Violences; The UNESCO Courier: a window open on the...

52
M 1205 -9

Transcript of Violences; The UNESCO Courier: a window open on the...

Page 1: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

M 1205 -9

Page 2: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

PERATI

RITES

LESAu cours des derniers mois, nous avons reçu de

nombreux appels émanant de milieux scolaires etuniversitaires d'Afrique et d'Asie. Des étudiants, desprofesseurs, des bibliothécaires, nous demandent desabonnements gratuits au Courrier de ¡'Unesco. Parcentaines. Ils viennent de faire la découverte de la

revue, à la faveur d'une distribution gratuite denuméros des années 1989, 90 et 91. Et cettedécouverte a spontanément suscité, dans différentspays, la même réaction d'intérêt. Et le même appel,étrangement pressant.

Cet appel nous a touchés, étonnés même. Il nous apris en défaut. Disons le mot, en flagrant délit delégèreté. Nous faisons en effet, du mieux que nouspouvons, une revue qui épouse les idéaux humanisteset universalistes de I'Unesco. Mais nous ne nous

doutions pas de la profondeur des besoins auxquelsces idéaux répondent. Dans des pays où se posent desproblèmes de survie, nous avons pris la paresseusehabitude de penser que les seules priorités étaientalimentaires. Ce que cet appel vient nous rappeler,presque avec brutalité, c'est que si le riz et le blé, lesvaccins et les antibiotiques, sont immédiatementnécessaires, l'avenir aussi est une urgence.

Que les jeunes partout, ne se contentent pas desurvivre, mais veulent vivre pour préparer d'autreslendemains. Et que pour cela il leur faut, dèsaujourd'hui, se tenir au courant de ce qui se passe,non seulement autour d'eux, mais dans l'ensemble dumonde. Qu'il leur faut apprendre à penser, certes, lesproblèmes concrets auxquels ils sont confrontés, etdans la fidélité aux valeurs qui leur sont propres, maisaussi aux grands problèmes du monde dont ils sontpartie prenante, et en référence à d'autres culturesque les leurs, et en s'appuyant sur des normes et desvaleurs universelles.

Ces étudiants, ces professeurs, ces bibliothécairesdu Bangladesh et de l'Inde, du Sénégal et du Bénin,nous font l'honneur de penser que le Courrier de¡'Unesco peut les aider à mieux percevoir la diversitédu monde, et son unité. Ils nous aident en retour àcomprendre que, partout, même là où la vie estparfois d'une extrême dureté, les hommes continuentvaille que vaille de rêver, d'espérer, de se projeter au-dessus de leurs conditions présentes, de se considérercomme membres actifs, créateurs, d'une seule etmême humanité.

4PNous avons

commencé, etnous continuerons,

bien sûr, à offrir uncertain nombre

d'abonnements gratuits.Mais nos budgets sont trop

serrés pour nous permettred'en offrir des centaines.

Nous vous demandons votre aide,

à vous lecteurs et abonnés des paysles plus favorisés. Votre aide à deux

niveaux.

Tout d'abord, pour qui désire souscrire un«abonnement de solidarité» qui sera acheminé

vers une école, une université ou unebibliothèque du Sud dont nous vous fournirons en

retour les coordonnées.

Mais votre aide nous sera aussi précieuse à un secondniveau. Le besoin qui s'est exprimé dans le Sud, àtravers les demandes d'abonnement au Courrier, vaévidemment bien au-delà de ces demandes: il traduit un

désir de solidarité intellectuelle qui est un formidablegage d'optimisme en cette époque de multiplesdésarrois.

La solidarité est à l'ordre du jour. Mais elle s'est,jusqu'à aujourd'hui, surtout affirmée sous les aspectsdu secours d'urgence, pour tenter d'arrêter desmassacres, de mettre fin à des épidémies, de surmonterdes famines. Et s'il était temps d'aller plus loin? Depenser aux formes possibles d'une solidarité qui, par letruchement de multiples actions concrètes, etpersonnalisées, permette d'établir des passerelleshumaines sur des terrains encore inexplorés, lesterrains de la culture, des idées, des livres, des images?

Nous nous efforçons, ici, de commencer à défricher cesterrains. Voulez-vous vous associer à cet effort en nous

écrivant, en nous faisant part de réflexions,d'expériences déjà en cours ou même encoreembryonnaires? Nous serions heureux d'en publier lesplus significatives et de susciter, autour d'elles, unéchange international d'idées.

Aidez-nous à donner corps à des solidarités nouvelles.

L'équipe du Courrier de I'Unesco

ECRIVEZ-NOUSADRESSEZ VOTRE ENVOI A L'ATTENTION DE: SOLANGE BELIN, «OPERATION SOLIDARITES NOUVELLES»

LE COURRIER DE L'UNESCO, 31, RUE FRANÇOIS-BONVIN, 75732 PARIS CEDEX 15 (FRANCE)POUR OFFRIR UN ABONNEMENT UTILISEZ LE BULLETIN ENCARTÉ DANS CE NUMÉRO EN Y INSCRIVANT TRÈS LISIBLEMENT LA MENTION

«OPÉRATION SOLIDARITÉS NOUVELLES»

Page 3: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

' Entretien avec

José Carreras

S_ACTION UNESCOMÉMOIRE DU MONDE

Le mur d'Hadrien

par Anthony Allan

7Violences

Editorial de Bahgat Elnadi et Adel Rifaat

Émeutes dans la ville

par Loïc J. D. Wacquant 8

I SommaireFÉVRIER 1993

Notre couverture:

La Tempête (1886), sculpture

d'Auguste Rodin (détail).

48 ACTION UNESCO

DIAGONALE

La vallée de l'Indus, berceaude la démocratie?

par Syed Ashfaq Ahmad Naqvi

Les ruses du racisme

par Michel Wieviorka 13

Risques d'avalanche

par Andreï Nouïkine 16

0 DISQUES RÉCENTSpar Isabelle Leymarie

L'inconscient et la guerre

par Ivan Colovic 21

Les médias en question

par Daniel Hermant 31

25Espace vert

Violence de la musique

par Isabelle Leymarie 35

Consultant spécial:Michel Wieviorka

Le Manifeste de Seville

40

L'antidote politique

par Sami Naïr 41

45La chronique de

Federico Mayor

gouvernements des États parties à la présente Convention déclarent:Que, les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de

|e%. V^L41\1\1JL*1V la paix...y i\ TrC"^""^^ ...Qu'une paix fondée sur les seuls accords économiques et politiques des gouvernements ne saurait entraîner l'adhésion unanime,

Hp P I J l\| r -^v V ) durable et sincère des peuples et que, par conséquent, cette paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle etmorale de l'humanité.

...Pour ces motifs (ils) décident de développer et de multiplier les relations entre leurs peuples en vue de se mieux comprendre et46' année d'acquérir une connaissance plus précise de leurs coutumes respectives...»Mensuelpublié en 33 langues et en braille Extrait du préambule de la Convention créant l'Unesco, Londres, le 16 novembre 1945

rCpURRIERmin

Page 4: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

ENTRETIEN

JOSE CARRERASrépond auxquestions deSerafín García

Né à Barcelone, José Carreras

est l'un des grands ténors

lyriques de notre temps. Son

répertoire comprend quelque 60

rôles qu'il a interprétés sur les

scènes d'opéra du monde entier

et sous la direction des chefs

d'orchestre les plus prestigieux,

en particulier Herbert von

Karajan. Familier de l'opéra

italien et français, il est aussi un

brillant interprète de lieder et de

chants populaires. Sa carrière,

interrompue un temps par la

maladie, lui a valu un grand

nombre de titres et de prix,

nationaux et internationaux.

Créateur d'une fondation de

recherche médicale qui porte

son nom, José Carreras est l'un

des grands serviteurs de la

musique aujourd'hui.

A quel âge la musique est-elle entrée dansvotre vie? Fut-ce dès l'enfance?

Mon enfance je suis né à Barcelone le 5décembre 1 946 fut plutôt heureuse. Un dessouvenirs les plus vifs que j'en garde est sûre¬ment révélateur. Je n'avais pas encore cinqans lorsque ma famille a émigré en Argentine.La situation était devenue très difficile à

Barcelone où, aux effets de la guerre civile,s'étaient en effet ajoutes ceux de la SecondeGuerre mondiale. Pour des raisons politiqueset économiques, mes parent avaient doncdécidé d'aller tenter leur chance de l'autre

côté de l'océan. Ils allaient vite être déçus.Notre aventure n'a pas duré plus d'un an.

Mais de ce voyage je me rappelle surtoutla traversée en bateau. Pourquoi? Je me suisbeaucoup amuse et je crois avoir diverti lesautres passagers en imitant les chanteurs et lesdanseurs de tango...

Etait-ce simple jeu d'enfant ou déjà lesigne d'une vocation? Comment êtes-vousvenu au chant?

Naturellement, par toute une série de cir¬constances et non par une quelconque illu¬mination soudaine. A cinq ou six ans, commetous les enfants de Catalogne, je rêvais déjouerau football et de marquer plus de buts que lesautres. Je voulais aussi aller au cinéma le plussouvent possible. A l'époque, il n'y avait pasbeaucoup d'autres loisirs. Nous avions unecarte d'abonnement au cinéma; il nous arrivaitd'assister à deux séances successives.

Je m'amusais déjà à imiter un chanteurtrès populaire, Luis Mariano. Mais c'est sur¬tout le film Le grand Caruso, avec MarioLanza, qui contribua le plus à éveiller monintérêt pour le chant. Dès le lendemain de laprojection du film, je me mis à imiter MarioLanza et je m'aperçus que j'arrivais à repro¬duire avec une exactitude surprenante laquasi-totalité des airs du Grand Caruso queje n'avais jamais entendus auparavant. Mesparents, qui n'étaient pas précisément desamateurs d'opéra, en furent si impressionnésqu'ils commencèrent à se demander si mongoût pour la musique ne traduisait pas, fina¬lement, une véritable vocation. Ils m'offrirentun tourne-disque, tous les enregistrements duGrand Caruso et des disques de chansonsnapolitaines interprétées par Giuseppe diStefano. J'étais au comble du bonheur.

J'avais huit ans lorsque mon père m'ins¬crivit au Conservatoire municipal et m'amena,pour la première fois au Teatro del Liceo deBarcelone, où l'on représentait Aida de Verdi.Quelle féerie! Suivre, sur le vif, le déroulementd'un opéra, avec les voix, les acteurs,l'orchestre, les décors et l'ambiance fut, pourmoi, une expérience décisive. Trois ans plustard j'avais alors onze ans , je montai àmon tour sur la scène du Teatro del Liceo

pour jouer un rôle d'enfant dans Le Retablede maître Pierre, de Manuel de Falla, un rôledifficile à chanter parce qu'écrit pour unevoix de soprano.

Après des débuts aussi prometteurs, mesparents commencèrent à s'entourer d'avis etde conseils sur mon éventuelle orientation

vers le chant. Ils le firent avec tant d'enthou¬

siasme que le pianiste et chef d'orchestre JoséIturbi dut les rappeler à moins d'euphorie, enleur disant qu'il fallait attendre que ma voixmue pour pouvoir se prononcer. En atten¬dant, on m'orienta vers les disciplines scien¬tifiques et je me mis à étudier la chimie. Maisl'expérience fut assez pénible. Je ne rêvais

Page 5: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

que de chant. Finalement, au cours de l'annéeuniversitaire 1967-1968, à l'occasion de mes21 ans, je décidai de me lancer définitivementlà où m'appelait ma vocation.

Peu après, je fis la connaissance de cellequi allait devenir l'une de mes meilleurs amies,Montserrat Caballé. Dès le début, elle me fitconfiance. Elle me fit chanter avec elle au

Teatro del Liceo à Barcelone, en 1970. J'yjouai aussi Gennaro dans Lucrèce Borgia deGaetano Donizetti. Puis, une à une, les

grandes scènes lyriques du monde m'ouvri¬rent leurs portes.

Que représentepour vous la musique?C'est d'abord ma profession, ce qui, en soi,

est tout à fait important. Mais surtout, lamusique me permet d'exprimer ce que je porteen moi et que je ne peux communiquer qu'àtravers elle. Quand je chante, moi qui suisd'un naturel plutôt introverti, je découvre messentiments les plus profonds et je livre aupublic ce qu'il y a de plus intime en moi.

Chanter, c'est communiquer et pour cela,une certaine technique est nécessaire. Plus cettetechnique est affinée, mieux la communicationa des chances d'être établie. Mais cela ne suffit

pas. Il faut aussi que le chanteur puisse, aumoyen de la technique, donner corps et vie à lamusique, lui donner une âme. Une très bellevoix et une technique n'y suffiront jamais.

C'est la raison pour laquelle, à mon avis, laperfection d'un enregistrement obtenu après demultiples manipulations n'éclipsera jamaisl'interprétation en direct, avec ses inévitablesimperfections. Je voudrais répéter, ici, que lecheminement d'un chant de ténor va du coeur

à la voix, en passant par la tête. Le ccur, avecles sentiments qu'il veut exprimer, est à la lignede départ. Mais il n'irait pas très loin, si la têtene prenait pas le contrôle pour guider le jeu etmettre en garde contre le danger d'en fairetrop ou pas assez. C'est par ce très subtil détourque la voix, aidée par la technique, peut vrai¬ment traduire les émotions du clur ainsi queles consignes de l'esprit.

Vospréférences d'artiste lyrique vont-elleexclusivement à l'opéra? Que pensez-vous,par exemple, de l'artpopulaire du flamenco,dont l'essence est le cante jondo, ce «chantprofond» quiparaît ésotérique à certains etdivin à d'autres?

A un certain niveau d'interprétation, lecante jondo est d'une sensibilité, d'un raffi

nement et d'une force d'expression extraor¬dinaires, surtout lorsque les sentimentscontraignent le chanteur, alors qu'il sembleavoir tout donné et être parvenu au bord del'épuisement, à trouver encore, au tréfonds delui-même, un restant de forces pour imprimerau chant un ultime accent, si personnel qu'ilen devient unique.

Je suis grand amateur de CAnte jondo, duvrai, de l'authentique cante jondo. Je déteste,en revanche, la forme édulcorée sous laquelleon nous le présente souvent.

Etes-vous également ouvert à d'autrestypes de musique, comme le jazz ou le rock?

N'allez surtout pas croire qu'un profes¬sionnel de la musique classique, et plus préci¬sément de l'opéra, passe tout son temps àn'écouter que Wagner ou Verdi. J'aime lamusique classique, la musique symphonique,mais j'aime aussi la musique pop, le rock, oud'autres. Il y a une musique pour chaquemoment de la vie.

Quand elle est bien interprétée, la musiquedite populaire me plaît. Elle peut même meplaire énormément. Prenez, par exemple, lesBeatles. Quand j'étais adolescent, on com¬mençait à les entendre; ils ont profondémentmarqué la génération à laquelle j'appartiens. Jecontinue à les considérer comme de grandsmusiciens. Quand elle est bien faite, cettemusique est quelque chose que je ressens inten¬sément.

En définitive, vous nefaites de distinctionqu'entre la bonne et la mauvaise musique?

Tout à fait. Cela me permet d'aller audevant d'une question que l'on m'a souventposée. Les ténors doivent-ils, on non, inter¬préter la musique dite populaire? Pour mapart, je réponds par l'affirmative. Toutd'abord, parce que j'aime entendre et chantercette musique. Ensuite, mais subsidiairement,parce que c'est peut-être une manière d'attirerun nouveau public à l'opéra.

J'allais justement vous demander votreavis sur le reproche d'élitisme que l'on fait àl'opéra et à la musique en général...

La musique classique et l'opéra sont souventqualifiés d'élitistes. Il fut peut-être un temps oùune telle accusation pouvait paraître crédible.Mais la situation n'est plus ce qu'elle était.Aujourd'hui, la musique classique et l'opératouchent un public de plus en plus large et

socialement de plus en plus diversifié. Celaest dû, dans une certaine mesure, aux inter¬prètes, qui sont de moins en moins desmonstres inaccessibles. Mais cela vient sur¬

tout des médias, des moyens audiovisuels, quiont permis à des centaines de milliers de per¬sonnes de connaître ce genre de musique et del'apprécier. La musique, comme tous les autrestypes de communication artistique, a besoind'être fréquentée. La diffusion est essentielle audécodage et à l'accessibilité, tout comme laconnaissance est essentielle à l'amour.

Quelle place faites-vous à la musiqueparrapport à d'autres formes d'expression artis¬tique:peinture, sculpture, littérature?

La musique a un caractère spécifique, avecses avantages et ses inconvénients, mais qui larend plus vivante que les autres formesd'expression artistique: elle se produit dansl'instant. Cette particularité lui confère, encertaines circonstances, un pouvoir supplé¬mentaire d'émotion, une force d'expressiontout à fait extraordinaire. Cela dit, je suisaussi un passionné de littérature.

Une picturalepeut-elle, autant quela musique, susciter des émotions successivesallant de la tristesse la plus profonde àl'euphorie la plus intense?

Page 6: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Ce n'est pas impossible. Mais c'est, bien sûr,la littérature qui, à cet égard, se rapproche leplus de la musique. Après tout, l'opéra assureune symbiose entre littérature et musique.

Si vous deviez vivre isolé un certain temps,en n'emportant avec vous qu'une seule nuvrede chaquegrand compositeur, lesquelles choi-siriez-vous?

Un choix difficile! Je n'oublierais ni LesNoces de Figaro de Mozart, ni Norma deBellini. Je ne pourrais non plus renoncer auBarbier de Seville ou à L'Elixir d'amour de

Donizetti. J'emporterais également Tristanet Iseult de Wagner, Carmen de Bizct et LaBohême de Puccini. En ce qui concerne Verdi,comment choisir entre Rigoletto, La Traviataet Le Trouvère}

Quels rôles d'opéra ont votre préférence?Ceux de Rodolphe dans La Bohême et le

Don José dans Carmen sont parmi mesfavoris. J'aime aussi celui de Némorino dansL'Elixir d'amour.

Ressentez-vous encore le trac?

Je ne sais pas si ce que je ressens, c'est vrai¬ment le trac. Ce que je sais, c'est que, les joursde grande première, je commence, dès mon

réveil, à m'ausculter moi-même, et à inspectermon instrument, c'est-à-dire ma voix. Jecherche à m'assurer que tout va bien, physi¬quement et psychologiquement, que ma voixrépond convenablement aux instructions quelui transmet mon cerveau. Pourquoi cettetension? Peut-être parce que chez un choriste,une petite erreur peut passer inaperçue, alorsque chez un ténor, un seul couac peut revêtirune importance considérable.

On entend souvent dire que l'opéra estaujourd'hui en crise. Partagez-vous cette opi¬nion?

C'est un sujet très controversé; mais ilsemble qu'il en a toujours été ainsi. Pour mapart, je vois effectivement se profiler unecrise, car dans les nouvelles générations, iln'y a pas assez de talents pour maintenir soli¬dement sur pied l'édifice complexe de l'opéra.Cette pénurie prend un tour inquiétant. Si larelève ne se manifeste pas rapidement, l'opérarisque d'entrer en agonie.

Votre curiosité, vos champs d'intérêt sontvastes. Y a-t-il un autre domaine où vous

auriez aimé exceller?

Dès mon enfance, je vous l'ai dit, j'ai raf¬folé du football! Comme tant d'autres enfants

de mon pays, je rêvais d'être avant-centredans l'équipe nationale de football, ou dansl'équipe de Barcelone. Peut-on appeler celaune frustration? Ce serait excessif. Si je nem'étais pas orienté vers le chant et la musiqueclassique, j'aurais quand même choisi uneactivité en rapport avec l'art.

Votreprofession vous laisse-t-elle le tempsde vous consacrer à d'autres activités?

J'évite de jouer plus de deux ou trois foispar semaine. Je m'efforce de concilier ma vieprofessionnelle avec ma vie privée. Ce n'estpas toujours facile, surtout depuis qu'unetroisième activité, celle relative à la Fondationqui porte mon nom et qui se donne pourobjet de lutter contre la leucémie, est venues'ajouter aux précédentes.

Comment avez-vous eu l'idée de créer la

Fondation José Carreras?L'idée de la Fondation est née de mon

expérience personnelle avec la leucémie.Comme vous le savez, je suis resté maladependant près d'un an. J'ai alors reçu de trèsnombreux témoignages d'encouragement, desoutien, qui m'ont aidé à lutter et, finale¬ment, à guérir. J'ai découvert alors que ceuxque l'on présente comme mes rivaux, LucianoPavarotti et Placido Domingo, étaient non

seulement de très grands ténors, mais aussi desêtres merveilleux. Quand ils me quittaient,après une visite, l'un me disait: «Courage,champion!'», et l'autre: «José, il faut que tu t'ensortes, sans quoi je n'aurais plus personne àqui me mesurer.» Ce sont de tels mots,comme ceux de milliers de gens moinsconnus, qui m'ont aidé à traverser l'épreuve.Et c'est ce qui m'a inspiré l'idée de créer,après mon éventuelle guérison, une Fondationqui participerait à la lutte contre cette maladieredoutable.

Où en est aujourd'hui la Fondation?Elle a déjà acquis une grande notoriété et

regroupe des personnalités prestigieuses. Soncomité technique comprend, autour du pro¬fesseur E. Donald Thomas, prix Nobel demédecine, de grands scientifiques espagnolset américains. Créé en 1988 à Barcelone, la

Fondation est déjà implantée aux Etats-Unis,en Suisse et en Autriche. Nos projets et nosprogrammes sont très ambitieux. Notre pre¬mier objectif est d'aider à la recherche scien¬tifique par des fonds et des bourses. En effet,les scientifiques pensent que le meilleurmoyen de contribuer à la lutte contre lamaladie est de multiplier les efforts derecherche.

D 'où viennent ses ressources?

Le chef du gouvernement espagnol, FelipeGonzalez, est le président d'honneur de notreFondation. Son soutien nous a été très pré¬cieux. Il a donné l'exemple et un grandnombre d'institutions publiques et privéesnous sont apporté leur soutien, moral etfinancier. Nous avons également financé laFondation par les galas que nous avons orga¬nisés et que j'ai donnés dans le monde cesdernières années. Enfin, il y a les souscriptionspubliques. Lorsqu'ils sont bien informés, lesfemmes et les hommes se révèlent d'une très

grande générosité.

A ce sujet, y a-t-il un message particulierque vous voudriez transmettre?

J'ai été malade de la leucémie et j'en suisguéri. La leucémie est une maladie très grave,mais ma guérison n'est pas exceptionnelle.D'après les scientifiques, les chances de gué-risons sont de plus en plus grandes. Encorefaut-il vouloir guérir. Aussi dirais-je à ceuxqui sont atteints de ce mal: même s'il n'y aqu'une chance sur un million de guérir, cettechance peut être la vôtre. Il faut vous battre. Enmobilisant toutes les ressources intérieures.

Et vous verrez que ces ressources sontimmenses...

Page 7: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

¡.'editorial de Bahqat Elnadi et Adel Rifaat

ViolemosLA violence semble aujourd'hui nous cerner de toutes parts. Est-elle plus

répandue qu'hier? Ou emprunte-t-elle, simplement, des formes plus évidentes,

plus perceptibles? Lorsque nous ne sommes pas directement confrontés à elle,

nous entendons parler d'elle; lorsqu'elle nous épargne dans nos foyers, elle nous

guette dans le métro ou dans un avion; elle est sur tous nos écrans collective ou

individuelle, dans les bulletins d'information quotidiens comme dans les ouvres de

fiction les plus intimistes. Nous nous attendons finalement à la croiser à chaque coinde rue.

Quelque chose, dans le crépuscule terrible de notre siècle, semble appeler la vio¬

lence comme la nuée appelle l'orage. Avec l'effondrement du communisme euro¬

péen, tous les équilibres qui reposaient sur la bipolarité Est-Ouest ont été rompus.

Mais en même temps que le formidable vent de libertés qui s'est mis à souffler sur le

monde, s'est répandue la peur, une peur tentaculaire de la nouveauté, de l'inconnu,

de l'imprévisible.

Tout bouge, en effet, tout devient possible, tout est à réinventer. Mais tout le

monde n'a pas, dans l'immédiat, les moyens de participer à cette renaissance. Les dis¬

parités sont trop grandes entre ceux qui peuvent contribuer activement au change¬ment et ceux qui ne peuvent qu'en subir passivement les contrecoups. Les déshérités

sont beaucoup plus nombreux que les privilégiés, les puissants infiniment plus forts

que les faibles; individus, minorités, nations, confrontés à trop de défis à la fois, onttendance à se replier sur eux-mêmes, à rejeter tout ensemble et l'Autre et le change¬ment. Raideurs, tensions, conflits, paraissent ainsi affleurer à tous les tournants de

nos vies personnelles comme de notre aventure commune.

La violence, alors, n'est pas loin. Elle qui nous vient de la nuit des temps et qui

plonge si profond dans notre inconscient, comment ne trouverait-elle pas, dans ledésarroi ambiant, des occasions croissantes de se manifester, où les nouveaux pré¬

textes s'ajoutent aux raisons les plus immémoriales?

Au fait, d'où nous vient-elle, cette violence? A-t-elle des causes proprement bio¬

logiques? Thèse que certains savants, et non des moindres, ont cru pouvoir soutenir

et qu'un colloque, réuni à Seville en 1986, a énergiquement rejetée. Peut-on luitrouver des fondements socio-économiques? S'inscrit-elle dans l'insoluble contradic¬tion entre l'être individuel et l'être social de l'homme? Comment, de latente, devient-

elle explosive? Est-elle seulement relayée par les moyens d'information de masse, ou

est-elle exaltée, aggravée par eux?

Telles sont quelques-unes des questions que nous nous sommes posées ici. Avec,sous-jacent, le constant souci de savoir si, et comment, il est possible de répliquer à la

violence autrement que par la violence. On trouve certaines réponses dans l'éthique,

dans le politique, dans l'art. Elles passent par l'impératif du respect de la personnehumaine, de ses libertés et de ses droits; par le choix d'une action politique qui privi¬

légie la négociation sur la répression; par une coopération qui partout met à l'hon¬neur la justice et la solidarité...

Immense labeur, à recommencer sans fin. Et plus que jamais urgent.

Page 8: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Emeutes dans la villeLes explosions deviolence qui secouentles grandes villesd'Occident appellentdes réponses enp-ofondeur.

par Loï( J. D. IVmquonf

Los Angeles (1992).

OCTOBRE 1990 à Vaulx-en-Vclin, banale

banlieue ouvrière de l'aggloméationlyonnaise, en France. Parce qu'un des

leurs a été tué dans un accident de moto impli¬quant une voiture de police, des centaines dejeunes, dont beaucoup d'immigrants maghré¬bins de la seconde génération, envahissent larue et s'attaquent aux policiers. Pendant troisjours, ils vont se battre avec les forces del'ordre et les renforts anti-émeute précipitam¬ment envoyés sur place, lapidant les cars depolice, saccageant les boutiques et incendiantquelque 200 voitures. Une fois le calmerevenu, on fait les comptes: les blessés se chif¬frent par dizaines, il y a plus de 500 millions defrancs de dégâts, et la France est en état dechoc. La «rage» des banlieues sans âme etsocialement sinistrées, qui couvait depuis long¬temps, devient brusquement un problèmepolitique brûlant.

Juillet 1992, à Hartcliffc, quartier ouvrierpauvre de la périphérie de Bristol, en Angle¬terre. Le même scénario est à l'origine de plu¬sieurs nuits d'émeute. Deux habitants du quar¬tier pilotant une moto de police volée ont ététués dans une collision avec une voiture de

police banalisée; la jeunesse se déchaîne et sac¬cage le centre commercial. La police intervient,mais les pillards ripostent à coups de briques,de pierres, de morceaux d'échafaudages, debilles d'acier et même de cocktails Molotov. Il

faudra l'arrivée d'un bataillon d'élite de 500

hommes pour pacifier un quartier d'un kilo¬mètre carré, transformé provisoirement enchamp de manruvres de la guérilla urbaine.Au cours du même été, on signale d'autrespoints chauds à Coventry, Manchester, Salford,Blackburn et Birmingham.

Los Angeles, avril 1992. Quatre policiersblancs, que tout le monde a pu voir à la télévi-

8

Page 9: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Vaux-en-Velin, France

(1990).

sion en train de passer à tabac Rodney King, unautomobiliste noir sans défense arrêté après unecourse poursuite, sont finalement acquittés.Cela déclenche une explosion de violences sansprécédent dans l'histoire récente des Etats-Unis. Dans le ghetto noir de South Central, onarrête et on moleste les automobilistes blancs,

on pille les magasins, on incendie les voitures depolice. Les commerçants coréens qui possèdentla plupart des magasins d'alcool, superettes etépiceries du secteur sont systématiquementvisés et leurs magasins saccagés. La flambée deviolence est telle que ni les pompiers, ni lapolice ne peuvent empêcher l'incendie de mil¬liers de maisons. Et l'émeute fait tache d'huile à

mesure que se multiplient les scènes de pillage.L'état d'urgence est proclamé et l'on fait appel àl'armée fédérale: 7 000 hommes, dont 1200

«marines». En tout, 45 personnes vont trouverla mort sous les balles des tireurs embusqués,des émeutiers, des policiers et des commerçantsqui ont pris les armes contre les pillards. Aprèstrois jours et trois nuits d'anarchie, ondénombre près de 2400 blessés, 10000 arresta¬tions, un millier de familles sans abri et 20000

personnes réduites au chômage. Quant au bilanfinancier, il est estimé à un milliard de dollars.

On pourrait citer encore bien d'autresexemples d'explosions de violence collective.Depuis dix ans en effet, on assiste à une aggra¬vation spectaculaire des scènes de violence etd'émeute dans les grandes villes du monde ditdéveloppé. Que ce soit en France, en Angle¬terre ou en Amérique, les principaux acteurssont presque toujours les jeunes des quartierspauvres, défavorisés et presque abandonnés des

grandes villes, l'étincelle étant la montée de latension «raciale». C'est ce qui permet aux jour¬nalistes et aux hommes politiques de parlerd'émeutes raciales, comme s'il s'agissait essen¬tiellement d'une manifestation d'animosité

envers telle ou telle minorité ethnique ou immi¬grée, ou entre deux ou plusieurs de ces groupes.

Cette interprétation n'est pas entièrementfausse. La montée du racisme en Europedepuis une dizaine d'années est un phénomèneincontestable. En France, les sentiments anti¬

arabes longtemps dissimulés sont désormaisproclamés haut et fort, donnant lieu à desagressions racistes et faisant la fortune poli¬tique du Front national et de son populismexénophobe. Au Royaume-Uni, l'hostilité entreAntillais noirs, Asiatiques et Blancs devient deplus en plus ouverte et donne lieu à des affron¬tements de rue qui ont tendance à se multiplier,au point que l'on parle de plus en plus d'un«problème noir» chaque fois que la violenceéclate quelque part. Enfin, aux Etats-Unis, lamajorité des classes moyennes accepte mal lesavantages obtenus par les minorités (afro-amé¬ricaine surtout, mais aussi hispanique et asia¬tique) sous l'impulsion du mouvement pourles droits civiques lancé dans les années 60.D'où une détérioration marquée des relationsinterraciales comme l'attestent divers symp¬tômes: la multiplication des crimes motivés parla haine raciale, la crainte de plus en plusrépandue du Noir croisé dans la rue, les inci¬dents inter-ethniques dans les universités, etsurtout l'exploitation éhontée du préjugé anti-Noir par certains politiciens.

Mais les émeutes urbaines de la dernière

Page 10: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Violence et contre-violence:

Los Angeles (1992).

10

LOÏC J. D. WACQUANT,

sociologue françaistravaillant à l'université

Harvard, a mené des

recherches approfondies sur

l'inégalité raciale aux Etats-Unis et des études

comparatives sur la pauvretéurbaine. Parmi ses dernières

publications: The Zone: lemétier de «hustler» dans le

ghetto noir américain

(1992), et Banlieues

françaises et ghetto noir

américain: de l'amalgame àla comparaison (1992). Ilécrit actuellement un livre

sur la culture et l'économie

de la boxe professionnelle.

décennie ne sauraient être assimilées aux

explosions de violence traditionnelles que lesEtats-Unis ont connues depuis un siècle. Enfait, on peut y discerner la conjugaison de deuxforces distinctes: la révolte des minorités

contre l'inégalité raciale et celle des pauvrescontre la misère et l'aggravation de leursconditions de vie s'exprimant par le moyen leplus efficace, pour ne pas dire le seul, dont ilsdisposent: perturber l'ordre public par l'actionviolente directe.

Les années 80 pourraient bien avoir étécelles où est apparu un type d'émeutes qu'onpourrait dire hybrides, tant par la complexitédes motifs que par le mélange pluri-ethniquedes protagonistes. Contrairement à ce qu'on apu lire ou entendre dans les médias, la popula¬tion des banlieues françaises ou des ghettos bri¬tanniques n'est nullement composée en totalité,ou même en majorité, d'immigrés, et, la plupartdu temps, les émeutiers sont loin d'avoir tous lamême origine. Leurs revendications, en outre,sont celles de tous les défavorisés, d'où qu'ilsviennent: ils réclament du travail, des écoles

dignes de ce nom, des logements décents etd'un prix abordable, l'accès aux services publicset un traitement équitable de la part de la police.

Ajoutons qu'à Los Angeles, les milliers depillards qui ont dévalisé les supermarchés et lesmagasins en flammes de South Central étaient

loin d'être uniquement des Noirs: plus de lamoitié des 5 000 premières personnes arrêtéesétaient des Hispaniques, et 10% des Améri¬cains «blancs». La révolte n'était donc pas uni¬quement celle des Afro-américains protestantcontre l'injustice raciale: c'était aussi un rejetde la pauvreté, de la faim, et des privationsaggravées par la récession économique et laréduction de l'effort gouvernemental en faveurdes déshérités. Comme l'écrivait un journalisteconnaissant bien sa ville: «Cette émeute, la pre¬mière à caractère multiracial qu'ait connuenotre pays, est imputable aux ventres creux etaux ciurs brisés plus encore qu'au tabassagede Rodney King par la police.»

LA VIOLENCE D'EN HAUT:

CHÔMAGE,SÉGRÉGATION, DISCRIMINATION

Il est facile d'interpréter cette violence collec¬tive venant d'en bas comme le signe d'une crisedes valeurs morales, des maux pathologiquesdes classes inférieures, ou comme l'annonce

d'un péril majeur pour l'ordre établi. Maisl'étude approfondie des événements qui ontenflammé les zones pauvres des grandes villesd'Europe et d'Amérique montre qu'il s'agit enfait d'une réaction sociologique, et surtoutlogique, à la violence institutionnalisée infligée

Page 11: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

aux déshérités par tout un ensemble de muta¬tions économiques et politiques qui se renfor¬cent les unes et les autres. Ces changementsont créé entre les classes un véritable clivage

qui, renforcé par les discriminations raciales etethniques, aboutit à une coupure entre lespauvres et les riches des grandes villes. Cettefracture risque, non seulement de marginaliserà terme les plus déshérités, mais de faire d'eux,purement et simplement, des laissés pourcompte de l'économie et de la société.

La violence imposée d'en haut s'exprimeessentiellement de trois manières: d'abord

l'aggravation du chômage, avec son cortège demisères matérielles et morales, puis l'exil dansdes quartiers sinistres, enfin un discours publicde plus en plus hostile aux marginaux, le toutdans un climat alourdi par un renforcementdes inégalités. Contrairement à ce qui s'étaitpassé jusqu'ici, la croissance sélective desannées 80 n'a pas réussi à «remettre à flot tousles navires», et là où elle s'est produite, elle aplutôt creusé l'écart entre riches et pauvres,entre les représentants des classes moyennesjouissant d'une certaine sécurité d'emploi dansles secteurs performants de l'économie, et lespersonnes sans formation, de plus en plus mar¬ginalisées dans un marché qui a de moins enmoins besoin de main-d'}uvre non qualifiée.

Pour les habitants des quartiers populaires

«Une coupure s'est

instaurée entre les riches et

les pauvres des grandes

villes.» Dans une rue de

Paris (1989).

les plus déshérités, la réorganisation de l'éco¬nomie capitaliste automatisation de la pro¬duction et développement des services créantdes emplois hautement spécialisés, place crois¬sante faite à l'électronique et à l'informatique àl'usine et au bureau, érosion du syndicalismeainsi que les compressions budgétaires frappantles dépenses de santé et les logements sociauxont entraîné une aggravation du chômage delongue durée et une détérioration des condi¬tions de vie. En même temps, les pays déve¬loppés ont dû absorber ou intégrer un nombreconsidérable d'immigrants du tiers monde,nouveaux venus ou résidents de longue date,que les lois du marché orientent systématique¬ment vers ces mêmes quartiers urbains où lespossibilités d'emploi et les équipements collec¬tifs se détériorent. Cette ségrégation géogra¬phique renforce les tensions en rassemblant,dans des enclaves mal desservies et sans âme, les

éléments marginalisés des classes laborieusesautochtones et une population immigrée trèsmélangée, jeune, sans ressources, égalementdémunie des qualifications professionnellesrequises pour s'insérer dans la dynamique del'économie nouvelle.

Cette accumulation de déficits sociaux

explique le climat oppressant de misère,d'ennui et de désespoir qui pèse sur tant dequartiers pauvres de nos grandes villes. Les

11

Page 12: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

habitants de ces cités-dortoirs n'entrevoient

pas d'autre avenir pour eux et leurs enfants quela vie de privations et d'exclusion qui est leurlot quotidien. A cela s'ajoute la rage des jeunesface à la discrimination et à la ségrégation quiles frappent du fait de leurs origines sociales etethniques.

Il faudrait parler aussi de la malédictiond'être pauvre dans une société de riches, où laparticipation active à la frénésie de consomma¬tion est devenue un critère de socialisation,

l'unique moyen, même pour les plus démunis,d'être reconnu comme un citoyen convenable.Si, dans les villes anglaises, le vol avec agressionphysique, si, en France, ce qu'on appelle la«dépouille» (le vol, sous la menace, des vête¬ments à la mode portés par des jeunes) se géné¬ralisent, alors que se multiplient les agressionset les crimes liés à la drogue dans les ghettosaméricains, c'est que, pour des jeunes privés detoute perspective d'emploi, cette forme de vio¬lence est le seul moyen de se procurer l'argentet ces biens de consommation sans lesquels onn'existe pas socialement.

LES LIMITES

DE LA RÉPRESSION

Le succès de ces formes d'action directe, apoli¬tique qui consistent à protester en pertur¬bant l'ordre public, en s'emparant des mar¬chandises et en cassant tout s'explique aussipar l'affaiblissement des relais traditionnels dela contestation politique du pouvoir par lesplus pauvres.

Le fossé qui se creuse entre riches etpauvres, alors que les politiciens se coupent deplus en plus des réalités quotidiennes, l'écartdevenu presque insurmontable entre les institu¬tions dominantes et les oubliés de la société,tout cela crée un climat de méfiance et de refus

de l'autorité, qui' s'exprime dans la contestation

Bangladesh, après la

destruction de la mosquée

d'Ayodhya, en Inde (1992).

de l'ordre public. Dans le vide créé par ladémission des politiques et l'absence de relaisinstitutionnels entre les groupes urbainspauvres et une société dont ils se sentent lesexclus, il était fatal que les relations avec lapolice prennent un tour à la fois dramatique etagressif, au point que les incidents avec lesforces de l'ordre sont invariablement le détona¬

teur de la violence populaire dans les quartierschauds des grandes villes. C'est d'ailleurs uneloi universelle: dès que la police est perçuecomme un élément étranger par la population,elle se trouve cantonnée dans un rôle purementrépressif qui ne peut qu'ajouter au désordre età la violence.

Quelle réponse politique apporter à la vio¬lence urbaine et aux désordres qu'elle suscite?Les solutions varient d'un pays à l'autre enfonction de l'idée que chaque nation se fait dela citoyenneté, des structures et prérogatives del'Etat et de la conjoncture: elles vont du rejet etde la répression pure et dure à une approcheplus politique qui passe par la renégociationdes droits civiques.

De toute façon, la violence populaire aucsur des grandes villes est liée à toute unesérie de bouleversements économiques etsocio-politiques, dans le cadre de la cité etaussi de l'Etat. Les gouvernements des paysriches n'ont dans l'ensemble pas su, ou voulu,mettre le holà à la dérive inégalitaire et empê¬cher la concentration sociale et spatiale deshandicaps: difficultés économiques, marginali¬sation et rejet dans les enclaves urbaines depopulations en pleine turbulence. La cohabita¬tion persistante de classes sinistrées et d'ethniesrejetées dans un cadre urbain extrêmement fra¬

gilisé ne peut qu'entraîner de nouvelles explo¬sions et oblige à s'interroger sur la notionmême de citoyenneté et du sens à lui donnerau cours des années à venir pour les habitantsdes grandes villes d'Occident.

12

J8.60

Page 13: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

les rasesdo racisme

par Nlkhel WieviorkaInsidieuse, la violence raciste refait

surface. Dans quelles conditions?

LE racisme ne revêt pas nécessairement laforme de la violence directe, brutale il

n'est pas uniquement meurtrier. La discri¬mination raciale, l'expression de préjugés, lapublication de textes doctrinaires d'inspirationraciste peuvent être considérées commelourdes d'une réelle violence, mais on ne sau¬

rait les assimiler à la violence physique, celledes pogromes, des lynchages, des ratonnades,des meurtres ou des attentats, qui est celle quinous intéresse ici.

Plus même: il n'y a pas de continuité auto¬matique entre les formes les plus violentes duracisme, et ses autres expressions. Contraire¬ment à une idée courante, aucun déterminisme

ne lie les préjugés, par exemple, à des actes vio¬lents, qui les prolongeraient presque obligatoi¬rement. Et un racisme particulièrement lourdpeut fort bien sévir dans une société sans que laviolence y soit crue ou flagrante.

Pour que la violence raciste se déploie, ilfaut qu'un certain nombre de conditions soientréunies. Les premières tiennent à l'attitude despouvoirs publics, à leur volonté et à leur capa¬cité d'action face aux acteurs du racisme. Un

pouvoir faible, lointain, ou même sensible à unethématique raciste, non seulement constitue unencouragement pour des groupes ou des forcespolitiques désireux de transcrire en actes le dis¬cours de la haine, du mépris, de l'infériorisationou du rejet, mais il est aussi lui-même suscep¬tible d'opérer ce passage à l'acte, ou de le mani¬puler, comme ce fut le cas dans l'Empire russe, àla fin du siècle dernier et au début de celui-ci,

avec les pogromes largement stimulés par lerégime tsariste.

Mais d'autres conditions entrent en jeu. Lefonctionnement des institutions celui, en

tout premier lieu, de la justice et de la policedont le mode d'intervention, même s'il n'est

pas délibérément ou explicitement raciste, peutcontribuer à l'extension des manifestations les

plus violentes. C'est ainsi que de nombreux

Manifestation du Ku Klux

Klan à Atlanta (Etats-Unis),

le 20 janvier 1992, jour

anniversaire de Martin

Luther King, défenseur

pacifique de la cause des

Noirs et prix Nobel de la

paix, assassiné en 1968.

rapports d'enquête ont établi que certainscomportement policiers, en radicalisant lestensions sociales et ethniques au lieu de lesapaiser, ont souvent facilité l'enchaînement deviolences dans lesquelles le racisme tient uneplace considérable.

La violence raciste est également fonctionde l'existence, ou non, de forces politiquescapables de lui apporter ses modes d'organisa¬tion concrète, ainsi que sa structuration idéolo¬gique. Aussi longtemps que de telles forcesdemeurent inexistantes ou très marginales, laviolence est possible, et parfois même trèsréelle, mais elle est avant tout démonstrative:

elle surgit sous forme de bouffées, d'explosionssans lendemain, d'actes éventuellement nom¬

breux qui restent, néanmoins, sans principed'unité apparent. 13

Page 14: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Affrontement entre les

forces de l'ordre et des

skinheads devant un foyer

d'accueil pour immigrés à

Rostock (Allemagne) en

1992.

Dès lors, au contraire, que de telles forcesoccupent un certain espace politique, la vio¬lence qu'elles structurent, même si elles nel'organisent pas elles-mêmes pratiquement,prend un tour plus froid, plus méthodique,plus instrumental. Elle correspond alors à descalculs, des stratégies, elle canalise la haine etles affects populaires hostiles au groupe racisé,mais elle ne les laisse pas se déployer spontané¬ment. A la limite, elle les interdit même

d'expression au profit d'une logique politiqueoù tout acte de violence doit entrer dans les

visées et les raisonnements du parti ou del'organisation.

C'est pourquoi la montée d'une force poli¬tique inscrivant le racisme dans ses projets etson idéologie n'entraîne pas nécessairementl'accroissement immédiat de la violence. Celle-

ci, en effet, peut se révéler contraire à unedémarche qui cherche à obtenir une certainelégitimité; elle peut donner l'image du désordre,et être minimisée dans l'attente de la prise dupouvoir qui, alors, autorisera les pires violences.Symétriquement, ce peut être dans la phase dedéclin d'un pouvoir, ou d'un parti raciste, quese multiplie la violence, par exemple parce quedes groupes se radicalisent du fait de l'absencede perspective politique. Ainsi, la fin de l'apar¬theid en Afrique du Sud ouvre un espace nonpas à plus de racisme, mais à plus de violencesraciales.

Dès le début de l'ère moderne, le racisme

s'est constitué dans des rapports de domination,avant tout coloniaux, sur fond d'expansion,mais il a aussi animé des courants de pensée quiont culminé, à partir du 19'' siècle, avec l'anthro-

14

pologie physique et divers mouvements doctri¬naires. Puis le terme même de racisme est

apparu, dans Pentre-deux-guerres; les doctrinesse sont renouvelées; et surtout, le phénomènes'est déployé, partout dans le monde, à partir dechangements sociaux qui sont aux sources dediverses formes de violence raciale.

Celle-ci n'est plus seulement l'expressionbrute d'un rapport de domination de typecolonial, elle peut aussi être commandée parune situation de crise économique, danslaquelle un groupe démuni, menacé de chuteou d'exclusion sociale, se retourne contre un

autre groupe, par exemple pour l'expulser, aunom de la race, d'un marché du travail qui serétrécit. Racisme de «pauvres Blancs», qui vireau lynchage des Noirs, dans le Sud des Etats-Unis à la fin du siècle dernier, ou aux émeutes

raciales de la première moitié de ce siècle, dansles grandes métropoles du Nord de ce mêmepays, quand les Noirs sont perçus par lesBlancs comme apportant une concurrencedangereuse sur le marché du travail industriel.

Mais la violence raciale peut aussi provenirde couches sociales plus aisées, qui veulentalors maintenir la distance qui les sépare decouches plus démunies. Elles le font en combi¬nant ségrégation sociale et ségrégation raciale,au prix, éventuellement, de violences plusfroides, plus calculées. Ce sont les lynchagesorganisés, dans le Sud américain au début dusiècle, par des citoyens aisés, décidés à châtier,par exemple, un Noir accusé de viol d'unefemme blanche, ou de vol.

Les sources de la violence raciste ne sont

pas seulement, ou directement, sociales. Ellespeuvent aussi renvoyer à un sentiment, plus oumoins artificiel, de menace pesant sur l'identitéd'un groupe, ou accompagner un processusd'expansion, mené au nom d'une nation oud'une foi quand ce n'est pas en se réclamantde valeurs universelles, comme celles qui ontsouvent animé l'aventure coloniale.

La revendication d'une identité peut aboutirà une violence illimitée, celle qu'informe la han¬tise du métissage ou qu'alimente la référence àune différence absolue, interdisant tout contact

autre que guerrier, tout rapport social, quelqu'il soit. Le racisme a alors pour fonction detenir l'Autre à distance, de lui imposer uneségrégation, voire de l'expulser ou de ledétruire. Il ne s'agit pas, ici, de conférer uneplace dans la société à un groupe qui sera infé¬riorisé au nom d'attributs physiques, mais, biendavantage, d'assurer l'homogénéité d'une com¬munauté ou la pureté d'une nation, ou d'enautoriser l'expansion sans entraves.

Le racisme identitaire, et ses expressionsviolentes, correspondent à trois types delogique qu'il convient de distinguer.

Dans certains cas, c'est une affirmation iden¬

titaire qui se veut universelle et entend broyertout ce qui lui résiste, comme en témoigne sou-

Page 15: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Manifestation antiraciste à

Bonn (Allemagne) en

novembre 1992.

MICHEL WIEVIORKA,

sociologue français, estmaître de conférences à

l'université de Pans-

Dauphine et directeur adjointdu Centre d'analyse et

d'intervention sociologiques(CADIS). Il a publié

notamment, avec DominiqueWolton, Terrorisme à la une

(Gallimard, 1987), etSociétés et terrorisme

(Fayard, 1988).

vent l'histoire de la colonisation. Ce peut êtreaussi, à l'inverse, la résistance d'une nation, oud'une communauté, à la modernité, la cible

choisie étant un groupe humain incarnant lemal, l'invasion, la corruption de la culture oude valeurs traditionnelles. Les juifs, depuislongtemps, ont été souvent dénoncés et atta¬qués en tant que figure de la modernité haïe.La violence chaude des pogromes, celle plusméthodique des chambres à gaz, ont largementprocédé de critiques, de fantasmes et derumeurs leur reprochant leur cosmopolitisme,leur argent, leur pouvoir politique, ou leurpoids dans les médias.

Enfin, ce racisme d'origine identitaire peutaussi surgir dans le choc de deux ou plusieurscommunautés appartenant à une même entitépolitique, à une société pluri-ethnique ou pluri-culturelle. La violence procède alors de tensionsinter-communautaires, d'un jeu où toute affir¬mation d'un groupe, réelle ou imaginaire, sus¬cite des réactions des autres groupes etenclenche la spirale de rapports de force qui ris¬quent de déboucher sur un choc explosif et lechaos politique. Dans le monde contemporain,des processus tels que la guerre civile au Libanou la décomposition de la Yougoslavie, avanttout animés par des appels à la nation ou à lacommunauté culturelle, confessionnelle et his

torique, laissent alors apparaître, dans le dis¬cours des acteurs, des références plus ou moinsavouées à la race.

Ainsi, la violence, lorsqu'elle est associée auracisme, dépend de conditions qui l'orientent,et correspond à des sources sociales et identi¬taires diversifiées. Mais le propre de la violenceest qu'elle fusionne en une même action deséléments qui peuvent être non seulementdivers, mais aussi contradictoires. Par exemple,l'acteur violent veut à la fois exclure un grouperacisé de la société et l'y installer à une positioninférieure où il pourra l'exploiter, comme on levoit constamment dans les pays industriels oùl'immigration est simultanément inférioriséedans le travail, et rejetée pour sa culture. Oubien encore, dans l'Empire tsariste ou l'Europecentrale au début de ce siècle, le juif, symbolede la modernité, assimilé, non reconnaissable

et riche, est décrit comme une menace insup¬portable; mais les pogromes prennent pourcibles des masses juives misérables et trèsvisibles culturellement.

C'est là le paradoxe de la violence: non seu¬lement elle n'est pas embarrassée par lescontradictions qu'elle amalgame, mais elle crée,en outre, sa logique propre, sa dynamique spé¬cifique. Si bien qu'elle modifie en retour lesconditions qui lui ont permis de voir le jour. 15

Page 16: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Soixante-dix ans

d'une expériencecollective marquéepar la violence etla peur ont placél'ex-URSS dans une

situation

catastrophique.

Risques d'avalanchepar Andrei HouMne

Ci-dessus, Homme qui crie

(1987), peinture de l'artiste

mexicain Juan Esperanza.D

16

ANS un récit de science-fiction, un inven¬teur réussit à ressusciter des sons éteints

depuis longtemps. Si nous parvenions àen faire autant dans la réalité, je crains que ceque l'on entende alors, couvrant tous les autressons et bruits, ce ne soit le cri de la douleur

humaine, et qu'il ne retentisse sans fin dans lemonde entier. Les bêtes sauvages tuent, c'estvrai, mais elles le font vite, pour se procurer àmanger, non pour torturer leur victime. Leshommes, eux, agissent tout autrement...

L'histoire universelle déborde d'actes

tyranniques, de cruautés, de brutalités com¬mises par le fort sur le faible, par la foule surl'individu isolé, par des hommes armés sur desêtres sans défense. Aujourd'hui encore, àl'aube du troisième millénaire de l'ère chré

tienne, on observe, même dans les pays les pluscivilisés et prospères, toute sorte de manifesta¬tions de violence, qui sont souvent d'unecruauté inouië et ce n'est pas le moinsnavrant en nombre toujours aussi élevé.

Quant à notre «pays», comme nous conti¬nuons de désigner par habitude l'cx-Unionsoviétique, on ne saurait le classer parmi les Etatsprospères. Et si l'on examine tout ce qui se passeaux points chauds de notre empire en miettes,on en vient à se demander amèrement s'il est

même permis de le ranger encore parmi les payscivilisés, malgré le respect qu'on garde pour sahaute culture des siècles passés, dont tant defragments témoignent encore aujourd'hui.

Comment, pourquoi, par quel chemine¬ment, des nations possédant un si riche héri-

Page 17: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

tage culturel, retombent-elles dans une bar¬barie féroce, dans un tel abîme d'indifférence

envers la douleur d'autrui? Notre cas n'est,

hélas, ni le premier, ni, je présume, le dernierqui se présentera dans l'histoire. Fait instructif,l'élaboration d'une grande culture est toujoursun phénomène lent, progressif, tandis que lerecul à l'état de brute est rapide: il survient,pour reprendre une expression actuellement envogue chez nous, comme une avalanche.

Mais ce terme d'avalanche risque d'induireen erreur si on l'assimile à ce qu'on appelleplus couramment une «explosion de violence»,sLl'on y voit seulement le résultat d'unepoussée, d'un acte regrettable. Certes, on peut,rien qu'en toussant, déclencher en montagneune avalanche dévastatrice; ce n'est pas uneraison, cependant, pour recommander, commeseul moyen de prévention, des compriméscontre la toux...

Chez nous, la violence a éclaté dans les pré¬tendues «zones de conflits interethniques». Sije dis «prétendues», c'est que des faits, tou¬jours plus nombreux, prouvent que les diffé¬rences ethniques, comme d'ailleurs beaucoupd'autres (races, religions, classes, sexes, âges,goûts) ne provoquent pas, à elles seules, desconflits. Pour qu'une de ces différencesentraîne des querelles, des haines, des effusionsde sang, il faut que s'y mêlent certains intérêts(personnels ou collectifs), la cupidité et la soifde pouvoir, la bêtise ou la malhonnêteté de telsou tels individus, de tels ou tels groupes.

On cherche à justifier la férocité qui sévitactuellement, par nos difficultés économiques,notre appauvrissement, ou d'autres cirons-tances graves. Mais pourquoi, au début desannées 30, en Ukraine, lorsque des paysans,par villages entiers, mouraient de faim, ils ne

Files d'attente

dans la banlieue de

Saint-Pétersbourg.

haïssaient pas pour autant les Russes, bien quela famine en Ukraine fût la conséquence de lapolitique de Moscou (ordonnée, il est vrai, parun Géorgien)?

D'ailleurs, les premiers heurts «intereth¬niques» qui ont ensanglanté le pays se sontproduits avant l'actuelle avalanche de paupéri¬sation, alors que nous vivions dans notre pau¬vreté coutumière. Il est assurément facile de

pousser un pauvre à commettre des actes irres¬ponsables, d'attiser chez lui un sentiment dehaine pour tel ou tel. Mais on aurait tort, jecrois, de voir dans la pauvreté la cause de cesactions; c'est, plus simplement, une circons¬tance favorable aux provocateurs.

LA RUE ARMÉE

On ne saurait toutefois expliquer un enchaîne¬ment de conflits interethniques aussi violentsque les nôtres par les seules ambitions des poli¬ticiens, les intrigues des mafias ou les menéesdes clans. Avant qu'une masse de neige, depierres et de boue ne s'ébranle pour formerune avalanche, encore faut-il qu'elle ait atteintune masse critique et acquis toutes les qualitésplastiques nécessaires pour pouvoir dévaler...Le peuple n'est jamais un matériau passif,inerte, de l'Histoire.

Les Nouvelles de Moscou ont publié derniè¬rement une photo, prise à Douchanbé, au Tadji¬kistan, où l'on voit un groupe de civils armésfouillant leurs concitoyens qui, les mains levées,se laissent faire docilement. La légende dit:«Pendant que les hommes politiques se parta¬gent le pouvoir, une troisième force est en trainde se former: la rue armée.» (voir p. 18). La vio¬lence, je le répète, n'a rien d'étonnant pourl'humanité, et moins encore pour notre pays.

Mais pour mieux comprendre la nature spé¬cifique de la violence qui frappe les peuples del'ex-Union soviétique et qui, perspectiveeffrayante, n'a sans doute pas encore atteint sonpoint culminant (d'où la menace réelle qu'ellereprésente pour la civilisation mondiale), il fauts'arrêter à ce qu'on doit entendre par «ruearmée». Il s'agit, certes, d'un recours massif àl'usage des armes, d'une participation active delarges couches de la population à la politique, etd'un phénomène spontané, issu de la détressepopulaire, et qui échappe au contrôle de l'Etat.Mais ce n'est pas tout.

C'est aussi, c'est surtout, un état qualitatifparticulier à la fois social, moral et psycho¬logique de notre peuple, qui a perdu beau¬coup de ses qualités propres, et dont laconduite dégénère peu à peu, pour devenir cellede la foule, avec ses mécanismes habituels. Lafoule n'est jamais, tant s'en faut, la somme descaractéristiques morales, psychologiques etintellectuelles des individus qui la composent.

Aujourd'hui, presque toutes les régions de 17

Page 18: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

18

notre pays subissent les conséquences de la cri¬minelle «politique des nationalités» bolche¬vique. Sa logique stratégique incluait, entreautres, la répression la plus brutale d'ethniesentières et des campagnes antisémites de luttecontre le cosmopolitisme. Mais, contrairementà cette logique, les peuples de ce pays, dansleur ensemble, ont vécu jusqu'à ces dernierstemps plutôt dans l'amitié , en tout cas sansmanifester entre eux une haine hystérique. Lesrépressions de masse les plus cruelles contredes groupes ethniques ont été entreprises à unniveau administratif, dépersonnalisé aumaximum. Plusieurs ethnies du Caucase et les

Tatars de Crimée ont été déportés au-delà del'Oural avec une cruauté froide. Oui, cela a été

accompli froidement] Il va sans dire que per¬sonne n'a osé protester ou prendre la défensede ces gens. Si l'ordre avait été donné de lesfusiller sur place, ils auraient été fusillés. Mais...

En règle générale, ceux qui exécutaient lesordres criminels et ceux qui en étaient les vic¬times ne se haïssaient pas personnellement. Sil'on avait annulé les ordres répressifs, cela eûtmême sans doute réjoui la plupart de ceux quiétaient chargés de les mettre à exécution. Or,aujourd'hui, des foules de paysans pacifiques,travailleurs, se ruent sur les villages dévastés deleurs voisins, non seulement pour saccager, etpiller ceux avec lesquels leurs ancêtres et eux-mêmes vivaient en bons termes, mais aussi

pour les maltraiter et les humilier, pour donnerlibre cours à la haine.

Dans les pires périodes de la terreur stali¬nienne, on s'est souvent servi du peuple pourperpétrer des crimes; mais il n'était alors qu'uninstrument, et non pas l'auteur. A présent, lasituation a changé radicalement. Tout en restantl'objet de la violence, le peuple (je ne dis pas lepeuple entier, mais c'est une triste consolation)

Page 19: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

devient de plus en plus souvent l'instigateurd'actes violents, un bourreau bénévole.

C'est tout cela que signifie l'expression «larue armée».

LE LAVAGE DES CONSCIENCES

Mais pourquoi en sommes-nous arrivés là?Faut-il admettre que seule la peur que fontrégner les dictateurs peut inspirer au peupleune attitude de bienveillance et de tolérance

envers les autres nations, religions et tradi¬tions? Faut-il croire qu'avec un peu de liberté,avec la possibilité, enfin, de faire son proprechoix, avec l'instauration d'un pouvoir libéral,ce peuple régresse à l'état de brute, ou, pour lemoins, se montre disposé à servir d'instrumentdocile à des bandits sanguinaires?

Le lecteur s'attend sûrement à ce que ceshypothèses odieuses soient, comme d'habitude,

Ci-dessus, contribution de

Pancho, célèbre dessinateur

français, à une anthologie

de dessins pour la liberté

publiée en 1990 à

l'occasion du trentième

anniversaire d'Amnesty

International.

A gauche, «La rue armée».

Groupe de civils armés

fouillant leurs concitoyens à

Douchanbé, au Tadjikistan.

balayées. Eh bien, non. Les leçons cruelles denotre expérience sociale (elle nous a coûté déjàtrès cher et risque d'être encore plus ruineuse,hélas, à l'avenir) resteront vaines, si, devant

l'impitoyable réalité des faits, nous n'apprenonspas à tirer les conclusions qui s'imposent.

Le peuple, pour tout homme normal, estune notion sacrée. Son pouvoir de régénérationmorale est immense, certes, mais il n'est pasinépuisable. Il serait naïf de croire que l'actiondestructrice menée méthodiquement, pendantplus de 70 ans, à l'encontre des forces moraleset intellectuelles saines de ce système n'a eu quedes effets négligeables, vite effacés par quelquesannées de verbiage sur les valeurs humainesuniverselles et les bienfaits de la démocratie.

Notre pays doit entrer aujourd'hui dans lemonde civilisé de la démocratie moderne avec

un peuple dont 90% de ses membres végètentau-dessous du seuil de pauvreté (c'est même demisère qu'il faut parler aujourd'hui) et qui, parsurcroît, est déclassé et sous-prolétarisé dans lamême proportion. Non seulement les ouvrierset les paysans, mais aussi l'intelligentsia, lescommerçants, le corps des officiers, leshommes politiques, n'ont plus ni consciencede classe, ni structuration sociale, ni esprit desolidarité, ni sens de l'honneur ou dignité, nimême les qualités professionnelles nécessaires. 19

Page 20: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

20

Quant à la classe des hommes d'affaires, elle enest, hélas, au stade embryonnaire... La sous-prolétarisation entraîne, entre autres, la désa¬grégation des mécanismes de l'opinionpublique et la perte des normes et des points derepère moraux.

«Le pire, c'est que les hommes s'habituent às'entretuer», a déclaré, dans un entretien, le

président du Kazakhstan, Noursoultan Nazar-baev. Les assassinats, même à une échelle col¬

lective, sont devenus, chez nous, monnaie cou¬

rante, banale. Entre les informations sur le

déroulement des semailles à la campagne et ladernière présentation de mode, nos journalistesde la radio et de la télévision annoncent chaquejour, d'un ton neutre, le nombre de nos com¬patriotes tués.

«Ce sont là les résultats de votre peres-

troïka et de votre démocratie!», disent avec une

joie méchante les philistins, en «oubliant» quel'amour des autres a été, pendant plus de 70ans, extirpé de la conscience de notre peupleavec le concours de toutes les organisationssociales et étatiques, de l'armée et de la policesecrète, de l'idéologie et de l'éducation natio¬nale, du système de propagande et de l'art...

En regard des objectifs grandioses qu'onavait fixés, la vie humaine était présentéecomme un rien, une vétille, une chose insigni¬fiante. L'assassinat du prochain, la mort de telou tel individu au nom de ces «buts sublimes»,étaient chantés, loués comme des -actes

héroïques. Cette attitude poussait les gens,ainsi «affranchis des préjugés», à participerconcrètement aux activités de nombreux sys¬tèmes et organes d'extermination, d'humilia¬tion et de violence. Cinquante millions de per¬sonnes, au moins, sont passées par le goulag.Un habitant sur trois, dans notre pays, a étésoit une victime, soit un bourreau. Tout récem¬

ment encore, plus d'un million de jeunes ontdû faire leur «apprentissage» à l'école sanglantede la guerre d'Afghanistan.

Mais notre expérience collective en lamatière est plus riche encore que je ne viens dele dire... En effet, plusieurs générations succes¬sives d'hommes et de femmes de chez nous ont

vécu, de leur naissance à leur mort, dans une

société où tout, littéralement tout (système depouvoir et de subordination, économie, culture,idéologie, religion, éducation nationale) étaitfondé sur la répression de la liberté, sur lacontrainte, la violence et la peur. Hélas, l'ava¬lanche autodestructrice a mûri; sa masse lourde,

suspendue au-dessus de nos têtes, commence àvibrer, laissant tomber de temps en tempsquelques fragments. Devant ce péril imminent,il faut montrer une prudence extrême. Car onne sait jamais quel coup de feu, ou quelle toux,déclenchera soudain l'avalanche, qui réduiratout sur son passage en un terrible gâchis. H

La déchirure (1992),

aquarelle de l'artiste

américaine Alice van Buren.

V

>/

ANDREI ALEXANDROVITCH

NOUÏKINE,journaliste russe, écrit

régulièrement dans lesgrands journaux et

périodiques de son pays,notamment dans Les

Nouvelles de Moscou et

Novi Mir.

Page 21: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

r

i'imonsàent

et la guerrepar Ivan ColovitLes causes psychiques de la guerrerésident dans l'inconscient. Attention à

ses manipulations...

POUR quelles raisons, en temps de guerre,un très grand nombre de personnes, habi¬tuellement paisibles et inoffensives, se

laissent-elles dominer par la haine et se lancent-elles dans des destructions et des tueries, avec

une détermination et une rage terrifiantes?La psychanalyse freudienne situe la source

de cette agressivité, qui surgit et se généralisesurtout pendant la guerre, dans l'inconscientde chaque individu. On peut comparerl'inconscient à une boîte de Pandore où sont

refoulées et enfermées les pulsions d'agressivitédont l'origine remonte au premier contact avecles autres. Freud le définit comme le lieu «où

sont emmagasinés les germes de tout ce qu'il ya de mauvais dans l'âme humaine».

La régression vers la barbarie dans la guerreest donc rendue possible par la présence decette barbarie dans notre inconscient. Ici, la

pensée freudienne rejoint la démonologie chré¬tienne, dont le postulat fondamental estrésumé dans cette belle formule de l'écrivain

suisse Denis de Rougemont: «L'adversaire esttoujours en nous.»

On peut en tirer deux conséquences essen¬tielles. Tout d'abord, l'homme, dans la guerre,ne renonce pas à son individualité pour selaisser submerger par un sentiment collectifd'agressivité, dont la qualité psychique différe¬rait de celle propre à la vie psychique indivi¬duelle. L'homme «normal», c'est vrai, ne prendpart aux atrocités de la guerre qu'encouragépar la participation massive d'autres membresde sa communauté. Mais il y participe à titrepersonnel. Il a une motivation subjectiveinconsciente pour le faire.

Si la source de l'agression se trouve dansl'inconscient de chaque individu, il s'ensuit quela disposition à faire la guerre est universelle.Elle ne relève pas du caractère foncier d'uneethnie, ou d'une nation; «tout peuple, préciseMarie Bonaparte, la célèbre psychanalystefrançaise, même celui qui, en temps de sécurité, 21

Page 22: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

pratique les msurs les plus humaines, peut êtresusceptible de régresser à la barbarie originelle».

Ainsi l'homme est-il suffisamment motivé,

pour faire la guerre, par son agressivité incons¬ciente, qui cherche à se décharger sur desobjets externes pour éviter de devenir uneforce autodestructrice. Pourtant cette agressi¬vité n'est pas la cause première des guerres.Elle en est plutôt l'arme principale, ou plutôt la«ressource naturelle» iremplaçable pour quefonctionne l'économie de guerre.

Cette ressource étant d'une importancestratégique pour l'Etat, celui-ci a un intérêtprimordial à la contrôler et à la monopoliser.«Chaque ressortissant d'une nation, écritFreud dans ses Considérations actuelles sur la

guerre et sur la mort (1915), peut, dans cetteguerre, constater avec effroi (...) que l'Etat ainterdit à l'individu l'usage de l'injustice, nonparce qu'il veut l'abolir, mais parce qu'il veuten avoir le monopole, comme du sel et dutabac.» La comparaison de la haine et ducapital va dans le même sens sous la plume deMarie Bonaparte: « La haine, au caur deshommes, est un capital qui doit se placerquelque part.»

LES MYTHES ET LE SURMOI

Par quels procédés l'Etat peut-il, en temps deguerre, exploiter de manière efficace ce mono¬pole qu'il détient de l'agressivité de sescitoyens, faire fructifier le capital de la haine?Ces procédés, disons-le d'emblée, sont pleinsde contradiction et d'ambiguïté. Il ne s'agit passimplement de lever l'interdit de piller, de tor¬turer et de tuer. Peut-être l'homme est-il

depuis toujours, comme Freud le dit aussi,«tenté de satisfaire son besoin d'agression auxdépens de son prochain (...), de le martyriser et

de le tuer. Mais à cette tentation s'oppose lesurmoi (...) qui est le lieu psychique desmodèles et des interdits.»

Pour que l'individu normal se livre auxatrocités de la guerre et pour que son agressi¬vité refoulée se déchaîne pleinement, il fautque son surmoi soit trompé. Il ne s'agit pas deneutraliser ou d'éliminer la pression de la cen¬sure morale, d'endormir le surmoi, mais bien

au contraire d'augmenter cette pression, degonfler le surmoi. Pour un soldat mobilisé,tuer dans la guerre n'est pas une licence, lasatisfaction d'un désir caché, c'est un devoir,

un sacrifice, un acte héroïque. Du même coup,le rôle méprisable de ceux qui, d'une manièreirresponsable et coupable, ne pensent qu'à leurplaisir revient aux personnes qui refusent departiciper à la guerre.

Ce paradoxe apparent relève du processusde l'identification, décrit par Freud comme«l'assimilation d'un moi à un autre, avec pourrésultat que le premier moi se comportecomme le second, à certains égards l'imite, et,en un sens, le recueille en soi». La capacité del'individu de «recueillir en soi» un autre

s'affirme d'abord sous la forme de l'intériorisa¬

tion du modèle paternel, c'est-à-dire dans laformation d'une image idéale à travers laquellele sujet cherche à s'affirmer.

Cette ambiguïté réapparaît aussi lors de laprojection du rapport enfant-père sur le plansocial et politique. Chez l'enfant qui devientadulte, écrit Fornari dans sa Psychanalyse de laguerre, «la loyauté qu'il a pour son chef, ou legroupe personnifiant son idéal, sera contreba¬lancée par la haine qu'il voue à tel autre chef,ou tel autre groupe. Par là, il est prédisposé àfaire la guerre (...) Autre effet du clivage del'image du père en deux figures: les dieux de telpeuple sont les démons de tel autre».

22Monument soviétique à la

gloire des héros militaires.

Page 23: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

/

^ylife

Allégorie patriotique

française faite au début de

la première guerre

mondiale. La composition

reprend le célèbre haut-

relief de l'Arc de triomphe

de l'Etoile, à Paris, Départ

des volontaires de 1792 ou

La Marseillaise. A la place

du Gaulois (au centre),

c'est un soldat du conflit

précédent, la guerre franco-

prussienne de 1870, qui

entraîne les «enfants de la

patrie» à la défense de la

terre sacrée.

L'individu, par sa structure psychique et lanature des rapports qu'il noue avec d'autresindividus dans la société, est motivé pour trans¬gresser l'interdit de tuer. Pour qu'il viole effec¬tivement cette loi ce qu'il fait en temps deguerre sans sombrer dans la folie et le crimeordinaire, le recours à la violence extrême doit

être présenté sous un jour convenable.Il y a deux façons principales d'y parvenir.

D'abord, en donnant aux actes de guerre,notamment à la destruction de l'ennemi, une

valeur extraordinaire, voire sacrée. L'importancede la victoire par les armes devient capitale: il yva de la survie de la nation, de l'existence phy¬sique d'un peuple. Pour éliminer un tel danger,tous les moyens sont permis. Aux soldats valeu¬reux incombe le devoir sacré de pourchasser,battre et tuer ceux qui nous menacent.

La guerre, toujours imposée, donc défen¬sive, nous oppose à un ou plusieurs ennemisconcrets. Mais elle est présentée aussi commela reprise et la continuation des guerres précé¬dentes que nos ancêtres ont livrées à leursennemis, ce qui confère à la guerre actuelle unedimension mythique. Le moi ne participe passeulement à un nous présent sur la scène histo¬rique, mais il s'intègre à une entité collective inillo tempore (en ce temps-là). La guerre luioffre l'occasion de s'identifier aux ancêtres, de

vivre un temps fort de l'épiphanie des hérosmythiques.

Dans la même perspective mythique, le pres¬tige du chef (de la nation, de l'armée), qui est, surle plan psychologique, une projection del'amour pour le père, est accru du fait qu'il appa¬raît comme l'incarnation du héros fondateur de 23

Page 24: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

la communauté. «Le charisme, rappelle le psy¬chosociologue Serge Moscovici, a les caractèresd'une évocation du passe...»

A la valorisation mythique de nos actionsguerrières et à la divinisation du chef corres¬pond la satanisation des ennemis, stade décisifqui ouvre la voie à la transgression de l'interditde tuer. La satanisation exclut l'ennemi de

l'univers humain; il n'est plus interdit de letuer. Au contraire, son élimination devient unacte de bravoure hautement apprécié. L'ennemidéshumanisé nous menace dans notre huma¬

nité même; aussi lui résister, c'est combattrepour les valeurs humanistes universelles.

LES PIÈGES DE LA PROPAGANDE

Il n'est donc pas étonnant de retrouver ce dis¬cours mythique dans les ruses de la propa¬gande guerrière. La «guerre des médias» prati¬quée actuellement sur le territoire dePex-Yougoslavie en donne un exemple. Enravalant l'adversaire au rang de «bête cruelle»,de «monstre», de «barbare», on ne veut passeulement humilier, on veut transformer lesactes de destruction d'un ennemi si peuhumain en exploits de héros mythiques, sau¬veurs de l'humanité, qui accomplissent undevoir imposé par les plus hautes instancesmorales, c'est-à-dire en accord avec le surmoi.

Mais cet accord, on peut aussi le réaliser parun procédé inverse. Au lieu de dramatiser, onbanalise. La propagande de guerre s'emploiealors à ramener ces horreurs à une sorte d'acti

vité agréable sinon amusante, en tout cas, ordi¬naire. Ce stratagème du discours belliciste,c'est l'euphémisme. Avec un certain nombre devariantes, comme le démontre, là encore,

l'exemple du conflit yougoslave. Il y a un dis¬cours sur la guerre qui exalte la vie dans lanature, l'effort physique, la camaraderie,l'humour et la chanson autour du feu de camp.Un autre reprend plus ou moins la mêmeimage réconfortante, mais en mettant en avantl'idée que la guerre offre aux garçons l'occa¬sion d'atteindre le statut d'adulte, de prouverleur virilité. Et ceux qui refusent cette occasionde se soumettre au rite de passage dans la classedes guerriers virils sont ridiculisés et blâmés.Ils restent des «chouchous» accrochés aux

jupes de leur mère.Enfin, autre variante euphémistique, la

guerre est présentée comme une opérationextrêmement rationnelle et perfectionnée,comme un processus technologique contrôlépar des professionnels, maîtres dans l'art mili¬taire. La guerre, sous son aspect sanglant etterrifiant, n'existe tout simplement pas. Pas dehaine, pas de tueries, pas de souffrances. Ilarrive qu'on «neutralise» l'adversaire, mais onle fait sans enthousiasme. L'idéal serait une

guerre sans pertes humaines, gagnée ou perdueen «points». Notre surmoi n'y voit rien degênant et l'individu peut partir, rassuré, pour lechamp de bataille, avec le sentiment de necompromettre en rien sa vocation d'êtrehumain.

Et le diable s'en réjouit.

24

Affiche n°3 (1971),

acrylique sur toile du

peintre italien Giangiacomo

Spadari sur le thème de la

révolution.

IVAN COLOVIC,chercheur à l'Institut

d'ethnographie del'Académie serbe des

sciences et des arts, est

l'un des fondateurs de la

revue Migrations littéraires(éditions du Titre, Paris).

Page 25: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

LE COURRIER DE L' U N E S C O - F É V R I E R 1993

Dossier

25 Une histoire

d'amour entre

industrie et

environnement?

par France Bequette

26 Autour du monde

Dossier

ilmu ti«

IIT?

30 À travers les siècles

Roi-Ciel fait le mort

par France Bequette

«Les industries, jadis les pollueuses les plus visibles,ont commencé à accepter, au cours des vingt der¬nières années, leur responsabilité dans le maintiend'un environnement sain», lit-on dans L'état de

l'environnement au Canada (1991), remarquableouvrage publié à Ottawa par le gouvernement.«Certaines, est-il encore précisé, ne sont pas toujours

parvenues à cette conclusion de bon gré, ou paraltruisme, mais beaucoup ont été motivées par lepragmatisme. Il reste un gros travail à accomplir,mais, à ce jour, les réalisations semblent montrer quel'industrie peut fonctionner en nuisant moins à

l'environnement que par le passé. »

C'est précisément le but que cherche à atteindrela Chambre de commerce internationale (CCI).

Appelée aussi Organisation mondiale des entre¬prises {World Business Organization), il s'agit d'uneorganisation non gouvernementale peu connue du

SUITE PAGE 28

25

HX&

Page 26: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

AutourduMonde

ATLAS DE li b

Il Ul/

Il faut une véritable chaîne de solidarité pour que lenoyer du Brésil, le Bertholletia excelsa, produise sesnoix succulentes, exportées dans le monde entier. Lapollinisation est effectuée par une espèce d'abeillescapable de parcourir 20 km en une heure. Si les noyersn'ont pas de fleurs, les abeilles se nourrissent alorsd'une espèce d'orchidée qui pousse sur les arbres.Comme la coque des noix est extrêmement dure, elle nepeut germer qu'après avoir été brisée par une sorte derongeur appelé agouti. Si la triade noyer-abeille-agoutiperd l'un de ses membres, les autres disparaîtront aussiet le Brésil perdra une ressource non négligeable.

26

Le Congrès mondial sur l'éducationet la communication en matière

d'environnement et de développe¬ment (ECO-ED) s'est tenu à Toronto(Canada) du 16 au 21 octobre 1992.

Son but était de partager les mes¬sages de la Conférence de Rio avecun large public d'éducateurs et decommunicateurs. Il était organisépar l'Association nord-américainepour l'éducation en matière d'envi¬ronnement, le Conseil des éduca¬

teurs de plein air de l'Ontario, leComité pour l'homme et la bio¬sphère du Canada et l'Associationpour l'éducation en matière de géo¬graphie et d'environnement del'Ontario. Le parrainage était assurépar l'Unesco et la Chambre de com¬merce internationale, en collabo¬

ration avec le Programme desNations Unies pour l'environne¬ment. Plus de 3 000 personnes y ontassisté, venant de 84 pays. En plusdu programme de conférences, uneexposition de matériel pédagogiquea permis de recenser et d'évaluerles documents présentés. Un cata¬logue en deux versions: l'uneimprimée, l'autre sur disquetted'ordinateur, va être publié. Pourse le procurer, écrire à ECO-ED,suite 803, 25 George St. TorontoM5A4L8 Canada.

Ne cherchez pas le nouvel atlas intitulé Elevage et poten¬tialités pastorales sahéliennes au rayon des livres depoche. Ce monument de 180 pages, au format 81 x 66cm, est publié par le Centre technique de coopérationagricole et rurale (CTA), un organisme internationalcréé par la Convention de Lomé pour la diffusion del'information scientifique dans les pays d'Afrique, desCaraïbes et du Pacifique et basé à Ede-Wageningen(Pays-Bas). L'ensemble des Etats sahéliens abrite 25millions d'habitants, soit 6 % de l'Afrique, mais, danscette même région, se rencontre 14 % de la popula¬tion animale du continent. L'atlas présente le fondstable sur lequel se déroulent les activités d'élevage:nature des sols, ressources en eau, mais aussi des élé¬ments variables comme l'alimentation des animaux

et l'action vétérinaire. Sept fascicules superbementillustrés (en français seulement) .

Des pays en développement pren¬nent garde à la qualité de l'envi¬ronnement. Selon le magazineIndia Today, les nombreux taxis deBombay vont progressivementrouler au gaz naturel comprimé.2 000 d'entre eux sont déjà équipés.La moitié des 28 500 restants le sera

en juin 1993. Un double bénéficeen perspective: une réduction de lapollution atmosphérique et uneéconomie de 20% sur les tarifs pourles passagers, un kilo de gaz naturelcoûtant moitié moins qu'un litred'essence.

Peu après la deuxième conférencemondiale sur le climat, qui s'esttenue à Genève à la fin de 1990,

l'Organisation météorologiquemondiale a interrogé plusieurs desprincipaux dirigeants de la planèteet regroupé ces entretiens dans unfascicule intitulé Changements cli¬matiques. Premier ministre duBangladesh, la bégum Khaleda Ziaprécise qu'une année sur deux, 20%du territoire national sont sub¬

mergés et 37% une année sur dix,par des inondations dues à lamousson. Le record a été battu en

1987 et, à nouveau en 1988, avec

40% puis 60% du territoire inondé.Mais, dans la mesure où la popula¬tion double tous les trente ans et

que la demande alimentaire necesse d'augmenter, la priorité estaccordée au développement socio-économique. Actuellement, pasquestion de consacrer des créditsexclusivement à la protection del'environnement.

Page 27: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Kalimantan est le nom donné à la

partie indonésienne de Bornéo.Cette région renferme d'immensesrichesses : pétrole, gaz, charbon, or,diamant et bois dur. On a recensé

dans la partie Est de la forêt pri¬maire de Kalimantan 3 000 espècesd'arbres. Le volume de bois exploitéchaque année est de l'ordre de 30millions de mètres cubes, soit 60%

de la production nationale de boiscommercialisable. En Indonésie, au

total, 565 exploitations forestièressont en activité, dont 102 àKalimantan. La surface annuelle de

forêt exploitée par les forestiers etles agriculteurs est de 900 000 hec¬tares. La surface boisée ou reboisée

chaque année varie de 90 000 à250 000 hectares. On ignore encoresi une forêt ainsi exploitée peutretrouver son équilibre originel maisque peut-on reprocher à un paysqui doit consacrer 40% de sesrecettes extérieures au service de

sa dette?

Il est maintenant possible denaviguer de Rotterdam (Pays-Bas)au port de Constantza (Rou¬manie) sur la mer Noire, grâce aucanal Main-Danube, inauguré enseptembre 1992. En tout, 3 500km et treize pays traversés. Alorsque cette réalisation était quali¬fiée d'euvre du siècle par ses par¬tisans, ses détracteurs parlaientdu projet le plus stupide depuis latour de Babel. Les Verts allemands

voulaient protéger la faune et laflore de la vallée de l'Altmiihl, au

sud-est de l'Allemagne, entreBamberg et Kelheim. Le canal quiy a été creusé permet le passagede convois de barges de grandecapacité. Ce mode de transportcoûte trois fois moins cher que lerail et six fois moins cher que laroute. Et les écologistes devraientbien reconnaître qu'il est à la foisplus sûr et moins polluant.

Le Laos connaît dans le domaine de

l'énergie une mutation étonnante.En 10 ans, le bois a été remplacé parl'électricité, qui fournit 50% de laconsommation d'énergie desménages à Vientiane (ou Vieng-Chan), la capitale, presque autantqu'à Bangkok ou Manille, bien plusétendues et plus riches. Deuxfamilles sur trois cuisinent à l'élec¬

tricité. Tout le monde s'équipe enappareils ménagers à bas prix et lademande de courant est si forte aux

heures des repas qu'elle freine sonexportation, principale source dedevises du pays. Un programmed'aide à la gestion du secteur éner¬gétique, parrainé en partie par laBanque Mondiale, est destiné, encoopération avec Electricité du Laos,à apprendre à la population com¬ment consommer plus rationnelle-,ment, tout en garantissant l'effica¬cité des appareils importés.

Jusqu'en février 1990, les naviresvidangeaient chaque année dansles ports australiens quelque 58 mil¬lions de tonnes d'eau et de sédi¬

ments contenus dans leurs ballasts

(compartiments étanches servantau lestage et à l'équilibrage) . Depuiscette date, par une décision duministre des ressources naturelles,

les navires qui ont chargé de l'eau deballast dans un port doiventl'échanger contre de l'eau puiséeen haute mer. Pratique dangereuse,la vidange des eaux de ballast d'unport à l'autre introduisait des orga¬nismes étrangers à l'environnementlocal: poissons, algues ou micro¬organismes toxiques, capables decontaminer les coquillages destinésà la consommation humaine. Or,

les micro-organismes vivant enhaute mer ne devraient pas pou¬voir s'adapter facilement aux eauxplus douces, moins salines de laplupart des ports. L'Australie est l'undes premiers pays du monde à avoiradopté de telles mesures de pro¬tection de son environnement

marin.

Page 28: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Dossier

ira MUE ET EIIIEI1SUITE DE LA PAGE 25

grand public. Elle regroupe 7 500entreprises et associations écono¬

miques dans 123 pays. Elle est,notamment, le porte-parole dumonde des affaires auprès desNations Unies et des organismesgouvernementaux spécialisés. SaCharte des entreprises pour undéveloppement durable, parue enavril 1991, contient 16 principes rela¬tifs à la gestion de l'environnement.Il s'agit de faire du respect de l'envi¬ronnement une priorité pourl'entreprise qui devra améliorer sespolitiques et ses performances,former son personnel, conseillerles consommateurs, mener des

recherches d'impact, élaborer desplans d'urgence, contribuer autransfert de technologies et resterouverte au dialogue avec son conseild'administration et son personnel,mais aussi avec le public.

Au premier abord, la Charte peutparaître bien vague. L'article 5, parexemple, est ainsi rédigé: «Evaluationpréalable: évaluer l'impact sur l'envi-ronnement avant d'entreprendreune activité ou un projet nouveauet avant la cessation d'activité d'un

établissement ou le départ d'un site.»Interrogé, Jan-Olaf Willums, direc¬teur exécutifde la CCI, s'en félicite: «Il

ne s'agit pas d'imposer des direc¬tives, mais d'exprimer des principesqui devraient sensibiliser les chefsd'entreprise et entraîner des initia

tives volontaires. Nous voulons

ensuite, en donnant des exemplespratiques, montrer qu'on peut res¬pecter la Charte sans en souffrir etmême en tirer des bénéfices. Enfin,

fournir des outils pour réaliser ledéveloppement durable qu'il estindispensable de mettre en place.»

Peut-on espérer que cette Chartecontribue au transfert de techno¬

logie attendu par les pays en déve¬loppement? «C'est précisément l'unde ses buts. Nous souhaitons queles industries augmentent leurcoopération, non seulement duNord vers le Sud ou de l'Ouest vers

l'Est, mais aussi de l'Est et du Sud

vers le Sud ou l'inverse. Nous ne

nous adressons pas seulement auxindustriels, mais aussi aux gouver¬nements. Non pour qu'ils changentleurs règles, mais pour suggérer desaméliorations.»

Bien que tout produit manufac¬

turé soit source de pollution, lesefforts des industriels, même s'ils

semblent minimes, peuvent serévéler tangibles et bénéfiques. Jan-OlafWillums et Ulrich Golüke, dans

leur ouvrage intitulé From Ideas toAction [Des principes aux actes) etpublié par la CCI en 1992, citentl'exemple de la firme allemande

Mercedes Benz, signataire de laCharte. Il faut considérer la carcasse

d'une voiture comme une masse de

matière première; aussi doit-on, dès

28

Couche jetable

ou couche tout

en coton?

sa fabrication, prévoir son recyclage.Le métal est refondu; les divers typesde plastique, identifiés au départ,sont facilement triés et recyclés.Quant aux câbles de cuivre, qui tota¬lisent jusqu'à 3 km de longueur dansles modèles haut de gamme, leurpoids peut atteindre 50 kg.Disséminés jusqu'à présent dans lavoiture (on en comptait jusqu'à 50dans une portière), ils étaient trèsdifficiles à récupérer. Désormais il

n'y a plus qu'un seul câble que l'onpeut retirer en un seul morceau.

Plus fort encore: grâce à la miseau point, par la société Robert Bosch,

autre firme allemande, d'une super¬puce électronique de commande,tous les ordres du conducteur sont

transmis par un même câble; un

second câble suffisant pour tout leréseau électrique. Ce câblage réduitau minimum permet un gain depoids et des économies de carbu¬rant, autant dire moins de pollution!

Autre signataire de la Charte:Eastman Kodak. Inquiets du sort

des appareils jetables, ses ingé¬nieurs ont appris à les recycler.Depuis décembre 1991, trois mil¬

lions d'appareils ont été rapportéspar les consommateurs auxdétaillants américains, canadiens,

européens et japonais. Kodak lesleur rachète. Plutôt que de mettre aurebut ces 250 000 kg de matériaux, lafirme recycle le tout (certainespièces le sont six fois) et en refaitdes appareils jetables, qu'il ne fautdonc jamais jeter...

Le duel des couches pourbébés

Face à ces exemples encoura¬geants, Carlo Pesso, ingénieur,consultant à l'Organisation decoopération et de développementéconomiques (OCDE) se montreprudent. La pollution, observe-t-il,est le plus souvent invisible à l'nu; l'analyse scientifique est la seuleclefde lecture de l'état de l'environ¬

nement. Il faut étudier les produits«du berceau à la tombe», c'est-à-

dire analyser le cycle de vie du pro¬duit: production, distribution, utili¬sation, élimination. Une brochure

publiée par l'OCDE en 1991, L'éti-

Page 29: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

OQ

Sur ce modèle

de voiture, les

parties

recyclabies

apparaissent

en vert.

quetage écologique des produits dansles pays de l'OCDE, souligne: «Il estextrêmement difficile d'effectuer

une comparaison et une apprécia¬tion globale satisfaisante des diffé¬rents types de dégradation environ¬nementale (...) Comment comparer

un produit durable, mais difficile àéliminer, avec un autre produit dontla durée utile est plus courte, mais

qui nuit moins à l'environnementau stade de l'élimination?»

Et pourtant, c'est bien cette com¬paraison que font les Etats qui ontadopté un étiquetage écologique.Prenons comme exemple le cas descouches pour bébés au Canada,véritable duel où les lavables affron¬

tent les jetables. Quelles sont lesgagnantes? Chaque année, 1,7 mil¬liard de couches jetables vont à ladécharge, s'oit quelque 250 000tonnes de déchets. Leur fabrication

a demandé 65 500 tonnes de pâte à

papier, 8 800 tonnes de plastique et9 800 tonnes de matériaux d'embal¬

lage. En revanche, il faut moins de10 kg de coton pour produire toutesles couches dont un bébé aura

besoin. Mais leur lavage exigera unegrande dépense d'eau, de déter¬gents et d'énergie électrique.

Le programme canadien Choixenvironnemental est allé jusqu'aubout de l'enquête: «L'usage exclusifdes couches de coton réutilisables

inquiète certains: cela augmente¬rait, disent-ils, la production ducoton, et donc l'emploi des pesti¬cides»! Et il conclut: «Même si on

remplaçait systématiquement les

couches jetables par des couchesen pur coton, l'incidence sur l'indus¬trie du coton serait minime...» (Et

l'on pourrait ajouter: dommagepour les pays du Sud qui ont du malà le vendre.) Alors? La gagnante del'Eco-Logo canadien, c'est indubi¬tablement la couche de coton, à

condition qu'elle puisse être utilisée75 fois.

A propos des écoproduits, Jan-Olaf Willums souhaite qu'ils obéis¬

sent partout aux mêmes normes. En

tant que secrétaire du Conseil mon¬dial des entreprises pour l'environ¬nement, un organisme (né au débutde 1993) qui vise à devenir un forumde concertation pour un dévelop¬

pement durable, il gardera sûrementprésent à l'esprit cette analyse durapport Brundtland: «Nous noussommes habitués peu à peu à

l'interdépendance économique des

nations. Nous devons maintenant

faire de même avec l'interdépen¬dance écologique. L'écologie et l'éco¬nomie sont en effet étroitement

liées, et cela de plus en plus, àl'échelle locale, régionale, nationaleet mondiale: c'est un écheveau inex¬

tricable de causes et d'effets.»

FRANCE BEQUETTE,

journalistefranco-américainespécialisée dans l'environnement,participe depuis 1985 auprogramme WANAD-Unesco deformation des journalistes africainsd'agences de presse.

Page 30: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

À travers lessiècles

ELUTConte vietnamien de l'ethnie Muong

30

M Cette page estpuisée dans uneanthologie intituléeCompagnons dusoleil (1992), coéditée

par ¡'Unesco, leséditions de la

Découverte (Paris) et

la Fondation pour leprogrès de l'Homme.Cet ouvrage est placésous la direction de

l'historien africainJoseph Ki-Zerbo, avecla collaboration de

Marie-Josèphe Beaud.

On dit qu'il y a longtemps de cela, alors que Cielet Terre se touchaient encore, hommes et ani¬

maux pouvaient aller et venir à leur gré sur laterre comme dans le ciel.

L'homme était plus intelligent que les autresanimaux. Tour à tour, il défrichait le sol, ou plan¬tait telle espèce d'arbre, ou encore, telle autre, etpartout, travaillait pour trouver sa nourriture. Lesanimaux, eux, n'avaient pas de lieux où se nourrir,et dévastaient plantations et récoltes. L'hommefabriquait toutes sortes de pièges, collet, trappe,arbalète, fronde..., pour tuer ces déprédateurs.

Toute la gent animale, celle de la forêt, celle des

oiseaux, haïssait l'homme mais ne savait le moyende se venger. Alors ils tiennent conseil pour s'enaller trouver Roi-Ciel et intenter un procès àl'homme. (...) Après les avoir entendus, Roi-Cielfait venir l'homme afin de rendre son jugement.L'homme arrive, Roi-Ciel demande:

Pourquoi es-tu méchant envers les animaux?En entendant cette question, l'homme devine

que les animaux sont venus porter plainte devantRoi-Ciel. Il répond aussitôt:

Que Votre Majesté daigne m'écouter: ce sontprécisément les animaux qui sont méchants: nouscultivons champs et ouches, hérissons et sangliersviennent les détruire; nous plantons maïs et hari¬cots, corbeaux et tourterelles viennent déterrer les

semences; nous élevons cochons, chiens, buffles,

bnufs, mais tigres et panthères les attrapent pourles dévorer. Nous, les hommes, sommes toujourssur le qui-vive. Même quand nous mangeons, oumarchons, fourmis et abeilles viennent nous

piquer.

Roi-Ciel est bien embarrassé: quelle partie araison? quel jugement rendre? Aussi décide-t-il derenvoyer l'homme. A quelque temps de là, il metau point un stratagème afin de mettre à l'épreuvela loyauté de l'homme et celle des animaux. Il sefait fabriquer un cercueil dans lequel il s'étend,mais le cercueil a un petit trou à travers lequel ilpeut regarder dehors, à l'insu des autres. Il envoie

un messager annoncer (...) que Roi-Ciel est mort

et que tous les êtres vivants, de toutes les espèces,et de partout, de près ou de loin, doivent venirpleurer les mânes de Roi-Ciel. (...)

A la nouvelle de la mort de Roi-Ciel, tous,

chiens, renards, oiseaux, et jusqu'aux tigres et auxpanthères viennent pleurer les mânes. (...) Seule,l'espèce humaine ne peut pas aller vite. Les ani

maux sont déjà arrivés, que l'homme lui, estencore en train de marcher.

En route, il rencontre une tortue jaune qui tenteen vain de franchir un tronc tombé en travers du

chemin (...) Voyant arriver l'homme, la tortue dit:Aide-moi à passer ce tronc d'arbre et je te

révélerai une chose bien intéressante. (...)L'homme l'aide et la tortue dit:

Une fois rendus là-bas, nous, nous devons

bien nous conduire. Roi-Ciel fait le mort, mais

c'est uniquement pour mettre le monde àl'épreuve.

Parvenu à la demeure du Roi-Ciel, l'homme

aperçoit toutes les espèces (...) bel et bien en trainde se disputer, tout en se goinfrant avec forcebruit. (...) Seuls, l'homme et la tortue, bien avertis,

ne se précipitent pas pour manger et fouiller. Ilsattendent d'être servis. Quant à la mort du Roi-

Ciel, les uns pleurent, les autres pas. Ceux del'espèce humaine, d'un commun accord, vont

s'asseoir à l'écart et pleurer de concert. Quelques-uns, gênés de pleurer sans avoir de larmes, pren¬nent leur salive pour s'en frotter les yeux, maiscomme ils mâchent le bétel, leur salive, rougie parla chique, macule de rouge leur visage, leur nez.Après avoir bien vu tout ce spectacle, Roi-Cielsoulève le couvercle, ouvre son cercueil et dit:

A peine suis-je mort, que tous les animaux iciprésents fourragent, se repaissent à qui mieuxmieux. Si j'étais mort pour de bon, que n'iraient-ils pas piller! Seule l'espèce humaine, dans sondeuil, pleure des larmes de sang, et les autresespèces ont le front de venir se plaindre que leshumains sont méchants!(...)

Roi-Ciel prononce alors la sentence aux termes

de laquelle l'homme a gagné le procès et les ani¬maux seront punis de par le droit et le pouvoirattribués à l'homme de manger toutes les espècesanimales.

Roi-Ciel déclare:

Désormais, homme, face tournée vers la

terre, tu mangeras tout, face tournée vers le ciel,tu mangeras tout.

Entendant cela, la tortue demande:

Et moi donc?

Roi-Ciel lui lance:

Il mange tout!

Mais les Muong, eux, ne mangent pas la chair dela tortue en signe de reconnaissance pour leuravoir dit que le Roi-Ciel simulait la mort (...).

Page 31: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

les médias en questionPris en tenaille entre

les nécessités du

spectaculaire et lesexigences de

l'information, lesgrands médias

perdent parfois lecontact avec la

réalité.

Intervision (1955),

huile sur toile de Victor

Brauner et Roberto Matta.

LE monde des médias est volontiers pris àpartie dès qu'il s'agit de violence. Lesoupçon porte sur deux aspects: l'un est

politique, l'autre sociologique. Le monde poli¬tique est intéressé au premier chef par la vio¬lence, dont il connaît le lien direct avec le pou¬voir. L'enjeu est si fort que, non seulement leshommes politiques utilisent directement lacontrainte et la violence pour gouverner, maisils ont compris que dans une société média¬tique, il faut également maîtriser son imagedevant le public. Dans ce qu'on peut appeler lastratégie médiatique des acteurs politiques, lesjournalistes sont directement mis en cause, carc'est par leur intermédiaire que passe forcé¬ment le message du pouvoir.

Le second aspect est lié davantage à lasociété: les médias sont présentés comme leprincipal vecteur de la propagation de la vio¬lence dans la société et jugés responsables, parleur rôle amplificateur, d'une perception exa¬gérée de la violence. Le développement du sen¬timent d'insécurité dans les grandes villes pro-

par Daniel Hemant

vient peut-être de la violence elle-même, maissurtout, dit-on, de l'image qu'en transmettentles médias. De plus le spectacle de la violenceque proposent, il faudrait dire qu'imposent, lesmédias, influerait sur les conduites et favorise¬

rait des comportements violents, notammentchez les jeunes ou les adolescents. Dans cetteoptique, la culture de la force ou la simpleadmiration de la brutalité, qui se répandent deplus en plus de nos jours, seraient en grandepartie le produit des médias.

Ces derniers, on le voit, sont globalementmis en cause et d'ailleurs, bien souvent, serventde bouc émissaire aux hommes politiques.Pour y voir plus clair, commençons par distin¬guer deux cas de figure touchant à la représen¬tation de la violence: médias face au pouvoir etmédias face au terrorisme.

Le premier faisceau de critiques seconcentre sur la nature des liens existant entre

les journalistes et le pouvoir. Les journalistessont insérés dans une stratégie médiatique ana¬lysable, comme toutes les stratégies, en termes

31

Page 32: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Sous l'objectif des

journalistes, un manifestant

lors d'une journée d'action

des agriculteurs français à

Paris en octobre 1992.

32

DANIEL HERMANT

est directeur de l'Institut

français de polémologie

(Pans). Il a publié denombreux articles sur la

violence politique, laconflictualité, le terrorisme

et dirige la revue Cultures etConflits. Sous sa direction et

celle de Didier Bigo a paru

Approches polémologiques(FEDN, 1991).

d'efficacité, de moyens, d'objectifs; ils jouent lerôle d'un rouage dans la machine à gouverner.Par leur action, ils prolongent celle du pouvoiret perfectionnent ainsi les moyens de pressionde celui-ci sur la population. Dans les paysautoritaires, leur rôle est de diffuser l'informa¬tion officielle monopolisée par les autorités.Dans les autres pays, y compris les démocra¬ties, ils sont plus ou moins adroitementinfluencés sinon manipulés par les gou¬vernements.

Analysées dans le détail, les techniques demanipulation de l'information sont parfaite¬ment connues et occupent un registre étendu,qui va de la simple omission à l'invention pureet simple, en passant par la désinformation.Prenons le cas extrême des guerres. Pendant ladernière décennie, toutes les armées ont éla¬boré une stratégie de la communication qui apris en compte l'effet, désastreux du point devue des militaires, provoqué sur l'opinionpublique américaine par le laisser-faire média¬tique du gouvernement pendant la guerre duVietnam. Cette nouvelle stratégie, on a pul'observer aux Malouines avec le contrôle strict

des articles envoyés par les journalistes pen¬dant la guerre; dans l'île de Grenade avecl'absence totale de journalistes pendant l'expé¬dition; ou encore pendant l'opération Tempêtedu désert, avec l'organisation d'une équipe dejournalistes par le commandement américain.La mise en coupe des médias est, dans ce cas,devenue une règle de conduite générale.

Deuxième cas de figure: face au terrorisme,on a souvent accusé les médias de connivence.

On se rappelle la dimension spectaculairequ'ont connue, par exemple, les détourne¬ments d'avion dans les années 80, notammenten 1985, celui d'un Boeing de la TWA versBeyrouth. Pour en obtenir des images plus sai¬sissantes les unes que les autres, les troischaînes de télévision américaines ABC, CBS etNBC se livrèrent une lutte féroce, ne reculantni devant les «bakchichs», ni devant les com¬

promissions avec les milices qui tenaient le

haut du pavé à Beyrouth, à tel point que ABCfut surnommé par l'hebdomadaire Newsweek«Amal Broadcasting Corporation»!

En France, dans une affaire de sociétécomme celle du foulard islamique porté par uneélève du lycée de Montfermeil, ou lors desmanifestations autour de la «fatwa» prise parKhomeyni contre l'écrivain Salman Rushdie,certains journalistes n'hésitèrent pas à créerl'événement en faisant passer à l'antenne desindividus qui ne représentaient qu'eux-mêmes,mais dont les déclarations enflammées assu¬

raient un effet d'audience certain, par l'émotionqu'elles provoquaient dans le public. En fait, lacomplaisance des médias, pour tel ou tel groupeterroriste, ne s'explique ni par des contraintes,ni par des sympathies idéologiques, mais par desintérêts évalués en termes d'audience ou de

vente.

Cas de figure extrême. On se souvient del'enlèvement à Beyrouth du journaliste françaisJ.-P. Kauffman et d'une équipe d'«Antcnne 2»,(chaîne de télévision française), qui transformales otages, bien malgré eux, en protagonistesobjectifs du terrorisme. «Antenne 2» ouvrit sonjournal télévisé de 20 heures pendant près detrois ans par le rappel de la liste des otages deBeyrouth, suivie du nombre de jours de leurdétention. L'Evénement du Jeudi, hebdoma¬daire auquel appartenait Kauffman, mena descampagnes de mobilisation, son directeurn'hésitant pas à faire plusieurs voyages à Bey¬routh pour «négocier» la libération deKauffman. Le média, qui normalement n'estqu'un porte-parole, un instrument de transmis¬sion des messages, se saisissait ici de tous lesrôles: celui de victime, celui d'acteur politiquepuisqu'il tentait de résoudre le problème, enfincelui d'observateur rendant compte des souf¬frances de la victime ou des proches, des initia¬tives pour dénouer l'affaire, c'est-à-dire com¬mentant sa propre action.

LIAISONS DANGEREUSES

Que penser de ces différents cas de figure?Dans le premier pouvoir et médias ,l'enjeu n'est pas l'exagération de la violence,mais sa déformation ou sa censure. Il y a tou¬jours eu tentative de mainmise du pouvoir surl'information; qu'il y parvienne n'est d'ailleurspas ressenti comme scandaleux, car l'Etat restedétenteur d'une violence légitime. Il paraîtnormal pour beaucoup, surtout en période decrise, que le gouvernement contrôle la commu¬nication, et donc les journalistes.

La critique porte plus précisément surl'extension de cette attitude à toutes les situa¬

tions et à tous les types d'information, ce quirenvoie à des comportements plutôt caractéris¬tiques des pays dictatoriaux. Heureusement, ilexiste des limites structurelles à ce comporte¬ment. En démocratie, l'information, comme lepouvoir, peut rarement être monopolisée et lerapport pouvoir/médias est assimilable à unecompétition de propagande entre acteurs poli¬tiques, dans laquelle le journaliste trouve sou¬vent son autonomie. En ce qui concerne les

Page 33: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Etats autoritaires, la pluralité de l'informationest réalisée par le truchement de l'extérieur.

Le deuxième cas de .figure terrorisme etmédias relève d'une logique plus complexe.On est en face d'un système à double logique

politique ou commerciale , qui impliquenon une subordination mais une coopérationdes acteurs. Cette coopération reste fondée surl'attente de gains. Or, les logiques médiatiqueset terroristes ne fonctionnent ni au même

rythme ni de la même manière. Aussi la conni¬vence des acteurs n'est possible qu'à chaud,dans l'événement; elle reste éphémère, liée àdes «scoops». En 1979, la chaîne ABC, pourobtenir un entretien de quelques minutes d'undes otages de l'ambassade américaine deTéhéran, acceptait de diffuser une proclama¬tion anti-américaine de vingt-cinq minutes.Jimmy Carter se montra sur d'autres chaînes,fermant ostensiblement son poste à ABC.

Ce geste symbolique du président améri¬cain, qui ponctuait la rupture entre les deuxlogiques, constitue une bonne illustration deslimites de la connivence possible entre médiaset terrorisme. L'opposition flagrante entrel'impact politique du scoop d'ABC et la posi¬tion politique des autorités américaines délégi¬timait le procédé et ceux qui l'utilisaient. ABCfut attaqué dans la presse américaine avecvigueur pour ce dérapage. Ce qui porta uncoup à ce type de pratique. Avec retard, lefonctionnement des médias avait fini parretrouver les règles élémentaires de la déonto¬logie des journalistes.

Le dernier cas envisagé le journalistedevenant victime de la violence brouille,

voire supprime, la distance entre le message etle messager. Cette situation rend difficile, sinonimpossible, la distinction entre moyens et fins;par là-même, elle interdit une analyse entermes de stratégie et de responsabilité. Ce quiexplique que le registre des droits de l'hommesoit revenu au premier plan dans ces affaires.

Dans ces liaisons dangereuses entre médiaset violence, les critiques adressées aux journa¬listes sont recevables dans les deux premierscas de figure. Que les journalistes soient à sesordres, achetés, ou obéissent à un réflexe légiti¬miste envers le pouvoir, ou qu'ils répondentseulement au souci tout professionnel de fairede l'audience et de l'argent, ils connaissent lesenjeux et ont à prendre leurs responsabilités.Quand ils s'opposent au pouvoir politique, ilspeuvent invoquer, pour résister aux pressions,le droit d'informer, la liberté de la presse. Enrevanche, il serait malhonnête de leur partd'invoquer cet argument quand ils cèdent à lafascination du «scoop».

On a voulu plaquer cette logique dans lecas du terrorisme et, notamment, retrouver

dans la médiatisation de longue durée desaffaires d' otages, l'équivalent des «scoops» surles détournements d'avions. On a même accusé

les médias de maintenir élevé le «cours» de

l'otage occidental à Beyrouth, manière de lesaccuser une fois de plus d'exagérer la violence.Mais les choses, en fait, sont plus complexes; iln'est pas possible, ici, de retrouver la logique

d'intérêt qui prévalait: maintenir si longtempsl'attention sur les otages ne lassait-il pas le télé¬spectateur? Pour interpréter ce type de rap¬ports entre médias et violence, il faut changerde principe d'explication.

Nous avons raisonné jusque-là sur'lesacteurs, en cherchant à mesurer les effets queleur action avait sur la violence considérée

comme une ressource (politique ou média¬tique). Il faut élargir l'analyse et prendre encompte la spécificité du fonctionnementmédiatique, lequel possède sa logique et pro¬duit des effets qui ne relèvent pas de la volontédirecte des journalistes.

Les médias constituent un monde quitourne sur lui-même et qui a pour fonction detransmettre l'image ou l'information. Il n'estpas totalement coupé de la réalité puisqu'il ycherche sa matière première, mais l'essentielreste cependant le processus de captation de laréalité, puis son transfert dans un monde quitourne sur lui-même. La seule réalité est celle

des médias, non celle du monde. Celui-ci est

simplement découpé pour être réutilisé. C'estla reprise d'une information par plusieurs jour¬naux, radios ou télévisions, qui lui donne sonexistence médiatique, donc sa «vérité». Lemonde de l'information est principalementauto-référentiel. Il ne diffuse largement uneinformation que si celle-ci a été évaluée parréférence au système, et non par rapport à lasource. Pour être reçue, l'information doit, enquelque sorte, être «formatée», comme on ditaujourd'hui en langage informatique. La for¬mule, souvent employée, de «créer l'événe¬ment» résume bien cette démarche.

SPECTACLE CONTRE REALITE

Ce mécanisme a des effets pervers. Et d'abord,la perte du sens de la violence. Dans la vie, laviolence instrumentale est rationnelle,puisqu'elle est partie prenante d'un calcul etce, ponctuellement, à court terme. A l'échelleglobale des médias, par contre, la violencerelève de plus en plus du document brut:

En juin 1985, à Alger,

lors d'un détournement

d'avion.

Page 34: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

l'image projetée fait office de preuve et le com¬mentaire qui l'accompagne n'est plus qu'unornement inutile. Cette violence, présentée autéléspectateur individuel, lui permet, au mêmetitre que les fictions, de s'identifier à ce qu'ilvoit. Ce passage au registre de la sensibilité etdu spectaculaire se combine avec la banalisa¬tion de l'image violente que produit le suivi encontinu de l'actualité. Surabondante, mais de

moins en moins expliquée, l'image n'a plus,dans les médias, de sens déterminé; elle flottedans leur espace homogène.

Dans ce cadre, et c'est la dernière consé¬quence perverse du système, la violence estcoupée du contexte qui la fait naître, qui luidonne son sens, qui l'inscrit dans une réalitésociale, dans une histoire. La violence n'a plus,au contraire, qu'un sens ludique, qu'unedimension spectaculaire, qui, à l'instar du jeuou du spectacle, fascine mais ne crée rien. Lespectacle de la violence débouche sur le vide;aussi peut-il être renouvelé sans cesse, mais enrestant insignifiant. Depuis la réaction del'ancien président et ex-acteur RonaldReagan disant, après une projection du filmRambo: «Maintenant je sais ce que je doisfaire», la confusion entre violence fictive etviolence réelle était dans les esprits.

Avec la progression des moyens techniquesqui rend possible l'utilisation quotidienne dudirect, elle est maintenant dans la réalité. Tout lemonde se souvient du pistolet menaçant le com¬mandant de bord du Boeing de la TWA auquelnous faisions allusion plus haut, qui n'étaitpourtant qu'un effet de mise en scène, ou encoredu fameux «faux» qu'était le charnier de Timi-

soara. La guerre du Golfe, ou plutôt sa versionfictionnalisée par les médias et vécue par l'opi¬nion occidentale comme un gigantesque «wargame» (jeu de guerre) dans lequel l'adversairen'existait même plus, est une des images clés dece rapport entre médias et violence.

Le procès des médias à propos de la violencerepose donc sur quelques contresens. Toutd'abord, il n'y a pas de figure unique des rap¬ports entre médias et violence. Au contraire, cesrapports relèvent soit d'une analyse en termesd'acteurs, soit, à l'opposé, d'une analyse entermes de fonctionnement du système média¬tique. Quand on considère les acteurs, le rôledes journalistes dans la déformation ou la cen¬sure des faits de violence doit être examiné cas

par cas. Les journalistes sont un groupe socialavec des intérêts, des calculs et une honnêtetévariables. Tout jugement à l'emporte-picce surleur rôle ne peut être que simplificateur.

Quand, par contre, on analyse le fonction¬nement des médias, il faut bien séparer médiati¬sation et information. La médiatisation n'exa¬

gère pas la violence, elle en brouille le sens, ladéconnecte de ses enjeux politiques ou sociaux,et la situe à côté de la réalité. L'information

s'efforce au contraire de réinsérer la violence

dans le contexte qui lui a donné naissance, de lamettre en perspective pour l'expliquer.

La première favorise la passivité du specta¬teur, la seconde pousse au jugement, à la cri¬tique. L'enjeu des relations entre violence etmédias est moins de s'interroger sur la valeurépidémique qu'auraient les images de violencevues à la télévision que de favoriser l'informa¬tion par rapport à la médiatisation.

34

Malgré les diversusages qu'on peut en

faire, la musiquereste un désir

d'harmonie.

Conférence de presse d'un

général de l'armée

américaine dans un hôtel de

Riyad, la capitale

saoudienne, pendant la

guerre du Golfe (1991).

Page 35: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

«3b»t

Vióleme de la musiquepar Isabelle leymarie

Ci-dessus, la fièvre du rap. LE rock, phénomène musical et social sansprécédent dans l'histoire de l'humanité,tant par son ampleur que son intensité,

soulève de manière aiguë la question des rap¬ports entre musique et violence. Sa carrière esten effet entachée par cette violence: Jim Mor¬rison du groupe des Doors, apôtre du sexe, del'alcool et du LSD, trouvé mort d'une crise car¬

diaque dans sa baignoire à Paris; Jimmy Hen-drix et Janis Joplin tués par la drogue; l'«acidrock», associé aux punks et aux émeutes desstades anglais; les fans des groupes Metallica etGuns and Roses brûlant des voitures, sacca¬

geant un stade et blessant une douzaine de per¬sonnes lors d'un récent concert à Montréal; les

Sex Pistols proclamant dans leur chanson«Anarchy in the UK»: «Je veux détruire lespassants car je veux être anarchie»; John Phil¬lips, membre de The Mamas and the Papas,affirmant, selon le musicologue David Tame,

qu'en contrôlant soigneusement une séquencede rythmes, n'importe quel orchestre de rockpeut amener à l'hystérie collective, et passant àl'acte à Phoenix en 1967; des Hell's Angelsagressant plusieurs spectateurs lors d'unconcert des Rolling Stones en Californie etMick Jagger expliquant alors sans remordsapparent: «Quelque chose de semblable se pro¬duit chaque fois que je joue cette chanson.»

La violence, moins physiquement extério¬risée, existe également dans des musiquesurbaines telles que le rap (l'un des succès durappeur Ice T s'intitule «Cop Killer», «Tueurde flic») ou le free jazz («Nous ne sommes pasdes jeunes gens en colère, nous sommesenragés!», proclamait le saxophoniste ArchieShepp à la fin des années soixante). Elle semanifeste dans les paroles ou les titres deschansons, les déclarations des interprètes ou,sur le plan musical, par le volume sonore, des 35

Page 36: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Image d'Orange mécanique

{A Clockwork Orange,

1971), un film de Stanley

Kubrick, marqué par la

violence et le pessimisme.

36

effets de «fuzz» (couinage) et de distorsiondans le cas du rock, des rythmes martelés dansle cas du rap, des hurlements de saxophone etdes avalanches de notes dans celui du jazz,l'amplification de la basse dans le reggae; et, defaçon plus ou moins spectaculaire, dans denombreux autres genres musicaux.

On se souvient d'Orange mécanique, lefilm de Stanley Kubrick, où le héros, Alex,rendu fou par les sons de Beethoven, se jetaitpar la fenêtre. Et à Cuba, dans les années vingtou trente, les rivalités entre orchestres de «son»

(type de musique populaire) dégénéraient enrixes nécessitant l'intervention de la police. Laviolence, plus contenue, est présente dans denombreuses traditions musicales d'hier et

d'aujourd'hui: lamentations mortuaires deMacédoine, proférées par des femmes en proieà une colère frénétique; chansons du Sénégal,vilipendant avec une stupéfiante agressivitéverbale les nouvelles co-épouses d'une mai¬sonnée; tambours des griots stimulant autrefoisl'ardeur des guerriers et aujourd'hui celle desparticipants aux tournois de lutte tradition¬nelle; airs militaires; hallalis des chasseurs; films

de suspense, dont la musique est un ressort pri¬mordial. Sans oublier des euvres elles-mêmes:

le Saiil de Handel, la Symphonie héroïque deBeethoven, l'art lyrique en général, dans lequelVerdi voulait exprimer «les passions par dessustout» et dont presque toutes les héroïnes meu¬rent tragiquement, ou encore la QuatrièmeSymphonie de Mahler, la Symphonie fantas¬tique de Berlioz, avec son Dies irae drama¬tique, le Sacre du printemps, où une vierge,sacrifiée aux dieux, danse jusqu'à en mourir(une émeute eut lieu lors de la première) onpourrait continuer cette liste à l'infini.

UN POUVOIR EXTRAORDINAIRE

La musique serait-elle donc «douée (...),s'interroge le musicologue Gilbert Rougetdans son ouvrage sur la musique et la 'transe, .d'un mystérieux pouvoir, capable à lui seul dejeter les gens dans cet état de folie que lesGrecs appelaient "mania"?» Ou, au -contraire,n'aurait-elle pas de réalité objective? Rougetcite Timothée de Millet (4' siècle avant J.-C),«capable de faire lever Alexandre d'un banquetet de le précipiter vers les armes, puis de leramener à nouveau à ses convives par une har¬monie relâchée»; Boèce, selon lequel le modedorien aurait incité à la vertu, le phrygien

Page 37: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

déchaîné les passions et la violence; et Ja théoriede l'éthos des modes d'Aristote, proche de cellede Boèce. Mais, conclut-il, la musique tantôtdéclenche la transe, tantôt le calme et c'est son

«intégration dans un ensemble donné de repré¬sentations qui lui confère son pouvoir».

Certes, l'ensemble de représentations danslequel s'intègre la musique et le contexte danslequel elle est jouée sont fondamentaux pouren comprendre la symbolique. Le fait qu'enOccident les modes majeurs évoquent généra¬lement l'allégresse et les modes mineurs lamélancolie, qu'en Orient d'autres modes(rnaqam arabes ou ragas indiens) évoquentd'autres climats affectifs, que les tambours etles trompettes soient des instruments martiauxet les flûtes des instruments bucoliques, est liéà des associations mentales en grande partieconnotées culturellement.

Leibniz parlait de l'«effet angoissant» de ladissonance, mais les dissonances, devenuesmonnaie courante dans la musique actuelle,ont beaucoup perdu de leur caractère angois¬sant (les mazurkas de Chopin rebutèrent audébut certains critiques par leurs «disso¬nances»). Le fait que Verdi amène la scènefinale d'Othello par des contrebasses, que Ber¬lioz choisisse des percussions pour sa Sym¬phonie fantastique, que dans les films d'AlfredHitchcock des violons accentuent la tension

dramatique de certaines scènes, exprime deschoix musicaux à la fois personnels et culturel¬lement déterminés.

Mais en tant qu'ensemble de sons organisés,et donc phénomène purement acoustique, lamusique produit également des effets physiolo¬giques et psychologiques scientifiquement étu¬diés: certains rythmes et certaines fréquencespeuvent, par exemple, accélérer ou ralentir lemétabolisme ou provoquer l'hypnose. JohnDiamond, spécialiste de kinésiologie comporte¬mentale, a montré que la force relative des diffé¬rents muscles, facilement mesurable, varie selonles musiques écoutées. Les animaux et lesplantes réagissent eux aussi à la musique.D'après diverses études réalisées en Inde, enRussie et aux Etats-Unis, les plantes semble¬raient détester le rock «heavy metal», se tordantle plus loin possible du haut-parleur, mais ado¬reraient, par contre, le violon classique et pous¬seraient plus drues aux sons de la disco. Lebruit engendre la violence; il peut mêmeconduire au suicide. Certains bruits artificiels,

dont ceux de moteurs à fréquence continue,affectent les cellules du corps de manière patho¬logique, occasionnant parfois des cancers,tandis que les sons naturels (mer ou oiseaux,par exemple) et certaines musiques classiquesou noires, s'harmonisant avec les biorythmesinternes, favorisent le bien-être et la guérison.

Depuis plusieurs années, la musicothérapieconnaît un essor considérable: à Paris, le

Groupe de recherche en anesthésiologie pédia-trique de l'Hôpital des enfants malades, et denombreux hôpitaux américains, se servent demusiques soigneusement sélectionnées pourréduire les doses de tranquillisants adminis-

Mick Jagger, estampe faite

sur ordinateur par l'artiste

français Léo Scalpel.

trées aux patients. Et dans le beau film japonaisLa harpe de Birmanie (1956) de Kon Ichikawa,un soldat musicien ôte à ses camarades l'envie

de se battre lorsqu'il se met à jouer et à chanter.L'étude de la relation entre musique et

violence débouche également sur l'aspectpolitique de la musique. Dans plusieursrégions du monde, les musiciens sont consi¬dérés comme marginaux ou socialement infé¬rieurs (bardes du Népal, griots, musicienséthiopiens), censés mener une vie dissolue ets'adonner à l'alcool et aux stupéfiants. Lamusique a souvent été un instrument dedomination: dans certaines sociétés africaines,des mirlitons ou autres instruments sonores

accompagnent la sortie des masques, que lesfemmes et les enfants doivent s'abstenir de

regarder, et qui permettent aux hommesd'affirmer leur ascendant sur ces derniers.

L'écrivain Jacques Attali note qu'en Occi¬dent, la classe supérieure a longtemps encouragéla création artistique, mais une création artis¬tique maintenant l'ordre établi et validant sonstatut. Ainsi, dans les années cinquante, le dicta¬teur dominicain Rafael Trujillo y Molina soute¬nait le merengué (danse proche de la samba),

37

Page 38: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Défilé de troupes

françaises.

38

ISABELLE LEYMARIE,

pianiste, danseuse et

musicologue franco-américaine, a publiérécemment Salsa et

migration dans une

anthologie sur Porto Rico,The Commuter Nation

(Université de Porto Rico,

1992). Son livre, La salsa et

le Latin jazz, doit paraîtreprochainement (Que sais¬

ie?, PUF 1993). Elle préparedeux autres études,

Musiques noires d'Amériquelatine et des Antilles (Aubier,

1993) et Géographiemusicale de La Havane des

années 50 (Autrement,

1993).

mais sommait les musiciens de chanter ses

louanges, exilant ceux qui s'opposaient à lui.Dans de nombreux pays, la musique est utiliséeà des fins de propagande, ou ailleurs récupéréepar l'Eglise, et les jugements de valeur musicauxentérinent la manipulation et l'intolérance.

Ainsi les régimes autoritaires et coloniaux,assimilant arbitrairement les tambours à la vio¬

lence et à la débauche, ont-ils longuementinterdit les musiques noires. L'écrivain «newage» Corinne Hélène affirme que le jazz et ladélinquance juvénile marchent de pair. Maiscette déclaration, dénuée de fondement, estl'expression de préjugés implicites: commentassocier en effet l'expressive beauté d'une SarahVaughan ou d'une Ella Fitzgerald à la délin¬quance juvénile? Comment y associer le jazz engénéral, alors que la plupart des jeunes musi¬ciens d'aujourd'hui sortent de conservatoires oud'universités, que la musique, loin de conduire àla délinquance, constitue, pour de nombreuxadolescents noirs et latino-américains déshérités

des ghettos urbains américains, une véritableplanche de salut, et que le public actuel du jazzest en grande partie composé d'intellectuels?

Les ligues de moralité américaines taxentcertains disques de rock d'«obscènes», en espé¬rant les faire retirer du marché, mais elles ontégalement milité pour faire annuler l'exposi¬tion de photographies de Robert Mapple-thorpe et d'autres manifestations artistiques necorrespondant pas à leurs idéaux. En revanche,certaines musiques, telles que le «musak», cen¬sées faire augmenter les ventes ou, dans les res¬taurants, la consommation d'aliments, etconstituant un lavage de cerveau auditif et unepollution sonore pernicieuse, sont impuné¬ment diffusées à toute heure dans les centres

commerciaux et autres espaces publics.Jacques Attali remarque aussi que «le

show-business, le star-system, le hit-paradedésignent une profonde colonisation institu¬tionnelle et culturelle». Dans ce cas, lamusique, en se révoltant, parfois violemment,contre l'art officiel et la société mécanisée,

devient instrument de lutte contre le pouvoir.«Elle est là, ajoute Attali, pour faire entendredes mutations. Elle oblige alors à l'invention denouvelles catégories, de nouvelles dynamiquesqui régénèrent une théorie sociale aujourd'huicristallisée, piégée, moribonde.» C'est, enpartie, le cas du rock, teigneux, rebelle, contes¬tataire, ou du jazz, du rap et du reggae, reven¬diquant leur caractère noir, refusant lesmodèles et l'hypocrisie d'un matérialismedéshumanisé. Dans certaines circonstances

codifiées, les fêtes notamment, c'est souvent

par des chansons subversives que s'exprimentles récriminations contre le pouvoir.

LE DÉSIR D'HARMONIE

La question se pose de savoir si la musiqueengendre la violence ou si elle en est l'expres¬sion, si, permettant de sublimer des pulsionsviolentes et de relâcher les tensions, elle joue unrôle cathartique et si, selon le dicton populaire,elle «adoucit les maurs». La musique, ditencore Attali, est «la bande audible des vibra¬

tions et des signes qui font la société». Elle est,bien sûr, enracinée dans la psyché collective: lerock, le rap, le free jazz, le reggae expriment laviolence des cultures qui les ont engendrés. Maisl'homme et l'environnement sont indissociables:

la violence intérieure de l'individu se répercutesur la société et vice-versa, et si la musiquereflète la «gestalt» d'une société, sa forme, ellereflète aussi les émotions du musicien.

En Chine, en Egypte, en Inde, dans la Grèceantique, la musique, investie d'une dimensionéthique, avait le pouvoir, selon les cas, d'éleverl'âme ou de l'avilir. Le système du gouverne¬ment chinois s'accordait avec les douze tons

célestes et durant le règne confucianiste desChin, certaines chansons «vertueuses» et cer¬

tains instruments de musique étaient censéstempérer les excès du gouvernement. Lamusique classique est également empreinte despiritualité: le Don juan de Mozart attire la ven¬geance divine en assassinant un noble, et périt

Page 39: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Tambours de guerre, en

Papouasie-Nouvelle-Guinée.

en enfer. Liszt désirait composer des auvresinspirantes, et si Wagner exprime dans saTétralogie la déchéance de l'être humain coupédes dieux et la détresse de l'artiste face à la

misère du monde, sa conception de l'artdemeure profondément morale.

L'art, écrit le sociologue Jean Duvignaud,exprime la «nostalgie d'une communicationperdue, en tant que rêve interdit, sans cesseavivé par un désir irrépressible de pulsionaffective». Réussie, «l'uuvre d'art, ajoute-t-il,recompose derrière moi une unanimité qui res¬soude les parcelles d'une humanité divisé».Aujourd'hui où l'idéalisme est battu en brèche,où la philosophie de la musique a disparu et oùles médias (avec l'élément visuel tendant àprimer sur l'élément musical) nous assaillentde musiques vulgaires et iconoclastes, plus quejamais, le musicien, et l'artiste en général, se

doivent d'avoir une éthique. Les créateursmarquants du 20' siècle, les cinéastes notam¬ment, dont l'art constitue l'un des moyens decommunication les plus puissants de notreépoque Kurosawa, Ozu, Satyajit Ray onttous été de fervents humanistes.

L'eurythmie musicale présuppose l'har¬monie interne et externe, l'accord à la fois avecsoi-même et l'univers. La violence, à l'état

latent, en tant que potentialité, fait partie inté¬grante de la nature humaine et de l'univers engénéral. Mais non contenue, manifestée, defaçon parfois paroxystique dans la musique oud'autres formes d'expression, elle est symptômede malaise social, ou de déséquilibre et de tour¬ments internes, de carence affective, de déve¬

loppement avorté.De même que le vent se mue tour à tour en

brise ou en ouragan, la musique peut enchanterou détruire, et il incombe au musicien, en pro¬duisant des auvres enrichissant la vie, de contri¬buer à l'harmonie de l'humanité, sans toutefois

compromettreja qualité de son art (certainesmusiques thérapeutiques, les musiques «newage» par exemple, ne possèdent pas pour autantde véritables qualités esthétiques).

Mais lorsque la musique est parfaitementaccomplie, elle permet d'accéder au divin, elledevient, assure le bouddhisme, le plus élevé desarts, celui qui prépare à l'illumination. Selon lesage taoïste Tchouang-tscu, «la musique permetà l'homme de rester pur, sincère, et de retrouverpar là son sentiment primitif» (Wagner, quelquessiècles plus tard, recherchait lui aussi à travers lamusique des formes primitives d'expression).Yehudi Menuhin, le grand violoniste, affirmeque la musique «crée l'ordre là où il n'y avaitque le chaos». Et, conclut avec humourNietzsche, «sans la musique, la vie serait uneerreur». H

Une scène du Salon de

musique {Jalsaghar, 1958),

film du cinéaste indien

Satyajit Ray. 39

Page 40: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Le Manifeste de Seville

La paix est possible. La guerre n'est pas unefatalité biologique, mais une inventionsociale qui doit céder la place à l'inventionde la paix. Tel est le message,

scientifiquement étayé, du Manifeste deSeville, rédigé en 1986 par une équipeinternationale de scientifiques (biologistes,

psychologues, éthologistes, généticiens etautres) à l'initiative de la Commission

nationale espagnole pour I'Unesco, dans lecadre de l'Année internationale de la paix

organisée sous les auspices des NationsUnies. Des organisations scientifiques etprofessionnelles du monde entiery ontapporté leur adhésion. L'Unesco l'a adoptéen 1989 et le diffuse, sous laforme d'unebrochure (en français, espagnol, anglais etarabe). Une large place a été accordée à ceManifeste au deuxième Congrès mondialsur la violence et la coexistence humaine,

qui s'est tenu à Montréal (Canada) en juillet1992.

Nous reproduisons ci-après les passagesessentiels de ce Manifeste.

INTRODUCTION

Nous, les universitaires soussignés, originairesdu monde entier et appartenant à des disciplinesparticulièrement concernées, nous sommesréunis et sommes parvenus au manifeste suivantsur la violence.

Dans ce manifeste, nous contestons un certain

nombre de prétendues découvertes biologiquesqui ont été utilisées par des personnes, y comprisdans nos domaines respectifs, pour justifier la vio¬lence et la guerre. Parce que l'utilisation de ces«découvertes» a créé un climat de pessimismedans nos sociétés, nous proclamons que la dénon¬ciation publique et réfléchie de telles manipulationsconstitue une contribution importante à l'Annéeinternationale de la paix.

Nous exprimons notre point de vue sous laforme de cinq propositions. Nous sommes parfai¬tement conscients que bien d'autres questions tou¬chant à la violence et la guerre pourraient être éga¬lement discutées dans le cadre de nos disciplines,mais nous en restons volontairement à ce quenous considérons une première étape essentielle.

PREMIERE PROPOSITION

Il est scientifiquement erroné de dire que nousavons hérité de nos ancêtres les animaux une pro-

. _ pension à faire la guerre. Bien que le combat soit un40 phénomène largement répandu au sein des

espèces animales, on ne connaît que quelques cas,au sein des espèces vivantes, de luttes destruc¬trices intra-espèces entre des groupes organisés. Enaucun cas, elles n'impliquent le recours à des outilsutilisés comme armes. Le comportement prédateurs'exerçant à l'égard d'autres espèces, comporte¬ment normal, ne peut être considéré comme équi¬valent de la violence intra-espèces. La guerre est unphénomène spécifiquement humain qui ne serencontre pas chez d'autres animaux.

Le fait que la guerre ait changé de manière aussiradicale au cours des temps prouve bien qu'il s'agitd'un produit de la culture. C'est principalement parle moyen du langage, qui rend possibles la coordi¬nation entre les groupes, la transmission de la tech¬nologie et l'utilisation des outils, que s'établit la filia¬tion biologique de la guerre. La guerre est, d'un pointde vue biologique, possible, mais n'a pas un caractèreinéluctable, comme en témoignent les variations delieu et de nature qu'elle a subies dans le temps et dansl'espace. Il existe des cultures qui, depuis des siècles,n'ont pas fait la guerre, et d'autres qui, à certainespériodes, l'ont faite fréquemment, puis ont vécu enpaix durablement.

DEUXIEME PROPOSITION

Il est scientifiquement erroné de dire que la guerre,ou toute autre forme de comportement violent,soit génétiquement programmé dans la naturehumaine. Si des gènes sont impliqués à tous lesniveaux du fonctionnement du système nerveux,ils sont à la base d'un potentiel de développementqui ne se réalise que dans le cadre de l'environ¬nement social et écologique. Si, incontestable¬ment, les individus sont différemment prédis¬posés à subir l'empreinte de leur expérience, leurspersonnalités sont néanmoins la résultante del'interaction de leur dotation génétique et desconditions de leur éducation. En dehors de

quelques rares états pathologiques, les gènes neconduisent pas à des individus nécessairementprédisposés à la violence. Mais le contraire estégalement vrai. Si les gènes sont impliqués dansnos comportements, ils ne peuvent à eux seuls lesdéterminer complètement.

TROISIEME PROPOSITION

Il est scientifiquement erroné de dire qu'au coursde l'évolution humaine, une sélection s'est opéréeen faveur du comportement agressifpar rapport àd'autres types. Dans toutes les espèces bien étu¬diées, la capacité à coopérer et à accomplir desfonctions sociales adaptées à la structure d'ungroupe détermine la position sociale de sesmembres. Le phénomène de «dominance»implique des liens sociaux et des filiations; il nerésulte pas de la seule possession et utilisationd'une force physique supérieure, bien qu'il metteen jeu des comportements agressifs. Lorsque, parla sélection génétique, de tels comportements ontété artificiellement créés chez des animaux, on a

constaté l'apparition rapide d'individus hyper-

agressifs; ceci permet de penser que dans les condi¬tions naturelles, la pression en faveur de l'agressi¬vité n'avait pas naturellement atteint son niveaumaximal. Lorsque de tels animaux hyperagressifssont présents dans un groupe, soit ils détruisent lastructure sociale, soit il en sont éliminés. La violence

n'est inscrite ni dans notre héritage évolutif, nidans nos gènes.

QUATRIEME PROPOSITIONIl est scientifiquement erroné de dire que leshommes ont «un cerveau violent»; bien que nouspossédions en effet l'appareil neuronal nous per¬mettant d'agir avec violence, il n'est pas activé demanière automatique par des stimuli internes ouexternes. Comme chez les primates supérieurs, etcontrairement aux autres animaux, les fonctions

supérieures neuronales filtrent de tels stimuli avantd'y répondre. Nos comportements sont modeléspar nos types de conditionnement et nos modes desocialisation. Il n'y a rien dans la physiologie neu¬ronale qui nous contraigne à réagir violemment.

CINQUIEME PROPOSITIONIl est scientifiquement erroné de dire que la guerreest un phénomène instinctif ou répond à un mobileunique. L'émergence de la guerre moderne est lepoint final d'un-parcours qui, débutant avec des fac¬teurs émotionnels, parfois qualifiés d'instincts, aabouti à des facteurs cognitifs. En effet, la guerremoderne met en jeu l'utilisation institutionnalisée,d'une part de caractéristiques personnelles tellesque l'obéissance aveugle ou l'idéalisme, et d'autrepart d'aptitudes sociales telles que le langage; elleimplique enfin des approches rationnelles tellesque l'évaluation des coûts, la planification et le trai¬tement de l'information. Les technologies de laguerre moderne ont accentué considérablement lephénomène de la violence, que ce soit au niveau dela formation des combattants ou de la préparationpsychologique à la guerre des populations. Du faitde cette amplification, on a tendance à confondreles causes et les conséquences.

CONCLUSION

Nous proclamons en conclusion que la biologie necondamne pas l'humanité à la guerre, que l'huma¬nité, au contraire, peut se libérer d'une vision pes¬simiste apportée par la biologie et, ayant retrouvésa confiance, entreprendre, en cette Année inter¬nationale de la paix et pour les années à venir, lestransformations nécessaires de nos sociétés. Bien

que cette mise en relève principalement dela responsabilité collective, elle doit se fonder aussisur la conscience d'individus dont l'optimismecomme le pessimisme sont des facteurs essentiels.Tout comme «les guerres commencent dans l'espritdes hommes», la paix trouve son origine dans nosesprits. La même espèce qui a inventé la guerreest également capable d'inventer la paix. La res¬ponsabilité en incombe à chacun de nous.

Page 41: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

l'antidote politiqueUne seule issue

à la violence de

chacun contre tous:

la négociationpolitique.

par Sami Haïr

Ci-dessus, Les «gendarmes

du monde» (1975),

sculpture en

bronze (11 x 50 cm)

de l'artiste vietnamienne

Diem Phung Thi.

IL y a deux attitudes à maîtriser face à la vio¬lence: la peur et la révolte morale. Maisquoi de plus difficile? Car peur et révolte

morale sont des réactions saines face à l'émer¬

gence de la violence. Saines, mais hélas en deçàde l'acte de violence lui-même: ce sont des

réactions quant aux effets de l'acte, non desactions quant à ses conditions de possibilité.

Peur et révolte morale procèdent de senti¬ments différents. La peur accompagne la prisede conscience d'un danger menaçant le corpsde l'homme, son intégrité physique. La révoltemorale découle du sentiment que, l'ordresocial étant fondé sur le Bien, la violence,incarnation du Mal, vient nier ce fondement.

Dans le premier cas, la réaction est légitime(c'est la volonté de persévérer dans son être, sibien mise en lumière par Spinoza et Freud!),mais irraisonnée, car elle ne peut être propor¬tionnée à l'étendue de l'acte de violence. Dans

le second cas, cette réaction est illégitime(parce qu'elle présuppose que l'acte de vio¬lence est étranger à l'ordre social), mais rai-sonnée, car elle sait que la violence détruit cemême ordre. Mais les deux réactions aboutis¬

sent au même résultat: reproduire la violenceface à la violence. Le contraire, en somme, de

ce qui est souhaitable.Il convient donc de partir d'une approche

différente du problème de la violence. Uneapproche, disons, réaliste. L'idée de base en adepuis longtemps été mise en lumière:l'homme, livré à lui-même, institue le bellum

omnium contre omnes, la guerre de tous contretous. Le réalisme présuppose donc, contre lemoralisme, que la violence est au cour de lavie, de l'ordre social, des rapports intra-humains. Tout le problème est de savoir com¬ment la maîtriser, l'abolir, la dépasser.

Dépasser la violence de l'homme, c'est, enun certain sens, dépasser l'homme, le trans¬cender. Or, le principe de ce dépassement n'apas à être trouvé; ce n'est pas une formulemagique que le prophète découvre par la vertude la révélation (encore que toutes les religionssoient fondées sur ce précepte); ce n'est pas nonplus une décision individuelle que l'hommepeut librement s'imposer. La solution n'a pas àêtre trouvée, parce que, paradoxalement, elleexiste déjà, dans les faits, ou plutôt dans le faitque l'homme est aussi un être social, un Zoonpolitikon, comme le stipule Aristote. La solu¬tion loge donc dans l'impérieuse nécessité del'ordre social. Celui-ci implique le dépassementde l'homme individuel parce qu'il instituel'homme comme communauté, l'homme

comme société organisée. La forme historiquepar laquelle cette institution s'est donné figure, 41

Page 42: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

- w, *4:fti

42

du moins dans la tradition des sociétés

«chaudes», occidentales aussi bien qu'orien¬tales, c'est l'Etat.

UN MONOPOLE

L'Etat est le point de départ de la société. Etpeut-être son aboutissement mais ceci, nulne peut l'affirmer sauf si, comme Hegel, il s'ins¬titue porte-parole du Savoir absolu. L'on sait,de source expérimentale sûre, que la violencede l'homme seul est incompatible avec l'Etat, etque celui-ci n'a d'efficacité, comme garant del'ordre social, que dans la mesure où il dépos¬sède l'homme de sa violence individuelle, où,

pour reprendre la formule de Max Weber, ildétient le monopole légitime de la violence.

La façon dont ce monopole se constituen'est ni abstraite, ni univoque. Chaque fois, cesont des conditions historiques précises, desrapports de force, des conflits, enfin le jeu pas¬sionné des intérêts, qui produisent tel ou teltype d'Etat, telle ou telle forme de domination.Le degré de leur légitimité dépend du rapportqui les unit, ou les oppose, à la société humaineet, au sein de celle-ci, à l'individu particulier.Nous laisserons donc ici de côté la question

SAMI NAIR,

philosophe français etprofesseur de sciences

politiques à l'Université deLausanne (Suisse), estnotamment l'auteur de

Machiavel et Marx (PUF,1984), Le Caire, la

Victorieuse (Denoël, 1986),

Le regard des vainqueurs(Grasset, 1992).

historique concrète de la formation de l'Etat. Ilnous suffit de penser le problème de ce dépas¬sement de la violence de l'homme sur le planseulement théorique, ce qui n'est évidemmentpas sans conséquence pour le regard que l'onporte, tous les jours, sur la violence.

Paradoxalement, le dépassement de la vio¬lence individuelle est à la fois, dans l'Etat, abo¬lition et maintien de la violence. Abolition, car

elle se transmue en norme, en droit, en loi, parl'exercice de la volonté générale. Aucun Etat,fût-il le plus dictatorial, ne peut se passer decette référence à la généralité, et donc à lavolonté de la communauté. Bien sûr, l'histoire

est parsemée de formes d'Etat dont la légiti¬mité ne réside que dans la fortune de leursarmes; mais même dans ce cas, la référence à lacommunauté, et à sa volonté, est constante.

C'est ce qui légitime, toujours, l'interdit de laviolence individuelle (laquelle devient, à sontour, nécessaire contre l'oppression). Onconnaît la contradiction, sur ce plan, entreRousseau et Kant. Rousseau tient que, si lecontrat n'est pas respecté, et puisqu'il est auprincipe de la volonté générale, l'individu a ledroit d'en sortir et de se révolter, tandis queKant, lui, somme l'individu de se soumettre, ycompris en cas d'injustice flagrante, à la loi

Page 43: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

«Aucun Etat, fût-il le plus

dictatorial, ne peut omettre

de se référer à la volonté de

la communauté.» Ci-dessus,

la foule manifeste à

Santiago du Chili, le 7

octobre 1988, après la

défaite du général Pinochet

au plébiscite qu'il avait

organisé.

morale, qui est supérieure à la volonté géné¬rale. Or, cette loi morale stipule le refus absolude la violence...

Soyons bien clair: la forme normale dudépassement de la violence, c'est sa mutation,son inversion en loi, en norme. Mais cette vio¬

lence est aussi, par le même mouvement, main¬tenue: elle s'exprime par la contrainte contreles adversaires de la communauté instituée

adversaires intérieurs, qui veulent par la vio¬lence remettre en cause la norme dominante,ou adversaires extérieurs (les autres Etats) quicherchent par la force à soumettre l'Etat à leurviolence.

Il y a donc une relation éminemment com¬plémentaire entre abolition et maintien de laviolence; mais dans les deux cas, elle change deforme. La grande erreur serait de penser quedès lors la violence disparaît, ou doit dispa¬raître, dans l'Etat et que s'instaure l'ère du«Citoyen parfait». En réalité, la violence nedisparaît jamais de la vie. Et sa réémergence, detemps à autre, est toujours un signe, un symp¬tôme, une annonce. De quoi?

Très précisément de la dérégulation del'ordre social. Plus un système organisé estperverti par les phénomènes de violence, etplus sa capacité d'intégration de la collectivitéest affaiblie. En ce sens, l'émergence de la vio¬lence accuse plus l'ordre social qu'elle ne lejustifie. Elle est toujours ce qui désigne lesdéfauts de la cuirasse. Et ceci, faut-il le rap¬peler, vaut pour la violence émergente indivi¬duelle comme pour l'explosion collective.Emile Durkheim, le sociologue français, a

. montré comment, par exemple dans le suicide,qui est la forme de violence la plus radicalepuisque retournée contre soi, c'est bien l'ordre

normatif qui est en cause. C'est dire que si laviolence annonce l'affaiblissement de l'ordre

social, celui-ci ne peut être sauvé par la seuleforce de l'Etat. Car dans cet affaiblissement,l'Etat peut perdre et perd souvent salégitimité. En ce sens, la violence émergenteappelle alors un retour sur soi de l'ordre social:la prise en considération des causes qui la ren¬dent possible.

LA COMMUNICATION

POLITIQUE

L'Etat ne peut mettre fin à la violence par laseule vertu de sa décision subjective, ou par laforce de ses armes, car celles-ci ont tôt fait de

devenir rouges de sang, et chacun y verra celuide son prochain. Cette situation ne peut êtrerésolue que par la discussion entendue ici ausens de communication entre les volontés pri¬vées. Cette communication, c'est précisément laPolitique. Et la politique est par définition anti¬dote de la violence nue. Lorsque Clausewitz ditque la guerre, c'est la continuation de la poli¬tique par d'autres moyens, il ne dit pas que lapolitique, c'est la continuation de la guerre pard'autres moyens. Il dit seulement que la guerretrouve sa limite dans la politique, comme lapolitique dans la guerre. Autrement dit, qu'il n'ya pas continuité entre la violence et la discussion,entre la force et le consensus. Qu'entre les deux,il y a bien rupture. La politique, c'est la rupturepar rapport à la force, c'est le règne de la codéci-sion à travers la communication collective.

Bien sûr, là aussi il ne faut pas pécher parangélisme. D'abord parce qu'on sait combienla discussion peut être manipulée (de Clisthènel'Athénien à nos jours, que de démagogie!), et

Vivre (1991),

terre cuite (60 x 35 cm)

du sculpteur français

René Lamoureux. 43

Page 44: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

aussi parce que dans la civilisation occidentale,qui serait moins celle du verbe écrit que duregard, le citoyen tendrait de plus en plus às'estomper derrière le consommateur impuis¬sant d'images puissantes.

Dire que la politique est l'antidote de laviolence entraîne des conséquences redou¬tables. Cela signifie d'abord que c'est la seulemanière de contenir la violence émergente dansl'ordre social; quand cette violence tend aucontraire à en sortir et à détruire cet ordre, elle

devient alors contre-société. C'est le cas, si l'on

y regarde de plus près, de tous les mouvementsd'exclus, de marginaux par rapport à l'ordresocial. L'intégrisme en société islamique pré¬sente, par exemple, toutes les caractéristiquesd'un mouvement politiquement antisysté-mique. Or, la politique a pour fonction d'inté¬grer, non d'exclure; d'institutionnaliser lesconflits, non de les étouffer.

D'où la seconde conséquence de notrethèse: si la politique veut être efficace et celadoit être son seul but elle doit se déployersur la réalité effective, sur la généralité empi¬rique des divergences, des contradictions, desintérêts, des conflits, et du jeu infini des pas¬sions qui les sous-tendent. Elle doit être, pourle dire autrement, démocratique.

Mais la démocratie ne doit pas être entendueici au sens du simple exercice de la liberté. Car laliberté est tout aussi bien, et plus souvent qu'onne l'imagine, source de violence. Il faut la consi¬dérer comme ce qui porte à l'égalité des citoyens

l'égalité étant, du moins dans le systèmedémocratique, l'aspiration minimale de chacun.

Seule la politique démocratique peutentendre la violence. Seule elle peut en décrypterles codes, en révéler les causes profondes, parcequ'elle seule peut élargir le droit des gens. Etqu'est-ce que la violence sinon, en fin decompte, un appel sauvage à l'élargissement dudroit des gens?

Sceau du Commonwealth, la

«république» établie en

Angleterre en 1649 après le

renversement de la

monarchie et dominée par

Cromwell.

Le directeur général

de I'Unesco dessine pour

les lecteurs du Courrier

les grands axes de sa

réflexion et de son action.

Page 45: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

Bâtit la diversité

A l'heure actuelle, le principal défi que nous ayons à relever,est de savoir comment gérer 1a diversité, pour en faire uneforce positive, pour que les énergies de la solidarité eth¬

nique, linguistique et spirituelle qui viennent d'être libérées,jouent un rôle de catalyseurs débouchant sur 1a créativité et nonsur 1a destruction, sur la concorde et non sur les divisions. La dis¬

parition de la guerre froide a mis un terme heureux à une ère deconflits idéologiques, mais les haines qu'elle avait engendréesont déjà cédé la place à des antagonismes ethniques profondémentenracinés dans les mémoires. C'est ce qui s'est produit en Europe.C'est ce qui est en train de se produire en Afrique. C'est ce quicommence aussi à se produire en Asie.

L'humanité semble entrer ou plus exactement entrer ànouveau dans une phase extrêmement dangereuse de tensionsethniques et raciales. L'hostilité d'une tribu à l'égard d'uneautre constituant l'une des réactions humaines les plus ins¬tinctives, il importe de lutter, plus vigoureusement que jamais,contre la résurgence de cette tendance.

Nous devons mobiliser nos énergies en vue de promouvoir,à tous les niveaux, une culture de paix entre les communautéshumaines et en leur sein une culture de respect et de tolérancemutuels, une culture de liberté publique, une culture de coexis¬tence ethnique, qui encourage les sociétés pluralistes et ouvertes,propices à l'épanouissement des droits de l'homme, des libertésfondamentales et de la démocratie. L'exemple de la Yougoslavieconstitue une sinistre illustration de ce qui peut arriver quand desaspirations, longtemps réprimées, ne sont pas reconnues à temps.

La gestion de la diversité culturelle exige-que nous luvrions,ensemble, à consolider les libertés et l'esprit d'ouverture récem¬ment acquis, tout en permettant à chaque peuple d'éviter lespièges de modèles étrangers trop hâtivement transplantés. Ils'agit de réaliser ce délicat équilibre, quelles que soient lestâches nationales à entreprendre, que l'on ait à gérer le passageà une économie de marché, à relever le niveau de vie des

citoyens, à moderniser la société sans détruire les valeurs ances¬trales sur lesquelles elle est fondée, ou que l'on veuille protégerson identité culturelle contre les effets homogénéisateurs de lacivilisation technologique moderne. Il s'agit en fait de contri¬buer à la perpétuation du pluralisme à la surface du globe enmême temps qu'à la survivance de sociétés plurielles au sein dechaque Etat-nation.

UN IMPÉRATIF CRÉATEUR

Il faut pour cela développer l'autosuffisance et renforcer lescapacités endogènes, matérielles et humaines, en vue d'accroîtreconstamment le nombre de cadres qualifiés, de réduire l'écartsouvent considérable entre les ressources des différents pays etdifférentes régions, d'apprendre à travailler ensemble dans unesprit de saine concurrence, et d'accroître l'aptitude de chacunà assumer ses responsabilités sur la scène internationale.

La communauté internationale a aussi le devoir de favoriser

l'esprit de solidarité, ainsi qu'une éthique de responsabilité, chezceux qui sont en mesure d'apporter une aide aux pays les plus fra¬giles et les plus vulnérables. Encore faut-il que les bénéficiaires detout apport extérieur de connaissances techniques, de servicesspécialisés et de ressources soient vigilants et déterminés, dès ledépart, à maintenir le processus d'une telle coopération sur un piedd'égalité continue.

Au moment où l'ensemble du système des Nations Uniesrevient aux sources de son mandat à savoir l'édification de la paix

et où tous les pays, industrialisés et en développement, se tour¬nent de nouveau vers ce qu'ils tiennent pour la seule instancecapable de définir de nouvelles orientations internationales, laclairvoyance et la persévérance nous sont plus nécessaires quejamais.

Nous n'avons d'autre choix que de promouvoir un véritablepartenariat mondial pour le développement, car la menace pré¬pondérante qui pèse sur la sécurité et le bien-être de notre planète,c'est l'abîme croissant qui sépare le Nord et le Sud. Nous nousdevons d'encourager ce développement sur des bases endogènes,viables à long terme et équitables sur le plan international, enl'axant sur l'être humain considéré dans son individualité.

Il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Un pro¬fond changement dans les comportements et les attitudes estindispensable de la part de tous. Cela nécessite d'abord un espritde solidarité mû par la conscience d'un impératif moral quiimpose le respect mutuel, le partage et le travail en association,la primauté de la personne humaine et des droits fondamentauxde l'homme. Cette phase réellement exceptionnelle de l'histoireexige des solutions elles aussi exceptionnelles. Le monde tel quenous l'avons connu depuis la fin de la seconde guerre mondialeest en train de subir une refonte radicale. Nous devons faire

preuve de beaucoup d'imagination, d'innovation et de créativité.La collaboration et l'interaction internationales sont les éléments

majeurs de la créativité appliquée à la solution de tous les problèmesd'aujourd'hui. La créativité qui n'est heureusement pas l'apanagedes artistes, des poètes ou des inventeurs suppose l'adaptabilité,la curiosité et la souplesse. Elle veut que l'on formule des questionsaudacieuses et non que l'on se contente de réponses tradition¬nelles. Elle est synonyme d'ouverture d'esprit et de c�ur, de sen¬sibilisation à la nécessité d'encourager l'adoption de définitionsneuves, de réconcilier les vieux antagonismes et de participer à laconstruction d'autres schémas mentaux adaptés à un monde enmutation. Enfin, c'est par une introspection honnête, par la connais¬sance de soi, que nous comprendrons l'expérience de l'autre, et c'estla compréhension qui nous mènera vers un avenir où la recherchede la liberté individuelle tiendra compte de l'obligation d'assurer lebien-être commun.

Pour y parvenir, le seul moyen est d'emprunter la voie paci¬fique de l'empathie et de la tolérance.

Page 46: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

ACTION/UNESCOMÉMOIRE DU MONDE

Lemur

d'Hadrien

par Anthony Allan

46

Ci-dessus, une vue du mur d'Hadrien

(Royaume-Uni). Cet ouvrage stratégique

exceptionnel est inscrit sur la Liste du

patrimoine mondial de I'Unesco depuis 1987.

IL serpente pendant 1 1 7 kilomètres entre laTyne et le golfe de Solway, cette percée decinquante-six kilomètres de la mer

d'Irlande à l'intérieur des terres qui délimitetoujours la frontière entre l'Angleterre etl'Ecosse, frontière aujourd'hui ouverte et paci¬fique, que signalent uniquement des panneauxde bienvenue à l'intention des automobilistes.

Mais il n'en fut pas du tout ainsi au deuxièmesiècle de notre ère, lorsque fut construit lemur d'Hadrien.

La Bretagne (nom ancien de la Grande-Bretagne) était alors partagée entre plusieurstribus hostiles, dont une partie seulement avaitété pacifiée par les légions romaines. Laconstruction du mur devait tracer une frontière

permanente entre les terres soumises du sud,où régnait la pax romana, et les turbulentespopulations du nord qui ne reconnaissaient pasl'autorité de l'Empire.

Le mur indiquait ainsi la limite septentrio¬nale d'un empire qui s'étendait au sud jusqu'auSahara et à l'est jusqu'au désert d'Arabie. Ceruban de pierre qui coupe encore en deux unpaysage austère et magnifique de collines auxharmonies vertes et grises demeure la pluscélèbre et la mieux préservée des frontièresartificielles de l'empire romain. Quant aux rai¬sons stratégiques qui ont présidé à sa construc¬tion, elles sont résumées dans ce passage d'une«Vie de l'empereur Hadrien» (117-138) dontl'auteur anonyme déclare: «C'est lui qui eutl'idée de construire un mur de 80 milles de

long pour séparer les Romains des Barbares.»Rome s'était intéressée à l'île de Bretagne

sous l'impulsion de Jules César, qui l'envahitune première fois en 55 avant J.-C. et revintl'année suivante accepter la soumission destribus locales. Cette expédition maritime pleinede risques contribua à établir la réputation deCésar comme stratège hors pair, d'autant plusque les Romains voyaient jusqu'alors dans lagrande île un continent quasi mythique, unesorte de Thulé ultime dont on ignorait tout.Bien que cette expédition n'ait été qu'unereconnaissance militaire sans résultats concrets,

les légions se retirant presque immédiatement,elle valut à César un triomphe beaucoup plusconsidérable à son retour à Rome que laconquête de la Gaule.

Il faudra attendre presque cent ans pour quel'empereur Claude, qui avait besoin d'une vic¬toire militaire pour assurer son trône chancelant,décide de terminer ce qu'avait entrepris César.La Bretagne est donc de nouveau envahie en 43après J.-C, mais cette fois l'occupation seradurable, même si elle se limite à la partie sud del'île. A plusieurs reprises, des chefs militairestenteront bien de soumettre íes tribus du nord,notamment Cnaeus Julius Agrícola, beau-pèrede l'historien Tacite, qui réussit à s'implanterdans les hautes terres d'Ecosse avant d'être

rappelé à Rome en 84 ou 85. Mais quelquesannées plus tard, les camps des légionnaires engarnison en Ecosse furent évacués pour desraisons que nous ignorons, et la frontière futramenée sur la ligne Tyne-Solway.

Quand Hadrien décida de construire lamuraille qui porte son nom, son tracé fut lar¬gement déterminé par la chaîne de fortins que

Page 47: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

les troupes d'Agricola avait construite. Sonédification marquait la reconnaissance impli¬cite de l'échec des ambitions de Rome: le nord

de l'île ne pourrait être conquis. Dès lors, enl'absence de frontières naturelles, il était impé¬rieux de construire une frontière artificielle

permanente.

Le mur fut construit par les légionnaires,c'est-à-dire par une armée d'occupation étran¬gère, puisque à l'époque les soldats étaientexclusivement des citoyens romains. Mais ceshommes n'étaient pas seulement des troupesd'élite: c'était aussi des géomètres, des maçons,des charpentiers, des vitriers, des ingénieurs,capables de bâtir tous les ouvrages d'art requispar des troupes colonisatrices en campagne.

Mais par la suite, on fit de plus en plusappel à des locaux pour entretenir le mur. Lacharge se transmettait souvent de père en fils,et l'on peut penser que des communautésentières ont fini par se fixer autour de lamuraille dont la garde et l'entretien consti¬tuaient la principale source de revenus, degénération en génération.

UN EXPLOIT

Dans son état définitif, le mur se présentaitcomme une double muraille de pierres tailléesdont l'intervalle était comblé de cailloux et de

gravats. Ce matériau de remplissage était géné¬ralement recouvert de mortier, parfois rem¬placé par de l'argile. La largeur du parapet(dix pieds romains, soit un peu moins de troismètres) a été ramenée par endroits à deuxmètre et demi, ce qui permettait aux senti¬nelles de se croiser, mais ne laissait guèred'espace de manauvre en cas d'attaque.

Le mur lui-même constitue une réalisa¬

tion impressionnante, mais moins sans douteque le système de défense qui l'accompagnait.Au nord, c'est-à-dire face à l'ennemi, les

Romains creusèrent un fossé d'une largeurmoyenne de huit mètres, dont la terre servit àformer un escarpement qui représentait unobstacle supplémentaire pour les assaillantséventuels. Au sud, la muraille était flanquéed'une voie de communication, dite encore

aujourd'hui Route militaire, protégée par unretranchement de six mètres de large et troismètres de profondeur, le vallum, qui délimitaitnettement la zone militaire.

Par ailleurs, le système défensif comportaitune chaîne dé seize forts, dont chacun pouvaitabriter de 500 à 800 hommes, prêts à se mobi¬liser à la moindre alerte. En outre, la muraille

était hérissée de fortins dits miliaires parcequ'ils étaient espacés l'un de l'autre d'un milleromain (environ un kilomètre et demi); ilsconsistaient en une cour carrée avec deux

doubles portes défendues par des corps degarde: c'étaient autant de points de passage.Entre ces fortins s'élevaient, à intervalles régu

liers, deux tours de guet carrées, larges chacunede six mètres. Dans un réduit aménagé à ceteffet, la sentinelle pouvait dormir entre sestours de garde.

Le plan de l'ouvrage dénote à la fois lesavantages et les inconvénients d'une planifi¬cation imposée depuis Rome. D'une part, lemur a été construit très rapidement sansdoute en moins de dix ans, ce qui représente unexploit du génie militaire. Mais de l'autre, lalogique rigoureuse de sa conception ignoresuperbement les accidents du site: ainsi, pourrespecter à la lettre l'espacement d'un milleentre chacun d'eux, certains fortins ont des

portes qui s'ouvrent presque sur le vide;d'autres ont été bâtis sur un terrain escarpé,alors qu'il aurait été plus commode de les édi¬fier vingt ou trente mètres plus loin.

La faible distance entre les portes d'accèssignifie que le voyageur n'avait que quelquescentaines de mètres à parcourir le long de lamuraille pour trouver un passage. Ce qui en ditlong sur la conception stratégique du mur: cen'était nullement une ligne de défense impre¬nable, destinée à repousser l'agresseur par sapuissance imposante, mais plutôt une ligne dedémarcation faisant obstacle et permettantavant tout de surveiller la frontière. Les géné¬raux qui construisirent cette muraille ne cher¬chaient pas à s'abriter derrière elle; au contraire,ils voyaient sans doute un avantage dans sesmultiples ouvertures qui leur permettaient,en cas d'alerte, de déployer rapidement leurstroupes en plusieurs points et de lancer desattaques-surprises à l'extérieur en étant cou¬verts par les défenseurs du rempart.

Pourtant le mur était à peine terminé qu'ilétait devenu inutile. Dix ans après son achè¬vement, l'empereur Antonin le Pieux (138-161) décida d'entreprendre une nouvelle incur¬sion en Ecosse et construisit une nouvelle

fortification en bois et en terre battue à 160

kilomètres plus au nord, à la hauteur del'isthme, plus étroit encore, qui sépare la Forthde la Clyde. Mais cette autre frontière ne tintqu'une vingtaine d'années; peu après la mortd' Antonin, le mur d'Hadrien redevenait la

limite de l'Empire, et le resta jusqu'à la fin del'occupation romaine.

Bien qu'on ne puisse avancer une date pré¬cise, il est donc probable que le mur fut aban¬donné un peu avant 410, date à laquelle l'empe¬reur Honorius rappela ses dernières légions etsignifia au peuple de l'île de Bretagne qu'illeur faudrait désormais assurer leur propreprotection.

De toute façon, le mur d'Hadrien n'étaitnullement un obstacle invincible; en trois

siècles, il fut franchi à maintes reprises par desexpéditions guerrières venues du nord.

Pourtant, le mur a répondu dans l'ensembleà l'attente de ses constructeurs. Aucune de ces

Le gardien du Mur, tel qu'il apparaît dans un

épisode, datant de 1942, de Prince Valiant,

la célèbre bande dessinée de Harold R.

Foster (1892-1982).

incursions n'a eu de conséquences durables, etles dégâts occasionnés à l'ouvrage n'étaientguère importants. Tant que Rome eut lesmoyens et la détermination d'affirmer sa pré¬sence en Bretagne, le mur demeura le bou¬clier de pierre de l'empire à sa frontière dunord. Après le retrait des Romains, il cessa dejouer un rôle historique.

C'est l'automobile qui lui a redonné uneseconde vie, en favorisant l'afflux de visiteurs du

monde entier. Le tourisme pose bien entendudes problèmes, mais les vingt-quatre membrespermanents de l'équipe d'entretien se préoc¬cupent surtout des ennemis les plus tradition¬nels de ces pierres vénérables, à savoir les condi¬tions climatiques souvent très dures de la région.Les eaux de pluie et l'humidité du sol imprè¬gnent la pierre devenue fragile et le gel attaqueles surfaces, fissure le mortier qui recouvre lematériau de remplissage entre les murs.

Comme bien souvent en matière de

conservation, la solution d'avenir consiste à se

tourner vers le passé. On a quasiment renoncéà consolider l'ouvrage par des infiltrations deciment, matériau cassant et friable. Mais lesnombreux fours à chaux romains découverts

par les archéologues à proximité de la murailleleur ont indiqué la solution: la chaux est unmatériau plus souple que le ciment et mieuxadapté aux rigueurs du climat nordique. Aveccette technique et une surveillance attentive, iln'y a pas de raison pour que cette ligne defortification exceptionnelle ne reprenne pasdu service pour un nouveau millénaire.

ANTHONY ALLAN,

du Royaume-Uni, est journaliste et auteurde livres pour enfants. Il a été le rédacteur en

chef de L'Histoire du monde en vingt-cinqvolumes (Time-Life, 1987-1991). 47

Page 48: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

- ^v

La vallée de l'Indus,berceau de la démocratie?

par Syed Ashfaq Ahmad Naqvi

DANS toutes les grandes civilisations del'Antiquité Mésopotamie, Egypte,Anatolie, Chine on sent le poids

omniprésent d'un pouvoir central fort quidicte les choix déterminants pour l'évolutionde la société. Il semblerait que la vallée del'Indus fasse exception à cette règle. L'étude deses vestiges archéologiques ne permet pas dedéceler la présence d'un tel pouvoir fort aucéur de la civilisation qui s'y est épanouievoici quelque 5000 ans sur un territoire deuxfois aussi vaste que la vallée du Nil et laMésopotamie réunies. Cependant, cette appa¬rente absence d'un pouvoir fort n'a pasempêché cette civilisation de connaître uneforme de vie sociale, de discipline et d'organi¬sation comparable à celle des cités grecques2000 ans plus tard. Dès lors, la question sepose: et si la démocratie n'était pas née enGrèce comme on l'a cru? Et si les Grecs

s'étaient inspirés d'un exemple venu d'ailleurs?Il est difficile d'apporter à cette question

une réponse définitive tant qu'on n'aura pasdéchiffré l'écriture de la vallée de l'Indus, mais

les fouilles ont livré suffisamment d'éléments

pour permettre aux archéologues, historiens etautres spécialistes de se faire une certaine idéedes structures sociales et administratives de

cette civilisation. Il semble établi, par exemple,que l'autorité de l'Etat s'étendait sur un terri¬toire d'environ 1 600 km de long du nord ausud et plus de 800 km de large d'est en ouest,et ceci en l'absence de vestiges grandiosesruines de forteresses, de palais, de templesattestant la puissance d'empires disparus.

Cette civilisation obéissait pourtant à unensemble de normes rationnelles qui, si ellesn'ont pas été imposées autoritairement par enhaut, ont dû reposer sur un large accord popu¬laire. Comment expliquer autrement le planparfaitement géométrique de la grande ville deMoenjodaro, dont tous les bâtiments ont étéconstruits avec le même modèle de briquemesurant très exactement 27, 94 cm de long sur13,96 cm de large et 5,71 cm d'épaisseur? Quiplus est, la plupart des maisons sont construitessur le même plan, à part quelques constructionsqui devaient être des bâtiments publics. Et on

48

-_~ * r -

Vue aérienne des ruines de Moenjodaro,

l'une des villes les plus importantes de la

civilisation de l'Indus (Pakistan). Le site est

inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de

I'Unesco depuis 1980.

Poids et plateaux de balance en pierre polie,

vestiges de la civilisation de l'Indus.

Page 49: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

¿JT

'~ "i DIAGONALE^-\

décèle une très nette volonté d'urbanisme dans

la séparation des quartiers résidentiels et deszones commerçantes. A Moenjodaro commeà Harappa, les grandes cités distantes de 600km, le plan des rues en damier témoigne d'unsouci très moderne de sécurité et de bien-être

qui suppose l'existence d'un système de gestionmunicipale élaboré et efficace. Par exemple, lesarchitectes ont ménagé une sorte de sas entrela vie publique et la vie privée, en prévoyantl'accès aux habitations par des ruelles pourréserver les grands axes à la circulation.

Mais ce n'est pas la seule preuve d'un urba¬nisme mûrement réfléchi. Les hommes de la

civilisation de l'Indus ont été les premiers dans

l'histoire (précédant en cela les Grecs et lesRomains) à montrer un tel souci pour les ins¬tallations sanitaires et les équipements collec

tifs. Chaque maison était équipée d'un systèmed'écoulement des eaux usées aboutissant à des

bassins; à partir de leurs murs, recouverts debriques à leur base, des conduits communi¬

quaient avec le système d'égouts souterrainscreusés sous les rues. Ceux-ci aboutissaient à

leur tour à des bassins plus grands et égalementcouverts, qui évacuaient les ordures et les eauxusées hors des zones d'habitation.

Un autre argument, encore plus spectacu¬laire, plaide en faveur de la thèse d'un pouvoirde type démocratique: c'est la découverte de

séries presque complètes de poids en pierrepolie en forme de cube, de demi-cube, decylindre ou de sphère, dont la plupart sontapparemment de bon aloi. Il fallait évidemment

une autorité bien établie pour imposer desnormes commerciales aussi rigoureuses.

Aucune conclusion définitive ne peut êtreavancée tant qu'on n'aura pas déchiffré l'écri¬ture de la civilisation de Moenjodaro. Mais

d'après ce que l'on sait déjà, on pourrait biendécouvrir un jour que la première manifesta¬tion historique d'un «gouvernement dupeuple» est bel et bien apparue voici 5000 anssur les rives de l'Indus.

SYED ASHFAQ AHMAD NAQVI,

archéologue et muséologue pakistanais, estconseiller technique pour le projet Unesco

«Etude intégrale des routes de la soie: routes

de dialogue». Ancien directeur général du

Service d'archéologie et des musées de sonpays, il a longtemps dirigé la Division dupatrimoine culturel de I'Unesco. Sous sa

direction ont été notamment conduites avec

succès les campagnes internationales lancéespar I'Unesco pour sauver les monuments de

Nubie (Egypte), de Borobudur (Indonésie), de

Venise (Italie) et de Moenjodaro (Pakistan). 49

Page 50: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

^

MUSIQUESTRADITIONNELLES

COLLECTION UNESCO

Eglise syrienne orthodoxe. Liturgied'Antioche.

Anthologie des musiquestraditionnelles.

Unesco CD D 8039.

Ces antiques liturgies desSyriens dits «occidentaux»(Souryoyé Ma'arboyé), chantéesen dialecte souroyo, dérivé del'araméen, se divisent en chants

versifiés (syllabiques) et en chantsornés (mélismatiques), plusinfluencés par la musique arabeet iranienne. Sont notamment

représentées la solennelletradition d'Ourfa, d'origineturque, survivant à Alep, celle,plus décorative, de Tagrit (Iraq),celle d'Amid, aujourd'huiquasiment disparue, celle deMardin près d'Alep. Il estémouvant de constater quemalgré toutes les vicissitudes del'Eglise syrienne orthodoxe, cessplendides musiques ont, demanière générale, été aussi bienpréservées.

Australie. Musique aborigène.Musiques et musiciens du monde.Unesco CD D 8040.

Ecoutées en dehors de leur

contexte socio-culturel, hélas en

rapide voie de disparition, cesmusiques rythmées, souventmonotones ou basées sur un

bourdon, avec accompagnementde didjeridu (grosse trompe), debattements de mains et de

quelques percussions, présententun intérêt surtout

ethnographique. Liées pour laplupart à des rites et unesymbolique précise et obéissant àdes canons esthétiques que nousignorons, elles nous rappellent

_- cependant qu'avant l'avènementOU delà technologie, l'homme,

partout en accord avec l'ordrecosmique, respectait les mythes etles rêves, communiquait avec lanature et les animaux. Et comme

les anciennes peintures rupestres,elles suscitent en nous la

nostalgie d'existences frustes etdifficiles, certes, mais sans doute

plus harmonieuses que les nôtres,d'existences pénétrées de lamagie de la terre, où le réel seconfondait avec le merveilleux.

MUSIQUE POPULAIRE

May May. The Introduction.CD Scotti Bros 512 515-2

Nouvelle venue sur la scène

musicale, May May, la jolie fille deMuhammed Ali (avec lequel laressemblance physique estfrappante), produit un raptonique, plus propice à la dansequ'à l'écoute. Ce sont surtout desavants enchevêtrements de

rythmes et l'énergie émanant deMay May, plus que les paroles, quifont l'intérêt des morceaux, il est

difficile, pour une femme, depercer dans le monde macho durap, mais May May en veut. Elle ahérité du punch de son père etnous met K.O. au premier round.

f/ Disco de Oro. Vol. 3

Ismael Rivera / Cortijo y su Combo /Joe Voile / Cellio Gonzalez / NelsonPinedo / Johnny Lopez / SonoraMatancera.

CDSeecoSCCD9104.

Réjouissante compilation degrands succès portoricains etcubains de la deuxième moitié

des années 50. A l'époque où,sous l'emprise du tourismeaméricain, prédominait à PortoRico une musique commercialeaffadie, le percussionniste RafaelCortijo et le chanteur IsmaelRivera ont revalorisé le folklore

d'origine africaine de l'île,

introduisant dans la salsa les

rythmes métissés de la bomba etde la plena et des parolesempreintes de sève populaire(«Chongolo», «El pilón deTomasa»). La Sonora Matancera,

qui a perpétué à New York le«son» (rythme cubain)caractéristique des années 40 et50 a accompagné avec bonheurde nombreux chanteurs dont, ici,Celio Gonzalez, Nelson Pinedo et

Johnny Lopez, lequel s'essaiemême, avec «Linstead Market»,

au calypso. Joe Valle, portoricain,comme Cortijo et Rivera, aintroduit la plena dans lesdancings de New York et sonvivant orchestre s'inspire desorchestres cubains du moment.

JAZZ

Eddy louiss. l//éoé.CD Nocturne NTCD 109

Louiss (orgue Hammond, claviers,chant), Paco Sery (batterie), SylvioMarie (basse), Mr. Vaye (voix parlée).

Considéré comme l'un des

meilleurs organistes de jazzeuropéens, Eddy Louiss produitici plusieurs morceaux de funk,souvent inspirés par le funkafricain ou «afro-funk» popularisépar Manu Dibango («Funk Set»,«Sax Fun»), une compositionreligieuse («Miserere») etquelques plages d'inspirationplus personnelle, auxatmosphères oniriques(«Souvenirs d'une autre vie»,

«Djawa Dénam»). Unenregistrement original,difficilement classable dans les

divers genres du jazz actuel.

Thelonious Monk. Straight. No Chaser.Monk (piano), Charlie Rouse (saxténor), L. Gales (basse), frankie Dunlop(batterie).

CD Sony COL 468409-2

Réédition de séances de 1966:

l'anguleux «Locomotive», leslyriques «I Didn't Know AboutYou» et «Between the Devil and

the Deep Blue Sea», l'inventif«Japanese Folk Song», auxintéressants développementsthématiques. Monk, toujoursd'actualité, continue d'étonner les

musiciens actuels. Si quelques-uns de ses partenaires ont eu dumal à s'adapter à son styleelliptique (Charlie Rouse, lui, s'entire remarquablement bien), laplupart des instrumentistes ontgrandement bénéficié de songénie harmonique et rythmiqueet de son sens inégalé du phrasé.

MUSIQUE CLASSIQUE

Rachmaninov. Concertos pour piano n°2etn°3.

Yeiim Bronfman (piano), ThePhilharmonie, sous la direction de Esa-Pekka Salonen.

CD Sony classical SK 47 183.Lumineuse interprétation de

ces deux concertos de

Rachmaninov par le jeunepianiste russo-israélien Yefim^Bronfman et le chef d'orchestre

finlandais Esa-Pekka Salonen.

Rachmaninov, si souvent décrié

pour ses excès romantiques et sacomplexité technique, estpourtant pénétré de grâceaérienne, de poésie et de charmeslave. Vallegro ma non tanto etl'intermezzo, plus grave, duConcerto n°3 sont

particulièrement émouvants.Bronfman possède unremarquable sens des contrasteset du phrasé, et Salonen estattentif aux diverses nuances de la

musique.

Mozart. Sonates pour piano K.310K. 331 K. 533/494.Murray Perahia (piano).CD Sony classical SK 48 233.

Murray Perahia, alliantfougue et clarté, nous offre despirituelles versions de troissonates de Mozart: celle en la

mineur, composée à Mannheimet Paris, celle en la majeur, peut-être également composée à Paris,mais dont l'origine demeurecontroversée, et celle en fa

majeur, écrite à Vienne. Saluons lecourage du pianiste de s'êtreattaqué à ces déjà tant defois enregistrées (celle en lamajeur, en particulier, qu'ontmassacrée tant d'élèves de

conservatoires). Avec Alicia de

Larrocha, Murray Perahia (nédans le Bronx mais descendant

d'une vieille famile sépharadeespagnole) est probablement l'undes plus fins interprètes del'pour piano de Mozart.

ISABELLE LEYMARIE

Page 51: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

t^e i UNESCO46e année

Mensuel publié en 33 langues et en braille par l'Organisation des

Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture.

31, -te Frarços Bonvin. 75015 Pans. F-ance.

Téléphone: peur joindre d.recterrent votre correspOTdant. composez

le 45.68 ... suivi des quatre chif-cs eu f £ureit erce parenthèses àla su 'e de chaque nom.

Télécopie: 45.66.92.70

H otre proenain numero

(Mars 1993)aura pour thème:

Directeur: Bahgat ElnadiRédacteur en chef: Adel Rlfaat

REDACTION AU SIEGE

Secrétaire de rédaction: Gillian Whltcomb

Français: Alain Lévêque, Neda El KhazenAnglais: Roy MalkinEspagnol: Miguel Labarca, Araceli O'tiz de LrbmsUnité artistique, fabrication Georges Serval C.7.25;Illustration: Ariane Bailey ¡46.90)Documentation: Volette Ringelstein ¡46.85;Relations éditions hors Siège et presse: Solange Be n ¡46.87)Secrétariat de direction: Annie Brächet (47.15).Assistant administratif: p'ithi Dere'a

Editions en braille {français, anglais, espagnol et coréen):

Mo jna Chatta (47.14),

ÉDITIONS HORS SIÈGERusse: Alexandre Melnikov (Moscou)

Allemand: Werner Merkli (Berne)Arabe. El Said Mahmoud El Sheiiti :.e Caire)Italien: Marie Guidotti (Rome;

Hindi 3anga Prasad Viral (De ni)Tamoul: VI. Mohamtied Mustapha (Madras)

Persan: H. Sadoug" Vanlni (TéhéranNéerlandais: Clauce Mcntrieux (Anvers:

Portugais: Benedicto Silva (Rio ce Janeiro)Turc: Mefra gazer (Istanbul;Ourdou: Wal Vlohammac Zaki i sairabad:

Catalan Joan Caneas i Marti ¡Barcelone!Malais A/i/ah Hanzah ¡Kuala Lumpur;Coréen: Y Tcng-ok (SéOU )Kiswahiii: Leonard J. Shuma :ja'-cs-Salaam)Slovène: Aleksandra Kornhauser ¡Ljubljana)Chinois: Shen Guofen ¡Beijing)Bulgare Dragomir Petrov (Sofia)Grec: Sophie Costopoulos (AL iCinghalais: S.L Sumanasekera Banda (Colombo)Finnois: Ma^atta Oksanen (He s nki)Basque: Juxto Egaña (Donostia)Thaï Savitri Suwansathit (Bangkok)Vietnamien: Do Phjong [Hano :Pachto' Gho'j Khawerl ¡Kaboul:

Haoussa: Haoib Alhasstr (Sokoto)Bengali Abdullah A.M. Sharafuddin ¡Dacca:Ukrainien: Victor Stelmakh (K

Tchèque et slovaque: M lan Syrucek (Prague)Galicien: Xavier Senin Fernández ¡Sa nt-Jaccues-de-Compostellc)

VENTES ET PROMOTION

Abonnements: Marie Thérèse Hardy (45.65). Jccelyne Despouy.ne Louise-Julie, Manichan Kgonekeo.

Ravassard, Mohamed Saah LI Dr'

Liaison agents et abonnés: Ginette Motrerf ¡45 64)Comptabilité: (45.65)

Magasin: Hector Garcia Sandoval :47.50;

ABONNEMENTS. Tél. : 45.6S.45.651 an: 211 francs français. 2 ans: 396 francs.

Pour les pays en développement:1 an: ".32 francs français. 2 ans: 211 francs.Reproduction sous forme de microfiches ¡1 an): 113 francs.Reliure pour une année: 72 francs.

Paiement pa- chèque bancare. CCP ou manca: à l'ordre dei'jVsco.

-üs artices e: photos ron copyright peuvent être reorcduils à conditiond cire accompagnés cj nom de 'auteu' et ac la ren: on -Reoroculs duCourrier de I'Unesco or p-écisar't la date du r jrréx. "re i i

ilevrorvt être envoyés 3 la di'ec'.lon du Courrier. Les photos non ccoyrigrl:;cort fojrnies aux puolcalions qu en. fo-ont la dciarde. Les marusents

", sol icités pa' la Rédaction ne seront 'envoyés que s' Is sont accomaa-;' s d ,n couoen-récorse international. Les arteles paraissant cars leCourrier de I'Unesco expriment I op n on de leurs autejrs e: non cas neces-

' c-'ies de 'Uncscc du de a Rédaction, .es tifes dos aretes er

des pootos sort de la Rédaction. Enfn. los fron'.è'es eu fgurenls - 'es cartes eue res ouatons r' mplejent pas recorna.ssanpe officiellepai rth-ssec ou les Nations Lnies.

M : EN CRANCE [P-irted ir c'ancejCr-OT .ÉGAL: Cl -ÉVRIER 1993.COMMISSION PARITAIRE H' 71842 DIF=, SE PAR LES N.M.=.=.

o'ocomposition: LeCour'ier ce l'L\ESC0.ETIC GRAPHIC, in-press on: IU'AYE GRAPHIC

:es touches. 3d Henn-Becqjs'ei. 53021 Laval Cedex. ¡rrar-ei'. 0304-3118 \ 2-1993 OPI 92 512 F

numéro comorend 52 pages et un encert de 4 oages situé ert-ei pages 10-11 et ¿2-43.

Il sera précédé d'un entretienavec le philosophe français

Luc Ferry

Crédits photographiques

Couverture, page 3: © Bernard Boisson, Musée Rodin, Paris. Page 4: George de Keerle ©

Sygma, Paris. Page 5: Unesco. Page 6: Pascal délia Zuana © Sygma, Paris. Page 8: AllanTannenbaum © Sygma, Paris. Page 9: A. Brucelle © Sygma, Paris. Page 10: © Los Angeles Daily

News © Sygma, Paris. Page 11: Richard Phelps Frieman © Rapho, Paris. Page 12: Pavel Rahman© Sipa-Prcss, Paris. Page 13: Bill Clark/Stock South © Sygma, Paris. Page 14: Charles Caratini© Sygma, Paris. Page 15: SIP Prcss/M.S. © Sipa-Press, Paris. Page 16: Centre Culturel duMexique, Paris. Page 17: David Turnley © Rapho, Paris. Pages 18-19: © Yevgeni Kondakov.

Page 19: © Amnesty International, Paris. Page 20-21: © Alice van Buren, Paris. Page 22: PeterTurnley © Rapho, Paris. Page 23: © N.D. Viollet, Paris. Page 24: © Galerie Cremniter-Laffanour, Paris. Page 25: Charles Errath © Jacana, Paris. Page 26 en haut: J-P Champroux ©

Jacana, Paris. Page 26 en bas: Baldev © Sygma, Paris. Page 27: Georg Gerster © Rapho, Paris.

Page 28: Dclimage © Explorer, Paris. Page 29: © Mercedes-Benz, Paris. Page 31: © MuséeNational d'Art Moderne, Centre National d'Art et de Culture Georges Pompidou, Paris. Page

32: Thomas Haley © Sipa-Prcss, Paris. Page 33: E. F. Apesteguy © Gamma, Paris. Page 34:

Habans © Sygma, Paris. Page 34-35: Frecberg © Stills, Paris. Pages 36, 39 en bas: © Cahiers duCinéma, Paris. Page 37: © Leo Scalpel, Paris. Page 38: José Nicolas © Sipa-Press, Paris. Page 39en haut: Charles Lénars, Paris. Page 41: © Dicm Phung Thi, Paris. Page 42: D. Goldberg ©

Sygma, Paris. Page 43: Jacques Touchard © René Lamoureux, Paris. Page 44: © Jean LoupCharmet, Paris. Page 46: Brian Brake © Rapho, Paris. Page 47: tiré de Prince Valiant au temps du

Roi Arthur © King Features Syndicate. Pages 48, 48-49: D.R.

Page 52: Violences; The UNESCO Courier: a window open on the …unesdoc.unesco.org/images/0009/000934/093440fo.pdf · Grand Caruso et des disques de chansons napolitaines interprétées par

CHAQUE MOIS, LEMAGAZINE

INDISPENSABLE

POUR MIEUX

COMPRENDRE LES

PROBLÈMESD'AUJOURD'HUI ET

LES ENJEUX DE

Hün

BjjhH^

TTTIHJ

WÊsËÊÈ

INTÉRÊT UNIVE

L'ENJEU DEMOGRAPHIQUE... APARTHEID:

CHRONIQUE D'UNE FIN ANNONCÉE... LE PACTE

PUNÉTAIRE: PAROLES DE FEMMES... LES ARTS DELA RUE... REDÉCOUVRIR 1492... ÉLOGE DE U

TOLÉRANCE... L'UNIVERSEL EST-IL EUROPÉEN?...FIGURES DU MAÎTRE... TELE...VISIONS... LE PARI

DÉMOCRATIQUE... SPORT ET COMPÉTITION...

ESPACE: LES BANLIEUES DE L'INFINI...

VIOLENCES...

MSfâ

FRANÇOIS MITTERRAND... JORGE AMADO...

RICHARD ATTENBOROUGH... JEAN-CUUDE

CARRIÈRE... JEAN UCOUTURE... FEDERICOMAYOR... NAGUIB MAHFOUZ... SEMBEÑE

OUSMANE... ANDRÉ VOZNESSENSKI... FRÉDÉRIC

ROSSIF... HINNERK BRUHNS... CAMILO JOSÉ

CEU... VACUV HAVEL... SERGUEÏ S.

AVERINTSEV... ERNESTO SÁBAT0... GRO HARLEMBRUNDTUND... CUUDE LÉVI-STRAUSS...

LEOPOLDO ZEA... PAULO FREIRÉ... DANIEL J.

BOORSTIN... FRANÇOIS JACOB... MANUDIBANGO... FAROUK HOSNY... SADRUDDIN AGHA

KHAN... JORGE UVELLI... LÉON

SCHWARTZENBERG... TAHAR BEN JELLOUN...

GABRIEL GARCÍA MÁRQUEZ... JACQUES-YVES

COUSTEAU... MEUNA MERCOURI... CARLOS

FUENTES... JOSEPH KI-ZERBO... VANDANA

SHIVA... WILLIAM STYRON... OSCAR

NIEMEYER... MIKIS THEODORAKIS... ATAHUALPA

YUPANQUI... HERVÉ BOURGES... ABDEL

RAHMAN EL BACHA... SUSANA RINALDI...

HUBERT REEVES... JOSÉ CARRERAS...