Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

download Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

of 16

Transcript of Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    1/16

    DU NON-TRE L'AUTRE.La dcouverte de l'altrit dans le Sophiste de PlatonNestor-Luis CorderoP.U.F. | Revue philosophique de la France et de l'tranger

    2005/2 - Tome 130

    pages 175 189

    ISSN 0035-3833

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-philosophique-2005-2-page-175.htm

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Cordero Nestor-Luis, Du non-tre l'autre. La dcouverte de l'altrit dans le Sophiste de Platon,

    Revue philosophique de la France et de l'tranger, 2005/2 Tome 130, p. 175-189. DOI : 10.3917/rphi.052.0175

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour P.U.F..

    P.U.F.. Tous droits rservs pour tous pays.

    La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votre

    tablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manire que

    ce soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur en

    France. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

    Documenttlchargdepu

    iswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-1

    6/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    2/16

    DU NON-TRE LAUTRE.

    LA DCOUVERTE DE LALTRIT

    DANS LE SOPHISTE DE PLATON

    Le titre de ce travail suggre que nous avons lintention de par-courir un chemin qui mne dune notion (celle du non-tre) uneautre (celle de lautre ). Mais il faut dire dores et dj que lanotion de chemin nengage, dans notre cas, que linterprte(donc, nous-mmes), et que les auteurs tudis ici (notamment, Pla-

    ton) seraient trs surpris dapprendre quils ont dcouvert quelque chose qui est, pour nous, une sorte daboutissement dunelongue marche. En effet, il arrive souvent aux philosophes de parta-ger lexprience que lon constate aussi chez les grands crivains : lasignification la plus profonde de leurs uvres leur chappe.

    On pourrait imaginer que, aprs avoir eu connaissance descommentaires des exgtes les plus subtils, ces crateurs (crivainset philosophes) auraient pu se demander, tonns : Ai-je vrai-ment dit a ? Eh bien, pourquoi pas... Cest le cas de Platon

    propos de laltrit. Dans le Sophiste, il a consciemment vouluse dbarrasser de son pre spirituel Parmnide ; et il estconvaincu quil a russi le faire. Ce nest pas le cas on le verra ;mais, au beau milieu de son combat parricide, une notion fonda-mentale pour la pense philosophique commence petit petit sedessiner, jusquau moment o elle voit le jour dune manire cla-tante : celle daltrit. Nous essaierons de comprendre la gense decette notion, sans oublier quelle se prsente comme larrive dunlong chemin jonch de paradoxes et dimpasses, qui a travers

    lhistoire de la philosophie dj ancienne , depuis ses originesjusqu Platon.Cest la dcouverte si notre interprtation est valable, acci-

    dentelle de laltrit qui a permis de rsoudre le problme de laRevue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    Docu

    menttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    3/16

    ralit du non-tre. Mais... pourquoi la notion de non-tre tait-elleproblmatique ? Regardons le dbut du chemin...

    Depuis toujours, peut-on dire, ltre humain a essay de com-prendre son entourage, le milieu dans lequel il se trouvait et, dsquil eut conscience de son statut particulier, de sexpliquer sapropre condition. Aux premires questions firent suite les premiresrponses, anonymes, voire collectives, rpertories par les historiensde la pense lintrieur du rayon mythe . Vers la fin duVIIe sicle av. J.-C., et mme au dbut du VIe, des sages donc,des individus, dont certains nous ont laiss leur nom prirent larelve. Ils sintressaient aux choses , la totalit des choses :

    lorigine, lorganisation et les lments du kosmos, la structure et lavie lintrieur de la cit (la polis), et la place de ltre humain danscet ensemble. Dj Anaximandre, qui aurait t auditeur de lundes premiers qui ont philosoph (Aristote, Mt. A, 983 b), Tha-ls, avait propos une interprtation gnrale de la manire dtre etdagir des choses . Il ne sagissait pas dune certaine catgorie de choses , mais de la totalit des choses. Et, comme il sexprimaiten grec, pour faire allusion aux choses il avait utilis lex-pression ta onta (au datif, tois ousi : cf. Simplicius, Phys., 21, 13). Le

    long chemin qui menait vers laltrit venait de commencer et lamachine se mit en marche...

    Lexpression utilise par Anaximandre (et, par la suite, par tousles philosophes grecs) tait dj tellement riche que lon peut direque lhistoire de la philosophie grecque nest que lensemble derponses proposes pour rendre compte de sa signification. Lex-pression nest pas facile traduire. Nous avons dit quelle fait allu-sion aux choses , mais le mot choses nest pas une traductionde onta (ta est larticle neutre au pluriel, quivalent les , dans le

    cas o les choses seraient envisags en dehors de son genre ).Par lintermdiaire de lexpression les choses , au sens large,nous nous rfrons des entits , sans nous prononcer sur le sta-tut ontologique de celles-ci. Cest le cas de lexpression grecque taonta. Mais celle-ci suppose, dj dans ltymologie de onta, que cesentits existent (de quelle manire ? Le mot ne le dit pas), car, dupoint de vue grammatical, onta est le participe prsent, au pluriel,du verbe tre . On peut, donc, traduire lexpression ta onta par les tants , ceux (au genre neutre) qui sont , et mme, avec

    plus de prcision, ceux qui sont en train dtre , mais il fauttenir compte du fait que, dans tous les cas, cest le sens du verbe tre qui se reflte dans le participe onta. En ce qui concernelarticle, en grec, il ne fait que souligner le caractre gnral du par-Revue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    176 Nestor-Luis Cordero

    Docu

    menttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    4/16

    ticipe qui, du fait de ne pas tre engag dans un terme de genre mas-culin ou fminin (ce qui pourrait tre le cas, car il y a des tants masculins ou fminins), est exprim au neutre. Si lon pouvait ima-giner que le mot chose , au sens large, ne fait pas allusion quelque chose de fminin (comme cest le cas dans lexpression unquelque chose ), on pourrait comprendre que ta onta signifie leschoses qui sont en train dtre . Lorsque Anaximandre affirme : Do vient la gnration pour ta onta, est ce vers o elles retour-nent (loc. cit.), il dit que le point de dpart des choses qui sont entrain dtre concide avec le point final de leur existence. Ces choses , cest simplement tout : lments, objets composs

    partir des lments, tres humains, et mme, peut-tre, les dieux dela tradition.

    Un Grec na pas besoin de souligner chaque instant que dans lemot onta se cache le fait dtre, car il sait, comme nous, quunparticipe prsent nest quune forme verbale , forge partirdun infinitif. Ainsi, comme tudiant (cest--dire, au senspropre, celui qui est en train dtudier ) est le participe prsentdu verbe tudier , ce qui est en train dtre est le participeprsent du verbe tre . Le fait dtre est donc prsent dans le par-

    ticipe onta, et cest la valeur du verbe qui dtermine le poids (ou, silon veut, la manire dtre) de ce qui est en train dtre. Quoi quilen soit, dj le mot onta suppose le fait dtre.

    Un sicle aprs Anaximandre, Parmnide introduit une nou-veaut qui fera de lui le premier ontologue (mme si ce mot estpostmoderne par rapport llate). Tous les philosophes, aprsAnaximandre, staient intresss aux onta, mais ils envisageaientces onta en fonction de quelque chose en commun quelles poss-daient : le fait dtre. Parmnide simplifie (!) la question et ne

    soccupe que de ce fait ; pour cette raison, et pour la premire fois,il utilise lexpression au singulier : to on. De la mme manireque celui qui cherche ce que sont les hommes se pose la question : Quest-ce que lhomme ? , au singulier (en ralit, un singuliergnrique), Parmnide mne une recherche sur ce qui est en traindtre (to on) et, plus prcisment, sur le sens du mot on, tanten train dtre , car larticle to ( ce ) apparat rarement chez lui.La tradition non grecque a considr Parmnide comme le philo-sophe de ltre (do le sobriquet d ontologue ), ce qui nest

    pertinent qu condition de saisir la valeur, en grec, de son objet de recherche, lon.Et ce que Parmnide a dit propos de ce qui est en train

    dtre a marqu dune manire dcisive la philosophie jusqu laRevue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    Du non-tre lautre 177

    Docu

    menttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    5/16

    sophistique, et mme aprs (jusqu Antisthne, disciple de Socrate,pourrait-on dire), car il a mis en rapport cette ralit indniable(car, qui pourrait nier quil est en train dtre ?) avec la pense etavec le discours. On ne peut pas ne pas admettre qu on est, et latche de la philosophie consiste, pour Parmnide, saisir la valeurabsolue et ncessaire de ce fait dtre, car il ny a que a commeobjet penser et comme chose dire. Ce qui nest pas nest pas pen-sable ni exprimable dans un discours (fr. 2.6-7). partir de Parm-nide, ce qui nest pas en train dtre ou, si lon prfre, ce quinest pas , voire le non-tre , devient inimaginable et inexpri-mable. Comme il ny a que ce qui est, le non-tre na pas droit de

    cit dans lunivers de la philosophie. Cette affirmation, pourtant, aconduit la pense philosophique vers une impasse, et cest pourcette raison que nous avons dcid de la placer au dbut de notrerecherche. Une recherche avance au fur et mesure que les bar-rires quelle trouve sur son chemin disparaissent. Ces barrires sontdes problmes (en effet, problma, en grec, signifie ce que lon ren-contre devant soi , obstacle ). Le premier obstacle quil a fallufranchir sur la route qui mne vers laltrit a t le problme dunon-tre.

    Deux lments se sont conjugus pour que le non-tre devienne un problme. Le premier, cest le mot lui-mme. En tantque participe du verbe tre , to on signifie (et cela, a priori, endehors de toute interprtation philosophique) un quelque chose , un tant ; sa ngation, qui serait to me on, est, mme dun pointde vue tymologique, une contradiction, car larticle dfini tosignale quelque chose ; il ne peut signaler... rien. Ce qui vient aprslarticle, to on, est forcment quelque chose qui est, mme sil sagitdun rve, dune image ou dune notion abstraite.

    Le deuxime lment dcoule de la philosophie de Parmnide.Et nous disons dcoule , car cest surtout lintrieur de lhri-tage (dtourn ? La question ne peut pas tre traite dans les limitesde ce travail) parmnidien quont t assimiles, voire identifies,les notions d tre et de vrit. Malgr lavis erron de quelquespartisans dune conception ontologique originaire de la vritchez les Grecs (et, encore une fois, les limites de ce travail ne nouspermettent pas de justifier cette critique), la vrit, depuis les po-mes homriques, a toujours t une proprit (si lon peut dire) du

    logos, dans sa signification de discours . DHomre Parmnide,il est impossible de trouver un seul exemple de ladjectif vrai appliqu des ralits autres que le discours ou la pense suscep-tible dtre exprime dans un discours. Chez Parmnide lui-mme,Revue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    178 Nestor-Luis Cordero

    Docu

    menttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    6/16

    au moins, dans les passages de son Pome qui sont parvenus jusqunos jours, rien ne justifie daffirmer que la vrit devient, tout duncoup, la vrit de ltre (cest--dire que ce qui est vrai serait ltre),mais la manire dont il prsente les caractres (smata) du faitdtre (qui font ressortir notamment son aspect ncessaire, absolu etunique) fait du logos sur ltre un discours sur la vrit (fr. 8.50-1). Cela veut-il dire quun discours sur ltre est forcment un dis-cours sur la vrit ? Quoi quil en soit, dj Mlissos, lecteur ( dis-ciple serait trop dire) de Parmnide utilise lexpression ltrevritable (to on althinos, fr. 8 [5]), et il est certain que, partir deParmnide, et jusqu la fin de la priode dite prsocratique, tre et

    vrit vont ensemble. La vrit ontologique nest pas originairedans la pense grecque (et moins encore aux origines , commeaimait crire Heidegger) ; elle est le rsultat dune rflexion philoso-phique sur ltre des choses.

    Le mouvement sophistique sopposa lassimilation dtre etvrit (donc, cette assimilation existait bel et bien vers le milieu duVe sicle), mais sa critique tait gnrale : pour les sophistes il ny apas dassimilation entre les deux notions tout simplement parce queltre est remplac par le paratre, et le fondement du paratre cest

    la sensation. chacun sa sensation, chacun sa vrit. Une posi-tion si radicale fut lorigine, comme on le sait, dune raction radi-cale elle aussi, comme celle dAntisthne, lun des premiers disciplesde Socrate, qui niait la possibilit du mensonge, car tout ce que londit (au sens fort du verbe dire , exprim en grec par legein) estvrai : Celui qui parle dit quelque chose (ti), et celui qui ditquelque chose dit ce qui est (to on) ; donc celui qui dit ce qui est ditla vrit (Antisthne, apud Proclus, In Crat., 37). Lexpression le non-tre (ou ce qui nest pas ) na pas de sens ; par cons-

    quent, tout discours qui prtendrait dire ce qui nest pas est impos-sible. Voil le problme pos par le non-tre.Il est vident que, si la philosophie ne peut pas rendre compte de

    la totalit de la ralit, sa tche se trouve dvalue, affaiblie. Mais...ce qui nest pas fait-il partie de la ralit ? Il semblerait que non. Ily a cependant quelque chose que lon appelle mensonge, erreur, illu-sion, image. Quelle sorte de ralit ces notions possdent-elles ?Peuvent-elles tre relgues au domaine de ce qui nexiste pas ,et tre ainsi bannies du domaine de la philosophie, qui est cense

    tre une recherche sur l tre des choses ? Platon dcida desoccuper de la question et dentreprendre un vritable combat, lafois contre les relativistes , qui revendiquaient la ralit desapparences au dtriment de la ralit de ltre, et contre les abso-Revue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    Du non-tre lautre 179

    Docu

    menttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    7/16

    lutistes , qui assimilaient ltre la vrit et qui ne donnaientquun sens absolu la notion dtre. Le Sophiste fut le champ debataille choisi par Platon.

    Le dsir avou par Platon est celui de dfinir la tche dusophiste. Lentreprise nest pas indite, car dans de nombreux dialo-gues Platon stait dj occup de la question (et il en fait autant audbut du Sophiste), mais la nouveaut de cet ouvrage, dans saseconde partie, est un vritable dfi : Platon arrive la conclusionquune dfinition approfondie de lactivit sophistique suppose lamise en question de la philosophie de Parmnide. Le dialoguedevient ainsi un dialogue sur ltre , ainsi quil est soulign par son

    sous-titre (Peri tou ontos) (plac soit par Platon lui-mme, soit pardes diteurs anciens), car cest le philosophe de ltre, Parmnide, quiaurait fourni (a priori, cela va de soi, et certainement malgr lui) auxsophistes des raisons valables pour justifier leur mtier. La thse estsurprenante, mais Platon veut faire dune pierre deux coups : unefois tablie (invente ?) lalliance entre Parmnide et la sophistique,la critique de lune aura des consquences nfastes sur lautre.

    Le chemin suivi par Platon prend comme point de dpart unenouvelle dfinition du sophiste. Celui-ci est un faussaire, un illusion-

    niste, un fabricant dimages (Soph., 236 b-c). Cela suppose quil pro-duit des images qui sont des imitations des modles. Mais cette cer-titude est lourde de consquences, car dans le domaine de laphilosophie il faut justifierlexistence des notions, et la justificationde la notion dimage questionne les fondements mmes de laconception de ltre, telle quelle est admise comme un fait accomplipour la philosophie (mise part la sophistique). Si, comme nousvenons de le voir, ltre est assimil la vrit et nadmet pas sangation (qui en serait le non-tre), quelle sorte de ralit pourrait-

    elle correspondre limage ? Elle est la copie dun modle, maiscest celui-ci qui existe et qui est vrai. Limage serait donc nonvraie, fausse , et, en tant quelle ne possde pas l tre dumodle, elle relverait du... non-tre. Sil en est ainsi, le sophiste nepeut pas tre considr comme un faussaire fabricant dimages, carcelles-ci nexisteraient pas. Cest lapplication la lettre des axio-mes de Parmnide qui, selon Platon, conduit cette conclusion.Dune manire tout fait inattendue, la philosophie de Parmnideviendrait innocenter lactivit des sophistes, qui ne serait pas diff-

    rente de celle des philosophes. Platon accepte cette ressemblance,mais il veut aller au-del des apparences, car cet air de famille quily a entre le sophiste et le philosophe cache une opposition radicale,la mme qui spare le chien du loup, lis, eux aussi, par une forteRevue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    180 Nestor-Luis Cordero

    Docu

    menttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    8/16

    ressemblance. Et, pour confirmer son jugement ngatif par rapport la sophistique, Platon entreprend une vritable dconstructionnon seulement de la philosophie de Parmnide, mais surtout dunecertaine conception de ltre, ce qui le conduira la dcouverte del autre de ltre.

    Contrairement la mthode employe dans dautres ouvrages(et peut-tre le changement de porte-parole dans ce dialogue, quinest pas Socrate, mais ltranger dle, y est pour quelque chose),Platon devient trs pragmatique dans le Sophiste. Comme il y a desimages, il faut leur trouver un statut ontologique. En effet, depuisses premiers dialogues Platon avait affirm que le domaine du sen-

    sible et du multiple ntait que la copie dun paradigme, et que la ralit rellement relle (ousia onts ousa, Phdre, 247 c) ne cor-respondait qu celui-ci. Le moment est donc venu de justifier lanotion dimage, de copie, dimitation, cest--dire dun quelquechose qui nest pas ltre absolu et vritable.

    Et, fidle au vritable sujet du Sophiste, Platon entame unerecherche sur ltre. Dans ce domaine aussi, sa dmarche sera diff-rente de celle suivie dans dautres dialogues, car il tient compte dela manire dont les philosophes prcdents (parmi lesquels Parm-

    nide... et lui-mme !) ont envisag la question. Cest le regard quilsont eu sur ltre qui les a empchs de reconnatre quil pourrait yavoir quelque chose de diffrent de ltre, qui, de ce fait, serait unesorte de non-tre. Mais... comment les philosophes antrieurs ont-ilsconu ltre ? Comme une ralit absolue et unique, cest--direcomme une sorte dtant privilgi. Des racines dEmpdocleaux Formes des platoniciens, en passant par les opposs dHraclite(et on pourrait dduire quil fait allusion aussi aux atomes deDmocrite), Platon montre que tous les philosophes ont regard

    ltre comme une entit une (ou multiple, ce qui est en ralit unensemble d uns ) caractrise par un article dmonstratif ( les lments, les Formes, l un). Do limpossibilit, dja priori, de concevoir la ngation de cette entit, car un non-un est inimaginable. Selon cette manire de regarder les choses, Parm-nide avait raison.

    Cest donc ce regard sur ltre quil faut questionner. Et Platonpropose de faire, avant lheure, une rvolution copernicienne : silimpasse dans laquelle se trouve la philosophie est la consquence

    dun regard entitatif sur ltre, supposons que ltre est (commedisait Parmnide, ajoutons-nous, mais le parmnidisme que Platona reu nest pas celui-ci) un fait , une activit, une force, unedynamis (Sophiste, 247 e). Lavantage dadopter cette conceptionRevue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    Du non-tre lautre 181

    Docu

    menttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    9/16

    est vidente : du fait de ne pas se confondre avec un tant, ou avecdes tants (mme si ceux-ci sont minents, tels les atomes, lesFormes ou les opposs), cette activit peut semparer de notionsopposes. En ralit, cest partir de lexistence de notions oppo-ses constates dans la pense philosophique antrieure que Platon dcouvre ce fait dtre. Il constate que tous les penseurs ontadmis lexistence dune entit privilgie (dun tre , si lon veut)soit en mouvement (la plupart des Prsocratiques), soit en repos(selon Platon, Parmnide et Mlissos). Si le repos et le mouvementont t levs au rang de caractres fondamentaux du principe pre-mier, cest parce que tous les deux existaient. Le fait dtre, donc,

    est en dehors du repos et du mouvement, car il fait tre ces prin-cipes. Cest grce lui que ces principes sont . Platon est trsclair : lorsquil y a deux principes, ltre est un troisime terme (tri-tos, 243 e 2, 250 b 7, c 1) (de la mme manire que, lorsquil y enavait un seul, il tait un deuxime terme, 244 d).

    Une fois arriv cette conclusion, Platon se pose la question sui-vante : Quel est le contenu de ce pouvoir qui fait que tout ce quicommunique avec lui existe ? En dautres termes, quest-ce que cetroisime terme communique aux choses, qui fait quelles existent ?

    La rponse de Platon est, encore une fois, trs claire : cest lapossession de quelque chose qui fait que les choses (ta onta) existent rellement (onts, 247 e). Elles possdent un certainpouvoir (dynamis) de communiquer, soit dans le sens dune action,soit dans le sens dune passion (loc. cit.). Ce qui est incapable (donc,qui ne possde pas le pouvoir, la capacit, dynamis) dagir ou deptir nexiste pas. En revanche, ce qui caractrise tout ce qui est(Platon ne suggre aucune diffrence : il parle de tout ce qui est ,pan touto, 247 e 3) est la possession dun pouvoir daffecter une

    autre chose ou dtre affect par une autre chose. Trs subtilement,dune manire presque imperceptible, Platon nous suggre dores etdj quexister suppose co-exister, que lexistence de lun supposeson rapport avec un autre. Laccouchement de laltrit vient decommencer.

    On ne peut pas nier que, dans ce passage, Platon propose unevritable dfinition du fait dtre. Il le dit au moins deux fois.En 247 e, il affirme quil vient de proposer une dfinition pourdfinir (horon horizein) les tants (ta onta), et il confirme

    en 248 c 4 quil sagit l dune dfinition des tants (horon tnontn). Or une dfinition dfinit (le plonasme appartient Platon)lessence dune chose. Ltant (ce qui est) possde une puissance decommunication, mais, comme cette puissance fait de lui un tant,Revue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    182 Nestor-Luis Cordero

    Docu

    menttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    10/16

    elle est tout simplement ltre de ltant : Ils (sc., ta onta, lestants) ne sont autre chose que puissance (dynamis).

    Le moment est venu de tirer les consquences de cette nouvelledfinition (le mot a t dj justifi) de ltre de la part de Platon.Grce son caractre dynamique (en effet, il nest que dynamis), ilchappe au pige de la chosification : il ne peut pas tre soumisaux coordonnes spatio-temporelles, comme ctait le cas de ltre latique tel que Platon linterprte, qui tait condamn treUn parce que le vide (?) nexistait pas ; par consquent, il occu-pait tout lespace (!), comme nous lisons chez Mlissos (fr. 8 [8]).Cela permet dchapper aussi aux paradoxes poss dans la premire

    partie du Parmnide, mais ce nest pas ici loccasion de traiter cetpineux sujet. En revanche, dautres consquences, rvolutionnai-res pour lavenir de la recherche philosophique, dcoulent de cetteposition.

    Sil existe rellement tout ce qui est capable dtre lobjet duneaction (ou, si lon veut, de ptir ), limage existe rellement. Car,quest-ce quune image ? coutons Platon : par rapport sonmodle (car toute image est la copie dun modle), une image(eidlon) est une autre chose pareille (heteron toiouton) faite la

    ressemblance (aphmoimenon) de ce qui est vritable (pros talthi-non) (240 a 7). Limage a t lobjet dune production ; donc, elle est rellement (onts) une copie (eikn) (b 11). Mais il ny aque le modle qui est vrai. Le statut ontologique de limageconsacre la coupure du rapport classique entre ltre et la vrit,source de toutes sortes de paradoxes. La vrit dmnage et ce nestque vers la fin du dialogue quelle retrouve son topos : le discours(logos). Platon revient ainsi aux pomes homriques.

    Mais, en ce qui concerne notre sujet, la conception dynamique

    de ltre joue un rle capital, car elle permet de rsoudre le problmedu non-tre. Du fait de ne pas se confondre avec une entit privil-gi, ltre peut communiquer avec des notions opposes, et les faire tre . En revanche, si, par exemple, ltre sidentifiait aurepos (cest--dire si lon admettait quil nexiste que ce qui est enrepos), le mouvement serait relgu automatiquement au domainede ce qui nexiste pas. Du moment o lon a dcouvert que le faitdtre est un tritos en plus des deux opposs, il est en dehors durepos et du mouvement ; mais cest grce lui quils existent.

    Arriv ce point, Platon oublie quil a abandonn son porte-parolehabituel, et ltranger, comme jadis Socrate, replace sa solution lintrieur de disons lorthodoxie platonicienne, selon laquelle lesFormes sont la garantie de tout ce qui existe, et le lien qui stablitRevue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    Du non-tre lautre 183

    Docu

    menttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    11/16

    entre les Formes et la multiplicit, cest la participation. Rien deplus normal , donc, que de confrer cet tre dynamique le rledune Forme et de faire de cette Forme le domaine privilgi du phi-losophe. Celui-ci est attach toujours par les raisonnements (aeidia logismn) la Forme de ltre (ti tou ontos ideai) (254 a) . Unregard hypercritique trouverait que, finalement, Platon revient cequil avait critiqu chez ses prdcesseurs : rattacher ltre unecertaine entit. Ce nest pas le cas : la physis de cette Forme estdynamique ; cest une force qui transmet de ltre tout ce quiest, et comme tre = pouvoir de communiquer, cest ce pouvoir quiest transmis aux Formes, et point central de sa dcouverte cest

    grce leur tre (= leur pouvoir de communication) que lesFormes peuvent transmettre leur physis aux choses : le Beau, labeaut ; le Juste, la justice ; le Triangle, la triangularit. Voil lanotion de participation, revue et corrige. Les apories de la partici-pation prsentes au dbut du Parmnide (131 a - 135 a) nont plusde sens. Il ne faut pas justifier la participation, car celle-ci est ltre de la Forme : si une Forme existe, cest parce quelleparticipe !

    Lorsque Platon veut mettre un peu dordre dans sa recherche et

    essaie dtablir une sorte de hirarchie parmi les Formes, il va de soique la Forme de ltre se trouve au sommet, accompagne par lesdeux autres Formes qui ont caractris lhistoire de la philosophieantrieure au Sophiste (celle de Platon y comprise) : le repos et lemouvement (254 d4).

    Mais il reste le problme du non-tre... Cest le rapport entre cestrois Formes principales (megista, 254 c 3) qui va rgler la question.Si elles sont trois, cest parce que chacune est une. Cette apparentelapalissade nen est pas une. Une signifie identique elle-mme.

    Lidentit, cest la garantie de lunit. Or Platon constate que cetteidentit propre chacune des trois Formes principales doit tre, elleaussi, garantie par une Forme (en effet, Platon ne peut pas ne pastre... platonicien), et il postule lexistence de la Forme du mme(ou de lidentique, tauton, 255 c 6). Mais ces quatre Formes ne sontpas identiques rciproquement. Elles sont quatre. Le raisonnementplatonicien aurait pu rester l. Mais Platon ne peut pas oublier quila dfini ltre comme le pouvoir de communiquer. Si ces quatreFormes existent, mis part la communication quelles exercent,

    disons, verticalement, par rapport au multiple (et qui fait que toutechose existe, quelle existe soit en repos, soit en mouvement, etquelle est identique elle-mme), les Formes communiquent aussientre elles. On dit souvent que cette communication entre les For-Revue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    184 Nestor-Luis Cordero

    Docu

    menttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    12/16

    mes (symplok tn eidn, 259 e 6) est la nouveaut du Sophiste. Cenest pas vrai : depuis les premiers dialogues, Platon avait souventmis en rapport, par le biais de lattribution, une Forme avec uneautre (mais ce sujet ne peut pas tre trait dans les limites de ce tra-vail) ; en revanche, le Sophiste montre que les Formes, du momento elles existent, ne peuvent pas ne pas communiquer. Ce qui nestpas capable dagir ou de ptir (donc, de communiquer dunemanire active ou passive, mme si cette passivit nest que cellepropre lobjet de la connaissance, qui, de ce fait, est connu, voixpassive du verbe connatre ) nexiste pas. Et si les Formes, ou, dumoins, les quatre Formes principales, communiquent entre elles,

    cest parce quelles sont diffrentes les unes par rapport aux autres.Voil une nouvelle notion, qui devient une cinquime Forme, lautre , le diffrent (to heteron).

    Cest la mise en place de cette Forme qui permet denvisagerlexistence ventuelle du non-tre. En effet, lapplication de laForme de lAutre aux autres Formes, une la fois, conduit la for-mulation de toute une srie de ngations, et celles-ci sont relles.Nous voudrions souligner le fait que la participation dune Forme la Forme de lAutre la place face une autre Forme, car chaque

    Forme devient lautre dune autre. Le rapport dopposition intro-duit par lAutre nest pas indtermin ni collectif. Il est trs prcis :cest la ngation de ce quune chose est par elle-mme, en fonctionde son identit.

    Cela revient dire que la participation avec lAutre instaure un non-tre trs prcis, et, parce que ce non-tre est rel, il peuttre nonc dans un jugement. Du fait de participer de lAutre, lemouvement, qui est ce quil est grce sa participation au Mme,devient lautre... du repos ; on peut alors affirmer que le mouve-

    ment nest pas le repos. Ce non-tre instaur par lAutre est, nouslavons dj dit, trs prcis. Cest une analyse de cette ngationponctuelle, du non ou du ne pas placs devant les noms quisuivent [...], ou, davantage, des choses en fonction desquelles ontt tablis les noms aprs la ngation (257 c), qui permettra detenir un discours cohrent (orthologia, 239 b 4) sur le non-tre. Or langation ne semble pas tablir un rapport de contradiction, car,dans ce cas, laffirmation dun lment entranerait la suppressionde llment contraire. Si le non-blanc tait le contraire du blanc,

    lexistence du blanc conduirait affirmer linexistence du non-blanc. Mais ce nest pas le cas. Comment pouvons-nous le savoir ?Ce nouveau Platon pragmatique qui sexprime dans le Sophiste faitappel au sens commun : mme celui qui affirme lexistence du blancRevue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    Du non-tre lautre 185

    Docu

    menttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    13/16

    doit admettre quil y a aussi, par exemple, le rouge, qui est certaine-ment non blanc, mais qui nest pas pour autant condamn linexistence. Et cela est possible parce que le non-blanc, auquelappartient le rouge, nest pas le contraire du blanc. Dans le domainede la couleur, il fait partie de la rgion de lAutre par rapport aublanc. Il nest pas le blanc, mais il existe : il est diffrent du blanc.Voil la solution propose par Platon : la ngation ne signifie pascontradiction, mais diffrence.

    Il doit maintenant appliquer sa dcouverte cette ngation sispciale qui tait lorigine de limpossibilit de dmontrer que lesophiste est un faussaire celle du non-tre. Peut-on affirmer main-

    tenant, dune manire correcte, sans disputer et sans chercher samuser (237 b), en faisant appel lorthologia, que le non-treest ? La rponse de Platon est positive. Aprs avoir montr que lopposition rciproque dune partie de la nature de lAutre et decelle de ltre nest pas une ralit moindre si lon peut dire queltre lui-mme, car elle ne signifie pas le contraire de celui-ci, maisseulement quelque chose de diffrent de lui (258 a-b), Platon ditque cette ralit, cest le non-tre, ce que nous cherchons traversle sophiste . Mais... ce non-tre, est-il le non-tre ? Le pre Par-

    mnide a-t-il t tu ? Ce nest pas vident.Cest la notion de lAutre qui a permis darriver justifier le

    non-tre, car, en tant que la nature de lAutre existe, il est nces-saire daffirmer que ses parties ne sont pas moins tre que ltre lui-mme (258 a), et chacune de ses parties est un non-tre par rap-port au sujet qui a t pris comme point de dpart : Ainsi commele grand tait grand et le non-grand, non-grand, et le non-beau,non-beau, de telle manire, le non-tre en soi tait et est non-tre,comme une Forme parmi dautres (258 c). Mais ce non-tre nest

    pas le non-tre interdit par Parmnide. Platon lavoue lui-mme,car le non-tre quil a trouv nest pas le contradictoire de ltre,comme serait celui de Parmnide (ce qui est dailleurs vrai : Il estncessaire dtre absolument ou de ne pas tre du tout , avait critParmnide, fr. 8.11) : Alors, quon ne dise pas que, lorsque nousavons eu le courage daffirmer que le non-tre existe, nous pensionsmettre en vidence le contraire de ltre (258 e). Cette question, ditPlaton, nest plus pertinente : Soit que [ce type de non-tre]existe ou nexiste pas, [soit] quil possde un certain sens ou quil

    soit compltement irrationnel. Platon a rsolu la question concer-nant le non-tre propre au discours philosophique, celui quil fautrevendiquer pour pouvoir justifier le discours faux et permettreainsi la condamnation de la sophistique, celui qui permet de justi-Revue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    186 Nestor-Luis Cordero

    Docu

    menttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    14/16

    fier des jugements ngatifs vrais (du type : Thtte, avec qui jeparle maintenant, nest pas en train de voler ). Il sagit dun non-tre relatif: A nest pas... X , le mouvement nest pas le repos (255 e), car il est autre que le repos. Parmnide peut pousser un sou-pir de soulagement : il avait dj tenu compte de la diffrence lors-quil avait crit que la voie de recherche quil faut abandonner nest pas le vrai chemin (fr. 8.17-8).

    Dans le chemin qui mne du non-tre lautre, la dcouverteprincipale de Platon concerne, sans aucun doute, lAutre. La Formede to heteron (que lon peut traduire aussi par la Diffrence et mmepar lAltrit), et notamment le rle minent que Platon lui donne

    (elle fait partie des cinq genres principaux), consacre un nouveaupoint de dpart pour la philosophie. Ltre des choses ne peut plusse fonder uniquement sur le caractre entitatif des tants (quisont, cela va de soi, uns ) qui se justifierait par une sortedidentit qui rendrait compte de lessence de chacun. Des ralitsen soi et par soi, uniquement identiques elles-mmes, telles que lesFormes dans les dialogues prcdents, nexistent plus. tre est treen rapport avec, et cela suppose lexistence des autres (dautres cho-ses, dautres Formes, dautres individus, ce nest pas important).

    Cest la fois lidentit et laltritqui cohabitent, et cela permet desaisir ltre le plus profond dune chose. Cette double participation(car cest par participation que tout se rapporte lidentit et laltrit) dtermine les limites de chaque chose. Chaque chose estenvisage comme si elle tait une mdaille avec deux cts : lunregarde vers ce que la chose est par rapport soi, cest son identit ;lautre regarde vers le dehors, vers cet territoire que la chose ne peutpas fouler car autrement sa limite intrieure avancerait vers cetau-del que ne lui appartient pas, cest son altrit. Platon appelle

    la rgion de lAutre cet au-del de la limite. Et, partir duSophiste (et lide restera chez Aristote, la philosophie mdi-vale, etc.), la dfinition (littralement, la mise en place de limites : finis) de chaque chose suppose linteraction de deuxlments, lidentit et la diffrence, car chaque chose nest pas seu-lement ce quelle est ; elle est aussi diffrente de ce quelle nest pas.La rgion extrieure dune chose est constitue par tout cequelle nest pas, toujours dans un certain domaine. Il ne sagit pasdune classe vide, dun pur nant ; pas du tout. Elle est trs

    peuple , bien plus que la rgion restreinte o se trouve la chose dfinir. Et tout ce quune chose nest pas, qui est son altrit, cest son non-tre. Cest pour cette raison que Platon affirme qu ily a (esti) beaucoup dtre en ce qui concerne chaque Forme, mais ilRevue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    Du non-tre lautre 187

    Docu

    menttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    15/16

    y a aussi une quantit infinie de non-tre (256 e). Tout ce quunechose nest pas prcise la dfinition de son essence.

    partir des paradoxes, impasses et, surtout, contradictions parrapport lexprience quotidienne qui dcoulaient de la notion denon-tre, Platon entreprit de mener jusquau bout une recherchesur le type dtre qui avait fait de son contraire, le non-tre, cet objet intraitable. Nous avons vu que ctait une conception entitative de ltre (pour laquelle tre est tre une certainechose, mme si cette chose est un principe transcendant, commeserait la Forme platonicienne) qui tait la source de tous les probl-mes. sa place, Platon propose un tre dynamique, qui nest quun

    pouvoir de communication transmis (Platon reste toujours... plato-nicien) par une Forme, la Forme de ltre ; mais comme la physis decette Forme est dynamique, elle chappe (cest le sentiment de Pla-ton...) aux piges dun tre entitatif . La principale consquencesecondaire de cette nouvelle conception de ltre est son pouvoir departiciper des entits contraires ; il ne peut pas sempcher de par-ticiper, car autrement ces ralits nexisteraient pas. Il est dona-teur dexistence : Ltre se mle tous les deux [sc., le repos et lemouvement], car, sans doute, les deux existent (254 d). Il donne

    aussi de lexistence cet autre couple, lidentit (ou le mme ) etlaltrit (ou la diffrence , ou lautre ), et cest ainsi quuncertain non-tre trouve sa place dans le domaine de ltre : lautre.Le non-tre est lautre de ltre. Voil un non-tre qui est : lautre.

    Notre travail aurait pu finir ici. Nous avons honor notre enga-gement, car nous avons parcouru le chemin qui mne du non-tre lautre. Le moment est venu, cependant, de poser quelquesrflexions. Platon est certain davoir avanc trs loin au-del deslimites quil [sc., Parmnide] avait interdit de franchir (258 c).

    Nous avons dj dit supra, propos des jugements qui impliquentune ngation, que Parmnide les avait dj prvus, et quils nepouvaient pas donc tre la cause dun ventuel parricide.

    Quen est-il propos de cet tre dynamique qui justifieraitlexistence dun certain non-tre ? Lorsque Parmnide parle de cequi est (to on), il fait allusion au fait dtre . Cest dores etdj une notion dynamique , et cest pour cette raison que, lors-quil prsente pour la premire fois dans son Pome la notion de cequi est , il utilise le verbe tre la troisime personne, isol :

    esti (fr. 2.3). On est (esti, sans sujet) ; donc, il y a de ltre, diraitParmnide. Cette notion dtre, prsente dans tout ce qui est, esttrs voisine, et mme plus, de la Forme de ltre prsente par Pla-ton dans le Sophiste. Platon lui-mme dit quil ne sest pas occupRevue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    188 Nestor-Luis Cordero

    Docu

    menttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    PUF

  • 7/29/2019 Alteridad en El Sofista de Platon, Nestor Cordero

    16/16

    de la question dun non-tre qui serait loppos de ltre, et, nouscroyons, pour cause : parce que Parmnide avait dj dit ce quilfallait dire : quil faut tre, ou ne pas tre du tout (fr. 8.11). Platonaccepte le dfi, et trouve des nuances (avant Aristote) dans le sensdu mot tre ; quoi quil en soit, en tant que Forme, il donne deltre, mme au non-tre, reprsent par laltrit. On pourrait doncdire que Platon confirme et largit ce que Parmnide disait : il y ade ltre, et il y a aussi du non-tre, qui, en tant que Forme (celle delAutre), occupe une place minente. Maintenant tout est, mme lenon-tre...

    Mais cette Forme de ltre que Platon dcouvre nadmet pas unengation, et cest pour cette raison que les Formes les plus impor-tantes ne sont que cinq : repos-mouvement, identit-altrit, tre.La Forme de ltre ne peut pas admettre une Forme contraire...Ltre que Platon propose a le mme caractre absolu et ncessaireque ltre parmnidien.

    Sil en est ainsi, quelles consquences sensuivent en ce quiconcerne le non-tre ? Il est, nous lavons dj dmontr, relatif.Cest un non-tre... X. Dun point de vue positif, cest laltrit : onest lautre de... Mais si laltrit permet de rsoudre le problme du

    non-tre, cela veut-il dire que lidentit occupe maintenant la placede ltre ? Ctait le cas dans la philosophie prplatonicienne, maisPlaton veut prsenter quelque chose de nouveau... Sa nouveautconsisterait-elle dgager le fait dtre de lidentit de quelquechose ? Il est fort probable. Le fait dtre, reprsent par la Formede ltre, permet lidentit et laltrit de jouer chacune son rlerespectif, mais il est au-dessus de la mle. Le rapport avec ltre deParmnide est plus que troublant...

    Quoi quil en soit, laltrit, cest la dcouverte majeure duSophiste, mme si Platon a cru quil ne faisait que rfuter Parm-nide. Le cas de Platon est semblable celui de Christophe Colomb.Il avait cru arriver lOrient par une voie nouvelle lorsque, en ra-lit, il a dcouvert lAmrique. Platon a cru relativiser ltre parm-nidien et a finalement dcouvert laltrit. Cest nous dappro-fondir sa dcouverte.

    Nestor-Luis CORDERO,Universit de Rennes I.

    Revue philosophique, no 2/2005, p. 175 p. 189

    Du non-tre lautre 189

    enttlchargdepuiswww.cairn.info--

    -201.2

    50.1

    59.1

    3-16/12/201216h13.

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    22111121

    P