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    Albert de Rochas

    Les vies successives

    Documents pour ltude de cette question

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    PRFACE

    Limmortalit de l'me a t de tout temps le sujet des mditations des philosophes et la

    plupart des religions lont affirme en invoquant lexistence dun paradis et d'un enfer ; mais laquestion des vies successives ne s'est pose qu' l'esprit de ceux qui, ne se contentant pas d'unefoi aveugle et simpliste, ont cherch quelles seraient les conditions les plus quitables pourrcompenser ou pour punir, pendant l'ternit, les bonnes ou les mauvaises actions commisespendant le temps infiniment court qu'est la vie terrestre. Nous avons, dans la premire partie de celivre, reproduit quelques-uns des raisonnements qui nous ont paru les plus typiques, ainsi qu'unrsum de certaines croyances antiques.

    Aux raisonnements prcdents sont venus s'ajouter, de nos jours, des expriences et desobservations qui, sans rsoudre dfinitivement le problme, apportent cependant des lmentsd'information d'une grande importance. Nous les avons exposs dans la 2e et la 3e partie. Ladeuxime est consacre la description dtaille d'expriences, en apparence trs probantes, mais

    qui ne sont en ralit que des matriaux ltat brut ; ce sera, lavenir de discerner la part devrit qu'elles contiennent. Cette opration sera sans doute facilite par ltude des phnomnesanalogues mais moins caractristiques qui font l'objet de la troisime partie.

    Dans la quatrime partie, enfin, nous avons cherch porter quelque lumire dans cesmanifestations o le vrai et le faux semblent se confondre. Si nous n'avons pas encore sureconnatre les lois qui rgissent des rgions qu'on commence peine explorer, cela ne lesempche pas plus d'exister que l'incohrence apparente du mouvement des plantes ne lesempchait d'obir aux lois de Kepler avant qu'elles fussent formules. Il s'est coul des siclesavant que lhomme se doutt des forces qu'il avait sous la main dans la vapeur et l'lectricit.Comment nous tonnerions-nous de ne point savoir encore nous servir d'une faon sre desforces psychiques d'un maniement infiniment plus dlicat parce qu'elles sont vivantes ?

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    PREMIRE PARTIE

    CROYANCES ANTIQUES et RAISONNEMENTS MODERNES

    LES EGYPTIENS

    Dans un article publi le 1er fvrier 1895 par la Revue des Deux Mondes 1 , M.Edouard Schur a tudi les croyances gyptiennes relatives l'autre vie.

    Aprs la mort, l'me serait attire en haut parHerms son gnie-guide et retenue en baspar son ombre encore rive au corps matriel.

    Si elle se dcide suivre Herms, elle arrive la limite du monde sublunaire ou Amenti,limite qui est appele Muraille de fer. La sortie en est garde par des esprits lmentaires dont lafluidit revt toutes les formes animales et qui assaillent aussi bien l'homme vivant qui veut

    pntrer dans l'invisible par la magie que l'me dfunte qui veut sortir de l'Amenti pour entrerdans la rgion cleste. Ces gardiens du seuil sont reprsents dans la mythologie gyptienne parles Cynocphales ; Anubis tte de chacal est leur matre ; les Grecs en ont fait Cerbre.

    Quand l'me est en dehors de l'Amenti, elle a compltement le souvenir de ses viesprcdentes qu'elle n'avait encore repris que partiellement sa sortie du corps.

    Elle voit alors ses fautes passes, et claire par son exprience, elle va o elle doit aller etrentre dans la sphre d'attraction de la terre. Ceux qui se sont endurcis dans le mal jusqu' perdretout sens de la vrit ont tu en eux-mmes jusqu'au dernier souvenir de la vie cleste : ils ontcoup le lien avec l'esprit divin, ils ont prononc leur propre anantissement, c'est--dire ladispersion de leur conscience dans les lments. Ceux en qui le dsir du bien subsiste, maisdomin par le mal, se sont condamns eux-mmes une nouvelle et plus laborieuse incarnation.

    Ceux, au contraire, en qui l'amour de la vrit et la volont du bien l'ont emport sur les instinctsd'en bas, sont prts pour le voyage cleste, malgr leurs erreurs et leurs fautes passagres. Alorsl'esprit divin recueille en lui tout ce qu'il y a de pur et d'immortel dans les souvenirs terrestres del'me tandis que tout le faux, l'impur et le prissable se dissolvent dans l'Amenti avec l'ombrevaine.

    Ainsi l'me, travers une srie d'preuves et d'incarnations, se dtruit ou s'immortalisefacultativement.

    LES CHALDENS

    La civilisation chaldenne est peut-tre plus ancienne que la civilisation gyptienne. Les

    mages admettaient que l'me voluait par une ascension continue vers la perfection. D'abordinconsciente, elle traversait successivement tous les rgnes de la nature avant d'arriver dans lemonde de l'humanit o elle apparat avec des facults intellectuelles qu'elle a acquises peu peuau cours de ses existences passes. Elle est destine se dvelopper encore et exprimenter desmilliers de degrs d'intelligences plus leves.

    Pendant la priode humaine, les mes incarnes sont guides par des frouers qui sont lesmes des dfunts remarquables par leurs vertus ; quand elle est incarne, chaque me se cre une

    1 Revue des Deux Mondes, n du 1erfvrier 1895.

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    enveloppe plus ou moins subtile, plus ou moins brillante, suivant ses actions et qu'on appelleKerdar (c'est le Karma des indous). Dans chaque existence, elle oublie ses existences antrieures,mais elle conserve sonKerdaravec les facults qu'il a acquises. Quand elle est arrive, la suited'une srie d'incarnations, un degr de puret suffisant, elle ne se rincarne plus et son kerdardevenu frouer se souvient de toutes ses existences prcdentes.

    LES HINDOUS

    Dans la Bhagavad-Gita, ou le chant du Bienheureux, qu'on suppose compos vers le Xesicle avant J.-C, le prince Arjuna, sur le point de livrer bataille, reconnat dans l'arme ennemiedes parents qu'il aime et comme il est cras de douleur la pense que, dans la lutte, il pourraitcauser leur mort, Krichna le console en lui dvoilant la doctrine des transmigrations :

    Ces corps qui enveloppent les mes, qui y font leur demeure et qui sont ternelles,incorruptibles et incomprhensibles sont des choses finies Et moi et toi, nous avons euplusieurs naissances. Les miennes ne sont connues que de moi ; mais tu ne connais pas lestiennes Ceului qui, par la conviction, reconnat telles ma naissance et mes actions, nentre

    point, aprs avoir quitt sa dpouille mortelle, dans une autre crature, mais rentre en moi-mme2 Les Hindous croient que les vies successives crent l'me une enveloppe appele Karma

    qui se modifie en bien ou en mal selon toutes les actions bonnes ou mauvaises.

    LES GAULOIS

    Csar dit, en parlant des Gaulois : Surtout ils veulent dabord persuader que les mesne prissent pas et ils pensent quaprs la mort elles passent dun corps dans un autre 3 .

    PLATON

    Surtout ils veulent dajouter foi en toutes choses au lgislateur, mais principalementlorsquil dit que lme est entirement distincte du corps ; que, dans cette vie mme, elle seulenous constitue ce que nous sommes ; que notre corps nest quune image qui accompagne chacunde nous ; et que cest avec raison quon a donn le nom de simulacres aux corps des morts ; quenotre tre individuel est une substance immortelle de sa nature, quon appelle me ; quaprs lamort, cette me va trouver dautres dieux pour leur rendre compte de ses actions, comme le dit latradition ; compte aussi consolant pour lhomme de bien que redoutable pour le mchant.

    Il ne faut point croire que cette masse de chair que lon conduit au tombeau et lapersonne mme qui nous est si chre. Au contraire, on doit se mettre dans lesprit que ce fils, cefrre, cette personne que nous regrettons, et qui nous rendons les derniers devoirs, nous a

    quitts aprs avoir achev et rempli sa carrire. Les Lois4

    Ayons toujours foi ces vieilles et saintes croyances, que lme est immortelle, etquelle trouve des juges et de terribles chtiments, aprs son affranchissement du corps.Lettres5

    2 Bhagavad-Gita, traduction Ch. Wilkins et Parraud, Paris, 1922, p 25-52 et 53.3 Dans la Guerre des Gaules (t. VI), Csar dit en parlant des Gaulois : In primis hoc volunt persuadere non interireanimas sed ab aliis post mortem ad alios transire putant.4 Platon, Les lois, traduction Grou, Paris, Garnier, S.d. Livre XII ; p 491- 492.5Platon, Lettres, traduction Dacier et Grou, Paris, Charpentier, S.d. Lettre VII, p. 376 377.

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    C'est une opinion bien ancienne, dit Socrate, que les mes se rendent de la terre auxEnfers, quelles reviennent nouveau des Enfers sur terre et renaissent des morts. Sil en est bienainsi, et si les vivants naissent nouveau des morts, o seraient donc nos mes, si ce nest auxEnfers ? car elles ne pourraient pas, si elles nexistaient plus, renatre de nouveau. Cela seraitdonc un suffisant tmoignage de la survivance des mes, sil devenait absolument vident que les

    vivants proviennent de nul autre lieu que des morts. Phdron

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    APOLLONIUSDE THYANE

    Personne ne meurt, si ce n'est en apparence, de mme que personne ne nat, si ce n'est enapparence. En effet, le passage de l'essence la substance, voil ce qu'on appelle natre, et cequ'on appelle mourir, c'est au contraire le passage de la substance l'essence. Rien ne nat, rien nemeurt en ralit mais tout parat d'abord pour devenir ensuite invisible ; le premier effet estproduit par la densit de la matire, le second par la subtilit de l'essence qui reste toujours lamme, mais qui est tantt en mouvement, tantt en repos. Elle a cela de propre, dans sonchangement d'tat, que ce changement ne vient pas de l'extrieur : le tout se subdivise en ses

    parties, ou les parties se runissent en un tout ; l'ensemble est toujours un. Quelqu'un dira peut-tre : Qu'est-ce qu'une chose qui est tantt visible, tantt invisible, qui se compose des mmeslments ou d'lments diffrents ?

    On peut rpondre : telle est la nature des choses ici-bas que, lorsqu'elles sont masses,elles paraissent cause de la rsistance de leurs masses au contraire, quand elles sont espaces,leur subtilit les rend invisibles. La matire est ncessairement renferme ou rpandue hors duvase ternel qui la contient, mais elle ne nat ni ne meurt. Les parents, sont les moyens et non lescauses de la naissance des enfants, comme la terre fait sortir de son sein les plantes, mais ne lesproduit pas. Ce ne sont pas les individus visibles qui se modifient, c'est la substance universellequi se modifie en chacun d'eux. Lettre Valrius7

    JAMBLIQUE

    Certains hommes souffrent, bien que nayant auparavant commis aucune faute.Ceux-ci ne sont point capables de se rendre compte alors de ce qui est leur me, quelle estlensemble de sa vie, combien de fois elle sest trouve coupable dans des existences antrieureset si elle ne souffre pas prcisment ce quelle a fait auparavant. En outre, beaucoup dinjusticeschappent la connaissance des hommes et ne sont connues que des dieux, parce quils nontpoint sur la justice les mmes vues que les hommes. Les hommes dfinissent la justice comme lapropre libert dagir de lme et la distribution chacun de ce quil mrite daprs les loisexistantes, mais les dieux embrassant dun regard larrangement total du monde etlaccomplissement entier de la vie des mes en tirent leur apprciation de ce qui est juste8.

    CICRON

    Paroles prtes au vieux Caton

    6 Platon, Phdron, traduction de Mario Meunier, Paris, Payot, 1922, p 103-104.7 A. Chassang, Apollonius de Tyane, Paris, 1862, p 395 et suiv.8Trait des mystres gyptiens. Traduction de P. Quillard, Paris, Sect. IV, chapitre 4.

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    Quant l'origine ternelle des mes, je ne vois pas qu'on en puisse douter, s'il est vraique les hommes viennent au monde munis d'un grand nombre de connaissances. Or, une grandemarque que cela est ainsi, c'est la facult et la promptitude avec laquelle les enfants apprennentces arts trs difficiles o il y a une infinit de choses comprendre, ce qui donne lieu de croirequ'elles ne leur sont pas nouvelles, et qu'en les leur apprenant on ne fait que leur en rappeler la

    mmoire. C'est ce que nous apprend notre divin Platon.Jamais on ne nous persuadera, mon cher Scipion, que ni votre pre Paul Emile, ni vosdeux aeux Paul et Scipion l'africain, ni le pre de celui-ci, ni son oncle, ni tant d'autres grandshommes dont il n'est pas besoin de faire le dnombrement, auraient entrepris tant de grandeschoses dont la postrit conserverait le mmoire, s'ils n'eussent vu clairement que l'avenir mmele plus loign ne les regardait pas moins que le prsent. Et, pour me vanter aussi mon tourselon la coutume des vieillards, croyez-vous que j'eusse travaill nuit et jour, comme je l'ai fait, et la guerre et dans l'intrieur de la Rpublique, si la gloire de mes travaux et d finir avec ma vie? N'aurais-je pas, sans comparaison, mieux fait de la passer dans le repos, sans m'embarrasserd'aucune sorte d'affaires ? Mais mon me, s'levant en quelque sorte au-dessus du temps que j'ai vivre, a toujours port ses yeux jusqu' la postrit et j'ai toujours compt que ce serait aprs lafin de cette vie mortelle que je serais le plus vivant. C'est ainsi que tous les grands hommescomptent et, si l'me n'tait immortelle, ils ne feraient pas tant d'efforts pour arriver l'immortalit9.

    VIRGILE

    Discours d'Anchise son fils Ene qui le rencontre aux Champs Elyses et lui demande quellessont ces mes qu'il voit errer autour d'eux.

    Mon fils, dit le vieillard, tu vois ici paratreCeux qui dans d'autres corps doivent un jour renatre,

    Mais avant l'autre vie, avant ses durs travaux.Ils cherchent du Lth les impassibles eaux,Et dans le long sommeil des passions humaines,Boivent l'heureux oubli de leurs premires peines...- O mon pre, est-il vrai que dans des corps nouveaux,De sa prison grossire une fois dgage,L'me, ce feu si pur, veuille tre replonge ?Ne lui souvient-il plus de ses longues douleurs ?Tout le Lth peut-il suffire ses malheurs ?- Un Dieu vers le Lth conduit toutes les mes ;Elles boivent son onde, et l'oubli de leurs mauxLes engage rentrer dans des liens nouveaux10.

    PORPHYRE

    L'me n'est jamais nue de tout corps ; un corps plus ou moins pur lui est toujours uni,adapt sa disposition actuelle. Mais lorsqu'elle vient de quitter le corps terrestre et grossier, le

    9 Cicron, Dialogue sur la vieillesse, XXI et XXIII.10 Enide, liv. VI. Traduction de Delille.

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    corps spirituel qui lui sert de vhicule s'en va ncessairement souill et paissi par les vapeurs etles exhalaisons du premier. L'me se purifiant progressivement, ce corps devient la longue unepure splendeur que nul brouillard n'obscurcit et qui ne jette aucune ombre.

    LES HBREUX

    Le Talmud dit que l'me d'Abel passa dans le corps de Seth et de l dans celui de Mose. Il faut que les mes rentrent dans la substance absolue dont elles sont sorties. Mais

    pour cela, il faut quelles aient dvelopp toutes les perfections dont le germe indestructible esten elles ; il faut quelles aient acquis, par une multitude dpreuves, la conscience delles-mmeset de leurs origines. Si elles nont pas rempli cette condition dans une premire vie, elles encommencent une autre, et aprs celle-ci une troisime, en passant dans une condition nouvelles,o il dpend entirement delles dacqurir les vertus qui leur ont manqu auparavant

    Toutes les mes, ajoute le Zohar, sont soumises aux preuves de la Transmigration et leshommes ne savent pas quelles sont, leur gard, les voies du Trs-Haut ; ils ne savent pascomment ils sont jugs dans tous les temps, et avant de venir dans ce monde et lorsquils lont

    quitt ; ils ignorent combien de transformations et dpreuves mystrieuses ils sont obligs detraverser ; combien dmes et desprits viennent en ce monde, qui ne retournent pas dans le palaisdu Roi cleste11.

    EVANGILES

    Il est vrai qu'Elie doit revenir et rtablir toutes choses ; mais je vous dclare qu'Elie estdj venu et ils ne l'ont point connu, mais ils l'ont trait comme il leur a plu. C'est ainsi qu'ilsferont souffrir le fils de l'homme. Alors ses disciples comprirent que c'tait de Jean-Baptiste qu'illeur avait parl12.

    Et il arriva qu'un jour il priait l'cart et ses disciples taient avec lui ; il les interrogea

    disant : Le peuple qui dit-il que je suis ? Ils lui rpondirent : les uns Jean-Baptiste ; les autres :Elie et les autres : quelque ancien prophte ressuscit. Et il leur dit : Et vous que dites-vous que jesuis ? Simon-Pierre rpondant, dit : Le Christ de Dieu. Alors il leur dfendit trs expressment dele dire personne13.

    Or il y avait un homme d'entre les pharisiens, nomm Nicodme, snateur des Juifs, quivint la nuit trouver Jsus et lui dit : Matre, nous savons que vous tes venu de la part de Dieupour nous instruire comme un docteur ; car personne ne saurait faire les miracles que vous faites,si Dieu n'est avec lui. Jsus lui rpondit : En vrit, je vous le dis : Personne ne peut voir leroyaume de Dieu, s'il ne nat de nouveau14.

    11 Ad. Franck, la Kabbale, Paris, 1889, p 183-184.12Saint Mathieu, Ch. XVIII, v. de 10 13 ; Saint Marc, ch. IX, v. 10, 11, 12.13Saint Luc, ch. IX, v. 18, 19, 20, 21, Saint Mathieu, ch. XVI, v. 13, 14, 15. Saint Marc, ch. XI, v. 27, 28, 29, 30.14Saint Jean, ch. II, v. 1 12.

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    LON DENISLes Pres de lEglise

    ... Les premiers Pres de l'Eglise et, entre tous, Origne et Saint Clment d'Alexandrie seprononcent en faveur de la transmigration des mes. Saint Jrme et Ruffinus15 affirment qu'elletait enseigne comme une vrit traditionnelle un certain nombre d'initis.

    Dans son uvre capitale :Des Principes, livre 1er, Origne passe en revue les nombreuxarguments qui montrent, dans la prexistence et la survivance des mes en d'autres corps, lecorrectif ncessaire l'ingalit des conditions humaines. Il se demande quel est le total destapes parcourues par son me dans ses prgrinations travers l'infini, quels sont les progrsaccomplis chacune de ces stations, les circonstances de cet immense voyage et la natureparticulire de ses rsidences.

    Saint Grgoire de Nysse dit qu'il y a ncessit de nature pour l'me immortelle d'tregurie et purifie et que, si elle ne l'a pas t par sa vie terrestre, la gurison s'opre par les viesfutures et subsquentes .

    Toutefois cette haute doctrine ne pouvait se concilier avec certains dogmes et articles defoi, armes puissantes pour l'Eglise, tels que la prdestination, les peines ternelles et le jugementdernier. Avec elle le catholicisme et d faire une plus large place la libert de l'esprit humain,appel dans ses vies successives s'lever par ses propres efforts et non pas seulement par unegrce d'en haut.

    Aussi ce fut un acte gros de consquences funestes que la condamnation des vuesd'Origne et des thories gnostiques par le concile de Constantinople de 553. Elle entrana lediscrdit et le rejet du principe des rincarnations. On vit s'difier alors, la place d'uneconception simple et claire de la destine, comprhensible aux plus humbles intelligences,conciliant la justice divine avec l'ingalit des conditions et des souffrances humaines, tout unensemble de dogmes qui firent l'obscurit sur le problme de la vie, rvoltrent la raison et,finalement, loignrent l'homme de Dieu16.

    PEZZANI

    D'aprs les anciennes Cosmogonies qui enseignaient que les astres taient faits pour laterre et qu'en dehors il n'y avait plus qu'un Dieu et des Anges, purs Esprits, on pouvait conclurequ'aprs l'preuve terrestre tout tait fini pour le mrite et la libert. Mais depuis Copernic etGalile, depuis que nous savons qu'il existe un nombre infini de mondes, n'y a-t-il pas unesingulire troitesse de vue vouloir borner nos preuves au monde misrable et infime de laterre, qui n'est qu'une de nos stations, qu'une des phases de notre existence immortelle, et nousrefuser dans l'avenir tout moyen de rparation17 ?

    LAVATER

    Les organes se simplifient, acquirent de l'harmonie entre eux et sont plus appropris la nature, au caractre, aux besoins et aux forces de l'me, selon qu'elle se concentre, s'enrichit ets'pure ici-bas, en poursuivant un seul but et agissant dans un sens dtermin. L'me perfectionne

    15 Lettre Anastase.16 L. Denis, Le problme de l'Etre et de la Destine, Paris, Leymarie, 1922, p. 322-323.17A. Pezzani, Dieu, lhomme, lhumanit et le progrs, Paris, 1847, p 120.

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    elle-mme, en existant sur la terre les qualits du Corps spirituel, du vhicule dans lequel ellecontinuera d'exister aprs la mort de son corps matriel, et qui lui servira d'organe pourconcevoir, sentir et agir dans sa nouvelle existence18.

    VOLTAIRE

    Ds qu'on commence penser qu'il y a dans l'homme un tre tout fait distinct de lamachine et que l'entendement subsiste aprs la mort, on donne cet entendement un corps dli,subtil, arien, ressemblant au corps dans lequel il est log. Si l'me d'un homme n'avait pas retenuune forme semblable celle qu'il possdait pendant la vie, on n'aurait pu distinguer aprs la mortl'me d'un homme avec celle d'un autre. Cette me, cette ombre qui subsistait spare de soncorps, pouvait trs bien se montrer dans l'occasion, revoir les lieux qu'elle avait habits, visiterses parents, ses amis, leur parler, les instruire : il n'y avait dans tout cela aucune incompatibilit.Ce qui est peut paratre19.

    JEAN REYNAUD

    Aussi, quand on songe aux magnifiques clarts que la connaissance de nos existencesantrieures rpandrait la fois sur l'ordre actuel de la terre et sur nos esprances touchant l'ordredu ciel, quel frappant symptme notre dfaut de mmoire ne nous donne-t-il pas de l'imperfectionde notre constitution psychologique d'aujourd'hui ! Nous ne voyons pas d'o nous sommes partis,de mme que nous ne voyons pas o nous sommes conduits ; seulement nous savons que nousvenons d'en bas et que nous allons en haut, et il n'en faut pas davantage pour nous intresser nous-mmes et nous apprendre quelle substance nous sommes.

    Mais qui oserait assurer que notre tre ne renferme pas dans ses profondeurs de quoiilluminer un jour tous les espaces successivement traverss par nous depuis notre premireheure ? Ne savons-nous point, par l'exprience mme de cette vie, que des souvenirs qui nous

    semblaient absolument teints se ravivent parfois et nous rendent tout coup un pass que nousavions cru enfoui jamais dans les abmes de l'oubli ?L'tonnante facult que nous nommons la mmoire, est donc de nature nous garder au

    fond de nous-mmes notre insu, des impressions qui, pour avoir momentanment cess d'tredisposes de manire surgir nos appels, ne continuent pas moins faire partie de notredomaine o elles demeurent comme dormantes et, ds lors, pourquoi n'en serait-il pas de mmede son action l'gard des vnements qui ont prcd la priode actuelle de notre existencecomme il en est ouvertement de son action l'gard de tant d'autres vnements qui se sontaccomplis de notre vivant et dont nous voyons la trace, aprs de longs ensevelissements, revenirau jour de temps autre. Ce n'est pas vous qui nierez que cette facult ne soit purementspirituelle, puisque vous ne faites aucune difficult de la prolonger, sans distinction, pour toutes

    les mes, de cette vie jusque dans la suivante et si elle constitue, en effet, comme on ne saurait lecontester, une des proprits les plus essentielles de l'esprit, comment pourrait-elle prouver de lapart de la mort aucune atteinte radicale ? Son immortalit la garantit. Le coup du trpas peut bienla troubler ; mais comme un coup de vent trouble la diaphanit de l'atmosphre qu'un autre coupde vent rtablit.

    18 G. Lavater, correspondance avec l'impratrice Maria Fodorowna de Russie sur lavenir de lme, Paris, 1898.19 Voltaire. Dictionnaire philosophique. Magie, Oracles, Londres, 1765.

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    D'ailleurs si notre progrs dans la batitude ne consiste pas simplement dans uneadmission des mondes meilleurs, mais avant tout dans le dveloppement des hautes facults quisont inhrentes nos personnes, comment la puissance de notre mmoire ne serait-elle pasdestine s'accrotre en mme temps que toutes les autres puissances dont nous ne jouissons nonplus, actuellement, que suivant le mode imparfait qui convient la terre ? Et, si elle augmente,

    n'est-il pas croire qu'elle arrivera donc tt ou tard l'nergie ncessaire pour ressaisir lesimpressions trop dlicates et trop lointaines, pour ne pas tre disproportionnes son tatd'aujourd'hui ? C'est ce dont je ne doute pas, et ce qui achve de donner mes yeux toute solidit une telle esprance, c'est de penser que nous ne saurions atteindre notre couronnement sans queles souvenirs mis en rserve dans les fonds de notre mmoire ne nous soient en effet rendus, carce ne serait nous possder qu'imparfaitement que de ne point possder compltement notrehistoire. Pour jouir de notre immortalit en pleine lumire, il faut que nous sachions qui noussommes et c'est la contemplation de notre pass qui nous l'enseigne et cette contemplation faitmme plus, car c'est elle qui, par comparaison, nous fait goter notre batitude dans toute saprofondeur, en nous montrant ct de ce que nous sommes, ce que notre tre a t.

    Si l'on examinait tous les hommes qui ont pass sur la terre depuis que l're des religionssavantes y a commenc, on verrait que la grande majorit a vcu dans la conscience plus oumoins arrte d'une existence prolonge par des voies invisibles en de comme au del deslimites de cette vie. Il y a l, en effet, une sorte de symtrie si logique qu'elle a d sduire lesimaginations premire vue : le pass y fait quilibre l'avenir, et le prsent n'est que le pivotentre ce qui n'est plus et ce qui n'est pas encore20.

    RAUH

    L'me et le principe vital A quel moment l'me a-t-elle t cre ? Trois hypothses seules sont possibles : 1

    L'me est cre en mme temps que l'tre ; 2 elle est cre de toute ternit ; 3 une poque

    intermdiaire entre les deux prcdentes.Il est difficile d'admettre que l'me soit cre en mme temps que l'tre humain auquel elleest destine, car alors il serait impossible d'expliquer la diffrence de condition morale qui existeentre les hommes. D'o viendraient, en effet, les qualits qui diffrencient l'me d'un homme decelle d'un autre homme, et qui crent toute la distance entre un homme vertueux et un sclratcapable de tous les crimes ? Diffrence de conformation crnienne, rpond l'anthropologiecriminaliste. Mais ma raison s'insurge contre une doctrine qui tend ravaler l'tre humain auniveau de l'animal, en l'assujettissant obir simplement aux impulsions de l'instinct; quoiquel'on puisse dire, je sens fermement en moi une conscience qui est libre de choisir et une volontqui me permet de me dterminer entre le bien et le mal. Le mal n'est pas fatal, et la preuve est quela criminalit augmente mesure que la crainte salutaire de la rpression diminue. Puisque toutesles mes sortent de la main de Dieu dans un tat d'galit initiale, si l'me tait cre au mmemoment que l'tre, il faudrait donc que tous les hommes fussent gaux en valeur morale, ou dumoins au moment de leur naissance. Or il n'en est point ainsi l'ge o la crature n'a pas encorepu contracter avec le bien ni avec le mal, ni recevoir aucune influence du monde extrieur, elleaccuse les qualits et les tares qui dj sont en elle : certains enfants sont vicieux, d'autres ont dessentiments de droiture et d'honntet, et le milieu dans lequel ils sont ns et levs ne suffit pastoujours expliquer ces variations. De l, ds le dbut de la vie, une ingalit de niveau moral qui

    20 Jean Reynaud. Terre et ciel, 1854.

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    ne fait que s'accrotre davantage mesure que l'tre grandit et qui reste inexpliqu dans cettepremire hypothse.

    Enfin dire que l'me est cre l'instant mme o elle doit tre infuse au corps n'est-cepas admettre implicitement que Dieu puisse se faire le complice des trahisons, des incestes, desviols, des adultres auxquels de malheureux tres doivent la vie ? Il laisse commettre le crime,

    cela est certain, et la corruption de nos murs ne le rend que trop frquent mais comment ne pasrejeter avec indignation la supposition que, par une cration qui serait un acte direct de la volontsouveraine, il intervienne, ce moment mme, pour sanctionner l'uvre du vice et de ladbauche.

    La deuxime hypothse n'est pas plus admissible. Si l'me a t cre de toute ternit,d'o vient l'tat d'infriorit, de dgradation mme, dans lequel nous voyons tant de nossemblables ? Car, si la perfectibilit est une proprit de l'me, il est impossible que, depuisl'ternit, au cours des innombrables vicissitudes qu'elles ont d traverser, ces mes ne se soientpas leves au-dessus de leur tat primitif, que d'autres soient descendues mme au-dessous de labestialit. On dira que les mes ont pu tre cres de toute ternit mais qu'elles sont restes dansune vague inactivit jusqu'au moment o elles ont t appeles s'unir un corps ? Mais l'meest une substance intelligente, et le propre de l'intelligence tant une indfectible activit, on nepeut s'expliquer que des multitudes d'mes soient restes inactives, errantes dans l'espace, depuisqu'elles ont reu avec le souffle divin, les facults qu'elles doivent mettre en exercice.

    Reste la troisime hypothse : c'est la seule plausible, la seule capable de justifier, parl'ingalit de l'ge des mes, l'ingalit du dveloppement moral qui existe entre les hommes. Dieu cre les mes au temps marqu par sa sagesse souveraine, et, par un acte spcial savolont, il leur confre en mme temps l'immortalit21 .

    Des trois hypothses que je viens d'examiner, la troisime parat la plus probable. L'meen effet, en raison des hautes destines qui lui sont assignes, est la crature divine parexcellence, celle qui a le plus haut prix devant Dieu. Ds lors nous ne pouvons nous refuser admettre qu'il en fasse l'objet d'une sollicitude spciale, qu'il se soit rserv sa cration commel'uvre particulire de sa prdilection.

    ...Il ne nous est pas donn de connatre que notre passage sur cette terre n'est qu'unchapitre d'une histoire dont nous ignorons les vnements antrieurs, et qui se perptuera dansdes conditions qui nous sont galement caches mais qu'il dpend de nous de rendre toujoursmeilleures. Ainsi se trouve pos le principe de la Prexistence. La prexistence et la survie sontles deux termes dont se compose notre immortalit ; places, l'une en avant, l'autre la suite denotre trs courte existence terrestre, elles sont exactement le prolongement l'une de l'autre ettoutes les hypothses qu'on peut faire logiquement sur les vnements de la survie trouventlogiquement leur place dans la prexistence.

    VICTORHUGO

    Voici comment Arsne Houssaye relate la rponse que Victor Hugo fit des athes en 1866.

    Je sens en moi, nous a-t-il dit, toute une vie nouvelle, toute une vie future ; je suiscomme la fort qu'on a plusieurs fois abattue : les jeunes pousses sont de plus en plus fortes etvivaces. Je monte, je monte vers l'infini ! Tout est rayonnant sur mon front. La terre me donne sasve gnreuse, mais le ciel m'illumine des reflets des mondes entrevus. Vous dites que l'me

    21 Jean Reynaud. Terre et ciel.

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    n'est que l'expression des forces corporelles. Alors pourquoi mon me est-elle plus lumineusequand les forces corporelles vont bientt m'abandonner ? L'hiver est sur ma tte, mais leprintemps ternel est dans mon me! Je respire cette heure les lilas, les violettes et les rosescomme vingt ans ! Plus j'approche du but et plus j'coute autour de moi les immortellessymphonies des mondes qui m'appellent ! C'est merveilleux et c'est simple. Il y a tout un demi-

    sicle que j'cris ma pense en prose et en vers : histoire, philosophie, drame, roman, lgende,satire, ode, chanson, etc. ; j'ai tout tent ; mais je sens que je n'ai pas dit la millime partie de cequi est en moi. Quand je me coucherai dans la tombe, je ne dirai pas comme tant d'autres : j'ai finima journe. Non, car ma journe recommencera le lendemain matin. La tombe n'est pas uneimpasse, c'est une avenue ; elle se ferme sur le crpuscule, elle se rouvre sur l'aurore22.

    FRANOIS COPPELa Vie antrieure

    S'il est vrai que ce monde est pour l'homme un exilO, ployant sous le faix d'un labeur dur et vil,Il expie en pleurant sa vie antrieure ;S'il est vrai que, dans une existence meilleure,Parmi les astres d'or qui roulent dans l'azur,Il a vcu, form d'un lment plus pur,Et qu'il garde un regret de sa splendeur premire ;Tu dois venir, enfant, de ce lieu de lumireAuquel mon me a d nagure appartenir ;Car tu m'en as rendu le vague souvenir,Car en t'apercevant, blonde vierge ingnue,J'ai gmi comme si je t'avais reconnue,Et, lorsque mon regard au fond du tien plongea,J'ai senti que nous nous tions aims dj.Et, depuis ce jour-l, saisi de nostalgie,Mon rve au firmament toujours se rfugie,Voulant y dcouvrir notre pays natal.Et, ds que la nuit tombe au ciel oriental,Je cherche du regard dans la vote lacteL'toile qui par nous fut jadis habite.

    COMTE TOLSTO

    De mme que les rves de notre vie terrestre constituent un tat pendant lequel nousvivons d'impressions, de sentiments, de penses appartenant notre vie antrieure et faisonsprovision de forces pour le rveil, pour les jours venir, toute notre vie actuelle constitue un tatpendant lequel nous vivons au moyen du Karma de la vie prcdente, et faisons provision deforces pour la vie future.

    22 A. Houssate. Les destines de lme, Paris, 1879, p 176-177.

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    De mme que nous vivons des milliers de rves pendant notre vie terrestre, celle-ci estl'une des milliers de vies dans lesquelles nous entrons en sortant de l'autre vie, plus relle, plusauthentique et laquelle nous revenons aprs notre mort.

    Notre vie terrestre est l'un des rves d'une autre vie, plus relle, et ainsi de suite jusqu'l'infini, jusqu' la dernire vie, qui est la vie de Dieu23.

    SIROLIVERLODGE

    L'ide que nous avons exist dans le pass et que nous devons exister dans l'avenir estaussi vieille que Platon ; il n'y a rien de neuf en elle. Un pote a dit que nous sommes plusgrands que nous ne pensons , cela signifie que la totalit de notre tre n'est jamais incarne touteentire. Il me semble qu' la naissance, un peu de ce large moi, qui constitue mon tre, s'estincarn et qu' mesure que le corps grandit, il en peut contenir davantage24 ; il s'en infiltre de plusen plus dans notre corps ; quelquefois plus, quelquefois moins. Quand il s'en infiltre beaucoup ety prospre, nous disons : Voil un grand homme quand il ne s'en infiltre que peu, trs peu,nous disons : Il n'est pas complet . Aucun de nous n'est complet . Et quand ce corps est us,

    nous allons rejoindre la grande partie de nous-mmes ; puis une autre partie de nous-mmes serarincarne et ainsi de suite. Les diverses parties du grand moi s'uniront successivement lamatire pour un temps donn, afin de recevoir une ducation qui, semble-t-il, ne peut tre acquiseautrement. C'est une sorte d'ducation particulire qui se fait dans chaque plante en utilisant lesparticules matrielles que nous tirons de cette plante par la nourriture et autrement. Ce n'est pasde la science que je fais en ce moment ; ce sont des hypothses, mais elles sont bases sur desfaits : les phnomnes de mmoire anormale, de personnalit multiple, d'tat de transe, etc., quine sont point encore soigneusement tudis et qui cependant doivent l'tre, si nous voulonsclaircir ce grand problme de la vie aprs la mort25.

    HENRI MARTIN

    L'extase et le somnambulisme Il existe dans l'humanit un ordre exceptionnel de faits moraux et physiques, qui

    semblent droger aux lois ordinaires de la nature ; c'est l'tat d'extase et de somnambulisme, soitspontan, soit artificiel, avec tous ses tonnants phnomnes de dplacement des sens,d'insensibilit totale ou partielle du corps, d'exaltation de l'me, de perception en dehors de toutesles conditions de la vie habituelle. Cette classe de faits a t juge des points de vue trsopposs.

    Les physiologistes voyant les rapports accoutums des organes troubls ou dplacs,qualifient de maladie l'tat extatique ou somnambulique, admettent la ralit de ceux de cesphnomnes qu'ils peuvent ramener la pathologie et nient tout le reste, c'est--dire tout ce qui

    parat en dehors des lois constates de la physique. La maladie mme devient folie leurs yeux,lorsqu'au dplacement de l'action des organes se joignent des hallucinations des sens, des visionsd'objets qui n'existent que pour le visionnaire. Un physiologiste minent a fort crment tabli queSocrate tait fou, parce qu'il croyait converser avec son dmon. Les mystiques rpondent non

    23Extrait d'une interview en 1908.24 Lodge compare ailleurs le moi un iceberg dont la tte, qui serait le moi conscient, merge seule au-dessus duniveau de la mer, tandis que la partie la plus considrable, la base, est plonge dans l'eau et merge plus ou moinssuivant les circonstances.25 Extrait dune interview en 1906.

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    seulement en affirmant pour rels les phnomnes extraordinaires des perceptions magntiques,question sur laquelle ils trouvent d'innombrables auxiliaires et d'innombrables tmoins en dehorsdu mysticisme, mais en soutenant que les visions des extatiques ont des objets rels, vus, il estvrai, non des yeux du corps, mais des yeux de l'esprit. L'extase est pour eux le pont jet du mondevisible au monde invisible, le moyen de communication de l'homme avec les tres suprieurs, le

    souvenir et la promesse d'une existence meilleure d'o nous sommes dchus et que nous devonsreconqurir.Quel parti doivent prendre dans ce dbat l'Histoire et la Philosophie ?L'Histoire ne saurait prtendre dterminer avec prcision les limites ni la porte des

    phnomnes, ni des facults extatiques et somnambuliques ; mais elle constate qu'ils sont de tousles lieux ; que les hommes y ont toujours cru ; qu'ils ont exerc une action considrable sur lesdestines du genre humain ; qu'ils se sont manifest, non pas seulement chez les contemplatifs,mais chez les gnies les plus puissants et les plus actifs, chez la plupart des grands initiateurs ;que, si draisonnables que soient beaucoup d'extatiques, il n'y a rien de commun entre lesdivagations de la folie et les visions de quelques-uns ; que ces visions peuvent se ramener decertaines lois ; que les extatiques de tous les pays et de tous les sicles ont ce qu'on peut nommerune langue commune, la langue des symboles, dont la langue de la posie n'est qu'un driv,langue qui exprime peu prs constamment les mmes ides et les mmes sentiments par lesmmes images.

    Il est plus tmraire peut-tre d'essayer de conclure au nom de la Philosophie ; pourtant lephilosophe, aprs avoir reconnu l'importance morale de ces phnomnes, si obscurs qu'en soientpour nous la loi et le but, aprs y avoir distingu deux degrs, l'un infrieur, qui n'est qu'uneextension trange ou un dplacement inexplicable de l'action des organes, l'autre suprieur, quiest une exaltation prodigieuse des puissances morales et intellectuelles, le philosophe pourraitsoutenir, ce qu'il me semble, que l'illusion de l'inspir consiste prendre pour une rvlationapporte par des tres extrieurs, anges, saints ou gnies, les rvlations intrieures de cettepersonnalit infinie qui est en nous, et qui parfois, chez les meilleurs et les plus grands, manifestepar clairs des forces latentes dpassant presque sans mesure les facults de notre conditionactuelle. En un mot, dans la langue de l'cole, ce sont l pour nous des faits de Subjectivit ; dansla langue des anciennes philosophies mystiques et des religions les plus leves, ce sont lesrvlations du frouer mazden, du bon dmon (celui de Socrate), de l'ange gardien, de cet autreMoi qui n'est que le moi ternel, en pleine possession de lui-mme, planant sur le moi enveloppdans les ombres de cette vie26.

    Nier l'action d'tres extrieurs sur l'inspir, ne voir dans leurs manifestations prtenduesque la forme donne aux intuitions de l'extatique par les croyances de son temps et de son pays,chercher la solution du problme dans les profondeurs de la personne humaine, ce n'est en aucunemanire rvoquer en doute l'intervention divine dans ces grands phnomnes et dans ces grandesexistences. L'auteur et le soutien de toute vie, pour essentiellement indpendant qu'il soit dechaque crature et de la cration tout entire, pour distincte que soit de notre tre contingent sapersonnalit absolue, n'est point un tre extrieur, c'est--dire tranger nous, et ce n'est pas endehors qu'il nous parle ; quand l'me plonge en elle-mme, elle l'y trouve, et, dans touteinspiration salutaire, notre libert s'associe la Providence. Il faut viter ici comme partout, ledouble cueil de l'incrdulit et de la pit mal claire : l'une ne voit qu'illusions etqu'impostures purement humaines ; l'autre refuse d'admettre aucune part d'illusion, d'ignoranceou d'imperfection l o elle voit le doigt de Dieu. Comme si les envoys de Dieu cessaient d'tre26 C'est la figure du magnifique symbole zoroastrien partout figur Perspolis et Ninive ; le frouer ail ou le moicleste planant sur la personne terrestre.

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    des hommes, les hommes d'un certain temps et d'un certain lieu, et comme si les clairs sublimesqui leur traversaient l'me y dposaient la science universelle et la perfection absolue. Dans lesinspirations le plus videmment providentielles, les erreurs qui viennent de l'homme se mlent la vrit qui vient de Dieu. L'tre infaillible ne communique son infaillibilit personne27.

    ARMAND SABATIER

    Les corps successifs de l'me Chez les insectes mtamorphoses, dans le passage d'une forme l'autre, le corps

    primitif disparat, et un nouveau corps est produit, plus parfait, plus complet, d'une organisationplus perfectionne, et plus adapt l'existence nouvelle et suprieure. J'ai dit qu'un nouveau corpssuccdait au corps primitif...

    Ce nouveau corps est un difice qui n'est pas une simple modification du Premier ; ce n'estpas un nouvel amnagement ; ce n'est pas le premier rpar et restaur. Le nouveau corps n'estpas mme reconstruit avec les pierres du premier, car ces pierres, qui sont les cellules, sont elles-

    mmes dsorganises et dcomposes. La comparaison sera juste si nous disons que les pierresdu premier difice ont t non seulement broyes et rduites en poussire, mais qu'elles ont tdcomposes chimiquement, et que, avec les lments de cette dcomposition, ont treconstitues des pierres nouvelles qui ont servi la construction du nouvel difice.

    N'y a-t-il pas lieu de penser qu'abandonnant le milieu terrestre et l'enveloppe corporellequi ont t la condition et le sige de son premier dveloppement, au moment de la mort,l'homme fait son entre dans un milieu et dans une enveloppe plus favorables pour une phasesuprieure des son volution ? Je ne vois pas de raison srieuse pour croire le contraire et la mortde l'homme n'est plus alors ce mal physique inflig au pch comme le plus terrible deschtiments, mais l'acte le plus bienfaisant et le plus dsirable pour ceux qui ont des raisonssuffisantes de croire une vie d'outre-tombe... cette enveloppe d'une autre sorte et ce nouveau

    milieu destins donner la personnalit humaine un nouvel panouissement, peuvent, leurtour, cder la place de meilleurs.

    27 H. Martin, Histoire de France, Paris, Furne, 1836, tome VI, p. 143.

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    DEUXIEME PARTIE

    EXPRIENCES MAGNTIQUES

    CHAPITRE I - Le sommeil magntique et le corps fluidique

    1er. - Les tats de lhypnose :Avant d'exposer mes expriences sur la rgression de la mmoire et la prcognition,

    j'indiquerai rapidement comment le magntisme agit ordinairement sur les sensitifs que j'aitudis. Sous l'influence de passes longitudinales exerces de haut en bas et combines avecl'imposition de la main droite sur la tte du sujet assis en face de moi, il se produit une sried'tats ayant l'apparence de la veille mais prsentant chacun des caractres spcifiques qui ontservi les dnommer28 et se succdant toujours dans le mme ordre.

    Ces tats sont spars par des phases de lthargie ayant l'apparence du sommeil ordinaire et quipermettent de les distinguer nettement les uns des autres quand le sujet trs entran ne brle pasles tapes.Voici, sommairement, l'numration de ces caractres spcifiques et leur succession :

    1er tat. Veille.

    I. Phase de lthargie.2e tat. - Somnambulisme. Le sujet a l'apparence d'une personne veille, jouissant de

    tous ses sens, mais il est trs suggestible et prsente le phnomne de l'insensibilit cutane quipersiste dans tous les tats suivants. La mmoire est normale.

    II. Lthargie.3e tat. Rapport. Le sujet ne peroit plus que le magntiseur et les personnes que celui-ci amises en rapport avec lui, soit par un contact, soit mme par un simple regard. Sensation de bien-tre trs marque. Diminution de la mmoire normale et de la suggestibilit. La sensibilitcommence s'extrioriser suivant une couche parallle au corps et situe environ 35millimtres de la peau29. Le sujet voit les effluves extrieurs des corps organiss et des cristaux.

    III. - Lthargie.4e tat. - Sympathie au contact. La sensibilit continue s'extrioriser et on peut constater

    une seconde couche sensible 6 ou 7 centimtres de la premire et de sensibilit moindre. Lesujet ressent les sensations du magntiseur quand celui-ci se met en contact ave lui. La sensibilit

    cutane a disparu ainsi que la mmoire des faits ; elle ne reparaissent pas dans les tats suivants,

    28 Ces caractres ont t choisis, parce que ce sont ceux qui se sont prsents d'abord, l'observation, mais il estprobable qu'il y en a d'autres qui n'ont point t reconnus.29 En juillet 1904, M. Charpentier a communiqu l'Acadmie des Sciences l'exprience suivante : En se plaantdevant une paroi rflchissante et en loignant progressivement de la surface antrieure du corps, dans une directionnormale, un petit cran phosphorescent (tche de sulfure sur carton noir), on voit que cet cran passe par des maximaet minima d'intensit rgulirement espacs, indiquant l'existence, au voisinage du corps, de sortes d'ondesstationnaires dont la longueur est d'environ 35 millimtres, soit prcisment la longueur d'onde des nerfs.

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    mais la mmoire du langage subsiste dans ces tats, puisque le sujet peut converser avec lemagntiseur.

    IV. - Lthargie.5e tat. Sympathie distance. Le sujet peroit toutes les sensations du magntiseur, mme

    sans contact, pourvu que la distance ne soit pas trop grande. Il ne voit plus les effluves extrieursdes corps, mais il voit les organes intrieurs des tres vivants. Il n'est plus suggestible et acompltement perdu la mmoire de sa vie ; il ne connat plus que deux personnes, le magntiseuret lui-mme, mais il ne sait plus leur nom.

    A partir de cet tat, en gnral, un peu plus tt ou un peu plus tard suivant les sujets, lasensibilit, qui jusque l s'extriorisait en couches concentriques la priphrie du corps secondense pour former d'abord environ un mtre sa droite une colonne nbuleuse bleue peuprs de sa taille, puis, sa gauche, une autre colonne analogue rouge30, enfin les deux colonnes serunissent pour former une colonne unique dont la forme se prcise de plus en plus pourconstituer le fantme du sujet. Ce fantme, reli au corps physique par un lien lumineux etsensible qui est comme son cordon ombilical, devient de plus en plus mobile et obissant lavolont. Il a une tendance trs marque s'lever jusqu' une hauteur qu'il ne peut dpasser et quisemble dpendre du degr d'volution intellectuelle et morale des sujets, qui voient flotter autourd'eux des tres prsentant une tte avec un corps termin en pointe comme une virgule. Ils sontheureux d'tre sortis de leur enveloppe physique, de leur loque suivant une expression qu'ils ontsouvent, et il leur rpugne d'y rentrer. Tous ces phnomnes se dveloppent et se prcisent travers une srie d'tats spars par des phases de lthargie qui se succdent comme les jours etles nuits.

    Des passes transversales ramnent le sujet l'tat de veille en le faisant passer, en ordreinverse, par tous les tats et toutes les lthargies par lesquels il est pass en s'endormant.

    J'ai publi en 1895, dans des Annales des Sciences psychiques, un article intitulFantmes des vivants dans lequel j'ai expos en dtail mes premires expriences sur cet ordre dephnomnes, o j'ai pu pousser les sujets jusqu' un 13e tat, grce l'lectricit. M. Durville lesa reprises et compltes en exposant ses propres expriences dans un livre publi en 1909 sous cemme titre : les Fantmes des vivants31.

    2. - Le corps fluidique peut se modeler sous linfluence de la volont comme la terre glaisesous la main du statuaire.

    30 Chez certains sujets, la formation du fantme se fait en ordre inverse.31S'il y a quelques petites divergences dans nos constatations, il ne faut pas s'en tonner. Les premiers voyageurs qui

    pntrent dans un pays inconnu ne portent pas ncessairement leur attention sur les mmes points et sont exposs ne point les voir exactement sous le mme jour. C'est ainsi que, pendant des annes, j'ai magntis des sensitifs sansobserver le phnomne de la rgression de la mmoire qui passait sans doute inaperu pour moi parce que jen'interrogeais pas le sujet sur des choses qui pouvaient me l'indiquer. Actuellement encore je ne suis pas bien fix surles causes qui la dterminent, bien que je suppose qu'il soit d ce que, sous l'influence des passes qui attachent lesliens unissant le corps matriel au corps fluidique celui-ci se concentre au lieu de s'extrioriser; car j'ai constat biendes fois que je ne trouvais plus de couche sensible autour du sujet quand il remontait le cours des ges et desspectateurs voyants disaient, quand le phnomne se produisait aprs la formation du corps fluidique, qu'ils voyaientce corps changer de forme et se rapetisser quand le sujet redevenait enfant.

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    C'est l un fait de tradition chez les occultistes et j'avais entendu raconter que, dans unesance qui s'tait tenue, il y a une quarantaine d'annes chez un mdium de Paris, clbre par sesmatrialisations, on avait voqu Molire, et qu'on avait vu apparatre, entre les rideaux ducabinet, d'abord un fantme ressemblant au mdium, puis que ce fantme avait pris peu peul'apparence et le vtement du personnage voqu.

    Ayant lu que dans beaucoup de manifestations psychiques, on voyait apparatre des globeslumineux, je me demandai si ce n'taient pas des corps fluidiques et je fis avec Mme Lambertl'exprience suivante : j'extriorisai son corps fluidique, puis je lui ordonnai de le replier en boule; malgr sa rsistance je dterminai le phnomne ; elle se vit sous cette forme que je constataimoi-mme par des pincements dans l'espace. Je la remis ensuite par suggestion dans sa formeprimitive et je la priai de revenir le surlendemain pour une sance. Le surlendemain, ne la voyantpas, je me rendis chez elle et je la trouvai couche, le corps en arc ; elle me dit qu'elle ne pouvaits'tirer et que cela la gnait beaucoup. J'extriorisai alors de nouveau son corps fluidique que jeredressai par suggestion et que je fis rentrer; elle tait gurie.

    Quelques mois aprs, je fis venir Mme Lambert chez moi pour montrer ses facults Mme d'Esprance de passage Paris. Quand son corps fluidique fut extrioris j'ordonnai MmeLambert de lui donner ma forme, ce qu'elle fit, non sans rsistance ; elle vit la transformations'oprer sur le corps fluidique lui-mme et sur son image, rflchie dans une glace. Mmed'Esprance, qui est une voyante, confirma ses dires bien que, ignorant le franais, elle necomprt pas notre conversation ; Aksakow assistait la sance.

    J'ai rpt cette exprience, le 23 novembre 1903 Voiron chez M. Col..., patron deJosphine, avec Josphine et Louise. Voici le passage de mon journal qui s'y rapporte.

    Louise dit qu'elle peut, mme veille, extrioriser son corps astral volont et lui donnerla forme qu'elle dsire. On lui dit, l'insu de Josphine, de faire prendre ma forme son corpsastral, puis, on ramne dans la chambre Josphine mise en tat de voir les fluides. Josphine voitd'abord le corps astral de Louise normal, puis elle lui voit avec tonnement pousser desmoustaches et la barbiche, enfin elle dit en riant : Mais, c'est le colonel .

    Quelques instants aprs on dit Louise, toujours l'insu de Josphine, de donner soncorps astral la forme du fils de la maison qu'elle connat et qui est tailleur Java depuis deux ans.Josphine, qui ne l'a jamais vu, voit l'endroit o Louise dit avoir projet son double, la figured'un homme avec moustaches ; elle dit avoir vu cette figure quelque part, mais elle ne sait pas o.Je la rveille aprs lui avoir donn la suggestion de se souvenir de la figure qu'elle a vue et on faitpasser devant ses yeux une vingtaine de photographies qu'elle ne reconnat pas.

    Quand elle aperoit celle du fils Col, elle dit : Voil quelqu'un qui ressemble ce quej'ai vu, mais ce que j'ai vu tait assez vague. il faut remarquer que Louise n'avait model soncorps astral que d'aprs des souvenirs assez lointains.

    Dans une sance tenue l'Ecole de Mdecine de Grenoble, le 28 mars 1904, en prsencedu Dr Bordier, directeur de l'Ecole, avec Louise et Eugnie comme mdium, je cherchai reproduire cette exprience.

    Le Dr Bordier indique Louise seule le personnage reprsenter. C'tait le Dr Lpine,non prsent la sance et que Louise connaissait. Louise s'extriorisa et quand elle et dit qu'elleavait donn son corps la forme voulue, j'interrogeai Eugnie endormie ; elle me rpondit qu'ellevoyait un monsieur, elle chercha le reconnatre, puis dit : C'est le monsieur qui m'aphotographie. Or, deux jours auparavant, cela avait eu lieu.

    On pourrait trouver dans ce phnomne l'explication de certaines apparitions qui seproduisent, devant des jeunes filles au moment de la pubert. On a constat, en effet, qu' cemoment-l, il arrivait souvent que leur corps astral s'extriorisait spontanment ! Elles

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    l'aperoivent alors sous une forme vaguement humaine et lumineuse. Imbues d'ides religieuses,elles s'imaginent voir la Sainte Vierge ou telle autre sainte dont l'image les a frappes dans leurglise et elles donnent, par la pense, cette forme leur corps astral qui arrive mme pouvoirtre peru par d'autres sensitifs.

    3. - Le corps astral est normalement la reproduction exacte du corps physiqueDans une sance qui eut lieu le 1er avril 1904, l'Ecole de Mdecine de Grenoble, avec

    Eugnie, en prsence du Dr Bordier, j'extriorisai le corps fluidique du sensitif. Quand le fantme bleu fut form sa gauche, elle le voyait, mais nous n'prouvions aucune sensation en letouchant. Eugnie ressentait au contraire les contacts, non seulement sur sa peau, mais dansl'intrieur de son corps quand nos mains pntraient dans son double. Le Dr Bordier ayant portsuccessivement et avec prcaution son index sur diffrents points de l'intrieur de ce double,demanda Eugnie en quel point elle se sentait touche. Eugnie, qui avait les yeux ferms,dsigna exactement, et sans hsitation, les organes que le Dr Bordier avait l'intention de toucheren se basant sur leurs positions respectives.

    On trouvera dans le chapitre 1er de la 3e partie, un certain nombre de documents montrantque l'existence du corps astral a t admise de tout temps par les philosophes et les initis.

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    CHAPITRE II - Rgression de la mmoire et prvision

    Mes expriences ont port sur 19 sujets qui sont :Cas N 1. Laurent 1893.

    - N 2. Josphine 1904.- N 3. Eugnie 1904.- N 4, Mme Lambert 1904.- N 5. Louise 1904-1908-1910- N 6. Mayo 1904-1905-1906- N 7. Mme Roger 1905.- N 8. Mme J. 1905.- N 9. Surel 1905.- N10. Victoria 1905.- N11. Juliette 1905.- N12. Marguerite 1906.

    - N13. Henriette 1906.- N14. M. Giudato 1907.- N15. Mme Caro 1907.- N16. Mme Trinchant 1907.- N17. Pauline 1910.- N 18. Mireille 1892.- N19. Nathalie 1892.

    Quand je les ai commences, j'ignorais que d'autres magntiseurs avaient fait desconstatations analogues que j'ai rapportes dans le chapitre 4 de la troisime partie. J'ai toujourscherch, dans mes sances exprimentales avoir, pour prendre des notes au fur et mesure que

    ces phnomnes se produisaient, un tiers qui ne risquait pas d'tre influenc comme j'aurais pul'tre, par l'attente de ce que je supposais devoir se produire.Les compte rendus reproduisent les variations et des erreurs certaines, qui ont leur

    importance parce qu'elles montrent bien l'influence de l'tat actuel de l'esprit du sujet sur lesphnomnes encore inexpliqus de rgression de mmoire et de prvisions.

    Les dtails nombreux et prcis relatifs aux degrs de sommeil et aux phnomnesphysiques qui les caractrisent ne m'ont point paru inutiles parce qu'ils viennent l'appui declassifications que les mdecins hypnotiseurs n'admettent point, sans doute par ce qu'ils n'ont paseu l'occasion de les observer.

    Cas n 1 - Laurent, 1893

    Mes premires expriences relatives la Rgression de la mmoire datent de 1893. C'esttout fait par hasard que je fus amen constater ce phnomne chez un jeune homme de 20 ans,prparant sa licence es lettres, sujet des plus prcieux parce que non seulement il tait sensible l'agent magntique, mais aussi et surtout parce que, dou d'une vive curiosit scientifique et d'ungrand esprit d'analyse, il tenait beaucoup se rendre compte par lui-mme des phnomnesphysiques et psychiques produits par cet agent.

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    J'entrepris donc avec lui des expriences suivies, mais gradues avec prcaution, demanire ne point fatiguer son systme nerveux ni nuire ses autres tudes, en ayant soin, chaque sance, d'abord d'appeler son attention sur ce qu'il prouvait avant et pendant le sommeilmagntique, puis de lui donner la suggestion de se rappeler au rveil ses impressions.

    Je conseillai en outre mon jeune ami Laurent de rdiger lui-mme, aprs chaque sance,

    les impressions qui pourraient tre plus tard, pour lui comme pour moi, une source d'informationsd'autant plus prcieuse que c'est la premire fois qu'on a tudi de cette manire les phnomnesde l'hypnose.

    Voici ce journal32, auquel je n'ai pas voulu changer un mot, me bornant donner en notesquelques explications ou modifications. Il commence quelques jours aprs le premier essai que jefis sur Laurent dans le salon de sa mre et il finit au moment o, par l'approfondissement progressif de l'hypnose, je tombai dans un ordre de phnomnes particuliers relatifs laformation des fantmes des vivants.

    Les impressions d'un magntis racontes par lui-mme.

    21 juillet 1893M. de R. a renouvel sur moi, ce matin, mais plus au long, les expriences qu'il avait

    faites, l'autre jour, au salon.- Quelle odeur voulez-vous sentir ? L'odeur de la violette ?... Essayez de vous la rappeler.Je fais effort, mais sans rsultat prcis. Alors M. de R. prsenta brusquement deux doigts

    d'une mme main, carts, sous chacune de mes narines et l'odeur de la violette se prcisa telpoint que je croirais, si je n'avais pas les yeux ouverts qu'on m'en promne un bouquet sous lenez.

    - Comment vous appelez-vous ?- Laurent.M. de R., pressant fortement du pouce le milieu de mon front, la naissance du nez, me

    pose la mme question. J'hsite, je cherche. J'ai la reprsentation visuelle de mon nom crit maisil m'est absolument impossible de la prononcer ; je balbutie.

    - Je vais vous endormir, me dit M. de R.Une crainte vague m'envahit. L'ide d'un sommeil o ma volont sera annihile me ferait

    presque refuser de me prter cette exprience, si la crainte d'tre trouv peureux ne s'y opposait.Sentiment trs complexe : l'effroi de l'inconnu, un respect humain au fond trs banal, et - ce quitout coup prdomine - une confiance encourageante en l'exprimentateur. Toutefois ce n'est passans une assez vive motion que je me livre entre les mains de M. de R., ni sans l'espoir que je nesuis pas susceptible d'tre endormi.

    M. de R. s'assied en face de moi, me prend les pouces et fixe ses yeux dans les miens. Sonregard me gne ; je me raidis d'abord ; puis, prouvant une sensation douloureuse, comme untiraillement des muscles de la paupire, j'essaie de dtourner les yeux, - je ne peux pas ! - Alors jeme laisse aller, je sens que M. de R. me ferme les yeux avec ses doigts, - et je ne perois plusrien.

    Tout coup, j'entends M. de R. rordonner d'ouvrir les yeux. Je le fais facilement et il mesemble que je me trouve l'tat normal. Je suis trs tonn quand M. de R. me dit : Vous tesendormi.

    32 Ce journal a t publi en juin 1895 dans les Annales des Sciences psychiques.

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    Et, en effet, je ne puis, s'il me le dfend, lever ni le bras, ni la jambe, ni faire unmouvement quelconque. Cependant autour de moi, je distingue toute chose comme en cemoment. Je me souviens mme d'avoir entendu frapper la porte et M. de R. a rpondu : Tout l'heure.

    Rien ne m'chappe et tout est prcis.

    - Je vais vous rveiller pour ne pas trop vous fatiguer la premire fois, me dit M. de R. ; vousvous tes bien rendu compte de tout ce que vous prouviez ? Vous vous en souviendrez quandvous serez rveill Ah ! donnez-moi votre mouchoir. (Je le donne.) Bien ! Vous remarquezque vous me donnez votre mouchoir. Vous ne vous rappellerez plus de cet acte quand vous serezrveill, mais vous vous rappellerez tous les autres.

    M. de R. me souffle sur les yeux. Je sens que je me raidis. Je perds conscience de ce quise passe... Puis je rouvre les yeux, un peu tourdi, comme au rveil du matin. Je puis me lever etmarcher ma guise.

    - Vous avez gard le souvenir de ce que nous avons fait et dit pendant votre sommeil ? medemande M. de R.

    Quelques secondes d'efforts, suivies d'une rponse affirmative.- Vous ai-je dit de me donner votre mouchoir ?- Oui.- Me l'avez-vous donn ?- Non.- Donnez-le-moi.Je fouille dans mes poches ; je ne le trouve pas ; et comme je vais objecter que c'est

    probablement parce que je n'avais pas mon mouchoir que je ne l'ai pas remis :- Vous me l'avez donn, me dit M. de R. ; mais je vous avais ordonn de l'oublier. Le

    voici, et allez vous promener au grand air.J'ai effectivement besoin de respirer, mes nerfs ont des soubresauts violents. Je revois en

    marchant, comme hallucin, tous les dtails des meubles du cabinet de M. de R. J'y tais entrautrefois, mais il est certain que je n'en avais jamais gard un souvenir aussi net. Serait-ce quel'ordre, reu pendant l'hypnose, de se rappeler ce qu'on fait, ce qu'on dit, ce qu'on voit, ait uneinfluence sur l'intensit du souvenir ? En d'autres termes, l'image des objets qui ont frapp martine pendant le sommeil magntique ne renat-elle pas plus vivement sous l'influence d'unesuggestion qu'elle ne renat aprs la contemplation de ces menus objets pendant la veille ? A lavrit, l'ordre donn par M. de R. n'indiquait pas que je devais revoir tout en hallucination, maisplus simplement me rappeler ce que j'avais vu, d'une faon gnrale. Or, cet gard, point dedoute : le bureau, la portire, les tableaux s'objectivaient et m'apparaissaient comme rels.

    Mais alors pourquoi l'hallucination ne s'tendait-elle pas tous les autres souvenirs ? Jerevoyais la pice, pourquoi n'entendais-je pas la voix de M. de R. ? Pourquoi les sensationsauditives que j'avais eues, endormi, ne s'objectivaient-elles pas comme les sensations visuelles ?

    La suggestion a exerc la puissance du souvenir, a exagr mes facults habituelles, maisprobablement sans rien modifier dans leur rapport.

    Je suis bon visuel , un mdiocre auditif. La suggestion a dvelopp galement mesfacults auditives et visuelles, si je puis m'exprimer ainsi, de sorte que sous son influence je suisrest bon visuel, mdiocre auditif. Le mme dveloppement suffisait mener jusqu'l'hallucination la facult visuelle dj grande, n'y arrivait pas avec la facult auditive plus faible.Entre les deux le rapport reste constant. C'est une hypothse qu'il faudra vrifier dans lesexpriences suivantes. Au bout de deux heures le souvenir s'est affaibli.

    23 juillet 1893

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    Je suis veill.M. de R. fait des passes le long de mon bras et de ma main gauche, je sens peu peu mon

    bras se raidir. Je vois M. de R. me pincer la peau de la main, si fortement, que la trace de sesongles y reste: cependant je n'prouve aucune douleur. Alors M. de R. loigne sa main de lamienne, progressivement, en pressant plusieurs reprises l'ongle de son pouce contre l'ongle de

    son index comme pour pincer. A une certaine distana je sens soudain sur le revers de ma mainun pinon assez fort. La main de M. de R. continue s'loigner, il lui faut parcourir une nouvelledistance plus grande que la premire pour que je sente un second pinon, d'ailleurs notablementplus faible que le premier. M. de R. s'loigne davantage encore. A une distance plus loigne dela premire que la premire ne l'tait de ma main, le pinon dans le vide se rpercute de nouveausur ma main, mais en sensation, attnue. Puis, beaucoup plus loin, je n'prouve plus qu'un vaguefrlement et, au del, absolument rien.

    Bien des fois rpte, cette exprience me permet de conclure que des couches sensiblesse forment autour des parties magntises de mon corps et que la premire couche n'est distantede la peau que d'une distance moiti moindre environ que la distance qui spare les autrescouches.

    Que j'prouve la sensation susdite quand la main de M. de R. agit sur des couches a, b, c,etc., cela est indniable mais quel rle joue ici la suggestion ? Un rle trs grand, je crois.

    En effet, si je ferme les yeux tandis que M. de R. parcourt, en pinant le vide, la distanceentre ma peau et la couche sensible c qui en est la plus loigne, j'avoue franchement que yimagine plutt la sensation que je ne l'prouve ; elle est suppose et non prouve. Seulement,ds que je rouvre les yeux, elle redevient parfaitement consciente, plus faible en c qu'en b et en bqu'en a, comme je l'ai not plus haut.

    Un spectateur pourrait croire que je triche. Le sujet, dirait-il, doit sentir galement, qu'ilvoie ou non la main du magntiseur pincer le vide, quand cette main passe en a, b, c. Or c'est cequi n'a pas lieu. Il faut qu'il se rende compte du point de l'espace o se trouve la main dumagntiseur pour ragir une excitation donne un prtendu fluide que je voudrais voir pour ycroire. En ralit il ne sent rien, qu'il ferme les yeux ou regarde ; il simule la sensation.

    Le spectateur, mon sens, a raison quand il prtend que je devrais sentir galement, lesyeux ferms comme les yeux ouverts ; c'est la suggestion assurment qu'il faut demander lacause de cette irrgularit.

    Mais pour ce qui est de sentir rellement, le spectateur a tort quand il le nie. Je suisentirement sincre et qu'il faille rechercher la cause de ces phnomnes dans la pure suggestionou vraiment dans le fluide extrioris ou plus vraisemblablement dans les deux la fois, lasensation est bien rellement prouve ; je ragis sans feintise33.

    M. de R. m'endort. Je m'abandonne au sommeil avec confiance, sans l'apeurement dupremier jour. Les mmes expriences renouveles ont donn le mme rsultat. Mes observationsd'aujourd'hui confirment ce que je supposais, l'autre jour, relativement au rapport constant entremes facults auditives et visuelles sous l'influence de la suggestion comme l'tat normal.

    Ce fait seulement de nouveau.

    - Pensez quelqu'un, me dit M. de R., vous allez voir la personne qui vous pensez assisedans un fauteuil qui est votre droite.

    33 Pour moi la vritable explication est que, de mme que sur la peau normale, le degr de sensibilit varie avec ledegr d'attention. En regardant l'endroit o on le pince, le sujet accumule sur ce point une quantit plus grande defluide qui par l amplifie notablement la sensation. Tout le monde sait que, quand un mdecin veut faire une piqre un malade et diminuer la douleur, il lui conseille de ne pas regarder l'endroit piquer.

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    Je pense ma sur, sans en rien dire. Je me retourne et pousse un oh ! de surprise envoyant en effet ma sur l'endroit indiqu. Je reste les yeux fixs quelque temps sur elle qui nebouge pas ; mais je dtourne ensuite les yeux une seconde et je les reporte alors vainement vers lefauteuil o elle m'est apparue ; la vision s'est vanouie, et il faut un nouvel ordre de M. de R. pourqu'elle m'apparaisse.

    Durant le passage du sommeil l'tat de veille, je n'prouve aucune sensation particulireou du moins elle est si vague que je ne puis la dfinir.

    25 juillet 1893M. de R. m'endort et me dit : Il y a un bouquet de roses dans un pot eau qui est sur la

    table derrire vous. Allez le toucher. Sans hsitation, je vais vers la table de toilette. Il y a, en effet, un bouquet que je sors du

    pot eau ; j'essaie de sentir les roses, mais elles n'ont point d'odeur.- Frottez-vous le front vigoureusement, me dit M. de R. Je le fais et aussitt le bouquet

    disparat.Ainsi l'hallucination s'est limite l'exacte suggestion donne : Voyez et touchez, mais on

    ne m'avait pas dit de sentir.Je suis toujours endormi.M. de R. commence par renouveler les expriences d'avant-hier sur l'extriorisation du

    fluide sensible. Je touche un objet, je ne le sens pas. La sensation du contact existe seulement sil'on place l'objet distance et selon les lois d'loignement remarques avant-hier sur ma main,alors que mon bras seul tait magntis. Mais ce n'est pas seulement la sensation du contact queje puis maintenant prouver d'aprs les mmes lois.

    M. de R. prend un flacon bouch et me le promne sous le nez, tout contre les narines. Jene sens absolument rien. Il loigne alors le flacon. Lorsque celui-ci se trouve une certainedistance, sur une premire couche sensible a, je reconnais l'odeur du thym. Quand le flacons'loigne entre la premire couche sensible a et une seconde couche sensible b, je ne sens rien. Jesens de nouveau en b; puis plus rien de b en c ; puis de nouveau mais plus faiblement en c ; plus

    loin je ne puis plus rien distinguer; les distances entre a et b et entre b et c sont peu prs galesentre elles et au double de la distance entre ma peau et la premire couche sensible a.Je vois M. de R. prendre une petite figurine de cire rouge modeler ; il la tient un moment

    immobile le long de la couche a ; je sens trs bien l'objet. Il la retire ensuite au del de la couchec et pique la figurine avec une pingle... je ne sens rien.

    - Ah ! ah ! on ne peut pas vous envoter, dit M. de R. ; au fait, c'est que probablementvotre fluide ne se dissout pas dans la cire; mais nous russirons peut-tre avec de l'eau.

    Longuement M. de R. maintient un verre d'eau sur la couche a. J'ai toujours la sensationdu contact d'un objet ; mais si je ne regardais pas, il me serait impossible de spcifier la nature etla forme de cet objet. Puis M. de R. loigne le verre, plonge le doigt dans l'eau et l'agite...Toujours rien.

    - Voyons avec le fer.Contre la couche a M. de R. laisse un trousseau de clefs sur sa main ouverte. Nouvelle

    sensation de contact, et cette fois un inexplicable sentiment de gne : absorption de fluide par uncorps tranger ? Envotement ? Ce qui est certain c'est que je me plains de contacts douloureuxquand M. de R., sloignant, froisse les clefs dans sa main referme ; je me prcipite avec unerage jalouse et je m'obstine les garder plusieurs minutes en ma possession, comme si j'avaispeur de me voir arracher un membre, enlever une parcelle de ma vie.

    Pour faire cesser cet tat d'exaltation, M. de R. me rveille.

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    que le magntiseur (qui reste, lui, toujours parfaitement visible et qui prend mme, aux yeux dusujet amen ce troisime tat, une sorte de ralit lumineuse) me met en rapport avec eux en lestouchant.

    Pour me faire entendre, distinct, le tic-tac de la pendule, M. de R. n'a qu' interposer samain entre la pendule et mon oreille.

    M. de R., par exemple, me tend un livre. J'ai peine le lire; les caractres me paraissentmal imprims. Mais si M. de R. pose sa main au milieu de la page, il en rayonne comme unelumire qui, tout autour, rend aux signes noirs toute leur nettet.

    Sance trs courte. Je parais fatigu. M. de R. me rveille.

    21 octobre 1893Aujourdhui rptition de tous les phnomnes dj observs dans le deuxime et le

    troisime tat. Je suis toujours trs lent passer du somnambulisme l'tat de rapport. Peut-treparce que je suis mfiant ; qu'une autosuggestion, consistant en le ferme dsir de ne pas prendrele faux pour le vrai, persiste jusque dans le sommeil, et fait antagonisme aux influencesmagntiques.

    M. de R., sur une question qu'il me pose et laquelle je ne rponds pas, tout en faisantcependant effort, comme pour me rappeler le fait qui me permettrait de rpondre, remarque quedans ce troisime tat j'ai perdu la mmoire du prsent Par exemple, je ne sais pas o je suis. Jesais que c'est M. de R. qui est devant moi ; je ne pourrais dire ce qu'il est : administrateur del'Ecole polytechnique ou exerant quelque autre profession. Toutefois je garde intact le souvenirdes expriences prcdentes.

    Pour tablir avec justesse la priode de ma vie qui chappe ma mmoire, M. de R.emploie cet ingnieux moyen :

    - Avez-vous fait votre classe de philosophie ? me demande-t-il.Je me mets sourire et rponds : Oh, non ! comme pourrait dire un tout jeune colier

    qui considrerait la classe de philosophie comme quelque chose de trs beau et de trs lointain.- De rhtorique ? - De seconde ?... De troisime ?... De quatrime ?...

    La rponse est toujours ngative et prompte.- De cinquime ?... De sixime ?... Ici je me trouble, rflchis, hsite. Il est regrettable

    qu'au moment o j'cris, malgr l'ordre reu de me souvenir des sensations prouves pendant lesommeil, je ne parvienne pas refaire exactement le travail qui se fit en moi cette minute. Jecrois seulement que je vis passer l'image de mon professeur de sixime, sans pouvoir tablir s'iltait bien mon professeur de sixime ou de septime... C'est sans doute pourquoi j'hsitai. En toutcas je rpondis encore Non .

    Ce n'est que lorsque M. de R. me demanda : Vous rappelez-vous votre professeur dehuitime ? , que spontanment j'affirmai le voir.

    - Mais, le voyez-vous comme s'il tait l ? insiste M. de R.- Oui, oui, c'est mon professeur.

    - Enfin vous distinguez bien si, oui ou non, vous tes lve de huitime ? Ce monsieur est-il votre professeur de cette anne-ci, ou simplement vous souvenez-vous de l'avoir eu commeprofesseur ?

    Aprs un effort assez long, je risque une rponse embrouille :- Je crois qu'il a t mon professeur mais, aprs lui, je n'en ai pas eu d'autres, il me semble.Ici, par bonheur, je retrouve les phases par lesquelles a pass mon esprit. Tandis que je

    faisais un effort sincre pour rpondre exactement la question pose, la solution vritable ne se

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    prsentant pas et cela me fatiguant de chercher : Ah ! me suis-je dit, je vais rpondre n'importequoi. Et aussitt : Non ! il ne faut pas tromper.

    Phnomne singulier ! Une seconde, j'eus conscience que je servais de sujet unmagntiseur, que j'tais ce que je suis en effet et non point lve de huitime, mais qu'il fallaitfaire aboutir lexprience malgr tout. J'ignore ce que j'aurais invent si ce brusque rappel

    l'ordre n'tait intervenu pour m'engager la sincrit. Non, il ne faut pas tromper. En ralit,cette phrase m'est venue l'esprit pendant l'clair de conscience qui me reprsenta mes yeuxcomme un jeune homme de vingt ans, se prtant des expriences d'hypnotisme pour soninstruction, soucieux de ne pas errer, et intress d'autant plus ne pas tromper l'exprimentateur,que ce serait se tromper soi-mme38.

    Que serait-il arriv si le rveil de ma personnalit n'avait pas eu lieu ? J'aurais, selon toutevraisemblance, cd au dsir de faire cesser l'effort fatigant; j'aurais, au hasard, rpondu parquelque chose d'approximatif ; puis, pour ne pas me contredire (car j'ai not sur d'autres sujets,qui srement se croyaient de bonne foi, qu'il est impossible de leur faire avouer qu'ils se sonttromps quelque manifeste que soit leur erreur), j'en serais arriv, par une srie d'approximativesrponses, au pur mensonge, l'invention, la simulation... Et comment M. de R. s'en serait-ilaperu ?

    D'ailleurs je ne m'explique pas cette subite conscience de la ralit qui ne dura que letemps de me dire : Il ne faut pas tromper. J'ai l'habitude de me rpter cette phrase commeune suggestion durant la veille. Serait-ce une sorte d'autosuggestion, quand elle me revient durantle sommeil ? Mais est-il admissible que l'on puisse, dans l'tat de rapport, obir un ordre qu'ons'est donn soi-mme lorsqu'on tait veill39. Cela parat d'autant plus invraisemblable qu'ayantperdu le souvenir des faits les plus rcents de ma vie il n'y avait pas de raison pour que je merappelasse plutt une phrase pense avant d'tre ordonne que toute autre.

    Il reste donc tabli, sans plus de commentaires, qu'un sujet endormi peut se rendre comptequ'il sert de sujet ; cela doit tre trs rare. Nanmoins cette conscience, en quelque sorte virtuelle,de l'tat o l'on est ne doit pas laisser que d'influer sourdement sur les rponses du sujet auxquestions qu'on lui pose, et de jouer un rle important dans cette simulation inconsciente que M.Bergson a autrefois signale40.

    Mais quand elle se prcise, quel trouble profond ne doit-elle pas apporter dans la marchede l'exprience ! Elle rend le sujet lui-mme. Le danger est en partie cart quand le sujet, sereprenant, est dsireux d'tre sincre. Mais si, au lieu de se dire : Ne trompons pas , il estindiffrent et peu soucieux du vrai, comme cela a lieu d'ordinaire ? Si, de plus, il prouve ce

    38 A rapprocher de cette observation du Dr Gibier : J'ai connu un mdium, jeune homme trs honnte ne faisant pasmtier de sa mdiumnit et avec lequel on observait divers phnomnes de lvitation et de mouvements d'objets tout fait rels. Il m'a avou que maintes fois il s'tait senti comme pouss ajouter quelque chose ce qu'il produirait ; ilavait une envie violente de simuler un phnomne quelconque, alors qu'il pouvait avec ses facults naturelles obtenir

    mieux. Analysant cette sorte d'impulsion, il me disait qu'elle naissait pour une part du dsir d'tonner les assistants ;pour une autre part, du dsir de tromper son semblable ; en troisime lieu, de la crainte de la fatigue, car aprs dessances o des phnomnes intenses ont t obtenus, les mdiums sont parfois extnus : mais il ajoutait que quelqueautre cause dont il ne se rendait pas compte (sans doute d'une nature impulsive) se joignait toutes les prcdentes etse faisait sentir plus pressante. Il m'assurait d'ailleurs qu'il avait toujours rsist la tentation. Analyse des choses.Cette propension tromper parat tre inhrente l'organisme des sensitifs et des mdiums. Il faut en tenir comptedans l'observation des faits mais ne pas commettre la lgret de tout attribuer la fraude quand on en a observ uncas.39 Cela est non seulement admissible, mais est certain. J'en ai eu de nombreux exemples avec d'autres sujets.40 Revue philosophique, 1888

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    dsir, que j'ai not, de faire russir l'exprience ? Si, cabotin naturellement, il lui vient, lorsqu'il sereprend, l'ide de jouer un rle ?

    Pour en revenir l'exprience elle-mme, M. de R. reprend ses interrogations.- Comment, en latin, se dit Rose ?Pas de rponse. En effet, en huitime, on ne m'enseignait pas encore le latin.

    - Qui a tu le gant Goliath ?- David.- Quel est le successeur d'Henri IV ?- Je ne sais pas.Sans doute j'tais plus instruit en huitime de l'histoire sainte que de l'histoire de France.Puis suivent des interrogations sur les quatre rgles. Il ressort nettement de cet examen

    que tout ce que j'ai appris depuis l'ge de 9 ans environ m'chappe tout fait.Ici une nouvelle rponse une question d'un autre genre tendrait encore trouver que je

    me rends compte, malgr tout, que je suis endormi.- Avez-vous une sur ? demande M. de R.- Oui, mais je ne me la rappelle que toute petite.- Que fait votre pre ?- Je ne l'ai plus.C'est l ce que je rponds. Or, quand j'avais 9 ans, mon pre vivait encore ; il faut donc

    que j'aie la notion du prsent, que ce soit mon moi actuel qui parle dans ce cas.La sance prend fin. Beaucoup de fatigue.Au rveil, M. de R. me demande si j'ai vu un tranger pendant mon sommeil. Je prtends

    avoir seulement entendu M. de R. parler un autre que moi, mais sans voir personne. Il estcependant rel qu'un employ est venu demander un renseignement M. de R. alors que j'taisendormi mais, dans le troisime tat, le sujet ne voit, je l'ai dit, que le magntiseur et les objetsqu'il touche. Ma rponse confirme cette loi.

    27 octobre 1893

    Sance assez longue mais M. de R. ayant oubli de me suggrer le souvenir de ce qui sepasserait, je ne me souviens de rien. Il semble qu'on peut, en se pressant fortement le front,voquer les sensations prouves, toutefois l'imagination me parat, au moins en ce qui meconcerne, fausser alors la mmoire. Le souvenir n'ayant pas un air de certitude absolue, commecelui qu'il a sous l'influence de la suggestion, il est plus sage de ne pas y ajouter foi41.

    8 novembre 1893Il faut que je parle d'un phnomne que j'ai frquemment observ ces jours-ci.Ds que je suis en prsence de M. de R., je me sens sous son influence, alors mme que,

    dans la conversation, il ne s'agit pas d'hypnotisme et sans que M. de R. fasse des passes ou mefixe pour amener le somnambulisme.

    Dans le jardin du Luxembourg, avant-hier, pendant que je me promenais avec lui, M. deR. me jette cet ordre : Vous ne pouvez plus marcher. Immdiatement je reste sur place, lesjambes raides, quelque peu que je me rends compte que je suis sous l'influence effray, mais,sans raison, car, d'eux-mmes, aussitt d'une suggestion, mes muscles se relchent et je continuela promenade sans la moindre gne.

    41 J'avais, dans cette sance, constat, l'aide de questions portant successivement depuis les vnements les plusrcents, jusqu'au nom de son professeur de 8e, que ses souvenirs se concentraient sur des vnements de plus en pluslointains mesure que l'hypnose s'approfondissait.

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    Averti ainsi que M. de R. cherche, en ce moment, essayer sa puissance sur un sujetveill, je me tiens sur mes gardes, pensant que ma volont sera capable de lutter contre lesordres reus. Et, en effet, ragissant en quelque sorte par avance ds que M. de R. ouvre labouche, j'arrive empcher que la suggestion se ralise, sans toutefois pouvoir retenir un geste peine esquiss qui est le commencement de la ralisation.

    - Laissons cela, me dit M. de R. Et parlons d'autre chose.Je ne songe plus une suggestion possible lorsque M. de R. brusquement s'crie :- Ouvrez votre main droite.Pris au dpourvu, j'obis aussitt et ma canne tombe terre.Ce matin, la prsence seule du magntiseur a suffi pour me faire tomber dans la premire

    lthargie. Sans doute j'tais venu chez M. de R. pour tre endormi, je m'tais mme dj assis enface de lui, je n'avais pas l'ide de rsister son influence magntique (et ce sont l desconditions essentielles du phnomne qui s'est produit), encore est-ce la premire fois que je leremarque et que je me sois endormi l'insu du magntiseur.

    M. de R. me pousse jusqu'au troisime tat, l'tat de rapport. Mme oblitration de lammoire pour tout ce qui touche la priode de ma vie coule depuis l'ge de 9 ans. En vrit jem'tonne de revenir d'un seul coup cet ge l, sans passer par des tapes progressives42. Le faitn'en est pas moins rel ; je raisonne clairement mais je m'exprime avec un vocabulaire restreint.J'en suis aux quatre rgles pour les mathmatiques et je fais des fautes d'orthographe en crivant.Mon criture est enfantine ; je regrette de ne pouvoir la comparer celle dont je griffonnais mescahiers d'colier, perdus. Je ne me souviens pas d'avoir eu aujourd'hui ce subit clair deconscience qui me fit, une seconde, connatre, durant la prcdente sance, que j'tais endormi.

    Il faut noter que la suggestion a moins de force dans ce troisime tat que dans les tatsprcdents. D'aprs M. de R. je suis un de ceux qui y sont le plus sensibles; malgr cela, j'y cdemoins facilement que dans le deuxime tat (somnambulisme).

    Si, par exemple, durant ce deuxime tat, M. de R. m'ordonne, alors qu'il est derrire moi,de le voir en chair et en os dans le fauteuil qui me fait vis--vis, l'hallucination est complte : jevois et touche en effet un personne vivante, et la sensation n'est pas plus nette, quand M. de R.s'assied lui-mme dans le fauteuil.

    Au contraire, dans le troisime tat, sur l'ordre de M. de R. je le vois bien et le sens bien lo il n'est pas mais, s'il se porte rellement l'endroit o je crois le voir, je m'aperois de monerreur, tandis que, dans le deuxime tat, entre son image et lui je ne trouvais point de diffrence.

    12 novembre 1893Expriences faites de nouveau dans le troisime tat. L'extriorisation de la sensibilit suit

    les mmes lois que dans le deuxime tat. Il y a des zones sensibles rpandues tout autour de moncorps et spares par des intervalles constants o l'excitation reste vaine. Ces zones sensibles sontd'ailleurs invisibles pour moi ; je ne vois pas traces d'effluves. De plus, je remarque toujours quela raction l'excitation est plus vive et la sensation plus nette, lorsque je suis averti et que je vois

    le point de la zone sur lequel porte l'excitation.On teint les lumires et on laisse la pice dans une obscurit complte, M. de R. me

    prsente alors un aimant, sans que je le sache. Au bout d'un instant je distingue deux lueursquelque part dans l'espace. C'est prcisment l que se trouve l'aimant. D'ailleurs ces lueurs sontsi vagues pour mes yeux que je ne puis exactement dfinir leur couleur rciproque.

    42 Les tapes progressives existent bien, mais je n'interrogeais pas le sujet pendant leur dure parce que, dans lasance du 27 octobre, j'avais dj tudi ce qui pouvait m'intresser.

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  • 8/6/2019 Vies Success Ives

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    M. de R. me tend ensuite ses doigts ; ils ne m'apparaissent pas plus lumineux que je ne lesvois d'ordinaire43; en tous cas je ne vois aucun effluve s'en dgageant.

    Enfin M. de R., posant ma main sur sa poitrine, me demande si je ne vois pas au-dedansde lui. Absolument pas. Et je ne vois pas non plus en moi-mme.

    Je crois prudent d'arrter ici ces notes. A mesure que le sujet parvient un tat plus

    profond, la suggestion a de moins en moins prise sur lui. Ds lors M. de R. a beau me suggrer lesouvenir de ce qui se passe durant mon sommeil ; rveill, je ne me rappelle aucune de mesactions, aucune de mes paroles. J'ai dit qu'en se pressant fortement le front, et, par un effortpersistant, on pouvait voquer des paroles et des actions qu'on croit bien avoir dites et faites ;mais j'ai ajout aussi que cela avait comme un air d'illusion.

    A partir du moment o je suis entr dans des tats plus profonds que le troisime, j'ai dme rsigner ne plus m'observer moi-mme, et, pour savoir ce qui m'arriva, me fixer, ce que jefais sans peine, aux observations objectives de M. de Rochas.

    Laurent.

    CASN 2 - Josphine, 1904

    Josphine est une jeune fille de 18 ans ; elle est domestique chez un marchand tailleur, deVoiron, M. C..., qui s'occupe, ainsi que sa femme, de spiritisme, dont ils sont les seuls adeptesdans cette ville. Elle est d'une intelligence trs ordinaire et familirement traite par ses matresqui l'accusent seulement d'tre un peu ruse44. Je l'ai endormie au moyen de passes longitudinalespour savoir les phnomnes qu'elle prsenterait, et je fus tonn de constater que, sans aucunesuggestion, je lui faisais remonter le cours de sa vie comme Laurent que je n'avais plus observdepuis 1893. La voici l'ge de 7 ans. Je lui demande ce qu'elle fait ? Je vais l'cole. Savez-vous crire ? Oui, je commence . Je lui mets une plume en main, elle crit trs bien papa etmaman. Je continue les passes magntiques et je la ramne 5 ans. Montrez-nous comme vouscrivez bien . Elle crit par syllabes,pa pa. Je lui mets en main un mouchoir, lui disant que c'estune poupe ; elle parat trs contente et se met la choyer. Elle a toutes les apparences d'unefillette de cet ge. Nouvelles passes ; elle est probablement au berceau et ne peut plus parler. Jelui mets l'extrmit du doigt dans la bouche, elle le tte.

    Aprs quelques sances destines l'assouplir et diminuer le temps ncessaire pourl'amener l'tat de cette premire enfance, j'eus l'ide de continuer les passes longitudinales.Interroge, Josphine rpondit par signes mes questions et c'est a