Centre national de la recherche scientifique - L’UNIVERS DU … · 2015-09-22 · L’univers du...

18
L’UNIVERS DU MANUSCRIT ARABE, À TRAVERS LES COLLECTIONS DES BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES DE BASSE-NORMANDIE Par M. Pierre AGERON (Séance privée du 22 septembre 2012) Présenter un aperçu cohérent de l’univers du livre manuscrit en écriture arabe en se donnant comme contrainte de ne l’illustrer que par des exemples conservés dans les bibliothèques publiques de Basse-Normandie, voilà une proposition qui pourrait a priori sembler difcilement soutenable. On la ju- gera peut-être plus raisonnable après avoir pris conscience de l’exceptionnelle diversité en termes de genres littéraires, d’époques historiques et d’origines géographiques du corpus manuscrit bas-normand en écriture arabe. La collec- tion du pasteur Samuel Bochart (1599-1667), conservée à Caen, en constitue le noyau initial : an de mettre en œuvre son programme érudit consistant à éclairer le texte biblique par les racines arabes, il avait utilisé différentes strates de son réseau amical et savant pour collecter les sources manuscrites en cette langue, ou, à défaut, les copier à son usage. Lors de son long séjour à Caen, le traducteur des Mille et une nuits, Antoine Galland (1647-1715), demanda à voir les manuscrits arabes laissés par Bochart et annota quatre d’entre eux. Aux XIX e et XX e siècles, les fonds manuscrits des bibliothèques de Caen, mais aussi de celles de Lisieux, Bayeux et Cherbourg se sont trouvés régulièrement augmentés d’achats ou de dons de manuscrits en écriture arabe de toute nature. À travers tous ces documents, on ne fait pas que s’instruire sur l’histoire du li- vre : on perçoit aussi quatre siècles de regards normands sur les terres d’Islam, entre l’érudition des orientalistes, la fascination des voyageurs, l’attrait des collectionneurs de cabinet et l’ambiguë violence des guerres de conquête. Le manuscrit en écriture arabe : quelques indications générales Langues. L’expression courante « manuscrits arabes » est fâcheusement équivoque : il est préférable de distinguer clairement manuscrits en langue arabe et manuscrits en écriture arabe. En effet, dans toutes les contrées où s’est implanté l’islam, de très nombreuses langues, linguistiquement fort dif- férentes de l’arabe, ont emprunté l’alphabet arabe, après l’avoir parfois adapté ou complété, et produit leur propre littérature. Parmi elles, on compte prin- cipalement le persan et le turc – qui adopta l’alphabet latin en 1928 –, mais Ageron NB corr.indd Sec2:69 Ageron NB corr.indd Sec2:69 18/12/13 21:32:22 18/12/13 21:32:22

Transcript of Centre national de la recherche scientifique - L’UNIVERS DU … · 2015-09-22 · L’univers du...

L’UNIVERS DU MANUSCRIT ARABE,

À TRAVERS LES COLLECTIONS

DES BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES

DE BASSE-NORMANDIE

Par M. Pierre AGERON

(Séance privée du 22 septembre 2012)

Présenter un aperçu cohérent de l’univers du livre manuscrit en écriture arabe en se donnant comme contrainte de ne l’illustrer que par des exemples conservés dans les bibliothèques publiques de Basse-Normandie, voilà une proposition qui pourrait a priori sembler diffi cilement soutenable. On la ju-gera peut-être plus raisonnable après avoir pris conscience de l’exceptionnelle diversité en termes de genres littéraires, d’époques historiques et d’origines géographiques du corpus manuscrit bas-normand en écriture arabe. La collec-tion du pasteur Samuel Bochart (1599-1667), conservée à Caen, en constitue le noyau initial : afi n de mettre en œuvre son programme érudit consistant à éclairer le texte biblique par les racines arabes, il avait utilisé différentes strates de son réseau amical et savant pour collecter les sources manuscrites en cette langue, ou, à défaut, les copier à son usage. Lors de son long séjour à Caen, le traducteur des Mille et une nuits, Antoine Galland (1647-1715), demanda à voir les manuscrits arabes laissés par Bochart et annota quatre d’entre eux. Aux XIXe et XXe siècles, les fonds manuscrits des bibliothèques de Caen, mais aussi de celles de Lisieux, Bayeux et Cherbourg se sont trouvés régulièrement augmentés d’achats ou de dons de manuscrits en écriture arabe de toute nature. À travers tous ces documents, on ne fait pas que s’instruire sur l’histoire du li-vre : on perçoit aussi quatre siècles de regards normands sur les terres d’Islam, entre l’érudition des orientalistes, la fascination des voyageurs, l’attrait des collectionneurs de cabinet et l’ambiguë violence des guerres de conquête.

Le manuscrit en écriture arabe : quelques indications générales

Langues. L’expression courante « manuscrits arabes » est fâcheusement équivoque : il est préférable de distinguer clairement manuscrits en langue arabe et manuscrits en écriture arabe. En effet, dans toutes les contrées où s’est implanté l’islam, de très nombreuses langues, linguistiquement fort dif-férentes de l’arabe, ont emprunté l’alphabet arabe, après l’avoir parfois adapté ou complété, et produit leur propre littérature. Parmi elles, on compte prin-cipalement le persan et le turc – qui adopta l’alphabet latin en 1928 –, mais

Ageron NB corr.indd Sec2:69Ageron NB corr.indd Sec2:69 18/12/13 21:32:2218/12/13 21:32:22

70 Pierre AGERON

aussi l’ourdou, le malais jawi et beaucoup de langues d’Afrique subsaharienne (touareg, peul, haoussa, wolof, mandingue, soninké, pulaar, swahili, etc.) anté-rieurement à la colonisation européenne.

Genres. La civilisation islamique classique, fondée sur un livre – le Coran –, a fortement valorisé l’écrit. L’éclat intellectuel qu’elle connut pendant plusieurs siècles et la large diffusion de la langue arabe conduisirent à la composition d’ouvrages de toutes sortes. Parmi eux, les traités de sciences religieuses musul-manes dominaient nettement. Les sciences et la philosophie, revendiquant tout en le faisant fructifi er l’héritage des anciens Grecs, ont été abondamment culti-vées. La poésie, déjà aimée des Arabes d’avant l’Islam, conservait une place non négligeable. Le théâtre, en revanche, était inexistant.

Conservation. Traditionnellement, les livres manuscrits en écriture arabe étaient utilisés et jalousement conservés au sein de la sphère familiale. Certains, à la suite de dons ou de legs, étaient constitués en bien de mainmorte (waqf, habs) auprès de mosquées, d’écoles ou d’autres institutions musulmanes ou parfois chrétiennes. Ils devenaient ainsi, en principe, inaliénables : on y portait plusieurs fois la mention waqf ou habs (le premier mot est plutôt oriental, le second plutôt maghrébin) et on y ajoutait souvent quelques lignes précisant l’identité du donateur ainsi que de menaçantes mises en garde (fulminations) envers qui viendrait à sortir le livre du lieu auquel il était destiné.

Fonds. Au total, le nombre des livres manuscrits en écriture arabe est éva-lué à quatre millions, dont deux à trois millions sont en langue arabe. Cet océan est dispersé sur les cinq continents, avec des fonds particulièrement considé-rables dans l’ancienne capitale ottomane Istanbul et dans les capitales arabes (Rabat, Tunis, le Caire, Damas,...) Les hauts lieux de l’orientalisme européen (Leyde, Londres, Paris, Rome, Berlin,...) conservent aussi de très importantes collections, constituées au fi l des siècles, comme butins de guerres ou fruits de campagnes d’achats. Les collections secondaires, publiques ou privées, sont innombrables et souvent très mal connues.

Supports. L’adoption très précoce du papier, support bien plus résistant que le papyrus et plus économique que le parchemin, a puissamment favorisé la réalisation de multiples copies manuscrites de tous ces livres. On associe habi-tuellement l’introduction du papier dans le monde arabe à la capture de prison-niers chinois lors de la bataille de Talas en 751 ; sa fabrication semble attestée à Bagdad en 794 et on constate que passé l’an 1000, la quasi-totalité des manus-crits arabes sont écrits sur papier – à l’exception notable des copies maghrébi-nes du Coran, restées longtemps encore fi dèles au parchemin. Rappelons qu’en Europe, le triomphe du papier sur le parchemin ne survint qu’au XVe siècle.

Écritures. Aux écritures très anguleuses des débuts de l’époque abbasside, dites kûfi ques, ont succédé plusieurs styles d’écriture cursive très tôt codifi és, parmi lesquels le naskh sobre et lisible, le thuluth aux lettres arrondies et entre-lacées et le muhaqqaq qui s’élance vivement vers la gauche. Le style nasta‘lîq, imprimant à chaque mot un mouvement descendant, est associé à la langue persane. Le style maghribî de l’Afrique du nord, arrondi et estompé, se recon-

Ageron NB corr.indd Sec2:70Ageron NB corr.indd Sec2:70 18/12/13 21:32:2218/12/13 21:32:22

L’univers du manuscrit arabe… [en] Basse-Normandie 71

naît avant tout à la forme particulière de quelques lettres : le fâ’ reçoit un point souscrit et non suscrit, le qâf reçoit un point suscrit et non deux, le nûn ne reçoit en général pas de point lorsqu’il est en position fi nale. Ces par-ticularités se retrouvent dans le style sûdânî de l’Afrique noire, caractérisé par un aspect général nettement anguleux.

Reliures. La reliure arabo-musulmane la plus courante est la reliure à ais et rabat. Elle est constituée de deux plats, formés d’un ais en carton rigide sup-portant une couvrure en cuir, et d’un rabat, prolongeant le plat inférieur pour venir s’insérer sous le plat supérieur. Au plat supérieur, la couvrure est presque toujours estampée d’une mandorle (amande), dont le grand axe est vertical. Le plus souvent, cette mandorle est ourlée de lobes, prolongée en haut et en bas par deux fl eurons et renferme en son centre un motif d’arabesques (rinceaux). On en trouve un écho sur le plat inférieur et parfois sur le rabat. Ce décor peut être estampé « à froid » ou, au contraire, doré ou coloré. Certaines régions offrent des particularités. Au Maghreb, on observe fréquemment des rangées de tresses ou d’entrelacs près des bords et des quatre-feuilles aux écoinçons d’un cadre central contenant la mandorle. Les livres iraniens présentent souvent de riches reliures en cuir noir à large plaque centrale, peintes et laquées. Les livres « soudanais » (Afrique noire) ne sont pas constitués de cahiers cousus et reliés, mais d’un empilement de feuillets ou de bifeuillets dans un portefeuille souple, formé d’une pièce de peau de mouton ou de chèvre non épilée, avec un rabat en triangle et un lacet pour fermer l’ensemble. Enfi n, certains livres ont pu être ultérieurement dotés d’une reliure européenne : c’est clairement le cas lorsqu’on trouve une reliure à nerfs, inconnue en pays d’Islam.

Livres imprimés. Alors que dans l’Europe latine, l’activité économique consistant à copier des manuscrits s’était trouvée marginalisée par l’inven-tion de Gutenberg dès la fi n du XVe siècle, elle subsista dans les pays d’Islam jusqu’au milieu du XXe siècle. Les dates signifi catives de l’histoire de l’impri-merie y sont celles de l’ouverture des grandes presses appuyées par le pouvoir : en 1727 à Istanbul, en 1822 au Caire (imprimerie de Bûlâq), en 1865 à Fès (presse lithographique royale du Maroc). Cette adoption tardive et progressive de l’imprimerie est un facteur d’explication du nombre colossal des manuscrits arabes, en nombre très supérieur à celui des manuscrits grecs ou latins.

Manuscrits de main orientaliste. Certains manuscrits en écriture arabe ont été copiés par des personnes qui n’étaient pas de culture arabo-islamique, notamment des orientalistes européens. Ils font selon nous pleinement partie du sujet, mais n’ont guère attiré l’attention jusqu’à présent.

Cet article présente les volumes ou recueils factices suivants (nous privilé-gions à chaque fois que possible le système de cotation du Catalogue général des manuscrits) : les manuscrits 7, 8, 51, 80, 90, 91, 186, 187, 188, 189, 190, 191, 198, 199, 201 et 817 de la bibliothèque de Caen, communauté d’agglomé-ration de Caen la mer ; les manuscrits 339, 465, 583 et 637 de la bibliothèque Jacques Prévert de Cherbourg-Octeville ; le manuscrit 251 de la bibliothèque municipale de Bayeux ; les manuscrits 1, 2 et un manuscrit non coté de la

Ageron NB corr.indd Sec2:71Ageron NB corr.indd Sec2:71 18/12/13 21:32:2218/12/13 21:32:22

72 Pierre AGERON

médiathèque André Malraux de Lisieux ; les manuscrits 257 et 2023 de la collection Mancel au musée des Beaux-Arts de Caen ; le manuscrit 252105 de la bibliothèque de l’université de Caen Basse-Normandie (département droit-lettres). Les identifi cations, descriptions et analyses des manuscrits de Caen, Lisieux et Cherbourg résument nos propres publications sur le sujet1, qu’elles complètent ou corrigent en quelques endroits. De plus, nous présentons ici pour la première fois le manuscrit de Bayeux, celui de l’université de Caen et ceux de la collection Mancel. Tous ces manuscrits sont groupés en sept chapitres, dont chacun commence par une brève présentation générale du genre concerné :

Manuscrits coraniques• Manuscrits bibliques • Sciences religieuses musulmanes • Grammaires et dictionnaires • Sciences naturelles et médicales • Magie et talismans • Manuscrits à peinture. •

Les dates relevées sur les manuscrits sont le plus souvent données en ca-lendrier lunaire hégirien, nous les avons ici systématiquement converties en calendrier grégorien.

1. – Manuscrits coraniques

Le Coran (récitation) est considéré par les musulmans comme la transcription de la parole incréée que Dieu a fait « descendre » sur le prophète Muhammad, par l’intermédiaire de l’ange Gabriel, entre 610 et 632 après Jésus-Christ. Fondement de la religion musulmane, c’est aussi le premier livre en langue arabe et celui qui, de très loin, a été le plus copié. Le texte en a pour l’essentiel été fi xé très tôt. Il inclut obligatoirement toutes les voyelles brèves et les signes dits orthoépiques, facultatifs en arabe, afi n d’éviter toute ambiguïté sur le sens des mots – il existe néanmoins sept variantes autorisées. Sa longueur est à peu près celle du Nouveau Testament. Selon le module de l’écriture du copiste et les dimensions du papier, il peut tenir dans un seul volume ou être réparti sur plu-sieurs : le plus souvent deux, quatre ou huit, mais aussi parfois sept (nombre de jours dans la semaine) ou trente (nombre de jours dans le mois lunaire). Quant aux éditions imprimées, elles sont étonnamment tardives : la première impres-sion intégrale du Coran en arabe est celle de Hambourg (1694)2 et la première à avoir été réalisée en pays d’Islam est celle du Caire (1923).

Le texte coranique est subdivisé en cent quatorze sourates, de longueur très variable. Les titres des sourates admettent des variantes et ne sont pas considé-

1 Voir : P. AGERON, « Les manuscrits arabes de la bibliothèque de Caen », Annales de Normandie, 58 (1-2), 2008, p. 77-133 ; « Les manuscrits arabes de la bibliothèque de Lisieux », Le Pays d’Auge, 59 (5), 2009, p. 5-17 ; « Les manuscrits arabes de la bibliothèque de Cherbourg », Revue de la Manche, 52 (208), p. 3-30.

2 Elle fut suivie de près par celle de Padoue (1698). L’érudit caennais Pierre-Daniel Huet (1630-1721) possédait ces deux éditions imprimées (voir le Catalogus bibliothecæ Huetianæ, ms. 517 de la bibliothèque de Caen, où elles portent respectivement le n° 517 et le n° 515) ; Huet pos-sédait aussi plusieurs manuscrits du Coran qui sont aujourd’hui à la BnF.

Ageron NB corr.indd Sec2:72Ageron NB corr.indd Sec2:72 18/12/13 21:32:2218/12/13 21:32:22

L’univers du manuscrit arabe… [en] Basse-Normandie 73

rés comme révélés. Leurs numéros, que les Européens ont l’habitude de noter en chiffres romains, ne sont pas portés dans les manuscrits. Les sourates sont classées par ordre de longueur décroissante, avec quelques irrégularités dont la principale concerne la première sourate, qui est très courte. Cet ordre ne coïn-cide pas avec l’ordre chronologique de la révélation : par exemple, on donne en général la sourate XCXVI comme la première descendue. C’est pourquoi les manuscrits précisent souvent l’origine mecquoise ou médinoise de chacune d’elles, c’est-à-dire si, selon la tradition, elle est descendue à la Mecque, lors de la première partie de la prédication de Muhammad, ou bien après son émi-gration à Médine en 622 (l’Hégire). Les sourates sont divisées en versets, non numérotés, mais presque toujours séparés par un signe spécifi que. Certains manuscrits marquent aussi les groupes de dix versets, voire de cinq versets. Beaucoup de manuscrits précisent au début de chaque sourate le nombre de ses versets : il varie de 4 pour la sourate CXII jusqu’à 286 pour la sourate II.

À la subdivision en sourates et versets a été superposée une seconde subdi-vision, qui apparaît dans les manuscrits au XIIe siècle. Elle partage le texte en trente parties de même longueur, afi n d’aider à la mémorisation du Coran et à sa récitation complète au cours du mois de Ramadan. Chaque partie (juz’) est elle-même divisée en deux portions égales, et ainsi de suite : un hizb est une moitié de juz’, un nisf est une moitié de hizb, un rub‘ est un quart de hizb, un thumn est un huitième de hizb. Beaucoup de manuscrits indiquent ces divisions.

Certains juristes ont considéré que l’enluminure du Coran est blâmable et on trouve des manuscrits sans aucun décor. Mais le plus souvent, le décor des manuscrits coraniques est riche. Il reste cependant purement abstrait et concentré en quelques points stratégiques : la double page initiale et la double page fi nale – parfois aussi celle du milieu –, les bandeaux contenant les titres des sourates, les vignettes marginales qui marquent le début de chaque sourate, chaque juz ou chaque hizb.

Les bibliothèques de Basse-Normandie conservent sept copies manuscrites du Coran, partielles ou intégrales. Chacune présente les caractéristiques de son époque et de sa région d’origine.

Le ms. Caen 187 est le cinquième volume (sur huit) d’un coran maghré-bin du XIVe siècle. Son entrée à la bibliothèque de la ville de Caen peut être fi xée entre 1823 et 1839, ce qui suggère qu’il s’agit d’un « souvenir » de la conquête de l’Algérie. Les bifeuillets de parchemin, de format presque carré, se succèdent dans un ordre hasardeux et avec des lacunes au sein d’un classeur à fi ls. Le texte en gros caractères maghrébins et la vocalisation sont à l’encre brune, mais les signes orthoépiques se distinguent par des encres bleue, rouge ou verte. Les versets sont séparés par un signe formé de trois disques dorés disposés en triangle et garnis de points rouges et verts. En tête de chaque sou-rate, son titre et le nombre de ses versets sont écrits à l’encre dorée, le trait étant rehaussé d’un liseré à l'encre rouge, et accompagnés dans la marge de médaillons rouges, verts et dorés, garnis de points et petites dents sur leur pourtour. Les fi ns de hizb sont marquées par un autre type de médaillon : deux cercles concentriques dont les pourtours et la couronne intermédiaire sont gar-nis de points. On trouve aussi des indications de prosternation rituelle : le mot

Ageron NB corr.indd Sec2:73Ageron NB corr.indd Sec2:73 18/12/13 21:32:2218/12/13 21:32:22

74 Pierre AGERON

Ms. univ. de Caen 252105 (Coran iranien, XVIe siècle, sourate 1-2).

Ms. bibl. de Caen 187 (Coran maghrébin, XIVe siècle, sourates 25-26).

Ageron NB corr.indd Sec2:74Ageron NB corr.indd Sec2:74 18/12/13 21:32:2218/12/13 21:32:22

L’univers du manuscrit arabe… [en] Basse-Normandie 75

sijda placé au milieu de deux cercles concentriques. Ce manuscrit semble très proche du manuscrit BnF Arabe 423. 65 f., 205 sur 185 mm, 9 lignes par page, cote d’usage : in-4° 9

Le ms. Université 252105 est un Coran iranien en un seul volume du XVIe siècle. Il fut donné en 1972 par Nelly Corbeau, qui dota la bibliothèque universitaire de Caen d’un lot de livres anciens de valeur. La reliure à ais, tranchefi les et rabat est couverte de cuir rouge-brun ; le large panneau central, traversé par un axe vertical et encadré d’entrelacs, est estampé « à froid » d’une mandorle et d’écoinçons à arabesques. Le texte, inscrit dans un cadré doré, est écrit à l’encre noire et les titres des sourates apparaissent en blanc sur fond or, dans des bandeaux. Les versets sont séparés par des petits disques dorés. Les groupes de dix versets sont signalés en marge par la lettre à l’encre rouge. Les juz’-s, hizb-s et nisf-s sont séparés par des médaillons dorés entourés de deux cercles et terminés par des fl eurons. Trois doubles pages (au début, au milieu et à la fi n) sont richement enluminées d’or, rouge et bleu. La première, dont le fond est entièrement doré, met face à face la première sourate et les quatre premiers versets de la deuxième entre deux cartouches et deux ban-deaux d’arabesques, tandis que court sur les trois côtés extérieurs une large bande garnie d’arabesques, de fl eurs et d’oiseaux. 358 f., 150 sur 85 mm, 14 lignes par page

Le ms. Caen 51 est le premier volume (sur sept) d’un Coran oriental du XVIIe siècle. Il appartenait à Nicolas du Moustier de la Motte (1613-1698), lieutenant général du bailliage de Caen, qui l’avait communiqué à son ami et pa-rent Samuel Bochart. Le manuscrit contient les sourates II, III et IV ; la sourate I a disparu. L’écriture orientale est élégante, mais elle n’est rehaussée d’aucun décor, si ce n’est la séparation des versets par des petits cercles rouges. 51 f., 160 sur 105 mm , 9 lignes par page

Le ms. Bayeux 251 est le second volume (sur deux) d’un Coran soudanais du XIXe siècle. Dans le colophon, le copiste Muhammad Kah ibn Jâl demande à Dieu de protéger les siens jusqu’à ce qu’ils soient rentrés dans leur pays. Présenté comme venant de Tombouctou, il a été offert en 1863 à la biblio-thèque de Bayeux par Christophe-Augustin Lamare-Picquot (1785-1873), pharmacien, naturaliste, voyageur et collectionneur – qui n’a cependant jamais visité l’Afrique continentale. Les feuillets sont empilés dans un portefeuille en peau avec poil apparent, fermant au moyen d’une cordelette. L’écriture est soudanaise, l’encre est noire, sauf les voyelles, signes orthoépiques et titres de sourates qui sont à l’encre brune. Les versets sont séparés par des petits disques bruns cerclés de noir, avec de plus un point noir au centre pour signaler les groupes de dix. Indications de hizb (dans un fi let brun) et de rub’. 221 f., 205 sur 150 mm, 11 à 13 lignes par page

Le ms. Cherbourg 339 est le second volume (sur deux) d’un Coran sou-danais du XIXe siècle. Il daterait de 1860 environ et a été acheté par la biblio-thèque en 1904. Les feuillets sont empilés dans un portefeuille en peau avec poil apparent, fermant au moyen d’un lacet de cuir. L’écriture est soudanaise,

Ageron NB corr.indd Sec2:75Ageron NB corr.indd Sec2:75 18/12/13 21:32:2318/12/13 21:32:23

76 Pierre AGERON

l’encre est noire, sauf les voyelles, signes orthoépiques, titres des sourates et mentions marginales hizb, nisf, rub‘, thumn qui sont à l’encre rouge. Les ver-sets sont séparés par des disques dorés cernés de rouge. 116 f., 200 sur 170 mm, 16 lignes par page

Le ms. Cherbourg 583 est un Coran ottoman en un seul volume du XIXe siècle. Dans le colophon, le copiste al-Hâjj Sayyid Âghâ Mûsa date son travail et celui de l’enlumineur Murâd (?) de 1850. D’abord constitué en waqf, comme l’indiquent sans autre précision des mentions marginales, il est arrivé à la bibliothèque de Cherbourg en 1958, donné par un M. Urvoy. La reliure à ais est couverte de cuir brun. Le plat est estampé à froid d’une mandorle à décor d’arabesques et de deux fl eurons de même axe vertical, encadrés de volutes aux écoinçons. L’écriture est orientale ; le texte, inscrit dans un cadre vert, est écrit à l’encre noire, sauf les titres des sourates qui sont en rouge. Le nombre de feuillets écrits est de 300, soit trente cahiers de dix feuillets contenant chacun un juz’. La fi n de chaque juz’ est signalée par un motif fl oral dans la marge. La première double page, enluminée de motifs verts, met face à face la première sourate et les cinq premiers versets de la deuxième. Le texte coranique est suivi par une invocation de clôture. 303 f., 160 sur 110 mm, 15 lignes par page

Le ms. Caen 186 est un Coran de main européenne en deux volumes du XIXe siècle. Le copiste est Peter Barrow (1813-1899), citoyen britannique qui fut cinq ans vice-consul à Rabat-Salé après l’avoir été douze ans à Caen : dans l’incipit en arabe dialectal marocain, daté de 1859, il dit son désir, au cas où il parvienne à sortir indemne de la ville alors insurgée, d’offrir ce manuscrit à sa chère ville de Caen, d’où son épouse est originaire. La reliure à ais et à rabat est couverte de cuir rouge. L’écriture est maghrébine, peu assurée. Le texte donne les divisions en hizb, nisf, rub‘, thumn. En revanche, les versets ne sont pas séparés. Le décor est quasiment absent. Le papier est réglé. 2 vol. de 105 et 153 f., 370 sur 250 mm, 21 lignes par page, cote d’usage : in-f°153

Ms. bibl. de Bayeux 251 (Coran de Tombouctou, XIXe siècle).

Ageron NB corr.indd Sec2:76Ageron NB corr.indd Sec2:76 18/12/13 21:32:2318/12/13 21:32:23

L’univers du manuscrit arabe… [en] Basse-Normandie 77

2. – Manuscrits bibliques

La présence d’importantes communautés chrétiennes arabophones en Orient est une donnée fondamentale de l’histoire des peuples arabes : Coptes d’Égypte, Melkites de Syrie (partagés entre orthodoxes et catholiques depuis 1724), Maronites de Syrie (surtout dans le Liban actuel) et bien d’autres. La Bible a été traduite en arabe dès le VIIIe ou le IXe siècle. Plusieurs versions existent, réalisées à partir du grec, de l’hébreu, du syriaque ou du copte. Les livres qui ont le plus circulé sont le Pentateuque (Torah des Juifs), les Psaumes et les Évangiles. Si Maronites et Coptes ont souvent utilisé des copies bilin-gues (arabe/syriaque, arabe/copte), les Melkites, plus anciennement et profon-dément arabisés, recouraient à des copies unilingues. Ces versions arabes ont suscité l’intérêt des érudits biblistes comme Samuel Bochart, qui savaient les insuffi sances de la traduction grecque des Septante et espéraient par elles accé-der à une connaissance authentique du texte.

La bibliothèque de Caen conserve trois témoins manuscrits du christianis-me arabe ou de l’orientalisme chrétien.

Le ms. Caen 7 est un psautier melkite en un volume du XVIIe siècle, mutilé de la fi n. Il appartint au magistrat et érudit protestant Claude Sarrau (1603-1651) qui le donna à son ami Samuel Bochart en 1648. On y trouve les divisions qui servent dans la liturgie byzantine à la lecture continue des psaumes : sept matines pour les offi ces du matin, ici séparées par des frises rouges et noires, et vingt sections plus courtes (cathismes). Le manuscrit s’interrompt au psaume 122. L’écriture est orientale, avec une particularité fréquente dans les milieux chrétiens : la lettre (sîn) est surmontée d’un petit signe à l’aspect proche de celui d’un tréma (muhmila). Le texte associe les encres noire et rouge : sont en rouge les numéros, écrits en toutes lettres, des psaumes, et les disques ou cercles qui séparent certains groupes de mots. Les marges ont été réutilisées pour poser des multiplications et divisions en chiffres arabes orientaux. 213 f., 150 sur 200 mm, 11 lignes par page, cote d’usage : in-8°2

Le ms. Caen 8 est un psautier melkite en un volume du XVIIe siècle. Dans l’incipit, le copiste Rizqallâh ibn Khalîl dit être originaire de Tripoli, dans le quartier al-Rummâna. Il appartint au magistrat et érudit protestant Claude Sarrau (1603-1651) qui le donna à Samuel Bochart en 1648. Il est moins soi-gné que le précédent, mais contient tous les psaumes, y compris le psaume « apocryphe » 151. Les psaumes sont suivis des cantiques de Moïse et des fi ls d’Israël (Ex 15), de Moïse (Dt 32), de Samuel (1R2), d’Isaïe (Is 26), d’Haba-cuc (Ha 3), de Jonas (Jon 3), de Marie (Lc 1), de Zacharie (Lc 1) et de Siméon (Lc 2). L’écriture est orientale, avec muhmila sur le sîn comme dans le manus-crit précédent. Le texte est entièrement à l’encre noire. 173 f., 145 sur 185 mm, nombre de lignes par page variable, cote d’usage : in-8°3

Le ms. Caen 199 (fol. 168 à 190) est la copie par Samuel Bochart de ver-sets ou fragments de versets des livres de la Genèse et de l’Exode selon deux versions arabes manuscrites différentes, trouvées par lui en 1652 dans la bi-

Ageron NB corr.indd Sec2:77Ageron NB corr.indd Sec2:77 18/12/13 21:32:2418/12/13 21:32:24

78 Pierre AGERON

bliothèque de la reine Christine de Suède. Pour chacun, Bochart donne les deux versions arabes et le texte grec. 23 f., 185 sur 145 mm, env. 27 lignes par page, cote d’usage : in-4°6

3. – Ouvrages religieux musulmans

Dès les premiers siècles de l’islam se sont constituées plusieurs sciences reli-gieuses. L’une des plus importantes est la science du hadîth : elle vérifi e l’authen-ticité et commente le sens des nombreux récits censés rapporter les paroles et actions du prophète Muhammad ou de ses proches dont la mémoire a été trans-mise de génération à génération. Dans l’islam sunnite, les recueils de hadîth-s les plus estimés sont l’Authentique de Bukhârî (m. 870) et le recueil éponyme de Muslim (m. 875). Le fi qh a aussi une place prééminente : il s’agit du droit, ou de la jurisprudence, dans un sens large, traitant tant des obligations religieuses que du droit civil ou pénal. Il varie selon les diverses écoles juridiques. Dans l’école mâlikite, majoritaire au Maghreb et dans l’Afrique noire islamisée (dite Soudan), le plus répandu des traités de fi qh, outre celui de son inspirateur Mâlik ibn Anas (m. 796), est l’Abrégé de Khalîl al-Jundî (m. 1366). Le tasawwuf, appelé sou-fi sme en français, est la mystique musulmane, dans ses divers aspects. Né en Irak au IXe siècle avec une série de grands penseurs, il s’est répandu au XIIe siècle au Maghreb et au Soudan à travers les confréries soufi es.

Les bibliothèques de Basse-Normandie conservent, en tout ou en partie, dix copies manuscrites d’ouvrages ressortissant aux sciences religieuses musulma-nes. Parmi elles, six manuscrits ont été copiés au Maghreb, trois au Soudan et un en Orient.

Le ms. Lisieux 1 est le premier tome (sur deux) de Joie et ornements des âmes par la connaissance de ce qui leur est favorable ou contraire de Ibn Abî Jamra (Égypte, m. 1276), commentaire de trois cent dix hadîth-s attribués au prophète Muhammad et sélectionnés par l’auteur dans la compilation de Bukhârî. Un acte indique que le manuscrit a été constitué en habs en avril 1787 au profi t d’une petite mosquée, dite du Hâjj Isma‘îl, sans doute algérienne (cf. ms. Lisieux 2). Absent du premier catalogue de la bibliothèque de Lisieux en 1840, il est imprécisément mentionné dans celui de 1861. La reliure à ais et à rabat est couverte de cuir brun. Le plat est estampé à froid de deux décors d’arabesques identiques centrés sur le même axe vertical, encadrés par quatre fi lets rapprochés et liés par des fi lets diagonaux atteignant les angles. L’écriture est maghrébine. Le texte associe les encres noire et rouge.218 f., 340 sur 245 mm, 20 à 30 lignes par page

Le ms. Caen 191, intitulé Des mérites de Jérusalem la bénie, semble être une version turque du Livre visant à susciter le désir de visiter Jérusalem et Damas de Shihâb al-Dîn al-Maqdisî (m. 1364) : son prologue, seule par-tie écrite en arabe, est en effet exactement le même que celui de cet ouvrage. Il ressortit à un sous-genre du hadîth dit des fadâ’il al-buldân (les mérites des pays), sortes de guides de voyage et de pèlerinage où l’on rapporte his-toi-re et traditions d’une ville. Il s’attarde sur la mosquée al-aqsâ de Jérusalem et

Ageron NB corr.indd Sec2:78Ageron NB corr.indd Sec2:78 18/12/13 21:32:2418/12/13 21:32:24

L’univers du manuscrit arabe… [en] Basse-Normandie 79

les rituels religieux qui s’y déroulent. Il semble avoir appartenu à l’académi-cien caennais Louis Thouroude (1615-1689), spécialiste de la Grèce antique, puis avoir été cédé à Samuel Bochart. L’écriture est orientale. Le texte associe les en-cres noire et rouge. Le manuscrit porte une notice de la main d’Antoine Galland. 55 f., 200 sur 45 mm, 13 lignes par page, cote d’usage : in-4°8

Le ms. Cherbourg 465 est le troisième tome (sur trois) de Cadeaux splen-dides pour l’explication de l'Abrégé du shaykh Khalîl, de Muhammad al-Hat-tâb (Libye, m. 1547). C’est un commentaire de l’Abrégé de Khalîl al-Jundî (m. 1366), très fameux traité de droit mâlikite. Un contrat en arabe glissé entre deux pages montre qu’il se trouvait encore au Maghreb, sans doute au Maroc, à la fi n de 1895. D’après sa cote et le registre-inventaire, il serait entré à la bibliothèque de Cherbourg entre 1923 et 1938. La reliure à ais et à rabat est couverte de cuir brun. Sur le plat est peinte une mandorle polylobée à décors d’arabesques, centrée sur un fi let qui en marque l’axe vertical et traverse la sur-face jusqu’à ses bords. L’écriture est maghrébine. Le texte associe les encres noire et rouge ; il est encadré d’un double fi let rouge.270 f., 300 sur 200 mm, 28 à 31 lignes par page

Le ms. Lisieux X est le deuxième tome (sur quatre) de Beauté des résul-tats de la réfl exion sur le dévoilement des secrets de l’Abrégé, autre commen-taire, dû celui-ci à ‘Abd al-Bâqî al-Zurqânî (Égypte, m. 1688), sur l’Abrégé de Khalîl al-Jundî. Aucun catalogue de la bibliothèque de Lisieux n’en fait état, y compris le catalogue des manuscrits établi en 1889. Il n’était pas coté lorsque nous l’avons découvert et identifi é en 2008. Il pourrait, d’après une cote écrite au crayon, être passé par une autre bibliothèque européenne. La reliure à ais et à rabat est couverte de cuir brun foncé. Sur le plat est estampée une mandorle à décors d’arabesques de couleur claire, dont l’axe vertical et le pourtour sont soulignés de chaînes dorées. Elle est entourée de de quadrifeuilles dorés aux écoinçons, puis de deux rangées de tresses. L’écriture est maghrébine. Le texte associe les encres noire, rouge et bleue. 182 f., 295 sur 200 mm, environ 35 lignes par page

Le ms. Lisieux 2 contient l’anthologie soufi e Perles excellentes dans les in-vocations et les prières, de ‘Abd al-Rahmân al-Tha‘âlibî (Algérie, m. 1384). Dans le colophon, le copiste Mustafâ ibn Muhammad précise qu’il est de Blîda (ville située à 50 km au sud-ouest d’Alger) par la naissance et par la demeure ; il ajoute qu’il a achevé la copie en juin 1794. Un acte en tête du manuscrit indi-que qu’il a été constitué en habs en mai 1799 pour la mosquée du Hâjj Isma‘îl, la même mosquée que dans le cas du ms. Lisieux 1. Une garantie fi nancière en arabe collée sur une page montre qu’il se trouvait encore en Algérie en mai 1836. Absent du premier catalogue de la bibliothèque de Lisieux en 1840, il est impré-cisément mentionné dans celui de 1861 et porte une note du bibliothécaire datée d’octobre 1869. La reliure à ais et à rabat est couverte de cuir brun. Le plat est estampé à froid d’une mandorle centrée sur un fi let qui en marque l’axe vertical, entourée de quadrifeuilles aux écoinçons, puis d’une rangée de chevrons alter-nés. L’écriture est maghrébine. Le texte associe les encres noire, rouge et verte. 101 f., 315 sur 225 mm, 32 lignes par page

Ageron NB corr.indd Sec2:79Ageron NB corr.indd Sec2:79 18/12/13 21:32:2418/12/13 21:32:24

80 Pierre AGERON

Le ms. Caen 189 (fol. 1-134) contient le Livre des conseils du mystique et moraliste al-Hârith ibn Asad al-Muhâsibî (Irak, m. 857). Il y développe, sous forme de dialogues et de conseils donnés à un disciple par son directeur spirituel, une doctrine fondée sur la prudence, la fraternité, l’introspection, la crainte, la piété, le discernement. Ce manuscrit appartenait à Samuel Bochart. L’écriture est maghrébine. La reliure à ais, couverte de parchemin, est euro-péenne. Le texte associe les encres noire et rouge. 134 f., 205 sur 150 mm, 13 lignes par page, cote d’usage : in-4°2

Le ms. Caen 189 (fol. 135v-171) contient une synthèse (Les objectifs) d’un autre livre du même al-Muhâsibî, l’Observance des droits de Dieu. Son auteur est al-‘Izz ibn ‘Abd al-Salâm al-Sulamî (Syrie, m. 1262). L’ouvrage explique comment rendre à Dieu le bienfait de la vie par sa conduite, et développe une fi ne analyse de la crainte et du repentir. Ce manuscrit, relié avec le précédent, appartenait à Samuel Bochart. L’écriture est maghrébine. Le texte associe les encres noire et rouge. 37 f., 205 sur 150 mm, 21 lignes par page, cote d’usage : in-4°2

Le ms. Cherbourg 637 rassemble sous un rudimentaire portefeuille en peau un grand nombre de documents en écriture soudanaise non reliés. Il fai-sait partie du legs considérable de l’érudit et bibliophile manchois Adolphe Vautier (1865-1927) et n’a été découvert qu’en 2007. Dans le domaine des sciences religieuses, nous y avons identifi é des copies mutilées en écriture sou-danaise des ouvrages suivants : 1) La doctrine, version courte, de Muhammad ibn Yûsuf al-Sanûsî (Algérie, m. 1490), sorte de catéchisme musulman utili-sant le vocabulaire de la philosophie ; dans le colophon en langue locale, le copiste Ahmadu donne le nom de sa mère et celui de son père. 2) Les desseins du bon sens et de la raison dans l’agencement de la muqadimma de Ibn Rushd, de Muhammad ibn Ibrahîm al-Tatâ’î (Égypte, m. 1535), commentaire d’un livre de fi qh mâlikite du XIIe siècle consacré aux obligations religieuses (deux copies). 3) Le guide des biens et l’illumination des lumières dans la récitation de la prière sur le Prophète choisi, de Muhammad ibn Sulaymân al-Jazûlî (Maroc, m. 1470), livre de piété mystique envers le prophète de l’islam, illustré d’un plan symbolique en brun et noir de la mosquée de Médine où se trouve le tombeau de Muhammad.

4. – Grammaires et dictionnaires

La science de la langue est une des premières sciences auxiliaires des sciences religieuses musulmanes et a donné naissance à une puissante tradition grammaticale et lexicale. L’enseignement de l’arabe aux Européens, cepen-dant, a souvent préféré recourir aux paradigmes gréco-latins.

Le ms. Caen 190 contient une grammaire arabe non identifi ée, rédigée en turc ottoman. L’écriture est orientale. Le texte associe les encres noire et rouge. Le manuscrit porte une notice de la main d’Antoine Galland. 70 f., 205 sur 150 mm, 11 lignes par page, cote d’usage : in-4°7

Ageron NB corr.indd Sec2:80Ageron NB corr.indd Sec2:80 18/12/13 21:32:2418/12/13 21:32:24

L’univers du manuscrit arabe… [en] Basse-Normandie 81

Le ms. Caen 817 est un Cours de langue arabe à l’usage des Écoliers du Collège royal de France de François Pétis de la Croix (1653-1713). Il a été co-pié sous sa dictée par l’un de ses élèves, vers 1700. Cependant, ce qui est écrit en arabe est souvent de la main du professeur lui-même. Le cours comprend une grammaire réduite à l’essentiel et une section de vocabulaire usuel dite « des adverbes et particules ». Au milieu du manuscrit ont été accidentellement reliés quelques feuillets où fi gurent quatorze brefs thèmes arabes donnés par le professeur, avec leurs corrigés. L’un de ces thèmes nous apprend que le profes-seur n’avait cette année-là que deux élèves : nous avons découvert le cahier du second élève, presque identique, à la bibliothèque du Collège de France. Celui conservé à Caen appartenait à l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen qui le donna à la bibliothèque municipale de Caen en 19533. 120 f., 220 sur 170 mm, cote d’usage : in-4°292

Le ms. Caen 198 (p. 1 à 668), de la main de Samuel Bochart, contient un grand nombre d’entrées lexicales touchant aux animaux ou aux plantes prélevées dans le dictionnaire arabe unilingue L’Océan qui entoure tout de Muhammad ibn Ya‘kûb al-Fîrûzâbâdî (m. 1415), dont Bochart avait trouvé une copie en 1652 dans la bibliothèque de la reine Christine de Suède. Les defi nientia arabes sont accompagnés d’une traduction latine. 334 f., 205 sur 155 mm, environ 28 lignes par page, cote d’usage : in-4°5

Le ms. Caen 201 est un Dictionnaire des mots contenus dans le poème de Joseph et Zuleikha établi par l’érudit caennais Guillaume Stanislas Trebutien (1800-1870) lorsqu’il projetait de traduire ce poème du persan (sur ce poème, voir plus bas le ms. Mancel 257). Il est daté au colophon de 1829, mais resta inachevé, beaucoup de mots demeurant sans traduction, et entra à la bibliothè-que de Caen, dont Trebutien était conservateur-adjoint, peu après sa mort.2 vol. de 240 et 323 f., 180 sur 112 mm, cote d’usage : in-8°65

5. – Sciences naturelles et médicales

Les apports de la civilisation arabo-musulmane médiévale à l’histoire mon-diale des sciences sont considérables : ils s’appuient explicitement sur l’hérita-ge grec et concernent notamment les mathématiques, l’astronomie, la géogra-phie, la zoologie, la botanique, les pierres précieuses, la pharmacie et la méde-cine. Le période la plus créative correspond au règne de la dynastie abbasside (750-1258). Après la chute de Bagdad en 1258, on observe une tendance à la rédaction de grandes encyclopédies récapitulatives des savoirs engrangés.

La bibliothèque de Caen conserve un ensemble intéressant d’ouvrages en langue arabe relatifs, en tout ou partie, aux animaux et aux plantes.

Le ms. Caen 80 contient Les merveilles des créatures et les curiosités des choses existantes de Zakariyyâ ibn Muhammad al-Qazwîni (Iran, m. 1283), très populaire encyclopédie des choses supraterrestres (soleil, lune, planètes, anges) et terrestres (vents, mers, montagnes, fl euves, sources, minéraux, végé-

3 Sur ce manuscrit, voir : P. AGERON et M. JAOUHARI, « Le programme pédagogique d’un ara-bisant du Collège royal, François Pétis de La Croix (1653-1713) », Arabica 61 (1-2), 2014, p. 1-58.

Ageron NB corr.indd Sec2:81Ageron NB corr.indd Sec2:81 18/12/13 21:32:2418/12/13 21:32:24

82 Pierre AGERON

taux, animaux réels ou fantastiques), mêlant connaissances positives et récits merveilleux. Il appartenait à la reine Christine de Suède qui le donna en 1653 à Samuel Bochart, lors de son séjour à Stockholm. La reliure à cinq nerfs est européenne. L’écriture est orientale. Le texte associe les encres noire, rouge et verte. On note un changement de main et de papier à partir de la p. 148. 242 f., 245 sur 160 mm, 23 lignes par page, cote d’usage : in-f°1

Le ms. Caen 199 (fol. 28 à 141) est entièrement de la main de Samuel Bochart. Sur les pages de gauche, il a copié le texte des pages 382 à 483 du ma-nuscrit précédent, c’est-à-dire tout ce qui concerne les animaux, à l’exclusion des humains et des génies. Sur les pages de droite, en regard du texte arabe, il a fait fi gurer une traduction latine. 114 f., 185 sur 145 mm, cote d’usage : in-4°6

Le ms. Caen 198 (p. 672-677) contient d’autres extraits du manuscrit Caen 80, copiés en arabe et traduits en latin par Samuel Bochart. Ils sont relatifs aux montagnes, aux fl euves, aux sources et aux puits. 4 f., 205 sur 155 mm, cote d’usage : in-4°5

Le ms. Caen 188 contient La grande vie des animaux, de Muhammad ibn Mûsâ al-Damîri (Égypte, m. 1405), encyclopédie zoologique mi-scientifi que, mi-folklorique, étudiant 931 animaux classés par ordre alphabétique. Copié à Tripoli du Liban et daté de 1459, il appartint au cardinal Mazarin, dont le bibliothécaire Gabriel Naudé le prêta à Samuel Bochart vers 1648. La reliure à ais est couverte de cuir. L’écriture est orientale. Le texte associe les encres noire et rouge, avec notamment des triangles de points ou virgules rouges dé-coratifs. Sur le manuscrit fi gure une notice signée d’Antoine Galland. 264 f. , 270 sur 180 mm, 27 lignes par page, cote d’usage : in-4°3

Le ms. Caen 90 contient Le recueil des médicaments simples, énorme dic-tionnaire pharmaceutique classé par ordre alphabétique des simples, œuvre de Ibn al-Baytâr al-Mâlaqî (Andalousie, m. 1248). Il était la possession d’un cer-tain Darwîsh ibn Mustafâ et fut acheté au Caire en 1635 par le père capucin Agathange de Vendôme à la demande de Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, le « prince des curieux », et pour le compte du philologue Claude Saumaise qui avait souhaité posséder une copie de ce livre : Saumaise la donna fi nalement à Samuel Bochart. La reliure à ais est couverte de cuir. L’écriture est orientale. Le texte associe les encres noire et rouge. Sur le manuscrit fi gure une notice signée d’Antoine Galland. 401 f., 265 sur 180 mm, 21 lignes par page, cote d’usage : in-f°2

Le ms. Caen 91 contient le Recueil de toutes les sagesses d’un certain ‘Abdallâh ibn Muhammad ibn Ahmad ibn al-Khidr ibn ‘Alî. Dans une langue parfois proche du dialecte, ce petit ouvrage entre médecine populaire et magie, étranger à toute tradition savante, énumère des propriétés thérapeutiques des animaux et des plantes. Écrit au Maghreb ottoman, probabalement en Tunisie, par un copiste qui, dans le colophon, dit se nommer Rajab Khûja al-Tûnisî al-Nûrî et observe que « L’écrit demeure longtemps après que l’auteur et le

Ageron NB corr.indd Sec2:82Ageron NB corr.indd Sec2:82 18/12/13 21:32:2418/12/13 21:32:24

L’univers du manuscrit arabe… [en] Basse-Normandie 83

copiste soient prisonniers sous la terre », il appartint au cardinal Mazarin, dont le bibliothécaire Gabriel Naudé le prêta à Samuel Bochart vers 1648. L’écriture est maghrébine. Le texte associe les encres noire et rouge ; des groupes de points ou virgules rouges décoratifs marquent le début de chaque section. Sur le manuscrit fi gure une notice de la main d’Antoine Galland4. 28 f., 225 sur 170 mm, 18 lignes par page, cote d’usage : in-4°4

6. – Magie et talismans

Les pratiques magiques sont un élément important de la culture islamique, qui les a rarement condamnées du moment qu’elles ne tentaient pas de nuire à autrui. Elles s’appuient le plus souvent sur le texte coranique, tentant de capter la puissance de ses mots pour détourner à son avantage le cours des choses. Les frontières entre invocations ritualisées et talismans protecteurs, ainsi qu’entre médecine et magie (voir ci-dessus) sont d’ailleurs bien poreuses. Il existe de nombreux traités de magie, dont le plus connu est le Soleil des connaissances de al-Bûnî (m. 1225).

Les bibliothèques de Basse-Normandie conservent de nombreux fragments relatifs à la magie islamique.

Dans le ms. Lisieux 1 est glissé un feuillet adventice isolé, avec notamment deux tableaux talismaniques. Il semble tiré d’un traité de magie, non identifi é. L’écriture est maghrébine. Le texte associe les encres noire et rouge.

Le ms. Caen 189 (f. 172 à 179) comporte des formules hermétiques répé-tées et des graphismes talismaniques. Il semble tiré d’un ouvrage de magie, non identifi é, et a été relié de manière incongrue avec les écrits de al-Muhâsibî et al-Sulamî signalés plus haut. L’écriture est soudanaise. Le texte est écrit à l’encre brune. 6 f., 205 sur 150 mm, 12 à 15 lignes par page, cote d’usage : in-4°2

Le ms. Cherbourg 637 contient, outre les ouvrages savants mentionnés plus haut, une importante collection de feuillets isolés de petites ou très petites dimensions et de mains soudanaises variées contenant de belles prières invoca-toires, des talismans protecteurs et des recettes magiques. Talismans et recettes reposent sur des versets coraniques, des litanies soufi es, des formules herméti-ques, des graphismes ésotériques et des tableaux talismaniques. Chacun de ces petits textes est adapté à une circonstance précise : on trouve par exemple un charme pour la femme qui ne parvient pas à enfanter, une prière à prononcer par celui qui se trouve face à un lion, une autre par le jeune qui veut devenir savant, ou par le fi ls d’esclave qui veut être libéré. Visuellement se distinguent du lot deux petits feuillets où des formules hermétiques sont écrites côté chair sur du parchemin dont le poil n’a pas été ôté. Il s’agissait visiblement du dos-sier de travail d’un marabout africain.

4 Sur ce manuscrit, voir : J.-Ph. IZARD, Le manuscrit in-4°4 de la bibliothèque municipale de Caen : Recueil de toutes les sagesses de ‘Abdallâh b. Muhammad, mémoire de master 2 d’his-toire des sciences et des techniques, sous la direction de P. Ageron, soutenu le 9 septembre 2013 à l’université de Nantes.

Ageron NB corr.indd Sec2:83Ageron NB corr.indd Sec2:83 18/12/13 21:32:2518/12/13 21:32:25

84 Pierre AGERON

7. – Manuscrits à peinture

La réticence ou la franche opposition des juristes musulmans vis-à-vis de la représentation fi gurée des être vivants a fait disparaître toute peinture d’il-lustration dans les manuscrits en langue arabe dès la fi n du XIVe siècle. L’Iran et la Turquie, cependant, ont maintenu une forte tradition de miniature.

Le ms. Mancel 2023 est un recueil de miniatures turques à personnages, qui paraît remonter à la première moitié du XVIIIe siècle. Il est signalé dans une liste des manuscrits de la collection Mancel établie en 1887, sans doute par l’érudit Amédée de Bourmont. Par la suite, il n’a plus été considéré comme un manuscrit et est aujourd’hui coté avec les imprimés. Les miniatures, au nom-bre de soixante-seize, sont collées sur les pages de droite et numérotées de 1 à 108 – il y a donc des lacunes. Chacune porte une légende manuscrite en turc ottoman, qui a été traduite en français. Exemples : Achmet père d’Osman se rendant à la mosquée (n°1), l’âghâ des janissaires (n°45), un juif (n°98). 75 f., 195 sur 140 mm

Le ms. Mancel 257 contient Joseph et Zulaykha, poème en persan de Nûr al-dîn Jâmî (m. 1492) inspiré par la sourate XII du Coran : il raconte l’amour fou de Zulaykha, égyptienne de haut rang, pour Joseph, fi ls de Jacob, le très bel esclave hébreu de son mari Putiphar (al-‘Azîz). Elle se donne fi évreusement à lui, mais il la repousse ; elle l’accuse alors d’avoir pris l’initiative et le fait emprisonner. Au colophon fi gure la date d’achèvement : 1784. Sur une page de garde, quelques mots en persan, sans doute de main européenne, indiquent que ce livre a été acheté à Téhéran en 1859. Il fait partie des manuscrits entrés postérieurement à la mort de Pierre-Bernard Mancel en 1872 : absent de la liste des manuscrits de 1887, il apparaît dans le catalogue de 1911. La reliure « laquée » est couverte de cuir noir ; un large panneau central contient une mandorle et deux fl eurons polylobés sur un tapis de décors fl oraux dorés au pinceau, et des arabesques ornent les bandeaux. Soixante dix-neuf miniatures légendées, dans un cadre doré, illustrent le poème. Exemples : l’arrivée pour leur mariage de Putiphar (à cheval) et Zulaykha (dans un palanquin juché sur un chameau), Pharaon endormi rêvant de sept vaches maigres mangeant sept vaches grasses (cf. Genèse XLI, 3 et Coran XII, 43), Joseph interprétant ce rêve pour Pharaon. 122 f., 145 sur 90 mm

Ageron NB corr.indd Sec2:84Ageron NB corr.indd Sec2:84 18/12/13 21:32:2518/12/13 21:32:25

L’univers du manuscrit arabe… [en] Basse-Normandie 85

Ms. coll. Mancel 257 (Joseph et Zulaykha, le songe de Pharaon).

Ageron NB corr.indd Sec2:85Ageron NB corr.indd Sec2:85 18/12/13 21:32:2518/12/13 21:32:25

Ageron NB corr.indd Sec2:86Ageron NB corr.indd Sec2:86 18/12/13 21:32:2518/12/13 21:32:25