University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont...

19
University of Groningen L'approche communicative des campagnes de sensibilisation en santé publique au Burkina Faso Bougaïré-Zangréyanogho, Marie Danielle IMPORTANT NOTE: You are advised to consult the publisher's version (publisher's PDF) if you wish to cite from it. Please check the document version below. Document Version Publisher's PDF, also known as Version of record Publication date: 2004 Link to publication in University of Groningen/UMCG research database Citation for published version (APA): Bougaïré-Zangréyanogho, M. D. (2004). L'approche communicative des campagnes de sensibilisation en santé publique au Burkina Faso: les cas de la planification familiale, du sida et de l'excision s.n. Copyright Other than for strictly personal use, it is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of the author(s) and/or copyright holder(s), unless the work is under an open content license (like Creative Commons). Take-down policy If you believe that this document breaches copyright please contact us providing details, and we will remove access to the work immediately and investigate your claim. Downloaded from the University of Groningen/UMCG research database (Pure): http://www.rug.nl/research/portal. For technical reasons the number of authors shown on this cover page is limited to 10 maximum. Download date: 12-09-2018

Transcript of University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont...

Page 1: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

University of Groningen

L'approche communicative des campagnes de sensibilisation en santé publique au BurkinaFasoBougaïré-Zangréyanogho, Marie Danielle

IMPORTANT NOTE: You are advised to consult the publisher's version (publisher's PDF) if you wish to cite fromit. Please check the document version below.

Document VersionPublisher's PDF, also known as Version of record

Publication date:2004

Link to publication in University of Groningen/UMCG research database

Citation for published version (APA):Bougaïré-Zangréyanogho, M. D. (2004). L'approche communicative des campagnes de sensibilisation ensanté publique au Burkina Faso: les cas de la planification familiale, du sida et de l'excision s.n.

CopyrightOther than for strictly personal use, it is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of theauthor(s) and/or copyright holder(s), unless the work is under an open content license (like Creative Commons).

Take-down policyIf you believe that this document breaches copyright please contact us providing details, and we will remove access to the work immediatelyand investigate your claim.

Downloaded from the University of Groningen/UMCG research database (Pure): http://www.rug.nl/research/portal. For technical reasons thenumber of authors shown on this cover page is limited to 10 maximum.

Download date: 12-09-2018

Page 2: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

CHAPITRE 3 _________________________________________________________________________ 39

Chapitre 3 : Analyse de l’approche communicative des campagnes Ce chapitre vise à analyser l’approche communicative des acteurs chargés de l’organisation générale des campagnes et de la conception des outils de communication. Nous avons réalisé des interviews auprès de responsables de campagnes, de leaders d’opinions et d’intermédiaires servant de relais auprès des publics cibles. Leurs rôle et fonctions essentiels dans le processus de sensibilisation, leur vision sur la faible adoption de la contraception, la progression du sida et la persistance de l’excision, leurs opinions sur la faiblesse de l’impact des campagnes et leurs suggestions pour améliorer les résultats, constituent nos principaux axes de réflexion dans ce chapitre. Notre analyse s’intéresse aussi à la démarche globale (aspect communicationnel) adoptée par les concepteurs de messages tels que Synergie, une agence de communication et l’ASEMO (l’association des jeunes de Ouayalguin, un quartier périphérique de Ouagadougou). Les outils étudiés sont les boîtes à images conçues par Synergie, et une causerie-débat organisée par l’ASEMO.

Le chapitre comporte deux parties : la première partie retrace l’organisation globale des campagnes. Il s’agit notamment de comprendre qui sont les populations cibles visées, quels sont les outils de communications utilisés et quel est le rôle des différents acteurs (responsables, leaders, intermédiaires, Synergie et ASEMO). Concernant les outils, nous prendrons également en compte, les outils analysés dans l’étude pilote, c’est-à-dire des spots (télé et radio), et un livret. La seconde partie propose d’évaluer par une lecture analytique l’approche communicative des animateurs dans un premier temps, puis celle de Synergie et de l’ASEMO. Les critères d’analyse suivront le processus de conception d’une campagne évoqué dans la méthodologie générale.

3.1. Le développement et la réalisation des campagnes

3.1.1. Les organisateurs des campagnes L’organisation des campagnes au Burkina Faso relève de trois niveaux de responsabilités. Tout d’abord, les responsables d'institutions étatiques sont chargés de mener une sensibilisation auprès des structures administratives et des décideurs politiques. Ensuite, doivent être considérés ceux qui exécutent les programmes d'activités, qui agissent concrètement sur le terrain. Parmi eux, on compte les leaders d’opinions, les intermédiaires, le personnel de l’action sociale et de la santé. Nous avons réalisé des interviews avec eux afin de cerner précisément leur rôle dans la promotion de la planification familiale, la lutte contre le sida et l’excision. Notre objectif est ici de comprendre leurs atouts mais aussi les limites de leur champ d’action. A travers le récit de ceux qui ont la responsabilité de faire passer les messages, nous saisissons mieux les causes des insuffisances des campagnes. Afin de préserver une certaine objectivité, nous avons rencontré des personnes ressources de différentes structures chargées de la sensibilisation. Ces personnes ressources nous ont été indiquées par le CNLPE (le Comité National de Lutte contre l’Excision), Le CNLS (Le Comité National de Lutte conte le Sida et l’ABBEF (L’Association Burkinabè du Bien-Etre Familial.

Enfin, plusieurs associations et agences de communication sont impliquées sur le terrain. Les agences sont souvent sollicitées par les comités nationaux tels que le Comité National de Lutte contre le Sida ou le Comité National de Lutte contre l’Excision pour la conception d’outils de communication. Les associations elles, apportent leur contribution par des actions de sensibilisation. Elles sont soutenues par des projets ou par des organismes internationaux et proposent des activités de sensibilisation telles que les causeries-débats. Nous avons jugé utile pour notre étude de l’impact des campagnes, d’intégrer une analyse des matériaux produits par ces agences et associations. Nous avons choisi de porter un regard critique sur l’organisation générale (du point de vue communicationnel) de Synergie (une agence de communication) et de l’ASEMO (Association des résidents de Ouayalguin). Nous avons choisi Synergie car beaucoup d'ONG et d'associations se servent des boîtes à images qu’elle a conçues comme illustrations au cours de leurs séances de sensibilisation des populations rurales sans instruction. Notre choix s’est porté également sur l’ASEMO parce que les causeries qu’elle organise s’adressent principalement aux zones défavorisées (population sans instruction). Ces deux structures sont donc représentatives pour notre objet d’étude.

Page 3: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

40 __________________________________ ANALYSE DE L’APPROCHE COMMUNICATIVE DES CAMPAGNES

3.1.2. Les populations cibles visées Les jeunes constituent la cible privilégiée à plusieurs titres. La DSF (direction de la santé et de la famille), s’adresse tout particulièrement aux jeunes. Dans le cadre de son deuxième plan d’action, le Comité National de Lutte contre l’Excision inscrit dans son programme des actions de sensibilisation au profit de la tranche d’âge 0-20 ans. Le personnel de l’action social de Pô mise sur le jeune public de 10 à 24 ans. Il visite les écoles primaires, les centres ménagers et les associations de jeunes. Les médecins de l’hôpital de Bogandé donnent également la priorité aux jeunes lycéens. Le choix des jeunes comme cibles privilégiées s’explique par le fait qu’ils sont susceptibles de changer d’attitude plus facilement que les adultes et les personnes âgées difficiles à convaincre. Concernant le sida, la priorité leur est accordée d’abord parce qu’ils manquent souvent de moyens financiers et d’information et ensuite parce que les adultes, estimant qu’ils ont dépassé le stade de sensibilisation, se croient en sécurité. En ce qui concerne l’excision, les jeunes sont favorisés parce que la tranche d’âge concernée par l’excision a rajeuni. Ceci nous a incitée à opter pour l’analyse de la causerie de Ouayalguin destinée aux jeunes.

Abstraction faite de l’âge, les femmes constituent une cible privilégiée de la sensibilisation, les hommes également mais dans une moindre mesure. C’est pour « ratisser large » que les cibles ont donc été diversifiées. Les médecins de l’hôpital de Bogandé accordent une attention particulière aux femmes en âge de procréer (entre 20 et 35 ans) mais pensent qu’en réalité, ce sont les hommes qui devraient être privilégiés, puisqu’ils détiennent le pouvoir de décision. Une femme ne se rend par exemple jamais dans un centre de santé sans l’accord de son conjoint.

3.1.3. Les outils mis en œuvre Avant de décrire les outils de communication, nous donnerons l’idée générale du contenu des trois sujets abordés, le lieu et les méthodes d’approches des responsables.

3.1.3.1. Comment les trois sujets sont-ils abordés par les animateurs ? Sur le terrain, les agents développent des idées générales au cours des rencontres. C’est pourquoi ils ne sont pas en mesure de citer un exemple type de message écrit mais peuvent en revanche donner les grands axes de ce qu’ils transmettent oralement aux populations. Les messages sur la planification familiale, par exemple, portent sur l’espacement des naissances et non sur la limitation du nombre d’enfants. Ce choix s’explique par le fait que la société Burkinabè est pro-nataliste. Les populations se sentent agressées lorsque les propositions vont dans le sens de la limitation des naissances. L’accent est par conséquent mis sur l’espacement qui assure le bien-être et la santé de la famille.

Les leaders religieux eux, abordent beaucoup plus souvent la question du sida que les autres sujets. Le sida étant une maladie qui touche beaucoup de familles, il constitue une préoccupation pour les fidèles et leurs leaders. Ces derniers, de par leur rôle de prédicateurs, font surtout appel à la sensibilité des fidèles. Les messages principaux se concentrent sur la prise en charge des malades. « Le sida touche et affecte tout le monde sans distinction de race ou de religion. On trouve parmi les personnes infectées des nouveau-nés, des jeunes, des adultes, des hommes et des femmes. Le VIH ne frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, il peut frapper également le conjoint ou la conjointe fidèle. Il frappe celui qui a été contaminé par une transfusion sanguine ». Voilà en substance les messages clés qu’ils disent véhiculer. Les leaders religieux affirment que leur rôle est d’inciter leurs fidèles à apporter un soutien moral aux malades. En outre, l’abstinence et la fidélité sont des valeurs qu’ils encouragent.

Lorsqu’ils ne sont pas véhiculés par les leaders religieux, les principaux messages sur le sida portent sur les modes de protection (port du préservatif, abstinence, fidélité, limitation du nombre partenaires), la gravité de la maladie et le mode de transmission.

En ce qui concerne l’excision, les messages clés sont liés aux méfaits de la pratique : accouchement difficile, risque d’hémorragie mortelle, stérilité. Les attachés aux affaires sociales s’inspirent des grandes lignes développées dans les messages du ministère de l’action sociale. Ils informent également sur la loi coercitive sur l’excision. Sur le fond et sur la forme, les messages délivrés varient selon la localité, la sensibilité et la compréhension de chaque agent. En outre, on constate que la peur est en général utilisée comme moyen de persuasion.

Page 4: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

CHAPITRE 3 _________________________________________________________________________ 41

3.1.3.2. Le lieu et les méthodes d’approches des campagnes En plus de leur rôle de formateurs, les animateurs supervisent les campagnes sur le terrain. Ils organisent des conférences-débats, des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration et de ses délégations. Ils apportent aussi leur appui technique et logistique aux agents qui animent les campagnes. Depuis que les régions sont subdivisées en départements et en districts sanitaires, l'initiative est laissée à chaque localité d'organiser des activités de sensibilisation selon ses moyens et ses disponibilités.

Les chefs coutumiers profitent des fêtes pour faire passer les messages. Pour les religieux, la sensibilisation a lieu dans les églises et les mosquées mais aussi au cours de la catéchèse (cours suivi par les personnes qui veulent être baptisées), ainsi que pendant les cours préparatoires au mariage. La sensibilisation se fait également au marché ou dans les villages environnants.

3.1.3.3. Les outils utilisés Quant aux outils de communication/sensibilisation, l’action sociale plus particulièrement, utilise des affiches, des dépliants, des boîtes à images et des mannequins. D’une façon générale, que ce soit au niveau de la planification familiale, du sida ou de l'excision, tous recourent aux causeries-débats et aux projections de films qui suscitent un fort engouement de la part populations. Les spots (radio et télé) sont autant d’outils de sensibilisation. En quoi consistent précisément ces outils ? Il nous semble important de décrire ici les outils que nous avons cités. Les boîtes à images font l’objet d’une analyse de contenu et d’une analyse conversationnelle alors que les spots et le livret ont été pris comme exemples pour la phase pilote.

Les boîtes à images Les boîtes à images conçues par Synergie portent sur la planification familiale, le sida et l’excision. Ce sont des tableaux à feuilles mobiles. « Elles se présentent sous forme d’une série d’images de grand format reliées entre elles et disposées sur un chevalet qui est présenté face au groupe et permet de passer d’une image à une autre en tournant la page en quelque sorte » (FAO, 1989 : 20) C'est un support de proximité et un moyen d'information collectif. Les images sont utilisées comme illustrations au cours des causeries. Elles sont très utiles pour aider les animateurs dans leur travail de vulgarisation auprès des populations rurales. Les images peuvent aider à surmonter les barrières de l'analphabétisme, elles encouragent à participer à la discussion et à poser des questions sur les illustrations. En outre, les images, si elles sont bien conçues reproduisent la vie quotidienne des populations et permettent une mémorisation du message. Bien agencées, elles doivent également faciliter la compréhension des paysans et surtout maintenir leur attention. Par ailleurs, l'image dispose d'autres atouts dans la communication avec le grand public.

La vue de l'image déclenche une intense activité d'interprétation. « L'image a essentiellement pour fonction d'attirer le lecteur » (Baylor et Mignot, 1994 : 159). Elle représente directement la réalité pour les villageois Burkinabè parce qu'elle leur permet en principe d'identifier leur environnement, leur culture et leur vie quotidienne. L'image peut provoquer des émotions. Elle a une réelle force expressive. Elle semble plus réelle, plus captivante et attrayante que de simples mots. L'image est polysémique, c'est-à-dire qu'une image a toujours une pluralité de sens. C’est pourquoi leur conception demande une véritable réflexion si l’on veut rester le plus proche possible de l’objectif visé.

La causerie-débat Dans le cadre de la causerie-débat, chacun donne son opinion sur les images et écoute l'avis de l'autre. L'émetteur et le récepteur se renvoient constamment un message en discutant. « Il y a le principe de causalité circulaire qui résulte de cette perspective et signifie que le comportement de chacun est pris dans un jeu complexe d'actions et de retro- actions » (Baylor et Mignot, 1994 : 191). C'est un processus circulaire où chaque intervention agit comme un stimulus sur son/ses voisin(s) et appelle une réaction qui, à son tour, deviendra un stimulus pour les autres. Selon ce principe, l'animateur et les participants de la causerie ne se contentent pas d'échanger des informations sur l'excision ou le sida, ils sont engagés dans une activité de coopération verbale. Il s'agit d'une activité conjointe puisque l'énoncé de chacun prend appui sur l'énoncé de l'autre. Il y a donc une réciprocité. D'ailleurs, « le terme interaction suggère dans son étymologie, l'idée d'une action mutuelle, en

Page 5: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

42 __________________________________ ANALYSE DE L’APPROCHE COMMUNICATIVE DES CAMPAGNES

réciprocité » (Baylor et Mignot, 1994 : 193). Mais l'interaction ne se limite pas seulement à la communication verbale. Au cours de la causerie il y a un dialogue, des échanges mais aussi des gestes, des mimiques qui induisent chez les interlocuteurs des réactions. La causerie peut parvenir à sensibiliser si elle respecte les critères propres au processus d’élaboration d’une campagne. Celle que nous analyserons est organisée par l’ASEMO.

Les spots radio et télévision Texte du spot radio

- « Eh ! Bintou où vas-tu à une heure pareille ? - Je vais chez la vieille Fatou. - L’exciseuse là ? Ne me dis pas que tu veux exciser ta fille ! Si c’est vrai ma sœur, tu commets

une grosse erreur ! - Ah ! Ah bon ! - Ah oui ! En excisant ta fille tu l’exposes au sida, au tétanos, aux complications lors de

l’accouchement et même à la mort. - Mais…nous sommes nés trouver, c’est la tradition. - Oh ! Ma sœur prend ce qui est bon dans la tradition et laisse le reste. - Oui ! Hun… »

Le dialogue se termine par un slogan : « Disons non à la pratique de l’excision »

Ce spot de quelques secondes est passé sur les antennes de la radiodiffusion nationale du Burkina. Il est traduit dans les trois principales langues, le mooré, le dioula et le fufuldé. Il est compréhensible parce qu’il est réalisé dans un style radiophonique. Sa simplicité permet aux auditeurs moyens de comprendre facilement le message, lequel symbolise le dialogue entre le CNLPE (la femme qui donne les conseils) et le public cible. Ce dernier est représenté par une femme qui ignore tout des graves conséquences de l’excision, d’où les répliques simplistes et cette justification : « C’est la tradition ». La vieille Fatou est associée ici à la tradition. En effet, en Afrique les vieilles personnes sont garantes de la tradition et tout particulièrement de l’excision qui est pratiquée seulement par de vieilles femmes.

Description du spot télévision Des filles sont regroupées pour être excisées. Généralement, les familles excisent les jeunes filles par groupe du même âge. Elles sont alignées contre un mur. Terrorisées, elles poussent ensemble des cris déchirants, de quoi alerter tout le village. Deux femmes entrent en scène avec une fille plus jeune qui se débat. Elle est excisée et baigne dans le sang. En avant plan, des responsables coutumiers et religieux énoncent le message suivant : « bannissons à jamais l’excision ».

Le livret Le livret est un document d’une vingtaine de pages qui relate une situation de causerie entre une animatrice et des femmes. L’animatrice se sert d’illustrations sur l’excision pour expliquer notamment les conséquences néfastes de la pratique. Ce livret est un outil de travail pour tous ceux qui interviennent dans la sensibilisation tels que les agents de santé, les accoucheuses villageoises et les éducateurs.

Il présente un groupe de femmes qui participent à des séances de sensibilisation. Elles posent des questions qui traduisent leurs croyances sur l’excision. Leurs propos sont surtout dominés par une ignorance des conséquences et un attachement à la tradition. Sali est l’animatrice chargée d’apporter des explications persuasives. Elle met l’accent sur les conséquences néfastes de l’excision à l’aide de démonstrations sur des mannequins. Nopoko est une participante qui pose la majorité des questions, à la fin de la causerie elle est convaincue et décide de se rallier à la lutte contre l’excision. Elle se joint à Sali pour les séances de causeries suivantes. A la fin des rencontres, l’animatrice fait appel au chef du village qui joue de son autorité en proférant des menaces contre les récidivistes.

Page 6: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

CHAPITRE 3 _________________________________________________________________________ 43

3.1.4. Le rôle des animateurs de campagnes, de Synergie et de l’ASEMO Les animateurs ont pour rôle de remplir un certain nombre de tâches liées à l’organisation pratique des campagnes. En ce qui concerne Synergie et l’ASEMO, nous évoquerons les actions ponctuelles qu’elles ont réalisées à savoir l’élaboration des boîtes à images et l’organisation d’une causerie-débat.

3.1.4.1. Les responsables de sensibilisation Les responsables des instances telles que le CNLPE (Comité National de Lutte contre l'Excision), le CNLS (Comité National de Lutte contre le Sida) sont d’une façon générale, des superviseurs. Leur rôle est beaucoup plus administratif qu'opérationnel. Ils doivent sensibiliser tant au niveau des décideurs qu'au niveau de l'administration. C'est ainsi que des activités de plaidoyer sont organisées à l'intention des députés, des membres du gouvernement ou encore des directeurs de service. La DSF (direction de la santé et de la famille) dans le cadre de son programme d'activités a obtenu du chef de l'état en 1997, le lancement d'une campagne de sensibilisation à l'intention des jeunes. Le Comité National de Lutte contre l'Excision a organisé en 1998 une rencontre sous-régionale des organisations féminines de lutte contre les mutilations génitales féminines des pays membres de l'UEMOA (Union Monétaire Ouest Africaine). Le but de la rencontre était d'étudier la possibilité de développer une stratégie commune de lutte contre l'excision dans l'espace UEMOA.

3.1.4.2. Les intermédiaires Les médecins, le personnel de santé et de l’action sociale sont sollicités pour une sensibilisation dans l’exercice de leur fonction. Ils saisissent toute occasion pour informer et sensibiliser les personnes qui fréquentent les centres de soins. Leur rôle est très important dans la mesure où les habitants des zones rurales n’ont pas d’autre recours que les centres de soins pour résoudre leurs problèmes de santé.

Les leaders religieux et coutumiers Les leaders religieux

Comme nous l’avons déjà souligné dans le premier chapitre, la religion a une place importante dans la vie quotidienne des Burkinabè. Par conséquent, les leaders religieux sont une référence pour les fidèles. Face à une population de plus en plus désemparée, ils jouent le rôle éminent de guides. Leurs points de vue sont très respectés. Ils mettent ces atouts à profit pour contribuer à la promotion de la planification familiale, à l’éradication du sida et de l’excision. Le leader religieux est un partenaire, voire un acteur dans la lutte menée par les responsables des campagnes. C’est pourquoi le Comité National de Lutte contre l’Excision (CNLPE) par exemple et le Comité National de Lutte contre le Sida (CNLS) ont dispensé diverses formations aux leaders d’opinions. Cette démarche est pertinente car un leader religieux n’a de nos jours plus seulement un rôle théologique, mais également un rôle de sensibilisateur aux faits de société. De par sa position privilégiée de personne de référence et d’éducateur de la communauté, il aide à déclencher le processus de changement positif en matière de santé. Pour être efficace sur le terrain il doit disposer d’informations complètes sur les sujets sur lesquels il communique. L’imam et le prêtre que nous avons rencontrés ont été approchés par les responsables des campagnes. La mission qui leur est assignée consiste à faire passer des messages au cours de leurs prédications. Ils doivent relayer auprès des fidèles les informations qu’ils ont reçues. Parmi ces leaders d’opinions formés et sollicités, on trouve notamment les leaders communautaires.

Les leaders communautaires « La communauté est un ensemble de personnes partageant un même territoire, entretenant des liens sociaux et économiques et se réclamant des mêmes valeurs culturelles qui forment leur référentiel » (ONUSIDA, 2001 : 92). Dans la communauté, il y a certes des divergences, des luttes internes mais aussi un fort sentiment d’appartenance à une même identité. Au sein de celle-ci émergent des leaders qui par leur sagesse, leur expérience, leur dynamisme, leurs actions, leur disponibilité ou leur charisme font l’unanimité autour d’eux. Ils sont donc écoutés et leurs opinions sont respectées et suivies. Les leaders communautaires exercent donc indéniablement une influence sur la population. Ils sont incontournables lorsqu’il s’agit de proposer à la population un changement de comportement. En tant que guides de leur communauté, ils sont appelés à s’engager personnellement dans la promotion de la planification familiale ainsi que dans la lutte contre le sida et l’excision. Ce sont les délégués de villages, de secteurs ou encore des chefs traditionnels.

Page 7: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

44 __________________________________ ANALYSE DE L’APPROCHE COMMUNICATIVE DES CAMPAGNES

Synergie et l’ASEMO Synergie a élaboré les boîtes à images à la demande des membres du PPLS (le Programme de Lutte contre le Sida). Synergie est une organisation dont les activités sont axées sur la sensibilisation des populations rurales. La boîte à image est un outil mis à la disposition des animateurs communautaires pour les séances d'animation et de sensibilisation. A travers les images, l'émetteur tente d'inculquer des valeurs et de nouveaux comportements aux populations. Nous avons interviewé Jean-Pierre Somda, directeur des relations publiques de Synergie et principal initiateur des boîtes à images. Il nous a donné des informations sur la démarche de son service.

L'ASEMO, (l'Association des résidents de Ouayalguin) est l'instigateur d’une causerie sur le sida. C'est une association qui regroupe les résidants de ce secteur périphérique de Ouagadougou. Sa création avait pour objectif premier de rassembler les habitants autour d’intérêts communs. Avec la recrudescence du sida, les jeunes ont voulu apporter leur contribution dans la lutte contre la maladie. C'est ainsi que quelques-uns d'entre eux se sont formés auprès de Promaco, une société de promotion du préservatif. L'ASEMO s'est alors lancée dans la sensibilisation des quartiers périphériques de la capitale. Ouayalguin est une zone déshéritée à l'image des villages Burkinabè : manque d'eau courante, d'électricité, faible taux de scolarisation, etc. La causerie que nous avons enregistrée était organisée à l’intention des jeunes du quartier.

3.2. Evaluation de l’approche communicative des responsables de campagnes Une lecture analytique des interviews réalisées auprès des responsables de campagne nous permet de faire une évaluation. Cette évaluation permet de dégager 4 freins majeurs au succès des campagnes d’information. Selon les animateurs, certains facteurs psychologiques empêchent les populations de changer d’attitudes et pèsent sur l’évolution de la sensibilisation. Il s’agit essentiellement des attitudes, des croyances et des coutumes. Certains facteurs situationnels d’ordre humain, organisationnel, matériel et linguistique (différentes langues parlées) génèrent également des difficultés diverses. Le rôle des leaders religieux et coutumiers et des intermédiaires a également des limites. Enfin certaines limites communicationnelles doivent être prises en compte.

3.2.1. Les opinions des animateurs de campagnes/les freins psychologiques Nous constatons à travers tous les entretiens que nous avons menés, que les mêmes arguments sont fréquemment cités (surtout dans le cas de l’excision) pour justifier les difficultés des populations à changer d’attitudes. Pour souligner la fréquence de ces arguments, nous les recensons par thème dans les tableaux qui suivent. (Les fonctions des personnes interrogées ont pu changer depuis les entretiens).

Pourquoi les populations expriment-elles toujours une tendance pro-nataliste malgré les campagnes de sensibilisation ?

Auteurs Justifications

Germain Traoré, gynécologue, Responsable de la santé et de la famille, aujourd’hui chargé du Programme Santé de la Reproduction du FNUAP à la direction générale de la santé.

« La valeur de la famille est un facteur limitant. »

Jacob Ouédraogo, curé de la paroisse Notre dame de Fatima de Pô

« A cause de l’analphabétisme… »

Ouédraogo Didier, agent de l’Action Sociale de Pô

« Ils sont souvent sceptiques. Ils se demandent si ce n’est pas encore une façon pour essayer de les dominer. » « Parce que pour eux c’est Dieu qui donne les enfants. »

Page 8: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

CHAPITRE 3 _________________________________________________________________________ 45

A quel niveau se situent les résistances à la prévention contre le sida ?

Auteurs Justifications

Sanou Thomas, médecin et directeur du Comité National de Lutte contre le Sida, actuellement chargé de programme à l’OMS

« C’est parce que les gens n’ont pas l’habitude, si bien que ça devient insolite pour eux. La capote n’est pas à leur portée ou alors c’est purement parce qu’ils ne se sentent pas concernés par rapport à tout ce qui est dit ou ils ne se sentent pas prêts. Les messages ne sont pas clairs. C’est aussi par ignorance. »

Koala Simon, médecin à l’hôpital de Bogandé « Les croyances sont à l’origine du rejet du condom. Ce qui ressort souvent c’est la mauvaise fabrication des condoms, la qualité des condoms. »

Page 9: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

46 __________________________________ ANALYSE DE L’APPROCHE COMMUNICATIVE DES CAMPAGNES

Pourquoi les populations ne veulent-elles pas abandonner l’excision ?

Auteurs Justifications

Lamizana Mariam, présidente du Comité National de Lutte contre l’Excision, aujourd’hui ministre de l’Action Sociale et de la Solidarité Nationale

« Il y a toujours des réticences dues aux pesanteurs socioculturelles. Le principal obstacle auquel nous sommes confrontés c’est le poids de la tradition. Ce sont les pesanteurs socioculturelles. »

Keita Joséphine, responsable du Comité National d’Action pour l’Abandon des Pratiques Néfastes à la Santé de la Femme du Mali

« Les gens pensent que les femmes non excisées sont capables de tuer leur mari durant les rapports sexuels ou de tuer le fœtus. »

Raswork, présidente du Comité Interafricain sur les pratiques ayant effet sur la santé de la femme et des enfants, Ethiopie

« C’est parce que c’est leur valeur, leur coutume, les changements ne viennent pas du jour au lendemain. »

Sanou Thomas, médecin responsable de la prise en charge des malades du sida au Centre National de Lutte contre le Sida, CNLS, chargé de programme à l’OMS.

« La base de la pratique est liée à l’ignorance. Il y a encore une méconnaissance réelle du phénomène de l’excision. Les exciseuses le font pour des raisons pécuniaires. »

Ouédraogo Didier, agent de l’Action Sociale à Pô

« C’est dû simplement à l’ignorance, c’est une question de mentalité. »

Koudjan Dramane, représentant chef coutumier de Pô

« C’est la coutume. »

Koala Simon, agent de l’Action Sociale, Bogandé

« Les gens trouvent que c’est normal à cause de la coutume. »

Marcelin Kaboré, attaché des affaires sociales à hôpital de Bogandé

« Malheureusement lors des débats, on se rend compte qu’ils ne sont pas conscients qu’il y a des conséquences qui sont liées à cette pratique. C’est tellement ancré dans leur mentalité qu’il est difficile pour eux de s’en défaire. »

Possy Kiemdé, agent de l’Action Sociale à Bogandé

« Arriver à faire abandonner un comportement qu’on a depuis que le monde est monde, ce n’est pas facile. »

Akotionga Michel, médecin professeur à l’hôpital Yalgado

« Partout, même les grands intellectuels envoient leurs enfants au village pendant les vacances pour les faire exciser. Ce n’est pas une question de niveau mais de conviction. Les coutumes, les habitudes ont leur impact sur les intellectuels. »

Page 10: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

CHAPITRE 3 _________________________________________________________________________ 47

3.2.2. Les facteurs situationnels

3.2.2.1. Les difficultés matérielles Le Comité National de Lutte contre l’Excision, la direction de la santé et de la famille et le Comité National de Lutte contre le Sida, sont en grande partie financés par le PPLS (Projet Population, Lutte contre le Sida) et par des organisations non gouvernementales telles que le FNUAP (Fond des Nations Unies pour la Population) ou par des partenaires de développement comme les Pays Bas.

Les budgets octroyés aux différents services dans les villages ne leur permettent pourtant pas de travailler dans des conditions décentes. Les problèmes de prise en charge, de carburant et de moyens de déplacement sont de sérieux obstacles au bon fonctionnement des différents programmes d’activités. Par manque de prise en charge, les médecins de l’hôpital de Bogandé vont sur le terrain en nombre réduit. Par manque d’essence, les sages-femmes de l’hôpital limitent leurs déplacements. Les attachés aux affaires sociales ont reçu du matériel audiovisuel de la part du comité national, mais sans électricité, ce matériel reste inutilisable. La province vient d’être dotée d’électricité mais beaucoup de localités n’ont pas encore les moyens de faire les installations nécessaires pour en profiter. Il faut donc compter sur la bonne volonté de certains services qui veulent bien prêter leur groupe électrogène.

3.2.2.2. Les difficultés organisationnelles Il y a manifestement un manque de coordination entre les différents services qui interviennent sur le terrain. « Entre l’action sociale et la santé nous ne savons pas qui fait quoi » nous dit l’un des attachés aux affaires sociales. Les forces sont dispersées. L’animatrice villageoise affirme faire de la sensibilisation dans 15 villages sur le sida, l’excision et la planification familiale, l’action sociale s’occupe de l’excision dans toute la province et les médecins sensibilisent aussi sur le sida dans les mêmes départements. Selon les besoins du moment les sages-femmes évoquent, elles aussi, l’excision avec leurs publics. Toutes ces actions sont menées sans concertation et de façon désordonnée.

Il existe une dissonance entre les services centraux et locaux. Les programmes locaux ne reflètent pas la politique générale nationale. Les responsables et les agents de terrain ne parlent pas toujours le même langage : la DSF pense qu’il faut désormais mettre l’accent sur la sensibilisation des jeunes, alors que les sages-femmes de Bogandé envisagent d’approcher davantage des hommes. Ces dysfonctionnements proviennent du fait que les instances supérieures donnent une liberté presque totale aux organisateurs des campagnes sans tenir compte de la limite de leurs possiblités.

3.2.2.3. Les difficultés linguistiques Des difficultés linguistiques existent au niveau des agents de terrain. Par exemple à Bogandé, sur 6 agents que nous avons rencontrés, seule une femme est native de la région. Les autres ne parlent pas le gourmantchéma (la langue locale). Ils sont donc obligés de recourir à des interprètes, et dans ces conditions l’exactitude du message n’est pas garantie.

3.2.2.4. Autres difficultés A l’heure actuelle, une question divise les structures de sensibilisation ; il s’agit de la législation sur l’excision. En 1996, le Burkina a promulgué une loi interdisant la pratique de l’excision. Avec l’adoption de cette loi, les cas de mutilation génitale féminine cessaient d’être traités comme des cas de coups et blessures volontaires sur mineur pour devenir un délit ou un crime à part entière passible de lourdes sanctions. Des actions d’informations ont été initiées par le comité auprès des groupes cibles pour les encourager à dénoncer les intentions et les cas d’excision. Le comité a donc installé un numéro vert SOS excision. Dans son bilan datant de juin 1998, le comité affirme avoir reçu au total 247 appels venant de 22 provinces.

En cas de dénonciation préventive, une équipe composée de gendarmes affectés au comité national et un ou plusieurs animateurs se rendent dans la famille concernée et initient une causerie sur la pratique de l’excision, ses conséquences, la lutte engagée et la loi en vigueur. Lorsqu’il y a réellement eu excision, les forces de l’ordre interviennent directement sur les lieux. Après constat, les auteurs et complices sont arrêtés et la procédure judiciaire est aussitôt entamée.

Les avis restent partagés sur ces mesures tant au sein de la population que parmi les sensibilisateurs. La dénonciation est toujours perçue comme un acte de trahison au sein des communautés Burkinabè

Page 11: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

48 __________________________________ ANALYSE DE L’APPROCHE COMMUNICATIVE DES CAMPAGNES

qui vivent généralement en symbiose. Les agents de l'action sociale reconnaissent qu’à Bogandé, les populations refusent de dénoncer ceux qui pratiquent l'excision par peur des représailles. Un villageois soupçonné de dénonciation s’est ainsi retrouvé totalement isolé du reste de la communauté. Il a fallu l’intervention des agents de l’action sociale pour rétablir les rapports avec ses voisins. La situation est encore plus délicate quand il s’agit de membres d’une même famille. « Je vois mal comment une belle-fille peut dénoncer sa belle-mère » s’exclame la matrone de Bogandé. Une bonne partie de la population estime que cette mesure est une source de division et qu’elle cause plus de problèmes qu’elle n’en résout. Elle s’en indigne même.

Pour beaucoup de responsables, il faut pour l’instant mettre l’accent sur la sensibilisation. La DSF est convaincue que seule la sensibilisation peut avoir un réel impact. C’est aussi l’avis de la déléguée du Mali, pays voisin du Burkina, qui, au cours de la rencontre du comité interafricain de lutte contre les mutilations féminines, a souligné que les mesures coercitives n’étaient pas adaptées aux pays africains. L’excision étant une pratique qui perdure depuis que « le monde est monde » selon l’expression d’un attaché aux affaires sociales, il faut être patient, et multiplier les actions de sensibilisation. Il est inutile d’adopter des mesures coercitives qui ne feront qu’exacerber le fléau en encourageant une pratique clandestine de l’excision. Le comité national, initiateur de la loi, lui, est ferme. Pour madame Lamizana « il faut sanctionner parce que nous estimons que nous avons suffisamment informé ». La sensibilisation se poursuivra certes, mais pour ce comité, il n’est plus question de laisser notamment des infirmiers ou des agents de la santé exciser les filles sans être inquiétés.

Pour faire face à toutes ces difficultés, des propositions sont faites par les organisateurs des campagnes à savoir : la réadaptation des messages et la redéfinition des cibles. Les messages diffusés ne sont en effet pas clairs. Concernant le sida, les messages véhiculés jusque là sont axés sur l’abstinence, la fidélité et le préservatif. Ces messages sont restés vagues parce que non ciblés. Il faut donc segmenter les publics, savoir qui est vulnérable, et personnaliser les messages. Pour la DSF, il faut recourir aux canaux habituellement utilisés par les communautés et mettre à profit la grande audience dont jouissent les leaders d’opinion pour faire passer les messages. Il faut également former les différents acteurs du processus de sensibilisation. Un minimum de formation et d’information pourrait aider à parer aux lacunes de la stratégie de communication. Les agents de terrain souhaiteraient également avoir des moyens logistiques suffisants et performants pour les sorties, des programmes bien conçus et un suivi-évaluation régulier.

3.2.3. Les limites du rôle des leaders religieux et coutumiers et des intermédiaires Nous avons souligné que les leaders religieux constituent en principe des acteurs très utiles à la réussite des campagnes de sensibilisation. A l’origine, les organisateurs n’impliquaient pas les leaders (lire l’entretien avec les médecin Thomas Sanou et le professeur Akotionga en annexe). Aujourd’hui, on peut dire que les chefs traditionnels et les leaders religieux sont devenus des partenaires privilégiés comme l’attestent ceux que nous avons rencontrés. Malheureusement, un certain nombre d’obstacles empêchent le potentiel de sensibilisation des leaders de se déployer. Parmi ces blocages, il faut noter leur insuffisante connaissance des sujets abordés et surtout leur conception métaphysique de la vie qui ne s’accorde pas toujours avec des pratiques telles que la limitation des naissances, la contraception ou encore le port du préservatif. Les prêtres rencontrés affirment tous qu’ils ont pour mission de défendre les valeurs sociales en respectant les principes chrétiens. Le président de la communauté musulmane, lui, est d’accord avec l’arrêt de l’excision. Il soutient avec force que le Coran ne prescrit pas l’excision comme veulent le faire croire certains fidèles. Cependant, il se pose cette question : « est-ce que sans l’excision nous pourrons prévenir et lutter contre la débauche ? ». Il est donc difficile pour les leaders religieux de conjuguer conviction personnelle, volonté de sensibiliser et respect de la parole enseignée par leur confession religieuse. Ce dilemme les incite souvent à ne pas s’impliquer concrètement dans la sensibilisation. Ils sont prêts à prêcher pour la liberté de la femme, le soutien de ceux qui souffrent du sida et l’aide pour les familles nombreuses, mais leur engagement reste superficiel de peur de transgresser la parole de Dieu.

L’implication des chefs coutumiers dans la sensibilisation est fort appréciable mais connaît des limites, elle peut parfois même interférer avec les objectifs poursuivis. Le chef contraint parfois les populations à participer aux rencontres malgré elles (cette situation est surtout évoquée à Pô). En

Page 12: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

CHAPITRE 3 _________________________________________________________________________ 49

outre, lorsque le chef est présent, comme en témoigne le Poué Naaba, les langues se délient difficilement, limitant alors le niveau de participation.

La principale conclusion que l’on peut tirer est l’absence d’une stratégie de communication claire et capable de susciter les changements souhaités. Cette insuffisance provient essentiellement du manque de formation solide en communication qui permettrait d’élaborer et de mettre en œuvre des méthodes de communication adaptées. Parfois, le personnel de l’action social fait preuve d’un niveau d’éducation élevé, comme c’est par exemple le cas à Pô. Les personnes rencontrées dans cette localité évoquent en effet, de façon précise des concepts de communication : « Nous préparons nos thèmes avant de sortir sur le terrain parce qu’il faut avoir des messages adaptés aux publics cibles » (Ouédraogo Didier, Pô). Les connaissances qu’ils exploitent sont celles qu’ils ont reçues pendant leur cursus universitaire. Néanmoins, un approfondissement et une mise à jour de leurs connaissances semblent nécessaires pour mieux répondre aux besoins. Ceux qui n’ont reçu aucune formation vont sur le terrain avec de vagues notions et se contentent souvent de répéter les messages conçus par les responsables de campagnes.

3.2.4. Les limites communicationnelles Une campagne de sensibilisation doit répondre à un certain nombre de critères que nous avons cités et décrits dans le chapitre deux. Il est notamment essentiel de réaliser un diagnostic, c’est-à-dire une étude préalable de la situation d’ensemble avant de mettre en œuvre quoi que ce soit. Le diagnostic doit permettre de mieux cibler le public et de le catégoriser (selon l’âge, le sexe, le niveau de connaissance etc.). La catégorisation facilite et contribue à une adaptation des messages en fonction des différents publics cibles. Enfin, il est conseillé de faire un bilan de la campagne qui permettra de réajuster ou de corriger en vue de futures actions. Les différentes étapes que nous venons de citer, ce processus global, sont absentes de l’approche communicationnelle des initiateurs des campagnes interviewés. Les lacunes les plus graves sont les suivantes :

Les cibles ne sont pas catégorisées et par conséquent les messages élaborés sont globaux et inadaptés. Ils ne sont pas réalisés de façon rigoureuse et structurée. Les agents vont sur le terrain avec des idées générales qu'ils développent au cours des rencontres.

Les sorties ne sont pas rigoureusement préparées. La présidente du Comité National de Lutte contre l’Excision affirme que la mobilisation est difficile lorsque le jour de sortie correspond avec le jour de marché ou de funérailles. C’est dire que le calendrier, facteur important du processus, n’est pas maîtrisé. Les actions sur le terrain se font sans tenir compte des moments où les populations cibles sont susceptibles d’être disponibles et réceptives. L’absence de diagnostic avant la mise en œuvre des séances de causeries ne fait qu’aggraver les nombreuses difficultés auxquelles les responsables de campagnes sont déjà confrontés.

On note l’absence d’évaluation des rencontres. Les animateurs se limitent en effet à une évaluation immédiate. L’outil de mesure est la capacité des publics à répéter ou à résumer, juste après les séances de causerie, les messages qui ont été diffusés. Les « échos » qui parviennent également aux agents constituent pour certains un indicateur de compréhension ou d’acceptation. Pour l’action sociale de Bogandé, après une sortie, lorsque les villageois signalent un cas d’excision, l’information est interprétée comme un signe de rejet des messages, alors qu’à Pô, on apprécie la réceptivité par l’absence de déclaration de cas d’excision.

Le succès des messages sur la planification familiale, est évalué par la fréquence des femmes aux services de l’ABBEF. En un mot, les effets de la sensibilisation sont mesurés de façon empirique. Il n’existe pas véritablement de démarche d’évaluation élaborée.

Il faut noter que les publics cibles ne sont pas impliqués dans les différentes phases de la campagne. Seule leur présence aux différentes rencontres organisées est souhaitée et encouragée.

3.3. L’évaluation des approches communicatives de Synergie et de l’ASEMO Nous allons maintenant nous intéresser aux approches globales de Synergie en décodant les boîtes à images (et l’interview accordée par le concepteur), et de l’ASEMO en étudiant l’organisation de la

Page 13: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

50 __________________________________ ANALYSE DE L’APPROCHE COMMUNICATIVE DES CAMPAGNES

causerie que nous avons suivie (voir contenu des boites à images et des causeries en annexes). L’analyse est construite sur les critères du processus de campagne en ne s’intéressant qu’à ceux qui sont pertinents pour ce type d’application. Nous commencerons toujours l’analyse par Synergie.

3.3.1. Le diagnostic Lorsqu'elle a été sollicitée pour confectionner ces boîtes à images, Synergie a d'abord fait un inventaire de tous les supports déjà existants. Elle a alors fait deux remarques principales. Tout d'abord l’ensemble des outils inventoriés a été conçu et réalisé en dehors du Burkina. Ensuite, les images utilisées dans ces outils ne correspondaient pas au contexte local. Sur cette base Synergie a, dans un premier temps, opté pour des images éducatives. Cependant, en faisant un pré-test, Synergie s’est rendue compte que ce support était difficile à manipuler. Précisons que les images éducatives sont des images isolées conçues sur du tissu alors que les boîtes à images sont des séries d'images sur un support de papier.

Pour adapter les images à toutes les populations cibles, les concepteurs des boîtes à images décident de créer des images avec un cadre neutre. Jean Pierre Somda, explique : « Supposons que nous ayons fait des images avec des cases rondes connues dans le paysage mossi du centre, nous n'aurions pas pu utiliser ces mêmes images à Gaoua dans le Sud-ouest, sinon les populations les confondraient avec des greniers car dans la région, les habitations sont sous forme de forteresses avec des terrasses sur les toits ».

Nous avons également demandé si Synergie a effectué une étude de terrain avant de concevoir les images. On nous a alors répondu qu’aucun diagnostic de la situation n’avait été réalisé. En revanche, un pré-test aurait été réalisé dans plusieurs régions, à Gaoua dans le Sud-Ouest, à Ouahigouya et Dori au Nord, Fada à l'Est et dans une zone rurale de Ouagadougou, Zignaré. Il avait pour objectif principal de mesurer le niveau de compréhension des images par les populations. Cette étape témoigne de la volonté de respecter une certaine rigueur scientifique. Cependant, elle était insuffisante. Le pré-test permet en effet de savoir si les messages sont efficaces, en revanche, il ne renseigne pas sur l'état des connaissances du public avant utilisation du support.

Ici, la stratégie de communication utilisée consiste à détecter les attitudes et les pratiques au cours même des séances de sensibilisation. C'est l'exemple de l'image 22 (voir annexes) relative aux lieux d'approvisionnement en moyens modernes de contraception (Synergie, 1998 : 10). Une démarche de diagnostic en amont aurait permis d'identifier les attitudes et les obstacles à l'acceptation du changement. Il aurait fallu une pré-enquête étudiant la situation générale. Il est nécessaire de connaître la forme du problème, les croyances et les opinions erronées avant d'élaborer un moyen de communication. Comment essayer de régler un problème, sans être sûr d'en connaître toutes les dimensions ? L’analyse de la situation se traduit par une importante recherche de données puis par la capacité à les interpréter avec les populations. Quelle est l'ampleur de l'hostilité à l'arrêt de l'excision ? Les hommes sont-ils plus hostiles que les femmes, les vieux plus que les jeunes ? Ce sont là quelques questions qui auraient pu guider Synergie dans la définition de sa stratégie. Hormis le pré-test, on constate que les étapes préalables incontournables à l’élaboration de support de communication n’ont pas été suivies. Il en va de même pour la prospection, l'étude minutieuse des publics cibles, ce qui aura des répercutions sur la catégorisation des cibles. Nos remarques sur le diagnostic sont simples : l’agence a tout simplement omis de faire un diagnostic de la situation, première étape de tout processus communicationnel.

Concernant la causerie-débat, malgré son aspect informel, il s’agit également d’une activité de communication méritant une recherche de terrain. Cette démarche a pour objectif principal de s’informer sur les croyances du public et de ses attitudes face au sida. L’ASEMO n’a pas respecté cette phase préliminaire. « Nous avons simplement demandé aux membres du bureau d’informer les jeunes et nous avons mis des affiches au siège de l’association » a expliqué le président de l’association. En réalité sur le terrain, les membres du bureau se sont contentés d’informer quelques-uns de leurs proches. L’information par le biais des affiches n’était pas non plus suffisante puisque, selon certains membres du bureau, le siège est très peu fréquenté par les jeunes du quartier. Avant de mettre l’accent sur les informations à diffuser, il faut réunir toutes les données du problème : l'ASEMO aurait d'abord dû faire une étude préliminaire pour cerner au mieux les caractéristiques des jeunes du quartier. En se posant les bonnes questions, elle aurait pu répondre aux vraies

Page 14: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

CHAPITRE 3 _________________________________________________________________________ 51

préoccupations des jeunes concernant le sida. Ces questions sont les suivantes : Quel est l’état des lieux ? Quel est le niveau d’information des jeunes ? Quelles sont leurs attitudes précises notamment vis-à-vis du port du préservatif (puisqu’une bonne partie de la causerie a porté sur ce sujet) ?

Il fallait définir des objectifs de communication pour la causerie mais aussi se poser les questions suivantes : Quel aspect du problème faut-il privilégier ? Quelle est la période propice pour la causerie ? Quelle proportion de jeunes est-elle susceptible d'utiliser le préservatif ? Les garçons sont-ils plus nombreux à s'exprimer ouvertement sur la question que les filles ? Quelle est la tendance générale qui se dégage parmi les opinions émises ? Voilà des aspects qui auraient du être analysés afin de réaliser un diagnostic juste et utile pour la suite de la communication.

Cette absence de diagnostic préalable de la situation a crée des insuffisances majeures, comme notamment la faiblesse de la participation : on ne programme pas une causerie pour des jeunes quelques minutes après un match de football. Le foot est un divertissement qui connaît un engouement particulier au Burkina même dans les zones défavorisées et dans les villages. Dans un quartier qui compte des centaines de jeunes, il est incompréhensible de voir une telle rencontre réunir à peine une dizaine de personnes. Les responsables de l'association n'ayant pas associé les jeunes de la zone à l'organisation de la causerie, n’ont pas réussi à mobiliser les jeunes. On comprend alors aisément pourquoi ceux qui étaient présents étaient des fidèles de l'association. Les jeunes du quartier, en majorité, ne se sont pas sentis concernés ou n'ont simplement pas reçu l'information. Le déroulement de la causerie ressemble à un rendez-vous ordinaire entre jeunes autour d’un thé. A (nous appellerons ainsi animateur principal) le dit en l'introduction : « Nous sommes réunis en face de notre théière encore pour un thé débat... ». Ce sont des jeunes qui n’ont pas les mêmes conditions de vie que ceux qui résident en ville et bénéficient des avantages des médias. Le but ultime ici, n'était pas de réaliser une causerie retentissante (sonorisée, avec de la musique) mais de comprendre les inquiétudes des jeunes par rapport au sida.

L'analyse de la situation à Wayalguin aurait dû permettre aux promoteurs d'examiner les opinions afin de faire des propositions appropriées. Pour une communication de proximité, il aurait été souhaitable que les organisateurs invitent les jeunes à préparer eux-mêmes la rencontre avec les membres du bureau. L’association aurait pu identifier des groupes de leaders qui auraient ensuite servi de relais auprès des autres. S'ils avaient été responsabilisés, ils se seraient sentis concernés et auraient participé en grand nombre. Ils étaient quelques-uns à répondre présents à l'invitation alors que Wayalguin est une zone très peuplée qui regorge de jeunes. Il aurait été important d’avoir une vision claire de leurs disponibilités, ainsi que sur la circulation de l’information avant de fixer la date de la rencontre. Par ailleurs, les membres du bureau ont voulu pallier les insuffisances par leur présence. Ils ont dominé la causerie en apportant des compléments d'informations à A et en posant des questions que les participants auraient dû poser eux-mêmes.

De multiples thèmes ont fait l’objet d’échanges pendant cette causerie. Le port du préservatif, la prise en charge des malades, la situation du sida en Afrique et au Burkina sont des aspects qui ont été développés sans qu’on ne perçoive cependant lequel était véritablement prioritaire. Le choix d’un thème principal, tel que le port du préservatif par exemple, aurait pu permettre un approfondissement.

3.3.2. La catégorisation du public cible L'un des éléments les plus importants d'une campagne est la définition d’un groupe cible ou des bénéficiaires visés. Il s'agit de déterminer leur identité, leur lieu d'implantation, les raisons de leur sélection comme cibles, afin de déterminer la nature des énoncés informatifs ou des messages qu'il faut leur communiquer (FAO). Etant donné que les caractéristiques, les intérêts et les besoins en information du groupe cible ne sont pas nécessairement uniformes, il est également nécessaire de le segmenter en sous-groupes et de prévoir, dans certains cas, une stratégie de campagne spécifique pour chaque catégorie. Il importe également à ce stade de hiérarchiser les cibles afin de déterminer quel groupe doit être touché en premier ou doit recevoir le traitement le plus intensif. Une telle analyse nécessite que l'on dispose de certaines catégories d'information : par exemple les systèmes de croyances traditionnelles, les normes, les valeurs culturelles etc. Contrairement à ces principes, les images éducatives de la boîte à image ont été conçues sans prendre en compte les différents critères fondamentaux de segmentation développés ci-dessous.

Page 15: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

52 __________________________________ ANALYSE DE L’APPROCHE COMMUNICATIVE DES CAMPAGNES

3.3.2.1. L’âge et le sexe La boîte à image se destine aux jeunes, adolescents, parents, aux femmes et aux hommes sans distinction. Le guide dit à ce propos « pour optimaliser l'utilisation des images éducatives et faciliter les séances de sensibilisation des animateurs auprès de la population cible (jeunes de 13 à 20 ans, parents, adolescents...) » (Synergie, 1998). Cette option n'est pas adéquate dans la mesure où les jeunes, les adultes, les femmes et les hommes n'ont pas les mêmes attitudes vis-à-vis des différents thèmes développés. Ces messages globaux donnent à certaines catégories l'impression de ne pas être concernées par les messages. C’est notamment le cas avec les démonstrations sur l'utilisation des contraceptifs. Les femmes sont très intéressées par la pilule, les conséquences de l'injection etc., tandis que les hommes prêtent davantage attention au port du préservatif et à la vasectomie. Par ailleurs, les jeunes et les adultes ont un langage propre. Nous ne nous adresserons pas de la même façon à un jeune de 10 ans et à une personne de 70 ans, même si nous souhaitons leur délivrer le même message. En outre, il faut tenir compte du fait que les jeunes ne s'expriment pas aisément en présence des adultes ; les femmes quant à elles, sont souvent très réservées en présence des hommes. Selon Jean Pierre Somda, les responsables de Synergie ont eux-mêmes constaté, pendant le pré-test, les changements de comportement lorsque les groupes étaient hétérogènes.

Il apparaît également que le public constitué de personnes âgées n’a pas été suffisamment pris en compte. Cette tranche de la population, en réalité inconsciente de la gravité de la situation, nie toujours ou refuse de reconnaître les graves conséquences de l'excision. A maintes reprises des personnes âgées ont déclaré pendant notre enquête : « Ce sont des histoires, nous avons toujours excisé nos filles sans incident. A preuve, les milliers de femmes qui vivent, bien qu'elles soient excisées ». Sensibiliser seulement les femmes ou les jeunes, reste insuffisant. Il faut aller au-delà et engager un réel dialogue avec les dépositaires des traditions et des religions. Nous sommes confortée dans cette idée par les conclusions de l'enquête nationale selon laquelle « plus les femmes et les hommes appartiennent à la tranche d'âge avancée, moins ils sont pour la lutte » (CNLPE, 1997, 60).

3.3.2.2. Populations urbaines et rurales et niveau de connaissance Il est également nécessaire de connaître le niveau de connaissance des différents groupes démographiques, afin d’identifier clairement quels sont les sous-groupes de population dont il faut faire évoluer les mentalités. Les mêmes messages sont adressés indifféremment aux populations rurales et urbaines. Or, il faut hiérarchiser les priorités : le nombre de naissances en milieu urbain est moins élevé qu’en milieu rural. L'enquête démographique (Enquête démographique, Burkina Faso, 1998-1999) a montré que les femmes et les hommes du milieu urbain ont pour idéal une famille nettement moins nombreuse que ceux du milieu rural. Ce désir varie également en fonction du niveau d'instruction. On constate que le nombre d’enfants souhaité diminue lorsque le niveau d'instruction augmente. Il passe de 6 enfants chez les femmes non scolarisées, à 4,8 chez celles ayant un niveau d'instruction primaire. Il est de 3 chez celles qui ont niveau secondaire. Cela signifie que la valorisation de la limitation des naissances ne concerne pas directement les citadins ni les populations avec un certain niveau d’éducation, ce qui d’ailleurs est souvent lié. Le modèle proposé ne convient pas non plus aux populations rurales puisque basé sur les réalités plutôt urbaines.

En élaborant le guide, les auteurs n'ont pas pensé que si la prédisposition à communiquer est propre à l'homme, l'acte de communiquer par le biais d'un instrument technique n’est pas aussi spontané et naturel. « Toute forme de communication technologique nécessite un apprentissage et implique une intégration, voire une adaptation de la technologie en question dans un système préexistant de pratiques, d'habitudes et de croyances » (Samprini, 1996 : 61). Les messages doivent donc être conçus par rapport aux connaissances acquises et doivent, dans le cas présent, tenir compte des pratiques déjà connues.

3.3.2.3. Les attitudes La catégorisation doit également permettre d’évaluer les attitudes par rapport au contexte, l’intérêt ou l’hostilité des différents groupes par rapport aux différents sujets. Un exemple illustre bien cette nécessité : il ressort que 26,7% des femmes accepteraient être excisées si elles ne l'étaient pas (Enquête nationale sur l'excision au Burkina, 1997). Ces femmes avancent comme argument la tradition. Celles qui refusent d'être excisées, justifient leur opinion par les effets néfastes de la pratique. Par ailleurs, une partie non négligeable des mères Burkinabè ont l'intention de faire exciser

Page 16: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

CHAPITRE 3 _________________________________________________________________________ 53

leur fille alors qu'elles ne sont elles-mêmes pas favorables à cette pratique (Enquête démographique et de santé, 1998). Quant aux hommes, ils sont plus de 76% à ne pas discuter du problème. Les enquêteurs relient ce manque d'intérêt au fait que l'excision n'est pas un sujet abordé au sein du couple. On constate donc que les hommes sont des cibles a priori désintéressées mais qui doivent cependant être sensibilisées. Le guide (boîte à image avec texte explicatif) a ignoré le rôle qu’ils peuvent jouer dans le succès de la campagne. La quasi-totalité des arguments ciblait les femmes et les jeunes.

En somme, la signification d'une campagne sociale est toujours la résultante de la rencontre entre une instance de production et une instance de réception. Pour des actes de communication persuasive de cette envergure, toute opération s'adresse inévitablement à plusieurs destinataires qui vont lui appliquer des critères d'interprétation différents. C'est cette multiplicité d'interprétations qui rend difficile la possibilité de s'adresser de façon satisfaisante à tous, à l’aide d’un message identique. Les concepteurs du guide semblent avoir oublié que tout acte de communication implique un système extrêmement complexe d'acteurs. On n'utilisera pas nécessairement la même approche pour parler aux femmes et aux hommes. Le discours doit donc être construit différemment selon le niveau de connaissance de la cible visée ou selon son attitude face au problème. Pour chaque cible spécifique on poursuit un objectif spécifique que l’on tentera d’atteindre en délivrant un message spécifique. Les indications sur la composition et les spécificités des groupes participant aux animations sont données a posteriori, alors qu’il aurait fallu faire cette analyse en amont, avant de construire les messages.

La démarche suivie par l’ASEMO comporte les mêmes erreurs, même si l’association a eu le mérite de prendre en considération la tranche d’âge. En effet, les jeunes constituent ici la cible privilégiée. Dans une certaine mesure la cible est homogène parce qu'elle ne rassemble que des jeunes vivant dans des conditions de vie similaires. L'initiative est bonne mais insuffisante car cette homogénéité n'est qu'apparente, filles et garçons étant conviés ensemble à la causerie. Ceci nous permet de dire que l'approche a été approximative. On ne sait pas si le niveau de connaissance des filles est le même que celui des garçons. On ignore également s’ils appréhendent le phénomène du sida de la même façon. Il aurait fallu identifier des cibles primaires et secondaires. Le public cible primaire regroupe les personnes les plus concernées par le problème, celles qui sont les plus disposées à faire évoluer leur attitude. Ce groupe représente également les personnes les plus faciles à atteindre.

La cible secondaire rassemble les personnes pouvant aider à influencer le public cible primaire. Elles se recrutent notamment parmi les leaders d’opinion et les responsables de santé. Cette étude des différences entre les groupes est très importante en ce qu’elle permet de cerner les facteurs qui influencent les attitudes des cibles. Elle permet de mieux comprendre comment fonctionnent les différents groupes, afin de mieux déployer les moyens disponibles pour sensibiliser et articuler de manière plus pertinente les messages. Après avoir identifié la population cible principale, les organisateurs auraient dû identifier les attitudes qu’ils souhaitent encourager (port du préservatif, dépistage, prise en charge). Les attitudes réelles auraient dû être recensées et les attitudes souhaitées déterminées. Cette démarche a manqué dans la stratégie de l’ASEMO. Il est indéniable que lorsque le public cible primaire est soigneusement identifié au début du programme, le résultat final est plus rentable et l’intervention davantage réussie.

Cette absence de catégorisation a eu une influence négative sur la participation des filles qui ne sont pas intervenues pendant toute la causerie. Au nombre de 4, elles se sont regroupées et chuchotaient entre elles. Elles n'ont pas osé partager leurs opinions avec les garçons par timidité. Les animateurs n'ont pas essayé de les inciter à contribuer au débat. Par ailleurs, ignorant le niveau de connaissance du groupe, l’association a donné des informations d’ordre général. L'ASEMO n'a donc pas su segmenter la cible afin de comprendre quels étaient les freins et les résistances qui empêchent les différents publics d'adopter les attitudes souhaitées. L'ASEMO s'est seulement fiée à son flair, ce qui relève de l'improvisation.

3.3.3. L'évaluation L'évaluation est une phase qui a été reléguée au second plan par les auteurs des boîtes à images. Synergie s'est contentée des « on dit » sur l'impact des images qu'elle a confectionnées. Jean-Pierre Somda le dit lui-même : « Nous avons le feed-back des sensibilisations qui sont menées sur le terrain, et nous savons que de façon globale, les populations comprennent les images qu'on leur propose ».

Page 17: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

54 __________________________________ ANALYSE DE L’APPROCHE COMMUNICATIVE DES CAMPAGNES

Cette absence d’évaluation est commune aux différentes campagnes de sensibilisation que nous avons étudiées. L’analyse des entretiens a démontré clairement que l'évaluation du plan de campagne est souvent inexistante. Synergie aurait dû évaluer son outil de communication, cela lui aurait permis de travailler avec des données plus fiables que des généralités.

L'organisation de la causerie repose également sur une stratégie incomplète. Définir l’objectif d’une communication, c’est préciser de façon lucide et concrète ce que l’on souhaite accomplir. L’objectif que l’ASEMO s’est fixé est général et vague (sensibiliser les jeunes de Wayalguin sur le sida). Un tel objectif ne permet pas d’avoir une vision précise des résultats à atteindre. Atteindre les objectifs escomptés concernant la sensibilisation en une séance de causerie (en abordant tous les aspects) nous semble également très ambitieux et peu réaliste. L’association aurait d’abord dû se demander si cet objectif était réalisable. Ensuite, elle aurait dû s’interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir et fixer des échéances. Enfin, les responsables auraient dû déterminer des indicateurs leur permettant de savoir si les résultats attendus étaient oui ou non atteints et ceci dès la phase du diagnostic. Si les organisateurs avaient planifié l’évaluation, ils auraient pu déterminer le degré d’efficacité de leurs actions.

Les organisateurs pouvaient opter pour deux types d’évaluation : l’évaluation comparative et l’évaluation du processus. L’évaluation comparative consiste à faire une comparaison entre les personnes ayant et celles n’ayant pas bénéficié de l’intervention. Si l’association avait choisi cette solution elle aurait pu se rendre compte de l’évolution des attitudes entre les jeunes ayant pris part à la causerie et les autres. Quant à l’évaluation du processus, elle est basée sur une description de la manière dont la stratégie de communication a été menée. Dans ce cas, l’ASEMO aurait dû faire un bilan afin de déterminer à chaque étape du processus, dans quelle mesure les plans et les stratégies initiaux ont été respectés. Dans toute entreprise on peut commettre des erreurs; mais une fois détectées elles peuvent être évitées dans le futur.

3.3.4. La prise en compte des populations dans l’approche communicative Les stratégies de Synergie et de l’ASEMO n’impliquent peu ou pas les publics dans l’élaboration de leurs programmes. L’association des résidents de Wayalguin, elle n’a pas consulté les jeunes du quartier avant d’initier la rencontre. La démarche la plus pertinente voudrait que le public cible participe de façon effective à la conception même des images. Leur implication aurait permis de hiérarchiser les problèmes recensés et de proposer des solutions adaptées. La campagne doit donc reposer sur une analyse faite en collaboration avec la population rurale afin de comprendre le niveau de connaissance, les mentalités et les pratiques de cette dernière. Il faut que les promoteurs prennent conscience que les populations rurales ont un savoir et une sagesse propres qui doivent être intégrés dans le processus de sensibilisation. Dans la démarche participative, on tient compte des différences qui peuvent exister sur le plan de la perception et de l'analyse d'un problème, entre les organisateurs des campagnes (venant de l'extérieur) disposant d'une formation et les membres de la communauté. Cette démarche tente d'aider la population à identifier et à analyser de manière critique ses problèmes et ses besoins, à les résoudre elle-même. Dans une démarche classique au contraire, la population étudiée est considérée comme un objet, comme un acteur passif incapable d'étudier sa propre situation ou de trouver des solutions à ses problèmes (le Boterf, 1996).

3.4. Résumé Les récits des organisateurs de campagne (responsables, leaders religieux et coutumiers ainsi que les intermédiaires) font ressortir des difficultés sur la forme et sur le fond. Sur la forme, les activités de sensibilisation restent limitées par le manque de coordination entre les différents acteurs agissant sur le terrain. Le manque de formation, de moyens logistiques et financiers sont des difficultés qui affectent également l’efficacité des campagnes. Pour des raisons métaphysiques, l’impact des leaders religieux semble par ailleurs mitigé.

Sur le fond, nous notons des lacunes majeures dans l’approche communicationnelle. Elles se résument à un amateurisme marqué par l’absence de diagnostic de la situation, un manque de catégorisation des cibles, la création de messages inadaptés ainsi que la non-implication des publics cibles dans l’organisation des activités. En analysant de façon concrète l’approche suivie pour l’élaboration des boîtes à images et l’organisation de la causerie, nous sommes parvenue à mettre en

Page 18: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

CHAPITRE 3 _________________________________________________________________________ 55

exergue l’insuffisance majeure du processus de communication qui n’est autre que l’absence d’une véritable stratégie.

Nous allons dans le chapitre suivant poursuivre notre investigation à un niveau macro. Nous avons pour cela effectué une enquête par questionnaire afin de collecter des données auprès des populations concernées.

Page 19: University of Groningen L'approche communicative des ... · frappe pas seulement ceux qui ont commis l’adultère, ... des séminaires et des réunions à l'intention de l'administration

56 __________________________________ ANALYSE DE L’APPROCHE COMMUNICATIVE DES CAMPAGNES