Yann Minh - Thanatos, Les Recifs

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Thanatos, Les RcifsYann Minh

Publication: 1997 Catgorie(s): Fiction, Action & Aventure, rotique, LGBT, Gay, Science Fiction, Cyberpunk et technologique, Space opera et planet opera Tag(s): "modifications corporelles" cyberpunk cybersexe cyberculture BDSM sado-masochisme rotisme nanotechnologie nanorobots cyborgs body-modifications transgenre cyberespace transexualit avatars

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THANATOS, LES RCIFS. Yann Minh. 1997 http://www.yannminh.org Version Feedbooks mise en ligne en septembre 2010 avec chapitrages pour lecteurs numriques. http://fr.feedbooks.com/userbook/15643 Premire parution aux ditions Florent-Massot en Octobre 1997. (ISBN 2-908382-72-5). Direction de collection : Raymond Audemard. Version Corrige pour diffusion en ligne. le 04/02/2003. Accord parental souhaitable, et personnes sensibles, ou mineurs sabstenir. "Thanatos, Les Rcifs" relate des scnes sexuelles et de violence qui peuvent tre perturbantes pour les enfants, et les personnes sensibles. Informations en ligne mans.html/" "http://www.yannminh.org/french/IndRo-

Musiques conseilles par l'auteur pendant la lecture : Flamma Flamma, The Fire Requiem de Nicholas Lens. -Loreena Mc Kenitt, The mask & the mirror 4509 95296 2 -Bande originale du film: Ghost in the shell compose et ralise par Kenji Kawai. BCR 729.

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Chapitre

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THANATOS, LES RCIFS Qui sommes-nous encore, au fond de ce dcor de souffrance ? Qui sommes-nous devant nos silences et lindiffrence qui oublie tout ? Que verront les yeux du destin, quand nos curs contraints sen iront ? Est-ce que les cris damour, les appels au secours gagneront de meilleurs jours ? Cyane 1962-2162 Dyl conduit et je regarde la nuit dasphalte sengouffrer sous les roues Les rais de lumire blafards glissent sur sa peau blanche. Les faisceaux dcoupent sa chair au rythme des bandes jaunes aspires par le moteur. Le vent repousse par intermittence une mche rebelle sur ses grands yeux. Elle semble rver, le regard fix sur un horizon au-del des toiles. Dyl conduit avec sa prcision habituelle, les yeux rivs sur le puits dombre entre les phares. Le vent effleure sa peau, simmisce entre ses cuisses entrouvertes, attirant la caresse dune main entre ses jambes. La voiture s'enfonce au ralenti dans le bleu de la nuit. TRISTAN Jai froid. Un point rouge clignote dans le lointain. Dnormes rochers drivent doucement entre les parois du dfil, dans la faible luminescence bleue dune brume aquatique. Mon regard est fix sur cette fragile petite lumire rouge.

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Rcifs. Le mot rsonne dans ma tte, il ny a plus que ce mot, qui revient ternellement et qui occupe toute ma pense. Rcifs. Je ne sais plus qui je suis, ni pourquoi je suis accroch cette falaise, transi de froid, moiti nu, guettant cette ridicule petite lumire intermittente. Mes bras et mes jambes sont ankyloss. Je nai pas la force de chercher une position moins douloureuse. Mes poignets sont lis de lourds anneaux rouills de part et dautre de ma tte. Mes mains sont comme deux araignes bleues au bout de mes bras, inertes, je ne les sens plus, elles ne ragissent plus. Mes pieds sont attachs par des cordelettes fibreuses des anneaux mtalliques encastrs dans la pierre. Ma vue se brouille. Des larmes coulent le long de mes joues, soulageant ma souffrance. Je ne veux plus bouger. Je veux rester ici et attendre que la mort vienne doucement pendant mon sommeil. Une rection nerveuse gonfle ma verge. Trouant la brume, des clats de lumire orangs accrochent les asprits luisantes. Un souffle dair tide venu des profondeurs caresse ma peau. Des vagues rgulires de chaleur agitent lair autour de moi. Un feu brle au fond de labme entre mes jambes. Une meute de dragons descend en spirale depuis les cimes, pour disparatre dans lombre bleue du dfil. Mon dsir a disparu. Une large griffure le long de ma hanche mlance douloureusement. Je tremble de froid. Mon sexe semble se rtracter pour entrer dans mon corps. La lumire rouge a boug. Un sifflement strident suivit du bruit mat de plusieurs impacts. Quatre longues tiges mtalliques sont venues se ficher dans mes bras et mes cuisses, me clouant contre le schiste froid. Lexplosion de douleur me coupe le souffle. Un cri rauque commence natre au fond de ma gorge. Je hurle. Ma voix est touffe, teinte par cette brume paisse et humide qui ruisselle sur les pierres, sur ma peau, englue mes cheveux dans le sang qui suinte de mes plaies. Une nouvelle lame de douleur me ttanise. Je hurle. Les larmes voilent mon regard. Une bourrasque carte les volutes de brume, je distingue mieux cette petite lumire rouge clignotante. Elle nest pas aussi loin que je croyais. Elle est suspendue dans lair seulement une dizaine de mtres. Cest une camra sphrique qui me fixe de ses petites lentilles noires. La boule dacier polie et luisante sapproche en un lent mouvement tournant. Un instant elle semble doubler de volume lorsque les bras mcaniques munis de scalpels se dplient de sa surface.

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Je perois cela dans une demi-conscience, lesprit entirement accapar par les fulgurances de la souffrance. Mon cur me fait mal et je narrive pas retrouver mon souffle. Lhmisphre suprieur de la camra portant les objectifs, sest spar, et flotte un petit peu en arrire. Le reste du robot a maintenant lallure dun crabe scorpion avec ses deux pinces-scalpels cartes autour dun long dard mtallique. Linsecte dacier descend lentement vers mes hanches. Une brlure froide lorsque les lames senfoncent, puis lexplosion de douleur me submerge tandis que les lames incisent et dcoupent, profanant mon corps dans une barbarie sexuelle qui maurait peut-tre content si je nen avais pas t la victime. La dernire sensation est le pal du dard me pntrant, ultime supplice dans un chaos de souffrance. Je menfonce dans une spirale de nant. Je flotte dans un bien-tre absolu, une sorte dorgasme immacul ralenti, qui stire lentement, interminablement, dans une blancheur blouissante. Je me demande si cest la mort. Mes yeux larmoyants sont figs sur un rectangle lumineux dont la signification mchappe. Dbarrass de lemprise du cybertrip, mon cerveau identifie la forme gomtrique. Cest le non blanc du plafonnier. Je suis allong sur la banquette suprieure du camion. Aprs avoir gnr leurs doses dmotions dans mes synapses, les robcells1 , dconnects de mes neurones, se rpandent dans mon sang pour y tre digrs par les macrophages. Certains essaims se sont fray un chemin plus rapide, et schappent par mes yeux et mes narines. Leur got mtallique cre emplit ma bouche. La pulsation lourde des basses qui rsonnent depuis limmense btiment industriel abandonn achve de me ramener la ralit. Je sors en1.1 rob-cells : Les robots cellulaires sont des colonies de nanorobots de la taille de cellules humaines, organiss en intelligence collective. Conus lorigine, pour soigner les cancers, les essaims de robs-cells traquent les mtastases pour les phagocyter. Depuis lapparition des maladies transgniques, la plupart des milliardaires vivent en symbiose avec diffrentes varits de rob-cells charges de nettoyer leur organisme en permanence. Les Laboratoires de recherche du Faisceau avaient russi rcemment programmer des essaims de robots cellulaires capables de stimuler les aires auditives, olfactives et visuelles du cortex. Depuis, les drogues bases dessaims de microrobots auto-organiss font fureurs. Chaque mois un nouveau modle programm pour gnrer des hallucinations spcifiques arrive sur le march. Cest une drogue parfaite, beaucoup deffet et pas daccoutumance, mais trs rare.

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titubant, rate le marchepied et tombe pieds joints dans une flaque de boue qui noie mes chaussures. Le froid de leau me rveille tout fait. Jentre par la porte de service en laissant les vigiles scanner mon implant de backstage. La salle enfume est moite de chaleur, pourtant les immenses pales des extracteurs de fume tournent plein rgime. Noys dans les rais stroboscopiques des scans, les DJ sont en plein synchronisme Hyperdelic-Trash. Le rythme savance doucement vers les deux cent cinquante Bpm, amenant progressivement les raveurs vers leur transe extatique. Les harmonies arythmiques font vibrer ma colonne vertbrale, les auras colores, gnres sur mes nerfs optiques par les ultrafrquences, se dlitent en volutes psychdliques. Les tunnels acoustiques propulsent des salves dinfra-basses, qui scrasent par vagues sur la masse ondulante des danseurs agglutins. Lingnieur du son caresse les seins dune fille assise sur ses genoux, pendant que sa copine tripote les capteurs de la turbo-sono pousse sa limite. Le DJ solo est tellement dfonc quil ne se rend mme pas compte quil est dbranch des amplis, depuis que lavant-scne sur trteaux sest effondre sous les coups de boutoir du public en transe. Les premiers rangs, hurlants et dfoncs lendorphine 2 de synthse, se jettent les uns sur les autres en une parodie de danse macabre. Une centaine de cyberpunks pratiquement nus, le corps lard de piercings mtamorphiques, se convulsent en saccouplant dans une orgie techno-paenne. Les MEMS 3 en polysilicone, incrusts dans leur chair, changent des petits arcs lectriques chaque contact. Leur peau est couverte de tatouages mouvants en nanoimplants sous-cutans, affichant des squences rotiques violentes, changeant en rythme avec les pulsations. Devant moi, les tatouages dune fille sont connects sur les archives de WTVX et je distingue, glissant sur ses seins et son ventre, des scnes de cadavres mutils, mlangs des mots pris aux hasard dans les comptes rendus de la police. Tout cela me parat dsormais drisoire et artificiel en regard du cybertrip que je viens de faire dans le camion. Le voyage ma compltement dphas et je narrive plus me remettre en synchro avec les raveurs hystriques. Je retourne vers le calme de la nuit.2.Endorphine : Neurotransmetteur naturel du corps, gnr par la douleur ou les caresses, stimule les sensations de plaisir et a des proprits anesthsiques. La morphine simule laction de lendorphine. 3.MEMS : Micro-Electro-Mechanical Systems.

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Appuy contre les gnrateurs des holoprojecteurs, un punk-goa vomit sa bire. De son nez suintent les doses de robots cellulaires hallucinognes, qui dgoulinent sur sa bouche en longs filaments dors. Dehors, le non blanc en forme dtoile, travers de la vieille enseigne Eurotlcoms 2000, se reflte par intermittence dans la laque des miniscoots aligns. Contrastant avec cette hystrie frntique, la campagne est calme et silencieuse, seulement trouble par la pulsation sourde et lointaine du hangar. Sur le parking, les portes arrire dun van sentrouvrent sur un skin, pantalon baiss, qui urine un long jet fumant et dor de nanorobots sur le capot de la Nissan gare devant lui. Des cris de femme et des clats de voix brutaux mergent dune confusion de corps emmls sur le plancher du vhicule. Les oscillations des suspensions provoquent des arabesques dans le jet durine qui ne semble plus finir. Jobserve la scne, assis sur le marchepied du semi-remorque du groupe, havre de paix vers lequel je me suis rfugi. Le massacre revcu sur la falaise a laiss dans mon esprit une empreinte douce-amre, comme un cauchemar qui refuserait de disparatre avec le rveil. Jessaie de comprendre ltrange exprience que je viens de vivre. Ce cybertrip navait rien voir avec ce que je connaissais. Dhabitude, les jeux virtuels enregistrs dans les mmoires des essaims auto-organiss de nanorobots, se contentent de gnrer des sensations visuelles et sonores. Ctait la premire fois que je minjectais une dose capable de gnrer de vritables motions. Jai vraiment ressenti les souffrances et lagonie de lhomme enchan contre la falaise. Une partie de ses penses imprgnent encore mon esprit. Je regarde mes avant-bras, cherchant dimprobables blessures. Mais non, ma peau est intacte. Pourtant, je garde distinctement le souvenir de la souffrance gnre par les flches de mtal senfonant dans mon corps. La mort est encore grave dans ma mmoire. La mort rde autour de cet objet. Ce nest pas du tout un jeu de simulation que je me suis inject. La squence de lhomme massacr contre la falaise ntait pas une hallucination de synthse, ctait la ralit. Pour faire cet enregistrement, on avait massacr quelquun dans un dcor de lgende et enregistr les sensations de sa mort.

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Mais ce qui me gne le plus, cest que jai trouv ces doses de ralit virtuelle dun genre nouveau, dissimules dans le laboratoire de mon pre.

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Chapitre RED

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Je toffre ma mort, je veux quelle soit belle. Ne moublie pas je taime. Cest son voisin de palier qui avait calm Red. Il ne stait mme pas rendu compte quil hurlait devant le scintillement de la neige sur les dbris de lcran mural de son appartement dvast. Les derniers mots de Linda, enregistrs dans le serveur, occultaient toute sa conscience. Avec le maigre vocabulaire des habitants de la zone priphrique, elle lui avouait son bonheur de lavoir rencontr, et lui annonait son choix de mourir, car la vie ne lui apporterait pas de joie plus grande que ces moments passs avec lui. Red ne supportait pas la certitude terrifiante de sa fin prochaine. Il ne voulait pas la laisser accomplir ce choix ultime quelle avait fait. Linda, le seul amour quil ait jamais eu dans sa vie, venait de soffrir Thanatos, pour mourir dans une apothose de souffrance et de sensualit. Elle avait finalement russi atteindre les limites de lrotisme, mais sans lui. Red courut au parking prendre sa Nissan blinde. Il dbraya lautopilote du faisceau de guidage, activa ses feux prioritaires et se rendit la morgue de Thanatos. Linfirmier de garde laccueillit, les yeux encore rougis par les manations chimiques de la grande cuve, o flottaient les cadavres destins aux exprimentations transgniques. Le jeune homme sempressa de rpondre ses exigences, avec cette dfrence craintive propre aux petites mains qui connaissaient son rle de tueur au sein de lorganisation. Cette humilit veule lui donnait, comme chaque fois, des envies de meurtres. Ce qui lavait sduit chez Linda, ctait qu aucun moment il navait peru chez elle cette fausse servilit. Tout en sabandonnant avec dlectation aux jeux pervers de la soumission sexuelle, elle ne sabaissait jamais se soumettre une quelconque autorit. Charg de capturer des proies

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pour alimenter en chair frache les orgies sanglantes de Thanatos, Red avait failli faire de Linda une de ses victimes. Lesprit rebelle et frondeur de la jeune femme lavait sduit, et il en tait tomb amoureux. Il lavait sauve son insu dune mort atroce, au risque de se discrditer par rapport sa fratrie. Tout a pour quelle se jette elle-mme dans les griffes du monstre exterminateur ! En traversant le frigo gant de la morgue, il scruta les visages des cadavres congels, suspendus dans leurs sacs de plastique, redoutant dy reconnatre Linda. Linfirmier ouvrit la cuve cryognique dans laquelle on entreposait les derniers supplicis de la semaine. Seul le corps dnud dune jeune fille y reposait. Malgr les contusions violaces et les implants morphiques de cyborgs qui couvraient son visage, Red se rendit compte que a ntait pas Linda. Ils ne lavaient donc pas encore immole. De toute faon, Linda tait perdue. Elle tait entre Thanatos depuis cinq jours et Red n'avait plus aucun moyen de la sauver.

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Chapitre LINDA

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Linda ouvrit les yeux sur les entrelacs lgants des arcs-boutants mtalliques qui surplombaient la salle de torture. Ses paules irradiaient dlancements douloureux. Des sangles paisses entravaient ses bras et ses jambes, la maintenant cartele sur le matelas plastifi, qui crissait chacun de ses mouvements. Sa mchoire distendue par le billon tait engourdie. Des filets de salive sche marquaient ses joues. Elle aurait aim pouvoir humecter ses lvres dilates autour de la boule de caoutchouc enfonce dans sa bouche. Les flagellations avaient trac de larges hmatomes sur ses cuisses, son ventre et ses seins. Curieusement, elle ne ressentait aucune douleur. Un dernier vestige de pudeur lempchait de se librer de son envie pressante duriner. Elle stira, essayant de diminuer la tension des liens sur ses membres. Des objets lourds pntraient la fois son sexe et son anus. Les souvenirs de la veille commencrent merger, et tout dun coup elle eut peur. En se cambrant, elle russit jeter un coup dil derrire elle. Le jeune homme, macul de sang et de sperme sch, tait toujours accroch par les chevilles au treuil lectrique. De lourdes paires de crocs traversaient ses pectoraux. Entre ses jambes cartes, sa verge dmesure, gonfle artificiellement, tait tire vers le plafond par un filin qui traversait la fois ses testicules et son pnis. Sa langue, obscne, gonfle et noire, dardait hors de sa bouche, maintenue par une longue aiguille enfonce travers ses joues. Un nud coulant repoussait sa tte sur le ct. Ses yeux exorbits et injects de sang fixaient Linda avec limmobilit de la mort. Une mosaque multicolore de dmons biomcaniques grimaants, scintillait le long de ses cuisses et de sa verge. Malgr la rigidit cadavrique de leur hte, les nanoimplants de ses tatouages, injects sous son piderme, svertuaient animer leurs images cyber-

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tribales. Sous laction des hormones de morphing, ses muscles et son sexe staient panouis monstrueusement, le transformant en ce parfait objet sexuel, propre assouvir les fantasmes des Esthtes. Linda venait de subir un traitement similaire. Elle sentait la peau de ses seins stirer doucement, comme pousse de lintrieur par laction des essaims de nanorobots. Un garon aux cheveux teints en bleu tait entr pendant quelle observait le cadavre. Il tait plus jeune quelle, avec un visage dange inexpressif, vtu seulement dun dbardeur noir et dun slip lac, moulant les formes lourdes de son sexe en rection. Son corps glabre, aux muscles saillants, luisait de transpiration. Il saccroupit au niveau des hanches de Linda, et extirpa les cylindres mtalliques qui dilataient ses orifices. Il pressa son bas-ventre. Linda ne put se contenir et libra un long jet brlant, qui claboussa le jeune homme indiffrent. Dune main experte, il fouilla son entrejambe, en tirant, malaxant, retournant les replis. Elle souvrit aux manipulations adroites, contractant ses jambes prisonnires en mouvements spasmodiques qui dcuplaient son plaisir. Empoignant les lvres charnues, il appuya le bec dun petit pistolet chrom, et injecta dans la chair plusieurs doses dhormones de morphing sous pression. Le liquide rpandit sa chaleur dans les nerfs de Linda. Il la regarda dans les yeux, avec un lger sourire ironique et sagenouilla, les cuisses de part et dautre de son ventre et dfit le billon. Sans lui laisser le temps de les humecter il saisit ses lvres, les pressant fermement entre ses doigts fins. Plaquant le bec de linjecteur percutan contre leur chair gonfle, il inocula les doses de solution hormonale, sans dtourner son regard des yeux de Linda. Lopration accomplie, il dfit le lacet retenant son slip et poussa le visage de Linda vers sa verge. Une odeur musque capiteuse manait de son pubis pil. Les spirales biomcanodes multicolores, tatoues le long du membre gonfl acclraient leurs rotations. La semence paisse et suave explosa dans sa gorge, limprgnant de larrire-got mtallique du Stardust. Sabandonnant aux derniers spasmes de jouissance, il se cambra, les yeux ferms et les lvres entrouvertes. Linda admira son visage anglique inclin dans la lumire bleue des lampes de scurit. Dun geste doux, machinal, il lui remit le billon de caoutchouc, ajustant dlicatement la tension des sangles autour de sa tte. Il y avait un plaisir certain sabandonner ainsi corps et me ses bourreaux. Elle ne savait pas do venait cette complaisance morbide, chercher sa jouissance dans la mort et la souffrance. Un vague souvenir

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issu de sa petite enfance sordide dans le ghetto lui disait que son pre ny tait pas tranger, mais elle prfra le refouler. De toute manire, quattendait-elle de plus de la vie ? Elle navait pas voulu denfants, de peur quils ne subissent le mme sort quelle dans ce monde dexclusion. Elle survivait dans la zone de la priphrie, utilisant sa beaut pour ctoyer la jet set des Babylones. Les Babylones : ctait un vieux mot dargot qui dsignait les nantis du centre de la capitale. Adolescente, elle avait essay de rejoindre les stars des rseaux multimdia qui avaient berc son enfance. Mais elle avait fini par comprendre quune rgle tacite de la production interdisait le rseau aux exclus de la priphrie. Sa seule libert tait de consommer du rve, pas den crer. Le dernier moyen quil lui restait dchapper la misre des priphries, tait de se marier avec un Babylone de lintra-muros, pour obtenir la carte rouge de citoyen. Combien de fois avait-elle cru les enfoirs qui jouaient sur cet espoir pour draguer les gamines naves des ghettos. Mais, en acceptant de jouer cette comdie drisoire, elle avait dcouvert cette chose dans laquelle elle se sentait entire, absolue : lextase du plaisir. Les Babylones avaient pay pour pouvoir la toucher, la baiser, maltraiter ses seins, son sexe, ses fesses. Elle adorait cette sensation enivrante dtre lobjet de leurs dsirs. Ses orgies avec les nantis lui donnaient beaucoup plus dmotions, de plnitude, et de souvenirs que ses vellits mort-nes de cration multimdia. Elle stait abandonne, corps et me, ces orgies sensuelles, seuls instants de clart face au dnuement misrable de son quotidien, jusqu ce quelle rencontre cette brute cynique de Red. Malgr sa rudesse, elle ne stait jamais sentie autant en harmonie quavec ce colosse mystrieux. Tout les loignait, et pourtant, ds leur premire rencontre, elle avait su quils taient faits lun pour lautre. Elle venait de vivre avec lui cette chose rarissime quelle avait toujours espre sans y croire : lamour. Elle avait t prte mourir dans ses bras tellement elle laimait. Je taime, tue-moi. Mais Red refusa de poursuivre lescalade de leurs jeux rotiques, dont lissue ne pouvait qutre fatale. Elle savait quelle ne supporterait pas la souffrance qui suivrait leur invitable sparation. Elle avait choisi de mourir lapoge de son bonheur. Une pluie chaude ruissela du plafond, lavant son corps et la soute des souillures laisses par les orgies sanglantes de la veille. Son jeune bourreau dtacha le cadavre suspendu derrire elle et jeta son corps dans une trappe ouverte entre les grilles du sol. Il avait enlev son dbardeur. Les reflets scintillants des nons bleus sur sa peau, accentuaient les reliefs de

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sa musculature, lui donnant lapparence dune statue dphbe de la Grce antique. Sur sa poitrine, des nanoimplants animaient un tatouage de femme empale se tordant de souffrance. Le jeune garon au visage dange, entirement nu, sappuya contre le mcanisme du palan et regarda leau ruisseler sur le corps de Linda. Il la dtaillait impudiquement, dun regard clinique, observant les mutations provoques par les hormones de morphing qui continuaient de dilater sa poitrine et sa vulve, raffermissant sa chair, gonflant ses lvres. Il parla dune voix douce avec le lger accent nordique des bourreaux de Thanatos. Ton supplice aura lieu demain. Je te conduirai dans ton appartement et je texcuterai avec un autre pensionnaire. Toutes tes sensations seront enregistres sur une esthsiosonde. Il claqua des doigts. De son pouce surgit un fin scalpel greff dans lpaisseur de longle. Il appuya la lame contre sa propre poitrine et incisa lgrement le tatouage anim, faisant couler une larme de son sang entre les cuisses de la victime dessine. Il se pencha. Tu es belle. Ton martyre fera la joie des Esthtes. Je vais te torturer longtemps. Il appuya son ongle entre les seins de Linda, et descendit lentement le long du plexus, ouvrant un long sillon sanglant dans la peau de la jeune femme. Il allongea son corps souple contre elle et senfona doucement. Elle souvrit cette pntration lente, savourant le glissement humide du dard plongeant dans ses entrailles. Leurs sangs se mlangrent, et le tatouage quitta la poitrine de son bourreau pour sinscrire sur celle de Linda.

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Chapitre DYL

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Les pitons basaltiques drivent dans un ciel brumeux, trou par la face blafarde dune lune dmesure. Une faible clart orange scintille aux fentres des palais donyx surplombant labme. Ailes dployes, les dragons dmeraude drivent au gr des alizs, sous les ponts suspendus tendus entre les parois de basalte noir. Emportes par les volutes de brise tide, de longues spirales toiles de lucioles seffilochent entre les dfils rocailleux. Une force malfique, implacable, surgit des profondeurs. Le paysage de lgende explose en dbris acrs tournoyant lentement dans une orbite centrifuge. Lexplosion ralentie dvoile le tueur en marche. Le canon court et pais crache des flammes brutales. Des corps nus, dchirs par les balles, virevoltent dans une danse dsarticule, avant de seffondrer sur les grilles mtalliques des passerelles. Il pleut du sang entre les tages. Les corps se fanent, les os trouent la peau, les vers rampent dans le parchemin des seins et des cuisses. Le sourire squelettique de la mort crve les visages identiques, la mme jeune femme assassine, les mmes immenses pupilles gris-bleu figes sur lternit, les mmes lvres qui sentrouvrent dans un sourire extatique, le mme sourire, le mme regard que celui du tueur, victime et bourreau. Dyl se rveilla en sueur, ctait un cauchemar encore un cauchemar qui venait dtruire le rve. Les yeux encore ferms, dune main fbrile, elle chercha la tablette numrique la tte du lit, renversant dans sa prcipitation le cendrier et la pile de CDV. Assise en tailleur, maniant le crayon optique dun geste habile, elle esquissa sur la plaque lumineuse, lentraperu fugitif. Un nouveau paysage vint sajouter aux centaines de croquis quelle archivait, depuis que les rves taient apparus. Cela ressemblait au carnet de voyage dun

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explorateur perdu dans un monde fantastique. Un bestiaire dmoniaque issu de rves surralistes. Lhabitude de retranscrire ces bribes de songes qui perduraient un instant lors de lveil, lui avait donn une matrise certaine de lexploration des rves. Au rveil ne subsistaient plus que quelques rminiscences fugaces, dimages et dmotions tranges, incohrentes. Une myriade dimages mentales sotriques, qui se dissolvaient imperceptiblement, lorsque scoulaient de nouveau les flux ordonns de sa conscience. Pour Dyl, ces rves de mondes tranges ntaient pas des rves normaux. Ils avaient cette prcision particulire aux souvenirs. Et ces souvenirs pourraient peut-tre lui apprendre enfin qui elle tait. Dyl navait aucun souvenir de son enfance. Sa mmoire ne commenait que six ans plus tt, lorsqu treize ans, elle stait rveille dans un hpital de la capitale. Dlaissant la tablette numrique, Dyl roula hors du lit et se releva dun bond face aux grandes baies vitres de son appartement, dtaillant rapidement sa silhouette fline la musculature discrte, en surimpression sur le scintillement de la ville. Malgr ses dix-neuf ans, elle avait encore un corps dadolescente batailleuse. Elle tait mince, avec un port droit de danseuse et des petits seins hauts perchs. Elle se trouva belle, elle aima ce reflet que lui renvoyait la cit, et immdiatement une bouffe rotique lentrana dans les souterrains de sa conscience. Elle se sentait dsincarne et aurait voulu voir ce corps qui tait le sien dans les bras dhommes et de femmes. Rapidement, elle enfila un slip, un body ajour et son jean noir moulant. Le glissement des toffes sur sa peau accentua son dsir de sensualit. Elle avait envie de chair et de violence. Elle enfourcha son miniscoot, et le dbrancha du chargeur, pendant que Ninja, le portique robotis, longeait la faade de la tour de sa reptation arachnode, et extirpait lappartement de son alvole pour le dposer au niveau de la rue.

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Chapitre BLUE

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Les reflets des lampadaires glissaient sur les vitres teintes du vhicule blind. Red laissa lautopilote de la Nissan le conduire jusqu la porte sud. Il sarrta derrire un VLS 4 de transport en commun, encombr de la foule hagarde demploys qui retournaient vers leurs taudis de la priphrie. Aprs avoir vrifi le VLS, les vigiles contrlrent son implant didentification et lautorisrent pntrer dans les cits de la zone suburbaine. Une faible bruine faisait miroiter les faades grillages des grands ensembles. Lautopilote devait slalomer sur lasphalte luisant de pluie, pour viter les tentes de fortune des sans-abris installes le long des voies. Aprs sa visite la morgue, Red stait connect sur son serveur de mission et avait vrifi lemploi du temps des autres rabatteurs de Thanatos. Une jeune femme qui pouvait tre Linda devait tre excute le soir mme par Blue, un de ses quipiers. Red et Blue avaient t recruts et forms trs jeunes par Thanatos pour liminer les personnalits politiques, ou policires pouvant mettre en danger lorganisation. Une de leurs activits annexes, leur dtente en somme, tait de mettre en scne pour les rseaux multimdia du cyberespace des meurtres spectaculaires, en utilisant les volontaires du centre deuthanasie. Daprs lordre de mission, Linda devait figurer dans lune de ces mises en scne macabres. Blue tait en faction dans un immeuble de la zone, install juste en face de celui de sa future victime. Red gara la Nissan au pied du HLM rnov. Il mit la voiture en autodfense et monta les escaliers du btiment vtuste.4.VLS : Vehicle Like a Snake. Robot compos de plusieurs segments autonomes organiss en intelligence collective et permettant de fabriquer des vhicules se dplaant comme des serpents.

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Lappartement tait vide. Red examina lquipement despionnage install par Blue. Depuis trois jours, son quipe collectait le plus dinformations possible sur leur future proie. Cela ajouterait de la valeur aux enregistrements de son supplice. Il activa le laser qui analysait les vibrations engendres par les voix sur les vitres de lappartement en vis--vis. La voix de Blue mlange aux hurlements touffs de la jeune femme torture sortit du scanner audio. La salope ! Regarde comme elle aime a ! Lquipe tait en pleine sance denregistrement. Blue massacrait la fille crucifie sur son lit. Red se servit un verre de gin dans la rserve de son acolyte, sinstalla dans un fauteuil devant lcran et attendit la fin de la sance. En dautre temps, il aurait rejoint lquipe pour participer aux rjouissances, mais la mort prochaine de Linda avait tu sa libido. Il ne pouvait sempcher de voir Linda la place de la jeune femme que Blue tait en train dimmoler. Pour la premire fois, depuis trs longtemps, une sensation nauseuse lui nouait lestomac. Jusqu ce quil rencontre Linda, Red stait parfaitement acquitt de son rle de tueur implacable. Lultra violence quotidienne gnre par les remous conomiques qui agitaient le monde depuis plusieurs dcennies, lavait endurci. Dans son enfance, il avait vu sa famille massacre sous ses yeux par des guerriers sanguinaires. Il avait survcu tant bien que mal, au milieu des orgies barbares dun monde en dcomposition. Lorganisation qui dirigeait Thanatos lavait sauv de cet enfer, en regard duquel les excutions quil commettait pour eux, ntaient que des peccadilles. Il avait livr aux supplices de Thanatos son contingent de chair frache sans aucun remords, mais cette fois-ci, la distanciation professionnelle quil avait toujours maintenue lgard de ses victimes ne russissait plus le protger. Il avait rencontr Linda par lintermdiaire des BBS SM du Net. Linda faisait partie des rares connectes qui russissaient franchir les barrages qui sparaient lintra-muros des priphries misrables en soffrant dans les orgies des Babylones. Il existait depuis longtemps un cercle restreint damateurs discrets, qui, dans lombre des grandes cits, pratiquaient les jeux interdits du sadomasochisme. Comparables aux adeptes dune secte discrte, ces aficionados du plaisir avaient coutume de se retrouver jours fixes, dans des lieux connus deux seuls : les donjons. Ce terme gnrique, issu de larchitecture mdivale, voquait pour Red lombre fascinante dun Moyen ge peupl dinquisiteurs

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pervers et de princes dvous aux forces du mal. Ces incarnations dun sadisme rel dissimul derrire la dfense des dogmes et de la raison dtat avaient hant ladolescence et les premiers fantasmes de beaucoup des nantis de ce dbut de troisime millnaire. Vers la fin du sicle prcdent, quelques rares amateurs fortuns se construisirent Paris, New York, Los Angeles, Berlin des rpliques futuristes des salles de tortures mdivales. Ainsi, dans lombre des mtropoles, des hommes et des femmes se retrouvaient dans le secret des donjons , pour partager de leur plein gr les extases du plaisir et de la douleur. Cest dans un de ces temples secrets que Linda lavait convi le jour de leur rencontre. Tout le sparait delle.Pourtant, une trange harmonie, que Red ne pouvait expliquer, les lia immdiatement. Il en fut aussitt amoureux, dcouvrant une motion quil pensait ntre quun mythe littraire. Les habitants de la priphrie ne possdant pas de laisser-passer permanent, devaient tre accompagns par un Babylone pour pouvoir entrer. Il avait d se rendre la porte Sud pour chercher Linda. Linda tait trs belle. Elle dbordait de charme et de sensualit, mais aussi dune joie de vivre artificielle, qui dissimulait mal son dsespoir. Fille dimmigrs de la priphrie, mme en se mariant, elle navait aucune chance dobtenir une relle citoyennet. Linda conduisit Red dans une vieille demeure bourgeoise sur les quais de la capitale. Leur hte tait suffisamment riche pour faire partie des Esthtes. Il collectionnait les esthsiogrammes interdits diffuss par Thanatos, dont certains avaient t raliss par Red lui-mme. Les soires de cybertrip se terminaient systmatiquement en orgies violentes, o Linda soffrait complaisamment aux perversions des invits. Leurs petits jeux sadomasos bien gentillets lui paressaient totalement drisoires, mais son attirance pour Linda le rendait plus tolrant. Il lui dissimula sa vritable activit de tueur et son appartenance Thanatos. La lgende de Thanatos fascinait les Babylones et leur hte en particulier. Ils mythifiaient compltement lorganisation, ne retenant que la fantasmatique sexuelle. Linda tait envote lide des extases mortelles dont elle avait got les sensations grce aux esthsiogrammes. Red essaya de mettre un frein aux ardeurs sadomasochistes de la jeune fille, esprant la dtourner de la spirale suicidaire dans laquelle lemportait le dsespoir profond qui la rongeait. Red envisageait de lui rvler sa vritable identit et de senfuir avec elle loin de ce monde. Il

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voulait la sauver des griffes de la mort. Mais elle ne lui en laissa pas le temps. Elle avait interprt ses rticences poursuivre leurs jeux rotiques, comme la fin de leur histoire damour. Pendant son absence, alors quil tait en mission, elle avait obtenu le contact pour joindre lorganisation, et stait offerte aux supplices des employeurs de Red. Sur lcran du scanner, Blue terminait de rcuprer le sang de sa victime contenant les essaims de robots cellulaires, qui avaient servi enregistrer ses motions. Quelques minutes plus tard, il rejoignit lappartement avec son quipe, surpris dy trouver Red. Ce dernier ne laissa pas le temps Blue de poser des questions. Est-ce que tas des missions spciales pour ces jours-ci ? Il faut que je retrouve une nana qui est entre au centre, il y a cinq jours. Blue ne rpondit pas tout de suite. Il se dirigea vers lvier, et commena vider les bidons de sang dans les filtres magntiques chargs de rcuprer les rob-cells. Il regarda Red avec un air suspicieux. Tu veux rcuprer Linda. Merde, je tavais dit de pas taccrocher. Cest comme a. Cest trop tard ! Je lai vue hier. Elle tait dj bourre dhormones de morphing et de rob-cells. Je lui ai inject les dernires doses. Laisse tomber, elle est foutue. Jai reu lordre de mission pour lexcuter. Cest pour quand ? Blue feignait de se concentrer sur les oprations de filtrage. Red avait du mal contenir son envie dcraser le visage anglique de son complice contre lvier. Red jeta un coup dil vers ses acolytes. Les hommes taient en train de ranger les scanners dans leurs caisses, affectant de ne rien entendre. Blue repris de sa voix douce. Cette nuit. Je dois la liquider dans son appartement avec un junk quon a rcupr dans un squat. Genre le grand jeu pour les mdias. File-moi la mission. Arrte ! Tu vas faire une connerie ! De toute faon, elle est dj foutue. Elle est bourre de morphing, mme si elle ne meurt pas ce soir, elle ne sera plus quun tas de cancers dans trois jours. En plus, les flics risquent de remonter jusqu toi. Je voudrais viter davoir descendre tout un commissariat et toi avec. Merci de ta prvenance. Je veux juste que ce soit moi qui la bute. Le jeune tueur sraphique vouait Red une admiration sans borne. Red lui avait enseign le recul indispensable lgard des victimes.Lors des excutions, son efficacit mthodique lavait toujours impressionn.

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Mais depuis Linda, tout avait chang, et Blue tait surpris de voir Red prendre des risques pour cette fille. Il haussa les paules et lui tendit la carte magntique de son van. Lordre de mission est dans le portable. Ils vont faire la livraison dans mon van au terminal C. OK. Je te revaudrai a. Tu te dmerdes. Si on me pose des questions, je balance tout, vu ? Tu deviens romantique, cest pas bon. Red sortit, laissant Blue et ses acolytes terminer leur rcolte de robcells, et se rendit au terminal de livraison charger Linda et lautre victime. Ce serait lui son bourreau, celui qui mettrait en scne son martyr. Ctait la dernire chose quil pouvait encore faire pour elle. Mais il le faisait aussi pour lui. Red ne voulait pas devoir simaginer toute sa vie lagonie de Linda entre les mains de Blue. Le port tait en pleine activit. Lautopilote de la Nissan avait du mal se frayer un chemin, entre les trajectoires chaotiques des transdockers automatiss. Il finit par atteindre lentrept ultra-moderne qui servait de couverture aux transferts de prisonniers de Thanatos. Red gara la Nissan et monta dans le van de Blue gar contre les rampes daccs. Il attendit, en contemplant la chorgraphie frntique des gigantesques portiques robotiss dchargeant le fret des soutes. Le ballet incessant de leurs phares puissants balayant le port, laidait dtourner son esprit de la haine qui le rongeait. Il savait que par jalousie, Blue stait arrang pour acclrer lexcution de Linda. Mais il ne lui en voulait pas. Blue ntait que le jouet du destin. Red se jura quun jour il tuerait le monstre occulte, inaccessible, qui avait cr cet enfer, qui conduisait son meilleur ami le trahir, et lobligeait massacrer son seul amour. Red tuerait son patron, son sauveur, le matre de Thanatos.

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SACRIFICEEntre ses seins, la femme empale du tatouage de Blue se tordait de souffrance simule. Linda attendait son excution, assise califourchon sur un cheval daron muni de deux excroissances qui la dilataient progressivement. Les frmissements des membres mcaniques qui emplissaient son ventre, la maintenaient dans un tat dexcitation constant quelle accentuait en faisant de temps en temps bouger lascivement ses hanches. On venait de pulvriser dans sa trache artre plusieurs colonies de robcells. Les salves de neurotransmetteurs injects au croisement des axones de son systme limbique, la plongeait dans une extase permanente. Tous ses nerfs brlaient de lascivit exacerbe. Lcran suspendu en face delle, refltait limage de sa mtamorphose. Elle ne voyait plus que de la sensualit dans les formes pulpeuses que lui renvoyaient les scanners. Elle fit tourner ses poignets dans les bracelets de cuir fixs au collier enserrant son cou. Ses avant-bras frottrent les brlures de cigarettes contre sa poitrine, et tirrent les cordelettes fixes aux anneaux traversant ses ttons. Aprs lavoir baise, Blue lavait torture longuement, en incrustant des bijoux mtalliques un peu partout dans sa chair, jusqu ce quelle svanouisse de douleur. Elle contracta ses biceps, apprciant la lourdeur compacte de ses mamelles comprimes. Le morphing biogntique donnait ses seins une ampleur et une fermet voluptueuse. Elle adorait sentir leur plnitude rouler sur sa poitrine. Elle passa sa langue sur ses lvres charnues, qui avaient galement doubl de taille. Le reflet du parfait objet sexuel quelle tait devenue lexcitait. Elle serra ses jambes maintenues cartes par les courroies fixes au plancher. La contraction des muscles de ses cuisses et de son fessier provoqua la vague de jouissance attendue. Elle allait mourir dans une apothose de plaisir et de souffrance. Elle attendait avidement cette preuve ultime. Depuis sa transformation en poupe gonflable, elle avait

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t le jouet de perversions quelle navait jamais os imaginer.Pourtant, sa soif de plaisir restait encore inassouvie. Les bourreaux vinrent la chercher pour la conduire vers lantre de son agonie. Aprs avoir soigneusement install dans ses cheveux une rsille sombre, ils lattachrent recroqueville aux sangles dune grosse malle capitonne. Dehors, dans la lumire orange des rverbres du port, Red attendait aux commandes du van.

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GILLIANDyl avait limpression profonde dappartenir un autre monde, un monde ancien comme celui de ses rves, auquel on lavait arrache pour la jeter dans la tourmente de la technopole. Aprs laccident dhlicoptre fatal ses parents, elle stait retrouve totalement seule au monde. Cest lhpital qui stait occup des formalits administratives et de lincinration. Des institutions bureaucratiques anonymes taient censes prendre soin des laisss-pour-compte. Lassistante des services sociaux lavait aid un minimum les premires semaines. La fonctionnaire acaritre se comportait avec duret son gard, la considrant sans doute comme une privilgie parmi les centaines de dfavoriss qui encombraient ses fichiers. Sa distanciation professionnelle lui rappelait lanesthsiste du service des urgences, qui lavait regarde avec une expression hautaine et ddaigneuse, sans dissimuler sa moue rprobatrice, lorsque Dyl avait exig quon ne dbranche pas du robot mdical son pre dans le coma. Les pompes et les tubes de la machinerie automatise maintenaient encore une illusion de vie dans son corps dsert. Longtemps, elle avait tenu la main encore chaude de cet inconnu, esprant quune parcelle de vie rintgrerait son contact son corps abandonn, et quenfin son rveil, il pourrait lui redonner sa mmoire perdue. Sa mre tait morte sur le coup, et ce lendemain de laccident, genoux au pied du lit o reposait celui quon disait tre son pre, elle avait guett de longues heures les oscillations tnues de llectroencphalographe, esprant dcouvrir, dans les lgres anomalies du faisceau vert, les indices de son retour la vie. Le cur avait fini par sarrter au bout dune semaine. Elle ne voulut pas savoir si ctait les mdecins qui avaient interrompu le mcanisme. La haine avait dj commenc poindre au fond de son me. Ctait une haine froide et calcule contre ce destin qui lui avait fait perdre jusquau souvenir de son paradis denfant.

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Ds sa sortie de lhpital, la Fondation Pour lEnfance lavait prise en charge. Gillian Retz, lhomme le plus riche de la plante, finanait des uvres caritatives un peu partout dans le monde. Lorphelinat faisait partie des fondations appartenant au Faisceau, lempire conomique de Gillian Retz. Les enfants de la fondation bnficiaient dune ducation pointue et dune formation aux hautes technologies. Cest l que le Faisceau trouvait son personnel, un personnel dautant plus vou la socit, quil avait t sauv par lorganisation de la dchance ou du chmage dans lequel croupissait les neuf diximes de la plante. Lintercom incrust dans sa boucle doreille grsilla. La voix de Sonia, la prsentatrice vedette du On-Line hertzien, retentit clairement dans son conduit auditif, perturbant lintimit feutre du studio. Dyl, tu te tiens prte, on a un Giga en ligne. Elle ouvrit les accs de son serveur, attendant larrive des donnes. Un Giga ! a voulait dire, dans largot du studio, quun meurtre spectaculaire avait eu lieu, qui ncessitait une ouverture du rseau pour une diffusion gros dbit. sa sortie de lorphelinat, Dyl avait t engage par WTVX, la chane de rseaux contrle par le Faisceau. Depuis son dpart de la fondation, elle passait ses jours et ses nuits dans les rgies, monter des actualits ou des documentaires, sabrutissant de travail et dimages, comme pour saturer sa mmoire de nouvelles impressions, pour ne plus souffrir de son enfance oublie. Latmosphre feutre et luxueuse des studios lui convenait parfaitement. Elle aimait lintimit rassurante de ces alcves lectroniques, claires par le seul scintillement des disques durs et des pupitres informatiques. Assise devant lhmicycle translucide de sa table de montage, elle avait limpression dtre au centre dune gigantesque toile daraigne qui la reliait au monde. La vie terrifiante des habitants de la terre lui parvenait travers le rseau, digre, inoffensive, prte consommer sans danger. La puissance de traitement des units centrales tait telle, quelle avait pratiquement accs en simultan la totalit des bases de donnes du monde. Parfois, elle samusait surfer entre les milliards de serveurs qui formaient le cyberespace. Le large plateau de verre sanimait alors dune multitude de petites images htroclites, rvlant chacune une tranche de vie quelque part.

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Mais ce qui la fascinait le plus, ctait la moisson journalire de meurtres engrangs dans ses disques durs par les agents intelligents. Chaque matin, lorsquelle lanait ses spiders et ses knowbots dans le rseau, la recherche de faits divers sanglants, elle avait la sensation dplaisante dtre la mort jetant sa faux pour sa rcolte macabre. Comme si elle tait lunique instigatrice de ces massacres quotidiens qui abreuvaient ses crans. Partout, on stripait dans le monde et WTVX stait spcialise dans le fait divers sanglant. Un abonnement relativement cher permettait aux surfeurs de se connecter sur les archives de la station, et de consulter les rushes des infos. Les infos sur les killers attiraient la plus grande part des connects. Plusieurs groupes de Cyberkillers svissant travers le monde taient devenus des stars. La relation de leurs crimes explosait les indices de connexion. Les groupes rivalisaient datrocit afin dobtenir la primeur du rseau. Chaque fois quun groupe de killers dfrayait la chronique, le rseau tait satur de demandes daccs aux rushes. Et ctait Dyl qui avait en charge le montage pour les archives. Limpact motionnel de ces images sans commentaires tait dune brutalit extraordinaire. Le public raffolait des travellings chaotiques derrire les policiers, qui dbouchaient sur des cadavres dpecs dans des chambres sordides. Dyl veillait soigneusement conserver les flous et les fils des oprateurs. D'ailleurs, les cadreurs savaient en gnral trs bien jouer avec tous ces dfauts du tournage sur le vif, pour confrer leurs rushes cette maladresse. Certains nhsitaient pas dsactiver les stabilisateurs dimage, pour donner aux prises de vues le pseudo-ralisme des actualits des annes quatre-vingt-dix. Le public avait envie de sang et WTVX le leur fournissait. Ce qui la surprenait le plus, ctait que la violence restait censure sur toutes les anciennes chanes satellites, mais pas sur le rseau. Le rseau bnficiait de la lutte des libertaires du vingtime sicle, pour quaucun contrle ne soit possible sur ce qui y tait diffus. Les grandes cits taient sillonnes par des cars multimdias indpendants, branchs sur les rseaux de la police. La moindre connexion, pouvant laisser entendre quil sagissait dun meurtre de cyberkiller, provoquait la rue des cars rgies sur les traces des voitures de police. Il tait frquent de voir les Netleechs 5 , comme on les appelait, arriver avant les inspecteurs sur les lieux du crime.

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La petite voix agressive de Sonia, la prsentatrice du On-Line hertzien, retentit de nouveau prs de son oreille. Un envoi de Rednews par NetLab, du sanglant. On passe un extrait de cinq secondes pour le JT dans dix minutes. Tu archives un bout bout en dispo immdiate le plus vite possible. On donne laccs dans douze minutes louverture, a va tre la rue, alors tu ouvres un dbit maximum de cinquante milles gigabits/seconde. OK, bout bout index dans dix minutes, et cinq secondes pour le JT de 19 h 15, heure mondiale. Quelle rubrique et quel titre pour le on-line, et o sont les rushes ? Jai dj dcompresss les rushes, code Honeymoon dans le dossier du JT daujourdhui. Le titre cest Honeymoon, rubrique killer comme dab. Dyl se connecta via lintranet sur les mmoires de masse, et au bout de quelques secondes les rushes apparurent sur limageur de sa table de montage. Trois plans squences qui formaient environ sept minutes de documents. Le plus simple tait de commencer par les mettre bout bout chronologiquement en acclr. Le banc de montage tait une large dalle numrique translucide entourant le sige de Dyl. Les squences vido flottaient en simili 3D fleur dcran, sous la forme dicnes anims. Dyl les assembla avec le bout des doigts, en les faisant glisser, comme on juxtapose les pices dun puzzle sur une table. Il fallait liminer tout ce qui nuisait lefficacit du document. Interviews hors sujets, ou trajets en voiture interminables. Dyl activa licne de la premire squence, dclenchant sa lecture. Un rectangle sillumina sous la tasse de caf et ses cigarettes. Elle dplaa lcran virtuel dans une zone dgage de la table. La camra savance dans la pnombre dun appartement avec un lger effet de roulis. Limpression de prises de vues sous-marines, donne par la fluidit des dplacement, tait caractristique des Mouches merde . Ctait ainsi quon appelait le petit dirigeable sphrique, quip dune micro camra stroscopique, utilis par les oprateurs de News. Ctait le seul systme de captation autoris par les flics lorsque les micros robots navaient pas encore fini leurs analyses. La camra flotte dans une cuisine claire, sapproche de deux corps nus, ligots dos dos. La pice grouille de micro-hexapodes, flairant et mesurant chaque parcelle du site la recherche dindices. Les murs sont5.Netleech : Rseau/Sangsue. Autre dnomination argotique pour les stringer ou vido vautours spcialiss dans linfo sanglante.

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aspergs de sang. Le jeune homme a t empal avec ce qui ressemble une tringle rideau transparente. Loprateur zoom sur le conglomrat de chair et de sang entre ses cuisses. Il a t mascul. La camra contourne les victimes et se rapproche de la fille. Ses lvres sont cousues ensemble et son assassin a agraf les grandes lvres de son sexe. Ses seins normes sont traverss et rapprochs lun contre lautre avec du fil de fer pais, dissimulant moiti un tatouage de femme empale dont le nanoimplant bouge encore. Les deux jeunes gens ont t touffs avec un mme sac en plastique transparent. La camra sattarde en descendant le long du corps de la fille. Un essaim de microrobots est en train de lescalader. Les hexapodes policiers, organiss en intelligence collective, faisaient penser une nue de gros cafards dvorant les cadavres. Dyl remarqua que la poigne du frigo tait pleine de sang. On trouvera certainement le sexe du jeune homme dans le conglateur. Dun geste rapide, elle activa licne de la deuxime squence. Ctait un gros plan de Leslie, linspectrice la plus mdiatique et la plus sexy de la criminelle. De sa clbre voix grave, Leslie donnait les premiers lments denqute. La victime sappelle Linda Berlin. Nous navons pas encore identifi son compagnon. Aprs avoir t torturs, ils ont t vids de leur sang. Les assassins ont film le massacre et laiss une copie dans le lecteur DV de lappartement. Dyl interrompit la squence et dclencha le troisime lment en esprant que ce soit le film des tueurs. Gros plan dune vieille console multimdia dont les touches sont couvertes de sang. La camra sattarde sur une photo dans un cadre de supermarch pos sur le capot de la console. Cest un portrait noir et blanc de Linda en slip, assise genoux sur le bord dun lit dfait. Linda tait belle, avec le soupon de vulgarit propre aux populations des technopoles de la priphrie. Dyl fut surprise dentrevoir une range de vieux livres dans la bibliothque de la jeune fille. Cela faisait longtemps que les habitants de la zone avaient perdu lhabitude de lire. La camra descend vers le pupitre de commande de la console. La main de linspectrice entre dans le champ et active les fonctions du lecteur avec le dos dun stylo optique, pour ne pas effacer dimprobables empreintes. La baie vitre de lappartement sopacifie lgrement pour se transformer en cran. La

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squence vido apparat, en transparence sur les rectangles de lumire des appartements voisins. Limage est confuse, ddouble. Le tueur utilisait un masque de prise de vue stroscopique. Pour pouvoir voir ce type de film, il fallait possder un implant rtinien ou porter des lunettes polarisantes. Dyl activa le filtre stroscopique dans le menu de la table de montage. Le ddoublement disparut. Loprateur enfonce une matraque lectrique surchauffe dans le sexe de Linda ligote contre le jeune homme. Le son na pas lair davoir t activ, car tout ce quon entend ce sont les bruits de pas des policiers entrant dans lappartement, et le cliquetis des hexapodes sur le dallage. Pendant un bref instant, une convulsion plus brutale de la victime permet de voir son visage. Dyl ralentit le dfilement des images, passant de deux cents hertz cinquante hertz. Les cheveux de Linda Berlin sont colls par la transpiration en mches luisantes. Ses yeux fixent le vide, sa bouche est grande ouverte dforme en un rictus de souffrance ou pour pousser un cri quon nentend pas. Soudain retentit la voix de Leslie hache par le ralenti numrique. OK chrie, maintenant tu dgages ta mouche merde, tas ce quil te faut pour ton beurre. Fin de la squence. Parfait, mlodramatique souhait, le public adorait que la police interdise les prises de vues, cela donnait plus de valeur aux rushes. Dyl terminait de mettre les squences en bout bout lorsque la voix de Sonia rsonna dans son oreille. Quest-ce que tu fous, merde, le JT dmarre et tas rien index. OK, OK a vient. Dyl ne supportait pas Sonia, elle la trouvait totalement incomptente, uniquement proccupe par son arrivisme. Cette garce usait systmatiquement de son pouvoir hirarchique pour lhumilier. Gillian Retz, le patron du Faisceau, la maintenait pourtant ce poste ; cela montrait les limites de lhomme. Peut-tre Sonia tait-elle sa matresse, mais elle narrivait pas limaginer avec elle. Dun autre ct, les hommes daffaires aiment bien le genre blondasse de Sonia. Il fallait peut-tre quelle baise avec Sonia pour dverrouiller la situation. Son agressivit injustifie devait cacher une homosexualit refoule. Dyl injecta le montage dans la base de donne du JT On-Line et ouvrit laccs quelques secondes peine avant le passage antenne.

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Effectivement, les extraits taient peine diffuss en hertzien que des millions dadhrents commenaient se connecter sur la VOD 6 via le rseau. Saccordant un moment de rpit, Dyl se repassa la squence o le tueur empalait la jeune fille avec la matraque lectrique. On entrevoyait dans les cheveux de Linda de petits fils lectriques noirs. Son expression tait entre la souffrance et lextase. Depuis quelques annes, plusieurs groupes de killers se livraient un challenge mdiatique, qui dfraierait le plus les chroniques du net. WTVX avait dailleurs battu un record de connexion en diffusant, une semaine plus tt, des interviews en rseau dhommes et de femmes qui demandaient rencontrer leur groupe favori de killers, soit pour participer, soit pour en tre victimes. Deux dentre elles donnaient leur adresse. Linda avait peut-tre aim mourir ainsi. Dyl fut la fois horrifie et excite davoir pens cela. En fait, Linda avait d tre drogue par ses bourreaux. Les fils noirs taient peut-tre un nouveau truc pour se dfoncer. Dyl se dcouvrait une fascination morbide pour ce type dimages. Sa conscience se rebellait devant lvidence. Elle tait comme le public, elle tait excite par ces scnes dultra-violence, tel point quelle piratait les plus excessives pour les enregistrer sur un DV personnel. La simple ide de possder cette collection de meurtres et de supplices lui procurait une excitation malsaine. Elle stait caresse plusieurs fois en regardant les corps massacrs. Elle avait honte de sa complaisance lgard de la cruaut. Elle se retourna pour prendre son DV dans sa veste afin dajouter cette nouvelle scne sa collection et se retrouva nez nez avec lhomme le plus puissant de la plante. Gillian Retz. Gillian, vtu dun long impermable noir, avait la quarantaine, grand, les yeux incisifs, le front dgarni et les cheveux longs runis par un catogan qui renforait son air conqurant. Impressionnant, nest-ce-pas ? Dyl ne savait pas comment se comporter vis--vis de Gillian. Elle aimait sentir le regard des hommes sur elle, mais Gillian avait un charisme trs particulier. Malgr la distance un peu froide quil affichait en public, une force mystrieuse la poussait vers cet homme. Pour une raison6.Vido On Demand : Sytme de consultation interactif en rseau permettant aux spectateurs de consulter un document la demande sur un serveur de base de donnes.

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obscure, Gillian tait li ses rves. Mme sil ny apparaissait pas, Dyl lui trouvait comme une odeur commune. Une aura de puissance et de mystre qui lentourait et que Dyl voulait comprendre. Je vous invite dner ce soir. Il faut que je termine ce montage. Gillian se dirigea vers lintercom du pupitre de montage. Dyl stonna de constater que le milliardaire nutilisait pas dimplant de rseau pour communiquer, comme le faisaient la plupart des nantis de la plante. Sonia ? Monsieur Retz ? Envoyez Valrie remplacer Dyl, je lemmne dner. Valrie est dj partie monsieur ! Dbrouillez-vous Sonia. Gillian coupa lintercom, et resta un instant pensif. Il se leva et jeta un coup dil vers Dyl. Venez, il faut que je vous parle, vous copierez vos rushes plus tard. Il sortit rapidement sans lattendre. Gillian savait quelle se copiait des rushes en secret. Dyl eut limpression dsagrable dtre une fillette prise en faute. Elle prit son vieux blouson de cuir noir et le rejoignit en courant. La Nissan prsidentielle de Gillian les attendait devant la grande entre. Juste avant dy monter, elle put voir la silhouette de Sonia qui la regardait par la fentre de son bureau. Gillian poursuivit : Toutes les manipulations des tables de montage sont mmorises, je sais exactement quels sont les rushes que vous avez copis. Remarquez, tout le monde est fascin par ces images, sinon a ne ferait pas la fortune de WTVX. La mort fascine, tant quelle reste dans le cyberespace. Le regard de Dyl fut attir par un clat de lumire. Une Sony noire les suivait courte distance. Mes gardes du corps. Ne posez pas de questions. Cest la seule rponse que je vous donnerai avant quon ne soit installs devant une bonne table. WTVX est bien plus quune chane de rseaux, vous apprendrez la connatre. Gillian monta ct du chauffeur. Elle se retrouva seule assise larrire. Une vitre opacifie la sparait de lavant de la voiture, lui masquant les deux hommes. Une pense perverse sinsinua dans son esprit. Ctait lui qui commanditait les killers pour asseoir le succs de WTVX. Il venait de la kidnapper pour lassassiner. Une monteuse de WTVX massacre, cela ferait srement de la connexion.

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Elle testa la fermeture de la portire, les verrous ntaient pas mis. Elle pouvait sortir de la voiture quand elle voulait. Ctait idiot, la fortune de Gillian tait telle quil navait pas besoin den arriver de tels expdients pour faire fonctionner ses entreprises. Le monde lui appartenait. Ils arrivrent sur larogare des studios o attendaient plusieurs hlicoptres. La Nissan pntra dans la soute ouverte du plus grand, qui dcolla aussitt. Des hublots placs face aux fentres de la Nissan permettaient de voir la ville. Ils survolrent le port et se posrent sur la plateforme dun gigantesque cargo ancr au large. Gillian stait fait construire un yacht de la taille dun supertanker dans lequel il se rfugiait de longues semaines. Limmense cargo tait clbre dans le monde entier, mais paradoxalement, aucun journaliste navait pu y mettre les pieds pour y faire le reportage dont rvait le grand public. La boucle doreille de Dyl se mit grsiller dsagrablement et elle dut la dsactiver. Une puissante interfrence perturbait le nanomcanisme. Voila qui expliquait pourquoi Gillian nutilisait pas dimplants. La Nissan sortit de la soute en marche arrire et savana au centre dun dessin rectangulaire qui semblait reprsenter un parquet en damier. Un autre hlicoptre approchait. La plate-forme senfona rapidement, emportant la voiture lintrieur du cargo. Ils mergrent au centre dun hall dcor dune statuaire art dco, clair par dimmenses lustres en cristal. Un majordome en livre vint leur ouvrir la porte. Gillian prit la main de Dyl et la conduisit le long dun escalier monumental. Dyl regarda un moment le spectacle surraliste de la voiture pose au milieu du hall dentre. Le parquet de la plate-forme stait parfaitement ajust, transformant la voiture en un bel objet de mtal anachronique scintillant sous les lustres. Le majordome les prcda vers un long salon uniquement clair de candlabres. Une grande table tait mise. Il y a certaines circonstances o jaccorde beaucoup dimportance la qualit du rituel. Aujourdhui est un grand jour, car cest celui de votre initiation. Pendant que le Majordome le dbarrassait de son impermable, un sourire radieux illuminait le visage de Gillian. Il tait transfigur, ctait comme sil avait dcid dabandonner un rle qui lui pesait pour redevenir lui-mme. Comme si une montagne venait de quitter ses paules.

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Enlevez votre armure, nous allons savourer cette soire exceptionnelle. Elle se dfit de son blouson de cuir. Gillian lui indiqua un sige que le Majordome lui avana tout en prenant son blouson. Le menu est impos. Le majordome apporta deux assiettes garnies de petites rondelles de ce qui ressemblait de la mousse de foie de volaille. Gillian lui versa un verre dalcool. Gotez, cest de lHypocras, une vieille recette datant du Moyen ge. Les bougies faisaient danser des ombres oranges sur le beau visage de Gillian qui la fixait intensment. Vous vous demandez pourquoi Gillian Retz, Prsident du Faisceau vous accorde autant dimportance ? Vous vous dites que je veux simplement vous sduire et que je vous joue le grand jeu. Cependant, vous esprez autre chose, que a ne peut pas tre simplement a, ce serait trop dcevant. Je me trompe ? Dyl tait partage. La confiance de Gillian en lui-mme lirritait. Elle avait envie de le contrarier rien que pour branler sa suffisance, mais elle pressentait effectivement un mystre bien plus grand quune petite tentative de sduction. Le piano queue Yamaha se mit jouer en sourdine, les touches robotises senfonant rellement, comme un piano mcanique de western. Elle mit du temps reconnatre lair. Le piano jouait une interprtation dune vieille chanson des Beatles. While my guitar gently weeps. Gillian parla doucement, en coutant la musique. Jadore la magie de ce temps, qui rend les mnestrels plus puissants que les rois. Derrire les fentres obscurcies, la ville tendait sa galaxie lumineuse lhorizon. Des hlicoptres se croisaient dans le lointain. Dyl prit une inspiration. Inutile de se cacher ses propres sentiments, Gillian lui plaisait, elle voulait comprendre cet homme, elle avait envie de jouer son jeu. Je pense que vous voulez me sduire, mais aussi quil y a autre chose que vous allez me rvler ce soir. Cest russi, Gillian, vous mavez sduite. Maintenant quel est le secret ? Ah ! Dyl tu ne sais mme pas qui tu es vraiment et tu veux dj tout savoir sur moi. Gillian sappuya sur le dossier de son fauteuil, les paupires mi-baisses. Il se mit parler tout bas, comme lui-mme.

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Tu toffres moi les yeux ferms mais je ne suis pas sr de vouloir de toi comme cela et pour que je te dise le secret, il faudra que je taime, plus que tout. Seulement, je ne suis pas sr que tu en sois vraiment digne Dans lamour courtois, le chevalier devait surmonter des preuves pour conqurir sa dulcine Gillian la fixa intensment avec la patience de lternit. Es-tu prte surmonter les preuves pour me mriter ? Au bout de la table, immobile dans la lumire des bougies, Gillian semblait stre fondu avec limmense peinture suspendue au mur. La toile reprsentait la construction de la tour de Babel. Une concidence entre larchitecture du salon et la perspective de la toile donnait presque limpression que Gillian faisait partie du tableau. Elle joua un peu avec cette illusion, jusqu ce que ses pupilles retombent dans le gouffre du regard de lhomme. Gillian exigeait une reddition complte. Elle pressentait dj que son initiation serait une belle nuit damour dbride, qui risquait fort dtre sans lendemain. Mais les hommes aiment se donner lillusion de lexceptionnel. Je suis prte. Sa voix venait de rsonner trangement dans la pice, donnant presque limpression que ce ntait pas elle qui venait de parler. Le majordome dbarrassait les plats. Dshabille-toi. Gillian ne souriait pas, son visage tait sans expression, seuls ses yeux conservaient cette intensit particulire qui faisait une grande part de son charme. Au premier plan du tableau, des esclaves enchans tranaient les blocs de pierres qui allaient servir llvation du monstrueux difice. Elle narrivait plus se rappeler comment le dieu de la Bible stait arrang pour dtruire la tour de Babel. Nantisant la prsence du majordome, elle se leva et se dvtit compltement en regardant Gillian droit dans les yeux. Elle se tenait nue, au milieu de limmense salon, dans la clart des candlabres, les bras le long du corps, lgrement dhanche, les pieds joints. La lumire tnue des bougies accentuait les volumes de ses formes, confrant un aspect funbre son reflet dans les vitres. Un lger courant dair la fit frissonner.Elle risqua un regard furtif vers les tnbres dans lesquelles se perdaient les murs couverts de tableaux. Une aura malfique imprgnait la grande salle. Ne serait la certitude dtre bord dun cargo ultra-moderne, elle aurait pu se croire dans un chteau hant de la vieille cosse. Limage lui donna envie de rire, finalement elle trouvait tout ce dcorum

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compltement ringard. Gillian allait lamener dans une chambre coucher, avec un lit baldaquin rachet au chteau de Versailles. Attachez-la. Le majordome stait silencieusement gliss derrire Dyl. Il lui lia brutalement les mains dans le dos avec un bracelet en velcro. Une poigne glace treignit son cur. Sa respiration sacclra. Ses pires inquitudes se concrtisaient, linitiation prenait une tournure quelle stait refuse denvisager. Elle venait candidement de se livrer un serial killer milliardaire. Entrez, Sonia. Dyl serra les lvres de colre. Elle entendit le martlement caractristique des talons aiguilles de Sonia sur la marqueterie. Tout le charme de Gillian stait vanoui en fume, Dyl voulait sen aller. Elle fixa Gillian, mettant dans son regard tout le mpris quelle pouvait y mettre, elle ne trouvait pas les mots qui convenaient pour exprimer sa haine. Gillian soutint son regard. Ma plus grande jouissance est de pervertir linnocence. Cen tait trop, Dyl essaya de dfaire ses liens, mais le velcro tait rsistant. Le majordome et Sonia la plaqurent brutalement au sol, et Sonia lui fixa un billon en cuir, quip dune boule de caoutchouc qui repoussa sa langue au fond de sa gorge, ne lui laissant plus que la possibilit de gmir. Le majordome ouvrit une petite valise contenant une sorte de rsille de fils noirs. Il fixa les petits cbles dans les cheveux de Dyl. Les mmes cbles qui enserraient les cheveux de Linda Berlin, lorsquelle stait faite torturer mort. Aprs avoir fix la rsille, le majordome chargea dans un injecteur percutan la capsule blinde caractristique des doses de robots molculaires. Il approcha linjecteur de la carotide de Dyl et appuya sur la dtente. Dyl sentit limpact brlant de la pulvrisation contre sa peau. On venait de lui insuffler une colonie de robots dans le corps. Une peur froide sinsinua dans son tre. Le souvenir du massacre de Linda Berlin ne lui procurait plus dexcitation morbide. Dyl eut peur des souffrances venir. Elle ne pouvait pas dtacher sa pense de la matraque lectrique surchauffe, qui avait servi empaler Linda. Gillian avait rcupr dans son blouson le DV dans lequel elle collectionnait les scnes de massacre. Il le chargea dans un lecteur et les vitres affichrent les dernires squences pirates au rseau.

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ZOOM, on se rapproche doucement de silhouettes qui sagitent. Petit petit, la scne se fait plus nette Trois jeunes hommes BCBG, les cheveux coups ras, violent une jeune fille dans un chantier dsert. Ils ltranglent. Un tmoin venu se garer l est abattu, les assassins jettent le corps de la femme dans la voiture et y mettent le feu. Elle sentit son ventre se contracter. Il ny avait plus aucune excitation sexuelle dans la vision de ces films. Dyl se surprit essayer de retrouver un tat de dsir qui laiderait mourir, mais toute sensualit avait dsert son corps. Sonia mit un tisonnier chauffer dans le feu, et lui expliqua en souriant quau matin elle sen servirait pour lachever. Elle lui dcrivit comment elle allait sen servir, pendant que le majordome syntonisait un portable reli en H.F. avec la rsille glisse dans ses cheveux. Dyl sentit un petit vertige lorsquelle sactiva. Sonia lui expliqua que les robots molculaires quon venait de lui injecter staient greffs sur ses neurones, et transmettaient les modifications biologiques et lectriques de ses synapses la rsille. Les sensations de ses souffrances allaient tre enregistres. Son calvaire pouvait commencer. Sonia avait apport une vaste panoplie dustensiles quelle exprimenta les uns aprs les autres. Elle sen donna cur joie, violemment, sans sensualit. Au bout de quelques heures de supplice, Dyl perdit toute vellit de conserver un semblant de dignit face ses bourreaux. Elle sabandonna totalement la souffrance, esprant laube qui se faisait sadiquement attendre. Laube qui annoncerait la fin de ses tourments et le pire chtiment. la fin de la nuit, la dernire sance de torture lavait laisse attache, assise sur une chaise, les mains lies derrire le dossier, les chevilles cartes fixes aux pieds en bois sculpt. Son doigt de pied amput, ses ongles arrachs et son mamelon incis au rasoir, vrillaient ses nerfs dlancements douloureux. Les accessoires dont Sonia avait parsem son corps poursuivaient seuls leur terrible action destructrice. Des minihexapodes escaladaient ses cuisses et sa poitrine, enfonant leurs pattes pointues dans sa chair. Leurs capteurs dcelaient les terminaisons nerveuses sous la peau, leurs becs effils senfonaient alors, dclenchant des salves de dcharges lectriques synchronises avec des godemichets lectroniques enfoncs dans ses orifices. Malgr lendorphine gnre par son organisme pour combattre la souffrance, les mini-hexapodes arrivaient toujours lui soutirer des spasmes de douleur. Entre les clairs

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de souffrance, Dyl entrevit Sonia genoux entre les cuisses de Gillian occupe le faire jouir. Imperturbable, le majordome contrlait la rception des enregistrements. Derrire eux, un soleil blanc mergeait dans les nuages au-dessus de lhorizon. Lorsque Gillian eut atteint lorgasme, Sonia se leva, et sortit du feu le tisonnier chauff blanc. Malgr les lancements de douleurs que provoquaient le long de ses nerfs les svices prcdents, Dyl tait encore suffisamment consciente pour tre terrifie par ce qui allait arriver. Sonia approcha le tisonnier de ses cuisses au moment o les vagues scintillrent sous les premiers rayons de soleil qui peraient la couche nuageuse.

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Chapitre RAVE

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La nuit continue de respirer au rythme des pulsations hypnotiques de la rave. Par petits groupes, les cyberpunks prennent leurs voitures, la soire commence tirer sa fin. Un petit cran plasma encastr dans le tableau de bord du camion est rest connect sur le rseau de WTVX. Quelques plans trs brefs dun jeune couple massacr dans une cuisine. Les dbris dune collision arienne tombent sur une rue passante. Des plans dmeutes dans un centre commercial. Un rglement de compte au sige dune multinationale. Le prsident, sa famille et les directeurs ont t excuts : long travelling dans un salon moderne sur les corps allongs comme des poupes casses, devant un mur cribl de balles. La camra sattarde un instant sur les jambes cartes de la fille du prsident, rvlant un slip tach de sang. Je maperois quils ont rajout des projecteurs pour dramatiser la scne. Un filtre bleu ras du sol qui donne au sang une couleur noir opaque. La voix off dnonce l'utilisation honte et scandaleuse de ces images par les rseaux concurrents sans thique. Je me demande un instant si la commentatrice fait de lhumour ou si elle croit vraiment ce quelle dit. Bien que lrotisme de la mort en image me plaise, la violence relle me terrifie. Jai du mal supporter ces morts lcran dont nous abreuvent les actualits tous les jours. Paradoxalement, depuis les annes quatre-vingt-dix, une censure draconienne interdit la diffusion de fictions ou de jeux mlant violence et rotisme. Je me dis que finalement cest limaginaire qui est censur. Une uvre de lesprit est considre comme plus corruptrice quun fait divers. Dj, dans les grottes de Lascaux, lhomme des cavernes avait peint ses fantasmes dans une alcve secrte 7 , loin des peintures de bisons massacrs.7.Peinture de lhomme tte doiseau en rection.

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Captiv par lmission, je ne me suis pas rendu compte que la pulsation de basse sest arrte. Le rideau de fer du back stage souvre dans un grincement mtallique, librant un nuage de fume et dcouvrant progressivement la lumire intense de la scne. Les silhouettes en contre-jour dcoupent des tranches de lumire dans la fume. On dirait larrive de la soucoupe volante dans Rencontre du troisime type. Cest la fin de trois jours de rave non-stop. La foule se rpand lentement. Les voitures et les miniscoots quittent la bote dans le hurlement des moteurs hydrogne. Une bagarre clate au milieu des faisceaux des phares et de la fume souleve par les rodos dans le parking. Absorbs par leur affrontement, les combattants nen savourent pas moins la beaut de leur mise scne rituelle. Cinq heures du matin, cest lheure des morts. Le ballet mcanique des carcasses dacier a commenc et se poursuivra pendant plusieurs kilomtres sur les autoroutes. Les chauffeurs ont dconnect leurs vhicules des faisceaux de guidage et conduisent en manuel. Jai aid charger les amplis et les holoprojecteurs, puis nous sommes rentrs au port. Au bout dune cinquantaine de kilomtres, nous avons travers linvitable accident du samedi soir. Pour ceux-l, la course apocalyptique sest conclue par un orgasme mcanique digne de Ballard. Lexposition est gratuite et ouverte au public, qui peut, en ralentissant quelques instants, admirer la beaut trange de ces tableaux modernes, illustrations magistrales de notre obsolescence. Thme de lexposition : ros et Thanatos. Une apothose brutale de mtal broy, dans une galaxie de dbris de verre, mls au bouillonnement du sang rpandu. Au milieu de l'pave nucle dardant ses faisceaux vers les premires lueurs de laube, gt, dans une remarquable mtaphore phallique, une jeune femme empale par larbre de transmission. Chair et mtal encastrs dans une ultime treinte. Un jeune homme, pli en deux sur son tableau de bord, enlace le capot dans une parodie amoureuse, le sexe enfonc entre les clats des crans de contrle. En rglant la circulation, le vigile de la scurit donne limpression dtre un Monsieur Loyal, veillant ce que tout le monde profite correctement du spectacle. Ici, la symbiose phmre homme-machine est exceptionnelle, car certains corps encastrs conservent un semblant de vie, renforant par leurs hurlements et leurs contorsions la merveilleuse imbrication du vivant et de linanim. Aprs l'accident, nous avons repris de la vitesse. Le camion roule en autoguid vers laurore azur qui nimbe lhorizon. Tout le monde dort

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dans les diffrents niveaux de la cabine, berce par le ronronnement de la pile fusion. Alors que sefface lobscurit, la lumire blanche des phares sur lasphalte rivalise encore avec le bleu du ciel. La campagne se rvle peu peu, dans un camaeu gris de Payne. Des lambeaux fantomatiques de brume stiolent au-dessus des champs et des rivires.

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Chapitre

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REDDITIONLes tentacules chitineuses senfonaient dans son ventre, se frayant un chemin lintrieur de son corps anesthsi. Elle tait paralyse, incapable dchapper la lente progression des pattes arachnides, perforant ses organes et remontant lintrieur de ses cuisses, de ses bras, de ses poumons. Les pseudopodes acrs dardaient leurs filaments rectiles vers son crne. Elle sentit les fibrilles velues traverser sa gorge et pntrer sa tte. Les yeux exorbits elle hurla silencieusement, lorsque les mandibules commencrent mchonner sa cervelle. Lcho de son cri rebondissant entre les parois mtalliques la sortit du cauchemar. Il fallut du temps pour que Dyl comprenne ce quelle voyait. Son esprit embrum finit par mettre de lordre dans le chaos abstrait de couleurs et de formes qui la surplombait. Ctait des entrelacs de chanes, suspendues un lacis compliqu de treuils et de ponts roulants. Elle tait dans une soute, allonge en croix, les chevilles et les poignets lis par des sangles enroules dans les interstices de la passerelle. La mme impression malfique qui baignait le salon de Gillian rdait dans la soute. Ctait comme si une prsence invisible tournait autour delle. Une certitude irrationnelle simposa son esprit. Le navire tait vivant et il se nourrissait de lme de ses passagers. Dyl se dit quelle dlirait. Elle ne voulait pas croire aux fantmes. Elle seffora de briser le charme de terreur qui la paralysait. En tirant sur ses liens, elle essaya de modifier sa position, afin de poser une autre partie de son dos sur les grilles de mtal qui gravaient son corps de leur quadrillage gomtrique. Ses paules et ses hanches taient douloureuses dtre restes ainsi tires pendant son sommeil. Rgulirement, une goutte deau froide, suintant le long dune vieille chane rouille, glissait sur sa cuisse et tombait dans ltendue liquide qui croupissait au fond de la cale. Curieusement, il ne faisait pas froid.Au contraire, des bouffes dair chaud effleuraient son visage. Un petit VLS de maintenance rampa travers la soute et lui passa sur le corps de son

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ondulation serpentine. Le chatouillement des petites pattes grouillant sur son ventre provoqua une lgre bouffe de sensualit. Elle se demanda depuis combien de temps ils lavaient ainsi abandonne l. En se redressant, elle put voir sa poitrine et ses hanches. La brlure que Sonia avait faite avec le tisonnier tait pratiquement cicatrise, il ny avait plus les traces des coups sur son corps, ni des morsures des hexapodes. Elle avait d rester longtemps inconsciente, car de la longue soire avec Gillian et Sonia, il ne restait plus que la large cicatrice sur lintrieur de ses cuisses, et quelques brlures autour des seins et du sexe. Son tton droit tait dissimul sous un pansement, son mamelon gauche semblait intact et ne la faisait plus souffrir, tout comme son sexe, ses lvres et sa bouche sur lesquels stait acharne Sonia. En regardant de nouveau vers ses jambes, elle constata quil lui manquait bien le petit doigt du pied gauche, mais elle ne ressentait aucune douleur. Des petits pansements auto-cicatrisants entouraient certains de ses doigts. Elle ne souffrait plus que dune lgre irritation au bout de ceux dont Sonia avait arrach les ongles. La soute se mit vivre. La jungle mtallique au-dessus delle sanimait dune respiration surnaturelle. Les chanes oscillaient imperceptiblement. Des sons nouveaux envahissaient la pnombre : cliquetis des maillons qui s'entrechoquent, clapotis de leau qui sagite. Une colonie dhexapodes dentretien traversa un conduit daration faisant rsonner un instant la soute de leur pitinement frntique. Le vaisseau stait mis en route. Impression confirme par le battement sourd des moteurs qui lui parvenait travers le mtal. Dyl essaya de se librer, mais les sangles taient bien ajustes. Un homme jeune, trs beau, presque effmin, les cheveux teints en bleu, entra accompagn dune jeune femme brune, muscle, le regard sauvage, pantalon de toile tach dhuile et dbardeur sur lequel un badge avec les armes de Thanatos portait inscrit le nom de Maria. Le jeune homme aux cheveux bleus libra ses chevilles et lui souleva les jambes. Maria introduisit quelque chose dans son anus. Lobjet se liqufia en diffusant dans ses entrailles une chaleur agrable. Au bout de quelques secondes, Dyl se sentit euphorique : de lendorphine de synthse. Maria sassit sur sa poitrine et prit ses cheveux en lui chuchotant : Tu vas souffrir, mais a va te plaire. Blue ! Tiens-lui les jambes ! Maria se releva. Elle dfit ltroite ceinture qui ceignait ses hanches et la cingla entre les cuisses. Dyl se mordit les lvres pour ne pas crier. chaque mouvement de bras, les seins lourds de son bourreau dansaient sous son dbardeur. Elle trouvait Maria dsirable. Blue lcha ses

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chevilles et lui enfila un sac poussireux sur la figure, elle se trouva plonge dans lobscurit. Deux cuisses prirent position de part et dautre de son torse, une main souleva le bas du sac. Blue enfourna sa verge qui vint buter au fond de sa gorge, dclenchant un rflexe de dgurgitation. Le jeune homme poussa un cri de douleur. En luttant contre le spasme de vomissement provoqu par lintrusion du membre, Dyl lavait mordu. Blue se retira brutalement, et la gifla toute vole. Malgr la violence des coups et des spasmes de son estomac rvuls, Dyl fut prise dun fou rire inextinguible. Maria dcida dinterrompre la sance.Elle la dtacha, et laida enfiler un gros pull marin et un slip blanc. Dyl se sentait comme une petite fille ayant fait une sale blague. Ses yeux taient embus de larmes dhilarit. Son euphorie devait tre contagieuse, car elle surprit un sourire furtif sur le visage de Maria. Mais trs vite la jeune femme aux allures flines reprit une expression impersonnelle et la poussa devant elle dans les coursives du navire. Lendomorphine de synthse additionne celle gnre dans son organisme par lexcitation sexuelle et la souffrance maintenait Dyl dans un tat second. Tout ce quelle voyait lui paraissait drle. La dmarche chaloupe de Maria, les inscriptions techniques sur les murs, les essaims dsordonns des hexapodes de maintenance. Ils traversrent une cale remplie de containers. Les battants de lun dentre eux taient entrouverts, laissant voir six ranges de couchettes mtalliques munies de sangles. Ces containers servaient transporter des prisonniers. En levant les yeux sur lempilement dmesur de cubes mtalliques, Dyl imagina des centaines de jeunes femmes comme elle, enchanes sur les couchettes. Ctait une image tellement invraisemblable quelle chassa cette ide. Blue la poussa en avant la suite de Maria qui continuait davancer dans le labyrinthe form par les colonnes de containers. Les structures du vaisseau taient bizarres. Les fins contreforts en acier qui bordaient les cloisons, imitaient le galbe des arcs-boutants des glises gothiques. Il tait clair que les ingnieurs qui avaient conu le navire staient inspirs de larchitecture des cathdrales. Un courant dair froid la fit frissonner. Elles atteignirent un espace dgag ouvert sur la nuit. Le cargo tait quai. La paroi de la cale tait abaisse contre la jete, un gros car rgie noir frapp de lemblme de WTVX, attendait de sortir du navire. La Nissan noire de Gillian tait gare devant le camion, les portes arrire releves comme deux ailes de papillon. Dyl sassit ct du matre de

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Thanatos. Le cuir chauff des siges tait tide contre ses cuisses. Elle se sentit sale. Tu vas conduire le car rgie. Malgr son euphorie artificielle, Dyl tait lucide. Gillian faisait comme si rien ne stait pass. Il lavait martyrise, viole, humilie, elle porterait jamais les cicatrices des tortures de Sonia, et il lui parlait comme sils venaient de quitter la table dun repas mondain. Sa haine se transforma en hilarit. Elle se retint de rire nouveau, ses yeux semburent. Elle en pleurait de rire. Elle essuya ses larmes en sappuyant contre la vitre des portires qui venaient de se refermer. Il y a un enfoir qui trahit le Faisceau. On va lui rgler son compte. Les mots quil employait la firent sourire. Cette vulgarit mafieuse correspondait mieux au personnage que la politesse rserve quil affichait en public. Elle se dit que si ses employs subissaient tous ce quelle avait subi, ils devaient tre nombreux vouloir le trahir. La scurit a identifi un cracker qui pirate le rseau mre. Nous savons qui cest, mais je veux que tu me confirmes sa localisation avec le car rgie. Tu sais faire a. Pou-pourquoi crois-tu que je vais le faire, e-espce denfoir ? Dyl avait du mal articuler, les mots semblaient venir dun lointain pass. Dune Dyl trs loigne quelle obligeait douloureusement revenir. Parce que cest ta seconde preuve. Je pourrais te ba-te ba-lancer aux floc-aux flics. Vas-y. Dun geste, Gillian dclencha louverture de la Nissan. La portire se souleva silencieusement, ouvrant sur le sas encadrant le ciel toil et les lumires du port. La paroi de la cale, soutenue par ses vrins, tait appuye sur le bton de lembarcadre. Dyl sortit de la voiture, franchit la passerelle et descendit sur le quai sans que Gillian ni personne ne la retienne. Une rise, venant du large, loignait vers les terres les remugles de saumure de poisson et lodeur musque des silos farine transgnique. Elle inspira une grande bouffe dair iod et de senteurs marines. Les rafales de vent contre ses cuisses la firent frissonner. Les mouettes tournaient en criant au-dessus des jets entre les spreaders des portiques. Derrire les points rouges clignotants des feux de position, des petits cumulus orangs, pousss par le surot, caressaient la lune, donnant limpression vertigineuse que le port glissait sous le ciel toil. Dans le vrombissement caractristique des moteurs gaz, une flottille de chalutiers quittait la rade. Les catamarans rouills fendaient la houle

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de leurs traves jumelles, accompagns par une nue doiseaux de mer. Elle pouvait distinguer les regards curieux des marins braqus sur elle, lorsque leurs esquifs, aux armatures lgres, passaient devant la masse sombre du cargo et quils la dcouvraient moiti nue dans le faisceau des lampadaires. Leuphorie commenait sattnuer. Les parties blesses de son corps irradiaient ses nerfs de pointes douloureuses. Elle fut terrorise lide que le cauchemar recommence de nouveau. Elle caressa lespoir que Gillian la laisse effectivement partir. Il aurait dj pu la tuer et il ne lavait pas fait. Le camion et la Nissan attendaient dans la lumire bleue des nons de la soute. Elle tenta en vain de distinguer Gillian entre les reflets gomtriques des lampes sur le parebrise. Il savait quelle allait revenir. Gillian ntait pas sans charme et elle sentait obscurment quelle avait un rle jouer auprs de lui. Elle dissimula sa dfaite derrire une pense rebelle : loin de Gillian elle ne pourrait jamais lutter contre lui, et peut-tre pourrait-elle le sauver de luimme. Elle jeta un dernier regard sur le port puis remonta dans le cargo. Elle passa devant la Nissan et grimpa dans la cabine du camion. Au fond de son tre, comme un mauvais souvenir quon essaye de chasser, une petite Dyl hurlait la mort. Blue escalada le marchepied et lui tendit la tlcommande du camion, avec un jeu de cartes magntiques comme en utilisent les techniciens des rseaux pour ouvrir les baies de commutateurs.

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Chapitre

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STARDUSTAprs avoir dcharg le camion du groupe, javais aid Fred connecter ses modems sur le rseau. On regardait un remaster hypnotrash dun vieux morceau techno-gore du groupe V-FORM, pirat sur le serveur musical de WTVX. Fred est lincarnation mme de lotaku japonais. Cest un gros garon qui, pour chapper la misre de son quotidien, passe sa vie dans le cyberespace et lrotisme nippon. Sa chambre jouxtant lappartement de ses parents dans lancienne cit HLM rhabilite, est encombre de micro-ordinateurs et de mangas. Fred a beaucoup damis, essentiellement grce au piratage informatique. Il adorait quon lui apporte une nigme rsoudre, un programme dverrouiller, un nouveau site cracker. Si Fred avait survcu cette histoire, il aurait fini par travailler comme spcialiste des firewalls pour quelque grande socit. La dernire passion de Fred est de collectionner les DV rotiques et ses crans sont en permanence occups par des squences 3d o des pin-up se dnudent ternellement. Fred adore les femmes, mais sa timidit, lapparente complexit des filles et des rapports htrosexuels, ou peuttre ses complexes lis son physique de gros nounours, transforment la sduction en une tche insurmontable. Il terminait de prparer un rail de cette poussire dore quon appelle Stardust. La fine poudre est un conglomrat de microrobots cellulaires programms pour injecter dans les neurones des neurotransmetteurs de type endorphine. Fred mavait expliqu, avec son locution syncope caractristique o les phrases ne font pas plus de cinq mots, que lorsquil sniffait du Stardust le temps se trouvait comme ralenti. Il mavait affirm tre capable de percevoir la dure des silences dans des morceaux deux cent quarante Bpm chantillonns cent MHz. Captiv par ce pouvoir trange que lui confrait le Stardust, javais inspir plusieurs doses de la fine poussire dore et depuis quelques

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minutes, jessayais de me concentrer sur le rythme, esprant percevoir ce fameux ralentissement temporel. Des sueurs froides se mettent suinter sur mon front. Une nause incoercible me submerge. Dans une urgence incontrlable, je sens que mon corps tente de se vider par tous ses orifices. Mon cerveau essaie de se rpandre par les oreilles, mes yeux senfoncent