, ce qui explique que la colonisation ait un moment tentĂ© de les organiser pour contrecarrer la vague nationaliste.

La rĂ©volte de 1947 a eu principalement ie caractĂšre d’une lutte nationale, mais elle ne peut manquer de faire penser aussi par certains de ses aspects Ă  une lutte sociale : assassinat de grands propriĂ©taires fonciers malgaches, brimades que les jeunes font subir aux anciens ... Cependant, durant la pĂ©riode coloniale comme avant, pendant la pĂ©riode de 1’Etat merina, c’est entre les producteurs et la classe des commerçants et administrateurs que les antagonismes sont les plus forts, ces derniers n’étant que les relais de la colonisation. Pour Ă©viter comme en 47, semblable alliance entre le peuple et les ((Ă©lites)), la colonisation va tenter de dĂ©velopper une petite bourgeoisie rurale et citadine, en facilitant l’accĂšs aux postes supĂ©rieurs de l’administration (notamment en ouvrant la porte de l’enseignement supĂ©rieur) mais toujours subordonnĂ©s Ă  l’administration Ă©trangĂšre ; e t en crĂ©ant au niveau local les cellules communales basĂ©es sur le principe dĂ©mocratique Ă©lectora1 destinĂ©es Ă  susciter et protĂ©ger les initiatives de la-base, des foko. On verra plus loin comment fonctionne cette dĂ©mocratie locale, qui n’est finalement qu’un ,relais du pouvoir central, et qui favorisera la constitution d’une petite bourgeoisie contrĂŽlant le milieu rural.

Par contre, les horizons Ă©conomiques du commerce et de l’industrie demeurent pratiquement les mĂȘmes ou s’élargissent trĂšs lentement Ă  cette Ă©poque comme aprĂšs l’IndĂ©pendance. Celle-ci d’ailleurs n’introduit aucun changement notable par rapport Ă  la pĂ©riode prĂ©cĂ©dente, en ce qui concerne le milieu rural si ce n’est en favorisant un peu plus la petite bourgeoisie rurale, par le biais des organismes techniques et Ă©conomiques crĂ©Ă©s Ă  l’échelle communale. On entreprendra donc la description des systĂšmes du foko et du mĂ©tayage, et celle de la petite bourgeoisie rurale qui coiffe ces deux systĂšmes.

Les observations ci-aprĂšs portent sur plusieurs points de la plaine de Tananarive pour les donnĂ©es statistiques, l’enquĂȘte de la section de GĂ©ographie de I’ORSTOM. En ce qui concerne l’étude des foko, nous faisons rĂ©fĂ©rence Ă  l’étude de R. WAAST qui a Ă©tudiĂ© un des foko les mieux conservĂ©s de la plaine de Tananarive ; il s’en trouve peu Ă  l’heure actuelle. Les observations sur le mĂ©tayage portent sur deux villages pris en des points diffĂ©rents de la plaine : pour l’un d’eux, que nous avions Ă©tudiĂ©e avant denous centrer sur ce problĂšme-lĂ , nous donnons toutes les donnĂ©es gĂ©nĂ©rales nĂ©cessaires

Nous avions choisi l’autre en fonction du fait que c’étaient des andriana qui Ă©taient les propriĂ©taires et non des hova. I1 est vite apparu que cette distinction ne servait Ă  rien, mais que par contre, Ă  la diffĂ©rence du premier village oĂč presque tous les propriĂ©taires Ă©taient absents, les rapports propriĂ©taires mĂ©tayers (recouvrant des rapports anciens maĂźtres-anciens esclaves), non contestables au niveau Ă©conomi- que, faisaient l’objet de multiples incidents au niveau politique. C’est sur ce plan

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que nous faisons les principales observations. Enfin, pour I'Ă©tude de la petite b o w geoisie rurale, nos observations portent sur un chef-lieu d'une commune rurale, endroit oĂč se concentrent gĂ©nĂ©ralement les notables. Le point d'enquĂȘte le plus Ă©loignĂ© se trouve Ă  12 km de Tananarive (1).

(( Le présent article se poursuivra, dans le prochain numéro des Cahiers, par lVtude du foko , des nouveaux notables, du métayage, du mécanisme de reproduc- tion du foko et du mgtayage, de l'organisation d u travailà l'époque actuelle)).

(1) R. Cabanes - Plaine de Tananarive - Etude du village de Namehana, ranho, ORSTOM, 1967,156 p.

Etude d'une commune rurale, ronéo, ORSTOM, 1967.84 p.