7/26/2019 Dclin Du Fondement
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Revue Philosophique de Louvain
Le dclin du fondationnalismeErnan Mc Mullin
Citer ce document Cite this document :
Mc Mullin Ernan. Le dclin du fondationnalisme. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrime srie, tome 74, n22, 1976.
pp. 235-255;
doi : 10.3406/phlou.1976.5886
http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1976_num_74_22_5886
Document gnr le 24/05/2016
http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1976_num_74_22_5886http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_831http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1976.5886http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1976_num_74_22_5886http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1976_num_74_22_5886http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1976.5886http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_831http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1976_num_74_22_5886http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/7/26/2019 Dclin Du Fondement
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Rsum
La critique se fait de plus en plus vive l'gard du fondationnalisme, qui tient que toute assertionvraiment scientifique doit reposer sur un fondement inbranlable. L'A. passe en revue les trois formesclassiques de fondationnalisme, intuitionniste (Aristote), empiriste (Locke et Hume) et subjectiviste(Kant) avant d'en venir aux critiques qui commencent au XIXe sicle et qui occupent actuellement une
place trs importante dans la philosophie des sciences aux tats-Unis. Elles s'accordent pour dire qu'iln'y a pas de fondement inbranlable, et donc pas de fondement au sens propre. Aprs avoir montrcomment le positivisme logique tait fondationnaliste et comment Wittgenstein et Quine ont contribu ces critiques, l'A. tudie plus particulirement celles de N. R. Hanson, M. Polanyi, Kuhn, S. Toulmin etFeyerabend pour en tirer quelques conclusions sur l'tat prsent de la philosophie des sciences.
Abstract
Criticism is growing ever stronger against Foundationalism, which asserts that every truly scientificassertion must rest on an unshakeable foundation. The A. goes over the three classical forms ofFoundationalism intuitional (Aristotle), empiricist (Locke and Hume) and subjectivist (Kant) before
coming to those criticisms which start in the nineteenth century and which occupy at present a veryimportant position in the philosophy of science in the U.S.A. These criticisms agree that there is nounshakeable foundation, and therefore no foundation in the proper meaning of the word. Having shownhow logical positivism was Foundationalist and how Wittgenstein and Quine contributed to thesecriticisms, the A. studies more particularly the criticisms of N. R. Hanson, M. Polanyi, Kuhn, S. Toulminand Feyerabend with a view to drawing certain conclusions in regard to the present state of thephilosophy of science.
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e
dclin du fond t ionn lism e
(*}
Dans
les
discussions concernant la
nature
de la science, il a
toujours
paru
plausible
d accepter que si quelque assertion
est
vraiment scientifique
,
elle
doit reposer sur un fondement
inbranlable. On trouve cette position fondationnaliste
dans les
uvres
d crivains qui sont par ailleurs tout fait
divers,
d Aristote jusqu
Locke,
Kant,
et
aux
positivistes
logiques
de
notre
poque.
Elle
a
t
attaque
d abord vers
la
fin
du
xixe sicle, et ensuite, avec
plus
d nergie encore, au cours des
quinze
dernires annes. Dans cet
essai, je me propose d abord de
dcrire
les trois formes classiques de
fondationnalisme,
et
ensuite
d examiner quelques-unes
des critiques
rcentes qui ont
t adresses
cette thorie
par
les
philosophes
des
sciences
aux
tats-Unis d Amrique.
C est
en raison de ce dbat
principalement que la philosophie
des
sciences est devenue depuis
vingt
ans
une
des parties les plus vigoureuses de la philosophie.
1.
Les
varits
du fondationnalisme
Dans
les Deuximes Analytiques, Aristote propose les
deux
thses
suivantes
:
d une
part la
science
doit partir
des
premiers principes, et
d autre part elle
doit se
construire partir
de
ces
principes de
faon
deductive
par
l intermdiaire de moyens
termes.
Le caractre certain
et ncessaire
des
conclusions doit tre garanti
d une
part par les rgles
formelles du syllogisme,
et
d autre part
par
le caractre certain
et
ncessaire des
premiers
principes. Ces principes eux-mmes ne font
pas partie
de la
science,
mais ils
sont garantis par une
intuition
qui
prcde
la
science
et
constitue
la
condition mme de
toute science.
On peut mme dire que cette intuition est encore plus connaissable
(*) Le prsent article constitue le
texte
d une confrence qui a t donne par
M.
Ernan
McMullin
l Institut
Suprieur de
Philosophie
de
Louvain,
le 2
mai
1974.
L auteur tient adresser ses remerciements ses amis,
Jean Ladrire
et
Hermann
Servotte,
pour
l aide qu ils lui ont apporte
dans la mise au point
du
texte franais.
Une version antrieure de la seconde partie de ce
texte faisait
partie du
discours
prsidentiel qui a t adress par M. McMullin la
Metaphy sical Society of
America
en mars 1974.
V.
Two Faces of Science,
dans
Review of Metaphysics, June 1974.
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236 Ernan McMullin
que la science
elle-mme, parce
qu elle
est
intuitive,
au
lieu
d tre
discursive comme
les
dmonstrations.
Comment
pouvons-nous
tre
certains que nous possdons une
telle
facult
intuitive
? La rponse d Aristote, me
semble-t-il,
nous est
donne
sous
la forme de
deux thses. 1 Sans ces premiers
principes
et la
facult
de connatre qui les rend
possibles,
il y
aurait
une
rgression
l infini et
toute connaissance scientifique serait
donc impossible.
2
Nous
savons
qu il y
a la science.
Ainsi
donc nous
devons
avoir la
capacit de formuler des principes
premiers. C est cette
seule condition
qu une
science
dmonstrative peut se
dvelopper.
Remarquons en
passant qu Aristote
n analyse
pas la faon
dont
cette intuition (epagg)
fonctionne
;
il ne
nous donne
pas
d exemples
de
principes
qui
seraient
garantis
par celle-ci.
Ce qui lui donne la certitude que cette
intuition
existe, c est le fait (vident pour lui) que la
science existe.
Et
pour
lui,
comme pour tous
les
penseurs grecs
de
son poque, la
science
tait
avant tout la
gomtrie.
Quand
il dit que
les prmisses de base
de toute dmonstration doivent tre ncessaires, essentielles et
ternelles
les seuls exemples
plausibles de ces prmisses qui lui
taient
accessibles
(sans
parler
de la
formule trop
souvent
cite
l homme
est rationnel)
taient
des axiomes gomtriques,
bien
que la
science
qu ils rendent
possible ne
soit pas
syllogistique. Il est
curieux de
constater que,
lorsqu il donne
le
clbre
exemple
d une
dmonstration
projpter
quid,
les
principes de base sont
les plantes
sont
proches
et
les
entits
qui
sont
proches ne
scintillent pas
, exemples qui ne
sont gure
encourageants
pour l intuition d une
vrit
ncessaire.
Je voudrais insister plus particulirement
sur
trois aspects de
cette
analyse.
En
premier
lieu, Aristote prend pour acquis
le fait
que
pour
que la science
soit
possible,
il
faut pouvoir commencer
partir d un fondement qu on ne peut mettre en doute et qui n a
pas
besoin
d un
autre
soutien. C est ce que j appelle la thse
fondationnaliste
.
Pour Aristote,
ce
fondement
est constitu
par
la
srie des
prmisses
de
base ou
des premiers principes,
rvls
peu
peu
grce
notre
pouvoir intuitif.
Un
premier
principe est dfinitif,
formul une fois pour toutes,
de
faon complte et adquate.
Les
concepts requis
pour
la formulation d un
principe
premier
sont
obtenus par abstraction partir des donnes
des
sens. Ce
processus
d abstraction
est direct
et
ne comporte la mdiation d lments
hypothtiques
d aucune
sorte. En
second
lieu,
l laboration
ultrieure
d une science dpend d une
srie de rgles formelles et logiques. Ces
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Le
dclin du fondationnalisme
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rgles
ne
sont pas
non plus problmatiques : on sait qu elles
conduisent
infailliblement
de
vrit
en
vrit.
On peut
ainsi
affirmer
que la
conclusion
d une
dmonstration
scientifique
participe la vrit
ncessaire
des prmisses,
parce
que la
fonction
des
rgles logiques est
d assurer que la
vrit
des
prmisses entrane
de faon ncessaire la
vrit
de la conclusion.
C est
ce
que
j appelle la thse logiciste,
savoir que
les
mthodes
de
dmonstration
scientifique
sont entirement
formelles et logiques de par leur
nature.
En
troisime
lieu, il
faut remarquer que
ces deux
thses
sont
lies. C est
cause
de la thse fondationnahste
et
de ce qui est
impliqu
par
l ide
selon laquelle la
science
est connaissance ncessaire, que
nous
avons
besoin de
complter
la
thse fondationnahste
par la
thse
logiciste, c est--dire
par l affirmation
selon laquelle nous
possdons
un ensemble de rgles formelles qui nous permettent de crer la
science de manire
infaillible, une fois
les
premiers
principes
poss.
De
la
mme manire,
si
une
thse logiciste doit tre de quelque utili+,
il
faut qu il y ait une base sur laquelle la logique
puisse
travailler,
quelque chose
qui n ait pas
besoin
d tre garanti par la logique
elle-
mme. Ainsi, si l on
adopte
une de
ces
thses,
on
est amen
presque
invitablement
adopter l autre. tant
donn le
rle que joue
l intuition dans
l analyse
d Aristote,
j appellerai
ce
type
de
fondationnalisme
le
type
intuitionniste
.
Il
a
t
dfendu
travers toute
la
tradition aristotlicienne, depuis
les
penseurs
du
moyen ge
tels
que
Thomas
d Aquin
jusqu aux aristotliciens
et aux thomistes
d aujourd hui.
On peut trouver une
autre
forme de fondationnalisme dans la
tradition
empiriste. On
peut en
discerner
les
origines dans
le nomina-
lisme du
quatorzime
sicle,
mais il a pris
sa
forme canonique dans
les
travaux
de Locke
et
de Hume. Ici,
l ordre
de la
logique
est
renvers.
Ce qui
est
le fondement, ce
n est pas
le principe universel. Le
fondement, le point de dpart de la connaissance scientifique, est une
proposition
concernant une observation d ordre
individuel.
La science
commence,
a-t-on dit,
partir
des faits d exprience
et
c est seulement
ensuite qu elle
atteint le niveau
universel
de la loi ou de la thorie.
Les
faits sont
des donnes; ils
sont garantis de faon directe et
infaillible par l observation.
Le
langage
dans lequel ils
s expriment
est
suppos
tre transparent. Il nomme les lments des sensations
d une manire
tout
fait
adquate. Les empiristes ne sont pas
d accord
entre eux sur les dtails de ce schma, mais
ils
sont d accord sur ses
grandes lignes.
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Ernan
McMullin
On peut voir immdiatement que cette forme de fondationnalisme
comporte
les
deux
mmes thses
qui
figuraient
dans
la
thorie
de
la
science
d Aristote. Une fois encore,
il y
a un fondement infaillible,
quelque
chose dont la
science
peut partir avec confiance,
quelque chose
qui ne devra
pas
tre reformul plus
tard.
Une
fois encore,
la mthode
scientifique se rduit une logique, mais
il s agit
cette fois d une
logique inductive
plutt
que deductive. Puisqu elle est inductive, les
conclusions ne
peuvent
tre
que probables. Et comme ces
conclusions
sont
des gnralisations
partir d exemples
individuels,
elles
sont
susceptibles de modifications ultrieures. La
science
n est plus alors
de
l ordre
du
ncessaire, comme c tait
le
cas chez Aristote. Ainsi donc,
la
raison pour
laquelle
les
empiristes
ont
adopt
la
position
fondation-
naliste
n est plus celle des
Grecs,
selon lesquels une
science
ne peut
tre ternelle
qu
cette
seule
condition.
Cette
raison reflte
plutt
l ide
de base de l empirisme, selon laquelle toute connaissance drive
de la sensation; il ne
peut
exister une norme d aprs laquelle
on
pourrait
juger des sensations elles-mmes. Les propositions qui
concernent les
donnes
des sens ont un caractre dfinitif; c est sur
elles
que tout repose. Dans la mesure o
elles
ont formules de faon
prcise, elles reprsentent un fondement infaillible. C est
seulement au
niveau
de la loi
et
de la thorie qu intervient
un
lment de doute
et
de
modification
possible.
Une critique qui a t souvent faite
au
xvme sicle propos du
fondationnalisme
empiriste
est que, en dfinitive,
il
ne
pouvait pas
s accommoder
de la
mcanique
triomphante
de
Newton,
dont
les lois
semblent beaucoup plus proches des
vrits
ternelles
et
immuables
de la
science
aristotlicienne que des gnralisations limites du genre
de celles
qui sont
permises
par
Hume.
La
rponse
apporte par Kant
ce dfi
a
consist
formuler
une
troisime forme de fondationnalisme,
une forme subjectiviste, la plus complexe des trois. Les catgories de
l entendement
sont
telles
qu elles nous permettent de
formuler des
jugements synthtiques a
priori,
qui
deviennent
la
base
de
la
science
pure. A partir de ce
fondement
dans la structure cognitive du sujet,
on
peut
laborer,
au moyen de la logique et des mathmatiques, une
science
de caractre
ncessaire,
une
mcanique
dfinitive par
exemple.
Bien sr, toute
notre connaissance
de la nature ne sera pas
capable
d atteindre
cet
tat
de transparence
et d vidence
intuitive. Les lois
de la
chimie
ne peuvent
gure
tre plus que des gnralisations
plausibles, si bien qu il faut
reconnatre
deux
sortes
de
science
: une
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Le
dclin du fondationnalisme
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science
pure et fondationnaliste
,
et une
science
empirique qui n a
pas
la
ncessit
de
l a
priori.
2. Les critiques adresses au
fondationnalisme
Telles sont donc
les
formes
classiques du
fondationnalisme : la
forme
intuitionniste,
la forme empiriste,
et
la forme subjectiviste. Mais
il
se fait qu au cours du
xixe sicle,
le fondationnalisme lui-mme a
t remis en
question
pour la premire fois.
Les critiques
sont venues
de
plusieurs
cts. L accent
nouveau
mis sur
l historicit,
sur la
dimension historique
de
toute
rflexion
humaine,
a provoqu
des
doutes
quant
l affirmation
selon
laquelle
on
peut
identifier
des
lments
de base soustraits toute rvaluation. La
logique
dialectique de
Hegel, la diffrence des logiques de type dductif et de type inductif
qui
l avaient prcde,
n exigeait pas un fondement
de propositions
non
rvisables
comme point de dpart de la science.
En
fait
elle
excluait la
possibilit
d un pareil fondement. Ce fut donc
l intrieur
de
la
tradition hglienne qu une
thorie
non fondationnaliste de
la
science s est exprime
pour
la premire fois. Mais
malheureusement,
un abme s tait ouvert entre les
hgliens
et les hommes de science
qui taient
leurs contemporains.
Leurs critiques
contre
la mcanique
newtonienne
et
leur
insistance
sur
les
catgories
spiritualistes
de
l ancienne tradition alchimique et
hermtique les
loignrent de
plus
en plus de la science de
leur poque, et
cela eut
pour consquence qu il
n y eut gure de
comprhension mutuelle.
Les hgliens se montrrent
ainsi
incapables
de dvelopper une philosophie de la
science effective,
et
parmi les
philosophes qui
crivaient sur la science relativement
peu nombreux
furent
ceux qui
furent
influencs
par
les ides
hgliennes.
Mais
un
second dfi
la
thse
fondationnaliste
vint d un
ct
tout fait diffrent.
Alors
que la science newtonienne entrait dans
son
second
sicle,
et
que
les
sciences nouvelles,
la
gologie,
la
chimie,
la
biologie,
devenaient de plus en plus complexes
et
sres d elles-mmes,
il
devint de plus en plus
clair
que, pour comprendre la nature de la
science proprement
dite, il fallait scruter
les
mthodes
de
travail
des
hommes de science eux-mmes
et
prter
une
attention toute particulire
l histoire des sciences. Le pionnier dans ce
domaine
fut Whewell
Cambridge; son ouvrage
le plus
considrable est La
philosophie
des
sciences inductives bases
sur
leur
histoire. Le titre de
cet ouvrage
donne une ide de la direction de sa pense. Plus tard Peirce,
aux
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Ernan McMullin
tats-Unis, et Duhem, en
France,
suivirent la mme direction.
Bien
que
les
pistmologies
de
ces
trois
auteurs
soient
trs
diffrentes,
ils
se trouvrent
d accord
pour rejeter le
fondationnalisme,
parce que,
leurs yeux, celui-ci ne tenait pas suffisamment
compte
de la pratique
scientifique. Ils taient d avis
que
la science ne
contient pas
des
propositions de base qui ne seraient pas susceptibles d tre rvises,
qu il
s agisse
de
rapports
d observation
ou de
principes
synthtiques
a priori. Ils
mirent galement en question la
rduction
de la
mthodologie scientifique une
logique.
Pour eux, les dmarches primordiales
en science se rapportent
la dcouverte
d hypothses
explicatives
et
de critres
au
moyen desquels
ces
hypothses peuvent tre values.
Ces
critres
ne sont
ni
de
nature
deductive
ni
de
nature
inductive;
ils ne
peuvent pas
tre rduits
une rgle formelle, bien que
les
rgles
formelles jouent un
rle indispensable dans l application qui en est
faite.
Ainsi, les
deux
thses centrales de la thorie classique de la
science, que j ai appeles
les
thses fondationnaliste et logiciste,
furent rejetes
par ces
auteurs.
Au dbut de ce
sicle,
le
dbat
continua.
Un
certain nombre de
philosophes, tels que
Bradley et
Collingwood, continurent
attaquer
la thorie classique.
Mais
c est
ce moment-l
que
fut
fond
le
Cercle
de Vienne, d o se fit entendre une voix
nouvelle
et puissante en
philosophie
des
sciences,
qui
rduisit bientt
les
autres voix
presque
au
silence. Le
nom
de la
nouvelle
cole, le positivisme logique
,
indique immdiatement son
orientation
: l importance reconnue la
connaissance positive, c est--dire une connaissance
base
uniquement sur
l observation sensible, et d autre
part la
nouvelle
logique
formelle des Principia Mathematica de Russell et Whitehead, en tant
qu outil
d analyse . Il
est bon
de
noter
ici
que ces thses conduisent
presque
invitablement
aux deux thses
de la thorie classique de la
science, la
thse
fondationnaliste et la thse
logiciste.
Et de
fait,
la
plupart
des
membres
du
Cercle de Vienne acceptaient ces thses et
soutenaient
que
les
Protokollstze, en
lesquels
sont
exprimes
les
observations
de la
science
exprimentale, peuvent en
principe servir
de base
des
gnralisations de plus en plus vastes. Carnap a essay
de formuler
une logique
inductive dans le
cadre de laquelle pourrait
tre
formalise
la
relation
de
confirmation
entre
une hypothse et une
proposition exprimant
une information
disponible
(vidence).
On
peut se
demander
comment
des savants qui avaient t
duqus dans les sciences exactes et qui avaient rflchi de faon
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Le dclin du fondationnalisme 241
critique
et
de
l intrieur
sur les
mthodes
de
celles-ci, ont
pu prsenter
une
vue
aussi
simpliste,
et
cela
d autant
plus
que
cette
vue
avait
t attaque depuis
prs
d un sicle. La
rponse
est simple. Le Cercle
de Vienne avait dbut comme
un
mouvement de
rvolte contre
la
rhtorique et les abstractions de la philosophie allemande
posthglienne de l poque. Ce
que voulaient
les
membres
du
Cercle
de
Vienne,
c tait
en quelque sorte
une nouvelle rforme;
ils voulaient
balayer ce
qu ils appelaient
un pseudo-langage.
Il
leur semblait
vident que l antidote se trouvait dans la sobrit intellectuelle de
l homme de
science
et la rigueur mathmatique des logiciens. Les
sciences
exactes
s taient
rvles
comme un
moyen sr
pour
l acquisition
rgulire
de
la
vrit.
Quel
meilleur
modle
pouvait-on
proposer
pour la
science
en
gnral
?
Dans
le
domaine
de la science,
on
sait
exactement
chaque
moment o l on se trouve. On commence partir
de faits
bien
tablis,
et l on
fait usage
uniquement
de
modes
d infrence
dment tablis pour arriver au niveau des lois et des thories. A
chaque tape, on peut
donner un
rapport complet,
la
fois
en termes
de signification
et
de vrit,
au
sujet du stade
o l on
se trouve,
ainsi
qu au sujet
de la
relation
entre les assertions propres ce stade et
les faits
partir desquels
on
a
raisonn.
Pourquoi donc
ne
pas
exiger
un
mode de vrification analogue celui-ci pour
n importe
quelle
assertion
qui
se
voudrait
signifiante
et
vraie
?
Ds lors,
si
une
assertion
ne rpond
pas
ce
critre,
on sera en
droit
de la mettre de ct comme
n ayant pas de signification, mme si
on
peut lui accorder un certain
pouvoir
d vocation
comme
on le ferait
pour
la posie. Il
y aurait
ainsi
moyen de
distinguer sens et non-sens, et
de
vouer
la
mtaphysique du jour aux flammes, que
Hume
avait dj recommandes
dans un cas similaire deux
sicles
auparavant.
L ide
ne manquait pas de pouvoir d attraction, mais elle tait
base sur
une vue idalise et peu critique
de
la
science
;
en particulier
cette vue
attachait trop
peu d importance l histoire de la
science
et
la
manire
dont les changements
conceptuels
se font
jour.
Sa
force rside
plutt
dans l ordre de la rhtorique, tout comme d ailleurs
la force de
ses adversaires
hgliens.
On
peut
voquer
ici
deux
influences importantes qui ne viennent
pas
de la
science
: d une part
celle de Wittgenstein
et
de
Kussell, et d autre
part celle de
Mach et
en
dernire analyse
de Hume.
Dans
le Tractatus,
Wittgenstein
examine
la possibilit
d employer
l appareil technique des Principia Mathe-
matica
de Russell et
Whitehead
pour
constituer
une
thorie du
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10/23
242 Ernan McMullin
langage.
Cela impliquait un travail
avec des propositions
atomiques,
relies
par
des
connecteurs
logiques
simples,
dfinissables
en
termes
de
fonctions
de
vrit.
Si
ces
propositions peuvent tre considres
de la mme manire que les faits atomiques qui constituent le monde,
alors
le
problme
difficile qui consiste
relier
le
langage au monde
peut tre ignor,
et
le
travail
d lucidation du monde peut tre
poursuivi au moyen de propositions directement valuables en
termes
de
vrit
ou de fausset, au moyen de la
mthode des
tables de
vrit.
Il
faut ajouter que
Wittgenstein
a propos ce
schma de
faon
hypothtique et non comme une
assertion
dfinitive.
Il
avait dj compris
qu il y a
des questions auxquelles la parole
n est pas une
rponse
adquate.
Mais les positivistes logiques s emparrent de son
modle
hypothtique et
le proposrent
comme une
description
de
la nature
de
la
science. Ils
interprtrent ces
propositions
atomiques
comme des
rapports concernant des
observations
sensorielles, rflchissant
de
faon
non problmatique le contenu de
ces
observations. Ces Protokollstze
peuvent correspondre
aux donnes
sensorielles, dans la tradition de
Mach et
de
Hume, ou
des
traits de l objet lui-mme
dans
la ligne
de ce
que pensait
plutt
Carnap.
Mais le point essentiel est que les
lments constitutifs du
langage
sont censs correspondre exactement
aux
lments
constitutifs
du monde.
La
thorie et
l hypothse
n entrent en jeu qu un niveau ultrieur, lorsque les
propositions
sont assembles
dans des gnralisations plus complexes,
d o les
Protokollstze
peuvent
tre drivs
de faon
deductive. Le
langage
de
ces
phrases protocolaires elles-mmes
est
cens ne pas contenir
d lments hypothtiques ou de simples suppositions;
on
suppose
qu il y
a moyen d tablir une distinction nette entre, d une
part,
le
langage d observation
employ dans les jugements de faits,
et
d autre part,
le
langage thorique
des
phrases
gnrales plus complexes,
dont
les
termes
(thoriques) sont censs tre
lis par
des
rgles
de
correspondance avec
le
niveau
de
l observation,
et
cela
aux
fins
d assurer leur signification.
De
toutes les formes de fondationnalisme que je dcris
ici,
celle-ci
est
peut-tre
la
plus
ambitieuse. Aussi puis- e
maintenant
expliquer
pourquoi j ai consacr autant de temps au fondationnalisme dans ses
formes varies, et
plus
spcialement dans
sa forme
la
plus
rcente.
Le
travail
le plus important qui a
t accompli
dans
le domaine
de
7/26/2019 Dclin Du Fondement
11/23
Le
dclin du fondationnalisme
243
la philosophie des sciences au cours des
deux dernires dcennies
peut
tre
dcrit
comme une
critique du
fondationnalisme
base, (1)
sur
une
analyse exacte
du
langage et
des
procds
de
l homme
de
science, et
(2) sur l histoire de la science. Ce
travail
constitue
donc un retour
la tradition critique de Whewell et de
Peirce;
c est un effort en vue
de
construire
une thorie de la
science sur
une base
plus
ou
moins
empirique,
c est--dire partir
de la
pratique
de la science
elle-mme
plutt qu partir d une thorie gnrale de la connaissance, comme
cela avait t le cas
dans
la tradition
classique
de
l pistmologie.
Mais il
ne
s agit pas d un retour
en arrire
cela n existe
d ailleurs
pas
en philosophie parce que nous
pouvons
maintenant faire appel
aux
analyses
incomparables
de
la
corroboration
et
de
la preuve
qui
ont t faites par
les positivistes
logiques et par tous ceux qui ont
continu leurs efforts en vue
d examiner
la
dimension logique
de la
mthodologie
scientifique.
Nous pouvons
galement faire appel
l immense
quantit
de
travaux
scientifiques
consacrs
l histoire
des
sciences, laquelle, aprs
tout,
n est devenue un
domaine
spcifique
et
professionnalis
de recherche scientifique que
depuis
la seconde
guerre
mondiale.
Avant de parler de ce mouvement, qui constitue peut-tre la
partie la
plus intressante
de la philosophie amricaine en
ce
moment,
je
voudrais
dire
quelques
mots
au
sujet
des
critiques
qui
ont
t
formules
l gard
du fondationnalisme
positiviste
partir
de la
thorie
du
langage. Deux noms sont ici particulirement
importants,
ceux de Wittgenstein et de Quine. Vers les annes trente, Wittgenstein
avait dj
continu
la dialectique
du
Tractatus.
Il
tait
maintenant
capable
de
critiquer
les
prsupposs
de la
thorie
du
langage qu il
avait expose dans cet
ouvrage. En
particulier,
il
tait en mesure de
critiquer
la rduction de la diversit du discours des propositions
catgoriques, relies entre elles au
moyen de
fonctions
de vrit,
et
la corrlation
entre ces
phrases
et
les
donnes sensorielles,
erreur
que
le
Tractatus
n avait
jamais
commise.
Les
recherches
des
Philosophical
Investigations n ont pas trait de
faon
immdiate la philosophie
des
sciences, mais
elles
contiennent
quelques leons
trs
claires pour
les
philosophes
des sciences. Ceux-ci sont notamment amens
tenir
compte
de
toute
la
finesse
des
usages d une langue et se mfier de
tous
les
procds qui supposent une conjonction
non
problmatique
entre les lments du
langage
et les lments de la ralit.
Ce que
Wittgenstein
attaque
en fait dans les
Philosophical Investigations,
ce
7/26/2019 Dclin Du Fondement
12/23
244
Ernan
McMullin
sont deux
des principaux
prsupposs
du positivisme
logique : en
premier
lieu,
le
prsuppos
selon
lequel
il
y
a des
propositions
atomiques
qui forment un fondement
infaillible pour
la science,
et
en second lieu,
le
prsuppos selon lequel
les diverses
fonctions
du
langage peuvent
tre
limites
l assertion
catgorique,
susceptible
d tre analyse
en
termes
de fonctions de
vrit.
Au cours de la
mme priode, Quine
a attir l attention
sur
la faiblesse de la distinction, hrite de la
tradition
kantienne, entre
les jugements
analytiques et
les jugements
synthtiques.
C est
sur cette
distinction
qu tait base la diffrence
entre le formel et le
factuel,
diffrence qui tait cruciale pour la thorie
positiviste de
la
science.
Quine montre qu il y a un
continu de
relations
possibles
entre
langue
et
exprience
;
ainsi,
la
relation
entre
l analytique
et
le
synthtique est un spectre
dans
lequel il
n y
a pas
de
position
privilgie
o une
distinction radicale
et
nette pourrait tre
faite.
Examinons finalement l attaque contre
le
fondationnalisme qui
s est
dveloppe vers
la
fin
des annes cinquante,
chez ces philosophes
des sciences qui sont
devenus
plus conscients des
aspects
diachroniques
de la
science
et de la faon
dont
les hommes de
science
travaillent
effectivement. Je voudrais
m
tendre un peu plus longuement
sur
quatre moments dans cette
attaque,
en
associant
chacun d eux avec
le
nom
d un
philosophe.
Je
dois videmment
simplifier,
afin
de
mettre
un peu d ordre
dans ce
qui est
tout
de mme
devenu
une trs
vaste
littrature. Il y a d abord deux ouvrages,
Patterns
of Discovery de
N. E.
Hanson
et Personal Knowledge de
Michael
Polanyi, tous les
deux
de
1958,
dans lesquels la
distinction
radicale que les
philosophes
positivistes
avaient
introduite
entre termes
thoriques
et termes
observationnels
se
trouve rejete.
Il
faut
se
souvenir que cette
distinction tait la base de tout
le
programme fondationnahste.
En effet, s il n y a pas de phrases telles que les Protokolls tze,
employant
uniquement
des
termes
observationnels dont la
signif icat ion
peut
tre
obtenue
de
faon pr-scientifique,
il
n y
a
pas
moyen
d attribuer
l entreprise
inductiviste la signification fondationnaliste
que les positivistes lui avaient accorde. A partir de
l analogie
tire
de la
Gestaltpsychologie,
Hanson
et Polanyi
soutiennent
que
les
rapports
d observation
doivent ncessairement tre dtermins
par
le
schma conceptuel de l observateur, et qu ils
sont,
ds
lors,
pour
employer un clich
plus tardif,
theory-laden
,
c est--dire
chargs
de thorie. Il n y a
pas
de
langage
observationnel qui
soit
absolument
7/26/2019 Dclin Du Fondement
13/23
Le dclin du fondationnalisme 245
neutre; il
n y
a pas de rgles de correspondance pr-thoriques. Il
n y
a
d ailleurs
pas
de
donnes
sensorielles
au
sens
de
donnes
auxquelles
l observateur n aurait pas
de quelque faon contribu.
videmment, Kant avait dj insist
sur
ce point, mais le mrite de Hanson
et de Polanyi
fut prcisment de se
baser
sur
une foule d exemples,
emprunts la
pratique
scientifique. Et contrairement Kant, ils
ont soutenu que la contribution de
l observateur
n est pas quelque
chose de fixe,
un
lment invariable,
un
groupe de catgories de
l entendement
fixes une fois pour
toutes. Il
s agit
plutt de quelque
chose
qui est
conditionn culturellement
et historiquement; en
particulier
la contribution de
l observateur
est
fonction
de toute
l histoire
de
la
recherche
scientifique dans
le
domaine
o
les
observations
sont
faites. A la suite de Wittgenstein, Hanson note que lorsque nous
voyons quelque chose,
nous
voyons
toujours
cela
comme
quelque
chose ; les catgories
disponibles influencent
d une faon ou de l autre
la
manire
dont nous
rapportons
ce que nous observons, et mme ce
que nos instruments mesurent.
La
seconde
vague d attaque fut lance par
Kuhn
dans son
remarquable
livre,
The
Structure of
Scientific
Revolutions,
assurment
le livre le plus important que ce mouvement (si
on
peut l appeler ainsi)
ait
produit.
Kuhn
soutient
que
les
modles
logiques
que
les
positivistes
invoquent comme
modes
de
validation
en science ne
sont
valables
que
pendant
les
priodes
de
science
normale
,
c est--dire
pendant
les
priodes
marques par l acceptation
gnrale
d un
paradigme .
Un paradigme
est
dfini par
lui, de
faon assez large, comme un
idal commun
d explication, un
groupe de formes symboliques,
un
modle
thorique, un groupe de mthodes pour la solution de problmes,
employes
dans la
formation
des
tudiants.
Pendant les
priodes qu il
appelle
priodes
de rvolution
,
il
y a
par contre un
nombre vari
de paradigmes en comptition. Et
il
n y
a pas de
structures
logiques
ou
mthodologiques
dans
les
termes
desquelles
on
pourrait
obtenir
l assentiment l un ou
l autre
de
ces paradigmes.
Ainsi, le choix de
l un ou l autre paradigme est en
dernire
instance une question
d engagement
personnel, impliquant des systmes de
valeurs
mdiatiss
par les
diffrents
groupes sociaux auxquels l homme de
science
appartient.
Le
plus important
de ceux-ci est videmment
le
groupe
de ses
pairs, forms comme lui
la
recherche scientifique,
mais
l influence d autres groupes
et
de leurs systmes de valeurs ne peut
tre nglige.
7/26/2019 Dclin Du Fondement
14/23
246
Ernan
McMullin
Le passage d un paradigme
un autre,
qui constitue
une
rvolution scientifique
dans
le
sens
que
Kuhn accorde
ce mot,
ne
saurait
donc
tre
dcrit ou jug
en
termes purement
logiques.
S il
faut choisir
une
analogie,
il
faut la
chercher
du ct de la Gestalt-
theorie,
ou
mme
de la conversion
religieuse,
dans laquelle une faon
de voir est tout coup remplace par une
autre.
Il n y
a donc pas de
squences
de
modifications lgres dont chacune
serait
explicable
en
fonction
de ce qui la prcde, mais plutt une mutation subite
et
massive.
Aprs
une telle
mutation,
survient une nouvelle
priode
de
science
normale
,
pendant laquelle
les
critres
de logicalit
sont
de
nouveau en
vigueur,
mais videmment
pas
la manire qu ont
suppose
les
positivistes,
puisqu une
autre
rvolution viendra
un
jour
balayer
les
structures thoriques
qui ont rendu possible
cette
tape
particulire de
logicalit. Il
faut noter que
Kuhn
parle dans une
perspective qui est la fois
historique
et
sociologique;
s il a raison,
on ne saurait
poursuivre
la philosophie des
sciences
sans tenir compte
de l histoire des sciences et de la sociologie des hommes de
science.
Dans leur poursuite de la
logicalit, les
membres
du
Cercle de
Vienne
avaient formul une
distinction nette
entre
le contexte
de
la
dcouverte et celui de la validation,
et
ils
taient
d avis que seules
les
structures
logiques
intemporelles
de validation
intressent
le
philosophe
;
ils
laissaient
les
contingences temporelles
des dcouvertes,
avec quelque ddain,
l historien, au
psychologue
et
au sociologue.
Kuhn
rejette cette ide, comme
l auraient
d ailleurs
fait
un certain
nombre de
thoriciens
de la science (y compris d ailleurs Mach
lui-
mme) au
xixe
sicle.
Sa
description des rvolutions scientifiques
est
base sur
une
recherche historique de ce
qui
se
passe
en fait
dans
la
science, et
sur les critres qui semblent avoir gouvern les
changements
thoriques qui ont t les plus importants dans la
formation
de la
science, telle que nous la
connaissons.
C est l
qu est
la science,
non
pas
telle qu elle aurait pu tre
ou
devrait tre, mais telle
qu elle
est.
D autre
part,
Kuhn
insiste
sur
le
fait
que
la
science est
le
travail
d un groupe social assez
spcial,
dot
d une
structure communautaire
trs complexe.
L adoption
d un nouveau
paradigme quivaut une
restructuration des engagements sociaux, et ne peut tre
comprise
sans rfrence
une diversit
de
facteurs psychologiques,
sociologiques
aussi bien
que logiques, qui sont impliqus dans une telle
restructuration
Il y
a une similarit entre l approche
sociologique de
Kuhn et
7/26/2019 Dclin Du Fondement
15/23
Le
dclin du fondationnalisme
247
celle des thoriciens no-marxistes. Mais
il y
a
aussi
des diffrences
importantes.
Kuhn
ne
s intresse
pas
aux
facteurs
socio-conomiques
et il rejetterait
de plus
l explication positiviste
de Habermas
selon
laquelle
un intrt pratique est suppos jouer un
rle dterminant
dans les sciences naturelles.
Il
ne
dit
videmment pas que les
facteurs
conomiques et pratiques
n ont aucun rle
jouer
dans
l histoire
des
sciences. Mais ce qu il affirme, c est d abord qu il
n y
a aucune raison
de supposer que
l influence
de
tels
facteurs rendrait la
science
meilleure,
c est ensuite
qu il est
possible d isoler
et
finalement d liminer les
facteurs conomiques.
Il nie que la
notion
d intrt
pratique puisse
expliquer ce qui arrive
dans
une rvolution scientifique. Lorsqu il
fait
allusion
la
dimension
sociale
de
la
science,
il
a
en
vue
les groupes
l intrieur desquels l homme de science est form comme homme de
science.
Ce que lui et Polanyi
affirment,
c est que les techniques de
reconnaissance, assurant la dcouverte d intelligibilit, s acquirent
non pas en lisant des livres
ou
en
suivant
des
rgles logiques
de
procdure,
mais
en
travaillant l intrieur d un groupe et
en
observant
ce que font les autres. Il est de la plus
haute
importance de
voir que
le succs des mthodes
d observation
d un groupe est constamment
mis l preuve ; ces mthodes ne sont pas fixes. Elles changent,
non
pas
d une faon
arbitraire,
mais en rponse
des
normes
intrinsques
de
succs
qui
peuvent d ailleurs
tre
partiellement
explicites.
Une
troisime tape dans la critique du fondationnalisme
est
reprsente
par
le
travail
de Stephen Toulmin, plus spcialement
par
son
livre
Human
Understanding.
Tout
comme Kant,
Toulmin
interroge
l histoire des sciences pour
y
trouver des
modles
caractristiques de
rationalit ;
comme
lui,
il souligne
le fait
que la
science
est
le
produit
d une
profession particulire dont
il
compare le rle celui du juge
par
rapport la loi constitutionnelle. Mais
il
rejette la distinction
entre
science
normale et
science
rvolutionnaire
,
et prfre parler
d un
mouvement plus
ou
moins
continu
de
transformation
des
concepts.
Ceci
l amne adopter
une
thorie de l volution
conceptuelle
qui
est
modele sur la thorie biologique de l volution, et dans laquelle les
units de variation sont
des
concepts individuels et
non des thories
ou des
paradigmes.
Depuis la
publication
de
son
livre, la
validit
de
sa mtaphore volutionniste a
t
fort discute. Ce qui nous intresse
ici,
c est de savoir dans quelle mesure nous nous
sommes
loigns de
la thorie fondationnaliste, si les concepts sont de fait
impliqus
dans
7/26/2019 Dclin Du Fondement
16/23
248
Ernan
McMullin
un dplacement continuel. Si tel tait le cas,
il
ne serait plus possible
de
soutenir
une proposition
rellement
fondationnaliste.
Toulmin
est
d avis
que nous
jugeons la rationalit de la
conduite
d un homme
non
pas en fonction de la cohrence de ses croyances et de ses pratiques
habituelles,
mais
plutt en
fonction de
la manire
dont il
change
celles-ci
par
rapport une situation
nouvelle et
imprvue.
De
la
mme
faon, dit-il, nous ne pouvons pas
chercher
les
structures
de la
rationalit scientifique
dans
les
oprations journalires
de la
science,
mais dans les moments de difficult
ou
de
dplacement
conceptuel.
Et
ces
moments-l, selon
lui,
les critres
logiques
sont inutiles.
Kuhn veut
bien
accorder
une place
l analyse
logique dans
sa
comprhension
de
ce
qui
se
passe
dans
la
science
normale
,
mais
Toulmin
n accepte pas cela,
puisque,
pour lui, les
structures
primaires
de la
mthode
scientifique n entrent en jeu que
dans les processus
qui
mnent
des changements conceptuels. Et puisque l application
des
critres logiques prsuppose une
stabilit
conceptuelle, ces critres
n ont
aucune
importance pour
la science en tant que
telle.
La
consol idat ion des nouveaux concepts demande de
nouvelles
procdures, qui
ne peuvent tre
exprimes
que d une faon non formelle. Aussi l analyse
formelle ne peut-elle jamais
nous dire en
quoi consiste la rationalit
de la science.
Bien
que Toulmin nie que le changement conceptuel,
qu il
aperoit
au
cur
de
la
science,
soit
de
nature logique,
il
affirme
nanmoins
qu il est
rationnel.
En effet,
c est
dans
de tels changements,
quelque
rapides ou
apparemment rvolutionnaires
qu ils
puissent
paratre, que la
rationalit
de l homme se
montre
clairement. Ce que
nous
attendons maintenant de
Toulmin,
c est
une
description plus
pousse
de cette rationalit non
logique
qui
permet
au scientifique
d valuer ses concepts et d en choisir une variante plutt
qu une
autre.
Ceci
sera le
thme
du
second
volume de la
trilogie qu il nous
promet.
Il
me semble que la dichotomie qu il introduit entre les
aspects diachroniques de la
science
(dans lesquels la
rationalit se
manifeste)
et
les
analyses
synchroniques
et
statiques
du logicien
(que
Toulmin a tendance sous-estimer) est trop nette.
La quatrime,
et de loin
la plus extrme des critiques du
fondationnalisme et de toute la thorie classique de la science (aux
tats-Unis,
bien entendu),
nous vient de Feyerabend. Dans une srie
d essais, crits
au cours
de
ces dix dernires annes, il
s est
loign
de plus en plus de sa
position empiriste
du
dbut. Sa
premire cible
7/26/2019 Dclin Du Fondement
17/23
Le dclin du fondationnalisme 249
a t la rduction de l explication scientifique la prdiction, selon
le
schma
que
Hempel
et
Oppenheim
ont
propos
dans
les
annes
quarante.
Ce modle dductiviste d explication a
t
considr
comme
un
des plus beaux rsultats de la
mthodologie
positiviste.
De
faon
plus gnrale,
Feyerabend
s est oppos
au
prsuppos de base du
positivisme
selon lequel
des
thories comptitives peuvent toujours
tre
compares formellement,
de
telle sorte que l on puisse aboutir
accepter l une
et
rejeter
l autre. En fait, il
a insist ( la suite de
Popper) sur
l ide
selon laquelle il est dsirable qu aucune
thorie,
aucune science normale la manire de Kuhn, ne
puisse
prendre
possession d un
domaine
; plusieurs possibilits
doivent tre
maintenues
en
mme
temps,
de
faon
telle
que
toute
possibilit d ouverture
soit essaye, toute configuration mise
l preuve.
La mise l preuve
ne consiste
jamais
comparer une thorie avec une exprience, mais
plutt
voir
comment se comportent plusieurs thories
qui sont
mutuellement incompatibles sans
qu aucune d elles
ne
puisse
rendre
compte
de tous les faits.
A
l encontre de la thorie fondationnaliste,
il soutient
qu une
thorie scientifique est une faon de regarder le monde; ce n est pas
une faon
de
mettre en ordre un ensemble
de donnes.
Puisque
les
thories que nous
dfendons ont
une influence
sur nos croyances
et
nos esprances,
elles tendent
modeler
notre
exprience,
et
par
consquent
les faits eux-mmes
qui sont l expression conceptuelle
de
notre exprience.
Il
s ensuit que
la supposition
selon laquelle
les
termes
employs
dans les rapports
d observation ont une signification
invariante,
est
compltement
errone. Il
n y
a pas
d ensemble neutre
de faits ou de rapports
d observation
qu une thorie ou
l autre
pourrait expliquer. Les
logicistes
ont toujours cru que tout ce qu on
doit connatre pour
expliquer la nature de la corroboration scientifique
est ceci
: quelle est la thorie qui explique le mieux tel ensemble de
faits
ou de donnes ? Mais si
l ensemble
de
faits
en question n est pas
donn,
mais dpend du contexte
thorique
l intrieur duquel il a
t formul, que s ensuit-il ?
Il s ensuit,
semble-t-il, que
des
thories
comptitives sont incommensurables; il
n y
a pas
moyen de les
comparer directement
et
logiquement les unes avec les autres. Et
qui plus est, l exigence
selon
laquelle une thorie doit tre en accord
de cohrence avec
les
thories qui
taient antrieurement
valables
dans le
mme
domaine, ne saurait tre
remplie, pour
la
mme
raison.
Ainsi,
la recherche
d une logique inductive susceptible de
mener,
7/26/2019 Dclin Du Fondement
18/23
250
Ernan
McMullin
d une faon
acceptable,
des gnralisations de plus en plus larges,
est
voue
l chec.
Feyerabend
conclut
que nous devons
abandonner
l ide que
les
thories peuvent tre tablies
par l exprience.
Dans la mesure
o
elles vont au-del des
faits
qui sont
avancs
pour les
soutenir
(comme
doivent le faire toutes les
thories), il
n y
a pas d autre
moyen
que des
moyens psychologiques pour tablir
l accord. Pour soutenir
cette
thse, Feyerabend a prsent une
analyse
dtaille et trs
controverse
du
succs
avec lequel
Galile
a dfendu la thorie copernicienne.
Selon
lui,
Galile n a pas tabli le
nouveau
systme,
comme la thorie
positiviste
de
la
science
pourrait nous
le
donner croire. En effet,
le
systme
copernicien
tait
en
dsaccord
avec
les
faits
plusieurs points
de vue. Des thories adquates du tlescope
et
de la vision auraient
t ncessaires pour
le
protger contre
les
critiques aristotliciennes,
et de telles thories n taient pas disponibles.
Il
ne pouvait pas faire
appel, contre la thorie rivale,
des
succs
dcisifs
en
matire
de
prdiction.
Ds
lors,
toujours
selon
Feyerabend, Galile
ne pouvait
que se rabattre sur la propagande.
Il
devait persuader les gens de
voir
le
monde
diffremment,
sans pour autant se rendre
compte
qu ils
le voyaient
diffremment.
Il
devait
tablir des
connexions
fausses
entre thories, qui
auraient pu
facilement tre rfutes, et dformer
les
faits
en
omettant des
dtails
qui
allaient
contre
ses
propres
conceptions.
En
bref,
il devait
exploiter ce que
Feyerabend
appelle
les prcieuses
faiblesses
de la pense humaine pour faire
accepter
la
thorie
copernicienne.
C est son talent dans l art
de la
persuasion,
son
habilet
rhtorique hors de
pair,
qui ont donn son uvre la
signification minente qu elle a
eue.
Car, dit Feyerabend,
la
science,
dans ses moments les plus hauts, est beaucoup plus
prs
de la
posie
que des ensembles
logiques
que les philosophes cherchent en elle.
Ainsi, toute
cette ide selon laquelle il y a
quelque chose
que l on
peut appeler la mthode scientifique
est, selon
lui,
un mythe
dangereux.
Faire appel
une
telle
mthode,
c est
se
donner
un
accs
privilgi
la vrit. Dans ses
crits
les
plus
rcents, dans lesquels
l influence
du
no-marxisme allemand a commenc apparatre
plus
clairement,
il voit
dans
une telle prtention un absolutisme qui diminue l homme,
ses
espoirs et
ses potentialits. Et ainsi,
il
en vient
s opposer aux
experts
,
que ce
soit
en matire politique, thologique ou scientifique,
tous ceux qui croient que leur
mthode
est une
mthode
qui est
capable
d atteindre
la
vrit
de manire objective.
Contre
eux,
il
7/26/2019 Dclin Du Fondement
19/23
Le dclin du fondationnalisme
251
proclame : il
n y
a pas de mthode, et il
n y
a pas
d autorit.
Et il
attaque
son ancien
matre,
Karl
Popper,
dont
il
avait
jadis
partag
les conceptions objectivistes.
Il
reprsente la position qui
est
de loin
la plus extrme
parmi
les critiques
du
fondationnalisme empiriste,
position dont tous
les
autres
critiques
ont
eu le
souci
de se dissocier.
Cette
position s appuie
davantage sur
une
thorie de la libration de
l homme que sur une
analyse
quilibre de la structure de la
confirmation scientifique.
3. Apprciations critiques
O
donc,
finalement,
la
philosophie des sciences
se trouve-t-elle
maintenant ? Est-ce que le fondationnalisme a t abandonn ?
Dans
quelle mesure
les
philosophes sont -ils
prts
s orienter vers le ple
subjectiviste
? Jusqu
quel point
les
analyses
du
langage et
de la
pratique
scientifique ont-elles modifi la
notion
classique d objectivit
et de
rationalit ? Je commencerai
par quelques
points qui font l objet
d un accord gnral.
La
plupart
des
philosophes admettraient
les
trois thses que
voici.
1) Les faits,
mme
les faits
scientifiques, sont relatifs au
systme
conceptuel utilis pour mettre en vidence leur
articulation et
sont
ds
lors
susceptibles d tre
rviss
ds
que
ce
systme doit
tre
modifi.
Une
interprtation strictement fondationnaliste
de
la science,
qu elle
soit intuitionniste ou
empiriste, ne peut
pas
russir.
2) L valuation des hypothses scientifiques, particulirement des
thories d un haut degr de
complexit, met
en jeu un
art
de
l apprciation qui
suppose
un long entranement et n est pas rductible
des rgles formelles
explicites
d infrence. Ds
lors,
une
reconstruction
purement
logique
de la
confirmation scientifique
doit ncessairement
tre incomplte.
3) Des
thories
rivales peuvent tre incommensurables entre elles,
soit
parce
que
leurs systmes
conceptuels
respectifs ne
se
correspondent
pas suffisamment
pour rendre
possible
une
comparaison
directe,
soit
parce que les valeurs mthodologiques qui sont incorpores dans les
thories
en question ne
sont pas
les
mmes,
de telle
sorte qu on
ne
dispose
pas
d une mthodologie neutre qui
rendrait possible une
comparaison entre
elles.
Comme
on
peut le voir,
ces
trois thses constituent des modifi-
7/26/2019 Dclin Du Fondement
20/23
252 Ernan
McMullin
cations
de
la thorie
classique de
la
science.
Dans quelle mesure
doivent-elles
tre
prises
au
srieux?
Elles
sont importantes,
sans
aucun
doute, mais
elles
ne sont
peut-tre
pas
aussi
srieuses qu on
l a parfois suggr.
Je
donnerai
des arguments
en faveur de
ce
que je
viens d avancer,
en suggrant trois
autres thses,
qui
limiteront
la
porte
des
trois
prcdentes.
Ces nouvelles thses, je dois
le
prciser,
ne rencontreraient pas le mme degr d accord.
1)
Mme s il est
vrai
que
des
hypothses thoriques sont
impliques
dans
renonciation de n importe
quel
ensemble d observations, il n y a
pourtant
aucune
circularit
dans les dmarches
qui
consistent
utiliser ces
observations comme soutien d une thorie diffrente.
Lorsqu une
thorie
est
avance
pour
expliquer
un
ensemble
de
donnes,
il n est pas vrai,
en
gnral, que cette thorie ait t
implicitement prsuppose dans la formulation de ces donnes. Par exemple,
la thorie
cintique
des gaz est
fonde
sur tout un ensemble de
mesures
concernant la longueur,
le
volume, la temprature et la masse. Ces
mesures ne prsupposent
pas
elles-mmes la thorie cintique; les
concepts de
longueur,
de volume, de temprature et de
masse
dpendent d une thorie mcanique
plus
gnrale, mais
non
de la thorie
cintique
elle-mme.
De plus, mme
lorsqu une thorie est prsuppose
dans la
formulation
de certains rsultats exprimentaux,
il
est
permis
d utiliser ces rsultats
comme soutien empirique
de
cette
thorie
elle-
mme, sans pour
autant
introduire une circularit logique comme le
prtend
Feyerabend.
Par
exemple, certaines des
mesures
stronomiques
invoques
par Einstein comme soutien
de la
relativit
gnrale
exigent
dj que
l on dispose d une certaine thorie gnrale de la
mesure
au
moment o
on
les tablit. Le dfi qui est adress n importe
quelle thorie dans un cas
de ce
genre, c est
de
dterminer si l on
peut
former
un ensemble cohrent
en prsupposant la thorie
lorsqu on
interprte
les mesures et en examinant ensuite si les
donnes
ainsi
formules peuvent
servir
de soutien la thorie. Mme dans un tel
cas, donc,
les
donnes
d observation
servent
de
fondement
la
thorie
;
de mme, la thorie sert d explication aux faits.
2) L infrence
logique
joue un rle indispensable dans la mise
l preuve
de la
validit
de
n importe quelle thorie qui
peut tre
propose.
Mme
si la rationalit de la science
n est
pas rductible
une rgle
logique, les
rgles logiques
lui
sont essentielles.
Mme
lorsque
intervient un
changement conceptuel, on doit
utiliser
des
inferences logiques pour mettre l preuve les variantes conceptuelles
7/26/2019 Dclin Du Fondement
21/23
Le dclin du fondationnalisme 253
qui sont
proposes.
Toulmin
essaie de
sparer entirement
la logique
de
la
rationalit scientifique,
en
prtendant
que
cette
rationalit
apparat principalement dans les processus de changement conceptuel
et que ces
processus
n obissent pas aux
lois logiques.
Le
jugement
port
sur des
modifications conceptuelles
possibles est
une
partie du
processus;
avant qu une modification
conceptuelle
particulire
puisse
tre accepte comme de la bonne
science, elle
doit faire valoir
ses titres.
Et la
manire
dont
on
peut discerner ceux-ci met ncessairement en
jeu une utilisation complexe
de
l infrence logique. La logique est donc
une partie
de la rationalit scientifique.
3) Lorsqu on
analyse
les
facteurs qui influent
sur le jugement
scientifique,
autres
que
les
facteurs
logiques,
on
en
dcouvre
deux
espces qui ont conduit des auteurs comme
Feyerabend
soutenir que,
en dpit des
apparences,
la
science
est une affaire
irrductiblement
subjective, un domaine d engagement personnel
plutt
que
de
normes
objectives. D abord,
il
y a les influences qui interviennent dans la
formation
des
jeunes scientifiques, les critres implicites de
jugement
que ceux-ci apprennent
de
leur groupe
de
pairs, et
de l acceptation
desquels
dpend
leur carrire professionnelle. En second lieu, il y a
les croyances
trs
gnrales
que tous
les
scientifiques entretiennent
au sujet du monde, et qui drivent de sources autres
que
la
science;
il
suffit
de
regarder
l histoire
de
la
science
pour
voir
combien
la
mtaphysique, la thologie et l thique ont jou un rle important
dans la
formation
des critres d intelligibilit
utiliss par
les
scientifiques dans le cours de leurs
travaux.
Bien qu il y ait
beaucoup
dire
propos de ces deux
espces
de facteurs, il nous suffira
ici
de
faire
seulement
un
commentaire
leur sujet. Le succs long terme de la
science
dpend
de
certains
cts facilement
exprimentables
de
la
thorie scientifique, la prdiction couronne de
succs par
exemple,
la cohrence logique, la capacit de traiter des anomalies inattendues,
la capacit de se prter
des gnralisations,
et ainsi de suite. Ces
traits
servent
de
contraintes
pour
la
subjectivit. Voici
ce
que
je
veux
dire : dans la mesure
o
les valeurs que le scientifique apprend
de ses
pairs,
ou
bien
dans
la mesure o les thories
gnrales
qu il a
propos du monde
manquent d objectivit et
ne
sont pas
en
harmonie
avec les
structures
de l ordre rel, ce manque de correspondance tendra
se
manifester
mesure
que
le temps passera,
et
conduira
des
modifications de la technique ou des croyances
mtaphysiques.
Au
contraire, dans la mesure o
elles
rendent le travail
du
scientifique
7/26/2019 Dclin Du Fondement
22/23
254 Ernan McMullin
plus
fructueux,
de la manire qui a
t mentionne, il
est
vraisemblable
qu elles
seront renforces.
voquons enfin
encore un point,
davantage
sujet
controverse.
Au
xixe sicle,
on croyait
presque
universellement que les
modles
et
les thories de la
science
nous
font
approcher de
plus
en
plus
de la
nature intime de la ralit. Bien que toute thorie
puisse
tre
remplace par une autre,
on
faisait l hypothse que, d une
manire
ou
d une
autre,
la
nouvelle
thorie
reprend
en
elle
la prcdente,
qu il y
a pour
ainsi dire une
convergence constante. Peut-on donc parler du
progrs de la science, non simplement au sens d une
accumulation
de
donnes, mais
au
sens
d une
saisie
de plus
en
plus
profonde du
monde physique ? Quelles
sont,
ce propos, les implications
des
attaques
diriges contre
le fondationnalisme,
que
nous
avons
voques ?
Il
parat certain qu elles
soulvent certaines questions difficiles pour
la thorie de la
convergence. Kuhn
et Feyerabend ont soutenu que
ces
critiques
rfutent la thorie
de
la convergence; ils
affirment
que
les discontinuits dans
l histoire
de la science
sont trop abruptes et
que les moyens utiliss pour crer
l accord
sont subjectifs. Pour
pouvoir
dire que la thorie approche
le
rel et que la correspondance
est rendue plus parfaite mesure que le temps passe,
il
faudrait
supposer une
certaine continuit
entre
une
thorie
et
celle
qui
la
suit. Mais
une telle
continuit
existe-t-elle
?
N est-il pas
vrai
que
la
thorie antrieure
est
falsifie
par
la thorie
nouvelle
? Dans quelle
mesure un
modle
peut-il continuer tre accept une fois qu il ne
sert plus
orienter la
recherche
?
Seule une analyse mticuleuse
de
l histoire de la science peut nous
permettre
de rpondre
ces
questions.
Ceux
qui s occupent
de
philosophie
des
sciences
consacrent
de
grands
efforts l tude de ce
problme
et de problmes
similaires.
Mais
il
est
clair
qu il reste
beaucoup
de travail
faire.
On
aura vu,
je
l espre,
combien
les rapports
entre la philosophie
des
sciences
et
l histoire
des sciences
ont
t
fructueux
au
cours
des
rcentes dcennies et quelle
profonde
influence
ils
ont
eue
dans la
modification des
vues traditionnelles quant la
nature
de la
science.
Je pense que nous ne
sommes
encore
qu au
commencement.
Notre
Dame
University,
Ernan McMullin.
Notre
Dame, Indiana 46556,
tats-Unis d Amrique.
7/26/2019 Dclin Du Fondement
23/23
Le dclin du fondationnalisme 255
Rsum.
La critique se fait de plus en plus vive
l gard
du
fondationnalisme,
qui tient que
toute assertion
vraiment scientifique
doit reposer
sur
un
fondement
inbranlable.
L A.
passe
en
revue les
trois formes classiques de
fondationnalisme,
intuitionniste (Aristote),
empiriste
(Locke
et Hume) et subjectiviste (Kant) avant d en venir
aux
critiques qui
commencent
au xixe
sicle
et qui occupent
actuellement
une place
trs
importante
dans la
philosophie
des
sciences aux
tats-Unis. Elles s accordent pour dire qu il
n y
a pas de fondement
inbranlable,
et donc
pas
de fondement
au sens
propre.
Aprs
avoir
montr
comment le positivisme
logique tait
fondationnaliste
et
comment Wittgenstein et
Quine
ont contribu
ces
critiques, l A.
tudie plus particulirement celles de N. R.
Hanson,
M. Polanyi,
Kuhn, S.
Toulmin et Feyerabend pour
en tirer
quelques conclusions
sur
l tat
prsent
de
la philosophie
des sciences.
Abstract.
Criticism is growing ever stronger against Foun-
dationalism,
which
asserts that
every truly scientific
assertion must
rest
on
an unshakeable foundation. The A. goes
over
the
three
classical
forms
of Foundationalism intuitional (Aristotle), empiricist
(Locke and Hume) and subjectivist
(Kant)
before coming to
those
criticisms which start
in
the
nineteenth
century
and
which occupy
at
present a very important position in the philosophy of
science
in the
U.S.A.
These criticisms agree that
there
is
no
unshakeable
foundation,
and therefore no foundation in
the proper meaning
of
the word.
Having shown how logical positivism was Foundationalist and how
Wittgenstein
and
Quine
contributed
to
these
criticisms,
the A.
studies
more
particularly
the criticisms
of
N.
R. Hanson, M. Polanyi, Kuhn,
S.
Toulmin and
Feyerabend with a
view to drawing
certain conclusions
in regard to the
present
state of the philosophy of
science. (Transi,
by J. Dudley).
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