C. Dauphin--De l’Eglise de La Circoncision a l’Eglise de La Gentilite

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     LA 43 (1993) 223-242

    DE L’ÉGLISE DE LA CIRCONCISIONÀ L’ÉGLISE DE LA GENTILITÉ

    Sur une nouvelle voie hors de l’impasse*

    C. Dauphin

     Au Père E. Testa, ofm

    Présents à Capharnaum et à Nazareth en Galilée, à Farj et à Er-Ramtha-niyye en Gaulanitide au IVème siècle, les Judéo-Chrétiens sont totalementabsents de la carte de la Palestine au Vème siècle1. De quelle façon furent-ils éliminés si radicalement en un siècle?

    Il est malaisé de suivre à la trace les destinées du judéo-christianismepalestinien depuis la première communauté chrétienne de Jérusalem recru-tée parmi les Juifs groupés autour des Douze puis sous l’autorité de Jacques“frère du Seigneur”, et demeurée fidèle aux exigences rituelles du judaïsmeancestral, jusqu’à la mention par St Jérôme des Ebionites et des Nazaréensdans sa Lettre 112 adressée en 404 à St Augustin: “Que dirais-je desEbionites, qui feignent d’être chrétiens? Jusqu’aujourd’hui, dans toutes lessynagogues de l’Orient, il y a chez les Juifs une secte... qui est jusqu’icicondamnée par les Pharisiens; on les appelle vulgairement Nazaréens; ils

    croient au Christ, fils de Dieu, né de la Vierge Marie, et ils disent que c’estcelui qui, sous Ponce Pilate a souffert et est ressuscité; en lui nous aussinous croyons; mais tandis qu’ils veulent tout ensemble être Juifs et chré-

    * Cet article a fait l’objet d’une conférence solennelle en l’honneur du 70e anniversaire duPère E. Testa, OFM, sous l’égide de la Custodie de Terre Sainte et du Studium BiblicumFranciscanum de Jérusalem, le 28 novembre 1993 à Notre-Dame Center de Jérusalem.

    1. La présence judéo-chrétienne à Capharnaum et à Nazareth a été traitée par V. Corbo, The House of St. Peter at Capharnaum, SBF Collectio Minor No. 5, Franciscan Printing Press,Jerusalem, 1969 (abréviation, Corbo, The House of St. Peter ); E. Testa,  Nazaret giudeo-cristiana, Franciscan Printing Press, Gerusalemme, 1969 (abréviation, Testa,  Nazaret ); I.Mancini,  L’Archéologie  judéo-chrétienne, Notices historiques, SBF Collectio minor n. 10,Franciscan Printing Press, Jerusalem, 1977 (abréviation, Mancini,  L’Archéologie judéo-chrétienne), 53-61 (Nazareth) et 78-81 (Capharnaum); et J. Briand,  L’Eglise Judéo-Chrétienne de Nazareth, 3e édition, Franciscan Printing Press, Jerusalem, 1979 (abréviation,Briand, L’Eglise Judéo-Chrétienne). Sur les Judéo-Chrétiens à Farj et Er-Ramthaniyye auGolan oriental, C. Dauphin, “Farj en Gaulanitide: refuge judéo-chrétien?”, Proche-Orient Chrétien  (abréviation POC ) XXXIV (1984), 233-245 (abréviation, Dauphin, “Farj enGaulanitide”), et C. Dauphin, “Encore des judéo-chrétiens au Golan?”, in F. Manns et E.Alliata, eds,  Early Christianity in Context. Monuments and Documents. Essays in Honour of E. Testa, OFM, SBF Collectio Maior 38, Franciscan Printing Press, Jerusalem, 1993, 69-84 (abréviation, Dauphin, “Encore des judéo-chrétiens?”).

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    tiens, ils ne sont ni Juifs ni chrétiens”2. L’histoire de ces marginaux audeuxième degré (car quoique juifs et chrétiens ils furent ostracisés par lesdeux communautés) abonde en ruptures, scissions et fusions dont les mo-

    dalités exactes nous échappent.

    Qui étaient ces marginaux?

     Les “Nazaréens”

    Après le martyr de Jacques en 62 et peu avant la révolte juive de 66, lacommunauté judéo-chrétienne ou “Nazaréenne” de Jérusalem reçut par ré-

    vélation l’ordre de quitter Jérusalem3. Elle chercha refuge à Pella enDécapole4. Or, la communauté était déjà divisée par des conflits de person-nes et de doctrines. Siméon succéda à Jacques comme évêque et chef “parce qu’il était cousin du Seigneur”5, ce qui suscita une protestation d’un

    2.  Ep. 112: 13: “Quid dicam de Hebionitis, qui Christianos esse se simulant? Usque hodieper totas Orientis synagogas inter Judaeos haeresis est, quae... a Pharisaeis huc usque dam-natur: quos vulgo Nazaraeos nuncupant, qui credunt in Christum Filium Dei, natum deMaria virgine, et eum dicunt esse, qui sub Pontio Pilato passus est, et resurrexit, in quem etnos credimus: sed dum volunt et Judaei esse et Christiani, nec Judaei sunt, nec Christiani”(J. Labourt, éd., Saint Jérôme Lettres, T. VI, Collection Budé, Les Belles Lettres, Paris,1958, 31-32).

    3. Sur la communauté judéo-chrétienne ou “nazaréenne” de Jérusalem, R.A. Pritz, Nazarene Jewish Christianity From the End of the New Testament Period Until Its Disappearance inthe Fourth Century, Magnes Press - E.J. Brill, Jerusalem - Leiden, 1988 (abréviation, Pritz, Nazarene Jewish Christianity), 13, 34 et 108. J.M. Magnin (“Notes sur l’Ebionisme”, POC XXIII [1973], 265) avance l’hypothèse que les “tout premiers chrétiens, ceux de la toutepremière communauté de Jérusalem, ceux que leurs adversaires appelaient Nazaréens, onttrès bien pu se donner à eux-mêmes le nom d’Ebionites, membres de ‘l’Eglise des Pauvres’.Il serait téméraire de se montrer plus affirmatif”.

    4. Cette migration décrite par Eusèbe ( Historia Ecclesiastica III, v, 3; G. Bardy, éd., Eusèbe

    de Césarée. Histoire Ecclésiastique Livres I-IV [abréviation, Bardy, éd.,  Eusèbe. Hist. Eccl.], Sources Chrétiennes  [abréviation, SC ], Les Editions du Cerf, Paris, 1952, 102-103)et Epiphane ( Adversus Haereses I. 2 -  Haeres. XXIX, 7; J.-P. Migne, Patrologia CursusCompletus, Patrologiae Graecae, Paris, 1844-1866 [abréviation PG] 41, cols 401-404; K.Holl, éd., Epiphanius [Ancoratus und Panarion] Haer. 1-33, Die griechischen christlichenSchriftsteller der ersten drei Jahrhunderte [abréviation GCS ], J.-C. Hinrich’s, Leipzig, I.1,1915 [abréviation, Holl, éd., Panarion I.1], 329-330) a été mise en doute, notamment parS.G. Brandon (The Fall of Jerusalem and the Christian Church, SPCK, London, 1951). M.Simon (“La Migration à Pella. Légende ou Réalité”, Recherches de Sciences Religieuses 60[1972], 37-54) et Pritz ( Nazarene Jewish Christianity, 122-127) rejettent ses argumentsd’une façon convaincante et concluent à l’historicité de cet exode.

    5. Eusèbe,  Hist. Eccl. IV, xxii, 4: (Bardy, éd.,  Eusèbe. Hist. Eccl., 200).

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    certain Théboutis qui visait l’épiscopat. Ce Théboutis se rattachait peut-êtreaux judaïsants intransigeants pour qui il n’y avait pas de salut hors de laLoi (Ac 15: 5), Jésus étant le “vrai prophète” annoncé par Moïse (Dt 18:

    15) qui restaurerait la Loi dans toute sa pureté6. A Pella, la communauté judéo-chrétienne déjà éclatée se trouva en rapport avec des dissidents du judaïsme officiel de Jérusalem - Esséniens, Baptistes, Héllénistes,Nasaréens7  - qui avaient fait de la Pérée - la Transjordanie de nos jours -leur terre d’élection8. De ce contact entre le judéo-christianisme dit “ortho-doxe” et les sectes hétérodoxes du judaïsme naquit une multitude degroupuscules qu’il est impossible de chiffrer9. Aux Nazaréens “orthodoxes”qui observaient la loi mosaïque, en particulier la circoncision et le sabbat,mais proclamaient un seul Dieu et son Fils Jésus Christ également Dieu 10

    faisaient pendant les Ebionites11.

     Les Ebionites

    L’hérésie ébionite était selon Epiphane un “monstre polymorphe”, “l’hydreà plusieurs têtes de la fable”12. Le Père Magnin des Pères Blancs de Ste

    6. J.M. Magnin, “Notes sur l’Ebionisme”, POC  XXIV (1974), 228-230.

    7. La secte pré-chrétienne des  Nasaraioi est la dix-huitième hérésie d’Epiphane (Pritz, Nazarene Jewish Christianity, 45-47). Ces  Nasaraioi ne doivent pas être confondus avecles  Nazaraioi  judéo-chrétiens.

    8. M. Simon, Les Sectes juives au temps de Jésus, Paris, 1960.

    9. M. Simon, “Problèmes du judéo-christianisme”,  Aspects du judéo-christianisme, Col-loque de Strasbourg, 23-25 avril 1965, Presses Universitaires de France, Paris, 1965, 14.

    10. J.M. Magnin, “Notes sur l’Ebionisme”, POC   XXV (1975), 245-273, et  POC   XXVI(1976), 293-307; Pritz, Nazarene Jewish Christianity, 108-110.

    11. Pritz ( Nazarene Jewish Christianity, 38-39) appelle l’Ebionisme “the grandchild of thefirst church”. La secte ébionite serait née à partir d’un schisme de la communauté naza-

    réenne concernant un problème christologique ou une rivalité de direction. Cette hypothèseexpliquerait que les Nazaréens comme les Ebionites se trouvaient à Bérée en Coelé-Syrie,dans la région de Pella en Décapole et à Kokba dans le Bashan (Epiphane,  Adv. Haeres. I.2 -  Haeres. XXIX, 7: 7; PG 41, col. 401; Holl, éd., Panarion I.1, 330). Pour sa part, M.Simon (“Réflexions sur le judéo-christianisme”, in J. Neusner, éd., Christianity, Judaismand Other Greco-Roman Cults. Studies for Morton Smith at Sixty, Part II, Early Christian-ity, E.J. Brill, Leiden, 1975 [abréviation, Simon, “Réflexions sur le judéo-christianisme”],69) considère que les Ebionites des Pseudo-Clémentines procédèrent d’un noyau juif pré-chrétien et dissident, ultérieurement christianisé peut-être en Transjordanie au contact desJudéo-Chrétiens partis de Jérusalem peu de temps avant la première guerre juive. Sur lesPseudo-Clémentines, infra, n. 22.

    12. Epiphane, Adv. Haeres. I. 2 - Haeres. XXX, 1: 1: ’(PG 41, 405; Holl, éd., Panarion I.1., 333).

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    Anne de Jérusalem distingue les “Ebionites proprement dits”, “purs” ou“pharisaïques”, des “Ebionites esséniens”13. Les deux groupes observaientscrupuleusement les prescriptions mosaïques (sabbat, circoncision, obser-

    vation des mois, purifications), se tournaient pour prier dans la directionde Jérusalem et rejetaient St Paul, apostat de la Loi. Pour les “purs” queMagnin reconnaît dans les Ebionites décrits par Origène et Eusèbe14, Jésusn’était qu’un prophète venu confirmer ou restaurer la Loi mosaïque15.Origène écrit: “[Les Ebionites] vivent selon les moeurs des Juifs et préten-dent être justifiés par la Loi. Ils disent que c’est en pratiquant la Loi queJésus a été justifié. C’est pourquoi il a été appelé Christ de Dieu et Jésus,puisque personne d’autre n’a accompli parfaitement la Loi. Car si quelqueautre avait observé les prescriptions de la Loi, il serait le Christ. En agis-

    sant de même, ils peuvent, eux aussi, devenir des Christs, car lui-même,disent-ils, a été un homme semblable à tous les autres hommes”16. La note

     judaïque était donc très forte chez ces Ebionites primitifs que le PèreMagnin17  comme le Professeur Marcel Simon18  propose d’identifier avecles Poschey Israel ou “mauvais Juifs”, rebelles parce qu’ils reconnaissaientle Messie en Jésus mais faisant toujours partie du peuple juif.

    L’ébionisme essénien, quant à lui, résulta de la greffe de l’essénisme etd’autres sectarismes juifs apparentés sur le rameau judéo-chrétien deJérusalem planté à Pella19. Outre la “circoncision, sabbat et tout le reste”,

    les Ebionites esséniens pratiquaient selon Epiphane le baptême d’initiation,des bains fréquents de purification surtout après le contact avec des étran-gers ou avec une femme, et s’abstenaient non seulement des viandes dé-

    13. J.M. Magnin, “Notes sur l’Ebionisme”, POC XXIV (1974), 233-246.

    14. J.M. Magnin, “Notes sur l’Ebionisme”, POC  XXIV (1974), 235.

    15. Origène, De Principiis IV, 22 (PG 11, cols 388-389); Contra Celsum II, 1-3 (M. Borret,éd., Origène Contre Celse, T. I ( Livres I et II ), SC 132, Les Editions du Cerf, Paris, 1967,276-287); V, 61 (M. Borret, éd., Origène Contre Celse, T. III ( Livres V et VI ), SC  147, LesEditions du Cerf, Paris, 1969, 166-167); V, 65 (M. Borret, éd., Origène Contre Celse, T. III

    ( Livres V et VI ), SC  147, Les Editions du Cerf, Paris, 1969, 174-177); Commentariorum in Matthaeum XI, 12 (PG 13, cols 940-941; R. Girod, éd., Origène, Commentaire sur l’Evan-gile selon Matthieu, T. I ( Livres X et XI ), SC  162, Les Editions du Cerf, Paris, 1970, 328-330); XVI, 12 (PG 13, cols 1409-1416); Eusèbe,  Hist. Eccl.  III, xxvii, 1-6 (Bardy, éd., Eusèbe. Hist. Eccl., 136-137).

    16. Origène, Philosophumena, Contra Haereses VII, 34: (PG 16.3, col. 3342).

    17. J.M. Magnin, “Notes sur l’Ebionisme”, POC  XXIV (1974), 235-236.

    18. M. Simon, Verus Israel. Etude sur les Relations entre Chrétiens et Juifs dans l’Empire Ro-main (135-425), de Boccard, réimpr. Paris, 1983 (abréviation, Simon, Verus Israel), 299-301.

    19. C’est à ces seuls “Ebionites esséniens” que J. Daniélou (Théologie du Judéo-Christia-nisme, Tournai, 1958, 68-76) réserve le nom d’Ebionites.

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    clarées impures par la Loi mais de toute alimentation carnée20. Leurs livressacrés comprenaient l’Evangile selon Matthieu “en hébreu et en lettres hé-braïques” qu’ils appelaient l’Evangile selon les Hébreux et qui n’était pas

    complet car il avait été falsifié et mutilé21  ainsi que les Periodoi Petrou.Ces Voyages de Pierre furent l’une des sources des Pseudo-Clémentines22.

    Les Ebionites esséniens étaient farouchement monothéistes et anti-trinitaires23. Dieu est créateur et juge; Jésus n’est qu’un homme ordinaire. LeChrist qui en est distinct, est un ange qui s’est posé sur lui lors de son Bap-tême au Jourdain. Maître de morale, le dernier des “vrais prophètes”, “si leChrist est fils de Dieu, il ne peut pas cependant être appelé Dieu”24. CesEbionites esséniens n’étaient d’ailleurs pas tous du même avis en ce qui con-cerne la personne même du Christ25. La complexité du judéo-christianisme -

    phénomène à facettes multiples - ressort clairement de ces désaccordsgéniteurs de groupuscules. Simon souligne en effet que “Ni dans le temps,ni dans l’espace, le judéo-christianisme n’est resté identique à lui-même”26.

    Où se trouvaient ces Judéo-Chrétiens?

     Au Golan

    Recensant 80 hérésies en 376 dans son Panarion, Epiphane, évêque deSalamine de Chypre, localise les Nazaréens comme les Ebionites en

    20.  Adv. Haeres. I. 2 - Haeres. XXX; PG 41, cols 406-473; Holl, éd., Panarion I.1, 333-382.

    21.  Adv. Haeres.  I. 2 -  Haeres. XXX, 13; PG 41, col. 428; Holl, éd., Panarion I.1, 348-351. Epiphane souligne qu’au contraire, l’Evangile araméen de Matthieu des Nazaréens étaitcomplet ( Adv. Haeres. I. 2 -  Haeres. XXIX, 9: 3-4; PG 41, col. 406; Holl, éd., Panarion I.1, 332). Pritz ( Nazarene Jewish Christianity, 85) démontre, en effet, qu’il n’existait pasune seule “version autorisée” de l’Evangile selon les Hébreux, mais plusieurs versions, unEvangile selon les Hébreux des Nazaréens, un autre des Ebionites purs, un autre des

    Ebionites esséniens, et ainsi de suite.22. Les Pseudo-Clémentines sont connues sous deux recensions différentes du IVème siè-cle, les  Homélies en grec (PG 2, cols 57-468; B. Rehm, éd.,  Die Pseudo Klementinen, I, Homilien, GCS , Berlin-Leipzig, 1953) et les  Reconnaissances en latin (B. Rehm, éd.,  DiePseudo Klementinen, II, Rekognitionen in Rufinus Übersetzung, GCS , Berlin, 1965).

    23. Epiphane,  Adv. Haeres  I. 2 -  Haeres. XXX, 16: 2-5: ’’(PG 41, col. 432; Holl, éd.,Panarion I.1, 353-354).

    24. Clementina - Homilia XVI, xiv-xv: ’(PG 2, cols 376-377).

    25. Epiphane,  Adv. Haeres. I. 2 -  Haeres. XXX, 3: 3-6: (PG 41, col. 409; Holl, éd.,Panarion I.1, 336-337).

    26. Simon, Verus Israel, 280.

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    Fig. 3 Farj: linteau de porte de basalte. De gauche à droite: “croix latine” (cruximmissa) se détachant sur la colline du Golgotha; lettre grecque h; lettre grecques; menorah sur trépied simple sans pattes; lettre grecque y; poisson de profil, na-geant vers la gauche et traversé verticalement par une croix; lettre grecque v, et au-dessous, croix à sérifs dans un cercle; grappe de raisins en forme de trianglequadrillé  (Dessin S. Gibson).

    Fig. 1 Farj: pierre équarrie de basalte gravée de trois menorot à sept et à neuf branches angulaires. La menorah centrale est flanquée à sa droite d’une petitecorne de bélier (shofar) et à sa gauche d’un cédrat (ethrog) (Dessin B. Wool).

    Fig. 2 Er-Ramthaniyye: linteau de basalte gravé d’une croix cosmique flanquée àsa droite d’une palme (lulav) et à sa gauche d’un lulav-menorah  (Dessin S.Gibson).

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    Décapole autour de Pella et en Basanitide dans la région de Kokba au sud-ouest de Damas27. C’est précisément sur le bord occidental du Bashan, enGaulanitide, que nos relevés archéologiques détaillés des localités de Farj

    et d’Er-Ramthaniyye ont mis au jour non seulement un nombre importantde fragments architecturaux de basalte décorés de symboles juifs ou chré-tiens séparés mais également des linteaux de portes et de fenêtres ainsi quedes pierres équarries gravés de “signes” judéo-chrétiens. Le répertoireiconographique comprend un “signe” purement juif, le chandelier à septbranches (menorah) sur un trépied arrondi ou triangulaire (Fig. 1); deux“signes” uniquement chrétiens: la croix (Fig. 2) et l’ancre; des “signes”appartenant aux deux religions: la palme (lulav), le poisson, le navire, lagrappe de raisin et la coupe (Fig. 3); enfin des “signes” particuliers au

     judéo-christianisme: waw, taw (Fig. 4), croix des vents (Fig. 5), croix-mâtde navire (Fig. 6), hache et charrue (Fig. 7)28. Les symboles juifs et chré-

    27.  Adv. Haeres. I. 2 -  Haeres. XXIX, 7-8 (PG 41, cols 401-404; Holl, éd., Panarion I.1,329-331); XXX, 2 (PG 41, col. 408; Holl, éd., Panarion I.1, 334-335). Les Nazaréens setrouvaient également à Bérée près d’Alep ( Adv. Haeres. I. 2 - Haeres. XXIX, 7: 7; PG 41,col. 401; Holl, éd., Panarion I.1, 330; Pritz, Nazarene Jewish Christianity, 34); les Ebionitesen Asie, à Rome et même en Chypre ( Adv. Haeres. I. 2 - Haeres. XXX, 18: 1; PG 41, col.436; Holl, éd., Panarion I.1, 357).

    28. Sur la menorah, E.R. Goodenough,  Jewish Symbols in the Graeco-Roman Period (abréviation, Goodenough,  Jewish Symbols), IV, New-York, 1954, 71-98; C.L. Meyers,The Tabernacle Menorah.  A Synthetic Study of a Symbol from the Biblical Cult , ASORDissertation Series 2, Scholars Press, Missoula, 1976. Sur la croix, M. Sulzberger, “LeSymbole de la Croix et les Monogrammes de Jésus chez les Premiers Chrétiens”, Byzantion  2 (1925), 337-448; H. Leclercq, art. “Croix et Crucifix”,  in  F. Cabrol et H.Leclercq,  Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie (abréviation,  DACL) III,Paris, 1948, cols 3045-3065; V. Tzaferis, Christian Symbols of the 4th century and theChurch Fathers, Thèse de Ph.D. de l’Université hébraïque de Jérusalem, 1971, ChapitresVIII-XVII. Sur l’ancre, J.-P. Kirsch, art. “Ancre”,  DACL  I, Paris, 1924, cols 1999-2031(abréviation, Kirsch, “Ancre”). Sur la palme, Goodenough,  Jewish Symbols IV, 145-166;H. Leclercq, art. “Palme, Palmier”, DACL XIII, Paris, 1937, cols 947-950. Sur le poisson,Goodenough,  Jewish Symbols  V, New-York, 1956, 31-61; H. Leclercq, art. “ICQUS”, DACL VII, Paris, 1927, cols 1990-2086, et art. “Poisson”,  DACL XIV, Paris, 1939, cols1246-1252; E. Testa,  Il Simbolismo dei Giudeo-cristiani, SBF Collectio Maior n. 4,Franciscan Printing Press, Gerusalemme, 1962 (abréviation, Testa,  Il Simbolismo), 416-422; B. Bagatti, The Church from the Circumcision. History and Archaeology of the Judaeo-Christians, SBF Collectio minor n. 2, Franciscan Printing Press, Jerusalem, 1971(abréviation, Bagatti, Circumcision), 213-216. Sur le navire, Goodenough, Jewish SymbolsVIII, New-York, 1958, 157-165; H. Leclercq, art. “Navire”,  DACL XII, Paris, 1935, cols1008-1019; J. Daniélou, Primitive Christian Symbols, Burns and Oates, London, 1964(abréviation, Daniélou, Symbols), 58-70; Testa,  Nazaret , 135; Bagatti, Circumcision, 219-221. Sur la grappe de raision et la coupe, Goodenough, Jewish Symbols V, 99-111, et VI,New-York, 1956, 136-141. Les grappes de raisins peuvent être interprétées comme lesmartyrs du Christ ou les nouveaux baptisés (Daniélou, Symbols, 37-38). Sur le waw, Testa,

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    Fig. 7 Farj: linteau (?) de basalte cassé en trois fragments. De gauche à droite: poisson (dauphin?) de profil nageant vers la gauche; “croix grecque” avec sérifs; poisson (dauphin?) de profil nageant vers la droite. Son museau se prolonge par une charrue ou par une croix ancrée. Sur le soc de la charrue s’appuie unemenorah dont les branches de droite sont traversées par un lulav à neuf branchesincliné à gauche. A l’extrémité droite du linteau, coupe sur deux pieds simples(Dessin S. Gibson).

    Fig. 5 Er-Ramthaniyye: pierre

    équarrie de basalte gravée d’une“croix des vents” (Dessin S.Gibson).

    Fig. 4 Er-Ramthaniyye: pierre

    équarrie de basalte gravée d’untaw (Dessin S. Gibson).

    Fig. 6 Farj: pierre équarrie de basalte gravée d’une“croix des vents” formant également une coque de na-vire, un mât et une voile en vent arrière, vus de face(Dessin B. Wool).

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    tiens étaient juxtaposés sur les mêmes pierres, et parfois même superposés.Ainsi, sur un linteau de porte antique in situ à Farj, la tige d’une menorahsur un trépied arrondi sans pattes constitue la barre verticale d’une croixtraversée aux 3/4 de sa hauteur par une branche horizontale inclinée légè-rement vers la gauche ainsi que par une diagonale dirigée de gauche àdroite (Fig.8). Cette croix, avec la branche inférieure de la menorah, pré-sente la forme d’un navire à coque arrondie vu de face. A gauche, la têtereposant sur la branche inférieure de la menorah, un petit poisson repré-senté de profil nage vers la droite. Aucune inégalité dans la profondeur dela gravure ne permet de supposer le remplacement d’un “signe” d’une reli-

     Il Simbolismo, 235-247, et Bagatti, Circumcision, 172-174. Sur le taw, Daniélou, Symbols,136-145, et Bagatti, Circumcision, 229-230. Sur la croix des vents, Testa,  Il Simbolismo,304-309; sur la croix-mât de navire, Testa, Il Simbolismo, 267-270. Sur la hache, Testa,  IlSimbolismo, 321-331. Sur la charrue, Testa,  Il Simbolismo, 309-313; Daniélou, Symbols,89-101; Bagatti, Circumcision, 216-218.

    Fig. 8 Farj: linteau de porte de Q.III R. 21 gravé de “signes” judéo-chrétiens. Degauche à droite: menorah , poisson et croix-mât de navire superposés; waw , croix-hache et charrue renversée, superposés; au centre du linteau, lulav à neuf bran-ches sur trépied arrondi sans pattes;  menorah , lulav  et menorah  reliés par uneligne droite à leurs pieds figurant peut-être le sol (Dessin S. Gibson).

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    gion par celui d’une autre. Tous les “signes” gravés sur une même pierresont contemporains entre eux. Des points de repère chronologique sontfournis par quelques uns de ces “signes”. Les menorot évasées sur un tré-

    pied triangulaire parfois flanquées d’un lulav sont caractéristiques de la findu IIème siècle au milieu du IVème siècle ap. J.-C. (Fig. 9). Selon latypologie du Professeur A. Negev, elles furent remplacées entre la secondemoitié du IVème siècle et la première moitié du Vème siècle par desmenorot aux branches arrondies soutenant un plateau figuré par une lignedroite (Fig. 10)29. D’autres menorot reposent sur des trépieds arrondis dé-nués de pattes. L’ancre cruciforme fut employée à Rome comme symbolede l’espoir mis dans le Christ dès le milieu du IIème siècle ap. J.-C. Elleen disparut au début du IVème siècle. Cependant, hors de Rome, elle con-

    tinua à être représentée jusqu’au milieu du IVème siècle30. Un faisceaud’indices situe donc ces fragments gravés entre la fin du IIème siècle et ledébut du Vème siècle, ce qui concorde avec les indications fournies parEpiphane et St Jérôme. La concentration de “signes” gravés judéo-chrétiensen QIII, 21-22 à Farj (Fig.11), la position in situ du linteau de porte de laface extérieure du mur septentrional de QIII, 21 (Fig.8), ainsi que lastratigraphie architecturale de ces deux salles permettent de suggérer quele bâtiment constitué par les salles 21 et 22 comprend des restes de syna-gogue judéo-chrétienne. Epiphane, décrivant les pratiques des Ebionites

    “esséniens” précise: “Ils appellent synagogue, et non pas église, leur lieude réunion”31.Qui étaient donc les Judéo-Chrétiens de Farj et d’Er-Ramthaniyye?

    Ebionites “esséniens” ou Nazaréens? Descendants des “migrants de Pella”qui essaimèrent vraisemblablement sur le plateau basaltique de Gaulanitideet d’Auranitide? Disciples des Juifs dissidents qui crurent découvrir en ceJésus de Nazareth prôné par les “Chrétiens de Jacques” réfugiés à Pella, le“vrai prophète” annoncé par Moïse?32  Prosélytes, Juifs de naissance oumême ethnochrétiens touchés par le contre-apostolat des Judaïsants33  quivisaient à corriger l’enseignement paulinien? Comment, en effet, distinguer

    29. A. Negev, “The Chronology of the Seven-Branched Menorah”,  Eretz Israel 8 (1963),193-210 (en hébreu), 74* (résumé en anglais).

    30. Kirsch, “Ancre”, col. 2033.

    31.  Adv. Haeres. I. 2 - Haeres. XXX, 18: 2: (PG 41, col. 436; Holl, éd., Panarion I.1, 357).

    32. J.M. Magnin, “Notes sur l’Ebionisme”, POC  XXIV (1974), 232.

    33. Il ne faut pas les confondre avec les Chrétiens “judaïsants” attirés par la Synagogue queSt Jean Chrysostome condamnait (J.M. Magnin, “Notes sur l’Ebionisme”, POC   XXIV[1974], 232).

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    Fig. 11 Plan de Farj (Dessin B. Wool).

    Fig. 10 Farj: linteau de basalteéquarri gravé de trois menorot  à sept branches arrondies soutenant un pla-teau figuré par une ligne droite (DessinB. Wool).

    Fig. 9 Er-Ramthaniyye: linteau de basalte équarri gravé de trois menorot sur tré- pieds triangulaires (Dessin S. Gibson).

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    archéologiquement entre les diverses formes du judéo-christianisme parmila myriade de sectes, voire de groupuscules? Force nous est d’admettre queles Judéo-Chrétiens de Farj et d’Er-Ramthaniyye ont pu appartenir à n’im-

    porte laquelle des manifestations du judaïsme chrétien: “judaïsme” parl’observance de la Loi rituelle, “chrétien” par la reconnaissance en Jésus leMessie. Nos recherches sur les Judéo-Chrétiens de Farj et d’Er-Ramtha-niyye nous font pencher pour un judéo-christianisme millénariste etgnostique de tendance “ébionite essénienne”34. De toute façon une consta-tation est indéniable. Grâce à nos découvertes archéologiques récentes auGolan, la floraison tardive de bourgeons sur le rameau judéo-chrétiend’Outre-Jourdain soupçonnée sur foi d’Epiphane, ne peut plus être mise endoute.

     En Judée

    Par contre, le débat centré sur la survie des Judéo-Chrétiens au coeurmême de la Palestine, en Judée, en Samarie et en Galilée, a engendré unepolémique passionnée et stérile. Les “si” et les “peut-être” abondent dansl’échafaudage d’hypothèses visant à reconstituer l’histoire lacunaire despremières communautés judéo-chrétiennes de la Palestine énumérées par

    les  Actes des Apôtres (9: 31-43). Il est possible que lors de la migrationà Pella en 66, une partie des membres de l’Eglise de Jacques se soit ar-rêtée en Samarie ou en Galilée, “hors de la terre de Judée”, et y ait fondédes communautés35. Il semblerait d’autre part qu’après la chute deJérusalem en 70, des Judéo-Chrétiens revinrent dans la Ville. Epiphanenote qu’en 117, Adrien, proclamé empereur à Antioche, passa parJérusalem en route pour l’Egypte. Dans la ville ruinée de fond en com-ble, subsistaient cependant dans le quartier de Sion “quelques maisons etla petite église de Dieu, existant à l’endroit où, revenus du mont Olivetaprès l’ascension du Sauveur, les disciples montèrent à la salle haute”36.Eusèbe confirme l’existence à Jérusalem jusqu’à la révolte de BarKokhba en 132 d’une “très grande Eglise du Christ, formée de Juifs... Onrapporte que les premiers évêques qui se succédèrent en ce lieu furent

    34. Dauphin, “Encore des judéo-chrétiens?”, 77-79.

    35. Eusèbe,  Hist. Eccl. III, v, 3: (Bardy, éd., Eusèbe. Hist. Eccl.,102-103).

    36. Epiphane,  De mensuris et ponderibus  XIV: (PG 43, cols 260-261). Sur cette “petiteéglise de Dieu”, S.C. Mimouni, “La synagogue ‘judéo-chrétienne’ de Jérusalem au MontSion”, POC  XL (1990), 215-233.

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    des Juifs dont la mémoire des habitants a retenu les noms jusqu’à ce jour”37. Dans son  Histoire Ecclésiastique, il énumère 15 “évêques de lacirconcision que l’on dit avoir été tous des Hébreux de vieille souche et

    avoir reçu d’une manière authentique la connaissance du Christ”38. Cesvieillards se succédèrent à un rythme rapide avec une durée moyenned’épiscopat inférieure à trois ans pour chacun d’eux. Magnin est d’avisque cette Eglise judéo-chrétienne que le Père Bagatti à la suite d’Eusèbenomme Eglise de la Circoncision, se rattachait par sa foi à la GrandeEglise ou Eglise de la Gentilité39, “la pierre de touche en la matière étantla foi en la divinité de Jésus-Christ”40. Son “orthodoxie” ressort de l’ac-cent mis par Eusèbe sur sa “fidélité”: “L’Eglise entière de Jérusalem étaitalors composée d’Hébreux fidèles”, l’adjectif  pistoi se référant dans la

    pensée d’Eusèbe aux tenants de la Grande Eglise41. Il s’agissait donc deJudéo-Chrétiens orthodoxes ou Nazaréens. Ces derniers ne prirent aucunepart à la révolte de Bar Kokhba mais durent quitter la ville lorsqu’elle futrasée sur l’ordre d’Adrien. Interdiction fut faite aux Juifs d’approchermême des environs de Jérusalem. Dépeuplée, la ville “reçut des habitantsde race étrangère... L’Eglise locale fut, elle aussi composée, de Gentils etle premier, après les évêques de la circoncision, qui en reçut la charge,fut Marc”42. La communauté de Marc prit la relève de la communauténazaréenne, le seul changement étant non dans la foi mais dans la  praxis.

    En effet, l’Eglise de la Gentilité ayant épousé la pensée paulinienne, sesmembres n’observaient plus la Loi mosaïque. Il n’est pas exclu qu’unnoyau judéo-chrétien revint à Jérusalem peu après 135, comme le sug-gère Bagatti, et se constitua en communauté séparée fidèle à la Loi43. Leproblème se pose alors de l’identification certaine des vestiges judéo-chrétiens de Judée. Une grande circonspection est requise en ce qui con-cerne les symboles figurés, plus particulièrement sur les ossuaires44. StJérôme informait, il est vrai, St Augustin que les Nazaréens se trouvaient

    37.  Demonstratio Evangelica III, v: (PG 22, col. 221).

    38.  Hist. Eccl. IV, v, 1-2: (Bardy, éd., Eusèbe. Hist. Eccl., 163-164).

    39. B. Bagatti, The Church from the Gentiles in Palestine. History and Archaeology, SBFCollectio Minor N. 4, Franciscan Printing Press, Jerusalem, 1970, reprinted 1984.

    40. J.M. Magnin, “Notes sur l’Ebionisme”, POC  XXV (1975), 248-252.

    41.  Hist. Eccl. IV, v, 2: (Bardy, éd.,  Eusèbe. Hist. Eccl.,164).

    42.  Hist. Eccl. IV, v, 4: (Bardy, éd.,  Eusèbe. Hist. Eccl., 166).

    43. Bagatti, Circumcision, 9-10.

    44. Mancini,  L’Archéologie judéo-chrétienne, 13-23.

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    “jusqu’à ce jour, dans toutes les synagogues de l’Orient”45. Ce renseigne-ment a peut-être été pris un peu trop au pied de la lettre, si bien queSimon a pu ironiser: “Ainsi ce judéo-christianisme, qui naguère n’était

    nulle part, est en passe de se retrouver maintenant partout”46. Aux affir-mations de l’Ecole du Père Bagatti, Joan Taylor a récemment opposé untravail farouchement destructeur visant à arracher jusqu’aux fondementsde l’édifice judéo-chrétien bâti pierre par pierre par les PèresFranciscains de Terre Sainte47. Nous ne reprendrons pas la controverse.Nous nous contenterons par une approche conciliatrice de tenter de sor-tir de l’impasse actuelle en suggérant une autre lecture des données ar-chéologiques à travers une “grille nazaréenne”.

     En Galilée

    Un glissement identique à celui qui, à Jérusalem, marqua le passage entrel’Eglise de la Circoncision et l’Eglise de la Gentilité ne peut-il avoir eulieu également en Galilée? La description lapidaire de Nazareth parEusèbe dans l’Onomastikon peut être interprétée d’une façon littérale:“Nazareth. D’où le Christ fut appelé Nazaréen. C’est pourquoi jadis onnous appelait Nazaréens et maintenant Chrétiens”48. Eusèbe ne laissait-il

    pas également entendre une passation des pouvoirs sans heurts entre lesNazaréens judéo-chrétiens “orthodoxes” et les tenants de la GrandeEglise? En effet, les Nazaréens confessaient la divinité du Messie Jésus,né de la Vierge Marie49. N’étant pas jugés hérétiques par Eusèbe, ils neméritèrent pas de mention dans son  Histoire Ecclésiastique , à la diffé-rence des deux catégories d’Ebionites50.

    A Nazareth, un stylobate, une vasque “baptismale” et une citerneainsi que plusieurs mosaïques (dont la “Mosaïque de la Couronne et dela Croix Cosmique” et la “Mosaïque du martyr Conon”) mis au jour sousla Basilique de l’Annonciation, ont été attribués à une église synagogale

    45.  Ep. 112: 13 de 404 (supra, n. 2).

    46. Simon, “Réflexions sur le judéo-christianisme”, 53.

    47. J.E. Taylor, Christians and the Holy Places. The Myth of Jewish-Christian Origins,Clarendon Press, Oxford, 1993 (abréviation, Taylor, Christians).

    48. On. 138: 24-25: (E. Klostermann, éd., Onomastikon, GCS , Leipzig-Berlin, 1904).

    49. Pritz, Nazarene Jewish Christianity, 53-55 et 108-109.

    50.  Hist. Eccl. III, xxvii, 1-6 (Bardy, éd.,  Eusèbe. Hist. Eccl., 136-137).

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    par les Pères Bagatti, Testa et Corbo51. Cette église-synagogue aurait étéconstruite au IIIème siècle par les Judéo-Chrétiens de Nazareth sur etautour de la Grotte de l’Annonciation (Lc 1: 26-38). Les divers éléments

    architecturaux de ce lieu de culte hétérodoxe ont donné lieu à une lec-ture gnostique centrée sur l’initiation baptismale52. Répartissant les ves-tiges archéologiques entre trois sanctuaires superposés, Taylor a émisl’hypothèse que la Grotte de l’Annonciation, “vaste et magnifique” se-lon la pèlerine espagnole Ethérie en 38353, fut incorporée vers 336 dansune petite église54. Celle-ci aurait été l’église construite selon Epiphaneà Nazareth par le Comte Joseph55. Ce Juif, conseiller du Patriarche juif Hillel II et précepteur du futur Patriarche Judah IV, s’était converti auchristianisme. Expulsé de la communauté juive, il se réfugia à la cour

    de l’Empereur Constantin. Honoré du titre de comte (comes), il entrepritavec la bénédiction impériale de construire des églises en Galilée juive.A Nazareth, la Grotte faisait partie du complexe de la Maison de laVierge. La petite église de la Maison de la Vierge fut démolie à la findu Vème siècle ou au début du VIème siècle pour être remplacée parune basilique avec un monastère attenant. Le Pèlerin de Plaisance at-teste cette transformation: “La Maison de Sainte Marie est maintenantune basilique”56. Les mosaïques, notamment celles de la Couronne et deConon, datables par leur style entre le Vème siècle et le VIIème siècle 57,

    couvraient le sol de cet édifice.

    51. B. Bagatti, Gli Scavi di Nazaret , Franciscan Printing Press, Gerusalemme, 1967; Testa, Nazaret ; V.C. Corbo, “La chiesa-sinagoga dell’Annunziata a Nazaret”, LA XXXVII (1987),333-348.

    52. E. Testa, “Le Grotte mistiche dei Nazareni e i loro riti battismali”,  LA XII (1962), 5-45;Bagatti, Circumcision, 242-246; Briand, L’Eglise judéo-chrétienne.

    53. Petrus Diaconus,  Lib. T: “Spelunca vero in qua habitavit, magna est et lucidissima...”(R. Weber, éd.,  Appendix ad Itinerarium Egeriae. II. Petri Diaconi Liber de Locis Sanctis,

    Corpus Christianorum Series Latina  [abréviation CCSL) 175, Turnholt, 1965 (abréviation,Weber, éd.,  Appendix ad Itin. Eg., 98]).

    54. J.E. Taylor, “A Graffito depicting John the Baptist in Nazareth?”, Palestine Explora-tion Quarterly (1987), 142-148 (abréviation, Taylor, “A Graffito”); Taylor, Christians, 230-267.

    55.  Adv. Haeres.  I. 2 -  Haeres. XXX, 11; PG  41, col. 426; Holl, éd., Panarion I.1, 346-347.

    56.  Itin. 5 (V. 161: 18-19): “Domus sanctae Mariae basilica est...” (P. Geyer, éd., AntoninusPlacentinus, Itinerarium, CCSL 175, Turnholt, 1965, 130. Egalement, Wilkinson, JerusalemPilgrims Before the Crusades, Ariel, Jerusalem, 1977, 79).

    57. Taylor, Christians, 235-244.

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    Parmi les complexes d’habitations aux murs et aux sols de moellonsde basalte du bourg hellénistique et romain de Capharnaum, une maisonest considérée par les Pères Corbo et Loffreda comme ayant appartenu à

    l’apôtre Simon Pierre58. C’est là que Jésus fit de nombreux miracles (Mc1: 29-34, Mt 8: 14-17, Lc 4: 33-41) et guérit notamment le paralytique(Mc 2: 1-4, Mt 9: 1-18, Lc 5: 17-26). Cette maison (Salle 1) presquecarrée dont le mur occidental mesurait 8,35 m de longueur, s’ouvrait aunord sur une cour en L qu’elle avait en commun avec plusieurs autresmaisons vraisemblablement habitées par André, frère de Pierre, et lessiens ainsi que par la belle-mère de Pierre59. Ce complexe ( Insula 1 ou

     Insula Sacra) était bordé à l’est par la rue principale nord-sud du bourg.Au troisième quart du Ier siècle, la maison de Pierre fut transformée en

    sala venerata au sol de plâtre blanc et aux murs revêtus intérieurementde plâtre peint de couleurs vives. A la fin du IVème siècle, cette  InsulaSacra fut enclose dans une enceinte carrée percée de deux portes, l’uneau sud-ouest, l’autre au nord-ouest. La sala venerata  fut agrandie, unatrium lui fut adjoint à l’est, de même que des dépendances au nord.Cette domus ecclesia avait un sol revêtu de plâtre. Ses murs plâtrésétaient ornés de panneaux rectangulaires, de losanges, de cercles, decroix fleuries, de branches, d’arbustes, de fleurs, figues et grenades peintsen rouge vermillon, rouge-brique, rose, jaune, marron foncé, vert, bleu

    et blanc, auxquels les pèlerins ajoutèrent leurs graffiti60

    . Vers 383, lapèlerine Ethérie décrit l’église qu’elle visita à Capharnaum: “La maisondu prince des apôtres a été transformée en une église, avec ses mursd’origine encore debout”61. Dans la deuxième moitié du Vème siècle, ladomus ecclesia  et toutes les structures de l’ Insula Sacra furent enseve-lies dans un remblai nivelé sur lequel fut érigée une église octogonaleavec une petite abside projetant à l’est. Cette église consistait en troisoctogones concentriques, larges respectivement de 8, 16,50 et 23 m. Sesfondements étaient en pierres de basalte et mortier tandis que l’édifice

    58. Corbo, The House of St. Peter , 42-44; S. Loffreda,  Recovering Capharnaum, SBFGuides 1, Edizioni Custodia Terra Santa, Gerusalemme, 1985 (abréviation, Loffreda,  Re-covering Capharnaum), 52-56.

    59. Loffreda,  Recovering Capharnaum, 52-54 et 70-71.

    60. V.C. Corbo, Cafarnao I: Gli edifici della città, Franciscan Printing Press, Gerusalemme,1975 (abréviation, Corbo, Cafarnao  I); E. Testa,  I Graffiti della Casa di San Pietro, SBFCollectio Minor n. 19, Franciscan Printing Press, Gerusalemme, 1972.

    61. Petrus Diaconus, Lib. V: “In Capharnaum autem ex domo apostolorum principis ecclesiafacta est, qui parietes usque hodie ita stant, sicut fuerunt” (Weber, éd.,  Appendix ad Itin. Eg., 98).

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    lui-même était en blocs de calcaire blanc. L’église fut pavée de mosaï-ques géométriques dans l’octogone extérieur servant de portique, et flo-rales dans l’octogone médian. Au coeur de l’octogone central, un paon

    de face faisait la roue dans un médaillon qui se détachait d’un tapisd’écailles blanches62. Malgré sa forme octogonale, Antonin de Plaisancedécrivit cette église comme étant une “basilique”: “Nous vînmes aussi àCapharnaum et allâmes dans la maison du Bienheureux Pierre, qui estmaintenant une basilique”63.

    Comme pour l’église du IVème siècle à Nazareth, Taylor avancel’hypothèse que la domus ecclesia de Capharnaum fut construite par leComte Joseph vers 33764. Ayant réfuté l’existence de Judéo-Chrétiens àCapharnaum65  comme à Nazareth66  et s’appuyant sur le témoignage

    d’Epiphane qui fait de Tibériade, Diocésarée-Sepphoris, Nazareth etCapharnaum des bourgs exclusivement juifs dénués de Gentils67, Taylorest alors contrainte d’inventer un scénario surprenant68. Le Comte Josephaurait acheté aux autorités juives de ce bourg juif l’ Insula Sacra unique-ment parce que ce complexe habité durant toute l’époque romaine pou-vait être rénové facilement et transformé en lieu de culte. Mais pourquoile Comte Joseph – Juif converti au christianisme mais dont la foi s’ins-crivait dans l’orthodoxie de la Grande Eglise – choisit-il précisément la“Maison de Pierre”? Qui avait perpétué le pieux souvenir attaché à la

    Maison de Marie à Nazareth et à la Maison de Pierre à Capharnaum?Etait-ce seulement le folklore local? N’étaient-ce pas plutôt les Judéo-Chrétiens du bourg?

    62. Corbo, The House of St. Peter , 8-34; Loffreda, Recovering Capharnaum, 64-65.

    63. Par “basilica” ( Itin. 5; V. 161: 19), le Pèlerin sous-entend une grande église. Supra,n. 56.

    64. Pour Capharnaum, Taylor (Christians, 293) ne fait que reprendre l’hypothèse de Corbo(Cafarnao I, 71-72).

    65. J.E. Taylor, “Capernaum and its ‘Jewish-Christians’: A Re-examination of theFranciscan Excavations”,  Bulletin of the Anglo-Israel Archaeological Society 9 (1989-90)(abréviation, Taylor, “Capernaum”), 12-14.

    66. Taylor, “A Graffito”, 146-147.

    67.  Adv. Haeres. I. 2 -  Haeres. XXX, 11: 9-19: (PG 41, col. 425; Holl, éd., Panarion I.1,347). Cependant, Pritz ( Nazarene Jewish Christianity, 96-97, 101-102 et 107) démontrel’existence de Nazaréens en Galilée au IIème siècle ap. J.-C. par la présence de Jacob deKefar Sekanya décrit dans le Talmud de Babylone, ‘Abodah Zarah 16b -17a (I. Epstein,éd., The Babylonian Talmud , The Soncino Press, London, 1935-1952, Seder Nezikin VII,84-85).

    68. Taylor, “Capernaum”, 26, et Christians, 288-290.

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    De l’Eglise de la Circoncision à l’Eglise de la Gentilité: affrontementou glissement?

    Pour “récupérer” les Judéo-Chrétiens de Galilée, il nous apparaît indis-pensable de les dépouiller de pratiques gnostiques et d’une théologiehétérodoxe69. C’est précisément parce que ni les pratiques des Nazaréensétaient gnostiques ni leur théologie hétérodoxe (à la différence de cellesdes Ebionites du Golan) et qu’ils sont par conséquent “invisibles”, queles détracteurs de l’Ecole franciscaine de Jérusalem ont pu nier leurexistence. D’autre part, la citation d’Epiphane qui fait de la Galilée unerégion exclusivement juive tourne autour d’un pivot ethnique. Or, de cepoint de vue et principalement à cause de la circoncision, les Judéo-

    Chrétiens étaient inclus dans la catégorie de Juifs. Néanmoins, il demeureau-delà du problème de l’observance de la Loi, une filiation par la foientre les Judéo-Chrétiens primitifs ou Nazaréens et les Chrétiens de laGentilité. C’est justement la foi en la divinité du Christ et en sa nais-sance d’une Vierge que ces deux groupes partageaient, qui permit pen-dant un certain temps leur coexistence. La fréquentation de sanctuairestraditionnels a toujours été hétéroclite. Si Juifs, Païens et Chrétiens serendaient à Mamre, si Juifs et Chrétiens priaient sur les tombes des Pa-triarches et des Matriarches à Hébron et dans la Grotte du Prophète Elie

    à el Khadr sur le Mont Carmel, a fortiori pourquoi les Nazaréens de laCirconcision et les Chrétiens de la Gentilité n’auraient-ils pas pu faireleurs dévotions dans la même Maison de Marie et dans la même Maisonde St Pierre? Les graffiti ne portent aucune trace de déviationschristologiques. Or, la différence entre les deux communautés intéressaitnon la christologie mais la  praxis, et l’observance n’est pas repérablepar l’archéologie.

    Cette communion fondamentale de foi facilita l’absorption desNazaréens par l’Eglise de la Gentilité, lorsque le durcissement des posi-tions du christianisme post-nicéen, comme celui du judaïsme rabbinique,provoquèrent un double rejet des Judéo-Chrétiens au cours du IVème siè-cle. Le glissement entre la Grande Eglise représentée par des “mission-naires” comme le Comte Joseph et les communautés nazaréennes estpresque imperceptible, tant l’appropriation des lieux de culte fut subtile.Le travail de l’Eglise de la Gentilité apparaît alors comme un lent et

    69. Aucune trace d’hétérodoxie n’est d’ailleurs perceptible à Capharnaum. Toutefois, desinfluences gnostiques sur le judéo-christianisme sont possibles (Simon, “Réflexions sur le judéo-christianisme”, 73, n. 52).

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    DE L’ÉGLISE DE LA CIRCONCISION À L’ÉGLISE DE LA GENTILITÉ 241

    patient sapage du judéo-christianisme. Du silence d’Epiphane qui locali-sait les Judéo-Chrétiens en Coélé-Syrie, Décapole, Bérée, Basanitide,Moabitide et même en Chypre tout en semblant les exclure de Palestine,

    le Père F. Manns déduit que les centres judéo-chrétiens de Galilée fu-rent annexés par la force à la Grande Eglise70. Il nous apparaîtrait plutôtque s’il y avait eu un véritable affrontement, Epiphane aurait soulignéavec triomphalisme l’infériorité de la Loi devant la foi chrétienne etl’omnipuissance de la croix. Au contraire, le phénomène judéo-chrétiensemble s’être dilué, de lui-même et sous une pression externe. Le rejetinitial suivi de sclérose interne mena à sa disparition du champ de l’his-toire par absorption par l’un ou l’autre des éléments de sa double appar-tenance. Par contre, le rameau judéo-chrétien d’Outre-Jourdain qui avait

    subi des transformations telles qu’il méritait d’Epiphane une mention entant que mouvement hérétique, eut d’autres destinées en se prolongeantdans le Nestorianisme en Mésopotamie et dans l’Islam dans la péninsulearabique71. Ceux des Nazaréens en Palestine qui restaient attachésfanatiquement à l’observance de la Loi rentrèrent vraisemblablementdans les rangs de la Synagogue.

    La véritable scission entre le judéo-christianisme et le judaïsme d’unepart, avec le christianisme de la Gentilité d’autre part, n’eut donc lieuqu’au Vème siècle. Dans le camp chrétien, l’Eglise de la Gentilité restée

    seule en lice s’imposa en Grande Eglise. Reprenant à son profit la véné-

    70. F. Manns, “Joseph de Tibériade, un judéo-chrétien du quatrième siècle”, in G.C. Bottini,L. Di Segni et E. Alliata, eds, Christian Archaeology in the Holy Land. New Discoveries, Essays in Honour of Virgilio C. Corbo, OFM , SBF Collectio Maior 36, Franciscan PrintingPress, Jerusalem, 1990, 557.

    71. H. Corbin, “Harmonia Abrahamica”, in L. Cirillo et M. Frémaux, éds,  Evangile de Barnabé , Beauchesne, Paris, 1977, 8-10; J.M. Magnin, “Notes sur l’Ebionisme”, POC XXVII (1977), 250-273, et POC   XXVIII (1978), 220-248. S.M. Stern (“Quotations fromApocryphal Gospels in ‘Abd Al-Jabbar”, Journal of Theological Studies [NS] XVIII [1967],34-57, et “Abd Al-Jabbar’s account of how Christ’s religion was falsified by the adoptionof Roman customs”,  Journal of Theological Studies  [NS] XIX [1968], 128-185) rejetteviolemment l’hypothèse de S. Pines (“The Jewish Christians of the Early Centuries of Chris-tianity According to a New Source”,  Israel Academy of Sciences and Humanities Proceed-ings, Vol. II, No. 13, Jerusalem, 1966, 1-74), selon laquelle le Tathbit Dala’il Nubuwwat Sayyidina Muhammad ( Etablissement des preuves du caractère prophétique de notreSeigneur Mahomet ) rédigé en 995 par le Mo’tazélite ‘Abd al-Jabbâr al-Hamadâni se seraitappuyé sur un traité en syriaque composé par des Judéo-Chrétiens au Vème ou VIèmesiècle. Par contre, J.M. Magnin (“Notes sur l’Ebionisme”, POC  XXVII [1977], 255-269)explique comment l’ébionisme a pu laisser des traces en Mésopotamie jusqu’à la fin duXème siècle. Sur le mo’tazélisme, doctrine qui tenait le Coran pour créé et non pas pouréternel et qui faisait appel au libre arbitre, R. Mantran,  L’expansion musulmane (VII e-XI e

    siècles), Nouvelle Clio 20, Presses Universitaires de Farnce, Paris, 1986, 155-157.

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    ration accordée traditionnellement aux souvenirs de la jeunesse et duministère de Jésus en Galilée dans des sanctuaires modestes, la GrandeEglise assit son pouvoir en les incorporant dans d’imposants lieux de

    rassemblement cultuel à Nazareth, à Capharnaum, à et-Tabgha(Heptapegon), à el-Kursi (Gergesa), là où quinze siècles plus tard lespèlerins affluent toujours72.

    Claudine DauphinCNRS, Paris

    72. Le miracle de la multiplication des pains et des poissons (Mt 14: 13-21; Mc 6: 30-44;Lc 9: 12-17; Jn 6: 1-13) était commémoré à Heptapegon (A.M. Schneider,  Die Brotvermehrungskirche von Et-Tabga am Genezarethsee und ihre Mosaiken, CollectaneaHierosolymitana 4, 1934) tandis que le site de Gergesa (V. Tzaferis, “The Excavations of Kursi-Gergesa”, ‘Atiqot [English Series] XVI [1983], 1-65) était lié au souvenir des démonschangés en porcs par le Christ (Mt 8: 28-34; Mc 5: 1-20; Lc 8: 26-39).