Alquie, Ferdinando - Phi Lo Sophie Du Surreal is Me

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    DU MEME AUTEUR FERDINAND ALQUIENOTES SURLESPRINCIPESDE LAPHILOSOPHIEDE DESCARTES ,C ha ntiers (ep uise ).LE t; :ONSDE PH ILOSOPH IE ( 2 vol.), Didier .L E D ESIR D 'E TE RN IT E (Presses U niversitaires de F rance).L A D ECOUVERT EMETA PHY SIQU EDE L 'H OMME CHEZ DES -C AR TE S(Presses U niversitaires de France).LA NO STA LG IE DE L 'ETRE (Presses Universitaires deFrance).L 'E XPER IE NC E (Presses U niversita ires de France).DESCARTES, Hatier (en allem and chez Fromm ann; Gun-ther Holzboog, Stuttgart.)INTRODUCT IONA LA LECTUREDE LA CR IT IQUEDE LA RAISONPRAT IQUE ( da ns l'edition de cet ouvrage), (PressesU niversita ires de France).Edition des (EU VRES PH ILO SO PHIQ UES D E DESCA RTES,Garnier .L 'E TH IQ UE D E SPIN OZ A (textes choisis) (P resses U niver-sitaires de France),HUMANISME SURREALISTEET HUMANISME EXISTENTIALISTE(in: Cahiers du College philosophique, Arthaud).S TRUCTURESLOG IQUESET STRUCTURESMENTALESEN H IS-TOIRE DE LA PH ILOSOPHIE (in : Bulle tin de la Societefrancaise de Philosophie, A rm and C olin .)

    SC IE NC E E T M ET AP HY SIQ UE C HE Z D ESC AR TE S (cours),C.D.U.L A M OR AL ED E K AN T (cours), C .D .U .N ATUR E ET V ERITE D ANS LA PH ILO SO PH IE D E SPINO ZA(co urs), C .D .U .SE RV IT UD E E T L IB ER TE SE LO N SPIN OZ A (cours), C .D .U .Collaboration aux ouvrages collectifs : LES PH ILO SO PH ESCELEBRES,Mazenod .E NC YC LO PED IE FR AN 9A ISE (volum e : Philosophie, R eli-g ion); D ESCA RTES (Cahiers de Royaumont, Editionsd e M in uit).Sous presse :

    SO LIT UD E D E L A R AISO N, L e T errain V ague.

    Professeur a fa Sorbonne

    PHILOSOPHIEDU SURREALISME

    FLAMMARION, EDITEUR26, rue Racine, PARIS (VIe)

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    Ala memoirede Joe BOUSQUET et de Pierre SIRE,a man ami Rene NELLI,qui m'apprirent que la poesie est aussi verite.

    Pour recevoir regulicremcnt, sans aucun engagement de votre part,I'Actualite Litteraire Flammarion, il vous suffit d'envoyer vos nomet adresse it Flammarion, Service ALF, 26, rue Racine, 75278 PARISCedex 06.Vous y trouverez presentees toutes les nouveautes mises en ventechez votre libraire : romans, essais, documents, mernoires, biogra-phies, aventures vecues, livres d'art, Iivres pour la jeunesse, ouvragesd'utilite pratique, livres universitaires ...

    1977, FLAMMARION.

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    AVANT-PROPOS

    Ce que l'on reproche le plus volontiers a l'auteur d'unlivre, c'est de n'avoir pas traite un sujet autre que celuiqu'il a choisi. Le lecteur ne se soucie pas de ce qu'onveut lui faire entendre; c' est son propre projet, sonpro pre desir qui l'interesse. Je dois done avertir, desl'abord, qu'on ne trouvera pas ici une histoire du surrea-lisme, comme dans l'ouvrage de M. Nadeau, qui presentecette histoirc avec l'appui de documents utiles et nom-breux, ni comme dans ces Entretiens, O U Andre Bretonretrace, cette fois du dedans, l'aventure de son esprit, ercelle du mouvement qu'il inspira. Je n'ai pas davantageentrepris l'etude des sources du surrealisme. Certes, lesurrealisme a des causes, et celles-ci peuvent etre recher-chees soit dans les oeuvres que les surrealistes approuventet admirent, soit dans les ecrits auxque1s ils s'opposent,et dont ils renversent les affirmations. II demeure qu'unauteur n'approuve une idee, ne s'oppose a une tendancequ'au nom des exigences internes qui, avant tout choix,le constituent : c'est de ces exigences et de leurs finsessentielles que, pour comprendre le surrealisme, je suisparti. II me parait qu'elles seules permettent de rendrecompte de ce que le surrealisme a d'unique, et d'irrem-playable. J'ai, d'autre part, renonce a l'etude des tech-niques du surrealisme, et de ce qu'on pourrait appe1erson esthetique, ou sa poetique. Certains ne manquerontpas de pretendre que j'ai, de la sorte, neglige le principal.Mais ceux qu'interessent ces problemes peuvent en ecrire.Parler de la philosophic du surrealisme est ici mon uniquepropos.Philosophic du surrealisme ne veut pas, du reste, signi-fier philosophie surrealiste, On objecterait trop aisementque les surrealistes ne sont pas philosophes au sens

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    8 PHILOSOPHIE DU SURREALISME AVANT-PROPOS 9strict : c'est essentiellement par la poesie et la pein-ture qu'ils se sont exprimes. Et notre temps n'est sansdoute que trop porte a confondre philosophie et art. Maisil confond bien aisement, aussi, la philosophie et lessciences. Or, pour distinguer celle-la de celles-ci, il fautapercevoir que la philosophie est demarche de l'hommetout entier, et non systeme de l'objet. II n'est pas douteux,en ce sens, que la recherche surrealiste ait quclque chosed'a la fois non litteraire et non scientifique, qu'elle visea l'observation et a l'exploration de domaines negligespar la physique comme par les arts : ses precedes sontaussi. irreductibles aux methodes rationnelles qu'a l'ex-pression proprement esthetique. En outre, le surrealismecomporte une veritable theorie de l'amour, de la vie, del'imagination, des rapports de l'homme et du monde.Tout cela suppose une philosophie, que je me suis efforced'isoler et de degager. Qu'on ne s'etonne point, des lors,que, sans me limiter a lui, j'aie accorde une attentiontoute particuliere a Andre Breton qui, du mouvementsurrealiste, a ete, plus encore que Ie chef, la conscienceintelIectuelIe et reflechie, Certes, je regrette de ne pasdonner ici a d'autres toute la place qu'en des domainesdifferents ils meritent, et de ne pas determiner cequ' AndreBreton lui-meme leur doit : je n'oublie pas que le surrea-lisme n'est pas ne du seul Andre Breton, et que celui-cia pretendu, non creer et definir la verite surrealiste, maisplutot l'exprimer et lui etre fidele. Mais c'est dans sonceuvre que cette verite atteint sa plus grande clarte.Au reste, la definition meme du surrealisme deviendraitmalaisee si on le distinguait de l 'ensemble des idees expri-mees par Breton. A se demander qui a vraiment ete, etqui n'a pas ete surrealiste, on aboutirait a d'insolublesquerelIes, qui risqueraient fort de n'etre que des querellesde mots, toute reference a un en soi ) du surrealismeetant, bien entendu, impossible. Ceux memes qui se sontsepares de Breton ayant, en general, cesse de se dire sur-realistes, il m'a semble que l'on pouvait considerer lapensee de Breton comme l'essence et la norme de laphilo sophie du surrealisme sans faire tort a personne. Lesidees de chacun de ceux qui ont quitte Ie groupe sur-realiste n'en demanderaient pas moins des etudes parti-culieres, II serait d'un vif interet de faire la part, dansles conceptions de Salvador Dali ou de Mir6, de ce quirevient, de ce qui echappe au surrealisme, II y a unhumour surrealiste chez Raymond Queneau, une fan-

    taisie surrealiste chez Jacques Prevert. Bien plus : labeaute surrealiste se retrouve dans les ceuvres d'auteursqui n'ont eu, avec le mouvement surrealiste, aucun rap-port: l'atmosphere des recits de Kafka, etranges, a demisurnaturels, et si malaisernent explicables par uneconsciente intention de leur auteur est, sur plus d'unpoint, comparable a l'atmosphere du surrealisme, etl'emotion que cause en nous, dans La Cle de YassuGauclere, le bouleversant chapitre intitule : Les deuxlettres est celle meme des rencontres et du hasardobjectif. Je ne pouvais songer a etendre l'examen a tantde questions.Cet ouvrage n'est done, a aucun degre, une etuded'histoire litteraire. Le surrealisme y est considere dansson effort vcrs la seule verite. Sans' doute Breton a-t-ilparle, au debut du S ec on d Man zje ste , de l 'absurde dis-tinction du beau et du laid, du vrai et du faux, du bienet du mal , Mais il dit aussi, dans son E nq ue te s ur I' a m ou r,que la " poursuite de la verite est a la base de touteactivite valable )), et son ceuvre est traversee d'appelsincessants a la moralite, a la beaute : Breton ne s'indignedone, contre ce que l'on a coutume d'appeler beau, vraiet bien, qu'au nom d'un beau, d'un vrai, d'un bien qu'iljuge plus authentiques. Et si, pour realiser l'homme, ils'eleve contre tous les dualismes, sa fidelite a l'experiencehumaine, sa sincerite, sa lucidite l'amenent, en bien descas, a retrouver les verites que les philosophies dualistesont mises en lumiere. Enfin, se dis ant l'ennemi de lametaphysique, Breton parvient souvent, par les voies quilui sont propres, aux verites qu'elle enseigne : car le sur-realisme, soucieux de liberation totale, ne fait jamais touta fait sienne l'idee selon laquelle la conscience est, dansle temps, devenue malheureuse, et peut done echappera son malheur. S'il insiste sur l'alienation sociale, s'ilespere du futur Ie saIut, le surrealisme apercoit aussi quele malheur de Ia conscience n'est pas seulement lie a sonhistoire, mais a son eternelle condition. Sa prise deconscience de l'homme le conduit ainsi, sur bien despoints, a retrouver l'esprit de la metaphysique et a s'op-poser, en tout cas, au courant d'une epoque O U nul ne sesoucie plus de l'absence essentielle, O U chacun mesureson espoir a ce que peut realiser demain, la force et lefait devenant alors Ies normes de l'action. Le surreal isme,qui refuse tout au-dela distinct de ce monde, et professeune doctrine de l'immanence, n'en est pas moins, en ce

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    10 PHILOSOPHIE DU SURREALISMEqu'il disqualifie leMonde objectif, le messager de quelquetranscendance. C'est pourquoi je n'ai jamais eu de peinea mettre d'accord mon admiration pour Andre Breton etmon admiration pour Platon, Descartes et Kant. Au reste,ce que je dis n'engage que moi, et il est clair que je neme prends ici, a aucun degre, pour un porte-parole dusurrealisme. C'est du dehors que je me suis efforce d'endegager la philosophie. Je ne pretends pas en avoir retenutoute la richesse, ni l'avoir explique. Meditant sur ce qui,dans Ie surrealisme, peut etre conceptualise, j'espere seu-lement ne pas I'avoir trahi.

    CHAPITRE PREMIERLE PROJET SURREALISTE

    I. L'ESPOIR ET L' AMOUR.

    Tu as raison, me dit-elle, I'ombre ici presente estsortie tantot a cheval. Les guides etaient faites de motsd'amour, je crois, mais puis que les naseaux du brouillardet les sachets d'azur t'ont conduit a cette porte eternel-lement battante, entre et caresse-moi tout le long de cesmarches sernees de pensees 1. ))Si je place, en tete de ce livre, ces lignes anciennes, O UAndre Breton reve aux propos d'une servante l'invitantaux caresses, ce n'est pas seulement parce que les textesde Poisson Soluble ont, lorsque j'avais vingt ans, eveilleen moi une emotion et un espoir dont j'ai, aussitot,reconnu l'importance. Poisson Soluble me parait, encoreaujourd'hui, non certes la plus forte, mais la plus signi-ficative des oeuvres surrealistes : c'est, en tout cas, uneceuvre cleoOn voit assez, par Ie texte qui precede, que laqualite et l'exactitude de I'expression ne sont pas ici par-ticulierement recherchees. Peut-etre meme Breton n'est-ilpas encore ce maitre parfait de la langue qui, en 1949, nepourra admettre que des associations aussi mediocres que chats griffus, mariees hypocrites, mammouths furieux aient un instant seduit Rimbaud ", A ce point de vue,justifierait-on davant age I' ,(habit noir impeccable etles beaux seins blancs palpitants dont il n'hesite pas

    1. Andre BRETON, Poisson soluble, textc I, p. 79-80, a la suite deiHanifesu du Surrealisme, Editions du Sagittaire, Simon Kra, Paris,19242. Andre BRETON, Lettre a Combat du 19mai 1949, reproduite alafin de Flagrant delit (Thesee , 1949) et reprise, avec ce texte, in LaCle des champs, Sagittaire , 1953, p. 173.

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    12 PHILOSOPHIE DU SURREALISMEa nous entretenir 1 ? Mais, precisernent, la recherche quise fait jour dans Poisson Soluble n'est pas celle d'unequalite esthetique isolable. Les divers plans d'activite nese distinguent pas, le texte tend a engendrer une emotionet un espoir qui s'adressent a l'homme tout entier. Et jesais bien que l'ernotion et l'espoir de Breton furent, desl'origine, emotion devant la beaute, et espoir en elle : leManiJeste semble meme chercher parfois dans la seulebeaute le critere de la valeur de l'image 2. Encore Bretondevra-t-il parcourir un long chemin avant de prendreune conscience reflechie de ce que la Beaute, considereeen son essence, lui signifia, et avant de pouvoir ecrire, dansFlagrant Delit " La Beaute est, dans ce domaine, legrand refuge 3 . Poisson Soluble, s'il succede a cinq anneesd'activite experimentale 4 )), est, en ce qui concerne laprise de conscience, un point de depart, non un pointd'arrivee, Dans aucun domaine, Breton ne se soucie alorsde refuge, d'analyse, ou meme de reflexion. C'est danscette mesure que toute beaute qui pourrait etre separeede la vie et objectivee a titre de spectacle parait litteraire,et que la litterature est rejetee. Faites abstraction, ditle Manifeste, de votre genie, de vos talents et de ceux detous les autres. Dites-vous bien que la litterature est undes plus tristes chemins qui menent a tout", ))La beaute,non objectivable, ne peut etre saisie qu'au sein d'un ernoique nous dirions existentiel, si ce mot n'evoquait aujour-d'hui un tout autre c1imat. Nous nous contenterons del'appeler vital )), en nous souvenant que la fin que sepropose Breton est alors d'atteindre la vraie vie 6 .Rappelons toutefois que le mot vie n'a pas ici le sens quelui donnent les sciences biologiques, mais bien le sensphilosophique d'existence. Vivre n'est pas necessairernentexister. Breton n'ecrit-il pas, a la fin du premier Mani-

    1. " Moi terre autant que possible dans cet habit noir impeccableque depuis je ne quitte plus" (Poisson Soluble, text e I, p. 81) et ilavai tete admis sans caution que les beaux seins blancs et palpitantsn'avaient jamais appartenu a une creature vivante de l'espece de cellesqui hantent encore nos desirs , (Ibid., texte 3, p. 88.)

    2. " La valeur de I 'image depend de la beaute de I'etincelle obtenue."lUanifeste du Surrealisme, p. 59.3 Flagrant Delit , dans La eli! des champs, p. 136.4. Andre BRETON, Entretiens, N. R. F., 1952, p. 77. Sur cette activite,

    voir plus loin: II. Existence et Iitteraturc.5. Munifeste du Surrialisme, p. 47-48.. 6. [C'est peut-etre I'enfance qui approche Ie plus de la vraie vie "j,ibid.; p. 63. Breton rep rend ici I'expression de Rimbaud : La vraievie est absente. ,. (Une saison en enfer, Delires, I.)

    LE PROJET SURREALISTE 13Jeste " C'est vivre et cesser de vivre ui sont des solutionsima inaires. L'existence est ailleurs . ll' ,.._:'(;' r"vant tout developpement critiq , avant toutereflexion sur lui-meme, le surrealisme nous propose donel'espoir d'exister, et projette l'existence en une sorte ~dela de la vie naturelle, au-dela pourtant immanent ae T I e , non posterieur a elle, et semblant se decouvrir a quiveut saisir le Monde sous l'aspect du merveilleux. Quecet espoir ait pris, des le debut, le visage de joies sensuel-lement amoureuses, le texte que nous avons cite enternoigne, et, avec lui, la plupart des pages de PoissonSoluble, ou les images feminines se succedent sans nouslaisser de repos. A rna rencontre vinrent plusieurs ser-vantes vetues d'une combinaison collante de satin couleurdu jour 2. )) Elle ne s'etait plus retournee sur moi et,sans le brusque luisant de son mollet qui me montrait parinstants la route, j'eusse desespere de la toucher jamais.J e me disposais pourtant a la rejoindre quand elle fitvolte-face et, entr'ouvrant son manteau, me decouvrit sanudite plus ensorcelante que les oiseaux 3. )) II n'estpas, semble-t-il, superfiu, en une epoque ou certainscondamnent l'emotion surrealiste avec I'assurance har-gneuse qu'engendre chez eux une sensibilite de boy-scouts decus, d'insister sur l'erotisme admirable (bienqu'un peu fetichiste et obsessionnel, comme tout ce quiannonce la passion) de la plupart des textes automatiquesde Breton. Ecrivant : Nous reduirons l'art a sa plussimple expression qui est l'amour 4.5lBreton reste fidelea Platon, qui ne separe pas l'emoi ressenti devant labeaute de l'emoi erotique, et qui decrit toujours ce derniercomme un bouleversement 5. II importe done de ne pasreduire le desir qui anime le surrealisme a un desir desatisfactions sensuelles. Bien au contraire, l'emotionamoureuse .n'ap!?~lk ,Jian~_EI!..i!.son_ Soluble, commel'umque But a e - f a rech~rche hUIE~i!!~~~~lrce gU'e4e

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    14 PHILOSOPH IE DU SURREALISME LE PROJET SURREALISTE 1 5Poisson Soluble ne sont pas les faciles maitresses desromans libertins. Elles sont les messageres de l'Eve nou-velle, toujours situee au-dela de nos des irs 1. Elles sontle lien, et comme le pont, entre la veille et le reve, etsemblent promettre leur reconciliation : aussi Bretonprend-il soin de les placer en un autre element, et, parexemple, au fond de l'eau . On imagine mal le nombrede femmes glissant dans ces profondeurs, nos inviteeschangeantes. Elles sont, elles aussi, vetues de verre, natu-rellement; quelques-unes joignent a cet accoutrementmonotone un ou deux attributs plus gais; copeaux debois en garniture de chapeau, voilettes de toile d'araignee,gants et ombrelle tournesol 2. )) En leur compagnie,Breton peut done maintenir qu'il n'est pas de cceur surterre 3. II peut meme annoncer son absence et son retour a toutes celles ))qui lui resteront fideles )J sans I' avoirconnu . Peignez pour lui vos cheveux, peignez-Ies sanscesse, il ne demande pas autre chose. II n'est plus la, maisil va revenir 4 ... ))Ainsi, quels que soient les enrichissements et les incer-titudes que devait connaitre, par la suite, la conceptionsurrealiste de l'amour, il apparait que l'un des premiersferments des recherches de Breton fut le desir d'existerdans I'amour et de rencontrer, par I'amour, le bonheur :c'est pourquoi le climat de Poisson Soluble est tout declarte, et qu'il demeure inexact de parler, comme on l'afait souvent, de pessirnisme surrealiste 5 : a l'exceptiondu texte 9, et peut-etre du texte 12, tout indique, dansPoisson Soluble, que la soif de bonheur colore tous lesmouvements de I'esprit et precede, en particulier, lesattitudes de negation et de revolte qui ne sont que sonenvers. Sans ~te, chronologiguement, Ie surrealisme,.~ succe86_3.la~on~KllJi_"iteadais!e. Mais Breton ne futjamais a son aise au sein "du moiivement Dada: il ne vitjamais, en sa revolte et en sa negation, que les moyensnecessaires a la realisation positive de I'homme. C'est

    cette realisation qui est son but premier. C'est elle quiI'attire et semble, du ciel meme, lui faire signe : Voyez-moi ces merveilleux cavaliers. De tres loin, de si haut, dela ou 1'0n n'est pas sur de revenir, ils lancent lemerveilleuxlasso fait de deux bras de femme 1. Breton ne se demandepas encore, comme il Ie demandera plus tard : Quellesorte d'espoir mettez-vous dans I'amour 2 ? L'amour,l'emotion, I'espoir et le bonheur, tout cela, pour lui, n'estqu'un. Et sans doute cet optimisme n'est-il pas general.Les textes d'ecriture automatique traduisant, profonde-ment, la personnalite de leur auteur, il ne faut pas s'eton-ner de trouver, dans la Revolution Surrealiste, des textesd'angoisse, d'horreur ou de desespoir. Mourrez. a la finjusqu'au son de vos cordes les cordes sanguinolentes devos os de votre amour immonde immonde immonde ... ecrira Pierre Unik 3. Et Cl.-A. Puget, apres avoir evoqueun amour crucifie un instant extatique, termine son textepar le retour d'une deception amoureuse qui me paraitinseparable d'un mouvernent de reflexion critique et dequelque sentiment de culpabilite : Ha! cette fumee,ces cendres dans rna bouche... Obsidienne l succubeimmonde! C'etait done encore toi! 4 Mais de tels mou-vements, de tels sentiments sont rares chez Breton : orc'est lui qui donne Ie ton au surrealisme, et I'espoir mer-veilleux et ravi qui engendre les images de Poisson Solublese retrouvera dans Nadja ou dans I'Amour fou. On peutdone considerer que, pris en leur ensemble, les textes queproduit l'ecriture automatique sont portes par un eland'espoir en la vie. Cet espoir fait apparaitre commemesquines et hors de propos les considerations esthe-tiques et les hierarchies litteraires. Et, certes, dans lesinnombrables pages qui furent alors ecrites sous l'impul-sion de Breton, le mauvais gout n'est pas absent. MaisBreton avait dit : Dans le mauvais gout de mon epoque,je m'efforce d'aller plus loin qu'aueune autre 5. )) On

    I. ((n nouveau corps, un corps comme on nen avait assurernentjarnais vu, jarnais caresse ... )),((la barque Iancce a la poursuite de l'Evenouvelle rr'etait jamais revenue ... , Elle etait au dela de nos desirs ... l)Poisson Soluble, texte 3, p. 98.2. Poisson Soluble, texte 7, p. 98.3. Je ne suis pas de cceur sur terre, Poisson Soluble, texte 26, p. 158.4. Poisson Soluble, texte 23, p. 145 et 146.5. Je formule d'expresses reserves sur Ie pretendu pessimismesurrealiste . A. Breton, Reponse a Jean Duche, Figaro Litteraire du

    5 oetobre 1946 (repris in Entretiens, p. 248).

    1. Poisson Soluble, texte 7, p. 97 et 98.2. Enquete in La Revolution Surrealisie, n'' 12, IS dec. 1929.3. La Revolution Surrealiste, nv 8, I" deccmbre 1926, texte de

    Pierre Unik, p. 3. (Nous avons rcspccte l'orthographe : Mourrez.)Cf. dans le nurnero 7, le texte d'Antonin Artaud : L'enclume desforces: " L'odeur du neant, un relent d'absurde, Ie fumier de la mortentiere ... Moi aussi je n'attends que Ie vent. Qu'il s'appelle amour oumisere, ilne pourra guere rri'echouer que sur une plage d'ossements. ))

    4. Ibid., textc de CI.-A. Puget, p. 3-45. Manifeste du surrealisme, p. 27

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    16 PH1LOSOPH1E DU SURREAL1SME LE PROJET SURREALlSTE 17ecrivait done sans crainte, sans retenue, et si jamais futpres de se realiser la fameuse poesie faite par tous )),cefut bien a ce moment-lao Beaucoup croyaient alors, nonsans naivete, it la fin de la litterature, et de toute differencede valeur esthetiquement fondee. Du moins etait-ce itl'homme total que, pensait-on, litterature et tables desv~eurs allaient ceder la place.r It serait du plus haut interet de retracer la ligne de viede ceux qui formaient alors le groupe surrealiste, et dontle Manifeste declare qu'ils ((ont fait acte de surrealismeabsolu 1 : on decouvrirait, chez chacun d'eux, entre desactes d'apparence fort differents, une etrange identited'inspiration. Des la periode qui s'etend de 1924 it 1926,lJ~JQlJ~pparait comme le poete de l'emerveillernent, dela confiance en l'homme, de l'universalisation du bonheurpar la descente sur la terre a u merveilleux amour. Eliiardet Aragon, bien que n ayant pas encor-eopte, comme ilsle feront plus tard, pour la soumission de l'individu al'Histoire et a l'Etat, apportent au contraire, a l'idealsurrealiste, des modifications qui, considerees en leursconsequences, ne pouvaient se reveler que comme sanegation pure et simple. Telle est la distinction que, dansla ((priere d'inserer ))de son livre: Les Dessous d'une vieau la Pyramide humaine 2, Eluard etablit entre le textesurrealiste, le reve et le poeme, distinction que reprenddu reste La Revolution Surrealiste, dont les sommairesdistinguent ces trois sortes d'ecrits. Des poemes, ecritalors Eluard, (( il est indispensable de savoir qu'ils sontla consequence d'une volonte assez bien definie, l'echod'un espoir ou d'un desespoir formule , Georges Hugnettrouve tres juste 3 cette analyse: elle l'est en effet dupoint de vue de la logique, de l'esthetique traditionnelleet du bon sens quotidien, c'est-a-dire du point de vuede tout ce que Ie surrealisme avait alors entrepris dedepasser. Certes personne, avant Breton, n'avait confonduun reve et un poeme ; les distinguer ne demandait donc

    pas grande invention, mais le simple retour a l'opinioncommune. L'affirmation d'Eluard, formulee en 1926, nepouvait, de la sorte, avoir qu'un sens : il faut renoncera la recherche - seule nouvelle et constitutive du surrea-lisme - de l'unite de textes en apparence aussi distinctsque le recit d'un reve, une page d'ecriture automatigueet un poeme. Et l'on voit que l'un des roblemes esoses au surrealisme sera celui du u e a e aistmction uar n est que e retour a 'i ee unevaleur esthetique separable de l'existence, idee que l'onpeut certes tenir pour valable, malsdont il faut avoueralors qu'elle entraine une conception de la.beaute contem-plee et non possedee de la _~ comme spectacle etnon comme vie, et donc du renoncement au bonheur.tette conception n'est autre que la conception classique.Et les poemes d'Eluard ont tres vite retrouve une beautede type classique, admirable certes en tous points, maispouvant etre reconnue par des lecteurs totalernent etran-gers au surrealisme :

    Tes yeux sont revenus d'un pays arbitraireOu nul n'ajamais su ce que c'est qu'un regardNi connu la beaute des yeux, beaute des pierres...

    Le soleil aveuglant te tient lieu de miroirEt s'il semble obeir aux puissances du soirC'est que ta tete est close, 8 statue abattue ... 1Le soir trainait des armes blanches sur nos tetesLe courage brtdait lesfemmes parmi nous... 2Souvenirs de bois vert, brouillard au je m'enfonce,J'ai referme lesyeux sur moi, je suis a toi... 3

    et:1. Voir ibid., p. 42. Ce sont : Aragon, Baron, Boiffard, Breton,

    Carrive, Crevel, Delteil, Desnos, Eluard, Gerard, Limbour, Malkine,Morise, Naville, Noll, Peret, Picon, Soupault, Vitrac.2. Paul ELUARD,Priere dinserer de Les dessous d'une vie au laPyramide humaine, 1926. Cf. Donner a voir, Gallimard, 1939. p. 147.3. Georges HUGNET,ntroduction it la Petite anthologie poetique dusurrealisme, Jeanne Bucher, 1934, p. 21. Au reste, Hugnet apercoitfort bien que lafindu surrealisme est it I'oppose de cette distinction, etnote qu'il est un point O U Ie poeme coincide avec Ie reve et I'auto-matisme et s'y confond ,

    Comme lejour depend de I'innocenceLe monde entier depend de tesyeux purs ... 4 ,1. Paul ELUARD,Capitale de la douleur , Gallimard, 1926. L'egalite

    des sexes ", p. 49.2. Ibid. Denise disait aux merveilles n, p. 65.3. Ibid. " Ta bouche aux levres d'or ", p. 140.4. Ibid. La courbe de tes yeux n , p. 143.

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    18 PHILOSOPHIE DU SURREALISME LE PROJET SURREALISTE 19

    Et fa mort, ames yeux derobant fa clarte,Rend au jour, qu'ifs souillaient, toute sa purete 1.

    ment a separer la beaute de leur vie, a la tenir pour abS-[traite et formelle, a l'accrocher au mur pour la contemplerle dimanche, en vivant, durant la semaine, la vie de touset, comme le dit encore Breton, la vie des chiens 1 .Mais les eclairs qui traversent sans cesse Poisson Solublesont bien des images exactes du bonheur, des dechirurespar lesquelles on le peut apercevoir, avec Ie ravissement etle bouleversant emoi qu'il fait naitre. Filles du sepulcrebleu, jours de fete, formes sonnees de l'angelus de mesyeux et de rna tete quand je m'eveille, usages des pro-vinces flammees, vous m'apportez Ie solei! des menui-series blanches, des scieries mecaniques et du vin. C'estmon ange pale, mes mains si rassurees, Mouettes duparadis perdu 2 ! ) ) Sans vouloir proposer une interpreta-tion religieuse du surrealisme, on peut remarquer que Iemot paradis 1) est ici prononce, que le terme salut se rencontre des la troisieme page du Manifeste, qu'il estdit ensuite que la poesie porte en e1le la compensationparfaite des miseres que nous endurons ", qu'il estsouhaite qu'elle rompe seule le pain du ciel pour laterre 3 . Nous n'hesiterons done pas a ajouter que PoissonSoluble nous parait illustrer, mieux que tout autre texte,non l'affirmation de Gide ((que l'homme est fait pour lebonheur, certes toute la nature l'enseigne 4 ", mais biencelle de Bossuet, au debut de ses Meditations sur T Evan-gile: Tout Ie but de I'homme est d'etre heureux 5. Car{(la nature n'enseigne rien a une imagination dont toutel'aspiration est de depasser la nature. Mais Ie bonheur estinseparable du principe meme de cette imagination, prin-cipe que Breton n'a jamais mieux defini qu'en ecrivant Liberte, couleur d'homme 6 .C'est pourtant des ce monde, et en lui seul, que Bretonveut trouver le bonheur, et le trouver par l'amour. 11condamne done l'attitude religieuse, dont il retient seule-ment l'aspiration humaine. Le paradis retrouve doit etre

    vers que j'ai toujours trouves identiques a ceux que pro-nonce en mourant la Phedre de Racine :

    ,J.~osition d'Aragon et de Breton semble plus graveeniore. Nous n'avons pas de talent 2 ", declare Breton,e~ il lui plait de se considerer comme un appareil enre-gistreur ou comme un miroir. Ce que j'ai fait, ce queje n'ai pas fait, je vous le donne 3. La seule idee que letalent puisse etre universalise fait au contraire, de touteevidence, naitre chez Aragon la plus vive fureur : Souspretexte qu'il s'agit de surrealisme, ecrit-il, Ie premierchien venu se croit autorise a egaler ses petites cochon-neries a la poesie veritable, ce qui est d'une commoditemerveilleuse pour I'amour-propre et la sottise 4. )) Et, parune consequence inevitable, I'espoir et Ie bonheur netrouvent pas, chez Aragon, meilleur accueil. II n'y a pasd'espoir I), il n'y a rien a attendre ", il n'y a de paradisd'aucune espece 5 ; et : ca vous parait un but a votrevie, Ie bonheur ? Ca vous parait exister 6 ? ))lei, l'on dira peut-etre que, chez Breton lui-meme, larecherche du bonheur semble parfois condamnee. {([e neveux rien sacrifier au bonheur ; le pragmatisme n'est pasa rna portee ", dit-il dans Les Pas perdus 7. Et, dans leManifeste : {(Reduire l'imagination a l'esc!avage, quandbien rneme il y irait de ce qu'on appelle grossierernentle bonheur, c'est se derober a tout ce qu'on trouve, aufond de soi, de justice supreme". ))Mais qui ne verraitque ce qu'on appelle grossierernent Ie bonheur n'estpas le bonheur tel que Breton I'entend, le bonheur quine saurait survivre au sacrifice de l'amour. Ce que Bretoncondamne c'est, comme il Ie dit, Ie pragmatisme, larecherche calculee et calculatrice d'un bonheur limite etprudent, demandant le renoncement au reve et auxexigences essentielles du desir, C'est par souci de cebonheur que la plupart des hommes consentent precise-

    1. RACINE, Phedre, acre V, scene VII.2. BRETON,Manifeste, p. 45,3 Ibid., p. 7I.4 ARAGON,Tr ait e a u style, Galhmard, 1928, p. 188.5 Ibid., p. 85.6. Ibid., p. 105.7 A. BRETON,Les pas perdus, N. R. F., 1924, p. 8.8. A. BRETON,Manifeste, p. 9.

    I. A. BRETON,Manijeste, p. 12.2. A. BRETON,Poisson Soluble, texte I, p. 77. Un poerne de Clair deterre (1923) s'intitulait deja: Tout paradis n'est pas perdu. n3. A. BRETON,A1amfeste, p. 30.4. V. Entretiens, p. 220. Cette phrase, lue par Gide a Breton, luiparut " assez contestable !I,

    5- BOSSt'ET, Meditations sur I'Evangile, Sermon sur la montagne,Premier jour.6. A. BRETON. Le reuoluer a cheueux blancs, Les Cahiers Libres,1932. " II n'y a pas a sorrir de la ", p. 56. Ce poerne avait deja paru dansClair de terre (1923).

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    20 PHILOSOPHIE DU SURREALISMEce1ui de la vie quotidienne, de la vie quotidienne trans-figuree. 11est, dans Po is son So lub le , celui de Paris, et d'unParis sans cesse transforrne en la plus merveilleuse, laplus lumineuse des chambres d'amour. La place duPorte Manteau, toutes fenetres ouvertes ce matin, estsillonnee par les taxis a drapeau vert et les voitures demaitres, De belles inscriptions en lettres d'argent repan-dent a tous les etages les noms des banquiers, des coureurscelebres 1. La femme aux seins d'hermine se tenait al'entree du passage Jouffroy, dans la lumiere des chansons.Elle ne se fit pas prier pour me suivre ". Ayant ~oueun appartement garni des plus luxueux, ~ous .y offnonspresque chaque soir de .merveilleux dIVertlss,eme~ts.L'entree de la Porte Albinos, dans sa robe a trameimmense, faisait toujours sensation :1. L'auto promenaitmaintenant ses mains gantees de caoutchouc sur lesmeubles de la chambre-Paris'. )) (, Le paysage de Parisrossignol du monde variait de minute en minute et parmiles cires de ses coiffeurs elancait ses jolis arbres printa-niers 5. ) Un des poles aimantes de rna route devraitetre, je le savais depuis longtemps, la reclame lumineusede Longines :.)l'angle de.la rue d~ la P~ix et de la placede l'Opera 6. tll:es romannques, pnsonmers de I~ nostal-gie de la religion, revaient de depart, de couleur historiqueet locale, d'exotisme : ils revelaient ainsi Ie lien profondqui unit, chez l'homme, lc desir d'un autre monde et Iedesir d'un monde situe ailleurs dans l'espace et le temps.Pour les surrealistes, la vraie vie est la. Je me suis tau-jours interdit de penser a l'avenir )),dit Breton; : Parisremplace done Vcnise, et les forets de I'Amerique, Iepresent revele a l'homme la totalite de ses pouvoirs.Aragon peut ainsi ridiculiser la soif des departs, de l'aven-me ... de l'evasion 8, et Breton ecrire : je tiens Parls. comme - pour vous devoiler l'avenir - votre m-am--

    1. Poisson Soluble, textc II, p. 109.2. Ibid., texte 26, p. 153.3. Ibid., texte 26, p. 157.4. Ibid., texte 28, p. 163.s. Ibid., texte 18, p. 129.6. Poisson Soluble, texte 32, p. 180.7. BRETON, Les Pas perdus, p. 78. IIy a encore des mecs it la mie de pain qui parlent avec un

    serieux vrairnent papal d'erre parti (Trait !! du style, p. 81); les zigotosqui tournent de l'oeil quand ils prononcent Ie mot d'aventure (ibid.,p. 82) ... I 'evasion, Douce perspective, de moins en moins dramatique, ame sure qu'elle se generalise et devient plus idiote (ibid., p. 82).

    LE PROJET SURREALISTEouverte I, )).On sait combien se prolongera, chez Breton,cette feerie parisienne : tous les lecteurs de Nadja sesouviennent de I'evocation de la statue d'Etienne Dolet,place Maubert 2 )) ou de l'afAche lumineuse de Mazdasur les grands boulevards 3 )).\A propos du Pont-Neuf,L a C le f de s c hamp s distingue, avec plus de rigueur qu'aucunautre texte, ce qui, dans l'emoi de Breton, tient a la/ormedu paysage, a ce qui a eu lie~ ~ci ou l~ ), a l'analogie, ~uxcorrespondances, aux causalites maglques 4 ; on devinequ'une des raisons qu~ amen~r~nt Breton a reduire al'unite I'aventure et la VIequotidienne fut une perceptionferninisee du decor urbain lui-meme : Si l'on prete uneseconde a la Seine comme a une femme Ie geste de laisserglisser le long de son ftanc le bras qu'elle tenait pliecontre son front 5 ... Et telle est sans doute la source laplus profonde du sentiment, c.onst~nt c~ez Br.eton, que.la rue peut et doit etre pour lui le lieu d essentielles re~-"Co'iittes. La rue, que je croyais capable de livrer a rna VIeses surprenants detours, la rue avec ses inquietudes etses regards, etait mon veritable elen;~nt : j'y pre?a~scomme nulle Rart ailleurs le vent de I eventuel 6 )), ecntBreton en 19241Et, en 1952, rappelant a Andre Parinaud la sollicitation~ de ses dix-sept ans, il parle de la gravearriere-pensee que c'est u, au hasard d~s, rues? qu'es~appele a se jouer ce qui est vraiment relatif a lui, ce qurle concerne en propre, ce qui a profondement a faire ))avec son destin 7 .Une inspiration analogue eclaire quelques-unes d~spages du Paysan de Paris. Mais elle, y, par~it ?~rfOlSempruntee, et plusieurs textes consa~res a Pans. den~entici vers une sensualite toute physique, parfois memegastronomique, qui fait songer davantage a celle de Leon

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    1. Le corset mystere, in Le Revolver a cheveux blancs, CahiersLibres, 1932, p. 31. (Le poerne , ici repris, est b~en ante rieur et avaitparu, en I9I9, dans Mont-de-Piet e, au Sans Pareil.)

    2. BRETON, Nadja, Gallimard, 1928, p. 31.1. BRETON, ibid., p. 165.4 . Ainsi, sur la place Dauphine: C'est IIne pouvoir s'y rr:eprend;:e,Ie sexe de Paris qui se des sine sous ces ombrages. Sa toison brule

    encore, quelquefois l'an, du supplice des Templiers qui s'y consommaIe 13 mars 1313, et dont certains veulent qu'il ait ere pour beauc~lUpdans Ie destin rcvolutionnaire de la ville. Le Pont-Neuf, in La ele deschamps, p. 232.5. Ibid., p. 230.

    6. BRETON, Les pas perdus, p. 12.7. BRETON, Entretiens, p. IO.

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    22 PHILOSOPHIE DU SURREALISME LE PROJET SURREALISTE 23Daudet en son Paris uecu 1. Aragon est d'une authenticiteinsoupconnable quand il parle des femmes et de la volupte :fetichisme de la blondeur 2, vertiges du plaisir 3, emoidevant la prostitution " lui inspirent des pages propre-ment admirables. Et je pense que l'emoi amoureux d'Ara-gon, penetre de libertinage, et soumis au deroutant vertigedu present, a ioue, a cote de celui de Breton et de celuid'Eluard, un role determinant dans l'elaboration de l'ero-tisme surrealiste. Mais, chez Aragon et Eluard, Paris etla Nature cedent toute la place a la femme proprementdite. Chez Breton, ils se penetrent eux-memes de ferninite,permettant ainsi a l'espoir de devenir attente, et a !'attentede prendre une valeur et un sens ontologiques. On peut,ecrira Breton dans Nadja, etre sur (! de ne pas passer plusde trois jours sans me voir aller ei venir, vers la fin deI'apres-rnidi, boulevard Bonne-Nouvelle, entre l'impri-merie du Matin et le boulevard de Strasbourg. Je ne saispourquoi c'est la, en effet, que mes pas me portent, queje me rends presque toujours sans but determine, sansrien de decidant que cette donnee obscure, a savoir quec'est la que se passera cela ( ? ) 5 , Pour penetre d'inquie-tude qu'a certains egards paraisse ce texte, il est difficilede n'y point reconnaitre l'echo d'un espoir positif, et dupres sentiment que le bonheur peut etre decouvert dansla vie quotidienne. Or le probleme de la decouverte dubonheur humain en cette vie, et par la seule modificationde notre attitude envers elle, est un problerne que toutel'ere chretienne a neglige, le christianisme ne jugeant Ie

    bonheur possible que dans l'ordre surnaturel. Pour trou-ver reunies la recherche du bonheur et l'idee de la suffi-sance du Monde, il faut revenir a l'antiquite paienne.Encore la solution antique, comme on le voit dans leStoicisme, etait-elle toujours de renoncement. Ici, aucontraire, l'espoir est possessif, ne sacrifie rien du desir,et semble tout attendre de quelque accord mysterieuxentre nos exigences et le cours des choses. Cet espoirpreexiste a tout projet conscient, a toute methode definie :c'est pourquoi nous en avons cherche la premiere imagedans les textes de Poisson Soluble. Aragon declare que la valeur documentaire ))d'un texte surrealiste est celied'une photographie 1 , En contemplant, comme unephotographic, Poisson Soluble, nous decouvrons Bretonen proie a une attente qui, a son origine, n'est justifieeque par une irreductible mais irrationnelle certitude :celie qu'en toute chose on peut decouvrir un signe del'amour.II. EXISTENCE ET LITTERATURE.

    1. "II y a des portos dont Iegout n'est pas mauvais, mais qui sont enquelque sorte labiles. Le palais ne les retient pas. lis fuient. Aucunsouvenir n'en demeure. Ce n'est pas Iecas du porto de Cerra : chaud,ferme, assure, et verirablernent timbre. (ARAGON,e paysan de Paris ,Gallimard, 1928,p. 95.) Cf. : "Cette soupe, veritable panade d'oignonconcenrre, etait servie brulante ... sous une couche, epaisse et cirnentee,de fromage de gruyere et de parmesan. Elle etait gratinee, de couleurjaune d'or ... 1) (Leon DAUDET, Paris 7)ecu, premiere serie, Gallimard.1929.)2. Le payson de Paris, p. 49. " [ai mordu tout un an des cheveux defougere ... 1 1 ' ) etc.3. Vous avez rencontre ... ces femmes folIes dont les premieres duNord-Sud, vers les cinq heures. Combien de fois au doigt de la voya-geuse avez-vous senti une alliance? Et rien pourtant, elle ne cherchaitrien que cedereglernent passager. Le ciel humain a ses eclairs qu'on nepeut suivre. Ibid., p. 64-65.4. ,,0 mon image d'os, me voici : que tout se decompose enfin dansIepalais des illusions et du silence. La femme epouse docilement mesvolontes, et les previent..; Ibid., p. I30.5. BRETON,Nadja, Gallimard, 1928, p. 38.

    Le surrealisrne est vie. II ne lui importe pas de faireceuvre litteraire, mais d'exterioriser des forces humaines,d'aimer, d'esperer et de decouvrir. De la litterature et,pourrait-on dire, du papier, ecrit Georges Hugnet, lapoesie, par lui, a glisse en plein coeur de la vie. Elle n'estplus un art, un etat d'esprit, mais la vie, mais I'esprit 2. ))A ce propos, Jean Paulhan accuse Ie surrealisme, et, aveclui, le realisme, de mauvaise foi. II ne veut ni du docu-ment humain )) ni du document surhumain . Jem'etonne, ecrit-il, de vous voir commencer par un men-songe. Car vous ecrioez pourtant, quoique vous en ayez,et ne l'ignorez pas 3. )) II faut accorder a Paulhan que leprobleme de son rapport avec I'esthetique et la litteraturesera le plus grave de ceux que suscitera l'attitude surrea-liste. Mais Ie seul fait que les surrealistes aient ecrit nesuffit pas a poser ce problerne. Une note diplomatique,un ultimatum, une ordonnance medicale, un texte de loi,une lettre d'injures sont des ecrits. Comment pretendrequ'ils soient, de ce fait, eeuvres litteraires ? II faudrait

    1. ARAGON,Traite du style, p. 188-189.2. Georges HUGNET,Introduction a la Petite anthologie poetique dusurrealisme, p. 18-19.3. Jean PAULHAN,es fieurs de Tarbes, Gallimard, 1941,p. 38-39

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    I. BRETON, L'amour [ou, Gallimard, 1937, p. 149 a 166.

    range: . . . nous n'efimes aucune peine a convenir, ecritBreton, que le tourment que nous venions d'en:J~rer nese fondait sur rien qui, dans la realite, mit en pen 1notreamour . Or, de retour a Lorient, Breton apprend de. sesparents que le ruisseau franchi est le Loch, et la malSO?pres de laquelle ils sont passes, la villa du Loch , o~Michel Henriot tua sa jeune femme au moyen d'un fu.sIlde chasse. Dans les dependances de cette maison, Hennotse livrait a l' elevage de renards argentes .. Des avan~ lemeurtre, Michel Henriot et sa femme etaient affective-ment separes, comme le fut un instan~ Bret

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    2 6 PHILOSOPHIE DU SURREALISME LE PROJET SURREALISTE 27nell:s, modelant nos gestes, modifiant nos pensees et nossentiments, capables de changer notre amour meme enune angoisse de separation? Voila les questions les seulesquestions que souleve cette aventure. '_Et combien d'autres recits, contenus dans les ceuvressurrealistes, nous arrachent de meme a la litteraturefaisant na~tre .en nous un~ interrogation que 1'0n peu~appeler SClentl~que, ou philosophique, mais qui, assure-ment, n'est e? ~len estheti~ue! C'est ici qu'il faut rappelerque les surrealistes ont d abord voulu explorer l'incons-cient, ~afolie, .les etats. hallucin~toires, les phrases plusou moms :partlel~es qUI, en pleine solitude, a l'approche~u sornmeil, deviennent perceptibles pour l'esprit 1 )), lestmages qUIaccompagnent ces phrases (ainsi, pour Breton la faible representation visuelle d'un homme marchan~et tronconne a mi-hauteur par une fenetre perpendiculairea l'axe de son corps 2 ) , Pour decouvrir de telles images,pour eprouver leur force, les surrealistes se rendaientpassifs, faisaient appel au sommeil hypnotique : c'est la v~gue de reves 3 ~, l' entr~e des mediums 4 ", l'explo-ration de tous les etats que 1on peut nommer les etatsseconds , Rene Crevel, en 1922, ayant entretenu ses amis d'un commencement d'initiation spirite dont il etaitredevable a une dame D, .. )), on organise aussitot desseances en commun. Crevel s'endort, parle avec une dic~ion de~lamatoire, entrecoupee de soupirs, allantparfois jusqu au chant , et au reveil ne garde aucunsouveni: d~ s~mrecit 5 '> Puis c'est au tour de Desnos qui,endormi, ecnt et dessine en repondant aux questionsQ - Que sais-tu de Peret ?R - II mourra dans un wagon plein de gens.Q - Est-ce qu'il sera assassine ?R - Oui.Q - Par qui?R - (II dessine un train, un homme qui tombe parla portiere.) Par un animal.

    Q - Par quel animal?R - Un ruban bleu rna douce vagabonde 1.Au cours de l'une de ces seances, Benjamin Peret seleve precipitamment sans y etre invite, se jette a platventre sur la table et fait le simulacre de nager 2 , On

    se demandera sans doute si quelque simulation n'entrepas ici en ligne de compte. Pour rna part, je demeuresceptique sur la realite des sornmeils. Quoi qu'il en soit,la rapidite du debit semble exclure toute fabricationrefiechie. C'est pourquoi gestes et discours traduisent lapersonnalite profonde de chacun, l'angoisse qui dominedeja Crevel, Ie gout romantique du naufrage 3 deDesnos. C'est pourquoi, aussi, les ((sommeils ))ne tardentpas a provoquer chez ceux qui s'y livrent des troublesprofonds, a liberer une activite impulsive de laquelle onpouvait craindre Ie pire 4 . Crevel et plusieurs autrestentent un jour de se pendre, Desnos, poursuivantEluard avec un couteau, doit etre maitrise. Breton metdonc fin a ces experiences. Mais I'esprit qui les inspiraitn'est pas, pour autant, abandonne. L'activite du Bureaude recherches surrealistes ", ouvert au 15 de la rue deGrenelle, et qu'apres Francis Gerard dirige AntoninArtaud, en fait foi. _-C'est done a bon droit que Nadeau declare: Lessurrealistes sont atteles a une recherche, dans l'etat memedu savant qui progresse sur un terrain inconnu, soutenuseulement par une hypothese qu'il croit juste, mais qu'ilimporte de verifier 5. Tout au plus observerions-nousque l'hypothese qui soutient alors les surrealistes nesaurait etre clairement formulee, et que leurs experiencesressemblent plutot a ce que Claude Bernard appelle des experiences pour voir 6 : c'est le cas pour le voyage,entrepris au hasard, et dans I'attente d'on ne sait quelleaventure, par Breton, Aragon, Morise et Vitrac a partirde Blois, ville tirec au sort sur la carte 7 . Mais, dirigeeou non par des hypotheses precises, l'activite surrealiste

    1.A, BRETON, Manifeste, p. 3I-32 (et Entree des Mediums, voir plus10m).

    2. A, BRETON, Monif este, p. 35-36,3 ARAGON, Unevague de reves, paru dans Commerce., nO 2

    (I924-1925),4 A. BRETON, Entree des mediums, Article de Litt erature repris inLes pas perdus, p. I47 a Is8.5 BRETON, Les pas perdus, p. I52-I53,

    1. Ibid., p. I56.2, Ibid., p. 158.3. BRETON, Entretiens, p. 84.4, Entretiens, p. 90.5, Maurice NADEAU, Histoire du Surrealisme, Editions du Seuil,

    1945, p. 9I.6. Claude BERNARD, Introduction a I'etude de la medecine experimen-tale, premiere partie, chap. lee, 5.7 BRETON, Entretiens p. 75,

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    28 PHILOSOPH1E DU SURREALISME LE PROJET SURREALISTE 2 9echappe a . la rhetorique; elle s'efforce d'etendre l'expe-rience humaine, de l'interpreter en dehors des limites etdes cadres d'un rationalisme etroit, de prendre, en unmot, les mesures de l'homme. Et el1e a recours, pour cefaire, a . bien d'autres moyens que ceux du langage : etu-diant le message automatique 1, Breton invoque lesimages visuelles d'Herschel, la vision de Watt, la boulede cristal des voyantes, les formes et scenes que Leonardde Vinci recommandait a . ses eleves de chercher sur lesvieux murs, les specimens d'ecriture ornee que Marcel Tilcommuniquait a . Flournoy, l'architecture du facteurCheval, l'eau forte de Victorien Sardou : La Maison deMozart dans la planete Jupiter ", les des sins mediani-rniques 2, la transformation, aux yeux de Therese d'Avila,de sa croix de bois en crucifix de pierres precieuses : nulde ces messages n'est verbal, et du ressort de la litterature.Le surrealisme est recherche d'une voie de connaissanceet de salut, il est attention a . tout ce qui souleve l'hommeau-dessus de lui-meme, ou du moins semble le porter endehors de lui-meme. 11veut echapper aux contraintesqui pesent sur la pensee surveillee 3 ", a . la tyrannie deslois du monde sensible, a . l'esprit critique, aux tabous dela morale courante, a . tout ce qui corrige et endigue, etretrouver, une fois encore, la liberte totale de l'homme.Car Ie merveilleux amour, l'espoir d'exister, l'emoi desrues, qui donnent au surrealisme sa couleur, ne sont passans rapport avec l'activite experimentale de l'epoquedes sommeils ( a . laquelle Poisson Soluble a succede). Entous les cas est mis en jeu 1epouvoir d'acceder au mondedu reve, ce dernier paraissant le lieu O U pourraient etretenues les promesses que, dans le reel quotidien lui-meme,semblent nous faire l'amour et la beaute, De la facon laplus revelatrice, Breton, insinuant qu'a ne rien apercevoirdans la boule de cristal qu'utilisent les voyantes il peut yavoir quelque mauvaise volonte ' ", ajoute : 11faut,je pense, n'avoir jamais ete seul, n'avoir jamais eu letemps de ceder a . cette merveille d'espoir qui est de fairesurgir de la totale absence la presence reelle de l'etreaime, pour ne pas, au moins theoriquement, caresser del'oeil cet objet entre tous anonyme et deraisonnable, cette

    boule, vide en plein soleil, qui, dans l'ombre, receletout 1. On ne peut encore parler ici de synthese : entrele monde reel et celui du reve, ni de leur unite, mais,comme le dira Breton, de moyen de passer a . volonte ",et, comme s'il suffisait d'appuyer sur un bouton 2 del'un a . l'autre. Le prestige de Desnos, dont Nadja feramention 3, tient a . la facilite avec laquelle il opere ce pas-sage, et franchit le pont. Et la liberte surrealiste eonsisteratoujours en cette meme facilite : l'objet surrealiste,detourne de son sens utilitaire, les jeux surrealistes, O Udes reponses quelconques sont jointes a . de precises ques-tions, n'ont d'autre but que de sensibiliser l'esprit a . unsemblable appel, de le persuader qu'il neglige a . tort sonpouvoir de revenir, quand illui plait, au pays O U , selonl'admirable vers de Baudelaire, tout lui parlerait sadouce langue natale 4 .Mais nous n'avons pas echappe, pour autant, au pro-bleme du langage, tel que le posait Paulhan. Soustraiteau langage, l'experience surrealiste aurait pu devenir eneffet mystique, spi!:i!:e occultiste. Or, des le depart,Breton souligne sa me?ance vis-a-vis du spiritisme, dontil consent seulement a . emprunter les methodes. 11refused'admettre l'exogeneite du principe dictant, autrementdit l'existence d'esprits 5 . Loin de voir dans la poesie lesigne de l'au-dela, Aragon reduit l'au-dela a . la poesie 6.Et, en 1947, Breton montre encore beaucoup de prudencedevant Ie probleme des rapports du surrealisme et de lamagie. Nous entendons, ecrir-il, laisser aux specialistesde l'occulte la responsabilite de decider, toutes pieces enmain, si un certain nombre d'ceuvres poetiques ... ont ereconcues en liaison etroite avec ce que ses adeptes tiennentpour la premiere doctrine religieuse, morale et politiquede l'humanite, ou si elles en derivent de rnaniere plus oumoin consciente, ou si elles tendent - tout intuitive-ment - a . la recreer par d'autres voies 7. ))Et il se contente

    1. BRETON,Le message automatique, in Point dujour, Gallimard, 1934p. 217 I! 251.2. Breton a reproduit plusieurs de ces dessins in Minotaure, 3-4

    3. BRETON,Entretiens, p. 794. BRETON,Point dujour, p. 219.

    1. Ibid., p. 220.2. BRETON,Entretiens, p. 83.3. " ... qui n'a pas vu son crayon poser sur le papier, sans la moindre

    hesitation et avec une rapidite prodigieuse, ces etonnantes equationspoetiqucs ... ne peut se faire une idee de tout ce que ce1a engageaitalors, de la valeur absolue d'orac1e que cela prenait." (BRETON,Nadja,Gallimard, 1928, p. 36-37.)4. BAUDELAIRE,' invitation au voyage, in Les Fleurs du Mal .

    5. BRETON,Point du jour, p. 237.6. ARAGON,Traite du style, p. 208 : Seule signification du motAu-dela, tu es dans la poesie ... 7. BRETON,Devant Ie rideau, Introduction de Le surrealisme en I947

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    PHILO SOPHIE DU SURREALISME LE PROJET SURREALISTE 31de dire que tout se passe aujourd'hui comme si tellesoeuvres poetiques et plastiques relativement recentesdisposaient sur les esprits d'un pouvoir qui excede entous sens celui de l'eeuvre d'art . . . comme si ceJio:uvres'"etaient marquees du sceau de la revelation 1 , .Ajoutonsque Breton n'est jamais entre dans le sommeiI hypno-tique 2, et que son gout du controle de soi et de la luciditea detourne de cette pratique les autres membres dugroupe:] En revanche, il prefere it tout autre message lemessage verbal. Je tiens, ecrit-il, et c'est lit l'essentiel,les inspirations verbales pour infiniment plus riches desens visuel, pour infiniment plus resistantes a l'oeil, queles images visuelles proprement dites 3. L'ecriture auto-matique se substitue done, de plus en plus, dans le sur-realisme, it tout autre moyen d'investigation (comme,dans l'elaboration de la methode de Freud, l'associationlibre prend la place de l'hypnose). Des lors, commenteviter de ne laisser subsister que des bribes du message,considerees comme les mieux venues 4 ) ) ? En 1933,Breton s'en indigne pourtant. La phrase citee au debutde son etude sur le Message automatique : Oh non nonj'parie Bordeaux Saint-Augustin ... C'est un cahier

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    PHILOSOPHIE DU SURREALISMEAu delice ingenu de ceindre tes cheveux,Plus belle, a n'envier que l'azur monotone... 1.

    II rend visite a Viele-Griffin, a Valery. Aussi pourra-t-il,a la fin de l'Amour [ou, ecrire a sa fille : Vous etes issuedu seul miroitement de ce qui fut assez tard pour moil'aboutissement de la poesie a laquelle je m'etais vouedans ma jeunesse, de la poesie que j'ai continue a servir,au mepris de tout ce qui n'est pas elle >, Et l'on saitqu' Aragon, qui ne devait pas ternoigner toujours a lapoesie la merne fidelite, declare en son Traite du Style:

    . Qui je lis. j'ai ce ridicule. J'aime les beaux poemes, lesvcrs bouleversants, et tout l'au-dela de ces vers. Je suiscomme pas un sensible aces pauvres mots merveilleuxlaisses dans notre nuit par quelques hommes que je n'aipas connus. J'aime la poesie 3. Le passage a la poesiene fut done pas pour les surrealistes une chute, ni un pasen avant: ce fut un retour, et un retour ace qu'ils n'avaientjamais quitte,Mais' . deHire. La litterature cst re'etee ar les surreali au nomsle mem La poesie est le domaine du m e r -veilleux, et le merveilleux est toujours beau, n'importequel merveilleux est beau, il n'y a meme que le mer-weilleux qui soit beau 4 . La poesie ne nous interesse pasala facon d'un recit, elle nous transforme par l'emotionqu'elle fait naitre. La poesie cst le lieu de notre liberte,et nous permet de donner a toutes choses la forme de nosdesirs, L'entreprise de capter les forces profondes denotre esprit peut passer pour etre aussi bien du ressortdes poetes que des savants 5 . En revanche, Bretoncondamne formellement le roman 6. II le condamne parcequ'il est anecdote, parce qu'il est necessairernent sousl'empire de la logique, parce que son objet nous demeureexterieur, parce que en lui tout caractere humain est neces-sairement coherent et determine, parce que la construc-tion y prend le pas sur l'emotion directe. Je veux, ditBreton, qu' on se taise quand on cesse de ressentir ;. Si

    1. Poeme public dans la Phalange, 1914, et repris in Mont-de-Piece.2. L'amour lou, p. r ro.3. ARAGON, Traite du style, p. 60-61.4. BRETON, Manijeste, p. 245. BRETON, Maniteste, p. 18.6. Ibid. , p. 12 er sq.7 Ibid., p. 14

    LE PROJET SURREALISTE 33done Breton, rejetant la litterature, fait confiance a lapoesie, c'est qu'elle lui parait ontologique, vitale; elle luisemble posseder le.sclefs de la liberte, contenir Iemessagedu bonheur humain, et cela dans la mesure ou elle est Iela~gage originel, le seul vrai langage, exprimant l'etre etc.reant son obJet.l:e p~ete n'est pas l'esthete, ou Ie diver-tisseur, II est celui qui promet, revele et realise. Sa pro-messe, la prom.esse de la vraie vic , Breton l'a apercued'abord, au scm de bouleversantes emotions a traversle : Mais que salubre est le vent! de Rimbaud, le : Alors, comme la nuit vieillissait de Mallarme d'apresPoe, par-dessus tout peut-etre dans ce conseil d'une~ere a sa fille, .dans un conte de Louys : se mefier ... desjeunes gens qui passent sur les routes avec Ie vent du soiret les poussieres ailees 1 , Des lors, il avoue son insen-sibilite profonde en presence des spectacles nature Is etdes ceuvres d'art. qui, d'em~l~e ,j), ne lui procurent pasu.n trouble physique caractense par la sensation d'uneaigrette de vent aux tempes susceptible d'entrainer unveritable frisson , et envisage la beaute exclusivementa ~e~ fi~s I?assio~nelles 2 , Entre l'emoi poetique et leplaisir erotique 1 1 ne trouve que des differences dedegre 3 . Puis, se demandant ce que vraiment la poesieapporte et revele, il essaie d'etendre ses limites : c'estalors qu'il retrouve une preoccupation morale d'univer-salite, L'esthetique, deja condamnee comme non vitaleet source de la separation de l'ceuvre et de la vie est enoutre rejetee comme fondement des differences de valeurempechant to us les hommes de pretendre a la poesie.Et Breton, comme tous ceux qui songent a universaliserune jouissance ou un savoir, enonce une methode :I'ecriture automatique 4. II s'agit d'ecrire, sans sujetprec?ns:u ~t s~n~ controle logiq~e, esthetique ou moral,de laisser s extenonser tout ce qui, en nous, tend a devenirlangage, et s'en tr~lUvenormalement empeche par notresurveillance consciente. Car tout, en nous, est discourset tendance au discours : mais notre conscience reduitnos discours a ceux qu'elle inspire et controle, faisant deI.BRETON, L'amour fou, p. 14. Cf., dans Mont-de-piet e, le poem e :

    ( Foret Noire. 2. A. BRETON, L'amour lou, p. 12.3 Ibid., p. 13.,4".Le Discours de la Methode de Descartes se proposait, lui aussi,

    d universaliser une science assurant a I'homme une maitrise (dans Ie casde Descartes, la maitrise technique de la Nature).

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    34 PHILOSOPHIE DU SURREALISME LE PROJET SURREALISTE 35notre vie de nos angoisses, de nos gestes, un langageincompris et solitaire, d'autant plus desespere qu'il ne sereconnait plus lui-meme comm~ l~ngage. Par .l'ecritureautomatique, Breton pretend hberer et manifester cediscours essentiel qu'est l'homme. Cette methode inclinele surrealisme vers la science, en laquelle seule, en effet,on peut vraiment parl.er de,methode, ~'unive~salite et derevelation d'un logos jusqu alors cache. Et, .cedant, de cefait aux necessaires postulats de toute SCience, Bretonobj~ctive sa fin, et parle du fonctionnement reel de ~apensee, que selon lui I'ecriture auto~atlqu~ p~rm~tt~a1tde mettre en lumiere, Car le Manifeste definit amsr Iesurrealisme : Automatisme psychique pur par lequel

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    PHILOSOPHIE DU SURREALISME LE PROJET SURREALISTE 37Ah!Eh! He!Hi! hi! hi!Oh!Hu! hu! hu! hu! hu! (Charles Lassailly)

    Mais d' elle extasiee en blancheur deoetueQ ue les rea lites n 'o nt en core asservie ...

    Nous voici loin du vent de Rimbaud et de la nuit vieillis-sante de Mallarme! Tzara est bien reste celui qui, en 1921,dans Liuerature, accordait la note - 25 (la plus bass e) aBaudelaire, a Nerval, a Poe, et - 1 a Rimbaud 1.De tellescollaborations ont, je crois, contribue a masquer a plu-sicurs la valeur positive et humaine que le surrealismeaccorda toujours a la poesie veritable. Et l'on dira peut-etre qu'en reconnaissant cette valeur le surrealisme serapproche de la tradition meme de la litterature. Celan'est vrai, cependant, que dans la mesure O U les grandsecrivains n'ont jamais ete, comme certains le veulentcroire, des partisans de l'insoutenable doctrine de l'artpour l'art. Si Breton, desireux de changer la vie, lesretrouve, ce n'est pas parce que lui-meme affadit sonprojet; c'est parce qu'ils furent soucieux de promouvoirl'homme, de proposer un ideal de dignite et de grandeurO U les exigences de l'homme ne seraient plus bafouees.On sait que Breton voulut toujours maintenir, dansles jugements qu'il porta sur les oeuvres, la primaute dupoint de vue moral. Une exigence ethique, une conceptiongenerale de l'existence et de la condition humaine ledominent : en leur nom, il exalte ou condamne produc-tions litteraires, tableaux ou films de cinema, refusant,en tout cas, de se borner a l'examen de leurs seules qualitesformelles. Mais que I ecrivain digne de ce nom a jamaisrefuse ce critere ? Si l'on a pu opposer l'art et la morale,c'est en confondant celle-ci avec les imbeciles preiugesdes cagots qui attaquerent le Tartufe, des juges quicondamnerent Baudelaire. N'est-il pas clair, au contraire,que c'est dans l'ceuvre de Moliere et de Baudelaire quese trouvaient alors non seulement la valeur esthetique,mais l'authentique moralite ? La vraie beaute est toujoursmorale, et nous decouvre ce que doit etre l'homme. Enapplaudissant les vers du Tartufe, nous reprouvonsl'hypocrisie, et l'emotion que nous inspire la hardiessede Don Juan nous fait consentir a une nature libre deprejuges, et pourtant genereuse. Le sublime de l'heroisme

    l'interrogation tragique :D e q ui tie ns-tu I' esp oir ? D' O U ta foi dans la vie? 2Posant une question semblable au Breton de 1924,nous croyons l'entendre repondre; de la poesie meme.

    III. EXPERIENCE ET SYSTEME..L'opposition de la poesie moyen d'expression et de

    la poesie activite de l'esprit )) fut admise par tous lesmembres du groupe surrealiste. Mais sans doute n'eut-e1le pas pour tous le meme sens. L'article de Trist.anTzara : Essai sur la situation de la poesie 3, tout entierfonde sur cette opposition, parait, rnalgre plusieurs de sesformules, traduire un etat d'esprit fort eloigne de celuide Breton. En verite, Tzara ne cache pas qu'il est etrangera I'emotion-revelation, qu'il deteste le merveilleux : sonsouci parait etre de concilier l'esprit negateur de Dada,auquel il n'a visiblement pas renonce, et un pretendumaterialisme dialectique hiitivement tire de Engels : onapercoit mal, en ceci, la place du ravissement, et memede la signification poetique. Les seules citations contenuesdans l'article sont : hop! hop! hop! (Burger) etI. BRETON,Point du jour, p. 124.2. Poerne extra it de Mont-de-Piece (1913), cite dans Entretiens, p. 8.3. Tristant TZARA,Essai sur la situation de lapoesie, in Le surrealisme

    au sertnce de fa Revolution, n'' 4, dec. 1931. 1. V. Litterature, mars 1921 et BRETON,Entretiens, p. 66.

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    PHILOSOPHIE DU SURREALISMEcornelien est indissolublement esthetique et moral, etBenichou a bien montre que la litterature du xvne siecletraduit un long debat sur le rapport de l'homme et desvaleurs I,la noblesse du heros cornelien se trouvant bien-tot combattue par le naturalisme de Moliere, par le pessi-misme de La Rochefoucauld, par la rigueur des jansenistesdecouvrant l'amour de soi au principe de toutes les vertus.La litterature ne fut jamais I'oeuvre de purs esthetessoucieux des seuls problemes techniques et formels, nonplus, il va sans dire, que de partisans d'un art" morali-sateur ))destine a propager les consignes des patronagesou les mots d'ordre de la politique. Toute beaute nousparle de l'homme, nous dit ce que doit etre l'homme. Surce point, Breton n'a pas innove.Breton n' en renie pas moins la plus grande partie de latradition litteraire. Cherchant, dans le ManiJeste, quelsecrivains furent, avant lui, surrealistes, il fait, non sansreserves, mention de Dante et de Shakespeare, puis trouvedu surrealisme en Young, Swift, Sade, Chateaubriand,Constant, Hugo, Desbordes-Valmore, Bertrand, Rabbe,Poe, Baudelaire, Rimbaud, Mallarrne, [arry, Nouveau,Saint-Pol-Roux, Fargue, Vache, Reverdy, St J . Perse,Roussel 2. Lautreamont, qui devait plus tard devenir lemaitre inconste, est seulement mentionne, et son cas estdit ( passionnant 3 . Les romantiques allemands, lesinities et les illumines ne sont pas cites: nulle allusion aNovalis, a Holderlin, a Nerval, a William Blake. Rien nedemontre mieux que Breton, qui devait un jour recon-naitre en eux ses ancetres, ne s'en inspire pas: son projetest personnel, autonome; c'est dans les auteurs, surtoutfrancais, connus de lui, qu'il en cherche d'abord le pres-sentiment. Et ce qui conduit son choix est moins la formeet l'ecriture adoptees par l'ecrivain que la conception del'homme que semble imposer son ceuvre : voila pourquoi,sans doute, Marceline Desbordes-Valmore, tout entiereabandonnee a l'amour, peut voisiner avec Roussel,Rimbaud et Reverdy, et pourquoi Sade, qui jamais nesera renie, est dit ((surrealiste dans le sadisme )),c'est-a-dire dans l'essence meme de son attitude et de son emo-tion. En ceci, le projet de Breton s'eclaire et se precise.Ce que promet la beaute, c'est la reconciliation del'homme avec soi; les temps nouveaux dont e11eest l'an-

    1. Paul BENICHOt:, Morales du Grand Siecle, Gallimard, 1948.2. Manifeste, p. 43-44.3 Ibid., p. 42.

    LE PROJET SURREALISTE 39nonciatrice, ce sont les temps O U la raison ne s'opposeraplus a la totalite du desir. En 1933, Breton pourra donese situer sur la voie qu'ont ouverte Lautrearnont etRimbaud, voie qui (contrairement a celle du spiritisme,qU,i ~eut dissocier la pe~sonnal~te psychologique dumedium ))) ne se propose nen moms que d'unifier cettepersonnalite 1, A I'epoque des sommeils, il fallait jeterun pont entre Ie monde du reel et celui de I'imaginaire.Maintenant, il faut les confondre et, par la, decouvrirl'unite fondamentale de l'homme, qui est leur communesource, et la terre natale de leur opposition.La nature d'une telle ambition explique la rupture deBreton avec la tradition c1assique (dont nous croyonspourtant qu'au sens le plus general il rep rend Ie projetmoral). Ce qu'il n'admet pas, en cette tradition, c'estl'idee de separation, de distinction, et par la de renonce-ment, qui la domine, Et, sur ce point encore, les diver-gences esthetiques ne sont que la consequence et Ie fruitde divergences morales. Le c1assicisme opposait, dansl'oeuvre d'art, la forme et Ie contenu: Racine ou La Fon-taine n'hesitaient done pas a reprendre des themesanciens pour les traiter en des formes nouvelles. Laconception surrealiste d'une beaute bouleversante etvitale ruine une telle analyse. De meme, l'idee surrealistede la passivite de la dictee dans l'ecriture automatiqueet la valorisation integrale des phrases ainsi recues sontla negation de la separation entre l'inspiration, qui fournittout au plus a l'ceuvre une matiere premiere, et le travailmethodique et selectif qui, selon Boileau, doit la suivre.Mais la distinction c1assique de la forme et du contenu,de I'inspiration et de la creation n'etaient que la conse-quence de la croyance en une separation plus profonde,morale cette fois, et qui divise l'homme contre lui-meme,Car la tradition c1assique separe la raison, seule vraimenthumaine et no us elevant au-des sus des animaux, et,d'autrc part, instincts et sentiments, communs a l'hommeet .aux betes, et lies au corps. Des lors, il importe de sou-mettre a la raison la partie inferieure de notre etre. C'estavant tout cette conception que rejette Breton, et ce refusconditionne les autres. A toute separation interieure al'homme, Breton, au nom de son espoir dans I'amour etdans Ie bonheur, oppose l'unite de I'esprit et du desir,II est aise d'apercevoir qu'une telle synthese devait, a

    1. A. BRETON, Point du jour, p. 240.

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    PHILOSOPHIE DU SURREALISME LE PROJET SURREALISTEson tour, entrainer la ruine de la separation de l'hommeet du Monde, cette separation etant l'oeuvre d'une raisonscientifique, entreprenant la determination objective dureel par le rejet de toute construction affective ou imagi-native.En ce sens, la conception cartesienne se trouve ren-versee, Certes, l'experience de l'insatisfaction est com-mune a Breton et a Descatres, et lorsque Carrouges,commentant Breton, note que si l'homme peut pren-dre conscience du caractere bas et mediocre de sa vie,c'est parce qu'il eprouve au fond de son etre la presencedes virtualites infinies qui sont inalterablement ins critesau sein de l'esprit humain, meme s'il en est trop souventoublieux 1 ", il est, sans le savoir peut-etre, strictementfidele a Descartes. Mais Descartes a d'abord medite surles contraintes rigoureuses d'une science rationneUe ettechnicienne, sur la durete du monde de l'objet. II rattachedone l'infini de nos virtualites a l'infini de l'actualite divine,infini superieur au Monde ou nous sommes pris, infinidont notre conscience nous signifie seule la realite etl'inaccessibilite. C'est done dans leDieu de Descartes qu'ilfaut chercher le pres sentiment de l'etre unifie dont reveBreton; ce Dieu n'est soumis ni aux verites logiques niaux structures rationneUes : illes a librement creees. Maisl'homme cartesien demeure dans le monde, et ne peuts'en rendre maitre qu'en se soumettant a ses lois, enacceptant d'abord les contraintes de la raison. ChezBreton, au contraire, il s'agit de decouvrir l'infini dansnos puissances elles-memes, d'actualiser directement, etselon les voies du desir, la totalite de ces puissances,considerees comme capables de bouleverser l'ordre intimedu reel avec lequel elles se sentent quelque affinite secrete.Si l'homme doit devenir le maitre de la Nature, c'est en unsens nouveau; nous sommes ici plus proches de l'espoirmagi que que de l'espoir scientifique; il n'est plus ques-tion de reconstruirc tcchniquement le Monde en sesoumettant aux lois objectives, et en refaisant les chosesselon des processus proprement mecaniques, differant deceux par lesquels la Nature les a faites; on aspire a unbouleversement qui, en meme temps qu'il transformeraitle Monde, changerait la vie. L'espoir en un tel boulever-sement suppose la parente des puissances qui construisent

    l'Univers et des principes qui dirigent nos pensees, ilappelle la liberation de forces communes a l'homme et ala Nature, forces dont Ie desir nous fournit l'image la plusapprochee. Au c1assicisme et a la separation, Bretonpref'ere done Ie romantisme et la synthese. Attenteextasiee de l'avenir, interpretation du merveilleux commesigne d'un au-dela pourtant humain, desir de recuperationdu passe, souci de lever tous les interdits pour atteindre la vie de la presence, rien que de la presence 1)),espoir dechanger le monde en liberant Ie desir, tels sont les motifsqui l'amenent a condamner les ecrivains qui parlentd'ascese ou de dualisme, a cherir ceux qui promettent lareconciliation de l'homme avec Ie Monde et avec soi, enrendant au langage, et a l'enonciation, la puissance origi-neUe.Mais on sait que la reconciliation fut aussi Ie grandsouci de Hegel. Hegel a reve d'un Savoir absolu, quel'art et la religion annoncent et prepare nt, et ou l'esprit,decouvrant qu'il est tout, s'apercevrait comme sourcecommune de la Nature, de l'homme et de l'histoire deshommes. Ici toutes les contradictions seraient sur-montees, toutes les oppositions depassees. Pourtant nousne croyons pas que le projet de Breton soit celui de Hegel,et il nous parait que la confusion de ces deux projets, enpartie responsable de l'obstination des surrealistes a sedire partisans de la dialectique marxiste, a surtout desservile surrealisme, Certes Breton a maintes fois affirme sonadmiration pour Hegel. Et sans doute bien des formulesde Hegel, relatives a la synthese dialectique et a l'identitedes contradictoires, ont-elles pu le seduire, et lui paraitreexprimer ses prop res exigences poetiques. En outre,desireux de ne pas trahir la cause de l'ernancipationproletarienne, mais oblige de reagir contre les simplifi-cations du marxisme, et le scientisme neo-positivisteimproprement nomme materialisme dialectique )), Bre-ton fut conduit a souligner la structure hegelienne desanalyses de Marx, a eclairer et a valoriser Marx par Hegel.Mais Breton a-t-il, de la sorte, approfondi sa propreintuition, a-t-il, du moins, retrouve un esprit parent dusien? Je ne Ie pense pas. Ce sont les droits de l'hommeindividuel que Breton se sent le devoir d'affirmer et demaintenir, c'est par une sorte d'evidence non conceptuelle

    L M. CARROUGES, Andre Breton et les donnees Jondamentales dusurrealisme, Gallimard, 1950, p. 10. L A. BRETON, Plutot la vie, poeme extrait de Clair de Terre, reprisin Le Revolver a cheveux blancs, p. 67.

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    LE PROJET SURREALISTE LE PR OJET SURREALISTE 43rqu'il percoit leur valeur -LEn sa Position politique )), lesurrealisme rendra hommage a la faculte individuelle quifait passer une lueur dans la grande ignorance, dans lagrande obscurite collective 1 et, des le Manifeste, Bretonsemble envier les fous de gouter assez leur delire poursupporter qu'il ne soit valable que pour eux 2 , Qui ne

    reconnaitrait en ceci la definition meme de ce que Hegelcondarnne ?t_Hegelpref'ere toujours l'histoire a l'individu,a l'evidence intuitive le langage discursif, a la certitudepersonnelle la verite universalisee. Et c'est bien en lui,helas, que se trouve la source premiere de ce mepris del'homme que l'on deplore aujourd'hui chez tant de.marxistes1 II faut sans doute, pour l'apercevoir, renoncera reduire1a philosophie de Hegel a son contenu stricte-ment explicite; plus que par la lettre de ses affirmationsconceptuelles, une doctrine agit et s'impose par desdemarches et des structures profondes dont son auteur lui-meme n'a pas toujours ere conscient, et qui n'apparaissentparfois avec clarte que dans les consequences pratiques, ouhistoriques, de sa pensee. Wolfgang Paalen, en tout cas,ne s'y trompe pas, en repondant a la question Ouvrez-vous a Hegel : Non, car sa philosophie permet dejustifier tous les regimes totalitaires 3. ))Certes, la critique de soi au nom de normes etrangeresa la conscience, l'organisation de proces O U l'accuse seconfesse, et confond son discours avec celui de sesaccusateurs, en oubliant toute certitude intuitive, touteverite interieure, tout ideal humain distinct de l'ordre dela cite, font partie d'un monde specifiquement moderne,dont Hegel n'avait en rien prevu l'horreur. II faut memeconvenir que, lorsqu'il affirme que l'Etre est reductible aulangage et a l 'universalite, Hegel est sans doute soucieuxde se delivrer de sa propre solitude: ici se manifestent laterreur d'avoir raison sans etre approuve de tous, le desirpassionne, et comme panique, d'etre reconnu par l'autre,Ie souci d'echapper au malheur essentiel de la conscience.Mais on sait O U conduisent, ou ont conduit cette terreur,ce desir, ce souci. Humains et emouvants en leur principe,ils engendrent toujours l'inhumaine et hideuse tyrannie.Car les droits de la liberte sont inseparables des droits de

    1. A. BRETON, Position politique du Surrealisme, Sagittaire, 1935,P36.2. Manifeste, p. 10.3. Reponse a Ouvrez-vous? ))_,n Medium, Nouvelle Serie, I,

    novembre 1953, p. 12.

    la solitude. En niant la valeur de la solitude, Hegel detruitla liberte : pour lui, avoir raison contre le Monde,l'Histoire et la Societe, c'est encore avoir tort: une certi-tude individuelle, quelle que soit l'evidence qui l'engendre,ne saurait etre une verite. Le seul fondement possible duvrai est, pour Hegel, la communication des consciences,le langage rationnel est le principe unique de l'accorduniversel. Au nom de la conscience de soi universelle )),Hegel rejette done tout appel au sentiment, a l'intuition;il critique la belle arne )),qui croit trouver au fond d'elle-meme l'absolu divin, ill 'accuse de folie, et tient I'exigenceproprement morale pour abstraite et formelle. C'est dansla morale, ecrit au contraire Breton, que j'ai toujourstrouve mes principaux sujets d'exaltation 1 . Je parviensdone mal a comprendre qu'il ait repris a son compte, dansIe Second Manifeste, une phrase de Hegel declarant que dans la sphere de la moralite en tant qu'elle se distinguede la sphere sociale, on n'a qu'une conviction formelle 2)). Le proces de la suffisance de cette conviction formellen'est plus a faire, ajoute Breton, et vouloir a tout prix quenous nous en tenions a celle-ci n'est a l'honneur ni del'intelligence, ni de la bonne foi de nos contemporains. ))L'honneur de Breton ne fut-il pas, cependant, de preferertoujours la conviction morale forme lIe a la convictionsociale dite par Hegel conviction vraie ))? Selon la normedu texte de Hegel que Breton cite avec eloge, ne faudrait-ilpas, en certains des confiits qui oppose rent Breton et leparti communiste, donner raison a ce dernier ? En toutcas, rien n'est moins hegelien que cette autre phrase duSecond Manifeste : il y a encore a cette heure par Iemonde dans ies lycees, dans les ateliers merne, dans la rue,dans les seminaires et dans 1es casernes, des etres jeunes,purs, qui refusent Ie plio C'est a eux seuls que jem'adresse ... 3 , En cet appel admirable, ou l'individuaffirme la totalite de ses droits, et se revolte contre lacontrainte sociale, quels que soient le nom e.t Ie visa!?equ'emprunte celle-ci, se retrouve cette fois ,l.a vo~xauthentique de Breton, plus proche de ceux qu II remeque de ceux dont il se reclame. Jamais, en effet, Breton nesubordonna aux exigences du systeme l'evidence dudevoir : l'universalite a laquelle il tend est done pluskantienne que hegelienne. Elle ne sacrifie rien, en tout cas,

    1. Les Pas perdus, p. 10.2. A. BRETON, Second Mamfeste du Surrealisme, Kra, 1930, p. 243. Ibid., p. 19

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    44 PHILOSOPHIE DU SURREALISMEde la certitude interieure et de la valeur de l'individuet ne pretend pas les conserver ))en les depassant 'selo~ les formules celebres de l,amystificat,ion dialectique:, L attacheme!lt de Breton a Hegel, reaffirme en sesrecents Entretiens 1, ne peut pourtant, il va sans dire,reposer sur un pur malentendu. 1 1 a d'abord une sourcepassionnelle dans la reaction du jeune Breton contrc lessarcas~e~ anti-heg~liens de son professeur de philosophie,le positrviste Andre Cresson. Le cote titanesque et un peumonstrueux de l'eeuvre de Hegel devait aussi exercer surBreton une seduction positive. Mais, plus profon dementsans d?ute, Breton ne pouvait qu'admirer chez Hegellavo}onte de mer toute transcendance, ou, ce qui revient aumel!le, de projeter toute transcendence sur un planhorizontal. La transformation de l'ancienne metaphy-s~que en IO?lq~e, e~nt !lyppolite comment ant Hegel,signifie la neg~tlOn d un et~e transcendant que la raisonpou~ralt connaitre, l!laIS qui serait un monde intelligibleen face de cette raison. L'absolu est sujet, et non passu?sta~ce; l'Abs.olu est Ie savoir speculatif de la Logique.Dieu nest accessibleque dans le pur savoir speculatif, et estseuJemenrd~ns ce.sa~?lr, e~e~tseulement ce savoir meme. Latheolog.le reah~a~t.lllltelhgible au-dela de l'intelligence.La logique hegelienne ne connait ni chose en soi nimond~ intelligible., L' A~solu ~e se pense pas ailleurs quedans ceomonde phenomenal, c est dans notre pensee quela pensee absolue se pense, que l'etre se manifeste commepensee ct comme sens ... 2 Le desir, chez Breton fonda-mental" d~ ruiner la. religion sans laisser perdre pourautan~ I ~xIgence ,rehgleuse de l'homme, devait done, ici,se satisfaire. Ce n est pas, en effet, au xvtn siecle commenous .~e persuade une idee scolaire, mais bien auXIX;e .sleele, que l~ projet coherent de perdre a jamais larehglO!1 ,et la me,t~physique a ete forme. Ce projet nepouvait etre mene a bien que par la divinisation de l'his-toire. Au XVIIIe siecle, metaphysiqu- et religion, niees dude.hors,. demeuraient en leur originalite propre. Dans laDialectique !ra~~ce,!dentale,.de Kant = formu1e, pour lapr~mler~ fois, I !dee que I IllUSIOnqui leur est inherentedolt moms se refuter que se comprendre : encore est-il

    r. La n;ethode de Hegel, dit Breton, ' a frappe d'indigence toutes lesautres. Ou la dialectique hegelienne nc fonctionne pas, il n'y a pourmoi pas de pensee , pas despoir de verite , (Entretiens, p. I52.)

    2. Jean HYPPOLITE, LOglqUC et existence, P. U. F., I953, p. 70-7I.(Les phrases en italiques sonr de Hegel.)

    LE PROJET SURREALISTE 45que Kant ne fait jamais de cette comprehension unearme contre la liberte du sujet connaissant. Avec Hegel,enfin, qui pretend comprendre toutes Ies affirmations quiprecederent son systeme en une verite plus vaste quiseule leur donnerait leur sens, toute evidence, separee dusujet individuel jugeant, s'integre en une dialectique cos-mologique, toute conscience personnelle est dissoute,toute tentative faite par les hommes pour decouvrir unprincipe transcendant du jugement, une verite superieurea l'histoire, est condamnee. La dimension verticale deI'homme, que le XVII'- siecle mit tant de soin a preserver,est niee, 11 faudrait pourtant savoir si une telle entrepriserealise I'homme total, en lui rendant son entiere puis-sance, ou si elle laisse perdre la seule liberte qu'il puisseeffectivement atteindre. L'affirmation d'un principe trans-cendant du jugement, d'une verite superieure a l'histoire,permet la revolte, et la resistance contre le social: chezDescartes, le contact de l'esprit individuel avec l'infinifonde a la fois la certitude et la liberte de cet esprit.En niant la possibilite d'un tel appel, Hegel desarmela conscience. Dans les prisons de l'Ancien Regime,l'accuse pouvait au moins se reclamer d'un absolu intem-porel meconnu de ses juges. Dans la prison hegelienne,et au sein d'une histoire dont le seul achevement cons-tituera l'Absolu, il ne peut que se preparer a avouer,devant la justice de l'Etat, que sa revolte et sa certitudesolitaires n'etaient qu'illusion et erreur.Breton, je le sais bien, a toujours condamne la transcen-dance et la metaphysqiue. Pourtant, il me parait leur avoirete fidele en esprit. 1 1 faut se mefier du contenu explicitedes formules : il ne renvoie qu'a un systeme de concepts,expression toujours approchee et abstraite d'une attitudehumaine qui seule demeure fondamentale. C'est a l'expe-rience que toute affirmation emprunte sa valeur, c'estI'intention mentale qui fournit aux idees leur contenu etleur poids. On oppose souvent l'ambivalence de latendance a la precision de l'idee ; bien au contraire, c'estI'idee qui, isolee de son contexte vecu, demeure arnbiva-lente. Ainsi l'idee de l'homme unifie et total participe,chez Hegel, du c1imat propre au XIX e siecle commencant,c1imat reactionnaire et anti-individualiste, qui donne leurcouleur aux affirmations pourtant peu hegeliennes dede Maistre et de de Bonald. lei, l'histoire et la cite sontreines, la revendication individuelle est condarnnee :c'est de I'Etat et de l'Eglise que l'homme attend son salut.

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    Breton ne l'attend que de I'homme meme, de ses des irs etde ses ravissements. Chez lui, Ie fondement de la certitudeest individuel, l'infini se montre rebelle au controle d'uneraison logicienne, il ne se laisse pas reduire a un langagediscursif. Cela serait cartesien si, chez Breton, Dieun'etait nie. Du moins est-ce ala poesie, et non au systerneque la meditation cartesienne laisse ici la place. Lapoesie porte Ie poids de toute I'attente de I'homme, etrecueille l'heritage de la religion.C'est pourquoi Ie projet de Breton prend la formed'une esperance irreductible, mais rationnellernent noniustifiee. Pour Hegel, I'histoire est Ie lieu du langage etI'instrument de l'universalite. Pour Breton, c'est dans lereve et ses espoirs merveilleux que s'annonce I'homme.La poesie, loin d'essayer de trouver place en une logiquequi lui donnerait son sens, devient elle-meme alogique, etconfere au Monde un sens nouveau. Au lieu d'attendre larealisation de ses vceux du deroulernent de I'histoire, et dese soumettre a cc1ui-ci au point d'y trouver plus de richessequ'en son propre reve, elle ignore Ie detour des moyens, etoppose aux compromissions de la politique une evidencequi ne sacrifie rien du desir, Aussi peut-on dire qu'ellecontient une sorte d'eternite; en tout cas, on distingue malen elle la volonte, tournee vers Ie futur, et Ie regret, lourddu passe': elle est indissolublement attente et nostalgie.{(Tout paradis n'est pas perdu '),dit un poeme de Clair deTerre 1.Dans un autre, une petite fille, adoratrice du payscalque sur tes parfums 2 ", nous fait songer au desirbaudelairien d'aller vivre au pays qui te ressemble 3 , EtIe premier Manifeste declare: L'esprit qui plonge dansle surrealisme revit avec exaltation la meilleure part deson enfance ... C'est peut-etre l'enfance qui approche Ieplus de la vraie vie . .. I'enfance O U tout concourait ... a lapossession efficace, et sans aleas, de soi-rneme 4. )} Lebonheur prend ici Ie visage d'une coincidence avec soi quipermet seule ce que Breton appelle la croyance, croyanceque Iederoulement tempore Ide lavie a precisement brisee,et dont il s'agit de retrouver la purete. Tant va la

    croyance a la vie, a ce que la vie a de plus precaire, la viereelle s'entend, qu'a la fin cette croyance se perd 1. Mais chaque matin, des enfants partent sans inquietude.Tout est pres, les pires conditions materielles sont exc~l-lentes. Les bois sont blancs ou noirs, on ne dormirajamais 2. II n'est pas besoin de souligner le caractere non hegeliende tels textes : ils affirment la valeur de ce que Hegelappelle l'immediat, de ce dont toute la philosophie deHegel a entrepris de montrer la radicale pauvrete, touterichesse provenant, selon Hegel, de la mediation, etappartenant au concept. Breton, il est vrai, n'a jamais faitde la nostalgie une fin. II a meme refuse la rechercheproustienne du temps perdu, pourtant dominee, elleaussi, par I'amour de l'enfance et le sens du ravissernent.Mais ce qui separe alors Breton de Proust, et l'empeche desuccomber a une metaphysique de l'eternel, n'est assu-rement pas la logique hegelienne. C'est, bien plutot, unsouci kantien d'universalite, Ie refus de reserver a quelquesprivilegies ce monde des merveilles qui, selon son vceu,doit devenir Ie monde de tous les hommes. C'est pour-quoi Breton condamne l'esthetisrne, et, amoureux deI'enfance, ne nous entretient jamais de sa propre enfance.On ne raconte que soi-rneme, la poesie s'adresse a touset veut transformer I'homme. Dans l'experience poetiqueBreton retrouve done, plus encore qu'un pressentimentdu futur, un contact de l'individu et de l'universel :aussi loin de se soumettre au systeme de l'histoire,I'exp~rience surrealiste permet-elle de juger l'histoireselon la norme de quelque eternite. {(Le surrealisme )),lit-on dans Medium 3, {( c'est la rencontre de l'aspecttempore 1du monde et des valeurs .e~ernel1es : I'amour, laliberte et la poesie I).En cela, la position morale de Bretondemeure plus cartesienne que hegelienne. Mais ellesuppose une tension difficile a maintenir : aussi verrons-nous Ie surrealisme, au contact des difficultes et desepreuves, hesiter souvent et parfois se contredire. Seshesitations, ses contradictions seront cependant concep-tuelles, et de I'ordre du seul discours. Selon I'esprit, ellesreveleront la continuite d'une exigence unique, que lesurrealisme n'a pas dernentie. A la difference des disciplesde Hegel, Breton, refusant de laisser un Etat, un parti

    1. Poerne repris in Le revolver a cheueux blancs, p. 65.2. Rendez-vous ", poeme de Clair de Terre repris dans Le rerohier acheveux blancs, p. 54.3. BAUDELAIRE, L'invitation au voyage, in Les fleurs du mal.4. Manifeste, p. 63 Cf. Cette patrie perdue de la liberte mentale OU

    nous pouvions, enfant, errer, jouer ... " Andre et Marcel JEAN, Mourirpour la patrie ", Le Surrealisme ali service de la Revolution, n'' 6, p. 47.

    1. Manifeste, p. 7.2. Ibid., p. 8.3. Medium, Nouvelle serie, nv I, novembre 1953, p. 16.

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    juger a sa place, maintient les droits solitaires d'unepensee decouvrant en elle-meme sa certitude premiere. Laverite qu'il enonce est par la, metaphysique, et ce n'estpoint hasard si les mots sur-realisme et meta-physiqueont la meme structure. Certes, les precedes d'expositionde la metaphysique et du surrealisme different tout a fait.Mais beaucoup de philosophes ayant, apres Hegel, rejointle parti des politiques et des tyrans, et se livrant a la mise-rable besogne de la justification de ce qui est, sans douteappartenait-il a la poesie de retrouver le sens de la philo-sophie, et de rappeler aux hommes ce qui doit etre.CHAPITRE II

    LA REVOLTE ET LA REVOLUTION

    1. LE REFUS SURREALISTE.On a souvent parle de nihilisme surrealiste, Revolteabsolue, ecrit Camus, insoumission totale, sabotage en

    regie, humour et culte de l'absurde, le surrealisme, dansson intention premiere, se definit comme le proces de touttoujours a recommencer 1 . Les surrealistes ont crupouvoir exalter le meurtre et le suicide 2 . II Ces frenetiquesvoulaient une revolution quelconque, n'importe quoi quiles sortit du monde de boutiquiers et de compromis O U iisetaient forces de vivre. Ne pouvant avoir Ie meilleur, ilspreferaient encore le pire. En cela, iis etaient nihilistes ". ))Qu'on aj