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Les difices de spectacles antiques de Gaule Narbonnaise: documents iconographiques, interprtations,
restaurationsFabienne Dugast
To cite this version:Fabienne Dugast. Les difices de spectacles antiques de Gaule Narbonnaise : documents icono-graphiques, interprtations, restaurations. Sciences de lHomme et Socit. Universit Paris-Sorbonne- Paris IV, 2003. Franais.
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U N I V E R S I T E D E P A R I S I V - S O R B O N N E
Les difices de spectacLes antiques
de GauLe narbonnaise :
documents iconoGraphiques, inteprtations, restaurations
Thse de docToraTUFR Histoire de lart et Archologie
Archologie romaine
Fabienne DUGAST
sous la direction du ProfesseurJean-Charles BALTY
Co-direction : lie KONIGSONDirecteur de recherches LARAS (CNRS)
Volume 1
ANNEE 2002
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Soutenue en Sorbonne, Paris, janvier2003 :
M. Christian Goudineau, Professeur, Collge de France, Prsident du Jury
M. Jean-Charles Balty, Professeur, Paris IV
M. lie Konigson, Directeur de recherches, LARAS, CNRS
Mme Franoise Dumasy, Professeur, Paris I
Mme Franoise Hamon, Professeur, Paris IV
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Avant-propos et remerciements
En laborant, dans les annes 1975, lide dtablir un corpus des thtres, amphi-
thtres et cirques de toute la Gaule romaine dans le cadre de thses de doctorat au sein de
lUniversit de Strasbourg, le Professeur Ed. Frzouls envisageait de rassembler le
maximum de documents concernant les difices de spectacles antiques en vue, ainsi que
lesprait aussi son homologue italien G.A. Mansuelli, dlargir les possibilits de compa-
raison entre les diffrentes provinces de lEmpire romain et dtablir les premiers jalons
dune histoire architecturale de ce type de monuments au-del de lItalie. . Bouley sest
ainsi occupe de la Belgique et des Germanies (1981), M. Matter de la Gaule Lyonnaise
(1985), tandis quen 1986 une tudiante sest engage recenser ceux de lAquitaine: la
Narbonnaise en revanche paraissait devoir rester orpheline, aucun projet pourtant amorc
ne venant terme. En me dcidant, en 1991, prendre en charge cette province, je ne
mattendais pas plus sans doute que mes prdcesseurs me heurter aux cas bien
complexes des Arnes dArles et de Nimes et des thtres dArles, dOrange et de Vaison-
la-Romaine, si radicalement restaurs au cours du XIXe sicle et paradoxalement si peu
tudis. Le dcs inattendu dEd. Frzouls quatre ans plus tard a mis fin une nouvelle fois
lentreprise, peut-tre dautant plus naturellement quil me paraissait bien alatoire
finalement dengager une quelconque analyse mme succincte de ces cinq monuments
sans constamment revenir sur des questions fondamentales dinterprtation. Soutenue par
. Konigson, directeur de recherche et spcialiste en anthropologie et histoire du thtre
(LARAS CNRS) ainsi que par les Professeurs Ph. Bruneau, Fr. Dumasy et J.-Ch. Balty, jen ai
par consquent repris ltude depuis 1997, mais cette fois dans une optique plus histo-
riographique , travers les descriptions et les documents iconographiques des XVIIe et
XVIIIe sicles, ainsi que les rapports des architectes chargs de leur restauration au cours des
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XIXe et XXe sicles. Lide premire tait de tenter de comprendre, pralablement tout
examen des structures, ltat desprit dans lequel les restaurations autant que les restitu-
tions graphiques dun Augustin Caristie, dun Charles Questel ou dun Jules Formig,
avaient t menes. difices manifestement en ruine au tournant des XVIIIe et XIXe sicles, ils
sont aujourdhui presque complets en effet, sans que lon puisse rellement distinguer les
maonneries anciennes des modernes, ni dcider de la pertinence des diverses interven-
tions rcentes, au point que ces dernires semblent faire dsormais partie intgrante de
chacun dentre eux, y compris dans lesprit des chercheurs.
En me penchant sur les projets, devis et plans relatifs leur dgagement, restauration ou
amnagement, un constat simposait cependant: lAcadmie de France Rome et lcole
des Beaux-Arts Paris, o le service des Monuments historiques a recrut successivement
ses architectes, correspondaient avant tout des coles darchitecture pour lesquelles ltude
des difices de la Rome antique sinscrivait dans une histoire gnrale de lart de btir et se
dclinait par types de monuments et critres esthtiques. Ds lors, trois questions devaient
mon sens se poser: quels taient exactement les tenants et aboutissants de cet ensei-
gnement somme toute trs orient? quelle application concrte en ont fait les architectes en
chef des Monuments historiques? ne peut-on en dceler aujourdhui certaines rpercus-
sions sur notre apprhension des difices de spectacles de Narbonnaise? Des restaurations
effectives linterprtation purement architecturale des thtres et amphithtres, il ny
avait en fait quun pas: jai pris le parti par consquent de rassembler gravures, textes ou
manuscrits qui ont dcrit ou reprsent ces vestiges depuis le XVIe sicle et qui se sont rvls
troitement lis une vritable recherche sur lart de btir depuis les rflexions de
L.B. Alberti jusquaux Grands Prix de lAcadmie de France Rome, et que lon pourrait
mme largir aux esquisses imaginaires dun .-L. Boulle ou dun Cl.-N. Ledoux. Si mon
propos ntait certes pas l, je ne pouvais tout fait lesquiver, de sorte que la prsentation
initiale de mes cinq monuments sest vue spontanment drive vers celle de lItalie renais-
sante et de la France de Louis XIV, seule fin den dmontrer les corrlations. La suite a paru
dcouler tout naturellement, des extrapolations du XIXe sicle la notion de patrimoine
architectural , ou encore des restaurations juges aujourdhui abusives aux amnagements
envahissants destins une vritable exploitation de ces vestiges.
La tche nen a pas moins t ardue, on sen doutera, de rassembler une documentation
aussi htroclite quelle recouvrait quatre sicles dhistoire. Pour quelques-unes certes
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publies intgralement, parfois nanmoins de manire partielle, avec ou sans la mention de
leur auteur, les pices les plus anciennes sont bien souvent disperses entre divers muses,
mdiathques ou bibliothques, tandis que les documents plus rcents sont ingalement
conservs entre la bibliothque de la direction du patrimoine, les archives nationales, dpar-
tementales ou municipales, et font parfois mme tout simplement dfaut, gars dans un
autre dossier ou probablement dfinitivement perdus. Je ne peux par consquent que
remercier chaleureusement ici les personnes pour la plupart tellement patientes et dvoues,
qui mont accord leur temps, leur attention, voire leurs rflexions, et qui bien souvent aussi
ont facilit mes demandes de reproduction, notamment de plans ou de photographies:
Arles, Patrick Heurley, bibliothcaire aux archives communales, Fabienne Martin,
responsable des fonds patrimoniaux de la Mdiathque, H. Crsola, prsident de
lAssociation des Amis du Vieil Arles, Claude Sints, conservateur du muse archo-
logique et Marc Heijmans;
Orange, Marise Woehl, conservateur du muse municipal, qui ma si aimablement
reue, aide, emmene sur le mur du thtre et qui na pas hsit me soumettre des
projets indits dexploitation du monument, Colette Brivet du bureau des Chorgies
ainsi que Pierre Chambert, aujourdhui la DMDTS et qui ma fait part de son travail sur
lutilisation des thtres antiques de la valles du Rhne, Jean-Charles Moretti, de lIRAA
Lyon, qui entame une monographie sur le thtre, enfin lquipe de Chr. Feuillas aux
archives communales;
Nimes, Jean Pey, conservateur au muse archologique, Martine Nougarde,conservateur du muse du Vieux Nimes et sa collaboratrice Chantal Cambon,Philippe Vazeilles, conservateur des archives municipales, et Pascal Trarieux, respon-
sable des fonds patrimoniaux de la Mdiathque, Carr dArt;
Vaison-la-Romaine, Christine Bezin et son quipe aux archives communales, ainsi
que Philippe Nol du service culturel Ferme des Arts;
aux archives dpartementales des Bouches-du-Rhne, du Vaucluse et du Gard, les
diffrents magasiniers qui nont pas mnager leurs efforts pour trouver parfois des
documents oublis; et tout particulirement Jean-Pierre Locci, charg dtudes
documentaires Avignon et Mmes Friart et Lebert Nimes.
la bibliothque du patrimoine Paris, Franoise Bouleau-Koca et toute son quipe
qui ont en particulier tent de me rendre plus facile, malgr la politique de plus en
plus gnralise des microfiches pour des question de conservation, la consultation
des plans des architectes.
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Nos efforts conjoints mont conduite aussi au Palais du Roure Avignon, o Sabine
Barnicaud ma ouvert ses boites chaussures dans lesquelles elle conserve, faute dautres
moyens, de vieilles photographies bien instructives et notamment le fonds Flandreysy. Sil
est vrai quen furetant droite et gauche, des puces aux librairies de livres anciens, jai
pu constituer de mon ct un petit fonds personnel douvrages et de cartes postales des
annes 1900-1920, dautres documents indits mont t fournis par des photographes
privs, et tout particulirement Philippe Abel Orange et Michel Pradel Nimes, qui
conservent dans leur arrire boutique de vritables archives dimages. Rencontre de
hasard aussi, au muse archologique de Vaison, Anna Maria Melard ma aimablement
fait parvenir quelques documents qui me faisaient dfaut ainsi que la copie danciennes
photographies sur le thtre. Enfin, tudiant en histoire, Ludovic Mathiez a souvent mis
profit ses propres recherches notamment lAcadmie des Inscriptions et Belles Lettres
pour men faire part. Il reste que nombre de documents demeurent encore aujourdhui
difficiles daccs, que ce soit le fonds Van Migom peine arriv aux archives communales
dArles et par consquent non dpouill, ou le fonds Sautel rsolument introuvable, enfin
le fonds Formig, dispers entre diffrentes mains.
Bien sr, les documents anciens et les archives concernant les interventions menes sur
ces monuments ne suffisaient pas rpondre une question qui me paraissait essentielle:
quelle approche avons-nous aujourdhui de ces cinq monuments, rsolument reconstruits,
ramnags, exploits, et qui appartiennent pourtant notre patrimoine archologique?
Jai par consquent parcouru aussi bien les directions rgionales des affaires culturelles que
les services rgionaux de larchologie, esprant y trouver non seulement les derniers
projets dintervention et les derniers rapports de fouilles parfois encore lances
(notamment Nimes), mais aussi quelque correspondance tmoignant des dbats actuels
que suscitent les questions de conservation autant que damnagement de ces difices en
particulier. Que soient ici vivement remercies les personnes qui mont offert le meilleur
accueil et nont pas hsit me laisser travailler au sein de leurs propres bureaux:
Aix-en-Provence, lquipe de Mme Couzon, conservatrice du fonds patrimonial
la DRAC, ainsi que Franoise Trial et Corinne Landur du SRA;
Montpellier, lquipe de R. Jourdan, conservateur de la DRAC, ainsi que Xavier
Gutherz, conservateur au SRA qui ma lui-mme fait parvenir les documents et
renseignements que je souhaitais.
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Enfin, lintrt port par les municipalits elles-mmes lavenir de leurs monuments ma
permis de rencontre Fr. Debost, maire adjoint dlgu la culture, au patrimoine et au
tourisme de la ville dArles, ainsi que M. Sabeg, responsable du service de lurbanisme de la
ville, qui mont consacr chacun quelques heures de leur temps, soumis les derniers projets
dA.-Ch. Perrot et autoris pntrer dans les sous-sols de lamphithtre. De la mme faon,
R. Garcia, ingnieur en chef et responsable des Btiments culturels Nimes, ma fait part des
difficults grer un difice tel que lamphithtre et ma accompagne dans une visite
technique de ses annexes , quont complt quelques reproductions de documents au
Service des arnes. De leur ct, Vincent Sabia, responsable du service technique de la ville
dOrange, et Suzanne Arnoux mont aimablement fait parvenir des copies de photographies
et projets damnagement du thtre. Enfin, les fameuses Chorgies mont inluctablement
amene rencontrer M.-Cl. Billard, conservateur la Maison Jean Vilar, ainsi quO. Faliu,
conservateur en chef de la bibliothque de la Comdie franaise.
Laccumulation de tous ces documents en si peu de temps na cependant t possible
que grce au soutien moral autant que pratique de Vronique Chevrier, qui ma accom-
pagne dans presque chaque service, Arles, Nimes, Orange, Vaison, aide redoutable ,
selon lexpression de J. Pey, dans la recherche de documents bibliographiques et surtout
iconographiques, et qui na pas hsit ressortir ses vieux appareils photos et effectuer de
nombreuses prises de vue de dtail des diffrents difices et de leurs amnagements. Enfin,
amorc dans le cadre des programmes du LARAS (laboratoire de recherche sur les Arts du
spectacle, CNRS) sous la direction d. Konigson, ce travail naurait probablement jamais
abouti sans lappui de B. Picon-Vallin, son actuel directeur, qui ma bien souvent laiss le
champ libre pour mener ma convenance un certain nombre de missions sur le terrain.
Avertissement
Nombre de documents mont t aimablement confis dans le cadre strict de ce mmoire de doctorat, parmi
lesquels les projets dA.-Ch. Perrot, les photos de Ph. Abel et de V. Chevrier, qui ne peuvent par consquent en aucun
cas faire lobjet de reproduction totale ni partielle en dehors de ce travail universitaire sans demande dautorisation
pralable aux auteurs concerns.
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Carte de la Provence et de ses principales villes lpoque romaine.[http://www.barthalay.freesurf.fr/rom]
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Introduction
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La curiosit historiographique doit sexpliquer par laconscience des changements intervenus dans lide quon se faitde larchologie et dans la pratique quon en a []. On ne saurait[] nier que lantrieur contribue conditionner lultrieur[] ; mais on ne peut plus aujourdhui sen tenir l.
Philippe BRUNEAU (1).
Nul nignore plus aujourdhui que chaque socit a besoin davoir son thtre, sous une
forme ou sous une autre. Bien rares sont celles qui, la surface du monde, naient possd,
ou ne possdent quelque thtre, aussi rudimentaire soit-il. Cela peut tre la dramatisation
dun rite, ou celle des grandes fonctions de la vie. Toutes les socits prouvent le besoin de
se donner le spectacle delles-mmes (2). Ldifice thtral, lui, nexiste pourtant pas
systmatiquement : en Occident, les Grecs auraient t les premiers rserver un
monument lev en pierre spcifiquement destin aux spectacles rituels, appuyant
gnralement une colline les gradins sur lesquels les spectateurs prenaient place,
le complexe scnique leur faisant face. Sils ont repris le modle grec, les Romains
lauraient en tout cas amnag, fermant entirement ldifice en runissant cavea et
complexe scnique, perfectionnant le systme des espaces servants ainsi que celui de
la scne ; ils lui ont associ en outre lamphithtre, longtemps dfini comme la
runion de deux thtres scna contre scna, ainsi que le cirque plus allong . Sous
leffet du christianisme et de ses censures probablement, mais peut-tre surtout des
Invasions des VIe et VIIIe sicles et des troubles conomiques quelles ont engendrs,
thtres, amphithtres et cirques ont t cependant systmatiquement abandonns
dans leur fonction dorigine, dtruits ou ramnags dautres fins, voire occups
1. Philippe BRUNEAU, Histoire de larchologie : enjeux, objet, mthode , in R.A.M.A.G.E., n 3, Paris,PUPS, 1985, p. 131.
2. Pierre GRIMAL, Le thtre Rome , in IXe Congrs International de lAssociation Guillaume Bud, t. 1,Paris, Belles Lettres, 1975, p. 247.
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totalement ou partiellement par des habitations particulires. Pour autant, si les
difices ont disparu avec la fin de lEmpire romain, les reprsentations nen ont pas
moins continu sur les trteaux, et trs vite mme lglise a dvelopp processions
religieuses et reprsentations des Mystres de la Passion sur la place publique, la
place du march, celle de lHtel de ville lieux de plein air plus ou moins
amnags destrades et de gradins de bois pour la circonstance. Il faut attendre tout
de mme le XVIe sicle pour que, les spectacles scniques (re)prenant de lampleur,
certes sous une autre forme, les architectes cherchent les institutionnaliser en
leur (re)crant un espace particulier et dfinitif, ldifice thtral tel quil a t conu
tout au long des XVIIIe et XIXe sicles.
Ce renouveau du thtre ne sest pas labor toutefois au hasard : tout au
moins, ldifice moderne ne sest pas model ex nihilo. En Italie notamment, il sest
largement rfr ce qui a exist avant lui en matire de thtre, et dabord aux
constructions romaines qui offraient un premier exemple porte de main. Paral-
llement une relecture du De Architectura de Vitruve, et tout particulirement du
livre V, seul tmoignage crit conserv de larchitecture de spectacles romaine du
dbut de lEmpire, les architectes ont relev Rome mme les ruines du thtre de
Marcellus et celles du Colise ruines plus ou moins lisibles, plus ou moins
dgages derrire les constructions plus rcentes. Ils se sont interrogs, ont
critiqu, tabli des traits. Mais cette rfrence lAntiquit, que ce soit pour le
dcor de scne, pour lorganisation de la salle ou pour le rapport salle / scne,
parait bien en avoir ignor lhistoire, ne sintressant pour lessentiel qu la forme
architecturale proprement dite de ldifice permanent quil restait amnager en
fonction des ncessits du nouveau thtre la scne dabord, la salle ensuite
et son intgration dans lurbanisme de la ville. Ldifice de spectacles antique
apparait ainsi pendant longtemps cest--dire au moins jusquau tout dbut du
XIXe sicle presque exclusivement li au problme architectural de la
construction des thtres modernes. Les architectes ont pris modle sur lui, ont
amnag, transform, adapt diffrents lments, en ont ajout dautres qui lui
taient trangers, en fonction la fois des nouvelles exigences de la reprsentation
thtrale et des nouvelles perceptions de larchitecture et de lurbanisme, de sorte
que se sont mles, dans la structure de ce btiment rinvent , conceptions
modernes et conceptions antiques.
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En France, cet engouement la fois pour le thtre et pour larchitecture antique
sest certes dvelopp paralllement aux recherches des Italiens, mais ce nest qu
partir de la fin du XVIIIe et du dbut du XIXe sicles que lintrt sest port de faon
plus aigu sur les antiquits nationales. Si nombre ddifices de spectacles de
lpoque romaine taient certes dj reconnus, travers Relations et Guides historiques
mentionnant les ruines dresses encore dans certaines rgions, le remarquable tat de
conservation de certains dentre eux, et plus particulirement dans le Midi, na vrita-
blement attir lattention de quelques-uns des architectes revenus de leur voyage et
de leur formation obligs lAcadmie de France Rome que tardivement: cest
le cas notamment de Charles Questel et dAuguste-Nicolas Caristie aux thtres
dArles et dOrange, et aux amphithtres dArles et de Nimes. Lattention apparait
cette fois sous une double forme: limportance des vestiges en place devait permettre
en effet dune part danalyser de faon prcise les structures de ce type de btiments,
moins considrs ds lors comme dventuels modles dune architecture
moderne que comme les tmoins authentiques de lhistoire architecturale de lEmpire
romain et de ses provinces, voire de lhistoire de larchitecture de spectacle en
gnral ; elle a permis dautre part de concrtiser un souhait de longue date, celui de
rutiliser ces espaces en quelque sorte pr-amnags, pour diverses ftes modernes.
Il savre de fait que trs tt leur qualit de monuments de plein air, [] mme
partiellement ruins a spontanment invit une telle rhabilitation: davantage
encore, il semble quaujourdhui encore le fait aussi quils sont susceptibles de stimuler
limagination va de pair avec la qualit de lieu de spectacle (3). Redonner vie ces difices
en les restaurant et en les ramnageant en fonction des exigences des spectacles
modernes ne sen est pas moins rvl tre un exercice malais et se heurte actuel-
lement de nombreuses difficults, la fois dontologiques et pratiques.
Lintrt port ldifice de spectacles antique a pris ainsi diffrentes formes, de
lItalie de la Renaissance la France du XVIIIe sicle jusqu aujourdhui, de sorte que
varient descriptions, explications, interprtations de ses structures et de leur
agencement. Les thtres dArles, dOrange et de Vaison ainsi que les amphithtres
3. Bertrand MONNET, Lisibilit des restaurations , in Les Monuments historiques de la France. LesRestaurations franaises et la Charte de Venise, actes du colloque tenu Paris du 13 au 16 octobre 1976,n 77 hors srie, 1977, p. 78.
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dArles et de Nimes apparaissent comme des tmoins originaux dans ce que leur tat
actuel de conservation drive de faon manifeste de ces diffrentes tendances. Certes
hors de Rome mais trs tt intgre lEmpire, la province romaine de Narbonnaise
laquelle ils taient rattachs a offert en effet des exemples types que les architectes
de la Renaissance ont voulu incorporer aux traits darchitecture, tel G. da Sangallo
qui comparait alors le thtre dOrange au Colise. Les cits dArles, dOrange et de
Nimes ont t du reste trs tt considres comme de petites Rome ce qui se peut
juger , dit un manuscrit anonyme repris en 1681 par . Raban propos dOrange,
par le tmoignage des Historiens, & par la seule perspective du Cirque & Thatre, & de lArc
triomphant que lon voit encor tout entier dans lenclos des vieilles murailles de ladite ville (4)
et leurs monuments ont pu tre de ce fait tout naturellement assimils ceux de la
Capitale. Reconnus ainsi depuis le XVIe sicle et regards comme proprement romains,
ces monuments ont t, en France, parmi les premiers faire lobjet de restitutions
graphiques: aprs G. da Sangallo, J. de la Pise devait proposer une reprsentation
quelque peu originale du thtre dOrange, tmoignant en dfinitive des confusions,
pour le moins frquentes alors, que les rudits opraient entre les diffrents types
ddifices de spectacles, tandis que J. Peytret et Cl. de Terrin ont pu anticiper sur le
trac en plan de celui dArles pourtant encore enfoui sous les habitations; de leur ct,
les descriptions du P. J. Guis et de J. Poldo dAlbenas concernant les amphithtres
dArles et de Nimes ont succd celles antrieures de prs dun sicle de lItalien
Juste Lipse, et se sont accompagnes de dessins plus complets, mlant plan, lvation
et coupes comme linterprtation en somme des connaissances gnrales de cette
poque en la matire. Entreprenant leur dgagement et leur restauration au tout dbut
du XIXe sicle, les architectes ont visiblement perptr limage dune identit totale de
Rome et des cits de lancienne Narbonnaise, considrant les thtres dArles et
dOrange notamment comme des difices du premier ordre dans leur genre , voire des
spcimens complets (5). Parce qu linstar de N. de Caumont ils taient convaincus
que ces agglomrations taient calques sur un plan peu prs uniforme et que les
Romains cherchaient reproduire dans les villes secondaires les monuments publics de la
capitale et des grandes villes dItalie (6), ils croyaient devoir retrouver en effet dans
4. Description des antiquitez de la ville & cit dOrange revue & corrige par douard Raban, 1681, p. 7.Voir aussi Noble Franois de REBATU, De la comparaison dArles & de Rome, Arles, 1617.
5. Daprs un rapport la Commission suprieure des Monuments historiques dress par CharlesLenormant propos des thtres dArles et dOrange, juin 1861 [arch. C.M.H., 342/1].
6. Narcisse de CAUMONT, Cours dantiquits monumentales profess Caen. Histoire de lart dans louest de laFrance depuis les temps les plus reculs jusquau XVIIe sicle, Paris, Lance, 1830-1841.
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chacun des difices les caractristiques du monument type , et ne pouvaient ds
lors qutre persuads de pouvoir aisment complter la restitution de lun par
lexamen des ruines de lautre, les thtres dArles et dOrange comme les amphi-
thtres dArles et de Nimes ne se rvlant en somme ni plus ni moins que sous la
forme dune expression figure de la description gnrique du livre V de Vitruve (7).
Il ne faut probablement pas sy tromper toutefois : bien que soutenu par une
volont de restituer la science et lart ces fragments darchitecture romaine (8),
lobjectif du XIXe sicle parait avoir t globalement bien loin de nos proccupations
actuelles. Rputs en effet avant tout utiles aux progrs de lart , ces difices devaient
offrir aux architectes, selon la Commission suprieure des Monuments historiques
elle-mme, un fcond enseignement et des indications bien prcieuses , dont elle se
flicitait par ailleurs que des restaurations plus ou moins compltes mais suffisantes ont fait
ressortir avec dautant plus d-propos quil nous est devenu facile grce elles dtudier avec
prcisions les procds si instructifs de construction et dappareil employs par les Romains et
de comprendre la part dinfluence quils ont pu avoir sur notre architecture nationale (9). On
ne stonnera pas ds lors que, loin de proposer des relevs et des projets dinterven-
tions prcis, les architectes ont tendu expressment en restaurer une image
vocatrice dans le respect des techniques de construction antiques plus que dans celui
de la forme singulire, qui napparaissait sans doute pas, dans un tel contexte,
rellement pertinente. On peut se demander en revanche jusqu quel point aujour-
dhui encore, alors que se sont dveloppes depuis les annes 1955-1960, avec
A. Maiuri notamment, des analyses bien plus orientes sur les caractristiques
fonctionnelles de ce type de monument, ils ne bnficient pas toujours du mme
regard . Du moins, ct des rflexions menes par Ed. Frzouls sur le thtre
romain dItalie et de Sicile, F. Dumasy sur les thtres ruraux du nord de la Loire,
. Bouley sur ceux de Belgique, et plus rcemment J.-Ch. Moretti sur ceux dAsie-
mineure, il semble que les thtres dArles, dOrange et de Vaison ainsi que les
amphithtres dArles et de Nimes ne puissent se dgager de leur premire
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7. Bernard THAON, Limage et le reflet de la ville , in Le Got de lantique Quatre sicles darchologiearlsienne, catalogue de lexposition ralise par le Museon Arlaten et les Muses dArles lEspaceVan Gogh du 20 octobre 1990 au 6 janvier 1991, Arles, Delta Presse Mditerrane, 1991, pp. 107-108.
8. Daprs le rapport la Commission suprieure dress par Charles Lenormant, juin 1861, cit. Je souligne.9. Anatole DE BAUDOT et A. PERRAULT-DABOT, Archives de la Commission des monuments historiques publies
sous le patronage de lAdministration des Beaux Arts (1898-1902), Paris, d. H. Laurens, sans date [1902],t. V, notice, p. 1. Je souligne.
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interprtation pour le moins thorique, que certains cherchent curieusement encore
confronter au livre V de Vitruve ou associer au thtre de Marcellus et au Colise.
On ne pourra sans doute sempcher de penser que les restaurations quils ont subi
partir de la deuxime moiti du XIXe sicle en vue de leur mise en valeur et de leur
rhabilitation nont pu quuvrer en ce sens dans ce quelles ont manifestement
pour la plupart consister en de vritables reconstitutions suivant des orientations
archtypales fondes sur une connaissance gnrique de ldifice de spectacles
romain. Parce quelles ont t conues dans le respect de lesprit de lAntiquit,
employant matriaux et techniques de lpoque, jusqu imaginer rtablir la patine
du temps de manire obtenir une homognit densemble de louvrage (10), les
restaurations ralises jusquau milieu du XXe sicle au moins ne peuvent assurment
en tout cas que jeter la confusion, y compris dans lesprit du spcialiste, dans ce
quelles ne permettent plus dsormais de distinguer dun coup dil ces espaces
recrs des structures authentiques.
Avant peut-tre que dentamer ou de reprendre ltude de tels vestiges, dgags
plutt que fouills, reconstruits plutt que consolids et protgs, et aujourdhui
vritablement investis par une exploitation intense dans leur fonction primitive
ddifices de spectacles, encore faudrait-il pouvoir dissocier, entre les agencements
antiques, ce qui relve dune interprtation thorique de ce qui rsulte de lexamen
dempreintes laisses sur les maonneries en place, voire tout simplement dune inter-
vention de sauvetage . Laspect actuel de ces monuments qui, aprs avoir t librs
des habitations qui les encombraient, ntaient pourtant que ruines, inviterait en effet
tenter, ainsi que la amorc au thtre dOrange J.-Ch. Moretti et A. Badie, lamphi-
thtre de Nimes la DRAC, au thtre et lamphithtre dArles lquipe de Cl. Sints,
de retrouver leurs structures dorigine travers notamment les documents iconogra-
phiques relatant les diffrentes tapes de leur mise en valeur ainsi que les projets et
devis tablis par les architectes responsables des travaux de dgagement et de restau-
ration. La position pour le moins ambigu quils occupent aujourdhui dans lesprit du
public en particulier du fait de leur rhabilitation , la fois dsormais vestiges
10. Selon H. NODET, Rapport la Commission des Monuments historiques sur la restauration de lamphithtre de Nmes,23 mai 1935, le respect de la patine du temps [tait] un dogme si bien consacr ici quon a reproch aux architectesde ne pas patiner ou de patiner de faon insuffisante les reprises quils ont excutes [arch. C.M.H., 887/4].
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archologiques et monuments historiques par leur aspect inachev ou altr, et
difices de spectacles modernes ou moderniss par leur ramnagement,
engagerait par ailleurs aborder, travers les mmes documents, les diffrents stades
de leur interprtation , depuis leur abandon la fin de lEmpire romain et leur trans-
formation en forteresse et quartier dhabitations, jusqu leur dgagement, leur restau-
ration et leur exploitation. Parce que les unes brossent le monument bien souvent
grands traits et en offrent quoi quil en soit une vision ncessairement subjective,
tandis que les autres sarrtent en gnral lexposition des motifs justifiant linter-
vention et ne saccompagnent presque jamais de la reproduction de limpact des
reprises ni de ltat des structures avant leur remaniement, les gravures comme les
programmes de restauration et damnagement rvleraient en effet la condition
accorde ces vestiges au cours des sicles, de tmoins dun hritage prestigieux la
rfrence dun art de btir en devenir, de monument-type intgr dans lhistoire
de larchitecture romaine lespace de plein air propice lorganisation de spectacles,
jusqu louvrage darchitecture part entire quils ont peut-tre en un sens conserv
aujourdhui. Certes sans exagrer limportance de ces rsurrections , on peut se
demander du moins jusqu quel point, et pour reprendre la remarque de R. Peyre, il
ny a pas l tout un symbole dans les efforts ainsi faits pour rattacher le prsent un pass
lointain (11) symbole qui leur est dsormais si troitement associ quil semble
quon en oublie les tenants et aboutissants.
11. Roger PEYRE, Les Villes dart clbres. Nmes, Arles, Orange, Saint-Rmy, Paris, Libr. Renouard, H. Laurens d.,1904, p. 149.
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I. La rfrence lAntiquit
Extrait du Domaine des Dieux (Une aventure dAstrix le Gaulois, n 17), texte de GOSCINY, dessins de UDERZO, Dargaud diteur,1971.
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1. Cf. ce propos, notamment Claude LVI-STRAUSS, Race et histoire, Paris, UNESCO, 1951.2. Roland MARTIN, < Archologie >, in Encyclopdia Universalis, 1968.3. Gustave LANSON, Histoire de la littrature franaise [1895], dition remanie et complte pour 1850-1950
par Paul TUFFRAU, Paris, Hachette, 1985.
Limportance accorde, dans nos socits occidentales, lAntiquit classique,
grecque et romaine, semble marque bien avant la Renaissance en tmoigne la
prsence constante de thmes antiques notamment dans la littrature, la sculpture,
larchitecture , comme lhritage dune ligne directe, malgr les ncessaires
transformations dues en particulier la monte du christianisme. Les socits
voluent certes, mais ne peuvent ignorer ce qui les a prcd, de quelque manire
que ce soit (1). Les Grecs eux-mmes faisaient continuellement rfrence leur
pass, aussi bien en matire de philosophie ou de politique (Aristote, Pausanias),
que dans le domaine de lart ; les traits et ouvrages thoriques des architectes et
sculpteurs ont t recenss et comments lpoque romaine par Varron, Vitruve,
Plutarque, Pline lAncien. Il apparait ainsi difficile de contester lexistence de
relations qui se sont invitablement dveloppes entre lAntiquit et les priodes
qui lont suivie, mme si les indices nen sont pas toujours tangibles. Au contraire,
R. Martin affirme mme que cest par eux [les Grecs] que, pour une grande part, la
tradition antique sur les monuments et les arts sest transmise au Moyen ge, et travers
le Moyen ge, la Renaissance (2).
Cette constante relation au monde grco-romain rencontre dailleurs une
rsonance particulire dans la littrature mdivale, qui vnrait, pour son origine,
travers les romans de Thbes, dnas, de Troie, tirs des mythes et lgendes
piques anciens, le cycle de lantiquit, le dfinissant comme dpositaire dune
profonde sagesse (3). Elle parait trouver jusquau XIXe sicle une justification cohrente
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au cours des ges. Non seulement elle correspond une part de lhritage des civili-
sations soumises Rome jusqu la fin du IVe sicle, mais elle semble avoir constitu
une certaine aura, essentiellement travers lusage de la langue latine, classique ou
noclassique (et parfois du grec), par lglise romaine, les clercs tant demeurs
longtemps seuls dtenteurs des crits anciens, et par l mme des sciences et des
mathmatiques (4). Repris partir du XIVe sicle dans les classes privilgies de la
socit italienne principalement les universitaires, les chanceliers et les
ministres (5) , cet usage a continu bnficier dun grand prestige, notamment
par les difficults de sa pratique. Les humanistes lestimaient en outre ncessaire
une meilleure expression de la connaissance que ne le permettait la langue
vulgaire litalien. Dante expliquait ainsi Machiavel, au cours dune
discussion imaginaire sur les raisons de lemploi du latin, que les divers points de
doctrine dont [il] trait[ait le] contraign[ai]ent recourir un vocabulaire apte les
exprimer ; et ne le pouvant si ce nest avec les termes latins, [il] les utilis[ait] (6). Parce
quil sagissait d une langue supplmentaire, mthodiquement acquise , la pratique du
latin semble avoir permis en tout cas de dvelopper un vocabulaire particulirement
prcis et riche, ce dont tmoigne lapparition de divers ouvrages lexicographiques
dont lobjet tait de dfinir le bon usage des termes (7) ; les caractristiques mmes
de la langue apparaissant manifestement, travers son tude, rigoureuse et
complexe, aurait offert, comme le fait remarquer M. Baxandall, une manire
dapprhender les uvres, littraires ou autres, les ides, voire la politique, avec
autant de rigueur : son apprentissage aurait engendr en effet la fois un effort
dexpression et dexactitude la manire dun traducteur , et une rflexion sur
la dfinition de la terminologie adopter, dans ce quelle concdait un certain
nombre de distinctions entre les divers registres, agencements et sensations, dune
certaine faon plus labores que litalien (8).
4. Sur la prrogative des clercs et de lglise en matire de savoir jusquaux XVe-XVIe sicles, cf. notam-ment Lucien FEBVRE et Henri-Jean MARTIN, LApparition du Livre, Paris, Albin Michel,coll. Bibliothque de synthse historique. Lvolution de lhumanit, 1958, pp. 264 sqq.
5. Cf. ce propos, notamment Paul Oskar KRISTELLER, Renaissance Thought and the Arts. Collected Essays,Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1980.
6. Niccol MACHIAVELLI, Discorso o dialogo, intorno alla nostra lingua [1400], in Opere storiche eletterarie, Florence, d. G. Mazzoni et M. Casella, 1929, p. 774 : perch le dottrine varie di che ioragiono, mi costringono a pigliare vocaboli atti a poterle esprimere ; e non si potendo se non con termini latini,io gli usavo .
7. Lorenzo VALLA, Elegenti, 1430, compte parmi les ouvrages lexicographiques les plus complets.Voir aussi Bartolomeo FAZIO, De differentia verborum latinorum, in PSEUDO-CICRON, Synonyma, Rome,d. Paulus Sulpitianus, 1487.
8. Michael BAXANDALL, Les Humanistes la dcouverte de la composition en peinture. 1340-1450, traduit delanglais par Maurice BROCK, Paris, Seuil, 1989, p. 69.
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Au-del, lusage des langues classiques a permis ces mmes humanistes de
reprendre leur compte les textes anciens, dans le cadre des studia humanitatis,
ncessaires, selon eux, lapprentissage des valeurs proprement humaines. Le
XIVe sicle a pu en effet dvelopper un domaine nouveau du savoir, en diffusant
hors de lglise, grce lessor de limprimerie, les textes anciens, leurs traductions
et leurs commentaires critiques (9). Cette nouvelle pratique parait trouver sa spcifi-
cation en raction contre la thologie scolastique tablie par lglise, soucieuse
dorganiser rationnellement le donn humain dans la perspective de la foi, et qui a
conserv, jusquau milieu du XVIIe sicle, une emprise doctrinale considrable.
Plutt quAristote, les humanistes privilgiaient alors Platon qui, justement, avait
prdit au roi Denys que viendrait un temps o les mystres thologiques seraient purifis
par une discussion trs pre, comme lor par le feu (10). Ptrarque le premier stait
indign de lentnbrement dans lequel avait sombr son poque, et clamait que
seule lAntiquit romaine brillait dune pure splendeur vers laquelle il fallait
tendre : elle devait permettre en effet dlargir les seules proccupations religieuses
au problme gnral de la rforme intellectuelle et morale de lhumanit (11). La
Renaissance peut se rvler ainsi moins tre une redcouverte de lAntiquit
quune vritable mutation dont les tenants apparaissent dans une relecture
critique des uvres du pass, oriente pour lessentiel vers une rflexion sur le
rapport entre le monde et Dieu, et sur linterprtation de linfini cosmique, rejet
jusque-l par lglise romaine qui ne considrait linfini quen Dieu (12).
En matire darchitecture, la priode de la Renaissance sest dfinie, par tradition,
travers les crits de G. Vasari, comme une raction contre lexubrance du style
gothique finissant, que ce dernier jugeait dgnr , ridicule et barbare (13). La
rfrence lAntiquit, prsente bien avant la priode du Moyen ge, tmoin tout
20
9. Cf. ce propos, notamment P. O. KRISTELLER, op. cit., pp. 5-7. Lauteur parle de department of learning .10. Marsile FICIN, Epistol, in Opera, Ble, 1576, I. 1., pp. 616-617.11. Francesco di ser PETRACCO, dit PTRARQUE, Epistolarum de rebus familiaribus, in Opera, Ble, Basile
excudebat H. Petri, 1554, l. III. 8.12. Cf. ce propos Infini des mathmaticiens, infini des philosophes, ouvrage collectif sous la direction de
Franoise MONNOYEUR, Paris, Belin, coll. Regards sur la science, 1992.13. Giorgio VASARI, Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes [1568], traduction et dition
commente sous la direction dAndr Chastel, Paris, Berger-Levrault, coll. Arts, 1989, prface auxVies, vol. 1, pp. 225-228.
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particulirement la Chapelle Palatine de Charlemagne (14), semble pourtant, cette
poque, dcouler comme en philosophie dune volont de repenser les rapports de
lhomme au monde et Dieu. Or, lide platonicienne, reprise aussi bien par les math-
maticiens (Fra Luca Paciolo) que par les architectes (Francesco di Giorgio, Csariano),
selon laquelle un mme principe [una medema ratione] reliait lunivers lhomme, et
lme du monde [lanima del mondo] lme de notre raison [lanima nostra rationale],
permettait daffirmer la valeur cosmologique et
universelle des proportions mathmatiques (15).
Larchitecture se dfinissait, en consquence,
comme une activit hautement scientifique,
capable dexpliquer et dexprimer les lois organi-
satrices du cosmos harmonique (16), et non plus
simplement de figurer le fini du monde face
linfini divin. Les Anciens auraient dailleurs, en
commenant btir si lon en croit les traits
thoriques de lpoque imit la nature ,
fondant lorganisation et les proportions de leurs
difices sur celles du corps humain: on retrouve
un tel rapport notamment chez Fr. di Giorgio
Martini, qui inscrivait le plan dune glise dans la
figure humaine et distribuait les difices dune
ville lintrieur de ce mme corps [fig. 1] (17).
Le XVIIIe sicle encore considrait que l on devait la science architectonique aux
Grecs (18), et pas un trait darchitecture nomet de parler de la qualit excep-
tionnelle de cet art (19). Mais la supriorit concde lAntiquit tenait aussi, selon
14. Carole HEITZ, LArchitecture religieuse carolingienne. Les formes et leurs fonctions, Paris, Picard, 1980.15. Csare CSARIANO, De Architectura Libri decem [1521], a cura di Arnoldo BRUSCHI, Adriano CARUGO e
Francesco Paolo FIORE, Milano, Il Polifilo, 1981, p. XXVI.16. C. CSARIANO, op. cit., p. XXVI.17. On retrouve ce rapport chez presque tous les thoriciens et architectes, de Leon Battista Alberti
[1404-1472] et Francesco di Giorgio [1439-1502], Csare Csariano [1521], Andrea Palladio[1508-1580], ou encore Francesco Milizia [1775].Cf. ce sujet, Les Traits darchitecture de la Renaissance, Actes du colloque tenu Tours du 1er au11 juillet 1981, tudes runies par Jean GUILLAUME, Paris, Picard, coll. De Architectura, 1988.
18. Francesco MILIZIA, Memorie degli architetti antichi e moderni, Venezia, quarta edizione accresciuta ecorretta dallo stesso autore, 1785, prface, p. XXI : La scienza architettonica si deve ai Greci .
19. La notion d art est prendre, ici, au sens plus gnrique dartefact : cf. ce propos, notammentP. O. KRISTELLER, op. cit., pp. 163 sqq.
Fig. 1. tude de proportions dunebasilique par rapport au corps humainselon Francesco DI GIORGIO MARTINI,vers 1490. Dessin la plume.(Bibliothque nationale de Florence.)
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20. Leon Battista ALBERTI, De la peinture [De Pictura, 1435], prface, traduction et notes de Jean-LouisSchefer, Paris, Macula, coll. Ddale, 1992, ddicace Filippo Brunelleschi, p. 69.Sur la notion d imitation et le rapport lAntiquit, cf. infra, I. 2. a., pp. 118 sqq.
21. L.B. ALBERTI, De la peinture, op. cit., ddicace F. Brunelleschi, p. 69.22. L.B. ALBERTI, De re dificatoria [1485], Argentorati, excudebat J. Cammerlander, 1541.23. C. Marius VICTORINUS, Explanationes in Rhetoricam Ciceronis [Ve s.], Leipzig, d. C. Halm, 1863, p. 258 :
Hic, ad quod ducitur prfatio, illud est, ex multis artium scriptoribus electa multa et ad unam quam scripsitartem, quo pulchrior redderetur, prcepta ex multis multa collecta / Ce quoi tend lintroduction [duDe inventione de Cicron], cest de montrer que beaucoup de choses ont t choisies chez de nom-breux auteurs de traits, et que, rien que pour un des traits quil crivit, ont t rassembls, afin dele rendre plus beau, bon nombres de prceptes tirs de diverses sources .
24. Epistolario di Pier Paolo Vergerio [1396], Rome, d. L. Smith, 1934, p. 177 : unum aliquem eundemqueoptimum habendum esse, quem precipuum imitemur, propterea quod tanto fit quisque deterior quantoinferiorem secutus a superiore defecit .
25. G. VASARI, op. cit., prface aux Vies, p. 221. Vasari faisait remarquer, de faon plus prcise, ce propos,que leurs prdcesseurs [au Moyen ge] avaient beau avoir eu sous les yeux les vestiges des arcs detriomphe, des amphithtres, des statues, des bases, des colonnes dcores, malgr les pillages, les destructionset les incendies de Rome, jamais ils navaient su les apprcier ni en tirer parti. Les suivants, traant une nettedistinction entre le bon et le mauvais et abandonnant les vieilles techniques, se remirent imiter lantique avecinitiative et talent , ibidem, p. 232.Sur limportance accorde lAntiquit et son influence, cf. infra, I. 2. a., pp. 104 sqq.
L.B. Alberti, dans ce que, pour les Anciens, parce quils avaient abondance de modles
imiter et de qui apprendre, il tait moins difficile de slever dans la connaissance de ces
arts suprieurs qui sont aujourdhui pour nous si difficiles (20). Il ne sagissait pourtant
pas pour L.B. Alberti ni pour ses contemporains dimiter les Anciens, ni de
reprendre leurs uvres son compte : il estimait au contraire que notre renom ne
sera que plus grand si, sans matre et sans aucun exemple, nous inventons des arts et des
sciences dont personne navait entendu parler et que personne navait vu (21). Son De re
dificatoria se base nanmoins essentiellement sur le De Architectura de Vitruve (22),
de la mme manire en dfinitive que les humanistes reprenaient des auteurs
anciens la tradition rhtorique de la comparaison : si celle-ci napparait pas nos
yeux dune imitation toujours trs satisfaisante face aux exemples classiques,
mlant les strotypes au discours original, elle ncessitait en tout tat de cause la
recherche et le renvoi des sources reconnues exemplaires et des modles fiables,
la manire de Cicron qui avait d utiliser, rappelait Victorinus, afin de le rendre
plus beau [son De inventione], de nombreux prceptes tirs de nombreuses sources , sans
en imiter aucun exactement (23). Lart de btir ncessitait de faon similaire par cons-
quent de disposer dlments de comparaison, fonctionnant la manire dune
chelle de valeur. P. Vergerio estimait que l on rgresse tant on sloigne de lexcellence
force de suivre un modle infrieur (24), et G. Vasari qu il est impossible, seul, de
parvenir monter si haut [que les meilleurs artistes] (25). Les formes de larchitecture
antique ntaient certes pas seules juges dignes dtre prises pour norme : elles ont
visiblement du moins permis de mettre en place alors une srie de prceptes qui ont
fait autorit dans tout discours thorique sur la manire de concevoir lart de btir.
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L aussi, lutilisation du latin avait sans doute permis une apprhension particu-
lire de larchitecture : travers cette nouvelle dfinition, se sont dveloppes les
notions de consonantia , de proportio , d euritmia , de simmetria , reprises
et argumentes partir du De Architectura de Vitruve.
Le nouvel panouissement de l archologie au sens premier du terme, cest-
-dire de connaissance de larchaios, objet ancien parait sinscrire, cette poque,
dans cette optique originale. Les dcouvertes et les recherches qui se sont
multiplies dabord Rome, dont la richesse et la relative bonne conservation des
monuments ont suscit, ds le XVe sicle, les premiers relevs avec notamment
L.B. Alberti et G. Sulpizio da Veroli (26), puis les premiers corpus dinscriptions et
duvres antiques (27), avaient moins pour but de retrouver les traces des civilisa-
tions passes que dtablir des catalogues comparatifs de la proportio, de la
symmetria, de leurythmia, de lordre parfaits. La tendance encyclopdique sest
ensuite dveloppe la faveur de nouvelles dcouvertes duvres originales
exhumes Pompi et Herculanum (28), stendant peu peu vers le monde grec la
suite de frquents voyages de collectionneurs, tels N.-Cl. de Fabri (1580-1637),
J. Spon (1647-1685), P. Lucas (1664-1737), qui rapportaient quantit de croquis,
relevs, dessins de divers objets alors mis au jour. Or, parce quelle ne sadressait en
dfinitive quaux artistes, et plus particulirement aux architectes, cette riche
documentation ne concernait dans lensemble que lAntiquit dite classique, de
Rome et de Grce, et leurs plus belles crations. Il faut certes attendre les XVIIIe et
XIXe sicles pour voir les antiquaires et collectionneurs reculer les limites chronolo-
giques et gographiques de leurs investigations et les intgrer plus largement dans
les prmisses dune histoire des civilisations anciennes, du Proche-Orient toute
lEurope (29). Pour autant, cette nouvelle tendance na pu ignorer les travaux
antrieurs : au contraire mme, fondant manifestement ses thses sur ces derniers,
elle est parvenue laborer une vritable histoire stylistique de lart, dont les termes
principaux restaient Rome et la Grce, au-del desquels les tmoignages de lactivit
26. Giovanni SULPIZIO DA VEROLI, Vitruvii Pollionis de Architectura libri decem, Rom, G. Herolt, 1486.27. Janus GRUTER, Inscriptiones antiqu totius orbis romani in corpus absolitissimum redact, Heidelbergue,
ex officina Commeliniana, 1602-1603.28. mile de Lorraine (1719), Charles III de Bourbon (1739).29. Cf. notamment Anne-Claude-Philippe de Tubires-Grimoard de Pestels de Levis, comte de CAYLUS,
Recueil dantiquits gyptiennes, trusques, grecques et romaines, Paris, Dessaint et Saillant, 1752-1767(7 vol.). Cest aussi la premire Histoire de lart chez les Anciens de Johann Joachim WINCKELMAN,Geschichte der Kunst des Alterthums, Dresden, Walther, 1764.
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humaine se concentraient sous la forme dun certain nombre douvrages jugs de
valeur moindre, quil ne paraissait pas toujours ncessaire par consquent de signaler.
Si la rfrence lAntiquit apparait ainsi avoir t longtemps le prambule
de toute histoire de lart, elle nen a pas moins t lorigine exclusivement celui de
son enseignement. La notion mme de rfrence serait alors comprendre non
pas comme une volont dimiter ni de reprendre des thmes ou des manires de faire
des Anciens, mais bien comme une sorte de tremplin, fondement partir duquel il
devait tre possible aux architectes de la Renaissance de rgnrer lart de btir. Les
termes d imitation et de modle en seraient de ce fait trs proches, et
apparaissent ds lors comme le pralable de tout trait dart de cette poque.
Paradoxalement en un sens, ltude de larchitecture antique sest avre par l
mme oriente : explications, descriptions, reprsentations, restitutions taient effec-
tues jusquau XVIIIe sicle en fonction de larchtype moderne cr partir de
cette rfrence ; linterprtation de certains vestiges sen trouvait parfois du mme
coup inflchie. Davantage encore, toute imperfection, toute singularit perue dans
les relevs, notamment ddifices situs hors de Rome, tait reprise et explique
comme telle. En dautres termes, le modle qui navait dautre ambition que de
guider lartiste dans ses projets modernes sest trouv servir lantiquaire dans liden-
tification et la dfinition gnrique de monuments dorigine romaine, jusqu forcer
la description de certains dentre eux.
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30. Respectivement, Orange et Saint-Andr-sur-Cailly en Seine-Maritime, Neung-sur-Beuvron enLoir-et-Cher, Nris-les-Bains dans lAllier, Paris.
1. Les vestiges romains en France aux XVIe et XVIIe sicles.
On saccorde dire que ltude des Antiquits sest dveloppe dabord en Italie,
et plus particulirement Rome par la richesse de ses vestiges. La France parait navoir
reconnu ses uvres anciennes quaprs le XVIe sicle. L comme ailleurs, les
monuments romains ont subi diverses vicissitudes aprs les IIIe et IVe sicles: patrimoine
intgr dans la vie quotidienne, ils ont t dtruits, abandonns, ou totalement
restructurs. Il nen reste pas moins quun certain nombre dentre eux parait manifes-
tement avoir t gard en mmoire, comme en tmoigne parfois la toponymie: les
places fortes, les chteaux, quelquefois mme les carrires ont conserv soit le nom
commun de ldifice sur lequel ils se sont tablis, soit le souvenir de son poque
exemples frappants, les amphithtres et certains thtres, appels, depuis le Moyen
ge, Cirque , Areines , Parc des Arnes , Clos des Arnes (30), le Palatium
Galiene Bordeaux ayant gard son nom d Arenes jusquen 1367 , alors que
parfois rien ne laissait plus entrevoir leur existence.
Considrs en effet essentiellement comme structures architecturales, la plupart
de ces difices ont t volontairement dtruits et dmantels, les matriaux
recherchs pierres de taille, marbres servant en remploi dans de nouvelles
constructions, tandis que dautres, situs hors des agglomrations modernes, ont t
purement et simplement laisss labandon. Quelques-uns, les plus notables tels que
temples, thtres, amphithtres, arcs de triomphe, ont toutefois pu tre rutiliss et
ramnags en fonction des besoins du moment, sans tenir compte de leur
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organisation originelle, ou ont vu sinscrire dans les nouveaux agencements, sans
cohrence apparente si ce nest peut-tre esthtique, leurs lments baies, niches,
colonnes, chapiteaux , que lon retrouve encore parfois dans les immeubles
modernes. Rutilisation, rcupration, destruction ou abandon se doublaient en outre
souvent, selon P. Pinon, de dispositions politiques et religieuses : la volont de chris-
tianiser ces vestiges paiens aurait favoris, quand ce ntait pas de manire drastique
la destruction acharne ainsi que le rapporte la tradition au sujet du thtre dArles,
limplantation dglises lintrieur mme des monuments ramnags (31).
Il est patent nanmoins que ces monuments antiques nont jamais inspir une
complte indiffrence : en croire les rudits des XVIe et XVIIe sicles, certains dentre
eux taient en effet mentionns, certes de manire succincte et sans aucune
description prcise, dans tous les lieux de lHistoire et les actes du Moyen ge,
tmoignant par l de leur renomme (32). Davantage encore, il semble que sest opr,
ds la fin de lAntiquit, un clivage entre dun ct lutilisation et lintgration de
ces vestiges dans la vie quotidienne, dans une perspective strictement utilitaire de
remploi ou de ramnagement pratique, de lautre une rminiscence de certains
dentre eux, travers les crits historiques. Or, ce clivage offre par l mme lexpli-
cation de ltat de conservation de ces vestiges romains, souvent fort dgrads,
gnralement dstructurs, aux lments dsarticuls. Ne trouvant aucun vritable
cho sur le terrain avant la fin du XVIIIe sicle, les tudes plus prcises et les tenta-
tives de restitution sur papier descriptions, reprsentations, interprtations ,
qui se sont dveloppes partir du XVIe sicle, en ont forcment pti dans la mesure
o ntaient justement connues de ces monuments que des structures parses
souvent difficiles reconstituer en un ensemble cohrent.
31. Pierre PINON, Rutilisations anciennes et dgagements modernes de monuments antiques : Nmes,Arles, Orange, Trves , in Csarodunum, suppl. n 31, 1979, p. 81.Il apparait sduisant de rapprocher un tel phnomne de celui des incrustations de croix chrtiennessur de nombreux morceaux de sculptures paiennes quoiquil puisse sans doute sexpliquer diff-remment, en tout cas pour les difices transforms en chteaux, puis en quartiers dhabitations :cf. infra, II. 1. a.
32. Voir notamment Jacques DEYRON, Des Antiquitez de la ville de Nismes, Nismes, Jean Plasses, impr. dela ville, 1663, chap. XVII, p. 96.
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33. Sur la rutilisation de structures ramnageables , cf. infra, II. 1. a.34. On retrouve cet argument de manire trs prcise ds le premier compte rendu de sance (le dernier
jour de dcembre 1671 ) de lAcadmie Royale dArchitecture cre par Colbert, alors surintendant desBastimens cf. infra, I. 2. c., pp. 184-185 , ainsi que tout au long des textes officiels prcdant la miseen place du service des Monuments historiques cf. infra, II. 2. b.
35. Les caractristiques des difices anciens juges remarquables se limitaient alors essentiellement,en France, lordonnancement des faades : cf. infra, I. 2. c., pp. 185-187.
36. Sur ltude de larchitecture antique en Italie, cf. infra, I. 2. a. et b.
1. a. Lexemple des difices de spectacles.
Mme si certains vestiges taient parfaitement connus, mme si dautres ntaient
en fait jamais rellement sortis de la mmoire collective, le nom du lieu-dit ayant
gard le souvenir de leur existence, on ne sest intress en France aux difices
antiques nationaux en tant quils sont antiques, cest--dire considrs comme
appartenant une civilisation et une poque particulire, hritire de Rome, et non
plus essentiellement en tant que structure amnageable (33) qu partir de la fin du
XVIe et du dbut du XVIIe sicles. Cet intrt parait tout de mme avoir t cibl : il
ne sagissait pas de nimporte quels vestiges, mais des plus remarquables arcs de
triomphe, faades monumentales, ou belles pices de sculpture telles que chapi-
teaux, statues, etc. , jugs conformes au bon goust et aux bonnes choses de
lart (34). Il importait manifestement peu en outre, ce moment-l, den connaitre de
faon prcise lhistoire. Ds lors, lintrt concd aux ordonnances architecturales
anciennes parait stre partag : les structures rutilisables dans les nouveaux
btiments comptaient peu en soi aux yeux des rudits qui ne sen souciaient gure,
face celles dont les qualits esthtiques et constructives passaient pour tre dignes
dtre signales. Pour figurer parmi les pices remarquables, les fragments de
monuments devaient en effet prsenter un minimum dlments particulirement
vocateurs des caractristiques architectoniques propres lAntiquit (35).
La valeur accorde ces vestiges parait cependant, cette poque, moins
sintgrer dans une tude globale de larchitecture antique classique, comme ctait
le cas en Italie (36), que dans une volont daffirmer lorigine prestigieuse des villes qui
les possdaient. Il semble en effet quil a fallu prouver lhritage romain de la Gaule
avant de pouvoir tudier vritablement ses monuments et leur concder limpor-
tance qui devait leur revenir. Certes, les premires monographies ont tent de faire
remonter la fondation des principales villes franaises aux temps les plus reculs,
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preuve de leur valeur : Arles aurait ainsi t btie par les gyptiens (37), voire par les
Hbreux ou les Troyens (38), ou tout simplement par ses propres habitans, cest--dire
les anciens Gaulois 3. ou 4. sicles aprs le dluge (39) ; Nimes devait sa fondation
Nemausus, fils dHercule (40). Il nen reste pas moins que larrive des Grecs, puis celle
des Romains, apparait dans tous les ouvrages comme un point capital dans lhistoire
de ces agglomrations : les uns comme les autres auraient en effet rendu la vie de
nos premiers habitans [] plus humaine (41), tmoins les uvres crites et les ouvrages
dart quils nous ont transmis. Il nest pas un auteur qui nait lou plus particuli-
rement la gloire, la vertu, la puissance, la richesse du monde romain, lui confrant
ainsi l admiration de tant de sicles (42) et, au-del mme, l immortalit (43) :
Tant de grands hommes sortis de leurs riches parvis, sont des flambans luminaires,
qui ont paru dans le Firmament de la vertu, pour esclairer de la lueur de leurs belles
actions tous les habitans de la terre: Ce sont les grands publicateurs de la Majest de
leur nom; les tmoins irreprochables de la hautesse de leur gloire ; & les trompetes
resonantes, qui fairont jamais retantir le bruit de la puissance de leur empire (44).
Quelle que soit leur origine en effet, si ancienne soit-elle gyptienne, grecque,
ou encore indigne , les cits importantes du royaume de France napparaissent,
travers les diffrents ouvrages, devoir leur dveloppement particulier et leur
gloire quaux Romains. Ces derniers taient considrs de leur temp les plus sages
37. Noble Lantelme de ROMIEU, Discours sur les antiquits & lamphitheatre dArles, tir des manuscrits deNoble Lantelme de Romieu et de Monsieur le Conseiller Terrin, lan 1715, par F. P., AntiquairedArles, manuscrit conserv aux Archives dp. des Bouches-du-Rhne [1 F 33/11].
38. ANONYME, Fiairt des Antiquitez de la ville dArles, sans date, manuscrit conserv aux Archives dp. desBouches-du-Rhne [1 F 33 / 36] : Quelques vns disent quelle fut batie par les ebreux, & quAreli dont il estparl dans la genese en ietta les premiers fondemens. Les autres veulent quelle fut construite par les troyens, &par Arelon neueu du roy priam . Dans son Discours sur les antiquits, op. cit., N. L. de ROMIEU reprendcette hypothse son compte et renvoie explicitement la Gense, chap. 46, vers. 16.
39. ANONYME, Fiairt des Antiquitez de la ville dArles, op. cit.Charles Joseph, Chevalier de ROMIEU renvoie Isidore, chap. I. L. 15 daprs Le Portefeuille duChr. de R***. Premier caier. De ce quil y a de remarquable Arles, Arles, chez Gaspard Mesnier, Impr. duRoy et de la ville, 1726, p. 32.
40. Jean POLDO DALBENAS, Discours historial de lAntique & illustre cit de Nismes, en la Gaule Narbonoise, auecles portraitz des plus antiques & insignes bastimens dudit lieu, rduitz leur vraye mesure & proportion,ensemble de lantique & moderne ville, Lyon, par Guillaume Roville, 1560, chap. IV, p. 11.Origine reprise par Anne de RULMAN, Inuentaire particulier de lhistoire de Nismes, depuis Nemausus quila fonda, lEmpereur Adrian qui lillustra de ses antiques Edifices, le dernier comte Remond qui rebastit sesMurailles modernes & Roy de france, enrichi de figures du corps de la ville & de ses plus importantes pieresantiques & modernes, Paris, impr. Jean Hubj, 1627, Premire relation , f 21.Cf. aussi J. DEYRON, op. cit., Chapitre premier, p. 3.
41. Joseph de LA PISE, Tableau de lhistoire des Princes & Principaut dOrange, la Haye, impr. ThodoreMaire, 1639, p. 5.
42. Pre Joseph GUIS, Description des Arenes ou de lAmphitheatre dArles, Arles, Fr. Mesnier impr. du Royet de la ville, 1665, ddicace.
43. J. de LA PISE, op. cit., p. 13.44. IDEM, ibidem.
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45. J. DEYRON, op. cit., chap. VI, p. 37.46. J. de LA PISE, op. cit., p. 13.47. Joseph SEGUIN, Les Antiquitez dArles traitees en matiere dentretien & ditineraire o sont decrites plusieurs
nouvelles decouvertes qui nont pas encore veue le jour, Arles, chez Cl. Mesnier, 1687, prface, p. 1.48. Outre les polmiques que la Vnus dArles a suscites sur son identification cf. infra, I. 1. c.,
pp. 76-79 , ces deux sculptures ont fait, ds le XVIIe sicle, lobjet de nombreuses comparaisonsavec la statuaire grecque et romaine : parmi les ouvrages abordant cette polmique, cf. AntoineAGARD, Discours & roole des medailles & autres antiquitez tant en pierreries, grauures, quen relief & autrespierres naturelles & admirables plusieurs figures & statues de terre cuite lgyptienne & plusieurs raresantiquits qui ont t recueillies & present ranges dans le cabinet du sieur Antoine Agard maistre orfure& antiquaire de la ville dArles en Prouence, Paris, 1611 ; Franois de REBATU, La Diane & le JupiterdArles se donnans cognoistre aux esprits curieux, Arles, F. Mesnier, 1656 ; IDEM, De la comparaisondArles & de Rome, Arles, 1617 ; Claude de TERRIN, Entretien de Muse & de Callisthne sur la prtendueDiane dArles, Arles, J. Gaudiou, 1680 ; IDEM, Mmoire sur le thtre dArles , in Journal desSavants, t. XII, 1684, pp. 51-52 ; Antoine GRAVEROL, Dissertation sur la statue qui estoit autrefois Arles& qui est present Versailles, Nmes, 1685.
49. N. L de ROMIEU, Discours sur les antiquits, op. cit.50. J. DEYRON, op. cit., chap. XII, p. 64.
hommes de la terre (45), dans la mesure o, avec les progrs & accroissements de leurs
aages [ils ont su] esleu[er] leur empire vn eminent feste de gloire, par dessus tous les
autres de la terre (46). Cest ainsi qutablie par les anciens Gaulois , puis occupe
par les Grecs de Marseille, Arles naurait pourtant tir sa gloire que du grand
nombre de Priuileges dont elle fut enrichie par les Empereurs Romains (47), tmoins les
vestiges imposants qui ont su rsister aux invasions barbares. Plus accessible peut-
tre par sa proximit dans le temps et dans lespace que la grecque ou lgyptienne,
la civilisation romaine pouvait apparaitre de fait comme la plus prestigieuse, par la
somme douvrages quelle a su ou pu laisser derrire elle.
Le Midi de la France parait avoir reprsent, dans lesprit des savants du XVIe sicle,
un territoire privilgi de lEmpire romain, la Narbonnaise: premire rgion de la
Gaule soumise Rome, elle tait en effet considre comme tout fait romanise , ce
dont devaient tmoigner, outre les rcits des Anciens dont les propos logieux les
plus souvent cits sont ceux dAmmien Marcellin, de Pomponius Mela, de Pline
lAncien, de Csar , une importante statuaire digne de celle dItalie, telle que le
Jupiter et la Diane-Vnus exhume aux pieds des deux Veuves du thtre dArles (48),
ainsi que les restes de monuments quon pouvait y trouver, considrs, au vu de la
riche facture des entablements notamment, comme de construction strictement
romaine. Il ne sagissait certes, pour ces derniers, que de vestiges, ddifices en grande
partie dtruits, mais ces ruines semblaient dmontrer, plus que partout ailleurs en
France, dans leurs fragments imposants et stables, une puissante empreinte; elles
attestaient lexistence de superbes bastimens rigs par les Romains pour embellir
leurs principales colonies (49), petits simulacres des villes qui les auaient enuoys (50) ;
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davantage encore, elles paraissaient avoir dfi les mfaits du temps et des hommes,
et incarnaient par l mme, aux yeux des rudits, le simbole de l[a] magnificence de
Rome (51). En effet, si
leurs bastimens ne se peuvent voir quen partie, aussi leurs antiquits ne se
peuvent rencontrer partout comme leur vertu, estant restraintes dans les lieux qui en
ont est honors : mais aussi ont-ils cette prrogatiue, par dessus les autres moyens
de la grandeur romaine, que de les avoir surmonts en dure (52).
Parmi les villes de la province de Narbonnaise, Arles, Orange et Nimes
tiennent une place pour le moins avantageuse. Fondes dans la deuxime moiti
du Ier sicle avant notre re, avec Frjus, Valence, Vienne et Carpentras, et aprs
Aix, Narbonne et Bziers, elles ont eu pour elles de conserver, visibles et dans des
conditions assez extraordinaires, une partie de leurs monuments antiques. Les
ouvrages des XVIe et XVIIe sicles les ont considres pour cela comme les plus
anciennes et les plus admirables de toute la Gaule, mettant en avant, pour
appuyer leur discours, la prsence de ces vestiges imposants, dignes de la
renomme de lEmpire romain. Orange se rvlait ainsi remarquable par le
Cirque & Theatre & [] lArc triomphant que lon voit encor entier dans lenclos des
vieilles murailles de ladite ville (53), ces beaux & somptueux monuments des antiquits
Romaines, qui semblent avoir voulu combatre le temps, par leur dure (54) ; Arles ne lui
cdait en rien par maints beaux & somptueux difices dont les Romains lavaient
orne (55), et que sont Temples, Capitole, Palais, Oblisque, Aqueduc & autres ouurages
magnifiques dont il se voit encore les vestiges (56) ; Nimes, enfin, construite sur sept
collines et dont les lieux ioignant lamphitheatre sont appells Campus Martius (57),
tait perue comme labreg de Rome (58), et comptait parmi les superbes
monumens de la plus grande gloire des Romains , la Maison quarre et le plus
entier et maiestueux amphitheatre de lUniuers (59).
51. J. de LA PISE, op. cit., p. 13.52. IDEM, ibidem.53. Description des antiquitez de la ville & cit dOrange revue & corrige par douard Raban, Orange, chez
lauteur, 1681, p. 7.54. J. de LA PISE, op. cit., p. 6.55. N.L. de ROMIEU, Histoire des antiquitez dArles ou plusieurs crits & pitaphes antiques trouuez la mesmes
& autres lieux, 1574, manuscrit conserv Leyde, et rapport par Louis BONNEMANT, RecueildAntiquits, 1790, conserv la Mdiathque dArles [ms 240].
56. N. L de ROMIEU, Discours, op. cit.57. J. POLDO DALBENAS, op. cit., chap. VI, p. 22.58. A. de RULMAN, op. cit., Advis , f 10.59. IDEM, ibidem, ddicace au Roi, f 5.
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60. Cf. ce propos, notamment Pierre PINON, Approche typologique des modes de rutilisation desamphithtres de la fin de lAntiquit au XIXe sicle , in Spectacula I, Gladiateurs et amphithtres,Actes du colloque tenu Toulouse et Lattes les 26, 27, 28 et 29 mai 1987, Lattes, ditions Imago,1990, pp. 103-127. Lauteur cite, propos des temples christianiss , Giuseppe LUGLI, Latrasformazione di Roma Pagana in Roma Cristiana , in Rendiconti. Accademia dei Lincei, t. VIII, n 4,1949, pp. 3-16, et mile MLE, La Fin du paganisme en Gaule et les plus anciennes basiliques chrtiennes,Paris, Flammarion, 1962, pp. 31-67.
61. J. POLDO DALBENAS, op. cit., chap. XXIII, p. 125.62. Sur lutilisation de ces difices depuis les invasions des IIIe-VIIIe sicles, cf. infra, II. 1. a.63. Juste LIPSE, De Amphitheatro Liber, in quo forma ipsa Loci expressa et ratio spectandi cum neis figuris,
Antuerpi, apud Christophorum Plantinum, 1584, chap. II-III, pp. 12-15.Sur la description des difices de spectacles romains et le vocabulaire utilis, cf. infra, I. 1. b. et I. 1. c.Sur les raisons de ltude de ces difices aprs le Moyen ge, cf. infra, I. 2. c.
Expose aux invasions franques et alamanes ds le IIIe sicle, puis sarrasines, la
rgion du sud-est de la France a certes subi des destructions massives jusquau
VIIIe sicle, mais paradoxalement, notamment en intgrant trs tt dans lorgani-
sation urbaine de ses cits quelques-uns des difices publics romains, tels que les
arcs de triomphe transforms en bastions, ou en palais comme Orange, les
temples en glises (60), voire certains fragments, tels que lentre sud du thtre
dArles, isole et devenue citadelle, elle a pu du mme coup conserver en grande
partie les structures densemble de ces derniers, souvent sur une hauteur de plus de
25 m sur lextrieur, soit quasiment la totalit de leur faade.
En matire ddifices de spectacles, les structures les plus remarques ont t,
mme avant quon ne les tudie rellement, celles des amphithtres, par
lampleur manifeste de leur enceinte au volume imposant. Leur forme compacte
en effet tout entour[e] de murailles (61) , pouvait particulirement sadapter
leur amnagement en bastions ou places fortes (62), contrairement aux cirques
celui dArles comme celui de Vienne qui, sans doute la fois par leur situation
hors de la ville et leur configuration trop allonge moins propice ce genre de
conversion , ont t dtruits ou abandonns. Par la suite, il semble que la
spcificit formelle de ces difices, travers sans doute leurs transformations et
leur tat de conservation, a t lorigine de la valeur particulire qui leur a t
concde, en matire darchitecture antique, par les rudits des XVIe et
XVIIe sicles. Cit par tous, Juste Lipse avait consacr un ouvrage entier lamphi-
thtre romain, btiment quil considrait comme dautant plus singulier quil
tait inconnu son poque. Lauteur soulignait non seulement loriginalit de sa
forme ovoide, mais aussi celle de lagencement de sa cavea, concave et ouverte,
enveloppant une aire centrale situe en contrebas (63). Il insistait en outre, dans
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son second livre, sur son expansion travers lensemble des anciennes provinces
romaines (64), voquant mme, pour la Gaule, celui dArles inaccessible, mais
suffisamment complet (65) ainsi que celui de Nimes, plus clbre selon lui, y
consacrant un chapitre entier (66). sa suite, les savants ont su appuyer la
renomme de leur ville sur la prsence entre toutes des restes dun amphithtre,
considr comme un si rare Ornement (67) : estimant que les ruines des
Amphitheatres s[ont] les plus dignes obiets de l[a] curiosit [ des Genies les plus
clairez ], estant les plus magnifiques monumens de lantiquit (68), le Pre J. Guis a
pu ainsi prtendre que celui dArles qui, sil ne savait pas certainement qui la
fait btir , avait nen pas douter plus de quatorze cens ans dAntiquit (69), tait
des premiers entre ceux dont lindustrie des Romains embellit les Gaules , faisant
de la ville dArles la plus ancienne et prestigieuse de la province. Avant lui dj,
J. Poldo dAlbenas avait affirm que lamphithtre de Nimes avait est fait si
magnific, somptueux, & grand, par qui que ce soit, pour monstrer la grandeur, &
excellence de la ville (70). Lexception du thtre dOrange, pendant longtemps
identifi comme un vritable cirque (71), apparait mme travers cet argument :
le manuscrit de . Raban considrait en effet que les monuments antiques de la
France ne sont presque tous que des Amphitheatres [] en sorte qu peine on
pourroit trouuer vn autre Cirque ou Theatre, que celuy de la ville dOrange , et a fait
son tour de cette dernire la plus ancienne ville de toute la Gaule (72) ; J. de La
Pise allait au reste encore plus loin, puisquil jugeait l admirable forme de cet
difice comme tant la premiere invente, mesmes avant les Amphitheatres , et
considrait ce dernier, avec le grand Arc Triomphal , comme les tmoins
irrprochables, de lanciennet de la ville dOrange, en son commencement & en son
origine, en sa grandeur & en sa magnificence (73).
64. Juste LIPSE, De Amphitheatris qu extra Romam Libellus. In quo Form eorum aliquot et typi, Antuerpi, apudChristophorum Plantinum, 1584, chap. I, p. 7: Amphitheatra crebra admodum in provinciis fuisse .
65. IDEM, ibidem, chap. I, p. 9 : etiam esse auint, sed parum integrum .66. ID., ibid., chap. V, p. 20 : Noti hoc nominis & celebris, non per Galliam solm, sed per Europam . Sa
description, accompagne dune lvation, reste succincte, mais tmoigne de limportance qui luitait accorde.
67. P. J. GUIS, op. cit., Chapitre second, pp. 3-4.68. IDEM, ibidem, ddicace.69. ID., ibid., Chapitre troisieme, p. 5.70. J. POLDO DALBENAS, op. cit., chap. XXII, p. 122.71. Sur les questions didentification de ce cirque-thtre dOrange, et sur la dfinition donne, cette
poque, aux termes de thtre et d amphithtre , cf. infra, I. 1. c., pp. 80-86.72. Description des antiquitez de la ville & cit dOrange par douard Raban, op. cit., p. 8.73. J. de LA PISE, op. cit., p. 6.
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74. P. J. GUIS, op. cit., Chapitre troisieme, p. 5.75. Juste LIPSE, De Amphitheatris qu extra Romam Libellus, op. cit., chap. I, p. 7: Si difici aut publici operis
vllum genus crebrum in Italia et prouinciis fuit: reperies hoc fuisse quod ad ludos []. Itaque Theatra, Circi, Stadiaextructa passim: sed imprimis Amtra, quia omnis plebs dedica maxim in spectaculis illis crudis et cruentis .
76. J. de LA PISE, op. cit., p. 6.77. Juste LIPSE, De Amphitheatris qu extra Romam Libellus, op. cit., chap. I, p. 7 : raram aliquam siue
coloniam siue municipium fuisse, in queis non et ludi isti, et ludorum simul sedes []. Itaque vix aliquaprouincia etiam nunc est, in qua non vestigia Amphiorum .
78. P. J. GUIS, op. cit., Chapitre troisieme, p. 6.79. J. POLDO DALBENAS, op. cit., chap. XXIII, p. 123.80. J. de LA PISE, op. cit., p. 6.
Outre leur anciennet, tenue entre les principales qualitez des excellens ouurages (74), la
fascination exerce par les amphithtres trouvait sa justification dans leur affectation.
Juste Lipse invoquait ainsi la place de premier ordre alloue, selon lui, dans la socit
romaine aux monuments rservs aux jeux, y compris dans les provinces, lamphi-
thtre tenant une position singulire par les jeux sanglants qui sy droulaient (75).
Dfinis comme lieux destins pour les delices, & pour le contentement du peuple (76), ces
difices apparaissaient, aux yeux des auteurs de cette poque, non pas toutefois
comme de simples centres de distraction, mais davantage comme un instrument
politique. Ralliant Juste Lipse, selon qui les Romains nenvisageaient gure leurs cits,
quelles quelles fussent, sans lieu de jeu (77), le Pre J. Guis pouvait en effet affirmer quils
enuoyoient rarement des colonies dans les prouinces qui releuoient de leur Empire, quils ne
leur fissent btir des Amphitheatres, & donner des ieux en mesmes teps (78). Cette prtendue
systmatisation tait explique comme les tenants et aboutissants dune stratgie de
domination, dasservissement et de contrle: offrir des spectacles grandioses aux
populations vaincues devait permettre la fois de les occuper et de leur donner une
image favorable des vainqueurs, de sorte les dtourner de toute volont dinsur-
rection. J. Poldo dAlbenas y voyait en effet vn des principaux moyes, que les grandz &
ambitieux citoyens auoyent, pour gaigner le cueur du populaire (79). Plus encore, consi-
drant les Romains comme trop bon politiques, pour nen practiquer destrement lvsage,
envers ceux de leur nouvelle conqueste , J. de La Pise allait jusqu affirmer explicitement
que cest vn grand secret qui veut empieter le commandement souverain sur vn peuple que
de le plonger dans le luxe, affin dy noyer en suyte tout doucement sa libert (80).
Les vestiges des amphithtres rendaient ainsi compte, a posteriori, non
seulement de la puissance de Rome, mais du rayonnement de ses spectacles
grandioses. Instruments politiques de domination, les jeux pouvaient apporter,
qui les offrait, autorit et renomme. Franois Ier ne sy tait pas tromp, qui avait
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souhait rorganiser de somptueux spectacles dans lenceinte de lamphithtre
dArles (81). On raconte dailleurs ce propos la colre du roi qui, lors dun voyage
dans le sud de son royaume en 1533, tait mont sur une tour Arles pour admirer
lamphithtre, et devant la dgradation et lemprise des habitations sur ldifice,
temoigna beaucoup de dplaisir, de ce quon nauoit pas e assez de soin de le conseruer
en son premier estat (82). Fiers et glorieux, de posseder dans leurs [sic] Royaume ce grand
Ouurage de lIndustrie, & de la Magnificence des Anciens , tous les rois de France, en
croire le P. J. Guis, avaient dailleurs eu le dsir de le dgager : Henri IV aurait ainsi
donn lordre Messieurs de la Ville de faire demolir les maisons dont elles sont remplies,
de faire de cette place vn lieu Public, & deleuer au milieu la Pyramide de la Roquette (83).
Il en tait de mme des arnes de Nimes, pour lesquelles Franois Ier encore, lors du
mme voyage en 1533, aurait formul un souhait similaire de les voir rendues leur
tat primitif , cest--dire dgages des habitations parasites (84).
Pourtant, pour grande quait t lattention porte ce genre de monuments,
aucune action na jamais t, cette poque, entreprise pour accder ce mouvement
de sauvegarde. Discours et pratiques apparaissent ainsi en quelque sorte contra-
dictoires dans ce que lintrt pour ce type de vestiges nenrayait pas ncessairement
le processus de leur destruction, naturelle ou humaine . Dmuni face aux
dsastres provoqus par la puissance destructrice du temps, qui duore sans aucun
respect tout ce quil y de plus rare dans lArt & la Nature (85), le XVIIe sicle dplorait
certes ltat des difices romains parvenus jusque l de manire fragmentaire. Pour
autant, si larchitecture antique pouvait tre admire dans ce quelle paraissait, par
certains aspects, avoir dfi le temps, notamment travers ces colosses que sont les
amphithtres, elle nen restait pas moins paradoxalement la proie : ainsi que le faisait
remarquer avec amertume Joseph Seguin, leur ruine nous fait bien voir que les
Romains nont pas eu le succez quils esproient de leurs superbes ouurages, car croyant par
la solidit de ces grands difices de nous laisser des marques de leur grandeur humaine, &
81. Daprs N.L. de ROMIEU, Histoire des antiquitez dArles, op. cit.Sur le dsir de rutilisation des amphithtres pour des spectacles grandioses, cf. infra, III. 1. a.
82. P. J. GUIS, op. cit., Chapitre second, p. 3, renvoie N.L. de ROMIEU, Histoire, op. cit.83. IDEM, ibidem, Chapitre second, p. 3.84. A. de RULMAN, op. cit., Premire relation, f 10.85. P. J. GUIS, op. cit., Chapitre troisieme, p. 5.
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86. J. SEGUIN, op. cit., p. 43.87. Dcision du Conseil municipal, 1684 [arch. mun. dArles, BB 28, fol. 494.88. P. J. GUIS, op. cit., Chapitre seizieme, p. 32.89. Sur lide et la valeur accorde la ruine, et sur la notion de bti par opposition l objet ,
cf. infra, II. 1. a.90. Sur limportance accorde la proportio et la simmetria dans les traits darchitecture au dtriment de
lagencement intrieur des difices, cf. infra, I. 2. a., pp. 118-122.91. Sur les premires fouilles du thtre dArles, cf. infra, I. 3. c., pp. 35-36.
dterniser leur mmoire, ils nous ont donn au contraire la preuue de la corruption de toutes
les choses de la terre (86). Paralllement aussi se pratiquaient encore des destructions
volontaires, comme aux sicles prcdents, dans un simple but utilitaire, soit de ruti-
lisation des structures existantes, soit damnagement de lespace urbain moderne. Il
nest que de rappeler les dispositions des Consuls de la ville dArles, au dbut du
XVIIe sicle, qui soutenaient la conservation des objets antiques trouvs divers
endroits de lancienne colonie, et ordonnaient en mme temps la destruction dun arc
de triomphe, appel porte Saint-Martin , quils estimaient gner la circulation (87).
Dans le mme ordre dide, le P. J. Guis regrettait certes ltat de lamphithtre de
cette mme ville, mais lexcusait par la necessit des temps, qui souuent oblig
Messieurs les Consuls de permettre que lon y btist (88). Aucun roi par ailleurs, malgr
ses fortes aspirations, navait su obtenir ou peut-tre en dfinitive, navait
rellement voulu obtenir de faon effective, le dgagement ni des arnes dArles
ni de celles de Nimes, et moins encore du thtre ou Cirque dOrange.
Cette apparente contradiction trouve nanmoins son explication dans lintrt
prdominant donn, cette poque, aux objets au dtriment de larchitecture en
tant que bti (89) qui tenait alors une place part par son rle mme: les difices
anciens importaient davantage pour leurs dcors et leur ordonnance, moins pour leurs
structures (90). Jusqu la fin du XVIIIe sicle, le thtre dArles a ainsi subi, dans sa partie
basse encore