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GALLIMARD PATRICK MODIANO L HORIZON roman Extrait de la publication

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  • GALL IMARD

    L’HORIZON

    PATRICKMODIANO

    -:HSMARA=VW]Y\V: 10-III A 12847 ISBN 978-2-07-012847-1 16,50 €

    PATRICK MODIANO

    L’horizon

    « Il suivait la Dieffenbachstrasse. Une averse tom-bait, une averse d’été dont la violence s’atténuait à mesure qu’il marchait en s’abritant sous les arbres. Longtemps, il avait pensé que Margaret était morte. Il n’y a pas de raison, non, il n’y a pas de raison. Même l’année de nos naissances à tous les deux, quand cette ville, vue du ciel, n’était plus qu’un amas de décombres, des lilas fleurissaient parmi les ruines, au fond des jardins. »

    G A L L I M A R D

    PATRICK MODIANO

    L’HORIZONroman

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    Extrait de la publication

  • DU MÊME AUTEUR

    Aux Éditions Gallimard

    LA PLACE DE L’ÉTOILE, roman. Nouvelle édition revue et corrigée en 1995(«þFolioþ», n°þ698).

    LA RONDE DE NUIT, roman («þFolioþ», n°þ835).

    LES BOULEVARDS DE CEINTURE, roman («þFolioþ», n°þ1033).

    VILLA TRISTE, roman («þFolioþ», n°þ953).

    EMMANUEL BERL, INTERROGATOIRE suivi de IL FAIT BEAUALLONS AU CIMETIÈRE. Interview, préface et postface de Patrick Modiano(«þTémoinsþ»).

    LIVRET DE FAMILLE («þFolioþ», n°þ1293).

    RUE DES BOUTIQUES OBSCURES, roman («þFolioþ», n°þ1358).

    UNE JEUNESSE, roman («þFolio Plusþ», n°þ5. Contient notes et dossier réalisé par Anne-Marie Macé).

    DE SI BRAVES GARÇONS («þFolioþ», n°þ1811).

    QUARTIER PERDU, roman («þFolioþ», n°þ1942).

    DIMANCHES D’AOÛT, roman («þFolioþ», n°þ2042).

    UNE AVENTURE DE CHOURA. Illustrations de Dominique Zehrfuss («þAlbumsJeunesseþ»).

    UNE FIANCÉE POUR CHOURA. Illustrations de Dominique Zehrfuss («þAlbumsJeunesseþ»).

    VESTIAIRE DE L’ENFANCE, roman («þFolioþ», n°þ2253).

    VOYAGE DE NOCES, roman («þFolioþ», n°þ2330).

    UN CIRQUE PASSE, roman («þFolioþ», n°þ2628).

    DU PLUS LOIN DE L’OUBLI, roman («þFolioþ», n°þ3005).

    DORA BRUDER («þFolioþ», n°þ3181).

    DORA BRUDER. Accompagnement critique par Bruno Doucey, avec la participation deMarc-Henri Arfeux («þLa Bibliothèque Gallimardþ», n°þ144).

    DORA BRUDER. Lu par Didier Sandre accompagné par la musique originale deMarie-Jeanne Séréro. Conception graphique d’Élisabeth Cohat («þÉcoutez Lireþ»).

    Suite des œuvres de Patrick Modiano en fin de volume.

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  • l’ horizon

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  • G A L L I M A R D

    PATRICK MODIANO

    L ’ H O R I Z O Nr o m a n

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    Extrait de la publication

  • Il a été tiré de l’édition originale de cet ouvragecent exemplaires sur vélin pur fil des papeteries Malmenayde

    numérotés de 1 à 100.

    © Éditions Gallimard, 2010.

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  • Pour Akako

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    Depuis quelque temps Bosmans pensait à cer-tains épisodes de sa jeunesse, des épisodes sanssuite, coupés net, des visages sans noms, des ren-contres fugitives. Tout cela appartenait à un passélointain, mais comme ces courtes séquencesn’étaient pas liées au reste de sa vie, elles demeu-raient en suspens, dans un présent éternel. Il necesserait de se poser des questions là-dessus, et iln’aurait jamais de réponses. Ces bribes seraienttoujours pour lui énigmatiques. Il avait commencéà en dresser une liste, en essayant quand mêmede retrouver des points de repèreþ: une date, unlieu précis, un nom dont l’orthographe lui échap-pait. Il avait acheté un carnet de moleskine noirequ’il portait dans la poche intérieure de sa veste,ce qui lui permettait d’écrire des notes à n’importequel moment de la journée, chaque fois que l’unde ses souvenirs à éclipses lui traversait l’esprit. Ilavait le sentiment de se livrer à un jeu de patience.

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    Mais, à mesure qu’il remontait le cours du temps,il éprouvait parfois un regretþ: pourquoi avait-ilsuivi ce chemin plutôt qu’un autreþ? Pourquoiavait-il laissé tel visage ou telle silhouette, coifféed’une curieuse toque en fourrure et qui tenaiten laisse un petit chien, se perdre dans l’inconnuþ?Un vertige le prenait à la pensée de ce qui auraitpu être et qui n’avait pas été.

    Ces fragments de souvenirs correspondaient auxannées où votre vie est semée de carrefours, ettant d’allées s’ouvrent devant vous que vous avezl’embarras du choix. Les mots dont il remplissaitson carnet évoquaient pour lui l’article concer-nant la «þmatière sombreþ» qu’il avait envoyé à unerevue d’astronomie. Derrière les événementsprécis et les visages familiers, il sentait bien toutce qui était devenu une matière sombreþ: brèvesrencontres, rendez-vous manqués, lettres perdues,prénoms et numéros de téléphone figurant dansun ancien agenda et que vous avez oubliés, etcelles et ceux que vous avez croisés sans même lesavoir. Comme en astronomie, cette matière som-bre était plus vaste que la partie visible de votrevie. Elle était infinie. Et lui, il répertoriait dans soncarnet quelques faibles scintillements au fond decette obscurité. Si faibles, ces scintillements, qu’ilfermait les yeux et se concentrait, à la recherched’un détail évocateur lui permettant de reconsti-tuer l’ensemble, mais il n’y avait pas d’ensemble,

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    rien que des fragments, des poussières d’étoiles. Ilaurait voulu plonger dans cette matière sombre,renouer un à un les fils brisés, oui, revenir enarrière pour retenir les ombres et en savoir pluslong sur elles. Impossible. Alors il ne restait plusqu’à retrouver les noms. Ou même les prénoms.Ils servaient d’aimants. Ils faisaient ressurgir desimpressions confuses que vous aviez du mal àéclaircir. Appartenaient-elles au rêve ou à la réa-litéþ?

    Mérovée. Un nom ou un surnomþ? Il ne fallaitpas trop se concentrer là-dessus de crainte que lescintillement ne s’éteigne pour de bon. C’étaitdéjà bien de l’avoir noté sur son carnet. Mérovée.Faire semblant de penser à autre chose, le seulmoyen pour que le souvenir se précise de lui-même, tout naturellement, sans le forcer. Méro-vée.

    Il marchait le long de l’avenue de l’Opéra, verssept heures du soir. Était-ce l’heure, ce quartierproche des Grands Boulevards et de la Bourseþ?Le visage de Mérovée lui apparaissait maintenant.Un jeune homme aux cheveux blonds bouclés,avec un gilet. Il le voyait même habillé en groom— l’un de ces grooms à l’entrée des restaurantsou à la réception des grands hôtels, l’air d’enfantsprécocement vieillis. Lui aussi, ce Mérovée, il avaitle visage flétri malgré sa jeunesse. On oublie lesvoix, paraît-il. Et pourtant il entendait encore le

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    timbre de sa voix — un timbre métallique, unton précieux pour dire des insolences qui se vou-laient celles d’un gavroche ou d’un dandy. Etpuis, brusquement, un rire de vieillard. C’étaitdu côté de la Bourse, vers sept heures du soir, àla sortie des bureaux. Les employés s’écoulaienten groupes compacts, et ils étaient si nombreuxqu’ils vous bousculaient sur le trottoir et quevous étiez pris dans leur flot. Ce Mérovée et deuxou trois personnes du même groupe sortaient del’immeuble. Un gros garçon à la peau blanche,inséparable de Mérovée, buvait toujours ses paro-les d’un air à la fois effarouché et admiratif. Unblond au visage osseux portait des lunettes tein-tées et une chevalière, et, le plus souvent, gardaitle silence. Leur aîné devait avoir environ trente-cinq ans. Son visage était encore plus net dans lesouvenir de Bosmans que celui de Mérovée, unvisage empâté, un nez court qui lui faisait unetête de bouledogue sous des cheveux bruns pla-qués en arrière. Il ne souriait jamais et il semontrait très autoritaire. Bosmans avait cru com-prendre qu’il était leur chef de bureau. Il leurparlait avec sévérité comme s’il était chargé deleur éducation et les autres l’écoutaient, en bonsélèves. C’est à peine si Mérovée se permettait detemps en temps une remarque insolente. Lesautres membres du groupe, Bosmans ne s’ensouvenait pas. Des ombres. Le malaise que lui

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    causait ce nom, Mérovée, il le retrouvait quanddeux mots lui étaient revenus en mémoireþ: «þlaBande Joyeuseþ».

    Un soir que Bosmans comme d’habitude atten-dait Margaret Le Coz devant l’immeuble, Méro-vée, le chef de bureau et le blond aux lunettesteintées étaient sortis les premiers et s’étaient diri-gés vers lui. Le chef de bureau lui avait demandéà brûle-pourpointþ:

    «þVous voulez faire partie de la Bande Joyeuseþ?þ»Et Mérovée avait eu son rire de vieillard. Bos-

    mans ne savait quoi répondre. La Bande Joyeuseþ?L’autre, le visage toujours aussi sévère, le regarddur, lui avait ditþ: «þC’est nous, la Bande Joyeuseþ»,et Bosmans avait jugé cela plutôt comique àcause du ton lugubre qu’il avait pris. Mais, à lesconsidérer tous les trois ce soir-là, il les avait ima-ginés de grosses cannes à la main, le long desboulevards, et, de temps en temps, frappant unpassant par surprise. Et, chaque fois, on auraitentendu le rire grêle de Mérovée. Il leur avaitditþ:

    «þEn ce qui concerne la Bande Joyeuse… lais-sez-moi réfléchir.þ»

    Les autres paraissaient déçus. Au fond, il lesavait à peine connus. Il avait été seul en leur pré-sence pas plus de cinq ou six fois. Ils travaillaientdans le même bureau que Margaret Le Coz etc’était elle qui les lui avait présentés. Le brun à la

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    tête de bouledogue était son supérieur et elledevait se montrer aimable avec lui. Un samediaprès-midi, il les avait rencontrés sur le boule-vard des Capucines, Mérovée, le chef de bureauet le blond aux lunettes teintées. Ils sortaientd’une salle de gymnastique. Mérovée avait insistépour qu’il vienne prendre «þun verre et un maca-ronþ» avec eux. Il s’était retrouvé de l’autre côtédu boulevard à une table du salon de thé La Mar-quise de Sévigné. Mérovée semblait ravi de lesavoir entraînés dans cet établissement. Il inter-pellait l’une des serveuses, en habitué du lieu, etcommandait d’une voix tranchante «þdu thé etdes macaronsþ». Les deux autres le considéraientavec une certaine indulgence, ce qui avait étonnéBosmans de la part du chef de bureau, lui sisévère d’habitude.

    «þAlors, pour notre Bande Joyeuse… vous avezpris une décisionþ?þ»

    Mérovée avait posé la question à Bosmans d’unton sec et celui-ci cherchait un prétexte pour quit-ter la table. Leur dire, par exemple, qu’il devaitaller téléphoner. Il leur fausserait compagnie.Mais il pensait à Margaret Le Coz qui était leurcollègue de bureau. Il risquait de les rencontrerde nouveau, chaque soir, quand il venait la cher-cher.

    «þAlors, ça vous dirait d’être un membre denotre Bande Joyeuseþ?þ»

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    Mérovée insistait, de plus en plus agressif,comme s’il voulait provoquer Bosmans. On auraitcru que les deux autres se préparaient à suivreun match de boxe, le brun à tête de bouledogueavec un léger sourire, le blond impassible der-rière ses lunettes teintées.

    «þVous savez, avait déclaré Bosmans d’une voixcalme, depuis le pensionnat et la caserne, jen’aime pas tellement les bandes.þ»

    Mérovée, décontenancé par cette réponse, avaiteu son rire de vieillard. Ils avaient parlé d’autrechose. Le chef de bureau, d’une voix grave, avaitexpliqué à Bosmans qu’ils fréquentaient deuxfois par semaine la salle de gymnastique. Ils ypratiquaient diverses disciplines, dont la boxefrançaise et le judo. Et il y avait même une salled’armes avec un professeur d’escrime. Et, lesamedi, on s’inscrivait pour un «þcrossþ» ou une«þcendréeþ» au bois de Vincennes.

    «þVous devriez venir faire du sport avecnous…þ»

    Bosmans avait l’impression qu’il lui donnaitun ordre.

    «þJe suis sûr que vous ne faites pas assez desport…þ»

    Il le fixait droit dans les yeux et Bosmans avaitde la peine à soutenir ce regard.

    «þAlors, vous viendrez faire du sport avecnousþ?þ»

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    Son gros visage de bouledogue s’éclairait d’unsourire.

    «þD’accord pour un jour de la semaineþpro-chaineþ? Je vous inscris rue Caumartinþ?þ»

    Cette fois-ci, Bosmans ne savait plus quoirépondre. Oui, cette insistance lui rappelait letemps lointain du pensionnat et de la caserne.

    «þTout à l’heure, vous m’avez bien dit que vousn’aimiez pas les bandesþ? lui demanda Mérovéed’une voix aiguë. Vous préférez sans doute lacompagnie de Mlle Le Cozþ?þ»

    Les deux autres avaient l’air gênés de cetteremarque. Mérovée gardait le sourire, mais ilsemblait quand même craindre la réaction deBosmans.

    «þMais oui, c’est cela. Vous avez sans doute rai-sonþ», avait répondu doucement Bosmans.

    Il les avait quittés sur le trottoir. Ils s’éloi-gnaient dans la foule, le chef de bureau et leblond aux lunettes teintées marchant côte à côte.Mérovée, légèrement en arrière, se retournait etlui faisait un geste d’adieu. Et si sa mémoire letrompaitþ? C’était peut-être un autre soir, à septheures devant l’immeuble des bureaux, quand ilattendait la sortie de Margaret Le Coz.

    Quelques années plus tard, vers deux heuresdu matin, il traversait en taxi le carrefour où secroisent la rue du Colisée et l’avenue Franklin-Roosevelt. Le chauffeur s’arrêta au feu rouge.

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    Juste en face, en bordure du trottoir, quelqu’unétait immobile, très raide, vêtu d’une pèlerinenoire, pieds nus dans des spartiates. Bosmansreconnut Mérovée. Le visage était amaigri, lescheveux coupés ras. Il se tenait là, en faction, et,au passage des rares voitures, il ébauchait chaquefois un sourire. Un rictus plutôt. On aurait ditqu’il faisait le tapin pour des clients d’outre-tombe. C’était une nuit de janvier, particulière-ment froide. Bosmans avait envie de le rejoindreet de lui parler, mais il se dit que l’autre ne lereconnaîtrait pas. Il le voyait encore, à travers lavitre arrière et jusqu’à ce que la voiture tourne auRond-Point. Il ne pouvait détacher les yeux decette silhouette immobile, en pèlerine noire, et ilse rappelait brusquement le gros garçon à lapeau blanche qui accompagnait souvent Mérovéeet semblait tant l’admirer. Qu’était-il devenuþ?

    Il y en avait des dizaines et des dizaines de fan-tômes de cette sorte. Impossible de donner unnom à la plupart d’entre eux. Alors, il se conten-tait d’écrire une vague indication sur son carnet.La fille brune avec la cicatrice, qui se trouvaittoujours à la même heure sur la ligne Porte-d’Orléans / Porte-de-Clignancourt… Le plus sou-vent, c’était une rue, une station de métro, uncafé qui les aidaient à ressurgir du passé. Il sesouvenait de la clocharde à la gabardine, l’allured’un ancien mannequin, qu’il avait croisée à plu-

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    sieurs reprises dans des quartiers différentsþ: ruedu Cherche-Midi, rue de l’Alboni, rue Corvisart…

    Il s’était étonné que, parmi les millions d’habi-tants que comptait une grande ville comme Paris,on puisse tomber sur la même personne, à delongs intervalles, et chaque fois dans un endroittrès éloigné du précédent. Il avait demandé sonavis à un ami qui faisait des calculs de probabili-tés en consultant les numéros du journal ParisTurf des vingt dernières années, pour jouer auxcourses. Non, pas de réponse à cela. Bosmansavait alors pensé que le destin insiste quelque-fois. Vous croisez à deux, trois reprises la mêmepersonne. Et si vous ne lui adressez pas la parole,alors tant pis pour vous.

    La raison sociale des bureauxþ? Quelque chosecomme «þRichelieu Interimþ». Oui, disonsþ: Riche-lieu Interim. Un grand immeuble de la rue duQuatre-Septembre, autrefois le siège d’un jour-nal. Une cafétéria au rez-de-chaussée, où il avaitrejoint deux ou trois fois Margaret Le Coz parceque l’hiver de cette année-là était rude. Mais ilpréférait l’attendre dehors.

    La première fois, il était même monté la cher-cher. Un énorme ascenseur de bois clair. Il avaitpris l’escalier. À chaque étage, sur les doubles

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    portes, une plaque avec le nom d’une société. Ilavait sonné à celle qui indiquait Richelieu Inte-rim. Elle s’était ouverte automatiquement. Aufond de la pièce, de l’autre côté d’une sorte decomptoir surmonté d’un vitrage, Margaret LeCoz était assise à l’un des bureaux, commed’autres personnes autour d’elle. Il avait frappé àla vitre, elle avait levé la tête et lui avait fait signede l’attendre en bas.

    Il se tenait toujours en retrait, à la lisière dutrottoir, pour n’être pas pris dans le flot de ceuxqui sortaient de l’immeuble à la même heuretandis que retentissait une sonnerie stridente.Les premiers temps, il craignait de la manquerdans cette foule, et il lui avait proposé de porterun vêtement grâce auquel il pourrait la repérerþ:un manteau rouge. Il avait l’impression de guet-ter quelqu’un à l’arrivée d’un train, quelqu’unque vous essayez de reconnaître parmi les voya-geurs qui passent devant vous. Ils sont de moinsen moins nombreux. Des retardataires, là-bas,descendent du dernier wagon, et vous n’avez pasencore perdu tout espoir…

    Elle avait travaillé une quinzaine de jours dansune annexe de Richelieu Interim, pas très loin,du côté de Notre-Dame-des-Victoires. Il l’atten-dait, là aussi, à sept heures du soir, au coin de larue Radziwill. Elle était seule quand elle sortaitdu premier immeuble sur la droite, et, la voyant

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    marcher vers lui, Bosmans avait pensé que Mar-garet Le Coz ne risquerait plus de se perdre dansla foule — une crainte qu’il éprouvait parmoments, depuis leur première rencontre.

    Ce soir-là, sur le terre-plein de la place del’Opéra, des manifestants étaient rassemblés faceà une rangée de CRS qui formaient une chaînetout le long du boulevard, apparemment pourprotéger le passage d’un cortège officiel. Bosmansétait parvenu à se glisser à travers cette foulejusqu’à la bouche du métro, avant la charge desCRS. Il avait à peine descendu quelques marchesque, derrière lui, des manifestants refluaient enbousculant ceux qui les précédaient dans les esca-liers. Il avait perdu l’équilibre et entraîné unefille en imperméable devant lui, et tous deux,sous la pression des autres, étaient plaqués contrele mur. On entendait des sirènes de police. Aumoment où ils risquaient d’étouffer, la pressions’était relâchée. Le flot continuait à s’écouler lelong des escaliers. L’heure de pointe. Ils étaientmontés ensemble dans une rame. Tout à l’heure,elle s’était blessée contre le mur et elle saignait àl’arcade sourcilière. Ils étaient descendus deuxstations plus loin et il l’avait emmenée dans unepharmacie. Ils marchaient l’un à côté de l’autre àla sortie de la pharmacie. Elle portait un spara-drap au-dessus de l’arcade sourcilière, et il y avaitune tache de sang sur le col de son imperméable.

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  • Aux Éditions du Mercure de France

    ÉPHÉMÉRIDE («þLe Petit Mercureþ»).

    Aux Éditions de l’Acacia

    DIEU PREND-IL SOIN DES BŒUFSÞ?, en collaboration avec GérardGarouste.

    Aux Éditions de l’Olivier

    28 PARADIS, en collaboration avec Dominique Zehrfuss.

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  • L’Horizon Patrick Modiano

    Cette édition électronique du livre L’Horizon de Patrick Modiano

    a été réalisée le 03/02/2010 par les Editions Gallimard. Elle repose sur l'édition papier du même ouvrage, achevé

    d'imprimer en février 2010 (ISBN : 9782070128471) Code Sodis : N43068 - ISBN : 9792072405624

    Numéro d’édition : 172906

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