eJRIEPSEjournal de la recherche sur l’intervention en éducationphysique et sport
44 | 2019Varia
Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/ejrieps/376DOI : 10.4000/ejrieps.376ISSN : 2105-0821
ÉditeurELLIADD
Référence électroniqueeJRIEPS, 44 | 2019 [En ligne], mis en ligne le 01 janvier 2019, consulté le 24 septembre 2020. URL :http://journals.openedition.org/ejrieps/376 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ejrieps.376
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SOMMAIRE
ÉditorialMarie-Paule Poggi, Mathilde Musard, Fabienne Brière-Guenoun, Nathalie Wallian, Yannick Lemonie et Ingrid Verscheure
L’apport des techniques non classées à l’activité offensive des judokas médaillés de lacatégorie (-60 kg) lors des Jeux Olympiques 2004-2012Amar Ait Ali Yahia et Michel Calmet
L’opposition au cœur de l’analyse des sports collectifsEric Duprat
Analyse des pratiques d’enseignement des sports de combat à l’université en France : deuxétudes de cas de formateurs en STAPSMariana S.P. Gomes, Marie France Carnus et André Terrisse
Comparer les manières d’enseigner les activités de fitness dans une perspective« d’inclusion » : études de cas en lycée professionnel en France et en SuèdeEmmanuelle Forest et Chantal Amade-Escot
Actualités de la recherche en intervention
RecensionDidier Barthès
Soutenance d'HDR
Soutenance de thèse
eJRIEPS, 44 | 2019
1
ÉditorialMarie-Paule Poggi, Mathilde Musard, Fabienne Brière-Guenoun, NathalieWallian, Yannick Lemonie et Ingrid Verscheure
Les propositions de manuscrits sont à envoyer à :
ejrieps[at]orange.fr
1 Cette nouvelle année 2019 s’ouvre pour eJRIEPS par quatre contributions originales qui
viennent encore enrichir la production scientifique dans le champ de l’intervention en
éducation physique et en sport.
2 Dans un article intitulé L’apport des techniques non classées à l’activité offensive
des judokas médaillés de la catégorie (-60 kg) lors des Jeux Olympiques 2004-2012,
Amar Ait Ali Yahia et Michel Calmet s’intéressent aux productions techniques, non
classées, fruit de l’activité créatrice des judokas de haut niveau. Les observations
permettent de conclure au rôle prépondérant de ces techniques dans l’activité
offensive des médaillés grâce à leurs fréquences élevées, des registres plus larges, des
scores meilleurs et des rendements supérieurs. Les auteurs proposent de les intégrer
dans les classifications officielles pour la résolution des problèmes techniques et
tactiques complexes dans un but de développement du judo de haut niveau.
3 L’opposition au cœur de l’analyse des sports collectifs, proposé par Eric Duprat, est
un texte utile à qui veut comprendre les ressorts du jeu dans ces activités. L’auteur se
livre à une présentation détaillée des principes fondateurs des sports collectifs qu’il
met en évidence à partir d’une analyse du rapport d’opposition. La gestion de ce
dernier pousse le joueur à gérer simultanément la conservation de la balle pour son
équipe et l’atteinte de la cible adverse et, pour les adversaires, à conjuguer la conquête
de la balle et la défense de sa propre cible. De ce point de vue, analyser, expliquer
l'opposition et l’utiliser comme source de tout progrès permettent de concevoir des
situations d’apprentissage efficaces en terme de développement des élèves et des
joueurs. Cette modélisation aide à concevoir des situations d’apprentissage efficaces en
terme de développement des élèves et des joueurs.
4 Dans la troisième contribution, Mariana S.P. Gomes, Marie France Carnus et André
Terrisse proposent d'analyser deux enseignements de sports de combat destinés à des
étudiants d’une UFRSTAPS afin d’en décrire la logique différentielle. L’article intitulé
Analyse des pratiques d’enseignement des sports de combat à l’université en
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France : deux études de cas de formateurs en STAPS s’inscrit dans le cadre
théorique de la didactique clinique pour appréhender les différences de traitement des
activités du point de vue de deux enseignants singuliers par leur passé de sportif et leur
formation. S’appuyant sur des données qualitatives, cette recherche met en évidence le
fait que chaque professeur fait ses choix en fonction de ce qu’il a vécu, soit comme
pratiquant, soit comme étudiant en STAPS, soit encore comme professeur.
5 Enfin, ce numéro se termine par l’article d’Emmanuelle Forest et de Chantal Amade-
Escot dont le titre est Comparer les manières d’enseigner les activités de fitness
dans une perspective « d’inclusion » : études de cas en lycée professionnel en
France et en Suède. Cette étude en didactique comparée vise à identifier la façon dont
deux enseignants d’éducation physique, l’un français et l’autre suédois, contextualisent
leur pratique d’enseignement en lycées professionnels à des fins « d’inclusion » de leurs
élèves au sein des groupes de travail. Les auteures analysent à une échelle macro et
micro didactique deux séances d’éducation physique de fitness en lycées professionnels
afin de caractériser les « manières d’enseigner » des deux enseignants et de rendre
compte de la façon singulière dont les savoirs sont mis à l’étude et co-construits dans la
classe lors de séances de fitness. Les résultats mettent en évidence que les deux
enseignants envisagent l’inclusion à des échelles temporelles différentes qui dépassent
le cadre de la scolarité des élèves. Ils permettent également d’identifier des traits
génériques et spécifiques aux deux enseignants.
6 Ces quatre contributions montrent à quel point la production dans le champ de
l’intervention ne faiblit pas. La rubrique « Actualités de la recherche en intervention »
de ce numéro témoigne également de cette vitalité. Je vous invite en particulier à
consulter la recension que nous propose Didier Barthes de l’ouvrage de Marc Deleplace,
Daniel Bouthier et Pierre Villepreux (2018) à propos de l’œuvre de René Deleplace.
7 Je ne saurais clore cette présentation du 44ème numéro d’eJRIEPS, sans préciser à quel
point cet édito a une saveur particulière pour moi. En effet, je passe en toute confiance
le relai à Mathilde Musard qui désormais assurera les fonctions d’éditrice principale de
la revue. Je sais qu’ainsi l’avenir est assuré, le journal se trouve « entre de bonnes
mains », compétentes et novatrices. Je ne peux me retirer sans adresser mes plus
sincères remerciements à Jean-Francis Gréhaigne fondateur en 2002 d’eJRIEPS. Faut-il le
rappeler, Jean-Francis a œuvré sans relâche au développement des recherches en
intervention en EPS. Imaginer eJRIEPS fut une idée de génie et tellement innovante !
Depuis sa création, la revue, forte de nombreux atouts (une large diffusion, un réseau
de chercheurs associés reconnus, un accès au rang de revue publiante au CNU) n’a cessé
de grandir. En 2010, Jean-Francis m’a confié cette lourde responsabilité de poursuivre
le projet. Je lui suis extrêmement reconnaissante pour sa confiance mais également
pour son appui sans faille durant ces huit années d’une étroite et chaleureuse
collaboration. Jean-Francis Gréhaigne nous a laissé, à toutes et tous, chercheurs en
intervention, un bel héritage que Mathilde Musard aura pour mission désormais de
faire fructifier.
8 Enfin, l’équipe d’eJRIEPS vous souhaite, à toutes et à tous, une belle année 2019, riche en
projets scientifiques.
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AUTEURS
MARIE-PAULE POGGI
Editrice scientifique eJRIEPS
MATHILDE MUSARD
Editrice scientifique eJRIEPS
FABIENNE BRIÈRE-GUENOUN
Editrice scientifique eJRIEPS
NATHALIE WALLIAN
Editrice scientifique eJRIEPS
YANNICK LEMONIE
Editeur scientifique eJRIEPS
INGRID VERSCHEURE
Editrice scientifique eJRIEPS
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L’apport des techniques nonclassées à l’activité offensive desjudokas médaillés de la catégorie(-60 kg) lors des Jeux Olympiques2004-2012The contribution of unclassified techniques to the offensive activity of judokas
medalists in the category (-60 kg) at the 2004-2012 Olympic Games
Amar Ait Ali Yahia et Michel Calmet
1. Introduction
1 Les spectateurs présents ce jour du 20 octobre 1968 dans le stade olympique de Mexico
découvrent une technique révolutionnaire de saut en hauteur. Contrairement au
rouleau ventral, cette technique de franchissement s’illustre par la présentation du dos
de l’athlète face à la barre. Elle permet à son inventeur, l’américain Dick Fosbury, de
remporter la médaille d’or et battre le record olympique de cette épreuve. Cet
évènement majeur marquant l’histoire de l’athlétisme exprime la parfaite illustration
de la capacité créative et son influence sur la performance sportive (Hristovski et al.,
2011). Ainsi, le sport comme contexte complexe favorise l’émergence de cette créativité
qui a jalonné son développement du point de vue moteur. Ces gestes, fruits d’une
imagination exceptionnelle et exécutés lors des compétitions par certains athlètes,
marquent à tout jamais son histoire technique. Trois conditions capitales sont
nécessaires pour que toute production motrice humaine déployée dans le cadre de
l’activité sportive puisse être reconnue en tant que créativité : la fluidité, la flexibilité
et l’originalité (Bertsch, 1983). Sa contribution est fort intéressante puisqu’elle autorise
la résolution des problèmes, la modélisation des performances, l’enrichissement de la
culture gestuelle ainsi que l’augmentation de l’attractivité esthétique.
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2 Le combat de judo est un ensemble de situations complexes. Leur résolution est
tributaire d’un choix innovant en absence de solutions académiques. Cette innovation
est un élément capital et avéré, y compris pour l’obtention de la victoire (Vial et al.,
1978 ; Flamand & Gibert, 1993). Partisan farouche de la créativité, le grand champion
Toshihiko Koga proclame l’importance des nouvelles techniques dans le cadre de son
approche stratégique de la compétition. Pour ce compétiteur hors pair, le combattant
doit « avoir l’esprit ouvert pour adopter de nouvelles approches et de nouvelles voies
dans la résolution des problèmes » (Koga, 2008). Une vision partagée clairement par
plusieurs autres champions dont la carrière s’est illustrée par leurs mouvements
spectaculaires et originaux. Ainsi, le soviétique Shota Kahbarelli avec sa technique
combinant trois mouvements ; le japonais Toshihiko Koga avec son Kata-tsuri-komi-
goshi ; le français Angelo Parisi avec son Morote-eri-seoi-nage ; le japonais Shozo Fuji
avec son demi Morote-seoi-nage ; le soviétique Shota Chochosvilli avec son Hiza-mae-
ura-nage, et bien d'autres, sont parmi ces combattants qui influencent le judo de haut
niveau (Inman, 2009). Néanmoins, l’invention de Katsuhiko Kashiwasaki dévoilée lors
des Jeux Olympiques 1972 reste à ce jour celle qui étonne le monde du judo (Figure 1).
Désignée par Furiko-tomoe-nage pour cause de son exécution sous forme de pendule
avec une phase sans appui, cette prouesse technique est le témoin d’une complexité
motrice exceptionnelle (Kashiwasaki, 1995 ; Calmet, 2010).
3 La question de dénomination et d’intégration au sein des classifications officielles est
toujours d’actualité. Malgré leur efficacité avérée, l’admission de ces nouvelles
techniques au sein des institutions – comme la Fédération Internationale de Judo ou le
Kodokan – est un processus long et compliqué. D’ailleurs, l’histoire du judo connaît de
rares intégrations (Ohlenkam, 1999 ; Daigo, 2005). L’absence d’un consensus parmi les
experts aggrave davantage cette situation. Or ne pas pouvoir identifier ces techniques
pose problème pour toutes les parties prenantes du judo impliquées dans
l’entraînement, la compétition et la recherche. De plus, le rangement de quelques
techniques parmi celles observées au cours des Jeux Olympiques 2008 dans la catégorie
des « non définies » au motif d’une impossibilité de leur identification et de leur
appellation est un exemple plus qu’édifiant (Witkowski et al., 2012). En tout état de
cause, l’identification de ces nouvelles techniques grâce aux parties du corps
impliquées dans leur exécution est une possibilité susceptible de résoudre largement ce
problème. Leur regroupement sous l’appellation du Kokusai-shiai-waza (techniques de
compétitions internationales) est une proposition qui faciliterait leur incorporation
dans la classification officielle. Historiquement, ce vocable qualifie l’ensemble des
techniques non classées sollicitées par les judokas durant les Jeux Olympiques 2004
(Inman, 2005). En revanche, l’appellation de « pourris-waza » par Teddy Riner de ses
techniques de secours, pas franchement académiques, à l’instar du Sumi-gaeshi latéral
et autres, n’est certainement pas la proposition la plus appropriée. Même le manque
d’esthétisme caractérisé de ces techniques ne peut justifier une telle désignation
(Charlot, 2015).
4 Sur le plan tactique l’intérêt de la créativité est double : elle permet non seulement de
créer des problèmes à l’adversaire, mais aussi de solutionner ceux posés par celui-ci
(Cadière, 2010). Compte tenu de son importance, elle est considérée comme une des
composantes de l’intelligence dite efficace au même titre que les aptitudes analytiques
et pratiques. L’ensemble participe activement à la réussite des sportifs de haut niveau
(Granitto, 2001). En ce qui concerne la relation unissant technique et création, elles
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sont toujours « entendues à travers une thèse dualiste : la technique relève de la
conformité, exprime l'ajustement de moyens efficaces dans la réalisation de produits
reconnus ; la création, au contraire, est considérée comme abandon d'un système de
construction, absence de contrainte, liberté absolue » (Gaillard, 1991). Plusieurs études
consacrées au judo de haut niveau confirment leur présence (Sterkowicz & Maslej,
1999 ; Sterkowicz & Franchini, 2000 ; Calmet, 2005 ; Calmet, 2010 ; Ait Ali Yahia, 2014a).
Hormis l’indication de leur fréquence, aucun auteur ne prend le soin de leur consacrer
une analyse particulière afin de démontrer leur impact sur la performance du point de
vue moteur ou décisionnel.
Figure 1. Illustration du Furiko-tomoe-nage de Kashiwasaki aux JO de Munich 1972
(Calmet, 2010)
5 La performance en judo est subordonnée, entre autres, à la technique dont
l’appropriation par le judoka de haut niveau nécessite un processus long de plusieurs
années d’entraînement. Le nombre élevé de techniques enseignées constitue la raison
principale de cette longue durée. Pour rappel, la classification de la Fédération
Internationale de Judo, de type descriptif, comprend 66 techniques de Nage-waza
(techniques de projection), 29 techniques de Ne-waza (techniques au sol) et 4
techniques de Kinshi-waza (techniques interdites), soit un total de 99 techniques
(Ohlenkam, 1999 ; Daigo, 2005). Le Nage-waza se subdivise, à son tour, en Te-waza
(techniques de main et bras), Ashi-waza (techniques de pied et jambe), Koshi-waza
(techniques de hanche) et Sutemi-waza (techniques de sacrifice). À ce titre, il est
hasardeux de vouloir aspirer à des victoires seulement au moyen de ces techniques
classées dans un judo de compétition de plus en plus complexe. Par conséquent,
l’intégration de solutions motrices non classées s’inscrit dans une logique d’adaptation
aux exigences actuelles de la discipline. Le choix irrationnel de la technique non classée
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ne remet nullement en cause l’efficacité de la technique classée. Ainsi, il est possible de
définir une technique non classée comme toute action motrice exécutée en
compétition, tant debout qu’au sol, validée par les arbitres pour son efficacité, mais ne
figurant dans aucune des diverses classifications officielles. Pour De Crée et Edmonds
(2012), cette technique peut concerner aussi bien le cas d’une création nouvelle, que
celle importée des autres sports de combat. Distinguer la différence entre une
technique originale et une variante d’une technique qui existe déjà n’est pas chose
aisée même pour l’œil averti de l’expert. Une multitude de confusion est signalée dans
certains ouvrages par la faute de ces jugements erronés (Gil’Ad, 1999). L’implication de
cette action motrice non classée dans la performance des judokas de haut niveau reste
comme une interrogation non élucidée à ce jour. La mise en exergue de l’activité
offensive de ces judokas permet de nous informer davantage sur son impact effectif, y
compris celui des techniques classées. Aussi, il est déterminant de savoir quelle place
réelle est tenue par ces techniques non classées sur le résultat de judokas experts dans
un contexte compétitif majeur ? L’analyse de ces techniques s’inscrit dans le cadre
d’une approche technologique (Bouthier, 2000). En fait, l’observation d’une compétition
de haut niveau pourrait nous éclaircir sur le bien-fondé de leur intégration dans ce
dispositif offensif à travers l’identification de leur fréquence, de la largeur de leur
répertoire gestuel mais aussi la détermination de leur efficacité. Dès lors, la visée de
cette étude consiste à déterminer la part de ces techniques non classées ainsi que leur
incidence sur l’activité offensive des médaillés olympiques de la catégorie (-60 kg) lors
des Jeux Olympiques d’Athènes 2004, Pékin 2008 et Londres 2012.
2. Matériel et méthode
6 La richesse technique, la combativité ainsi que l’efficacité déployées en compétitions
par les judokas (-60 kg) sont parmi les éléments justifiant le choix de cette catégorie
légère pour les besoins de la présente étude (Franchini & Sterkowicz, 2003). Pour la
collecte des données, la méthode de l’observation en différé est la mieux indiquée en
raison des avantages qu’elle procure dans le cas d’une activité sportive dynamique et
complexe à l’instar du judo. L’enregistrement vidéo du parcours compétitif de 12
médaillés olympiques (3 Or ; 3 Argent et 6 Bronze) de la catégorie (-60 kg) couronnés
aux Jeux Olympiques, Athènes 2004, Pékin 2008 et Londres 2012, constitue le matériel
de notre observation. L’analyse de leurs 62 combats a permis de mettre en évidence un
total de 406 actions exécutées en Nage-waza dont 158 classées et 248 non classées.
Excepté la contribution de ces techniques non classées à l’activité offensive, leur
structure qu’elle soit originale ou variante n’est pas prise en compte par cette étude.
Toutefois, les variables de fréquence, de registre et de scores sont intéressantes dans le
cadre de cette analyse mais restent insuffisantes pour porter un jugement cohérent sur
la performance de chaque type de technique. Dès lors, il est nécessaire de s’intéresser à
la variable de rentabilité qui peut nous éclairer concrètement sur l’apport de ces deux
techniques dans le couronnement de ces médaillés. Ainsi, le rendement est estimé par
le biais des indices suivants :
1. L’efficacité offensive globale obtenue par tout médaillé durant chaque tournoi
olympique est représentée par le rapport du nombre d’actions efficaces et du nombre
total d’actions tentées multiplié par cent (Janjaque, 2003).
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2. Le rendement de chaque action est calculé par le rapport du total de scores obtenus
par le nombre d’actions efficaces. Ce total de scores égal à (3M+5M+7M+10M). M indique
le nombre d’actions efficaces, et les chiffres 3, 5, 7 et 10 représentent en points les
avantages Koka, Yuko, Waza-ari et Ippon (Sterkowicz, 1998).
3. Le rendement de chaque combat est estimé selon le rapport du total de scores
obtenus par le nombre de combats observés. Ce total de scores égal à (3M+5M+7M+10M).
M indique le nombre d’actions efficaces, et les chiffres 3, 5, 7 et 10 représentent en
points les avantages Koka, Yuko, Waza-ari et Ippon (Adam et al., 2013).
7 Les informations concernant la taille, l’âge et le nombre de combats de ces médaillés
sont rassemblées dans le tableau 1. Cependant, notons que ces judokas se caractérisent
par une similitude de leur âge et de leur taille. En effet, avec une probabilité de 42 %
l’âge de cet échantillon d’analyse ne présente aucune différence significative (p<0.05). Il
en est de même pour leur taille qui est considérée comme équivalente avec une
probabilité de 36,8 % (p<0.05).
Tableau 1. Caractéristiques des médaillés olympiques de la catégorie (-60 kg)
Âge Taille Combats
Athènes Pékin Londres Athènes Pékin Londres Athènes Pékin Londres
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9
Or 30 28 23 1,64 1,63 1,70 5 5 5
Argent 29 27 27 1,70 1,62 1,60 5 5 5
Bronze 1 20 29 26 1,69 1,65 1,60 5 5 5
Bronze 2 24 22 23 1,63 1,60 1,64 6 6 5
Moyenne 25,8 26,5 24,8 1,67 1,63 1,64 5,3 5,3 5,0
Ecart-Type 4,6 3,1 2,1 0,04 0,02 0,05 0,5 0,5 0,0
3. Analyse statistique
8 Les paramètres de localisation (la moyenne) ainsi que les indices de dispersion (l’écart-
type) servent à déterminer la valeur des différentes variables caractérisant l’activité
offensive au moyen des techniques classées et non classées des médaillés olympiques.
L’analyse factorielle des correspondances (AFC) sert à définir le profil technique
préférentiel de chaque médaillé lors de ces trois épreuves olympiques. Le test non
paramétrique pour k échantillons appariés de Friedman au seuil de signification 0,05
est sollicité pour la comparaison inter-olympiade des différentes variables impliquées
dans cette activité offensive. Ce calcul statistique s’effectue au moyen du logiciel
XLSTAT-Pro 7.5.
4. Résultats
4. 1. Activité offensive par olympiade
9 L’usage exclusif des techniques classées dans le cadre du judo de haut niveau n’est
assurément plus possible. La prestation offensive durant les trois épreuves olympiques
des judokas médaillés de la catégorie (-60 kg) peut être considérée comme une preuve.
Outre ces techniques habituellement utilisées, l’activité offensive associe étroitement
les techniques non classées, dont la part s’impose de plus en plus dans le système
compétitif olympique des médaillés. Ainsi, une contribution variable de chacun de ces
types est constatée par la présente étude. Les techniques non classées dominent les JO
2004 et 2012, tandis que les techniques classées triomphent durant les JO 2008 (Figure
2).
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Figure 2. Fréquences (%) des techniques classées et non classées des médaillés de la catégorie(-60 kg)
4. 2. Activité offensive par médaillé
10 Le champion olympique aux JO 2004 apparaît clairement comme le seul dont l’activité
offensive s’appuie largement sur les techniques classées ; les autres médaillés préfèrent
les techniques non classées. Un changement de tendance en matière de préférence
technique s’opère chez ces médaillés durant l’épreuve des JO 2008. Cette fois-ci, le
médaillé d’or opte pour les techniques non classées. Le vice-champion n’éprouve
aucune difficulté à intégrer les deux types de techniques. Les deux médaillés de bronze
confirment leur adoption préférentielle des techniques classées. Lors des JO 2012, une
nouvelle configuration technique émerge en remplacement de la précédente. Le
vainqueur du tournoi a la possibilité d’exécuter équitablement les deux types de
techniques, mais pas les autres médaillés qui utilisent massivement les techniques non
classées (Tableau 2). Par ailleurs, concernant l’usage des actions non classées par ces
médaillés lors de ces trois tournois, le test de Friedman ne rejette pas l’hypothèse nulle.
La probabilité calculée de 24,7 % est supérieure au niveau de signification, ce qui laisse
à penser qu’il n’y a pas de différence significative. Le même test ne montre pas de
différence significative pour les techniques classées en raison d’une probabilité de
36,8 %. L’usage par les médaillés olympiques des deux types de techniques reste
identique tout au long de ces trois épreuves, ce qui révèle une stabilisation du nombre
d’attaques en matière d’activité offensive.
Tableau 2. Fréquences des techniques classées et non classées des médaillés olympiques
Techniques classées Techniques non classées
Athènes Pékin Londres Athènes Pékin Londres
Or 12 4 14 7 13 14
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11
Argent 11 20 16 44 18 25
Bronze 1 5 15 11 21 10 18
Bronze 2 11 36 3 21 21 36
Moyenne 9,8 18,8 11,0 23,3 15,5 23,3
Ecart-Type 3,2 13,3 5,7 15,3 4,9 9,6
4. 3. Profil technique des médaillés
11 Une dépendance est caractérisée par le test de Khi² entre les médaillés olympiques et
les groupes techniques. Étant donné le niveau de signification (p<0.05) supérieur à la p-
value calculée (< 0,0001), l’hypothèse nulle est rejetée au profit de l’hypothèse
alternative. Le premier axe de l’AFC distingue une opposition des profils offensifs du
champion olympique et du médaillé de Bronze 2 d’un côté, par rapport à ceux du vice-
champion olympique et du médaillé de Bronze 1 de l’autre. Ainsi, l’activité offensive du
médaillé d’or sollicite les techniques de Te-waza aux JO 2008 (TWP) et Koshi-waza aux
JO 2004 (KWA). Celle du médaillé de Bronze 2 s’appuie sur Ashi-waza aux JO 2004 (AWA)
et Te-waza aux JO 2012 (TWL). Ce n’est pas le cas du vice-champion olympique dont
l’activité offensive se fonde sur celles de Te-waza aux JO 2004 (TWA). Le médaillé de
Bronze 1 privilégie Sutemi-waza aux JO 2004 (SWA) et Koshi-waza aux JO 2012 (KWL).
Quant au deuxième axe, il mentionne une divergence des techniques émises par le
médaillé d’argent vis-à-vis de celles des trois autres médaillés olympiques. En effet, les
techniques de Sutemi-waza aux JO 2008 (SWP) et Te-waza aux JO 2004 (TWA) adoptées
par le vice-champion olympique sont en opposition par rapport à celles de Sutemi-waza
aux JO 2004 (SWA) et Koshi-waza aux JO 2012 (KWL) choisies par le médaillé de bronze
1 ; celles de Te-waza aux JO 2012 (TWL), Ashi-waza aux JO 2004 (AWA) et Koshi-waza
aux JO 2008 (KWP) employées par le médaillé de Bronze 2 ; et celles de Te-waza aux JO
2008 (TWP) ainsi que Koshi-waza aux JO 2004 (KWA) utilisées par le champion
olympique. Les quatre médaillés intègrent les techniques de Sutemi-waza aux JO 2012
(SWL) dans leur activité offensive (Figure 3).
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Figure 3. AFC des techniques non-classées des médaillés olympiques
4. 4. Le registre technique de chaque médaillé
12 Durant les JO 2008, le médaillé de bronze 2 étale toute la richesse extraordinaire de son
savoir-faire du fait d’un registre global de 19 techniques. À l’inverse, au même tournoi
le médaillé d’argent s’illustre par la pauvreté de sa maîtrise avec 5 techniques
seulement (Tableau 3). Les registres techniques présentent une certaine disparité en
matière de largeur. En effet, pour ce qui est de la maîtrise des techniques classées en
compétition, le médaillé de bronze 2 est capable d’exhiber un savoir-faire de 12
techniques, tandis que le médaillé de bronze 1 se contente de 2 techniques seulement.
En ce qui concerne les techniques non classées, le médaillé de Bronze 2 encore une fois
arrive à exécuter 9 techniques, alors que le médaillé d’argent se limite à 2 techniques.
Soulignons tout de même que ces médaillés olympiques intègrent dans leurs différents
parcours compétitifs autant de techniques classées que de techniques non classées pour
pouvoir neutraliser leurs adversaires. S’agissant des techniques classées, le test de
Friedman ne dévoile pas de différence significative entre ses registres. Pour cause d’une
probabilité de 47,2 %, il n’est pas possible de rejeter l’hypothèse nulle. De la même
manière les registres des techniques non classées sont identiques. De plus, avec une
probabilité de 7,6 % supérieure à ce même seuil de signification, ce test ne montre pas
de différence significative entre eux. En conséquence, ces médaillés olympiques
construisent leur activité offensive en se basant sur un arsenal de techniques classées
et non classées comparable tout au long de ces épreuves.
Tableau 3. Registre des techniques classées et non classées des médaillés olympiques
Techniques classées Techniques non classées
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13
Athènes Pékin Londres Athènes Pékin Londres
Or 7 4 8 6 6 8
Argent 5 3 9 8 2 7
Bronze 1 2 3 6 5 5 7
Bronze 2 8 12 3 8 7 9
Moyenne 5,5 5,5 6,5 6,8 5 7,8
Ecart-Type 2,6 4,4 2,6 1,5 2,2 1,0
4. 5. Efficacité et scores par olympiade
13 La précision, la justesse et le timing sont hautement exigibles lors d’un déclenchement
d’une attaque quelconque. L’absence de l’un de ces facteurs peut porter préjudice de
toute évidence à son efficacité. La caractéristique fondamentale des judokas médaillés,
en comparaison avec les autres combattants, est précisément la maîtrise parfaite de ces
éléments en situation de combat. Ce qui leur permet de prendre souvent le dessus sur
leurs adversaires tout en assurant un niveau élevé d’efficacité. Ainsi, les techniques
classées exécutées par ces mêmes judokas obtiennent leur meilleure efficacité de 37,5 %
au cours des JO 2008 et leur plus faible de 26,7 % aux JO 2004. À propos des techniques
non classées, leur meilleure efficacité est enregistrée aux JO 2004 avec 73,3 % et la plus
mauvaise aux JO 2008 avec 62,5 % (Figure 4). Tout cela engendre la production d’une
efficacité moyenne de 69,1±5,8 % des techniques non classées par olympiade contre
30,9±5,8 % pour les techniques classées. Cette prépondérance est une conséquence
directe des scores obtenus par ces mêmes médaillés dont y figure un grand nombre
d’Ippon, expression de leur haute qualité d’exécution. Les techniques non classées
s’expriment de la plus belle manière aux JO 2008 avec 85,7 % d’Ippon, et les techniques
classées aux JO 2012 avec 33,3 % d’Ippon. Tout au long de ces trois tournois olympiques,
les techniques non classées marquent leur supériorité grâce à une moyenne de
77,5±9,8 % Ippon par olympiade contre 22,5±9,8 % Ippon pour les techniques classées.
Une configuration similaire de domination de la part de ces techniques non classées est
observée au sein des autres scores (Tableau 4).
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14
Figure 4. Part (%) des actions efficaces classées et non classées par olympiade
Tableau 4. Scores (%) des techniques classées (C) et non classées (NC) par olympiade
Ippon Waza-ari Yuko Koka
C NC C NC C NC C NC
Athènes 20,0 80,0 50,0 50,0 37,5 62,5 0,0 100,0
Pékin 14,3 85,7 0,0 100,0 33,3 66,7 80,0 20,0
Londres 33,3 66,7 42,9 57,1 12,5 87,5 0,0 0,0
Moyenne 22,5 77,5 31,0 69,0 27,8 72,2 26,7 40,0
Ecart-Type 9,8 9,8 27,1 27,0 13,4 13,4 46,2 52,9
4. 6. L’efficacité globale de l’activité offensive du médaillé
14 L’efficacité des techniques classées et non classées exécutées durant ces épreuves
exprime la qualité du savoir combattre des médaillés olympiques. Ainsi, le champion
olympique s’illustre du fait de la supériorité de l’efficacité de ses techniques non
classées aux JO 2004 et 2008, et celle des techniques classées aux JO 2012. Par contre, le
médaillé d’argent dont la maîtrise technique est totalement différente, se distingue par
une meilleure efficacité de ses techniques classées aux JO 2004 et 2012, et de ses
techniques non classées aux JO 2008. Pour leur part, les deux médaillés de bronze
s’illustrent aux JO 2004 et 2012 principalement par une efficacité élevée de leurs
techniques non classées. Les JO 2008 ne confirment une quelconque domination
d’efficacité mais plutôt une égalité observée entre les deux types de techniques
(Tableau 5). En raison d’une probabilité calculée de 77,9 % supérieure au niveau de
signification (p<0.05), le test de Friedman n’exprime aucune différence significative
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15
entre ces indices d’efficacité des techniques non classées. De la même façon ce test ne
distingue pas de différence significative de l’efficacité des techniques classées à cause
de sa probabilité de 22,3 % plus élevée que le seuil de signification (p<0.05). En
conséquence, ces indices d’efficacité pour les deux types de techniques restent stables
pour l’ensemble des médaillés durant ces compétitions et ne connaissent pas de forts
bouleversements.
Tableau 5. Efficacité offensive (I
1) des techniques classées et non classées des médaillés
olympiques
Techniques classées Techniques non classées
Athènes Pékin Londres Athènes Pékin Londres
Or 25,0 25,0 14,3 42,9 30,8 7,1
Argent 27,3 0,0 25,0 15,9 16,7 20,0
Bronze 1 0,0 13,3 0,0 9,5 10,0 16,7
Bronze 2 18,2 8,3 0,0 47,6 9,5 16,7
Moyenne 17,6 11,7 9,8 29,0 16,7 15,1
Ecart-Type 12,4 10,5 12,2 19,1 9,9 5,5
4. 7. Rendement des actions efficaces du médaillé
15 En matière de rendement, le champion olympique est le médaillé qui décroche le plus
de points pour toute action motrice classée exécutée lors de ces trois épreuves. Ceci est
révélateur de sa grande qualité d’exécution. Ce rendement élevé est maintenu encore
pour les techniques non classées durant les JO 2004 et 2008. Toutefois, malgré son sacre
cette position dominante est perdue lors des JO 2012 au profit du médaillé de bronze 1.
La virtuosité technique de ce dernier lui permet de se procurer le meilleur rendement.
S’agissant du rendement moyen de ces médaillés, il est identique pour les deux types de
techniques lors des deux premières épreuves. En revanche, aux JO 2012 la supériorité
du rendement moyen des techniques non classées produit par ces mêmes médaillés est
manifeste (Tableau 6). D’une manière générale, les techniques non classées exécutées
par ces médaillés sont nettement récompensées en décrochant plus de points que les
techniques classées. D’autre part, le test de Friedman n’indique pas de différence
significative du rendement des techniques non classées en raison d’une probabilité de
77,9 % supérieure au seuil de signification (p<0.05). Le même indice pour les techniques
classées ne présente aucune différence significative grâce à la probabilité de 62,7 % plus
élevée que ce même seuil signification (p<0.05). De sorte que la valeur en points
justifiant toute projection efficace de l’adversaire par le biais des techniques classées et
non classées reste stable tout au long de ces trois compétitions.
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16
Tableau 6. Rendement (I2) des techniques classées et non classées des médaillés olympiques
Techniques classées Techniques non classées
Athènes Pékin Londres Athènes Pékin Londres
Or 9,0 10,0 8,5 8,3 10,0 5,0
Argent 5,6 0,0 7,3 5,4 6,0 6,4
Bronze 1 0,0 4,0 0,0 7,5 5,0 9,0
Bronze 2 6,0 3,0 0,0 6,8 8,5 6,5
Moyenne 5,2 4,3 3,9 7,0 7,4 6,7
Ecart-Type 3,8 4,2 4,6 1,2 2,3 1,7
4. 8. Rendement des combats du médaillé
16 La moyenne élevée de points enregistrés à chaque épreuve par les techniques non
classées constitue la preuve de leur rentabilité supérieure à celle des techniques
classées. Individuellement, le champion olympique se distingue comme l’unique
médaillé capable de rentabiliser chacun de ses combats au moyen des deux types de
techniques. Les autres médaillés ne peuvent se targuer d’un tel exploit en raison de leur
manque d’efficacité observée parfois dans le domaine des techniques classées (Tableau
7). En fait, à cause d’une probabilité de 62,7 %, le test de Friedman ne distingue pas de
différence significative entre les valeurs de cet indice pour ce qui concerne les
techniques classées. Ceci reste aussi valable pour celui des techniques non classées en
raison d’une probabilité de 36,8 % supérieure à ce seuil de signification. En
conséquence, le rendement de tout combat en points grâce à la bonne réalisation des
deux types de techniques ayant permis de projeter les différents adversaires reste sans
changement au cours de ces trois compétitions.
Tableau 7. Rendement (I
3) par combat des techniques classées et non classées des médaillés
olympiques
Techniques classées Techniques non classées
Athènes Pékin Londres Athènes Pékin Londres
Or 5,4 2,0 3,4 5,0 8,0 1,0
Argent 3,4 0,0 5,8 7,6 3,6 6,4
Bronze 1 0,0 1,6 0,0 3,0 1,0 5,4
Bronze 2 2,0 1,5 0,0 11,3 2,8 7,8
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17
Moyenne 2,7 1,3 2,6 6,3 3,9 4,9
Ecart-Type 2,3 0,9 3,3 3,0 3,0 2,8
5. Discussion
17 Le système de compétition en judo se développe grâce à l’accroissement des
Championnats majeures et des tournois internationaux. Cet élargissement contribue au
développement de la technique et de ses variantes dans le but d’améliorer l’efficacité
du judoka (Habersetzer, 1992). Outre ses techniques classées, le judo de haut niveau fait
appel également à des techniques non classées dont l’usage durant les épreuves
olympiques est confirmé par la présente analyse. L’intérêt de leur intégration répond
non seulement à des besoins techniques, mais aussi tactiques compte tenu des solutions
qu’elles proposent pour s’accommoder aux difficultés défensives rencontrées durant les
combats (Rosso et al., 2006). La baisse successive constatée de leur sollicitation durant
ces olympiades peut être justifiée, en partie, par les amendements réglementaires
introduits par l’instance internationale dans ses règles de compétition. Ces injonctions
réglementaires modifient le statut de ces techniques. En effet, portées au départ
exclusivement vers l’attaque, elles se transforment en techniques de combinaison ou de
contre-attaque (International Judo Federation [IJF], 2009 ; 2010). L’analyse des
Championnats du Monde 2009 et 2010, des tournois de Paris 2008 et 2009 ainsi que
Tokyo 2010 corrobore cette incidence significative sur la fréquence des techniques non
classées (Adam et al., 2011 ; Tamura et al., 2012 ; Ito et al., 2013). Dans le but d’atténuer
l’effet de ces amendements, les judokas de haut niveau se retrouvent dans l’obligation
d’établir de nouvelles stratégies afin de s’adapter le plus rapidement, sur le plan
tactique et technique, aux nouvelles règles (Ito et al., 2014).
18 Plusieurs études confirment l’adoption dominante par les catégories légères des
techniques classées du groupe Te-waza (Franchini & Sterkowicz, 2003 ; Kruszewski et
al., 2005 ; Boguszewski, 2010). Les sujets de la présente analyse semblent s’inscrire dans
la même logique. Leur choix préférentiel se porte davantage vers les techniques non
classées plutôt que celles classées appartenant à ce groupe. En effet, la stabilité
bipodale, l’augmentation de l’incertitude, la diversité des options techniques, leur
grande rentabilité ainsi que la stature des judokas sont autant de raisons qui
permettent d’arguer le choix de ces techniques par les médaillés de cette catégorie de
poids. La domination de ce groupe ressemble, fort bien, à celle enregistrée au cours des
JO 2008 et 2012 par les médaillés de la catégorie (-81 kg) (Ait Ali Yahia, 2014b). De plus,
indépendamment de Te-waza, ces médaillés s’appuient aussi sur celles de Sutemi-waza.
Cette suprématie de Te-waza devant Sutemi-waza est certifiée par Inman (2005) dans
son étude consacrée aux combats des JO 2004. En ce qui concerne les techniques d’Ashi-
waza et Koshi-waza, hormis leur sollicitation durant les JO 2012, l’intérêt des médaillés
envers elles reste insignifiant. Leur structure constitue un obstacle, et ne favorise pas la
mise en valeur de nouvelles techniques.
19 Pour en découdre avec les systèmes défensifs extrêmement efficaces rencontrés durant
leurs affrontements, les médaillés olympiques sont dans l’obligation de disposer d’un
registre technique individuel global le plus large possible. Cette largeur renseigne
inéluctablement sur le degré de maîtrise technique dont font preuve ces médaillés
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18
durant leur périple compétitif. Son acquisition est assurée grâce à l’intégration des
techniques classées issues de leur processus d’apprentissage, mais aussi de celles
résultant de leur recherche et créativité. Le judo est reconnu comme une discipline
technique et, à ce sens, le judoka expert est amené à élargir de plus en plus son
répertoire gestuel. Disposer de solutions adéquates lui permet une adaptation aux
multiples problèmes rencontrés en compétition. La qualité de ce répertoire, qui
incorpore des solutions motrices non conventionnelles, est révélatrice du niveau de
savoir-faire technique à acquérir pour tout judoka de haut niveau désirant s’exprimer
efficacement. Elle est aussi une exigence nécessaire à tout couronnement. Ce n’est pas
sans raison que son rôle capital dans le dispositif offensif est souligné, mais aussi les
conséquences défensives qui en résultent. Ainsi, Rosso et al (2006) confirment que
« plus l’adversaire dispose d’un registre offensif étendu, plus il est délicat de le limiter
dans son expression ». Ce qui laisse entendre que toute activité offensive produite par
le judoka de haut niveau est tributaire, en premier lieu, de la valeur de son registre
technique individuel. À ce sujet, Gaudin (2009) est catégorique en rappelant qu’on « ne
peut reprocher au sport son manque d’efficacité ; la victoire est même son unique but.
Par contre, on pourra lui reprocher sa pauvreté dans la palette des gestuelles
mobilisées ou un manque d’esthétique ». D’autre part, le répertoire exprimé des
techniques classées par ces médaillés durant ces trois olympiades marque une certaine
stagnation. Sa valeur, pour ainsi dire, est paradoxalement proche de celle des
champions olympiques et mondiaux identifiée par Weers (1997) à six techniques.
20 La part faible des solutions non académiques déterminée par quelques études est
indicative du peu d’intérêt porté par les judokas de l’époque. Plusieurs raisons peuvent
justifier ce manque de sollicitation. La place primordiale des techniques classées dans
leur dispositif offensif est la raison principale de cette négligence délibérée. Le niveau
des systèmes défensifs est un autre argument qui n’a pas favorisé leur émergence. Bien
qu’indiquant leurs fréquences, il est reproché à ces études leur manque d’informations
concernant l’impact de ces techniques non classées (Sterkowicz & Maslej, 1999 ;
Sterkowicz & Franchini, 2000). De plus, seule la première étude notifie leur efficacité,
laquelle est confirmée plus tard par celle de l’activité offensive des médaillés de la
catégorie (-81 kg) aux JO 2008 et 2012 (Ait Ali Yahia, 2014b). Par ailleurs, l’efficacité
évaluée par le biais des différents indices, au regard de la présente étude, prouve sa
large supériorité vis-à-vis de celle des techniques classées. Ce qui justifie leur place
prépondérante au sein de l’activité offensive de ces médaillés olympiques. Cependant, Il
est clairement avéré que la complexification de plus en plus importante du judo
moderne est un facteur encourageant pour leur incorporation massive. Du fait de leur
identification, cette efficacité établie permet à ces techniques non classées, une
possibilité de transmissibilité et une probable intégration dans le processus
d’entraînement et de préparation des judokas de haut niveau.
6. Conclusion
21 Le podium des médaillés olympiques de la catégorie (-60 kg) est une conséquence
directe de la combinaison parfaite des deux types de techniques. Bien que les
considérations techniques et tactiques soient manifestes, le registre est un indicateur
justifiant l’intégration réelle des techniques non classées dans l’activité offensive de
cette catégorie de poids. La présente analyse corrobore leur place dans l’activité
eJRIEPS, 44 | 2019
19
offensive ainsi que leur impact sur la performance de ces médaillés. Leur rendement
nettement supérieur à celui des techniques classées en est la preuve toute indiquée. Le
groupe Te-waza prouve, du fait de son potentiel, sa place déterminante dans cette
activité offensive.
22 Dans le monde extrêmement concurrentiel des sports de combat, le judo doit s’adapter
à cette réalité et trouver les moyens adéquats pour sauvegarder sa place dominante
chèrement acquise depuis son admission aux Jeux Olympiques 1964. L’apparition de
nouveaux sports de combats surmédiatisés comme le MMA (Mixed Martial Art) est
réellement dangereuse et peut, à long terme, lui porter préjudice. C’est pourquoi son
intérêt est primordial et, à ce titre, l’avènement de ces techniques ne doit en aucun cas
être ressenti comme une menace par les décideurs restés fidèles à l’esprit de son
créateur Jigoro Kano. De ce fait, une reconnaissance officielle leur assurerait un usage
légal en compétition, et les débarrasserait à jamais de ce statut de techniques non
autorisées. Or, fermer la porte à ces techniques n’est aucunement la solution adéquate,
cela menacerait la pérennité de cette discipline. Même le durcissement de l’arsenal
réglementaire n’altère nullement leur existence. Par ailleurs, recadrer cette créativité
conformément aux règles en vigueur reste le seul gage de sécurité pour sauvegarder
son essence même. L’actualisation des classifications officielles serait une nécessité
absolue en raison de l’intérêt grandissant de ces techniques non classées dans le judo
actuel (British judo Association [BJA], 2012).
23 Enfin, aucune recherche, quel que soit son objet, ne peut se prévaloir d’être exhaustive
et à plus forte raison la nôtre qui présente, sans aucun doute, quelques limites
matérielles manifestes en raison de l’étude d’une seule catégorie de poids. En
conséquence, pour conforter avec force ce rôle incontestable des techniques non
classées dans l’obtention des résultats des judokas de haut niveau, une approche
expérimentale élargie à l’ensemble des catégories de poids est exigible. En l’occurrence,
l’existence des « pourris-waza » de Teddy Riner et certainement de techniques
semblables exécutées par d’autres médaillés des autres catégories devraient nous
interpeller afin de ne pas les occulter indéfiniment.
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ANNEXES
Glossaire
Techniques classées : Techniques de judo admises dans les classifications officielles
(FIJ, Kodokan, etc.).
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22
Techniques non classées : Techniques de judo exécutées en compétition de haut
niveau mais ne figurent pas dans les classifications officielles.
Nage-waza : Techniques de projection effectuées par le judoka en position debout
(Tashi-waza) ou en position étendue au sol (Sutemi-waza).
Ne-waza : Techniques réalisées par le judoka au sol intégrant des immobilisations
(Osaekomi-waza), des luxations (Kansetsu-waza) et des étranglements (Shime-waza).
Kinshi-waza : Techniques interdites en compétition au motif qu’elles peuvent porter
préjudice à l’intégrité physique de l’adversaire.
Kokusai-shiai-waza : Techniques de combat non officielles observées au niveau
international.
Te-waza : Techniques de projection accomplies au moyen de la main ou du bras.
Ashi-waza : Techniques de projection pratiquées au moyen de la jambe ou du pied.
Koshi-waza : Techniques de projection exécutées au moyen de la hanche.
Sutemi-waza : Techniques de projection réalisées en sacrifiant l’équilibre du corps du
judoka attaquant vers l’avant (Ma-sutemi-waza) ou sur le côté (Yoko-sutemi-waza).
RÉSUMÉS
Objectif : Le but du présent travail a été d’évaluer l’incidence des techniques non classées,
produit de la créativité mais ne figurant pas encore dans les classifications officielles, sur
l’activité offensive des judokas médaillés de la catégorie (-60 kg). Matériel et méthodes :
L’observation en différé a porté sur les soixante-deux (62) combats auxquels ont pris part les
douze (12) judokas couronnés (3 Or, 3 Argent et 6 Bronze) lors des olympiades 2004, 2008 et 2012.
Une comparaison des variables justifiant l’activité offensive par le biais des techniques classées et
non classées a été effectuée. Résultats : L’analyse des résultats obtenus a conforté le rôle
prépondérant des techniques non classées dans l’activité offensive de ces médaillés grâce à leurs
fréquences élevées, des registres plus larges, des scores meilleurs et des rendements supérieurs.
Conclusion : Leur intégration dans les classifications officielles pour la résolution des problèmes
techniques et tactiques au demeurant complexes serait souhaitable pour le développement du
judo de haut niveau.
Objective: The purpose of this study was to assess the impact of unclassified techniques,
produced by creativity but not yet included in the official classifications, on the offensive activity
of judokas medalists in the category (-60 kg). Material and methods: The deferred observation
covered the sixty-two (62) fights that took part twelve (12) medalists judokas (3 Gold, 3 Silver and
6 Bronze) during the Olympics 2004, 2008 and 2012. A comparison of the variables justifying
offensive activity using classified and unclassified techniques was carried out. Results: The
analysis of results obtained confirmed the dominant role of unclassified techniques in the
offensive activity of these medalists thanks to their high frequencies, wider registers, better
scores and higher productivity. Conclusion: Their integration into official classifications for the
resolution of technical and tactical problems, which are complex, would be desirable for the
development of high-level judo.
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23
INDEX
Keywords : judo, Olympic Games, medalists, offensive activity, unclassified techniques,
performance
Mots-clés : judo, Jeux Olympiques, médaillés, activité offensive, technique non classée,
performance
AUTEURS
AMAR AIT ALI YAHIA
Institut National de Formation Supérieure en Sciences et Technologie du Sport Abdellah Fadhel,
Algérie.
MICHEL CALMET
Université de Montpellier, Faculté des Sciences et Techniques des Activités Physiques et
Sportives (STAPS), France.
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L’opposition au cœur de l’analysedes sports collectifsThe notion of opposition at the heart of team sport analysis
Eric Duprat
1 Les activités physiques de manière générale couvrent un ensemble de pratiques
scolaires et civiles plus ou moins ludiques. Ainsi, le phénomène de jeu représente
souvent un élément clef concernant la motivation pour cette pratique (Gay, 1981). Par
ailleurs, les jeux traditionnels placent les acteurs dans une situation de confrontation
ou d’opposition qui peut être diluée dans le temps ou contigüe, c’est à dire que les
oppositions peuvent être immédiates ou différées dans le temps. On y trouve ainsi des
activités en opposition indirecte (jeu en parallèle, jeu en opposition simultanée, jeu à
camps différenciés), des jeux où l’opposition est directe et interpénétrée avec des
statuts différenciés des joueurs, et des jeux avec statuts indifférenciés pour les joueurs
(Jeu, 1977). Dans le cadre des pratiques sportives référencées en contexte scolaire, nous
pouvons classer les activités à partir du type d’habiletés pratiquées par les joueurs.
Ainsi dans les confrontations directes, il y a deux principales catégories : les activités à
habiletés semi-ouvertes et celles à habiletés ouvertes (Knapp, 1971). Les premières
correspondent aux habiletés dans le jeu où le joueur est en opposition en un contre un
ou deux contre deux sans échange entre partenaires. Ces activités peuvent prendre la
forme d’une confrontation rapprochée (sport de préhension) ou d’une confrontation à
distance avec ou sans objet (escrime, boxe). Elle peut aussi être lointaine médiée par un
obstacle (filet) où la balle, le volant, le ballon, est à la fois ce qui peut rapprocher du
partenaire et séparer des joueurs de l’équipe adverse. Les secondes concernent les
sports collectifs où l’activité se déroule dans des espaces interpénétrés (excepté en
volley-ball) et de signe contraire. Le gain du match devient l’élément caractéristique
(Jeu, 1997), le but à atteindre. Les joueurs se disputent la possession de l’objet et
cherchent à le conserver pour marquer. La balle, le ballon, le palet, sert ainsi de lien
aux actions des uns et des autres et se retrouve indissociable du jeu (Gréhaigne, 1989).
2 Cette confrontation est comprise comme un ensemble d'usages réglés par les lois du jeu
(Deleplace, 1979). Elle fournit aux deux équipes un aperçu exclusif permettant de bien
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se comparer tout en s’opposant. Elle engendre également la mise en perspective de
problèmes à résoudre pour les joueurs. Toutefois, l’étude de ces confrontations
démontre l’importance de rester d’abord attentifs à des aspects factuels, c’est-à-dire
d'évaluer les prestations sportives à partir des actions réalisées et des choix de jeu
effectués, et non des personnes impliquées. Néanmoins, plus les thèmes abordés dans
ces analyses sont complexes et essentiels, plus la responsabilité des joueurs en relation
avec leurs systèmes de valeurs est engagée. Ainsi, dans une rencontre de bon niveau,
ces deux aspects sont en grande partie imbriquées que ce soit au niveau personnel ou
collectif (Duprat, 2005). Parler de liens antagonistes en sport collectif c’est insister et
mettre en avant le caractère irréductible de la confrontation. Cette tension entre
attaque et défense est au cœur de l’essence des sports collectifs. Déjà en 1979, Deleplace
soulignait l'importance des techniques gestuelles employées par les joueurs, mais aussi
la nécessité de toujours resituer ces actions dans le contexte du « rapport
d'opposition », en précisant « que c'est ce rapport d'opposition des forces antagonistes
en présence, traduit de loin en loin par l'évolution du score du match, qui caractérise
l'activité en sports collectifs » (Deleplace, 1979, p 12). Si les joueurs ne peuvent pas
s’adapter ou changer de jeu, l’équipe a toutes les chances de perdre. Que l’on soit dans
le cadre de la « pratique culturelle de référence » (Martinand, 1987) ou dans celle de
l’éducation physique et sportive, les problématiques sont du même ordre. Même si la
complexité est plus réduite pour la seconde vu la réduction des effectifs en
confrontation, et que les objectifs de performance sont primordiaux pour la première.
3 Dans le numéro d’eJRIEPS - Hors-série n° 1 sur les sports collectifs (Gréhaigne, 1992a ;
Gréhaigne & Dietsch, 2015), les auteurs avaient déjà attiré l’attention des lecteurs sur
l’impérative nécessité de considérer l’opposition comme le facteur premier dans
l’analyse du fonctionnement d’une rencontre. Pourtant, on voit périodiquement
resurgir un certain nombre d’études scientifiques en sports collectifs (Bourbousson &
Sève, 2010 ; Clemente, Lourenço Martins & Sousa Mendes, 2016) qui se centrent sur
l’équipe et son fonctionnement sans tenir compte du fait que ce collectif n’existe
véritablement que dans l’opposition à une autre équipe (Deleplace, 1979 ; Gréhaigne,
2011 ; Sartre, 1960).
4 A ce titre, l'organisation d’une équipe est avant tout une répartition des rôles et des
fonctions. C’est la distribution de tâches aux joueurs qui doivent collaborer ensemble
afin de mieux assurer la coordination de leurs actions en vue de gagner le match
(Duprat, 2007). Chaque joueur est à la fois une entité propre et une unité appartenant à
un ensemble. La première source de problèmes existe au sein même de l’équipe, en
fonction du statut accordé à chacun. Ce statut particulier des joueurs doit être reconnu
et accepté par tous les coéquipiers. Le joueur n’est rien sans ses partenaires, et l’équipe
a besoin que chacun d’entre eux s’exprime au mieux de ses compétences. Ainsi, la place
du joueur dans ce réseau commun de compétences constitue souvent un révélateur
fiable des rapports réciproques entre le joueur et ses coéquipiers. Parfois, face à
l’adversité, cela peut prendre la forme d'une rivalité et des conflits naissent entre deux
ou plusieurs partenaires. A d’autres moments, lorsque la pression se relâche et que
l’urgence du jeu collectif disparait, le groupe retombe dans un rassemblement de
joueurs où la coopération peut être très faible (Gréhaigne, 2011). Le projet de vaincre
collectivement les adversaires doit rester le fil conducteur des actions des joueurs,
garantissant ainsi la cohésion du groupe pour atteindre l’objectif fixé.
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5 Nous allons ainsi examiner différents éclairages à propos de la notion d’opposition dans
l’étude des sports collectifs afin de bien démontrer que cette notion est centrale. À cet
effet, nous allons discuter successivement de la notion d’opposition en rapport avec le
règlement, puis avec différents concepts inhérents aux caractéristiques de ce jeu tels que
la stabilité, la turbulence, etc. Nous aborderons ensuite la notion de réversibilité qui est au
centre de la problématique du jeu lié au changement constant de statut du joueur. Nous
insisterons également sur la notion d’incertitude et l’aspect chaotique de la pratique, lié
aux notions d’ordre et de désordre. Enfin nous reviendrons sur les liens entre
opposition et stratégie.
1. Règles et opposition
6 En sport collectif, les joueurs doivent se soumettre à des obligations dans le jeu comme
par exemple évoluer dans les limites de l’espace de jeu réglementaire. Ils disposent par
contre d’une importante liberté d’actions dans l’utilisation du ballon, porter, conduire,
dribbler ou passer la balle sous certaines conditions. Ainsi, dans le même temps, un
joueur doit être à la fois soucieux de la réussite collective pour tenter de gagner le
match, en combinant ses actions avec celles de ses partenaires. S’ajoute à cela son
intérêt individuel en essayant de faire la différence ou de réaliser des gestes efficaces
voire esthétiques, au sens artistique de la pratique. Ce constat permet de réfléchir sur
les caractéristiques des joueurs en prenant en compte le poids du contexte
institutionnel, mais aussi en laissant des marges de manœuvre à l’acteur pour qu’il
puisse mener à bien les tâches dont il est chargé et exprimer sa créativité.
7 La pratique des jeux et des sports collectifs est basée sur la tentative de résoudre des
problèmes qui apparaissent arbitraires dans une certaine mesure. Les moyens utilisés
par les joueurs afin de résoudre ces problèmes ne sont pas toujours évidents et
efficaces. Même si les niveaux de jeu ont évolué à travers les années, les principales
caractéristiques de ces actions en jeu restent aisément identifiables. Les joueurs sont
ainsi tous concernés par la résolution de problèmes dans lesquels ils tentent, seuls ou
en équipe, de prendre l'ascendant sur un autre. Tous les jeux et sports collectifs sont
caractérisés par une série de règles, lois du jeu, qui fournit une structure et définit le
problème (cf. aire de jeu, équipement, nombre de joueurs, temps accordés) (Almond,
1986). Afin de résoudre les problèmes, les joueurs exécutent des actions motrices
(actions techniques) en fonction des stratégies déterminées préalablement et/ou à
partir d’actions tactiques permettant de réagir aux actions des adversaires.
8 Afin de faciliter l’identification des situations de jeu, nous parlerons d’abord de règles
premières. Les règles premières ne définissent pas le but du jeu (cf. la finalité), mais elles
concernent les moyens utilisés pour atteindre cette finalité lorsque le problème du jeu
sera toujours le même. Ainsi, les règles premières décrivent les moyens autorisés pour
les joueurs afin de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés. Ces règles
fournissent au jeu ses caractères essentiels. Par exemple, bien que les deux jeux aient
une origine commune les règles premières font que le football est football et non rugby.
Entre autres, les deux règles majeures qui nourrissent le football et en font ce qu’il est,
sont directement en lien avec la régulation de l’opposition. Il s’agit de la loi 11 sur le
« hors-jeu » et de la loi 12 sur les « fautes et conduites inconvenantes » (IFAB, 2017). La
première règle limite les pouvoirs de déplacement du joueur pour le contraindre à
affronter au moins deux joueurs adverses dont un peut être au même niveau (avant
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dernier défenseur) et l’autre en barrage à la cible (gardien de but) avant de marquer. La
seconde règle précise les moyens dont dispose les joueurs dans leur utilisation du
ballon, mais aussi les droits et devoirs qu’ils ont dans le cadre de l’affrontement avec
l’adversaire lors de la lutte pour s’approprier le ballon.
9 En fonction de ces règles premières, des joueurs peuvent jouer dès lors que les buts
sont présents, sans devoir limiter précisément le terrain. Ils peuvent jouer sans
nécessairement avoir un ballon réglementé, comme les enfants le font avec une balle en
papier ou en chiffon par exemple. Ils peuvent également jouer avec un nombre de
joueurs différents, du moment que l’équilibre des forces est conservé. Les joueurs
peuvent aussi jouer des heures durant, tant que la luminosité le permet, et jouer sans
arbitre comme cela se faisait à l’origine du jeu. Il est même possible de jouer,
paradoxalement, sans la règle du hors-jeu, si difficile à faire appliquer vu sa complexité
sans arbitre. Cette étape rend la pratique plus aisée pour les débutants ou dans le cadre
scolaire. Il n’est toutefois pas possible de jouer sans définir les rapports d’opposition ou
bien l’on retourne à la soule. La confrontation des joueurs pour s’approprier l’objet
convoité individuellement et collectivement est le cœur du jeu. Pour tous, elle nourrit
les aspects émotionnels de la pratique et au haut niveau, la dramaturgie du spectacle.
2. Des concepts pour prendre en compte l’oppositiondans le jeu
10 Différents concepts peuvent être employés pour illustrer la complexité de cet
affrontement entre deux équipes en sport collectif. Si on examine le vocabulaire
couramment employé pour qualifier les rencontres de sport collectif, on retrouve
souvent les mêmes termes ou concepts. Gréhaigne et Godbout (2012) de même que
Gréhaigne et Dietsch (2015a) ont déjà exposé assez longuement les concepts
d’équilibre / déséquilibre, d’avance / retard et de barrage / poursuite. Mais un premier
concept qui vient à l’esprit concerne la notion de derby car elle revêt toujours une
tonalité particulière du fait d’une rivalité souvent notable. Un derby est une rencontre
sportive entre deux équipes de la même ville, voire entre deux villes géographiquement
voisines (Lyon vs Saint Etienne), d’où un antagonisme un peu exacerbé (Morris, 1981).
Au final, tous ces éléments plus conceptuels permettent d’envisager une rencontre de
football sous des angles différents en fonction des circonstances qui concourent tous à
comprendre l’évolution et le résultat de l’affrontement.
2. 1. Quelques autres concepts
11 Les termes examinés maintenant sont également présentés de façon antinomique et
illustrent, si l’on tente de dépasser leur contradiction apparente, une pensée
discontinue basée sur l'opposition, la confrontation. Le mouvement général permet
d'apporter une meilleure réponse aux problèmes inhérents au déroulement du jeu.
Stabilité / Perturbation
12 La stabilité renvoie au caractère de ce qui se maintient tel quel, sans profonde
variation, pendant un temps assez long. Les choix de jeu, c'est-à-dire l’organisation
basique traditionnellement illustrée lors de l’annonce de la composition des équipes (le
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système), est la représentation type de la stabilité initiale d’une équipe. C’est pour ainsi
dire une source sécuritaire de la structuration du collectif. A partir de ce schéma,
plusieurs circuits relationnels vont apparaître dans la circulation du ballon, jusqu’au
circuit préférentiel présenté par Dugrand (1989). Dans la confrontation à l’équipe
adverse, le système va subir des contraintes, des déformations et va devoir se réajuster
en fonction des caractéristiques du jeu adverse. C’est à ce titre que des stratégies
peuvent être mises en place et impliquer des articulations différentes de manière
anticipée, suivant le rapport d’opposition estimé. Elles viennent donc perturber le
schéma basique mais s’organisent autour de présupposés non garantis. Ce phénomène
complexifie encore la régulation du jeu de sa propre équipe.
13 Cette structure permet de maintenir une bonne répartition des joueurs sur le terrain
malgré la quantité de mouvement. Elle stabilise la permanence des opportunités de
jouer dans toutes les dimensions de l’espace de jeu. Ainsi, une bonne stabilité défensive,
constituée par un quadrillage permanent du terrain, devient un atout souvent présenté
comme une base de fiabilité. De ce fait, la perturbation constitue donc un dérèglement
dans le fonctionnement du jeu avec des effets sur les mouvements des joueurs et du
ballon. Par exemple, une passe longue soudaine dans la profondeur ou l’élimination
d’un défenseur provoque souvent des réajustements. Chaque déséquilibre peut être
constaté dans l’occupation du terrain à la suite d’une perte du ballon, de l’élimination
d’un défenseur ou à une passe inattendue d’un adversaire qui perturbe l’organisation
de l’équipe.
Statique / Dynamique
14 Le terme statique est relatif à l'équilibre des systèmes matériels, qui est sans
mouvement, qui manque de mouvement, ou qui n'évolue pas. Ceci représente tout ce
qui semble fixé de manière définitive, par opposition à la dynamique. Par exemple, les
phases de lancement du jeu essentielles comme l’énonce Deleplace (1979) en rugby sont
plus rarement exploitées, nous semble-t-il en football, au regard de notre grande
expérience d’éducateur et d’entraineur (1978-2018). Elles sont toutefois primordiales au
futsal ou dans les sports collectifs de petits terrains. Que ce soit des remises en jeu ou
des sanctions techniques, il s’agit de prévoir des combinaisons à partir d’une séquence
figée, certes ponctuelle, mais néanmoins traduite par un départ du jeu arrêté. Ainsi, les
déplacements des joueurs pour surprendre les adversaires, les prendre de vitesse,
réduire leurs possibilités d’intervenir sont exploités grâce au passage rapide et
coordonné d’une situation arrêtée à une situation dynamique.
15 Dans la continuité du jeu, lorsque le porteur de balle recherche un appui et que ses
partenaires sont statiques, il se trouve dans l’incapacité de poursuivre le mouvement
vers la cible adverse. Quand une défense joue la défense en ligne ou le hors-jeu et quelle
marque la position d’alignement, l’instant d’immobilité constitue une faille dans le
dispositif que l’adversaire peut exploiter grâce à la pénétration d’un joueur lancé
(Duprat, 1997). Ainsi, l’étude de la dynamique s’intéresse à l’évolution des phénomènes
dans le temps en relation avec la durée de ceux-ci (Gréhaigne & Godbout, 2012). Ceci est
représenté par l’ensemble de forces qui entraînent et provoquent un mouvement ou
une évolution à l'intérieur d'une structure en développement nommé « le jeu ». Par
exemple, la pénétration d’un joueur venu de l’arrière accompagnée d’un « passe et va »
ou d’un « une-deux » déséquilibre souvent une défense déjà positionnée. A contrario, le
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retour d’un joueur en défense, non concerné au départ par la pénétration de
l’adversaire, permet de pallier fréquemment au déséquilibre défensif.
Fixité / Mobilité
16 La fixité ou l’immobilité représente l’état de ce qui apparaît être sans mouvement.
L’inaction des acteurs du jeu ou une faible activité semble au cœur de ce concept. On
retrouve ce genre de comportement chez les débutants garçons ou filles qui restent
stationnés parfois à un endroit du terrain. L’objectif de l’enseignant ou l’éducateur de
jeunes joueurs(es) est alors de les rendre mobiles, de les mettre en mouvement et de les
impliquer dans le jeu. Ils ou elles doivent prendre conscience de leur importance et de
leur responsabilité dans la production collective. Mais cette mise en mouvement n’est
pas neutre ou sans signification. Par exemple, sortir de la zone d’ombre de l’adversaire
et se déplacer dans une zone libre sans y rejoindre un partenaire n’est possible qu’en
occupant rationnellement le terrain. Les joueurs non-porteurs doivent se rendre
accessibles pour le porteur de balle en faisant en sorte que l’adversaire ne puisse pas
intervenir durant la circulation du ballon dans l’intervalle exploité. Ainsi, les
déplacements des non-porteurs prennent du sens au regard de l’organisation qui va
progressivement se mettre en place, mais surtout par rapport aux actions effectuées
par les adversaires. Il suffit d’évaluer le taux de réussite relativement bas en football
(Gréhaigne, 1989 ; Morris,1981 ; Duprat 2005, 2012) pour voir la complexité de la tâche,
même à des niveaux de jeu élevés.
17 D’un autre côté, la mobilité renvoie à la capacité ou la possibilité de déplacement des
joueurs. C’est la propriété de ce qui peut se déplacer dans l'espace, de ce qui est
susceptible de mouvement, de ce qui peut se mouvoir ou changer de place. Dans la
progression d’une équipe vers la cible, cela s’illustre souvent lorsque le porteur cherche
à « fixer » l’adversaire. C’est une action tactique qui consiste à attirer un ou plusieurs
opposants dans une zone afin de libérer un espace pour un partenaire ou un intervalle
entre deux joueurs adverses afin de passer le ballon. Elle est l’illustration même de
l’impossibilité d’aborder la réussite collective sans la traiter à travers la complexité des
rapports d’opposition. Pour cela, les déplacements avec et/ou sans ballon constituent
les éléments clefs de la réussite dans cette confrontation attendue mais imprévisible ou
partiellement prévisible. À titre d’image de ce phénomène, dans une partie d’échecs, il
est possible d’anticiper et de se projeter plusieurs coups plus tard, jusqu’à une certaine
limite. La vitesse de jeu et les actions possibles de l’adversaire sont relativement
prévisibles. Toutefois, cela est beaucoup plus complexe dans une activité d’opposition
collective comme le football ou les réactions des acteurs et les articulations possibles
entre ceux-ci ne sont envisageables que dans un environnement réduit. Par exemple,
lorsque le porteur de balle affronte son adversaire direct ou l’élimine par la passe, il est
malaisé d’anticiper vers un enchaînement sur trois ou quatre temps car l’incertitude
est trop prégnante.
Stationnaire / Turbulence
18 Plutôt utilisé dans l’étude des systèmes, stationnaire est à considérer comme une
situation ou un état dont les bases sont fermes et solides et qui se maintient dans la
durée avec constance, en relation avec un équilibre relatif. Cela peut être aussi une
équipe qui met en place ou déroule son jeu de façon sereine sans précipitation. Enfin, et
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c’est paradoxal, la forme de stabilité que présente un état stationnaire peut être
assurée par une bonne dynamique du jeu (Gréhaigne & Godbout, 2012). La constance
dans le jeu peut être considérée comme une marque de maîtrise et de qualité. Basée sur
la conservation du ballon, il suffit de quelques séquences fortes pour ouvrir la marque.
Cela implique un niveau de confiance et de qualité des actions des joueurs très au-
dessus de la moyenne. Pour les équipes de bon niveau, elles s’appuient souvent sur une
certaine complaisance des adversaires qui patiemment attendent leur tour pour
posséder l’objet convoité et venir perturber « l’ordre établi ». Nous sommes souvent
dans le cas d’un rapport de force déséquilibré où le plus faible cherche à se protéger et
à surprendre le favori.
19 Turbulence renvoie à une agitation bruyante et désordonnée. C’est une forme de
désordre avec des mouvements affectés par des chocs et des tourbillons. La turbulence
se concrétise par une apparence très désordonnée, chaotique, du jeu et un
comportement difficilement prévisible des joueurs, aussi bien au plan du temps que de
l’espace. Le jeu avec des turbulences implique un investissement plus important des
joueurs et se traduit par une débauche d’énergie en relation avec des passages
d’instabilité qui peuvent faire évoluer le score dans un sens ou dans l’autre. Le moindre
fait de jeu peut provoquer une évolution du score. Dans les situations d’évaluation,
l’enjeu de l’affrontement peut aussi provoquer un engagement limité dans l’avancée du
jeu vers la cible adverse (Gréhaigne & Godbout, 2012). De toutes les manières, ce sont le
rapport d’opposition en cours et le type choisi d’engagement vers la marque qui vont
provoquer la stabilité ou la turbulence dans le déroulement de la rencontre.
Permanence / Fugacité
20 Le terme permanence représente ce qui dure sans intermittence ni changement ou qui
exerce une activité de manière continue. En football par exemple, la réserve axiale doit
être permanente (Gréhaigne, 2007). On peut dire que ce qu’il y a de permanent dans les
sports collectifs se trouve dans la nécessité d’une dépense énergétique forte qui dépend
directement des forces en présence et des qualités athlétiques des joueurs qui
s’opposent (Teodorescu, 1965). Cette dépense énergétique influe grandement sur les
capacités des joueurs à prendre des décisions pertinentes au cœur du jeu. Par exemple,
faire le bon choix de jeu au bon moment, en fonction de la configuration du jeu et du
rapport d’équilibre ou de déséquilibre individuel et/ou collectif, existe aussi à chaque
instant du match. On retrouve également une nécessité de permanence dans la capacité
du porteur du ballon à produire des actions motrices et des gestuelles adaptées aux
fortes contraintes dues aux adversaires. Et c’est à cet instant que la fugacité entre en
jeu. Lorsque le porteur garde trop le ballon, le risque de le perdre augmente. Son action
va souvent être temporellement réduite en des actions à une, deux ou trois touches de
balle. Ainsi, la vitesse d’action de l’ensemble des joueurs d’une équipe permet de
conserver un temps d’avance sur l’adversaire mais peut aussi être source de perte du
ballon. La pression temporelle des adversaires impose souvent un geste fugace d’un
porteur et une maîtrise technique assez complexe à inscrire dans la permanence.
21 De manière générale, la permanence dans la durée de la rencontre, la permanence dans
la débauche d’énergie, la permanence dans la nécessité de faire les bons choix et de
produire le bon geste s’opposent à la fugacité, la précarité de la possession du ballon. A
cela s’ajoute la nécessité d’agir vite et bien dans chaque action. La fugacité se dit ici
d’une action éphémère qui dure peu de temps et disparaît rapidement. Par exemple, la
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possession du ballon a été fugace car on l’a perdu tout de suite comme sur un
dégagement. Dans le cadre de l’activité perceptive du joueur, la notion de fugacité peut
néanmoins renvoyer à des indices ténus mais qui restent importants pour comprendre
par la suite la logique de l'évolution des configurations momentanées du jeu. Ainsi,
prendre en compte les indices fugaces d’un joueur ou d’une équipe permet d’apprécier
toutes les opportunités pour ce qu’elles sont en vue d’une éventuelle exploitation.
22 Dans la lutte pour la possession du ballon entre deux groupes qui s’affrontent dans le
but d’une utilisation optimale, tous ces concepts présentés sont sources de réflexions et
d’explications à un moment ou à un autre du jeu. La pensée, comme une idée abstraite,
permet une analyse de la réalité de la situation en distinguant bien, pour nous, la
configuration du jeu de son interprétation. Aussi, des concepts sont créés, parfois re-
nommés, pour décrire, expliquer et capturer la réalité du jeu comme elle peut être
ensuite reconnue et comprise.
2. 2. Fonctionnement du jeu
23 Dans le jeu en sport collectif, les réseaux de forces entre les joueurs ou les équipes ne
sont ni neutres ni homogènes. Le jeu est un champ de forces, fait d’équilibres et de
déséquilibres momentanés, où la volonté d’aller de l’avant est contrebalancée par la
crainte de perdre le contrôle du ballon et la nécessité de protéger son but (Duprat,
2014). Cette tension est au cœur de la dynamique du jeu et plus il y a d'informations à
traiter par les joueurs, plus il y a de déséquilibres potentiels. Effectivement, une
perturbation provoque un éloignement de cet état d’équilibre. L’équipe doit alors
développer des mécanismes qui tentent d’amortir cette perturbation pour revenir à
une certaine stabilité. Avec ce mouvement, le système est confronté à la notion du
temps et à la notion de phase, puisqu’il fonctionne, la plupart du temps, sur un régime
stationnaire. Ces mécanismes peuvent conduire à des asymétries temporelles très
prononcées, à des comportements spatio-temporels inattendus ou à l’apparition de
comportements chaotiques (Gréhaigne & Godbout, 2014). Les joueurs doivent
apprendre à gérer cette tension entre l'ouverture qui conquiert et la fermeture qui
protège. La valeur de l'information n'est plus liée à la quantité. Elle ne se capitalise
plus. Elle acquiert une valeur dans l'échange et dans l'interaction du moment.
24 On sait par exemple que dans la réalité concrète du jeu, il arrive qu'à un instant
d'équilibre défensif succède un autre instant d'équilibre défensif. Mais il arrive aussi
qu'à un instant d'équilibre défensif momentané suive immédiatement un instant de
déséquilibre, etc. C'est-à-dire qu'un déséquilibre peut aussi bien être la conséquence
d'une mauvaise distribution l'instant d'avant que d'une mauvaise utilisation de la
bonne distribution qui existait l'instant d'avant. Néanmoins, un déséquilibre défensif
peut être généralement récupéré par l'équilibre défensif étant reconstitué l'instant
d’après.
25 Il est aussi possible de caractériser les points de rupture du point de vue de la
continuité ou de la rupture des configurations du jeu en cours. Quand cette rupture de
l’état d’équilibre a déjà eu lieu, il est le plus fréquemment dû à une défaillance dans
l'organisation défensive. On est souvent face à un déséquilibre initial qui peut entraîner
une défense à la « poursuite » ou une défense à « égalité » mais avec parfois une
infériorité numérique. Les transitions et le jeu de transition renvoient souvent à des
configurations où l’on a peu de temps pour agir car la quantité de joueurs et la pression
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temporelle nécessitent d’agir dans l’urgence. L’attaque doit alors profiter du moment
de déséquilibre pour conserver son avance éventuelle tandis que la défense doit
rapidement revenir en barrage ou y rester. Si, le déséquilibre n'existe pas, il faut
chercher à le faire apparaître. Un des bons moyens est de tenter d’amener rapidement
le ballon en avant de l'espace de jeu effectif. Face à un équilibre défensif bien en place
et stable, il faut s’en remettre à un rapide enchaînement collectif, un exploit individuel
ou à une erreur, une maladresse défensive qui est à exploiter au plus vite (Duprat,
2007).
26 En fonction de ces éléments, anticiper devient alors un élément clé de la réussite des
joueurs. L’anticipation, c’est l’action de prévoir ce qui va arriver à partir d’hypothèses
ou de suppositions. C’est l’activité adaptatrice que développe le joueur par rapport à
une future configuration du jeu, lorsqu'il suppose sa prochaine intervention.
L’anticipation est essentielle à la réalisation de l’efficacité des projets de jeu et des
tactiques individuelles propres à chaque sport collectif pour prévoir les aléas du jeu et
pour décider vite et juste. Pour cette raison, la compréhension des processus qui la
constituent est essentielle pour l’enseignant, l’éducateur et l’entraîneur. Il leur faut
être capables de concevoir et conduire un processus de perfectionnement permettant
d’agir sur la prise de décision tactique, le tout éventuellement combiné avec la
préparation de l’équipe à la compétition (Deleplace, 1983 ; Mahlo, 1969).
27 Concernant le joueur, celui-ci doit concentrer son attention sur le cours du jeu, tel qu'il
s'y trouve engagé, pour en déceler la cohérence et profiler son évolution. En bref, il doit
s'appuyer sur le potentiel de la situation pour choisir les actions appropriées à réaliser.
Ainsi, on peut dire que deux notions se trouvent au cœur de l'analyse du jeu. D'une
part, celle de configuration du jeu telle qu'elle s'actualise et prend forme dans le
rapport de forces en cours, et d'autre part celle du potentiel de cette configuration du
jeu.
28 Dans la phase de récupération du ballon (Duprat, 2005), nous distinguons la
confrontation en duel (lorsque l’attaquant maîtrise le ballon) de celle de la conquête
(lorsqu’il y a une lutte pour s’approprier le ballon à la suite d’une passe) mais aussi aux
situations d’interception et de récupération sans opposition. Le gain ou la perte d'un
match ne dépend donc pas seulement de l'habileté des joueurs à manier ou récupérer le
ballon. La coordination (synchronisation, permutations en jeu) et la distribution
momentanée des joueurs sont le résultat de leurs déplacements sur le terrain. Par
exemple, certaines équipes, sûres de leurs actions et empreintes d’une philosophie de
jeu, passent leur temps à attaquer au mépris de la défense (Ajax d’Amsterdam, FC
Barcelone). Cette stratégie délibérée repose sur un postulat simple que « nous pouvons
prendre le risque de concéder un but car nous savons que nous pouvons en marquer un
de plus à tout moment ». Cette idée un peu présomptueuse se traduit très clairement
dans les faits par une organisation tactique particulière. La récupération haute du
ballon et l’attaque du but sont privilégiées en prenant moins en compte la réversibilité
du jeu.
3. Réversibilité dans le déroulement du jeu
29 En sport collectif, la réversibilité souligne tout d’abord l'immédiateté du passage
d'attaquant à défenseur et met en évidence la notion de situation à double effet
(Deleplace, 1979). La réversibilité des situations représente un aspect fondamental des
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sports collectifs en rapport avec le fait que les équipes attaquent ou défendent à tour de
rôle. On constate d’ailleurs que c’est une des caractéristiques des joueurs débutants qui
ont du mal à percevoir le changement de statut. Cela se traduit par un type de
« passivité » que l’on retrouve aussi chez les jeunes joueurs qui manquent souvent de
vigilance et de réactivité. On la constate parfois chez les joueurs expérimentés lorsque
la déception liée à une perte de balle provoque un temps de latence qui retarde leur
réaction. Ainsi, en fonction du lieu de la récupération du ballon et de l’emplacement
des différents protagonistes sur le terrain, cela peut être anodin ou extrêmement
dangereux pour l’équipe. Si la réversibilité se produit à l’arrière de l’espace de jeu
effectif de l’équipe, le danger de but est immédiat. Par contre si cette récupération du
ballon se situe à l’opposé de son propre espace arrière, l’équipe encore placée pour
défendre est alors plus stable sur ses positions. Plus généralement, quand on décide
« d’attaquer l’attaque » de presser dès la perte du ballon, le mouvement de la défense
est d'abord et avant tout un mouvement vers l’avant. Il s’agit d’imposer un harcèlement
continuel des adversaires pour retrouver la possession du ballon. Idéalement, ceci se
déroule le plus profondément possible dans le dispositif de l'adversaire en train de
relancer. Si le ballon est récupéré, cela constitue le cas le plus simple qui puisse exister
de la liaison organique entre défense et attaque, souvent illustrée par l’émergence
d’une attaque rapide. La fragilité de toute équipe s’exprime souvent dans cette phase
type liée à la réversibilité. Si le changement de possession et le résultat d’une
« récupération réglementaire » (Duprat , 2005), l’équipe en défense bénéficie d’un cours
laps de temps pour se repositionner. Si la perte du ballon s’effectue dans la continuité
du jeu, le danger est immédiat et la réactivité devient un élément primordial pour le
rééquilibrage défensif.
30 La situation à double effet constitue souvent un moment clé du jeu. Ainsi, lorsque la
balle est perdue, l'ancienne attaque devenue défense doit se réorganiser :
soit s’opposer immédiatement au front du ballon pour tenter de le récupérer au plus vite
(pressing) ;
soit mettre en place un recul frein avec les joueurs qui étaient en soutien du porteur car,
dans ce cas, ils constituent la première ligne de défense contre la contre-attaque (semi-
retraite) ;
soit en recul rapide pour un retour sur ses bases, en ralentissant l’action du porteur adverse,
afin de reconstituer les rideaux défensifs (pleine retraite) ;
soit, lorsque les rideaux sont en place, s’opposer aux pénétrations de l’adversaire et harceler
le porteur de balle.
31 Pour l’équipe en défense devenue équipe à l’attaque, on vise soit :
à profiter de la rupture de l'état d'équilibre du système attaque / défense pour tirer sans
tarder au but ;
à réussir une circulation rapide du ballon et des joueurs pour développer un enchaînement
offensif et tirer au but ;
soit, en cas d'échec de l'action vers la cible, à revenir en arrière pour assurer la conservation
du ballon et provoquer à nouveau la défense afin de se créer une autre opportunité de
marquer.
32 La mise en œuvre de ces choix tactiques suppose du dynamisme, de l’intensité et de la
résolution. Par conséquent, la défense ne doit pas se borner à réagir simplement aux
actions des adversaires mais doit mettre en place des ripostes ciblées, anticiper sur les
contres possibles pour limiter les risques lors de ces phases critiques. Quand cette
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tactique défensive réussit, l'attaque perd habituellement la balle. Il convient néanmoins
de souligner que l'organisation de la réversibilité et / ou de la stabilité constitue un
projet en soi à l'intérieur d'un projet de jeu plus général. Il nécessite la mise en place de
règles de fonctionnement précises qui nous ramènent au « référentiel commun »
(Delaplace, 1979).
4. Ordre et désordre offensif ou défensif
33 Robert, (1985, p. 5) à propos de la dynamique du jeu affirmait « que les conditions
réglementaires conduisent à définir le jeu comme une dualité dynamique où chaque équipe
oppose à l’autre le nombre au nombre, l’action offensive à l’action défensive en vue d’obtenir un
résultat : gagner ou ne pas perdre ». Nous avons vu que la phase de changement de statut
constitue un moment clef de la confrontation. La perte ou la récupération du ballon
constitue à chaque fois un moment spécifique et les réactions dépendent des
caractéristiques de la configuration du jeu.
4. 1. L’espace de jeu entre les lignes
34 Au football ou au rugby, les lois sur le hors-jeu limitent la circulation des joueurs. Ces
lois sur le hors-jeu visent, en fait, à établir ou rétablir un équilibre entre les droits de
l’attaque et ceux de la défense. Cela correspond également à un aspect très moral à
savoir que « dans le jeu, nul ne peut s’approprier un avantage immérité ». L’objectif de
l’ensemble de ces règles est d’empêcher les avants « piquets » de camper à proximité du
but et de marquer sans se confronter à l’adversaire. Ainsi, s’opposer individuellement
et collectivement aux actions adverses est l’essence même du jeu. Cette idée existe dans
presque tous les sports collectifs interpénétrés avec le hors-jeu existant aussi en hockey
sur glace, les trois secondes dans la raquette au basket-ball et la zone interdite proche
de la cible au handball. La zone d’affrontement peut se situer au niveau du ballon,
proche de la cible dans une zone déterminée, ou avec les deux éléments ajoutés. Sans la
règle du hors-jeu, le football serait, sur un grand champ, un jeu sans échange de balle,
fait de coups de pieds vers l’avant ou de passes longues d'un bout du champ à l'autre.
En empêchant toute position trop avancée, la règle privilégie donc la conduite de balle
et la passe, plutôt que des coups de pieds longs dans le vide. Or, faire avancer
adéquatement le ballon oblige les attaquants à courir. En retour, cela contraint les
défenseurs à se déplacer pour éviter de se faire déborder tout en protégeant leur but.
La confrontation est inévitable et le parti-pris athlétique y occupe une place
prépondérante. L’ensemble de ces règles et de ces modalités de jeu donnent une
tonalité particulière à chaque jeu collectif.
4. 2. Les liens d’opposition
35 Une autre des propriétés de l’affrontement est de présenter une certaine élasticité. De
manière spécifique, un système est considéré élastique lorsqu’il est traversé par une
série de contractions et d’expansions (Gréhaigne & Godbout, 2012). Pour appréhender
comment fonctionne l’élasticité dans le jeu en sport collectif, on doit d'abord
comprendre comment les configurations du jeu évoluent. Lorsque le jeu est en forte
expansion, il y a des perturbations considérables avec une balle qui se déplace vite et
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des joueurs en mouvement à des vitesses différentes. À l’opposé en forte compression,
l’espace occupé est réduit et il se produit des situations où le temps est compté. Des
joueurs qui effectuent un prélèvement rapide et précis d’informations simples peuvent
ainsi produire des réponses pertinentes.
36 De façon synthétique, la figure 1 illustre les liens d’opposition permettant de
caractériser le jeu en football. La gestion par les joueurs des caractéristiques liées aux
déplacements des attaquants, des défenseurs et du ballon, passe par la construction
d’outils capables d’aider à concevoir une évolution probable du jeu. La construction de
cette véritable intelligence tactique nous semble très importante au point de nécessiter
une conception des apprentissages où les liens d'opposition sont au cœur de la
formation du joueur.
37 Par ailleurs, cette caractérisation des liens d’opposition est indispensable en vue de
modéliser le jeu afin d’obtenir une analyse de l’affrontement plus cohérente. Elle rend
mieux compte de la réalité des rapports d’opposition. Ainsi se trouvent bouclées les
relations dialectiques entre l’analyse de la pratique et une nécessaire théorisation.
Figure 1. Caractérisation des liens d’opposition en football
(Gréhaigne, 2018)
4. 3. Durée d’une séquence de jeu
38 Pour les sports collectifs en général, le terme de continuité est employé à propos du
passage d'une situation tactique à une autre (attaque / défense). Ici, les lois du jeu ou
les options tactiques du moment assurent ou non la continuité du jeu, du football
américain au football association (nom originel du football en Angleterre ou soccer en
anglais). La durée moyenne d’une séquence devient un indicateur pertinent des choix
effectués. Plus la durée d’une séquence est courte, plus tactiquement elle est faite pour
éviter le désordre. Plus la séquence dure longtemps, plus le désordre risque de
s’installer dans le jeu. Ainsi, à l'intérieur d'une même situation tactique, on utilise le
terme de continuité lorsqu’il y a enchaînement de plusieurs phases collectives. Si un
désordre apparaît dans l’équipe adverse, on peut considérer que le premier temps de
jeu a été efficace pour provoquer un déséquilibre défensif. Le temps qui suit a donc
pour but d'exploiter ce déséquilibre en choisissant la forme de jeu la plus adaptée pour
surpasser l’adversaire. Par exemple, assurer la continuité de l’attaque dans la durée
exige un replacement offensif anticipé dans les espaces disponibles et une lecture
efficiente du placement et des déplacements des partenaires et adversaires. Une longue
séquence de possession pour une équipe traduit souvent une grande maîtrise dans la
circulation des joueurs et du ballon, ou une certaine passivité des adversaires en
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attente. Mais elle ne garantit pas la victoire, comme nous avons pu le constater lors de
la dernière coupe du Monde de football (2018). Les apparences sont parfois trompeuses
dans l’évaluation d’un rapport d’opposition (Duprat, 2005). L’issue d’une rencontre
dépend plus de l’exploitation efficiente du ballon lors de chaque phase de possession.
La capacité de l’équipe à s’organiser et se restructurer dans un laps de temps le plus
court possible favorise l’efficacité et la performance. Au fil des rapports d’opposition, la
concentration et/ou la dispersion des joueurs sur le terrain varient en fonction des
phases de jeu et influe sur le résultat final.
5. Bases organisationnelle de la confrontation
39 En prenant toujours comme exemple le football, les dispositifs stratégiques et tactiques
adoptés par une équipe recouvrent la répartition de l’ensemble des joueurs sur le
terrain, de leurs actions et des déplacements qui se font. Cela se passe habituellement
en référence à un plan de jeu et à des règles de l’organisation du jeu. Nous allons
envisager maintenant ce que produit l’opposition dans une rencontre. Pour cela nous
allons comparer la distribution formelle donnée par la composition de l’équipe en
fonction du système de jeu prévu, de même que la distribution réelle révélée par les
Espaces de Jeu Effectif des Joueurs (EJEJ) et leurs centres de gravité (Gréhaigne, 1989).
5. 1. Système de jeu et distribution formelle
40 Il est possible d’obtenir des informations fiables des rapports d’opposition entre les
équipes à partir de l’étude du centre de gravité de l’espace occupé par le joueur
(Gréhaigne, 1989). Cette méthodologie permet de mieux étudier la notion de système de
jeu. Teodorescu (1965) définit le système de jeu comme étant la « forme générale
d'organisation des actions offensives ou défensives des joueurs, par l'établissement d'un
dispositif précis, de certaines tâches (postes et occupations du terrain) ainsi que de certains
principes de collaboration entre ceux-ci » (Teodorescu, 1965, p. 29). Une autre définition
caractérise le système de jeu comme « une forme d'ordre extérieur où l'on distingue des
groupes en différentes positions et où l'on détermine le nombre de joueurs assignés à ces
groupes » (Bremer, 1982 cité par Winkler, 1984, p. 6). On attribue à ces groupes de
joueurs certaines parties du terrain et certaines tâches dans le match. A l'intérieur de
ces groupes, on différencie de nouveau pour assigner à chaque joueur une zone de
terrain et des tâches.
41 Ainsi, dans la littérature spécialisée concernant le football, cette forme d'ordre
extérieur est habituellement caractérisée et représentée par des sigles « W M » ou par
des chiffres « 4-4-2 ». La représentation en trois chiffres représente le nombre de
joueurs alignés à partir du gardien… A titre d'exemple, la figure 2 illustre la
composition d’une l'équipe jouant en « 4-3-3 » (figure 2).
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Figure 2. Distribution formelle d’une l'équipe en 4-3-3
42 La composition de l'équipe montre une distribution théorique qui révèle de façon
grossière le dispositif adopté par l'entraîneur. En effet, ce dispositif peut rendre compte
de la répartition des joueurs sur le terrain, en particulier dans les trois grandes lignes
de force que sont la défense, le milieu de terrain et les avants. Par contre, ce schéma
reste très imprécis. De manière générale, ce système de jeu qui n’est qu’une structure
de base de l’organisation des joueurs se trouve souvent modifié ou transformé par les
aléas du jeu. Les EJEJ deviennent alors des éléments objectifs permettant de comparer
l’attendu du vécu.
5. 2. Tactique et distribution réelle
43 Si nous comparons la distribution théorique des joueurs avec la distribution réelle,
donnée par l'étude des centres de gravité, nous relevons des analogies et des
différences.
44 Pour l’équipe analysée (figure 3), le système réel révèle que :
le numéro 2 joue assez haut dans le couloir gauche,
le numéro 8 joue côté droit et non à gauche,
les numéros 6, 7, 10 jouent groupés dans l'axe du terrain, le 6 tenant plutôt le rôle de milieu
défensif.
numéro 5 assure la couverture défensive et occupe, en fait le poste dit de « libéro ».
le flanc droit du terrain est quasiment inoccupé.
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Figure 3. Distribution réelle d’une équipe observée avec les centres de gravité des joueurs
45 L’étendue et la dispersion des points sur le terrain constituent un autre indicateur du
résultat de l’opposition. Ainsi, la composition de l'équipe donne une distribution
théorique à partir d'emplacements formels et donne une répartition formelle des
joueurs qui permet d’identifier le centre de gravité du groupe (Gréhaigne, 1989). La
distribution sur le terrain des centres de gravité des joueurs est donc une donnée
importante pour obtenir une caractérisation objective du système de jeu réel d'une
équipe et ainsi avoir des renseignements précis sur l'organisation du jeu de cette
équipe en fonction du rapport d’opposition de ce jour-là.
46 Pour préciser encore l’EJEJ, il serait intéressant de distinguer les phases de possession
du ballon par son équipe et celles où elle défend. Cela donnerait la possibilité d’analyser
le poids des actions adverses dans la production réelle des joueurs. Dans les formes que
prend celle-ci, il est courant qu’un système gardien de but (GB), 4, 3, 3 (avec un triangle
pointe haute ou basse pour les « milieux »), se transforme en GB, 3, 4, 3 (avec des
« demis » à plat ou en losange). Il est possible aussi de le transformer en GB, 4, 5, 1 qui
peut se décliner en GB, 4, 3, 2, 1 ou en Gb, 4, 2, 3, 1… Bref, les rapports d’opposition vont
influer sur la répartition et les actions des joueurs, tant dans la profondeur que dans la
largeur. Les rapports de force individuels vont aussi influencer l’organisation collective
de base et imposer des transformations. Nous avons pu constater (Duprat, 2005) qu’à
partir du barycentre de la récupération du ballon par une équipe, on peut obtenir des
informations sur l’orientation majeure du jeu de l’équipe adverse en attaque.
47 Par ailleurs, nul ne peut nier que la stratégie mise en place préalablement à la
rencontre, est amenée à être continuellement ré-ajustée en fonction des évènements
du match. Cela implique de former un joueur capable d’évaluer les effets du rapport de
forces et de réajuster ses comportements en les coordonnant avec ceux de ses
partenaires. Ainsi, l’organisation et l’auto-organisation du jeu sont conformes aux
choix de l’entraîneur. Mais la réalité est parfois tout autre car le succès d’une équipe est
largement dépendant de la plasticité des joueurs et de leurs capacités à reproduire les
consignes retenues par les entraineurs avant le match. Il leur faudra également
s'adapter aux qualités spécifiques des adversaires, voire à changer rapidement le plan
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de jeu en fonction de l’urgence de la situation présente. La culture tactique apparait
donc comme toile de fond indispensable. Elle ne s’établit qu’à travers la construction de
logiques d’actions directement dépendantes de « l’analyse des effets de l’opposition »
(Bouthier & Reitchess, 1984).
6. Discussion - Conclusion
48 Le premier objectif pour un enseignant, un éducateur, est d’apporter aux élèves, aux
joueurs(ses), les différents éléments de compréhension de l’activité et de leur
permettre de traduire leurs intentions en actes au cœur de la confrontation jouée. Pour
un formateur, un entraineur, l’objectif est de construire un ensemble de joueurs
cohérent puis performant. Il le réalise après avoir fait connaissance avec son groupe et
étudié les caractéristiques de chacun. Tel un chef d’orchestre, il doit écrire ou faire
suivre une partition identique à tous afin de s’assurer que la production soit de qualité.
Certains entraîneurs s’appuient sur les spécificités des individualités pour choisir les
tactiques à adopter en fonction de leurs compétences. D’autres prônent une autre
philosophie de jeu et insistent pour que chaque joueur joue la partition choisie et
évolue en respectant le fil conducteur imposé. Les capacités individuelles doivent alors
s’accorder avec les choix de l’entraineur dans l’intérêt du groupe. Dans les deux cas,
une capacité d’adaptation est requise au moment de la rencontre si l’on veut être
performant, puisque les adversaires sont aussi détenteurs de certaines compétences.
49 Tout ce qui est anticipé et mis en place peut être réduit à néant si l’adversaire perturbe
ce qui a été prévu. A cet effet, l’étude systématique du jeu de l’adversaire s’est
développée ces dernières années pour anticiper, prévoir et agir en fonction des dits
adversaires. Une stratégie est donc habituellement mise en place par les équipes en
fonction de chaque adversaire et est travaillée spécifiquement pour chaque rencontre.
Cela implique inévitablement de pouvoir adapter son jeu au projet établi. Cela nécessite
de développer les compétences autour d’un facteur essentiel : la plasticité. Tout joueur
figé est un joueur handicapé, car il risque à tout moment de rencontrer un adversaire
susceptible d’anticiper son jeu et d’exploiter ses failles. Dans d’autres circonstances,
c’est la capacité créative exceptionnelle de certains joueurs qui peut être à l’origine des
déséquilibres individuels et collectifs. Les seuls moyens d’agir sont alors, soit de les
empêcher de recevoir le ballon, soit de s’organiser collectivement pour « verrouiller »
ce type de joueur sans s’affaiblir.
50 Aussi, analyser, expliquer l'opposition et utiliser cette opposition comme source de tout
progrès, tant en compréhension qu'en exécution, permettent de concevoir des
situations qui impliquent de faire jouer la réalité des rapports d'opposition. C’est pour
cela que malgré des divergences d’objectifs suivant le contexte de l’intervention,
l’enseignant, l’éducateur et le formateur doivent intégrer cet aspect incontournable
dans l’apprentissage. Les contraintes liées aux rapports d’opposition, la réciprocité et la
réversibilité qui résultent de la précarité de la possession (surtout au football), sont
obligatoires dans l’analyse et la pratique des sports collectifs.
51 En se centrant sur des exercices avec opposants, on propose aux joueurs de les
accoutumer à des configurations proches de celles qu’ils retrouveront lors du match
mais aussi de les placer dans des conditions temporelles qui nécessiteront une
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adaptation rapide face aux problèmes posés. Renoncer à s’appuyer sur l’opposition,
c'est renoncer à faire progresser les joueurs dans ce qui leur fait souvent défaut :
se situer dans l'espace par rapport à un "mobile", à un adversaire direct, à un
environnement plus ou moins chargé ;
adapter ses déplacements en fonction des opportunités présentes, suivant les placements et
déplacements des partenaires et adversaires ;
maîtriser ses gestes, quelles que soient les pressions qui s’ajoutent à la pression temporelle ;
anticiper, agir et réagir vite…
52 Pour cela, l’intervenant dispose de différents types d’exercices :
Ceux correspondant au match à thème, à effectifs réduits, où la complexité liée à l’égalité
numérique est limitée par le nombre restreint de joueurs et donc d’informations à traiter ;
Ceux consacrés à des « jeux d’application » avec des effectifs réduits, une équipe en
supériorité numérique (+1, +2) pour favoriser la réussite ;
Ceux basés sur des oppositions en un contre un (infra-système) où chacun apprend à
construire sa motricité en tenant compte d’un environnement éloigné peu contraignant
mais existant afin d’éviter de s’enfermer dans la bulle proche ;
Ceux reposant principalement sur la coopération dans le cadre d’une « unité tactique
isolable » (Deleplace, 1979 ; Bouthier 1988), où les alternatives sont limitées en nombres,
mais favorisent la prise de conscience de la pertinence des choix tactiques ;
Ceux permettant de coordonner les actions des joueurs d’une équipe en réduisant le nombre
de partenaires impliqués (méso-système) afin d’articuler les interventions à partir d’un
collectif de ligne ou d’une partie des deux ou trois collectifs de ligne ;
Ceux concernant l’articulation de tous les joueurs de l’équipe dans le cadre du macro-
système lorsqu’on s’approche de l’activité culturelle de référence avec une opposition en
infériorité numérique.
53 Quel que soit le contexte de l’intervention, ces différentes formes d’exercices peuvent
être considérées comme « situation de référence » en fonction des objectifs à atteindre
(Duprat, 2007, 2016).
54 Cette approche permet de se démarquer d'une didactique très analytique, centrée sur
la forme gestuelle, où le joueur est enfermé dans une sphère relationnelle réduite à sa
relation avec le ballon. Cela implique d’aller vers une approche plus contextualisée,
basée sur une approche tactique des jeux où le rapport à l’opposition est primordial
donc incontournable.
55 Par quoi le débutant est-il mis en difficulté ? Sans doute, sa crainte de mal faire et son
manque de maîtrise corporelle face aux situations. C’est le cas particulièrement sous les
pressions temporelles auxquelles il est confronté. Il est impératif que le joueur
débutant construise sa motricité en adéquation avec les contraintes réelles du jeu.
Cette motricité intègre la notion de collaboration au sein d’une organisation collective.
C’est à ce titre qu’on parle de conduite motrice. A l’enseignant, l’éducateur, le
formateur de trouver les situations d’apprentissage et d’entrainement contextualisées
et adaptées au niveau des jeunes qui lui sont confiés.
56 Par quoi, aujourd’hui, le joueur de haut niveau est-il mis en difficulté sachant qu’il a
atteint une dextérité technique supérieure ? C’est principalement dans son rapport
affectif à l’adversaire fréquemment augmenté par l’enjeu de la compétition. Cela place
le joueur dans un état psychologique de stress et peut ainsi conduire à des erreurs liées
à la précipitation ou à la peur. L’expérience participe à la maitrise de ce type de
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pressions liées à l’enjeu des rencontres. Bien que le temps de possession du ballon soit
très restreint pour chaque joueur dans un match, l’apprentissage d’une gestuelle bien
contextualisée lui permettra toujours de mieux réagir au moment opportun.
57 C’est pourquoi il est inconcevable, aujourd’hui, d’aborder l’apprentissage des sports
collectifs sans placer les rapports d’opposition au cœur de la méthode.
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Revue de la S.I.E.P.E.P.S., 3, 29-40. (texte publié à nouveau en 2013 dans le revue eJRIEPS, 28, 99-117).
Winkler, W. (1984). Sport strategie als lehrfach. Leitungssport, 14(2), 5-13.
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RÉSUMÉS
Dans les sports collectifs, les règles premières fondent la logique des jeux dans la prise en compte
systématique du rapport d’opposition entre une attaque et une défense. Comprendre ce rapport
de forces est un passage obligé pour que tous les joueurs investissent la singularité de l’activité
ou son essence. Le ressort du jeu est donc fondé sur le fait qu’il faut être en possession du ballon
pour pouvoir tenter d’atteindre la cible adverse. Il s’agit donc de gérer simultanément la
conservation de la balle pour son équipe et l’atteinte de la cible adverse et, pour les adversaires,
la conquête de la balle et la défense de sa propre cible. De ce point de vue, analyser, expliquer
l'opposition et l’utiliser comme source de tout progrès permettent de concevoir des situations
d’apprentissage efficaces en terme de développement des élèves et des joueurs.
In team sports, the primary rules of the game are based on the logic of the game itself. The main
characteristic is the systematic opposition relationship between attack and defense. Trying to
understand this opposition association is essential for all students invested in the singularity of
the activity or its essence. It is therefore based on the fact that you must be in possession of the
ball in order to try to reach the opposing target and score a goal. However, while players and
teammates have to manage simultaneously the possession of the ball and the attack of the
opposite target, the opponents try the recover the ball and defend its own target. From this point
of view, it is possible to built effective learning situations for student’s development by analyzing
and understanding the opposition of players, and using it as a pedagogical source of learning.
INDEX
Mots-clés : sport collectif, opposition, situation d’apprentissage
Keywords : team sport, opposition, learning situation
AUTEUR
ERIC DUPRAT
Professeur agrégé d’EPS-HC. Docteur en Sciences de l’éducation. Département STAPS de
l’Université Evry-Val d’Essonne
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Analyse des pratiquesd’enseignement des sports decombat à l’université en France : deux études de cas de formateurs enSTAPSAnalysis of combat sports teaching practices in the university: two case
studies of professors in STAPS
Mariana S.P. Gomes, Marie France Carnus et André Terrisse
1. Introduction
1 L'enseignement des sports de combat est, comme la plupart des Activités Physiques,
Sportives et Artistiques (APSA), influencé par les traditions et les valeurs que leur
accorde chaque enseignant en fonction de la conception qu’il s’est construite (Terrisse,
2000). En effet, dans ces activités, le professeur se présente souvent comme un “seisei”,
nom donné au maître, ou bien se situe plutôt comme un sportif qui a plusieurs années
d’expérience et de pratique (Gomes, Morato, Duarte, Almeida, 2010). Cette particularité
nous amène à élaborer un cadre d'analyse des pratiques d'enseignement qui tienne
compte de cette spécificité.
2 Ainsi, en rapport avec l'analyse de l'enseignement des sports de combat telle que la
propose Terrisse (1991), Gomes (2008) a identifié les éléments qui déterminent la
logique du savoir combattre, soit ce qu'elle nomme les principes conditionnels que sont
le contact intentionnel, l’action simultanée attaque/défense, l’incertitude, la cible que
constitue l'adversaire et les règles. Ces déterminants constitutifs de la pratique
montrent que l’on peut dégager une logique interne qui pourrait se nommer le savoir
combattre (Terrisse, Quesada, Hiegel, Sauvegrain, 1995) et qui peut être utilisée comme
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cadre d'analyse de la pratique d’enseignement, dépassant ainsi le contexte
institutionnel (école, club ou loisir) où le sport de combat est enseigné.
3 D'autre part, plusieurs auteurs montrent que l'enseignement entraîne une
transformation du savoir quand il est transmis par un enseignant, ce que Chevallard
nomme la transposition didactique interne (Chevallard, 1985). En effet, pour être
enseignés, les savoirs doivent être rendus enseignables (Reuter, 2007) comme Verret l'a
montré lorsqu'il a étudié les conditions de transmissibilté des savoirs (Verret, 1975).
Cette transformation rend compte de la transformation d’un savoir « déjà-là », produit,
entre autres de l'expérience du pratiquant, voire de l'enseignant, à un savoir à
enseigner à des étudiants, puis à un savoir réellement enseigné, transformation qui est
l’objet de notre recherche.
4 En effet, celle-ci se réfère à ce processus de transposition didactique interne dans la
mesure où elle tente de rendre compte des savoirs que choisissent de transmettre deux
professeurs dans une même institution et pour les mêmes étudiants. Compte tenu de
leurs différences de formation, il peut être possible d’observer deux types de savoirs
distincts non exclusifs l’un de l’autre : soit des contenus en référence à leur propre
expérience de « combattant », comme témoins de leur mémoire, soit des contenus
orientés et traités pour être utilisés lorsque ces étudiants seront eux-mêmes en
situation de les transmettre. En fonction des catégories d'analyse déjà évoquées, le
chercheur tentera alors de répondre à cette question de l'origine des savoirs délivrés
par ces deux enseignants et de la nature de leur différence.
2. Options théoriques et revue de questions
2 .1. Une recherche en didactique clinique des sports de combat
5 Cette étude se situe dans le champ de la didactique clinique de l’EPS qui met au cœur de
ses analyses le sujet enseignant en tant qu’être singulier, assujetti et divisé (Carnus,
2004 ; Carnus, Terrisse, 2013). Dans cette orientation théorique, les choix didactiques
des enseignants sont doublement influencés par des facteurs externes relevant des
contextes et des institutions et des facteurs internes, propres aux sujets, à leur histoire,
à leur « déjà-là ». Centré sur le suivi des enjeux de savoir à travers la logique des sujets
engagés dans la relation didactique (Carnus, 2009a), ce positionnement autorise une
autre lecture du fonctionnement didactique guidée par l’histoire et la singularité des
sujets construites au carrefour de l’intime et du public (Carnus, 2009b).
6 Cette approche nécessite que soient questionnés un certain nombre de concepts,
notamment celui de transposition didactique qui, importé dans le champ didactique
clinique, est revisité par la prise en compte de la dimension du sujet. Nous utilisons
aujourd’hui le terme de conversion didactique, soit « une production de symptômes
témoignant d’une construction psychique du sujet enseignant élaborée au cours de son
histoire » (Buznic, 2009 ; Carnus & Terrisse, 2013, p 141). Le savoir à enseigner, qui
renvoie à l’intention didactique, relève de trois sources d’influences : interne, liée à
l’expérience et à l’expertise de l’enseignant ; institutionnelle liée aux programmes et à
leur interprétation par l’enseignant ou le formateur ; sociale ou culturelle, en lien avec
la pratique sociale de référence et sa logique interne.
7 Nous allons présenter dans ce chapitre trois recherches qui posent cette question de
conversion didactique pour en comprendre les enjeux.
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8 Ainsi, Brossais et Terrisse (2009) ont ils étudié le poids de l’institution sportive, et donc
de la formation antérieure, d’un enseignant d’EPS débutant expert en judo. La
recherche indique qu’il transmet ce qu'il a appris en tant que judoka et qu’il reproduit
la même structure d’apprentissage que la Fédération Française de Judo lui a apprise,
sans considérer les stratégies nécessaires à l'opposition, dont les adolescents sont
pourtant friands. Cet enseignant dira d'ailleurs : « quel que soit le milieu, je l'aurais
enseigné de cette manière » (Brossais, Terrisse, 2009, p. 131). Car un combat se définit
surtout grâce à l’incertitude de son issue qui est due au rapport de force entre les
combattants ce qui semble éloigné des situations décontextualisées (Chevallard, 1985)
et des répétitions de gestes sans rapport avec le contexte de l’opposition que peuvent
transmettre les enseignants de sport de combat, même si la transmission des
techniques à travers les formes de corps, s'avère indispensable à connaître par les
collégiens. Dans ce cas apparaît l'importance de la formation pratique antérieure de
l'enseignant dans le choix de ses contenus de formation, ce qui justifie l’utilisation du
terme de conversion didactique.
9 Toutefois, la transmission du savoir peut subir d’autres influences, notamment
institutionnelles. Pour cette raison, Heuser (2009) a observé des écarts entre le savoir
enseigné en EPS et le savoir de référence chez un spécialiste de karaté. Il relate que
Nicolas (le cas étudié) avait eu une expérience soutenue comme athlète de compétition
avec des combats « durs » mais, lorsqu’il enseignait, il ne mobilisait pas ce savoir de
référence pour le modifier en fonction du niveau de la classe avec laquelle il travaillait,
mais aussi des valeurs dispensées dans le milieu scolaire (Heuser, 2009). Cette étude de
cas permet de comprendre que la référence de l’enseignant n’est pas toujours celle du
pratiquant, compte tenu des normes et des valeurs que véhicule l'institution scolaire et
auxquelles l’enseignant ne peut pas déroger.
10 Enfin, dans le cadre d’une recherche sur les savoirs appris par les élèves, Sauvegrain
(2001), expose le cas de Florent qui, dans un cycle de lutte à l’école, ne reproduit pas ce
que l’enseignant lui a transmis. Il invente une technique pour résoudre le problème
qu'il rencontre dans l’activité d’opposition avec un autre élève. Sauvegrain observe que
l’enseignant, expert en lutte, a choisi un contenu que Florent ne reproduit pas. Par
contre, Florent a compris le sens de la lutte selon ses propres nécessités. Terrisse (2009)
signale que, dans ce cas, le chercheur doit rendre compte du rapport au savoir
construit par l'élève pour comprendre les conditions de sa transformation et ainsi
mettre en évidence un savoir par la pratique, qui est une forme de conversion, adaptée
au contexte de l’opposition, mais effectuée par l’élève lui-même.
11 C’est donc au carrefour de ces influences que s’élabore le processus de conversion
didactique relative au savoir enseigné. Cette redéfinition permet de mieux comprendre
les variabilités inter individuelles souvent observées dans l’analyse des pratiques
enseignantes (Bru, 1991). Nous sortons ici d’une vision linéaire de la transposition
didactique et nous nous focalisons sur la question des écarts, notamment entre savoir à
enseigner et savoir effectivement enseigné, et même, dans le dernier exemple, entre
savoir enseigné et savoir appris.
2. 2. Une recherche sur la nature du savoir combattre
12 Pour pouvoir analyser ces processus de transmission à l’aide du concept de conversion
didactique dans le cadre théorique de la didactique clinique, nous analyserons le savoir
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combattre et les possibilités d’enseignement qui s'offrent à l’enseignant dès qu’il
s’approprie ce savoir.
13 Figueiredo (2009) a décrit les activités de combat comme des activités où le corps de
l’autre est l’objet et le but de l'enjeu des actions intentionnelles de combat. Green &
Svinth (2010, p. 19) comprennent ces activités comme des « systèmes qui combinent les
éléments physiques du combat avec stratégie, philosophie, tradition et d'autres
caractéristiques qui les différencient de la pure réaction ».
14 Terrisse (1991) envisage qu'une pensée dialectique puisse permettre au professeur la
gestion de l’opposition et de la coopération, dans la mesure où il peut utiliser un
rapport de force pour enseigner ces objectifs, et où il peut réduire l‘imprévisibilité des
situations de combat par la coopération notamment.
15 Le savoir combattre pour Terrisse et al. (1995, p. 27) peut être représenté par une
intention stratégique engagée dans une « pleine opposition » qui suscite « la nécessité
de réduire l’incertitude pour faciliter l’apprentissage et en même temps conserver les
phases de confrontation afin de ne pas perdre le sens de l’activité ».
16 La stratégie, pour Loizon, Margnes et Terrisse (2004, p. 69) est conçue comme « un plan
d’action organisé dans un but précis » alors que la tactique « est la mise en œuvre de ce
plan, l’adaptation de celui-ci aux contraintes de la situation ».
17 Pour Terrisse et al (1995, p. 27), l’intention stratégique vise à résoudre les problèmes
d’un combat. Au-delà du concept de savoir combattre, vers une orientation plus
clinique, Terrisse (2000) a proposé trois types de savoirs qui caractérisent, d'après lui la
nature des savoirs en sports de combat à partir des travaux réalisés par Sauvegrain sur
l'enseignement de la lutte en 1998 (Terrisse et Sauvegrain, 1998) :
"Un savoir de la pratique" que les auteurs annoncent comme étant le produit de l’histoire de
la pratique, "des règles sociales qui la régissent et des valeurs qui y sont attachées". Il y a en
judo, un ensemble de valeurs, traditions et conceptions qui font partie d’un domaine social,
de la communauté du judo, qui peuvent se manifester à travers la culture et le contexte de
pratique propre au judo.
"Un savoir pour la pratique", qui est le fruit d'un travail de mise en forme par les
entraîneurs et les enseignants de contenus, de conseils, de stratégies et de techniques. C’est
le savoir qui est élaboré et qui est mis en pratique par le professeur pendant ses cours. Il
peut correspondre aux préconisations des professeurs (Terrisse, 2000).
"Un savoir par la pratique", qui est le produit de la confrontation personnelle à autrui et qui
ne s’acquiert que dans l’épreuve de combat, que Terrisse nomme "le savoir y faire."
(Terrisse, 2000, p. 105). C’est l’intention tactique qui émerge de la pratique des étudiants,
comme une réponse aux problèmes proposés par le professeur, mais aussi par les
adversaires pendant la situation d’opposition.
18 Dans la mesure où notre projet de recherche est d'analyser des pratiques
d'enseignement des sports de combat à l'Université à partir de cette notion de savoir
combattre, nous utiliserons ces différences entre le savoir de la pratique, le savoir pour
la pratique et le savoir par la pratique, à travers des catégories d'analyse qui
permettront d’observer et de caractériser cet enseignement. Alors que le savoir de la
pratique ne semble pas subir beaucoup de modifications car le professeur transmet
souvent ce qu'il a appris en tant que pratiquant sous forme de théorie, de traditions et
de valeurs, le savoir pour la pratique exige du professeur une transformation des
savoirs sous forme de contenus didactiques afin de transmettre les contenus les plus
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utiles aux étudiants. Enfin, le savoir par la pratique s'acquiert par l'activité de combat
pour chacun des étudiants et il se trouve donc difficile à observer.
3. Questions de recherche
19 Notre sentiment, fruit de notre formation en combat, est qu’un professeur à
l’Université ne va pas seulement transmettre des savoirs sportifs tels qu'il les a vécus
lui-même, bien que ce soit le socle de ce qu'il peut transmettre, mais qu’il va tenter de
les traiter en fonction des objectifs de formation qu'il se donne ou qui sont exigés par
l'Institution pour laquelle il travaille. Nos questions de recherche deviennent alors :
20 Quelle est la nature du savoir combattre pour chacun des deux professeurs observés ? Y
a-t-il des différences de transmission de ce savoir selon les professeurs en fonction de
leur expérience, de leur propre formation et/ou des objectifs qu’ils se fixent ?
21 Nous faisons l'hypothèse que la transmission du savoir combattre passe par un certain
nombre de notions et de pratiques propres à chaque enseignant. Notions et pratiques
seront considérées par les enseignants comme fondamentales à acquérir par les
étudiants pour combattre, ce que nous allons tenter d'extraire de nos observations.
22 Nous allons analyser l’enseignement des sports de combat dans ce contexte
institutionnel de deux professeurs qui sont dans la même institution universitaire en
utilisant les catégories d'analyseurs qui représentent les caractéristiques spécifiques de
la didactique des sports de combat pour en déterminer la logique, que nous
envisageons différente du fait que ce sont deux enseignants singuliers, avec des
histoires de pratiquants différentes, celles de la SBF et de l’escrime.
4. Méthodologie
23 Cette recherche qualitative vise à observer, comprendre et interpréter le phénomène
étudié en considérant surtout son essence (Thomas & Nelson, 2002). Elle prend les
pratiques d’enseignement comme objet d’analyse pour en extraire la nature du savoir.
24 Selon Terrisse et Sauvegrain (1998), deux difficultés peuvent se présenter dans la
recherche qualitative : d'une part, préciser les raisons pour lesquelles sont recueillies
certaines données et d'autre part, affirmer les options théoriques justifiant cette
analyse et son interprétation. Dans ce cas de recherche didactique clinique, l’entretien
est l’outil prioritairement utilisé en considérant « qu’un dire permet au sujet de
soutenir les motifs de sa pratique et d’énoncer le bénéfice qu’il en retire, car toute
activité humaine devrait avoir un sens, même s’il est non su » (Terrisse & Sauvegrain
1998, p. 99).
25 Nous utilisons alors, la méthodologie temporelle de la didactique clinique : le déjà-là,
l’épreuve et l’après-coup (Terrisse, Carnus, 2009).
4. 1. Les sujets
26 Cette étude fait partie d’un projet de recherche de doctorat qui se propose d'analyser et
de comparer les pratiques d’enseignement en Sports de Combat à l’Université dans
deux pays différents : la France et le Brésil. Dans cet article, nous n'analyserons que les
pratiques d’enseignement en France et plus particulièrement une séance de deux
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professeurs enseignant dans un UFRSTAPS1. Ils travaillent dans la même université et
leurs cours font partie de la première année (tronc commun) en travaux pratiques (TP),
où il y a entre 15 et 20 étudiants par groupe. Les étudiants sont tirés au sort pour
pratiquer les trois types de sports de combat offerts par cette Université (Escrime, SBF
et Judo). Ces étudiants viennent du lycée, où d'après nos informations, ils ont eu peu
d’expérience en sports de combat dans les cours d’Education Physique et Sportive
(EPS).
27 Pour des raisons d'anonymat, nous nommerons le premier professeur, enseignant la
SBF, Roger et le deuxième professeur, enseignant l’escrime, Jean.
28 Roger a connu la SBF à la fin de ses études à l’UFRSTAPS. Il n'a pas été un combattant de
haut niveau dans cette discipline sportive, mais il a entraîné plusieurs « tireurs » de
boxe française et il a obtenu, dans ce contexte et avec ses athlètes, des titres nationaux.
Aujourd’hui, il est professeur de SBF dans l'institution où il a suivi sa formation.
29 A contrario, Jean a découvert l’escrime quand il avait 9 ans. Il a vécu le sport dans un
contexte scolaire "sport-étude" et en club. Après le bac, il a été intégré dans l’équipe de
France d’escrime (spécialité sabre), Il a effectué sa formation en sport en même temps
que celle de professeur d’EPS. Compétiteur de haut niveau jusqu'en 2004, il a été
champion olympique de sabre par équipe. Actuellement, il est professeur de sport et
maître d’armes.
4. 2. Le recueil et le traitement des données
4. 2. 1. Entretien ante-séance (accès au déjà là)
30 Selon cette méthodologie, qui privilégie la prise en compte temporelle du déroulement
des séances, nous avons débuté le recueil des données par l’entretien ante séance avec
chaque professeur afin de connaître leur déjà-la particulièrement focalisé sur leurs
intentions didactiques, leurs objectifs et leurs prévisions d'intervention. Ce déjà-là
constitue, pour nous, « le savoir lié au processus historique de son mode de
construction dont se déduit la logique de l’activité » (Terrisse, 1994). Ces entretiens ont
été fidèlement retranscrits et analysés selon une analyse de contenu telle que la décrit
Bardin (1998) : lecture flottante puis reconstruction du cas à partir des éléments les
plus saillants au regard des questions de recherche afin de substituer à l’interprétation
intuitive une interprétation construite au moyen d’une inférence. A la lecture de ces
entretiens, nous avons repéré et souligné les points les plus importants de cette
prévision pour nous préparer à l’étape suivante, c’est-à-dire, à l’observation et à
l'enregistrement vidéo des séances, en tenant compte des indications de ces deux
professeurs, ce qui constitue la deuxième phase de ce type de recueil de données que
nous nommons l'épreuve.
4. 2. 2. Enregistrements Vidéo au cours de l’épreuve
31 Lors de ce second temps de la méthodologie, nous avons choisi de filmer et
d’enregistrer les tours de paroles entre le professeur et les étudiants au cours d’une
séance afin de chaque enseignant pour suivre le déroulement de leur intention
didactique. Il s’agit de la première séance d’un total de trois, qui font partie du projet
de doctorat. Nous avons enregistré les trois dernières séances pratiques avant les
assauts, qui constituent le moment d’évaluation des acquisitions. Pour cet article, nous
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n’utiliserons que les données filmées et enregistrées de la première séance, car la
richesse de données observées a été complétée par les entretiens ante et d’après-coup.
Cette observation a permis de révéler le type de savoir enseigné en SBF et Escrime, par
ces deux professeurs, dans cette université.
32 Pour ce faire, nous avons utilisé une vidéo caméra digitale et un micro-cravate attaché
au professeur, pour bien l’entendre au moment de l'enregistrement afin de faciliter
l'écoute et la transcription de ses interventions. La camera était positionnée de manière
à filmer tous les étudiants et surtout la pratique d'enseignement du professeur.
33 Avant de commencer leur cours, ces enseignants expliquent les objectifs de la séance,
leur plan de travail et ce qu’ils attendent des étudiants. Après le cours, chaque
professeur vient relater sa séance au chercheur en la comparant à ses prévisions, sous
la forme d'entretiens post séance. Ces entretiens permettent de savoir à quel moment
et pour quelle raison ils ont changé leur planification, par exemple. Cela nous a permis
d'observer des écarts entre leur projet et leur pratique réelle, soit les savoirs
réellement transmis au cours de sa séance, ce qu'ont mis en évidence les travaux de
l'EDiC (Carnus, 2001, Buznic, 2009 ; Ben Jomaa, 2009, Heuser, 2009). Ces écarts sont
essentiels à prendre en compte pour mettre en évidence ce que révèle le cadre
théorique de l’EDiC et de mieux comprendre l’intérêt de cette option de recherche qui
ne postule pas la continuité, mais la rupture entre les intentions didactiques et
l’observation des faits réels de l’enseignant « in situ ».
4. 2. 3. Analyse des données
34 Dès l’observation in situ terminée, nous avons étudié les vidéos selon les catégories
d’analyse retenues, qui seront développées dans le point 4.3.
35 Dans un premier temps, chaque vidéo a été transcrite et nous avons fait ce que Bardin
(1998) a appelé « l’inférence individuelle » (le chercheur essaie d’extraire les contenus
latents de chaque « verbatim »). Dans un second temps, nous avons mis en évidence les
points communs et les divergences dans les discours et les pratiques selon les
catégories d'analyse et le cadre théorique.
36 Cette première analyse a contribué à la construction des entretiens d’après-coup2 qui
vont permettre de revenir sur les observations pour éclairer ce que le chercheur n'a pu
expliquer en visionnant la vidéo et ainsi confronter les intentions initiales et le
discours des professeurs avec leur pratique auprès des étudiants.
4. 3. Entretien d’après-coup
37 Nous terminons le recueil de données par un entretien d’après-coup qui permet aux
enseignants de revenir sur leurs pratiques et d’analyser leurs choix d’enseignement,
dans le but d’en extraire les raisons. Ce troisième temps de la méthodologie permet aux
enseignants de reconstruire le sens de leurs choix par le remaniement des traces
mnésiques de l’expérience. Cette reconstruction, confrontée aux hypothèses ou
intuitions du chercheur, permet d’accéder aux causes des choix et à la part insu dans
l’élaboration des contenus d’enseignement.
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4. 4. Les catégories d’analyse de la pratique d'enseignement des
sports de combat
38 Pour différencier les aspects didactiques des aspects pratiques chez les enseignants,
nous avons choisi des catégories d’analyse déjà utilisées dans d'autres travaux sur
l’enseignement de l'EPS et l’enseignement des sports de combat et qui sont
particulièrement heuristiques (Loizon, Margnes, Terrisse, 2004 ; Gomes et al. 2010). En
étudiant les discours des professeurs, les séances observés et l’entretien d’après-coup,
nous avons essayé d'extraire les contenus qui répondent aux objectifs de la recherche,
selon les catégories, qui caractérisent le traitement didactique de chaque professeur
analysé.
4. 4. 1. Le processus de dévolution : analyseur des pratiques
39 Selon Brousseau (1998) « la dévolution désigne l’ensemble des actions de l’enseignant
visant à rendre l’élève responsable de la résolution d’un problème » (p. 303). Dans ce
cas, les étudiants prennent la responsabilité de la tâche (Reuter, 2007). Cette catégorie
d’analyse permet au chercheur de savoir si l'enseignant a envisagé la prise en charge
du savoir par les étudiants au travers la nature de tâches qu’il met en oeuvre. Pour
cette raison, les indicateurs pour observer le processus de dévolution sont à référer à la
différence que fait Famose entre tâches définies et tâches non ou semi définies (Famose,
1983).
40 Selon ces tâches différentes, nous analyserons si l'étudiant doit prendre des initiatives
visant à s'approprier le savoir comme réduire la distance de combat pour toucher
l'adversaire ou au contraire, attendre l'attaque pour mieux riposter.
4. 4. 2. Les variables didactiques
41 Loizon, Margnes, Terrisse (2004) définissent, après Brousseau, le concept de variables
didactiques comme « les éléments constitutifs des situations d’enseignement
identifiables sous forme de contraintes sur lesquelles l’enseignant peut agir en fixant
les valeurs afin de conduire l’élève vers un apprentissage donné » (p.70)3. Cet outil nous
permet de reconnaître un traitement didactique de la part de ces professeurs lorsqu'ils
manipulent ces variables afin de faciliter l'apprentissage des étudiants, comme la
modification de la distance de garde, la vitesse de réaction de l'attaqué ou le
changement d'adversaire. Nous intégrons également dans cette catégorie le rapport de
force, la répétition décontextualisée et l’arbitrage.
4. 4. 2. 1. Le rapport de force
42 On peut observer dans certains manuels d'enseignement des sports de combat, en
escrime et en SBF, une option de traitement décontextualisée des savoirs sous la forme
de coopération (comme transmettre les Katas, formes de corps répertoriées), ou bien
une option d'enseignement plus frontale, en utilisant l’opposition à autrui, ce qui est,
d'après la plupart des experts, le savoir fondamental à transmettre. Ainsi, le traitement
didactique consiste-t-il à articuler les deux formes de rapport, entre une dialectique
entre la coopération et l’opposition ou proposer une forme d’enseignement
décontextualisée. Ainsi, la nature du rapport de force devient-il une variable didactique
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dans la mesure où plusieurs modalités peuvent être envisagées : soit une coopération,
soit une opposition entre les deux opposants. Cette différence est fondamentale dans
l'enseignement des sports de combat (Terrisse, 1991).
4. 4. 2. 2. La répétition décontextualisée
43 Cette modalité correspond à la reproduction des mouvements sous la forme d'une
automatisation, ce qui est le contraire d'une forme d'enseignement « dialectique », où
est prise en compte la situation d'affrontement, où les rôles ne sont pas définis à
l'avance. Cette tendance est une des formes d'enseignement historiquement datée,
mais souvent encore utilisée. La répétition est dite décontextualisée dans la mesure où
elle est sortie de son contexte d'opposition et elle est ramenée à une coopération, sortie
de son contexte de rapport de force.
4. 4. 2. 3 L'arbitrage
44 Dans l'observation de séances d'enseignement des sports de combat, nous avons
observé que des aspects formels de l’activité, comme les règles d'arbitrage sont
quelquefois valorisées par l'enseignant qui met l’accent sur un savoir "réglementaire",
savoir nécessaire pour organiser les combats (Margnes, 1996). Ce savoir, fondamental
en combat, est plus ou moins valorisé selon les enseignants. S'il est indispensable à la
pratique, il peut devenir pour certains enseignants un "savoir à savoir" (Chevallard,
1985). La question de l'arbitrage est pertinente comme variable didactique, car
proposer aux étudiants d'arbitrer est une question didactique dans la mesure où cette
solution permet d'intégrer les normes, les règles et les valeurs de l'APSA et surtout
devient un moyen, pour l'enseignant, de donner un sens aux situations qu'il propose.
Émettre un jugement sur une confrontation devient alors un moyen d'évaluer in situ les
apprentissages visés.
5. Principaux résultats
45 L’analyse des pratiques de chaque professeur a été effectuée à travers les catégories
d’analyse décrites ci-dessus, qui révèlent comment les professeurs transmettent le
savoir combattre en identifiant si leur démarche mobilise plutôt sur les savoirs de la
pratique, pour la pratique ou par la pratique. Ces catégories se configurent sous la
forme de caractéristiques didactiques qui peuvent être présentes dans l’enseignement
de chaque professeur analysé. Elles nous ont permis d'observer les séances et de voir la
différence de traitement didactique chez les deux professeurs observés.
5. 1. Analyses des entretiens ante
5. 1. 1. Roger en Savate Boxe Française
46 Pendant l’entretien ante-séance, Roger nous dit que les étudiants vont travailler la
technique. Toutefois, il leur demande de faire attention aux éléments surtout tactiques
(déplacements, parades, esquives). Quand il laisse les étudiants choisir ce qui est le plus
intéressant pour eux, il laisse la technique surgir comme une réponse aux exigences du
combat.
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5. 1. 2. Jean en Escrime
47 Pendant l’entretien ante-séance, Jean annonce que ses objectifs sont de travailler sur
les niveaux de défense en escrime pour augmenter le potentiel d’attaque et de défense
chez les étudiants. Il veut organiser une révision « d’une mise en activation » et
automatiser le déplacement, la prise d’information et la coordination des étudiants. Il
semble que ses objectifs, dans le cas de cette séance, vont plutôt vers la répétition,
puisque l’automatisation est directement articulée à la répétition, contextualisée ou
non.
5. 2. Analyse des pratiques au temps de l’épreuve
5. 2. 1. Analyse de la pratique en SBF
48 La séance analysée est une des dernières séances pratiques du cycle du deuxième
semestre. Nous l’avons choisi parce que les étudiants ont déjà vécu plusieurs heures
dans chaque activité. Cette observation peut rendre compte des écarts entre le discours
et la pratique du professeur. Selon les objectifs exposés par Roger pendant l’entretien
ante-séance, son intention est d’insister sur l’introduction de la notion de feintes et de
rythme. Il veut « retravailler les enchaînements pied-poing-poing-pied et revenir sur
l’esquive (rotative et sur place) ». (Entretien ante-séance SBF)
49 Au début de la séance, Roger demande à un des étudiants de prendre en charge
l’échauffement, qui est un échauffement général sans rapport particulier avec ses
objectifs. Le professeur revient sur ce qu’il a travaillé la dernière fois et commence les
activités en partageant les étudiants en binômes. Il les met dans un rapport de force,
c’est-à-dire face à face, dans un mini ring et leur donne quelques consignes pour mettre
l’accent sur ce qu’il veut travailler dans le cours, soit l'enchaînement :
“Donc le tireur A attaque, crochet, swing au revers et le tireur B esquive. Je n’ai pasdit « pare ». Vous ne parez que lorsque vous n’avez pas d’autres choix. Donc lapriorité, c’est d'éviter de se faire toucher et de pouvoir enchainer le plus vitepossible. Donc on enchaîne par un enchainement libre pied poings ou poings piedsde son choix, mais le but, c’est de pouvoir anticiper.” (SBF-Séance)
50 Roger donne des consignes en expliquant les actions à réaliser qu’il souhaite. Par
contre, il laisse les étudiants choisir de les utiliser ou pas. Il semble vouloir leur faire
comprendre que la logique du combat détermine le moment d’utiliser les techniques.
Quand il met ses étudiants en opposition, ils sont obligés de trouver le moment
d’utiliser les techniques spécifiques.
51 Toutes les trois ou quatre minutes, il change soit les consignes, soit les rôles, soit les
partenaires. Nous observons donc de sa part une manipulation évidente des variables
didactiques que sont les rôles ou les adversaires dans le rapport d’opposition. Toute la
séance se déroule avec les étudiants en situation semi-définie d’opposition (Famose,
1983) et même s’il donne souvent des explications de nature biomécanique, il précise
que c’est pour mieux répondre aux problèmes qu’il leur a posés. Cela semble montrer
que pour lui, la technique est au service de la tactique : « le mouvement de la feinte, le
début du mouvement est lent, d’accord, et ensuite on l’accélère pour toucher. » (SBF-
Séance). Nous constatons un entrelacement des savoirs, dans la mesure où le savoir
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54
pour la pratique (plutôt technique) se mélange avec le savoir par la pratique (la
tactique dans le combat).
52 Roger insiste d'ailleurs plusieurs fois sur ce savoir important pour lui qu'est la liaison
technique/ tactique. Il corrige les mouvements selon le comportement de l’adversaire
en contexte dans le rapport de force. Il fait attention à la technique. Par contre, comme
il met les étudiants en situation d’opposition, il ne sépare pas les aspects techniques des
aspects tactiques, notamment quand il parle d’un mouvement spécifique : “On fait
attention aux déplacements, aux parades et aux esquives. Dans ce cas-là, regarde tu ne
peux pas à la fois esquiver et parer. Soit tu bloques et tu rentres mais tu (ne) fais pas
une (…) là c’est une réaction de … c’est un réflexe. Donc tu bloques et tu rentres. C’est à
toi de faire ce choix”. (SBF-Séance)
53 Dans cette séance, on observe essentiellement un enseignement tactique par la mise en
place d'une opposition. Cela correspond au savoir par la pratique, car les réponses
apparaissent en fonction de l‘incertitude du combat, que met en œuvre la situation
didactique. On observe la transformation du savoir d’expert par le processus de
dévolution.
“Riposte, la riposte, donc ce que je veux si je vous demande de travailler en lignebasse, c’est pour pouvoir faire une esquive partielle, c’est à dire (un) déplacementde l’appui, soit à droite soit à gauche donc à vous de trouver la solution.” (SBF-Séance)
54 Il insiste sur le travail tactique en demandant aux étudiants d'utiliser toutes les
techniques qu’ils connaissent, selon les mouvements du combat, le rythme, le
déplacement, la garde et pendant des situations d’assaut. Il leur dit : « à vous de trouver
la solution ». Les réponses de l’activité viennent des étudiants, pas du professeur, cela
concerne à nouveau le processus de dévolution (Brousseau, 1998) et le savoir par la
pratique, dans la mesure où le savoir combattre est rendu accessible aux étudiants par
les situations proposées.
55 Par rapport à l’entretien ante-séance, il semble qu’il a réussi à travailler ce qu’il a
proposé et sa méthode insiste surtout sur la technique au service de la tactique. Par
conséquent, pour lui, les techniques sont des outils pour être utilisés en réponse aux
imprévus du combat. Le savoir combattre qu’il essaie de transmettre est surtout un
savoir à s'approprier par la pratique, mais dont les analyses serviront pour la pratique.
5. 2. 2. Analyse de la pratique en escrime de Jean
56 Jean commence cette séance par un échauffement qui est conduit par un des étudiants
et pour lequel il fait quelques corrections par rapport à la biomécanique sous la forme
de jogging et d'étirements, sans rapport apparent avec les objectifs de la séance, à
l’instar de Roger. Nous observons que les premières vingt-cinq minutes sont organisées
sans la mise en place d'un rapport de force, alors que cette variable nous apparaît
inséparable de l’enseignement du savoir combattre.
57 L’enseignant met les étudiants en ligne, pour qu'ils puissent agir selon les signaux du
professeur : “Voilà, double marche au signal, près ? Ok, deux retraites après. Oui c’est
pas mal. Même chose à gauche. Ok, marche et fente ! Prêts ? Ok, c’est la première,
maintenant petit changement de rythme, marchez, attention à la vitesse à la fin.”
(Escrime – séance)
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55
58 Nous pouvons noter qu’il demande aux étudiants une synchronisation des techniques
en réalisant les mêmes mouvements que ceux qu'il a lui-même montrés. A ce moment-
là, Il n’y a pas de rapport de force comme dans la séance de SBF. Il insiste sur la
répétition décontextualisée des mouvements pendant la première partie du cours.
Selon cet enseignant, le plus important est d’automatiser les mouvements d’escrime. La
notion de savoir combattre selon les intentions tactiques des adversaires n’est pas mise
en scène, car le savoir visé dans ces tâches est plutôt un savoir de la pratique : “Un seul
signal. Ce qui m’intéresse, c’est que vous soyez tous synchronisés les uns par rapport
aux autres. On doit voir une ligne commencer au bout du match et s'arrêter, une ligne
commencer l’attaque et terminer en même temps. A vous de vous synchroniser sur les
rythmes des uns par rapport aux autres. Prêts ? Même chose mais je veux voir une
seule ligne, ready ?” (Escrime – séance)
59 Jean explique aux étudiants que le but des exercices est de travailler la coordination, la
posture et l’automatisation du déplacement (la technique). Après ces explications, il
précise les différents niveaux de défense. A chaque explication, il réunit les étudiants,
fait une démonstration lui-même et leur demande de la répéter : “Vous (vous)
rapprochez s’il vous plaît ? Vous venez vous asseoir ici, et il me faut une personne pour
faire quelques touches avec moi là, qui se dévoue ? Romain, très bien.” (Escrime –
séance). Nous observons le fait que Jean met des étudiants en opposition, mais sans
effectivement induire un rapport de force. Son orientation d’enseignement vise la
coopération, dans la mesure où les situations sont peu saturées en incertitude (tâches
définies). Même dans le face à face, l’exercice est prévisible, puisque chaque étudiant a
un rôle déterminé. “Ok, alors pour commencer, vous allez observer, d'accord, il y aura
trois séquences de travail avant d'attaquer les matches, un attaquant, un défenseur.
Ton objectif pour toi, ton but, tu donnes le signal puisque tu es le dominant, d'accord
on est aux limites du départ, ton objectif à toi c'est de venir me toucher en double
marche et fente quand je m'arrête. Vous regardez, je vais vous proposer, il y a cinq
niveaux de défense, pour l'instant je vais vous en proposer deux" (Escrime – séance).
60 Ainsi, la logique de l’escrime appelle-t-elle un enseignement distinct de la SBF, puisqu'il
y a un rôle dominant et un autre dominé règlementés par la phrase d’arme dans le
combat. Cela peut justifier le choix du professeur d’enseigner plutôt un savoir orienté
vers la répétition technique (savoir de la pratique) au lieu d'un savoir par la pratique,
avec les éléments d’incertitude, présents dans le rapport de force.
61 La fin de la séance est organisée sous forme de match : deux étudiants en combat et
deux autres en arbitrage (un arbitre principal et un assistant). Le rapport de force est
libre, puisqu'il propose les combats formels, selon les règles de l’escrime. Dans ce cas, il
manipule la variable didactique de l’arbitrage, en exigeant une posture formelle et
sérieuse des étudiants, comme il l’indique dans l’extrait d’échanges entre le professeur
et les étudiants : « ce que m’intéresse moi ce ne sont pas les victoires. Par contre ce qui
m’intéresse là, c'est que vous travailliez déjà les principes d'attaque, c’est-à-dire la
distance, l'attaque en double marche et fente et de temps en temps une attaque en
marche et fente, attention, une attaque en marche et fente ». (Escrime – séance).
62 Dans cette extrait professeur/étudiants, selon le point de vue du professeur, il est
important d’avoir un arbitre qui puisse observer la position dominant-dominé dans le
combat. Ainsi, le rapport de force au sabre n’est-elle jamais libre, puisqu'il a toujours
un rôle déterminé à chaque point marqué. Cet aspect sera davantage développé plus
tard.
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63 Dans le déroulement de la séance Jean insiste sur les principes d’attaque. Cela apparaît
comme une priorité pour lui. Il leur demande aussi quelques combinaisons de gestes. Il
met les étudiants en situation de combat, mais le gain ne l'intéresse pas. Par contre,
pour développer les « matches », le professeur insiste surtout sur l’arbitrage des
étudiants : « Voilà, au niveau de l’arbitrage : un arbitre, un accesseur, voire deux
accesseurs avec les blessés. L’arbitre, ce que j’attends ici, si ça marche bien je corrigerai
vos phrases d’armes. » (Escrime – séance).
64 Nous observons que Jean utilise deux variables didactiques, le rapport de force et
l’arbitrage. Les étudiants au cours des matches auront la possibilité de mobiliser le
savoir technique appris et le combat lui-même pour faire surgir l’intention tactique,
présente seulement dans un enseignement par opposition. Par contre, les étudiants
avec le rôle d’arbitrage ont une mission très spécifique, alors qu’ils apprennent les
phrases d’armes et la terminologie proposée dans le règlement. En définitive, Jean
propose majoritairement des tâches définies (travail de la technique) et semi définies
(situation de matches en fin de séance).
65 Dans son bilan de la séance, Jean observe « qu’au niveau de l’attaque, cela avance » et
« qu’au niveau de la défense, cela commence à se mettre en place ». En ce qui concerne
le savoir par la pratique (attaquer et défendre), il semble penser que ses étudiants sont
sur la bonne voie.
66 Toutefois, nous n'avons pas observé une avancée du savoir combattre dans cette
séance, Il précise encore qu'il leur manque également « beaucoup de choses,
notamment de la qualité physique ». Jean signale que, pour lui, il est important d’avoir
une bonne qualité physique pour pouvoir exécuter les exercices d’escrime qu’il propose
dans ses cours. Il complète en disant que dans les prochaines séances, son but sera de
travailler la tactique (action-réaction).
6. Etude comparative des deux cas
67 Au regard de notre objet de recherche, qui consiste à analyser le poids de l’expérience
sur l’enseignement, nous avons constaté des différences sensibles chez ces deux
professeurs. Roger enseigne plutôt des savoirs par la pratique et pour la pratique en
stimulant les réponses des étudiants aux problèmes du combat, au travers le processus
de la dévolution, de la manipulation des variables didactiques et notamment du rapport
de force : « J’essaie de varier au maximum le nombre d’adversaires pour que l’élève
s’adapte (…). C’est l’assaut, où là pour moi c’est le retour sur mon enseignement »
(Entretien d’après-coup SBF).
68 Nous pouvons observer une forme caractéristique de transposition didactique chez
Roger (SBF), c’est-à-dire qu’il transforme le savoir de la pratique en savoir pour et par
la pratique. Les techniques qu’il a enseignées dans les séances antérieures et qu’il a
chaque fois corrigées chez les étudiants, correspondent au savoir pour la pratique sous
la forme des contenus qu’il a choisi de travailler pour leur formation future.
69 Les catégories d'analyse que sont le rapport de force et la dévolution ont pour objectif
d'introduire l’incertitude, terme qu'utilise d'ailleurs Roger à double reprise dans
l'entretien d'après coup. Il précise : « Je travaille avec beaucoup plus d’incertitude et
c’est à eux de construire ». D'après lui, les étudiants ne sauront combattre que s’ils
savent travailler à partir de la notion d’incertitude. « Plus on arrive au bon niveau dans
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l’activité, plus on arrive à se faire plaisir en adaptant sa boxe à l’adversaire ». Le bon
niveau selon ce professeur, c’est la capacité de « répondre, échanger, communiquer
avec l’adversaire, en y ajoutant à chaque fois beaucoup plus d’incertitude », c’est « le
plaisir à équilibrer le rapport de force, qui est omniprésent ». (Entretien d’après-coup
SBF). Pour Roger, enseigner le savoir combattre, c’est introduire l’incertitude à travers
des situations de combat, qui comprennent plus d’opposition. Cela concerne le savoir
par la pratique, où l’intention tactique émerge des étudiants, au moment du combat, en
répondant à sa logique.
70 Jean enseigne plutôt des savoirs de la pratique et pour la pratique, c’est-à-dire qu’il met
l’accent sur la reproduction des techniques décontextualisées, sur l’arbitrage formel et
il utilise des situations d’opposition avec des rôles déterminés.
71 Cette forme de transposition s'observe plus par des transformations des contenus
didactiques sous la forme de répétition des mouvements et un peu moins par la
manipulation du rapport de force. Il enseigne les savoirs de l’escrime dans la séance,
mais il ne semble pas enseigner l’essence du savoir combattre, soit le rapport de force.
Dans l’entretien d’après-coup, en caractérisant sa démarche, il précise que dans son
cycle il associe la connaissance des disciplines biologiques avec une connaissance qu’il
appelle globale et qui n’est pas seulement technique, comme peut l’être
traditionnellement l’escrime. Son intention semble donc de réunir les connaissances
biologiques, la pédagogie et la didactique. « Je suis sur une méthode globale et je fais
des apprentissages concernés nécessaires pour la pédagogie et la didactique ».
(Entretien d’après-coup escrime).
72 Le discours de Jean sur le cycle est différent de ce qu’il fait dans la séance observée.
Dans la séance que nous avons analysée, Jean nous dit que les étudiants ne possèdent
pas les qualités physiques pour exécuter les exercices. Les éléments biologiques sont
très importants pour lui (quand il dit par exemple qu'il manque des « qualités
physiques chez les étudiants pour exécuter les activités »). Les apprentissages vont
plutôt vers l’automatisation et la répétition des techniques. Pendant la séance, les
techniques ont été décontextualisées, alors qu'en opposition, le principe de
l’incertitude est peu développé, contrairement à Roger.
73 Dans le cours de Jean que nous avons observé, les étudiants ont été mis dans des tâches
décontextualisées en réponse aux commandes du professeur et en duo avec des rôles
déterminés. Dans d'autres tâches comme, pendant les matches, Jean a mis davantage
l’accent sur l’arbitrage : « Si je n’ai pas d’arbitre, je ne peux pas avoir de matches » et
sur la priorité d’attaque de chaque combattant : « Donc le but pour le dominé, c’est
d’essayer de trouver un moyen pour renverser le rapport dominant-dominé ».
(Entretien d’après-coup escrime)
74 Quand nous interrogeons Roger sur les raisons de son choix du sabre, il confirme
l’hypothèse que son histoire personnelle - particulièrement son déjà-là expérientiel - a
influencé sa conception d’enseignement. « Oui, que le sabre. Pourquoi ? Parce que moi
je suis sabreur déjà à la base et c’est l’arme la plus riche et la plus facile pour démarrer
et s’amuser ». (Entretien d’après-coup escrime).
75 Donc, dans cette Université, Jean n'enseigne que le sabre. Au début de la recherche,
nous pensions que c’était parce qu'il considérait le sabre plus riche. En fait, il explique
pendant l'entretien d’après-coup qu’il enseigne seulement le sabre parce qu'il a été un
sabreur d'un haut niveau, donnée qui conforte notre hypothèse. Il semble alors que
l’expérience personnelle du professeur est directement liée aux contenus de l’APSA
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58
qu’il transmet dans ce cas précis, en rapport avec la notion de conversion didactique
développé dans l’article (Cf : paragraphe concerné dans l’article).
76 Cette étude fait également émerger des différences entre technique et tactique entre
les deux enseignants qui justifient l'utilisation qu’ils en font. Alors que pour Jean la
technique est transmise comme élément fondamental de l'activité et qu’il appartient à
l'étudiant de gérer lui-même la situation d'opposition, pour Roger, la technique est le
plus souvent transmise dans une situation d'affrontement comme moyen de résoudre,
in situ, le rapport de force entre deux opposants. Ainsi, parade et riposte peuvent être
envisagées séparément, sans opposition, ou bien transmises comme indispensables à
l'établissement du rapport de force.
7. Analyse des résultats : les raisons présumées desdifférences constatées
7. 1. La différence de trajectoire et de formation
77 Roger nous informe avoir appris cette activité à l’Université et n'a pas de passé de
compétiteur. Il essaie de transmettre un savoir significatif pour que ses étudiants
puissent avoir un ensemble d'éléments de SBF leur permettant d'enseigner eux-mêmes
cette activité en EPS et peut être dans les clubs. « Je n’ai pas une vision sportive de haut
niveau de l’activité (…) C’est vrai que j’ai un regard qui n’est pas uniquement axé sur un
passé de combattant qui est chez moi assez minime ». (Entretien d’après-coup SBF).
78 Jean a été lui aussi professeur d’EPS en même temps qu'il a été compétiteur (champion
olympique de sabre en équipe). Il a construit sa méthode en utilisant ce qu’il a vécu
comme enseignant, mais aussi et surtout comme sportif de haut niveau en tant que
sabreur. Nous faisons l’hypothèse que sa conception garde beaucoup de la tradition très
ancienne de l’activité et qu'il essaie plutôt de transmettre un savoir corporel orienté
vers l’exécution des techniques d’escrime qu'un savoir enseignable à d'autres. « Oui, j’ai
trouvé un sens de pourquoi m’entraîner. Ça vient du haut niveau, de la performance »
(Entretien d’après-coup escrime).
7. 2. L’escrime et la Savate Boxe Française : deux activités
physiques différentes
79 La spécificité de chaque activité peut également influencer le traitement didactique de
ces professeurs. En effet, la dynamique de la SBF est différente de l’escrime, et dans
l’escrime il a encore des différences entre l’épée, le fleuret et le sabre.
80 Jean est un sabreur et sa pratique ne concerne que les éléments du sabre. Dans la
convention du sabre, le tireur qui touche en premier n’est pas obligatoirement celui qui
emporte le point (Capoani, d’Ares, 2010). La touche se donne selon un principe de
priorité. Le tireur qui exécute correctement l’attaque (c'est-à-dire l’action offensive
initiale) a la priorité sur toute autre action et emporte le point. Le tireur attaqué n’a
d’autre solution que de parer l’attaque et de riposter ou de profiter d’une mauvaise
exécution de l’attaque pour reprendre la priorité (Capoani, d’Ares, 2010). Cette
dynamique est notamment distincte de la logique du rapport de force, dans la mesure
où il n’y a pas d’actions d’attaque et défense simultanément. Pour respecter les
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principes du sabre, Jean peut se trouver limité pour proposer un rapport de force aux
étudiants, puisque dans les règles du sabre, il manque un principe conditionnel
(l’attaque-défense simultanée).
81 Le sabre (comme le fleuret) peut être considéré comme une activité moins imprévue
que l’épée où il n’y a pas ce type de priorité, ce qui explique les raisons pour lesquelles
le professeur d’escrime préserve surtout le savoir de la pratique, compte tenu des
risques encourus.
82 La SBF, par contre, répond à tous les principes conditionnels (Gomes, 2008) et
notamment l’attaque et défense simultanées puis l’incertitude. Cela donne aux
professeurs la possibilité de manipuler un rapport de force et d'autres variables
didactiques et d’enseigner le savoir combattre en stimulant l’intention tactique, tel que
proposé par Terrisse et al (1995). L’absence d’une arme permet une diversité de choix
didactiques concernant l’espace, les matériels, la distance, les coups de poings, des
pieds et la logique du combat de la SBF.
83 Dans cette recherche, l’analyse didactique effectuée ne peut faire l’impasse sur la
différence de nature de ces deux activités.
8. Conclusions
84 L’analyse des résultats a montré une grande différence d’enseignement chez ces deux
professeurs : Roger (SBF) et Jean (escrime). Les choix et les intentions didactiques de
chaque professeur ont été entendus sous la forme d’entretien ante-séance en
reconstruisant leurs intentions didactiques relatives au savoir à enseigner. Cela nous a
permis d'observer que chaque professeur fait ses choix didactiques par rapport à ce
qu’il a vécu, soit comme combattant, soit comme étudiant en STAPS (sa formation).
C’est de cette manière que le savoir de la pratique est incorporé par chacun.
85 Pendant les enregistrements vidéo et audio des séances, nous avons observé le savoir
enseigné, au moment de l’épreuve, où le professeur met en place son choix, pour
rendre enseignable le savoir de la pratique aux étudiants au travers d’un processus de
« conversion didactique » (Buznic, 2009). A cette étape-là, nous avons constaté que le
passé d’étudiant en STAPS de Roger (SBF), comme la nature de l’activité de la SBF l’ont
induit, plus ou moins consciemment, à construire une stratégie d’enseignement
principalement orientée vers un savoir par la pratique et pour la pratique, vers
l’appropriation du savoir combattre, à travers de l’opposition.
86 De manière contrastée, Jean, au travers de la séance analysée, a montré que même en
ayant l’intention d’une stratégie plus globale et moins guidée vers la pure technique,
son passé de compétiteur et surtout la nature de l'arme (le sabre), l’amènent plus ou
moins à son insu à transmettre un savoir de la pratique pour la pratique, enseigné sur
le même modèle que celui qui lui a été enseigné (Brau-Anthony, 1998).
87 Les catégories d'analyse ont été des outils pour rendre compte de l'enseignement et
contribuent à la compréhension de la conversion didactique à l’œuvre dans les deux
enseignements. Dans les entretiens d’après-coup, la possibilité de revenir à certains
moments sur l'enseignement, nous a permis de confirmer nos hypothèses et de
confronter les intentions des professeurs avec ce qu’ils ont réellement enseigné.
88 L’analyse de pratiques d’enseignement des Sports de Combat dans cette Université
indique qu'en STAPS, ces professeurs de SBF et d’escrime enseignent le savoir
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combattre de façon différente, selon les spécificités de chacun (leur formation, leurs
conceptions de l’APSA, leurs expériences personnelles et professionnelles, leurs
intentions) et de chaque activité physique enseignée, alors qu'ils sont dans la même
institution et qu'ils ont les mêmes étudiants. Cette étude souligne la pertinence d’un
regard clinique en didactique de l’EPS qui – au-delà des assujettissements
institutionnels, officiels et personnels (Chevallard, 1989) – repose sur la prise en
compte de la singularité des sujets et sur l’influence de leur trajectoire personnelle sur
leurs choix didactiques.
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Verret, M. (1975). Le temps des Etudes. Paris : H. Champion.
NOTES
1. Le chercheur a choisi de travailler avec ces deux enseignants à partir d'une information
donnée par l'un d'entre eux dans une réunion de travail de l'équipe de recherche qui a dirigé ces
travaux. Il a eu connaissance du parcours des deux enseignants grâce à des entretiens ante qui
ont pour objectif de connaître les origines de leur formation et leur projet d'intervention.
2. En didactique clinique, l’entretien d'après coup permet de revenir sur le déroulé de la séance
et de mettre en perspectives les intentions des enseignants avec la réalité de la séance observée.
3. Entre savoir et variable, il existe une différence notable dans la mesure où l'utilisation d'une
variable a, normalement, pour effet de produire du savoir, notamment du « savoir combattre ».
RÉSUMÉS
Cette recherche se propose d'analyser deux enseignements de sports de combat différents,
l'escrime et la savate boxe française (SBF), destinés aux étudiants de la même Unité de Formation
et de Recherche en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (UFRSTAPS), pour
en décrire la logique différentielle. La question de recherche porte sur la nature des différences
constatées en terme de traitement de ces activités du point de vue de deux enseignants singuliers
par leur passé de sportif et leur formation. Certes, ces deux activités sont différentes par leur
histoire et leur contenu, bien que faisant partie toutes les deux de la catégorie des sports de
combat. Ce que la recherche tente de mettre en évidence porte davantage sur les raisons de cette
différence de traitement, soit leur expérience en tant que pratiquant ou en tant qu'enseignant, ce
que mettent en exergue les travaux de l'Equipe de recherche en Didactique Clinique de
l’Education Physique et Sportive (EDiC) et son cadre théorique de la didactique clinique (Carnus &
Terrisse, 2013).
Pour y parvenir, nous avons tenté de définir le « savoir combattre » que le professeur peut
transmettre dans ces activités, en utilisant des catégories d'analyse de la pratique
d'enseignement des sports de combat qui nous permettent de différencier les formes didactiques,
comme le processus de dévolution et certaines variables didactiques, le rapport de force, la
répétition décontextualisée du rapport de force et l’arbitrage. Nous avons alors observé que la
différence de formation de ces deux enseignants dans le domaine sportif et à l'Université a pesé
sur les raisons d'un enseignement différent de Jean (Escrime) et de Roger (SBF). Cette recherche
met en évidence le fait que chaque professeur fait ses choix en fonction de ce qu’il a vécu, soit
comme pratiquant, soit comme étudiant en STAPS, soit encore comme professeur.
This study aims to analyse two different combat sports professors, one for Fencing and the other
for Savate French Boxing (SBF), to students from the same university in France in the Unit of
Formation and Research in Sciences and Techniques of Physical and Sportive Activities
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(UFRSTAPS), to describe their differential logic. The research question is about the nature of the
differences observed in terms of treatment of this activities according to the point of view of the
two singular professors and their sportive background. Clearly these activities are different in
what concerns history and content, but both are part of the combat sports spectrum. What this
research tries to put in evidence is the reasons that explain this difference in treatment, either
their experience as competitors or as teachers, what embraces the work of the Team of Research
in Clinic Didactiques in Physical and Sportive Education (EDiC) and its theoretical framework
(Carnus & Terrisse, 2013).
To achieve that, we tried to define the fighting knowledge (savoir combattre) that the teacher
can transmit in this activities, by using categories of analysis of the teaching practice, such as the
devolution process and other didactique variables (opposition relationship, decontextualized
repetition and arbitration).
We observed that the difference concerning the sportive background of the professors has
influence in the reasons why Jean (Fencing) and Roger (SBF) teach in different ways in the same
domain. Thus, this research puts in evidence the fact that each professor makes his own choice
according to what he has experienced either as a practitioner, Physical Education student or as a
teacher.
INDEX
Mots-clés : didactique clinique, sports de combat, vécu sportif, pratiques d’enseignement
Keywords : clinical didactics, combat sports, sportive background, teaching practices
AUTEURS
MARIANA S.P. GOMES
Laboratoire d’Education Physique Adaptée, Faculté d’Education Physique - Université de
Campinas, Brésil
MARIE FRANCE CARNUS
UMR-EFTS, – Université Toulouse Jean Jaurès, France
ANDRÉ TERRISSE
UMR-EFTS, – Université Toulouse Jean Jaurès, France
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Comparer les manières d’enseignerles activités de fitness dans uneperspective « d’inclusion » : étudesde cas en lycée professionnel enFrance et en SuèdeThe generic feature that goes through the observed practices underscores a
common purpose for increasing student physical engagement in the tasks.
Within specific modalities at each site, this purpose is unfortunately
accompanied by a poor significance of the knowledge studied: In a word far
away from a real ‘epistemic inclusive education’
Emmanuelle Forest et Chantal Amade-Escot
1 L’étude présentée dans cet article est issue d’un projet de recherche international
intitulé « Teaching traditions and learning » (TTL) financé par le Swedish Educational
Research Council. Le projet, fondé sur approche de didactique comparée, visait à mettre
en lumière les liens entre manières d’enseigner et d’apprendre dans l’enseignement des
sciences et de l’éducation physique en Suède, en France et en Suisse. Pour ce qui
concerne l’éducation physique, la visée est de comparer les pratiques didactiques de
professeurs en relation avec chacun des curriculums nationaux et les traditions
d’enseignement qui s’y rattachent afin de dégager de possibles spécificités ou
généricités susceptibles d’expliquer certaines formes d’exclusion scolaire rencontrée
par les élèves dans l’enseignement professionnel du secondaire supérieur (Jellab, 2005).
Dans le cadre de cet article, nous ne présentons qu’une partie de l’étude empirique
(Forest, 2017) ; elle concerne deux séances de fitness, l’une en France, l’autre en Suède,
dans deux écoles professionnelles (pour faciliter la lecture nous utiliserons le terme
générique de « lycée professionnel »). Nous cherchons à décrire comment les
enseignants d’éducation physique au sein de leur classe, développent (ou non) des
pratiques inclusives identifiées à travers l’analyse de transactions didactiques.
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1. Problématique de recherche : interroger lespratiques didactiques d’inclusion scolaire enéducation physique en lycée professionnel
2 Si la notion d’inclusion a souvent été associée au handicap, aux besoins éducatifs
particuliers ou spécifiques et plus récemment à des problématiques sociétales comme le
décrochage scolaire, la loi française de refondation de l’école du 8 juillet 2013 permet
d’élargir ces notions : « Le service public reconnait que tous les enfants partagent la
capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants,
sans distinction ». Ainsi l’école inclusive, définie comme intégratrice et formatrice, doit
permettre à chaque enfant de devenir élève et à chaque élève de devenir qualifié
(Journal Officiel du 9 juillet 2013). Cette thématique élargie de l’inclusion scolaire est
d’actualité en Europe, comme en témoigne la récente conférence européenne sur la
recherche en éducation dont le thème, en 2018, était « Inclusion and exclusion, resources
for educational research » (ECER, 2018).
3 La notion d’inclusion est complexe et ses définitions ont varié dans le temps. Les débats
ont porté sur les rapports entre inclusion et intégration. L’intégration, définie par la
présence physique des élèves, est subordonnée à la capacité de ces derniers à s’adapter
à l’enseignement proposé (Benoit, 2012) ; l’inclusion est caractérisée par « une
appartenance entière à une communauté scolaire » (Bataille et Midelet, 2014, p. 8).
L’inclusion scolaire, concept issu de la littérature anglo-saxonne au cours des années
2000 souligne que l’école doit se transformer pour s’adapter aux besoins éducatifs
particuliers de chacun et permettre à tous d’y prendre place et d’y réussir (Ministère
Education Nationale, 2016). En EPS, cette définition est reprise par Montaud et Amans-
Passaga (2018) qui, à partir d’une analyse didactique de pratiques d’EPS concernant des
élèves en surcharge pondérale, défendent l’idée d’une « inclusion épistémique » (p.103)
caractérisée par une logique d’accessibilité aux savoirs et le maintien d’objectifs
disciplinaires exigeants. En accord avec ces auteurs, la notion d’inclusion prend, dans
cet article un sens épistémique relatif aux savoirs enseignés en EPS dans les lycées
professionnels où, trop souvent selon Jellab (2005, p. 295), les professeurs « confrontés
à un public ayant connu l’échec en collège et manifestant un désintérêt vis-à-vis des
activités scolaires et professionnelles » privilégient, dans leurs pratiques pédagogiques,
des stratégies singulières de mobilisation des élèves au détriment de l’épaisseur des
savoirs (Jellab, 2005 ; Kherroubi et Rochex, 2004). Dans cette perspective, nous
cherchons à montrer comment les enseignants d’éducation physique interagissent avec
les élèves afin de créer les conditions d’un « engagement disciplinaire productif »
(Engle, 2011) défini comme « la capacité des élèves à maintenir une activité délibérée
d’apprentissage dans un domaine donné en lien avec les connaissances disciplinaires
exigées du domaine » (Bennour, 2017, p. 8).
4 Nous nous intéressons ainsi aux savoirs mis à l’étude par les professeurs pour favoriser
l’inclusion épistémique dont la caractéristique est de maintenir les exigences
d’apprentissage tout en favorisant un sentiment d’appartenance des élèves au groupe
(établissement, groupe classe, sous-groupe au sein de la classe, etc.). Pointons que cet
objectif est par ailleurs mis en avant par les réformes curriculaires récentes en France
et en Suède : « une école inclusive pour la réussite de tous » (MEN 2016) ; « Teaching
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should be adapted to each student’s circumstances and needs » (Swedish National
Agency for Education, 2013).
5 Dans cet article, pour mettre au jour quels sont les savoirs privilégiés par deux
enseignants déclarant rechercher une meilleure inclusion de leurs élèves dans leur
cours, nous mettons en relation l’analyse de transactions didactiques à l’échelle d’une
séance avec les traditions d’enseignement identifiées dans les curriculums français et
suédois. Nous cherchons à montrer l’impact de ces traditions sur les manières
d’enseigner des professeurs en nous focalisant sur la manière dont ils agissent à des
fins d’inclusion, objectif clairement identifié d’une part dans les préconisations
institutionnelles de chaque pays et d’autre part dans les intentions exprimées par les
enseignants observés lors d’entretiens. La comparaison porte sur deux séances
d’éducation physique dans le contexte spécifique de lycées professionnels français et
suédois, où l’engagement des élèves est souvent relativement faible et l’abandon
fréquent. En effet, en France, pour l’année scolaire 2015 - 2016, les évaluations de la
Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) soulignent un
absentéisme de 4,5 % en moyenne dans le secondaire, alors que le chiffre était de 13,8 %
en lycée professionnel (DEPP, 2018). Des indications semblables existent en Suède,
même si l’on manque de données statistiques récentes. Plusieurs recherches (Balfanz et
Byrnes, 2012 ; Mclber et Messel, 2013) montrent que l’absentéisme scolaire constitue un
prédicteur puissant du décrochage scolaire et participe de ce fait aux difficultés
d’intégration professionnelle et sociale des élèves. De plus de nombreux travaux sur les
pratiques d’enseignement en milieu difficile ont mis en évidence les difficultés des
enseignants à gérer à la fois les enjeux d’apprentissage et les logiques de socialisation et
d’éducation, ces dernières étant souvent considérées comme préalables et extérieures
aux activités disciplinaires. Ainsi, il a été montré que les stratégies d’implication et
d’enrôlement des élèves se font souvent au détriment de la qualité des contenus
d’enseignement qui leur sont proposés en termes d’épaisseur épistémique ou
technologique (Jellab, 2005 ; Poggi-Combaz, 2002 ; Kherroubi et Rochex, 2004). Ces
constats nous ont amenées à nous focaliser plus particulièrement sur l’analyse des
modalités didactiques mises en œuvre par les enseignants d’éducation physique
observés lors de séances ordinaires. L’étude menée dans les deux pays, vise à mettre en
lumière l’existence de spécificités nationales en lien avec les traditions d’enseignement
de l’éducation physique en France et en Suède et d’éventuelles généricités dans les
pratiques didactiques observées permettant de mieux comprendre les questions de
l’inclusion scolaire dans le contexte de l’enseignement professionnel.
2. Cadre théorique : une hybridation au service del’analyse comparatiste de cas français et suédois
6 La recherche s’inscrit dans une perspective de didactique comparée (Ligozat et
Almqvist, 2017). Elle mobilise un cadre conceptuel hybride combinant l’approche
théorique francophone des études sur l’action didactique conjointe (Amade-Escot, 2014,
Ligozat, 2011, Sensevy, 2007) avec certains concepts didactiques suédois
historiquement liée aux études curriculaires, notamment ceux de « traditions
d’enseignement » et de « manière d’enseigner » (Englund, 1986 ; Roberts et Östman,
1998, Quennerstedt et al., 2014). Cette hybridation se justifie sur plusieurs plans. Tout
d’abord, il a été montré que, malgré des dénominations divergentes, les problématiques
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des recherches didactiques européennes et celles sur le curriculum dans l’aire anglo-
saxonne présentent des points communs notamment celui d’étudier les liens entre
choix institutionnels et mises en œuvre dans les classes (Gundem et Hopmann, 1998), ce
qui est au cœur du projet comparatiste TTL. Ensuite, parce que les différentes
perspectives didactiques développées en Europe (germanique, francophone, nordique)
ont pour commune focale d’analyser les pratiques de classe à partir d’une prise en
compte des contenus d’enseignement (Hudson et Meyer, 2011) ce qui autorise à
envisager leur compatibilité et leur complémentarité dans le cadre de la comparaison
entre la France et la Suède. Dans les paragraphes qui suivent nous présentons les
concepts clés mobilisés dans le travail empirique pour ensuite conclure sur la
pertinence du cadre hybride retenu.
2. 1. « Traditions d’enseignement » et « manières d’enseigner »
7 Le concept de « traditions d’enseignement » (Teaching traditions) a été élaboré par
Roberts (1988) et Östman (1996) afin de mettre en évidence ce qui est valorisé comme
contenus, buts et valeurs dans l’enseignement des sciences, à partir de recherches sur
les curriculums de ces disciplines incluant des analyses historiques. Selon ces
chercheurs, les traditions d’enseignement sont reliées à des priorités identifiées dans
les curriculums, qui valorisent des domaines spécifiques de connaissances que les
élèves doivent acquérir. En éducation physique, différentes strates coexistent dans les
textes curriculaires. Elles relèvent de quatre traditions d’enseignement identifiées à la
suite d’une revue de questions internationale : l’enseignement de l’éducation physique :
i) comme enseignement de techniques sportives ; ii) comme éducation à la santé ; iii)
comme éducation aux valeurs et à la citoyenneté et enfin, iv) comme éducation à la
culture physique et sportive (Forest, 2017 ; Forest, Lenzen et Öhman, 2017). Cette revue
de questions met en évidence que les quatre traditions d’enseignement sont largement
répandues dans les pays occidentaux et nous en retrouvons des traces en France
comme en Suède. Par ailleurs, elle recoupe des résultats de travaux antérieurs sur les
curriculums (Green, 2014 ; Kirk, 2010 ; Loudcher et Vivier, 2006).
8 Dans notre recherche, l’identification des traditions d’enseignement, au niveau de la
strate des préconstruits institutionnels des deux pays, permet de documenter certains
phénomènes transpositifs externes (Chevallard, 1991), c’est-à-dire de pointer quels sont
les savoirs légitimés par les institutions scolaires française et suédoise et désignés de ce
fait comme devant être enseignés.
9 Pour sa part, le concept « manières d’enseigner » (Manners of teaching) renvoie à l’idée
que les pratiques didactiques sont modelées par les conceptions relatives à
l’enseignement, les buts assignés à chaque discipline d’enseignement, les différentes
compétences attendues des élèves (Lidar, Lundqvist, et Östman, 2006). Ces manières
d’enseigner sont influencées par de nombreux facteurs culturels et institutionnels,
notamment les « traditions d’enseignement », mais aussi par les prises de position
personnelles de chaque enseignant quant aux attendus en matière d’apprentissage, de
contenus et de comportements ainsi que par les dimensions contextuelles et
situationnelles au sein desquelles il agit. Le parti pris pragmatiste de l’approche
suédoise à propos des manières d’enseigner est central. Nous le considérons proche de
celui qui relève, dans le cadre francophone de l’action conjointe en didactique, des
enquêtes sur l’épistémologie pratique des professeurs (Amade-Escot, 2014) ou sur les
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« gestes didactiques de métier » au niveau du curriculum en actes (Brière-Guenoun,
2014). Ce point est un indice de la compatibilité des deux cadres que nous discutons
dans une prochaine section. Il conforte l’idée que les manières d’enseigner ne peuvent
être appréhendées que par une analyse fine des transactions en classe (Forest, 2017 ;
Lundqvist, Almqvist et Östman, 2012) et une prise en compte, dans l’analyse ascendante
de la transposition didactique, de la dynamique évolutive du système didactique défini
par les relations ternaires entre l’enseignant, les élèves et les savoirs à enseigner et à
apprendre (Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2005).
2. 2. « Manières d’enseigner » et « action conjointe en didactique »
10 Les concepts empruntés au cadre didactique des recherches suédoises soutiennent
l’idée que les manières d’enseigner (notamment celles visant l’inclusion des élèves) ne
peuvent être identifiées qu’à travers, d’une part, les contenus mis en jeu lors des
séances en classe et d’autre part, les procédures d’enseignement telles qu’elles sont
observables dans les actions conjointes de l’enseignant et des élèves. C’est à ce niveau
que nous situons le recours au cadre théorique de l’action conjointe en didactique
(Ligozat, 2011 ; Sensevy, 2007). Ainsi, afin de saisir les liens entre « traditions
d’enseignement » et « manières d’enseigner » en France et en Suède, nous mobilisons,
dans l’étude empirique, les outils analytiques du cadre francophone. Nous retenons
pour ce faire, certains éléments princeps définis par Sensevy (2007) : les descripteurs de
l’agir professoral (définir, dévoluer, réguler et institutionnaliser) qui renseignent des
stratégies professorales d’implication des élèves dans l’apprentissage ; les descripteurs
de l’agir conjoint professeur-élève qui permettent d’identifier les dynamiques
évolutives du milieu (mésogénèse), du partage des responsabilités (topogénèse), enfin
de l’avancée des savoirs (chronogénèse). Ces descripteurs rendent compte de la
dynamique contractuelle qui préside aux transactions didactiques, aux rôles des
différents actants dans la co-construction des savoirs au fil du temps, mettant ainsi au
jour, la dialectique du contrat et du milieu didactique dans le contexte de pratiques
d’éducation physique en lycées professionnels.
2. 3. Pertinence de l’hybridation : compatibilité et complémentarité
des cadres théoriques mobilisés
11 Dans cette section, il s’agit d’indiquer – au-delà des arguments déjà évoqués sur les
convergences entre recherches curriculaires anglo-saxonnes et recherches didactiques
européennes et leur commune focale sur les contenus d’enseignement – en quoi
l’hybridation des cadres suédois et francophone est utile à notre recherche, pour
envisager ensuite leur compatibilité épistémologique. Dans le cadre de cet article, dont
la visée est d’identifier les difficultés didactiques d’un enseignement inclusif en
éducation physique en lycées professionnels à travers une comparaison internationale,
l’hybridation autorise un va et vient entre l’échelle empirique, microdidactique des
observations en classe et leur mise en relation avec les déterminations
institutionnelles, en provoquant un « estrangement » comparatif au sens développé par
Ginsburg (2001) à propos des apports de la micro-histoire à la connaissance historique.
12 Pour ce qui est de la compatibilité épistémologique des cadres convoqués, ce point
supposerait des développements longs à déployer dans le cadre de cet article. Nous
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résumons ci-après trois éléments justifiants, selon nous, de la compatibilité de
l’approche suédoise et francophone du didactique ordinaire. Nous nous référons pour
ce faire à des publications ayant discuté leurs fondements théoriques respectifs
auxquelles nous renvoyons les lecteurs :
Les deux approches ambitionnent de traiter les questions d’enseignement et d’apprentissage
des savoirs scolaires à partir d’un positionnement comparatiste (Ligozat, Amade-Escot et
Östman, 2015 ; Ligozat et Almqvist, 2017).
Chacune d’entre elles s’attache, à partir d’un point de vue pragmatiste à rendre compte des
actions du professeur et des élèves telles qu’elles se déroulent en classe (Östman, 1996 ;
Östman et Wickman, 2014, Sensevy, 2007).
L’unité d’analyse retenue par chacune des deux approches est celle relative aux transactions
impliquant professeur, élève(s) et savoir(s) (Ligozat, Lundqvist et Amade-Escot, 2017).
13 A la lumière de ces publications, nous considérons que, par-delà leurs différences
(Wickman, 2012), les deux cadres d’analyse des pratiques didactiques sont compatibles.
Ils sont aussi complémentaires car l’approche suédoise, en reliant les traditions
d’enseignement et les manières d’enseigner permet de porter un regard sur l’amont de
l’action en classe en soulignant comment les préconstruits institutionnels, dont les
curriculums, sont réinterprétés par les professeurs dans l’action didactique. De son
côté, l’analyse in situ de l’action didactique conjointe permet d’éclairer les modalités de
co-construction des objets de savoir réellement mis à l’étude au fil des transactions.
Nous avons fait le choix dans ce travail de recherche de partir de l’analyse ascendante
de la transposition didactique (Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2005) que rend
possible l’étude de l’action conjointe du professeur et des élèves pour caractériser les
manières d’enseigner des professeurs observés au regard des traditions d’enseignement
marquant les prescriptions curriculaires.
3. Méthode : observation didactique de séancesordinaires
14 Deux études de cas sont au centre de cette étude comparative, l’un en France et le
second en Suède. La visée de la recherche, est de mettre en lumière comment
enseignants et élèves interagissent dans le contexte spécifique de l’enseignement
professionnel afin d’identifier quels sont les objets de savoirs du fitness mis à l’étude, et
en quoi ces derniers permettent aux enseignants de maintenir l’engagement moteur
des élèves et de favoriser ainsi leur inclusion au sein de groupe classe. Dans le cadre
nécessairement restreint de cet article, nous resserrons l’analyse autour de deux
séances de fitness en classes de terminale de lycée professionnel avec des élèves de 17 à
19 ans. Ces séances ont été retenues pour leur caractère emblématique au regard des
pratiques d’enseignement de chacun des deux enseignants. Par emblématique, nous
entendons qu’elles sont, parmi l’ensemble des différentes séances analysées,
significatives de la pratique didactique des deux professeurs observés (Forest, 2017).
3. 1. Contexte d’observation et participants
15 Les observations ont été menées dans deux lycées professionnels. Aucun des deux
enseignants (une femme que nous nommerons Nadine en France, et un homme que
nous nommerons Matts en Suède) n’est spécialiste des activités de fitness, terme
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regroupant dans les pratiques sociales d’entretien de soi des deux pays, une pluralité
d’activités physiques pouvant être prises en référence.
16 En France, l’activité de fitness retenue, en adéquation avec les textes officiels est le
step. La séance dure 1h15. 19 élèves font partie de cette classe, 8 filles et 11 garçons,
tous se destinent aux métiers de restauration. Le texte officiel français précise la
« compétence attendue », c’est à dire les contenus d’enseignement pour ce niveau dans
l’activité step de la façon suivante : « Choisir un enchainement défini par différents
paramètres (intensité, durée, coordination), et le réaliser, seul ou à plusieurs, pour
produire des effets immédiats sur l’organisme proches de ceux attendus » (MEN, 2009).
L’activité step s’inscrit dans la « Compétence Propre 5 » : « réaliser et orienter son
activité physique en vue du développement et de l’entretien de soi » (Ibid). Les
compétences propres à la discipline « Éducation Physique et Sportive » (EPS) doivent
révéler « principalement une adaptation motrice efficace de l’élève confronté aux
grandes catégories d’expériences les plus représentatives du champ culturel des
Activités Physiques, Sportives et Artistiques » (Ibid). L’accent est mis en lycée
professionnel sur le développement de modalités de pratique susceptibles de
promouvoir des compétences méthodologiques ré-investissables dans le futur métier
des élèves.
17 En Suède, les textes officiels relatifs à la discipline « Éducation physique et Santé » (‘
Physical Education and Health’) ne précisent pas réellement quelles sont les activités
physiques et sportives à enseigner, à l’exception de trois incises nommant « la danse »,
« la natation », et « les activités de plein air » (Forest, Lenzen et Öhman, 2017). Le choix
est laissé aux enseignants. L’activité de fitness retenue dans ce site, selon les propos
mêmes de Matts, est « l’aérobic » (entretien ante). Dans les faits, l’observation met en
évidence que l’enseignant propose une activité proche du step en termes des pas
codifiés mis à l’étude et des formes de comptage des temps soutenant la pratique
proposée aux élèves. A la différence de la France, cet enseignement est mis en œuvre
sans équipement (marches de step).
18 La séance dure 1h. 19 élèves composent la classe dont seulement 3 filles. Les textes
officiels suédois (Swedish National Agency for Education, 2013) précisent quels sont les
contenus visés (appelés : core contents) : « Méthodes d'entraînement et leurs effets, tels
que la forme physique et la coordination », « Mouvements en musique et danse »,
« Sécurité en rapport avec l'activité physique et les activités de plein air » (Ibid).
L’accent est mis dans le texte officiel suédois sur le développement de modalités de
pratique susceptibles de promouvoir l’activité physique et la santé tout au long de la
vie.
3. 2. Recueil et analyse des données
19 Les données ont été recueillies sur la base de vidéographies de séances et d’entretiens
ante et post séances avec les enseignants observés. Les données recueillies en Suède ont
été traduites en français par un locuteur bilingue en coopération avec l’auteur de cet
article quant aux termes techniques utilisés par l’enseignant suédois. L’analyse vise à
documenter la dynamique du contrat didactique, c’est-à-dire des attentes réciproques
et spécifiques du professeur et des élèves, attentes plus ou moins explicites, organisées
autour du savoir en jeu dans la tâche (Brousseau, 1996). Ainsi, lors des séances nous
nous attachons à étudier l’évolution de ces attentes réciproques au fil des transactions
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observées. Nous pointons quelles sont les stratégies mises en œuvre par les deux
enseignants afin de maintenir un « engagement disciplinaire productif » dans la tâche
proposée (Engle, 2011 ; Bennour, 2017) en lien avec les préconisations institutionnelles
identifiées dans les curriculums nationaux français et suédois. Le terme d’engagement
disciplinaire productif renvoie à l’idée que seul l’engagement des élèves ne suffit pas à
caractériser les effets des pratiques, car les élèves peuvent être physiquement actifs,
sans pour autant construire des savoirs significatifs relativement à la pratique sociale
de référence (Martinand, 1989) et aux objectifs curriculaires au sens large. Ces deux
derniers points nous amènent à privilégier deux niveaux d’analyses de séance :
macroscopique et microdidactique :
– Le niveau macroscopique, relatif à l’organisation de la séance, met en relief l’espace,
les formes de groupements et l’organisation temporelle qui constituent l’arrière-plan
situationnel des manières d’enseigner. Nous avons pour ce faire établi un synopsis des
séances. Cette procédure méthodologique vise selon Schubauer-Leoni et Leutenegger
(2002) à prendre en compte la totalité de la séance en procédant à une réduction des
observables, sous forme d’un tableau indiquant la succession temporelle de macro-
épisodes constitutifs de son organisation. Nous accédons ainsi à un premier niveau de
compréhension de l’action des enseignants, sur la base de laquelle, nous pouvons
choisir quelles sont les transactions didactiques qui seront analysées au regard de
l’échelle temporelle interne à la séance au regard des lieux et des transformations
successives des objets enseignés (Dolz et Toulou, 2008).
– Le niveau d’analyse microdidactique des transactions retenues met en lumière, dans
un second temps, quelles sont les interactions verbales et non verbales du professeur et
des élèves relatives à certaines tâches spécifiques. Il permet de rendre compte des
modalités de co-construction du savoir. L’analyse a priori des tâches modélise le
problème auquel les élèves sont confrontés mais également les difficultés potentielles
susceptibles d’être rencontrées afin de donner un sens didactique aux actions du
professeur et des élèves observées.
20 Les deux niveaux d’analyse permettent par croisement avec les entretiens ante et post
séance d’accéder aux « manières d’enseigner » des deux enseignants et d’identifier les
possibles influences des « traditions d’enseignement » de chaque pays (Forest, Lenzen
et Öhman, 2017). Si en France, les quatre traditions (voir section 2.1. supra) impactent
le curriculum, en Suède, seules deux traditions (l’éducation physique comme éducation
à la santé et l’éducation comme éducation aux valeurs et à la citoyenneté) sont
explicitement présentes dans le curriculum officiel suédois de 2013 (Forest, 2017). Ce
contraste dans les textes officiels rend compte d’une certaine forme « d’estrangement »
(Ginsburg, 2001) qui, selon cet auteur, devient un atout pour l’interprétation
comparative (ici des modalités « d’inclusion » d’élèves en lycées professionnels).
L’estrangement rend en effet possible une « mise à distance » de préoccupations ou de
significations locales par la confrontation avec les façons dont, dans d’autres groupes
sociaux, les mêmes questions sont approchées.
4. Résultats : des pratiques d’enseignement de faibleépaisseur épistémique
21 Dans les sections qui suivent nous nous appuyons sur deux séances que nous avons
considérées emblématiques des pratiques de Nadine et de Matts. Nous en décrivons les
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traits saillants en mobilisant, notamment dans l’analyse microdidactique des éléments
de discours des deux enseignants prélevés lors des différents entretiens que nous avons
pu mener.
4. 1. Le cas Français
22 Selon les dires de Nadine, l’objectif de la séance est de présenter aux élèves le mobile
(objectif d’entraînement) intitulé « coordination motrice » (MEN, 2009) : l’enjeu de
savoir est lié à la réalisation de pas complexes, complexité due à la gestion de différents
paramètres individuels (ajout de rotations, de mouvements de bras synchronisés ou pas
avec les jambes, etc.) et/ou collectifs (synchronisation entre partenaires, cascade,
déplacements, etc.).
4. 1. 1. Organisation de la séance et enjeux de savoirs : analyse macroscopique
23 Après un échauffement dirigé par l’enseignante, 33 minutes de la leçon sont consacrées
à la complexification de pas de step (mouvements de bras, rotations, orientations).
Nadine, face aux élèves, définit sous forme de démonstrations successives la tâche à
effectuer. Les élèves, engagés dans un contrat d’ostension (Brousseau 1996), imitent les
pas effectués. Nadine présente une vision exhaustive des complexifications possibles et
enchaine sur un rythme élevé l’introduction de nouveaux savoirs. L’analyse montre que
les élèves n’ont pas l’opportunité de répéter suffisamment chaque complexification
introduite avant que l’enseignante n’en propose une autre. Cette modalité de
modification du milieu didactique ne favorise pas l’appropriation des pas enseignés.
24 Dans la seconde partie de la leçon (32 minutes), les élèves, par groupes affinitaires dont
le nombre d’élèves varie (de deux à cinq), doivent mettre en application ce qu’ils ont
appris lors de la tâche précédente. Ils doivent collectivement complexifier un bloc de
pas en utilisant deux paramètres individuels et un paramètre collectif. Ils doivent
ensuite répéter ce bloc complexifié pendant six minutes. Un seul groupe réussira à
terminer ce travail et sera engagé dans la phase d’entraînement en répétant son bloc
complexe.
25 A ce niveau d’analyse macroscopique, nous pouvons identifier une organisation spatiale
très formelle et traditionnelle de mise en scène des savoirs du step. Les liens avec la
pratique sociale prise ici en référence sont forts. L’enseignante propose en effet aux
élèves le type d’activité telle qu’elle est organisée dans les salles de remise en forme.
Deux points soutiennent notre interprétation : i) les places respectives de l’enseignant
et des élèves, face à face ou en miroir ; ii) le rythme soutenu de changements de pas qui
renvoie à des savoirs relatifs aux coordinations motrices compatibles avec des efforts
intenses et continus. Les élèves n’ont d’autre possibilité que de tenter de reproduire ce
qui leur est montré (contrat didactique d’ostension, Brousseau, 1996). Ils y échouent le
plus souvent en raison de la rapidité et de la simultanéité des mouvements de
l’enseignant. Ils se trouvent alors en situation de poursuite et de crise de temps, ayant à
leur charge de prendre des indices sur les pas proposés afin de pouvoir les reproduire.
Comme les travaux de Montaud (2014) le montrent, dans un tel milieu didactique, les
élèves doivent gérer des problèmes de latéralisation et de prises d’informations dus
particulièrement au travail en miroir.
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26 Nadine endosse tout au long de la tâche, une posture topogénétique haute, elle fait
avancer le savoir grâce à une succession de modifications du milieu didactique
constitué par le modèle qu’elle représente. Dans cette première partie de la séance, on
observe peu de régulation par Nadine de l’activité des élèves qui tentent de reproduire
maladroitement les pas réalisés par l’enseignante. La chronogenèse, en lien avec la
mésogenèse est extrêmement rapide.
27 Dans la seconde partie de la séance, l’enjeu de savoir est de choisir au sein de chaque
groupe les paramètres de complexification à utiliser afin de proposer un bloc sollicitant
des coordinations motrices de pas, synchronisés au sein du groupe. C’est dans cette
tâche collective que la visée d’inclusion est la plus fortement valorisée : Nadine attend
de cette forme de travail que les interactions entre les élèves permettent un
apprentissage coopératif : « En fait il y a des élèves que j’ai repérés la semaine dernière qui…
qui on va dire, apprennent assez vite les blocs et je me disais qu’ils pouvaient servir aux autres
qui prennent plus de temps » (Entretien post séance).
28 L’enseignante régule l’activité des élèves en intervenant auprès de chaque groupe, les
interactions didactiques sont majoritairement fondées sur le rythme et les temps
musicaux (comptage). Nadine accélère le temps didactique en proposant des solutions
aux élèves afin de réduire le temps de création et d’augmenter la répétition, semblant
ainsi perdre de vue son souci initial (exprimé lors de l’entretien ante) de permettre à
tous les élèves de s’exprimer au sein du groupe.
29 Nous interprétons l’ensemble de cette séance en considérant que dans l’action
conjointe, l’enseignante valorise l’engagement physique au détriment de l’autonomie et
de la mise en place de projets individuels. La première partie de séance rend compte du
contrôle chronogénétique mis en place par Nadine obligeant l’engagement de tous les
élèves positionnés face à elle. Dans la seconde partie, ses régulations visent le maintien
dans l’activité de ses élèves selon deux axes : i) les aider à trouver des complexifications
afin qu’ils maintiennent une activité motrice intensive et ne « s’arrêtent pas » (consigne
réitérée en cours d’action, et lors de l’entretien post) ; ii) les solliciter sur un rythme
transmis par comptage (« et un, deux, trois, quatre …, huit ») afin que chaque élève soit
synchronisé avec les autres au sein de son groupe de travail. Pour cette enseignante, la
voie professionnelle (la restauration) choisie par les élèves justifie ses choix visant à
valoriser la production d’efforts, parfois au détriment du « savoir s’entraîner » attendu
dans le cadre de la compétence propre 5 : « [je fais ça parce que] ça rentre vraiment dans
le cadre du lycée notamment un lycée professionnel où on a un profil d’élèves en hôtellerie où ils
vont avoir au niveau physique un investissement important dans leur métier » (Entretien ante
séance).
4. 1. 2. Présentation d’un épisode significatif des manières d’enseigner de
Nadine : analyse microdidatique
30 L’épisode présenté ci-après, est représentatif de la manière d’enseigner le step de
Nadine. Il se déroule lors de la première partie de la leçon et révèle comment Nadine
met en jeu le savoir lié aux complexifications des pas de step afin d’améliorer la
coordination des élèves. Nadine est face à l’ensemble de la classe, après avoir révisé
certains blocs appris lors des séances précédentes, il s’agit maintenant de complexifier
un des blocs connus par les élèves.
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31 Nadine redéfinit tout d’abord la tâche : « nous allons complexifier cela en ajoutant une
rotation, je vous montre en double temps » (comptant en même temps que montrant le pas)
« un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, et huit OK ? ... et un, deux, trois, quatre cinq, six, sept, et
huit ». Après les 8 premiers temps, Nadine qui a effectué un demi-tour, est dos aux
élèves. La modification du milieu didactique résultant de sa rotation permet aux élèves
de ne plus agir en miroir, ce qui facilite, momentanément, la reproduction du pas. Les
élèves observent leur professeur qui ajoute : « alors nous allons le faire en double temps,
nous ajusterons les bras après …, et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit … ; un, deux, trois,
quatre, cinq, six, sept, huit ». Les élèves tentent de réaliser les pas en même temps que
Nadine, les rotations compliquent leur prise d’information.
32 Nadine poursuit ses démonstrations : « nous faisons la même chose avec les bras … et un,
deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit … ; un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit … ; OK ».
Les élèves, en crise de temps pour imiter Nadine au fil des rotations de cette dernière,
réalisent les pas « en poursuite » de leur professeur. En effet, dans ce milieu didactique
instable, deux sources de complexification sont introduites : l’ajout de rotation et
l’ajout de mouvements de bras.
33 Après un seul essai, alors même que les élèves rencontrent de nombreuses difficultés
dans la réalisation du bloc de pas, Nadine enchaine : « nous allons le faire [maintenant] en
un seul temps ». Elle propose alors trois répétitions dont elle assure le comptage : « et un,
deux, trois, quatre, cinq, six, sept, et huit … ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit … ; un,
deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit ! ».
34 Dans le contrat d’ostension proposé, les modifications du milieu didactique introduites
par la succession des démonstrations mettent en évidence que c’est l’enseignante qui
fait avancer le savoir (accélération chronogénétique), en adoptant une posture
topogénétique haute. Ces constats soutiennent l’idée que Nadine reproduit les
modalités de la pratique du step en usage dans les salles de remises en forme, modalités
d’enseignement que l’on peut qualifier de magistrales dans le sens où ce professeur
donne à voir un modèle à imiter face à toute la classe. Peu d’interactions sont
identifiées, Nadine laisse aux élèves la charge de prélever les informations relatives à
l’orientation des appuis et à la coordination bras – jambes. Elle fait ainsi avancer le
savoir sans réelle prise en compte des élèves et de leurs actions. Même si en dédoublant
les temps musicaux, elle facilite dans un premier temps la prise d’indices pertinents par
les élèves, il reste qu’aucune indication verbale sur ce qu’il faut observer ne leur sera
donnée. La mésogenèse évolue au rythme de la succession des démonstrations de
Nadine qui réactualise des objets et des formes déjà travaillées (rotation, rotation plus
mouvement de bras, dédoublement des pas, vitesse).
35 Cette transaction permet d’identifier la façon dont Nadine définit les savoirs liés à la
complexification de pas. L’activité des élèves révèle que si certains sont en mesure de
prendre les informations pertinentes quant aux sens de rotation, d’autres sont
organisés par leur volonté de ne pas quitter des yeux l’enseignante ce qui les conduit à
modifier l’orientation de leurs appuis au fur et à mesure des nouveaux paramètres, tous
les huit temps. Les quelques régulations (dédoublement de temps musicaux) sont
davantage issues de la connaissance antérieure du niveau des élèves que de leurs
réponses in situ. C’est en observant l’activité de certains élèves identifiés comme
potentiellement chronogènes, qu’elle fait avancer le savoir, estimant que l’organisation
du travail en petits groupes (plus tard dans la deuxième partie de la séance) permettra
aux élèves en difficulté de réussir : « A un moment donné je vois que certains maitrisent le
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bloc (…) ceux qui ont toujours un peu de mal en fait c’est peut-être aussi bien qu’ils soient en
petits groupes pour apprendre/ c’est pas forcément efficace d’être comme ça en miroir/ face à
face avec eux ou en grand groupe (Entretien ante séance).
36 Mais plus globalement, cette façon de faire évoluer le savoir est révélatrice d’un autre
enjeu qui traverse tout le cycle, celui de maintenir une activité physique soutenue chez
ses élèves. Au-delà de la capacité à produire des efforts que Nadine valorise dans son
enseignement en lien avec sa volonté de préparer physiquement ses élèves à l’exercice
de leur futur métier, elle souhaite aussi que garçons et filles travaillent ensemble afin
d’améliorer les relations et l’inclusion professionnelles dans les cuisines : « Si on peut
quand même participer à leur image de l’autre notamment du sexe opposé et leur faire vivre des
choses ensemble, justement en, peut-être, mettant certains en difficultés face à des choses un peu
féminines et mettre les filles en difficulté face à des choses masculines pour qu’ils puissent
travailler ensemble » (Entretien ante séance).
37 La visée « d’inclusion » des élèves est ici proposée par Nadine dans une perspective
professionnelle selon deux axes : être en mesure de produire des efforts afin de
s’intégrer dans une équipe professionnelle et reconnaitre la capacité d’autrui à
produire des efforts.
4. 2. Le cas Suédois
38 L’objectif de la séance proposée par Matts est de complexifier les pas appris lors de la
séance précédente et d’identifier les effets de l’activité physique sur soi dans un travail
de groupe. Contrairement à Nadine, Matts délègue aux élèves la totale responsabilité de
ces enjeux de savoir. Pour autant, cette délégation, ne relève pas toujours d’une réelle
dévolution au sens didactique, comme les deux niveaux d’analyse de la séance ci-après
le mettent en évidence.
4. 2. 1. Organisation de la séance et enjeux de savoirs : analyse macroscopique
39 La séance débute par un échauffement joué, réalisé en classe entière, le « danse tag ». Il
s’agit d’un jeu où les élèves doivent : courir pour toucher (et/ou ne pas se faire
toucher) ; danser lorsqu’ils sont touchés jusqu’à ce qu’un camarade les « libère » en se
plaçant devant eux pour les applaudir 4 fois. Dans un deuxième temps, les élèves, par
groupes de quatre ou cinq doivent réviser les pas appris la semaine précédente. Les
élèves qui étaient absents sont répartis dans les groupes afin d’apprendre les pas avec
ceux qui les connaissent. Chaque groupe a un espace propre, la salle étant assez grande
par rapport au nombre d’élèves. La visée d’inclusion, selon les dires de Matts, est ici
clairement liée à l’enseignement par les pairs, forme de travail coopératif valorisée en
termes d’éducation à la citoyenneté (Darnis et Lafont, 2013 ; Lafont, 2012), selon les
préconisations officielles auxquelles l’enseignant suédois se réfère. Il passe de groupe
en groupe. Une fois révisés les pas du module collectif, Matts redéfinit la tâche en
proposant aux élèves de complexifier le module par l’ajout de mouvements de bras.
Cette partie de la séance dure 40 minutes, à la suite de quoi, l’enseignant demande aux
élèves de s’aligner face à lui et de répéter pendant deux minutes les blocs complexifiés.
Les trois dernières minutes de la séance sont consacrées à un échange verbal entre
l’enseignant et les élèves sur leur ressenti pendant la séance au regard des activités
réalisées.
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40 Le jeu mis en place lors de l’échauffement permet aux élèves de se confronter aux
regards des autres étant donné qu’ils doivent danser lorsqu’ils sont touchés. Loin des us
des activités de fitness d’un point de vue de la motricité, l’aspect ludique de la tâche a
pour objectif d’engager les élèves dans une pratique où ils se mettent en scène. Cette
situation, comme le travail en groupe, a comme but pour Matts de permettre aux élèves
d’assumer leur prestation sans craindre le jugement d’autrui : « Je suis content dans le
sens où ils se sentent en sécurité entre eux, … et que c’est OK de ne pas être … de ne pas être très
bon [OK : au sens de ne pas juger les élèves pas très bons] … et ça je suis très content avec ça
» (Entretien post séance). Cette perspective de respect mutuel est au cœur des visées
inclusives poursuivies par cet enseignant.
41 Dans le second temps de la séance, l’enseignant après avoir vérifié la composition des
groupes, dévolue aux élèves qui connaissent les deux blocs la responsabilité de les
enseigner aux autres. Dans chaque groupe, des leaders assument ce rôle sans avoir été
explicitement désignés par l’enseignant : « Je leur ai dit que cela pourrait être un avantage.
J’ai dit que ceux qui se sentent pouvoir le faire [le fassent] (Entretien post séance). D’une
manière générale, Matts endosse une position topogénétique basse et intervient peu
sur le savoir en jeu. Il apparaît davantage attentif à l’attitude de certains élèves passifs
et à l’écart de leur groupe de travail, en tentant de les ramener (parfois sans succès)
dans l’activité collective. Finalement le savoir relatif à la réalisation de pas avance
grâce à certains élèves chronogènes qui ont pris à leur charge le savoir et dirigent le
groupe de travail.
42 En redéfinissant, dans un second temps, la tâche des groupes autour de l’ajout de
mouvements de bras complexifiant les mouvements à exécuter, l’intention de
l’enseignant est d’engager ses élèves dans une activité de création chorégraphique
(Entretien ante séance). Les liens avec la pratique sociale de référence du fitness
deviennent de ce fait assez lâches, dans la mesure où Matts privilégie l’action collective
de production de formes et moins une activité d’entraînement basée sur la
reproduction de pas à un rythme soutenu. Si les pas produits par les élèves sont
révélateurs de l’activité de référence step (et ce, malgré l’absence de marche de step),
Matts ne produit aucune action de régulation pendant leur exécution. Il ne pense pas
que les techniques liées aux pas puissent être au centre de son enseignement : « Je ne
peux pas réellement leur enseigner... il n’y a pas assez de temps pour le faire. Et comme ils n’ont
aucun acquis préalable ... du coup ça ne marche pas » (Entretien post séance). L’enjeu de
savoir semble davantage se situer dans la mise en jeu de la totalité du corps dans des
mouvements collectifs que dans l’entraînement, pourtant préconisé dans les textes
officiels suédois à propos des « Mouvements en musique et danse », l’un des rares
contenus d’enseignement explicitement cités dans le curriculum officiel d’EPS, en lien
avec les « Méthodes d'entraînement et leurs effets, tels que la forme physique et la
coordination » (Swedish National Agency for Education, 2013).
43 Lors du travail de création des élèves, les rares régulations de Matts portent sur : i) le
rythme des mouvements qu’il tape dans ses mains ; ii) le maintien de l’engagement
d’élèves qui décrochent de l’activité en restant immobiles ou spectateurs de leur
groupe. L’autonomie des élèves est ainsi largement sollicitée dans cette phase du travail
jusqu’au moment où Matts réunit ses élèves et les place en ligne afin qu’ils effectuent «
en canon » les pas complexifiés qu’ils ont créés. Peu d’élèves vont compter les temps afin
de démarrer au moment opportun ; la plupart réalisent leurs pas sans chercher à être
synchronisés avec les autres membres du groupe.
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44 Lors du dernier temps de la séance, les élèves et l’enseignant sont assis et Matts les
questionne sur les bienfaits de cette activité répondant ainsi aux exigences
institutionnelles : « Les élèves doivent discuter en détail et de façon raisonnablement
argumentée des effets du sport pratiqué [en classe] sur le développement des capacités
physiques, de la santé et du bien-être » (Swedish National Agency for Education, 2013).
Les échanges sont brefs, voire allusifs. Quelques élèves garçons répondent sur le peu
d’efforts physiques que nécessite cette activité et le fait que « c’est pour les filles ». Matts
conclut la séance en précisant les modalités permettant de rendre l’activité plus «
physique » (ses termes). Il propose deux idées : « [réaliser sur une] musique plus rapide,
[avec des] jambes, semi fléchies… »). Il ajoute que le step peut se pratiquer par « tous, tout
au long de la vie ».
4. 2. 2. Présentation d’un épisode significatif des manières d’enseigner de Matts :
analyse microdidactique
45 Cet épisode se déroule pendant le deuxième temps de la séance, au début du travail
autonome en groupe, lors de la phase de révision du bloc appris lors de la séance
précédente. Il a été retenu parce qu’il illustre la manière dont cet enseignant agit pour
produire de l’inclusion au sein de la classe, auprès d’élèves qui se désengagent
progressivement du travail demandé.
46 Matts s’approche d’un groupe composé de quatre élèves, une fille et trois garçons. Un
élève, que nous appellerons Nils, semble très mal à l’aise, il est appuyé contre le mur,
les mains dans les poches et regarde les autres. Matts intervient auprès de Nils en
proposant une régulation centrée sur le savoir permettant de s’inscrire dans le rythme
des pas du groupe : « Quand tu sens que tu es mal rentré dans le rythme/ dans ce cas/ … tu
attends ». Il interroge ensuite l’élève : « c’est quoi le prochain mouvement ? » Nils répond
de façon juste : « sur le côté ». Matts réalise alors, à coté de Nils, une démonstration
partielle des pas travaillés dans ce groupe et lui indique : « oui … tu dois rentrer à ce
moment-là ... Cela ne sert à rien de continuer à bouger n’importe comment … pas en rythme avec
les autres. C’est mieux d’attendre et de reprendre pour te remettre dans le rythme avec les autres
». Nous interprétons cette injonction, à la fois comme une action
d’institutionnalisation partielle (« oui ... tu dois … ») et comme un indicateur de
l’attention que Matts accorde à ce que les élèves aient, au sein de leur groupe, une
activité collective partagée. Les valeurs véhiculées par cet enseignant, significatives,
selon lui de la construction du citoyen minorent la qualité des actions de chacun au
profit du « faire ensemble une activité rythmée » (entretien post leçon). Pour autant, Matts
ne vérifiera pas à l’issue de son action de régulation si Nils reprend sa place et son
activité motrice dans le groupe. Il se contente de l’encourager d’un mouvement de la
main dans le dos, tout en s’éloignant du groupe.
47 Les actions de régulation produites par Matts auprès de Nils dans cet épisode sont assez
emblématiques de sa pratique didactique auprès des élèves qui décrochent de la tâche.
Dans un premier temps, en questionnant Nils, il s’assure de sa connaissance du pas,
qu’il accompagne d’une démonstration partielle individualisée, en créant un milieu
didactique susceptible de réengager l’élève dans la tâche. Toutefois, l’échange verbal
qui suit cette transaction didactique non-verbale porte sur un autre savoir, celui relatif
à la synchronisation des élèves au sein du groupe. Savoir essentiel dans cette tâche
puisque, pour cet enseignant il ne faut pas : « bouger n’importe comment » c’est-à-dire
« [bouger] pas en rythme avec les autres » (Cf. régulation citée plus haut). Or, ce savoir
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relatif à la synchronisation collective dans le groupe de création nécessite certes de
connaitre la succession des pas et d’en repérer le tempo, mais aussi et surtout de
prendre des informations sur l’action des autres membres du groupe. Cet aspect de
savoir reste à la charge de Nils qui devra prélever les bons indices sur le groupe pour
pouvoir reprendre l’activité.
48 L’analyse microdidactique de cette transaction auprès de Nils, mise en relation avec
d’autres épisodes, laisse penser que pour cet enseignant faciliter l’inclusion des élèves
dans le groupe classe c’est obtenir un enrôlement leur permettant « de faire la tâche ».
Les exigences relatives à la technicité des pas, des coordinations collectives ne sont pas
convoquées et lorsqu’elles le sont partiellement, comme dans la transaction avec Nils,
elles ont pour visée de réengager l’élève dans l’effectuation de la tâche. Nous pointons
là une manière d’enseigner assez caractéristique des établissements difficiles mais aussi
des lycées professionnels dans lesquels, souvent, les enseignants privilégient la
réalisation de « réquisits de surface » des tâches d’apprentissage qu’ils proposent aux
élèves et non l’épaisseur épistémique des contenus de savoirs qui y sont sous-jacents.
L’accomplissement par les élèves des traits de surface de la tâche tient alors lieu
d’atteinte des objectifs (Jellab, 2005 ; Kerroubi et Rochex, 2004).
49 Plus globalement, les constats effectués mettent en évidence une manière d’enseigner
marquée par un retrait topogénétique de l’enseignant (peu de définitions, peu de
régulations) ce qui a pour conséquence une certaine stagnation dans l’avancée des
savoirs, au profit d’intentions didactiques davantage orientées vers la mise en activité
des élèves au sein des groupes de travail, selon une visée d’inclusion valorisant le
respect mutuel au-delà des différences de niveaux.
5. Discussion comparatiste sur les manièresd’enseigner le fitness en lycée professionnel
50 L’analyse de ces deux séances de fitness, à deux échelles différentes, macroscopique et
microdidactique, révèle des points communs et des différences que nous présentons ici.
5. 1. Généricités des pratiques didactiques observées
51 D’un point de vue des savoirs mis en jeu, les pas constitutifs des blocs mis à l’étude de
façon commune dans les deux sites, renvoient à certaines dimensions techniques de la
pratique sociale de référence. Dans le site français, l’exécution des pas est au centre de
nombreuses transactions didactiques et révèle une (sur)valorisation de cet objet de
savoir par Nadine ; alors que dans le site de Matts, en Suède, aucune transaction
pendant la séance ne porte sur les savoirs techniques de l’activité. Les actions de cet
enseignant valorisent plutôt l’engagement et la mise en activité des élèves, alors même
que l’on a vu, lors de la séquence réflexive de fin de séance que les garçons qui
composent majoritairement cette classe ne sont pas toujours très intéressés par cette
activité, jugée par eux « féminine ».
52 Dans les deux séances, les savoirs relatifs aux coordinations (individuelle et collective)
sont mis à l’étude lors du travail en groupe, à travers l’exécution de blocs de pas
complexifiés par l’ajout de mouvements de bras, même si l’importance accordée à ces
savoirs diffère selon les enseignants :
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– La coordination individuelle renvoie au développement de savoirs techniques et
confronte les élèves à des problèmes d’organisation motrice dans l’espace et dans le
temps. Les complexifications de pas, les ajouts de mouvements de bras ont pour visée
un engagement physique plus intense des élèves (chez Nadine) et la mise en jeu de
l’ensemble du corps en rythme (dans les deux sites). Il reste que dans le site suédois, la
manière d’enseigner de l’enseignant ne fait montre d’aucune d’exigence précise quant à
ces difficultés techniques. Par contraste, dans le site français, les mouvements de bras
demandés par l’enseignante sont plus complexes dans le sens où ils peuvent, par
exemple, être désynchronisés par rapport aux jambes. Cette voie de complexification
est proposée parmi d’autres possibles (rotation, orientation, etc.), autant d’éléments
culturels de l’activité step telle que pratiquée dans les salles de mise en forme. Les
constats établis montrent toutefois que les savoirs mis à l’étude dans les deux sites,
avec des niveaux d’exigence certes différents, relèvent, dans les deux cas, des traits de
surface de la pratique du fitness prise en référence. Nous considérons en effet, avec
Bonnefoy et Dhellemmes (2011) que les contenus d’enseignement au regard de la
finalité sociale de ce type d’activités relèvent du « savoir s’entraîner physiquement » et
que, dans le cas français comme suédois, cet enjeu n’est jamais réellement envisagé.
Ainsi, nous n’avons pas observé de mises en relation avec la dimension « Développer et
orienter l’activité physique en vue de l’entretien de soi » inhérente à la pratique sociale
de référence du fitness, dont les textes officiels français ont retenu l’esprit avec la
création de la CP 5 (MEN, 2009), ou avec ce qui relève des « Méthodes d'entraînement et
leurs effets, tels que la forme physique et la coordination » énoncées dans les textes
suédois (Swedish National Agency for Education, 2013).
– En ce qui concerne la dimension collective des coordinations motrices mises à l’étude,
nous avons identifié un autre point commun dans l’enseignement des activités de
fitness observées. Dans les deux séances, les élèves doivent prendre des décisions au
sein de groupes constitués. Les deux enseignants laissent aux élèves la responsabilité de
choisir les mouvements de bras qu’ils vont réaliser ensemble introduisant ainsi un
semblant d’autonomie : dans la classe suédoise les élèves doivent ajouter des
mouvements de bras choisis au sein du groupe ; dans la classe française, trois
paramètres de complexification parmi ceux présentés dans la première partie de la
séance doivent être convoqués par les élèves. Dans les deux sites, ces derniers doivent
se mettre d’accord sur le choix des mouvements, en fonction des caractéristiques des
différents membres du groupe. Rappelons que les groupes sont constitués de façon
affinitaire dans la classe de Nadine, alors que Matts les organise afin que les absents
lors de la séance précédente puissent apprendre les pas étudiés lors de celle-ci. Les
formes de travail dans les deux séances sont très proches : les groupes d’élèves
travaillent en autonomie et les enseignants passent de groupe en groupe pour réguler
leur activité afin qu’ils restent engagés dans la tâche, selon un rythme qu’ils doivent
synchroniser avec les autres membres du groupe. En laissant une part d’autonomie
dans l’activité demandée aux groupes, les deux enseignants souhaitent favoriser les
coordinations collectives. Pour autant nous ne pouvons interpréter ces manières
d’enseigner en termes de dévolution, sauf rarement lors de quelques régulations
individuelles, comme chez Matts auprès de Nils ; il en est de même dans certaines
transactions chez Nadine. En fait, les deux enseignants précisent que ce sont des visées
éducatives d’inclusion et de formation à la citoyenneté qui les animent comme indiqué
(sous des énoncés différents) dans les extraits d’entretiens cités lors des sections
précédentes. Les formes de travail proposées par les deux enseignants révèlent leur
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volonté de favoriser l’apprentissage coopératif (Byra, 2006 ; Putnam, 1998), c’est-à-dire
des structures d’enseignement dans lesquelles de petits groupes d’élèves hétérogènes
agissent ensemble pour accomplir la tâche attendue : ici, complexifier des pas et les
réaliser en groupe. D’une certaine manière, les deux enseignants visent à instaurer un
« climat qui soutient l’autonomie des élèves [… et] aura une influence positive sur la
motivation auto-déterminée des élèves car il facilite la satisfaction de leurs besoins
d’autonomie, de compétence et d’appartenance sociale » (Dupont, Carlier, Delens, et
Gerard, 2010, p. 12). Pour autant, certains élèves restent en dehors, ou à la marge du
travail de groupe (dans la classe de Matts) ou limitent leur participation dans
l’exécution collective de mouvements synchrones (dans la classe de Nadine). Ces
constats révèlent aussi des similitudes dans les manières d’enseigner des deux
enseignants en liens avec les préconisations institutionnelles d’éducation à la
citoyenneté active des curriculums français et suédois. Apprendre en groupe,
s’entraider sont des maître-mots des traditions d’enseignement visant à favoriser
« l’inclusion » des élèves dans le groupe de travail ou le groupe classe, avec comme
ligne d’horizon que ces « compétences sociales et méthodologiques » (selon la
formulation du programme d’EPS français) seront bénéfiques à plus long terme en
termes d’intégration sociale. En revanche, si l’analyse des curriculums français et
suédois a mis en avant l’importance de ces activités physiques de fitness dans la
perspective de permettre aux élèves de mesurer les effets de la pratique sur leur corps,
la comparaison effectuée pointe que cette injonction institutionnelle apparaît guider,
au moins formellement, l’activité de l’enseignant suédois, lors de séquence réflexive de
fin de séance, alors qu’en France, l’enseignante s’en éloigne.
5. 2. Spécificités des pratiques didactiques observées
53 Malgré les limites inhérentes à ce type d’étude de cas, et au-delà des différences
évoquées dans la section précédente, nos constats, construits sur deux échelles
d’analyse différentes, permettent de caractériser certaines spécificités des manières
d’enseigner les activités de fitness dans les deux séances. Elles portent d’une part, sur la
question des liens avec la pratique sociale prise en référence, et d’autre part, sur
certaines modalités de gestion, dans l’action conjointe, de l’avancée des savoirs.
54 Concernant les liens avec la pratique sociale de référence, nous avons montré chez
l’enseignante française, que les savoirs enseignés et les formes d’étude valorisées,
révèlent l’importance donnée aux aspects culturels de l’activité. Pour autant, les
caractéristiques retenues de cette activité ne sont pas liées à la capacité à développer et
mener un entraînement personnel (comme le préconisent les programmes français)
mais à la capacité des élèves à maintenir un rythme soutenu d’engagement moteur tout
au long de la séance. Ce constat est renforcé du fait de l’enchaînement rapide des
différents pas proposés par l’enseignante face à la classe selon une succession de
contrats d’ostension qui invitent les élèves à imiter le professeur (Brousseau, 1996).
C’est pourquoi nous considérons que la manière d’enseigner de Nadine est en lien avec
la tradition d’enseignement de l’éducation physique relevant d’une éducation à la santé
centrée, ici, sur les dimensions physiologiques de l’exercice physique et la capacité des
élèves à persévérer dans leurs efforts. Comme le déclare Nadine lors d’un entretien : «
c’est plutôt développer le goût de l’effort pour une pratique physique ultérieure » (perspective à
long terme) qui organise sa manière d’enseigner. Par ailleurs, dans la deuxième partie
de la séance donnant davantage d’autonomie aux élèves, nous avons pointé que la
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distribution des rôles et les régulations effectuées par l’enseignante tendent à renforcer
cette intention didactique quant au choix des complexifications.
55 Chez l’enseignant suédois, les aspects culturels liés aux caractéristiques de la pratique
de référence sont abordés très allusivement ; la mise en scène des savoirs lors de la
séance, met en évidence une manière d’enseigner l’activité fitness fortement influencée
par la tradition d’enseignement liée aux valeurs et à la citoyenneté ainsi qu’à un
moindre degré, celle liée à la santé. Pour la première tradition, nous soulignons le souci
de Matts de permettre aux élèves d’accepter leurs différences de performance ou de
niveaux, de travailler en groupe et coopérer entre pairs. Pour la seconde, nous en
pointons deux aspects : la capacité, ici et maintenant, à bouger en musique et à
ressentir les effets de l’activité sur son corps ; la mise en perspective explicite dans les
échanges avec les élèves, d’une pratique physique adaptée tout au long de la vie. Nous
retrouvons ici l’influence les deux traditions d’enseignement dominantes (à la santé et
à la citoyenneté) des textes officiels suédois (Forest, Lenzen et Öhman, 2017) et
pointons combien les préconisations curriculaires afférentes impactent la manière
d’enseigner de Matts.
56 Du point de vue des manières d’enseigner de Nadine et de Matts, telles qu’inférées de
l’analyse de l’action conjointe avec leurs élèves, nous pointons aussi des spécificités en
termes de gestion de l’avancée des savoirs. La chronogenèse est majoritairement sous la
responsabilité de Nadine qui modifie le milieu didactique, par ses nombreuses
démonstrations. Elle adopte tout au long de la séance, une posture topogénétique haute
faite d’ostensions et d’explications sur ce qu’il y a à faire. On note peu d’actions de
régulations des apprentissages à partir de l’observation des prestations réelles des
élèves. Les nombreuses interactions de Nadine portent sur les complexifications. Du
côté de Matts, la chronogenèse est davantage placée sous la responsabilité d’élèves (dits
chronogènes) au sein de chaque groupe ; les élèves les plus performants, ou les plus
avancés sont délibérément placés en position de modèles lors de la révision des pas. Ils
vont également être source de propositions de mouvements de bras dans le travail de
création de groupe. L’effacement topogénétique de Matts se traduit, comme nous
l’avons vu, par de rares interactions qui portent uniquement sur le travail en rythme et
la synchronisation entre élèves.
57 Dans les deux sites, ces manières d’enseigner ainsi que les formes de travail adoptées
par les enseignants sont au service d’une certaine vision d’inclusion des élèves à la
communauté que constitue le groupe ou la classe, mais aussi la profession envisagée
(surtout pour Nadine). Les organisations collectives, le sentiment d’appartenance à un
groupe, également valorisés par les deux enseignants, concourent cependant à des
visées distinctes :
– Dans le cas français, chaque membre du groupe a la possibilité d’assumer le rôle de
concepteur de coordinations complexes grâce à l’apprentissage des pas réalisé dans le
premier temps de la séance. La culture commune visée dans la première partie de la
séance d’apprentissage de pas, garantit une égalité au sein des groupes qui ont été
constitués de façon affinitaire. Cette façon d’intégrer chaque élève au sein du groupe
est un aspect important dans l’enseignement de Nadine qui a également des objectifs à
plus long terme, en relation avec le devenir professionnel de ses élèves. En effet, elle
estime que le milieu professionnel de la restauration est particulièrement éprouvant
physiquement mais également en relation avec le climat souvent difficile qui règne
dans les cuisines, particulièrement pour les filles : « ça reste quelque chose d’intense qui
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demande quelque chose d’exigeant aux élèves et on a quand même des élèves … en hôtellerie
restauration qui vont être débout toute la journée avec des efforts durs » (Entretien post
séance). Ainsi, elle souhaite que ses élèves soient en mesure de produire des efforts
physiques et que ces derniers soient réalisés aux yeux de tous, afin que chacun soit
reconnu comme capable d’engagement physique.
– Dans le cas suédois, nous avons vu que le travail collectif induit une répartition des
rôles au sein des groupes, pouvant minimiser l’investissement de certains. La
constitution de groupes par l’enseignant avec des élèves plus avancés que d’autres peut
exacerber les difficultés rencontrées par certains élèves à se produire devant les autres.
Ainsi dans l’épisode présenté, les difficultés de Nils à s’engager dans le travail demandé
rendent compte d’une participation faible et d’une tendance à abandonner. Il ressort
des analyses que le souci d’inclusion des élèves au sein des groupes de travail au-delà
des différences de niveaux : « [qu’] ils se sentent en sécurité entre eux, … et que c’est OK de ne
pas être … de ne pas être très bon » (Entretien post séance) achoppe du fait de la faible
définition de ce que chaque groupe doit produire à la fin de la séance. La manière
d’enseigner de Matts autorise plus facilement les élèves à travailler à côté les uns des
autres ou à s’échapper facilement du travail demandé.
6. Conclusion à propos de l’épaisseur des savoirs misà l’étude au nom de l’inclusion
58 D’une manière générale, l’intention annoncée par les enseignants des deux pays de
promouvoir une meilleure inclusion des élèves au groupe classe via des pratiques
d’activités physiques de fitness collectives, considérées comme favorisant les échanges
et la cohésion dans des contextes d’établissements professionnels, reste somme toute,
faiblement mise en œuvre. Loin de permettre un engagement disciplinaire productif,
les manières d’enseigner des deux professeurs consistent à obtenir une effectuation des
tâches scolaires sans réellement engager les élèves dans des apprentissages à haute
épaisseur épistémique. Le « savoir s’entraîner » qui est au cœur du programme français
relativement à la compétence propre 5 ; la perspective « d’éducation à la santé tout au
long de la vie » au regard des « méthodes d'entraînement et leurs effets, tels que la
forme physique et la coordination » au cœur du texte officiel suédois restent des visées
faiblement opérationnalisées dans les deux sites. L’enseignement de l’éducation
physique comme éducation aux valeurs et à la citoyenneté y est envisagé
principalement par la mise en place de groupes de travail mais le peu d’exigences
relatives aux savoirs s’entraîner en fitness ne permet pas réellement à ces enseignants
de développer une culture commune inclusive au sein de la classe ni des perspectives
de santé à plus long terme.
59 Les « manières d’enseigner » identifiées dans les deux sites révèlent la valorisation de
certaines traditions d’enseignement afin d’engager les élèves dans une pratique
collective. La tradition d’enseignement de l’éducation physique liée à l’éducation à la
santé est présente dans les manières d’enseigner des deux enseignants. Cependant,
alors que dans les curriculums français et suédois, la santé prend des acceptions
proches liées à la gestion de sa vie physique et au bien-être, les manières d’enseigner de
Matts et de Nadine rendent compte d’interprétations personnelles. L’enseignante
française valorise les aspects physiologiques de l’activité et plus particulièrement la
capacité de ses élèves à produire des efforts (en les justifiant au regard de la dureté de
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leur futur métier). Dans cette perspective, elle adopte une posture topogénétique
généralement haute et contrôle l’activité de chacun en les plaçant face à elle ; les élèves
ne peuvent alors pas abandonner et s’exclure du groupe classe. Dans la seconde partie
de sa séance, elle favorise l’engagement de ses élèves par la constitution de groupes
affinitaires. Elle ne reprend pas à sa charge les préconisations institutionnelles qui
soulignent la nécessité d’apprendre aux élèves de lycée à s’entraîner de façon
autonome en les centrant sur leur ressenti. Par contraste, Matts favorise l’expression
de ses élèves sur leur ressenti et valorise l’activité comme utile tout au long de la vie, en
s’inscrivant dans la continuité du curriculum suédois, mais cette valorisation reste
assez déclarative, sa manière d’enseigner privilégiant davantage les valeurs du travail
collectif quelles que soient les différences entre élèves. Sa manière d’enseigner selon
une posture topogénétique basse, laissant aux élèves le soin de produire l’avancée du
savoir dans le groupe, débouche sur un affaiblissement des contenus d’enseignement
liés au fitness, qui se résument, au mieux, à l’effectuation des traits de surface de la
tâche collective (Kherroubi et Rochex, 2004).
60 La réinterprétation des curriculums prescrits (Lenzen, 2012), plus encore dans les
contextes difficiles (Poggi, 2014), identifiable dans les manières d’enseigner que nous
avons observées, révèle le type d’exigences que se donnent les enseignants au regard de
leur action didactique et des contextes spécifiques de leur intervention. Relativement
aux deux études de cas développées dans cet article, ces exigences, fortement liées aux
caractéristiques attribuées aux élèves de lycées professionnels, se réduisent à des visées
de mobilisation et d’engagement des élèves dans le travail proposé aux fins d’un
horizon d’inclusion sociale et/ou professionnelle. La volonté de contextualisation des
apprentissages souligne que les deux enseignants, dans des environnements
curriculaires pourtant différents, proposent des pratiques d’inclusion via les
interactions en classe. Néanmoins, les analyses effectuées mettent en évidence combien
ces manières d’enseigner sont loin de relever d’une véritable « inclusion épistémique »
(Montaud et Amans-Passaga, 2018). Pour résumer, ces deux enseignants favorisent
particulièrement les interactions entre pairs, comme stratégies d’enrôlement des
élèves, dont on a pu voir qu’elles restent assez peu favorables au développement d’un
engagement réellement disciplinaire et productif (Engle, 2011, Bennour, 2017). On
retrouve ici le constat selon lequel, en lycée professionnel, « la négociation des
contenus scolaires, notamment pour certaines matières dans lesquelles les contraintes
du programme sont moins restrictives (en lettres, en EPS, en arts appliqués, etc.) […]
associe finalités scolaires et socialisation des élèves (aux règles, aux modes de
participation en classe ou en groupe, etc.) » (Jellab, 2005, p. 304). Les résultats de cette
étude didactique comparatiste recoupent également ceux établis sur les pratiques
d’enseignement en milieu difficile (Kherroubi et Rochex, 2004 ; Poggi-Combaz, 2002). Ils
interrogent l’épaisseur épistémique des savoirs réellement appris par les élèves
relativement aux activités de fitness, et leur éventuel potentiel à favoriser leur
insertion professionnelle.
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RÉSUMÉS
Cet article s’inscrit dans une recherche de didactique comparée. Sa visée est d’identifier la façon
dont deux enseignants d’éducation physique, l’un français et l’autre suédois, contextualisent leur
pratique d’enseignement en lycées professionnels à des fins « d’inclusion » de leurs élèves au sein
des groupes de travail. Il s’appuie sur un cadre théorique hybride articulant les concepts de
« traditions d’enseignement » et « manières d’enseigner » élaborés par les didacticiens suédois,
avec le cadre d’étude de l’action conjointe en didactique tel que développé dans l’approche
francophone. La problématique de recherche, relative à la question de l’inclusion scolaire dans sa
dimension épistémique, fait l’objet de la première section. Nous présentons ensuite le cadre
théorique composite retenu, puis nous discutons la compatibilité théorique des deux approches,
ainsi que la pertinence, pour cette recherche, de l’hybridation proposée. Après un bref exposé de
la méthodologie d’observation et d’entretiens mise en œuvre, nous présentons les résultats de la
recherche en analysant deux séances d’éducation physique de fitness en lycées professionnels,
l’une en France, l’autre en Suède. Deux échelles de comparaison sont mobilisées : la première
macroscopique, porte sur l’organisation et la structuration de chaque séance, la seconde,
microdidactique, s’attache à décrire les interactions professeur-élèves lors d’une transaction
didactique emblématique de leur pratique d’enseignement. Cette double échelle d’analyse
permet de caractériser, les « manières d’enseigner » des deux enseignants en lien avec les
« traditions d’enseignement » identifiées dans les préconstruits curriculaires des deux pays.
L’approche comparatiste des phénomènes didactiques ainsi menée permet de rendre compte de
la façon singulière dont les savoirs sont mis à l’étude et co-construits dans la classe lors de
séances de fitness. Les deux études de cas révèlent le sens qu’accordent ces deux enseignants à
l’idée d’inclusion et à la manière dont ils la mettent en œuvre avec leurs élèves de lycées
professionnels. Les résultats mettent en évidence que les deux enseignants envisagent l’inclusion
à des échelles temporelles différentes qui dépassent le cadre de la scolarité des élèves. Ainsi, si le
travail en groupe, en autonomie, est valorisé par les deux enseignants comme favorisant les
pratiques inclusives dans leur classe, les modalités mises en place et les attentes qui s’y
rattachent diffèrent au regard, entre-autre, de leur interprétation du curriculum national. En
revanche, le trait générique qui traverse les pratiques observées souligne la visée commune
d’engagement physique des élèves dans les tâches, s’accompagnant selon des modalités
spécifiques à chaque site, d’une faible épaisseur des savoirs mis à l’étude, loin des enjeux d’une
véritable « inclusion épistémique ».
This article is part of a comparative didactic research. It aims at identifying how two physical
education teachers, one French and the other Swedish, contextualize their teaching practice at
vocational high schools for the purpose of ‘inclusive education’ of their students in working
groups. The study is based on a hybrid theoretical framework that articulates the concepts of
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‘teaching traditions’ and ‘manners of teaching’ developed by Swedish didactics, with the Joint
Action in Didactics framework developed in the Francophone approach. In the first section we
present the research problem, which is related to the question of inclusive education in its
epistemic dimension. In the second section we sketch the theoretical framework used and we
discuss the theoretical compatibility of the two approaches as well as the relevance of the
proposed hybridization. After a brief presentation of the method, based on video observations
and interviews, we expose the research findings by analyzing two fitness lessons in physical
education at vocational high schools: one in France, the other in Sweden. Two scales of
comparison are used: the first one, macroscopic, is about the organization and structuring of
each lesson; the second one, microdidactic, focuses on various teacher-students’ transactions
considered as emblematic of the observed teaching practices. The double scale of analysis allows
characterizing the ‘manners of teaching’ of the two teachers in relation to the ‘teaching
traditions’ identified in the curricular pre-constructs of the two countries. The comparative
approach carried out accounts for the singular way in which knowledge is studied and co-
constructed in the classroom during fitness lessons. The two case studies reveal the meaning of
inclusive education the two teachers bear in mind and how they implement it with their students
at vocational high school. The findings highlight that both teachers envision inclusive education
at different time scales that go beyond the scope of students’ schooling. If independent team
work is valued by the two teachers as favoring inclusive practices in their classrooms, the
modalities of its implementation and the expectations attached to it differ in light of, among
other things, the teachers’ interpretation of the national curriculum. On the other hand, the
generic feature that goes through the observed practices underscores a common purpose for
increasing student physical engagement in the tasks. Within specific modalities at each site, this
purpose is unfortunately accompanied by a poor significance of the knowledge studied: In a word
far away from a real ‘epistemic inclusive education’.
INDEX
Mots-clés : manières d’enseigner, traditions d’enseignement, action didactique conjointe,
didactique comparée, lycées professionnels, inclusion, fitness, éducation physique
Keywords : manners of teaching, teaching traditions, joint action in didactics, comparative
didactics, vocational high school, inclusive education, fitness, physical education
AUTEURS
EMMANUELLE FOREST
Université Paris Descartes
CHANTAL AMADE-ESCOT
Université de Toulouse Jean Jaurès, UMR EFTS "Education, Formation, Travail, Savoirs"
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RecensionDidier Barthès
RÉFÉRENCE
Marc Deleplace, Daniel Bouthier, Pierre Villepreux (dir.). (2018). René Deleplace. Du rugby
de mouvement à un projet global pour l’EPS et les STAPS. Villeneuve d’Ascq : Presses
universitaires du Septentrion.
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1 L’ouvrage de 270 pages se présente sous une forme contributive de 7 auteurs
principaux pour 22 contributeurs, sous la direction conjointe de Marc Deleplace, Daniel
Bouthier et Pierre Villepreux.
2 Il a l’ambition de regrouper un ensemble de contributions à propos et autour de
l’œuvre et l’engagement militant de René Deleplace, de ses conceptions et théories du
rugby mais également à propos de la formation en éducation physique et en rugby
fédéral comme scolaire, voire de son expérience concernant le cor d’harmonie. Les
différentes contributions sont enrichies par une suite de textes publiés ou non par René
Deleplace ; textes présentés et analysés par les différents auteurs principaux.
L’ensemble de ces contributions constitue sans conteste, le témoignage d’une
expérience humaine « à hauteur d’homme », une expérience en lien avec l’ensemble
des facettes constituant l’œuvre de René Deleplace. Cette expérience qui va du sport en
général, au rugby bien évidemment, mais encore à l’éducation physique et sportive et
la formation en STAPS, relie cette dimension sportive au domaine de la musique et plus
particulièrement au cor d’harmonie. C’est un projet global qui nous est proposé, tant
pour l’EPS et les STAPS que pour l’entrainement et la réflexion épistémologique et
axiologique liée intimement avec l’expérience de terrain, celle de l’entraineur, du
militant et du formateur. Car la particularité de l’œuvre présentée tient surtout au
souci d’articuler les problématiques de terrain, celles de la formation et de
l’entrainement, à des questions et des enjeux théoriques, épistémiques voire
politiques ; en cela, cet ouvrage rend compte d’une dimension émancipatrice de
l’activité motrice humaine telle qu’a pu la mettre en œuvre René Deleplace.
3 L’ouvrage se présente en 3 sections conséquentes en volume et en types de
contributions, sections dans lesquelles différentes thématiques sont présentées en
plusieurs chapitres et contributeurs. Une bibliographie sélective par auteur est
proposée en fin d’ouvrage. Elle vient en complément des références de bas de page dans
chacune des contributions.
4 L’idée de proposer un ensemble de réflexions, témoignages et analyses, est tout à fait
intéressant dans la mesure où ce type de travail n’a pas été encore réalisé, c’est là
l’intérêt principal de cet ouvrage que de replacer dans la diachronie, les différentes
étapes de l’œuvre de René Deleplace, de son cheminement conceptuel dans les
différents domaines de son activité professionnelle, militante comme sportive. De cette
façon, les éléments contextuels, ceux du terrain et de la formation, viennent éclairer de
façon tout à fait originale et pertinente la démarche de René Deleplace tout en
fournissant ainsi l’étayage et la cohérence théorique et méthodologique de son œuvre.
5 Ainsi, articuler le rugby, la formation physique et le cor d’harmonie constitue un
exercice délicat qui est en définitive plutôt bien mené et pertinent. On saisit bien que
l’objectif de l’ouvrage ne soit pas de faire un panégyrique de René Deleplace et de son
œuvre mais bien de présenter de façon exhaustive ses idées et discuter ses conceptions
concernant le rugby et de manière plus générale la formation physique et culturelle de
l’homme sportif. Il s’agit là d’une conception humaniste résolument ancrée dans son
temps.
6 La préface pose le cadre général des contributions qui vont suivre. Elle présente de
manière pertinente les différentes dimensions de l’œuvre de René Deleplace tout en
essayant de circonscrire l’espace du « chantier deleplacien » dans ses dimensions
anthropologiques. Ainsi, les contributions prendront un caractère souvent dynamique
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et actuel sous la forme de témoignages d’expérience personnelle et de pratiques
d’interventions professionnelles éclairées par une dimension théorique de bon niveau.
7 Après une biographie fidèle menée par Marc Deleplace puis par Jacques Giraud, la
section 1, coordonnée par Marc Deleplace et Daniel Bouthier, est consacrée au cadre
théorique développé par René Deleplace. L’objectif est de définir un objet scientifique
selon une trajectoire définie par le passage de la pratique sociale de référence, le rugby,
à une pratique scolaire en termes d’activité physique et sportive. Cette section rend
compte du cheminement d’une modélisation de l’activité physique s’appuyant sur une
démarche empirique, celle de l’expérience de joueur, d’entraineur et de formateur
favorisant l’émergence d’une réelle épistémologie des activités physiques, celle-ci ne
pouvant s’appuyer que sur la réalité de l’expérience.
8 La deuxième section coordonnée par Marc Deleplace et Serge Reitchess, aborde la
dimension culturelle et sociale de l’œuvre de René Deleplace. Cette section éclaire le
caractère militant des convictions qui ont organisé et justifié l’activité de René
Deleplace. Elle articule l’action professionnelle comme syndicale et sportive, en lui
donnant une certaine unité de conviction. La dimension didactique liée intimement à la
réflexion épistémologique permet aux auteurs de souligner la recherche de cohérence
chez René Deleplace. Celle-ci ne peut s’envisager que dans une approche systémique
articulant le geste technique et le contexte dans lequel celui-ci s’accomplit.
9 La troisième section coordonnée par Marc Deleplace propose, après une partie
introductive, une anthologie de textes publiés ou non, classés chronologiquement. Des
textes choisis, présentés et analysés par Marc Deleplace, Serge Reitchess, Daniel
Bouthier ou encore Jacques Dury, sont organisés selon 4 thématiques : théorie du
rugby, formation en APS comme champ scientifique, le lien avec l’EPS et enfin celui
plus général des apprentissages moteurs dont ceux en lien avec le cor d’harmonie.
Cette section est intéressante du point de vue historique et épistémologique car elle
fournit un matériau pertinent de réflexion pour le lecteur. Par ailleurs les éléments
d’analyse fournis par les auteurs, viennent éclairer de façon tout à fait intéressante les
différentes dimensions de l’œuvre de René Deleplace.
AUTEURS
DIDIER BARTHÈS
Université Paris Descartes
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Soutenance d'HDR
Mathilde Musard, maître de conférences à l’université de Franche-Comté a soutenu son
Habilitation à Diriger les Recherches (HDR), intitulée « La dynamique curriculaire en
Education Physique et Sportive. Vers une approche comparatiste en didactique » le jeudi 25
Octobre 2018 à Besançon.
Le jury était composé de
1 C. AMADE-ESCOT, Professeure émérite, Université de Toulouse (Présidente)
J. BISAULT, Professeur, Université d’Amiens (Rapporteur)
S. BRAU-ANTONY, Professeur, Université de Reims (Garant scientifique)
M. COQUIDE, Professeure émérite, École Normale Supérieure de Lyon
J-F. DESBIENS, Professeur des Universités, Université de Sherbrooke (Rapporteur)
M. LOQUET, Professeure, Université de Rennes (Rapporteure)
D. PASCO, Professeur, Université de Besançon (Garant institutionnel)
Résumé
2 Les recherches sur les curriculums sont cloisonnées : elles portent plus souvent sur les
curriculums prescrit et potentiel (Martinand, 2014) à partir de données textuelles
(textes officiels, analyse de manuels pédagogiques, documents, entretiens...) et moins
sur le curriculum en actes tel qu’il se co-construit en classe dans les interactions entre
l’enseignant et les élèves (Jonnaert, 2011 ; Lenzen, 2012 ; Audigier & Tutiaux-Guillon,
2008).
3 La problématique de cette habilitation à diriger les recherches s’inscrit dans le dialogue
entre les traditions curriculaire et didactique (Gundem & Hopmann, 1998 ; Audigier,
Crahay & Dolz, 2006 ; Lebeaume, 2011 ; Martinand, 2014) et vise à appréhender la
complexité de la dynamique curriculaire en EPS au regard des contenus, qu’ils soient
prescrits, interprétés ou co-construits par l’enseignant et les élèves in situ. Il s’agit de
mener des enquêtes à différentes échelles, depuis le curriculum prescrit jusqu’au
curriculum en actes, en fonction de différentes temporalités (années, séquence, leçon…)
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et en lien avec les composantes du curriculum (visées éducatives, contenus,
progression, évaluation, etc.).
4 Les recherches empiriques sont revisitées à partir d’un cadre de didactique curriculaire
selon trois axes : l’étude des curriculums prescrit et potentiel ; l’étude du curriculum en
actes et l’étude de la dynamique curriculaire.
5 Le programme de recherche discute des aspects théoriques et méthodologiques en vue
d’élaborer un modèle pour l’étude de la dynamique curriculaire. Il s’enrichit à travers
l’ancrage dans les approches comparatistes en didactique au sein des sciences de
l’homme et de la société et l’ouverture sur différentes visées de recherche pour
contribuer à la (trans)formation des enseignants.
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Soutenance de thèse
Marcos Roberto Godoi a présenté sa thèse en décembre 2017 à la Faculté des sciences de
l’éducation, Université de Montréal, en vue de l’obtention du grade de Philosophiae
Doctor (Ph.D.) en sciences de l’éducation, option psychopédagogie. Cette thèse est
intitulée « Le "travail curriculaire" des enseignants en éducation physique : du travail prescrit
au travail réel » est disponible dans Papyrus de l'UdeM via http://hdl.handle.net/
1866/19975
Le jury était composé de
1 Francisco Loyola, président
Cecilia Borges, directrice de recherche
François Vandercleyen, membre
Yannick Lémonie, examinateur externe
Serge Larivée, représentant de la doyenne
Résumé
2 Dans cette recherche de doctorat, nous analysons le « travail curriculaire » des
enseignants en e ducation physique. Le travail curriculaire est l’ensemble des processus
d’interpre tation, d’adaptation et de transformation du curriculum prescrit par les
enseignants pour le rendre enseignable aux élèves (Tardif et Lessard, 1999). En 2012, il y
a eu la mise en œuvre du curriculum municipal d’education physique (CMEP) pour les
e coles municipales de Cuiaba (Moreira, 2012), dans l’Etat du Mato Grosso, au Bresil.
Cependant, on en savait tre s peu sur comment les enseignants l’integrent a leurs
enseignements en salle de classe. En ce sens, notre question de recherche est : comment
les enseignants interpretent-ils et transforment-ils le curriculum prescrit en salle de
classe ? Autrement dit, comment realisent-ils le travail curriculaire ? Concernant notre
cadre the orique, il s’appuie sur la sociologie du travail enseignant et sur l’ergonomie
franc aise, plus particulie rement sur l’approche de la clinique de l’activite. Notre
recherche est mixte, mais avec un accent plus fort place sur la perspective qualitative.
En outre, l’e tude peut e tre classifiee comme une recherche-intervention selon
l’approche historico-de veloppementale. Dans la premie re phase, nous avons administre
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un questionnaire a 73 enseignants pour connaitre leurs perceptions a l’e gard du CMEP
et du programme de formation continue qui a e te offert pour appuyer l’implantation
du curriculum. Dans la deuxieme phase, nous avons mene une e tude multi-cas avec
quatre enseignants, trois femmes et un homme, dont deux e taient novices (E1 et E2) et
deux e taient expe rimentes (E3 et E4). Nous avons consulte des documents (le
curriculum prescrit, les projets pedagogiques des e coles, les planifications des
enseignants) et nous avons fait des entrevues semi- dirige es au debut de la recherche et
a la fin de l’annee scolaire 2015. De plus, nous avons observe et tourne des videos de
leurs lecons pendant une pe riode de deux mois. Ensuite, nous avons applique la
methode de l’autoconfrontation simple et croisee (Clot, 2008), ou nous avons pu
acce der aux points de vue sur les activites en salle de classe des enseignants
participants a l’e tude multi-cas. Parmi les principaux re sultats de notre recherche,
nous pouvons souligner que : concernant la perception ge ne rale positive du CMEP,
82,19 % des enseignants trouvent qu’il est avantageux d’enseigner conformement au
CMEP. Par rapport a l’usage du CMEP, presque 80 % des enseignants utilisent toujours
ou presque toujours ce curriculum pour faire leurs planifications annuelles, 76,72 % en
font l’usage pour planifier leurs seances, et 72,61 % l’utilisent en l’adaptant. En ce qui a
trait aux aspects qui entravent l’implantation du CMEP, le manque de materiel iv
pe dagogique (41,1 %) et les installations inadequates (34,25 %) sont les facteurs qui
empe chent le plus la mise en œuvre du curriculum. Par rapport a la formation
continue, 74 % des enseignants estiment qu’elle offre l’appui suffisant pour
l’implantation du CMEP et qu’elle a e te fonctionnelle pour presque 90 % des
enseignants. Par rapport aux resultats de l’etude multi-cas, nous soulignons que : les
enseignants utilisent le CMEP pour faire leurs planifications annuelles, a moyen ou
court termes, mais ils l’interpretent, l’adaptent et le transforment lors de
l’enseignement en classe avec leurs e le ves, chacun a sa fac on et selon leurs
connaissances de la matie re, du curriculum et des e le ves, des ressources et des espaces
disponibles, mais en les transformant et en les adaptant ceux- ci aussi. En bref, les
facteurs contextuels et personnels du travail curriculaire influent sur cette adaptation
du curriculum. De plus, notre etude a montre que les enseignants sont des interpretes,
acteurs, auteurs et constructeurs du curriculum d’education physique enseigne en
classe et que les ele ves sont co-auteurs des lecons avec leurs enseignants.
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