Terminologie et traduction
Mmoire de n dtudes Master Traduction Vincent Evers (numro dtudiant : 3330907) Sous la direction du Professeur Dr. Maarten B. van Buuren Universit dUtrecht, Facult de Lettres Dpartement de langue et culture franaises mars 2010
Table des matires INTRODUCTION ................................................................................................................................. 1 CHAPITRE 1 : Terminologie et langue de spcialit ................................................................... 3
Introduction .................................................................................................................... 3
1.1 Une approche fonctionnelle de la langue ...................................................... 4
1.1.1 Les fonctions de la langue selon Jakobson (1960) ................................. 4
1.2 Les langues de spcialit ................................................................................... 6
1.2.1 La langue de spcialit selon Kocourek (1991) ...................................... 7
1.2.2 Langue de spcialit et langue gnrale ................................................... 9
1.2.3 Caractristiques dune langue de spcialit ............................................. 9
1.3 Quest-ce que la terminologie ? .................................................................... 12
1.3.1. Mot vs. terme ................................................................................................. 14
1.3.2 Terminologie vs. lexicologie ........................................................................ 15
1.3.3 Terminologie vs. terminographie ................................................................ 17
1.3.4 Description vs. prescription terminologique ............................................... 17
1.4 Une terminologie de la terminologie .................................................. 19
Conclusion du chapitre .............................................................................................. 20
CHAPITRE 2 : Ltude de la terminologie .................................................................................... 21
Introduction ................................................................................................................. 21
2.1 Histoire de la terminologie ........................................................................... 22
2.2 La thorie wstrienne de la terminologie ........................................ 23
2.2.1 Qui tait Eugen Wster ? ......................................................................... 23
2.2.2 Des langues arti ............................................ 23
2.2.3 Les tudes terminologiques dans le monde .......................................... 25
2.2.4 Aperu du cadre thorique wstrien .................................................... 25
2.3 Critiques de la thorie wstrienne ............................................................. 27
2.4 Vers une thorie intgre de la terminologie ............................................ 30
2.5 Les tudes terminologiques sont-elles une discipline scienti que ? .... 31
2.5.1 Les questions de Holmes (1977) appliques la terminologie ........ 31
2.6 Interdisciplinarit des tudes terminologiques ........................................ 35
Conclusion du chapitre .............................................................................................. 39
CHAPITRE 3 : La terminologie comme outil pour la traduction ............................................ 41
Introduction ................................................................................................................. 41
3.1 Que reprsente un terme pour une traductrice ? ..................................... 42
3.2 Ressources terminologiques pour la traduction ...................................... 42
3.3 Lenqute : conception et mthodologie .................................................... 44
3.3.1 Le questionnaire ......................................................................................... 44
3.3.2 Choix des participants ............................................................................... 45
3.3.3 Droulement de lenqute ......................................................................... 45
3.4 Rsultats et analyse ........................................................................................ 45
3.4.1 Question 1 (intrt de la gestion terminologique) ..................................... 46
3.4.2 Question 2 (bases de donnes terminologiques personnelles) .................... 48
3.4.3 Question 3 (domaines de spcialit) ........................................................... 50
3.4.4 Question 4 (types dinformation enregistrs) ............................................ 52
3.4.5 Question 5 (organisation du travail terminographique) ......................... 56
3.4.6 Question 6 (formation) ............................................................................... 57
3.4.7 Question 7 (jugement personnel) ................................................................ 59
3.5 Analyse gnrale des rsultats ..................................................................... 59
3.6 Quelques pistes pour des recherches ultrieures ..................................... 60
CONCLUSION GNRALE ........................................................................................................... 61 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................... 63 ANNEXES .............................................................................................................................................. 69
Annexe I : impressions crans et traduction de lenqute ............................... 69
Annexe II : rponses compltes (texte libre) de lenqute ................................ 79
Remerciements
Un grand merci :
mon directeur de mmoire, M. le professeur Van Buuren ;
MM. Attila Grg et Hennie van der Vliet du Steunpunt Nederlandstalige Terminologie ;
tous les participants lenqute ;
mes collgues de lagence de traduction DSK-Language Services1 et sa directrice, Mme
Beatrice Krger ;
mes amis et aux membres de ma famille,
pour leur aide et leur patience.
1 Godfried van Seijstlaan 53a
3703 BR Zeist (Pays-Bas) Tl.: +31 (0)30 696 14 14 www.dsk-langservices.com
1
Introduction
() der Ausbau der Gemeinsprache zu einem Przisionsinstrument.
() construire, sur la base de la langue gnrale, un instrument de prcision
Richard Baum : prface Wster (1991)
aire de la langue un instrument de prcision , voil lun des enjeux de la terminologie. Les
termes sont en quelque sorte des outils linguistiques : des mots dont le sens est trs
prcisment d ni, destins tre manipuls par des spcialistes a n de rendre leur communication
plus ef cace. Comme la plupart des textes traduire sont justement caractre professionnel, il est
vident que les traductrices2 sont concernes par les termes et doivent savoir comment les traiter.
Mais la terminologie est bien plus que cela. Les acceptations du mot terminologie sont multiples.
Que ce soit au niveau dune simple traductrice la recherche de la traduction parfaite pour un terme
donn, dun universitaire poursuivant des recherches pour comprendre le fonctionnement des termes
dans un texte, ou bien celui dun organisme national ayant pour mission de crer des termes
nouveaux, la terminologie est un phnomne pluriforme. Cest cette grande varit de pratiques et
de thories associes au mot de terminologie qui fait lobjet du prsent mmoire.
Celui-ci se veut la fois thorique et pratique, car les deux approches se compltent et
senrichissent mutuellement. Pour notre analyse, nous avons choisi dadopter une approche
fonctionnelle de la langue puisquune telle approche permet justement, notre avis, de (r-)concilier la
thorie et la pratique dans le domaine de la traduction.
Les deux premiers chapitres sont prdominance thorique. Le premier chapitre est en quelque
sorte un exercice terminologique appliqu au deux termes terminologie et langue de spcialit. Aprs
avoir ainsi clairci la polysmie notoire du mot terminologie, nous r chirons dans le deuxime
chapitre sur le statut de la terminologie comme champ dtude, avec une attention particulire pour
la question de savoir si lon peut quali er celui-ci de scienti que ou non.
2 Comme la plupart des traducteurs sont en fait des traductrices, nous utiliserons les formes fminines pour
indiquer tous les reprsentants, hommes ou femmes, de cette catgorie professionnelle.
F
2
Le troisime et dernier chapitre se concentre sur la pratique de la traduction professionnelle du
point de vue de la terminologie ; nous y prsenterons les rsultats dune enqute mene auprs dune
population de traductrices professionnelles au sujet de leurs habitudes en matire de terminologie.
Nous esprons, par ce mmoire, contribuer une meilleure comprhension de la relation entre
terminologie et traduction et, ce faisant, inciter les professionnels de la traduction r chir sur les
avantages que la gestion systmatique de la terminologie pourra ou ne pourra pas leur apporter.
3
Chapitre
1 Terminologie et
langue de spcialit
When I use a word, Humpty-Dumpty said in rather scornful tone,
it means what I choose it to mean, neither more or less.
Quand moi jutilise un mot , dit Humpty-Dumpty dun ton plutt mprisant,
il signi e ce que jai choisi quil signi e, ni plus ni moins
Lewis Carroll, Through the Looking-Glass (De lautre ct du miroir)
Introduction
1.1 Une approche fonctionnelle de la langue
1.2 Les langues de spcialit
1.3 Quest-ce que la terminologie ?
1.3.1 Mot vs. terme
1.3.2 Lexicologie vs. terminologie
1.3.3 Terminologie vs. terminographie
1.3.4 Description vs. prescription terminologique
1.4 Une terminologie de la terminologie
Conclusion
e premier chapitre est consacr la notion de terminologie . Cest une notion qui semble
simple et familire de prime abord : la terminologie dun domaine de spcialit, cest tout
simplement le vocabulaire propre ce domaine. Mais lorsquon y regarde de plus prs, le champ
couvert par ce mot est bien plus vaste que lon ne pourrait croire. Derrire le mot terminologie se
cachent en effet plusieurs notions distinctes, bien que relies entre elles. Lensemble de ces sens est
lie celui de langue de spcialit . Cest cette dernire notion qui sera donc tudier en premier.
Pour apprhender la langue et son fonctionnement nous avons choisi dadopter une approche
fonctionnelle. La premire section du chapitre prsente cette approche, en mettant laccent sur les
fonctions les plus importantes du point de vue de la langue de spcialit. La deuxime section traite
de la langue de spcialit et de ce qui la distingue de la langue gnrale. La troisime et dernire
partie du chapitre fera le point sur la notion de terminologie. Nous distinguerons toutes les notions
diffrentes indiques par ce vocable, pour en n proposer en n une nouvelle terminologie de la
terminologie destine viter toute ambigut et jetant ainsi les bases pour les chapitres venir.
C
4
1.1 Une approche fonctionnelle de la langue
La richesse de la langue fait la fois la joie et la frustration des professionnels du langage. Des
phnomnes comme la polysmie, les connotations, les jeux de mots et autres gures de style
rendent la traduction dif cile. Une langue fonctionne simultanment sur un si grand nombre de
plans diffrents quil est extrmement dif cile, sinon impossible, de rendre justice, dans une
traduction, toute la richesse contenue dans un texte.
Une issue possible cette dif cult consiste ne pas regarder le texte en lui-mme, avec les
multiples niveaux quil vhicule, mais les fonctions que le texte est cens remplir. Une telle analyse
fonctionnelle permet ensuite de distinguer les fonctions quil faut absolument prserver dans la
traduction de celles que lon peut ventuellement abandonner.
Lapproche fonctionnelle a t trs fructueuse en traductologie, comme lattestent les travaux de
chercheurs comme Hnig, Nord et Chesterman. Elle fournit non seulement un modle thorique
permettant de structurer la recherche scienti que, mais sert galement de base des schmas
heuristiques utilisables dans la pratique de la traduction (Hnig 1986).
Lobjet de ce mmoire est la terminologie et les langues de spcialit. Or, lexpression langue
fonctionnelle est parfois propose comme synonyme de langue de spcialit (Kocourek
1991:14). Mme si cette appellation nest plus trs courante, elle suggre nanmoins que la fonction
joue un rle primordial dans la d nition dune langue de spcialit. Voil pourquoi nous avons
choisi lapproche fonctionnelle pour aborder le domaine des langues de spcialit.
Un grand nombre de modles ont t proposs pour classi er les fonctions de la langue (cf. la
liste cite dans Kocourek 1991:58). La classi cation la plus connue est celle de Jakobson (1960) ; cest
sur celle-l que nous baserons notre analyse, tout en lenrichissant dune fonction supplmentaire.
1.1.1 Les fonctions du langage selon Jakobson (1960)
En 1960 le linguste russe Roman Jakobson formule un modle de la communication verbale qui
aura eu un grand impact par la suite. Jakobson base son modle sur une thorie datant de 1933,
formule par le psychologue Karl Bhler. Ce dernier distinguait trois ples dans chaque situation
communicative : lmetteur, le rcepteur et le message. Jakobson enrichit le modle de trois facteurs : le
contexte, le contact et le code, ce qui portait le total six facteurs dterminants dans chaque nonc
verbal. Ces facteurs sont reprsents dans le schma suivant :
CONTEXTE
EMETTEUR MESSAGE DESTINATAIRE
CONTACT
CODE
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Jakobson a ensuite li chaque facteur une fonction du langage. Il a ainsi distingu les fonctions
motive, conative, potique, rfrentielle, fatique et mtalinguistique, comme indiqu dans le schma
suivant :
fonction rfrentielle
fonction motive fonction potique fonction conative
fonction fatique
fonction mtalinguistique
La table suivante donne la description des diffrentes fonctions. Quelques-unes de ces fonctions sont
connues sous des noms diffrents ; si tel est le cas, les noms alternatifs sont indiqus entre
parenthses.
facteur nom de la fonction description
metteur fonction motive (expressive, affective)
exprime lattitude de lmetteur
destinataire fonction conative (injonctive, appellative)
les informations ayant pour objet le destinataire, par exemple lusage de limpratif
message fonction potique toute linformation rsidant dans les caract-ristiques formelles du message, par exemple rime et allitration
contexte fonction rfrentielle (informative, dnotative, cognitive)
toute linformation relative au contexte du message
contact fonction fatique tout ce qui sert maintenir le contact (voie de transmission et connexion psychologique) entre metteur et rcepteur
code fonction mtalinguistique des informations par rapport la langue du message, par exemple lexplication dun terme utilis
Daprs Jakobson, ces fonctions ne sont jamais isoles puisque tout nonc linguistique remplit
plusieurs fonctions la fois. Ces fonctions sont organises dans une relation hirarchique spci que.
Par exemple, deux noncs ayant tous les deux une composante motive et rfrentielle peuvent se
distinguer par limportance relative de ces deux composantes : dans le premier la fonction motive
peut tre prdominante et dans le second la fonction rfrentielle.
Kocourek (1991:62) signale l'existence dune fonction supplmentaire qui revt une importance
particulire pour les langes de spcialit : la fonction cumulative. Contrairement aux fonctions de
Jakobson, cette fonction nest pas une proprit dnoncs individuels, mais plutt de la langue (de
spcialit) tout entire. Elle indique le fait que la langue sert de lieu demmagasinage du savoir. Une
fonction similaire a t propose par certains thoriciens de la terminologie, qui considrent que les
concepts (reprsents par des termes) sont aussi des units du savoir ( Wissenseinheiten ) ou des
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units dacquisition du savoir ( Erkenntniseinheiten ) (Laurn et al. 1998:121). En effet, apprendre la
terminologie dun domaine de spcialit est en mme temps acqurir des connaissances sur ce
domaine lui-mme.
1.2 Les langues de spcialit
Lorsquon se pose la question de savoir ce que cest quune langue de spcialit, un premier
constat est le fait quil est extrmement dif cile de d nir ce que cest quune langue . La
langue nexiste pas ; ce que nous appelons communment langue, par exemple le franais ou le
nerlandais, est en ralit une abstraction qui passe outre un trs grand nombre de diffrences dans
la faon dont les gens communiquent par des moyens linguistiques. Une langue est caractrise, sur
le plan structurel, par un vocabulaire, une grammaire, une phontique, une phonologie, mais la
caractrisation dune langue comporte aussi une dimension politique, car une langue est
traditionnellement lie une nation, avec toutes les institutions (ducation, littrature, mdia,
acadmies) que cela prsuppose. Do la boutade connue, attribue au linguiste Max Weinreich, qui
veut quune langue nest, au fond, rien dautre quun dialecte avec sa propre arme .
Cela nempche qu lintrieur de ce quon appelle habituellement une langue, par exemple le
franais, on observe de la variation sur un grand nombre daxes : gographique (dialectes),
sociologique (sociolectes), professionnel (langues de spcialit). Des sources de variation
supplmentaires existent, par exemple la variation stylistique, mais il nest pas gnralement admis
que celles-ci d nissent des sous-langues part entire. Les domaines dans lesquels les sous-langues
se distinguent de la langue gnrale ne sont pas les mmes pour toutes. Ainsi un sociolecte ou un
dialecte possdent-ils le plus souvent des caractristiques phontiques particulires, mais cela nest
pas gnralement le cas pour les langues de spcialit. Nous verrons plus loin o se situent les
particularits propres ces dernires.
Certains auteurs proposent des termes comme technolecte , langue technique et
scienti que ou langue technoscienti que (Kocourek 1991:36) pour indiquer les varits de
langue utilises pour la communication professionnelle dans les domaines technique et scienti que.
Le terme langue de spcialit a pourtant une porte plus gnrale, puisquil regroupe les varits
de langue utilises dans nimporte quel domaine professionnel, quil soit technique, scienti que ou
autre, par exemple la langue juridique, la langue de la Bourse, celle des musiciens dorchestre, de lart
oral, de la pche Cest pourquoi nous opterons dans ce qui suit pour le terme langue de spcialit.
Une langue de spcialit est une varit de langue qui se distingue la fois par son objet, par ses
locuteurs et par les situations dans lesquelles elle est pratique. Elle se d nit en opposition la
langue dite gnrale ; cette dernire est, elle aussi, une abstraction, sans doute encore plus
dif cile cerner que nimporte quelle varit de langue (appele aussi sous-langue).
Comme nous avons vu dans la section prcdente, lun des facteurs qui rendent la langue si
dif cile cerner est le grand nombre de fonctions quelle remplit simultanment. Un seul nonc
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peut vhiculer plusieurs messages la fois : le message littral (fonction rfrentielle), une ou
plusieurs connotations, lattitude du locuteur par rapport au message (fonction motive), leffet vis
sur linterlocuteur (fonction conative), etc. Cette multitude de signi cations est inhrente la langue
et constitue une partie de sa richesse, mais elle peut aussi provoquer de lambigut et, de ce fait,
constituer un frein une communication ef cace, surtout dans des situations de communication
professionnelle.
Dun point de vue fonctionnel, une langue de spcialit vise optimiser la communication entre
spcialistes ou professionnels. Pour ce faire, le but est de contrler au maximum le sens. Cest
pourquoi, entre autres, les gures de style ny sont pas admis, ni les sous-entendus et autres
connotations : tout doit y tre clair et explicite.
1.2.1 La langue de spcialit selon Kocourek (1991)
Lun des chercheurs les plus in uents qui se sont penchs sur le phnomne des langues de spcialit
est le linguiste dorigine russe Rostislav Kocourek. Dans son ouvrage La langue franaise de la
technique et de la science (Kocourek 1991), il propose la d nition suivante, trs complte, pour
langue de spcialit :
La langue de spcialit est une varit de langue, dominante cognitive,
dont les textes, cumulatifs, dmotivit, de subjectivit et de mtaphoricit contrles, et
dlimits de manire externe, ont pour but de signi er et de communiquer, au sein dune
collectivit restreinte, le contenu thmatique, raisonn et circonstanci,
et dont les ressources, qui sous-tendent ces textes sur tous les plans linguistiques, sont
marques par des caractres graphiques, par des tendances syntaxiques et, surtout, par un
ensemble rapidement renouvelable des units lexicales qui requirent, et reoivent dans les
textes, une prcision smantique mtalinguistique.
(Kocourek 1991:42)
Quand on analyse cette d nition on constate, tout dabord, quelle adresse sparment les textes et
les ressources de la langue de spcialit. Cest une faon pour lauteur de rconcilier la dichotomie
saussurienne entre parole (= textes) et langue (= ressources) une dichotomie qui, selon lui, a trop
souvent induit les chercheurs francophones3 ngliger ltude de la parole (Kocourek 1991:25). Cette
mme volont de combler le foss entre les deux ples du langage se retrouve galement dans le
syntagme signi er et communiquer . Selon la formule de lauteur lui-mme, signi cation cest
communication virtuelle, communication cest transmission de la connaissance signi e (ibid.: 33).
3 Car dautres langues ne connaissent pas forcment de distinction lexicale comparable celle entre langue
et langage. Ainsi langlais utilise-t-il le mot language pour les deux ; il en est de mme pour lallemand, comme Wster le fait remarquer lui-mme aprs avoir introduit les notions saussuriennes de langue, parole et langage : (i)m Deutschen gibt es fr diese Zusammensetzung nur das Wort Sprache ( lallemand ne possde que le mot Sprache pour ce terme englobant ) (Wster 1991:86).
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Signi cation et communication entretiennent donc une relation dialectique comparable celle entre
langue et parole.
En second lieu, la d nition aborde le ct fonctionnel des langues de spcialit en stipulant,
premirement, que la fonction rfrentielle y est prdominante ( dominante cognitive ), et ensuite,
que la fonction motive y est restreinte au maximum ( dmotivit [et] de subjectivit ()
contrle ). Une troisime fonction voque est la fonction mtalinguistique. Cette fonction permet
de distinguer la langue de spcialit, qui est une langue naturelle , des langages arti ciels,
notamment les langages symboliques, comme celui de la logique ou les langages informatiques
(ibid.:11). La dernire fonction voque est la fonction cumulative, que nous avons introduite plus
haut.
Ensuite, la d nition stipule que le contenu des textes de spcialit doit tre thmatique, raisonn
et circonstanci. Thmatique, puisquune langue de spcialit est, prcisment, la langue dun domaine
de spcialit donne. Il sagit l dune diffrenciation selon le thme ou sujet, saisi par des spcialistes
dans le but datteindre un objectif spcial (ibid.:34). Les textes de spcialit doivent en outre tre
raisonns, cest--dire, visant lexpression contrle, intellectualiss, savante du savoir. Finalement,
ils sont circonstancis, autrement dit, ils permettent de saisir une ralit complexe dans tous ses
dtails.
En ce qui concerne les ressources (cest--dire le systme, donc la langue), Kocourek admet
lexistence de spci cits sur tous les plans linguistique , tout en spci ant que la spci cit se
situe premirement sur celui de la terminologie ( un ensemble rapidement renouvelable des units
lexicales ).
Selon Rey (1991), la spci cit dune langue de spcialit se situe avant tout sur le plan de la
terminologie. Cette dernire reprsente, selon Rey, la cohrence conceptuelle du domaine de
spcialit, comme latteste la citation suivante :
Ce qui rend spciale une langue de spcialit, ce nest pas seulement son vocabulaire (en discours),
son lexique (en systme), sa terminologie (sur le plan conceptuel et cognitif), mais cest avant tout cela,
en tant que reprsentant langagier dune cohrence conceptuelle [sic]. Cest ici que la terminologie et le
langage de spcialit concident au plus prs sans nier les spci cits possibles, mais partielles,
dautres composantes, syntactiques, stylistiques, rhtoriques, etc.
(Rey 1991:IX)
Tout en indiquant le lien troit existant entre langue de spcialit et terminologie, cette citation
montre que les autres domaines y jouent galement un rle.
Selon Pckl (1999), la recherche dans le domaine des langues de spcialit en France a du retard
par rapport aux pays environnants. Parmi les pays francophones, cest surtout au Qubec que la
recherche universitaire et la pratique en terme de politique de langue sont le plus dveloppes et le
9
plus visibles. Cest ainsi que lun des seuls ouvrages exclusivement consacr au sujet dans le domaine
francophone (Kocourek 1991) ait paru chez un diteur allemand.
1.2.2 Langue de spcialit et langue gnrale
La notion de langue de spcialit se d nit par opposition une langue dite gnrale . Mais cette
dernire notion est problmatique, car quest-ce que la langue gnrale ? On ne peut pas dire que
tout le monde en France parle exactement la mme langue : il existe des diffrences de prononciation
entre les rgions, tels mots sont utiliss uniquement par certaines classes dge ou dans certaines
situations La langue gnrale, est-ce la langue telle quelle est enseigne dans les coles, ou bien la
langue dun groupe particulier lintrieur dun pays, ou mme la langue dune seule personne
dautorit ?
Pour tenter dviter cette question dif cile, on pourrait choisir de dispenser entirement de la
notion de langue gnrale. la place, il nexisterait quun nombre in ni de varits de langue :
dialectes, sociolectes, technolectes, etc. Martin (1988:94) classi e les varits de langue dont la
langue gnrale selon leur position relative sur 5 axes : temporel, rgional, social, rfrentiel et
communicatif. Il d nit ensuite la langue gnrale dune priode donne (o la priode reprsente
en fait la position sur laxe temporel) comme tant la varit de langage qui soit :
1) suprargionale ;
2) parle par une lite socio-conomique mais comprise travers toute la communaut
linguistique ;
3) utilisable dans un grand nombre de situations communicatives ;
4) utilisable pour un grand nombre de sujets de conversation/domaines de spcialit.
Martin souligne la rcursivit de sa d nition, cest--dire le fait quil nexiste pas de frontires
absolues entre les varits. De par sa position le long des axes, chaque nonc linguistique peut tre
considr comme un exemple plus ou moins caractristique dune certaine varit de langue. Deux
des axes sont dune importance particulire pour les langues de spcialit : les axes rfrentiel et
communicatif. En dautres mots : une langue de spcialit est utilise dans un nombre restreint de
situations communicatives, pour parler dun nombre restreint de sujets. Martin distingue en n deux
paramtres lintrieur de laxe communicatif : le niveau des connaissances des interlocuteurs et le
but de la conversation.
1.2.3 Caractristiques dune langue de spcialit
En quoi une langue de spcialit se distingue-t-elle de la langue gnrale ? La diffrence
fondamentale se situe sur le plan du lexique ; cest le domaine de la terminologie. Ensuite, des
diffrences de moindre importance peuvent tre observes au niveau de la syntaxe, de la stylistique
et de la pragmatique. Selon Pckl (1999:1493), la langue gnrale doit tre considre comme la base
logique de toute langue de spcialit puisque cest elle qui permet aux spcialistes de sentendre sur
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la signi cation des termes. De ce point de vue, la langue gnrale fonctionnerait comme une sorte de
mta-langue par rapport la langue de spcialit.
1.2.2.1 syntaxe
Dans des textes caractre professionnel, certaines caractristiques grammaticales peuvent tre plus
frquentes ou moins frquentes que dans la langue gnrale, ou mme en tre compltement
absentes. Ainsi dans les textes juridiques, la forme passive est-elle souvent plus frquente que la
moyenne. La prdominance de la troisime personne grammaticale (il(s), elle(s)) et la quasi-absence
de la premire personne du verbe (souci de limpersonnalit). Dans les instructions de montage ou
dutilisation, limpratif (ou lin nitif dit injonctif ) sera relativement frquent ; dans les bulletins
mtorologiques les questions directes sont absentes. Dans les textes mathmatiques, les formes du
subjonctif du verbe tre, soit et soient, sont relativement frquentes :
Soient A et B deux ensembles nis.
En gnral, les constructions syntaxique sont moins varies dans une langue de spcialit que dans
la langue gnrale (Martin & Ten Pas 1991:368).
Sur le plan de la complexit syntaxique, le besoin de prcision mne parfois des phrases
excessivement longues avec des syntagmes nominaux surchargs, comme dans lexemple suivant :
[La comparaison des cartes de distribution des prises de bonites celles de la salinit de surface]
montre [des relations trs nettes entre limportance des prises et la salinit].
Dans cet exemple, tir dun ouvrage ocanographique et cit dans Kocourek (1991:74), le premier
syntagme nominal af che une longueur (17 mots) quon ne trouverait pas dans la langue gnrale.
Kocourek (1991:79) signale quune tendance inverse dans les textes scienti ques vise limiter
quelque peu cette longueur excessive par ce quil appelle la condensation syntaxique .
Pour conclure, les textes de spcialit se caractrisent, sur le plan syntaxiques, par
limpersonnalit, la complexit de structure et la condensation syntaxiques.
1.2.2.2 stylistique
Dans des textes juridiques, les phrases sont souvent plus longues que dans des textes gnraux. En
outre, le vocabulaire est souvent archaque par rapport la langue gnrale. Ainsi la langue juridique
nerlandaise utilise-t-elle des mots tels que mitsdien et weshalve, qui ne sont plus en vigueur nulle
part ailleurs dans la langue et qui ne seront plus compris par les non-juristes. Il ne sagit pas non
plus de termes, car ils ont la mme signi cation que leurs quivalents modernes daarom et waarom.
Voil un exemple dun procd stylistique li une langue de spcialit.
1.2.2.3 pragmatique
La pragmatique est la branche de la linguistique qui tudie la relation entre les noncs verbaux et le
contexte extra-linguistique. Parmi les textes de spcialit, on distingue un grand nombre de types de
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textes diffrents, qui remplissent une autre fonction et dont le rapport avec la ralit est trs divers.
Martin & Ten Pas (1991:371-372) citent Deville (1989), qui signale que dans une situation
communicative relevant dune langue de spcialit, au moins un des interlocuteurs peut tre
considr comme expert. Celui-ci adapte gnralement le niveau de complexit de sa communication
au niveau de connaissances de son interlocuteur, aussi bien sur le plan lexical, syntaxique et textuel.
1.2.2.4 fonction
Les langues de spcialit sont utilises dans des situations bien d nies, aussi bien en langage
parl qucrit. Chaque communication communicative met en jeu un certain nombre de fonctions. Or,
parmi les fonctions que nous avons distingues plus haut (motive, conative, potique, rfrentielle,
fatique, mtalinguistique et cumulative), quelles sont les fonctions les plus importantes dans la
communication professionnelle ?
La fonction prdominante y est, sans aucun doute, la fonction rfrentielle : aprs tout, le but de
la communication entre professionnels est la transmission dinformations trs prcises.
Quant la fonction motive celle-ci est quasi-absente de la communication professionnelle.
Mme si la fonction conative peut tre prsente dans certains types de textes de spcialit, sa
prsence ou absence nest pas lie la langue de spcialit elle-mme mais plutt la situation
communicative (instructions parles ou crites, notices de montage, etc.).
Quant la fonction potique, bien que rare, elle joue nanmoins un rle dans certains domaines,
tel le domaine juridique. Rappelons que la fonction potique concerne laspect formel des noncs, o
la forme elle-mme peut vhiculer de linformation et faire partie du message . Les textes
juridiques sont souvent crits dans un langage sibyllin, emberli cot , qui ne sexplique que
partiellement par le besoin de prcision technique de la discipline. Mme si des formules plus simples
seraient souvent possibles, les juristes ont tendance priviligier un vocabulaire archaque et des
phrases complexes ; ces aspects formels servent surtout indiquer le domaine dappartenance du
texte et de ce fait, transmettre un message dautorit.
Plus gnralement, Kocourek (1991:63) signale lexistence dun objectif esthtique des langues de
spcialit, quil met en rapport avec la fonction potique. Cet aspect esthtique serait li lexistence
dun certain idal linguistique dans les langues de spcialit, par exemple la prcision, la concision de
la forme, llgance et la systmaticit de la terminologie employe.
La fonction fatique : les lments qui structurent un texte de spcialit peuvent tre pris comme
remplissant une fonction fatique.
La fonction mtalinguistique : cette fonction est galement essentielle pour les langues de
spcialit, car les termes doivent tre d nis en dtail. Or, d nir le sens dun mot est une activit
mtalinguistique par excellence.
12
Un bon exemple de cette dif cult est le terme de meuble qui dans le vocabulaire courant
correspond aux tables, chaises, ... mais couvre un ensemble beaucoup plus vaste dans le vocabulaire
juridique. Pour le juriste, un meuble peut tre aussi bien une chaise (soit un meuble meublant ),
un animal (puisquil s'agit d'un bien corporel pouvant tre dplac), une rcolte sur pied destine
tre vendue coupe (soit un meuble par anticipation ), etc.4
Ainsi la terminologie semble-t-elle constituer un lment essentiel des langues de spcialit.
Dans la section suivante nous nous pencherons sur la question de savoir ce que cest que la
terminologie.
1.3 Quest-ce que la terminologie ?
Comparez les deux phrases suivantes :
Bien connatre la terminologie des fentres vous sera dun prcieux secours lorsque vous
ferez lachat de fentres pour votre maison.
Guy Rondeau est titulaire de la chaire de terminologie l'Universit Laval et directeur du
Groupe interdisciplinaire de recherche scienti que et applique en terminologie (GIRSTERM).
Dans les deux phrases, le mot terminologie est utilis dans deux signi cations diffrentes. Dans la
premire phrase, le mot rfre au vocabulaire spci que de la pose de fentres. Cest le sens habituel du
mot. Dans la deuxime phrase, le mot terminologie rfre une discipline scienti que faisant lobjet
denseignement et de recherches.
La mme dichotomie sobserve dans les d nitions que lon peut trouver dans les dictionnaires
gnralistes. Ainsi Le Nouveau Petit Robert (Robert:2007) associe-t-il les deux d nitions suivantes
au mot terminologie :
1. Vocabulaire particulier utilis dans un domaine de la connaissance ou un domaine
professionnel ; ensemble structur de termes.
2. tude systmatique des termes ou mots et syntagmes spciaux servant dnommer
classes dobjets et concepts ; principes gnraux qui prsident cette tude.
Dj on constate quil sagit dun mot polysme, cest dire, qui peut avoir plusieurs signi cations
selon le contexte dans lequel il est utilis. Le Petit Robert se limite deux d nitions ; regardons
maintenant Le Trsor de la Langue Franaise (plus loin : TLF). Ce dictionnaire de rfrence,
consultable sur internet5, associe les d nitions suivantes au lemme terminologie :
1. Ensemble des termes relatifs un systme notionnel labor par des constructions
thoriques, par des classements ou des structurations de matriaux observs, de pratiques
sociales ou d'ensembles culturels.
4 www.juripole.fr/Articles/tradjur.php (page consulte le 9 dcembre 2009) 5 atilf.atilf.fr
13
2. Art de reprer, d'analyser et, au besoin, de crer le vocabulaire pour une technique
donne, dans une situation concrte de fonctionnement de faon rpondre aux besoins
d'expression de l'usager.
3. a) Ensemble des termes spci ques un auteur, un penseur, un courant de pense.
b) Ensemble des termes, des expressions propre une rgion, un groupe social.
On remarquera que les d nitions du TLF sont plus abstraites et plus riches que celles du Petit
Robert. Ce dernier ne distingue au fond quentre la terminologie comme ensemble de mots et
comme tude systmatique . Le TLF, par contre, prcise aussi bien la notion densemble (en
donnant pas moins de trois d nitions distinctes bases sur ce mot) et celle dtude en prcisant quil
sagit de lart de reprer, analyser et, au besoin, crer .
Mme si le degr dabstraction des deux d nitions nest pas le mme, on remarquera que la
premire d nition du TLF correspond celle du Petit Robert ; cest aussi ce qui ressort des
exemples donns par le TLF, dont :
terminologie grammaticale, linguistique, mathmatique, philosophique, scienti que, technique ;
terminologie de la mdecine, de la musique ; terminologie des sciences exactes, des sciences sociales.
Il sagit en effet de la signi cation quon associe le plus souvent au mot terminologie, celle de
vocabulaire spci que un domaine spcialis . Cest aussi la signi cation du mot dans notre
premier exemple : la terminologie des fentres . Mais la deuxime d nition du Petit Robert na
pas dquivalent dans le TLF. Ce dernier indique bien que le mot terminologie peut indiquer autre
chose quun ensemble de termes, mais l art de la deuxime d nition du TLF, est-ce bien la
mme chose que l tude systmatique de celle du Petit Robert ?
Le Petit Robert semble viser ltude des termes en gnral, pas uniquement ceux dune
technique donne et dans une situation concrte , comme lindique le TLF. Une telle tude,
qui cherche tablir des principes gnraux , semble apparente la philosophie du langage et
sintresserait la relation entre les termes et les objets quils dsignent. La porte des deux
terminologies nest donc pas du tout la mme. Quant la troisime d nition du TLF qui associe la
terminologie un auteur, un courant de pense ou un groupe social, celle-ci est compltement
absente du Petit Robert.
Considrons en n un dernier grand dictionnaire gnraliste, le Grand Larousse
(Larousse:1978) ; celui-ci propose pas moins de quatre d nitions diffrentes :
1. Ensemble de termes spci ques dune technique, dune science, dun art, dun domaine
d ni dactivit, dun type dorganisation.
2. Vocabulaire particulier quemploie un auteur, quadopte un groupe social.
3. Ensemble des activits pratiques relatives au recueil, la distribution, la traduction et
la diffusion des units terminologiques.
14
4. Science qui a pour objet ltude thorique des dnominations de concepts et dobjets dans
les domaines spcialiss du savoir, de leur fonctionnement social dans une langue ou
plusieurs langues, des relations des units terminologiques avec la logique, la linguistique,
la lexicographie, la traduction, la documentation et linformatique.
Le Grand Larousse semble faire les distinctions les plus prcises et les plus compltes des trois
dictionnaires consults. Ses quatre d nitions couvrent aussi bien le vocabulaire spcialis dun
domaine professionnel ou scienti que (Petit Robert 1 et TLF 1), celui dun auteur ou dun groupe
social (TLF 3), lactivit essentiellement pratique de collecte et de reprsentation des termes (TLF
2), et ltude gnrale et scienti que des termes (Petit Robert 2). Cest cette dernire signi cation
qui tait vise dans notre deuxime exemple : la chaire de terminologie lUniversit Laval , o le
mot terminologie
recherches. En effet, mme si les chaires de terminologie sont plutt rares, il ne fait pas de doute que
la terminologie est enseigne des universits et des coles professionnelles un peu partout dans le
monde. Aussi existe-t-il un grand nombre de livres de cours et dintroductions la terminologie ;
nous en mentionnons quelques-uns dans la bibliographie. Lenseignement de la terminologie est le
plus souvent intgr dautres matires, notamment la traduction et la lexicologie. Par exemple,
un master universitaire en lexicologie et terminologie a exist entre 2001 et 2006 luniversit libre
(Vrije Universiteit VU) dAmsterdam6. En France, plusieurs universits (dont Paris Sorbonne, Lyon
2 et Rennes 2) proposent des spcialisations en terminologie parmi leurs masters de langue et de
communication.
Quoi quil en soit, la comparaison entre les trois dictionnaires suggre que la terminologie est
une notion bien plus complexe quil ne paraisse premire vue. Alors, de quoi parle-t-on exactement
quand on parle de terminologie ? Pour rpondre cette question nous allons suivre une mthode
structuraliste, qui veut que le sens des mots se ralise surtout dans les oppositions quils entre-
tiennent avec dautres mots. Dans les quatre sections qui suivent, nous allons donc tudier quatre
oppositions impliquant les mots terme et terminologie.
1.3.1 Mot vs. terme
Au dbut du chapitre nous avons vu un certain nombre de d nitions du mot terminologie. On
pourrait reprocher certaines de ces d nitions dtre en quelque sorte tautologiques puisquelles
d nissent la terminologie comme un ensemble de termes (TLF 1 et 3 ; Larousse 1), ou comme
ltude des termes (Petit Robert 2). Or, ces d nitions mnent tout de suite la question
suivante : quest-ce quun terme ?
Pour rpondre cette question, commenons par en poser une autre : quest-ce que la traduction ?
Voici la rponse :
6 Hennie van der Vliet (communication personnelle)
15
La traduction est le processus permettant la synthse dune chane polypeptidique
(protine) partir dun brin dARN messager. 7
Il est vident quil ne sagit pas ici de la traduction dans le sens linguistique, celle dont nous parlons
dans ce mmoire, mais dun autre terme, homonyme du premier, qui appartient un autre domaine
de spcialit, savoir la biologie.
En guise de second exemple prenons le substantif passif. Ce mot peut avoir deux signi cations
entirement diffrentes en fonction du contexte. Lorsquil apparat dans un texte sur la syntaxe, une
d nition possible serait comme suit :
la forme passive dun verbe .
Par contre, sil est utilis dans un texte portant sur lconomie dentreprise, sa signi cation pourrait
se rsumer comme suit :
lensemble des ressources dune entreprise .
Ces deux exemples montrent quil existe des mots dont le sens varie en fonction du contexte
dans lequel ils sont utiliss. Le contexte, dans les exemples cits, quivaut un domaine de
spcialit : la biologie, la syntaxe, lconomie. Voil notre d nition de base dun terme : un mot dont
la signi cation spci que dpend dun domaine de spcialit.
Mme si les termes ne sont pas forcment homonymes dautres termes, cet exemple a le mrite
de montrer que ce qui caractrise un terme nest pas sa forme, mais le sens quil vhicule. Chaque
mot dont le sens est li un domaine de spcialit est un terme. Cest pourquoi la terminologie
(comprise comme ltude scienti que des termes), est apparente la smantique.
Quelle est maintenant la diffrence entre un mot et un terme ? Nous avons vu quun terme est un
mot, donc terme est un hyponyme de mot. Chaque terme est un mot, mais chaque mot nest pas un
terme. Les mots se divisent entre eux en fonction de la partie du discours : nom (= substantif), verbe,
adjectif, adverbe, prposition, conjonction, article, pronom, etc. La mme chose vaut pour les termes,
cette condition prs quun terme ne puisse tre un mot grammatical (prposition, conjonction,
article, pronom, etc.) mais uniquement un mot lexical (nom, verbe, adjectif ou adverbe). Dans la
pratique, la plupart des termes sont en fait des noms, mais il existe galement des termes qui soient
des verbes, des adjectifs et des adverbes.
1.3.2 Terminologie vs. lexicologie
Le suf xe -logie signi e en gnral tude de , comme dans psychologie, musicologie, et biologie. En
nous appuyant sur la distinction que nous venons dtablir entre terme et mot, nous pouvons conclure
que la lexicologie est ltude des mots et la terminologie, ltude des termes . La lexicologie
7 Source : site internet du laboratoire RDP (Reproduction et Dveloppement des Plantes) de lcole
Normale Suprieure de Lyon (www.ens-lyon.fr/RDP/spip.php?article90#ancre_traduction (page consulte le 20 juin 2009))
16
sintresse en effet au lexique entier dune langue, tandis que la terminologie se limite un sous-
ensemble du lexique, savoir les termes
Mais il existe une autre distinction. La terminologie, surtout la variante prdominante qui est
appele wstrienne daprs son fondateur, Eugen Wster (cf. la section 2.2), se distingue de la
lexicologie par le fait quelle est par principe onomasiologique (du grec onoma = nom). Cest dire
quelle prend les concepts comme point de dpart de ses recherches pour en arriver aux mots (les
termes). La lexicologie, quant elle, prend le chemin inverse : elle commence par lobservation des
mots, pour ensuite les classi er et en rechercher le (ou les) signi cation(s). Le mot et tous les sens qui
lui sont associs sont regroups dans des lemmes, qui sont diffrencis les uns des autres sur la base
de leur signi cation. Cest le principe smasiologique (du grec semaino = signi er). On pourrait
rsumer la diffrence en mettant que la terminologie cherche associer des mots des concepts, tandis
que la lexicologie cherche associer des concepts des mots, comme indiqu dans le schma suivant :
TERMINOLOGIE (dmarche onomasiologique) : LEXICOLOGIE (dmarche smasiologique) :
CONCEPT
titre de proprit ngociable
liste de produits transports dans un navire
liste de produits transports dans un avion
MOT(S)
?
?
?
MOT
action
connaissement
manifeste
CONCEPT(S)
1. ?
2. ?
1. ?
1. ?
2. ?
Quand on regarde cette distinction de plus prs, la dmarche lexicologique semble plus facile
effectuer puisquelle part dun objet visible, savoir les mots. Quant la terminologie, comment
trouver ces fameux concepts quelle prend comme point de dpart de ses recherches ? Et une fois
quon les aura trouvs, comment les reprsenter ?
De ce point de vue il nest pas tonnant quEugen Wster, lhomme qui fut lorigine de la
terminologie (en tant que champ dtudes), ne fut pas un linguiste de formation, mais ingnieur en
lectrotechnique (cf. le chapitre 2). Cela implique que pour la terminologie, historiquement aussi bien
que conceptuellement, lobjet des connaissances (= le domaine de spcialit ici : llectrotechnique)
prcde sa reprsentation linguistique (= les termes)8.
Il est noter que pour Wster, la terminologie semble faire partie de la lexicologie. Dans son
ouvrage Introduction la terminologie gnrale (Wster 1991) il crit :
8 Martin & Ten Pas (1991:373) signalent que lapproche onomasiologique a longtemps empch la
terminologie de sintresser au comportement linguistique des termes.
17
Il ne faut pas confondre lexicographie et lexicologie, cette dernire tant ltude des systmes de
concepts et dappellations. La terminologie en fait galement partie : elle est la lexicologie des langues
de spcialit.9
(Wster 1991:108)
La d nition qui y gure de la lexicologie comme tant ltude des systmes de concepts et
dappellations suggre que Wster considre tort que la lexicologie adopte, comme la
terminologie, une approche onomasiologique.
1.3.3 Terminologie vs. terminographie
Dans le domaine des mots, il existe galement une dichotomie entre lexicologie et lexicographie. Le
suf xe logie indique alors laspect thorique de la matire (les thories sur la nature des mots et leur
fonctionnement), tandis que graphie indique le ct pratique (la collecte et la reprsentation des
mots dans des dictionnaires). Comme cest souvent le cas, la relation entre thorie et pratique est
dialectique, cest--dire que les deux approches sin uencent et senrichissent mutuellement. Ainsi le
travail pratique du lexicographe se base-t-il sur les thories formules par le lexicologue, tandis que
les thories labores par la lexicologie re tent leur tour les problmes rencontrs pendant
lexercice de la lexicographie.
La mme dichotomie peut se faire dans le domaine des termes. La terminologie serait alors
ltude scienti que des termes, la terminographie tout travail pratique de collecte et de description de
termes selon un modle thorique (= terminologique) choisi. Les produits de la lexicographie sont
les dictionnaires gnralistes ; les produits de la terminographie sont les dictionnaires
terminologiques.
On peut distinguer une branche supplmentaire appartenant la terminologie : la mta-
terminologie. Dans la priode actuelle, o la discipline universitaire de la terminologie sinterroge sur
son propre statut (cf. le chapitre 2), cette mta-thorie est actuellement trs prsente.
1.3.4 Description vs. prescription terminologique
La terminologie wstrienne comprend un volet prescriptif important. Comme le signale lui-mme
Wster : le faonnement conscient de la langue est prioritaire10 . (Wster 1991:2).
Il convient de noter galement que la terminologie, dans loptique wstrienne, est avant tout un
ensemble cohrent qui reprsente le systme conceptuel dun domaine de spcialit. Cette cohrence est
essentielle, car le fonctionnement des termes est conditionn par les relations quils entretiennent
9 Lexikographie darf nicht mit Lexikologie verwechselt werden. Das ist die Lehre von den Begriffs- und
Benennungssystemen. Darunter fllt auch die Terminologie. Sie ist die fachsprachliche Lexicologie. (Wster 1991:108)
10 Hervorstechend ist die bewute Sprachgestaltung. (Wster 1991:2)
18
avec dautres termes. Cest pourquoi les relations entre les termes sont dune importance capitale
relations qui trouvent tout naturellement leur expression la plus visible dans les d nitions.
Dans Wster 1991, les relations entre termes font lobjet dun chapitre part, tout comme les
d nitions. Mais les aspects formels des termes sont galement traits en dtail, ce qui est mettre en
relation avec laspect prescriptif de la terminologie wstrienne. Pour Wster, la terminologie avait
un objectif purement pratique : amliorer la communication entre professionnels. Cest pourquoi les
termes, pour lui, taient plus que des phnomnes observer et dcrire ; ils constituaient aussi une
matire quil faut savoir crer, adapter et imposer pour essayer de faonner et damliorer la
terminologie dune spcialit donne.
Laspect normatif tant ce point important pour la terminologie, on pourrait mme envisager
dutiliser cette caractristique dans la dfnition mme du concept terme ; un terme serait ainsi un
mot dont le sens est normalis . Une telle d nition a le mrite de laisser de ct la question
pineuse du dcoupage des domaines de spcialit et dadmettre au sein de la terminologie tout
vocabulaire circonscrit et contrl, par exemple celui dune entreprise. Cette d nition est sans doute
plus proche de la pratique de la traduction (cf. le chapitre 3), mais elle se base trop sur lexistence
relle dune (forme de) normalisation, tandis qui celle-ci dpend surtout de conditions extra-
linguistiques, notamment socio-politiques et conomiques.
tant donn limportance pour Wster de cette dmarche prescriptive, aussi bien au niveau
national quinternational, il nest pas tonnant que Wster ait t lun des instigateurs de
lorganisme de normalisation ISO. En effet, la normalisation linguistique est essentielle pour le
travail dun organisme comme lISO, dont les normes ont la vocation dtre universelles et sont donc
traduites en de nombreuses langues. Parmi les normes ISO consacres ou lies la terminologie
nous trouvons ainsi11 :
ISO 704 Travail terminologique Principes et mthodes
ISO 860 Travaux terminologiques Harmonisation des concepts et des termes
ISO 1087 Travaux terminologiques Vocabulaire Partie 1: Thorie et application
ISO 10241 Articles terminologiques dans les normes Partie 1: Exigences gnrales et
exemples de prsentation
ISO 22274 Terminologie, connaissance et contenu Aspects de localisation
ISO 29383 Politiques terminologiques laboration et mise en uvre
En France, la normalisation linguistique est coordonne par la Commission gnrale de terminologie
et de nologie. Le fait que cet organisme soit place sous lautorit directe du Premier ministre et non
pas sous celui du ministre de la Culture et de la Communication, atteste de limportance attache en
France la normalisation linguistique. Les termes recommands par la Commission gnrale sont
11 www.iso.org
(page consulte le 21 fvrier 2010)
19
publis au Journal of ciel12 et consultable sur le site internet FranceTerme ; ils sont dusage
obligatoire dans les administrations et les tablissements de ltat et peuvent servir de rfrence, en
particulier pour les traducteurs et les rdacteurs techniques.13
1.4 Une terminologie de la terminologie
Dans les sections prcdentes nous avons dress la liste de toutes les acceptations courantes du mot
terminologie. La polysmie ainsi avre reprsente un vritable obstacle pour toute discussion
fructueuse sur le sujet, car il est impossible de connatre avec prcision ce quoi pense son
interlocuteur quand il utilise le mot. Cest ainsi que le mot terminologie, non sans une certaine ironie,
montre lui-mme limportance de cette mme terminologie , cest--dire, dun vocabulaire
prcisment circonscrit et destin la communication professionnelle.
Nous pouvons donc prsent chercher tablir ce vocabulaire, autrement dit, cette
terminologie de la terminologie . Il sagit surtout ici dune approche pragmatique qui ne prtend
nullement luniversalit : il sagit juste de d nir les termes que nous allons utiliser dans le reste du
mmoire.
Tout dabord la notion de vocabulaire spcialis : nous continuons lindiquer par le mot
terminologie, car cest lacceptation la plus courante du mot.
Lactivit de recherche et denregistrement des termes des ns pratiques sera indique par
le mot terminographie, en accord avec la distinction existante entre lexico-logie (thorique) et
lexico-graphie (pratique).
Pour indiquer le champ dtudes ayant pour objet les termes, nous utiliserons le terme dtudes
terminologiques.
Ensuite, toute activit normalisatrice relative aux termes sera indique par le terme de
normalisation terminologique.
Aprs avoir ainsi d ni les noms, penchons-nous prsent sur les adjectifs. Ladjectif
terminologique sera pris dans sons sens le plus gnral, savoir, relatif aux termes . Cest dans ce
sens que ladjectif a dj t mis contribution pour construire les termes dtudes terminologiques
( tude des termes ) et de normalisation terminologique ( normalisation des termes ). Les noms
que nous avons distingus plus haut permettent en plus de construire un deuxime adjectif : termino-
graphique, qui sera utilis dans son sens vident de relevant de/relatif la terminographie .
12 Voici, titre dexemple, les termes publis au Journal of ciel du 19 janvier 2010 : brevetabilit, mise au pilori,
ordre du jour, programme d'action. 13 www.franceterme.culture.gouv.fr/FranceTerme/enrichissement.html
(page consulte le 8 fvrier 2009)
20
Conclusion
Grce lapproche fonctionnelle, nous avons tent de distinguer la langue de spcialit de la langue
gnrale. Il sest avr que la spci cit principale des langues de spcialit se situe au niveau de la
terminologie. Mais le mot terminologie est polysme : il nindique pas uniquement un vocabulaire
spcialis (que nous continuons appeler terminologie), mais aussi lactivit de recherche et
denregistrement de termes (terminographie) ainsi quun champ dtudes scienti ques (tudes
terminologiques).
Nous avons vu que les termes sont caractriss par leur appartenance un domaine de spcialit
(et par consquent, une langue de spcialit), mais aussi, selon la thorie formule par Eugen
Wster, par leur caractre normalis. Quand on travaille avec des termes, par exemple dans le cadre
dune traduction, il est important de prendre en compte ces deux caractristiques.
Mais notre brve analyse na pas puis lobjet dtude que constitue la terminologie. Dans le
pass, diffrentes thories ont t formules pour dcrire la terminologie en tant quobjet dtudes.
Le chapitre suivant se concentrera sur ces thories terminologiques, avec une attention particulire
pour la question de savoir dans quelle mesure ces thories peuvent tre considres comme tant
scienti ques.
21
Chapitre
2 Ltude de la terminologie
Introduction
2.1 Histoire de la terminologie
2.2 La thorie wstrienne de terminologie
2.3 Critiques de la thorie wstrienne
2.4 Vers une thorie intgre de la terminologie
2.5 Les tudes terminologiques sont-elles une discipline scienti que ?
2.6 Interdisciplinarit des tudes terminologiques
Conclusion
ans le chapitre prcdent nous avons prsent le mot terminologie avec les diffrentes notions
quil vhicule, avec une attention particulire pour la relation entre terminologie et langue de
spcialit. Nous avons vu que lune des signi cations possibles du mot terminologie est : le champ
dtudes ayant pour objet les termes. Dans le prsent chapitre, nous nous pencherons sur la place de
cette discipline parmi les autres disciplines scienti ques. Nous voquerons lhistoire de la discipline,
avec une attention particulire pour lcole dtudes terminologiques dominante du XXe sicle, lcole
dite wstrienne daprs son fondateur, lAutrichien Eugen Wster. Nous dcrirons cette thorie
dite classique ou gnrale de la terminologie, ainsi que les critiques dont elle a fait lobjet ces
dernires annes. Nous r chirons ensuite sur les relations quentretient la terminologie avec
dautres disciplines, notamment la lexicologie. En n, nous nous pencherons sur la question de savoir
dans quelle mesure les tudes terminologiques peuvent tre considres comme tant une discipline
scienti que part entire.
D
22
2.1 Histoire de la terminologie
La terminologie comme champ dtudes ou comme domaine dactivit linguistique part entire date
de la premire moiti du XXe sicle, mais les termes techniques avaient dj fait lobjet dune
attention particulire longtemps auparavant. Laurn et al. (1998) en donnent quelques exemples
travers les ges, commencer par Quintilien. Ce rhteur et pdagogue romain du Ier sicle apr. J.-C.
est surtout connu pour son ouvrage De institutione oratoria ( De linstitution oratoire ), dans lequel
il traite en dtail de tout ce qui touche lart de la rhtorique. Il cite les termes techniques ( verba
artium propria ), aux cts des rgionalismes et les archasmes, parmi les moyens dexpression qui
sont viter si lon veut se faire comprendre par le plus grand nombre. Pour Quintilien, les termes
techniques gnent donc la communication plutt quils lamliorent.
Ds le XVIIIe sicle, des scienti ques comme Linn (en Sude), Lomonosov (en Russie) et
Lavoisier (en France) ont publi des ouvrages caractre terminologique, visant organiser le
vocabulaire dun domaine scienti que. Ainsi Lavoisier a-t-il publi en 1787, avec ses collgues De
Morveau, Berthollet et Fourcroy, une Mthode de nomenclature chimique.
partir du XIXe sicle, plusieurs facteurs contribuent faire ressentir le besoin dtudier et de
faire voluer les vocabulaires spcialiss. Ces facteurs sont les suivants :
1) La disparition du latin comme lingua franca pour la science ;
2) Le remplacement de la production artisanale par les nouveaux modes de production
industrielle ;
3) Les premiers efforts de normalisation et de standardisation ;
4) Un intrt croissant pour les langues nationales ;
5) Lorganisation des premiers congrs scienti ques internationaux ;
6) La croissance exponentielle des connaissances techniques et scienti ques, rendue possible
par les nombreuses recherches dans ces domaines.
Dans un premier temps, lintrt pour le vocabulaire technique provenait de spcialistes des
domaines techniques et scienti ques concerns. La premire marque dun intrt purement
linguistique est attribue aux frres Jacob et Wilhelm Grimm, qui prtaient une attention
particulire au vocabulaire des mtiers lors de la compilation de leurs dictionnaires.
Tous les dveloppements prcits se sont encore acclrs pendant la premire moiti du XXe
sicle. Les sciences et le commerce devenant de plus en plus internationaux, la ncessit de mieux
contrler la communication dans ces domaines-l se faisait de plus en plus sentir. Cest alors que
lingnieur autrichien Eugen Wster (1898-1977) sest mis r chir sur les spci cits de la langue
techno-scienti que et a ni par labor la premire vritable thorie de la terminologie.
23
2.2 La thorie wstrienne de la terminologie
2.2.1 Qui tait Eugen Wster ?
Eugen Wster est gnralement considr comme le pre des tudes terminologiques modernes.
N en 1898, de formation ingnieur en lectrotechnique, vivant dans une poque o les changes
internationaux dans le domaine de lindustrie et de la technique devenaient de plus en plus frquents,
il a tout de suite t sensibilis aux problmes de communication dans le domaine technique. En
1931 Wster a repris lentreprise familiale, une usine doutillage. Cest ce qui la pouss tudier la
langue du point de vue de la communication professionnelle une tude qui la occup toute sa vie.
Dans sa thse de 1931 intitule Internationale Sprachnormung in der Technik, besonders in
der Elektrotechnik ( La normalisation linguistique internationale en technologie, en particulier en
lectrotechnique ) il a expos sa thorie pour la premire fois. Au cours de sa vie il a toujours gard le
contact avec, dune part, la technologie, et dautre part, la linguistique. partir de 1955 il tait
professeur l Universitt fr Bodenkultur (universit des sciences de la terre) de Vienne, o il
enseignait la discipline relative aux machines et outils pour travailler le bois. En outre, entre 1972 et
1974, anne o il prit sa retraite, il occupait une chaire honoraire en terminologie gnrale et
lexicographie terminologique luniversit de Vienne.
Paralllement son activit acadmique, Wster tait impliqu dans un certain nombre defforts
dans le domaine de la normalisation linguistique internationale. Dans ce cadre il a coopr avec des
organismes comme lISO ( International Standardization Organization , lOrganisation
internationale de normalisation) et son anctre, lISA ( International Standardization
Association ). Il tait notamment impliqu dans la cration du Comit Technique (TC) 37, charg
au sein de lISO de llaboration des normes dans le domaine de la terminologie. Wster a galement
collabor ltablissement de la Classi cation Dcimale Universelle (CDU).14 Il est galement
lorigine de la cration, en 1971, dInfoterm, une association fonde en collaboration avec lUNESCO
pour promouvoir la coopration internationale dans le domaine de la recherche en terminologie. Cet
organisme, qui sest donn pour objectif de promouvoir ltude de la terminologie selon le modle
dvelopp par Wster, a marqu de son sceau aussi bien ltude que la pratique de la terminologie au
XXe sicle.
2.2.2 Des langues arti cielles la terminologie
Depuis sa jeunesse, Eugen Wster tait actif dans le mouvement autour de la langue arti cielle
esperanto. Pendant ses tudes Berlin, il a notamment compos et fait diter un dictionnaire
encyclopdique esperanto-allemand. Dans un premier temps il envisageait dutiliser cette langue, ou
une autre langue compltement arti cielle comme linterlingua, quil parlait couramment aussi, pour
la communication technique. Il ne fut pas le seul y r chir ; la n du XIXe sicle, une priode o
14 Wster 1968:xiii
24
les changes internationaux devenaient de plus en plus importants, un grand nombre de gens ont
r chi sur la possibilit de crer une langue arti cielle qui pourrait devenir la langue des changes
internationaux. Des langues comme lesperanto, le volapk et linterlingua, ainsi que des langues
encore plus obscures et compltement oublies comme le solresol, le lingualumina, le blaia zimondal, le
cabe aban, lido et le hom-idyomo (liste tire de Wster 1991:161) avaient chacune ses partisans et ses
dtracteurs. Mais mme si quelques-unes de ces langues, en particulier lesperanto, subsistent jusqu
ce jour, aucune langue arti cielle na rellement russi simposer.
Pourquoi ces tentatives se sont sans exception soldes par des checs ? Outre le fait quil est
videmment trs dif cile, voire impossible de crer quelque chose qui fdrerait toute la population
de la plante, une raison plus fondamentale est lie la vision du langage qui sous-tendait ces efforts.
Les auteurs des langues arti cielles avaient souvent des motifs idologiques : en crant leur langue,
ils voulaient mettre la disposition du monde un outil de communication clair et prcis qui
faciliterait la transmission dinformations sans ambigut. Leurs langues taient destines tre des
versions amliores des langues naturelles qui, elles, taient considres comme tant trop
vagues et trop ambigus pour servir une communication optimale.
Or, cest mal comprendre quoi sert une langue. Comme nous avons vu au premier chapitre, la
transmission dinformation nest quune des multiples fonctions du langage (la fonction rfrentielle,
selon la terminologie de Jakobson). Dautres fonctions sont tout aussi importantes. Dailleurs,
comme le suggre la citation suivante dEugene Nida, lide dune communication parfaite est
une utopie :
La traduction parfaite nexiste pas, tout comme il nexiste pas de texte parfait. La langue nest pas
un systme pour la communication parfaite, mais cest ce que nous possdons de mieux pour
communiquer nos penses, nos aspirations, nos croyances et nos doutes.15
(Hernez 2002:42)
Bien sr, dans certaines situations il est important dtre le plus clair possible et de transmettre des
messages qui ne risquent pas dtre compris de travers. Mais il peut tre tout aussi important, en
dautres circonstances, de cacher le message, de masquer ses vraies intentions, de mentir ou de parler
sans rien dire. De tels emplois font galement partie des fonctions du langage. Une langue qui ne
saurait exprimer que des vrits claires et nettes ne conviendraient jamais lusage prvu. On pense
galement au livre 1984 de George Orwell, avec sa novlangue : une langue fabrique et
impose de force a n de mieux contrler les citoyens. Il ne faut pas oublier que la langue est aussi un
domaine de libert et de crativit ; par consquent, toute langue suppose claire et univoque, comme
les langues arti cielles, serait automatiquement dtourne par ses utilisateurs pour devenir aussi
complexe et parfois ambigu que les langues naturelles que nous connaissons. Une langue arti cielle,
15 There are no perfect translations, even as there are no perfect texts. Language is not a system for perfect
communication, but it is the best we have for communicating our thoughts, aspirations, beliefs, and doubts. (Hernez 2002:42)
25
sans connotations, qui signi e exactement et uniquement ce quon veut quelle signi e, pour parler
avec Humpty-Dumpty, nexiste pas et ne pourra jamais exister.
Cest pourquoi Wster a ni par rduire un peu ses ambitions en se concentrant, non plus sur la
langue en entier, mais uniquement sur les mots les plus porteurs dun sens technique : les termes.
2.2.3 Les tudes terminologiques dans le monde
Depuis la premire formulation de la thorie par Wster dans les annes 1930, plusieurs
coles se sont dveloppes au sein mme du cadre wstrien. Laurn & Picht (1993) distinguent
lcole de Vienne, lcole de Prague et lcole russe. Temmerman (2000:18-19) complte cette liste
par lcole canadienne, le Centre nordique, et lcole de Manchester (UMIST), tout en faisant
remarquer que les diffrences entre les coles sont marginales. En particulier, la motivation derrire
chacune des coles est similaire : plutt que de poursuivre des objectifs purement scienti ques, leurs
thories et mthodes servent surtout des objectifs de plani cation et de normalisation linguistiques
avec, pour chaque cole, un contexte socio-politique diffrent. Ainsi lcole russe et celle de Prague
taient-elle associes aux efforts de normalisation entre les pays de lex-URSS ; lcole canadienne,
par la volont de prserver la position du franais face langlais dans un pays bilingue ; et lcole de
Vienne (qui tait place sous lin uence la plus directe de la thorie de Wster) par la conviction
quil est possible din uencer les activits de nomenclature dans les langues spcialises sur le plan
international.
Parmi toutes ces coles, cest indiscutablement la thorie de lcole de Vienne dont lin uence a
t la plus rpandue. Cest pourquoi on lappelle parfois la thorie classique ou standard de la
terminologie. Pour viter tout jugement de valeur nous lindiquerons par le terme de thorie
wstrienne , daprs le nom de celui qui fut son fondateur et infatigable promoteur.
2.2.4 Aperu du cadre thorique wstrien
Dans son ouvrage Introduction la thorie gnrale de terminologie et la lexicographie terminologique
(Wster 1991), paru pour la premire fois en 1977, Wster donne un aperu complet de ce que
reprsente pour lui la terminologie. Les chapitres portent sur les sujets suivants :
Les concepts et leurs relations dans des structures conceptuelles (chap. 3)16
Les d nitions (chap. 4)
Aspects formels des termes (drivation, nologie, etc.) (chap. 5)
Les signes (chap. 6/7)17
La normalisation (chap. 8)
16 Le troisime chapitre, intitul Die Begriffe und ihre Merkmale (Les concepts et leurs caractristiques), est
en ralit le premier vrai chapitre du livre, les deux premiers (mesurant moins dune page chacun) tant caractre prliminaire.
17 Le chapitre 6 porte sur les signes en gnral, le chapitre 7 uniquement sur les signes crits ( Schreib-zeichen ).
26
Les dictionnaires ((chap. 9)
Le fait que le premier chapitre du livre soit ddi aux concepts en dit long sur la nature de la thorie
de Wster. En effet, le concept est la notion de base de la thorie. Contrairement la thorie
structuraliste de Saussure, o signi ant et signi sont vus comme tant deux aspects indivisibles du
signe, la thorie wstrienne considre le concept et le terme comme tant indpendants.
Le domaine des concepts est considr par la terminologie comme tant indpendant de celui des
dnominations (= termes).18
(Wster 1991:1)
Les lments les plus importants dune terminologie dans le sens wstrien sont :
1) Lapproche onomasiologique. Dans une telle approche cest le concept qui forme la base des units
lexicales. Cet aspect se manifeste entre autres dans limportance de la d nition dans le travail
terminologique, puisque celle-ci est un moyen de dlimiter les concepts sans utiliser les termes
eux-mmes19. Le concept occupant une place si centrale dans la thorie terminologique
wstrienne, un volet important de cette dernire est ddie la faon dont les concepts sont
d nis. Cette thorie des d nitions est en fait un systme de classi cation logique et
ontologique selon un modle aristotlicien. Wster distingue trois types de d nition : la
d nition intensionnelle, la d nition extensionnelle, et la d nition tout partie20.
2) Lapproche normalisatrice. Pour Wster, ltude des termes navait pas pour objectif darriver
une meilleure comprhension de la nature des termes et de la faon dont ceux-ci fonctionnent
dans la communication professionnelle, mais devait rendre possible une meilleure communication
au sein dune communaut internationale de spcialistes. cet gard, le titre de sa thse (Wster
1931) en dit long : Internationale Sprachnormung in der Technik ( La normalisation
linguistique internationale en technologie ). Selon Wster, les termes devraient tre grs par un
organisme de normalisation, de prfrence lchelle internationale. Un tel organisme ne devrait
pas seulement se contenter dorganiser les termes existants, mais galement en crer de
nouveaux suivant les besoins des domaines de spcialit. Cest la raison pourquoi Wster ddie
galement un chapitre de son livre la morphologie des termes.
3) Lidal de la biunivocit ( Eineindeutigkeit ). Cet idal veut qu un seul concept corresponde un
seul terme, et inversement. Autrement dit, la biunivocit vise liminer lambigut rsultant de
18 Das Reich der Begriffe wird in der Terminologie als unabhngig vom Reich der Benennungen (= Termini)
angesehen. 19 On pourrait penser quune image pourrait remplir la mme fonction (puisque cest une autre faon
dindiquer un concept sans utiliser de mots), mais Wster prend soin de nier cette possibilit. Il concde nanmoins quune illustration puisse tre utile pour faciliter la comprhension dune dnition (Wster 1991:35).
20 Pour une description plus dtaille de la thorie des dnitions selon Wster, nous rfrons le lecteur Temmerman et al (1990:65-70).
27
la synonymie (un concept reprsent par plusieurs termes), ou de lhomonymie et la polysmie21 (un
seul terme reprsentant plusieurs concepts). Cet idal ne vaut pas pour la langue gnrale, o ces
phnomnes sont en fait utiles (pensez la varit dexpression, les jeux de mots). Wster
concde que cet idal ne saurait tre atteint, mme dans la langue de spcialit, puisque le
nombre de concepts dun domaine de spcialit est trop important pour quil existe un terme
associ chaque concept (Wster 1991:87). Comme nous avons vu au premier chapitre, mme le
mot terminologie lui-mme est polysme. Pour des besoins pratiques Wster propose donc
de se contenter de lunivocit ( Eindeutigkeit ), cest--dire, la situation o chaque terme ne
possde quune seule signi cation dans un contexte ou un domaine de spcialit donn (ibid:90).
2.3 Critiques de la thorie wstrienne de la terminologie
Aprs avoir t accepte sans trop de discussions pendant des dcennies, la thorie wstrienne a
rcemment fait lobjet de discussions et de critiques. Ces critiques concernent tout dabord la notion
fondamentale de terme . Comment reconnatre un terme ? Une approche peut-tre nave, mais
nanmoins proche de la ralit, peut consister considrer comme terme tout mot quon ne
connat pas. Mais tout dpend de celui qui utilise le mot. Pour quelquun qui a grandi dans une
famille qui tenait un garage automobile, les termes relatifs la mcanique automobile font partie de
la langue de tous les jours. Mais ces mmes mots sont certainement des termes techniques pour
quelquun qui sy connat moins. Le mme mot peut donc fonctionner comme non-terme dans une
situation communicative particulire, par exemple une conversation entre membres de la famille
prcite, et comme terme dans une autre.
Cela revient dire que le statut de terme nest pas inhrent un mot, mais est fonction de la
situation communicative. Dans une telle approche ce serait lusage dun mot, plutt quune
caractristique propre celui-ci, qui dtermine si le mot en question fonctionne comme terme ou
non. Cest galement la thse labore dans Thelen (2002) o lauteur, dfaut de trouver une
d nition satisfaisante dun point de vue thorique, cherche formuler une mthode heuristique pour
reprer les termes contenus dans un texte donn.
Une autre faiblesse du modle est le fait que le dcoupage en domaines est arbitraire et varie d'un
systme documentaire l'autre. Plusieurs systmes de classi cation de connaissances ont t
proposs, par exemple la classi cation Lenoch ou la classi cation UDC (Universal Decimal
21 La distinction entre homonymie et polysmie est lie la prsence ou labsence dune relation morpho-
smantique entre les mots concerns. Si cette relation est absente, lidentit formelle est soit le fruit dun hasard, ou bien la relation nest plus transparente (p.ex. jet (action de jeter) vs. jet (avion raction) ; nerlandais as (cendre) vs. as (axe de rotation)) ; si elle est prsente, il existe un lien smantique transparent entre les deux sens (cf. les diffrents sens associs au mot terminologie). Notez que la frontire entre homonymie et polysmie nest pas toujours vidente (LHomme 2004:56).
28
Classi cation). Tous les systmes proposent de dcouper la ralit en secteurs selon diffrentes
logiques. Mais chaque dcoupage de la ralit est arbitraire.
Une dernire critique concerne lapproche onomasiologique, qui stipule que les concepts
prdatent les termes. Dans la pratique il nest pas toujours le cas quun concept existe avant le
terme qui le dsigne. Parfois les concepts sont dtermins, au moins partiellement, par des termes
existants. Prenons lexemple des mots langue et langage, termes faisant partie du domaine de la
linguistique et de la smiologie. Lexistence de ces deux mots en langue gnrale a t un facteur
dans llaboration par De Saussure de sa thorie linguistique. Dans ce cas prcis, on pourrait dire que
le concept a t gnr par le mot. Dun point de vue pistmologique, il est plus probable que les
concepts et les mots sin uencent mutuellement dans une relation dialectique.
En France et au Canada sest dveloppe, depuis les annes 1990, une alternative la thorie
terminologique wstrienne appele socioterminologie . Dans cette approche, les termes sont
considrs comme relevant de la parole aussi bien que de la langue ; elle abandonne ainsi lapproche
purement prescriptive pour se tourner vers la description. Cest pourquoi elle intgre ltude de la
synonymie et de la polysmie, deux phnomnes qui taient tout simplement bannis de la thorie
wstrienne de terminologie. Un autre point de critique adress par la socioterminologie la
terminologie wstrienne concerne le dcoupage de la ralit en domaines de spcialit ; la
place elle propose une vision alternative qui considre les sciences et les technologies comme tant
des nuds de connaissances qui voluent avec le temps sous les pressions oposes de lintgration
(interdisciplinaire) et la parcellisation (hyperspcialisation) (Gambier 1991:37, cit dans Temmerman
2000:32). En mme temps la socioterminologie considre que ces nuds de connaissances, avec leurs
termes, voluent avec le temps, abandonnant ainsi lapproche uniquement synchronique de la thorie
wstrienne pour introduire une approche diachronique.
Temmerman (2000) sinscrit dans cette ligne, tout en la compltant par une nouvelle approche
du concept ; le rsultat est ce quelle appelle la terminologie socio-cognitive. En ce qui concerne le ct
cognitif de sa thorie (qui la distingue de la socio-terminologie), Temmerman se base sur la thorie
des prototypes, issue des recherches en psychologie cognitive dEleanor Rosch (Temmerman 2000:61).
Cette approche part de lobservation que lesprit humain est en mesure de classi er ses observations
en crant des catgories (une activit quelle prfre appeller catgoriser plutt que classi er ).
Contrairement la thorie wstrienne, qui voit les concepts comme des entits existant
indpendamment du langage dans une classi cation immuable et systmatique, la thorie des
prototypes met laccent sur la fonction cratrice de lesprit humain. Ce dernier cre de nouvelles
catgories sur la base de ses observations et les utilise ensuite pour catgoriser de nouvelles
observations sur la base de ressemblance des prototypes . La langue est en mme temps le re et
et linstrument de cette catgorisation, tout cela dans un processus dialectique.
29
Le mme processus est luvre dans les langues de spcialit. Selon Temmerman (2000), la
dynamique inhrente la structure prototypique de la connaissance humaine joue un rle essentiel
dans le domaine des langues de spcialit et, de ce fait, dans la terminologie. Sans nier limportance
du systme aristotlicien de classi cation, lapproche prototypique la complte. La thorie des proto-
types est mme dexpliquer certains caractristiques des termes, et surtout leur dimension
diachronique, qui tait compltement absente du cadre wstrien. Cest ainsi que Temmerman
montre le rle jou par des phnomnes comme la mtaphore et la mtonymie dans la structure et
lvolution des terminologies.
Mme si un certain nombre de thorticiens de la terminologie sopposent la thorie
wstrienne et af rment proposer un nouveau paradigme dans le sens kuhnien du terme, Antia
(2001) montre que ces critiques proviennent en partie dune lecture incomplte des uvres de
Wster et de ses hritiers. Dune part, les courants dissidents de la terminologie, telle la socio-
terminologie ou la terminologie socio-cognitive, ne peuvent se substituer la terminologie
wstrienne. Ces courants ne sont pas en ralit de nouveau paradigmes, mais ils mettent laccent
sur des aspects de la terminologie qui avait t ngligs par la tradition viennoise, sans pour autant
tre incompatibles avec cette mme tradition. Au mme moment que ces critiques aient t
formules avec une certaine vhmence, prtextant se substituer la terminologie classique, des
adhrents de la thorie classique avaient commenc par eux-mmes adresser les mmes lacunes
tout en restant dans le cadre wstrien. Suivant en cela Myking (2001), Antia (2001:75) reproche
aux reprsentants des courants dissidents , premirement, de ne pas avoir lu ou compris luvre
de Wster, et deuximement, de ne pas avoir pris connaissance des travaux de ses hritiers comme
Budin, Picht ou Laurn.
cet gard, une critique particulire est adresse la tradition franaise de terminologie, visant
notamment lcole dite socioterminologique dvelopp Rouen par des scienti ques tels que
Gaudin et Gambier. Un exemple de ce qui peut tre perue comme une forme d arrogance
franaise est la conclusion dun article du grand lexicologue franais Alain Rey (1996), qui stipule
quil faut corriger Eugen Wster . Myking (2001:59) attire lattention sur lhypothse stipulant
que le rapprochement fait par les socioterminologues entre la terminologie et la (socio-)linguistique
est en ralit une attaque dguise contre la tradition franaise de plani cation linguistique, une
hypothse dailleurs mise par Alain Rey lui-mme :
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La science terminologique francophone a t marque par les actions motivation sociale et
politique qui ont t entreprises dans ce domaine, mme si la mission de la socioterminologie ,
qui a rcemment pris son essor en France, constitue aussi, ou se veut, une contre-mesure laction
politique entreprise.22
(Rey 1996:101)
Myking en pro te pour suggrer que la thorie socioterminologique ne serait pas uniquement
motive par des considrations scienti ques mais quelle serait lie, tout comme la thorie de
Wster, un contexte social et politique donn. Par consquent, elle ne serait pas aussi universelle
quelle prtend ltre. Antia (ibid:75) complmente cette critique par lhypothse que les
terminologues francop
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