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Atlanta University CenterDigitalCommons@Robert W. Woodruff Library, AtlantaUniversity Center

ETD Collection for AUC Robert W. Woodruff Library

12-1-2000

Thèmes parallèles et expériences incompatibles dedeux enfances noires : Joseph Zobel et CamaraLayeKenneth A. SwansonClark Atlanta University

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Recommended CitationSwanson, Kenneth A., "Thèmes parallèles et expériences incompatibles de deux enfances noires : Joseph Zobel et Camara Laye"(2000). ETD Collection for AUC Robert W. Woodruff Library. Paper 780.

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ABSTRACT

FOREIGN LANGUAGES

SWANSON, KENNETH A. B.S. GEORGETOWN UNIVERSITY, 1991

Themes paralleles et experiences incompatibles de deux enfances noires : Toseph Zobel

et Camara Lave

Advisor: Professor Laurent P. Monye

Thesis dated: December 2000

This study, written in French, examines both the parallel and conflicting events

in the childhoods and adolescent periods of two significant francophone writers,

Camara Laye and Joseph Zobel, through an in depth analysis of their respective novels

L'enfant noir and la Rue Cases-Negres. The study was based on the assertion that

children of African heritage growing up in French colonial society would have similar

experiences bearing distinct cultural markers. The following sources were used in the

development of this thesis: direct comparison of the two novels, study of twentieth

century literary criticism, and research of other scholarly works in the field of modern

francophone literature. In this analysis, the researcher explored similar elements

between Franco-African and Franco-Caribbean culture in the themes of music, oral

tradition, colonial education, language, religion and superstition, and social interaction

as represented in the two novels. Furthermore, the study described the conflicting

representations of the conditions of French colonialism in each of the settings of the

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novels and how those representations do or do not reflect the general thinking of the

literary period in which they were published.

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©2000

KENNETH A. SWANSON

All Rights Reserved

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THEMES PARALLELES ET EXPERIENCES INCOMPATIBLES

DE DEUX ENFANCES NOIRES: JOSEPH ZOBEL ET CAMARA LAYE

A THESIS

SUBMITTED TO THE FACULTY OF CLARK ATLANTA UNIVERSITY

IN PARTIAL FULFILLMENT OF THE REQUIREMENTS FOR

THE DEGREE OF MASTER OF ARTS

BY

KENNETH A. SWANSON

DEPARTMENT OF FOREIGN LANGUAGES

ATLANTA, GEORGIA

DECEMBER 2000

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REMERCIEMENTS

L'auteur voudrait remerder sa collegue Zitoune Zahedi de ses conseils

patients et de son aide pour rendre « plus frangais » ce memoire. II voudrait

egalement remerder ses professeurs Earle D. Clowney et Laurent P. Monye de

leur soutien pendant ses etudes a l'Universite Clark Atlanta. Finalement,

l'auteur voudrait aussi remerder sa famille de la patience et du soutien qu'elle

lui a montres et qu'elle lui montre toujours.

u

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TABLE DESMATIERES

Chapitre Pa8e

1. INTRODUCTION 1

Ev&iements semblables dans la vie de deux enfants noirs 1

2. RESUME DE L'ENFANT NOIR 5

Jeunesse traditionnelle 5

Education et sentiments 8

Departs 9

3. RESUME DE LA RUE CASES-NEGRES 13

Enfant des champs 13

Education 15

Rencontres en viUe 18

Deceptions 20

4. DEUX MONDES NOIRS FRANCOPHONES: RESULTAT DE LA

COLONISATION FRANCAISE 24

Fondations coloniales 24

Personnage aliene 26

Entre le pass6 et la modernity 30

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Chapitre Page

5. TRAITEMENTS CONTRADICTOIRES 34

Le r&le de l'education francaise 34

L'evolution du francais dans les colonies 35

Images religieuses 36

I/importance de la musique et de la danse 40

Femme africaine: mere archetype 42

6. CONCLUSIONS 46

BIBLIOGRAPHIE 48

IV

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CHAPITRE1

INTRODUCTION

Evenements semblables dans la vie de deux enfants noirs

En 1950 et 1953, deux romans sont publics qui traitaient l'enfance noire dans les

colonies franchises aux annees trente. Tous les deux sont des histoires quasi-

autobiographiques ou les faits sont m&iculeusement d6taill6s pour enrichir leur valeur

litteraire. Le premier roman, la Rue Cases-Negres par Joseph Zobel, retrace une enfance

a la Martinique sur une plantation de canne a sucre ou le jeune protagoniste habite chez

sa grand-mere, vieille ouvriere accablSe. Le deuxieme, L'enfant noir par Camara Laye,

depeint toute une autre enfance dans un village pittoresque et idyllique en Guinee.

C'est dans ce milieu charmant que grandit un garcon africain au cours de plusieurs

ann6es avant son depart en France vers la fin de son adolescence.1

Des ce moment le lecteur decouvre immSdiatement les differences significatives

des deux remits. L'histoire de Camara Laye presente une tres grande famille musulmane

en Afrique de l'Ouest. Le pere est un forgeron respecte, d'une caste tres importante de

la society guineenne. La mere, une sorte de voyante, jouit aussi d'une position honoree

dans la region. Tout ce recit est riche en detail et raconte en un francais precis et

frequemment orn6 des mots d'origine africaine. La communaute de Kouroussa, le

village autour de la concession des Camara, semble §tre une utopie isolee des effets du

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2

colonialisme francais. II n'y a presque aucune description de la presence blanche hormis

quelques references indirectes comme celles du chemin de fer pres de la concession des

Camara et de l'ecole coloniale ou vont le jeune Laye avec ses freres et soeurs et leurs

amis.

En forte opposition au roman de Camara Laye, celui de Joseph Zobel d6crit un

protagoniste qui vit une serie d'exp^riences tres differentes. Le petit Jos6, enfant

d'ouvriers agricoles, grandit dans une pauvretS absolue. La case de sa grand-mere

appartient au patron blanc, le b6k6 producteur de la canne a sucre. (19) Jos6 n'est v§tu

que de guenilles et il court dans la savane antillaise aux alentours de la plantation avec

ses amis qui s'habillent de la m§me facon. Pour Jose, sa grand-mere joue le rdle de

maman parce que sa vraie mere travaille dans la ville de Fort-de-France, loin de lui et de

la vieille dame. II n'y a point d'allusion au pere.

MalgrS cette in^galite socio-6conomique, il y a des ev&iements paralleles dans la

vie des deux gargons. Chacun d'eux se trouve dans une ecole coloniale, remplis

d'ecoliers noirs-et dans le cas de Jose, quelques metis y figurent aussi. Le but de ces

ecoles primaires est d'apprendre aux enfants noirs a lire et a ecrire en francais. En effet,

Laye parle malinke, qui est un dialecte africain, et Jose parle creole martiniquais, qui est

une langue hybride. Cependant, chaque garc,on montre une habilet6 pour l'6ducation

occidentale qui leur permet d'avancer dans leurs eludes. Gr&ce a cela, chaque garcpn

quitte sa mere pour aller au coUege et ensuite au lycee. Dans ce contexte, ces deux

histoires sont des romans d'apprentissage ou ce qui s'enseigne n'est pas simplement les

lettres et les chiffres, mais aussi les leqons Spres et joyeuses de la vie.2

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3

Dans chaque histoire, les gargons rencontrent des eV&iements significatifs qui

marquent les stapes de l'enfance et de l'adolescence, et qui commencent 1'Sge d'homme.

Le resume des evenements fondamentaux de ces deux romans va demontrer que,

malgre le fait que ces deux soci6tes sont s6par6es par l'Oc6an Aflantique, le melange des

cultures occidentals et africaines provoque des effets semblables sur les deux enfants.

La cause de ces similitudes s'explique partiellement par la politique du gouvemement

colonial francais mais aussi par l'heritage culturel commun entre les deux romanciers.

Au cours des chapitres suivants, on examine les consequences de la colonisation

francaise dans le deroulement de l'intrigue, l'effet de la langue francaise sur les moyens

narratifs, et les symboles- soit de l'Occident, soit de l'Afrique- depeints par les auteurs.

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NOTES DU CHAPITRE 1

1. Camara Laye, L'enfant noir (Paris : Pocket, 1998); Joseph Zobel, La Rue Cases-

Negres (Paris : Presence Africaine, 1997). Toutes les citations de ces romans apparaitront

dorenavant entre parentheses dans le texte du memoire.

2. Jean-Louis Joubert et autres, Les Litteratures francophones depuis 1945 (Paris :

Bordas, 1986), 35 ; Jacques Chevrier, Litterature Negre (Paris : Armand Colin, 1990), 108;

l'auteur appelle ce genre « le roman de formation » ou il y a « cette experience parfois

douloureuse qui fournit le sujet des romans d'education, education a la fois intellectuelle

et sentimentale situee a la charniere de deux mondes ».

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CHAPITRE 2

RESUME DE L'ENFANT NOIR

Jeunesse traditionnelle

Comme indique dans le chapitre preiiminaire, L'enfant noir d6crit l'enfance d'un

gargon assez priviiegie en Guin6e a peu pres trente ans avant la decolonisation de

l'Afrique. Le jeune Laye s'amuse dans la cour de la concession de son pere, un forgeron

respected La premiere formation du garcpn a lieu dans l'atelier de son pere ou il

apprend a respecter les mysteres de sa culture traditionnelle. D'abord, le pere apprend a

son fils rimportance du petit serpent noir comme totem du clan Camara, de l'honorer

comme guide spirituel.1 Plus tard, le garcon observe le travail de l'orfevrerie, travail

sacre qui le passionne le plus dans l'atelier de son pere. Ainsi comme spectateur dans

l'atelier, Laye voit la danse magique, le « douga », et il ecoute les incantations secretes

qui appellent les genies gouvernant le feu et l'or. (24-37) Le petit Laye est

emerveilie lorsqu'il enregistre dans sa m&noire le pouvoir ensorcelant de son pere:

Non, personne alors, tandis que mon pere faisait lentement virer le bijou entre

ses doigte pour en Staler la regularite, personne n'aurait pu t6moigner plus

ample ravissement que la commere, m&ne pas le griot dont c'etait le metier, et

qui, durant toute la metamorphose, n'avait cesse d'accSlSrer son d6bit,

precipitant le rythme, precipitant les louanges et les flatteries a mesure que le

bijou prenait forme, portant aux nues le talent de mon pere. (34)

En racontant de maniere glorieuse la puissance remarquable de l'homme le plus

important de sa vie, Laye devoile aussi le mystere profond de l'Afrique pr6-coloniale.

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6

En complement de ce c6t6 magique, il y a la culture de la savane decrite dans le chapitre

sur le voyage a Tindican, village voisin ou habite la famille de la mere de Laye. A

Tindican, Laye est plut6t h6te que membre du village, mais comme tout le monde dans

le village, il participe a la moisson. Tout le village s'y rend pour faire sa part; chaque

villageois a un travail pour la recolte, m&ne les visiteurs. Ce dur travail rend tout le

monde heureux, heureux de la beautt et de la bonte de la terre. C'est pendant ses

sejours a Tindican que Laye apprend a apprecier la quality de la vie rurale,

apparemment loin de l'influence occidentale et modeme.

A 1'oppose de cette formation traditionnelle, le garcon va a l'§cole coloniale dans

le village de Kouroussa. C'est dans cette 6cole ou il connait un veritable succes en

francais et ou commence son conflit interieur entre le passe et le futur. A cause du

succes de son fils, le pere Camara s'inquiete de la place que cette education occidentale,

necessaire dans le monde colonial, occupe aux depens de l'Sducation traditionnelle. (20)

Cela ne veut pas dire que toutes les traditions de son peuple manquent a Laye. En effet

la formation europeenne prend une place plus significative dans l'experience du fils que

dans celle du pere.

La vie de ce garcon africain est marquee de certains rites de passage tres

importants. D'abord il y a la nuit Konden Diara et ensuite la circoncision. (102-22)

Camara Laye raconte son entree dans les « Konden », le groupe des adolescents ages de

douze a quatorze ans qui ont surv£cu une nuit de Konden Diara mais qui ne sont encore

pas circoncis. Cette ceremonie a lieu la veille du mois sacr£ du Ramadan. Le bruit des

tam-tams et d'autres instruments meles aux cris pergants des jeunes signalent l'arrivee

des « Konden » a la concession de la famille Laye. Le garcon a peur; son pere le rassure

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en disant que lui-me'me a aussi affronts une telle nuit. Tout de suite, le jeune part avec

les autres garcons pour rencontrer l'esprit Konden Diara. Les ain6s emmenent les plus

jeunes coude a coude vers un lieu sacre ou un grand feu chasse les tenebres de la nuit

Le rite nocturne est compost de chants, de musique, de rugissements leonins, de cris des

jeunes. Bient6t les aines commandent aux plus jeunes de s'agenouiller. La tete baissee,

ils ferment les yeux et attendent l'arrivee du terrible esprit Konden Diara : mi-b£te, mi-

homme—jamais vu, et par consequent, invisible. Les rugissements deviennent

impitoyables, mais le jeune se rappelle alors les paroles de son pere et subit

courageusement sa peur. Les hurlements affreux cessent enfin; les nouveaux inittes se

levent et l'enseignement des chants des incirconcis commence, continuant jusqu'a

l'aube.

Par contraste, le rite de circoncision va bien au-dela de la nuit Kond6n Diara.

(123-54) Ce rite-la est reeUement plus s6rieux que la nuit de Konden Diara, un

ev&iement effrayant, mais en realite il n'y a pas vraiment de danger ni de peine. La

circoncision est l'experience de la peine et du sang Apres la circoncision, le garcon

n'existe plus et un homme prend sa place dans le village. La circoncision est a la fois

quelque chose de familier et d'inconnu avec deux aspects : public et secret. De la m&ne

maniere que les inittes precedents, le jeune Laye s'habille en boubou, danse et rit Mais

cette joie s'accompagne de 1'angoisse. Dans ce rite tres important, quand les inities

arrivent pour amener le gar?on, comme dans la nuit Konden Diara, il y a de forts cris,

des tam-tams tremblants, des danses. Chaque element du rite de la circoncision suit un

code precis et present selon une tradition ancienne. Le vrai moment de l'epreuve passe

presque instantanement Des que l'operateur a fini son travail, il laisse Laye et les autres

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initi6s avec leurs plaies saignantes. Par ce rite du sang, ces gargons deviennent

maintenant des hommes. M§me si les nouveaux circoncis affaiblis sont encore comme

des nouveaux-n£s : gardes et soign6s jusqu'a ce qu'ils aient la force pour rejoindre la fete

autour d'eux.

Education et sentiments

La circoncision marque d'autres changements dans la vie du jeune homme.

D'abord, il quitte la case de sa mere pour habiter sa propre case dans la concession de

son pere. Cette transition, une separation de la mere et du fils devient davantage

prononc6 quand le jeune homme voyage a Conakry pour commencer ses etudes au

College technique (l'ecole Georges Poiret). Ce depart signale la separation du jeune

homme et de sa bien aimee, la douce Fanta et aussi celle de ses meilleurs amis de son

village. A six cents kilometres de Kouroussa, Laye explore non seulement une culture

vraiment etrangere a Conakry, mais il decouvre aussi la politique du systeme Sducatif

colonial et la joie d'un nouvel amour-la belle metisse Marie. (155-80) Son amour pour

Marie est plus profond et plus intime que son amour d'enfance pour Fanta. Avec Marie,

Laye decouvre les sentiments riches qui occupent toujours ses rfives. Tous les deux,

Marie et Laye dansent ensemble, se parlent souvent, et pour eux, le developpement de

leur rapport est contenu, mais non moins intense et cher.

Bien qu'il tombe r6ellement amoureux, le jeune homme ne decouvre pas

seulement le bonheur de l'amour a Conakry. Au cours de ces trois annees, Laye Studie

tres serieusement. D'abord il a l'impression de perdre son temps a l'ficole Georges

Poiret ou « tout ce qu'on [lui enseigne] » il le sait depuis l'ecole coloniale a Kouroussa.

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(176) L'oncle Mamadou lui explique que 1'education offerte a Georges Poiret est

preferable a celle donnee au college Camille Guy, ecole rivale a Conakry, ou on ne

prepare que des bureaucrates. La formation pratique donnee a Georges Poiret est plus

respectee parce que les etudiants apprennent des metiers de technicien et de

contremaitre. Pourtant, le manque d'6ducation generate dans l'histoire et la literature

fait penser a Laye qu'il n'arriverait jamais a faire les etudes avancees au lycee a Dakar.

Mais apres les vacances a Kouroussa a la fin d'une annee d'^tudes, Laye rentre a l'ecole

maintenant transformee en College technique. Le programme, comme l'edifice, se

transforme aussi en ajoutant des cours de sciences humaines et de literature. Laye est

content de ces changements; il est doublement rassure par l'occasion d'apprendre les

techniques et capacites pratiques et de suivre les cours en histoire et en litterature. (182)

Enfin les examens du certificat arrivent. Apres « trois jours d'angoisse », l'intercession

par les prieres des marabouts, les sacrifices et les offrandes, Laye decouvre qu'il est recu

a la premiere place parmi les candidats admis au certificat d'aptitude professionnelle.

(193-5)

Departs

Laye recoit une bourse de tout pour aller en France afin de continuer ses etudes.

Cependant, le succes ne vient pas alors sans contingences car le depart exige les adieux.

Pour Laye cela veut dire les adieux a sa famille, a ses amis, a ses amours et a son pays.

La description de ces au revoir est touchante sans 6tre mievre. (196-219)

D'abord l'adieu qui est reellement amer est celui entre Laye et son ami Check,

qui meurt d'une maladie etrange. Quand Laye retrouve son ami apres deux ans a

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l'ecole, Check a l'air malade: il est trop maigre et a le ventre enfle\ Ayant peur que la

condition de son ami aille s'aggravant, Laye avertit sa mere qui a son tour rend visite a

la mere de Check. On consulte les gu^risseurs sans succes. Ensuite on convainc le

malade d'aller au dispensaire afin de voir un m6decin blanc. Malheureusement, la

science occidentale ne r£ussit pas non plus la ou la magie africaine a echoue\ Check

meurt a l'hdpital ou il fait ses adieux a Laye et leur ami Kouyatt. (204-9) Cette mort fait

comprendre a Laye que la duree de la vie est incertaine.

Les prochains au revoir sont entre Laye et ses parents quand il quitte la Guin6e

pour voyager en France. Les sentiments exprim^s dans les dialogues entre la mere

Daman Sadan et le fils qui s'appr§te a sejourner aux pays des Blancs sont tres

emouvants. Tout de suite, la mere est absolument contre le d6part de son fils. Elle

explique que m&ne avec la bourse offerte a Laye, pour elle, le cout einotionnel est trop.

Laisser partir son fils lui est insupportable. La mere souffre rien qu'a y penser. Apres

des conversations difficiles avec son mari et son fils, elle comprend qu'il est impossible

d'empecher son fils de partir. Elle sait qu'un tel voyage transformera son fils, le rendra

Strange.2 « Enfin a bout de colere » elle accepte que Laye la quitte, mais elle ne l'accepte

sans arreier de se plaindre ou de pleurer. (211, 216-9)

Les derniers conseils donnas par le pere a son fils avant le voyage vers le nord

ajoutent a la profondeur demotion du roman. Leur conversation rappelle la proph&ie

du pere au debut du roman. En v6rit£ le pere n'est pas moins triste que la mere,

cependant le pere sait que le depart de son fils pour accomplir les eludes sup&ieures en

France est une necessity inevitable. Le pere Camara d6sire que le fils saisisse l'occasion

qui lui est devant Lorsque le pere lui souhaite un bon voyage, il demande a son fils une

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promesse de retour en Guinee. Le pere voit sa propre prediction achevee, ses anciennes

paroles se concr&isent: « J'ai peur ... que tu ne me frSquentes jamais assez Tu me

quitteras, petit.... » (20,213-4)

De Kouroussa, il part d'abord a Conakry ou il fait ses adieux au directeur du

College technique. Laye recoit un cadeau, un plan du m6tro a Paris qu'il ne comprend

guere, et un conseil de s'habiller chaudement car la saison y est plus froide. Marie

accompagne Laye jusqu'a Dakar ou elle continue ses propres etudes. Parmi les

dernieres lignes du roman est encore une promesse, non seulement a Marie, mais a toute

la Guinee3: « Surement, je reviendrai! » (219-21)

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NOTES DU CHAPITRE 2

1. Sonia Lee, Camara Laye, Twayne's World Authors Series : French Literature,

ed. David O'Connell (Boston : Twayne Publishers, 1984), 21.

2. Ibid., 31.

3. Ibid., 20; Lee caracterise ainsi le roman : ... [T]he author's obsession for his

Malinke heritage is evident and constant throughout his work, and FL'enfant noirl is a

spontaneous cry of love and anguish, an attempt to halt destruction through the use of

the most powerful tool man has ever invented for himself: the written word.

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CHAPITRE 3

RESUME DE LA RUE CASES-NEGRES

Enfant des champs

A l'instar du roman africain r£sum£ dans le chapitre pr£c6dent, le roman antillais

commence devant une case rurale. Pourtant le contraste est imm6diatement clair. Au

lieu de dScrire une scene mysterieuse et effrayante, Joseph Zobel ouvre la Rue Cases-

Negres pres des champs de canne a sucre ou le petit Jos6 attend I'arriv6e de sa grand-

mere m'man Tine qui travaille toutes les journeys sur la plantation d'un b6k£. Les

premieres pages contiennent des descriptions fort detaillees qui font eclater la pauvrete

du protagoniste, qui au d6but n'est qu'un tres jeune garcon. En particulier il y a l'image

de la robe de m'man Tine.

Cette robe n'£tait rien autre qu'une tunique sordide ou toutes les couleurs

s'etaient juxtaposes, multiplies, superposSes, fondues. Cette robe qui, a

l'origine .. . avait 6t£ une robe de simple cretonne fleurie,. . . £tait devenue un

tissu 6pais, matelasse, une toison lourde, mal ajustee, qui pourtant semblait §tre

la tenue la mieux assortie aux mains en formes de racines, aux pieds gonftes,

racornis et crevasses de cette n6gresse.... (11)

Ces deux phrases d£crivent la condition miserable de cette petite famille. N^anmoins la

richesse des sentiments est aussi evidente dans les premieres pages : « M'man Tine me

rapportait toujours quelque chose a manger. Ses compagnes de travail en faisaient

souvent la remarque, et m'man Tine disait qu'elle ne pouvait porter quoi que ce soit a sa

bouche qu'elle ne m'eut r£serv6 une part. » (9-10) D'une fac.on extreme, l'amour de la

13

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grand-mere se manifeste aussi dans les chatiments corporels donnes a son petit-fils

lorsqu'il fait quelque chose de mal. Jose offre des descriptions 6galement lucides de ces

moments:

Mais je suis attentivement revolution de la fureur de m'man Tine. J'attends avec

effroi le moment ou elle va me tomber dessus a grands coups du premier objet

venu sous sa main, et je ne sens presque rien, sinon une confusion dont je suis

aneanti, malgre la raideur stoique avec laquelle je me tiens la ... sur mes deux

genoux. (41)

M'man Tine semble 6tre comme le Seigneur de 1'Ancien Testament, attribuant les

recompenses et les chatiments et maniant son amour comme une lame. Alors dans ce

sens, Jose adore sa grand-mere et elle le protege. Cet amour puissant qui existe entre les

deux personnages principaux est la base veritable du reste de l'histoire.1

Par ces premieres peintures en paroles vibrantes, on decouvre un garcon tres

sensible. Pres de la case de sa grand-mere, le petit Jose a des aventures enfantines a la

fois typiques et extraordinaires. Avec ses amis de la rue Cases-negres, il explore les

parages de la plantation. A moitie nus, les enfants courent dans les champs et dans la

foret antillaise, cherchant a jouer et a manger, animes tout autant par leur pauvrete et

leur curiosite. Chaque matin ils quittent leurs cases pour passer la joumee ensemble, et

ils se depSchent a la fin de l'apres-midi pour rentrer chez eux avant les grands.

Lors d'une de ces sorties habituelles, les jeunes vont vivre une aventure horrible

et effrayante qui changera a jamais la vie du petit Jose. Les gamins, ayant toujours faim,

pensent a allumer un feu pour faire cuire comme dejeuner les oeufs qu'ils ont trouves.

Les ceufs caches d'une poule sont une trouvaille magnifique pour les enfants de la rue

Cases-negres et dans leur hate d'y gouter, ils courent un danger extr&ne sans s'en

rendre compte. Ils se procurent des allumettes « a la maison » du beke en pretextant que

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leurs parents en ont besoin demandant aussi du rhum pour leur mensonge

vraisemblable. Une fillette reussit a tout obtenir, et les enfants commencent a feter.

Bient6t souls, ils dansent frenetiquement, filant de case en case dans la rue. Une autre

fille, qui a beaucoup bu du rhum, frotte et lance les allumettes. Dans la melee de cris et

de rires, ils decouvrent qu'ils ont mis un feu dans le jardin d'une des cases dans la rue.

Les enfants fascines par la fumee et les flammes se jettent alors dans une nouvelle danse

de celebration. Ivres de rhum, intoxiques par la fumee et hypnotises par le feu, les

enfants ne realisent pas du tout leur peril jusqu'a ce que les adultes arrivent lancant de

l'eau sur l'incendie pour l'eteindre. Les parents saisissent leurs enfants et les arrachent

du feu. Le chatiment donne a Jose dure plusieurs jours avec des coups de baton et des

calottes de main. Battu a mat, Jose recupere des forces sur le lit de sa grand-mere. Sa

punition, peut-gtre plus violente et horrible que son crime, ferme une epoque de sa

jeunesse. C'est apres cet episode qu'il apprend la nouvelle direction de sa vie. (67-74)

Education

Quelle est cette nouvelle direction ? M'man Tine cherche a arracher comme une

mauvaise herbe son petit-fils des champs du beke pour l'envoyer a 1'ecole coloniale pour

lui assurer un avenir loin du dur travail qu'elle a subi toute sa vie. Cette education

formelle, cle du succes dans le monde gouverne par les bekes, est reellement un

complement a la formation qu'il a deja commencee avec un vieux noir qui s'appelle

Medouze. C'est seulement Medouze qui se souvient de la vie en Guinee dans la belle

savane africaine. Le soir, Jose arrive et s'assied aux pieds du vieil homme pour ecouter

des histoires. Les histoires sont Creoles, des melanges de la tradition africaine et de

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l'experience des noirs aux Antilles depuis l'esclavage. Jos6 sait r§pondre correctement

aux appels dans les pr6ambules des histoires : « Eh eric ! Eh crac ! » Le garcon reste avec

le vieil homme pour ecouter et chanter jusqu'a ce que m'man Tine l'appelle pour rentrer

manger ; le gamin part «le coeur lourd de regret». (54-6) Ce sont les histoires au sujet

du pere de MSdouze qui interessent vraiment Jos£, les histoires de la Guinee, du temps

ou les Frangais ont rendu les noirs esclaves. C'est dans l'enfance de Medouze que Ton a

Iib6re les esclaves, mais il a vite compris que la condition des noirs aux Antilles ne

changerait pas: « Oui, ajoutait-il, de toute fac,on, nous restons soumis au b6ke, attaches a

sa terre; et lui demeure notre maitre. » (58) A sa maniere, Medouze joue de multiples

rdles pour Jos6-tantdt grand-pere, tantdt precepteur d'une histoire partagee, tantdt

l'ami de coeur.2 Le debut de l'6cole francaise coincide avec la fin des rencontres avec

Medouze—non pas a cause d'un conflit culturel, mais plut6t a cause d'une tragedie

inattendue. Medouze meurt dans les champs de canne a sucre. Son corps est retrouve

par les autres manoeuvres noirs qui pleurent et louent le vieux comme dernier

representant de leur heritage perdu. Ainsi se termine la formation orale du petit Jose

sans qu'il ne puisse profondement comprendre la valeur de tout le savoir du vieil

homme. (90-102)

Bientdt apres la mort de M6douze, Jos6 commence l'ecole francaise dans la ville

de Petit-Bourg. C'est son premier voyage loin de la plantation. Habille a nouveau en

« calicot gris a petites rayures noires », il va a l'6cole. La, il lui faut parler seulement en

francais, s'adresser a la maltresse «a la peau cuivr^e » avec « oui, Madame, non,

Madame » et gtre tres attentif. La petite ecole lui semble un lieu ou il peut regarder et

ecouter de belles choses. L'apres-midi, il rentre tout seul a la rue Cases-negres. Dans les

Page 25: Joseph Zobel et Camara Laye

17

yeux de sa grand-mere Jos6 remarque un changement dans son attitude. A son retour

m'man Tine le regoit avec «tendresse et... satisfaction. » (107-9)

Le jour me*me ou il commence sa carriere d'ecolier, Jos6 rencontre Mme Leonce.

Elle dirige une pension ou Delia, la mere de Jose,6tait servante avant sa naissance. C'est

chez cette dame que Jose mange le petit repas Iaiss6 par m'man Tine. Mme Leonce fait

dejeuner JosS dans le couloir et exige qu'il ne laisse pas tomber de graisse sur le sol.

Chez cette dame, Jos6 apprend l'inegalite amere entre les classes socio-economiques de

son pays et decouvre le manque d'honnfitete chez les gens. Mme Leonce donne d'abord

sa promesse a m'man Tine d'offrir «1'hospitalitS a midi» au gargon; il dejeune pas a

table, mais dans le corridor. Un jour elle lui donne a manger un plat de nourriture de sa

cuisine, et selon ses instructions Jos6 r6pete a sa grand-mere qu'il n'a plus besoin

d'apporter son dejeuner. II mange maintenant dans la cuisine de la dame. Comment va-

t-il payer cette gen£rosit6 ? II devient le « petit negre » de la dame, faisant d'abord la

vaisselle. Bientdt, il doit aussi cirer des chaussures et faire souvent des courses apres

1'ecole. Immediatement il ressent ce « rabaissement» et deleste cette « corvee » qui

l'emp&rhe de rentrer a l'heure a 1'ecole. Ce travail le prive de la joie qu'il trouve la-bas a

la lecture et avec ses amis. Un jour, vraiment par accident, il se libere; une cruche se

brise en miettes de poterie lorsque Jose la remplit d'eau. Accuse de l'avoir cassee, il se

sauve de la maison. II trouve d'autres moyens pour se nourrir dans le voisinage et pour

rentrer chez lui sans avoir besoin de passer devant la maison de Mme Leonce. (109-30)

Quand les vacances arrivent, Jose passe les journees dans les champs a canne a

sucre a c6t£ de sa grand-mere. II ne voit plus ses amis de la plantation, pensant plutdt a

revoir ceux de 1'ecole. Le soir, il joue a 1'ecole, faisant une salle de classe dans la cabane

Page 26: Joseph Zobel et Camara Laye

18

de m'man Tine. Tout seul, il est a la fois eleve et « mattresse », chantant et recitant

jusqu'a ce que sa grand-mere exige le silence. II s'ennuie d'attendre la rentr6e. Enfin les

vacances s'achevent. Pendant les preparations pour la rentree, m'man Tine d6couvre

que Jos6 n'a pas continue a manger chez Mme L6once. La grand-mere veut savoir

pourquoi, mais Jos6 n'avoue rien. M'man Tine decide de d6m6nager a Petit-Bourg ou

elle souhaite mieux soigner et surveiller les va-et-vient de Jose\ Elle va toujours

travailler dans les champs, mais c'est elle qui fait la navette entre la petite ville et la

plantation et non pas Jose\ (131-7)

Rencontres en ville

Ce changement de domicile mene aussi aux deVeloppements sociaux. JosS fait

de nouveaux amis dans le quartier autour de la Cour Fusil ou il se loge avec m'man

Tine. L'apres-midi, il s'assied devant la porte et regarde les gens interessants qui

habitent aussi la Cour. Le petit n'entre pas chez les autres et ne rSagit pas

nkiproquement avec les gens. II y est plut6t comme t&noin et observateur. (138-142)

Sa deuxieme annge a l'ecole, Jos6 fait encore des amis. En particulier, il y a le

grand garcon Vireil qui « a la peau et les cheveux ... qui brillent comme s'U [6tait]

baign6 chaque matin dans l'huile de coco II parle d'une voix qui fait se toumer tout

le monde,. . . Car sa voix est deja celle d'un homme, d'un homme grand, qui travaille,

monte a cheval, qui fume et parle aux femmes. » Vireil est le conteur de la classe, ses

histoires incroyables sont au sujet des zombis et des gens-gag6s-ceux-ci sont surtout

des blancs. L'autre nouvel ami qui lui est proche au cceur est un gargon d'h^ritage

m6tis, Georges Roc, dit Jojo. Jos6 explique pourquoi il aime tellement son ami: « Je

Page 27: Joseph Zobel et Camara Laye

19

l'aimais, pas pour la joie de jouer avec lui, pas pour un quelconque talent qui le

distinguat, pas meme pour sa gentillesse; mais surtout parce qu'il etait toujours triste, et

que les choses qu'il me racontait me faisaient de la peine. » C'est a travers ces deux

personnages que le lecteur comprend mieux la sensibility aigue' chez Jose. Deja, a huit

ans, Jos6 est quelqu'un qui cherche dans le coeur de ses camarades pour connaltre leurs

meilleures qualites. (142-56)

Des que Jos6 quitte l'e"cole primaire pour aller «a l'^cole des grands », il

commence aussi le cat§chisme. Sa formation religieuse ne 1'inttresse pas tellement parce

que cette instruction n'est que de l'exercice de repetition. Marraine Fanny, la maltresse

du cat£chisme, lui semble « plus affreuse qu'une femme gagee »; il songe a la mort de

cette dame « nuit et jour ». Ce qui lui emb§te le plus est le manque de discussion de la

foi. La classe ne fait que de recitations du livre de priere sans discussion du tout

Pendant cette p£riode, il observe aussi la pratique du catholicisme que fait sa grand-

mere. II voit le degr£ de sa devotion, mais cette religion des Wanes ne lui dit pas

beaucoup. (157-62)

Pendant sa jeune adolescence, Jos6 vit une suite d'6v£nements significatifs.

D'abord m'man Tine devient s6rieusement malade et, crainte de s'en mourir, doit aller a

l'hdpital pour se gu£rir. A cause de la longueur de la maladie, Jos£ ne fait pas sa

Premiere Communion. Pour des raisons raciales, la belle-mere de Jojo interdit que les

deux garcpns jouent ensemble apres l'6cole. A l'6cole des grands il y a un nouveau

maitre, M. Stephen Roc, un instituteur fort s£rieux et exigeant. II est l'oncle de Jojo, et

c'est ce jeune qui souffre le plus dans cette nouvelle classe. Apres les PSques, Jos6 fait sa

Premiere Communion et entre definitivement dans le groupe des « grands » parmi ses

Page 28: Joseph Zobel et Camara Laye

20

camarades. L'6pisode la plus choquante se fait quand Jojo « marronne ». Sans trace, le

gargon s'enfuit de Petit-Bourg. II est parti, suppose Jos6, pour chercher sa vraie mere,

l'ancienne maitresse du pere de Jojo. C'est Jos£ qui le voit la demiere fois a la f§te

patronale de la ville. Les deux demiers eVenements de ce temps sont li£s l'un a l'autre.

D'abord, toute la classe de M. Roc r£ussit a l'examen au Certificat d'Etudes. Ensuite,

Jos6, le seul qui a 1'age requis, r^ussit a un deuxieme examen et regoit une bourse pour

aller au lyc£e a Fort-de-France. La vie du protagoniste change pour une deuxieme fois.

(163-212)

Deceptions

La reception au Concours de Bourses implique autres besoins. Comment va-t-il

aller chaque jour au lycee a Fort-de-France et rentrer a Petit-Bourg ? La decision de

m'man Tine est prise-il va habiter avec sa mere Delia. Parce que Jos6 ne recoit qu'un

quart de bourse d'6tudes, et parce qu'il doit vivre avec elle, Delia quitte son travail

lucratif de bonne pour louer une chambre. Elle accepte les lessives pour gagner l'argent

necessaire pour payer les frais du Iyc6e. Les difficult^ 6conomiques a part, Jos6 trouve

aussi des troubles au lycee; il ne ressemble pas aux autres etudiants qui ont le teint clair,

les cheveux lisses et qui portent les vetements chers. Se sentant isol6 et peu soign6 a ce

lyc§e, JosS n'a pas de grands succes pendant le premier trimestre. Apres avoir vu les

notes de son fils, Delia rgprimande son fils d'avoir gaspill^ les biens de son travail. Le

trimestre suivant, Jos6 est « decide a travailler ». Pendant le deuxieme trimestre, il a de

bonnes notes, et il commence a s'entendre avec ses camarades. II deVeloppe un veritable

amour pour la lecture des romans. Quand mtoe, le succes dans ses cours ne change pas

Page 29: Joseph Zobel et Camara Laye

21

l'inSgalite economique qui existe entre lui et ses camarades, m£me avec l'augmentation

de sa bourse. (215-36)

La nouvelle ann£e scolaire apporte encore de petits bouleversements. Delia

trouve un travail chez un Wane tres riche. Avec beaucoup d'inqutetude elle laisse son

fik a se soigner tout seul dans le quartier Sainte-ThSrese. Jos6 retrouve bient6t les

sentiments d'isolation. II n'a plus l'ardeur pour ses eludes, et il fait fr6quemment l'6cole

buissonniere au bord de la mer, regardant les gens en train de travailler. L'ann^e

suivante, il rejoint sa mere dans le quartier du Petit-Fond pres de la Route Didier ou elle

travaille. Durant ce temps, il fait la connaissance de Carmen, chauffeur d'un b§k6 dans

la Route Didier, qui devient un bon copain au jeune homme. Avec Carmen, Jos6

commence les «lemons » sur la vie comme elle est. II apprend la nette distinction des

races dans la Martinique: d'abord les Blancs, ensuite les Muiatres, dernierement les

Noirs « sans compter les subdivisions ». La legon la meilleure entendue et la plus Spre et

que malgn* le fait que les Noirs sont les plus nombreux, ils sont tous m6pris6s—m&ne

entre eux. (237-62)

Au lycee, il entre en premiere. Les cours ne le passionnent pas beaucoup, m&ne

celui de la litterature car il n'a confiance en ses capacity d'analyse. Quand il s'agit de

faire une composition originate sur son « plus 6mouvant souvenir d'enfance », Jos6

decrit la mort de M6douze. Le professeur accuse Jos6 d'avoir plagie le recit. Frustr6 par

ces etudes, Jos6 songe seulement a les achever pour qu'il puisse trouver une bonne

situation dans un bureau. II desire seulement offrir a sa mere et sa grand-mere un repos

de leur dur travail, une recompense pour tout ce qu'elles ont sacrifte pour lui. Les

moments de joie sont rares. Jos6 retrouve Jojo qui a pass6 du temps en prison pour des

Page 30: Joseph Zobel et Camara Laye

22

causes injustes. M'man Tine devient de plus en plus malade, et Jose n'a pas assez

d'occasion de lui rendre visite. II echoue a la premiere partie de l'examen du

baccalaureat. Trois mois plus tard, il y reussit. Mais le bonheur de ce succes est coupe

par la trag6die. Un telegramme appelle Delia a la Cour Fusil: « Votre mere est malade,

arrivez de suite. » Deux jours plus tard et en deuil, Delia rentre a la Route Didier. Jose

sait que m'man Tine est morte, mais il ne sait du tout quoi faire. II veut raconter son

histoire, mais a qui, car elle est trop semblable a celles de ses amis. A la fin du roman, il

le sait: « C'est aux aveugles et a ceux qui se bouchent les oreilles qu'il me faudrait la

crier.»(263-310)

Page 31: Joseph Zobel et Camara Laye

23

NOTES DU CHAPITRE 3

1. Beverly Ormerod, dans son essai, definit m'man Tine : « The Representation of

Women in French Caribbean Fiction, » dans An Introduction to Caribbean Francophone

Writing: Guadeloupe and Martinique, ed. Sam Haigh (Oxford : Berg, 1999), 102-3 :

Many of the well-known female protagonists in French Caribbean narratives are

old: matriarchs, witches, healers. They are often symbolic in a way that involves

physical unattractiveness: cane-field workers with bent backs and gnarled

fingers; loud-voiced proletarians who mete out blows and truculently weather

the ups and downs of life. But a traditional prestige attaches to the grandmother

as substitute mother, offering care, protectiveness and a stability that the birth

mother may not be able to provide. She symbolizes the strength of the matrifocal

household that was born of the shattering of African family patterns during

slavery.... But this dour, exhausted cane-field worker, struggling to ensure that

her grandson will have a better life than her own, is also an icon of female

endurance.... Stoical and undemonstrative, she is none the less driven by her

determination to save him from the cane fields.

2. Ormerod explique le role de Medouze en opposition de celui de m'man Tine

dans « The Representation of Women, » 104 :

The role of cultural sage is reserved for the ancient solitary Medouze, who plays

traditional riddle games with the child and speaks to him of the slaves'

homeland, ancestral Guinea. By the glow of Medouze's cooking fire, his

wretched loincloth-clad body is transformed into a 'handsome, masculine' form,

while his half-closed eyes, red-streaked hair and wild beard give him the

appearance of an archaic mask. In African tradition, it is the old man, not the old

woman, who holds the magic secrets of the race and hands them on to his male

successors—....

Page 32: Joseph Zobel et Camara Laye

CHAPITRE 4

DEUX MONDES NOIRS FRANCOPHONES: RESULTAT

DE LA COLONISATION FRANCAISE

Fondations coloniales

La francophonie fait aujourd'hui partie des legs de la colonisation francaise dans

le monde au cours de quatre siecles. Joseph Zobel et Camara Laye sont h£ritiers d'une

langue 6trangere a cause de la colonisation. Pour Camara Laye, son appartenance au

domaine de la literature francophone est le r6sultat d'une lente assimilation culturelle et

politique des Noirs vers une civilisation semblable a celle des pays europ^ens. Dans le

cas de Joseph Zobel, parler francais est un produit de l'esclavage sur les plantations aux

Antilles; dans un sens, Zobel est aussi stranger a son tie natale, la Martinique, ainsi qu'a

la langue par laquelle il s'exprime dans la Rue Cases-Negres. Chaque auteur a du

apprendre le francais comme langue seconde, et cette langue est devenue l'outil

nScessaire pour une reconnaissance plus internationale. N6anmoins, le langage dans

chacun de ses deux romans reflete les idiosyncrasies de la culture natale des auteurs.1

Ces romans repr§sentent aussi la condition d'une grande partie de la litteiature de

langue franchise hors de la France, et ils demontrent l'id£e que «les literatures

francophones naissent toujours dans des situations de contacts et de d6s£quilibres

culturels, souvent h&itees des constructions coloniales. »2

24

Page 33: Joseph Zobel et Camara Laye

25

La francophonie n'existerait pas sans les efforts de la France d'etablir jadis un

empire. En depit de la disintegration du vaste territoire colonial, le francais persiste

comme langue preeminente de la politique, de l'education, de la communication

publique et parfois comme langue seconde dans bien des pays modernes anciennement

colonies de la France.3 Loin d'une degradation du francais en plusieurs dialectes

dissemblables, la literature francophone represente un corps d'ecrits d'un frangais

enrichi par les vocables et les syntaxes des regions colonisees. Cet enrichissement du

frangais est forc6ment fondamental au deVeloppement des litteratures francophones qui

doivent honn§tement repr6senter les experiences des gens d'expression frangaise a

l'exterieur de l'Hexagone. En Afrique et aux Antilles, «les ecrivains noirs...sont les

representants d'une renaissance culturelle qui n'est ni frangaise ni mfime occidentale. »4

Ce n'est pas simplement la mise en place d'un roman francophone qui fait savoir la

couleur de la peau de son auteur, mais plutdt la maniere dont l'auteur se sert du frangais

qui fait deviner une identity non blanche. Ceci est un developpement fort important

dans la creation d'une litterature d'idiome francophone et d'origine noire.s

Cette croissance de la langue frangaise figure dans la realite de la vie coloniale en

Afrique et aux Antilles et transparait dans les romans de Laye et de Zobel. Ceux qui

parlent frangais standard apergoivent bien des locutions Creoles dans le roman de Zobel

et des toumures africaines dans celui de Laye. Puisque ni l'un ni l'autre ecrivain ne

parle frangais comme langue maternelle, et parce que leurs experiences ne sont pas

strictement « frangaises », les deux auteurs devaient emprunter soit au malinke soit au

Creole pour enrichir le sens de leurs 6crits en frangais—pas de faute de vocabulaire de la

part des deux auteurs, mais un « manque » de la part de la langue europ6enne pour

Page 34: Joseph Zobel et Camara Laye

26

decrire pr6cis&nent les experiences exotiques. De cette facon, les deux auteurs

demontrent une assimilation quasi-ratee: oui, la langue est franchise, mais leurs livres

sont« noirs francophones ».

Personnage aliene

L'histoire de Jose Hassam dans la Rue Cases-Negres repose sur le conflit

interieur et l'alienation culturelle. Pour Jos6, le Creole est la langue de sa grand-mere et

de ses amis et voisins—sa langue exclusive avant l'ecole. Dans la rue Cases-negre, chez

Medouze, un vieux noir—le dernier a se rappelerla Guinee de l'Afrique mere—Jose

ecoute les histoires traditionnelles en Creole et repete les rythmes africains. Ce vieil

homme represente pour Jose un heritage presque incomprehensible. Les manoeuvres de

la plantation, descendants des esclaves africains, sentent une tristesse brutale lors de la

mort de M6douze. Dans leurs chansons et leurs contes au soir de sa mort, Us retrouvent

un peu de la beaute de leur culture africaine. Dans les histoires racontees cette nuit-la,

Jose comprend bien la valeur magique de cette tradition orale :

Et a chaque fois qu'il [le conteur] elevait les cantiques a leur plus troublante

plenitude, je m'attendais a voir le cadavre du vieux negre raidi sur la planche

trop etroite, s'eiever aussi dans la nuit et partir pour la Guin6e.

C'est en effet M6douze qui a fait valoriser a ses compatriotes martiniquais leur heritage

commun, et l'Afrique est devenue alors un paradis perdu.6 « La valorisation de la

Guinee, comme arriere-pays et comme lieu de repos des ames en peine, sert de gages de

fideiite. »7

Page 35: Joseph Zobel et Camara Laye

27

Apres la disparition de son lien personnel avec le passe et apres son entree dans

1'ecole, la vie de Jos6 devient double : a 1'ecole il a une vie en francais pleine de lectures

et d'analyses, et dans les quartiers noirs il a une vie en creole pleine d'observations et

devaluations. Jose doit decider quels elements de son education lui sont importants, et

il donne une valeur a chaque experience qu'il vit. C'est aussi pendant son education

franchise qu'il commence a comprendre la richesse de son heritage creole. Par ses

rapports avec ses camarades Vireil et Jojo, Jose decouvre peu a peu la culture

mysterieuse de la Martinique, les histoires des zombis et des gens-gages. Aussi

apprend-il le mauvais regard social porte vers le creole par les noirs et les m6tis qui

cherchent du respect dans la communaute coloniale. II y a par exemple Mam'zelle

Melie, la domestique de la famille Roc, qui chasse Jose « [l]e petit negre » d'en dessous

de la veranda et d'avec Jojo parce ce que les deux garcons ne se parlent que creole. En

outre, le petit Jojo offre une observation profonde de la structure de la societe antillaise

quand il critique le rgve de Jose d'avoir sa propre plantation ou m'man Tine n'aurait

plus besoin de labourer: « Mais tu ne pourrais pas avoir tout ca; tu n'es pas blanc, tu

n'es pas un beke. » (Zobel, 174-6) De cette maniere, Jose apergoit 1'inegalite du creole a

cdte du francais et pareillement des metis et des noirs devant les Wanes.

Cette condition inegale est due a 1'histoire noire de la Martinique qui est celle de

l'esclavage—les Blancs conquerants et les Noirs soumis. M6me apres la liberation en

1848, la situation n'a pas beaucoup change. La plupart des noirs travaillent dans les

plantations ou les usines qui appartiennent exclusivement aux bekes.8 En outre, les

noirs trouvent du travail dans les maisons des bekes comme domestique, boy, chauffeur

et jardinier, toujours cherchant a ameiiorer leur condition. II n'existe pas de division

Page 36: Joseph Zobel et Camara Laye

28

stricte entre noir et blanc parce que la soci£t£ martiniquaise est une society cr6ole, une

societe n£e du m6tissage. II y a une maxime haitienne qui illustre bien le probleme des

races dans les regions cr6oles : « Tout noir riche est mulatre, et tout mulatre pauvre est

noir.» Cet aphorisme veut dire que les classes sont delerminees par la race et que

l'argent peut « blanchir » les taches d'une basse origine, n6anmoins, le rang d'un Noir

est toujours le plus bas.9 La population metisse dans le roman est finement subdivisee :

d'abord les mulatres qui sont de meres noires et de peres Wanes, ensuite les quarterons

qui ont un quartier de sang blanc, et puis les octavons, ou les capres, qui ont un huitieme

de sang blanc—sans oublier beaucoup d'autres categories de gens de races mixtes. Cette

population mixte compose la plupart de la classe moyenne a tout niveau avec les noirs

en bas et le Wanes tout en haut de l'6chelle sociale. Ce qui frustre vraiment Jos6 est le

fait que les metis, qui ont aussi du sang noir dans leurs veines, traitent avec mechancete

et cruaute les gens de sang purement noir. C'est un des conflits principaux du roman:

le d^nigrement des gens de couleurs par eux-m&nes.10 Voici deux exemples poignants

de ce conflit dans le roman: Mme L6once qui appelle Jos6 son « petit negre » et lui fait

faire les corvees comme s'il 6tait le boy de la maison, effectivement comme un esclave

lorsqu'eUe ne lui donne qu'a manger (118-25) ; Mile Adrea, une femme brune et la

caissiere dans un bar frequente par Jos6 et ses amis, qui dit qu'elle « deteste » la race

dont elle porte la couleur, et elle explique que la race blanche est de meilleur caractere

(290-1).

En depit de ce conflit racial, Jos£ cherche toujours la beaute et la bonte dans sa

race. Zobel decrit poeiiquement la beaute de la physionomie africaine personnifiee par

les ouvriers de la plantation qui arrivent au bord d'un lac pour baigner les chevaux des

Page 37: Joseph Zobel et Camara Laye

29

gerants. « Tous se mettaient nus. Chacun montait son cheval, le faisait entrer dans

1'eau. [... ] Et je n'avais jamais rien vu de si simple et d'aussi beau que de grands negres

nus, debout a c6te de robustes chevaux, et leurs images se refietant dans l'eau d'un lac. »

(177-8) Plus t6t dans le roman, il y a les rencontres avec Medouze et les rapports de Jose

avec ses amis. Ecoutant M6douze, Jose apprend la richesse de sa culture et l'importance

de preserver leur histoire culturelle. Avec ses amis, Jose reconnatt la valeur personnelle

d'un individu. Surtout, l'exemple de la generosite extreme est le sacrifice ultime de

m'man Tine, morte apres toute une vie dans les champs de canne a sucre.

Malheureusement, m'man Tine ne sera jamais temoin des benefices de son acte qui a

Iib6r6 son petit-fils d'une vie de labeur. Dans toutes ces experiences il y a des elements

de valeur personnelle et collective qui demontrent l'injustice de l'inegalite des races.

La tension sociale et l'inegalite raciale existent a cause de la nature de la

colonisation francaise aux Antilles. Les colons blancs ont aneanti les populations

autochtones et les ont remplacees par les esclaves noirs enlev6s de l'Afrique de l'Ouest

Maitrises par les Blancs, les Noirs ont ete totalement dSracines, leur histoire et leur

culture indigenes pratiquement effacees. A cause de ces debuts coloniaux, il y a un fort

sentiment d'alienation dans le cceur de ce groupe metis qui ne semble appartenir ni a

1'une ni a 1'autre des deux races principales. Alors une nouvelle culture est apparue—

une culture Creole, marquee de traces africaines et melangee avec la langue frangaise. En

somme, les Antilles sont un lieu tout a fait singulier en comparaison avec d'autres

regions francophones du monde.11 En ce contexte historique, la Rue Cases-Negres est

une defense passionnee contre les effets nocifs de la colonisation qui n'engendrent que

disparite et pauvrete—economique et culturelle.

Page 38: Joseph Zobel et Camara Laye

30

Entre le passe et la modernite

Selon Camara Laye, la culture et les coutumes malinke ont survecu depuis

l'empire du Mali jusqu'a l'independance de la colonisation de la France. I/enfant noir

reflete la singularity culturelle vecue au cours de la jeunesse de 1'auteur. Les experiences

du jeune Laye dans le roman sont une illustration de la memoire de l'auteur, glorin'ant

une vie apparemment separee de l'administration directe de la colonie et decrivant les

influences africaines et musulmanes.12

La maniere dont Laye represente le monde colonial en Afrique est tres differente

de l'image de la Martinique depeinte par Zobel. En particulier, le Blanc ne joue pas de

r61e significatif dans 1'histoire de Laye—meme pas comme presence dominante

psychologique ou comme personnage actif dans l'intrigue. Ce roman decrit plut6t un

pays en transition, allant du passe a la modernite.

En Afrique, la colonisation franchise a pris une forme distincte de celle aux

Antilles. Au lieu d'exterminer les populations indigenes, les Francais ont etabli dans le

vaste continent des gouvernements regionaux pour exploiter les ressources naturelles,

les ressources humaines induses. Dans le cas du village de Kouroussa ou habitait

Camara Laye pendant son enfance, il n'y avait pas reellement d'influence frangaise.

Pourtant, les effets de la colonisation existaient au moins en ce qui concerne

l'education.13 A cause de la presence europeenne, le chemin que l'enfant noir doit suivre

dans la vie est un chemin etroit entre la tradition africaine et 1'assimilation dans le

monde occidental.14 La division en trois parties distinctes du roman demontre la

situation difficile du protagoniste. Les cinq premiers chapitres decrivent precisement

Page 39: Joseph Zobel et Camara Laye

31

l'heritage du clan, la culture religieuse et l'importance de la terre, et ces elements sont

personniftes dans le pere, la mere et les oncles de Laye. Le r6cit du sixieme au huitieme

chapitre raconte la periode de la transition entre gargon et jeune homme, une transition

qui mene a la separation d'avec la famille. Les quatre derniers chapitres decrivent les

experiences au College technique dans la grande ville de Conakry et finalement le

voyage en France. La structure du roman est typique des romans du milieu du XXe

siecle qui retracent les evenements d'une periode innocente et perdue, evenements

racontes par une voix plus mure et vus par les yeux attristes par l'isolement culturel.15

Le conflit central du roman est done le rdle que le monde moderne joue dans la

vie d'un Africain ne dans une culture enracinee dans le passe. Laye decouvre par

l'analyse de sa jeunesse qu'il a du ceder une portion de son heritage pour reussir dans le

systeme educatif colonial. Le personnage du pere n'a pas vraiment desire la separation

d'avec son fils mais a reconnu aussi les difffcultes sociales qu'engendrerait une

formation traditionnelle dans le clan malinke contrairement a une education coloniale.

C'est aussi par la nature du commentaire du narrateur que le lecteur comprend son

alienation sociale et culturelle. Le roman devient alors le moyen de retrouver le passe;

le canevas ou l'auteur depeint une experience plus representative de tous les Africains

dans les colonies plutdt que simplement une memoire personnelle. La promesse de

revenir en Guinee dans le dernier paragraphe du roman se realise non pas dans le retour

physique de l'auteur dans son pays mais dans l'ecriture meme du roman.

Page 40: Joseph Zobel et Camara Laye

32

NOTES DU CHAPITRE 4

1. Dans la Rue Cases-Negres, les recits de Vireil representent bien cette idee

d'une culture Creole au lieu d'une culture strictement franc.ais ou africain (144-8). Quant

a l/enfant noir, les chapitres deux et cinq decrivent soigneusement comment les

traditions anciennes ont survecu en depit de la colonisation europeenne aux temps

modernes.

2. Joubert, 16.

3. Ibid.

4. Lilyan Kesteloot, Les ecrivains noirs de languefrancaise: naissance d'une litterature

(Bruxelles : Editions de l'lnstitut de Sociologie, 1963), 18.

5. Joubert, 8 ; Kesteloot, 29 ; Kesteloot cite aussi Rene Menil et Etienne Lero dans

le premier numero de la revue Legitime Defense en 1932 ou on critique beaucoup les

auteurs antillais du debut du siecle pour avoir cede leur identite noire, et parce que ces

ecrivains pre-negritudes croient qu'il « se fait un point d'honneur qu'un blanc puisse lire

tout [leur] livre sans deviner [leur] pigmentation. » Dominique Deblaine est d'accord

quand il ecrit que « le debut de cette litterature antillaise par des gens de couleur

traduisait le desir de reconnaissance, developpait l'exotisme, la mystification, tout

comme le faisaient leurs contemporains ecrivains Blancs Creoles » ; « Aspect commercial

et reception de la litterature antillaise francophone en France et en Europe », 'Rencontres'

autour de {'Europe, aspects particuliers, no. 1 [revue imprimee et en-ligne] (mai 1998, accede

24 juin 2000), disponible a http://wwwtc.iutbxmr.ubordeaux.fr/PROF/

revuel /deblaine.htm.

6. Des la premiere page de son introduction a An Introduction to the French

Caribbean Novel (Londres: Heinemann, 1985), Beverly Ormerod propose la meme idee :

"Africa, then, is not so much a geographic entity as a talisman, a symbol of the vanished

bliss which preceded enslavement, a time associated with innocence and natural joy,

comparable to the pastoral world of childhood."

7. Suzanne Crosta, Recits d'enfance antillaise [these reproduite en-ligne] (Quebec :

Editions du GRELCA, Universite Laval, 1998, Association d'tle en ile, 2000, accede 11

juillet 2000), disponible a http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/docs/crosta/

zobel.html.

8. Ormerod, French Caribbean Novel, 67; Dans le voix de Medouze, Zobel explique

les memes effets de l'esclavage et de la liberation (58).

9. Ormerod, French Caribbean Novel, 56.

Page 41: Joseph Zobel et Camara Laye

33

10. Crosta, http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/docs/crosta/zobel.html;

D'ailleurs, Christian Filostrat caracterise l'histoire de l'alienation antillaise dans sa

preface "We All Had a M'man Tine" a Black Shack Alley, l'edition anglaise de la Rue

Cases-Negres. traduction de Keith Q. Warner (Londres : Three Continents Press, 1980;

reimpression, Boulder : Lynne Reinner Publishers, Inc., 1996), vii-viii (citations de

l'edition reimprimee):

It had been the wish of the Black people in the colony to link themselves to the

metropole as early as the French Revolution. It was felt, and this was

particularly true of the people of colour [les metis] who had battled with the

white Creoles since the eighteenth century, that almagamation with France was

the only hope for cultural viability, as well as security. Based on the acceptance

of this latter premise, the people of colour and the descendants of the freed slaves

both wagered their existence upon France's assimilationist tendencies; betting at

the window of their identity with self alienation.

11. Jack Corzani, Leon-Francois Hoffmann, et Marie-Lyne Piccione, Litteratures

francophones, vol. 2, Les Ameriques : Haiti, Antilles-Guyane, Quebec (Paris : Belin, 1998), 90.

12. Adele King, The Writings ofCamara Laye, Studies in African Literature

(Londres : Heinemann, 1981), 1-2.

13. Ibid.

14. Jacques Chevrier, Litterature Negre (Paris : Armand Colin, 1990), 122.

15. Ibid., 121-3.

Page 42: Joseph Zobel et Camara Laye

CHAPITRE 5

TRAITEMENTS CONTRADICTOIRES

Entre les deux romans, il y a plusieurs themes remarquablement semblables,

pourtant les auteurs ne les explorent pas de la m&me facpn et n'arrivent pas non plus

aux me"mes conclusions. En outre, chaque auteur cr6e ses images par des styles et des

couleurs totalement differentes.

Le role de l'education fran^aise

La Rue Cases-Negres est un portrait de l'alienation que ressent un noir antillais,

membre d'une society rendue inferieure, d'abord par les colonisateurs, mais ensuite par

ses compatriotes.i Dans ce contexte, l'£ducation francaise sert a rendre le protagoniste

plus sensible a son alienation. Par contraste, L'enfant noir est un hommage a la gloire de

l'Afrique et a la beaut6 de tout ce qui est africain sans vraiment reilSchir sur la condition

des races apres la peiiode coloniale. Dans ce roman-ci, le theme de 1'alienation est le

r£sultat du conflit entre la culture africaine et l'education occidentale. N£anmoins, il ne

faut pas condamner tout entier le r61e que 1'education coloniale a jou6 dans la vie des

deux auteurs.2 C'est grfice a leurs capacity en frangais que les Merits de Camara Laye et

Joseph Zobel ont touchy un large public en France et dans le monde, et les deux auteurs

34

Page 43: Joseph Zobel et Camara Laye

35

ont contribue a la richesse de la langue francaise et a la varied de la literature

francophone.

I/evolution du franc.ais dans les colonies

La lecture de ces deux romarts presente un peu comment la langue francaise s'est

transformed depuis l'6poque coloniale. Les mots comme « mangue », « goyave »

et« liane » designant des fruits et des plantes tropiques sont des exemples de vocables

exotiques qui font maintenant partie du francais. II y a aussi des mots comme « griot»

et« marabout» qui existent en frangais pour expliquer certains aspects de la soctete

africaine, ayant leur propre sens trop different, trop Strange pour utiliser leurs

Equivalents francais comme « troubadour » ou « sorcier ».

Cependant, le developpement du francais va plus loin que la simple assimilation

de quelques mots d'origine Strangere—africaine, arabe, caraibe, indienne, etc II y aussi

certains mots existant depuis longtemps en francais, ou d'autre base romane, qui ont

connu un changement radical de sens, comme « case » par exemple, ou « casa » en latin,

qui voulait dire « une habitation rurale » mais qui depuis 1637, veut dire « habitation

traditionnelle en Afrique et dans les civilisations analogues ». Un exemple pejoratif est

le mot« mulatre », qui decrit v^ritablement« un mulet, une b§te hybride » mais s'utilise

pour d^crire un homme ou une femme descendant d'un parent noir et d'un parent

blanc. Pour d6crire tout le metissage des colonies, il y aussi les mots quasi-

mathematiques comme « quarteron » et « octavon » pour expliquer les gradations de

melange de sang africain et de sang europ6en. D'ailleurs, il y a le mot « capre », qui

designe «bouton a fleur du carrier, que Ton confit dans le vinaigre pour servir

Page 44: Joseph Zobel et Camara Laye

36

d'assaisonnement», mais aux Antilles, c'est transform^ en « capresse », un synonyme

d'« octavonne ». Ce n'est pas seulement pour d£crire les gens de couleur, mais aussi

pour d6crire les blancs que le frangais 6volue. Le cr6ole pr§te « b6k6 » au frangais pour

indiquer un « Creole martiniquais ou guadeloup£en descendant d'immigr6s blancs ».3

Dans les anciennes colonies et dans les DOM-TOM modernes, il y a vraiment un

accroissement de la langue francaise, et a cause de la literature francophone, le monde

devient de plus en plus conscient de ces changements et peut-§tre plus sensible aux sens

pejoratifs de certains vocables.

Images religieuses

La representation de la vie religieuse dans L/enfant noir n'est pas celle de la

religion organised. Oui, la religion principale en Guin6e est l'lslam, cependant Laye

n'explore pas la culture musulmane comme £l£ment caracteristique de son pays natal.

Non, au lieu d'une 6tude du culte d'Allah, Laye fait une recherche des croyances les plus

anciennes de sa race, et l'lslam devient alors une co-religion a cdt§ de l'animisme. En

effet, ces croyances traditionnelles des peuples africains ont pour base le culte des

anc§tres et des g6nies de la nature—bons et mauvais—qui guident et protegent les

vivants par le moyen des puissances surnaturelles.

The world of the African child is rich in divine presences; the spiritual and

supernatural are closely aligned to the temporal and natural. A little black snake

is the father's guiding spirit, warning him of what is to happen. The mother too

is attuned to the spiritual world. She has a powerful totem, and is able to foresee

evil plots and counteract them. . . . Respect for the family is thus an essential

religious duty.4

Page 45: Joseph Zobel et Camara Laye

37

Dans le deuxieme chapitre du roman, Laye assiste au travail de l'orfevrerie, t^che sacree

du forgeron du clan Camara. Cette scene d6peint les pouvoirs du pere Camara, celebre

dans la region. La description que fait Laye est a la fois solennelle et joyeuse, et dans ce

recit, Laye fait un expose detaille des croyances de son clan.

Le griot s'installait, preludait sur sa cora, qui est notre harpe, et commengait a

chanter les louanges de mon pere. Pour moi, ce chant etait toujours un grand

moment. J'entendais rappeler les hauts faits des anc^tres de mon pere, et ces

anc£tres eux-m&nes dans l'ordre du temps; a mesure que les couples se

deVidaient, c'6tait comme un grand arbre g6nealogique qui se dressait, qui

poussait ses branches ici et la, qui s'6talait avec ses cent rameaux et ramilles

devant mon esprit La harpe soutenait cette vaste nomenclature, la truffait et la

coupait de notes tantdt sourdes, tantdt aigrelettes. (Laye, 25)

Dans ce paragraphe, Laye explique dairement l'importance de venerer les anc^tres

comme la source de tous les biens dans la vie presente. Laye d^crit aussi le rdle du griot

comme historien et, d'une certaine maniere, comme diacre qui chante les litanies tandis

que le forgeron est le pr£tre qui fait l'offrande. Me"me si la religion du peuple malinke

n'est pas strictement organised comme l'lslam ou le christianisme, elle est toujours

formelle, et Laye donne un aspect spirituel a tout ce qui entoure l'atelier de son pere.5

Un autre aspect spirituel du roman est la puissance surnaturelle de la mere

D§man Sadan. Parce que les croyances des malinke considerent l'importance de la

famille et les forces des g6nies de la nature, il faut tenir compte de toutes les influences

sumaturelles dans le personnage de Daman.

[M]a mere 6tait nee immediatement apres mes oncles jumeaux de Tindican. Or

on dit des freres jumeaux qu'ils naissent plus subtils que les autres enfants et

quasiment sorciers; et quant a l'enfant qui les suit et qui regoit le nom de

« sayon »,... il est, lui aussi, doue du don de sorcellerie; et m§me on le tien pour

plus redoutable encore, pour plus mysterieux encore que les jumeaux, . . . au

vrai, on lui attribue une sagesse superieure a celle des jumeaux, un rang

superieur; et il va de soi que ses interventions sont toujours, sont forc6ment

delicates. (Laye, 75)

Page 46: Joseph Zobel et Camara Laye

38

Laye dresse toute une Iiste de prodiges incroyables de sa mere: £tre voyante, guGrir le

betail, se faire ob6ir des animaux, puiser l'eau d'un fleuve infests des crocodiles. En

somme, toute la description par Camara Laye de son pere et de sa mere demontre qu'en

depit de l'influence musulmane et europeenne, les croyances traditionnelles durent et se

perpetuent.

Contrairement a cette culture enracinee dans les croyances traditionnelles et

teintee d'Islam, Joseph Zobel dScrit une population totalement alienee religieusement

Cela ne veut pas dire que la foi spirituelle manque aux antillais. Non, aux Antilles il y a

un systeme de croyances paralleles a celui en GuinSe, pourtant il semble Stre corrompu

par les experiences negatives liees a l'esclavage. Jos6 entend plusieurs histoires de

« gens-gages », de «zombis » et de «batons-volants », histoires ou ces creatures

horribles se deguisent en gens blancs ou de couleur. (Zobel, 58-9,145-8) II y a aussi des

« slanders », semblables aux marabouts africains, qui essaient de soumettre les mauvais

esprits, et il y a les guerisseurs qui combattent les maladies. (Zobel, 168) Quand on

pense a l'histoire de l'esclavage, ou les noirs libres ont et6 enlev6s de leur continent

maternel et transported dans une lie tout a fait etrangere pour travailler jusqu'a leur

mort, il n'est point difficile de comprendre pourquoi les croyances de leurs descendants

refletent la peur des ensorcellements des mauvais esprits.

Ce groupement de croyances a part, l'autre influence religieuse la plus

significative aux Antilles est le catholicisme. Comme dans la Guinee de Laye, une

religion organisee coexiste avec les croyances animistes a la Martinique. Mais dans la

Rue Cases-Negres, le catholicisme ne semble pas avoir la m&me importance pour Jose

Page 47: Joseph Zobel et Camara Laye

39

que pour m'man Tine; me*me petit, Jose ne montre pas de gout pour la foi de sa grand-

mere. En particulier, il d6crit quelques moments ou m'man Tine v£nere les statuts des

saints:

Parfois elle s'agenouillait completement, me soufflait de faire de m£me, et priait

en chuchotant. Elle fit ainsi devant trois ou quatre de ces personnages, sans

doute ceux qu'elle preferait, mais qui n'etaient pas tres a mon gout. Car celui qui

m'avait frappe le plus etait clou6 sur une grosse croix de bois dur, cloue des

mains et des pieds—[ . . . ] —et il saignait. II avait de la barbe, beaucoup de

cheveux, il etait presque nu et on voyait ses cdtes sous sa peau.... Et sa tragique

position, la, sur la croix, me paraissait. .. incomprehensible .... Et pourtant, ce

n'etait pas un negre, lui.... (Zobel, 86-7)

Jose a un instant d'empathie devant la figure du Christ immole, mais parce que la

representation du Seigneur est d'un homme blanc, une veritable comprehension

profonde est perdue. Jos^ n'a jamais vu, en aucun cas, un beke qui souffrait.

Une petite intrigue secondaire du roman est celle sur la Premiere Communion de

Jose. Afin de le pr6parer pour le rite, m'man Tine I'envoie, avec le consentement du cure

du bourg, chez Mam'zelle Fanny « pour apprendre du catechisme ». II n'aime point

cette dame et la croit « une femme "gag6e" » parce qu'elle bat les enfants dans la classe

de catechisme. Quand Jose commence a souhaiter sa mort, il est evident que Mam'zelle

Fanny est incapable d'etre un bon exemple Chretien. Deux semaines avant sa Premiere

Communion, Jose accompagne m'man Tine chez sa marraine, Mme Amelius, pour qu'il

puisse au moins embrasser sa marraine. Tout ce que l'adolescent Jose peut comprendre

de la ceremonie m£me est qu'il lui faut un costume tout blanc et des chaussures

blanches, et que selon m'man Tine, 1'occasion est tres serieuse. Apres ce r6cit, il n'est

plus fait mention de la religion chretienne. Me"me apres la mort de m'man Tine, il n'y a

Page 48: Joseph Zobel et Camara Laye

40

pas de remarques sur les prieres ni saints ni Seigneur. Le catholicisme ne signifie rien a

Jose. (Zobel, 157-65,184-90)

I/importance de la musique et de la danse

Deux elements presque omnipresents dans Venfant noir sont la musique et la

danse. Tout moment semble s'accompagner de chanson et de danse: le travail de

l'orfevrerie dans l'atelier du pere Camara, les rites de Konden Diara et de la circoncision,

la moisson a Tindican. Dans L'enfant noir, la musique exprime toujours la joie.

Contrairement a la description de la musique dans le roman de Camara Laye, Joseph

Zobel ne trouve que rarement de la joie dans la musique, et la musique joyeuse est

encore plus rare. Avec Medouze, Jose 6coute les rythmes des « timtims », les devinettes

racontees pendant leurs seances. En verite, la plupart des moments heureux de Jose sont

quand il s'agenouille devant le vieillard a l'ecoute des histoires et des chansons. Jose est

«[gJag116 ^ Pal ferveur», et il reprend avec Medouze les chansons magiques.

Autrement dans la Rue Cases-Negres la musique ne joue pas de rdle tres important.

Une activite ou la musique figure reellement de differentes fagons entre les deux

romans est le labeur aux champs. Dans le quatrieme chapitre de L'enfant noir, Laye

decrit la moisson du riz au village de Tindican. L'auteur revele dans ce chapitre que la

moisson elle-m£me est une occasion de faire la f§te dans le village, et Laye y est invite.

Une ceremonie accompagne la moisson, commencee par les chefs de famille qui coupent

les premieres javelles, ensuite le tam-tam signale le debut de la recolte. On marche dans

les champs « au rythme du tam-tam ». On pousse des cris « pour le plaisir de crier ».

On esquisse « des pas de danse a la suite des joueurs de tam-tam ». On chante en choeur

Page 49: Joseph Zobel et Camara Laye

41

avec le tam-tam qui marque le rythme. Tout le monde s'unit pour achever ce travail

digne et important Laye s'en souvient: «nous chantions! Ah! que nous etions

heureux, ces jours-la! » La belle terre africaine est un bienfait pour le peuple, et ils en

sont reconnaissants. (Laye, 55-67)

Dans la Rue Cases-Negres, 1'image du travail aux champs contraste avec celle

dans L'enfant noir. Apres le feu dans le jardin de M. Saint-Louis et I'horrible cMtiment

de Jose par m'man Tine, la grand-mere est forcee par le gerant mulatre, M. Gabriel,

d'emmener Jose aux champs, soit avec elle, soit avec les petites bandes—groupes de

jeunes qui arrachent les mauvaises herbes. M'man Tine preiere mourir plutdt d'envoyer

son petit-fils aux petites-bandes, done Jose l'accompagne. Ces premieres sorties font

plaisir a Jose; avec sa grand-mere il retrouve les fruits a pain qu'elle gaule, et il apprend

a p£cher les ecrevisses. Pendant la recolte de la canne mure, les manoeuvres chantent

pour accelerer leur travail afin de gagner plus d'argent D'abord Jose chante avec les

moissonneurs, mais «[a] force de repeter, de rgpeter les m&nes paroles, le m6me air,

cela finit par descendre jusqu'au fond de [lui] et [lui] pese comme une vague tristesse. »

Alors, il cesse de chanter. « En r^alite,. .., rien ne changeait pendant la recolte. Et rien

n'avait change apres » (Zobel, 80-3) Oui, la verite des champs 6tait le travail solitaire

et silencieux. Quand Jose est avec m'man Tine la journee est lente et penible:

M'man Tine raclait le sol, avec sa houe, assemblait les mauvaises herbes et la

terre fine au pied de chaque touffe de Cannes. Mais les herbes paraissaient

difficiles a couper avec la houe. Ma grand-mere frappait fort du tranchant de

l'outil en faisant: « hin ! hin! »et, de temps en temps, elle se redressait en portant

une main derriere elle, comme pour aider ses reins. Et elle faisait une grimace

atroce. (Zobel, 76)

Page 50: Joseph Zobel et Camara Laye

42

La terre martiniquaise n'appartient pas aux noirs, et ils n'en tirent aucun profit. M£me

pay£s, ils sont comme esclaves. Sans ferveur, les chansons du travail n'apportent point

de joie aux ouvriers.

Femme africaine: mere archetype

Le symbole le plus saillant des deux romans est celui de la mere. D'abord, on

regarde Daman, mere de Laye dans L'enfant noir. Le roman m§me est dedie a DSman,

et dans la dedicace, un poeme, elle devient non seulement une mere sublime, mais une

representation de 1'Afrique mere elle-me"me. "Both the mother and Africa are associated

with warmth, comfort, security and love."6 Dans le roman, son influence est partout,

sentie par tout le monde. "[H]er insistence that tradition be observed in all its daily

manifestations is duly obeyed."7 Comme nous l'avons deja mentionne ci-avant dans la

section sur les images religieuses, la mere de Laye a des pouvoirs surnaturels—pouvoirs

differents que ceux du pere encadres dans l'atelier—les forces maternelles sont liees a

son totem, le feroce crocodile. Ce symbole du fleuve Niger qui court dans la savane de

Haute-Guinee fait de la mere la personnification d'une force qui regne sur la vie de toute

la population de la region, et ainsi sur l'esprit creatif de l'auteur.8 Cependant, Laye

preserve l'humanite de sa mere.9 Chaque fois que le fils vit une separation d'avec sa

mere, les puissances de Daman sont insuffisantes pour la proteger. La premiere

separation est symbolique : apres le rite de la circoncision, Laye doit quitter la case de sa

mere pour habiter sa propre case. Les separations successives sont reelles et concretes :

Laye quitte Kouroussa d'abord pour Conakry, ensuite pour Paris. La derniere

separation leur est vraiment penible. Laye desire demeurer dans la securite du cocon

Page 51: Joseph Zobel et Camara Laye

43

maternel, et DSman veut que son fils reste pres d'elle pour preserver son heritage

africain.10

Sans par autant Stre contradictoire, l'image de la mere d6peinte par Zobel est

differente de celle d6crite par Laye. La presence dominante dans le texte de la Rue

Cases-Negres est le personnage de m'man Tine, le premier personnage vraiment

mention^ par Jos6. Biologiquement, elle est la grand-mere de Jos£ mais elle est

v^ritablement sa maman. Jos6 l'adore, l'admire et la craint. Une description des qualites

de la maman antillaise peut aussi servir a d^crire m'man Tine:

Sa parole vaut plus qu'aucune autre. II est inutile d'essayer d'6chapper a son

regard qui devine un desarroi ou un secret, qui juge, car le lien maternel est

ind616bile: c'est comme un langage qui se passe de mots, de formulations. Par

cette force et par son denouement entier a ses enfants, son abnegation totale, elle

est le roc sur lequel la famille s'amarre. Elle lui donne sa definition, sa stability,

sa protection tout au long de la vie.11

Apres le feu dans le jardin de M. Saint-Louis, m'man Tine change sa maniere

d'elever son petit-fils. Elle decide de I'envoyer a l'ecole a Petit-Bourg, d'abord elle veut

que Jos§ n'apprenne que l'alphabet et « a signer [son] nom » afin d'obtenir un poste a

l'usine au lieu de travailler dans les champs. (Zobel, 157) Le dimanche ou elle

commence vraiment a r6aliser son plan pour envoyer le garcon a l'6cole, m'man Tine

d^montre sa forte determination. Elle emmene Jos6 a la messe—ou elle va parler au cur§

au sujet de Jos6—mais sa vive allure ce matin-la est presque impossible pour le gargon.

Quand il s'arre*te et «eclate en sanglots », «elle se baisse, et [le] fait grimper a

califourchon sur ses epaules ». Par cette action physique, elle a decide de faire tout ce

qu'elle peut pour 6ter Jos6 des champs du beke.^ Le succes que Jos6 rencontre a l'^cole

va le mener reellement plus loin que l'usine de Petit-Bourg. Malheureusement, la vieille

Page 52: Joseph Zobel et Camara Laye

44

dame ne verra jamais le fruit de son labeur. M'man Tine meurt avant que Jose ne soit

regu a la deuxieme partie de son baccalaureat. La miserable mort de m'man Tine ouvre

a jamais ses yeux quant a rhorrible heritage de l'esclavage, l'inggalite detestable entre

les races et, en particulier, la condition miserable des manoeuvres noirs dans les

plantations des bekes.13

Done, pour chacun des deux auteurs, la separation d'avec la mere est une

experience difficile, un sacrifice Spre. Mais, le sacrifice fait par les meres est encore plus

lourd. Daman est accabiee par le depart de son fils, au plus profond de son Sme.

M'man Tine se sacrifie v£ritablement davantage: oui, elle meurt du cruel labeur de toute

une vie, mais elle meurt sachant son petit-fils desormais a l'abri d'un tel sort

Page 53: Joseph Zobel et Camara Laye

45

NOTES DU CHAPITRE 5

1. Kesteloot, 60.

2. Dans Litteratures francophones, Jack Corzani explique que l'education a enleve

Zobel de « la plus grande pauvrete », mais que cette education n'a pas empeche Zobel

de « decrire de l'interieur et sans l'edulcorer la realite coloniale de la Martinique des

annees trente, denon^ant l'oppression de la majorite noire par la minorite bekee. » (116-

7)

3. Le Petit Robert 1 (1990), s.v. « beke », « case », « goyave », « liane », « mangue »,

« mulatre » et « quarteron » ; Zobel, 19,152.

4. King, 19.

5. Ada Uzoamaka Azodo, L'Imaginaire dans les Romans de Camara Lave,

Studies in African and African-American Culture, ed. James L. Hill, vol. 4 (New York :

Peter Lange, 1993), 39.

6. King, 18.

7. Lee, 27.

8. Ibid., 28-9.

9. Jonathan Ngate faite une analyse semblable dans Francophone African Fiction:

Reading a Literary Tradition (Trenton : Africa World Press, 1988), 31.

10. King, 24; Lee, 30-1.

11. Myriam Cottias, « Maman Doudou,» Antilles : Espoirs et dechirements de I'dme

Creole, Serie Monde H.S. no. 41 (octobre 1989): 164.

12. Filostrat, ix : "In her almost desperate efforts to inculcate her children with

the abhorrence of ever becoming a sugar cane field hand like herself and to physically

raise them out of the environment [emphasis mine] she has always known, a M'man Tine

will do almost anything."

13. Ormerod, French Caribbean Novel, 72.

Page 54: Joseph Zobel et Camara Laye

CHAPITRE 6

CONCLUSIONS

A travers les pages de I/enfant noir et de la Rue Cases-Negres, deux images

distdnctes se presentent du monde francophone a la fin de la p6riode coloniale. Celle du

premier roman est belle, stable, riche et joyeuse. Alors que celle du deuxieme est laide,

in6gale, miserable et amere. Ces romans refletent les differentes formes de colonialisme

frangais en Afrique et aux Antilles. A cause de ce d6s£quilibre, les deux ecrivains ont

v6cu des experiences dissemblables pendant leur jeunesse, et ils ont alors produit deux

romans qui sont, a la surface, egalement dissemblables. Pourtant, la lecture a fond

decouvre dans les deux recits des experiences paralleles, des symboles culturels

analogues, des valeurs comparables. Parmi ces situations et evenements pareils, nous

apercevons aussi de differentes repercussions a cause de 1'education francaise. Tous les

deux vivent une separation d'avec la famille. Le Martiniquais sent une alienation

culturelle et raciale tres aigue* a cause de 1'histoire de l'esclavage aux Antilles. Quant au

Guin6en, ses sentiments d'alienation viennent des choix difficiles entre une formation

traditionnelle dans la concession de son pere et une education moderne et technique loin

de son pays.

Chaque roman termine avec une promesse. A la fin de I/enfant noir, Camara

Laye promet de revenir en Afrique et de ne jamais oublier son heritage. Joseph Zobel

46

Page 55: Joseph Zobel et Camara Laye

47

voue dans les dernieres lignes de La Rue Cases-Negres de faire £couter et regarder a

tous l'injustke raciale. Les deux romans font une partie de raccomplissement de ces

promesses. V6ritablement, les deux ouvrages ont beaucoup contribu6 a la varied et a la

richesse de la literature francophone.

Page 56: Joseph Zobel et Camara Laye

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