UNIVERSITÉ de PARIS VIII – Saint-Denis Centre de Recherches et ...
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UNIVERSITÉ de PARIS VIII – Saint-Denis
Centre de Recherches et d’Analyses Géopolitiques (CRAG)
Ecole doctorale de Sciences Sociales – ED 401
La ville de Tallinn :
les ambitions et les enjeux géopolitiques
d’une « petite » capitale européenne
Vincent Dautancourt
Thèse de doctorat de géographie, mention géopolitique
Sous la direction de Béatrice GIBLIN
Présentée et soutenue publiquement le 15 avril 2016
Jury
M. Antoine CHALVIN, INALCO, professeur
M. André FILLER, Université Paris 8, maître de conférences HDR
Mme Béatrice GIBLIN, Université Paris 8, professeure émérite
M. Vladimir KOLOSSOV, Département de Géographie Académie des Sciences
de Moscou, professeur
M. Pierre THOREZ, Université du Havre, professeur émérite
2
REMERCIEMENTS
Je tiens tout d’abord à remercier Béatrice Giblin, ma directrice de thèse, qui m’a
accompagné tout au long de mes travaux de recherche. Cette thèse n’aurait pas pu voir le jour
sans son soutien pendant mes deux années de master à l’Institut Français de Géopolitique puis
pendant toute la durée de mon doctorat. Ses conseils et ses encouragements ont été précieux
pour arriver à l’aboutissement de cette thèse.
Je remercie aussi toutes les personnes que j’ai rencontrées au cours de mes voyages à
Tallinn et en Estonie. Les nombreuses discussions avec elles m’ont permis de découvrir en
profondeur leur capitale et de mieux en comprendre les dynamiques.
Je remercie également celles et ceux qui ont participé à mon apprentissage de
l’estonien, à l’INALCO et en Estonie. Sans la maîtrise de cette langue, je n’aurais pas pu
accéder à de nombreuses informations essentielles pour mon travail et je n’aurais pu autant
appréhender l’Estonie, un pays qui occupe désormais une place à part dans ma vie.
Je remercie enfin ma famille et mes amis qui m’ont soutenu moralement pendant tout
mon parcours, et tout particulièrement Aija qui a toujours été à mes côtés, notamment dans les
moments de doute.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION ............................................................................................................................. 5
1. UNE « PETITE » CAPITALE AUX GRANDES AMBITIONS .......................................... 16
1.1. Géographie et histoire : l’origine du projet singapourien ....................................... 17
1.1.1. Tirer profit d’une situation géographique floue ....................................................... 17
1.1.2. Renouer avec les succès passés ................................................................................. 30
1.2. (Ré)intégrer l’Europe avant tout ............................................................................... 36
1.2.1. Par les réseaux de transport ..................................................................................... 36
1.2.2. Par une réorientation de l’économie ........................................................................ 59
1.2.3. Par le développement d’une image de marque ......................................................... 69
1.3. Quelle place pour la Russie dans les projets tallinnois ? ......................................... 92
1.3.1. Des relations complexes ............................................................................................ 92
1.3.2. Capter le fret russe malgré tout ? ........................................................................... 100
1.3.3. La contestation des choix politiques gouvernementaux .......................................... 111
1.4. Atteindre l’Asie centrale et orientale ...................................................................... 120
1.4.1. Être le port de l’Asie centrale ................................................................................. 120
1.4.2. Devenir le terminus de lignes maritimes intercontinentales ................................... 125
1.4.3. Atteindre les aéroports asiatiques ........................................................................... 131
Conclusion ............................................................................................................................... 135
2. FAIRE DE TALLINN UNE VILLE DURABLE ET MODERNE ..................................... 137
2.1. Tallinn, vitrine identitaire de l’Estonie ? ................................................................ 138
2.1.1. Ancrage de la langue et de la culture estoniennes .................................................. 138
2.1.2. Désoviétisation et estonisation de la mémoire monumentale ................................. 141
2.1.3. Une politique municipale pro-russe ........................................................................ 149
2.2. Tallinn et la révolution numérique .......................................................................... 161
2.2.1. Les grandes évolutions urbaines depuis 1991 ......................................................... 163
2.2.2. Le développement de l’économie du numérique ..................................................... 167
2.3. Forger l’image d’une ville maritime........................................................................ 181
2.3.1. Quels objectifs ? ...................................................................................................... 181
2.3.2. Un schéma directeur vraiment applicable ? ........................................................... 196
2.3.3. Les conséquences de fonds d’investissements insuffisants ...................................... 199
2.3.4. L’ouverture du littoral, une vraie priorité ? ........................................................... 211
2.3.5. Des projets mis en péril par une contestation multiforme ...................................... 219
2.4. Faire de Tallinn une ville verte ................................................................................ 232
4
2.4.1. Hausse du parc automobile et étalement urbain ..................................................... 232
2.4.2. Améliorer l’offre des transports publics ................................................................. 238
2.4.3. La nécessité de faire des choix : l’exemple du tramway ......................................... 249
CONCLUSION ............................................................................................................................. 260
ANNEXES .................................................................................................................................... 263
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................ 271
LISTE DES CARTES ................................................................................................................... 290
LISTE DES FIGURES .................................................................................................................. 291
LISTE DES PHOTOS ................................................................................................................... 292
LISTE DES TABLEAUX ............................................................................................................. 293
LISTE DES ANNEXES ................................................................................................................ 293
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INTRODUCTION
En 2000, l’économiste estonien Mihhail Bronštein déclara dans une interview au
mensuel Luup que l’Estonie, État situé sur la rive orientale de la Baltique, devait garder à
l’esprit un modèle de réussite économique particulier : Singapour. Selon lui, la ville-État
asiatique « qui a débuté comme simple État de transit et qui a investi les profits [générés]
dans le développement des nouvelles technologies »1 présente des caractéristiques également
réunies en Estonie à la fin des années 1990, à savoir un petit territoire, l’absence de ressources
naturelles, une situation géographique littorale et une spécialisation économique dans le
transport marchand et le secteur de l’électronique.
Depuis, cet exemple est régulièrement repris dans la presse, les discours politiques
estoniens. La venue en Estonie d’hommes d’affaires singapouriens reçoit un écho particulier
et les conseils de ces visiteurs sont écoutés avec attention. Et si l’Estonie s’intéresse à
Singapour, Singapour s’intéresse désormais à l’Estonie : le souhait qu’un petit pays européen
veuille imiter la ville-État asiatique trouve une résonance à des milliers de kilomètres de
Tallinn2.
L’Estonie, une cité-État d’Europe ?
Comparer Singapour et l’Estonie peut surprendre. Peut-on vraiment mettre sur le
même plan la minuscule Singapour (716 km²) et l’Estonie dont la superficie (45 339 km²) est
supérieure à celle de la Suisse ou des Pays-Bas ?
Sur le plan démographique, on est en présence de deux nains situés à proximité de
territoires hautement peuplés : l’Asie du Sud-Est, l’Asie orientale et l’Inde pour Singapour, la
mégalopole européenne pour l’Estonie. Toutefois, on se retrouve face à deux situations
différentes en termes de densité. Avec 5,3 millions d’habitants, la cité-État asiatique est très
densément peuplée (plus de 6 700 hab./km²), alors que de son côté, l’Estonie ne compte que
1,3 million d’habitants pour une densité de 29 hab./km². Singapour présente un territoire très
largement urbanisé, l’Estonie, elle, se constitue surtout de forêts et de marais et de quelques
pôles urbains.
1 Peeter Ernits, « Akadeemik Mihhail Bronshtein : Singapuri eeskuju võiks silme ees olla », Luup, nº 12
(120), 16 juin 2000 2 Raju Chellam, « Estonia races to be the S’pore of Europe », Strait Times, 9 juin 2012
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La pertinence de la comparaison émerge si on dépasse le simple cadre du territoire
estonien. Ce dernier se caractérise par une forte centralisation autour de sa capitale, Tallinn, à
la fois sur le plan démographique3, économique et institutionnel. 30% des Estoniens vivent à
Tallinn4, auxquels s’ajoutent 9% qui résident dans la métropole5, soit, selon les calculs, un
total de 530 000 à 545 000 personnes sur une superficie de 4 350 km². Aucun autre centre
urbain ne conteste la suprématie tallinnoise : la seconde ville estonienne, Tartu, atteint
difficilement la barre des 100 000 habitants et seules trois autres villes dépassent 20 000
habitants (Narva, Pärnu et Kohtla-Järve)6.
Sur le plan économique, la domination de la capitale est encore plus sensible. La seule
ville de Tallinn représente 49% du PIB estonien annuel (voir carte Annexe 3). La région de
Harjumaa, à laquelle Tallinn, appartient produit 60% des richesses du pays. La concentration
économique se lit aussi à travers la localisation des entreprises estoniennes. En 2010, 41% des
entreprises du pays étaient localisées dans la capitale. Très logiquement, le statut de capitale
fait de Tallinn la ville institutionnelle. Seul le ministère de l’éducation (depuis 2001) et la
Cour suprême sont situés à Tartu, qui s’impose également comme centre universitaire et
scientifique du pays7. Enfin, les principales infrastructures de transport sont à Tallinn, qui
constitue la porte d’entrée de l’Estonie. Le Vieux-Port de Tallinn reçoit la totalité du trafic
maritime de passagers en provenance de la Baltique et l’aéroport Lennart Meri est le seul
véritable aéroport international estonien. Les activités marchandes sont elles aussi regroupées
à Tallinn et dans les ports de la région (Maardu, Paldiski), les autres ports (Pärnu, Sillamäe)
demeurent en retrait.
Grâce à ces brefs éléments, on observe une Estonie qui gravite sur une partie limitée
de son territoire, autour d’un centre urbain d’importance unique. Cela permet de mettre en
lumière une situation bien plus proche de celle de Singapour qu’il n’y paraissait de prime
abord. On observe une symbiose entre l’Estonie et sa capitale, qui, sans pour autant dénigrer
3 Voir Annexe 1 et Annexe 2 4 Seules trois capitales européennes concentrent une part plus importante de la population nationale :
Reykjavík en Islande (37%), Skopje en Macédoine (32,5%) et Riga en Lettonie (31,6%) 5 La métropole de Tallinn inclut toutes les communes dont au moins 15% de la population travaille à Tallinn.
Voir Kadri Leetmaa, Residential suburbanisation in the Tallinn metropolitan area, Tartu University Press,
Tartu, 2008, p. 26 6 On dénombre enfin neuf villes avec une population comprise entre 10 000 et 20 000 habitants et neuf avec
une population de 5 000 à 10 000 habitants. 7 L’université de Tartu fut créée en 1632 sur décision du roi de Suède Gustave II Adolphe.
Si la compétition entre les deux premières villes d’Estonie sur le plan universitaire penche désormais à
l’avantage de Tallinn en nombre d’étudiants, Tartu conserve son image de ville universitaire, que la
capitale peine à avoir. L’ancienneté de l’Université de Tartu, ainsi que sa place dans la ville, sont des
facteurs qui font que Tartu reste la première ville universitaire estonienne. D’autres institutions renforcent
la fonction éducative de la ville : Collège balte de Défense, Université des sciences de la vie d’Estonie,
Musée national estonien, Académie de l’aviation.
7
le reste du territoire, fait de Tallinn une cité-État. Ce postulat pose des bases plus solides dans
un projet « singapourien » pour l’Estonie.
Tallinn et Singapour : deux histoires similaires ?
Fondée en 1819, devenue possession britannique en 1824 et capitale des
Etablissements des Détroits (Straits Settlements)8 en 1836, Singapour se développe grâce aux
plantations de caoutchouc et tire un avantage de sa situation géographique sur le détroit de
Malacca, entre océan Indien et mer de Chine méridionale. Le comptoir devient un point de
passage majeur en tant que territoire de la Compagnie britannique des Indes orientales.
L’ouverture du canal de Suez en 1869 entre mer Méditerranée et océan Indien, renforce
l’avantage conféré par la situation géographique provoquant l’accroissement du trafic
maritime. Indicateur de cette évolution, la population de Singapour croît rapidement : de
80 730 personnes, la population atteint 203 000 personnes en 1901, puis un million en 19419.
Embryonnaire jusqu’au début du XIIIe siècle, l’actuelle Tallinn (Reval) connaît un
véritable essor après sa conquête par les Danois (1219-1221) et sa colonisation par les
Allemands10. La ville devient un port de transit pour les marchandises transportées entre le
nord du Saint-Empire germanique et les principautés slaves (Novgorod) et elle rejoint la
Ligue hanséatique en 1248, par l’adoption du droit lübeckois. Tallinn s’impose alors comme
l’un des points centraux du commerce en Baltique11.
À partir de l’indépendance en 196512, les autorités de Singapour cherchent de
nouveaux potentiels économiques pour un État sans ressources naturelles propres. Sous
l’impulsion d’un homme, Lee Kuan Yew (1923-2015), une politique volontariste est alors
mise en place afin d’attirer les capitaux étrangers pour développer l’industrie locale, avec
l’adoption d’un code des investissements favorable13. Grâce au bénéfice des premières vagues
de délocalisation en Asie14, de nouveaux sites industriels et un port en eaux profondes sont
aménagés. La cité-État se spécialise alors dans le secteur pétrolier grâce aux ressources de
8 Groupe de territoires de la péninsule malaise sous le contrôle de la Compagnie britannique des Indes
orientales fondée en 1826 et dissout en 1946. 9 Raymond Blanadet, Singapour et la Malaisie, coll. Géographie d'aujourd'hui, Nathan, Paris, 1993, p. 133 10 Tallinn est propriété du roi du Danemark jusqu’en 1346 après quoi la ville est vendue à l’Ordre teutonique. 11 Voir Carte 9 12 Singapour déclara son indépendance en 1963 et rejoint aussitôt la Fédération de Malaisie. Les tensions
ethniques entre Malais et Chinois de Singapour poussent le gouvernement malaisien à exclure Singapour de
la fédération en 1965. 13 Raymond Blanadet, Op. Cit., p. 139 14 Ibid., p. 141
8
l’Indonésie et de la Malaisie voisines, dans la construction navale et l’industrie électronique.
Singapour s’impose progressivement dans les réseaux mondiaux, pour devenir l’un des
premiers ports et le troisième centre de raffinage du monde.
En parallèle de son industrialisation, la cité-État de Singapour a su se créer d’autres
atouts, notamment dans le secteur financier. En 1968, une banque de développement est créée
afin de soutenir les activités économiques. Progressivement, cette banque a conquis les
marchés régionaux d’Asie du Sud-Est. Surtout, Singapour a attiré les capitaux étrangers et est
devenue l’une des places financières centrales en Asie. Alors qu’elle était le lieu de dépôt
traditionnel des entreprises régionales, Singapour est choisie par la banque Bank of America
comme base à la fin des années 1960 pour concurrencer le marché de Londres dans le secteur
des eurodollars (dollars détenus hors des États-Unis). Ce choix jeta les bases du rôle
international de Singapour dans le monde de la finance. La ville-État est désormais l’une des
places fortes mondiales aux côtés de New-York, Londres, Hong-Kong.
Au cœur des routes maritimes, Singapour a également investi le secteur aérien. Grâce
à sa compagnie nationale Singapore Airlines, entre autres, l’ancien comptoir britannique s’est
imposé comme une escale majeure en Asie et dans le monde (par exemple la « route
Kangourou » entre Londres et l’Australie). Singapore Airlines fit la Une lorsqu’elle fut la
première compagnie aérienne à mettre l’Airbus A380 en circulation. L’ancrage de l’aéroport
de Changi dans le monde permet à Singapour de tirer des profits essentiels dans le secteur du
tourisme avec le transit de 50 millions de passagers par an.
Le trio de la croissance moderne initiale de Singapour (port de transit, industrie
électronique, pétrole) est présent à Tallinn à la fin des années 1990. Le port en eaux profondes
de Muuga avait été aménagé au début des années 1980, les produits pétroliers russes y sont
exportés et les entreprises finlandaises de l’industrie électronique se sont implantées sur la
rive sud du golfe de Finlande (par exemple Elcoteq). À partir de là, cette situation peut-elle
déboucher sur une success-story à la Singapour sur les rives de la Baltique et faire de Tallinn
un point de passage inévitable en mer Baltique, entre Europe et Russie, voire plus ? La ville
estonienne a-t-elle les moyens de capitaliser sur ses atouts pour se développer dans de
nouveaux secteurs (finances, transports ou autres) comme l’a fait son modèle asiatique ?
Tallinn peut-elle aspirer à devenir un centre similaire comme l’estime Bronštein ou devenir
une nouvelle Singapour relève-t-il de l’utopie ?
9
Une première différence majeure apparaît dans le cas tallinnois : de nouveau
indépendante depuis 1991 à la chute de l’URSS, l’Estonie s’inscrit dans un contexte bien
différent de celui de Singapour. Situé sur un continent européen prospère, une politique de
rattrapage s’impose d’abord à l’Estonie avant tout autre ambition. Contrairement à Singapour
qui fut parmi les premiers pôles économiques asiatiques, Tallinn réapparaît sur les cartes alors
que de nombreux réseaux sont déjà établis en Europe. Surtout, les années qui suivent
l’indépendance sont marquées par des préoccupations d’un tout autre ordre. Tout juste sortie
du giron soviétique (russe), l’Estonie cherche avant tout à rompre les liens vis-à-vis de la
Russie et à assurer sa sécurité politique, économique (Union européenne) et militaire
(OTAN).
L’Estonie qui avait été indépendante entre 191815 et 1940, après avoir été une province
russe pendant deux siècles (1710-1918), était retombée sous la domination de son grand
voisin oriental en juin 1940 lorsque l’armée Rouge l’envahit suite à l’accord germano-
soviétique signé en août 1939. L’Allemagne nazie occupa à son tour l’Estonie (août 1941 –
septembre 1944), avant qu’elle ne soit de nouveau occupée par l’URSS jusqu’en 1991. Les 50
années d’occupation ont fortement marqué les Estoniens, qui, une fois l’indépendance
recouvrée le 20 août 1991, n’ont aspiré qu’à une chose : rompre avec la Russie et réintégrer
l’Europe. Le mauvais souvenir de l’absence de réaction de la part des États européens après
l’invasion soviétique en juin 1940 et en septembre 194416 a poussé les autorités estoniennes à
ancrer leur pays au maximum dans le territoire de l’Europe pour désormais prévenir tout
risque d’un nouvel abandon en cas de menaces russes.
Dès lors, les premières années post-indépendance ont été l’occasion d’affirmer cette
appartenance à l’Europe et d’enterrer le plus vite possible les années communistes ce qui ne
s’est pas fait sans incidence sur les relations diplomatiques bilatérales russo-estoniennes, les
autorités russes voyant d’un mauvais œil ce territoire échapper à leur contrôle.
Pour ce faire, le premier objectif des autorités estoniennes fut le départ des troupes
russes stationnées dans le pays, ce qui fut fait avec le retour des derniers soldats en Russie le
31 août 1994. Il subsiste néanmoins plusieurs sources de tensions entre les gouvernements
estonien et russe : la signature d’un traité de frontière, toujours en cours de règlement en
2015, le sort des populations russophones (30% de la population) qui résident en Estonie. En
15 S’ensuit une guerre d’indépendance qui s’achèvera en février 1920 par la signature d’un traité de paix avec
la Russie soviétique. L’Estonie fut occupée par les troupes allemandes jusqu’à la fin de la Première guerre
mondiale, puis subit les offensives bolchéviques au cours de 1919. 16 S’ils ont entériné les nouvelles de 1945, les États occidentaux n’ont jamais reconnu l’annexion des États
baltes à l’URSS de jure.
10
effet, du fait des conditions d’obtention de la citoyenneté et de l’estonien comme seule langue
officielle17, les autorités russes, notamment le ministère des Affaires étrangères, condamnent
régulièrement la violation des droits des russophones d’Estonie. Enfin, l’idée de voir
l’Estonie, ancien territoire de l’Empire tsariste et de l’URSS, intégrer l’OTAN et donc d’avoir
l’organisation militaire occidentale à la frontière de la Russie, est inacceptable pour le pouvoir
central russe. Les autorités du Kremlin ont tenté de décridibiliser les autorités estoniennes afin
de compromettre les négociations entre gouvernement estonien et OTAN, notamment dans les
années 1990 en repoussant constamment le règlement de la question frontalière en liant cette
dernière à d’autres problématiques comme les droits des russophones. L’OTAN accepterait-
elle alors un État aux frontières incertaines ?18 Dans ce contexte, les autorités estoniennes ont
ainsi dû faire face à l’hostilité des autorités russes qui n’acceptaient pas cette orientation
occidentale prise en Estonie dès l’indépendance recouvrée.
Au-delà du rapport difficile entre ancien occupé et ancien occupant19, toutes ces
tensions découlent d’une lecture historique différente des événements de la seconde moitié du
XXe siècle. L’historiographie officielle estonienne considère l’entrée de l’armée Rouge en
1940 et en 1944 comme une invasion, suivie d’une occupation. Par là, les autorités
estoniennes affirment la continuité de l’État entre 1940 et 1991 et déclarent illégales toutes les
actions entreprises par le pouvoir soviétique. En Russie, l’intervention des soldats soviétiques
de 1944 s’inscrit dans le contexte plus large de lutte contre l’Allemagne nazie. L’entrée de
l’armée Rouge en Estonie est vue comme une libération du joug nazi et de combat contre le
fascisme. La moindre action qui touche, de près ou de loin la Seconde Guerre mondiale
provoque alors inévitablement des réactions de part et d’autre de la frontière russo-estonienne.
Comment alors prétendre devenir un pont économique entre Europe et Russie quand
les discours officiels véhiculent des représentations aussi antagonistes que la lecture
historiographique de la Seconde Guerre mondiale ? Des relations économiques peuvent-elles
se développer alors que les gouvernements s’opposent dans d’autres domaines ?
Pour étudier la faisabilité de ce projet, il sera nécessaire d’étudier les grands domaines
dans lesquels Singapour a excellé dans le contexte estonien. Les tensions diplomatiques ne
17 Dans le cadre général de continuité juridique de l’État estonien entre 1940 et 1991, les personnes installées
sur le territoire estonien pendant la période soviétique se voient refuser l’octroi automatique de la
citoyenneté estonienne en 1991. De plus, l’obtention de la citoyenneté par naturalisation est conditionnée à
la maîtrise de l’estonien. 18 Malgré cela, l’Estonie a néanmoins intégré l’OTAN en 2004. Selon Kalev Stoicescu, qui a conduit les
délégations estoniennes entre 1996-1997, l’Estonie a réussi à prouver sa bonne volonté vis-à-vis de la
question frontialière et que le blocage venait de Russie. Entretien réalisé le 4 février 2008 à Paris. 19 Ce terme est utilisé en Estonie alors que les autorités russes rejettent ce terme.
11
sont peut-être qu’une façade derrière laquelle des échanges construits se développent malgré
tout et pourraient ainsi permettre à l’Estonie de s’imposer.
Plutôt que d’analyser les thèmes séparément, il sera, dans le cas de Tallinn, plus
pertinent d’opter pour une approche régionale : dans le souci de rompre avec la Russie, les
autorités estoniennes ont d’abord cherché à renforcer l’ancrage européen avant de se tourner
vers d’autres objectifs. C’est pourquoi avant d’envisager les horizons les plus lointains, il est
nécessaire d’analyser l’état de l’intégration de Tallinn dans son espace proche, en région
baltique, en Europe. Il sera possible de dégager les secteurs dans lesquels Tallinn a su se faire
une place et les domaines pour lesquels les efforts sont encore nécessaires, voire vains. Si
Singapour a misé sur l’industrie, avant de se tourner vers d’autres secteurs économiques,
Tallinn cherche à s’intégrer de manière multiple : politiquement, économiquement,
culturellement. La réintégration de Tallinn à l’Europe permet-elle à la capitale de devenir un
centre européen ou est-elle condamnée à rester une ville certes européenne, mais secondaire ?
Au moment de l’indépendance en 1991, Tallinn ne présente aucun caractère particulièrement
remarquable : comment peut-elle alors surmonter l’obstacle que représente ce manque
d’image de marque si indispensable désormais dans la concurrence des villes ?
Ensuite, j’aborderai les opportunités de développement de Tallinn vers d’autres
horizons. En premier lieu, j’analyserai les relations économiques entre Estonie et Russie car si
les tensions diplomatiques permanentes poussent l’Estonie toujours plus vers l’Europe (par le
biais des réseaux énergétiques), la Russie demeure un partenaire économique incontournable.
Comment le contexte politique influence-t-il les projets de développement estoniens ? En
Estonie même, observe-t-on un consensus dans la politique à suivre vis-à-vis de l’ancien
occupant ou entend-on des voix discordantes de la position gouvernementale officielle ?
Enfin, Tallinn peut-elle prétendre à un rôle de niveau mondial ? La volonté d’être un
« Singapour » se retrouve avant tout dans le domaine des transports, passagers et marchands.
Nous verrons si Tallinn peut tirer profit de la croissance économique asiatique et des relations
de plus en plus intenses entre Europe et Asie ou si cette petite capitale reste condamnée à des
relations de moindre ampleur, limitées au continent européen, voire même à la seule région
baltique.
Quels développements urbains à Tallinn ?
Afin que Tallinn puisse devenir un nouveau Singapour, il va de soi qu’une politique
locale d’aménagement doit être menée en adéquation avec les objectifs internationaux. Le
développement économique ne peut se faire hors-sol. Les activités de services nécessitent des
12
bureaux, l’accueil des touristes requiert parc hôtelier et structures de transport modernes.
Cette orientation touristique suppose également une politique spécifique dans ce domaine
pour accroître le pouvoir d’attraction de la ville.
La ville de Singapour est l’exemple type d’une ville-État asiatique : construction en
hauteur par l’érection de gratte-ciels, une forte urbanisation du littoral pour les activités
portuaires. On observe un modèle de développement sur un petit territoire où le manque
d’espace impose un certain nombre de contraintes urbanistiques.
Le projet « singapourien » de Tallinn doit-il déboucher sur l’adoption des mêmes
solutions ou un autre modèle est-il possible tout en ayant les mêmes effets escomptés sur la
scène internationale ? Sur quel modèle Tallinn peut-elle se développer pour répondre aux
ambitions internationales affichées ?
La capitale estonienne est une ville surtout développée au cours de deux grandes
périodes, selon deux modèles urbains différents. Bâtie par les Allemands, Tallinn possède un
cœur historique typique des villes européennes. Son développement au XXe siècle en fait en
revanche une ville de l’Est avec son architecture soviétique, ses grands ensembles, de larges
avenues, un système de transport public étendu et une place centrale pour l’industrie.
Façonnée par ce double héritage, Tallinn entre en 1991 dans une nouvelle phase de
développement. Le passage à l’économie de marché a apporté ses marqueurs architecturaux et
de nouveaux comportements urbains. Par exemple les entreprises du secteur financier
cherchent à se montrer, bâtissant des immeubles hauts, en revanche le mode de vie plus
individualiste auquel aspirent les Tallinnois provoque étalement urbain (logement) et
congestion routière (transports). Dans le même temps, subissant les nouvelles lois du marché,
l’industrie décline, laissant derrière elle des friches dispersées sur l’ensemble du territoire
urbain. Il en va de même pour les anciens territioires militaires notamment sur le littoral, et
qui sont aujourd’hui désaffectés puisqu’ayant perdu leur fonction de protection des fronitères
de l’URSS.
À partir de la fin des années 1990, une nouvelle politique urbaine prend forme avec
l’apparition de programmes-directeur, l’annonce d’orientations générales pour le
développement local. Alors que des ambitions internationales sont affichées pour Tallinn,
comment cela se retrouve-t-il dans la politique urbaine tallinnoise ? L’intégration européenne
se traduit-elle également localement par l’adoption de modèles d’aménagement européens ?
Est-ce que l’ensemble de l’énergie disponible est orientée dans ce projet, observe-t-on la
concurrence d’autres enjeux à portée uniquement locale, et Tallinn a-t-elle les moyens de ses
ambitions ?
13
La seconde partie de cette thèse tentera de dresser un panorama des principaux enjeux
urbains du Tallinn post-soviétique et des solutions choisies. À partir de là, il sera possible de
dégager les modèles adoptés à Tallinn et de qualifier le modèle vers lequel la capitale
estonienne se dirige, un peu plus de deux décennies après la chute de l’URSS.
Avant d’observer ce vers quoi la ville évolue, il faudra s’attarder sur la gestion de
l’héritage urbain soviétique. L’urbanisme actuel représente-t-il un outil d’affirmation
identitaire en Estonie, après avoir été un vecteur de l’idéologie communiste ? Une capitale est
très souvent la vitrine de l’identité d’un État : y implanter des symboles nationaux, marqueur
d’une certaine lecture de l’Histoire, d’une culture, permet de faire connaître ces éléments aux
visiteurs de la ville. Développée pendant près de sept siècles par des populations venues de
l’extérieur (Allemands, Russes, Soviétiques), Tallinn est-elle aujourd’hui un lieu
d’affirmation d’une certaine identité estonienne, par une politique d’élimination des symboles
du passé, d’implantation de nouveaux marqueurs ? Si oui, observe-t-on des conflits liés à cette
politique ?
Une seconde sous-partie permettra d’étudier les influences des transformations
économiques de l’Estonie sur le territoire de Tallinn. L’abandon de l’industrie et la promotion
de l’économie des nouvelles technologies, dans un contexte de libéralisation générale, ont-ils
une influence dans la capitale estoniennne ? Comment cette révolution économique se traduit-
elle à l’échelle locale ?
Ensuite, les ambitions internationales des autorités de Tallinn mettent en avant le
besoin de développer un potentiel touristique au-delà de l’héritage médiéval que représente la
Vieille Ville. Pour cela, des programmes ont été lancés afin de mettre en avant les atouts
territoriaux de la ville, parmi lesquels le littoral. Or, ce littoral est actuellement dominé par les
activités portuaires (transport marchand et passager), secteur historique de l’économie
tallinnoise. Les villes occidentales ont lancé des opérations de reconversion après le départ
des activités industrialo-portuaires à l’extérieur des centres-villes. Tallinn s’inscrit dans un
contexte différent. Le développement du port de Muuga (baie voisine de celle de Tallinn) au
début des années 1980 n’a pas supprimé toutes les activités portuaires de la baie de Tallinn. Il
sera essentiel d’analyser si une cohabitation entre activités marchandes et touristiques serait
possible à Tallinn ou si ce compromis est impossible, empêchant alors la mise en œuvre des
ambitions exprimées.
Enfin, la croissance urbaine génère des problèmes liés aux déplacements des
populations. Singapour adopta une politique autoritaire afin d’éviter une croissance
exponentielle du parc automobile local. Quelle est la situation à Tallinn, une ville aménagée
14
autour des transports publics et mais où les nouveaux comportements rendent ce modèle
dépassé ? Comment s’articule héritage soviétique et développement de la circulation
individuelle et quelles sont les solutions apportées pour éviter l’engorgement de la ville ?
Étudier les politiques d’aménagement à Tallinn permettra de présenter la manière dont
sont menés les projets, qui les décident et quels peuvent être les obstacles rencontrés.
L’intégration européenne de Tallinn modifie les processus d’aménagement qui ne sont plus du
seul ressort des experts. En effet, les Tallinnois ont adopté les comportements démocratiques
européens, prenant la parole pour contester certains projets d’aménagement. Ces nouveaux
comportements impliquent des conflits jusqu’ici absents en Estonie. Les études de différents
cas de figure seront l’occasion d’appréhender l’ampleur de cette évolution et l’impact sur les
projets politiques et économiques.
Enfin, sur quel système politique s’appuyer pour mener à bien les projets de
développement en Estonie. La saga singapourienne a pu voir le jour entre autres facteurs par
la mise en place d’un système politique autoritaire dirigé par Lee Kuan Yew (1923-2015)
relativement éloigné des aspirations démocratiques estoniennes de l’après-période soviétique.
Imiter Singapour nécessite-t-il des compromissions dans le système démocratique libéral mis
en place à partir de 1991 ou peut-on obtenir les mêmes résultats économiques dans une
société ouverte au dialogue et au débat ? Tallinn propose un cas de figure particulier avec une
situation politique bipolaire : d’un côté, le pouvoir national (gouvernement) est entre les
mains de coalitions dominées par un parti libéral de centre-droit (Parti de la Réforme), de
l’autre, le pouvoir municipal tallinnois est totalement dominé par la seule formation du maire
Edgar Savisaar, le Parti du Centre. Si Parti de la Réforme et Parti du Centre ont pu par le
passé collaborer, un antagonisme indépassable s’est progressivement créé mettant aux prises
deux pouvoirs politiques très ancrés. Alors que le Parti de la Réforme gouverne l’Estonie, le
Parti du Centre gouverne Tallinn. On se retrouve donc face à une politique duale qui pourra
avoir des effets négatifs sur le développement international et local de Tallinn.
Cette thèse de géographie s’inscrit dans la naissance d’un corpus scientifique
spécialisé sur les États baltes et la région baltique. Isolés au sein de l’URSS, l’Estonie, la
Lettonie et la Lituanie sont longtemps restées ignorées des chercheurs, à l’ombre des études
sur la Russie et l’URSS. Depuis le retour à l’indépendance de ces trois États, et encore plus
depuis leur intégration à l’Union européenne, l’intérêt est grandissant.
15
Les principaux travaux scientifiques couvrent l’ensemble des trois États, voire même
au-delà et se concentrent sur une thématique précise : par exemple les questions de sécurité
(Chillaud), les réseaux de villes (Escach), la politique étrangère (Perchoc), les recompositions
territoriales (Orcier), le transport maritime (Serry). La présente thèse prend le parti de se
limiter géographiquement à un État et une ville et de l’étudier à différents niveaux d’analyse.
Géographie régionale et aménagement urbain demeurent séparés alors que les deux éléments
peuvent être essentiels pour comprendre certaines évolutions. L’analyse des possibilités
d’intégration de Tallinn en Europe et dans le monde se fera selon cette approche multiscalaire.
Intégrer les problématiques locales permet d’éclaircir certains blocages dans les
développements internationaux de la capitale estonienne.
16
1. UNE « PETITE » CAPITALE AUX GRANDES AMBITIONS
Capitale d’une petite République soviétique au sein de la vaste URSS, Tallinn
demeura pendant près de cinq décennies coupée des réseaux (transports, économiques,
politiques) qui se développaient en Europe occidentale. Dès la chute du régime communiste et
le recouvrement de l’indépendance de l’État, les gouvernements estoniens successifs se sont
mobilisés pour réintégrer leur État et leur capitale en particulier dans les structures
occidentales. Les années 1990 et 2000 ont permis de retisser les liens avec les voisins
scandinaves et d’en créer de nouveaux avec les États européens plus éloignés, telles que la
France et la Grande-Bretagne. Si l’objectif de « retour à l’Europe » est désormais assuré avec
l’intégration dans l’UE depuis 2004, l’Estonie et sa capitale recherchent de nouveaux objectifs
de développement international. Ainsi, à partir du début des années 2000, des voix s’élèvent
pour que Tallinn, porte d’entrée du pays par voie maritime et aérienne, devienne un pont entre
l’ouest et l’est, et même beaucoup plus, puisqu’experts et élus souhaitent voir Tallinn devenir
le Singapour de la mer Baltique. Prenant la réussite de la ville-État asiatique pour modèle, ils
voient en Tallinn un centre d’échanges potentiel entre l’Europe d’un côté et la Russie et l’Asie
de l’autre. Regroupant un tiers de la population estonienne, Tallinn peut présenter les mêmes
caractéristiques que Singapour : absence de ressources naturelles sur un petit territoire,
présence d’un port situé sur une voie maritime majeure, intégration de la révolution du
numérique dans le développement économique.
Comment ce projet est-il né ? Après avoir rappelé les différents sous-ensembles
géographiques et politiques auxquels Tallinn appartient et les arguments historiques utilisés
pour justifier ce projet, deux étapes permettront de présenter le cheminement réalisé par la
capitale estonienne depuis 1991. À la chute de l’URSS, un objectif est clairement affiché :
intégrer l’Europe. Plusieurs thématiques permettront de juger la politique conduite et ses
résultats : les réseaux de transport, les réseaux institutionnels et les réseaux économiques. À
partir de ces trois grands thèmes, il sera possible d’évaluer la place qu’occupe Tallinn
aujourd’hui sur le continent européen.
Ensuite, j’analyserai la seconde partie du projet « singapourien » de Tallinn : devenir
un pôle de transit ce qui impose une politique vers l’est. S’orienter vers l’est sous-entend
entretenir des relations avec la Russie, considérée comme l’ancien occupant. Comment le
projet visant à faire de Tallinn une ville de dimension internationale se développe-t-il alors
que gouvernements estonien et russe n’ont pas des relations très cordiales depuis deux
décennies ?
17
Enfin, Tallinn peut-elle prétendre à un rôle mondial en s’inscrivant dans des réseaux
extra-européens ?
1.1. Géographie et histoire : l’origine du projet singapourien
1.1.1. Tirer profit d’une situation géographique floue
Afin de comprendre les arguments de Mihhail Bronštein, une mise en situation de
Tallinn s’impose. Où se trouve réellement la capitale estonienne ? Largement méconnue,
Tallinn fait partie de ces villes qu’il est difficile de localiser, d’associer à un espace
géographique clair. De plus, les regroupements d’États autour de l’Estonie le sont tout autant.
C’est en partie cet état de fait qui pourrait desservir la ville en lui conférant un rôle
d’intermédiaire entre plusieurs régions mieux définies.
En développant les différentes aires géographiques auxquelles Tallinn appartient, je
vais tenter dans un premier temps de montrer que la capitale estonienne peut effectivement
jouir d’une position d’intermédiaire comme le fait Singapour en Asie.
À l’échelle du continent européen au sens large et classique de ses limites, c’est-à-dire
de l’Atlantique à l’Oural, Tallinn est localisée à proximité du méridien 25° E, à égale distance
des extrémités de cette Europe, la péninsule ibérique (10° O) et l’Oural (60° E). Du nord au
sud, l’Estonie se trouve dans la moitié septentrionale de l’Europe, à moins de 800 km au sud
du cercle polaire, à une latitude similaire à celle d’Oslo, Stockholm et Saint-Pétersbourg, à
proximité du 60° N, où le climat est continental et humide. Cela implique un phénomène à
garder à l’esprit dans le cas d’une ville maritime : le gel des eaux au cours de la période
hivernale. Ce facteur sera essentiel lorsqu’il s’agira de comparer les atouts et les
inconvénients des différents ports de la Baltique.
La capitale estonienne se situe à l’extrémité occidentale de la vaste plaine Sarmatique,
ou plaine d’Europe orientale, d’environ quatre millions de kilomètres carrés qui s’étend de la
mer Baltique à l’ouest à l’Oural à l’est et de la mer Blanche au nord à la mer Noire et au
Caucase au sud, englobant la Russie européenne, l’Ukraine, le Belarus, la Moldavie,
l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Cette plaine est traversée par de nombreux cours d’eau,
certains majeurs comme la Volga, le Don, le Dniepr, la Petchora. Parmi les larges fleuves, peu
se jettent à l’ouest, dans la mer Baltique. Il faut citer la Daugava, qui prend sa source en
Russie, pour se jeter dans la mer Baltique en Lettonie, après avoir traversé le Belarus. De ce
point de vue, Tallinn est à l’écart des grandes voies fluviales bien que la Neva et la Narva
permettent de pénétrer à l’intérieur des terres via les lacs (Ladoga, Onega, Peïpous). C’est
18
grâce à ces deux fleuves côtiers que Tallinn a pu s’imposer au Moyen-Âge comme un point
de passage entre l’Europe germano-scandinave et les principautés slaves.
Carte 1 Tallinn et le réseau hydrographique à l'est de la Baltique
À ces éléments de géographie physique s’ajoutent un certain nombre de limites
politiques. Sur le plan des grandes organisations et institutions présentes en Europe, la
capitale estonienne se situe à la lisière de deux grands ensembles : d’un côté l’Union
européenne et l’OTAN, auxquelles elle appartient, de l’autre la CEI, à seulement 200 km.
Cela représente à la fois un atout (rôle potentiel d’intermédiaire) et un inconvénient (question
de sécurité).
L’Estonie est désormais pleinement intégrée à l’espace euro-atlantique puisque
membre de l’Union européenne et de l’OTAN depuis 2004. Auparavant, l’indépendance de
l’Estonie avait été pleinement reconnue avec l’adhésion à l’ONU (1991), à l’OSCE (1991), au
Conseil de l’Europe (1993) et à l’OMC en 1999. L’adhésion à l’UE fut encore renforcée par
l’entrée de l’Estonie dans l’Espace Schengen (2007), puis dans la zone euro (janvier 2011).
En 2010 eut lieu l’adhésion à l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE). Tout comme le changement de devise en 2011, l’intégration à l’OCDE
19
marque un tournant, l’Estonie est la première ex-République soviétique dans ce cas-là.
Toutefois, ne peut-on pas dessiner d’autres limites sur d’autres critères ?
Carte 2 L'intégration de l'Estonie dans les grandes organisations internationales depuis 1991
20
Par sa langue, l’Estonie appartient à l’ensemble des peuples parlant une langue finno-
ougrienne. Cette famille linguistique regroupe un certain nombre de langues surtout présentes
à l’est de la Baltique20 et dans la partie orientale de la Russie européenne et de Sibérie
occidentale21. Ce lien linguistique est visible à travers les relations entretenues avec les autres
peuples parlant une langue finno-ougrienne, que ces peuples jouissent d’un État indépendant
(Finlande, Hongrie), d’une République au sein de la Russie (Komis, Maris, Oudmourtes...) ou
qu’ils n’aient aucun territoire administratif propre (Votes, Vepses, Ingriens). Indépendante,
l’Estonie est devenue l’un des principaux centres scientifiques spécialisés sur les questions
liées aux peuples finno-ougriens accueillant des locuteurs finno-ougriens venus en Estonie
suivre des études plus facilement qu’en Russie.
Carte 3 Implantation territoriale des langues finno-ougriennes et samoyèdes
La proximité entre les langues finnoise et estonienne joue un rôle dans le
rapprochement des deux rives du golfe de Finlande, outre une distance faible (80 km). Avant
1991, les similitudes entre les langues ont été un moyen pour les Estoniens des régions les
20 Il s'agit là des langues dites fenniques, finnois, estonien, carélien, vote, vepse... 21 Il s'agit de trois groupes : les langues permiennes (komi, komi-permiak, oudmourte), les langues de la
Volga (mari et mordve), les langues ougriennes (khanty et mansi)
21
plus proches de la Finlande d’avoir une ouverture sur le monde occidental grâce à l’écoute des
émissions de radio et de télévision finlandaises. Cette appartenance à la famille linguistique
finno-ougrienne joue un rôle dans la proximité de l’Estonie à la Finlande, mais inversement
l’éloigne des autres États voisins. (D’un point de vue linguistique, l’Estonie est bien plus
proche de la Finlande que de la Lettonie.) Ainsi, les Estoniens se placent dans une aire
linguistique particulière, ancrée au nord-est de l’Europe, et si on associe toujours les trois
États baltes, seul l’estonien est proche du finnois.
Si la langue oriente l’Estonie vers le nord et l’est, l’influence du christianisme
occidental (catholicisme puis protestantisme) l’ancre dans un ensemble germano-scandinave.
La présence des Barons baltes et la domination des royaumes scandinaves, germaniques et
polonais à partir du XIIIe siècle ont constamment maintenu l’Estonie dans l’espace européen,
y compris après 1710. En effet, l’intégration de l’Estonie à l’empire tsariste (orthodoxe) à
partir de cette date ne modifia pas la donne en profondeur : quelques tentatives de conversion
à l’orthodoxie furent initiées à la fin du XIXe siècle, mais sans grand succès22. De plus, la
noblesse germano-balte, protestante, continua de gouverner localement les territoires de
l’actuelle Estonie jusqu’en 1918. L’arrivée en Estonie de populations slaves orthodoxes au
cours de la seconde moitié du XXe siècle provoqua toutefois un renforcement des liens
culturels entre l’Estonie et la Russie métropolitaine. Deux aires d’influence culturelle se
juxtaposent depuis en Estonie.
Au cours de la guerre Froide, l’Europe était clairement scindée en deux par le Rideau
de Fer. Depuis la chute des régimes communistes, celle-ci est divisée en plusieurs ensembles
spatio-politiques aux limites plus ou moins floues qui varient selon les critères retenus. Ainsi,
des États peuvent appartenir à plusieurs d’entre eux. C’est le cas de l’Estonie qui semble ainsi
pouvoir jouer plusieurs cartes régionales.
A l’Europe de l’Est s’est substituée l’Europe centrale et orientale. Les adjectifs
« centrale » et « orientale » renvoient à la géographie, avec toute la liberté de choix d’intégrer
ou non tel ou tel État. L’ensemble des États d’Europe centrale et orientale, communément
appelés PECO, n’est pas fixe. Une définition large intègre toutes les anciennes démocraties
populaires, les États issus de l’ex-Yougoslavie, l’Albanie et les six anciennes Républiques
22 Jean-Pierre Minaudier, Histoire de l’Estonie et de la nation estonienne, ADEFO-L’Harmattan, Paris, 2007,
pp. 200-201
22
socialistes soviétiques européennes23, voire même la partie européenne de la Russie. À
l’opposé, l’INSEE définit les PECO comme l’ensemble des onze États anciennement
communistes qui ont intégré l’Union européenne en 2004, en 2007 et 201324. Entre ces deux
extrêmes, on observe un large choix de délimitations de cette Europe située entre Europe
occidentale et Russie25. L’Estonie est tantôt incluse, tantôt non. Elle se retrouve en revanche
toujours à la marge. Ce flou laisse par contre une possibilité d’intégrer différents ensembles,
avec des ouvertures vers d’autres ensembles, en cours de construction.
À l’instar de la revue Regard sur l’Est, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie forment en
général le groupe d’États que l’on nomme les « États baltes », détachés de l’Europe centrale.
Cette expression est largement présente dans les médias et l’on cite bien plus les États baltes
que les noms des trois États. Voisins, entre Russie et mer Baltique, d’une superficie
équivalente et faisant partie des États les moins peuplés d’Europe, les trois États possèdent
des caractéristiques similaires qui incitent au regroupement.
Présente déjà dans les années 1920 et 1930, l’expression est remise au goût du jour à
la faveur de la lutte simultanée contre le pouvoir central soviétique à la fin des années 1980.
La Voie balte n’a-t-elle pas reliée Tallinn à Vilnius en passant par Riga le 23 août 198926 ? Le
processus de lutte contre le pouvoir soviétique s’est fait de concert et l’indépendance a été
déclarée quasi simultanément27.
23 Estonie, Lettonie, Lituanie, Ukraine, Belarus, Moldavie 24 http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/pays-europe-cent-orient.htm 25 Boris Grésillon, « L'Europe centrale vue par... », in Foucher, Michel, Europe, Europes, documentation
photographique nº 8074, La documentation Française, mars-avril 2010, p. 20 26 Organisée le jour du cinquantenaire des accords Molotov-Ribbentrop, la Voie balte est une chaîne humaine
qui relia les trois capitales baltes pour réclamer la reconnaissance des accords secrets du pacte germano-
soviétique qui mentionnaient le partage de la Pologne et des États baltes entre Allemagne hitlérienne et
Union soviétique. 27 La Lituanie déclare son indépendance le 11 mars 1990, l’Estonie lance la transition vers l’indépendance le
30 mars 1990 et la Lettonie fait de même le 30 mai 1990. L'indépendance effective de l'Estonie est déclarée
le 20 août 1991, celle de la Lettonie le 21.
Toutefois, le processus connut des rythmes différents, avec l’un des trois États plus en pointe que les deux
autres, selon le moment. Si la Lettonie initia la contestation (1986-1987), c’est ensuite l’Estonie (1987-
1989) qui mena le front contre l’URSS, puis la Lituanie (1989-1990). Voir Andres Kasekamp, A History of
the Baltic States, Palgrave Macmillan, Hampshire, 2010, p. 168
23
Carte 4 L'Estonie dans les différentes conceptions de l'Europe centrale et orientale
Indépendants pendant l’entre-deux guerres mondiales, les trois États disparaissent avec
les invasions soviétique et allemande. L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie regagnent leur
indépendance simultanément en 1991 et avancent de concert dans leur processus d’intégration
occidentale : UE et OTAN en 2004, espace Schengen en 2007. Il faut attendre 2010 pour voir
l’un des États s’affranchir de ce parallélisme, puisque l’Estonie intègre seule l’OCDE, avant
24
d’adopter l’euro le 1er janvier 2011, devise adoptée par la Lettonie le 1er janvier 2013 et par la
Lituanie le 1er janvier 2015.
Les trois petits États baltes, isolés entre la Scandinavie, l’Europe centrale et l’immense
Russie sont systématiquement réunis dans la presse ou la recherche scientifique, pour former
un ensemble plus visible. Cette expression est désormais entrée dans la plupart des langues y
compris dans les langues locales : en estonien (Balti riigid), en letton (Baltijas valstis) et en
lituanien (Baltijos valstybės). En anglais, les trois États sont réunis sous le terme de Baltic
States. En français, l’expression « États baltes » est désormais plus usitée que « pays baltes ».
Plus concrètement, l’entité « États baltes » apparaît dans la sphère politique avec
l’existence d’une Assemblée balte28 et le Conseil des ministres baltes (ou Conseil balte).
L’Assemblée, créée en 1991 à Tallinn, se réunit annuellement dans l’État en charge de la
présidence tournante. Elle vise à renforcer la coopération (économique, politique, culturelle)
entre les trois États, l’harmonisation de leur appareil législatif, de leur politique étrangère, etc.
Composée de trois délégations d’élus issus des parlements nationaux, cette assemblée
demeure un organe de propositions. Elle a toutefois permis aux trois États d’avancer ensemble
dans le règlement de certaines questions telles le retrait des troupes russes au début des années
1990 ou l’intégration du droit européen avant les adhésions à l’UE29.
Aux côtés de cette coopération, les exécutifs baltes se sont associés au sein de groupes
de coopération. Le Conseil balte est né quatre ans après l’Assemblée balte, en 1995 et se
réunit parallèlement à l’Assemblée balte. Depuis 2004, la présidence des deux institutions est
assurée simultanément par le même État.
Autre espace d’intégration potentiel : l’espace baltique30. La région baltique prend
plusieurs formes en fonction des États et des territoires que l’on y inclut. Est-ce dû à son
caractère récent ? Le terme « baltique » est primordial, car il pose la mer Baltique en
dénominateur commun, et en position centrale avec un pourtour, plus ou moins vaste. Qu’il
soit physique (bassin versant de la mer Baltique), politique (frontières des États),
institutionnel (Conseil des États de la mer Baltique31 ou Union des Villes de la mer
28 Site de l'Assemblée balte : www.baltasam.org 29 Sur les activités de l’Assemblée balte : http://baltasam.org/en/history 30 L'une des conséquences majeures de la fin de la guerre Froide est d'intégrer la mer Baltique dans l'espace
de l'Union européenne. L'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne intègrent l'UE en 2004, ce qui permet
d'inclure les rives est et sud. Il faut aussi rappeler que l'UE n'a atteint la Baltique, avec les intégrations de la
Suède et de la Finlande, qu'en 1995. La communauté européenne n'atteignait la Baltique que par
l'intermédiaire du Danemark et du nord de la RFA (land du Schleswig-Holstein). Le mouvement
d'extension ne se fait qu'en 1990 avec la réunification allemande. 31 Site du Conseil des États de la mer Baltique : www.cbss.org
25
Baltique32), le critère de délimitation de la région baltique intègre néanmoins toujours Tallinn
dans cet espace en construction.
Outre le débat concernant l’étendue de la région baltique, celle-ci apparaît très
morcelée, subdivisée par la présence d’entités plus anciennes, mieux établies et de structures
de coopération plus petites33. Ce n’est que très récemment que la Baltique est devenu un « lac
européen ». Avant la réunification des deux rives, des organisations plus anciennes, comme le
Conseil nordique (1952) se sont développées excluant une partie des pays riverains34. Le
Rideau de Fer, qui scindait la Baltique en deux a limité le développement des structures
transfrontalières à la Scandinavie et au nord de la RFA.
32 Site de l’Union des Villes de la mer Baltique : www.ubc.net 33 Voir carte annexe 4 34 Le Conseil nordique se limite à cinq États, mais des représentations ont été installées dans les trois États
baltes et en Russie : deux en Estonie (Tallinn (1991) et Tartu), une à Riga (1991), une à Vilnius (1991) et
deux en Russie (Saint-Pétersbourg (1995) et Kaliningrad, auxquelles il faut ajouter des contacts à
Mourmansk, Petrozavodsk et Arkhangelsk). www.norden.org et pour les dates Sarunas Radvilavicius, dir.,
Cross-border cooperation in the Baltic sea region and in North-West Russia, Norden, Vilnius, 2004, p. 2
26
Carte 5 La Baltique : une région aux dimensions multiples
27
Carte 6 L'extension des structures de coopération autour de la Baltique
La constitution d’un espace baltique au cours des deux dernières décennies à la suite
de la disparition du bloc de l’Est s’est accompagnée d’une éclosion de regroupements
régionaux transfrontaliers. Si on note la présence de coopérations transbaltiques (rapprochant
les deux rives)35, on note surtout l’existence d’organisations sur une seule rive. Tallinn est
35 Eurorégion Baltic (Suède, Pologne, Lituanie, Russie), eurorégion Poméranie (Pologne, Suède, Allemagne),
eurorégion B7 Seven Islands (Åland, Hiiumaa et Saaremaa, Gotland et Öland, Bornholm et Rügen),
eurorégion Helsinki-Tallinn et coopération finno-estonienne « 3+3 », Conseil Kvarken, région Centre-
Nord, Comité Archipel
28
quant à elle clairement tournée vers les deux rives de la Baltique puisqu’elle fait partie de
l’eurorégion Helsinki-Tallinn et de la région baltique centrale développée dans le cadre du
Fonds européen de développement régional (FEDER).
Carte 7 Coopération régionale de Tallinn en Baltique centrale
À la lumière de ces espaces de coopération, l’Estonie appartient à la région centrale de
la Baltique et elle est clairement associée aux métropoles de Stockholm (Suède), d’Helsinki
(Finlande) et de Riga (Lettonie). En revanche, la région centrale de la Baltique n’inclut Saint-
Pétersbourg pas et la partie orientale du golfe de Finlande, isolées par le passage de la
frontière externe de l’UE. Tallinn est donc absente du développement récent à la frontière
orientale de l’UE où les coopérations transfrontalières se multiplient. La capitale estonienne a
29
bénéficié de sa proximité de l’UE dans les années 1990 pour se rapprocher de la Finlande,
mais par contre elle est exclue des organismes transfrontaliers russo-estoniens.
Carte 8 Coopération à la frontière orientale de l'UE en région baltique
Il y a un autre ensemble : l’espace balte qu’Arnaud Serry définit dans sa thèse comme
un espace intermédiaire entre les États baltes et l’espace baltique, qui outre les trois États
baltes, englobe le sud de la Finlande, le nord-est de la Pologne, le nord-ouest du Belarus et
l’extrême-ouest russe, dont Saint-Pétersbourg36. Dans sa thèse sur les ports de la Baltique, A.
Serry prend en compte l’ensemble de la façade maritime orientale de la Baltique, de la
Pologne à la Finlande, territoire structuré autour des grands axes de transport marchand.
Tallinn s’inscrit ainsi dans de multiples ensembles, de taille très variable. Désormais
clairement intégrée à l’Union européenne, elle n’en demeure pas moins proche de son ancien
espace d’appartenance devenue la CEI. À une échelle régionale plus vaste, la capitale
36 Arnaud Serry, La réorganisation portuaire de la Baltique orientale : l’émergence d’une nouvelle région en
Europe, thèse de doctorat de géographie dirigée par Pierre Thorez, Université du Havre, 2006, p. 31
30
estonienne est au cœur d’une région baltique en devenir. Enfin, elle appartient aussi à
l’Europe centrale et orientale même si les liens semblent à première vue plus ténus.
Quels espaces alors privilégier pour donner à Tallinn le rôle international recherché ?
1.1.2. Renouer avec les succès passés
Outre la comparaison de situations géographiques similaires, l’objectif de faire de
Tallinn un Singapour de la Baltique est avant tout justifié par la mise en avant d’un élément
historique : l’appartenance de la ville au réseau marchand le plus puissant de l’époque
médiévale, la Ligue hanséatique. À partir de l’intégration de la ville à ce réseau marchand au
XIVe siècle, Tallinn est progressivement devenue un centre majeur de la mer Baltique, grâce à
sa position géographique, entre les villes hanséatiques germaniques et les comptoirs situés
plus à l’est. Sans concurrente, Helsinki n’étant fondée qu’en 1550, Tallinn a longtemps
contrôlé l’entrée du Golfe de Finlande et les routes vers la Narva et la Neva et au-delà
Novgorod. La mobilisation de ces éléments historiques sert fréquemment à montrer que la
ville de Tallinn a vocation à (re)devenir un point névralgique en Europe. Si les projets ne se
cantonnent pas à un seul ensemble régional, la gloire passée peut être restaurée : comme au
Moyen-Âge, la puissance de Tallinn serait fonction de ses ouvertures vers plusieurs régions
d’Europe, c’est pourquoi son rôle de tête de pont doit être retrouvé.
Le rôle central de Tallinn en Baltique au cours de la période médiévale est
constamment rappelé pour crédibiliser les objectifs affichés au XXIe siècle. On rappelle que
les premiers témoignages sur le rôle de Tallinn dans les échanges autour de la Baltique datent
du début du XIIIe siècle37. Grâce à l’arrivée des Danois et des Allemands, Tallinn a intégré les
réseaux commerciaux de la région baltique et est devenue l’un des passages obligés pour les
marchandises à destination de l’actuelle Russie. La distance, plus de 1 500 km entre Lübeck et
Novgorod, joua en faveur de Tallinn qui devint progressivement une étape inévitable pour les
routes maritimes de la Baltique au détriment des ports situés plus au sud (Visby et Gotland).
De plus, les difficultés politiques à l’ouest de la mer Baltique (conflits entre royaumes danois
et suédois) ont contraint les villes allemandes de laisser Tallinn prendre de l’importance.
« Comme Lübeck et Visby étaient concernés par les problèmes politiques des États voisins
depuis la fin du XIVe siècle, l’influence exercée par Tallinn et Tartu sur le comptoir
hanséatique de Novgorod crut fortement. Lors des journées hanséatiques de Stralsund en
37 Raimo Pullat, History of Old Tallinn, Estopol, Tallinn, 2009
31
1442, Lübeck fut forcée de reconnaître la main-mise de Tallinn sur le commerce de
Novgorod.38 »
Cette influence croissante de Tallinn dans les réseaux baltiques se voit déjà un siècle
auparavant lorsque Lübeck octroie à la ville le droit d’étape en 1346, droit dont Pärnu (Perno)
et Riga jouissent également. Toutes les marchandises destinées à Novgorod doivent être
déchargées puis rechargées dans l’un de ces trois ports. Tallinn devient ainsi le terminus de
nombreuses routes maritimes allemandes.
En 1402, Tallinn voit son rôle de centre renforcé par la conquête de Stockholm par
l’Ordre des Chevaliers Portes-Glaives en 1397, puis par celle de Gotland et Visby39. Le XVe
siècle est marqué par la domination des villes de l’est de la Baltique, Tallinn en tête.
Localement, Tallinn dominait le sud de la Finlande. Raimo Pullat mentionne l’attention que le
conseil de Tallinn portait aux marchands finnois afin de les inciter à ne faire du commerce
qu’avec Tallinn. Les forts liens entre les deux rives du golfe de Finlande perdurent jusqu’au
milieu du XVIe siècle, en 1550, Helsinki est d’ailleurs fondée pour tenter de concurrencer
Tallinn par le roi suédois Gustave Ier Vasa qui chercha à favoriser la côte finlandaise au
détriment de Tallinn, sans succès40.
Au XVIe siècle, grâce au transport de marchandises, Tallinn est en relation avec le
pourtour de la Baltique, mais aussi avec l’Europe occidentale. Ainsi, les relations avec
Lübeck sont intenses qui joue d’ailleurs le rôle d’escale pour les navires tallinnois à
destination de l’ouest : les Pays-Bas, Bruges puis Anvers, Francfort-sur-le-Main, Nuremberg.
L’importation de produits comme le sel met Tallinn en relation avec des villes plus lointaines,
surtout de France et du Portugal41.
38 Ibid., p. 29 39 Ibid., p. 64 40 Ibid., pp. 66-67 41 Ibid., pp. 67-68
32
Carte 9 Tallinn dans la Ligue hanséatique
33
Le Tallinn de cet âge d’or médiéval présente les mêmes caractéristiques que Singapour
quelques siècles plus tard. Comme la cité-État asiatique au XXe siècle, la ville hanséatique
n’était pas à la tête d’un vaste territoire riche en matières premières ou autres ressources
naturelles. En effet, à l’extérieur des remparts, Tallinn s’étendait sur un territoire un peu
moins vaste que l’actuel42. Au-delà, la terre était propriété de l’ordre des Portes-Glaives ou de
la couronne danoise. L’essor de la ville dépendait donc exclusivement des routes maritimes
qui offraient de meilleurs revenus que n’importe quel autre secteur d’activités. Le commerce
était l’unique raison d’être de Tallinn.
Ces éléments relatifs au passé marchand de Tallinn sont régulièrement invoqués. Le
terme de « Hanse » est d’ailleurs très présent dans le vocabulaire du monde économique
estonien. Les entreprises intègrent souvent cette dimension dans leur nom. On peut citer
l’ancien nom de la filiale estonienne de la banque suédoise Swedbank qui, avant l’adoption du
nom de la maison-mère en 2009, s’appelait Hansapank, mais ce sont des centaines
d’entreprises estoniennes qui utilisent l’image de la Hanse43. Le rappel de l’appartenance de
Tallinn à la ligue hanséatique est constant dans les rues de la Vieille Ville. Depuis 1982, les
journées de la Vieille Ville sont organisées en juin et pour célébrer la grandeur historique
médiévale de Tallinn. Ainsi, en 2008, la conférence Transestonia mettait l’accent sur le 760e
anniversaire de l’adoption du droit de Lübeck par Tallinn (1248).
À partir du moment où Tallinn perd sa fonction d’étape obligée à cause de
changements économiques et politiques, le déclin s’amorce. Novgorod est conquise en 1494
par Ivan III ce qui entraîne la fermeture du comptoir hanséatique qui y était implanté depuis
1286. De plus, des routes concurrentes apparaissent progressivement, comme la route
maritime du nord via Arkhangelsk ouverte en 1556. Globalement, la période suédoise (qui
prend fin en 1710) est marquée pour Tallinn par une perte d’influence continue.
La perte de son emprise sur les routes maritimes est due grande partie aux conflits qui
ont lieu dans la région : la guerre de Livonie (1558-1582) qui opposa la Suède, la Russie et la
Pologne, puis la guerre entre la Suède et la Pologne (1600-1629). Dans ce contexte, Tallinn
privée du commerce hanséatique florissant, devient une ville provinciale suédoise44, pour le
plus gros profit de Narva et Riga qui bénéficient d’une situation géographique plus
42 Voir la carte de l’évolution territoriale de Tallinn, annexe 5. 43 Registre du commerce estonien, https://ariregister.rik.ee/ 44 Raimo Pullat, Op. Cit., p. 87
34
avantageuse. À la différence de Tallinn, ces deux villes ont un accès fluvial direct avec la
Russie intérieure, par la Daugava pour Riga et par la Narva et la Velikaïa pour Narva45. Narva
bénéficie aussi des modifications de frontières : du fait de la guerre de Livonie, Narva est
désormais en territoire russe, alors que Tallinn reste du côté suédois, perdant ainsi sa
domination sur Narva, qui dès lors, en tant que seul port russe de la Baltique, concentre le
transport de marchandises russes.
Malgré la conquête de Narva par la Suède en 1582 et la possibilité de mieux contrôler
les routes maritimes, le mal était fait : Tallinn ne peut regagner sa position de port central du
golfe de Finlande, même si le pouvoir central suédois tente de la promouvoir. Face aux échecs
de Tallinn et au rôle de plus en plus important de Narva et de Nyenskans (ville et forteresse
construites à l’embouchure de la Neva en 1611), la cour royale suédoise prit peu à peu
conscience de l’inutilité des politiques commerciales en faveur de Tallinn. Peu à peu, les liens
entre Tallinn et les régions orientales se délitèrent et orienta son activité marchande vers
l’ouest, notamment vers les Pays-Bas. Le déclin de Tallinn tout au long de la période suédoise
se lit à travers la disparition d’une flotte tallinnoise propriété des citoyens de Tallinn. Si elle
possédait 30 bateaux en 1680, Tallinn n’en avait plus qu’un à la fin de la guerre du Nord
(1700-1721).
La conquête de l’Estonie et de la Livonie par Pierre le Grand au début du XVIIIe siècle
marque la fin de la lente agonie du port commercial de Tallinn. L’intégration de la ville dans
l’empire russe permet un nouveau démarrage et de nouvelles orientations commerciales. Il
faut toutefois attendre la fin du siècle pour en voir les premiers effets. Ce n’est qu’avec
l’abolition des taxes douanières intérieures à la Russie (1782) que Tallinn peut accéder
aisément à l’empire russe46.
Le XIXe siècle marque le retour de Tallinn au premier plan. L’inauguration de la voie
ferrée Tallinn - Saint-Pétersbourg en 1870 change considérablement la donne47, d’autant que
Riga n’est reliée à la capitale de l’empire qu’à partir de 1889, avec l’ouverture de la ligne
Riga-Pskov, Pskov étant déjà reliée à Saint-Pétersbourg en tant que gare de la ligne Saint-
Pétersbourg-Varsovie48. La connexion ferroviaire à la capitale permet à Tallinn de retrouver
un rôle dans le commerce russe et surtout d’intégrer la ville dans la révolution industrielle.
45 Ibid., p. 88 46 Ibid., p. 114 47 Ibid., p. 115 48 Latvijas dzelzceļš, « Line Riga-Valka celebrates 120 years », http://www.ldz.lv/?object_id=3925
35
Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, l’activité de Tallinn reposait sur le
commerce maritime plus ou moins en déclin selon les époques. Grâce au chemin de fer,
Tallinn retrouve un dynamisme économique et une activité portuaire commerciale majeure du
fait de l’accès permanent au port de Tallinn grâce à des brises glaces, que n’ont pas les autres
ports49.
Tallinn devint ainsi progressivement un lieu de transbordement entre deux moyens de
transport, maritime et terrestre, c’est encore actuellement le cas pour le transport des
hydrocarbures.
À la lumière de ces quelques éléments historiques, on note plusieurs périodes : l’âge
d’or médiéval, le long déclin jusqu’à quasi disparition et le renouveau industriel. La bonne
santé économique du commerce tallinnois dépend donc constamment de l’ouverture des
territoires voisins, tant à l’ouest qu’à l’est et de la concurrence d’autres ports. La fermeture du
marché russe (dans un contexte de guerres successives) provoque la fin de l’âge d’or
hanséatique. Ce n’est qu’avec les nouvelles possibilités d’accès au marché russe que Tallinn
renaît commercialement à la fin du XIXe siècle. Ainsi, Tallinn n’a connu de croissance
économique que dans une position de relais entre l’Europe occidentale et la Russie. L’absence
de l’une des branches du réseau met la capitale estonienne en difficulté.
À l’éclatement de l’URSS, le port de Tallinn bénéficie des infrastructures liées à la
Russie, mais les liens avec l’ouest sont rompus. Le retour d’un dynamisme portuaire ne
s’effectue qu’avec le développement des routes maritimes vers l’Europe, tout en conservant
des relations intenses avec la Russie. L’analyse des tendances historiques montre que le
développement du port ne peut se faire qu’avec l’activité de transit, qu’avec un
positionnement intermédiaire entre l’est et l’ouest du continent. L’idée de faire de Tallinn un
Singapour de la Baltique n’est donc pas très étonnante puisque la ville a déjà par le passé eu
un rôle comparable, mais comment reconquérir les marchés et profiter de nouveau de la
situation géographique de la ville ?
49 Raimo Pullat, Op. Cit., p. 133
36
1.2. (Ré)intégrer l’Europe avant tout
Avant d’envisager l’intégration de Tallinn dans des réseaux mondiaux, les autorités
estoniennes ont surtout cherché à revenir en Europe. Utilisant le passé hanséatique et la courte
période d’indépendance (1918-1940), les gouvernements successifs ont promu l’idée selon
laquelle l’Estonie appartenait naturellement à l’Europe. Au début des années 1990, l’objectif
premier était de tisser des liens vers l’ouest et rompre au maximum les relations de
dépendance vis-à-vis de la Russie : l’Union européenne et l’OTAN devenaient alors les buts à
atteindre sur le plan politique et militaire pour être à l’abri de l’ancien occupant. Si des
alternatives ont pu être proposées, telle une neutralité à la finlandaise, les autorités baltes, se
souvenant de l’indifférence des grandes puissances en 1940 face à l’invasion d’États baltes
neutres, ont clairement exprimé que l’OTAN était la seule solution pour elles50.
L’objectif ici n’est pas d’évoquer le processus d’intégration de l’Estonie à l’UE et à
l’OTAN, les négociations des années 1990 ont déjà été analysées51, mais plutôt d’approfondir
les stratégies mises en place pour renforcer cette intégration européenne et créer les conditions
pour que Tallinn redevienne un pôle majeur régional voire continental. L’intégration à
l’Union européenne est nécessaire mais insuffisante pour redonner à Tallinn son rôle de ville
étape majeure dans les échanges entre l’ouest et l’est.
1.2.1. Par les réseaux de transport
Bien que Tallinn soit reliée par bateau à Helsinki dès 1965, ce n’est qu’à la fin des
années 1980 que les frontières s’ouvrent progressivement permettant ainsi aux Estoniens de se
rendre à l’étranger. Stockholm devient accessible à partir de juin 1990 grâce aux rotations du
Nord Estonia, de la compagnie suédoise Nordström & Thulin Estline AB52 jetant les bases du
réseau maritime actuel en Baltique centrale.
À la fin des années 2000, Tallinn est devenu l’un des ports passagers les plus
dynamiques de la Baltique avec plus de sept millions d’usagers par an. Elle s’inscrit dans un
réseau qui compte également Helsinki (9,7 millions de passagers en 2010) et Stockholm (9
millions en 2009). Ces trois villes dominent la Baltique centrale qui compte également le port
de Turku en Finlande (3 millions de passagers en 2010), Kappelskär (Suède) et Riga
50 Andres Kasekamp, Op. Cit., p. 192 51 Voir Céline Bayou et Matthieu Chillaud, dir., Les États baltes en transition, le retour à l’Europe, P.I.E.
Peter Lang, Bruxelles, 2012 52 Tallinn sadam, « ajalugu, 20. sajandi lõpp », http://www.portoftallinn.com/20-sajandi-lopp
37
(Lettonie) (600 000 passagers pour l’année 2009-2010). Au fond du golfe de Finlande, Saint-
Pétersbourg reste très à l’écart et n’a pas encore réussi à s’imposer dans ce domaine.
La capitale estonienne est clairement tournée vers les capitales suédoise et finlandaise.
Reliée également à Saint-Pétersbourg depuis 2011 une fois par semaine, Tallinn demeure
centrée sur le cœur de la Baltique en ce qui concerne le transport passager. La capitale
estonienne a su tirer profit de sa proximité vis-à-vis de la Scandinavie pour s’imposer, grâce à
la compagnie Tallink. Créée en 1989, la coentreprise finno-soviétique devenue entièrement
estonienne, a progressivement conquis le marché en rachetant notamment la Finlandaise Silja
Line. Les navires du groupe Tallink relient désormais les quatre capitales du centre de la
Baltique, ainsi que Turku à la Suède. De leur côté, Viking Line (Finlande) ne couvre que les
routes entre la Suède et la Finlande et entre l’Estonie et la Finlande et Eckerö Line (Finlande)
n’assure que des traversées du golfe de Finlande entre Tallinn et Helsinki. Un troisième
concurrent, St. Peter Line (Russie), assure des rotations au départ de Saint-Pétersbourg en
desservant Helsinki, Stockholm et Tallinn ainsi qu’une ligne Saint-Pétersbourg Helsinki.
Carte 10 Transport maritime international de passagers en Baltique centrale
38
À la lumière de ces brefs éléments, on note une bonne intégration de Tallinn dans les
réseaux maritimes depuis 1991. Les deux capitales voisines sont aisément accessibles (la
traversée Tallinn-Stockholm nécessite toutefois une nuit de ferry). De plus, la capitale
estonienne bénéficie de la venue des Finlandais et des Suédois à la recherche de prix défiants
toute concurrence notamment pour l’alcool.
Néanmoins, Tallinn n’a qu’un ancrage régional alors qu’Helsinki et Saint-Pétersbourg
sur le golfe de Finlande ou Ventspils, Liepaja et Klaipėda plus au sud sont reliées aux villes
d’Allemagne du Nord (Rostock, Travemünde-Lübeck). La capitale estonienne fut un temps
reliée à l’Allemagne, avec une escale en Finlande (2006-2010), mais la baisse des activités à
la fin de la décennie 2000 condamna la desserte de Tallinn. La capitale estonienne se retrouve
donc isolée de destinations proches du cœur de l’Europe alors que ses concurrents y
demeurent ancrés53. Au centre de la région baltique, Tallinn souffre de cette position d’entre-
deux, coincée entre golfe de Finlande et États baltes.
Compte tenu des temps de traversée, il est évident que les liaisons maritimes pour
passagers ne se font qu’à une échelle régionale. Qu’en est-il des liaisons aériennes, l’avion
étant le moyen de transport privilégié à l’échelle continentale ? Tallinn a-t-elle là aussi réussi
son intégration ?
Isolée de l’Europe jusqu’à la fin des années 1980, un nouveau réseau a dû être bâti.
Afin d’évaluer l’intégration de Tallinn dans l’espace aérien européen, deux éléments peuvent
être analysés : la capacité de projection de la compagnie nationale et le pouvoir d’attraction
d’autres compagnies. De nombreux aéroports jouent le rôle de hub pour la compagnie
nationale du pays, Tallinn ne fait pas exception en étant la base d’Estonian air, compagnie
créée en 1991.
Comme toute compagnie nationale54, Estonian air joue un rôle essentiel dans la
promotion de l’Estonie à travers l’Europe en portant le nom du pays et deux des trois couleurs
du drapeau. Malgré sa faible taille, sept avions, Estonian air constitue un acteur majeur dans
l’intégration de ce nouvel État sur le continent européen.
L’évolution des destinations au départ de l’aéroport de Tallinn témoigne des ambitions
des années 1990 et 2000. La chute de l’URSS a entraîné un revirement total de l’ancrage de
53 Dans certains cas, les rotations sont limitées, comme par exemple la ligne Travemünde-Ventspils avec un
aller-retour hebdomadaire. 54 Voir Pierre Biplan, « Les compagnies aériennes entre la nation et la mondialisation », in Hérodote, nº 114,
La Découverte, Troisième trimestre 2004, pp. 56-70
39
Tallinn dans le paysage aérien européen. Seulement tourné vers l’est jusqu’en 1991,
l’aéroport de Tallinn devient progressivement un aéroport tourné vers l’ouest.
Contrairement à l’aéroport voisin de Riga, Tallinn se singularise par une rupture totale
des relations avec l’espace de la CEI. Seules Moscou et Kiev conservent une liaison
permanente avec la capitale estonienne alors que Minsk est desservie par intermittence (1991-
1998 et 2008-2011)55 (voir carte 11, p. 40).
Inversement, un réseau aérien se construit peu à peu vers l’Europe par vol direct. Entre
1989 et 1995, Tallinn s’installe dans l’espace européen avec des liaisons vers les principales
villes européennes, mais qui ne sont pas très éloignées de la mer Baltique. Le premier enjeu
pour l’aéroport de Tallinn est, en effet, d’être relié aux capitales des États voisins : Stockholm
et Helsinki, à partir desquelles le reste du continent est accessible. Ces vols sont assurés avant
même la chute de l’URSS (Tallinn-Stockholm en 1989 et Tallinn-Helsinki en 1990). Après
1991, on note l’ouverture des lignes vers Vilnius, Copenhague et Francfort. On reste ici dans
un périmètre restreint, à l’exception de Francfort, mais ce choix s’explique par le rôle majeur
de cette ville dans l’espace aérien européen en tant que hub de la compagnie allemande
Lufthansa. Estonian air assure la totalité des vols, Lufthansa ne desservant Tallinn qu’à partir
de 1992.
C’est surtout à la fin de cette première période (1995) que le réseau s’élargit :
Hambourg (1994), Londres, Amsterdam, Riga, Tampere (1995). Dans tous les cas, c’est la
compagnie nationale estonienne qui prend l’initiative. Ainsi, Tallinn s’ouvre sur l’Europe vers
des cibles précises, desservies par la compagnie nationale, la concurrence (Lufthansa, Karair,
Finnair, SAS) demeurant limitée à quelques lignes.
De 1996 à 2002, on constate une double évolution : la poursuite de l’élargissement des
villes desservies et la fermeture de lignes ouvertes au cours de la période précédente. Trois
nouvelles lignes sont ouvertes : Vienne (1997), Oslo (1998) et Varsovie (2000). Avec
l’ouverture de la ligne d’Oslo, les quatre capitales de l’espace nordique sont desservies. Ce
choix s’explique à la fois par la proximité, mais aussi par la coopération entre la compagnie
nationale estonienne et Scandinavian Airlines (SAS), la compagnie partagée par le Danemark,
la Suède et la Norvège. Cela symbolise également la volonté de rattachement de l’Estonie à
l’Europe du Nord.
55 À la fin des années 1970, Tallinn était reliée avec 37 villes d’URSS. Entsüklopeedia Tallinn Vol. 1, Eesti
Entsüklopeediakirjastus, Tallinn, 2004, p. 284
40
Cette deuxième période est aussi marquée par l’arrivée de nouvelles compagnies
aériennes à Tallinn. Les lignes de Vienne et de Varsovie sont créées à l’initiative d’une filiale
d’Austrian air et de LOT, la compagnie nationale polonaise. L’ouverture de nouvelles lignes
s’accompagne aussi de la fermeture de certaines lignes créées auparavant : Tampere (1996),
Amsterdam et Minsk (1998), Oslo (2001)
C’est surtout au cours de la troisième période (2003-2007) que l’ancrage européen de
Tallinn prend de l’ampleur. 18 lignes sont ainsi créées en l’espace de quatre ans. On note
certes la réapparition de lignes déjà créées par le passé (Oslo et Amsterdam en 2003, Tampere
en 2004, Vilnius en 2007 après une disparition en 2005), Vienne en 2007 après une
interruption en 2003), mais la majorité des lignes existent pour la première fois. Plusieurs
capitales sont désormais accessibles : Paris, Berlin, Prague (2003) et Bruxelles (2004) ancrent
le réseau au cœur de la mégalopole européenne. Il faut rappeler que l’Estonie intègre l’Union
européenne en 2004. D’autres villes majeures européennes sont desservies, comme Milan et
Munich (2004)56.
De nouvelles lignes sont créées pour répondre à la demande générée par l’émigration
d’Estoniens. Dublin et Manchester deviennent des destinations possibles au départ de Tallinn
en 2004 et en 2005. De nouvelles lignes témoignent clairement d’un besoin de desserte de
destinations touristiques. Barcelone, Dubrovnik (Croatie), Simferopol (Ukraine) et Palanga
(Lituanie) sont desservies à partir de 200657.
En termes de compagnies aériennes, cette période présente une diversification
importante des entreprises intéressées par Tallinn. On note l’arrivée de la compagnie low-cost
EasyJet en 2004 pour les lignes de Londres et de Berlin. Des compagnies régionales privées
cherchent une place sur le marché, mais l’échec est souvent au rendez-vous, à l’exception de
Göteborg (CityLines, 2005).
À partir de 2008, les compagnies se succèdent et appliquent toutes une stratégie qui
mêlent diversification et test économique (le marché est-il rentable ?). Qu’il s’agisse
d’airBaltic ou de FlyBe Nordic, Tallinn se retrouve reliée à de nombreuses villes finlandaises,
mais la réussite n’est pas au rendez-vous. La présence d’immigrés estoniens en quête de
salaires élevés en Finlande ne fait pas un marché suffisant pour maintenir des liaisons
permanentes. De son côté, Estonian air doit faire face à des difficultés économiques qui
56 Munich disparaît dès 2005 57 Palanga disparaît en 2007
41
menacent l’existence même de la compagnie. La réduction de la flotte et la limitation des
destinations constamment desservies lui permettent de survivre, mais Estonian air continue
d’avoir une épée de Damoclès au-dessus d’elle tant elle souffre de déficits chroniques. Les
règles européennes empêchent l’État estonien, propriétaire à 97,34%, d’injecter toutes les
sommes nécessaires, au risque de connaître le sort de Malév Airlines, la compagnie hongroise
qui fut mise en faillite en 2012 après que la Commission européen eut exigé le
remboursement des aides de l’État.
La disparition d’Estonian air :
Le 7 novembre, la Commission européenne a rendu son avis concernant la conformité des aides
gouvernementales à Estonian air aux règles du marché unique européen. Comme craint, l’institution
les jugea illégales et ordonna leur remboursement immédiat. Incapable de rembourser 85 millions à
l’État, Estonian air fut aussitôt mise en cessation d’activité.
Craignant une telle décision, le gouvernement estonien s’était préparé et avait dès le mois d’octobre
2015 créé une nouvelle compagnie nationale, Nordic Aviation Group. Ainsi, dès le 8 novembre 2015,
l’Estonie inaugurait sa nouvelle compagnie. Faute de flotte, la nouvelle compagnie fonctionne
actuellement grâce à une coopération avec la compagnie slovène Adria Airways qui gère le système
de réservation des billets et assure une partie des vols.
La nouvelle compagnie devrait commencer à construire sa flotte et son réseau au cours de 2016. La
disparition d’Estonian air a pour effet de contracter le réseau aérien de l’aéroport de Tallinn. Dans
certains cas, l’offre de desserte disparaît ou se limite aux vols assurés par d’autres compagnies
aériennes (pour exemple pour Moscou ou Paris).
Certes sensible aux variations du marché et de la santé économique des compagnies,
néanmoins le réseau développé à partir de Tallinn devient de plus en plus dense. L’image
actuelle ne doit toutefois pas cacher un élément essentiel dans le cas de nombreuses lignes :
leur fonctionnement saisonnier. De nombreuses villes ne sont accessibles directement depuis
Tallinn que la moitié de l’année, de mars à octobre. Pendant l’hiver, le réseau se réduit
fortement et ressemble davantage au réseau existant à la fin des années 1990. Inexistante
avant 2003, la ligne Tallinn-Paris l’est encore pendant tous les hivers suivants à l’exception de
l’hiver 2012-2013 (ligne assurée par Estonian air) et au cours de l’hiver 2014-2015
(airBaltic).
Ce mouvement d’extension-contraction témoigne de la fragilité du réseau au départ de
l’aéroport Lennart Meri. La création de lignes estivales souligne surtout l’importance de ces
lignes pour les Estoniens. Si Estonian air décide d’assurer une liaison avec Dubrovnik, c’est
avant tout pour transporter des Estoniens vers la Méditerranée, et non des Croates vers la
Baltique.
Il faut toutefois nuancer ce constat. Si on intègre la variable du nombre de passagers et
de l’importance de ces lignes dans le trafic global de Tallinn en termes de rotations
42
hebdomadaires, on se rend compte que ces lignes demeurent très en retrait par rapport aux
connexions avec les aéroports voisins. La plupart des liaisons estivales ne sont assurées
qu’une à deux fois par semaine, ce qui est très en deçà des liaisons avec les autres aéroports.
Entre 30 et 50 vols assurent la connexion entre Tallinn et les capitales voisines, les villes plus
éloignées, comme Londres ou Prague au minimum une fois par jour. De ce point de vue,
l’absence de certaines lignes l’hiver ne représente pas un coût économique important.
Carte 11 Évolution du réseau aérien ancré sur Tallinn entre 1991 et 2014
43
En revanche, la dimension symbolique est incontestable. L’aéroport de Tallinn qui
peut prétendre à un réseau pleinement européen pendant l’été retrouve une dimension
régionale l’hiver, avec seules quelques grandes destinations européennes.
Cette alternance prouve que l’aéroport de Tallinn demeure avant tout un lieu de départ
plutôt qu’un lieu d’arrivée. Le développement de lignes aériennes a pour principal but le
transport de touristes estoniens vers l’étranger, et non d’attirer les touristes étrangers à
Tallinn, si ce n’est celles assurées par airBaltic puis Flybe Nordic et Estonian air entre Tallinn
et Helsinki du fait de la présence de nombreux Estoniens en Finlande. En outre, Tallinn
demeure une destination prisée des Finlandais.
De plus, dans ce contexte fragile, les acteurs estoniens du secteur doivent faire face à
la concurrence des autres compagnes baltes, en tête desquelles la lettone airBaltic.
Après avoir mis FlyLAL (Lituanie) en faillite, airBaltic se tourna vers le marché
estonien. La politique de prix agressive menée à la fin des années 2000 et l’ouverture de
nouvelles lignes concurrentes constitua une menace forte pour l’Estonie, en faisant de Tallinn
une dépendance de Riga. Il était en effet plus facile et plus économique de rejoindre Tallinn
après une escale en Lettonie.
Figure 1 Évolution du trafic passagers des aéroports de Tallinn et de Riga (1993-2014)
Les résultats économiques de la compagnie basée à Riga et son aéroport international
témoignent des succès remportés à court terme. Alors que les aéroports estonien et letton
accueillaient un nombre de passagers comparable en 2004 (1,06 millions pour Riga contre
0,99 million pour Tallinn, les années suivantes ont été marquées par une forte et régulière
0
1
2
3
4
5
6
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Années
Aéroport de Tallinn Aéroport de Riga
44
croissance du trafic à Riga. En 2011, 5,1 millions de passagers sont passés par Riga. Il faut
aussi noter que la croissance ne fut pas interrompue par la crise mondiale, contrairement à
Tallinn. L’aéroport estonien ne parvint pas à doubler le nombre de passagers de 2004 qu’en
2008 (1,8 millions), avant que la crise entraîne un coup d’arrêt. Le nombre de passagers chuta
à 1,35 et 1,38 millions en 2009 et 2010, avant de rebondir (1,9 millions en 2011). La barre des
deux millions de passagers fut symboliquement franchie en novembre 2012, mais les résultats
positifs de l’après crise laissent tout de même Tallinn loin derrière Riga.
Le succès de Riga repose sur un réseau ancré à la fois en Europe et en ex-URSS. La
capitale lettone a pu ainsi devenir une escale pour qui allait en Asie centrale (Tachkent en
Ouzbékistan et Achgabat au Turkménistan). On note également le rôle d’escale de Riga pour
les vols d’Uzbekistan Airways entre Tashkent et New York. Outre cette position, airBaltic
joue aussi la carte d’autres destinations avec des vols vers la Méditerranée (Israël).
Carte 12 L'ancrage aérien de Riga début 2015
45
C’est dans ce contexte de succès du côté d’airBaltic qu’émerge alors l’idée de créer
une compagnie balte unique. La disparition de FlyLAL et la faiblesse d’Estonian air face à la
puissante airBaltic semblaient être de solides arguments en faveur d’un regroupement. Ceci
était sans compter sur la résistance côté estonien, avec le refus de perte de souveraineté en
termes de trafic aérien. Créer une compagnie aérienne balte aurait logiquement conduit à
suivre le modèle airBaltic. La santé économique de la compagnie lettone et la situation
géographique centrale de Riga constituaient des arguments majeurs.
Toutefois, la résistance d’Estonian air, avec une reprise de la compagnie par l’État
estonien, n’a pas permis le regroupement espéré côté letton. Le contexte économique général
joua ensuite un rôle déterminant. Fortement soutenu par l’État letton, airBaltic souffre très
rapidement de la crise économique qui pousse la Lettonie au bord de la faillite. Sans soutien
gouvernemental, la compagnie aérienne voit ses résultats économiques s’inverser, avec de
forts déficits.
Condamnée à revoir sa politique de prix, airBaltic tend à devenir une compagnie low-
cost58, entraînant une perte de compétitivité face aux compagnies classiques, dont Estonian
air. Rattrapée par les conséquences de sa politique agressive, airBaltic est contrainte de revoir
ses choix et se désengagent rapidement du marché estonien.
Cet épisode témoigne des difficultés rencontrées par les acteurs estoniens pour se faire
une place sur le marché aérien et aéroportuaire. La faiblesse de la compagnie estonienne ne
permet pas à Tallinn de s’étendre, surtout quand les voisins décident d’envahir le marché
national.
Avec un réseau de seulement 12 destinations régulières au cours de l’hiver 2014-2015,
l’aéroport de Tallinn est incapable de tenir une quelconque comparaison avec le modèle
singapourien. L’aéroport Changi de Singapour est connecté à plus de 230 destinations
notamment grâce à Singapore Airlines (voir annexe 10) et sa filiale Silkair et les compagnies
à bas coûts Tigerair et Jetstar Asia Airways. Comment alors prétendre s’imposer de quelque
manière sur ce marché ?
Alors que les principales compagnies low-cost se sont longtemps tenues à l’écart de
Tallinn, seule EsayJet était présente pour sa ligne Tallinn-Londres et anciennement Tallinn-
58 Dans un premier temps, airBaltic pratique des prix bas par rapport à ses concurrentes tout en offrant des
services comparables (prix du bagage inclus notamment). Cette situation difficilement tenable a
progressivement poussé les dirigeants à revoir leur politique. Peu à peu, tout est devenu payant : bagage en
soute, réservation par paiement bancaire faisant perdre aux passagers le bénéfice d’un billet d’avion moins
cher que sur d’autres vols.
46
Berlin, la fin des années 2000 marque l’extension du réseau de Ryanair jusqu’à l’Estonie.
L’évolution globale du marché du transport aérien, avec la concurrence des low-costs face aux
compagnies nationales traditionnelles, permettrait-elle une meilleure intégration de Tallinn
dans l’espace aérien européen ? Le président du directoire de l’aéroport de Tallinn, Rein Loik
défend en mai 2013 la venue de nouvelles compagnies à bas coûts, en sus d’EasyJet et de
Ryanair59.
Le site Internet e24 présente en mai 2013 les compagnies potentielles en Europe. Air
Berlin pourrait occuper le créneau de la desserte d’autres aéroports allemands que Francfort.
La compagnie hongroise Wizz Air pourrait étendre son réseau balte (présence à Vilnius) en
créant une ligne Budapest-Tallinn. La compagnie espagnole Vueling est absente du nord de
l’Europe. Le marché entre Tallinn et Barcelone est, en revanche, déjà occupé par Ryanair. La
compagnie tchèque Smart Wings est aussi une entreprise qui pourrait s’intéresser à la capitale
estonienne. Toutefois, l’arrêt des liaisons assurées entre Tallinn et Prague par la compagnie
nationale Czech Airlines ne permet pas l’optimisme à propos des potentiels de la ligne. Enfin,
la compagnie islandaise WOW Air n’est présente qu’à Vilnius60.
Ces différents éléments soulignent la fragilité de la place de Tallinn sur le continent
européen. Malgré une volonté de changer de dimension, la réalité révèle une situation plus
aléatoire. Il semblerait que les deux décennies passées ont permis la construction d’un réseau
correct, mais les potentiels manquent pour franchir un nouveau seuil et péréniser l’ensemble
des lignes qui ont été créées. Tallinn demeure une destination secondaire et les compagnies
aériennes en difficulté la placent souvent dans leurs premiers choix quand il s’agit de fermer
des lignes.
L’étude des réseaux aériens de Tallinn vers l’Europe indique un ancrage clair. La
compagnie nationale fait voyager les Estoniens en Europe et transporte les touristes vers
l’Estonie. Toutefois, la dépendance vis-à-vis d’un certain nombre d’aéroports est flagrante. La
réduction du nombre de vols entre Paris et Tallinn a poussé les Estoniens de France à opter
pour d’autres trajets, notamment via Helsinki, qui devient alors un second (voire le premier)
aéroport tallinnois. On souligne dès lors un premier écueil pour la capitale estonienne par
comparaison à Singapour : cet ancrage clair est limité à un certain nombre de destinations ce
qui ne permet pas à Tallinn de devenir un centre majeur à l’échelle européenne.
59 BNS, « Loik : tuleval aastal peaks Tallinnasse tulema mõned uued lennufirmad », e24.ee, 1er mai 2013 60 Gert D. Hankewitz, « Vaata, millised odavlennufirmad Tallinn lennata võiksid », e24.ee, 9 mai 2013
47
L’orientation vers le sud ? L’option ferroviaire de la Rail Baltica
Afin de renforcer son ancrage en Europe, les gouvernements estoniens misent
également sur l’aménagement des corridors de transport terrestre. L’état des réseaux au
moment de l’indépendance estonienne ne favorisait pas un accès rapide à l’Europe
occidentale. Les routes nécessitaient des rénovations en profondeur – les nids de poules
mitaient les grandes routes encore en 2000 – et aucune voie ferrée ne reliait Tallinn à l’Europe
centrale sans passer par la Russie.
Dans le cadre de cette stratégie d’intégration européenne, les Estoniens ont, dès les
années 1990, soutenu la création de la Rail Baltica, une voie ferrée qui doit relier la capitale
estonienne à Varsovie, et au-delà au réseau ferroviaire européen dans son ensemble. Ce
soutien provient d’une vision précise de la place de l’Estonie en Europe : ne pas dépendre de
son voisin russe. Sans liaison physique forte, l’Estonie risquerait d’être maintenue à la marge
de l’Europe. Dès lors, grâce à cette voie ferrée, l’Estonie serait arrimée symboliquement à
l’Europe, alors qu’elle ne l’a jamais été auparavant. En effet, hérité de l’époque impériale
russe et soviétique, le réseau dans les trois Républiques baltes est déconnecté du reste du
réseau européen. Construit d’abord depuis Saint-Pétersbourg et Moscou, il n’a jamais été
pensé selon une orientation nord-sud, isolant donc les capitales baltes les unes des autres.
(Des voies existent, mais leur état n’autorise pas une exploitation intense.) Le réseau se
distingue aussi par ses caractéristiques techniques. Avec un écartement de rails différent de la
norme européenne (1 520 mm contre 1 435 mm), le réseau balte n’est pas directement
connecté à l’Europe, et nécessite une rupture de charge entre la Pologne et la Lituanie.
Afin de relier les trois États baltes à l’Europe, un total de 1 100 km de voies doit alors
être aménagé dans le cadre du TEN-T, le réseau transeuropéen des transports. Lancé dans les
années 1990, ce plan de développement transeuropéen pose des axes prioritaires dans le
domaine des transports, de l’énergie et des télécommunications. Un total de trente axes a été
défini en 200461 pour l’amélioration des transports routiers, ferroviaires et maritimes ou
fluviaux en Europe. L’objectif principal est la modernisation et l’extension des réseaux de
transports pour l’année 2020, qui doit donc atteindre 89 500 km de routes et 94 000 km de
voies ferrées. 4 800 km de routes et 12 500 km de voies ferrées doivent alors être construits
pour combler les manques dans le réseau existant. Le futur TEN-T doit permettre de répondre
à la croissance du transport de fret et à la volonté de réduire les émissions de gaz à effet de
serre.
61 Le TEN-T inclut à l'origine 14 projets. 16 projets sont intégrés à la suite de l'élargissement de l'UE en 2004.
48
Parmi les 30 projets soutenus, un concerne particulièrement Tallinn et l’Estonie : la
Rail Baltica (1 190 km). Les institutions européennes font le constat des mauvaises
connexions entre les trois voisins baltes et la Pologne (et au-delà toute l’Europe). Un exemple
de modernisation des transports nord-sud existe déjà avec la Via Baltica, la section de la route
européenne nº 67 Prague-Helsinki à partir de Varsovie vers le nord.
Deux résultats principaux sont recherchés : accroître les capacités du réseau ferré et le
potentiel d’intermodalité, et ainsi dynamiser le commerce avec les autres États européens,
dans le domaine du fret et améliorer les services passagers (réduction des temps de trajet vers
l’Europe centrale et méridionale)62.
Présent dans le document « Vision et stratégies autour de la Baltique 2010 » publié en
1994, l’idée de Rail Baltica prend forme au cours de la première moitié des années 2000. Un
Groupe de coordination de la Rail Baltica est formé par l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la
Pologne. Désormais à cinq par l’intégration de la Finlande, une Déclaration d’intention est
signée le 27 mars 2006 par les ministres des transports63.
Une étude de préfaisabilité fut conduite entre novembre 2005 et décembre 2006 à la
demande de la Commission européenne. Les principales conclusions et recommandations
furent publiées en janvier 200764. Trois projets sont développés, à l’ambition et aux coûts bien
différents. Le premier ensemble d’investissements vise d’abord à assurer une connexion
minimale entre Tallinn et Varsovie, à une vitesse de 120 km/h sur des voies aux normes
d’écartement russes65. Le transbordement des marchandises sur les voies au standard
européen se fait à Kaunas et les convois rejoindraient la Pologne par une voie nouvelle qui
permettrait une circulation à la vitesse de 160 km/h. Le coût est évalué à 979 millions d’euros.
En Estonie, la Rail Baltica suit le tracé déjà existant en reliant Tallinn à Riga en passant par
Tapa, Tartu et Valga.
Le deuxième ensemble propose d’assurer une circulation à 160 km/h sur l’ensemble de
la ligne. La ligne à écartement russe serait améliorée sur l’ensemble de la ligne préexistante,
de Tallinn à Kaunas. La liaison entre Kaunas et la frontière polonaise est identique à celle du
premier ensemble. En revanche, deux lignes nouvelles sont proposées entre la Lettonie et la
Lituanie : celle du premier projet entre Kaunas et Joniškis, ainsi qu’une seconde ligne entre
62 Commision européenne, Trans-European transport Network, TEN-T priority axis and projects 2005,
Luxembourg, 2005, p. 64 63 Commission européenne, DG Politique régionale, Etude de faisabilité de l'axe ferroviaire « Rail Baltica »,
Principales conclusions et recommandations, janvier 2007, p. 2 64 Ibid. 65 Seule une nouvelle ligne est proposée entre Joniškis et Kaunas via Radviliškis, en Lituanie.
49
Kaunas et Riga, via Bauska (Lett.) et Panevėžys (Lit.). Le coût est estimé à 1 546 millions
d’euros.
Le troisième ensemble d’investissements est le plus ambitieux. Il propose
l’aménagement d’une voie nouvelle « européenne » sur l’ensemble du tracé. Au départ de
Tallinn, le tracé rejoint Riga via Pärnu, au détriment de la voie via Tartu. L’option d’un tracé
court est reprise entre Kaunas et Joniškis. De plus, la vitesse possible est supérieure : 160
km/h sont requis entre Tallinn et Kaunas et 200 km/h entre Kaunas et la Pologne. En territoire
polonais, la voie existante est améliorée pour que les trains puissent rouler à 160 km/h. Plus
ambitieux, le troisième ensemble est par conséquent le plus onéreux avec un coût estimé à
2 369 millions d’euros. Une solution sans électrification de l’axe entre Białystok et la
frontière polono-lituanienne diminue le coût à 1 830 millions d’euros.
Si plusieurs risques sont pointés66 par l’étude de faisabilité, un concerne
particulièrement Tallinn : terminus septentrional de la ligne, la capitale estonienne pourrait ne
jamais être atteinte si les travaux débutent depuis la Pologne et devaient être interrompus pour
quelque raison. Toutefois, les recommandations de l’étude de faisabilité proposent un
lancement des travaux par le nord, principalement en raison de l’utilisation plus importante du
réseau. Le risque d’isolement de Tallinn n’est toutefois pas supprimé. À quoi servirait une
voie construite depuis le nord et qui n’atteint pas la Pologne ?
Si l’étude de faisabilité évoque trois scénarii et si le premier ensemble
d’investissements est en cours de réalisation, le terme de Rail Baltica couvre désormais deux
réalités différentes. Il désigne actuellement la liaison Tallinn-Varsovie en cours
d’aménagement. Il s’agit des aménagements a minima, pour assurer la connexion des trois
États baltes au reste de l’Europe. « Rail Baltica » renvoie aussi à l’aménagement du troisième
ensemble d’investissements, à savoir la création d’une voie totalement nouvelle, aux
standards européens. Le terme de Rail Baltica est ainsi utilisé dans un premier temps pour
désigner les premiers travaux, autour des voies préexistantes. Ce n’est qu’une fois cette
première phase réalisée que le terme Rail Baltica change de signification et couvre la nouvelle
voie. La distinction entre les deux projets se fait parfois sur le nom donné, le premier étant
désigné par Rail Baltic, le second par Rail Baltica. Afin d’éviter la confusion entre les deux
66 Augmentation des coûts d’investissement, demande de transport, manque d’expérience avec les réseaux à
double écartement, risques environnementaux, risques liés à la planification nationale, risques liés à la
coordination transnationale et absence de financement.
50
noms peu distincts, j’évoquerai le premier projet par Rail Baltica I et le second projet par Rail
Baltica II.
Une seconde étude de faisabilité autour de la Rail Baltica fut conduite par l’entreprise
britannique Aecom Ltd. entre avril 2010 et mai 2011. Cette étude se concentre uniquement
sur la question d’une voie ferrée à écartement standard (1 435 mm) entre Tallinn et la
frontière polono-lituanienne. Il s’agissait ainsi d’approfondir les choix pour la réalisation du
troisième ensemble d’investissements (Rail Baltica II) exposé dans la première étude de
faisabilité.
L’étude britannique intègre cinq tracés différents : le tracé principal déjà proposé par
la première étude de faisabilité et quatre alternatives qui correspondent à deux logiques
différentes. En Estonie tout d’abord, deux alternatives reprennent très largement le tracé
principal à quelques exceptions près, notamment entre Rapla et Pärnu et pour le passage de la
frontière avec la Lettonie. Une option propose un détour par Mõisaküla en utilisant le tracé
historique de la ligne Pärnu-Valga, avant de bifurquer vers Riga. Les deux alternatives suivent
ensuite un trajet similaire en Lettonie pour rejoindre Kaunas via Panevėžys.
Les deux autres tracés estoniens intègrent la ville de Tartu. L’un des tracés utilise la
voie existante Tallinn-Tapa, l’autre propose une nouvelle ligne plus directe par Põltsamaa et
Paide. Cette dernière suit également un tracé plus direct en Lettonie en évitant la ville de
Cēsis. En Lituanie, elle emprunte le trajet le plus direct, alors que l’autre solution vise à
emprunter la voie préexistante via Šiauliai67.
67 Aecom, Rail Baltica Final Report Volume II Appendix A-F, mai 2011, p. 157
51
Carte 13 Le projet de Rail Baltica I : connecter les États baltes à l’Union européenne
52
Carte 14 Le projet de Rail Baltica II : implantation de la grande vitesse dans les États baltes
53
La mise à l’épreuve de l’unité balte
Bénéficiant des fonds de la période de financement européens 2007-2013, la mise en
œuvre de la Rail Baltica I est visible. L’option proposée par le premier ensemble
d’investissements dans l’étude de faisabilité est retenue dans un premier temps, en témoignent
les aménagements sur la ligne préexistante Tallinn-Tartu-Valga/Valka-Riga.
En mai 2008, 11,8% du tracé était aménagé, soit 135 km de voies, principalement en
Pologne, entre Tluszcz et Białystok. 32,7% des 1 142 km étaient en cours d’aménagement,
soit les sections Tartu-Valga en Estonie et Riga-Kaunas. Fin 2012, l’avancement des
réalisations est visible, puisque 41% du projet est achevé (458 km). De plus, 44% des voies
sont en cours d’aménagement. L’ensemble du tracé en territoire estonien est réalisé. Les
sections Tallinn-Tapa et Tartu-Valga en 2010 et Tapa-Tartu en 2012.
Sur la période 2008-2013, on note également l’aménagement de la partie sud de la
Rail Baltica entre Marijampolė en Lituanie et la frontière avec la Pologne (2010). Ailleurs, les
travaux sont toujours en cours. Le rapport d’avancement publié en novembre 2012 prévoit la
fin des travaux en Lettonie en 2014, à l’exception du tronçon entre Jelgava et la région au sud
de Valmiera. Le dernier rapport souligne un report d’un an de l’achèvement des travaux en
Lettonie, avec une incertitude pour la partie centrale, le rapport de 2010 indiquait 2013 pour
l’ensemble du tronçon letton.
L’achèvement de l’aménagement de l’axe prioritaire nº 27 ne se fera pourtant pas
avant plusieurs années. Le rapport de 2008 mentionne clairement que la construction du
tronçon Białystok-Suwałki ne débutera pas avant 2013. Les différents rapports suivants
estiment que la Rail Baltica I sera achevée en 2020.
L’horizon de 2020 a été fixé assez tôt. L’espoir de voir la Rail Baltica I achevée plus
rapidement n’a jamais été envisagé. L’idée de pouvoir utiliser la voie avant la réalisation
totale du projet, notamment l’aménagement des voies en Pologne, a toutefois été défendue à
plusieurs reprises par le ministre estonien de l’économie et des communications Juhan Parts.
Malheureusement, la crise économique qui a durement frappé l’Estonie et la Lettonie porte un
coup d’arrêt aux réalisations. Si l’Estonie a pu achever la rénovation de son réseau en 2012, la
situation en Lettonie est autre. Le rapport d’avancement de 2011 résumait la situation ainsi :
« Malheureusement, le projet 2007-LV-27060-P visant l’amélioration de la voie en Lettonie a
été suspendu à la demande des autorités lettones en 2009 en raison de la situation
économique du pays. Le gouvernement letton s’est trouvé dans l’incapacité de lever les fonds
nécessaires. Le 26 avril 2011, le gouvernement a demandé l’autorisation de la commission
54
[européenne] pour relancer les travaux et fournir le paquet financier à ce but pour 2014-
2015.68 »
Si on peut regretter le retard pris, il semblerait qu’il ne s’agisse que d’un contretemps
dans un projet de près de deux décennies. La réalisation finale du projet n’est donc pas remise
en cause. Les difficultés financières lettones n’ont fait que retarder un projet dont le
financement est en grande partie établi. Cependant, les difficultés financières de la Rail
Baltica pourraient toutefois être à venir. En effet, la réalisation de la Rail Baltica fut décidée
sur le budget européen 2007-2013 dans un contexte économique régional favorable, comme le
reconnaît l’étude de faisabilité de 200869. Les conséquences de la crise économique, les
difficultés au sein de la zone euro à partir de 2008 pourraient avoir un effet sur le financement
de projets futurs pour la période 2014-2020. Les premières études présentaient plusieurs
options d’aménagement, avec notamment la création d’une ligne nouvelle à écartement
européen. Alors que l’option la moins coûteuse a été choisie dans un premier temps, le
troisième ensemble d’investissements n’a pas été abandonné. Des études lancées par les
quatre États partenaires montrent une volonté d’aller au-delà des réalisations actuelles. Les
bénéfices d’un tel aménagement seront-ils suffisants pour justifier un investissement
nettement supérieur à la réfection des voies préexistantes ?
La construction de Rail Baltica a été en grande partie promue par les institutions
européennes, mais la réalisation du projet est à la charge des quatre États. Seuls les tronçons
transfrontaliers firent l’objet de trois négociations bilatérales. La coopération entre les quatre
États impliqués est en revanche nécessaire pour donner à l’ensemble une cohérence. De plus,
l’exploitation de la ligne doit se faire de concert, ce qui impose la création d’une entité de
gestion commune.
Sans cette entreprise de gestion, la réalisation de la Rail Baltica II n’est pas possible.
Afin d’accélérer le processus, le gouvernement estonien, par l’intermédiaire du ministre de
l’économie Juhan Parts tente de convaincre ses partenaires de tout mettre en œuvre
rapidement. Ce point est abordé lors de la rencontre interministérielle de mars 2013. Le
gouvernement estonien propose la création d’une entreprise au sein de laquelle les trois États
auraient une participation égale dans un premier temps. De plus, le gouvernement estonien
propose la localisation de l’entreprise de gestion à Riga, centre géographique régional.
68 Commission européenne, TEN-T Trans-european transport network, Implementation of the Priority
Projects, november 2011 », 2011 p. 247 69 Commission européenne, DG Politique régionale, Etude de faisabilité de l'axe ferroviaire « Rail Baltica »,
Principales conclusions et recommandations, janvier 2007, p. 8
55
Le principe de l’entreprise commune est entériné lors de la réunion des trois Premiers
ministres baltes à Jūrmala en Lettonie le 30 mai 201370. Selon l’accord, les documents relatifs
à la création de l’entreprise doivent être constitués pour la fin du mois de juillet 2013.
L’urgence s’explique par l’approche de la nouvelle période budgétaire de l’Union européenne
2014-202071.
Or, la question d’une société de gestion commune aux trois États a été réglée après de
longues négociations. Le gouvernement estonien a pu compter sur le soutien de l’exécutif
letton dans la création d’une société par actions unique72. En revanche, le gouvernement
lituanien s’y est opposé et a initialement proposé un Groupement européen d’intérêt
économique (GEIE)73. Dans le cas de la Rail Baltica, cela permettrait à chaque État-membre
de développer sa propre entreprise indépendante. Le gouvernement lituanien propose ce
système en raison d’une spécificité constitutionnelle lituanienne qui stipule que les
infrastructures de transport ne peuvent sortir de la propriété de l’État74.
La position du gouvernement lituanien ne rencontre pas de soutien. Discutée lors de la
réunion tenue à Helsinki le 20 juin 2013, la possibilité d’un GEIE a été rejetée par les quatre
autres États ainsi que par la Commission européenne75. Le coordinateur du projet à la
Commission européenne James Pond explique de son côté qu’un GEIE ne convient pas pour
un projet tel que la Rail Baltica. « Il est impossible d’y injecter des fonds, les banques ne
peuvent pas le financer76. »
La position du gouvernement de Vilnius crée une opposition franche entre la Lituanie
et ses deux partenaires septentrionaux. Alors que les gouvernements letton et estonien font de
la Rail Baltica une priorité, les autorités lituaniennes l’oublient. Raimo Poom, journaliste
d’Eesti Päevaleht, décrit la situation lors du forum pour le développement de Riga en mai
2013 : « Quand Andrus Ansip évoque immédiatement le besoin d’unir les États baltes à
l’ensemble du réseau européen par l’intermédiaire de la Rail Baltica, [le Premier ministre
lituanien] Butkevičius ne mentionne aucun projet de coopération balte, en se concentrant
70 Un groupe de travail des États baltes fut créé par décision des ministres des transports en décembre 2012.
Chaque État est représenté par deux personnes. Le groupe de travail doit discuter des propositions faites
pour créer une entreprise commune, ainsi que de son statut juridique, son financement… 71 BNS, « Euroopa Komisjon : Rail Balticu rajamiseks on vaja ühisettevõtet », e24.ee, 14 juin 2013 72 Ibid. 73 Entité juridique de droit européen, le GEIE est une union de deux ou plusieurs sociétés européennes, situées
dans au moins deux États différents. Les bénéfices réalisés par ce GEIE sont partagés entre les sociétés
membres du groupe. On compte parmi les GEIE les plus célèbres en Europe la chaîne de télévision franco-
allemande Arte ou les deux regroupements d’entreprises ferroviaires Eurostar et Thalys. 74 BNS, « Leedu minister : Rail Balticu ühisfirma oleks põhiseadusega vastuolus », e24.ee, 20 juin 2013 75 BNS, « Leedu seisab ainsana vastu Rail Balticu ühisettevõtte loomisele », e24.ee, 20 juin 2013 76 BNS, « Euroopa Komisjon : Rail Balticu rajamiseks on vaja ühisettevõtet », e24.ee, 14 juin 2013
56
uniquement sur les slogans principaux de la présidence lituanienne de l’Union européenne
qui débute en juillet.77 » Forcé d’évoquer le projet de la Rail Baltica lors des questions de la
part de journalistes, Algirdas Butkevičius rappelle l’investissement de son gouvernement dans
la construction du tronçon entre Kaunas et la frontière avec la Pologne, fixant une date de fin
des travaux en 2015. Ensuite viendra le temps de la suite des travaux, vers la Lettonie. Ces
annonces confirment les craintes des gouvernements estonien et letton : la Lituanie va assurer
sa connexion avec l’Europe, mais risque de ne pas poursuivre les efforts vers les deux autres
États baltes.
Pour les gouvernements estonien et letton, les choix lituaniens s’expliquent par
l’association de la Rail Baltica à un autre projet qui implique la collaboration balte, la centrale
nucléaire de Visaginas. En débat depuis près d’une décennie afin d’assurer le remplacement
de la centrale d’Ignalina située sur la commune de Visaginas fermée en 2009, la question
d’une nouvelle centrale commune balte provoque des tensions entre les différentes parties. En
Estonie, la participation au projet est loin d’être assurée. « Eesti Energia a clairement dit
qu’elle ne voyait plus de perspective dans sa participation dans le projet, car elle ne voyait
plus suffisamment de rentabilité. En visite d’État à Vilnius [du 27 au 29 mai 2013], le
président Toomas Hendrik Ilves a directement déclaré que le développement du projet
relativement incompréhensible depuis huit ans en Lituanie avait provoqué beaucoup de
"perplexité et de lassitude" chez les partenaires estoniens.78 » La crise économique a mis à
mal le financement du projet estimé à quatre milliards d’euros. L’absence d’accords entre les
partenaires à propos « des responsabilités respectives dans le financement, l’exploitation et la
production »79 empêche toute avancée significative du dossier. Face aux blocages sur le
dossier lituanien, l’idée émergea en Estonie de construire une autre centrale en territoire
estonien. Mais il faudra affronter les réticences de la population envers l’énergie nucléaire.
Le jeu diplomatique lie les deux projets principaux des États baltes, avec le risque de
voir les deux échouer faute d’accords et en raison de jeux internes à la Lituanie, alors que les
financements pour la Rail Baltica ont été votés. Lors de sa visite à Vilnius, le président
estonien a tenté de rappeler l’importance de la coopération balte, notamment de la Rail
Baltica. La négociation entre les différents États a finalement abouti à un compromis le 30
juillet 2013 lors d’une réunion à Bruxelles. Le gouvernement lituanien a obtenu le maintien de
ses infrastructures ferroviaires sous son contrôle en échange de quoi il accepte l’idée d’une
77 Raimo Poom, « Eesti ja Läti võitlevad üheskoos Balti enfant terrible’i Leeduga », Eesti Päevaleht, 31 mai
2013 78 Ibid. 79 Antoine Jacob, Les Pays baltes, un voyage découverte, Editions Lignes de répères, Paris, 2009, p. 187
57
société commune basée à Riga80. L’accord officiel fut signé à Vilnius le 16 septembre 2013
par les cinq ministres lituanien, letton, estonien, polonais et finlandais. L’accord crée, à partir
du 1er janvier 2014, une société commune aux trois États baltes basée à Riga. Chacune des
parties doit investir à hauteur de 650 000 euros par an. La Pologne et la Finlande ont, elles, la
possibilité d’intégrer le projet plus tard. La création de la société unique est le premier pas
vers la demande de financement de la part de l’Union européenne. Les termes de l’accord
stipulent que les infrastructures ferroviaires demeurent la propriété des trois États, cette
question avait menacé le processus du fait de l’opposition lituanienne81.
Les progrès réalisés en 2013 ont rapidement laissé place à une nouvelle
problématique : quel tracé pour la nouvelle voie ferrée en Lituanie ? Les autorités de Vilnius
ont posé comme condition l’intégration de la capitale au projet sans quoi leur participation
pourrait être remise en cause.
L’aménagement d’une voie ferrée peut attiser les rivalités au niveau local où chacun
souhaite bénéficier du nouvel axe. La Rail Baltica n’échappe pas à cette règle. Toutefois, les
choix ont été (jusque-là) relativement limités et les conflits réduits. L’un des objectifs de la
Rail Baltica est de relier les principales villes baltes entre elles. L’absence d’un tissu urbain
dense a rapidement imposé quelques passages obligés : Tallinn, Riga, Kaunas. Aussi, la
configuration des frontières étatiques impose-t-elle le passage de la voie ferrée par la frontière
polono-lituanienne, entre Kaliningrad et la Biélorussie, situées en dehors des frontières de
l’Espace Schengen. Deux points de discussion apparaissent dans le processus de discussion :
la Rail Baltica doit-elle desservir Vilnius et doit-elle rejoindre Tallinn par Pärnu ou par
Tartu ? La capitale estonienne bénéficiera de toute façon du tracé, mais les débats sur le reste
du parcours pourraient menacer le projet dans son ensemble et priver Tallinn de connexion
purement et simplement.
Si les conflits locaux estoniens mériteraient une attention particulière, je ne les
évoquerai pas ici. La réalisation même du projet ne semble pas menacée. Des voix se sont
élevées pour défendre le tracé via Tartu82, mais l’idée d’une Rail Baltica par Pärnu a été
rapidement entérinée par le gouvernement. Ce débat n’avait d’ailleurs pas pour but de
80 Arileht.ee, « Leedu nõustus Rail Balticu ühisfirma loomisega », 26 juillet 2013 81 Liina Valdre, « Viie riigi ministrid allkirjastasid Rail Balticu ühisfirma leppe », e24.ee, 16 septembre 2013 82 Le tracé de Tartu était notamment défendu pour des raisons économiques par le géographe Hardo Aasmäe
(« Hardo Aasmäe: Rail Balticu ideaalmaastik », Postimees, 3 janvier 2014), pour des raisons écologiques
par l’homme politique Karel Rüütli (social-démocrate) (« Karel Rüütli: Rail Baltica uus raudteekoridor
killustab looduskeskkonda », Postimees, 11 décembre 2013) ou pour intégrer Tartu à l’Europe par Hannes
Astok (Parti de la Réforme) (« Hannes Astok: Rail Baltic -Tartu kaudu Riiga! », Postimees, 10 décembre
2013)
58
remettre en question la réalisation même de la voie ferrée. Par la suite, on observe
principalement des conflits de type NIMBY dans les régions de Harjumaa et de Raplamaa
avec l’opposition de populations rurales qui souhaitent préserver l’unité de leur territoire. De
plus, des débats apparaissent autour du tracé à proximité de Tallinn où la densité de
population plus élevée rend plus complexe la décision finale83. Le débat public s’intensifie,
logiquement, à partir de l’automne 2013 quand les réflexions sur le tracé deviennent concrètes
et publiques. La mobilisation ne semble toutefois pas suffisante pour menacer le projet. Ceci
s’explique par la multitude de propositions pour relier Tallinn et Pärnu84. Les conflits se
limitent (pour l’instant) à un rejet d’un tracé précis et de souhaiter une autre solution. Il
n’existe pas encore de conflit particulier qui constituerait un blocage pour l’ensemble du
projet. Le seul risque serait un retard dans la prise de décision finale. Il serait donc fastidieux
de s’attarder sur les conflits locaux estoniens.
En revanche, les problématiques liées à la Lituanie méritent une attention particulière
car elles pourraient compromettre en partie la mise en œuvre du projet.
Les tracés présentés en 2008 abandonnent très rapidement l’idée de desservir la
capitale lituanienne, à une centaine de kilomètres de Kaunas, contrairement aux lignes de bus
transeuropéennes85. Située sur la route directe vers la Lettonie, Kaunas, l’ancienne capitale
lituanienne de 1920 à 1940 lorsque Vilnius était en Pologne, jouera le rôle de gare centrale sur
la Rail Baltica (I et II). La question de Vilnius réapparaît pourtant dans le débat en 2013
lorsque les États partenaires négocient la création de l’entreprise commune chargée de la
gestion de la construction de la voie ferrée. Le gouvernement lituanien remet sur la table des
négociations le financement du rattachement de sa capitale au couloir européen. De leur côté,
les gouvernements estonien et letton rejettent l’idée de financer cette extension interne à la
Lituanie.
Une certaine confusion règne dans les discours en raison de la juxtaposition du projet
Rail Baltica II à la mise en place des corridors de transport transeuropéens. Contrairement aux
affirmations du gouvernement lituanien, la desserte de Vilnius par la Rail Baltica II n’est pas
à l’ordre du jour. En revanche, la capitale lituanienne apparaît sur les cartes relatives aux
83 L’exécutif du district de Nõmme (Tallinn) a par exemple apporté son soutien aux associations locales qui
rejettent le passage de la Rail Baltica par Nõmme. Uwe Gnadenteich, « Nõmme ei taha Rail Balticut oma
territooriumile », tallinncity.ee, 10 janvier 2014. 84 La dernière version du tracé privilégié est des alternatives est disponible par le lien
http://railbaltic.info/et/materjalid/maakonnaplaneeringud/category/53-trassi-kulgemise-
yldkaart?download=407:20150831-rail-baltic-trassi-kulgemine-harju-rapla-parnu-maakonnas, consulté le
10 décembre 2015 85 Plutôt que d'emprunter la route directe qui mène à Panevėžys depuis Kaunas, les bus des entreprises
Ecolines, Eurolines entre autres font un détour par Vilnius
59
corridors européens de transport. Vilnius fait partie des pôles multimodaux à développer dans
la région baltique, avec la présence de l’aéroport, du réseau ferroviaire. Le tronçon Vilnius-
Kaunas fait effectivement partie des priorités européennes, mais le financement n’est pas
garanti par le projet de Rail Baltica.
Un accord fut finalement trouvé entre les partenaires au cours du second trimestre de
2014 : Vilnius sera raccordée à la Rail Baltica II grâce au fonds européens du projet et le
gouvernement lituanien ne s’oppose plus à la création d’une société unique. Le projet rédigé à
Vilnius en juin 2014 doit encore être validé par les trois gouvernements respectifs. Une fois
cette étape franchie, le projet Rail Baltica II pourra alors entrer dans une nouvelle phase avec
une plus grande certitude concernant la réalisation de cette voie ferrée à grande vitesse et
mettre Tallinn à quelques heures seulement de Varsovie, assurant ainsi une connexion
terrestre rapide avec l’Europe.
À termes, Tallinn sera ainsi connectée à l’ensemble de l’Europe qu’il s’agisse de
transport maritime, ferroviaire ou aérien. Mais on se limite à des éléments qui relèvent avant
tout du symbolique qui entérinent le passage de l’Estonie en Europe. Plus qu’un moyen de
transport avec l’Europe, la Rail Baltica marque clairement une nouvelle étape dans la
constitution de réseaux internes à l’UE. Après la création de lignes aériennes dans les années
1990 et 2000, la construction d’une ligne ferroviaire entre Varsovie et Tallinn permet de
tourner la page de la coupure entre les réseaux européen et russe. Jusqu’à présent, le transport
ferré ne signifiait que voyage vers l’est, vers les centres autour desquels le réseau balte a été
bâti, Saint-Pétersbourg et Moscou. D’ici à quelques années, les Estoniens pourront rejoindre
l’Europe centrale autrement que par avion ou par les interminables trajets en bus. Enfin, la
Rail Baltica va apporter encore un plus de modernité en Estonie avec une offre ferroviaire
rapide.
1.2.2. Par une réorientation de l’économie
Isolée jusqu’en 1991, l’Estonie réintègre l’espace européen très rapidement par la
naissance de nouveaux réseaux économiques impliquant les États riverains de la Baltique, la
Finlande et la Suède en particulier.
Après le recouvrement de l’indépendance de l’État, le gouvernement estonien prend
des mesures radicales pour rompre avec la Russie. L’action la plus symbolique est l’abandon
du rouble pour une nouvelle devise, la couronne estonienne, qui entre en circulation le 20 juin
60
1992, ce contre l’avis des instances économiques mondiales. Observant l’ancrage fort de
l’économie estonienne à la zone rouble, le FMI et la Banque mondiale prônent alors un
maintien de l’Estonie dans cette zone afin d’éviter une déstabilisation économique trop
importante. Indexée sur le mark allemand, la mise en circulation de la couronne permet
toutefois d’endiguer l’inflation galopante et d’importer des produits absents depuis des
décennies en Estonie86. Liée au mark, la nouvelle monnaie estonienne aurait pu affirmer un
ancrage encore plus fort à la monnaie allemande en empruntant son nom, à l’instar du mark
estonien de l’entre-deux guerres (1918-1928) ou du mark finlandais. Mais les autorités
estoniennes choisissent d’affirmer leur appartenance nordique en choisissant la couronne nom
de la devise estonienne de la période 1928-1940, et des monnaies de la Norvège, du
Danemark, de l’Islande et de la Suède.
Sur le plan monétaire, l’Estonie adopte les mesures les plus radicales, alors que la
Lettonie et la Lituanie optent pour une transition plus souple avec l’introduction de monnaies
parallèles au rouble russe, le rouble letton et le rouble lituanien, avant la mise en circulation
du lats et du litas en 1993, monnaies cette fois-ci liées à d’autres monnaies que le rouble.
Figure 2 Destination des exportations estoniennes (1993-2013)
86 Andres Kasekamp, Op. Cit., p. 181
0,00
5,00
10,00
15,00
20,00
25,00
Destination des exportations estoniennes (1993-2013) (en %)
1993 2003 2013
61
Figure 3 Origine des importations estoniennes (1993-2013)
Sur le plan commercial, les relations internationales de l’Estonie depuis l’indépendance
revèlent une diminution du poids de la Russie et de la Finlande et la consolidation des
échanges avec les autres voisins du pourtour baltique, notamment la Suède, la Lettonie et la
Lituanie. En 2013, l’Estonie commerce avant tout avec ses voisins de l’Union européenne, ce
qui symbolise la nouvelle orientation économique du pays.
Même si elles ne sont pas négligeables comme l’indiquent les inquiétudes qui ont suivi
l’instauration d’une interdiction de certains produits européens en Russie, les relations avec le
voisin oriental sont désormais secondaires, tant à l’import qu’à l’export. Et l’interdiction
d’importer instaurée en Russie marque encore un peu plus la baisse régulière du poids de la
Russie comme destination des produits estoniens. Au cours des premiers mois de 2015,
seulement 5% des exportations estoniennes ont été expédiées en Russie.
Hors d’Europe orientale, les puissances économiques européennes plus éloignées
(France, Royaume-Uni) ou mondiales (États-Unis, Chine) restent des partenaires mineurs.
0,00
10,00
20,00
30,00
40,00
Origine des importations estoniennes (1993-2013) (en %)
1993 2003 2013
62
Figure 4 Part de la Russie dans le commerce extérieur de l’Estonie
Figure 5 Produits exportés et importés par l'Estonie (2012, en millions d’euros)
Source : Eesti Statistika. 1 Produits alimentaires et animaux vivants, 2 Boissons et tabacs, 3 Matières brutes non
comestibles, à l'exception des carburants, 4 Combustibles minéraux, lubrifiants et produits annexes, 5 Huiles, graisses
et cires d'origine animale ou végétale, 6 Produits chimiques et produits connexes, 7 Articles manufacturés classés
principalement d'après la matière première, 8 Machines et matériel de transport, 9 Articles manifacturés divers, 10
Articles et transactions non classés ailleurs dans la CTCI
Les données permettent de tirer une première conclusion : l’Estonie est pleinement
intégrée à la région baltique et les liens économiques avec la Russie sont notables uniquement
pour les exportations. Cette dépendance peut être une faiblesse lorsque les relations bilatérales
se tendent. L’interdiction de l’importation des produits européens en Russie au cours de l’été
2014 a fait craindre une crise économique pour les secteurs exportateurs, notamment les
produits laitiers et les premières données valident cette crainte.
0
5
10
15
20
25
Part de la Russie dans le commerce extérieur de l'Estonie
Exportations Importations
0
1000
2000
3000
4000
5000
6000
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Exportations Importations
63
Carte 15 Principaux partenaires commerciaux de l'Estonie depuis 1991
64
Pour mieux dessiner les relations économiques entre l’Estonie et les autres État : qu’en
est-il des investissements directs étrangers, c’est-à-dire comment l’Estonie attire-t-elle les
capitaux étrangers et comment s’exporte-t-elle grâce à des investissements ?
Les IDE en Estonie sont en constante augmentation depuis la fin des années 1990.
Relativement limités en 1998 avec seulement 1,5 milliards d’euros, les IDE atteignent 14,7
milliards d’euros en 2012, soit seulement trois milliards de moins que le PIB (17,4 milliards
d’euros). Les investissements estoniens à l’étranger sont, eux, beaucoup plus limités, mais la
croissance est tout aussi forte. De 170 millions d’euros en 1998, les IDE estoniens ont atteint
4,4 milliards d’euros en 201287.
Figure 6 Investissements directs étrangers en Estonie et de l’Estonie (1998-2013)
Sans conteste, la Suède est le premier investisseur en Estonie à hauteur de 3,9
milliards d’euros en 2012, devant La Finlande (3,4 milliards d’euros). Les Pays-Bas sont le
troisième investisseur avec 1,5 milliard, devant la Norvège (683 millions d’euros), la Russie
(681 millions), la Lituanie (467 millions d’euros) et Chypre (416 millions d’euros).
La domination suédoise et finlandaise se fait rapidement au cours de la première
moitié des années 2000. La part des investissements suédois augmente de moitié entre 1998 et
2005 (32% à 47%). La montée en puissance des Pays-Bas date, elle, de 2007. La part des
investissements néerlandais en Estonie passe de 2% en 1998 à 5,6% en 2007 et atteint 10,2%
en 2012, principalement dans le secteur du stockage et du transport marchand. Par exemple, le
principal opérateur portuaire des États baltes AS Vopak E.O.S. est la propriété du groupe
néerlandais Royal Vopak, spécialiste du secteur de transport de fret et de produits chimiques
87 Table « Otseinvesteeringute positsioon riikide lõikes (miljon eurot) », Eesti Pank, 2013
0
5
10
15
20
IDE en Estonie (en milliards d'euros) IDE estoniens
65
et pétroliers. Cette présence fait de Tallinn le port avancé de l’entreprise en Baltique88, de
quoi renforcer les liens entre l’Estonie et l’Europe de la mer du Nord et d’intégrer Tallinn
dans un réseau mondial.
De son côté, la Russie est presque absente avec seulement 2,1% des IDE en 1998 et
4,6% en 2012. De manière plus générale, l’Union européenne représente une part croissante
des IDE en Estonie. De 79,3%, la part a augmenté de 2 points pour atteindre 81,3%. À
l’intérieur de l’UE, les investissements en provenance de la zone euro prennent un poids plus
important : 36% en 1998 et 45% en 2012. En ce qui concerne les États de la CEI, la part reste
faible, tout en augmentant sur la décennie : 2,2% en 1998, 5,2% en 2012. Seule la part des
investissements venus d’États offshore diminue (8% en 1998, 3% en 2012)89.
Si l’Estonie reçoit des IDE de Finlande et de Suède, les IDE estoniens se font en
direction de Chypre. De 22 millions d’euros (13% du total), ils atteignent 1,2 milliard d’euros
en 2012, soit 28% du total annuel. Chypre dépasse désormais la Lituanie et la Lettonie qui
étaient initiatelment les pays destinataires privilégiés des investissements estoniens. Les
avantages bancaires en vigueur sur l’île de Méditerranée incitent des entreprises estoniennes,
au nombre relativement limité selon le porte-parole de la Banque centrale d’Estonie90, à y
investir. On note d’un côté la présence à Chypre de filiales de l’entreprise de transport
maritime Tallink, de l’autre, Chypre sert de plaque tournante pour les investissements entre
entreprises de Russie et d’Estonie, principalement dans le secteur énergétique. Des capitaux
de Russie ont par exemple été investis dans l’entreprise estonienne Vopak E.O.S. déjà
évoquée. Dans l’autre sens, l’entreprise estonienne Transgroup a utilisé les entreprises
chypriotes Walson et TG Rail pour investir en Russie et prendre possession de sociétés
locales spécialisées dans le secteur du fret91.
Outre des investiments en Lettonie et en Lituanie, des pays jusque-là absents, la
Russie, l’Ukraine et la Finlande, sont désormais des cibles des IDE estoniens, à hauteur de 5%
du total pour chaque pays en 2012, soit 240 millions d’euros environ. La part de la Russie est
problablement sous-estimée du fait de l’utilisation de Chypre comme passerelle entre
entreprises estoniennes et russes.
88 Royal Vopak possède également des terminaux en Finlande (Kotka et Hamina), mais ils ne constituent pas
de concurrence pour Tallinn. Outre leur taille plus petite (41 000 m3 et 134 000 m3 contre 1 026 000 m3), ils
sont utilisés pour les produits chimiques alors les terminaux tallinnois sont utilisés pour les produits
pétroliers. 89 Ibid. 90 e24, « Eesti otseinvesteeringud Küprosele kasvasid mullu hüppeliselt », 28 mars 2013 91 Sulev Vedler, « Lõviosa Tallinki varast asub Küprosel », Ekspress.ee, 4 avril 2013
66
Les secteurs concernés par les IDE en Estonie sont d’abord les activités de la finance
et des assurances (24 ,2% des IDE), les activités immobilières (16,3%), les activités
industrielles (16,1%) et les activités de vente en gros et au détail (12%). À l’étranger, les IDE
estoniens sont investis dans les activités de transport et de stockage (27,6% des IDE), les
activités de formation et de recherche (19,4%), les activités de la finance et des assurances
(18,3%) et les activités immobilières (12,9%)92.
On observe alors une double logique. Les IDE en Estonie proviennent majoritairement
de l’UE en général, des voisins suédois et finlandais en particulier, et l’Estonie investit avant
tout chez ses deux voisins baltes et à Chypre, et par extension en Russie. On voit une logique
différente des échanges marchands où les principaux fournisseurs de l’Estonie sont aussi ses
principaux clients. D’un point de vue marchand, l’Estonie est en relation avec l’ensemble de
la région baltique. La question des IDE montre en revanche une dépendance vis-à-vis de la
Suède et de la Finlande et une volonté d’implication financière en Lettonie et en Lituanie et
donc une Estonie dans une certaine situation intermédiaire. Ceci pourrait satisfaire le projet de
« Singapour » étudié, mais la différence des volumes d’IDE reçus et investis brise cette idée.
L’Estonie demeure un pays recepteur plutôt qu’un pays investisseur et ne constitue pas une
plate-forme financière entre plusieurs régions.
Un secteur illustre particulièrement l’ancrage scandinave de l’Estonie : le secteur
bancaire. Celui-ci est partagé entre établissements estoniens (LHV, Tallinna Äripank,
Versobank, BIGBANK) et entreprises scandinaves93, mais ce sont surtout ces dernières qui
dominent le marché, faisant de l’Estonie une chasse gardée de la finance scandinave. Cette
situation a d’ailleurs permis à l’Estonie de ne pas voir ce secteur s’effondrer lors de la crise
financière de 2008. Pendant que la Lettonie a craint le pire avec la nécessité de sauvetage de
la banque Parex par l’État, les autorités estoniennes ne furent pas confrontées à ce risque de
crise interne. L’ancrage scandinave a évité un endettement insurmontable de l’État qui put se
concentrer sur la seule gestion du budget public.
92 Table « Otseinvesteeringute positsioon tegevusalade lõikes (miljon eurot) », Eesti Pank, 2013 93 SEB, Swedbank (Suède), DNB (Norvège), Danske Bank (Danemark), Nordea (Finlande).
67
Carte 16 Investissements étrangers en Estonie et investissements estoniens à l'étranger (2012)
Outre les IDE, les liens économiques de l’Estonie sont visibles à travers la nationalité
des entreprises présentes en territoire estonien. Qui sont les véritables décideurs dans les
entreprises ?
Environ 750 entreprises actives en Estonie ont un contrôle étranger. Les sociétés
mères se situent à 79% en Union européenne, une part stable depuis 2007. À l’instar des
échanges commerciaux et des IDE, ce sont les entreprises finlandaises qui contrôlent
majoritairement les entreprises estoniennes, 218 (29,2%) en 2011. Les entreprises suédoises
en contrôlent 112 (15,2%), les entreprises allemandes 55 (7,3%) et les entreprises
norvégiennes 46 (6,2%). Les États-Unis sont le premier État extra-européen avec 36
entreprises (4,8%). La Russie est en retrait puisque seules 15 entreprises (2%) y ont leur
société mère, une statistique stable depuis 2007.
L’analyse des données relatives au commerce international, aux IDE et aux entreprises
montre une intégration plus grande encore de l’Estonie dans un espace baltique et nordique.
L’Allemagne, la Lettonie et la Lituanie entretiennent des relations étroites avec l’Estonie.
Toutefois, il est indéniable que ce sont la Suède et la Finlande qui constituent les partenaires
principaux du pays.
68
Mais quel est le rôle réel de l’Estonie dans cet espace ? La carte des flux commerciaux
entre tous les États de la région baltique présentée par Arnaud Serry94 illustre clairement un
positionnement secondaire de l’Estonie face à des États comme la Suède, la Pologne, sans
parler de l’Allemagne ou la Russie. Si l’Estonie a réussi à se réorienter vers l’Europe, les
volumes concernés demeurent très limités à l’échelle du continent. Avec un PIB de 15
milliards d’euros, l’Estonie est un nain économique en Europe. L’idée selon laquelle elle peut
jouer un rôle en Europe semble dès lors illusoire.
Enfin, les éléments présentés indiquent une économie estonienne intégrée avant tout à
un niveau régional baltique. Le reste de l’Europe demeure secondaire pour l’Estonie.
L’évolution au cours des vingt dernières années révèle aussi que la rupture vis-à-vis de la
Russie souhaitée politiquement est atteinte et met au jour les limites de l’intégration à
l’échelle du continent européen.
La pertinence de la rupture vis-à-vis de la Russie peut être ici discutée. En effet,
pourquoi tourner le dos à un État aussi important alors que les réseaux existaient ? Mais dans
le cas estonien, les éléments politiques ont primé après l’expérience soviétique. Considérée
comme ancienne occupante, la Russie est demeurée une menace aux yeux des autorités
estoniennes qui n’ont pas hésité à sacrifier l’économique à la faveur de la sécurité politique.
Le souvenir de 1940 et l’absence de réactions en Europe après l’occupation de l’Estonie par
l’URSS a immédiatement poussé les gouvernements de l’État libéré à assurer leur ancrage
européen plutôt que de prendre le risque d’être maintenu sous la coupe de la Russie.
On peut donc légitimement se demander comment l’économie estonienne pourrait à
moyen terme s’imposer comme pôle incontournable. Éloignée géographiquement, l’Estonie
semble l’être tout autant économiquement en étant dans une position mineure dans une région
baltique elle-même en retrait par rapport aux grandes économies du continent (Allemagne,
Royaume-Uni, France). L’Estonie peut-elle jouer sur d’autres tableaux que l’économie pour
trouver un rôle en Europe ?
94 Arnaud Serry, Op. Cit, p. 58
69
Carte 17 Produit intérieur brut des pays riverains de la Baltique (2013)
1.2.3. Par le développement d’une image de marque
Faire connaître Tallinn et l’Estonie
Afin d’assurer l’intégration de Tallinn en Europe, et sur d’autres continents, de
nombreux accords de coopération, comme les jumelages sont signés avec des villes
étrangères. Isolée du monde européen pendant 50 ans, Tallinn doit se faire connaître tant
auprès des entreprises étrangères que des publics. Partant de zéro, tout est à bâtir ou presque.
Les autorités tallinnoises misent alors sur les relations internationales pour promouvoir
la ville, la région et même l’Estonie en Europe. « L’intégration à l’Union européenne est une
première priorité internationale tant pour Tallinn que pour la République d’Estonie. Tallinn,
en tant que capitale de la République d’Estonie, a pour but d’aider cette intégration avec les
moyens à sa disposition, d’assurer et de développer la position de la ville au sein des autres
villes et régions européennes grâce aux relations bilatérales ou multipartites.95 »
95 http://www.tallinn.ee/valissuhted/Valissuhtluse-uldpohimotted
70
L’évolution des liens de jumelage de Tallinn témoigne des relations historiques avec
certaines villes et l’apparition de nouvelles coopérations très récentes96. Au cours de la
période soviétique, les relations extérieures de la ville de Tallinn étaient très limitées. Si elle
avait des relations avec Schwerin en RDA, donc au sein de l’espace communiste, la capitale
de la RSSE entretenait également des relations avec la ville de Kiel située, elle, en RFA. Des
relations bilatérales se sont également développées avec la ville belge de Gand à partir de
1982. L’ouverture vers Kiel est née de la visite d’architectes tallinnois97 qui préparaient la
candidature de Tallinn pour accueillir les régates olympiques des Jeux de Moscou de 1980. La
ville allemande était elle-même l’hôte des épreuves olympiques maritimes lors des Jeux
olympiques de Munich de 1972. Les relations avec Gand ont débuté en 1977 avec une
première visite d’une délégation de la ville belge à Tallinn.
Vers où Tallinn s’oriente-t-elle désormais ? La capitale estonienne entretient des
relations avec un total de 25 villes, auxquelles s’ajoutent 14 partenariats impliquant un district
tallinnois. Seize d’entre elles sont des villes de l’Union européenne, dont neuf sont situés dans
la région baltique. (Riga et Vilnius, bien qu’incluses dans cette catégorie, font figure de cas à
part en tant qu’anciennes villes de l’URSS, comme Tallinn).
Les relations avec les États de la CEI sont en revanche plus limitées. Seules quatre
villes ont des relations officielles avec Tallinn, deux en Ukraine, Kiev et Odessa, et deux en
Russie, Moscou et Saint-Pétersbourg, auxquelles s’ajoutent quatre partenaires de district
situés à Moscou, Saint-Pétersbourg et Bakou.
Enfin, il faut souligner l’ouverture à d’autres continents avec des relations vers l’Asie
(Pékin et Hanghzou), l’Amérique du Nord (Toronto, Annapolis) et du Sud (Brésil). La
collaboration avec le continent nord-américain s’explique en partie par la présence de la
diaspora estonienne dans ces villes.
96 Voir Annexe 7 97 Dmitri Bruins, Tallinna peaarhitekti mälestusi ja artikleid, Eesti Arhitektuurimuuseum, Tallinn, 2007, pp.
42-48
71
Carte 18 Jumelages et coopérations bilatérales de la ville de Tallinn
La liste des villes jumelées avec Tallinn cache toutefois des situations très différentes.
Les relations sont parfois quasi inexistantes, par exemple Annapolis. D’autres partenariats
sont plus intenses avec des échanges culturels fréquents, la tenue d’expositions, etc. Depuis la
signature en 2013 du partenariat entre la ville de Carcassonne et le district central de Tallinn,
dont les relations se sont développées grâce à leurs remparts respectifs très bien conservés,
nombreux sont les artistes estoniens à s’être rendus dans le sud de la France. Alors que la
diffusion de la culture estonienne (littérature, musique, peinture) était jusque-là surtout limitée
à un cercle d’initiés, autour de Paris, ce jumelage avec Carcassonne va permettre d’atteindre
un public nouveau et peut-être assurer à l’Estonie une meilleure visibilité en France.
Toutefois, il faut que la collaboration soit durable et non limitée à l’euphorie des premières
années. L’une des priorités affichées pour la période 2012-2018 est d’ailleurs de redynamiser
les relations bilatérales les plus anciennes de Tallinn avec d’autres villes européennes. Cela
semble indiquer l’essoufflement de cet outil des jumelages98. Quoiqu’il en soit, les jumelages
98 « Tallinna välissuhtluse prioriteedid 2012-2018 », http://www.tallinn.ee/est/valissuhted/Valissuhete-
prioriteedid-2012-2018
72
tallinnois indiquent clairement cet ancrage européen souhaité à partir des années 1990. Ces
accords bilatéraux permettent une collaboration locale certainement plus concrète que les
seules grandes intégrations institutionnelles. Les échanges sont une opportunité pour les
Estoniens de voyager à l’étranger et de faire venir des étrangers qui n’auraient autrement
jamais eu l’idée de se rendre à Tallinn.
La promotion de l’Estonie (et de Tallinn) se retrouve à un niveau étatique puisque les
autorités estoniennes peuvent s’appuyer sur l’Institut estonien (Eesti Instituut), une structure
créée en 1989 par Lennart Meri99. Cette organisation promeut la langue et la culture
estoniennes, notamment avec la présence de lecteurs dans plusieurs universités.
Malheureusement, l’Institut estonien demeure une petite structure qui n’a plus que
deux représentations actives, l’une à Helsinki depuis 1995 et l’autre à Budapest depuis 1998,
les deux autres capitales « finno-ougriennes » d’Europe. Deux autres villes, Stockholm (1999-
2011) et Paris (2001-2009) ont accueilli cet institut. Désormais, et comme dans de nombreux
pays, le promoteur culturel de l’Estonie est avant tout l’ambassade.
De plus, dans certains États, l’ambassade peut s’appuyer sur une ou plusieurs
universités dans lesquelles l’estonien est enseigné100 et où les estophiles forment les meilleurs
ambassadeurs informels pour le pays. De ce point de vue, l’Estonie a une présence assurée
dans 15 États européens (en plus desquels les États-Unis, le Canada et la Chine). Certes, cela
ne concerne que quelques villes, et des groupes de personnes restreints, mais cela participe au
processus de diffusion et d’ancrage de l’Estonie sur le continent européen.
En parallèle, comment Tallinn s’intègre-t-elle dans les réseaux équivalents à celui de
l’Institut estonien ? Actuellement, la capitale estonienne n’accueille que six organisations de
promotion culturelle : l’Institut français, l’Institut Goethe, l’Institut finlandais, l’Institut
danois, l’Institut Balassi (Hongrie) et l’Institut russe Rousskiï Mir. On note avant tout une
présence du pourtour baltique, complétée par le « cousin » finno-ougrien hongrois et une
organisation russe en raison de la présence de russophones en Estonie.
Ainsi, si l’Estonie « s’exporte » à travers le continent, sa capitale a du mal à attirer au-
delà de ses voisins et des plus grandes organisations (Institut français, Institut Goethe). Si
l’Institut espagnol Cervantès a un temps été annoncé (2009), le projet a été reporté dans
99 Ethnologue et documentariste, Lennart Meri s’engagea à la fin des années 1980 et créa l’institut estonien
qui fit office d’ambassade officieuse pour les opposants au régime soviétique. Il fut ministre des Affaires
étrangères de 1990 à 1992, avant de devenir le premier président de la République de l’Estonie
indépendante (1992-2001). 100 Voir Annexe 6 et l’article de Birute Klaas-Lang, « L’état de la langue estonienne au début du XXIe siècle »,
Etudes finno-ougriennes, ADEFO-L’Harmattan, nº 44
73
l’attente d’une amélioration de l’économie espagnole. Le choix le plus inattendu pour
l’Estonie reste sûrement son adhésion à l’Organisation internationale de la Francophonie en
2010. Certes, elle n’a qu’un statut d’observateur, mais cette appartenance marque l’existence
internationale de l’Estonie et symbolise la volonté d’ancrage européen.
L’intégration aux réseaux de coopération internationaux
Au niveau municipal, la ville de Tallinn fixe des objectifs concrets en termes de
relations extérieures. Au niveau européen, entre 2006 et 2011, la priorité est donnée à la
participation de la ville à l’Union des Capitales de l’Union européenne, aux différents forums
EUROCITIES. Régionalement, la capitale estonienne s’intègre grâce aux eurorégions, au
groupe Baltic Metropole, à l’Union des Villes baltiques. Enfin, Tallinn est membre de
nombreux réseaux de coopération101.
Un réseau mérite un peu plus d’attention. La capitale estonienne est membre de
l’association Die Hanse. Forte de 185 membres répartis dans 16 pays, Die Hanse porte l’esprit
de la Ligue hanséatique médiévale. Fondée en 1980 à Zwolle (Pays-Bas) à l’initiative des
autorités de cette ville néerlandaise, ce regroupement de villes souhaite promouvoir la
responsabilité civique dans cet ensemble culturel. Peuvent être membres toutes les villes qui
ont été membres de la Hanse médiévale ou associée à un membre de la Hanse, ainsi que les
villes qui possédaient un comptoir de la ligue. L’intégration de Tallinn à cette nouvelle hanse
montre la volonté de retrouver les liens passés et surtout de s’appuyer sur cette glorieuse
période pour servir sa renommée.
Tallinn demeure avant tout une ville baltique et européenne et rares sont les réseaux
internationaux qui dépassent le cadre continental. Si le réseau LUCI (Lighting Urban
Community international) est présent sur tous les continents, il est principalement ancré en
Europe avec 41 villes européennes, trois villes africaines, cinq villes américaines, seize villes
asiatiques et une ville océanienne. Le réseau mondial majeur auquel Tallinn appartient reste
l’organisation des villes du patrimoine mondial.
101 URBACT : programme d’échange sur l’urbanisme durable, CIVITAS Forum : réseau qui cible les modes
de transport durables, POLIS : Villes et régions pour un meilleur transport, LUCI : Lighting Urban
Community international, http://www.luciassociation.org/, INTA : Association internationale du
développement urbain, http://www.inta-aivn.org/fr/, OVPM : Organisation des Villes du patrimoine
mondial, http://www.ovpm.org/fr, ICA : Conseil international des Archives, ECM : European Cities
Marketing, www. europeancitiesmarketing.com, ECAD : European Cities Against Drugs,
http://www.ecad.net, ASCE : Association des cimetières remarquables en Europe…
74
Carte 19 Die Hanse, la nouvelle hanse
Les autres réseaux sont surtout des ensembles de villes qui partagent un élément
précis. On se situe en dehors d’organismes majeurs, très actifs. Il est sûrement utile pour la
ville estonienne d’appartenir à l’association des cimetières remarquables en Europe, mais on
peut douter de l’impact de cette participation sur le rôle de Tallinn en Europe.
Quels résultats pour cette politique ? Dans leur étude sur les villes riveraines de la
Baltique, Nicolas Ersach et Lise Vaudor estiment que Tallinn demeure en retrait par rapport
aux villes voisines, notamment Riga. La capitale lettone est déjà tournée vers des réseaux de
dimension européenne pendant que Tallinn ne s’implique vraiment qu’à l’échelle de la région
baltique102, avec de bonnes relations avec Stockholm, Riga et Helsinki. Au niveau européen,
Tallinn souffre d’un manque de représentativité. Si la ville possède une représentation à
Bruxelles, seulement deux employés sont chargés, à temps partiel, de promouvoir Tallinn103.
Sur quels atouts la ville de Tallinn peut-elle s’appuyer ?
Malgré une situation difficile en raison de l’absence d’entretien pendant des décennies,
c’est tout d’abord le patrimoine architectural médiéval tallinnois qui sert le mieux cette
volonté de créer une nouvelle image de marque pour la ville. Rapidement classée au
102 Nicolas Escach et Lise Vaudor, « Réseaux de villes et processus de recomposition des niveaux : le cas des
villes baltiques », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Politique, Culture,
Représentations, document 679, mis en ligne le 05 juillet 2014, consulté le 18 août 2014. URL :
http://cybergeo.revues.org/26336 ; DOI : 10.4000/cybergeo.26336 103 Ibid.
75
patrimoine mondial de l’UNESCO (1997), la Vieille Ville de Tallinn représente dans les
années 1990 l’unique véritable argument pour attirer les touristes.
Encore aujourd’hui, l’image de Tallinn s’exporte grâce à cet héritage architectural.
C’est la présence de la Vieille Ville qui a notamment fait naître l’accord de coopération entre
le district de Kesklinn et la ville française de Carcassonne. L’aura de la Vieille Ville est
confirmée dans les études de marché conduites dans différents pays européens au début des
années 2000 : l’héritage médiéval est la raison principale de la venue des touristes en
Estonie104. Les études montrent toutefois que l’Estonie souffre d’un défaut d’image, les
voyageurs potentiels étant incapables de distinguer le pays de la Lettonie ou de la Lituanie.
Au cours des deux décennies passées, Tallinn a surtout attiré les ressortissants
finlandais et du pourtour baltique. Les pays de l’ouest de l’Europe demeurent assez peu
présents, même si l’intégration de l’Estonie à l’UE en 2004 a permis de faciliter l’accès du
pays.
En 2002, les hôtels et autres structures d’hébergement ont accueilli 764 010 personnes.
L’année de l’intégration à l’UE est marquée par une hausse de 30% du nombre de personnes
qui ont logé à Tallinn, le seuil du million de personnes étant franchi pour la première fois en
2004. Ensuite, jusqu’en 2009, la hausse est modérée, on note même une baisse en 2007 et en
2009. Le nombre de personnes logées oscille entre un million et 1,2 millions de personnes.
Les deux années suivantes sont marquées par une nouvelle augmentation significative de 31%
pour atteindre 1 489 192 personnes en 2011. En 2012, le seuil de 1,5 millions de personnes est
franchi (1 516 203 de personnes en 2012).
Figure 7 Évolution du nombre de personnes logées dans les établissements d'Estonie
104 Par exemple en Italie. Ettevõtluse Arendamise Sihtasutuse Turismiarenduskeskus « Eesti maine
puhkusesihtkohana. Itaalia reisikorraldajate küsitlus, veebruar 2005 », 2005. L’ensemble des enquêtes à
l’étranger est disponible à l’adresse http://www.puhkaeestis.ee/et/eesti-
turismiarenduskeskus/spetsialistile/turismistatistika (en estonien).
0
500000
1000000
1500000
2000000
2500000
3000000
Nombre de personneslogées à Tallinn
Nombre de personneslogées en Estonie
76
Depuis 2002, ce sont les ressortissants finlandais qui sont les plus nombreux. 446 159
en 2002, ils sont désormais 589 766 à venir à Tallinn (2012), même si on observe une baisse
de leur poids relatif entre 2002 (58%) et 2012 (38%).
Aux côtés de la Finlande, aucun autre État ne contribue autant au secteur touristique.
En 2002, la Suède se place en deuxième position, mais ne représente que 5% des visiteurs,
devant l’Allemagne (4,4%) et la Russie (3%). Hormis la Finlande, tous les États présentent
des valeurs inférieures aux visiteurs estoniens (9,6%).
Au cours de la décennie 2000, l’origine des visiteurs se diversifie et leur nombre
s’accroît, à l’exception de la Finlande et de la Suède. Toutefois, l’origine des visiteurs
demeure très proche de l’Estonie. Outre les Finlandais, ce sont principalement les touristes de
Russie, d’Allemagne, de Suède qui sont les plus présents dans la capitale estonienne, suivis de
ceux du Royaume-Uni, de Lettonie et de Lituanie. La France, l’Italie, l’Espagne, la Pologne
constituent un troisième groupe avec au moins 1% chacun des visiteurs de Tallinn. Les autres
régions du monde sont à peine présentes : ensemble, les États asiatiques ne comptent par
exemple que pour 1,8% en 2012.
Carte 20 Origine des touristes logeant à Tallinn (2003-2012)
77
L’étude de l’origine des touristes révèle que Tallinn souffre notamment d’un manque
d’accessibilité. Les enquêtes de marché réalisées indiquent que Tallinn perd une part
d’attractivité en raison de l’absence de vols directs réguliers au départ de l’Europe
occidentale. Tallinn souffre également de la concurrence des destinations du soleil, prisées
pendant la période estivale. Les rives de la mer Baltique ne pourront jamais faire de
concurrence réelle à celles de la mer Méditerranée.
Le climat a d’ailleurs longtemps été un frein au développement du secteur du tourisme
avec une durée de la période touristique limitée aux mois d’été. Toutefois, les dernières
années montrent une diversification progressive avec l’émergence d’une seconde saison
touristique en décembre et janvier au moment des fêtes de fin d’année. Les festivités (marché
de Noël notamment) installées dans la Vieille Ville constituent un véritable potentiel pour les
amateurs de l’Europe septentrionale. Tallinn offre une alternative aux autres destinations « de
Noël » et n’a rien à envier aux villes allemandes ou suédoises. Peu à peu, l’obstacle du climat
nordique est transformé en avantage et mis en avant.
L’accueil des grandes manifestations internationales
Parallèlement à ce flambeau du tourisme tallinnois, les services municipaux et
gouvernementaux tentent de promouvoir d’autres aspects de la ville pour développer un
secteur du tourisme encore trop limité à la Vieille Ville. Cette dernière est souvent l’unique
visite des touristes qui voyagent en région baltique sur les bateaux de croisière. Quels
pourraient alors être les autres attraits de Tallinn ?
L’organisation d’événements internationaux apparaît clairement dans les objectifs
municipaux en s’appuyant sur la seule vraie expérience internationale que Tallinn a connu :
l’organisation des régates nautiques des JO de Moscou en 1980. La venue des épreuves
olympiques a ouvert la ville aux ressortissants des pays qui ne boycottaient pas les Jeux et
apporté de nombreux chantiers urbains, refaçonnant Tallinn en profondeur comme le
développement du parc hôtelier, l’aménagement de la route littorale vers Pirita, la
construction du centre nautique ou la restauration de la Vieille Ville.
Depuis 1991, Tallinn doit prouver sa capacité à organiser des événements
internationaux afin d’attirer de plus en plus de visiteurs. La victoire de l’Estonie au concours
Eurovision de la Chanson en 2001 a permis une première expérience avec l’accueil de la
compétition suivante en 2002. Outre ce premier grand événement ponctuel, la réception de
manifestations internationales est devenue un nouvel outil pour attirer les Européens à
Tallinn. Les différents championnats sportifs sont un moyen de promouvoir les capacités
78
d’accueil de la ville. Toutefois, la capitale estonienne ne peut avoir l’ambition d’organiser les
plus grandes compétitions internationales par manque de structures et de fonds. La capitale
n’accueille pour l’instant que des événements mineurs tels des championnats de jeunes ou des
compétitions de sports moins médiatiques qui ne nécessitent pas autant de capacités d’accueil
pour les spectateurs qui sont peu nombreux.
De plus, l’absence d’autres villes estoniennes capables de répondre aux exigences de
tels événements empêche Tallinn d’avoir de plus grandes ambitions (les grandes compétitions
internationales se déroulant souvent dans plusieurs villes simultanément). Seules des
associations avec les pays voisins pourraient rendre possible la venue d’événements majeurs.
À long terme, certains élus imaginent déjà une candidature de Tallinn pour l’organisation des
championnats d’Europe de football en 2024, mais dans le cadre d’une collaboration avec les
États scandinaves ou baltes.
Ces grands événements sont censés offrir de nouvelles opportunités de développement
pour la ville localement, mais aussi attirer les regards sur la ville pendant une certaine période.
L’accueil des championnats d’Europe de patinage artistique (2010) avait notamment offert
une exposition nouvelle à Tallinn sur le continent avec des avis très positifs concernant
l’organisation de l’événement.
Au-delà d’événements ponctuels comme les compétitions sportives, les autorités
municipales ont cherché à mettre leur ville en avant sur une période plus longue afin d’assurer
une meilleure visibilité. C’est grâce à la culture que Tallinn doit pouvoir s’inscrire dans le
paysage européen en misant avant tout sur le patrimoine hanséatique et l’identité maritime de
la ville.
Cette stratégie s’est retrouvée dans les préparations de l’année culturelle en 2011,
lorsque Tallinn était capitale européenne de la culture. Ce premier événement majeur depuis
1991 était l’occasion l’Estonie et sa capitale de montrer à l’Europe les potentiels culturels
d’une petite capitale sur les bords de la Baltique.
Le programme établi s’appuyait sur les deux piliers que sont le passé hanséatique et la
situation littorale de la ville. Le titre donné à l’ensemble des manifestations témoignait du
second élément : « Histoires du bord de mer ». L’ambition principale était de recréer l’accès à
la mer disparu pendant la période soviétique et de promouvoir cette dimension méconnue en
Europe.
Malheureusement, cette année culturelle européenne n’aura pas été à la hauteur des
attentes. Nombreux ont été les projets inachevés en janvier 2011 et certains ne le sont toujours
79
pas, quatre ans après la fin des manifestations. Tallinn 2011 a souffert des oppositions
politiques entre municipalité et État, des manques de fonds, de batailles judiciaires retardant
les mises en chantier. L’exemple le plus flagrant est la saga autour de la rénovation de
l’ancienne centrale électrique de Tallinn située entre la Vieille Ville et la baie de Tallinn, en
« Chaudron de la Culture » (Kultuurikatel) qui devait devenir un haut lieu de la culture
tallinnoise avec la tenue de concerts, de performances théâtrales et d’expositions.
L’absence de fonds a aussi empêché l’innovation culturelle avec un programme
principalement composé d’événements déjà bien intégrés au programme culturel habituel de
la ville de Tallinn : journées médiévales, journées de la mer, différents festivals de musique et
de cinéma. Cette difficulté a même un temps menacé le titre de capitale européenne de la
culture et le retrait de l’aide octroyé par les autorités européennes a été évoqué au cours de
l’année 2010 à quelques mois du lancement des festivités.
Quatre ans après l’année culturelle, difficile de voir des impacts réels sur l’image de la
ville. L’une des (rares) fiertés de la municipalité fut l’inauguration, en retard, d’une
promenade pour piétons et cyclistes baptisée le « kilomètre de la culture » reliant les
principaux lieux culturels situés le long du littoral de la baie de Tallinn. Malheureusement, ce
lien offre un accès à des lieux culturels inachevés comme le Chaudron de la Culture105 ou le
Jardin du Chaudron. Si certaines villes tirent un véritable profit de leur année culturelle,
Marseille avec la construction du MuCEM en 2013, d’autres villes conservent peu de traces
des événements. Tallinn appartient malheureusement à la seconde catégorie.
Analyser le succès du titre de capitale européenne de la culture nécessite d’observer
l’impact sur les activités de tourisme. L’objectif affiché par les autorités municipales et
étatiques vise à faire connaître la ville à l’étranger afin d’attirer de nouveaux visiteurs. L’une
des données disponibles pour étudier l’impact du titre de la culture est le nombre de personnes
logées dans les différents établissements de Tallinn, ainsi que le nombre de nuits passées dans
ces établissements. Les données de 2011 peuvent être comparées avec les années précédentes
jusqu’à 2002106. En 2002, 764 000 personnes ont utilisé les hôtels tallinnois, en 2012, ce
chiffre atteint 1,51 millions de personnes, soit une hausse de 98%. Jusqu’à 2010, le taux de
croissance du nombre de personnes logées à Tallinn alterne entre des valeurs positives et
105 Le Chaudron de la Culture est officiellement inauguré en février 2015 par le maire de Tallinn. Toutefois, de
nombreux éléments de l’ancien ensemble industriel ne sont pas encore achevés. Le processus semble en
bonne voie, mais difficile encore de dire avec combien d’années de retard le projet de rénovation sera
achevé. 106 Eesti Statistikaamet, Table « TU 131 : Majutamine : Maakond, Elukohariik, Aasta ning Kuu », 12 février
2013
80
négatives. En 2003, 2005, 2006, 2008, le taux est respectivement de 6,44%, 6,46%, 2,64% et
4,19%. En 2007 et 2009, le taux était négatif : -1,75% et -4,46%. La seule année
exceptionnelle dans cette série est 2004, avec un taux de croissance de 30,7%. On voit ici
l’impact de l’entrée de l’Estonie dans l’Union européenne le 1er mai 2004.
La baisse visible en 2009 est la conséquence immédiate de la crise économique.
Toutefois, cette baisse est effacée dès 2010, grâce à un taux de croissance de 13,5%. Cette
dynamique se poursuit pendant l’année culturelle européenne avec une hausse du nombre de
personnes logées de 15%. Cette dynamique est interrompue en 2012 puisque la hausse
n’atteint que 1,9%.
Plusieurs hypothèses peuvent être faites. Tallinn 2011 semble avoir eu un impact avec
une forte croissance pendant l’année en question et l’année précédente. L’approche de 2011 a
incité les touristes à découvrir cette ville des bords de la Baltique. On peut nuancer la hausse
de 2010 par rapport à 2009 avec la présence d’un simple effet de rattrapage. Si on compare
avec 2008, avant les premiers effets de la crise, la hausse n’est que de 8%. Cette nuance
permet de voir une évolution spécifique en 2011, et donc y voir un impact direct des
événements culturels.
Bien que les données soient encore limitées, on peut tenter de qualifier l’impact de
Tallinn 2011 sur les activités d’hôtellerie avec les données de 2012. La faible hausse permet
d’émettre deux possibilités : l’absence de baisse après la perte du titre de capitale européenne
de la culture indique que ce titre n’a pas été un aimant exceptionnel pour Tallinn. Le maintien
du niveau de visiteurs montre que l’évolution est avant tout structurelle et non conjoncturelle.
Cette constatation est à la fois positive et négative. Le titre de capitale européenne n’a pas
généré de surplus massif de visiteurs par rapport à une année sans titre. Dans le même temps,
l’optimisme est permis : le maintien du nombre de visiteurs montre la capacité de Tallinn à
conserver une attractivité après la fin de 2011, avec une image internationale plus développée.
L’avenir montrera si Tallinn a la capacité à maintenir une croissance continue ou si un
plafond a été atteint avec Tallinn 2011.
Pour compléter le nombre de personnes qui ont séjourné dans les hôtels tallinnois, il
est utile de le mettre en perspective par rapport au nombre de nuits passées à Tallinn. Le
nombre moyen est en constante augmentation au cours de la décennie 2000, à l’exception de
2007 et 2009. De 1,53 nuit en 2002, il atteint 1,82 en 2012. On note un pic en 2007 avec 1,84
nuit par personne, avant une diminution légère diminution (1,7 nuits en 2009). La moyenne
des séjours augmente de nouveau depuis 2010 : 1,78 en 2010, 1,86 en 2011 et 1,82 en 2012.
81
On note donc ici que 2011 coïncide avec les séjours les plus « longs », les guillemets sont mis
en raison de la moyenne inférieure à deux nuits.
En valeur absolue, on observe les mêmes évolutions que pour le nombre de visiteurs,
mais de manière accentuée. L’augmentation du nombre de visiteurs se traduit par une
augmentation plus forte du nombre de nuitées. Ainsi, si le nombre de visiteurs a augmenté de
15% entre 2010 et 2011, le nombre de nuitées a lui augmenté de 20%. Cette corrélation est
également présente pour les valeurs négatives. Il est intéressant de préciser que la légère
hausse du nombre de visiteurs entre 2011 et 2012 s’accompagne d’un raccourcissement du
séjour moyen (1,86 contre 1,82 nuit).
On peut supposer que Tallinn 2011 a eu un effet sur le format de séjours en moyenne
plus longs. Toutefois, les écarts avec la tendance qui précède la crise économique ne sont pas
assez significatifs pour voir un impact fort. Si on supprime le creux de la vague de la fin de la
décennie 2000, 2011 s’inscrit surtout dans une tendance régulière. Les taux de croissance à
deux chiffres cachent là aussi une part de rattrapage. Le taux de croissance de 18% entre 2009
et 2010 cache la baisse de 7% entre 2008 et 2009. Le taux de croissance de 2008 à 2010 n’est
que de 9,3%.
L’absence de changement visible dans les statistiques se retrouve également lorsqu’on
analyse le nombre de passagers des ferries entre Helsinki, Stockholm et Tallinn, statistiques
légèrement différentes de celles concernant les nuitées. En effet, certains passagers ne restent
qu’une journée à Tallinn : ce sont les passagers des navires de croisière et les passagers qui
utilisent les ferries depuis Stockholm et Helsinki pour un aller-retour rapide.
Même si ce type de personnes n’est pas idéal pour le développement de l’économie
touristique, les dépenses de restauration et de souvenirs demeurent plus limitées que pour les
touristes qui logent dans la capitale, la hausse du nombre de passagers est toujours la
bienvenue. Les magasins d’alcool du port peuvent toujours espérer augmenter leurs ventes
auprès des Finlandais venus chercher des prix plus avantageux que dans leur pays107.
Les données disponibles auprès du Port de Tallinn mettent en évidence une évolution
chaotique du nombre de passagers, sans réelle tendance globale. On note toutefois que les
plus grosses évolutions se font à la hausse, avec par exemple un taux de croissance supérieur à
10% en entre 2003 et 2004 (+14,9%, + 875 000 passagers) et entre 2007 et 2008 (+11,2%, +
107 Une enquête du journal finlandais Iltalehti conduite en 2014 a fait ressortir que le rapport des prix entre
Tallinn et Helsinki pouvait atteindre 3,8 en faveur de l’Estonie. Arileht.ee, « Soomlaste suur hinnavõrdlus :
alkohol Eestis, Soomes ja laevadel », 16 mai 2014
82
733 000 passagers)108. Le nombre de passagers diminue deux années consécutives entre 2005
et 2007 (-3,64% et -3,53%), pour atteindre un niveau inférieur à 2004. Depuis 2007, aucune
baisse n’a été enregistrée, même en 2008 et 2009, le taux de croissance s’établissant à +0,14%
(+ 10 000 passagers). En ce qui concerne 2011, aucune anomalie n’apparaît par rapport aux
années précédentes et suivantes. On note, après la stagnation de 2008-2009, un rythme de
croissance qui s’affaiblit : +9,1% (+ 657 000 passagers) en 2010, +7,1% (+ 563 000
passagers) en 2011 et +4,3% (+ 363 000 passagers) en 2012. Exception faite de 2009, on
observe ainsi depuis 2007 une croissance continue qui s’affaiblit progressivement. Tallinn
2011 n’a donc pas eu d’impact véritable pour l’activité du port de Tallinn.
Après le titre de Capitale européenne de la Culture, les autorités municipales de
Tallinn visent un nouveau titre, celui du Prix de la Capitale verte de l’Europe. Ce prix fut créé
par le Mémorandum de Tallinn109, texte final d’une conférence convoquée à l’initiative du
maire de l’époque Jüri Ratas110 en 2006, signé par l’Union des Villes d’Estonie et quinze
villes européennes111. Décerné annuellement depuis 2010112, ce titre n’a toutefois pas encore
été attribué à Tallinn, les autorités l’espèrent pour 2018. L’objectif est régulièrement souligné
par le maire de Tallinn lorsqu’il justifie sa politique des transports (voir partie 2). On peut
s’interroger sur l’impact d’un tel titre pour la ville. Peu connu du grand public, il ne semble
pas être la meilleure arme. Si la qualité environnementale d’une ville peut jouer dans le choix
de séjours touristiques, il est évident que cela ne peut suffire pour créer une nouvelle
dynamique dans ce secteur.
108 Tallinna Sadam, « Number of passengers », http://www.ts.ee/?dl=419 109 http://ec.europa.eu/environment/europeangreencapital/wp-content/uploads/2011/06/Tallin-
Memorandum.pdf 110 « Award Background », European Green Capital,
http://ec.europa.eu/environment/europeangreencapital/about-the-award/background/index.html 111 Ces villes sont Berlin et Kiel (Allemagne), Dartford et Glasgow (Royaume-Uni), Helsinki et Kotka
(Finlande), Ljubljana (Slovénie), Madrid (Espagne), Prague (République tchèque), Riga (Lettonie), Tallinn
et Tartu (Estonie), Vienne (Autriche), Vilnius (Lituanie) et Varsovie (Pologne). 112 Le titre fut décerné à Stockholm (2010), Hambourg (2011), Vitoria-Gasteiz (2012), Nantes (2013),
Copenhague (2014), Bristol (2015) et Ljubljana (2016).
83
Carte 21 Les capitales vertes européennes
Les atouts de l’e-Stonie
Si la culture peut être un atout pour Tallinn, c’est par le mode de vie des Estoniens de
plus en plus tourné vers les nouvelles technologies (voir partie 2.1). Tout comme les
représentants nationaux, les autorités tallinnoises font la promotion active de la modernisation
technologique de Tallinn. Autoproclamée capitale du WIFI113, Tallinn se forge
progressivement une image de ville de hautes technologies avec des services tels le paiement
du stationnement par téléphone. Ces avancées technologiques permettent de construire
l’image d’une ville moderne, en contraste avec les stéréotypes de ville soviétique située dans
le nord de l’Europe parfois véhiculés (grisaille, obsolescence des infrastructures). Grâce à son
statut de capitale, Tallinn attire les regards étrangers, intéressés par les avancées
technologiques présentes pourtant dans toute l’Estonie. Tallinn est régulièrement placée dans
113 Riga, la capitale lettone, revendique également ce titre !
84
divers classements de villes hautement technologiques et il semble qu’il s’agisse de la
meilleure campagne publicitaire possible pour cette ville moyenne des rives de la Baltique.
L’image de Tallinn, et de l’Estonie en général, est forgée par l’intervention active des
autorités estoniennes, dont le président Toomas Hendrik Ilves (2006-). Malgré un rôle limité
dans la république parlementaire qu’est l’Estonie, le président estonien se fait l’ambassadeur
de cette modernisation de l’administration estonienne. Chaque interview, chaque intervention
à l’étranger est l’occasion pour lui de promouvoir la politique étatique estonienne. Les médias
étrangers ne ratent plus l’occasion de l’interviewer, notamment depuis sa petite guerre de
mots avec le Prix Nobel d’économie Paul Krugman sur Twitter en 2012114. En visite à
l’étranger ou accueillant des responsables étrangers, les ministres estoniens ne manquent
jamais l’occasion de faire quelques démonstrations de la vie estonienne en mode
numérique115.
Fort de l’expérience étatique en matière de nouvelles technologies, les autorités
estoniennes misent sur la spécialisation internationale de la capitale estonienne dans le
domaine du numérique. La stratégie appliquée ici est l’attraction d’institutions internationales
sur le sol estonien. L’accueil de structures d’importance internationale permet à la fois de
faire venir experts et employés étrangers à Tallinn, mais aussi de créer une dimension
symbolique par l’association du nom Tallinn à une organisation de dimension européenne
voire mondiale. Progressivement, la multiplication des conférences sur le sujet à Tallinn fait
de la capitale estonienne un centre d’expertise.
Il est inutile de faire l’inventaire des événements organisés à Tallinn mais deux
exemples emblématiques montrent clairement cette stratégie pour la capitale estonienne : la
création du Centre de cybercoopération de l’OTAN, le CDD COE116 en 2008 et l’installation
de l’Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande
échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.
114 En juin 2012, le prix Nobel d’économie Paul Krugman critique les décisions économiques d’austérité du
gouvernement estonien au plus fort de la crise. Le commentaire de Krugman ne laissa pas le président
estonien indifférent qui répondit vertement par plusieurs messages, faisant ainsi la Une des journaux
estoniens et étrangers. 115 En visite à Tallinn en même temps que les élections municipales 2013, Fleur Pellerin, ministre française
déléguée à l’économie numérique, a eu droit à une démonstration du vote électronique en compagnie du
président estonien. Lors de sa rencontre avec le président français François Hollande, Taavi Rõivas,
Premier ministre estonien, a, lui, expliqué le système de signature électronique. De son côté, Barack Obama
reçut des mains de T. H. Ilves une carte d’identité estonienne non-officielle à son nom. 116 Cooperative Cyber Defence Centre of Excellence
85
L’Estonie et la cyberdéfense au sein de l’OTAN
En tant qu’État très impliqué dans les nouvelles technologies, l’Estonie fut
inévitablement l’un des premiers États visés par des cyberattaques. Le déplacement du Soldat
de Bronze en 2007117 a été suivi d’une vague d’attaques contre les serveurs de l’État
(Parlement, gouvernement, présidence) et des grandes infrastructures (banques, médias).
Directement concernée par cette nouvelle menace, le gouvernement estonien a rapidement
tenté de mobiliser ses partenaires occidentaux pour prévenir de nouvelles attaques. L’action
du gouvernement estonien s’est d’abord inscrite dans le cadre de l’OTAN. Membre de
l’Alliance atlantique depuis 2004, l’Estonie a cherché à convaincre ses alliés de prendre la
menace au sérieux et d’établir un centre spécialisé dans les questions cybernétiques.
Mais ces questions n’apparaissent pas avec les attaques contre l’Estonie. Le sommet
de Prague en 2002 fut l’occasion de lancer le programme de cyberdéfense de l’OTAN et la
création d’une capacité de réponse aux incidents électroniques. L’Estonie s’intéresse déjà à
l’idée d’un centre d’excellence puisque cette idée est avancée dès 2003, avant même
l’accession à l’Alliance atlantique. Lors du sommet de Riga en 2006, les membres de l’OTAN
inscrivent les cyberattaques parmi les dangers potentiels. Les attaques contre l’Estonie au
printemps 2007 accélèrent les choses. L’Alliance adopte une politique précise dès janvier
2008, notamment en se fondant sur l’expérience estonienne.
Même si l’acte fondateur fut signé dans les locaux de l’OTAN à Bruxelles, il est
intéressant de souligner que le centre n’est pas une émanation directe de l’OTAN puisque tous
les États-membres de l’Alliance n’y sont pas intégrés. Seuls sept États118 ont signé l’acte
fondateur du centre qui doit être installé à Tallinn, le 14 mai 2008. Le centre reçoit
officiellement son accréditation de l’OTAN le 28 octobre 2008, devient ainsi une
Organisation militaire internationale et rejoint les autres Centres d’Excellence de l’OTAN,
actuellement au nombre de 18.
Le choix de la ville estonienne ne semble pas avoir fait débat. La volonté estonienne
dès la première moitié des années 2000, son expertise dans ce domaine et peut-être son statut
de première victime d’attaques de ce genre, ont fait de Tallinn la ville toute désignée.
117 En avril 2007, le gouvernement estonien décida de délocaliser un monument aux morts soviétique situé
place Tõnismäe en centre-ville vers un cimetière militaire de Tallinn. Cette décision provoqua la colère des
russophones d’Estonie et fut suivi de plusieurs nuits d’émeutes. En Russie, les autorités condamnèrent cet
acte et un fort sentiment anti-estonien se développa. Cet événement est évoqué plus en détail dans la
première sous-partie de la seconde partie de cette thèse. 118 L'Estonie, l'Allemagne, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie et l'Espagne. Ces sept États sont
ensuite rejoints par la Hongrie (2010), la Pologne, les États-Unis (2011), les Pays-Bas (2012), l’Autriche
(non-membre de l’OTAN), la France, le Royaume-Uni et la République tchèque (2014).
86
Peu à peu, le CCD COE s’élargit et renforce son rôle dans l’organisation globale de
l’OTAN. Tallinn gagne ainsi en visibilité avec un renforcement de l’image de ville de la
cyberdéfense. La présence du CDD COE à Tallinn ouvre des perspectives au-delà des seules
missions de défense du centre. Des séminaires et des conférences se tiennent régulièrement à
Tallinn. Depuis sa création, le centre organise une conférence annuelle, CyCon, qui a pour but
de réunir les experts du monde de la cybersécurité.
Si l’Estonie était déjà connue pour son implication dans les nouvelles technologies, ce
qui lui a valu son surnom d’e-Stonie, l’arrivée d’un centre militaire international accroit l’aura
de la ville qui devient un des points centraux de l’OTAN, à l’extérieur du QG de Bruxelles.
Tallinn apparaît désormais sur les cartes de l’organisatoin transatlantique et c’est l’un des
premiers buts à atteindre pour une ville à la recherche de reconnaissance.
L’accueil du CDD COE renforce le symbole que représente l’appartenance de
l’Estonie à l’OTAN. En obtenant la création du centre sur son sol, l’Estonie entérine une
présence permanente de l’Alliance atlantique sur son territoire, alors qu’aucune troupe n’y est
stationnée119. L’Estonie n’est pas (plus) un membre de seconde catégorie au sein de
l’organisation militaire et joue un rôle précis.
Devenir le centre de gestion des données de l’Europe
Le choix de Tallinn pour accueillir le siège de l’Agence européenne pour la gestion
opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de
sécurité et de justice a, elle, nécessité des négociations avec d’autres États européens,
notamment la France. Alors que l’Estonie mettait en avant son savoir-faire en termes de
nouvelles technologies, d’autres États comme la France, souhaitaient aussi obtenir ce siège.
Pour l’Estonie, ce siège avait une valeur symbolique, puisqu’il s’agissait de la
première agence européenne à s’installer sur leur territoire. Le choix de Tallinn pour cette
agence fait sortir l’Estonie du groupe des États-membres qui n’ont pas encore d’agences sur le
territoire120. Ceci s’inscrit dans un processus lancé en 2003 avec la décision par les quinze
États-membres d’alors d’implanter les agences et les institutions qui allaient être créées par la
suite en priorité dans les États qui allaient rejoindre l’Union en 2004121. L’agence pour la
119 La mission « Baltic Air Policing » en place depuis 2004 et chargée de la surveillance de l’espace aérien des
trois États baltes a pour point d’attache la base lituanienne de Zokniai/Šiauliai. Dans le contexte de crise de
la crise ukrainienne, l’OTAN a ouvert au printemps 2014 une seconde base aérienne en territoire estonien à
Ämari. 120 Slovaquie, Bulgarie, Roumanie, Chypre 121 Teelemari Loonet, « Ojuland : ELi IT-agentuuril Eestisse tulekul on märgiline tahendus », Postimees.ee, 9
octobre 2010
87
gestion des frontières extérieures (FRONTEX) est par exemple installée à Varsovie le 26 avril
2005 ou encore l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes inauguré à
Vilnius en 2007.
Dans le cas de l’agence des systèmes d’information, le choix d’un pays qui a intégré
l’UE au cours de la décennie 2000 a été un temps mis en doute, menaçant l’arrivée d’une
agence en Estonie qui avait contre elle la candidature de la France. Avant la création de
l’agence pour la gestion des systèmes d’information, la France accueillait déjà à Strasbourg
les serveurs des systèmes et des registres de l’Espace Schengen. L’implantation du siège de la
nouvelle agence à proximité des sites techniques pouvait sembler logique.
L’intérêt pour l’agence spécialisée dans les technologies de l’information naît en juin
2009 lorsque la Commission européenne annonce son soutien à un tel projet, qui doit
regrouper les systèmes d’information déjà utilisés dans le domaine de la justice et des affaires
intérieures, comme le système Schengen ou Eurodac (demandeurs d’asile). Dès l’annonce de
la position de la commission, l’Estonie se porte candidate pour accueillir la future structure.
Le ministère de l’Intérieur estonien justifie sa position ainsi : « L’Estonie favorise une
utilisation plus efficace des technologies de l’information dans le domaine de la sécurité
intérieure et c’est pour cette raison que nous considérons la création d’une agence comme la
meilleure des solutions. (…) En prenant en compte le développement du secteur des
technologies de l’information et l’image de l’Estonie, l’Estonie serait un lieu de choix pour la
future agence.122 »
Le soutien de la Commission européenne, sans qu’il confirme la création de l’agence,
a alors incité le gouvernement et les entreprises estoniennes à faire un travail de lobby intense
pour défendre Tallinn comme futur siège de l’agence. Plusieurs ministères sont mobilisés dès
l’automne 2009, en collaboration avec les entreprises du secteur, dont l’Union estonienne des
technologies de l’information et des télécommunications (ITL). Les entreprises du secteur
voient dans l’arrivée d’une telle agence internationale la possibilité de montrer le savoir-faire
estonien et donc le développement de potentiels économiques. Au-delà des emplois créés par
l’agence, c’est tout un secteur économique qui peut en tirer profit, renforçant alors l’image
d’État « numérique » de l’Estonie. La mobilisation de l’État et l’importance du siège de
l’agence sont visibles à travers les propos du Premier ministre Andrus Ansip lors d’une
interview au début de l’année 2010. Pour lui, l’Estonie a deux objectifs essentiels sur la scène
122 Raul Sulbi, « Eesti kandideerib Euroopa IT-agentuuri asukohamaaks », Postimees.ee, 25 juin 2009
88
européenne : voir l’Estonie officiellement acceptée au sein de la zone euro et obtenir le siège
de l’agence européenne des nouvelles technologies si sa création est confirmée123.
Alors que la création de l’agence fut actée par les ministres de l’intérieur et de la
justice des Vingt-Sept lors d’une réunion fin novembre 2009, les négociations avec la France
débutèrent plus tôt, avant même que les pays aient officiellement déposé leur candidature,
l’Estonie le fait le 12 avril 2010124. Les ministres de l’intérieur français et estonien, Brice
Hortefeux et Marko Pomerants ont ainsi échangé leur point de vue lors d’une rencontre
bilatérale le 19 novembre 2009. La France réaffirme sa volonté d’installer l’agence à
proximité des serveurs déjà existants de Strasbourg, les nombreux investissements effectués
dans le système de gestion de la base de données Schengen ne peuvent pas disparaître ainsi.
L’Estonie met en avant ses compétences dans le domaine des nouvelles technologies.
Elle soutient aussi un développement décentralisé des structures chargées de la sécurité
européenne. Enfin, l’Estonie a rappelé à plusieurs reprises le principe adopté en 2003 quant à
l’octroi des nouvelles agences aux États-membres les plus récents. Cela participe à une vision
décentralisée de l’Europe. Un dernier argument est défendu par le député européen estonien
Indrek Tarand (Les Verts / Alliance Libre Européenne) lors d’un débat le 18 mai 2010 à
Strasbourg : le choix de la capitale européenne permettrait d’éviter un monopole d’un État-
membre dans un domaine125.
Les négociations ont également eu lieu en avril 2010 entre les ministres des Affaires
étrangères lors d’une visite de Bernard Kouchner à Tallinn où il rencontre son homologue
Urmas Paet. Quelques semaines plus tard, les autorités françaises offrent un compromis au
gouvernement estonien : l’agence européenne sera installée à Strasbourg sous la direction
d’un Estonien. Ce compromis est immédiatement rejeté par la partie estonienne. Pour le
gouvernement estonien, il s’agit avant tout d’obtenir le siège de l’agence et de bénéficier des
retombées internationales, économiques, sociales... Plus que les 120 personnes qui vont
travailler à l’agence, il faut aussi assurer des services supplémentaires, notamment la création
d’une école européenne (ouverture à la rentrée 2013) pour les familles des fonctionnaires
européens. « Nous ne discutons que de l’agence. La décision quant à celui qui deviendra le
directeur de l’agence sera prise par les États-membres et c’est un processus totalement
123 Kaja Koovit, « Ansip : Eesti eesmärgid on euros ja IT-agentuur », e24, 14 janvier 2010 124 Raigo Neudorf, « Eesti esitas IT-agentuuri asukohamaaks saamiseks ametliku pakkumise », e24, 12 avril
2010 125 Débat au Parlement européen de Strasbourg, 18 mai 2010,
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+CRE+20100518+ITEM-
006+DOC+XML+V0//FR
89
indépendant. Ce qui nous intéresse, c’est l’institution, et non un siège dans l’une des
institutions de l’Union européenne126 » a ainsi pu annoncer Marko Pomerants en mai 2010.
Ces négociations bilatérales se sont poursuivies jusqu’à l’automne 2010 et aboutissent
à un accord entre la France et l’Estonie. L’Estonie obtient le siège de l’agence, mais les
serveurs restent en France, avec les serveurs de sauvegarde à Sankt Johann im Pongau en
Autriche. Pour les autorités estoniennes, le plus dur était fait, avec le retrait de la seule
candidature concurrente. Le choix de l’Estonie pour le nouveau siège fut ensuite approuvé par
le Parlement européen (5 juillet 2011) puis par le Conseil des ministres de l’Union
européenne (12 septembre 2011) et validé par le règlement nº 1077/2011 du Parlement et du
Conseil de l’UE daté du 25 octobre 2011127.
Le dénouement des négociations autour du siège de l’agence européenne a été
unanimement salué par la classe politique estonienne. Pour Marko Mihkelson (IRL, membre
de la commission des affaires européennes du Riigikogu128), la décision des ministres
européens montre que l’Estonie a atteint un degré de maturité européenne. De plus, elle
montre que les autorités estoniennes sont capables de négocier face aux poids lourds de l’UE,
comme la France.
Si l’Estonie a pu compter sur le soutien d’États comme la Lettonie (dès octobre
2009129), l’Autriche130 ou la Slovénie131 en février 2010, il lui a fallu obtenir le soutien d’États
clés dans les négociations. L’accent est notamment mis sur le choix italien de soutenir
l’Estonie face à son voisin français.
Le choix de l’Estonie par les instances européennes ne doit pas cacher certains
éléments négatifs soulignés par le rapporteur du dossier devant le Parlement européen. Le
député européen allemand Alexander Alvaro a estimé que, si l’Estonie avait su devenir
inévitable dans le monde de la cybersécurité et de la cyberdéfense, elle demeure un État
vulnérable. La présence du voisin russe et les relations bilatérales difficiles avec cet État font
de l’Estonie un territoire sensible. Or, l’implantation d’une agence européenne chargée des
données de Schengen ou d’Eurodac doit se faire dans des conditions de sécurité parfaites132.
Si la capacité de l’Estonie à accueillir la nouvelle agence n’a pas provoqué de réels débats, en
126 BNS, « Eesti lükkas tagasi Prantsuse pakkumise IT-agentuuri kohta », Postimees.ee, 20 mai 2010 127 Journal officiel de l'Union européenne, L 286 du 1er novembre 2011 128 Marko Mihkelson fut le président de la commission des affaires européennes du Riigikogu lors de la
législature 2007-2011. Il fut donc en première ligne pour défendre l'idée d'une agence spécialisée dans les
nouvelles technologies 129 Raul Sulbi, « Läti toetab Eestit IT-agentuuri asupaigana », e24, 15 octobre 2009 130 Raul Sulbi, « Austria toetab Eestit IT-agentuuri asukohamaana », e24, 8 février 2010 131 Raul Sulbi, « Sloveenia välisminister toetas IT-agentuuri loomist Eestisse », e24, 9 février 2010 132 Postimees.ee, « Raportöör Eestile : IT-agentuur eeldab Vene mõju miniseerimist », 5 juin 2010
90
revanche, la présence d’un voisin comme la Russie peut avoir des incidences sur la
sauvegarde d’informations sensibles. L’Estonie présenterait un risque géographique que
d’autres candidats n’auraient pas. Il serait donc plus sécurisé de conserver les données à
distance, au cœur de l’Europe.
Dans le cas de l’agence européenne, un élément revient néanmoins à plusieurs
reprises : l’expérience avec les travaux du CDD COE de l’OTAN. Comme le souligne
Alexander Alvaro, la visite du CDD COE « a laissé une très bonne impression. Après les
attaques de 2007, l’Estonie a su transformer l’expérience en valeur et à partir de là créer un
système de sécurité.133 » Les résultats déjà visibles des activités du centre militaire depuis
2009 ont permis aux Estoniens de montrer leurs efforts dans le domaine des nouvelles
technologies et leurs compétences. Ainsi, l’implantation du CDD COE a, en quelque sorte, eu
un effet boule de neige en attirant à Tallinn l’agence européenne.
L’Estonie a su attirer sur son territoire deux organismes qui dépendent des deux
principales institutions, l’OTAN et l’UE, dont l’Estonie est partie prenante. Grâce à ces deux
agences, elle devient un acteur de ces institutions sur son propre territoire.
Les succès du début de la décennie 2010 sont intéressants pour une ville comme
Tallinn qui s’internationalise. Toutefois, il semble légitime de s’interroger sur l’avenir.
L’Estonie a atteint ses objectifs, mais les nouvelles opportunités apparaissent limitées. Le
choix des nouvelles technologies a en quelque sorte hyperspécialisée l’Estonie et il reste
difficile de voir d’autres structures pouvant être implantées sur les rives du golfe de Finlande.
De plus, l’implantation de structures tels le CDD COE ou l’agence européenne a un impact
limité sur l’économie locale, en effet le centre de l’Otan n’accueille qu’une cinquantaine de
personnes.
L’Estonie et Tallinn ont pleinement intégré l’Europe au cours des deux dernières
décennies. Les objectifs internationaux sont atteints, la région baltique devient l’espace
privilégié d’intégration de la capitale et de nouveaux horizons sont recherchés afin de ne pas
se limiter à ce voisinage. Il ne fait plus aucun doute en 2014 que Tallinn appartient à l’Europe.
S’il est possible de demander plus, les ressources sont limitées et Tallinn doit faire face à la
concurrence des autres villes d’Europe centrale qui veulent elles aussi affirmer leur transition
vers l’Europe politique et économique après la chute du Bloc de l’Est.
133 Ibid.
91
Et parfois, une ville peut faire parler d’elle de manière inattendue. Une décision de
prime abord banale peut avoir plus d’effet que n’importe quelle campagne de publicité. La
décision du maire de Tallinn de rendre les transports publics gratuits pour les résidents de la
capitale a un écho que seul le vote électronique a pu égaler. Cette décision a fait de Tallinn
une pionnière dans le monde et a immédiatement attiré la curiosité des médias. La clé pour le
développement d’une image de Tallinn, serait peut-être alors plus dans le champ des
innovations surprenantes plutôt que de vouloir concurrencer les plus grandes capitales sur des
domaines dans lesquels Tallinn n’a pas de moyens suffisants.
92
1.3. Quelle place pour la Russie dans les projets tallinnois ?
Malgré des imperfections, l’intégration européenne de Tallinn existe. On note la
constitution de liens clairs (réseau de transport maritime et ferroviaire, intégration
économique) qui pourraient servir de base à la mise en place du projet singapourien de
Tallinn. Toutefois, cela ne constitue qu’une partie de l’équation. Pour devenir ce nœud entre
plusieurs régions, Tallinn doit tisser des liens avec d’autres territoires et favoriser les
échanges entre ces régions.
La situation géographique de Tallinn, à l’extrémité orientale de l’espace européen, fait
apparaître un partenaire évident : la Russie, l’unique voisin de l’Estonie à l’est. Mais on le
sait, les autorités estoniennes ont rapidement tourné le dos à ce voisin, héritier de l’ancien
occupant soviétique. Comment alors construire les relations économiques nécessaires au rôle
international proposé pour Tallinn ? Cette sous-partie analysera les potentiels économiques
entre l’Estonie et la Russie principalement à travers l’étude du secteur du transit marchand, le
secteur qui avait en son temps fait la richesse de Tallinn et comme il a fait au XXe siècle celle
de Singapour.
1.3.1. Des relations complexes
La Russie n’est pas un partenaire potentiel comme les autres. Constamment, des
héritages de la période soviétique enveniment les relations bilatérales russo-estoniennes et les
tentatives de coopération qui émergent depuis 1991. Qu’il s’agisse des problématiques liées
aux populations russophones présentes sur le territoire estonien, des problématiques liées à
l’historiographie officielle dans chaque État à propos de la Seconde Guerre mondiale ou les
choix de politique étrangère, les relations russo-estoniennes sont très délicates depuis que la
chute de l’URSS.
Au cours des années 1990, les autorités russes ont suivi de très près le processus
d’adhésion de l’Estonie aux organisations internationales occidentales. Souhaitant conserver
l’ancienne République soviétique dans leur giron, elles ont tenté d’empêcher son glissement
progressif vers l’Union européenne et surtout vers l’OTAN en utilisant constamment une
certaine rhétorique afin de décrédibiliser la politique étrangère estonienne.
Les contentieux historiques
Les relations russo-estoniennes sont particulièrement sensibles aux querelles
historiques. Toute position antagoniste à la version officielle défendue dans l’un des États par
l’autre provoque des levées de bouclier et le rappel de sa propre position.
93
Au cœur des disputes russo-estoniennes : la Seconde Guerre mondiale. Appelée
Grande Guerre patriotique, elle est le ciment de la nation russe depuis les années 1940 et la
victoire sur l’Allemagne nazie et chaque commémoration est l’occasion de rappeler le
sacrifice consenti par les troupes soviétiques.
En Estonie en revanche, la Seconde Guerre mondiale signifie la fin de l’indépendance
et le début de plusieurs décennies d’occupation étrangère, marquées notamment par plusieurs
vagues de déportation (juin 1941, mars 1949). Envahie en juin 1940 conformément aux
protocoles secrets du pacte germano-soviétique, l’Estonie disparaît des cartes européennes en
tant qu’État indépendant jusqu’en 1991, l’espoir d’un retour de l’indépendance en 1944 lors
de la retraite des troupes allemandes étant rapidement déçu avec le retour de l’armée Rouge et
une seconde incorporation à l’URSS.
Russes et Estoniens s’opposent alors autour de la question qui est de savoir si l’Estonie
fut libérée ou occupée. Côté russe, l’entrée de l’armée Rouge en Estonie s’intègre dans le
contexte plus large de l’avancée vers l’Allemagne face aux armées allemandes et est présentée
comme une libération du joug nazi. Côté estonien, si l’effort de l’Union soviétique est
reconnu dans la victoire sur le nazisme, cette entrée est aussi vue comme une invasion pure et
simple avec le rétablissement non pas de l’indépendance estonienne mais d’un régime
soviétique affilié à Moscou. Dès lors, la période soviétique est considérée comme une
occupation étrangère et tous les actes pris pendant cette période sont déclarés illégaux. Cette
position a des influences notoires, notamment sur les négociations en vue d’un traité sur la
frontière russo-estonienne et le statut des populations soviétiques très majoritairement russes
et installées sur le territoire estonien entre 1940 et 1991.
Depuis l’indépendance, les autorités estoniennes présentent une lecture de cette
période où nazisme et communisme sont placés sur une même ligne au titre de régime
totalitaire. Le musée des occupations de Tallinn illustre clairement cette position. Ce choix est
contesté par les autorités russes qui refusent de voir l’Union soviétique mise au même niveau
que l’Allemagne nazie alors que cette Union soviétique a justement défait le IIIe Reich.
Régulièrement, les autorités russes critiquent les discours estoniens, condamnant une
résurgence du fascisme en Europe, tout discours anti-soviétique ne pouvant être que pro-
fascisme.
94
La présence des populations russophones en Estonie
Parallèlement aux questions historiques, un héritage direct de la période soviétique134
constitue un lien majeur et une source de tensions : la présence de Russes et russophones en
Estonie135. Si ce sujet a été l’un des premiers thèmes étudiés à propos de l’Estonie
(intégration, autonomie)136, il convient néanmoins d’en rappeler les principaux éléments dans
le contexte des relations Estonie-Russie.
Depuis 1991, les autorités russes interpellent régulièrement les autorités estoniennes,
ainsi que les organisations internationales, sur les discriminations dont seraient victimes la
communauté russe, les « compatriotes » comme ils sont désignés en Russie. Les critiques du
pouvoir central russe ciblent principalement la législation estonienne en matière de
citoyenneté et les questions linguistiques. En 1989, avant même la chute de l’URSS, le Soviet
suprême d’Estonie fait de l’estonien la seule langue officielle de la République. Les
russophones, dont la maîtrise de l’estonien est limitée137, contestent cette décision.
L’indépendance recouvrée, les autorités estoniennes réaffirment ce choix. De leur côté, les
autorités russes condamnent les atteintes à la langue russe et à sa survie au sein de la
communauté russe.
Les autorités estoniennes firent également le choix de n’octroyer la citoyenneté qu’aux
personnes citoyennes de la République d’Estonie avant la Seconde Guerre mondiale et à leurs
descendants (toutes nationalités – ethniques – confondues)138. Cette décision a ainsi exclu
toutes les personnes venues des autres Républiques soviétiques (principalement de Russie) à
134 L’Estonie d’avant 1940 accueillait déjà des populations russophones sur son territoire, mais dans une
proportion moindre. De 8,2% au recensement de 1934, la part des Russes dans la population totale est
passée à 30% au recensement de 1989. 135 Le terme de « Russe » renvoie à la nationalité dans le sens ethno-culturel du terme et regroupe 326 235
personnes en 2011 (25,2% de la population). Les statistiques se fondent sur la déclaration des personnes
lors des recensements. Le terme de « russophone » renvoie, dans un sens restreint, aux populations qui
parlent le russe comme langue maternelle. Il dépasse les seuls Russes, englobant les populations d’autres
nationalités, mais qui ont adopté le russe pour langue maternelle, principalement des populations venues
d’Asie centrale et du Caucase. Ce groupe compte 383 118 personnes en 2011 (29,6% de la population).
Dans un sens plus large, le terme de « russophone » inclut également les personnes parlant une langue slave
comme langue maternelle (ukrainien, biélorusse), soit 392 798 personnes (30,3% de la population). 136 Les tensions inhérentes à la structure nationale de la population d’Estonie ont logiquement incité les
chercheurs à étudier d’abord ce champ plutôt qu’un autre au moment de la chute de l’URSS, par exemple
les travaux d’Yves Plasseraud ou Wenda Dressler en France, David J. Smith en Grande-Bretagne… 137 En 2000, le recensement fait ressortir que seulement 44% des Russes maîtrisent l’estonien. On peut estimer
que cette proportion était bien moindre une décennie plus tôt, d’autant qu’environ 100 000 personnes ont
quitté l’Estonie au cours de la décennie 1990. 138 Cette mesure permet d’affirmer la continuité juridique de l’État estonien malgré la période soviétique,
considérée ainsi comme une occupation.
95
partir de 1940139 et leurs descendants. Désormais résidents étrangers dans un pays qui était
pour nombre d’entre eux leur lieu de naissance, ces personnes durent se plier aux procédures
de naturalisation si elles souhaitaient obtenir le passeport estonien. Pour beaucoup d’entre
elles parce que russophones, la naturalisation s’est avérée impossible car ils ne parlaient pas
l’estonien dont la maîtrise140 est une condition sine qua non pour devenir citoyen d’Estonie.
Nombreux ont alors été les anciens citoyens soviétiques à devenir apatrides, faute de nouvelle
citoyenneté après la chute de l’URSS.
Le recensement estonien de 2011 fait ressortir que 85 951 personnes (6,64% de la
population) demeuraient toujours sans citoyenneté en Estonie ; dans le même temps, 90 510
personnes (6,99%) étaient citoyennes de la Fédération de Russie141. Face à l’obstacle de la
langue, certains ont opté pour la citoyenneté russe, précieux sésame pour pouvoir voyager en
Russie (les citoyens estoniens doivent demander un visa), d’autres ont préféré rester apatrides
avec en vue, l’intégration de l’Estonie à l’Union européenne.
Au cours des premières années de l’indépendance, la crainte de la formation d’une
« cinquième colonne » en territoire estonien était clairement affichée en Estonie et ce n’est
que sous la pression des institutions européennes que les premiers assouplissements législatifs
ont été effectués. Progressivement, une fois le départ des troupes russes d’Estonie achevé (31
août 1994), les autorités se sont fait une raison : les populations russophones installées en
Estonie allaient rester. Pour beaucoup d’entre elles, la Russie représentait désormais
l’étranger, en témoigne l’échec du programme de l’État russe pour convaincre les
compatriotes dans les années 2000 de rentrer dans la Mère-Patrie, mais cet appel est venu trop
tard. Partir en Russie signifiait abandonner ce qui était pour beaucoup leur lieu de naissance et
aller vers l’inconnu, d’autant que les programmes étatiques russes ne laissaient pas le libre
choix quant à la région d’accueil. Ce n’est pas à Moscou que les compatriotes étaient
souhaités, mais dans les régions en déclin démographique, tels l’Extrême-Orient ou la Sibérie.
De plus, l’implantation de ces personnes générait des difficultés relationnelles avec les
populations locales, jalouses de voir arriver ces « immigrés » aidés par l’État russe. Ainsi, la
139 Elle intègre en revanche les émigrés qui ont fui l’Estonie pendant la Seconde Guerre mondiale et leurs
descendants. Ainsi, bien que né en Suède, l’actuel président estonien a pu se présenter aux élections
présidentielles auxquelles seuls les citoyens de naissance ont droit de se présenter. 140 Les candidats à la naturalisation doivent passer un examen de connaissances sur la constitution estonienne,
être résident permanent d’Estonie et surtout passer un examen d’estonien. Le niveau de compétence exigé
est le niveau B1 (niveau 3 sur une échelle 6) qui correspond au premier niveau d’un locuteur indépendant. 141 Selon le recensement de 2000, il y avait en Estonie 170 349 apatrides (soit 12,43% de la population) et
86 067 citoyens de la Fédération de Russie (soit 6,28% de la population).
96
majorité des russophones d’Estonie142 fit le choix de rester en Estonie, et ce malgré l’absence
de certains droits, tel le droit de vote aux élections nationales et européennes, la possibilité
d’avoir un emploi dans le secteur public ou d’être éligible aux élections locales. Les apatrides
ont la possibilité de se déplacer tant dans l’Espace Schengen qu’en Russie. Partir en Russie
les aurait coupés de l’espace européen.
Localement, et à l’exception des troubles d’avril 2007 après le déplacement du Soldat
de Bronze et la persistance de problèmes sociaux liés à la crise économique dans les régions
industrielles, majoritairement peuplées de russophones, on observe une cohabitation
relativement calme entre communautés estonienne et russe. Cela s’explique d’abord en grande
partie par la répartition géographique de ces populations avec une concentration des Russes à
Tallinn et dans les villes du Virumaa oriental. Ailleurs, les Russes sont faiblement
représentés, à part dans quelques centres urbains comme Tartu (14,7%) ou Valga (26,3%).
Dans le nord-est de l’Estonie, les Estoniens sont quasiment absents, faisant de Narva (5,2%
d’Estoniens en 2011) et Sillamäe (4,8%) des villes russes. À l’exception de Tallinn où les
deux communautés représentent un poids démographique plus proche (55%-36%), le reste de
l’Estonie est caractérisé par une homogénéité nationale qui ne permet pas les contacts
fréquents entre Estoniens et Russes.
De plus, il n’existe pas de groupe russe homogène, solidaire. Il convient plutôt
d’évoquer des communautés russophones qu’une minorité russophone143. La maîtrise de
l’estonien, la citoyenneté de la personne, son lieu de résidence – vivre à Tallinn, dans le
Virumaa oriental ou en milieu rural ne crée pas le même environnement – son lieu et sa date
de naissance constituent autant de situations multiples. Le journaliste russe Artemi Troïtski,
installé en Estonie, définit, lui, cinq catégories de Russes d’Estonie : « intégrés »,
« girouettes », « vexés », « déracinés » et « immigrés »144 (voir tableau ci-après).
142 Le recensement de 1989 indique qu’il y avait en Estonie 474 834 Russes, 48 271 Ukrainiens et 27 711
Biélorusses. En 2000, les chiffres étaient respectivement 351 178 Russes, 29 012 Ukrainiens et 17 241
Biélorusses. 143 Vincent Dautancourt, « Les minorités russes en Estonie : unité et diversification », Hérodote nº 128, La
Découverte, Paris, 1er trimestre 2008, pp. 73-85 144 Artemi Troïtski, « Artemi Troitski : Eesti riigi ja võimude peale solvunud venelastest on raske aru saada »,
Eesti Päevaleht, 19 décembre 2014
97
Carte 22 Répartition de la population russe en Estonie (2000)
Tableau 1 Les différents groupes de Russes en Estonie selon le journaliste Artemy Troitsky)
Intégrés
Considèrent l’Estonie comme leur patrie, maîtrisent l’estonien. Sont plus ou moins
impliqués dans la vie politique estonienne, toutefois se sentent bien en Estonie et
savent résoudre leur problème. Les avis vis-à-vis de la Russie sont multiples.
Girouettes
Loyaux à l’Estonie, mais sont indifférents. Ils la trouvent trop petite. Voient leur
avenir en Scandinavie, en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Ont une relation plutôt
positive avec la Russie, mais ne souhaitent pas y vivre
Vexés
Vivent et travaillent en Estonie, mais n’ont pas de sympathie pour elle et détestent les
autorités estoniennes. Pensent qu’ils sont discriminés, sont peu intéressés par la vie
en société et la culture. Forts soutiens de la politique russe et adorent Vladimir
Poutine
Déracinés
Principalement des retraités. Vivent chez eux, regardent la télévision russe.
Connaissent peu de ce qui les entourent et ne veulent pas connaître. Leur vœu le plus
cher : repartir en Russie, mais avant tout en Union soviétique.
Immigrés
Familles pétersbourgeoises et moscovites dont la situation est assurée. Ne sont pas
citoyens d’Estonie, mais apprennent l’estonien. Apprécient l’Estonie et n’ont aucune
sympathie pour le régime de Poutine.
Les relations entre communautés ne sont pas parfaites et la stigmatisation des Russes
comme « occupants » a toujours cours. Cette situation s’explique par une réduction de la
communauté russe aux « vexés » et aux « déracinés ». Les trois autres catégories sont
ignorées et vivent leur vie en Estonie sans trop de difficultés. Les « vexés » et les
« déracinés » constituent ce dont la société estonienne ne veut pas : nostalgie de l’URSS et
nationalisme russe.
98
Les russophones d’Estonie, source de rapprochement russo-estonien
Cette multiplication de profils rend difficile la constitution de partis politiques russes
qui cristalliseraient le spectre politique estonien145. Les quelques formations existantes sont
toujours restées dans l’ombre des grands partis estoniens et n’arrivent pas à fédérer autour
d’une conscience nationale. Elles ont obtenu des élus au plan national entre 1995 et 2003, ont
participé à la majorité municipale à Tallinn (1996-1999), mais ont progressivement disparu du
paysage politique estonien, ne récoltant que quelques centaines de voix lors des différents
scrutins146.
Tableau 2 Résultats des partis russes lors des élections législatives estoniennes depuis 1992
Législature Listes russes Nombre
d’élus
Pourcentage
de voix
VIIème législature (1992-1995) - - -
VIIIème législature (1995-
1999) Liste « Notre pays, c’est l’Estonie » 6 5,87%
IXème législature (1999-2003) Parti populaire unifié d’Estonie
Parti russe d’Estonie
6
0
6,13%
2,03%
Xème législature (2003-2007) Parti populaire unifié d’Estonie
Parti russe d’Estonie
0
0
2,2%
0,2%
XIème législature (2007-2011) Parti de la Constitution (ex-PPUE)
Parti russe d’Estonie
0
0
1%
0,2%
XIIème législature (2011-2015) Parti russe d’Estonie 0 0,9%
XIIIème législature (2015- ) - - -
Toutefois, si les russophones ne constituent pas une communauté homogène, un
comportement politique commun s’est forgé et fait apparaître un groupe clair dans le paysage
politique estonien. Afin d’éviter une trop grande stigmatisation sur la scène politique147 et
conscients que ces partis russes ne seraient pas les plus à mêmes de faire évoluer la situation,
ils ont évité de soutenir les partis qui défendaient uniquement leur cause, préférant
l’abstention ou progressivement certains partis estoniens selon des critères sociétaux plutôt
145 La présence de partis politiques russophones n’aurait pas pour conséquence un climat automatiquement
plus tendu, voir la situation en Lettonie, mais l’adhésion des russophones aux partis estoniens a
certainement permis de limiter les tensions. 146 Une exception cependant : la ville de Maardu (71% de russophones), à l’est de Tallinn, continue d’être
dirigée par une majorité issue du Parti de la gauche unifiée d’Estonie, né de l’alliance entre le Parti de
Gauche (héritier du Parti communiste) et le Parti de la Constitution (russe). 147 Anne de Tinguy, « Les Russes des pays baltes : une cinquième colonne ou des Eurorusses ? », in Anne de
Tinguy, La Grande migration, la Russie et les Russes depuis l’ouverture du rideau de fer, Plon, Paris, 2004
p. 479
99
que nationaux. Mais cette stratégie s’est en partie retournée contre ces russophones qui ont
massivement soutenu le Parti du Centre, le faisant devenir le parti des Russes d’Estonie.
Cette évolution est principalement due à la rencontre entre un homme et un électorat.
Sous l’impulsion de son président, Edgar Savisaar, le Parti du Centre s’est fait le champion de
la protection des plus démunis, personnes âgées et populations russophones. Les événements
d’avril 2007 autour du Soldat de Bronze ont par la suite offert une opportunité exceptionnelle
pour le parti de renforcer les liens avec l’électorat russophone148. En condamnant la politique
gouvernementale, le maire de Tallinn a fait prendre un tournant au paysage politique
estonien : plutôt qu’un argumentaire économique ou social, E. Savisaar a intégré un
argumentaire national à sa stratégie politique. Depuis, il multiplie les gestes envers les
russophones d’Estonie, quitte à perdre une partie de son électorat estonien, coût limité par
rapport au soutien massif des électeurs russophones qui permettent à Savisaar d’être élu maire
de Tallinn149 et de conserver la majorité absolue au conseil municipal. Il a entre autres, fait
construire une nouvelle église orthodoxe et souhaite alléger la politique d’estonisation du
système scolaire150.
Ce choix se retrouve dans la politique internationale conduite par Edgar Savisaar à la
tête de son parti. Il entretient de bonnes relations avec certains hommes d’affaires russes
proches du Kremlin et avec les autorités religieuses orthodoxes de Moscou.
Sur le plan politique, le Parti du Centre est lié à Russie unie, le parti du pouvoir en
Russie, par un accord de coopération151. Certaines prises de position du président du parti
peuvent aller à contre-courant de la majorité en Estonie, par exemple en ce qui concerne le
conflit ukrainien à partir de 2013. E. Savisaar adopte une position très critique vis-à-vis du
nouveau pouvoir ukrainien, à la fois pour ne pas tourner le dos au gouvernement russe et pour
148 La popularité du Parti du Centre s’établit autour de 80% au sein des électeurs non estoniens. 149 Edgar Savisaar est maire de Tallinn pour la première fois entre 2001 et 2004 à la faveur d’une coalition
entre son parti et le Parti de la Réforme. Mis en minorité en 2004, il est contraint de démissionner. S’il
remporte les élections municipales de 2005, il laisse le poste de maire à Jüri Ratas et reste au
gouvernement. La fin de la coalition gouvernementale entre le Parti du Centre et le Parti de la Réforme
après les élections législatives de 2007 le font revenir à la tête de l’exécutif municipale et a depuis remporté
chaque nouvelle élection. 150 Hérité de la période soviétique, le système scolaire estonien est scindé entre établissements qui utilisent
l’estonien comme langue d’enseignement et ceux qui utilisent le russe. Le remplacement du russe par
l’estonien devait être effectif pour 2000. Face à cet objectif irréalisable, une réforme a été lancée entre 2007
et 2011. Désormais, 60% des cours données dans les lycées russophones doivent être faits en estonien. Le
Parti du Centre souhaite laisser plus de latitude aux établissements. Sur la réforme scolaire, voir Vincent
Dautancourt, « Tensions autour de la réforme linguistique dans les lycées russophones d'Estonie », 29 avril
2011, http://gdm.eurominority.org/www/gdm/actualites2.asp?id_gdmnews=102 151 Conscient de la dangerosité de cet accord, Savisaar refuse de reconnaître son existence ou feint de ne pas
être au courant de son contenu. Face aux accusations contre cet accord au plus fort de la crise russo-
ukrainienne en 2014, le président du Parti du Centre a simplement renvoyé aux autres membres du parti qui
l’ont négocié.
100
ne pas se couper d’une certaine partie de son électorat. Plus globalement, E. Savisaar défend
des relations bilatérales plus apaisées, débarrassées des querelles historiques152.
Un triangle s’établit entre le premier magistrat de Tallinn, les russophones et le
pouvoir central russe. En promouvant une politique modérée à l’égard des russophones
d’Estonie, Edgar Savisaar s’attire les faveurs de l’administration de Vladimir Poutine. Et en
conservant des liens forts avec l’Est, il garde toute la sympathie des russophones.
Ce triangle est très visible à travers le projet de nouvelle église orthodoxe à Tallinn.
Voulu par Edgar Savisaar et financé par la Fondation Saint-André, dirigé par Vladimir
Iakounine, le président des Chemins de fer russes, ce projet renforce les liens avec la
communauté russe orthodoxe qui voit en Savisaar leur unique défenseur. La mairie de Tallinn
n’hésite pas à baptiser le parvis de l’église au nom d’Alexis II, patriarche de l’Eglise
orthodoxe russe. Ce dernier est certes né à Tallinn et a effectué les premières années de sa
carrière en Estonie (1950-1970), mais il fut aussi un agent du KGB et le pourfendeur de
l’Eglise orthodoxe estonienne, ce qui rend complexe l’honneur qui lui est rendu à Tallinn.
Les populations russophones constituent une source de tensions entre gouvernements,
mais peuvent aussi être un moyen d’assurer de bonnes relations entre certains acteurs. Cette
proximité entre E. Savisaar et le pouvoir central russe sera utile pour comprendre le
positionnement du maire de Tallinn vis-à-vis de certains choix du gouvernement estonien. Si
on observe une distance entre gouvernements, des liens existent ailleurs et des prises de
position moins radicales concernant les russophones d’Estonie peuvent avoir des
répercussions positives sur la scène internationale.
1.3.2. Capter le fret russe malgré tout ?
Tallinn, port avancé russe
Malgré ce contexte particulier entre l’Estonie et la Russie au cours des années 1990, la
capitale estonienne est devenue l’un des ports leaders de la mer Baltique grâce à la Russie.
Après la crise économique russe de 1998, les ports de Tallinn153 ont tiré profit de
l’augmentation des échanges marchands entre la Russie et l’Europe occidentale, faisant de
152 Il est important de noter la fracture née au sein du Parti du Centre entre partisans de la ligne « Savisaar » et
partisans de la ligne européenne majoritaire dans le pays, provoquant parfois le départ de certains membres
médiatiques du parti. 153 Tallinn accueille plusieurs entreprises portuaires. Port de Tallinn, une entreprise publique, domine le
marché. Elle est présente à Tallinn (Vieux-Port (passagers), Paljassaare (marchand)), à Maardu (port de
Muuga (marchand)), à Paldiski (Paldiski-Sud – marchand) et sur l’île de Saaremaa (Ninase – passager). De
plus, des ports privés sont présents à Tallinn : Vene-Balti, Bekkeri et Meeruse.
101
Tallinn l’un des ports les plus actifs de la Baltique orientale. Profitant de la faiblesse des
structures portuaires russes, notamment de leur mauvaise réputation154, des liens entre
professionnels des deux pays hérités de l’époque soviétique155 et des liens ferroviaires
existants entre l’Estonie et la Russie, la capitale estonienne a ainsi pu en partie renouer avec
son passé hanséatique de lieu de transbordement et de transit, créant un espoir de
développement économique durable.
Les marchandises russes arrivent à Tallinn par mer ou par rail et sont ensuite
réexpédiées vers les ports européens de la mer du Nord, aux Pays-Bas et au Danemark
principalement. En 2002, les ports de Tallinn ont concentré 16,2% du fret transitant par les
ports orientaux de la Baltique (Russie, États baltes, Finlande et Pologne), faisant de Tallinn la
seconde ville portuaire de la région derrière Saint-Pétersbourg (17%)156.
Carte 23 Évolution du transit cargo dans les ports de la Baltique orientale (2004-2013)
154 Pierre Thorez, « Les enjeux portuaires de la Russie en mer Baltique », Territoire en mouvement Revue de
géographie et d’aménagement nº 10, 2011, p. 52 155 Urmas Klaas, « Urmas Klaas : Eesti transiidi müüt ja tegelikkus », Postimees.ee, 19 février 2008 156 Tallinna Sadam, Port of Tallinn 2004 Performance Results Analysis, Tallinn, 2005, p. 5
102
Cette situation s’explique surtout par la croissance des exportations russes de produits
pétroliers qui représentent 69% de l’activité portuaire à Tallinn. Politiquement, cette situation
est rendue possible par une prise de conscience de la part des gouvernements estoniens des
potentiels économiques de ce secteur d’activité alors que le contexte général allait plutôt dans
le sens d’une rupture157. Malgré une certaine contradiction vis-à-vis du discours plus global de
rupture avec la Russie, le développement économique peut parfois justifier quelques entorses
dans les discours d’indépendance tenus depuis la chute de l’URSS. Cette situation provoque
un espoir pour le développement international futur des ports tallinnois.
Parallèlement à ces flux est-ouest, de nouvelles tendances apparaissent : Tallinn
devient la porte d’entrée de marchandises à destination de la Russie. On observe au cours des
années 2000 le développement d’un réseau ferroviaire au départ de Tallinn avec la création de
plusieurs lignes régulières spécialisées dans le transport marchand vers la Russie européenne
comme le montre les rapports d’activité d’Eesti Raudtee. En 2007 par exemple, 47% des
marchandises transportées sur le réseau ferroviaire estonien avaient pour destination la
Russie158. Cela vient compléter l’orientation est-ouest en créant des flux nouveaux ouest-est.
La signature de contrats avec des entreprises implantées en Russie a permis de créer de
nouvelles dynamiques. La décision en 2013 de l’entreprise japonaise Mitsubishi d’importer
ses pièces détachées pour son usine de Kalouga (au sud-ouest de Moscou) par train depuis le
port tallinnois de Muuga indique que le transit n’est pas un secteur à négliger et que Tallinn
n’est pas seulement la porte de sortie de la Russie, mais qu’elle peut également devenir une
porte d’entrée pour l’hinterland russe. Résultat d’une coopération avec l’entreprise estonienne
Transiidikeskus, la création de cette ligne de fret révèle une certaine supériorité des ports
estoniens sur les ports lettons. La distance plus grande entre Kalouga et Tallinn par rapport à
celle entre Kalouga et Riga est compensée par une qualité de services supérieure159.
157 Pierre Thorez, Op. Cit., p. 51 158 Tallinna Sadam, Port of Tallinn 2007 Performance Results Analysis, Tallinn, 2008, p. 17 159 Céline Bayou, « Russie-Estonie : Mitsubishi inaugure la ligne ferroviaire de fret Kalouga-Muuga », Regard
sur l'Est, 22 janvier 2013
103
Figure 8 Fret total des principaux ports de la Baltique orientale
Tallinn victime des projets russes
Malheureusement pour les activités portuaires de Tallinn, l’espoir né à la fin des
années 1990 n’a été que de courte durée. Une nouvelle concurrence émerge rapidement en
Russie au cours des années 2000, portant un coup d’arrêt net à la croissance de l’activité à
Tallinn. En effet, l’administration du président Poutine mène dès les premières années de son
mandat (2000-2004) une politique de désengagement des ports baltes au profit de structures
russes. Plutôt que de dépendre des ports baltes et plus largement d’États politiquement
hostiles tournés vers l’Europe, les autorités russes lancent la construction de leurs propres
infrastructures pour compenser la perte des anciens ports russes, situés dans les États baltes.
Tallinn, qui fut le port avancé de Saint-Pétersbourg à l’époque impériale et ce rôle persista à
l’époque soviétique et après, en est la première victime.
Les premiers signes étaient visibles dès les années 1990 (la construction du nouveau
port d’Oust-Louga débute en 1997), mais cette politique prend sa véritable ampleur avec
l’arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin en 2000. Avec la construction des ports de Primorsk
(bâti à partir de 2000) et Vyssotsk (à partir de 2004), deux avants-ports de Vyborg, sur la rive
nord du golfe de Finlande, les autorités réorientent une partie des flux de produits pétroliers
jusque-là massivement exportés via l’Estonie.
À Oust-Louga, où la spécialisation est moins marquée, le port concurrence Tallinn
dans le domaine du charbon, des engrais, des produits pétroliers et des conteneurs.
L’opposition à Tallinn est d’autant plus symbolique que les nouvelles infrastructures de
l’embouchure de la Louga ne se situent qu’à 30 kilomètres de la frontière russo-estonienne,
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Tallinn Saint-Pétersbourg Primorsk Oust-Louga
Riga Ventspils Klaipeda
104
dans la baie voisine de celle de Narva. De plus, l’acheminement des marchandises par voie
ferrée se fait par la ligne Saint-Pétersbourg – Tallinn, renforçant cette impression de siphon
des ressources tallinnoises. Les objectifs à long terme font d’Oust-Louga le premier port de la
Baltique : d’ici à 2020, les activités portuaires devraient atteindre 180 millions de tonnes160.
Cette situation n’est pas sans rappeler l’époque où l’aura de Tallinn subit la perte de Narva,
ville passée juste de l’autre côté de la frontière suédo-russe.
Si ces ports en mer Baltique sont au cœur du nouveau dispositif russe, les regards se
tournent également vers les régions septentrionales, vers les mers Blanche et de Barents. Le
projet de voie ferrée Belkomour (acronyme de Beloïe more (mer Blanche), Komi, Oural) va
dans ce sens. L’idée portée par ce projet est d’acheminer les marchandises des régions
proches de l’Oural et d’Asie vers les ports arctiques russes afin de les exporter vers l’ouest.
Pour cela, une voie ferrée doit voir le jour entre l’axe du transsibérien et le port
d’Arkhangelsk161.
La réorientation des flux de marchandises nécessite de lourds investissements en
raison de la structure du réseau russe. Centralisé sur Moscou, le réseau n’offre pas encore de
ligne directe entre le sud de l’Oural et les régions arctiques. Ce réseau a d’abord été construit
pour atteindre les régions nord de la République des Komis où furent installés de nombreux
camps dans les années 1930. Ainsi, rejoindre la région d’Ekaterinbourg et la mer Blanche
impose un détour par Moscou ou par Kotlas-Kirov-Konocha. Pour contourner le problème,
une ligne doit être construite à partir de Perm jusqu’à Arkhangelsk, via la capitale komie
Syktyvkar, Vendinga et Karpogory.
160 Kompania Oust-Louga, « Грузооборот порта Усть-Луга в I полугодии 2012 года вырос вдвое »
(Grouzooborot porta Oust-Louga v I polougodii), 10 juillet 2012, http://www.ust-
luga.ru/pr/?s=news&id=764 161 Voir Sébastien Cagnoli, « Fret ferroviaire entre le Transsibérien et la mer Blanche : où en est le projet
Belkomour », Regard sur l'Est, avril 2010
105
Carte 24 Le projet Belkomour
Deux idées prévalent dans cet aménagement. Il s’agit tout d’abord d’offrir une porte
de sortie pour les matières premières et les produits chimiques du kraï de Perm. Ensuite, cet
axe du Belkomour crée la possibilité d’ouvrir un nouveau corridor de transit entre la Sibérie,
l’Asie centrale et les voies maritimes du nord, avec comme objectif les États occidentaux.
« Le projet Belkomour s’inscrit ainsi dans des perspectives beaucoup plus vastes que le
segment borné par la mer Blanche et l’Oural : un grand rêve d’une route de fret ferroviaire
qui réduirait considérablement les coûts et délais de transport "de la Norvège jusqu’à l’Inde",
par rapport aux actuelles solutions maritimes.162 » Même si ce projet ne concerne pas
directement les marchandises transitant par Tallinn (produits pétroliers), la mer Baltique se
retrouverait alors contournée par le nord et Tallinn perdrait symboliquement encore un peu
plus sa position de port avancé russe.
Pour assurer rapidement la compétitivité de leurs ports et attirer les entreprises qui
utilisaient jusque-là les ports baltes, les autorités russes ont utilisé l’arme économique. À
partir de 2001, les tarifs ferroviaires russes appliqués au fret international ont été abaissés
pour les marchandises exportées depuis les ports russes alors que le fret orienté vers les ports
162 Ibid.
106
étrangers continuait de se voir appliquer les anciens tarifs (deux à trois fois plus élevés)163.
Cette mesure est rapidement suivie d’effets avec une réorientation massive des flux via le port
de Primorsk dont les volumes d’activité le font passer devant Tallinn dès 2004 et Saint-
Pétersbourg en 2006.
Fortement lié à la Russie (72% des marchandises arrivant à Tallinn en 2001), le port
de Tallinn en souffre directement en perdant rapidement des parts de marché. L’héritage de
l’empire russe et de l’URSS, qui fait de Tallinn l’un des ports de l’espace russe sur la
Baltique, s’effrite. Le port tallinnois a conservé sa position pendant quelques années tant que
la capacité totale des ports russes n’était pas disponible164, mais l’augmentation des volumes a
été un trompe-l’œil avant la baisse irrémédiable des volumes transitant par la capitale
estonienne.
Tallinn paie alors le prix fort de sa spécialisation dans les produits pétroliers qui sont
désormais exportés par l’intermédiaire des ports russes du Golfe de Finlande. À l’instar de
l’âge d’or médiéval tallinnois lorsqu’il n’y avait pas d’autres concurrents, le port de Tallinn a
bénéficié de sa position pendant les années 1990 et 2000, mais l’apparition de nouvelles
infrastructures a fait perdre à la capitale estonienne son pouvoir d’attraction (Tallinn se
retrouve désormais dépassé par ses concurrents baltes) qui ne fonctionne qu’en étant dans une
position de monopole.
Figure 9 Volume de fret et part de Tallinn dans la Baltique
L’influence de la politique russe se lit dans la part des marchandises expédiées de
Russie dans l’activité globale de Port de Tallinn. En une décennie, le poids de la Russie a
chuté d’un tiers, passant de 74% en 2002 à 50% en 2013. La première moitié des années 2000
163 Port of Tallinn, Port of Tallinn 2001 Performance results analysis, Tallinn, 2002, p. 2 164 Port of Tallinn, Port of Tallinn 2002 Performance results analysis, Tallinn, 2003, p. 3
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%)
% Baltique Volume total Vol. produits pétroliers
107
indiquait toutefois un renforcement du rôle des marchandises russes dans l’activité de
l’entreprise portuaire. La seconde moitié est marquée le déclin.
Figure 10 Évolution de la part des marchandises russes dans l’activité du port de Tallinn
Les difficultés du secteur du transit estonien ne s’expliquent pas uniquement par la
politique de contournement mise en place par les autorités russes. Ces dernières cherchent
clairement à développer ce secteur indépendamment de tout autre État, mais dans le cas russo-
estonien, d’autres éléments s’ajoutent à cette politique de contournement. On peut voir
plusieurs cas précis pour lesquels les tensions bilatérales ont des effets très concrets sur les
activités de transit.
Avant tout, une crise ressort comme cause des difficultés du transit estonien : le
déplacement du Soldat de Bronze en avril 2007. Après la décision du gouvernement estonien
de transférer ce monument aux morts soviétiques du centre de Tallinn vers un cimetière
militaire, le transit marchand connut un coup d’arrêt clair.
Furieuses de la décision estonienne, les autorités russes ont immédiatement répliqué en
limitant l’accès au réseau russe pour les trains de marchandises estoniens et ont accéléré le
transfert des flux vers le golfe de Finlande engagé depuis quelques années165.
Les données mensuelles relatives aux volumes transportés par la compagnie
ferroviaire Eesti Raudtee indiquent une chute brutale dès le mois de mai 2007. Alors qu’ils
s’établissaient autour de 4,3 millions de tonnes au cours des quatre premiers mois de l’année,
les volumes mensuels transportés chutent sous le seuil des trois millions de tonnes, des
volumes qui n’ont plus été atteints depuis.
165 Erik Laidvee, « Transiit ei käi ajaga kaasas ? », Eesti Päevaleht Online, 13 juin 2008
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Part des marchandisesrusses dans l'activité duport de Tallinn (en %)
108
À plus long terme, la crise de 2007 a marqué un coup d’arrêt dans la croissance des
volumes transportés via le réseau ferroviaire estonien. En constante augmentation depuis le
début des années 1990, ils retrouvent les niveaux initiaux en quelques mois seulement. Par la
suite, la crise économique mondiale puis les conséquences de la crise ukrainienne sur
l’économie russe maintiennent les activités dans une certaine stagnation et aucun signe
d’évolution positive n’apparaît actuellement.
Figure 11 Volumes de fret transportés par Eesti Raudtee166
La chute des volumes apparaît également dans les statistiques du Port de Tallinn,
l’année 2007 est la première année marquée par une diminution de l’activité (-12,7%) depuis
le début du boom économique. L’année 2008 confirme le mouvement avec une baisse de
19,3%.
Une autre cause de la mauvaise santé du transit entre l’Estonie et la Russie se situe au
niveau de la frontière entre les deux États. La combinaison de plusieurs facteurs rend son
franchissement complexe : il n’existe que trois points de passage et ceux-là ne sont pas
aménagés pour faciliter le transit. La présence du lac Peïpous s’impose comme une barrière,
concentrant les flux à Narva au nord et aux postes Koidula-Kounitchina Gora et Luhamaa-
Choumilkino au sud. Le point de passage de Narva est d’autant plus problématique qu’il
nécessite le franchissement de la Narva par les deux ponts existants, l’un pour les piétions et
les véhicules routiers et l’autre pour les trains. Ce dernier ne comprend qu’une voie unique, un
frein évident à un accroissement des échanges.
166 Kaido Simmermann, « Mis on juhtunud », Conférence TransEstonia 2009
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Volumes transportés (en millions de tonnes)
109
À cela s’ajoutent des raisons plus politiques : l’absence de volonté de modifier cette
situation ou plutôt une volonté de limiter les flux. La crise politique de 2007 a eu des
conséquences particulièrement visibles aux différents postes frontières estoniens avec la
présence d’interminables files de poids-lourds côté estonien.
Si elle n’est pas encore entérinée juridiquement et empoisonne les relations russo-
estoniennes167, la frontière, ou « ligne de contrôle », l’appellation officielle estonienne, est
clairement démarquée et influence les activités de transit, qui sont soumises aux contrôles
classiques d’entrées et sorties de l’UE et de la Russie. Mais la situation se complique avec
l’influence des tensions diplomatiques sur le bon déroulement du transport de fret : l’Estonie
est devenue au cours de la seconde moitié des années 2000 une véritable salle d’attente pour
poids lourds.
À partir de l’été 2006, les postes frontières entre l’UE et la Russie168 sont devenus un
point de tensions avec l’allongement considérable des files de camions en attente pour
poursuivre leur route en Russie. Les trois postes frontières entre l’Estonie et la Russie, Narva-
Ivangorod, Koidula-Kounitchina Gora et Luhamaa-Choumilkino, sont constamment saturés et
les temps d’attente sont extrêmement élevés. Ces files d’attente impressionnantes deviennent
un élément du paysage sur le bord des trois routes qui mènent en Russie. À partir de la fin de
2006, les files ne diminuent pas puisque sur la période du 28 décembre 2006 au 3 mai 2008, le
nombre moyen de camions en attente s’élevait respectivement à 59, 60 et 197 camions à
Koidula, Luhamaa et Narva169. Plus que le nombre de camions en attente, c’est le temps
nécessaire pour le franchissement de la frontière qu’il faut retenir. Sur la même période, en
moyenne, l’attente avant de franchir la frontière était estimée à 21, 24 et 46 heures à Koidula,
Luhamaa et Narva170.
167 Deux articles retracent les tensions autour de la frontière russo-estonienne : Fanny Marchal, « La frontière
orientale de l’Estonie », Etudes finno-ougriennes, nº 33, ADEFO-L’Harmattan, 2001, pp. 119-159 et
Vincent Dautancourt, « La frontière Estonie-Russie, entre absence de traité juridique et réalités
quotidiennes », Etudes finno-ougriennes, nº 42, ADEFO-L’Harmattan, 2010, pp. 159-195 168 Le phénomène décrit concerne également la frontière Finlande-Russie et la frontière Lettonie-Russie. 169 Moyenne calculée sur les données journalières fournies par le site Internet du Maksu- ja Tolliamet, le
service des taxes et douanes. www.emta.ee 170 Des nombres records ont été relevés avec à trois reprises 450 camions en attente pour le franchissement de
la Narva (7 juillet et 13-14 septembre 2007). Aux postes de Luhamaa et Koidula, les nombres sont moins
impressionnants, mais on a atteint respectivement 197 camions le 21 décembre 2007 et 193 camions le 14
juillet 2007. Il faut souligner que le temps d’attente record fut atteint, le 9 septembre 2007 : 211 heures à
Narva soit plus de huit jours. À Koidula et à Luhamaa, les records établis atteignent 138 heures (plus de
cinq jours) et 77 heures (plus de trois jours).
110
Photo 1 File de poids lourds avant le poste-frontière estonien de Koidula (01/03/2008)
Photo 2 Poids-lourds en attente à l'entrée de Narva (26/02/2008)
Depuis 2011, un système de créneaux horaires a été mis en place côté estonien pour
limiter le nombre de véhicules en attente à l’entrée de Narva et dans le sud de l’Estonie et des
aménagements ont également été faits pour assurer un certain de confort pour les conducteurs
de poids lourds. Quatre zones d’attente ont été construites, deux pour le poste de Narva (à
Narva et à Sillamäe) et une pour chaque poste du sud de l’Estonie. Ces espaces permettent
également de libérer les axes routiers dont les côtés étaient occupés par des files de véhicules.
Toutefois, les files d’attente n’ont pas pour autant disparu171 comme en témoignent les
données du Bureau des frontières et de la Police.
Les données du poste de Narva s’expliquent par sa spécificité géographique. Situé à
cheval sur la rivière Narva, le flux de véhicules est limité par le franchissement du pont de
l’Amitié. Le temps de passage s’explique aussi par la lenteur des procédures douanières,
notamment côté russe. L’absence de système électronique172 empêche une meilleure
efficacité. De plus, des contrôles plus poussés ont été réclamés par les plus hautes autorités
russes. En 2008, « le Président Vladimir Poutine a réclamé un travail plus efficace de la part
des douanes et les officiers russes ont commencé à inspecter les véhicules entrant de manière
plus complète.173 » Ce souhait présidentiel a eu pour effet de ralentir le flux de véhicules, déjà
très lent, à la frontière russo-estonienne.
Cette situation a fait craindre aux autorités estoniennes une baisse du transit et une
préférence pour d’autres points de passage, en Lettonie notamment. Cette crainte est en partie
rejetée par le Premier ministre estonien lui-même lorsqu’il attire l’attention sur les queues de
171 Pour la période comprise entre le 12 février et le 12 mars 2013, le nombre quotidien de véhicules de
transports en attente à Narva oscille entre 60 et 111. Le 13 mars 2013, le temps d’attente pour franchir la
frontière est de 135 heures pour les véhicules qui n’ont pas réservés d’heure de passage. (Il est possible de
franchir la frontière sans avoir réservé de créneau horaire au préalable. Toutefois, l'heure et le jour du
franchissement sont très incertains, les véhicules qui ont une réservation sont prioritaires et ceux qui n'ont
pas suivi la procédure doivent attendre les places libres.) 172 Entretien avec Margarita Jefimova, Bureau de la coopération territoriale européenne, département du
développement régional, Ministère de l'intérieur estonien, 29 février 2008 173 BNS, « Russia admits “barefaced” corruption », The Baltic Times, 20 février 2008
111
camions similaires en Finlande et en Lettonie174. Il estime que le problème n’est pas lié au
déplacement du Soldat de Bronze en 2007, argument souvent avancé pour justifier les
difficultés à la frontière orientale de l’Estonie.
Le poste-frontière de Narva-Ivangorod sera totalement réaménagé en 2015 à l’aide de
fonds européens afin d’améliorer le passage vers et depuis la Russie. Toutefois, on peut
douter de l’efficacité de cette politique unilatérale. Le passage en Russie nécessite toujours le
franchissement de la Narva par le pont de l’Amitié qui constitue un véritable goulot
d’étranglement, avant le passage des douanes russes. Et tant que les contrôles côté russe ne
seront pas accélérés, la frontière sera toujours un obstacle pour le transit.
1.3.3. La contestation des choix politiques gouvernementaux
Si la situation présentée jusqu’ici dessine deux camps opposés, elle ne satisfait pas tout
le monde. Certains groupes d’intérêt ou politiques estoniens déplorent les choix pro-
occidentaux des gouvernements estoniens au détriment de bonnes relations économiques avec
la Russie.
Le mécontentement du secteur du transit
La baisse du transit marchand entre la Russie et l’Estonie provoque d’abord de fortes
réactions du côté des acteurs du secteur du transit. Sans surprise, les chefs d’entreprise
réclament une meilleure coopération avec le voisin russe pour assurer une plus grande
activité. Ces derniers regrettent le choix du gouvernement de laisser de côté ce pan de
l’économie estonienne. On retrouve ces prises de position lors des conférences annuelles de
TransEstonia, une agence indépendante dont le but est d’améliorer la compétitivité des
entreprises estoniennes de transport. Organisée depuis 2005, la conférence annuelle permet
aux différents secteurs du transit d’exprimer leur avis sur la place de l’Estonie dans les
réseaux de transport de marchandises.
En 2008, Tiit Vähi, ancien Premier ministre (1992 et 1995-1997) devenu homme
d’affaires175, a pointé du doigt le Premier ministre Andrus Ansip qui avait estimé dans la
presse que l’Estonie n’avait pas besoin du transit. Vähi, désormais propriétaire du Port de
Sillamäe (Virumaa oriental) n’a pas accepté que les autorités estoniennes se détournent de
174 RIA Novosti, « Les files d'attente à la frontière balto-russe concernent toute l'UE (premier ministre
estonien) », 4 octobre 2007 175 Il est notamment l’initiateur du développement de Silport, le port de Sillamäe, dont il est président du
conseil d’administration.
112
cette activité, estimant que l’Estonie devait conserver sa place dans les réseaux, y compris
ceux qui impliquent la Russie. T. Vähi tente de faire de Sillamäe un port de dimension
européenne en attirant le transit russe.
L’avis de Tiit Vähi est également partagé par Illimar Paul, le directeur de
TransEstonia. Dans son intervention sur l’opportunité de construire un terminal conteneur
chinois à Muuga (voir ci-après), il estime que les projets ne relèvent que de l’utopie en raison
du désintérêt gouvernemental. « Le Parti de la Réforme ne soutient pas le transit et la
participation active de l’État dans les activités économiques, le Parti de la Réforme n’a pas
de dialogue constructif avec le Kremlin.176 »
Selon ces acteurs, l’économie ne doit pas subir les aléas d’éléments politiques. Le
directeur de l’entreprise de logistique Vopak E.O.S., Arnout Lugtmeijer, affirme de son côté
que les tensions politiques constituent un frein à l’amélioration des infrastructures
ferroviaires : « Nous savons tous que l’Estonie a connu des limitations techniques en termes
de volumes pour l’import-export avec la Russie, ce depuis plus de six ans déjà. Peut-être
qu’un traité de frontière permettrait de regarder comment corriger ces questions de
volume.177 » Une fois la frontière marquée par un traité, la coopération pourrait peut-être
augmenter entre les autorités des deux États afin d’améliorer la qualité des infrastructures.
Ainsi, les entrepreneurs demandent une approche plus pragmatique des relations avec
la Russie afin d’améliorer les conditions économiques. Toutes les barrières doivent donc être
supprimées, le politique s’effaçant devant les intérêts économiques, le contraire de la position
défendue au niveau gouvernemental.
Le maire de Tallinn, premier opposant à la politique gouvernementale
Cette prise de position apparaît dans les discours du principal opposant au
gouvernement, Edgar Savisaar, également maire de Tallinn, dont on a vu les liens avec la
Russie. Si ce dernier a pleinement conscience que les seules relations entre l’Estonie et la
Russie ne sont pas uniquement responsables de la baisse des volumes transportés vers
l’Estonie, il admet que la Russie préfère briser la glace dans le port d’Oust-Louga plutôt que
d’utiliser les services du port de Muuga, libre de glace l’hiver, il pointe clairement du doigt
l’action (la non action) du gouvernement dans l’évolution de ce secteur économique.
176 Illimar Paul, « Hiina konteinerterminal tähendus Eestile », Conférence TransEstonia 2008 177 Urmo Soonvald, « Arnout Lugtmeijer : investeerima peab Peterburi, mitte Haapsalu rongiliini », Eesti
Päevaleht, 2 mai 2013
113
Toutefois, en tant qu’opposant au gouvernement et proche des milieux économiques
russes, il met l’accent sur les tensions politiques. L’observation des situations lettone et
lituanienne témoigne du potentiel économique dans le domaine du transit. En 2010, Savisaar
déplore la forte diminution du transport de marchandises entre l’Estonie et la Russie. « Si on
compare 2008 par rapport à 2006, le chiffre d’affaires a été réduit par deux (…) L’âge d’or
de notre business lié au transit est terminé en raison du refroidissement des relations avec la
Russie. Bien que plusieurs hommes politiques estoniens aient estimé que la fermeture du
robinet du transit n’influençait pas de manière importance le succès économique de l’État,
cette affirmation révèle une vision à court terme.178 » Lors de sa déclaration au cours du
forum « un partenariat stratégique 1 520 : la région baltique », le maire de Tallinn a regretté le
fait que l’Estonie se coupait du réseau ferroviaire russe.
Le président du Parti du Centre critique sévèrement la politique économique du
gouvernement dans un chapitre « L’Estonie n’utilise pas son avantage économique russe » de
son livre publié en 2012 La Vérité sur l’Estonie (Tõde Eestist). E. Savisaar reprend les
interrogations des experts des États industrialisés qui s’étonnent de voir l’Estonie tourner le
dos à son principal atout économique, la proximité de la Russie179. « La Russie est un vaste
marché et son développement économique est dans une phase, où la qualité des produits
estoniens correspond aux besoins et elle peut acheter tout ou partie de la production d’une
branche économique. Pour quelque raison, les exportations estoniennes vivotent et
l’économie dégénère, mais personne ne se résout à vendre justement à la Russie. Où est le
problème ? »
En arrière plan de l’analyse de Savisaar : les bonnes relations finno-russes. « Lors de
ma dernière visite en Finlande, j’ai pu m’assurer de la profonde implication dans la
construction d’un corridor économique est-ouest, c’est-à-dire la construction et le
développement d’une route commerciale au départ de la Russie à travers la Finlande, la
Suède, le Danemark et puis directement jusqu’en Allemagne.180 » L’Allemagne et le
Danemark prévoient la construction pour 2018 d’un pont entre l’île allemande de Fehmarn et
l’île danoise de Lolland. Ce pont va renforcer le rôle du pont du Sund inauguré en 2000 entre
Copenhague (Danemark) et Malmö (Suède) et renforcer l’axe Saint-Pétersbourg – Hambourg.
178 Raepress, « Eesti transiidi olukord näitab meie poliitika jätkussuutlikkust », Pealinn, 9 février 2010 179 Edgar Savisaar, Tõde Eestist, Midfield OÜ, Tallinn, 2012, p. 174 180 Ibid., p. 175
114
Cette évolution condamne d’ailleurs, selon Savisaar, le projet de Rail Baltica à l’échec
puisque le nouveau corridor n’aura plus d’ancrage russe ; quelles autres marchandises que les
russes, devaient être transportées sur cet axe ?
Dès 2010, Edgar Savisaar avait pris position contre une partie du projet Rail Baltica.
Dans une intervention lors du second forum économique russo-estonien « Partenariat
stratégique 1 520 » tenu à Tallinn sur le thème de transport ferroviaire, il explique son
opposition à l’intégration de l’Estonie dans l’espace ferroviaire européen, autrement dit, le
remplacement des voies à écartement 1 520 mm par des voies au standard européen
(1 435 mm). Le changement d’écartement n’est pas rentable pour l’Estonie et la gestion d’un
réseau à double standard nécessiterait des moyens que l’État ne possède pas181. Savisaar
semble volontairement ignorer l’espace européen, pourtant essentiel dans l’économie du
transit marchand, mais il est vrai que l’exportation se fait très largement depuis les ports de
Tallinn. Quelle utilité alors de développer un réseau ferré ?
Si des investissements devaient être faits, c’est avant tout sur la ligne Tallinn-Russie,
sans quoi la Rail Baltica perd de son intérêt. Sans axe moderne en provenance de Russie, les
marchandises ne pourront être acheminées massivement jusqu’à la Rail Baltica. Dès lors
l’intégration européenne de l’Estonie ne se fera qu’à moitié. Tallinn perdrait ainsi son
potentiel de pivot entre Europe et Russie.
Le même calcul est aussi fait en Lettonie et en Lituanie. Sans soutien à la Lettonie
pour l’amélioration de la voie ferrée à destination de la Russie, les autorités lettones menacent
de ne pas tout faire dans le cadre de la Rail Baltica. Selon Aivar Ronis, le ministre des
transports letton, la liaison ferrée vers les marchés orientaux est aussi stratégique que la
liaison avec le cœur de l’Europe. Le ministre letton veut garder les flux de marchandises en
provenance de Russie à destination des ports lettons, dont Ventspils. Il réclame notamment
l’intégration d’un tronçon reliant cette dernière ville au tronçon central de la Rail Baltica.
Outre les intérêts propres de la Lettonie, Ronis argumente en soulignant que la Rail Baltica ne
sera vraiment efficace que si les liens avec la Russie sont améliorés, dans l’idée où la nouvelle
voie ferrée deviendrait un élément du système de transport est-ouest. « La Rail Baltica pourra
transporter plus de marchandises si la liaison avec la Russie est meilleure. Les États baltes,
la Pologne, l’Allemagne et même la France sont intéressés par plus d’échanges avec la
Chine, la Russie est aussi un État de transit.182 »
181 Raul Sulbi, « Savisaar : Euroopa rööpmelaius poleks meile kasulik », e24.ee, 9 février 2010 182 Andrus Karnau, « Läti minister: toetame Rail Balticut vaid siis, kui EL panustab idaraudteesse », e24.ee, 6
septembre 2012
115
La Lituanie se positionne également à l’intersection des deux espaces. Trois trains-
blocs183 sont actuellement ancrés sur le port lituanien de Klaipėda : le train Viking effectue le
trajet jusqu’à Odessa en Ukraine, avec une activité très concentrée sur le tronçon Minsk-
Klaipėda, le train Saulė qui circule vers et depuis Chongqing, et le train Mercury qui relie
Moscou. Un projet d’AS Baltic Rail, une société basée en Estonie et en Pologne devrait relier
la ville lituanienne de Šeštokai à Saint-Pétersbourg, Moscou et l’Asie centrale. « Le choix de
la gare de Šeštokai n’est pas anodin car il s’agit du terminus oriental des lignes ferroviaires à
gabarit européen. L’idée est de transformer ce handicap en atout pour le développement de
l’interopérabilité des réseaux184 » explique Arnaud Serry. Ainsi, la Lituanie semble la mieux
à même pour créer des liens ferroviaires entre l’ouest et l’est. Les grandes voies depuis l’Asie
devront passer par la Lituanie, sauf si les ports lettons, estoniens et russes arrivent à maintenir
leur niveau de compétitivité à l’export (voir ci-après).
La lecture de la situation autour de la Rail Baltica par le maire de Tallinn trouve un
écho dans l’analyse faite par les professionnels du transport de marchandises. Le président du
directoire d’AS DSV Transport, Jaan Lepp considère la Rail Baltica comme un projet
utopique. Les capacités de la voie ferrée vers la Pologne ne répondent pas aux besoins. Les
faibles distances et le coût à payer n’inciteront pas les entreprises à utiliser les nouvelles
structures185. En Russie, c’est le président des chemins de fer russes (RŽD) Vladimir
Iakounine qui met en doute l’intérêt du projet européen. Considérant le projet comme un acte
purement politique, il estime qu’aucun élément ne justifie la Rail Baltica. Le maintien de deux
systèmes ferroviaires entraînera inévitablement des hausses dans les dépenses de gestion, ce
qui est économiquement insensé. Enfin, l’absence d’une tradition de transport entre les
capitales baltes rend le projet caduc, estimant que ces villes peuvent être reliées autrement186.
Le maire de Tallinn accuse donc la coalition de droite d’avoir privilégié ses
réélections, en tenant des discours critiques envers la Russie, plutôt que de favoriser le
développement des relations économiques, et sous-entend que lui, Premier ministre, la
situation serait tout autre. « Nous en sommes arrivés à la situation absurde où le
gouvernement a lui-même mis un terme aux activités économiques en direction de l’Est, et ce
183 Un train-bloc est un train dont la composition n’évolue pas au cours du trajet, acheminant toutes les
marchandises chargées au point de départ vers un point d’arrivée unique. 184 Nicolas Escach, Arnaud Serry, Op. Cit. 185 Raigo Neudorf, « DSV Transpordi juht peab Rail Balticuks ulmeprojektiks », e24.ee, 7 novembre 2011 186 BNS, « Yakunin : It's not logical to expect benefic from Rail Baltic », Postimees.ee, 10 juin 2013
116
pour la seule raison de garder sa place [à la tête de l’Estonie].187 » Il critique les positions
patriotiques intransigeantes du gouvernement dans les relations bilatérales avec la Russie,
notamment sous l’influence du parti Union pour la Patrie et Res Publica, membre de la
coalition gouvernementale entre 2007 et 2014 (puis depuis mars 2015), pour garder son poids
électoral. Le maire de Tallinn préconise une relation plus pragmatique avec la Russie pour
permettre de meilleurs échanges économiques entre les deux États.
Cela concerne notamment l’approche des crises internationales récentes qui ont
impliqué la Russie : la guerre contre la Géorgie en 2008, mais aussi, et surtout, la crise
ukrainienne depuis 2013. Si la majorité des élus soutiennent le nouveau gouvernement de
Kiev et condamnent la politique russe (annexion de la Crimée, soutien aux séparatistes dans le
Donbass), Edgar Savisaar adopte une position neutre voire clairement pro-russe. Ainsi, il ne
conteste pas le référendum organisé en Crimée et estime que le gouvernement en place après
la chute de Viktor Ianoukovitch n’est pas légitime, tenant un discours proche de celui du
Kremlin.
On retrouve là les liens entre Savisaar et le pouvoir russe évoqués plus haut. Si les
activités d’Edgar Savisaar en lien avec la Russie n’ont rien d’illégales, elles sont l’occasion de
nombreuses polémiques dans les médias estoniens, plutôt favorables à la ligne
gouvernementale. Les bonnes relations avec Iakounine et le pouvoir central russe font
inévitablement du maire de Tallinn un agent à la solde du Kremlin, voire même un traître à la
cause estonienne.
Un espoir illusoire ?
Faire du gouvernement estonien le seul responsable des difficultés du secteur du
transit marchand relève pour certains de la critique facile. Erik Terk, de l’Institut estonien des
Études Prospectives (Eesti Tuleviku-uuringute Instituut), estime en 2008 que les acteurs du
secteur du transit sont dans une certaine utopie après le boom du début des années 2000.
Selon lui, le secteur est plutôt dans une situation de réaction et non d’anticipation. La
croissance des années 2000 a provoqué une certaine illusion de la bonne santé de ce secteur
économique, cachant la grande dépendance vis-à-vis des choix politiques russes (arme
énergétique pétrolière)188.
187 Edgar Savisaar, Op. Cit., p. 175 188 Erik Terk, « Eesti transiidi olevik ja tulevik », Conférence TransEstonia, 2008
117
L’opposition des professionnels du transit et de certains hommes politiques intègre
d’ailleurs le fait que le volume d’activités ne battra plus les records du début des années 1990.
De nouveaux débouchés sont recherchés, avec là aussi une certaine part d’utopie.
Cela s’observe dans la vision qu’ont les autorités tallinnoises de la Rail Baltica.
Tallinn risque de souffrir d’une position de terminus, à l’extrémité de l’axe. C’est pourquoi un
projet de prolongement de la ligne jusqu’à la Finlande est défendu. L’idée serait d’assurer la
connexion entre les deux rives du golfe de Finlande par l’intermédiaire d’un tunnel sous-
marin, à l’image du tunnel sous la Manche entre la France et la Grande-Bretagne. La
principale différence est la longueur du projet, Tallinn et Helsinki sont distantes de 80 km
mais aussi l’importance du trafic entre deux zones faiblement peuplées. Ardemment défendu
par les municipalités de Tallinn et d’Helsinki, le projet de tunnel peut sembler irréaliste.
Malgré cela, ses défenseurs croient en cette idée. Leur optimisme fut renforcé en février 2015
après qu’une étude préliminaire de faisabilité a estimé l’idée pertinente. D’un coût de 9 à 13
milliards d’euros, la liaison sous-marine pourrait voir le jour à partir de 2030. Toutefois, il
faut rester prudent quant à la réalisation de ce projet alors que la Rail Baltica, d’un coût bien
inférieur et d’une difficulté moindre, nécessite plus d’une décennie pour être réalisée.
L’Estonie semble désormais hors course pour voir une amélioration en provenance de
Russie, même si la crise de la fin des années 2000 ne fait pas perdre espoir aux acteurs de ce
domaine d’activité, comme en témoigne les différentes interventions lors des conférences
annuelles de TransEstonia. L’épisode du Soldat de Bronze a eu le mérite d’inciter les acteurs
du transit à chercher de nouvelles sources de revenus en ne se limitant pas à la seule Russie.
Cette évolution fut soulignée en 2014 après que la Russie eut annoncé l’interdiction de
l’importation de produits alimentaires européens. L’Estonie se trouve dans une situation
moins difficile que la Lettonie ou la Lituanie.
Les plans estoniens sur la scène internationale pourraient être définitivement mis à mal
si la crise ukrainienne de 2014 perdure. La multiplication des sanctions européennes vis-à-vis
de la Russie, avec le soutien ferme de l’Estonie, pourrait condamner le secteur du transit
marchand et plus globalement celui du secteur de l’import-export.
Les professionnels s’attendent déjà à une diminution immédiate de leurs activités en
2014 et se préparent à affronter une nouvelle crise. Les dirigeants d’Eesti Raudtee prévoient
118
une baisse d’activité de 25% sur l’année189. Cette crise pourrait réduire un peu plus les
relations économiques russo-estoniennes et inciter les entreprises à chercher, encore une fois,
des débouchés ailleurs, en Europe. Comme elles ont dû le faire après la crise de 1998190, mais
aussi pendant l’entre-deux guerres191, les acteurs économiques estoniens doivent s’adapter aux
difficultés existantes à l’est. Le climat économique européen morose pourrait toutefois rendre
ce changement d’orientation complexe.
La situation de 2014 donne en partie raison aux opposants d’une politique étrangère
trop ferme envers la Russie. Les autorités estoniennes doivent donc faire le choix entre le
maintien de la fermeté face au gouvernement russe ou faire montre de plus de souplesse pour
assurer une certaine activité dans le secteur du transport marchand.
Il existe tout de même un secteur pour lesquels les relations diplomatiques bilatérales
ont moins d’influence : le tourisme. Alors que le nombre de touristes russes était relativement
moyen au cours des années 2000, une croissance forte apparaît depuis quelques années. Ne
comptant que pour 3% des visites à Tallinn en 2002, les ressortissants russes se positionnent
désormais en seconde place avec 12,1% des visites, franchissant en 2010 le seuil symbolique
des 100 000 personnes. Amateurs des fêtes de fin d’année à Tallinn (entre le réveillon du 31
décembre et le Nouvel An orthodoxe à la mi-janvier), les touristes russes sont un nouveau
souffle pour le secteur du tourisme tallinnois. La capitale estonienne offre aux Russes un
accès à la culture européenne, mais sans les dépayser totalement, à une heure de vol ou une
journée de train au départ de Moscou et de Saint-Pétersbourg. La présence d’une population
russophone à Tallinn permet aux touristes d’avoir un accès aux différents services (boutiques,
visites, restauration et hôtellerie) dans leur propre langue et à moindre frais, les prix
demeurant plus avantageux à Tallinn qu’en Suède, en Finlande ou en Allemagne. La
popularité de Tallinn se lit dans l’apparition de la ville au 6ème rang du classement des villes
les plus visitées par les Russes derrière Prague, Vienne, Londres, Munich et Berlin192.
La croissance du nombre de Russes qui viennent en Estonie se traduit par une attention
particulière de ce marché par les structures estoniennes. Le service de l’entreprise de la mairie
189 Martha-Beryl Grauberg, « Eesti Raudtee juht : kaubamahtude suure languse taga on osaliselt la
sanksioonide mõju », err.ee, 30 juillet 2014 190 La crise économique russe de 1998 obligea les entreprises estoniennes, et baltes, à trouver de nouveaux
marchés alors que le marché russe avait été massivement investi. Andres Kasekamp, Op. Cit., p. 183 191 Au début des années 1920, les industriels estoniens, et baltes en général, ont nourri l’espoir de devenir un
pont entre l’Europe et l’URSS. Toutefois, la fermeture du marché soviétique mit ce projet à mal. Ibid.,
pp. 114-115 192 Lemmi Kann, « Tallinn pürgib Vene turistide Euroopa lemmiksihtkohaks », Arileht.ee, 2 octobre 2013
119
de Tallinn a mené une campagne publicitaire à Saint-Pétersbourg et Moscou en septembre
2013. Si la Russie ne faisait pas l’objet d’une stratégie particulière à la fin des années 2000, la
clientèle russe devient désormais une cible à ne pas négliger. La capitale estonienne bénéficie
ainsi désormais de sa position intermédiaire entre Scandinavie et Russie.
Malheureusement, la crise économique russe de 2014-2015 en lien avec les sanctions
européennes a des effets majeurs sur cette tendance. En quelques semaines, la faillite
d’agences de voyage russes et la chute du cours du rouble ont entraîné des annulations
massives de réservation dans les hôtels tallinnois. Autre conséquence de la baisse des voyages
de Russes en Estonie : la disparition des trains passagers entre Tallinn et Saint-Pétersbourg et
Moscou en mai 2015193. Si les liaisons ont194 repris quelques mois plus tard, le secteur du
tourisme paie le prix fort des tensions russo-européennes alors que les Russes avaient refait de
Tallinn une destination privilégiée.
Figure 12 Évolution du nombre de touristes russes logés à Tallinn (2002-2015)
193 Anna Põld, « GoRail peatab teadmata ajaks Peterburi ja Moskva rongiliikluse », Delfi.ee, 16 avril 2015 194 Les liaisons entre Tallinn et Moscou reprirent en juillet 2015. Désormais, le trajet se fait via Saint-
Pétersbourg, allongeant par conséquent la durée du voyage à 16h.
0
5 000
10 000
15 000
20 000
25 000
30 000
35 000
40 000
Nombre de touristes russes à Tallinn (par mois)
Nombre de touristes russes à Tallinn (par mois)
120
1.4. Atteindre l’Asie centrale et orientale
Au-delà de la Russie, les acteurs des activités de transport, avec l’appui des autorités
estoniennes, tentent de conquérir de nouvelles régions dans le monde, principalement l’Asie
centrale et orientale dont la position dans les réseaux de transport s’accroît constamment par
le transport de marchandises vers l’Europe.
Deux outils sont envisagés pour faire de Tallinn une tête de pont intercontinentale : en
faire un lieu central de transbordement des marchandises et faire transiter les passagers des
long-courriers entre Europe et Asie par l’aéroport tallinnois195. La proximité de Tallinn des
aéroports asiatiques – par rapport aux aéroports ouest européens – pourrait faire de l’aéroport
Lennart Meri une porte d’entrée de l’Europe. Quels sont les réels potentiels de Tallinn dans
les réseaux mondiaux ? La capitale estonienne a-t-elle les capacités de se placer entre l’Asie et
l’Europe ?
1.4.1. Être le port de l’Asie centrale
Dans le contexte de baisse du transit en provenance de Russie, l’un des objectifs
affichés est la diversification de l’origine des marchandises pour sortir de la dépendance
russe, avec en priorité le développement de relations avec les États d’Asie centrale. On l’a
déjà dit du fait de son intégration à l’Empire russe, l’Estonie a connu l’arrivée du chemin de
fer par l’intermédiaire des techniques russes. Ainsi, le réseau estonien répond à des standards
différents de ceux connus en Europe avec un écartement des rails de 1 520 mm, contre
1 435 mm ailleurs196. Si cette différence gêne le développement de la Rail Baltica entre les
États baltes et le reste de l’Europe (dans l’attente d’une harmonisation à venir), cette
spécificité permet à l’Estonie de garder des liaisons sur un vaste espace un temps développé
de concert, selon les mêmes normes, sans rupture de charge.
Plusieurs interventions des dirigeants de la compagnie Eesti Raudtee lors des
conférences TransEstonia montrent ce positionnement. L’idée est d’inciter les entreprises
d’Asie centrale à utiliser les réseaux ferroviaires vers l’Estonie et à exporter à partir des ports
de Tallinn. Sont notamment visés les céréales, le pétrole, le charbon et les métaux du
Kazakhstan, l’aluminium du Tadjikistan et le pétrole et les engrais d’Ouzbékistan197. Cela
complèterait un secteur pour l’instant utilisé pour le transport conteneur vers l’Asie centrale.
195 Tallinn permet un gain de près de 2 000 km par rapport à Paris sur des vols vers Pékin et Tokyo. 196 L'Espagne, le Portugal et l'Irlande possèdent encore des écartements plus grands que la norme de
1 435 mm. 197 Kaido Simmermann, « Transiidi hetkeseis raudteel », Conférence TransEstonia 2010
121
Carte 25 Les lignes régulières ferroviaires ancrées sur la rive orientale de la Baltique
La capitale estonienne est actuellement reliée à l’Asie centrale par plusieurs lignes
conteneurs régulières, notamment les lignes Baltic Transit I et II. La première ligne relie
Tallinn à Tachkent en Ouzbékistan via Riga, la région de Moscou et l’ouest du Kazakhstan, la
seconde relie Almaty par un trajet plus septentrional (Saint-Pétersbourg, Perm, Ekaterinbourg,
Astana).
122
Le site de la compagnie de transport ferroviaire EVR, filiale d’Eesti Raudtee, indique
également un projet de ligne jusqu’à Ürümqi (province du Xinjiang) en Chine, premier nœud
de transport de l’autre côté de la frontière sino-kazakhe. Grâce à cette nouvelle ligne, Tallinn
servirait de plate-forme de transbordement pour les marchandises expédiées depuis la Chine
vers la Russie du Nord-Ouest et l’Europe du Nord. La capitale estonienne pourrait aussi jouir
de sa proximité géographique en devenant un point de passage vers la Scandinavie. Cet
objectif se justifie par l’avantage en temps conféré par le rail face au transport maritime.
Selon les données d’EVR, Tallinn et l’Asie centrale ne sont séparées que par seulement 10
jours de voyage.
Les développements spécifiques au transport de conteneurs indiquent un potentiel
certain. Quasi nul au début des années 2000, ce secteur est en constante progression et les
États d’Asie centrale occupent désormais une place non négligeable derrière la Russie (qui
reçoit plus de la moitié des conteneurs transportés198). En 2011, ils furent la destination de
22% des conteneurs chargés sur des trains au départ de l’Estonie.
Les objectifs tallinnois sont toutefois en concurrence avec les ports voisins de la rive
orientale de la Baltique puisque ceux-là sont également connectés au réseau 1 520 mm
(1 524 mm pour la Finlande). En Lettonie, Riga est un point de passage obligatoire de la ligne
Baltic Transit I et également la tête de pont des lignes Eurasia I et II, qui desservent
l’ensemble de l’Asie centrale, avec au-delà une connexion vers la Chine. Le port lituanien de
Klaipėda, aussi impliqué dans le projet Baltic Transit I, peut tirer profit du train Saulė (Soleil)
qui relie Europe et Chine (ville de Chongping) via la région de la Volga en Russie et le
Kazakhstan.
Et si la ligne Baltic Transit I existe depuis 2003 dans le cadre d’une coopération
multilatérale entre les différents États traversés, dont les trois États baltes, on note toutefois
une lutte pour attirer les marchandises en provenance d’Asie centrale et de Chine, cette
dernière constituant un débouché encore à développer comme l’indique les ambitions
tallinnoises. On peut ainsi s’interroger quant aux réelles opportunités pour devenir un point
régional central. Le parallélisme des projets pourrait ne pas être rédhibitoire, Tallinn et Riga
ont pu se développer à l’époque médiévale de concert, mais l’échelle des échanges ayant
évolué, les États baltes ne peuvent plus envisager un partage du marché avec des hinterlands
distincts. Comme le soulignent Alf Brodin et Arnaud Serry199, ces trois États se trouvent en
198 54% en 2011 par exemple. Eesti Raudtee, « Majandusaasta aruanne 2011 », 2012, p. 10 199 Arnaud Serry, Op. Cit., p. 258
123
concurrence sur l’un des dix axes de transport observés entre Asie et Europe. Une première
catégorie comprend les routes maritimes directes (mer de Barents, mer Baltique, mer Noire).
Une seconde catégorie limitée à un axe concerne la route maritime ancrée sur l’Ukraine, donc
indirecte. Enfin, une troisième catégorie inclut toutes les routes de transport qui traversent
l’espace baltique (Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne). Cette catégorie se découpe
entre quatre sous-ensembles. D’abord, la route passant par la Finlande, ensuite, la route
passant par la Pologne (via le Belarus), puis la route de Kaliningrad (via le Belarus) et enfin
les routes via les trois États baltes.
De son côté, la Finlande bénéficie d’un accès à la Baltique par un alignement de ports
situés entre la frontière commune avec la Russie et la ville de Turku, parmi lesquels Kotka,
Hamina, Hanko et Helsinki-Vuosaari.
Lors de la conférence TransEstonia 2007, le maire de la ville finlandaise de Kouvola
(capitale de la région de la Vallée de la Kymi) tenta de « vendre » sa ville comme le point
d’échange idéal entre l’Est et l’Ouest, en collaboration avec Innorail, l’entreprise leader dans
le développement du transit ferroviaire en Europe du Nord et en Russie. Présente sur la ligne
Helsinki-Saint-Pétersbourg, à l’intersection de la voie en direction des ports de Kotka et
Hamina, Kouvola est présentée en 2007 comme un centre potentiel du transit transcontinental
entre l’Europe et l’Asie, en mettant l’accent à la fois sur l’activité économique en tant que
telle et aussi sur l’activité de recherche, grâce à des partenariats avec des universités
finlandaises et chinoises.
Le développement proposé pour Kouvola mise sur l’intégration d’un pôle de gestion
entre deux espaces continentaux. Les marchandises sont acheminées par convois ferrés
jusqu’à la Finlande via le tracé du Transsibérien puis sont distribuées dans l’espace européen
par les différents moyens de transports disponibles. On peut préciser que les pays baltes
s’intègrent dans cette logique en tant qu’axe à développer vers le sud, l’Europe centrale. On
peut ici souligner que le centre de Kouvola vise avant tout la Chine, plutôt que l’Asie centrale,
l’objectif premier d’Eesti Raudtee (même si la Chine est également un objectif).
124
Figure 13 Évolution du nombre d'EVP transportés par Eesti Raudtee et LDz
(Les données pour LDz disponibles uniquement pour 2007-2012)
Toutefois, les conteneurs ne constituent qu’une petite part des activités de transit si on
les oppose au transport de fret global du port de Tallinn. Seul le Kazakhstan apparaît dans les
statistiques publiées par Port de Tallinn et force est de constater que cet État ne constitue pas
une relève suffisante pour compenser le retrait russe. La part des marchandises d’origine
kazakhe oscille entre 0 et 4% sans réelle stabilité dans l’évolution. Si le Kazakhstan était entre
les années entre 2007 et 2010 un partenaire en devenir, les années suivantes montrent une
quasi absence de transit en provenance de cet État. Les autres États d’Asie centrale et la Chine
sont, eux, totalement absents des données. La Chine apparaît uniquement sporadiquement
dans les données relatives à la destination des marchandises, ne pesant que quelques
pourcents.
Important pour le secteur ferroviaire, ce transit n’est que secondaire dans le volume
d’activité global et les concurrents présentent des volumes d’activité supérieurs. Les
statistiques de la compagnie nationale ferroviaire lettone LDz illustre la position en retrait de
l’Estonie par rapport à son voisin méridional. En 2010, Eesti Raudtee a géré 22 484 EVP
(Equivalent Vingt Pieds), sa concurrente lettone 98 223 EVP, dont 20 188 EVP sur la seule
ligne Baltic Transit.
Enfin, les années de la crise économique et les suivantes révèlent une situation difficile
avec une baisse générale des volumes tant en Estonie qu’en Lettonie200. On peut donc se
demander si l’Asie centrale va réellement offrir une alternative au transit Baltique-Russie,
d’autant que le volume d’activités des dernières années a pu être gonflé par le retrait de
200 Latvijas Dzelzceļš, « 2012 gada pārskats », 2013, p. 49
0
20000
40000
60000
80000
100000
120000
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Nombre d'EVP transportés
Eesti Raudtee LDZ Cargo
125
l’OTAN d’Afghanistan. C’est en effet par les lignes ferroviaires ancrées sur Riga et Tallinn
que l’Alliance atlantique a rapatrié son matériel militaire après l’annonce de la fin de la
mission dans le pays. En 2010, ce retrait a représenté 4 465 EVP pour Eesti Raudtee (19% du
total transporté) et 13 099 EVP pour LDz (13%).
L’Asie centrale offre de nouveaux débouchés pour les entreprises du secteur du transit
marchand. Toutefois, la concurrence entre ports et sociétés ferroviaires limite la croissance
des volumes. Tallinn joue un rôle essentiel en tant que port de la rive orientale de la Baltique,
mais l’activité actuelle vers l’est demeure essentiellement liée à la Russie et il faudra observer
si les lignes vers l’Asie centrale et la Chine se développent comme espéré en Estonie. Il
apparaît déjà que Tallinn se place en retrait par rapport à son concurrent le plus proche, Riga :
la capitale estonienne pourrait bénéficier d’une part de ce marché qu’est le transit Europe-
Asie, mais n’est pas en mesure d’en être le leader.
1.4.2. Devenir le terminus de lignes maritimes intercontinentales
Si le transport terrestre présente un gain de temps certain pour relier Asie et Baltique,
les routes maritimes n’en sont pas pour autant négligées. Comme le montre la carte ci-
dessous, le port de Tallinn est impliqué dans 10 lignes régulières pour le transport de
conteneurs et 14 lignes de transport roulier. Toutefois, aucune n’inclut de port extra-européen.
Il s’agit avant tout de lignes qui relient la mer Baltique à la mer du Nord et ses grands ports
(Anvers en Belgique, Bremerhaven en Allemagne, Rotterdam aux Pays-Bas, Immingham en
Angleterre). Les lignes régulières montrent ainsi que le port de Tallinn fonctionne surtout sur
une base régionale, avec un ancrage sur les ports européens de dimension mondiale. Cette
situation peut-elle évoluer pour modifier le rôle de Tallinn dans les réseaux européens et
mondiaux, à savoir devenir un port d’arrivée de navires en provenance d’autres continents ?
126
Carte 26 Lignes régulières maritimes ancrées sur le port de Tallinn
L’échec d’un partenariat chinois
Jusqu’au milieu des années 2000, les liaisons avec la Russie constituaient la majorité
des activités portuaires en Estonie. Peu à peu, des acteurs extra européens ont exprimé le
souhait de s’implanter sur les bords de la mer Baltique. Dans le cas de Tallinn, ce sont des
entrepreneurs chinois qui ont tenté de s’installer à Muuga par la construction d’un nouveau
terminal conteneur. Grâce à ce nouveau terminal, les navires chinois auraient pu accoster à
127
Tallinn pour que les cargaisons soient ensuite transportées vers les États d’Europe centrale, la
Russie européenne, l’Ukraine ou même la Finlande.
Malheureusement pour le port de Tallinn, l’opération espérée fut abandonnée par
l’investisseur chinois en raison du contexte économique difficile. Malgré la forte croissance
économique de l’Empire du Milieu, les dépenses se font désormais avec une certaine
prudence. L’incertitude du bien-fondé de la construction d’un terminal à Tallinn a poussé
l’entreprise chinoise à se détourner du sud du golfe de Finlande.
L’idée d’une coopération sino-estonienne apparaît lors d’une visite en Chine du
ministre de l’économie estonien, Juhan Parts, en 2007. La délégation incluait entre autres le
directeur de Port de Tallinn, Ain Kaljurand, ainsi que de nombreux entrepreneurs liés à
l’activité du transit de marchandises. L’un des objectifs de la visite était de trouver un
opérateur pour le futur terminal conteneur prévu sur la partie orientale du port de Muuga.
Soutenu par le Fonds de l’Union européenne (décision de la commission européenne du 26
décembre 2006), ce terminal devait doubler la capacité d’accueil de Muuga en termes de
conteneurs201.
C’est dans ce cadre que des contacts sont établis avec le port de Ningbo, ville de la
province du Zhejiang, à 150 km au sud de Shanghai. Cette ville de sept millions d’habitants
bénéficie d’infrastructures portuaires en eaux profondes. La fusion du port de Ningbo avec
celui de Zhoushan en fait le troisième port mondial (471 millions de tonnes annuelles),
derrière Shanghai (561 millions de tonnes) et Singapour (483 millions de tonnes) en 2007. La
même année, Ningbo était au douzième rang en termes de conteneurs, avec 9 259 millions
d’EVP.
Peu après la visite de la délégation estonienne en 2007, un protocole d’accord est signé
en 2008. Selon l’accord signé, le port de Ningbo s’engageait à investir deux milliards de
couronnes estoniennes (127,9 millions d’euros) dans la construction d’un nouveau terminal
conteneur202. Le port chinois devait agir en coopération avec l’entreprise estonienne
Transiidikeskus. Malheureusement pour les acteurs estoniens, le projet bilatéral souffre
rapidement de la crise financière de la fin des années 2000. Aucun acte concret ne fut pris
pendant l’année suivant la signature de l’accord, ni en 2009 ou en 2010, de l’aveu d’Ain
201 Port de Tallinn, « Muuga sadama arendusplaanid », http://www.ts.ee/muuga-arendusplaanid 202 Gert D. Hankewitz, « Ningbo ja Tallinna sadama vahel koostöö on suikuma jäänud », e24.ee, 27 septembre
2010
128
Kaljurand, le directeur de Port de Tallinn. La raison avancée est avant tout financière et la
baisse d’intérêt des Chinois pour un terminal conteneur en Estonie.
Si certaines sources mettent en avant que les Chinois de Ningbo ont abandonné tous
leurs projets européens, d’autres estiment que Muuga a perdu face à la concurrence d’autres
ports baltiques, notamment celui de Gdansk en Pologne. « La raison [peut] être le fait que la
nouvelle ligne Chine-Europe se termine dans le port polonais de Gdansk. Avant la crise
financière, on pouvait imaginer que les marchandises d’Europe centrale passeraient par
Gdansk et que Muuga recevrait les marchandises à destination de l’Europe du Nord et de la
Russie du Nord-Ouest. Dans la situation actuelle, Gdansk couvre les deux marchés.203 » La
coopération entre Gdansk et la Chine apparaît dès 2005 avec la signature d’un accord de
coopération avec le port de Ningbo204. Depuis 2009, Gdansk, par l’intermédiaire de son
terminal conteneur, s’inscrit dans le réseau du géant du transport maritime danois Maersk, en
faisant partie de la route AE 10 Far East, dont l’autre extrémité est le port de Ningbo205. Cette
victoire du port polonais marque un coup d’arrêt pour le développement transcontinental de
Tallinn. Il semble difficile pour le port estonien de présenter des arguments forts pour attirer
un autre opérateur. Lors de la visite du ministre de l’économie Juhan Parts en 2007 en Chine,
l’un des objectifs affichés était d’attirer des opérateurs asiatiques pour ensuite tenter d’attirer
des entreprises plus importantes. Ain Kaljurand, le directeur de Port de Tallinn en est
pleinement conscient : « Nous n’avons pas la force suffisante pour négocier avec Maersk et
leur faire transiter leurs navires par Tallinn. En revanche, Ningbo peut.206 » Avec Maersk
basé à Gdansk, il semble que Tallinn ne puisse plus s’inscrire dans les réseaux mondiaux. Le
journaliste Mikk Salu résumait la situation de 2007 comme suit : « Le marché régional est
encore libre, aucun grand acteur n’est encore présent et un ou deux ports baltiques
[pouvaient] remporter le gros lot. » L’absence de ligne régulière entre la Chine et la mer
Baltique faisait de cet espace maritime un lieu à conquérir. « La mer Baltique est entre autres
le seul espace où il n’y a aucune ligne commerciale en provenance de Chine. Le lieu le plus
proche où les bâtiments chinois accostent est Göteborg207. » L’ouverture de la ligne Maersk
203 Raul Ranne, « Aga kus on hiinlased ? », Eesti Ekspress, 2 mars 2011 204 AIVP, « Un accord entre les ports de Gdansk et Ningbo intéresse aussi les villes », 29 août 2005,
http://news.aivp.org/news.php?article1796 205 Deepwater Container Terminal Gdansk, « DCT Gdansk becomes new hub for the whole Baltic Sea », 30
octobre 2009. La route dessert Ningbo, Shanghai, Kaohsiung, Yantian, Hong Kong, Tanjung Pelepas, Le
Havre, Zeebrugge, Gdansk, Gothenburg, Aarhus, Bremerhaven, Rotterdam, Singapore, Hong Kong, Kobe,
Nagoya, Shimizu, Yokohama, Ningbo. 206 Mikk Salu, « Tallinna Sadam ootab investoreid Hiinast Eestisse konteineriäri ajama », Eesti Päevaleht, 14
novembre 2007 207 Ibid.
129
met un terme à cette situation de vide, mettant à mal les ambitions tallinnoises. Le marché est
trop restreint pour permettre à un autre armateur d’intégrer la région et d’offrir une nouvelle
chance aux ports concurrents de Gdansk.
La solution russe ?
L’abandon de la coopération avec Ningbo semble acté début 2011, comme le déclare
Erik Laidvee, le président du directoire de Transiidikeskus. Le projet de développement du
port de Muuga reste tout de même d’actualité. La recherche de partenaires se poursuit au
printemps 2011. Le conseil de direction de Port de Tallinn se réunit le 8 mars 2011 pour
octroyer les droits de gestion du nouveau terminal conteneur. La disparition de la coopération
chinoise a réduit la question à un duel entre l’estonien Transiidikeskus AS et le russe Rail
Garant et a réduit les ambitions d’extension mondiale. Le port de Tallinn se retrouve d’une
certaine manière condamné à être lié à l’espace russe en exportant à partir de la Russie et non
en se positionnant dans une position de port récepteur.
C’est précisément l’opérateur russe qui remporta la mise. Rail Garant est un
consortium qui réunit plusieurs entreprises ferroviaires, des transporteurs de marchandises et
d’export et dont la spécialité reste surtout liée aux marchandises industrielles. Forte d’un parc
de 17 000 wagons, l’entreprise doit se développer en 2013 pour atteindre 50 000 wagons208.
Le premier objectif de Rail Garant est avant tout d’exporter des marchandises russes,
depuis l’Oural et la Russie centrale, à partir des villes de Tcheliabinsk et de Perm. Des
terminaux sont prévus à Ekaterinbourg, Nijni-Novogorod et dans l’oblast de Moscou209.
Toutefois, la création de nouvelles lignes d’export pourrait aussi à terme devenir des lignes
d’import pour les entreprises russes, comme l’explique Neinar Seli, le président du conseil de
Port de Tallinn210. De son côté, Rail Garant explique son intérêt pour Tallinn par la situation
géographique, des infrastructures en développement, une navigation possible toute l’année,
l’absence de taxes douanières et une procédure simplifiée pour le transit. Nikolaï Falin, le
président du directoire de Rail Garant, ajoute que les ports du nord-ouest de la Russie sont
déjà surchargés et que son entreprise y manque de capacités d’accès211. Dans une interview au
journal estonien Postimees donnée à l’annonce du choix de Rail Garant par Port de Tallinn,
Nikolaï Falin explique que les terminaux des ports russes ont déjà trouvé leur propriétaire et
208 Kaja Koovit, « Sadama konteinerterminali operaatori konkursi võitis Venemaa Rail Garant », e24.ee, 8
mars 2011 209 Kaja Koovit, « Rail Garant alustas Muugal uue konteinerterminali ehitust », e24.ee, 30 janvier 2012 210 Adele Pao, « Transiidikeskus : Tallinna Sadam kahjustab Eesti majandushuve », e24.ee, 8 mars 2011 211 Kaja Koovit, « Tallinna Sadam allkirjastas Vene Rail Garantiga kahe miljardi kroonise konteinerterminali
arenduse lepingu », e24.ee, 11 avril 2011
130
qu’il était donc désormais difficile de s’y trouver une place212. Enfin, selon Falin, les
infrastructures ferroviaires estoniennes sont meilleures que celles de Lettonie et de Lituanie.
La tentative de partenariat avec la Chine mise de côté, c’est donc la Russie qui offre de
nouvelles possibilités pour le port de Tallinn. Certains acteurs russes, perdants dans l’accès
aux ports de l’oblast de Leningrad, préfèrent s’implanter à l’étranger pour se développer que
de subir cette situation. Tallinn perd le flux marchand des grandes entreprises soutenues par le
pouvoir central russe, mais pourrait récupérer une partie du trafic d’opérateurs plus petits, car
le port estonien conserve les avantages qui en ont fait la porte de sortie de la Russie sur la
Baltique.
Les acteurs chinois ne sont toutefois pas hors-jeu pour autant. Peu de temps après la
signature de l’accord avec Rail Garant, Port de Tallinn a également signé un accord avec
l’entreprise chinoise Sinotrans qui doit assurer la liaison entre le port de Fuzhou (Fujian) et
Tallinn. L’accord, signé entre l’entreprise chinoise, Port de Tallinn, Eesti Raudtee et Alekon
Cargo OÜ, doit à terme faire de Tallinn le centre régional de gestion de marchandises
transportées par Sinotrans, une entreprise créée en 2002, figurant parmi les dix plus grosses
entreprises de logistique tierce partie (3PL ou Third-party logistics)213.
La multiplication des acteurs pourrait être la solution pour le port de Tallinn qui
échoue à attirer un leader mondial. Attirer des entreprises de petite taille, mais plus
nombreuses, serait un moyen d’assurer la croissance économique du port sans pour autant
obtenir cette position de centre unique. Faire venir Maersk à Tallinn est trop ambitieux, mais
il est possible de développer les activités avec des partenaires moins importants. Cette
tendance a clairement des inconvénients en termes d’image de marque, mais pourrait sauver
le port de Tallinn face à la concurrence des autres ports de la mer Baltique.
Avantages et inconvénients face à la concurrence régionale ?
Selon certains experts, si le boom économique qui a précédé 2007 ne pourra plus se
reproduire, l’activité de transit n’est pas pour autant condamnée en Estonie. Le port de Tallinn
présente des avantages par rapport aux nouveaux ports russes. Expert en questions de transit,
Raivo Vare admet que les ports estoniens ne peuvent rien face aux ports russes qui bénéficient
de nombreux avantages (meilleurs tarifs, meilleures conditions d’acheminements). Selon lui,
212 Andrus Karnau, « Tallinna Sadama valitud Vene firma investeerib konteinerterminali 60 miljonit », e24.ee,
9 mars 2011 213 Entreprise de logistique qui prend en charger l'externalisation de la chaîne d’approvisionnement d'une autre
entreprise.
131
les ports estoniens doivent se démarquer de leurs voisins orientaux en favorisant ce que les
ports russes ne peuvent pas développer : mettre en avant des arguments à même de contrer les
facteurs politiques. Il est important de prendre en compte les conditions climatiques, le
nombre de jours pendant lesquels la mer est gelée (environ deux mois par an à Oust-Louga),
la taille des navires pouvant être accueillis. Vare imagine que le port d’Oust-Louga pourrait
ne pas pouvoir accueillir de navires suffisamment grands pour pouvoir se passer de Tallinn.
Muuga servirait alors de port de transbordement vers des navires plus gros. Déjà en 2003,
Tallinn avait pu bénéficier de conditions climatiques rigoureuses pour accroître son activité,
les ports russes n’étant pas en mesure d’assurer toutes leurs activités, Tallinn est placé en tête
des ports de la Baltique orientale dans la catégorie du fret général (general cargo)214.
Toutefois, dans un contexte de réchauffement climatique, ces conditions demeurent
exceptionnelles, les acteurs du secteur ne peuvent fonder leur développement uniquement sur
cet avantage aléatoire qui ferait de Tallinn un port saisonnier alternatif. Enfin, les ports russes
de 2015 ne sont pas ceux de 2003. Les capacités accrues réduisent un peu plus les avantages
du port de la capitale estonienne.
1.4.3. Atteindre les aéroports asiatiques
L’ancrage européen occidental de l’aéroport de Tallinn semble assuré, malgré les
nombreux bouleversements survenus au cours de la seconde moitié des années 2000. Les
principales destinations ne sont pas menacées. Cette situation ne peut, toutefois, pas rester en
l’état. De nouveaux horizons sont déjà recherchés afin d’assurer une croissance plus forte en
termes de passagers et de cargo. Après avoir ancré le réseau principal à l’ouest, les
destinations orientales apparaissent dans les plans futurs. L’objectif serait de développer
Tallinn en aéroport d’escales pour les passagers et les marchandises qui sont transportés entre
les deux continents.
Il faut voir dans cet objectif l’influence claire de l’expérience singapourienne. La cité-
État asiatique a su profiter d’une situation géographique pour se transformer en hub géant
pour toute l’Asie, grâce à la compagnie nationale Singapore Airlines. Si on se limite à la
comparaison des deux compagnies nationales, il est évident que les objectifs de l’aéroport de
Tallinn sont absolument irréalisables. Comme j’ai pu le noter, la compagnie estonienne ne
possède que quelques avions et l’ordre du jour est plutôt la survie de l’entreprise que des
214 Tallinna Sadam, Port of Tallinn 2003 Performance Results Analysis, Tallinn, 2004, pp. 4-5
132
investissements d’ampleur. Les derniers achats montrent plutôt une certaine prudence, avec de
petits avions destinés au transport transeuropéen215.
Carte 27 L’atout de la situation géographique de Tallinn entre Europe et Asie
Les objectifs de l’aéroport de Tallinn sont avant tout d’attirer les compagnies
étrangères vers la capitale estonienne. Le développement de l’aéroport passe surtout par sa
capacité à offrir des services aux entreprises étrangères, et non à la seule compagnie
estonienne, dont la taille ne permet pas d’espérer plus qu’un ancrage européen.
Plusieurs tentatives ont été faites pour signer des accords de coopération entre
l’aéroport et des compagnies étrangères, surtout asiatiques. En effet, ce sont ces compagnies
qui sont le plus intéressées par le marché européen et un ancrage dans un aéroport local. De
leur côté, les compagnies européennes ont déjà leurs propres structures et des flottes adaptées
aux vols long courrier.
Dès le début des années 2000, certaines compagnies asiatiques ont étudié la possibilité
d’utiliser l’aéroport de Tallinn comme point d’ancrage en Europe. En 2004, la visite de
représentants des compagnies japonaises ANA (All Nippon Airlines) et JAL (Japan Airlines)
ont un temps fait rêver les dirigeants de l’aéroport tallinnois216. Malheureusement, aucune
concrétisation ne vit le jour, retardant l’ouverture asiatique de Tallinn.
Plus récemment, des négociations ont été menées entre l’aéroport de Tallinn et la
compagnie Hainan Airlines, quatrième compagnie chinoise en termes de flotte, dont le
ministre estonien de l’économie Juhan Parts a rencontré les représentants en septembre
215 La compagnie estonienne a remplacé en 2011-2012 neuf Boeing 737-500 et ses deux Boeing 737-300 d'une
capacité d'environ 125 passagers par des Embraer E-170 et des Bombardiers CJR900NG d'une capacité
respective de 76 et 88 passagers. 216 Toivo Tänavsuu, « Jaapani firmad plaanivad otselende Tallinna », Arileht.ee, 10 mars 2004
133
2012217. Des négociations étaient déjà en cours en 2010218. Toutefois, aucune compagnie n’est
exclue des négociations. En 2011, le ministre Juhan Parts a rencontré le ministre des
transports de Singapour pour évoquer les possibilités de coopération entre les deux États219.
Lui Tuck Yew, ministre des transports de Singapour et Juhan Parts ont notamment pointé du
doigt l’absence de liaisons entre l’Europe orientale et l’Asie, avec donc un marché potentiel à
étudier.
La faisabilité de ces projets dépend de plusieurs conditions. Pour qu’une compagnie
aérienne choisisse Tallinn, il faut encore que son réseau desservi soit intéressant. Pour devenir
la porte d’entrée d’un espace spécifique, encore faut-il que l’aéroport choisi représente une
bonne tête de pont vers de nombreuses destinations.
La compagnie Hainan Airlines est pour l’instant peu présente en Europe, avec des vols
directs seulement vers Bruxelles, Berlin et Zurich. Ces trois aéroports confèrent à la
compagnie chinoise la possibilité d’atteindre de nombreux points du continent européen grâce
au système de partage des codes (code share) par une collaboration avec Brussels Airlines et
air Berlin. Qu’aurait-elle à gagner d’une alliance avec Estonian air dont les lignes vers le
continent européen sont instables, mise à part la distance légèrement plus faible entre la Chine
et Tallinn qu’entre la Chine et Berlin ou Bruxelles.
À l’instar de ce qui se déroule pour le trafic de marchandises, la volonté affichée par
les autorités gouvernementales estoniennes ne représente en rien une idée très originale dans
le contexte de la mer Baltique. Le souhait de devenir une tête de pont entre l’Europe et l’Asie
devient le slogan de chaque aéroport de la rive orientale de la Baltique, avec une situation
géographique similaire. Singapour et la Lituanie ont signé un accord bilatéral en 2009 pour
favoriser les relations entre les deux États, alors qu’aucune compagnie asiatique n’était
présente à Vilnius. La carte du réseau en 2014 indique toutefois que Vilnius reste un aéroport
uniquement européen, sans ligne directe régulière vers l’Asie220.
Face à la volonté de collaboration avec des compagnies asiatiques, la concurrence
européenne s’impose.
217 Gert D. Hankewitz, « Parts kutsub Hiina lennufirmat Eestisse lendama », e24, 18 septembre 2012 218 Merili Nael, « Hiina lennufirma kaalub lende Eestisse », err.ee, 12 novembre 2010 219 Communiqué de presse « Parts : lennud Eesti ja Aasia vahel on võimalikud », Ministère de l'Economie et
des communications, 24 octobre 2011 220 http://www.vilnius-airport.lt/en/planning-a-trip/flight-map/, consulté le 11 juillet 2014
134
Forte d’une compagnie nationale plus solide, la Finlande a déjà construit un réseau
transcontinental dense vers l’Asie avec treize destinations desservies par Finnair, dont onze
toute l’année221. Le slogan présent dans les avions finlandais « Empruntez le raccourci entre
l’Europe et l’Asie » montre que Finnair joue exactement la même carte en promouvant
Helsinki comme une escale majeure. Le même slogan est également visible à l’aéroport de
Tallinn avec une publicité en estonien qui interpelle le voyageur : « Plus rapidement en Asie ?
Voyagez par le chemin le plus direct via Helsinki »222.
Photo 3 Carte publiée dans le magazine de la compagnie Finnair (02/2013) et publicité Finnair dans le hall de
l’aéroport de Tallinna appelant à utiliser Finnair pour se rendre en Asie (16/02/2013)
Outre le rayonnement de Finnair, l’aéroport d’Helsinki est désormais relié à l’Asie
grâce à la compagnie Japan Airlines qui a ouvert une ligne régulière au départ de Tokyo en
2013. Les espoirs suscités en 2004 disparaissent au profit du concurrent finlandais. Ailleurs en
Scandinavie, SAS rallie l’Asie (Pékin, Shanghai et Bangkok) depuis Copenhague, où Thai
Airways et Singapore Airlines sont également présentes. Stockholm-Arlanda est lui desservi
par la compagnie chinoise Air China (depuis Pékin) et par la compagnie thaïlandaise Thai
Airways (depuis Bangkok).
Être un centre intercontinental est un projet qui existe également en dehors de l’espace
baltique. Tallinn ne se trouve pas seulement en concurrence avec les aéroports voisins, mais
221 Selon le magazine présent dans les avions Finnair en 2013. Les destinations sont les suivantes : Tokyo,
Nagoya et Osaka au Japon, Séoul en Corée du Sud, Pékin, Shanghai, Hong-Kong, Chongqing et Xi'an en
Chine, Hanoï au Vietnam, Bangkok en Thaïlande, Dehli en Inde et Singapour. 222 « Kiiremini Aasiasse ? Lennake otsemat teed läbi Helsingi »
135
aussi avec tous les aéroports situés sur la même longitude. La compagnie turque Turkish
Airlines compte sur la position géographique de son hub d’Istanbul pour attirer les passagers
qui voyagent entre Occident et Asie. Au-delà, le trafic entre l’Europe et l’Asie est également
capté par les aéroports moyen-orientaux comme Dubaï (grâce à la compagnie Emirates) ou
Doha (Qatar Airways).
De plus, contrairement au port tallinnois très développé, l’aéroport Lennart Meri
demeure une infrastructure de petite taille si on la compare aux aéroports voisins comme
Helsinki-Vantaa ou Stockholm-Arlanda. L’ambition de se placer sur la carte mondiale des
réseaux aériens nécessiterait des investissements que l’aéroport de Tallinn ou que l’État
estonien ne peuvent pas assurer. Les grands aéroports suédois et finlandais ont les capacités
d’accueil sur lesquelles s’appuyer : un trafic d’importance appelle toujours plus d’activités,
alors qu’un aéroport comme celui de Tallinn a dû partir de zéro, étant irrémédiablement
distancé par la concurrence.
On peut donc légitimement douter de l’amélioration de l’aéroport de Tallinn sur le
plan des vols intercontinentaux. Aucun élément concret ne permet de conclure de manière
positive à propos du futur asiatique de Tallinn. Si les discours affichent de véritables
ambitions pour que Tallinn change de dimension, les indicateurs montrent que la capitale
estonienne n’a pas les capacités pour sortir de l’espace baltique en termes de trafic aérien. La
prudence a permis de traverser la crise financière de la fin des 2000 sans trop de dommage,
mais ce choix stratégique met Tallinn en retrait par rapport aux autres aéroports bien mieux
armés pour s’imposer sur le marché intercontinental. La venue d’un vol charter direct depuis
le Japon en août 2014 peut-elle être un signe de changement allant contre cette conclusion,
seul le maintien de cette nouveauté à moyen terme permettrait d’enclencher une dynamique
nouvelle, le cycle de création-abandon de ligne étant relativement court depuis une décennie à
Tallinn.
Conclusion
L’indépendance de la République d’Estonie en 1991 permit une révolution dans le
positionnement politique et économique du pays. L’intégration au sein des grandes
institutions occidentales a clairement fait de Tallinn une ville européenne. Les réseaux ancrés
sur Tallinn mènent en Europe et les projets en cours de réalisation visent à leur renforcement.
Toutefois, l’intégration européenne reste pour l’essentiel une intégration régionale, autour de
136
la mer Baltique. Les données économiques intègrent clairement l’Estonie à cet espace et les
liens avec la mégalopole européenne demeurent plus limités.
Si de nombreux liens ont été rompus, l’Estonie doit toujours prendre en compte le
voisinage de la Russie. Essentielle dans le domaine du transit marchand, la Russie s’impose
comme un partenaire complexe : faut-il privilégier le politique ou l’économique ? Les
gouvernements estoniens, au nom de l’ancrage européen, ont choisi de maintenir une position
diplomatique forte, au risque de perdre des parts de marché, l’indépendance nationale primant
sur la bonne santé économique.
Dans ce contexte particulier, les discours affichent néanmoins l’ambition de faire de
Tallinn un point d’ancrage entre Europe et Asie. Malheureusement, plusieurs échecs mettent à
mal les projets extra européens, maintenant l’économie estonienne à l’échelle de la Baltique.
Comment la volonté d’intégration se traduit-elle sur le plan local ? Quelles mesures
ont été prises afin d’accroître le pouvoir d’attraction de Tallinn ? Vouloir attirer les touristes,
les entrepreneurs impose un travail en termes de politique urbaine pour rendre la ville
adéquate aux nouvelles exigences. Être une ville européenne nécessite des transformations
locales. L’indépendance estonienne a également apporté des modifications dans l’évolution de
la ville. Quels outils pour contrôler les transformations dont les effets peuvent être néfastes
pour une ville développée selon d’autres modèles au cours des décennies précédentes ?
137
2. FAIRE DE TALLINN UNE VILLE DURABLE ET MODERNE
La première partie de cette thèse a permis d’exposer les ambitions tallinnoises sur la
scène internationale. Intégrer une ville dans de nouveaux réseaux, attirer touristes et hommes
d’affaires ne sont toutefois pas des processus hors sol. Sans une politique urbaine adéquate,
tout développement international devient illusoire. Prise pour modèle à Tallinn, la réussite
internationale de Singapour s’observe clairement dans la ville asiatique avec la multiplication
des grattes-ciel, l’aménagement luxueux du littoral. Qu’en est-il dans la capitale estonienne :
Quelles sont les politiques urbaines menées pour soutenir les ambitions internationales ?
L’absence de rénovation et d’adaptation de l’espace urbain tallinnois rendrait tous les
efforts et les objectifs internationaux vains. Une ville qui souhaite attirer doit présenter un
visage moderne, contemporain. À la chute de l’URSS, Tallinn sort de presque cinq décennies
de développement selon les préceptes communistes pendant lesquelles la part belle fut donnée
à l’industrie et à la construction de banlieues de grands ensembles rendues nécessaires pour
accueillir les populations venues des autres régions de l’union. Très rapidement, ces modèles
sont abandonnés au profit de nouvelles orientations d’aménagement.
Mais l’aménagement du territoire fut d’abord utilisé pour effacer les marques de
l’héritage soviétique et réhabiliter et inscrire une identité estonienne, et par extension
européenne dans le paysage urbain. Telle la rupture vis-à-vis de la Russie sur la scène
internationale, la période post 1991 se caractérise par un besoin d’affirmer l’indépendance
estonienne localement. Cette première thématique dans la seconde partie permettra de
souligner que l’héritage soviétique ne peut être ignoré et que Tallinn est encore contrainte de
le conserver alors qu’elle rejette ce passé.
Parallèlement à cette volonté de marquer le caractère estonien et européen de la ville,
les transformations urbaines de Tallinn sont liées au développement de nouveaux secteurs
économiques. L’économie du numérique étant devenue le flambeau de l’économie
estonienne, il sera donc essentiel d’analyser la manière dont cette révolution s’implante à
Tallinn. Le paysage urbain tallinnois transmet-il cette transformation, Tallinn porte-t-elle les
marques de l’économie du numérique ?
Dans le même temps, de nouveaux objectifs sont énoncés dans le but d’améliorer
l’image de marque de la ville. Cette dernière s’est rapidement constituée autour du patrimoine
médiéval, mais les autorités municipales souhaitent promouvoir de nouvelles orientations
avec la volonté de redonner à Tallinn son image de ville maritime et de faire de leur ville un
modèle en matière d’écologie et de respect de l’environnement. Cette seconde partie analysera
alors la politique d’aménagement urbain sur les 40 km de littoral que compte le territoire de
138
Tallinn et l’implantation d’une politique de transports moderne afin de voir si la capitale
estonienne peut effectivement prétendre à une reconnaissance internationale.
Globalement Tallinn a-t-elle vraiment les moyens de mener une politique urbaine à la
hauteur des ambitions internationales de la ville ?
2.1. Tallinn, vitrine identitaire de l’Estonie ?
La rupture opérée vis-à-vis de l’ancienne puissance dominante et l’orientation pro-
européenne prise dans les années 1990 se lisent dans une politique urbaine centrée sur un
certain nombre de symboles. Pour marquer le nouveau projet politique de l’Estonie
indépendante, des mesures ont été prises pour indiquer clairement le nouvel état de fait. Les
autorités municipales et nationales ont mené une politique de désoviétisation et d’estonisation
de la ville pour effacer l’héritage soviétique et (ré)inscrire l’Histoire estonienne.
L’héritage soviétique dépasse largement une dimension historique et culturelle, la ville
ayant été façonnée en grande partie par le pouvoir soviétique : industrialisation, grands
ensembles résidentiels. Il serait illusoire de faire table rase de cet héritage, notamment dans le
secteur du logement. Dès lors, les autorités mènent des actions symboliques pour effacer ce
qu’elles qualifient de 45 ans d’occupation et marquer le territoire d’une empreinte estonienne.
2.1.1. Ancrage de la langue et de la culture estoniennes
Afin de marquer physiquement la fin de la période soviétique, les premières mesures
furent assez classiquement les changements de nom pour certaines rues. Les rues qui portaient
des noms glorifiés à l’époque soviétique ont été rebaptisées rapidement à la fin des années
1980 et au début des années 1990. Il est important de souligner que des changements de noms
sont effectués dès 1987. Une soixantaine de rues de Tallinn ont ainsi changé de nom223. Les
noms de communistes estoniens (Jaan Anvelt, Viktor Kingissepp…), ainsi que ceux des
dignitaires soviétiques ont disparu des rues tallinnoises, tout comme les noms de rue qui
rappelaient l’idéologie communiste224… Les rues portant des noms de figures de la culture
russe (Gogol, Tchaïkovski) ont également été rebaptisées. La Place de la Victoire (Võidu
väljak) redevient, elle, la Place de la Liberté (Vabaduse väljak).
223 « Muudatused Tallinna tänavanimistus 1987-2012 », http://www.eki.ee/knab/tallinn2.htm 224 Rue des Héros, rue de Pionniers, rue du Komsomol, rue de la Jeunesse, rue des Soviets, rue des Partisans,
rue d’Octobre, rue du Kolkhoze.
139
Il faut noter que le changement de nom se fait surtout pour réattribuer les anciens
noms, qui avaient cours avant l’annexion soviétique, et même au début de la période
soviétique ; de nombreuses rues ont été rebaptisées, surtout au début des années 1950, puis
ensuite progressivement selon les besoins.
On retrouve dès lors dans la Vieille Ville les noms à consonance médiévale, qui ne
sont donc pas uniquement liée à la culture estonienne, la ville de Tallinn ayant été avant tout
développée par des populations germano-scandinaves. La rue du Kolkhoze redevient la rue de
la Guilde, l’avenue Lénine devient l’avenue Rävala (nom ancien de la province de Tallinn), la
rue de la Jeunesse redevient la grand-rue du Monastère. Une seule rue semble avoir gardé une
dénomination à consonance soviétique : la route des Ouvriers du bâtiment225, l’avenue qui
relie les quartiers de Väike-Õismäe et de Mustamäe. Plus qu’une estonisation des noms, on
observe surtout une désoviétisation des noms de rue et un retour à la situation antérieure à
1940. Les noms qui renvoient au Moyen-Âge ancrent ainsi Tallinn dans son univers
hanséatique, européen et permettent de clore une parenthèse russe.
La question de la dénomination des lieux touche également les subdivisions
administratives tallinnoises. Dès 1991, les noms soviétiques disparaissent au profit de noms
formés à partir des quatre points cardinaux (cf. tableau). Les huit districts contemporains sont
ensuite adoptés en mars 1993 par la municipalité de Tallinn. Les nouvelles appellations
reprennent en partie d’anciens noms (Nõmme, Mustamäe, Kristiine, Pirita), d’autres sont
créés (Põhja-Tallinn, Lasnamäe, Kesklinn). Haabersti est un emprunt à un quartier du district.
Tableau 3 Évolution du nom de districts à Tallinn 1945-1993
1945 1948 1956 1974 1991 1993
Kopli Raïon Kalinine Raïon nord Põhja-Tallinn,
Haabersti
Raïon central
Raïon central
Raïon Octobre* Raïon ouest
Mustamäe,
Kristiine,
Nõmme
Nõmme Raïon Lénine* Raïon sud Nõmme,
Kesklinn
Raïon maritime Raïon est Lasnamäe,
Pirita, Kesklinn
*Les raïons Octobre et Lénine ne reprennent pas les limites du raïon central et de Nõmme
Par la suite, certains lieux ont reçu des noms relatifs à des événements post-
soviétiques, symbole d’une volonté d’ancrer les événements de la fin des années 1980 dans le
225 Dans toutes les villes soviétiques, il y a une avenue appelée Проспект строителей (Prospekt stroiteleï).
140
paysage urbain tallinnois. La place située devant le ministère des Affaires étrangères fut
baptisée place de l’Islande (Islandi väljak) en 1998 en l’honneur de l’Islande, premier pays à
avoir reconnu l’indépendance de l’Estonie en août 1991. Le 20 août 2011, la municipalité a
inauguré sur Harjumägi, colline qui jouxte la colline de Toompea, une place du 20-Août, jour
où l’indépendance estonienne fut recouvrée en 1991.
L’analyse de la nomenclature des rues montre que ce sont les deux seuls cas qui
pourraient être rattachés à un événement historique précis. L’immense majorité des nouveaux
noms renvoient à des éléments de la nature environnante, au paysage, au relief. Bien que les
noms de ce type n’aient pas été absents des rues jusqu’en 1991, les choix faits témoignent de
l’importance de la nature et de son ancrage dans la culture estonienne, y compris en milieu
urbain, et d’une certaine manière des limites de l’héritage historique estonien. La plupart des
personnages de la culture estonienne (auteurs, artistes principalement) ont déjà leur rue et il
n’est pas dans la tradition de baptiser les rues de noms de personnes politiques.
La question des noms de rue se pose également si l’on regarde la dimension purement
linguistique. La langue estonienne constitue un pilier de la culture et de l’identité estoniennes
telles qu’elles se sont développées depuis le XIXe siècle. C’est par la langue que la conscience
nationale estonienne a pris forme. Les tentatives de russification à la fin du XIXe siècle sous
le règne du Tsar Alexandre III226 et au début des années 1980227 ont renforcé l’attachement
des Estoniens à leur langue.
Afin de maintenir l’ancrage de l’estonien, la législation estonienne sur les noms de
lieu (2003)228 stipule que ces derniers doivent être en estonien et en caractères latins, et non
plus apparaître, comme du temps du pouvoir soviétique, aussi bien en alphabet latin qu’en
alphabet cyrillique229. Un long travail fut alors mené pour supprimer les panneaux à double
alphabet dans la capitale. Ainsi, Tallinn a perdu les traces de son passé soviétique pour ce qui
concerne l’affichage public.
Progressivement, la chasse au cyrillique a laissé la place à une autre lutte. L’adoption
de l’économie de marché a généré l’arrivée massive de termes anglais. Or, depuis 2007, tout
226 Voir Jean-Pierre Minaudier, Op. Cit., pp. 198-210 227 Au cours des années 1970, le pouvoir central soviétique promeut le russe comme « langue du socialisme »
dans le cadre de son projet de peuple soviétique. En Estonie, ceci se traduit par la nomination de Karl
Vaino au poste de Premier secrétaire du PC(b) estonien en 1978 et le lancement la même année d’un
programme pour améliorer le niveau de russe des Estoniens. Le russe devient par exemple obligatoire dès
la première classe du primaire. Voir Ibid., pp. 326-328 228 Loi sur les noms de lieux (Kohanimeseadus), RT I 2003, 73, 485, entrée en vigueur le 1er juillet 2004. 229 Les noms de rue étaient en estonien dans deux alphabets et non bilingues. Le panneau de la rue des
Constructeurs indiquait ainsi par exemple Ehitajate tee et Эхитаяте.
141
affichage public doit être en estonien. La nouvelle loi sur la langue votée en 2011 va plus loin
et stipule que les noms d’entreprises qui ne sont pas en estonien doivent, dans la mesure du
possible, être traduits. Le directeur de l’inspection de la langue Ilmar Tomusk déplorait, avant
le vote de la nouvelle loi, l’utilisation trop fréquente de mots étrangers, comme cafe, shop,
lounge... Il propose une meilleure utilisation des mots équivalents estoniens. Les centres
commerciaux ou lieux de divertissement sont aussi amateurs de ces termes. On trouve à
Tallinn le Coca-Cola Plaza, le City Plaza. La loi estonienne impose désormais que les noms
soient traduits en estonien ou qu’un panneau indique l’activité économique du lieu. Comme le
précise Ilmar Tomusk, rien n’indique que le Coca-Cola Plaza soit un cinéma230. Les
évolutions de la loi symbolisent celles des noms en Estonie en général et à Tallinn en
particulier. La lutte contre l’utilisation du russe a été rapidement remplacée par une lutte
contre l’anglais. Si l’Estonie a rapidement cherché et trouvé son ancrage au sein de l’Europe
et en Occident, cela ne signifie pas qu’elle accepte aveuglement toutes les influences et
l’estonien doit demeurer la langue principale de l’espace public tallinnois.
Cette lutte contre l’anglais indique que Tallinn doit demeurer une ville estonienne et
non une ville internationale banale sans identité locale. Ceci peut toutefois avoir un effet
négatif pour les étrangers qui souhaitent venir à Tallinn. L’absence d’indications
compréhensibles pour les personnes qui ne parlent pas estonien peut jouer contre la hausse de
l’attractivité de la ville.
2.1.2. Désoviétisation et estonisation de la mémoire monumentale
Capitale de l’Estonie, la ville de Tallinn se doit, en tant que lieu du pouvoir étatique,
de symboliser la culture, la Nation et l’histoire estoniennes. Toutefois, elle demeure une ville
bâtie essentiellement par les Allemands, les Danois, les Suédois (Vieille Ville) et les Russes
(premiers quartiers industriels), puis les Soviétiques (quartiers résidentiels). Les signes de la
présence proprement estonienne demeurent rares. Dès lors, l’affirmation de l’identité
estonienne et d’une certaine mémoire collective sur le territoire estonien en général et
tallinnois en particulier trouve une place majeure dans les politiques menées depuis la chute
de l’URSS. L’objectif consiste d’abord à faire disparaître les traces de l’occupation
soviétique. La politique adoptée par les autorités estoniennes consiste à inscrire la vision
historique défendue à partir de 1987 par l’Association du Patrimoine d’Estonie : restaurer
230 Merike Tamm, « Tomusk : liiga palju tsitaatväljendeid on lubatud », Postimees.ee, 20 juin 2011
142
l’Estonie d’avant 1940231. Une politique de mémoire se met alors en place avec le souhait
d’ancrer cette mémoire physiquement sur le territoire estonien.
La politique de mémoire en Estonie a fait une place essentielle aux monuments. Il
fallut tout d’abord supprimer ceux érigés par le pouvoir précédent avant d’en ériger de
nouveaux232. Les symboles soviétiques furent rapidement retirés de l’espace public. La statue
de Lénine, située au milieu de l’actuelle Place de l’Islande fut retirée dès le 23 août 1991233.
Dans la capitale, toutes les marques du passé soviétique n’ont toutefois pas été
retirées. Ainsi, l’étoile soviétique trône toujours sur certains bâtiments. Elle est par exemple
visible au sommet de l’immeuble à l’angle de la rue Liivalaia et de l’avenue de Tartu,
entourée des épis de blé présents sur les armes de l’URSS. L’étoile est également présente sur
le fronton de l’immeuble situé à l’angle des rues Vanaposti et Suur-Karja (Vieille Ville) avec
des armes de l’époque soviétique. D’autres objets ont engendré des conflits ô combien plus
sensibles…
L’épisode du Soldat de Bronze en avril 2007, évoqué en première partie, est un
excellent exemple des tensions qui peuvent naître autour d’un monument symbolique de
l’ancien pouvoir. Le Soldat de Bronze, initialement appelé « monument aux libérateurs de
Tallinn » et surnommé Aliocha, est un monument érigé en 1947 sur la tombe commune de 12
soldats soviétiques enterrés à Tõnismäe.
En 1995, le monument avait été « adapté » au nouveau contexte de l’Estonie
indépendante avec le remplacement des noms des soldats enterrés par l’inscription « Aux
morts de la Seconde Guerre mondiale »234. Il commence à cristalliser les tensions en 2006
lorsque des anciens combattants de l’armée Rouge et nationalistes estoniens s’opposent en
marge des commémorations du 9-Mai, fin de la Seconde Guerre mondiale pour les Russes235.
Dans les semaines qui suivent cet incident, plusieurs rassemblements nationalistes estoniens
231 Marek Tamm, Monumentaalne Ajalugu, Looming Raamatukogu, 28-30, Tallinn, 2012, p. 132 232 Les monuments érigés au cours de la période soviétique mais plus neutres idéologiquement ont été laissés
en place. On peut mentionner la Jeune Kolkhozienne aux abords de l'avenue Kaarli. Aussi connue sous le
nom de Fille au bol, cette statue a gardé sa place dans le paysage tallinnois. 233 À Tartu, la statue de Lénine fut retirée dès le 23 août 1990. À Narva en revanche, la statue de Lénine,
installée au centre de la Place Pierre Le Grand, ne fut déplacée que le 21 décembre 1993. Elle ne fut pas
détruite, mais simplement déplacée sur le terrain de la forteresse de Narva, également musée municipal. 234 Marek Tamm, Op. Cit., p. 113 235 Sur les événements relatifs à la crise d’avril 2007, voir le documentaire Aljoša de Meelis Muhu (Meelis
Muhu, Aljoša, In-Ruum, 2008, 67 min)
143
sont organisés par Tiit Madisson236 et Aavo Savitsch autour du Soldat de Bronze. Le
monument est notamment grimé avec de la peinture. En réaction, les défenseurs du monument
fondent un « comité antifasciste » et l’organisation « Ronde de Nuit »237. Face aux risques, le
monument et la place sont surveillés jusqu’en octobre 2006 par la police estonienne.
Ces événements poussent les autorités gouvernementales à envisager le déplacement
du monument en un lieu moins central, vers le cimetière militaire au sud-est de Kesklinn. Un
premier texte de loi est rédigé au Parlement en octobre 2006 sur la protection des sépultures
militaires et le déplacement des monuments interdits. Votée le 10 janvier 2007 et promulguée
le lendemain par le président Toomas Hendrik Ilves, cette loi permet de déplacer les tombes
militaires localisées en des lieux qui ne conviennent pas : parcs, bâtiments hors cimetières,
lieux où sont organisés des rassemblements... La loi stipule aussi que les monuments situés
autour des tombes doivent eux aussi être déplacés vers les nouveaux lieux d’inhumation.
C’est ce point précis qui déclenche alors le mécontentement de « Ronde de Nuit », ainsi que
d’officiels de l’État russe.
Le 15 février 2007, le Parlement adopte une proposition de loi sur le déplacement des
monuments interdits, qui stipule notamment que le Soldat de Bronze doit être déplacé dans les
30 jours. Toutefois, cette loi n’est pas promulguée par le président de la République, qui la
juge anticonstitutionnelle, notamment par le non-respect du principe de séparation des
pouvoirs.
Photo 4 Le Soldat de Bronze avant son déplacement (02/2007)
236 L’un des organisateurs du rassemblement du Parc du Cerf (23 août 1987), première manifestation
demandant la publication des protocoles secrets du Pacte Moloto-Ribbentrop. 237 En russe Ночной дозор (Notchnoï dozor), en estonien Öine Vahtkond.
144
Malgré tout, le parti du Premier ministre maintient son souhait de déplacer le
monument et en fait une promesse électorale pour les élections législatives de mars 2007, ce
qui facilite aussi la naissance de la coalition gouvernementale avec les conservateurs d’IRL.
Le positionnement autour de cette question va alors cristalliser le paysage politique estonien
pour les années à venir. C’est à partir de cet épisode du Soldat de Bronze qu’Edgar Savisaar et
le Parti du Centre défendent ardemment la position des russophones, lui assurant ainsi un
soutien fort de leur part. Comme l’écrit Agu Uudelepp à l’occasion du cinquième anniversaire
de la crise, « les événements de la nuit de bronze ont renforcé les positions d’Andrus Ansip
dans la Maison de Stenbock [le siège du gouvernement] et d’Edgar Savisaar au bord de la
Place de la Liberté de Tallinn [où est sise la municipalité].238 »
Les événements se sont précipités le 26 avril 2007 après qu’une vaste tente a été
installée autour du monument afin d’organiser des fouilles pour connaître l’état des dépouilles
avant le déplacement du monument. Or, l’approche du 9-Mai pose problème. Afin de protéger
les fouilles du regard des curieux, la place de Tõnismäe a été entourée de grilles couvertes de
plastique. L’incertitude du sort du Soldat de Bronze a fait monter la tension entre policiers et
manifestants russophones venus sur place. Cette tension dégénère rapidement en
affrontements entre les forces de sécurité et les défenseurs du monument et en émeutes
massives (environ 1 500 personnes) dans le centre-ville de Tallinn toute la nuit du 26 au 27
avril. Le bilan des émeutes fut le suivant : 44 blessés du côté des manifestants et 13 du côté
des policiers. Un jeune russophone est également décédé, blessé par un coup de couteau hors
du périmètre d’action des forces de l’ordre. Plus de 200 personnes ont été arrêtées. Le bilan
matériel a été dans un premier temps estimé à 20 millions de couronnes (environ 1,3 millions
d’euros).
Dans le même temps, le gouvernement prit la décision de déplacer le Soldat de
Bronze. Les émeutes reprirent dans la nuit de 27 au 28 avril. S’ensuivirent 600 arrestations.
Parallèlement, les émeutes s’étendirent aux villes du nord-est de l’Estonie, à Narva, Jõhvi,
Kohtla-Järve et Kiviõli.
Les émeutes s’interrompirent dès le lendemain, malgré quelques échauffourées.
Néanmoins, l’Estonie connut le 30 avril une vague de cyberattaques contre les serveurs
Internet estoniens. Le même jour, le Soldat de Bronze fut de nouveau visible à tous, dans le
cimetière des Forces armées (Kaitseväe kalmistu) dans le quartier de Juhkentali. L’affaire prit
238 Agu Uudelepp, « Pronksiöö võib tuua peaministriks sotsi ja meeriks orava », err.ee, 20 avril 2012
145
un tournant diplomatique avec des manifestations devant l’ambassade estonienne à Moscou
où l’ambassadrice a été prise à partie par les militants Nachi239.
Une cérémonie silencieuse est organisée par les autorités le 8 mai, jour de
commémoration des victimes de la Seconde Guerre mondiale en Estonie, en présence des
membres du gouvernement et d’ambassadeurs étrangers. Le 9 mai, de nombreuses personnes
viennent rendre hommage aux soldats de l’armée Rouge tombés pendant la Grande Guerre
patriotique240. Aucun incident n’est à déplorer et la page des émeutes semble tournée.
Les événements de la fin avril 2007 ont toutefois profondément marqué la société
estonienne peu habituée à de tels actes de violence. La participation massive des jeunes
russophones dans les émeutes et la présence d’écoliers avec leurs enseignants lors des
manifestations de la journée du 27 avril ont profondément choqué la population estonienne et
provoqué des interrogations quant à l’intégration des jeunes russophones dans la société
estonienne.
Les événements autour du Soldat de Bronze, aussi ponctuels qu’ils furent, montrent
clairement une opposition entre deux lectures de l’Histoire en Estonie. Si les autorités
estoniennes défendent une lecture commune à l’Europe centrale, les populations russophones
défendent la position officielle russe. La désoviétisation de la ville estonienne fait donc
resurgir des fractures internes à la société estonienne. Comme il a été mentionné en première
partie, cet épisode a eu des conséquences majeures sur les relations bilatérales entre autorités
estoniennes et russes. Les autorités estoniennes ont dû composer avec l’influence extérieure
des autorités russes sur cette question locale. Les mesures prises pour « estoniser » Tallinn
révèlent une situation sensible aux oppositions diplomatiques russo-estoniennes.
Commémoration de l’Estonie indépendante
Les monuments soviétiques les plus gênants ont été supprimés, d’autres ont en
revanche été (ré)installés pour commémorer une autre Histoire, notamment l’Estonie de 1918-
1940. Depuis 1991, les monuments et colonnes érigés pendant l’entre-deux guerres à la
mémoire des combattants de la guerre d’indépendance (1918-1920) détruits entre 1940 et
1991 sont progressivement restaurés ou rebâtis. Les héros de la Guerre de Libération et de la
République sont de nouveau honorés : statue de l’amiral Pitka au sud de Toompea, statue des
Conscrits qui commémore les étudiants et les enseignants tombés au front pendant la guerre
1918-1920, statue aux cadets de l’école militaire morts pendant la tentative de coup d’État
239 En russe « les Nôtres », mouvement politique de jeunes russes pro-poutinien 240 Nom donné en Russie à la Seconde Guerre mondiale
146
communiste du 1er décembre 1924. Enfin, d’autres périodes sont commémorées, comme la
révolte de la Nuit de la Saint-Georges (23 avril 1343).
Un projet attire toutefois l’attention : l’installation, sur la Place de la Liberté, de la
Colonne de la Victoire de la Guerre de Libération (Vabadussõja võidusammas), monument
commémoratif de la guerre d’indépendance estonienne (1918-1920). L’installation de ce
monument, un projet initié dans les années 1930, fit longtemps parler pour des raisons
techniques, qu’il est inutile de détailler ici241, mais aussi car elle vient seulement quelques
années après les événements qui s’étaient déroulés en 2007 à moins de 400 mètres de là.
Certains y ont vu une provocation de la part du gouvernement estonien (coalition entre le
centre-droit et la droite), le même qui avait décidé du déplacement du monument aux morts.
Peu après l’inauguration du monument, plusieurs médias russes ont pointé du doigt la
proximité entre celui-ci et l’ancien emplacement du Soldat de Bronze. La chaîne de télévision
russe Pervy Kanal déclare notamment que la Colonne de la Victoire a été même installée à
l’ancien emplacement du Soldat de Bronze. Les autorités et médias russes ont surtout souligné
la présence sur le monument de l’emblème de la Légion estonienne, régiment SS composé de
volontaires et d’engagés de force pendant l’occupation nazie, qui a combattu contre l’armée
Rouge. L’utilisation de ce symbole signifiait alors une réhabilitation du fascisme par les
autorités estoniennes. Ces dernières se défendent de tout acte allant dans ce sens et rappellent
que l’emblème était, avant d’être repris, au début des années 1940, l’emblème de la Croix de
la Liberté, distinction remise aux combattants de la guerre d’indépendance.
Le débat autour du Soldat de Bronze et de la Croix de la Guerre de Libération masque
une situation beaucoup plus calme. Les monuments construits à la mémoire des soldats de
l’armée Rouge sont avant tout tombés dans l’oubli ou ont été reconvertis en monuments pour
toutes les victimes de la guerre242, comme le Mémorial de Maarjamäe.
241 La réalisation du monument par la société tchèque Sans Souci fut relativement mauvaise et le monument
fut rapidement victime d'une forte usure, notamment des fuites à travers les panneaux de verre qui
recouvrent la colonne. 242 Marek Tamm, Op. Cit., p. 112
147
Photo 5 Monument de la Guerre de Libération sur la place de la Liberté à Tallinn (03/06/2010)
Deux décennies après le recouvrement de l’indépendance de la République d’Estonie,
les premiers lieux de commémorations de cet événement apparaissent à Tallinn. Outre la
Place de l’Islande, d’autres monuments symboles rappellent la lutte des Estoniens pour leur
indépendance à la fin des années 1980. C’est surtout sur Toompea qu’on trouve les lieux de
mémoire : la Pierre du 20-Août à l’angle de la rue Toompea et de la rue Falgi, commémore les
événements de janvier 1991. La révolution dans les trois Républiques baltes prend un tournant
en janvier 1991 lorsqu’une manifestation à proximité de la tour de télévision de Vilnius est
réprimée dans le sang, faisant 14 morts. Une semaine plus tard, des événements similaires se
produisent à Riga, où six personnes sont tuées. Face à la menace, le château de Toompea,
alors siège du gouvernement et du Soviet suprême, est barricadé à l’aide de blocs de pierre et
de béton. Ces protections resteront en place jusqu’à la déclaration d’indépendance en août. Le
bloc de pierre présent sur le versant sud de Toompea symbolise cette lutte pour la liberté de
l’Estonie et pour sa défense. Chaque année, une cérémonie se déroule en présence notamment
de membres du Club du 20-Août, association à but non lucratif qui regroupe les 69 membres
du Soviet suprême de la République d’Estonie qui votèrent pour le rétablissement de
l’indépendance de l’Estonie. À proximité, une Place du 20-Août fut inaugurée en 2011 en
présence des maires de Vilnius et Riga.
148
Enfin, la politique mémorielle des années 1990 et 2000 se concentre sur la mémoire
des victimes non militaires de la Seconde Guerre mondiale et de la période soviétique. La
société estonienne se rassemble régulièrement pour commémorer les Estoniens déportés par le
pouvoir soviétique lors des grandes déportations de juin 1941 et mars 1949. C’est notamment
le cas autour de la statue de Linda, la mère de Kalevipoeg, le héros de l’épopée nationale
estonienne, à proximité de laquelle les commémorations en souvenir des déportés de mars
1949 se tiennent chaque année243. À Pääsküla, l’un des points de départ des wagons utilisés
pour la déportation des milliers d’Estoniens, ce sont les déportations de juin 1941 qui sont
commémorées. Le monument fut inauguré à l’occasion du cinquantenaire des déportations le
14 juin 1991.
D’autres structures témoignent de la volonté de faire vivre cette mémoire. Le Musée
des occupations, au sud de Toompea, remplit ce rôle. Ouvert en 2003, il retrace les deux
occupations soviétiques (1940-1941 et 1944-1991) et l’occupation allemande (1941-1944). Ce
musée traite de manière égale ces occupations en mettant sur un pied d’égalité les pouvoirs
nazi et communiste. Aux côtés des éléments historiques explicatifs, les collections du musée
exposent les aspects de la vie quotidienne pendant les 50 ans d’occupation en Estonie. Sa
construction témoigne d’une volonté de montrer aux visiteurs étrangers ce qu’était la vie sous
les différents régimes. On peut mentionner qu’il existe aussi un tel musée à Riga, en Lettonie,
le Musée de l’Occupation de Lettonie.
Parallèlement, le travail de mémoire dépasse le souvenir de la souffrance des
populations estoniennes. Une mémoire européenne est progressivement intégrée à l’espace
urbain tallinnois, notamment la mémoire de la Shoah. De manière plus globale, la mémoire
des victimes juives du second conflit mondial fait partie de la mémoire de toutes les victimes
de la guerre, mais les institutions européennes, américaines et les ONG ont poussé les
autorités estoniennes à se pencher plus spécifiquement sur la question244. Le 7 mai 2014, une
stèle à la mémoire des passagers du convoi 73 parti de France et arrivé à Tallinn en mai 1944
a été inaugurée en présence de l’ambassadeur de France. Quatre ans auparavant, une autre
stèle avait été inaugurée à proximité de l’ancienne prison de Patarei, où certains des rescapés
243 Il s’agit de la seconde vague de déportations menées par les autorités soviétiques. Elles furent organisées en
réaction à la résistance persistante dans les campagnes estoniennes. Le pouvoir chercha à couper les vivres
des résistants, les « frères de la forêt », et frappa parmi les familles de paysans. 20 700 personnes furent
ainsi arrêtées entre le 25 et le 29 mars 1949 et envoyées vers le nord de la Russie européenne et en Sibérie.
Jean-Pierre Minaudier, Op. Cit., p. 311 244 Sur cette question dans les trois États baltes, voir A. Jacob, Les États baltes, un voyage découverte, Editions
Lignes de Répères, Paris, 2009, pp. 119-130
149
du convoi ont été emprisonnés. De plus, une stèle à la mémoire des Juifs déportés par les
autorités soviétiques en 1941 a été érigée dans le cimetière de Rahumäe en 2011.
La politique de mémoire menée dans la capitale par les autorités municipales et les
autorités gouvernementales va tout d’abord dans le sens d’une rupture totale avec le passé
soviétique. Les monuments soviétiques sont supprimés et de nouveaux lieux de mémoire sont
érigés, car il faut inscrire une autre histoire dans le paysage urbain, conformément à la
nouvelle idéologie.
Certains monuments échappent toutefois à cette politique avec des tentatives de
transition en douceur, de recherche de consensus, par la reconversion des hauts lieux
mémoriels, voire d’oubli. La réussite fut différente, selon l’emplacement et l’importance de
l’objet concerné. Malgré certaines tensions qui ont rappelé la proximité de la Russie, on
observe aujourd’hui à Tallinn une ville intégralement orientée vers l’Estonie et son histoire, sa
culture. Surtout, le paysage urbain traduit la rupture faite avec la Russie sur le plan
symbolique. Les immeubles soviétiques ou des édifices comme la cathédrale Alexandre
Nevski seront toujours là pour rappeler le rôle joué par la Russie et l’URSS en Estonie, mais
d’autres éléments encore plus symboliques ont disparu.
Photo 6 "Vive le PCUS !", vestige soviétique sur un bâtiment industriel à Ülemiste (02/01/2014).
Présent sur le territoire de l’ancienne usine Dvigatel, ce slogan ne reçut l’attention des médias qu’en juin 2014 après
qu’un lecteur l’eut « découvert » !
2.1.3. Une politique municipale pro-russe
Depuis deux décennies, diverses mesures ont été adoptées pour tenter d’effacer le
passé soviétique et affirmer l’identité estonienne dans le paysage urbain. Mais cela n’empêche
pas la population russophone, héritage de la période soviétique, d’être choyée par les autorités
locales dirigées par Edgar Savisaar. Ceci crée ainsi une situation locale duale où les identités
150
ethnoculturelles sont mises en opposition et rappellent qu’un tel héritage ne peut être oublié et
peut être tout autant utilisé à des fins politiques que l’identité estonienne.
Cette situation est d’autant plus intéressante à Tallinn. Contrairement aux autres villes ou
régions du pays, la capitale présente une situation démographique particulière : ni la
communauté estonienne (52%) ni la communauté russophone (38%) ne domine. Si les villes
du Virumaa occidental sont totalement russophones et que le reste de l’Estonie est en grande
majorité estonienne, Tallinn est clairement binationale (avec certes de fortes disparités selon
les quartiers). Cette situation peut être source de tensions, mais elle peut aussi constituer une
opportunité de favoriser les contacts entre communautés nationales et de permettre la
naissance d’une bonne intégration des minorités au sein de la société estonienne.
Carte 28 Répartition géographique des Russes (ethniques) à Tallinn (2008)
Les troubles qui ont touché Tallinn en avril 2007 ont été, outre un choc pour la société
estonienne alors que les tensions des années 1990 s’estompaient245, un tournant politique
majeur en Estonie. Quelques mois auparavant, le Parti du Centre faisait partie de la majorité
gouvernementale du Premier ministre Andrus Ansip. Après les élections législatives de mars,
le Parti de la Réforme se tourne cette fois vers le parti de droite IRL, replaçant le Parti du
245 Eva Toulouze, « Tribune : dans les coulisses des troubles de Tallinn », Regard sur l’Est, 1er juin 2007
151
Centre dans l’opposition. Ce changement entraîna le retour d’Edgar Savisaar, président du
Parti du Centre, à la mairie de Tallinn, d’où il put diriger l’opposition tout en étant à un poste
à responsabilités. Lorsque les russophones contestèrent la décision gouvernementale de
déplacer le Soldat de bronze, Edgar Savisaar se rangea à leurs côtés, contre le gouvernement.
À partir de là, les russophones virent le maire de Tallinn comme leur défenseur sur la scène
politique estonienne et tournèrent le dos au Parti de la Réforme qui jouissait jusque-là d’un
soutien relatif (environ 20%) auprès des russophones. Le Parti du Centre, qui avait réussi à
fidéliser les russophones grâce à sa politique « russe »246, devint le parti des russophones. Si la
formation politique n’a pas modifié cette politique dans son programme global247, le maire de
Tallinn n’hésite plus désormais à utiliser tous les moyens de séduction pour maintenir
l’électorat russophone autour de lui, au risque de d’accroître une opposition Estoniens-
russophones dans la capitale et en Estonie.
Figure 14 Résultats électoraux d'Edgar Savisaar à Lasnamäe
EM : élections municipales, EL : élections législatives. Le plus grand nombre de suffrages lors des élections
municipales s’explique par un corps électoral plus large avec la participation des apatrides. En 1999, E. Savisaar fut
candidat aux élections législatives dans une autre circonscription. Source : Commission électorale d’Estonie
246 Contrairement aux autres partis, « le Parti du Centre a une politique russe en ce qui concerne les questions
principales [des russophones] ou la collaboration avec les forces politiques de Russie, ceci a plu à l’électeur
russophone. » Rein Toomla, Eesti erakonnad 2000-2010, Tartu Ülikooli Kirjastus, 2011, p. 202 247 Ibid.
0
10000
20000
30000
40000
50000
60000
70000
EM96 EL99 EM99 EM02 EL03 EM05 EL07 EM09 EL11 EM13 EL15
Résultats électoraux d'Edgar Savisaar à Lasnamäe
E. Savisaar Autres candidats Parti du Centre Autres candidats
152
Carte 29 Résultats du Parti du Centre aux élections municipales de 2009 à Tallinn
Tallinn, micro-État d’Edgar Savisaar
Fort d’une majorité absolue depuis 2007 depuis son arrivée au pouvoir248, le président
du Parti du Centre a construit un État dans l’État. Contrôlant la totalité des institutions
municipales, ne laissant aucune place à l’opposition, le maire de Tallinn utilise toutes les
ressources de la ville pour garantir ses réélections successives et se pose en unique décideur.
Les fidèles sont placés aux postes-clé et les élus au conseil municipal votent d’un seul homme
les décisions de l’exécutif local.
On observe progressivement une fusion entre sa formation politique et les institutions
municipales. Les postes publics sont généreusement confiés à des membres du parti. Les
postes au sein de la municipalité sont utilisés pour récompenser les partisans les plus fervents
et toute personne qui n’est pas membre du parti n’a pas réellement de possibilité d’atteindre
des postes très élevés. Les conseils d’administration des entreprises municipales sont dominés
248 Le Parti du Centre possède la majorité absolue au Conseil municipal depuis les élections de 2005. Edgar
Savisaar préfère toutefois rester au gouvernement où il occupe le poste de ministre de l’économie. Le poste
de maire est confié à Jüri Ratas.
153
par des lieutenants d’Edgar Savisaar249. Par exemple, le maire de Tallinn (par ailleurs
président de la Fédération estonienne de patinage) nomma la patineuse Elena Glebova,
membre du Parti du Centre depuis 2013, directrice de la nouvelle patinoire de Lasnamäe en
juillet 2014, un an après l’arrêt de sa carrière sportive.
Les moyens financiers municipaux sont allégrement utilisés pour mener campagne avant
chaque scrutin. S’ils ne sont pas les seuls à avoir été critiqués par la Commission
parlementaire de surveillance du financement des partis politiques (ERJK)250, les élus du Parti
du Centre se distinguent régulièrement à chaque veille d’élection en faisant la publicité de
leurs actions passées ou de leurs promesses via l’affichage public municipal.
Un audit de la cour des comptes estonienne révèle par exemple que les dépenses en annonces
de Tallinn connaissent une forte augmentation avant les scrutins : si le budget consacré à
l’annonce des réalisations municipales atteignait 70 000 euros entre août et octobre 2012, il
fut de 260 000 euros au cours de la même période en 2013, juste avant les élections locales.
105 600 € ont par exemple été dépensés en clips vidéo diffusés à la télévision pour annoncer
la rénovation de jardins d’enfants et d’espaces de jeu. « Selon la cour des comptes, ces
annonces ne relevaient pas d’un besoin d’action dans l’intérêt public, mais étaient effectuées
avec une arrière-pensée politique.251 »
Les médias municipaux, les deux journaux gratuits Pealinn et Stolitsa (« Capitale » en
estonien et en russe)252 et la chaîne de télévision Tallinna TV sont à la solde de l’exécutif et
ressemblent de plus en plus à Kesknädal, le bulletin du Parti du Centre. L’action d’Edgar
Savisaar y est constamment louée et le gouvernement inévitablement critiqué. L’utilisation
des médias municipaux par le Parti du Centre est un thème récurrent de la vie municipale de
Tallinn. La publication du programme électoral du parti dans Pealinn avant les élections de
249 Précisons ici que ce système n’est pas le fait du Parti du Centre. Le Parti de la Réforme qui siège au
gouvernement sans discontinuer depuis 1999 a lui aussi placé ses fidèles dans les conseils d’administration
des entreprises publiques. Un scandale de corruption au sein de l’entreprise Port de Tallinn en 2015
pourrait entraîner un changement dans les pratiques et une dépolitisation des conseils administratifs. 250 Après les élections municipales de 2013, le maire de Tartu Urmas Kruuse dut rembourser à la ville les frais
d’une campagne publicitaire annonçant le triathlon de sa ville car les affiches le mettaient clairement en
avant à quelques semaines du scrutin municipal. 251 Rapport de la Cour des comptes estonienne au Riigikogu « Reklaami- ja kommunikatsiooniraha kasutamine
valdades ja linnades? Kas omavalitsuste raha on kasutatud poliitikute ja erakondade reklaamimiseks? », 13
janvier 2015, p. 2 252 Financés par le budget municipal, ces médias sont toutefois liés au Parti du Centre puisque la formation
politique d’Edgar Savisaar a déposé les noms « Pealinn » et « Stolitsa » auprès du service estonien de la
propriété intellectuelle !
154
2009 avait déjà provoqué un débat autour de l’utilisation de l’argent public par l’équipe
d’Edgar Savisaar253.
Edgar Savisaar ne s’arrête pas là dans sa volonté d’occuper l’espace médiatique et un
certain culte de la personnalité est organisé. Le maire de Tallinn se présente en artiste. En
2013, il composa une chanson (Kaunis maa – Beau pays), il publia un livre de Noël en 2014.
Ces petits événements sans intérêt politique ont néanmoins leur effet sur son électorat. Cette
activité offre des occasions supplémentaires au maire de rencontrer ses fidèles254.
La politique conduite par Edgar Savisaar est clairement clientéliste et chaque nouvelle
action s’ajoute à une longue liste d’actes loin d’être vides d’arrière-pensée électoraliste. Si
Savisaar avait connu ses premiers succès politiques par sa défense de l’Estonie contre le
pouvoir central soviétique en tant que leader du Front populaire et Premier ministre (1990-
1992), il opta par la suite, alors que la thématique patriotique était réservée à Isamaa, pour la
défense des plus défavorisés socialement, les personnes âgées et les retraités255. Cela se traduit
par des actions régulières à leur attention. À quelques semaines des élections municipales de
2009, le maire de Tallinn entreprit de distribuer du bois de chauffage et des pommes de terre
gratuitement à la population dans le besoin. Louable, cette action ne fut malheureusement pas
répétée.
À Lasnamäe, la municipalité décida d’ouvrir un magasin municipal à bas coût (Linna
pood ou LiPo). Il fut inauguré en présence du maire au printemps 2014. Quelques mois
auparavant, peu avant les élections municipales, Edgar Savisaar était venu vendre en personne
les produits agricoles de sa maison de campagne. Ce type d’actions illustre clairement la
stratégie électorale de Savisaar où la mise en scène vaut mieux que n’importe quel discours.
Force est de constater que cette manière de faire plaît aux personnes âgées toujours fidèles au
maire de Tallinn.
Ce qui singularise la gestion politique de Tallinn par l’équipe de Savisaar est une
situation de campagne électorale permanente. Toutes les occasions sont bonnes pour renforcer
le lien qui unit l’exécutif, en premier lieu le maire, et son électorat. L’achèvement de tout
projet mérite une cérémonie et le déplacement d’élus pour souligner la bonne action
253 Urmas Seaver, « Tallinn postitas inimestele Keskerakonna manifestiga Pealinna », tallinn.postimees.ee, 16
octobre 2009 254 Les problèmes de santé d’Edgar Savisaar depuis son amputation en 2015 ajoutent une dramaturgie aux
rencontres. Le Parti du Centre organisa par exemple une visite des fidèles de Savisaar lors de sa
convalescence à l’automne 2015. Des bus furent affrétés pour rejoindre la maison de leur président dans le
Virumaa occidental. 255 L’électorat du Parti du Centre se caractérise par une moyenne d’âge supérieure : entre 35% et 40% des
partisans ont plus de 61 ans et 30% ont plus de 46 ans. Pour plus de détails, voir Rein Toomla, Op. Cit., pp.
187-196
155
municipale, les plus grandes réalisations ayant l’honneur de la venue du maire en personne.
Qu’il s’agisse d’une portion de rue, d’un espace de jeu pour enfants, d’un parc pour animaux
domestiques, l’ouverture au public ne peut se faire qu’une fois le coup de ciseau du maire
donné. Une certaine frénésie « inaugurative » prend la ville de Tallinn dans les semaines qui
précédent les élections diverses.
Certaines situations absurdes apparaissent de temps en temps avec des projets urbains prêts
mais inaccessibles au public faute d’inauguration par Edgar Savisaar (par exemple l’espace de
jeux dans le quartier Katleri à Lasnamäe en août 2015256) ou d’autres dont l’inauguration
intervient plusieurs semaines après la mise à disposition du projet (cas de la rue Soo à Põhja-
Tallinn en septembre 2013).
Photo 7 Edgar Savisaar lors de l'inauguration de la rue Punane rénovée à Lasnamäe (29 août 2014)
Edgar Savisaar (centre), accompagné de son adjoint Kalle Klandorf, de la maire de district de Lasnamäe Olga
Ivanova et d’un groupe de danse traditionnelle. Photo : Tallinn City, 29/08/2014
Photo 8 Edgar Savisaar lors de l'inauguration du Magasin municipal à Lasnamäe (21 mai 2014)
Photo : tallinn.ee, 21/05/2014
Face à la récupération politique de tout projet par Edgar Savisaar, ses opposants
renoncent parfois à se déplacer. Projet financé par la ville de Tallinn et l’État estonien, la fin
de la modernisation du carrefour d’Ülemiste fut célébrée en grande pompe par le maire de
Tallinn en pleine campagne électorale pour les municipales de 2013 sans qu’aucun membre
du gouvernement ne se déplace.
256 L’inauguration de cet espace de jeu ne peut se faire tant qu’Edgar Savisaar était en congé maladie à la suite
de son amputation de la jambe en mai 2015. S’il ne s’est pas déplacé pour le traditionnel coup de ciseaux,
le maire de Tallinn s’adressa tout de même aux personnes présentes par message enregistré.
156
L’attention de Savisaar pour les russophones
L’électorat russophone visé par Savisaar est pleinement intégré aux stratégies
précédemment évoquées. Le chômage et la pauvreté touchent plus les non-Estoniens que les
Estoniens (au sens ethnique), les apatrides et les citoyens d’autres États (majoritairement des
ressortissants de la Fédération de Russie) que les citoyens estoniens.
Figure 15 Évolution du taux de chômage des Estoniens et des non-Estoniens (1997-2014)
Figure 16 Évolution de la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté relative selon la nationalité (2004-
2011)257
Figure 17 Évolution de la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté relative selon la citoyenneté (2004-
2011)
257 Le seuil de pauvreté relative est fixé à 60% du revenu annuel médiant.
0
5
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20
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Estoniens non-Estoniens
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2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
Estoniens non-Estoniens
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2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
Citoyens estoniens Citoyens d'autres Etats Apatrides
157
Mais en parallèle, le Parti du Centre a adopté certaines mesures plus spécifiques.
Progressivement, le parti a mis en avant un certain nombre de personnes issue de la
communauté russophone. Certaines sont devenues en quelques années des figures centrales du
parti et occupent désormais des postes à responsabilité à Tallinn. Par exemple, Olga Ivanova,
employée de la chancellerie de la municipalité entre 2006 et 2010, a gravi les échelons en
quelques années seulement devenant tour à tour adjointe au maire de district à Põhja-Tallinn
(début 2010), puis maire de district de Lasnamäe (fin 2010) et enfin députée en 2015. La
journaliste Yana Toom est devenue en 2014 la première Estonienne russophone élue au
Parlement européen, après avoir été employée par la mairie de Tallinn (2008-2010), maire-
adjointe (2010-2011) puis députée (2011-2014). Il serait inutile de faire la liste des
russophones qui gravitent autour d’Edgar Savisaar mais force est de constater que le maire de
Tallinn a fait un choix clair de promotion des non-Estoniens en politique, que ce soit sur le
plan local ou national.
Cette manœuvre politique est clairement louable face à l’attitude des autres partis dont
les listes sont restées jusqu’à récemment relativement fermées aux russophones. Elle n’est
toutefois pas innocente de la part d’Edgar Savisaar : la promotion de russophones en politique
est une garantie pour attirer le vote des russophones lors des différents scrutins. Leur absence
en revanche réduit considérablement l’attractivité des partis politiques258.
Les autres partis politiques estoniens tentent depuis quelques années d’adopter la
même tactique en intégrant des russophones qui défendraient leur point de vue, mais la tâche
est complexe tant la position des partis vis-à-vis des russophones est tranchée : pas d’inflexion
de la politique de citoyenneté, pas de remise en cause de la réforme des lycées (voir ci-
après)… Difficile dans ce cas de convaincre les russophones qui votent pour les partis qui leur
sont favorables.
Il est toutefois trop tôt pour évaluer l’impact de la présence de russophones sur les
listes de concurrents d’Edgar Savisaar. Le Parti de la Réforme compte maintenant dans ses
rangs Deniss Boroditš, ancien protégé de Savisaar, qui quitta le Parti du Centre en 2012.
Depuis 2015, le parti de droite IRL est par exemple représenté au Riigikogu par l’ancienne
journaliste Viktoria Ladõnskaja.
L’homme politique issu d’une famille russophone à suivre reste surtout Jevgeni
Ossinovski, qui, à 29 ans, préside le Parti social-démocrate. Élu député en 2011 dans le
Virumaa oriental, il devint ministre de l’éducation et de la recherche en mars 2014 au sein du
258 Rein Toomla cité in Martin Šmutov, « Toomla: parteide populaarsus on venekeelse valija silmis peaaegu
olematu », Postimees.ee, 11 mars 2011
158
gouvernement Rõivas, poste qu’il occupa jusqu’aux élections de mars 2015. En juin 2015, il
fut élu président du PSD et il intégra le gouvernement Rõivas II en septembre 2015 au poste
de ministre de la santé. Prêt à remettre en cause la politique menée par les gouvernements
successifs à l’égard des russophones, Ossinovski ne se pose néanmoins pas en représentant
des seuls russophones et prône avant tout une meilleure cohabitation des Estoniens et des
russophones, une troisième voie face à la politique du Parti du Centre et les positions plus
patriotiques des partis de droite. Le PSD vise avant tout à attirer l’électorat qui n’adhère pas
aux méthodes de Savisaar et qui ne se reconnaissent pas dans les positions du Parti de la
Réforme ou d’IRL259.
Malgré l’émergence de ces personnalités, de premier plan ou non, le lien entre
Savisaar et l’électorat russophone reste une donnée centrale de la vie politique estonienne.
Depuis 2007, Edgar Savisaar a multiplié les prises de position contre la politique
gouvernementale et s’est concentré de plus en plus sur l’électorat russophone de Tallinn. Il a
notamment visé les différentes lois contraignantes pour les russophones d’Estonie,
principalement celles relatives à la citoyenneté (la maîtrise de l’estonien est une condition
pour acquérir un passeport estonien) et à l’usage du russe en Estonie.
À Tallinn, le Parti du Centre lutte particulièrement contre la réforme linguistique
lancée dans les lycées russophones en 2007. Entre 2007 et 2011, le nombre de matières
enseignées en estonien a augmenté progressivement pour atteindre 60% de l’éducation. En
théorie, tout lycéen diplômé à partir de 2011 a suivi une formation de lycée à 60% en
estonien. De son côté, la municipalité tallinnoise a demandé des dérogations pour certains
lycées russophones, mais toutes les demandes des lycées russophones ont été rejetées. Le Parti
du Centre rejette une réforme mal préparée (le personnel enseignant parle mal l’estonien) qui
risque de diminuer le niveau scolaire des élèves russophones260. Des tentatives de création
d’écoles privées russophones ont été lancées, mais toutes ont été rejetées par le chancelier du
droit. Néanmoins, on note une volonté claire d’aller dans le sens des russophones opposés à la
réforme.
La municipalité est également active sur le plan culturel. Les concerts organisés pour
l’anniversaire du district de Lasnamäe laissent une large place à des chanteurs ou à des
groupes venus de Russie. Ceci n’est pas étonnant compte tenu de la part des Russes dans la
259 Urmo Soonvald, « Ossinovski: mõistmatuid Keskerakonna valijaid me endale ei ihka », Delfi.ee, 11
décembre 2011 260 Vincent Dautancourt, « Tensions autour de la réforme linguistique dans les lycées russophones d’Estonie »,
29 avril 2011, Groupement pour les droits des minorités,
http://gdm.eurominority.org/www/gdm/actualites2.asp?id_gdmnews=102
159
population du district. Mais les membres du Parti du Centre ne sont jamais très loin pour
rappeler que l’animation de la vie locale n’est autrement due qu’à Edgar Savisaar. L’exécutif
municipal joue également sur les symboles. Alors que les couleurs officielles de Tallinn sont
le bleu et le blanc issus du grand blason de la ville, il est désormais devenu banal d’assister à
la distribution de ballons de baudruche d’une couleur verte qui ressemble étrangement au vert
du Parti du Centre. Il est difficile de n’y voir qu’une coïncidence, le blason de Lasnamäe étant
lui aussi blanc et bleu. Lors de la dernière fête de Lasnamäe en septembre 2015, le public
portait fièrement de nombreux ballons verts, non plus avec le logo de Tallinn, mais tout
simplement le visage d’Edgar Savisaar.
Les processus d’aménagement urbain n’échappent pas non plus à cette volonté de
l’exécutif de vouloir séduire en permanence l’électorat russophone. La construction d’une
église orthodoxe à Lasnamäe par le patriarcat de Moscou a été largement exploitée
politiquement par le maire de Tallinn. Lancé en 2005, le projet fut achevé huit ans plus tard.
On observe au cours des dernières étapes du chantier une utilisation du monument à des fins
politiques à Tallinn. L’avancement des travaux a étonnamment coïncidé avec plusieurs
échéances électorales. Deux rassemblements illustrent particulièrement ce fait. L’installation
de la croix de l’église a eu lieu le 19 février 2011, quelques semaines avant les législatives du
6 mars 2011. Deux ans plus tard, les élections municipales du 20 octobre 2013 ont, elles, été
précédées de l’ouverture du clocher (5 mai 2013) et de l’inauguration même de l’église (28
septembre 2013). Le projet a d’autant fait parler que la municipalité de Tallinn a sollicité le
concours d’organisations russes de premier plan, notamment le Fond Saint-André dirigé par
Vladimir Iakounine, le président des chemins de fer russes entre 2005 et 2015261.
Cet ensemble d’éléments, qui peuvent parfois paraître insignifiants, constitue une
situation bien particulière à Tallinn où se développe un certain sentiment d’exaspération. La
campagne des élections municipales de 2013 a illustré cette volonté de changement avec des
appels à la « libération de Tallinn » du pouvoir d’Edgar Savisaar. Cette contestation de la
majorité vise particulièrement le style de gouvernance de l’exécutif local. Inévitablement,
l’intérêt particulier de Savisaar pour les russophones fait partie des méthodes critiquées : tout
d’abord parce que la municipalité ne cache pas ses choix d’agir clairement en faveur d’un
groupe plutôt que pour l’ensemble des Tallinnois, ensuite parce qu’il s’agit de l’électorat
261 C’est de cette demande qu’a éclaté le scandale dit de « l’argent oriental » (idarahaskandaal). Les services
estoniens ont soupçonné Edgar Savisaar d’avoir également demandé un soutien financier direct pour sa
campagne électorale.
160
russophone, qui reste, malgré les efforts d’intégration, stigmatisé en tant qu’héritage de
l’occupation soviétique.
La mise en place du système Savisaar à Tallinn a des conséquences au-delà de la
capitale. Sur la scène politique estonienne, ceci exclut le Parti du Centre de toute coalition
gouvernementale au Riigikogu puisque les autres partis refusent de collaborer avec Edgar
Savisaar. Ce dernier joue de la situation en usant de plus en plus des méthodes clientélistes.
La politique menée par le maire de Tallinn a des effets pour sa propre formation. Les
succès électoraux sont de plus en plus limités à la capitale estonienne. Certaines sections
régionales du parti rejettent désormais ce clientélisme exacerbé à l’égard des russophones, qui
joue contre le parti au sein de l’électorat estonien ailleurs en Estonie. Le Parti du Centre est
régulièrement touché par des vagues de départ, mais sans réelle conséquence pour le maire de
Tallinn. Les partants sont immédiatement remplacés par de nouvelles personnes que Savisaar
promeut auprès de lui, entraînant par conséquent une concentration spatiale du parti sur la
capitale.
161
2.2. Tallinn et la révolution numérique
Cette influence des identités nationales à Tallinn n’empêche toutefois pas d’autres
évolutions. Depuis les années 1990, les autorités estoniennes misent sur le secteur des
nouvelles technologies et de l’information. Face à l’absence d’atouts naturels suffisants
(ressources naturelles), un pari est tenté en faisant des avancées technologiques liées à la
révolution Internet en cours le fer de lance de l’économie estonienne. Ce choix n’était
toutefois pas totalement anodin. En effet, l’Estonie soviétique avait connu une certaine
spécialisation scientifique dans le domaine de l’informatique à partir des années 1960 : c’est à
Tallinn que fut créé le premier Institut de Cybernétique d’URSS (1er septembre 1960). Placé
sous l’égide de l’Académie des Sciences d’Estonie, cet institut permit la formation de
spécialistes de la programmation informatique et de jeter les bases d’une expertise future en la
matière. S’appuyant sur cette première expérience, l’Estonie fait désormais, deux décennies
plus tard figure de leader dans le développement et l’application de services numériques et a
acquis le surnom d’e-Stonie. Ce succès tient une place essentielle dans l’image internationale
du pays et les autorités utilisent toutes les occasions pour le rappeler.
Les premières mesures législatives sont prises dans les années 1994-1996 avec
l’adoption de textes fondateurs dans la protection des données personnelles et l’instauration
de programmes éducatifs destinés à former les nouvelles générations d’Estoniens à
l’informatique (programme Saut du Tigre en 1996).
Moins d’une décennie après l’indépendance du pays, les premières applications
pratiques de l’orientation numérique de l’Estonie voient le jour. Après l’apparition de la
première banque en ligne (1996), plusieurs services, aujourd’hui banals, sont introduits au
début de la décennie 2000 : la déclaration fiscale en ligne, le paiement du stationnement par
téléphone mobile, la carte d’identité à puce… Cette dernière innovation devient par la suite la
clé d’accès principale à tous les services créés par l’administration publique.
Dans le même temps, l’administration publique s’organise autour de l’X-Road, une
colonne vertébrale virtuelle qui relie l’ensemble des services publics aux différentes bases de
données. À partir de là, de nombreux registres se numérisent : le registre de la population
(2001), le registre des immatriculations (2003)… Les Estoniens peuvent désormais gérer leurs
affaires privées et professionnelles depuis n’importe quel ordinateur et le nombre de services
disponibles croît constamment. Parmi les avancées mises en avant, la possibilité de voter par
Internet lors des différentes élections est certainement la plus connue dans le monde. Depuis
les élections locales de 2005, les électeurs estoniens peuvent remplir leur devoir de citoyen
depuis tout ordinateur, où qu’ils soient.
162
Dans le secteur privé, les entreprises jouissent également d’une simplification des
démarches. Les documents de promotion du système estonien mettent inévitablement en avant
la rapidité – quelques dizaines de minutes – avec laquelle une entreprise peut être créée grâce
à la carte d’idenité à puce depuis n’importe quel outil informatique connecté à Internet.
Cette politique d’optimisation menée par les autorités de l’État n’a pu se faire qu’en
collaboration avec des entreprises du secteur privé qui ont créé les différents outils. Ce
partenariat a jeté les bases du développement du secteur des nouvelles technologies en
Estonie. Sous l’impulsion étatique, le secteur privé a été poussé à trouver toujours plus de
solutions pour simplifier la vie de l’État et des Estoniens. Parallèlement au développement
constant de la numérisation des services publics, qui semble sans limites262, les entreprises ont
commencé à innover indépendamment ce qui s’observe aujourd’hui par la multiplication des
start-ups dans le pays et certaines atteignent une renommée mondiale. La réussite la plus
célèbre est sans conteste Skype, le logiciel de téléphonie via Internet développé à partir de
2003 par les Estoniens Ahti Heinla, Priit Kasesalu et Jaan Tallinn au sein de la société
éponyme fondée en Estonie par le Suédois Niklas Zennström et le Danois Janus Friis. Les
trois programmeurs de Skype étaient déjà à l’origine du logiciel de partage de fichiers KaZaA
créé en 2001. Plus récemment, le nouveau de l’expertise estonienne est TransferWise, un
service en ligne de virements bancaires créé en 2011 par Taavet Hinrikus, le premier employé
de Skype et Kristo Käärmann.
Les nouvelles technologies ont envahi la vie des Estoniens, mais comment ceci se
reflète-t-il dans le paysage urbain ? Certains signes indiquent clairement la présence des
nouvelles technologies en milieu urbain, Internet est partout. L’existence de services
électroniques est visible par la présence d’un certain nombre de panneaux de signalisation
dans les rues, qu’il s’agisse d’indiquer un point de connexion Wifi ou d’expliquer comment
payer son stationnement via son téléphone mobile. Un Estonien au milieu d’un parc urbain
avec un ordinateur portable, surfant sur Internet est une image courante dans la ville
estonienne actuelle et de l’Estonie en général. Mais plus globalement, Tallinn illustre-t-elle la
révolution technologique opérée en Estonie depuis 1991 et offre-t-elle aux visiteurs des signes
de modernité qui permettraient d’offrir à la ville d’autres atouts urbains que la Vieille Ville ?
262 Devant la dématérialisation de plus en plus poussée de l’admistration publique, certains sont allés jusqu’à
proposer un éparpillement des serveurs à l’étranger, de quoi garantir le fonctionnement de l’État, y compris
en cas de guerre et d’occupation.
163
2.2.1. Les grandes évolutions urbaines depuis 1991
Pour comprendre l’intégration de l’économie numérique à Tallinn, il faut tout d’abord
présenter l’évolution générale de l’espace urbain depuis 1991. L’observation des
transformations urbaines de Tallinn révèle l’adoption de modèles et de comportements
présents en Europe occidentale liés au développement général de l’économie du marché et du
secteur des services. Le Tallinn post-soviétique se caractérise avant tout par une architecture
en hauteur là où la pression foncière se fait la plus forte et un étalement des espaces
résidentiels et commerciaux en banlieue.
Lorsqu’on arrive à Tallinn, le regard est immédiatement attiré par les tours de la
Vieille Ville et les hautes tours modernes des quartiers voisins de Maakri et Kompassi, qui
dominent le reste de la ville. Ces dernières constituent le premier symbole des transformations
urbaines dans la capitale estonienne après la chute de l’URSS et de l’implantation de
l’économie des services263. Sièges sociaux de banques ou hôtels de standing264, ces tours
illustrent le passage à l’économie de marché avec la constitution d’un CBD similaire à ceux
que l’on peut trouver dans les villes européennes ou américaines. Contraintes par le manque
d’espace disponible à proximité de la Vieille Ville et à la recherche du meilleur profit, les
entreprises ont bâti en hauteur, affichant par la même occasion leur réussite économique. La
ligne d’horizon tallinnoise, jusque-là caractérisée par les seules tours médiévales de la Vieille
Ville, s’en est trouvée bouleversée avec l’apparition de bâtiments concurrents, à quelques
centaines de mètres.
Tableau 4 Les gratte-ciels du CBD de Tallinn
(en italique : en projet ; en gris : immeuble soviétique)
Année Tour Hauteur (m) Nb d’étages
2007 Swissôtel Tallinn 117 30
2006 Tornimäe 116,98 30
2016 Maakri tn 19/21 110 30
2001 Radisson Blu Hotel 104,8 25
1999 Banque SEB 94,5 24
1980 Radisson Blu Olümpia 84 26
2004 City Plaza 78 23
1972 Hôtel Viru 74 23
2003 Maakri 71,5 20
2009 Banque Nordea 54,2 14
2000 Postimehe maja 52 14
263 Hormis la construction de deux hôtels avant les JO de 1980, les tours élevées étaient localisées dans les
grands ensembles, à plusieurs kilomètres du centre-ville. De plus, et contrairement à d’autres capitales de
pays dominés par un régime soviétique ou communiste, Tallinn n’a pas de haute tour de style stalinien
comme on en observe à Moscou, à Riga, à Varsovie, à Prague et à Shanghai. 264 Maakri et Kompassi accueillent les banques SEB (ex-Ühispank), Nordea et LHV, deux hôtels (Radisson
Blu et Swiss Hotel), deux immeubles résidentiels (Maakri Maja et Tornimäe), mais aussi le siège du journal
Postimees.
164
Photo 9 Les gratte-ciels tallinnois (vue depuis Linnahall, 07/2011)
Le second élément qui caractérise l’espace urbain post-soviétique, c’est la construction
massive de quartiers résidentiels (maisons individuelles et petits immeubles), de surfaces
commerciales et de bureaux. Après avoir été logés dans des banlieues d’immeubles
standardisés pendant la période, une partie des Tallinnois a vite aspiré à vivre dans des
logements individuels neufs construits dans les quartiers périphériques de la ville.
Parallèlement, un mode de vie consumériste est devenu la norme avec la construction de plus
en plus de surfaces commerciales dans les différents quartiers de la capitale estonienne. Les
deux décennies qui ont suivi la chute de l’URSS se caractérisent par l’implantation de grands
centres commerciaux le long des axes principaux de Tallinn. La tendance semble sans fin
puisque de nouveaux projets sont constamment annoncés.
Cet étalement urbain fut possible à Tallinn même, car la capitale estonienne,
contrairement à d’autres villes, européennes notamment, bénéficie d’un vaste territoire de
158 km²265 pour une population de « seulement » 420 000 habitants266. La densité de
population moyenne de 2 600 hab./km²267 cache toutefois de larges disparités entre quartiers
avec une densité pouvant atteindre 6 000 hab./km² (quartiers résidentiels de Lasnamäe, de
Mustamäe et Õismäe) et d’autres avec une densité inférieure à 500 hab./km² (Pirita, ouest
d’Haabersti). Ce territoire offre alors le potentiel spatial nécessaire pour bâtir les nouvelles
structures urbaines. Contrairement aux grandes villes européennes occidentales qui se
265 En France, une ville comme Nîmes présente une superficie similaire (161 km²). Paris s’étend sur 105 km²,
Lyon 47,8 km², Marseille 240,6 km². 266 La population tallinnoise place la capitale estonienne au niveau d’une ville française comme Toulouse
(447 340 habitants en 2011). En Europe, Bratislava (Slovaquie) ou Szczecin (Pologne) ont une population
semblable. 267 En France, une ville comme La Rochelle présente la même densité de population
165
caractérisent par un manque d’espaces non bâtis, Tallinn dispose sur son territoire municipal
de vastes friches en attente de développement. En effet, les limites administratives de la
capitale vont au-delà de l’espace bâti et le développement des quartiers soviétiques sur les
espaces vierges (Mustamäe, Väike-Õismäe) et l’inachèvement des grands ensembles de
Lasnamäe ont laissé de nombreux interstices qui offrent un potentiel de densification sur le
territoire même de la capitale.
Photo 10 Friche dans le quartier de Loopealse (Lasnamäe), vue sur celui de Laagna (26/07/2011)
Photo 11 Zone d'activité Tähesaju dans le quartier de Tondiraba (31/08/2011)
C’est par exemple le cas à Lasnamäe dans le quartier de Tondiraba. Situé entre les
deux quartiers résidentiels datant de l’époque soviétique de Mustakivi et de Laagna,
Tondiraba est resté à l’écart du développement de Lasnamäe, hormis le passage de la route de
Laagna, qui scinde le quartier en deux. Tondiraba connaît une croissance urbaine depuis les
années 2000, à commencer par l’ouverture de centres commerciaux, Lasnamäe Centrum
166
(2003) et Tähesaju City (2008, 2010). L’implantation d’entreprises et le projet Tallink City
font rapidement disparaître les étendues naturelles du plateau de Lasnamäe, mais permettent
aussi d’assurer une continuité urbaine jusqu’aux grands ensembles les plus éloignés
(Mustakivi, Priisle, Seli, Kuristiku). Ce processus se retrouve aussi dans le district d’Haabersti
avec l’ensemble bâti le long de l’avenue de Paldiski où ont été construits, entre autres, le vaste
centre Rocca al Mare et la salle de concert Saku.
Outre le développement d’espaces à fonctions économiques et commerciales, le
potentiel spatial de Tallinn a été utilisé pour le développement de lotissements résidentiels,
principalement à Pirita et Haabersti. Tallinn connaît un véritable processus de suburbanisation
dès lors que le marché immobilier est libéralisé. Lotissements et gated-communities (Pirita,
Tiskre) voient le jour pour accueillir les populations lassées de l’habitat collectif soviétique et
désireuses d’afficher leur réussite économique.
Le district d’Haabersti est le principal exemple de cette évolution. Très peu urbanisé
jusqu’à 1991, hormis le grand ensemble de Väike-Õismäe, le district (quartiers de Tiskre,
Vismeistri, Kakumäe, Pikaliiva) connaît par la suite une forte croissance immobilière. Les
images satellites (photo 8) témoignent de ce phénomène, avec les quartiers plus anciens qui
sont englobés par l’extension urbaine. En 2002, on observe clairement l’extrémité S.-E.
d’Õismäe qui est déjà occupée par un habitat résidentiel. Kakumäe accueille aussi des espaces
résidentiels. En revanche, Tiskre, Vismeistri et Pikaliiva sont encore largement dépourvus
d’habitations, tout comme le reste du quartier d’Õismäe. Les images de 2002 indiquent
l’urbanisation en cours à Tiskre, sur le littoral d’Õismäe et à Vismeistri. En 2008, Tiskre,
Vismeistri sont totalement urbanisés, le littoral d’Õismäe est bâti sur la bande délimitée par la
route Vabaõhumuuseumi et le quartier de Pikaliiva voit s’achever les premiers lotissements.
Photo 12 Quartier de Padriku (Pirita) (22/07/2011)
167
Photo 13 Etalement urbain sur la presqu'île de Kakumäe entre 2002 et 2011
(Images satellite Google Earth)
2.2.2. Le développement de l’économie du numérique
Quelle place pour l’économie du numérique dans ce contexte général ? Comment
l’espace urbain tallinnois témoigne-t-il de la révolution opérée depuis deux décennies et
comment cela peut-il avoir un impact sur l’image internationale de Tallinn ? C’est vers
certains quartiers éloignés du centre qu’il faut se tourner pour observer la naissance de l’e-
Stonie, principalement deux pôles, l’université technique (quartier de Mustamäe) et l’ancien
pôle industriel Dvigatel à Ülemiste (Lasnamäe). Composé essentiellement de start-ups, la
168
branche du numérique ne bénéficie pas de fonds massifs pour s’installer en centre-ville et joue
plutôt la carte du regroupement en pôle en banlieue. Face au manque d’espaces libres au cœur
de la ville, les structures se tournent vers les quartiers périphériques ignorés dans un premier
temps après la chute de l’URSS.
Université et entreprises : le technopôle de Mustamäe
Le développement économique dans le secteur des nouvelles technologies a d’abord
eu lieu à Mustamäe, à proximité de l’université technique de Tallinn, et plus particulièrement
de l’Institut Cybernétique de Tallinn créé en 1960. Le technopôle se compose aujourd’hui de
près de 200 entreprises, dont la célèbre Skype, et une pépinière d’entreprises d’une vingtaine
d’entités. Il regroupe 3 500 employés, 14 000 étudiants et 1 300 chercheurs.
Lancé en 1998, le technopôle donne alors à Mustamäe une nouvelle raison d’être dans
l’espace urbain tallinnois. L’installation d’entreprises vient compléter les structures
universitaires développées à la fin de l’époque soviétique et apporte de nouvelles activités
parallèlement aux activités industrielles préexistantes du quartier de Kadaka.
Première grande banlieue construite pendant la période soviétique à partir de la fin des
années 1950, ce district souffre d’une image fondée sur les nombreux immeubles des époques
khrouchtchévienne et antérieures.
Aujourd’hui, la combinaison de l’université et du technopôle a permis d’attirer de
nouveaux investisseurs qui apportent les aménagements manquants en termes de logements
comme on l’observe au sud de Kadaka. La présence de terrains vierges de construction à la
périphérie du district supprime (pour l’instant) toute pression foncière. Contrairement au
centre-ville plus ou moins saturé et aux quartiers monofonctionnels (quartiers résidentiels),
Mustamäe offre un cadre propice à un développement sans grandes difficultés. La proximité
des zones économiques fait de Mustamäe un lieu à privilégier pour le développement
immobilier.
Malgré son image négative de quartier soviétique, Mustamäe est bien relié au centre-
ville grâce au réseau de trolleybus conservé de l’époque soviétique, ainsi qu’aux autres
quartiers de Tallinn grâce au réseau d’avenues locales. De plus, Mustamäe, en tant que
premier quartier soviétique, a eu le temps d’évoluer : avec des immeubles moins imposants
(cinq et neuf étages), une verdure qui a eu le temps de se développer en cinq décennies offrant
ainsi un visage moins austère que Lasnamäe situé sur le plateau calcaire de l’est de Tallinn où
la végétation peine à pousser.
169
Photo 14 Le district de Mustamäe, premier quartier d'immeubles soviétiques de Tallinn
170
Photo 15 Le technopôle de Tallinn
Le développement urbain autour de l’université permet quelques évolutions
démographiques positives. La population de Mustamäe se distingue par une surreprésentation
des classes d’âge âgées par rapport à la moyenne de la ville. 23,75% de la population du
district est âgé de 65 et plus, contre 16,8% pour l’ensemble de la population tallinnoise. La
171
présence de l’université permet une certaine compensation puisque la classe d’âge 15-29 ans
est, avec 23,2% de la population est également au-dessus de la moyenne (21,5%)268.
Toutefois, le tehnopôle de Tallinn demeure en cours d’aménagement. Les immeubles
de bureaux, plus ou moins récents, sont juxtaposés les uns aux autres à proximité des
bâtiments industriels, avec une voirie qui nécessite une rénovation certaine. De manière plus
globale, le tehnopôle ne dégage aucune image d’unité et n’est pas clairement affiché en tant
que tel.
Carte 30 Quartiers industriels et pôles de l’économie numérique
La reconversion d’un ancien pôle industriel
Parallèlement au tehnopôle de Mustamäe, le pôle Ülemiste City se développe sur le
territoire de l’ancienne usine de wagons Dvigatel dans le district de Lasnamäe269. La
268 Eesti Statistika, Recensement 2011 269 La construction de l’usine Dvigatel fut ordonnée en 1897 par le tsar Nicolas II. L’usine connut une période
de production intense entre 1899 et 1918. La crise économique russe et le mauvais état des relations
économiques entre la Russie soviétique et l’Estonie firent péricliter Dvigatel pendant les années 1920.
172
reconversion des structures industrielles et l’aménagement de nouveaux immeubles redonnent
vie à l’un des quartiers industriels historiques de Tallinn, en mauvais état après le départ des
activités militaro-industrielles soviétiques.
Enserré entre la voie ferrée Tallinn – Saint-Pétersbourg et l’aéroport de Tallinn, ce
quartier n’a pas reçu les premiers investissements post soviétiques, surtout concentrés dans le
centre de la ville. De plus, le développement de l’économie numérique a été d’abord soutenu à
proximité de l’université technique, à Mustamäe.
Aujourd’hui, Ülemiste City témoigne du dynamisme actuel à Tallinn avec un
processus de concentration à l’extérieur de l’hypercentre et la constitution de pôles alternatifs
au quartier de Maakri. On observe la naissance d’un nouveau pôle économique où
s’agglomèrent services, activités de transport et administration de l’État.
Le projet Ülemiste City prend corps en 2005 lorsque la décision fut prise de
reconvertir un territoire qui n’a jamais pu retrouver son potentiel industriel après 1991. Dans
un contexte de boom immobilier, le territoire de l’usine Dvigatel offrait d’excellentes
conditions économiques. Faisant le constat que Tallinn manquait d’un parc d’entreprises liées
aux nouvelles technologies, le nouveau propriétaire, AS Mainor, lança des recherches pour
moderniser Dvigatel. Un cas particulier est utilisé en modèle : Kista City à Stockholm.
Surnommée la Silicon Valley des pays nordiques, Kista City accueille plus de 25 000
personnes employées dans les entreprises de télécommunications. Depuis 2003, c’est à Kista
City que l’entreprise Ericsson a son siège. Le développement de ce pôle économique a débuté
dans les années 1970 avec l’implantation d’industries intégrées aux technologies et aux
communications, comme SRA (Svenska Radioaktiebolaget) ou RIFA AB désormais intégrées
à Ericsson ou IBM Suède. En plus des industries spécialisées dans les NTIC, Kista City
possède ses propres zones résidentielles.
Ülemiste City couvre une superficie de 33 ha. Une première étape de développement
s’étend d’abord sur 3,5 ha. Les travaux se concentrent avant tout sur les immeubles de
bureaux. Les infrastructures routières ont été rénovées en 2006, tout comme le bâtiment de
bureau Artur Lind (les bâtiments d’Ülemiste City sont tous baptisés en mémoire
d’innovateurs estoniens, cf. tableau). De plus, l’ancien bâtiment administratif de Dvigatel a
été rénové, il accueille désormais l’Ecole supérieure estonienne de l’Entreprise (Eesti
Ettevõtluskõrgkool Mainor), une structure privée installée dans cinq villes estoniennes.
L’usine débuta une reconversion dans les années 1930 en produisant des avions. L’usine fut nationalisée
par l’URSS en 1940. Après la Seconde Guerre mondiale, l’usine fut intégrée au complexe militaire
soviétique et devint un pôle de l’industrie atomique, chimique et spatiale. Dvigatel fut privatisée en 1995.
173
Tableau 5 Bâtiments dédiés aux scientifiques estoniens à Ülemiste City
Adresse Scientifique Dates Fonctions, inventions
Lõõtsa 8 Ustus Agur 1929-1997 considéré comme le père des technologies de
l’information en Estonie
Lõõtsa 4 Johannes Käis 1885-1950 rénovateur de l’école estonienne dans les
années 1920
Sepapaja 6 Artur Lind 1927-1989 père de la biologie moléculaire en Estonie
Lõõtsa 2a et 2b Ludvig Puusepp 1875-1942 premier professeur en neurochirurgie du
monde
Lõõtsa 6 Walter Zapp 1905-2003 inventeur de l’appareil photographique
miniature Minox
Keevise 2/Suur-Sõjamäe 10 Boris Tamm 1930-2000 cybernéticien
Valukoja 8 (en projet) Ernst Julius Öpik 1893-1985 astronome et astrophysicien
Suur-Sõjamäe 10a Paul Kogerman 1891-1951 père de la recherche sur l’huile de schiste
Valukoja 7 Karl Papello 1890-1958 opticien et inventeur
Lõõtsa 8a Ragnar Nurkse 1907-1959 économiste théoricien de l’économie du
développement
Lõõtsa 5 Bernhard Schmidt 1879-1935 astronome et opticien
Le projet prend son véritable envol en 2007-2008 avec la construction des bâtiments
jumeaux Ludvig Puusepp et de l’immeuble Ustus Agur. De plus, sont rénovés l’ancienne
usine d’outils et l’ancien entrepôt. Le premier est devenu l’immeuble de bureaux Johannes
Käis, le second un complexe de bureaux aménagés autour d’une rue restaurant. Enfin, il faut
souligner qu’un premier bâtiment dédié à la production industrielle est achevé.
La suite de la première étape a lieu à partir de 2011. L’ancienne fonderie est
progressivement rénovée avec l’ouverture d’un jardin d’enfants, auquel doivent s’ajouter un
espace dédié au sport, un centre médical… La période 2011-2013 est marquée par la
construction du complexe à trois tours Ragnar Nurkse. Ce bâtiment de 24 000 m² augmente la
surface disponible de 50%. En 2015, c’est la tour Bernhard Schmidt (13 étages, 9 245 m² de
bureaux) qui fut inaugurée. Dans les années à venir, ce sont environ 2 200 personnes qui
doivent venir y travailler, créant l’un des plus gros centres d’emplois dédiés aux sciences des
États baltes.
174
Photo 16 De Dvigatel à Ülemiste City : le passage de l'industrie ferroviaire à l'économie numérique
Le projet Ülemiste City prend un tournant international en mars 2010 quand Ülemiste
City AS signe un accord de coopération avec la société finlandaise Technopolis Plc. Le
résultat de cet accord a été la création d’une structure commune, Technopolis Ülemiste AS,
possédée à 51% par l’entreprise finlandaise. Ce partenariat englobe un tiers du territoire
d’Ülemiste City, les deux tiers restants sont la propriété unique d’AS Mainor. À terme,
Ülemiste City offrira un potentiel de 46 000 m² de bureaux et 120 000 m² destinés aux
activités industrielles et de stockage.
Le projet est symbolique du processus de transformation de Tallinn. Le patrimoine
industriel est utilisé comme support pour développer les activités de services contemporaines.
175
Plutôt que de faire table rase, le patrimoine de valeur est mis en avant et adapté aux besoins
contemporains.
Ülemiste se développe clairement comme l’un des futurs poumons de l’Estonie. Des
institutions y sont implantées et de vastes surfaces de bureaux sont planifiées. De plus, c’est à
Ülemiste City que l’ICT Demo Center270, une structure qui joue le rôle de vitrine de l’e-
Stonie, fut implanté en 2009. Ce centre accueille des délégations étrangères venues observer
la réussite estonienne en matière des nouvelles technologies.
Photo 17 La maison Walter Zapp et le complexe Ragnar Nurkse, symboles architecturaux d'Ülemiste City (01/2014)
Photo 18 Bâtiment Johannes Käisi et les bâtiments jumeaux Ludivg Puusepp (Ülemiste City) (01/2014)
Mais pourquoi ce quartier plutôt qu’un autre ? Tallinn possède d’autres quartiers
industriels en friche qui pourraient être également reconvertis, tel Juhkentali aux abords de
270 Remplacé en 2014 par le « showroom e-Stonia » (https://e-estonia.com/e-estonia-showroom/)
176
l’avenue de Tartu, à seulement deux kilomètres de la Vieille Ville. Il semble que la raison
principale soit la gestion unique du projet par l’héritier propriétaire de ce que fut Dvigatel.
Sans structure qui chapeaute l’espace à développer, la modernisation semble impossible (voir
l’aménagement du littoral ci-après). Tous les cas de reconversion d’anciens quartiers
industriels à Tallinn se font sous la coupe d’un seul promoteur. On peut également mentionner
le quartier Rotermanni, l’ensemble Noblessner ou encore la Cité de la Création de Telliskivi
qui sont d’autres exemples de transformation post-industrielle réussie271.
Carte 31 Ülemiste : futur hub de l’Estonie et de Tallinn
De plus, Ülemiste City tire profit de l’orientation prise en matière de transports sur le
territoire de Tallinn. L’arrivée future de la Rail Baltica sera accompagnée de la création de la
271 Le quartier Rotermanni, à l’ouest de la Vieille Ville se compose d’anciens bâtiments industriels en brique
qui accueillent des activités de service et d’immeubles modernes (résidentiels et commerciaux). Le quartier
de Noblessner, encore en partie occupé par des chantiers navals, se transforme progressivement avec la
rénovation d’anciens bâtiments industriels en immeubles résidentiels ou dédiés à la culture. Enfin, la Cité
de la Création est un complexe dédié au développement de petites entreprises dans l’ancien complexe
industriel de Telliskivi, à proximité de la gare ferroviaire Balti Jaam.
177
gare d’Ülemiste272 en terminal international aux dépens de Balti Jaam située sous les remparts
de la Vieille Ville. Il est évident que la constitution d’un hub de transport à Ülemiste (gare et
aéroports internationaux) donne un supplément d’attractivité pour le quartier par rapport à
d’autres dans Tallinn. Si le tehnopôle de Mustamäe est bien relié au centre de Tallinn, il reste
isolé des principaux axes de circulation internationaux, qu’il s’agisse des routes ou des voies
ferrées et va peut-être souffrir de la comparaison avec Ülemiste City dans les années à venir.
Toutefois, Mustamäe conserve l’avantage de sa fonction « formation » avec la présence de
l’université technique qui assure la coopération entre recherche et entreprise, ce qu’Ülemiste
City ne possède pas actuellement.
Si le développement de deux pôles économiques tournés vers les nouvelles
technologies est le témoin de la spécificité de la transition économique en Estonie, cette
dernière demeure relativement limitée spatialement. Outre ces deux pôles économiques, le
numérique a également trouvé sa place à Tallinn avec l’installation du centre de cyberdéfense
de l’OTAN évoqué en première partie sur les terrains du quartier-général de l’armée
estonienne à Juhkentali. En tant que structure militaire isolée du reste de la ville, le centre de
l’OTAN est invisible dans le paysage urbain tallinnois.
En revanche, la construction de bâtiments destinés à l’accueil de l’agence européenne
créée à Tallinn en 2011 pourrait rendre un peu plus visible le rôle du numérique en Estonie en
dehors des deux pôles mentionnés précédemment. Actuellement implantée dans les locaux de
la Maison de l’Union europénne au cœur de Kompassi-Maakri, l’agence européenne devrait à
terme s’installer dans le district de Põhja-Tallinn, sur le littoral de la baie de Tallinn entre les
chantiers navals BLRT (port Noblessner) et le musée de la mer (port Lennusadam).
272 Cette gare constitute le premier arrêt pour les trains en provenance du réseau oriental (Tartu, Narva, Valga)
178
Photo 19 La Maison de l'Union européenne à Tallinn
(photo Marek Pedask, http://pilt.delfi.ee, 26/08/2012) En arrrière-plan, la tour City Plaza
À l’échelle de la ville, l’implantation des deux technopôles à Mustamäe et Ülemiste
offre néanmoins la création de nouveaux points centraux sur le territoire tallinnois qui était
jusque-là uniquement orienté vers la Vieille Ville et son CBD voisin. La crise industrielle à
Tallinn avait en partie supprimé les pôles d’activité hors du centre-ville, l’économie du
numérique permet de déplacer les activités et de diversifier les fonctions territoriales de
chaque quartier. Mustamäe et Lasnamäe, les districts les plus peuplés de Tallinn ne sont plus
uniquement des quartiers résidentiels et/ou industriels. C’est surtout Ülemiste City qui semble
pouvoir devenir un nouveau poumon de Tallinn lorsqu’on observe l’ampleur des projets en
cours. La construction massive d’espaces de bureaux va permettre d’offrir une alternative au
centre-ville où les espaces libres s’amenuisent progressivement.
179
Carte 32 Maakri-Kompassi, le quartier d'affaires de Tallinn
Toutefois, et si le développement de l’économie numérique en Estonie a permis de
moderniser certains quartiers de la capitale estonienne, l’ampleur du phénomène connaît une
limite. La numérisation de la vie économique estonienne est poussée à un tel niveau qu’il est
désormais possible de bénéficier des atouts de l’e-Stonie depuis l’étranger. Depuis 2014, toute
personne étrangère qui ne réside pas de manière permanente dans le pays peut jouir de l’e-
residence273, un droit de résidence numérique qui ouvre les portes à l’ensemble des services
administratifs en ligne estoniens. L’Estonie s’ouvre donc un peu plus vers l’extérieur, mais
cette dématérialisation n’est pas sans inconvénients. Si des entreprises peuvent se développer,
273 Page de présentation du programme en anglais : https://e-estonia.com/e-residents/about/
180
elles le font surtout hors d’Estonie. Dès lors, l’impact local demeure relatif puisque les
emplois ne sont pas créés en Estonie même, les investissements dans le pays sont partiels.
Le modèle économique construit autour des starts-up rencontre également des
difficultés lorsque les entreprises souhaitent grandir. L’Estonie souffre d’un marché intérieur
restreint et la croissance des entreprises passe inévitablement par un déménagement à
l’étranger, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, où les investisseurs potentiels sont bien plus
nombreux. Les exemples tels que Skype dans les années 2000 ou TransferWise au cours des
années 2010 illustrent comme l’Estonie est devenue une pépinière d’entreprises, sans
toutefois réussir à devenir un lieu d’implantation durable. Si Skype est l’œuvre d’Estoniens et
possède des bureaux à Tallinn, le siège de l’entreprise se situe au Luxembourg. TransferWise
est de son côté implantée au Royaume-Uni et possède des bureaux à Tallinn et New-York.
Ainsi, les effets locaux sont plus limités que si les entreprises se développaient
uniquement sur le territoire de l’Estonie, à Tallinn ou dans une autre ville. Le déménagement
des entreprises ou le partage des activités empêche une croissance économique locale et la
venue de contingents d’employés étrangers qui génèrerait une internationalisation de la
capitale estonienne. Mais il faut souligner que ces entreprises ne verraient peut-être pas le jour
en se développant et en restant uniquement en Estonie.
Le développement de l’économie numérique a offert de nouvelles opportunités pour
certains quartiers tallinnois et crée une nouvelle vitrine internationale aux côtés de la Vieille
Ville. Toutefois, cette vitrine n’est encore qu’à un premier stade de développement. Il faudra
attendre encore plusieurs années, voire une décennie avant qu’Ülemiste City ne soit achevée
et puisse être affichée comme l’une des réussites de l’Estonie moderne. Si l’Estonie a réussi à
se créer une image de spécialiste des nouvelles technologies, la ville de Tallinn peine encore à
illustrer ce phénomène. Il est encore difficile de promouvoir les avancées urbaines car la
révolution numérique estonienne est un phénomène avant tout virtuel sans impacts majeurs
sur la ville. La plupart des avancées de l’e-Stonie promues et encensées simplifient la vie des
Tallinnois et accélèrent certaines procédures administratives mais elles ne sont réellement
tangibles que par leurs utilisateurs.
181
2.3. Forger l’image d’une ville maritime
Si la rénovation des quartiers industriels se fait sans réelle intervention de la
municipalité, les services de la ville affichent clairement un objectif : la reconquête de littoral.
Avec plus de 40 km, le littoral demeure l’une des raisons d’être de la capitale estonienne, née
du commerce maritime. Comment cette reconquête est-elle menée et l’objectif peut-il être
atteint ? La volonté de retour à la mer ne présente-t-elle pas des contradictions entre objectifs
internationaux et locaux ?
2.3.1. Quels objectifs ?
À la chute de l’URSS, le littoral du centre de Tallinn est profondément marqué par
deux éléments : la protection de la frontière extérieure de l’Union soviétique et les activités
industrialo-portuaires. Pendant cinq décennies, les habitants de Tallinn ne purent jouir de la
proximité de la mer dans le centre de Tallinn274, le littoral étant le domaine réservé des
gardes-frontière. Seuls les abords de Linnahall, le complexe culturel et sportif construit entre
1976 et 1980, dérogeaient à la règle. À partir de 1991, la protection territoriale perd
rapidement de son emprise sur le littoral, qui s’ouvre alors au public. Les activités portuaires,
en revanche, se poursuivent, maintenant le public à l’écart d’une partie de ce littoral.
Comme pour les questions internationales explorées auparavant, le passé de Tallinn est
mobilisé pour justifier une politique d’aménagement urbain sur le littoral. Le passé
hanséatique de la capitale estonienne est plus que présent dans l’imaginaire des Tallinnois.
Chaque année, les Journées de la Vieille Ville (vanalinna päevad, en mai-juin) célèbrent le
passé tallinnois dans la ville médiévale. Cernée par ses remparts, la ville hanséatique nous est
parvenue avec les nombreuses maisons de marchands des guildes. Ce patrimoine
architectural, qui constitue l’un des attraits de la ville médiévale, est aujourd’hui amplement
exploité.
La dimension maritime demeure en revanche moins visible, à l’écart de ce patrimoine
et les habitants ont perdu le contact avec la mer. Il y a donc nécessité de renforcer l’image
maritime de Tallinn et d’inscrire le développement urbain dans la lignée de l’âge d’or
hanséatique.
Toutefois, le littoral urbain de Tallinn ne peut plus être monofonctionnel avec les
seules activités de transbordement dont une grande partie a d’ailleurs été déplacée à
274 Les Tallinnois pouvaient jouir des plages de Pirita et Stroomi situées respectivement dans la baie de Tallinn
et la baie de Kopli.
182
l’extérieur de la ville dans les années 1980, vers le port en eaux profondes de Muuga. La
réhabilitation du littoral vise au retour des Tallinnois sur le littoral en cassant les barrières
posées par les ports et les friches industrielles.
L’aménagement du littoral tallinnois prend un tournant en 2004 lorsque le Conseil
municipal de Tallinn vote le schéma directeur des espaces littoraux compris entre
Paljassaare et Russalka275 (Paljassaare ja Russalka vahelise rannaala üldplaneering). Ce
schéma directeur concerne 20 km de côtes, soit près de la moitié du littoral tallinnois, pour
une superficie d’environ 500 ha. Ce document constitue un changement car il va au-delà des
limites administratives des districts tallinnois et s’appuie sur une thématique précise, le
littoral.
Divisé en cinq sous-ensembles qui correspondent aux cinq fonctions actuellement
présentes et huit quartiers d’aménagement, le schéma directeur vise la revitalisation des
espaces délaissés et fermés au public.
Le nord de la presqu’île de Paljassaare (A) qui correspond à la réserve naturelle de
Paljassaare et les espaces qui la séparent de la station d’épuration de Põhja-Tallinn.
Il s’agit d’un espace marqué par l’absence d’activités humaines depuis le départ
des militaires soviétiques et la présence de bâtiments abandonnés.
La côte orientale de la presqu’île de Paljassare (B) qui se compose essentiellement
d’espaces dédiés au transport de marchandises. Le littoral est entièrement bétonné
avec la présence de quais de chargement.
L’espace entre le port de Paljassaare et celui de Lennusadam (C) qui est très
comparable au précédent par la présence de ports. Les activités de transport (port
de Hundipea) côtoient également les fonctions de défense nationale (port de
Miinisadam).
L’espace entre Lennusadam et Vieux-Port (D) est le plus composite. L’activité de
transport de passagers est dominante, mais d’autres fonctions (commerciale,
loisirs) sont également présentes. L’ouverture de ces espaces après 1991 en fait un
lieu au développement rapide, mais les friches demeurent.
L’espace entre Vieux-Port et le mémorial de Russalka (E) qui se compose des
friches en bordure du Vieux-Port et forme également une extension du parc de
Kadriorg de l’autre côté de la route de Narva.
275 Le mémorial de Russalka est du sculpteur Amandus Adamson érigé en 1902 à la mémoire du navire de
guerre russe Russalka qui fit naufrage entre Tallinn et la Finlande en 1893
183
Photo 20 Ports et espaces littoraux en friche à Tallinn
184
Carte 33 Découpage spatial selon le schéma-directeur des espaces littoraux Paljassaare-Russalka (Tallinn)
Sur ces cinq sous-ensembles, le schéma directeur précise huit quartiers en fonction des
aménagements à réaliser. Une volonté de refonte du littoral est donc claire : il faut rompre
avec les barrières territoriales héritées du passé.
L’extrémité de la presqu’île de Paljassaare (1) est maintenue dans son état naturel. Le
schéma directeur prévoit d’y créer une zone Natura 2000. Des aménagements sont promis
pour offrir un accès aux Tallinnois. La réserve est intégrée dans la création d’un espace
récréatif, tout en gardant à l’esprit la protection des oiseaux.
Au nord-est de la presqu’île, autour de la jetée de Katariina (2), le schéma directeur
présente un espace destiné aux loisirs, avec notamment l’aménagement d’un port de plaisance
à l’abri de la jetée. La construction d’immeubles de bureaux est évoquée.
Deux quartiers se distinguent de part et d’autre de la route de Paljassaare. L’espace
inclus entre la route de Paljassaare et la station d’épuration de Tallinn (3) est au moment de la
conception du schéma directeur occupé principalement par des immeubles résidentiels, dont
185
le quartier classé de la rue Laevastiku avec ses bâtiments de style stalinien et des usines. Les
immeubles résidentiels doivent être placés au cœur d’un processus de rénovation et de
sauvegarde. Plus au nord, les espaces non bâtis sont condamnés à le rester en tant que zone de
protection sanitaire de la station d’épuration.
Entre ce premier quartier et le littoral, les espaces portuaires (4) qui s’étendent de la
jetée de Katariina au port de Lennusadam sont à réaménager tout en conservant les activités
marchandes et de défense nationale. En parallèle, un parc industriel doit être développé à
proximité de la route de Paljassaare afin de créer de nouveaux emplois car Põhja-Tallinn
souffre d’une crise sociale depuis la fermeture de nombreuses usines à partir de 1991.
Plus à l’est, un espace littoral organisé autour de Kalasadam, de l’ancienne prison et
des hangars à hydravion (5). Le schéma directeur entérine le projet du propriétaire immobilier
du port de Noblessner qui souhaite développer un port de plaisance et bâtir les terrains
alentours pour y installer les structures d’accueil du port. Des bâtiments résidentiels sont
également prévus. L’ancienne prison de Patarei (utilisée jusqu’en 2002) est intégrée dans un
projet d’aménagement d’un nouveau pôle d’enseignement de l’Académie des Arts. Enfin, le
port de Lennusadam et les hangars font l’objet d’un projet du ministère de la culture qui
souhaite y installer le musée maritime (achevé en 2012).
Le territoire autour de Linnahall et ceux situé au nord du Vieux-Port (6) sont désignés
comme les lieux où le développement se fait le plus rapidement. Espace de déplacement des
touristes entre les ferries et la Vieille Ville, le littoral du centre de Tallinn doit rester ouvert
pour garder le panorama qui s’offre aux touristes. La réduction de la circulation est souhaitée,
avec le maintien des seuls ports de plaisance et passagers.
Au sud du Vieux-Port (7), le schéma directeur prend acte de la prise en mains des
espaces par les promoteurs privés. La construction de nouveaux immeubles est entérinée au
sud du bassin de l’Amirauté. Aussi, le futur boulevard de contournement de la Vieille est-il
dessiné, le long du Vieux-Port.
Enfin, à l’extrémité orientale du schéma directeur, les espaces verts au nord du parc de
Kadriorg (8) vont accueillir les premiers hectomètres du boulevard de contournement, à partir
du croisement de l’avenue de Narva et la route de Pirita. Ce croisement doit être
profondément repensé avec le percement d’un tunnel qui doit permettre une meilleure fluidité
du trafic. Le littoral sera, lui, aménagé pour le public piéton avec une promenade littorale.
186
Aménagement à but institutionnel et culturel
Afin de redonner vie aux espaces littoraux, la culture et les activités institutionnelles
sont mises en avant. L’implantation de lieux de création et de services administratifs doit
aussi permettre d’aller contre la concentration de ces fonctions dans la Vieille Ville et dans les
quartiers de Kompassi et Maakri.
Il faut souligner que ce pan de la politique urbaine de Tallinn se limite essentiellement
au littoral compris entre le Vieux-Port et le sud de Paljassaare. La présence de bâtiments
préexistants, à rénover, crée des points d’ancrage pour les nouvelles fonctions. On compte
notamment l’ancienne centrale électrique, l’ancienne prison de Patarei, les anciens hangars à
hydravions et l’immense complexe Linnahall, que d’autres projets doivent venir compléter.
Le principal d’entre eux est la construction d’un nouvel hôtel de ville au sud de Linnahall. De
plus, les friches proches du port de Lennusadam ont été choisies par le gouvernement pour
accueillir le siège de l’agence européenne évoquée en première partie. Plusieurs projets de
rénovation sont clairs : les hangars à hydravion pour accueillir le musée de la mer, la centrale
électrique devient un pôle culturel (Le Chaudron de la Culture), l’ancienne prison-forteresse
de Patarei pour servir de lieu d’expositions et de spectacles.
Carte 34 Les différentes formes d'ouverture de Tallinn à la mer
187
Ces choix indiquent la volonté de faire du littoral un des lieux dynamiques de la vie
culturelle tallinnoise jusque-là limitée au centre-ville de Tallinn. Les salles de théâtre et de
concert se situent dans la Vieille Ville et son voisinage. Les différentes structures
architecturales présentes sur le littoral offrent l’espace nécessaire à la création et aux
performances artistiques.
Photo 21 Tallinn, un littoral en grande partie non-bâti
188
Assurer une meilleure liaison des quartiers
L’un des autres enjeux de l’aménagement du littoral tallinnois concerne la fluidité de
la circulation entre quartiers situés de part et d’autre de la Vieille Ville et du Vieux-Port et
notamment assurer une meilleure accessibilité des ports. Au début des années 2000, le schéma
viaire n’est plus adapté à une circulation croissante, notamment en provenance de l’Est.
L’avenue de Narva (entre Russalka et la place Viru) récupère l’ensemble du trafic en
provenance de Pirita et Viimsi, ainsi qu’une partie de celui de Lasnamäe. Aussi, la liaison
avec Põhja-Tallinn est, elle, contrainte par la présence de la Vieille Ville et du Vieux-Port.
Ainsi, un seul axe (avenue de Narva – place Viru – avenue Mere – avenue Põhja) permet le
contournement de la ville médiévale par le nord.
À l’ouest, les rues Soo et Tööstuse assurent la liaison vers les ports. Toutefois, ces
axes scindent le quartier historique de Kalamaja en deux. L’intense circulation, dont le
transport de marchandises, impose des réaménagements.
Le schéma directeur propose deux solutions. À l’est, tout d’abord : un nouvel axe doit
dédoubler l’avenue de Narva et faire éviter la place Viru à la circulation de transit vers Põhja-
Tallinn. Une ébauche de dédoublement existe avec la rue Ahtri (entre les abords du bassin de
l’Amirauté et l’Université de Tallinn. Ce dédoublement ne sera complet qu’avec la
construction d’une nouvelle route entre le croisement de Russalka et l’extrémité de la rue
Ahtri. En ce qui concerne la situation à Kalamaja, un dédoublement est également planifié en
utilisant l’ancien tracé de la voie ferrée qui reliait le port de Tallinn à la gare de marchandises
de Kopli par contournement de Kalamaja.
189
Carte 35 Le projet de contournement Põhjaväil à Talllinn
190
Une tendance générale de reconversion post-industrielle
Les projets menés à Tallinn, à travers le schéma directeur thématique des espaces
littoraux, sont aussi et avant tout le résultat d’une comparaison avec les villes voisines,
notamment Stockholm et Helsinki qui font figure de modèle avec leurs aménagements
spécifiques et le lien fort entre ville et mer. La capitale suédoise tire avantage de son site.
Construite en partie sur un archipel, la capitale suédoise offre une proximité visible avec la
mer. Les îles du cœur historique sont aménagées pour les piétons et les plaisanciers. Les
nombreux pontons témoignent de l’activité importante sur les bras de mer qui découpent la
ville. Les promenades sur les quais sont prisées des touristes et des Stockholmois, tant sur
Gamla Stan, l’île où se situent le Palais royal et le cœur historique, que le long des extrémités
sud de Norrmalm et d’Östermalm, les quartiers centraux de Stockholm.
À Helsinki, le littoral est également accessible pour les résidents et les touristes. Située
sur une presqu’île très découpée, la capitale finlandaise offre également un accès privilégié à
la mer. Malgré la présence des ports passagers (Eteläsatama, Katajanokka) et de plaisance
(Merisatama et Pohjoisatama), le littoral n’est pas coupé du reste de la ville. Le sud de la
presqu’île d’Helsinki offre des espaces libres de construction accessibles aux piétons. Les
abords d’Eteläsatama-Katajanokka qui accueillent de nombreux quais d’embarquement pour
les ferries en partance pour la Suède ou l’Estonie ne sont pas interdits. Ensuite, les activités
locales ne sont pas uniquement liées aux seuls passagers des ferries, les zones portuaires sont
très proches de quartiers résidentiels ce qui fait vivre le littoral autrement que par les
passagers.
De nombreuses villes, en Europe et en Amérique du Nord, ont déjà mené de telles
politiques de reconversion littorale, et ce depuis les années 1960 pour les premiers projets.
Longtemps dédiés aux activités de transport maritime (passagers ou marchands) et
industrielles, les espaces ont été peu à peu désindustrialisés avec le départ des activités en
dehors des centres-villes.
Face à cette évolution, les pouvoirs municipaux ont peu à peu pris conscience du
potentiel de réaménagement de ces espaces. Dès lors, des programmes ont été mis en place
pour développer de nouvelles fonctions en bord de rivière ou de mer, avec la construction
d’immeubles de bureau, l’aménagement de promenades pour les habitants, l’installation
d’infrastructures culturelles.
Plusieurs cas emblématiques peuvent être mentionnés. Les premières villes à lancer de
tels projets sont américaines : « Les premiers projets furent lancés en Amérique du Nord dans
191
les années 1960 et dans les années 1970, c’est en Europe que débuta la rénovation des
espaces littoraux. Les modèles de rénovation des ports urbains les plus importants en
Amérique du Nord sont Baltimore, Boston et San Francisco, plus tard aussi Los Angeles,
Toronto, Seattle et Vancouver.276 » La logique est adoptée ensuite progressivement en Europe
qui connaît les mêmes processus d’abandon des ports situés à l’intérieur des villes. « En
Europe, les premiers projets sont lancés à Londres et à Rotterdam à la fin des années 1970 et
au début des années 1980. Des projets sont menés plus tard dans d’autres villes de Grande-
Bretagne et dans certaines villes méditerranéennes, dont Barcelone et Gênes.277 » L’espace
baltique suit la tendance générale dans la seconde moitié des années 1990 et au début de la
décennie 2000. Des exemples d’aménagement se trouvent sur l’ensemble du pourtour baltique
avec les villes allemandes (Hambourg, Brême, Kiel), suédoises (Stockholm, Göteborg) ou
finlandaises (Helsinki, Turku, Oulu). Ces dernières sont, selon le géographe finlandais Jussi
Jauhiainen, intéressantes à garder à l’esprit car ces villes « sont souvent similaires aux villes
du contexte estonien, tant par leur taille que par les conditions climatiques.278 »
Les villes réaménagées sont ainsi progressivement devenues attractives sur le plan
culturel et architectural. De plus, les espaces trouvent une seconde vie, certains devenant le
nouveau cœur urbain, les rénovations conduites à Londres peuvent être citées en exemple. Le
choix londonien est clairement orienté vers une reconversion économique avec l’implantation
d’immeubles de bureaux à Canary Wharf. Les anciens Docks ont vu les grues de levage et les
entrepôts disparaître au profit des activités de services et de la finance. Les gratte-ciels avec
leur façade en verre se sont élevés sur les bords de la Tamise. Dans d’autres villes, les
structures portuaires sont utilisées pour développer des activités de commerce et de
promenade. Les aménagements réalisés par exemple sur les quais de la Garonne à Bordeaux
vont dans ce sens. Les anciens hangars, longtemps laissés à l’abandon, accueillent désormais
diverses boutiques qui bordent les pistes cyclables le long du fleuve.
Les activités culturelles bénéficient dans ce contexte d’une place toute particulière
avec l’utilisation des structures existantes pour se développer ou alors l’aménagement de
nouveaux lieux sur d’anciennes friches industrielles. Le remplacement des activités
portuaires, qui excluent les habitants de la ville des espaces qu’elles occupent, permet de
donner aux urbains la possibilité d’intégrer de nouveaux territoires dans leur vie quotidienne.
276 Jussi S. Jauhiainen, Linnageograafia, Linnad ja linnauurimus modernismist postmodernismini, Eesti
Kunstiakadeemia, Tallinn, 2005, p. 238 277 Ibid. 278 Ibid.
192
Les littoraux à fonction économique se transforment progressivement en espaces de loisir et
de repos.
L’utilisation de modèles se retrouve à Tallinn dans les projets d’aménagement du port
de Peetri. La vidéo de présentation des transformations à venir débute par quelques photos de
villes qui peuvent servir d’inspiration, Barcelone, Stockholm et Helsinki, avant de présenter
les changements à venir dans le port tallinnois279.
Quelles réalisations ?
Le schéma directeur du littoral a été adopté en 2004. Qu’en est-il dix ans après ? Il faut
malheureusement reconnaître que les avancées sont rares et l’ouverture du littoral aux
Tallinnois demeure très partielle.
Les hangars à hydravion de Lennusadam ont fait l’objet d’une rénovation totale et
accueillent désormais une partie du Musée de la mer estonien280. Le port est accessible tant
aux automobilistes qu’aux piétons, par la promenade du Kilomètre de la Culture, aménagée
sur une ancienne voie ferré dans le cadre des programmes de l’année culturelle de 2011.
Photo 22 Le port Lennusadam lors des Journées de la mer (07/2011)
279 Tallinna Linnaplaneerimise Amet, Sailinvest OÜ, vidéo « Port Noblessner 2009-2013 »,
http://vimeo.com/5640965 280 Le musée maritime expose en deux lieux : Lennusadam et Paks Margareeta, la grosse tour située à
l'extrémité nord de la Vieille Ville
193
Photo 23 Les hangars à hydravion en rénovation (07/2011)
Photo 24 Inauguration du nouveau Musée de la mer.
Photo Vallo Kruuser (delfi.ee 06/2012)
Dans la même catégorie, le port de Noblessner connaît une transformation lente. Le
port accueille désormais les bateaux de plaisance et un club nautique et l’ancienne fonderie du
port est devenue une salle de concert. Toutefois, le passant non averti ne voit pas forcément
les efforts faits tant les résultats sont à peine visibles. La fonderie conserve son aspect visuel
de bâtiment plus ou moins abandonné dans lequel on n’imagine pas des concerts, qui ont
pourtant lieu depuis 2010281. À terme, le port et les terrains attenants doivent être
profondément rénovés avec l’aménagement d’appartements dans certains des anciens
bâtiments industriels et la construction de nouveaux en lieu et place des activités des chantiers
navals. Les projets sont développés par le propriétaire du port, l’entreprise de construction
navale estonienne BLRT.
Des changements sont également visibles à proximité du bassin de l’Amirauté avec
l’aménagement du port de plaisance par Port de Tallinn et de structures liées aux activités de
transport de passagers. La rue Sadama, avec la construction du siège de la compagnie Tallink
et un hôtel pour ses clients, est un exemple des aménagements réalisés en conséquence de la
croissance dans le transport de passagers. Au sud du bassin de l’Amirauté, un bâtiment
d’environ 150 m a été détruit pour être remplacé par l’hôtel Clarion Euroopa et un immeuble
résidentiel. L’aménagement ne concerne en aucun cas une ouverture vers la mer pour le
public, mais plutôt une extension des activités portuaires. On touche là une difficulté
rencontrée sur le littoral : faut-il privilégier les activités portuaires ou non ?
Contrairement au port Noblessner où activités industrielles et culturelles se côtoient,
les terrains de Port de Tallinn sont entièrement destinés aux activités du port. L’accès aux
jetées est réservé aux passagers des paquebots de croisière et les friches sont utilisées comme
281 Andres Laasik, « “Eesti meeste laulud” elustavad Noblessneri valukoja etenduspaigana », Eesti Päevaleht,
7 juin 2010
194
aire d’attente pour les poids lourds. La croissance du trafic passager dans le Vieux-Port
indique que cette portion de littoral restera isolée du reste de la ville.
Seuls les quais du bassin de l’Amirauté témoignent d’un certain changement sur le
littoral. Un port de plaisance y a été aménagé et quelques activités (restaurant) s’implantent
timidement, offrant à ce territoire une fonction nouvelle, aux côtés des allers et venues de
passagers de ferries et du commerce d’alcool (destinés aux Finlandais). Toutefois, le port de
plaisance n’ouvre pas totalement la ville au littoral en raison des barrières de sécurité qui
l’isolent de l’espace public. Seule l’organisation de quelques grands événements fait du
littoral un lieu attractif pour les non passagers de ferry.
Ailleurs, les réalisations sont limitées. À Kalasadam, un marché aux poissons a été
rouvert en 2012, mais son activité est réduite à une seule journée d’ouverture par semaine.
Situé dans un lieu clos, le marché dégage plus une image négative (notamment en hiver) que
celle d’un lieu dynamique.
Photo 25 Le marché au poisson en hiver (12/02/2013)
Le statu quo semble être la règle générale et le littoral ne présente pas toujours un
visage attractif. Aucun signe de rénovation par exemple à Paljassaare où la route reste vétuste.
Les environs de la jetée de Katariina ne sont animés que pendant l’été, grâce à la présence de
la petite plage. Quelques installations de jeu ont été aménagées pour les enfants.
Un certain sentiment d’abandon existe lorsqu’on se rend à Paljassaare. L’absence de
continuité urbaine, les ruptures imposées par les voies ferrées, les espaces industriels
constituent des repoussoirs, et seuls les habitants du quartier sont visibles. La mauvaise
195
desserte par les transports ajoute à cette mise à l’écart : l’arrêt de tramway de Sitsi est à plus
de 800 m, espace surtout occupé par les bâtiments industriels. Deux lignes de bus desservent
la route de Paljassaare : la ligne 26 en matinée et en soirée depuis Väike-Õismäe et le 59
depuis la gare centrale, avec deux bus par heure.
Les autres projets d’ampleur périclitent ou sont bloqués. Le littoral au cœur de Tallinn
souffre des multiples difficultés qui se présentent dans le cadre des différents projets, mettant
à mal toute l’ambition de faire de ce quartier un lieu attractif et dynamique.
Photo 26 Le littoral à l'est de Linnahall (07/2011)
Photo 27 Le littoral derrière l'ancienne prison de Patarei (07/2011)
196
Globalement, l’absence de changements est la règle. Les obstacles administratifs, financiers,
judiciaires, les oppositions d’acteurs ont retardé la rénovation et l’ouverture du littoral tant
souhaitées. Il convient alors d’étudier un certain nombre de projets emblématiques afin
d’expliquer pourquoi l’aménagement urbain du littoral tallinnois semble compromis. Les
évolutions depuis dix ans ne prêtent pas à l’optimisme et les effets de la crise économique à la
fin des années 2000 ne vont pas dans le sens d’une accélération des constructions. De plus, le
processus de débat public se rode, avec des habitants plus conscients de leur pouvoir face aux
propositions des promoteurs et de la municipalité.
2.3.2. Un schéma directeur vraiment applicable ?
Si les grandes idées du schéma directeur semblent pertinentes, qu’en est-il de la mise
en application ? L’étude de la situation sur le littoral de Tallinn montre une première
difficulté : le morcellement foncier et l’inconstance administrative. La réforme de la propriété
en Estonie au cours des années 1990 a eu pour effet de découper le territoire en de
nombreuses unités foncières, généralement de petite taille. Ce découpage entre en conflit avec
la vision globale du schéma directeur. Tout en respectant les dispositions du schéma directeur,
les propriétaires sont libres de choisir les aménagements pour leurs terrains. Les limites des
parcelles foncières sont autant de barrières sur le littoral tallinnois qui empêchent un
aménagement global. Alors que les huit quartiers d’aménagement devaient apporter de
nouvelles logiques spatiales, on constate que les limites des propriétés s’imposent et
empêchent la refonte spatiale souhaitée.
Le découpage du territoire concerné par le schéma directeur se retrouve dans la
multiplication des plans d’urbanisme locaux. Chaque propriétaire dépose son propre projet
d’aménagement. Aucune initiative d’ensemble n’est alors prise et le rôle de la municipalité
tallinnoise sur l’ouverture du littoral se réduit sensiblement. L’absence d’un promoteur unique
ne permet pas le lancement de projets qui auraient un véritable impact sur la structure
urbaine282. Et la possibilité d’amender le schéma directeur rend ses orientations caduques.
Comme le note Damiano Cerrone, « bien que (…) les plans de quartier soient supposés
fournir un cadre aux projets urbains des promoteurs, [la] rigidité [des schémas directeurs] est
282 Si ce cas n’est pas intégré au schéma directeur, on peut voir que les terrains plus vastes ne sont pas non plus
une garantie pour attirer les promoteurs. Voir le cas des Lignes de Kopli.
197
rudement mise à l’épreuve par la facilité avec laquelle des modifications peuvent leur être
apportées par la proposition d’un plan détaillé.283 »
Entre Russalka et la limite nord des ports à Paljassaare, on recense un total de 24 plans
d’urbanisme en cours (12 en cours d’examen, 12 à l’état de demande) et 27 plans d’urbanisme
en vigueur.
L’aménagement du littoral est ainsi porté par une multitude d’acteurs, sur des
superficies très variables. Le plus petit plan d’urbanisme couvre une surface de 2 116 m²
(DP029930), le plus vaste 1 193 319 m² (DP008190)284. On note aussi l’étalement dans le
temps des projets déjà validés : le premier projet validé le fut en 1995, le dernier en 2012. En
ce qui concerne les projets déposés, on couvre une période aussi longue. 14 projets ont été
déposés avant 2001285. Ensuite, on compte entre deux et quatre projets déposés chaque année,
sauf en 2005 avec six projets et 2007 avec neuf projets. En 2009 et en 2011, un seul projet
apparaît dans les registres et aucun en 2010. Il semblerait que chaque propriétaire a déposé
son plan d’urbanisme. Les espaces sans plan propre ont soit déjà été aménagés, soit ils ne
présentent pas d’intérêt particulier.
Si le littoral tallinnois n’évolue que partiellement au cours de la décennie 2000, cela
est dû en grande partie à la multitude d’acteurs présents. Les dépositaires de plans sont avant
tout les entreprises qui possèdent les terrains : des entreprises du bâtiment comme Arco
Investeeringute AS ou AS YIT Ehitus, des sociétés immobilières comme Bestok Kinnisvara
OÜ, Fine Kinnisvara OÜ. Certaines entreprises existent spécifiquement pour le projet à
porter : Kalaranna AS pour la plage de Kalarand, OÜ Logi Projekt pour l’aménagement de la
rue Logi. On a donc ici un urbanisme avant tout promu par des propriétaires privés.
Les institutions publiques ne sont pas pour autant absentes de l’aménagement urbain.
Le service de l’urbanisme de Tallinn est à l’origine de trois projets, la municipalité, la mairie
de district de Põhja-Tallinn, le ministère de la défense et l’entreprise gestionnaire du
patrimoine immobilier de l’État d’un projet chacun (sur le même port de Miinisadam).
Toutefois, le service de l’urbanisme en tant qu’acteur est un phénomène plutôt ancien. Deux
des trois projets datent de la fin des années 1990. Le troisième a lieu été déposé en 2008 et est
entré en vigueur en 2011.
283 Damiano Cerrone, « Tallinn s'ouvre sur la mer », Regard sur l'Est, 1er octobre 2011, trad. de l'anglais E. Le
Bourhis 284 Les superficies les plus vastes s’expliquent par l’intégration de portions de la baie de Tallinn. 285 La date de dépôt est inconnue pour les projets antérieurs à 2001. Leur numéro permet toutefois de les placer
dans les années 1990
198
Ainsi, le politique n’a pas la main sur l’aménagement du territoire à Tallinn. Seuls
quelques portions d’espace restent à la disposition des services publics. (Les élus tallinnois
ont le dernier mot en votant les plans d’urbanisme, mais le vote au conseil municipal est
surtout une procédure d’enregistrement.) Il faut toutefois souligner que les projets portés par
les autorités publiques sont souvent les plus étendus. C’est Port de Tallinn, entreprise
publique, qui planifie pour les plus grandes superficies. Tous les projets sont supérieurs à 20
ha. Les projets municipal et ministériel autour de Miinisadam s’étendent sur 44 ha.
La superficie semble néanmoins pénaliser l’avancement des projets. Aucun projet
supérieur à 20 ha (sauf deux) n’a (encore) été mené à terme. Le projet le plus vaste à avoir été
validé par le Conseil municipal récemment s’étend sur 13 ha (projet porté par OÜ Logi
Projekt). Ensuite, pour les projets plus petits, seul un projet de plus de 5 ha (projet DP011450
de Skanska EMV) est entré en vigueur.
Si on observe la situation dans le temps, aucune logique n’apparaît. Des plans en cours
de réalisation côtoient des terrains dont le plan d’urbanisme est bloqué dès la première étape.
Certains plans franchissent toutes les étapes en l’espace de quelques années seulement comme
par exemple le plan d’urbanisme DP032800286, déposé en novembre 2008 et déjà en vigueur
en novembre 2010. D’autres doivent attendre des années. Le DP018100287 a été déposé en
novembre 2003, mais n’a été voté par le Conseil municipal qu’en octobre 2011.
Les plans établissent les règles d’urbanisme à respecter en cas d’aménagement.
Toutefois, les prises de décision au début des années 2000 sont remises en question par la
réglementation des terrains voisins. Sur les 27 plans votés par le Conseil municipal, huit ont
déjà subi des modifications, principalement entre 2006 et 2008, qui fut une période active de
régulation de l’aménagement à Tallinn.
On peut poser une hypothèse concernant ces changements : les décisions des années
1990 et du début des années 2000 ont pu être prises trop rapidement, en dehors de tout cadre
plus global. Dès lors, les modifications apportées dans la seconde moitié des années 2000
jouent le rôle de rectificatif pour mettre les règles d’urbanisme en conformité avec les projets
nés après l’entrée en vigueur de ces plans, mais peut-on être si optimiste ?
Dans un cas comme Linnahall (cf. ci-après), la situation est difficile à démêler. Les
plans en vigueur et des projets se superposent. En 1996, Linnahall est intégré au DP001040
286 Plan d'urbanisme du segment de la rue Sadama dans la parcelle des rues Rombi, Logi, Sadama et du parvis
de Linnahall 287 Plan d’urbanisme du 54, rue Tööstuse
199
« Plan d’urbanisme du voisinage du Port de Kesklinn ». Le plan d’urbanisme est initié le 10
octobre 1996 puis entre en vigueur le 26 juin 1997. Il s’agit d’un plan d’aménagement porté
par AS Nord Projekt. L’apparition d’autres projets l’annule progressivement. Les entrées en
vigueur du DP032800288 le 18 novembre 2010 et du DP022930289 le 5 mai 2011 réduisent la
surface concernée par le plan de 1997. Toutefois, le DP001040 reste officiellement en
vigueur, sans que l’on sache réellement ce qu’il contient.
Un second plan, le DP009620 (« Plan d’urbanisme de Linnahall et du voisinage), a été
déposé par Linnahall AS le 30 octobre 2001. Les bases du projet sont rédigées et validées par
les différents services et les municipalités de district de Kesklinn et de Põhja-Tallinn au cours
de l’automne 2002. Le lancement du projet est toutefois interrompu le 9 mai 2003,
135 224 m² étaient concernés.
Ainsi, deux plans d’urbanisme ont été inscrits dans les registres municipaux, mais sans
que cela ne couvre des projets réels.
2.3.3. Les conséquences de fonds d’investissements insuffisants
Outre les difficultés administratives, l’aménagement urbain du littoral est
particulièrement touché par un manque de fonds financiers. De nombreux projets, dont les
plus emblématiques, souffrent de l’absence de fonds suffisants pour commencer, et surtout
achever, les rénovations. On rencontre des cas de figure différents selon la situation, mais
l’effet demeure le même : la rénovation du littoral est de plus en plus illusoire et les ambitions
sont sans cesse revues à la baisse.
L’obtention de financement extérieur constitue une condition sine qua non de la
réalisation de nombreux projets, tant privés que publics. S’il est évident que les projets
résidentiels rencontrent moins de difficulté, la vente des biens immobiliers venant assurer la
rentabilité du projet, les projets à dimension culturelle, de loisirs nécessitent eux des
investissements dont la rentabilité n’est pas immédiate. À cette question s’ajoute
généralement une dimension patrimoniale contraignante. Rénover Linnahall, l’ancienne
prison de Patarei ou une centrale électrique comporte une incertitude concernant la rentabilité
qui n’incite pas à la dépense. Le désintérêt des investisseurs privés dans la rénovation du
littoral laisse les pouvoirs publics (État et municipalité) seuls face aux ambitions affichées.
288 Plan d'urbanisme du segment de la rue Sadama dans la parcelle des rues Rombi, Logi, Sadama et du parvis
de Linnahall 289 Plan d'urbanisme des parcelles Sadama 4 et Sadama 6-8
200
Quatre cas illustrent cet état de fait : Linnahall, le Chaudron de la Culture et le projet de
nouvel hôtel de ville et le quartier résidentiel ouvrier historique des Lignes de Kopli.
Quartier construit en lien avec les chantiers navals au début du XXe siècle, les Lignes
de Kopli rebutent les investisseurs immobiliers en raison de la dimension patrimoniale à
conserver et de l’ampleur du quartier à rénover. Les chances de réussite d’une transformation
des Lignes de Kopli se réduisent à mesure que la municipalité lance des appels d’offre qui ne
trouvent pas de candidats. Plusieurs concours ont été organisés depuis 2006 sans qu’une
véritable solution n’émerge.
En février 2009, le plan d’urbanisme DP013620 entra en vigueur. Il prévoit un
aménagement complet des Lignes de Kopli avec 728 appartements, un centre pour personnes
âgées, une école maternelle et des espaces réservés à un café, aux activités de service. Le
projet couvre une surface de 23 ha, où doivent être bâtis 98 bâtiments. Aussi, les travaux de
rénovation incluent la mise à niveau de toutes les infrastructures qu’il s’agisse des routes, de
l’éclairage public… Mais ceci changea peu de choses, les Lignes de Kopli n’en sont pas pour
autant devenues plus attractives. Les concours lancés par la mairie en mai 2009 et juin 2010
échouèrent totalement puisqu’aucune offre ne fut faite, et ce malgré les efforts pour
promouvoir le projet à l’étranger (Suède, Finlande). En dépit des échecs du passé, la
municipalité relança le processus de rénovation en 2013. Une campagne de publicité autour
du projet est organisée en octobre 2013 à Moscou, Saint-Pétersbourg, Helsinki et Stockholm.
Seules deux offres ont été faites et seule l’offre de l’entreprise britannique Ransome´s Trading
Holding Company Ltd, représentée en Estonie par EST Kinnisvara OÜ, a été validée par la
commission chargée du dossier290. L’offre britannique n’est pas une surprise car le
propriétaire de l’entreprise, Paul Neuville Rodney Cooke, avait déjà fait part de son intérêt
pour le développement des Lignes de Kopli. Toutefois, l’entreprise retira son offre avant la
seconde étape du concours en raison de détails juridiques, qu’il est inutile d’expliquer ici. Ce
nouvel échec n’empêcha pas la municipalité de persévérer et de remettre les Lignes de Kopli
aux enchères en mai 2014 pour un prix de mise en vente fixé à 1,5 millions d’euros. En
novembre 2014, deux entreprises, Pro Kapital et OÜ Fund Ehitus ont exprimé leur intérêt.
Selon Priit Partelpoeg, le directeur-adjoint du service de l’immobilier municipal,
l’ampleur du projet et les conditions imposées par la ville ont réduit le cercle des candidats
290 Une offre en provenance d’Estonie n’a pas été qualifiée, les raisons n’ont pas été dévoilées. Kadri
Inselberg, « Kopli liinid võib osta Suurbritannia ettevõte », e24.ee, 22 novembre 2013
201
potentiels291. Les entreprises estoniennes étaient globalement exclues de la compétition
puisque la ville exige un chiffre d’affaires de plus de 10 millions d’euros au cours des trois
années précédant le concours. Parallèlement, il est très probable que les entreprises étrangères
intéressées furent peu nombreuses, de l’avis d’Allan Remmelkoor, le directeur exécutif de Pro
Kapital. Il estime que la municipalité doit modifier les données du concours pour permettre
aux entreprises estoniennes de prendre part au projet. Cet avis est partagé par Aivar
Villemson, le directeur exécutif d’A&A Kinnisvara, une autre entreprise du bâtiment, qui
propose aussi de scinder le projet en sous-ensembles. La mise sur le marché de l’ensemble des
Lignes de Kopli semble un obstacle supplémentaire pour trouver un aménageur292.
Toutefois, l’argument financier n’était pas la seule raison de l’absence d’avancées du
dossier. Selon Martin Vahter, le directeur exécutif de l’entreprise immobilière 1Partner
Kinnisvara, la faute est à trouver du côté de l’agence de protection du patrimoine qui impose
des conditions de préservation architecturale trop contraignantes293.
De plus, la localisation de Kopli n’est pas un avantage. Le district de Põhja-Tallinn
souffre dans son ensemble d’une image très négative, en lien avec la pauvreté de la
population. Les difficultés locales sont visibles par la présence de la soupe populaire à
quelques pas. Les populations indésirables (marginaux, toxicomanes…) dissuadent les
Tallinnois de se rendre à Kopli.
Situées à l’extrémité d’une ligne de tramway, les Lignes de Kopli sont à l’écart des
transformations des vingt dernières années. Les activités économiques locales (ports
marchands) n’attirent pas les Tallinnois, d’autant que le littoral n’est pas aménagé pour les
activités de loisirs.
L’Association de Telliskivi, la principale association de résidents de Põhja-Tallinn,
tente de modifier l’image du quartier. À l’instar d’autres actions en Estonie, les bénévoles ont
saisi l’occasion offerte par la journée nationale du nettoyage organisée depuis 2008294 pour
supprimer les déchets et les ruines de maisons brûlées des Lignes de Kopli.
L’absence de financement pour le projet tel qu’il existe, a jusqu’à récemment semblé
condamner les Lignes de Kopli à la disparition. Une fois les baraques détruites par les
291 Eeva Esse, « Arendajad : Kopli liinide pakkumistingimused on liiga kõrged », err.ee, 19 juillet 2013 292 Ibid. 293 Kalev Aasmäe, « Kinnisvarafirma : Kopli liinide fiasko eest vastutab muinsuskaitse », Postimees.ee, 20
mars 2014
Cet argument est rejeté par l’agence qui rappelle que les barraques de Kopli ne sont pas classées au patrimoine
estonien, mais que leur conservation est prévue par le plan d’urbanisme municipal. 294 Depuis 2008, les Estoniens sont invités à participer à des opérations de nettoyage des déchets laissés dans la
nature. Le succès du projet a transformé cette initiative nationale en projet international, désormais connu
sous le nom de « Let’s it ! »
202
incendies295, la municipalité n’aurait plus d’autre choix que de modifier le plan d’urbanisme
et de lancer un concours pour un aménagement très classique avec des immeubles résidentiels
similaires à ce qui se fait ailleurs dans la ville, faisant perdre aux Lignes leur particularisme.
L’absence de contrainte liée au patrimoine aurait changée profondément la donne et il aurait
été fort à parier que les investisseurs auraient bien plus nombreux qu’actuellement.
Finalement, la vente des Lignes de Kopli à OÜ Fund Ehitus fut annoncée au cours de
l’été 2015 pour un montant d’1,9 millions d’euros – l’entreprise Pro Kapital avait entre temps
renoncé à l’achat. Un programme d’aménagement en six étapes est prévu pour la période
2016-2028 pour un montant de 55-65 millions d’euros. Cette annonce marque un tournant
pour ce quartier littoral de Tallinn, mais il faudrait attendre la fin de la décennie 2020 pour
observer l’ampleur des réalisations !
Photo 28 Baraques abandonnées à Kopli
(photo : Peeter Langovits, Äripäev, 17/10/2006)
Le financement du projet constitue également l’une des causes majeures de l’absence
d’avancée dans le dossier de Linnahall. Construit entre 1976 et 1980 par les architectes Raine
Karp et Riina Altmäe pour les JO de 1980, le complexe de Linnahall (halle municipale)
nécessite, 30 ans après sa finition, une rénovation importante. L’ancien Palais de la Culture et
des sports V. I. Lénine comprend, entre autres, un amphithéâtre de 4 200 places avec un foyer
de 6 000 m², une patinoire de 3 000 places, un café et des salles à fonctions variées et
295 En 2002, les Lignes de Kopli comptent 44 bâtiments et les traces de 12 emplacements de constructions
récemment détruites. Entre 2002 et 2004, trois bâtiments disparaissent, puis un entre 2004 et 2006. Sept
autres sont détruits entre 2006 et 2008, puis trois entre 2008 et 2011. En 2013, il ne reste plus que 30
bâtiments. Ainsi, la moitié des Lignes de Kopli a disparu. Ces 30 bâtiments ne sont pas, eux-mêmes,
habitables. Certains ont déjà subi des dégâts par le feu, les condamnant. D’autres sont presque vidés de
leurs habitants. Il ne reste en 2011 que deux familles dans la 5ème ligne.
203
s’impose par ses dimensions. Avec ses 300 m de longueur pour 160 m de largeur, le bâtiment
offre une superficie totale de 27 215 m². Le mastodonte en béton bâti en bord de mer, à 500 m
au nord de la Vieille Ville renvoie en partie à l’architecture médiévale et les bastions de
défense296 avec des flancs recouverts d’herbe et fait donc un clin d’œil à l’âge d’or maritime
de Tallinn. Toutefois, « l’objectif était [d’abord] de créer un complexe architectural
multifonctionnel, qui élargirait l’espace urbain public jusqu’à la mer (l’espace était
précédemment découpé entre une zone militaire et les espaces portuaires).297 » Le bâtiment
avec ses deux escaliers parallèles qui l’enjambent est pensé comme une marche entre la mer et
la ville, avec la présence d’un quai d’accostage pour des bateaux passagers298.
Photo 29 Linnahall, complexe bâti au début des années 1980 sur la baie de Tallinn (12/08/2009)
Photo 30 Linnahall, une structure délabrée (17/07/2011)
296 Ces bastions furent bâtis à l'époque suédoise, au XVIe siècle. 297 Entsüklopeedia Tallinn, vol. 1, Eesti Entsüklopeediakirjastus, 2004, p. 296 298 C'est actuellement le cas avec la présence des quais d'embarquement de la compagnie Lindaline qui gère les
catamarans à grande vitesse entre Tallinn et Helsinki.
204
Photo 31 L'accès public à la mer limité par les infrastructures de transport aux abords de Linnahall (17/07/2011)
On note ici la présence de l’idée d’unité entre la ville et la mer dès l’époque
soviétique. Linnahall constitue donc un symbole de l’orientation prise à Tallinn depuis 30 ans.
Malgré cela, il représente désormais un poids pour la ville : du fait de la rapidité de sa
construction, le bâtiment se caractérise par la mauvaise qualité de sa structure299 et personne
n’est réellement intéressé par ce patrimoine.
Plusieurs tentatives ont été menées pour alléger la municipalité du fardeau que
représente le mastodonte de béton. Des pourparlers furent conduits avec des repreneurs
potentiels. À partir de 1995, la municipalité s’interroge, mais les projets se multiplient
rapidement, provoquant alors une certaine confusion. L’année 1995 est marquée par les
premières réflexions quant à l’agrandissement du bâtiment avec la construction de 10 000 m²
destinés des activités économiques. Ce projet est abandonné par le refus des partenaires
potentiels situés en Allemagne300.
Alors qu’apparaissent les premières propositions de vente à un propriétaire privé,
Linnahall devient la propriété de la société par actions AS Tallinna Linnahall, elle-même
propriété de la ville de Tallinn.
La constitution d’AS Tallinna Linnahall permet de stabiliser la situation autour de la
propriété de l’édifice jusqu’à 2002, année où la question de la vente est de nouveau évoquée.
Les idées pour la transformation de Linnahall ne manquent pas : l’entreprise Lemminkäinen
Eesti AS propose d’aménager un terminal portuaire avec magasins tax-free et postes de
douanes, d’autres projets évoquent la construction de courts de tennis sur le toit,
299 Eesti arhitektuurimuuseum, Tallinna 20. sajandi arhitetuurijuht, p. 120 300 Piret Lindpere, « Tallinna Linnahalli hiilgus ja viletsus », Sirp nº 11(3385), 16 mars 2012
205
l’aménagement de l’amphithéâtre en salle de concerts à destination d’une population jeune,
l’agrandissement de la scène de l’amphithéâtre pour en faire un terrain de basketball...301
En 2004, une seule candidature a été enregistrée, avec la proposition de l’entreprise
OÜ Manutent d’acheter Linnahall et les espaces alentours pour la somme de 150 millions de
couronnes (environ 9,6 millions d’euros). Elle fut rejetée par la municipalité qui estimait
l’offre incompatible avec la stratégie budgétaire de la ville302.
La question de la rénovation de Linnahall prend un nouveau départ lorsque la ville de
Tallinn signe un contrat avec Tallinn Entertainment LLC. Il s’agit d’une société fondée aux
États-Unis en 2007 par Ronald S. Lauder, PDG du groupe de cosmétiques Estéee Lauder, son
principal objectif est l’organisation de manifestations culturelles d’importance en Estonie303.
Par ce contrat, l’entreprise s’engage à investir dans la rénovation et la reconversion de
Linnahall. Grâce à ce contrat d’un milliard de couronnes (environ 64 millions d’euros), la
ville de Tallinn bénéficie d’une source d’investissement majeur, que le budget municipal ne
pourrait pas supporter. Alors que les conditions spéciales d’aménagement liées à Linnahall en
tant que patrimoine architectural avaient fait renoncer tous les candidats précédents, Tallinn
Entertainment LLC les accepte304.
En janvier 2010, la municipalité annonce par la voix de Taavi Aas que le financement
de la rénovation de Linnahall est « trouvé ». L’investissement de Tallinn Entertainment LLC,
sous forme d’emprunt, est désormais cautionné par le gouvernement fédéral américain jusqu’à
250 millions de dollars. Dans un contexte de négociations pour l’intégration de l’Estonie au
sein de la zone euro, le maire adjoint précise que cet emprunt ne sera pas une charge
supplémentaire pour l’État estonien305. Cette situation est exceptionnelle pour Tallinn qui lutte
souvent financièrement pour mener à bien ses projets. Malheureusement pour les autorités
tallinnoises, la garantie du financement par le gouvernement américain est rapidement
démentie par un communiqué de l’ambassade des États-Unis à Tallinn. De son côté, Taavi
Aas est forcé de reconnaître que les négociations ne sont qu’en cours et que le financement
doit également être approuvé par le gouvernement estonien.
301 Ibid. 302 Delfi.ee, « Linnahalli müük tunnistati nurjunuks », 13 octobre 2004 303 L’investissement de Ronald Lauder à Tallinn n’est pas anodin. Après quelques activités politiques (années
1980), le fils de la fondatrice de la multinationale des cosmétiques, se lança dans les affaires en ex-Europe
de l’Est, notamment en Hongrie (à partir des années 1990). En Estonie, R. Lauder investit dans la
cimenterie de Kunda après avoir été contacté par le Premier ministre estonien de l’époque, Edgar Savisaar.
Les liens de Lauder avec l’Estonie se retrouvent aussi en la personne de son avocat d’origine estonienne
Roman Pipko. 304 Delfi.ee, « Linnahalli renoveerimise leping sõlmiti täna südaööl », 8 mai 2009 305 Urmas Tooming, « USA valitsus tagab linnahallile 2,8 miljardi krooni suuruse investeeringu », Tallinna
Postimees, 26 janvier 2010
206
De plus, les enquêtes menées par certains journalistes ont permis de révéler que
Tallinn Entertainment LCC n’avait rien d’une entreprise capable d’investir les sommes
nécessaires à la rénovation de Linnahall306. L’incertitude quant au partenariat avec Tallinn
Entertainment LLC est renforcée après que le ministre des finances Jürgen Ligi refusa
d’accorder une garantie à un emprunt municipal, la ville de Tallinn a déjà atteint la limite des
emprunts autorisés.
Tallinn Entertainment LLC et la ville de Tallinn créent en août 2010 une entreprise
conjointe où les deux acteurs ont une participation à hauteur de 50% selon le principe du
partenariat public-privé (PPP). Le système créé par l’entreprise commune donne le droit de
gestion du bâtiment à Tallinn Entertainment LLC pour 99 ans, avec paiement d’un droit
d’utilisation (800 000$) à partir de la seizième année d’exploitation. Ce contrat est rapidement
critiqué par l’opposition municipale. Valdo Randpere, président du groupe Parti de la
Réforme à Tallinn, juge que la ville sort perdante. L’élu pointe aussi le flou concernant les
sommes nécessaires. « Il faudrait environ 700 millions de couronnes pour remettre Linnahall
en état. Dans le même temps, la municipalité a demandé il y a six mois au gouvernement des
garanties pour un emprunt de 2,8 milliards de couronnes. Pourquoi souhaite-t-on emprunter
quatre fois plus que nécessaire ?307 »
Si des éléments concrets semblaient apparaître, force est de constater que rien n’a été
réalisé depuis.
En 2014, la municipalité, par la voie de Taavi Aas, évoque désormais l’intérêt porté
par l’entreprise portuaire Port de Tallinn. Là encore, l’annonce fait l’objet d’un démenti. Le
même scénario se répète d’année en année et les services de protection du patrimoine
craignent que la structure atteigne un état de délabrement sans retour. Comme dans le cas des
Lignes de Kopli, le potentiel patrimonial du littoral tallinnois est-il condamné à disparaître
faute d’intérêt économique ? Malgré son aspect peu attractif, Linnahall pourrait servir de
véritable centre urbain entre mer et Vieille Ville. Malheureusement, ses atouts n’en sont plus.
L’auditorium de 4 600 places est désormais concurrencé par Saku Suurhall, une salle de
10 000 places dédiées au sport et à la musique. Plus petite (1 830 places), la salle
multifonction Nordea (ex-Nokia) s’impose en centre-ville face à Linnahall grâce à sa
modernité. De plus, les concerts intermédiaires peuvent être organisés en plein air, soit dans le
centre-ville, Place de la Liberté, ou sur l’esplanade des chants. Une salle de plusieurs milliers
306 L'entreprise basée dans le Delaware, paradis fiscal américain, portait initialement le nom de Tallin
Entertainment LLC, le nom de Tallinn étant mal épelé. Raimo Poom, « USA valitsus : Tallinn linnahalli
miljiardigarantiid pole olemas », Eesti Päevaleht, 10 février 2010 307 Delfi.ee, « Reformierakond : linnahalli leping on linnale kahjulik », 25 août 2010
207
de sièges n’aurait alors d’utilité qu’une partie de l’année. La patinoire est elle aussi
concurrencée par les structures présentes à Haabersti et Lasnamäe.
Progressivement, l’idée de scinder le bâtiment émerge : plutôt que de trouver un seul
gestionnaire, la municipalité pense attirer les investisseurs en leur proposant une partie du
bâtiment, la ville en conservant la partie centrale (la grande salle de concert). Toutefois, cette
politique présente un risque : que se passera-t-il si la totalité de Linnahall n’est pas attribuée ?
La ville est-elle prête à investir avant pour provoquer un renouveau ? Rien n’est moins sûr.
Le sort de Linnahall est essentiel pour l’aménagement du littoral du centre de Tallinn
car il oriente toute l’organisation territoriale du quartier. L’emprise au sol (9 ha) limite
considérablement les possibilités d’aménagement sur les terrains littoraux les plus proches de
la Vieille Ville. Des bâtiments industriels ou militaires ont pu être rasés depuis 1991
(Kalarand), libérant de l’espace, mais dans le cas de Linnahall, on se trouve dans une situation
tout autre. Le classement du bâtiment au patrimoine estonien en 1997308 rend cette alternative
difficile à mettre en place, sans parler des fonds nécessaires pour mener des travaux de
démolition. Sans la venue d’un illusoire investisseur, Linnahall semble condamné à se
dégrader, limitant ainsi l’aménagement de plusieurs hectares de terrain au cœur de Tallinn. La
dégradation trop avancée supprimerait la possibilité d’aménager quelques activités comme ce
fut le cas en 2011309 et empêcherait les touristes de jouir d’un des rares panoramas sur la baie
de Tallinn.
L’une des difficultés concernant Linnahall est son isolement progressif du reste de la
ville. L’extension du Vieux-Port, l’implantation de nouvelles fonctions ont progressivement
établi des barrières autour de la structure et supprimé la possibilité d’un aménagement plus
global. Alors que l’espace entre le Vieux-Port et Linnahall devait accueillir un parc, les
travaux n’ont pas été réalisés et le développement du port passager dans les années 1990 a
progressivement isolé le complexe. La construction de bâtiments tel que les bureaux et un
hôtel pour la compagnie de transport maritime Tallink le long de la rue Sadama ou
l’apparition de nouveaux éléments entre Linnahall et la Vieille Ville, notamment une station-
308 Ce patrimoine s’impose à l’espace urbain par la renommée obtenue dans les années 1980, avec l’obtention
du Grand Prix, de la médaille d’or et du prix du président de l’Union internationale des Architectes lors de
la biennale mondiale INTERARH en 1983 à Sofia et d’un prix d’État de l’URSS (1984). Cette aura incita
les autorités à inscrire l’objet sur la liste du patrimoine architectural. Cette inscription fut confirmée en
1997 par décret du ministre de la Culture de la République d’Estonie. 309 Dans le cadre de l’année culturelle 2011, un projet du festival centré sur le mobilier urbain LIFT11 fut
installé à Linnahall. Une plate-forme en bois fut montée et offrait aux promeneurs un nouveau point de vue
sur la baie de Tallinn.
208
service, ont fortement isolé le bâtiment, désormais coincé entre la mer et des friches (par
exemple l’espace enserré entre Põhja pst. et la rue Kalasadama où les vestiges de l’ancienne
centrale électrique et d’autres bâtiments industriels dominent autour de l’ancienne voie
ferrée). L’ouverture de quais pour les bateaux rapides de la compagnie Lindaline et la
construction d’un héliport ont supprimé le contact de la structure avec la mer, alors que l’idée
première était de créer un lien entre la mer et la ville, avec la structure en escaliers. Cet
isolement a entraîné une baisse de la fréquentation du lieu, jusqu’à sa fermeture pour
rénovation en décembre 2009. Seule une boîte de nuit poursuit ses activités où les populations
jeunes profitent pour braver certains interdits, notamment la consommation d’alcool.
Linnahall devait représenter le cœur du renouveau du littoral, mais les développements
urbains autour lui ont fait perdre ce rôle central. L’absence de perspective en fait même
désormais un obstacle à l’aménagement urbain souhaité. Les projets voisins (nouvel hôtel de
ville, port de plaisance) peuvent-ils voir le jour alors que le quartier est défiguré par une
masse de béton en ruines ? Le lancement de ces projets pourrait constituer l’étincelle qui
redonnerait une valeur à Linnahall, mais l’espoir est mince. Qui veut désormais investir sur un
territoire obstrué ?
Si des tentatives sont faites pour développer des activités temporaires, on peut douter
de l’efficacité des mesures. Les terrains situés à l’est de Linnahall ont été nettoyés de leur
végétation pour accueillir une fête foraine. Si l’idée peut paraître bonne, la réalisation montre
des manques. Aucun aménagement du sol n’a été entrepris et les activités de jeu ont été
directement installées à même la terre. Enfin, l’annonce du départ du parc d’attractions au
cours de l’été 2014 a mis un terme à cette tentative.
La ville, qui possède les terrains, pourrait jouer un rôle d’initiateur, mais elle n’a pas
les moyens d’agir, ni les entreprises chargées des aménagements. Les projets de port de
plaisance sur les terrains situés juste à l’est de Linnahall sont à l’arrêt depuis plusieurs années.
Le projet ne fut pas intégré dans la liste des récipiendaires des aides allouées par EAS et est
donc reporté à une date indéterminée.
Le manque de financement existe aussi dans le projet de reconversion de l’ancienne
centrale électrique. Initialement pensé en lieu de spectacle, le Chaudron de la Culture souffre
comme d’autres projets d’un report permanent de la réalisation des travaux. Ce projet devait
être le flambeau de l’année culturelle en 2011. Force est de constater que ce fut un échec. Les
nombreuses batailles judiciaires entre entreprises candidates à la rénovation de la structure ont
condamné le projet avant même 2011. Une fois l’année européenne écoulée, l’envie d’investir
209
dans le projet s’est rapidement amoindrie et on peut désormais se demander si l’ancienne
centrale deviendra réellement un nouveau poumon de la culture tallinnoise.
Au printemps 2014, la Fondation pour le développement de l’Entreprise (EAS) a
notamment menacé la ville de Tallinn. Face à l’inaction des autorités locales, les représentants
d’EAS ont exigé un plan détaillé du financement du projet de Chaudron de la Culture, sous
peine de quoi la fondation réclamerait le remboursement des sommes déjà déboursées par elle
(environ 3,5 millions sur un total de 16 millions prévus).
Finalement, le Chaudron de la Culture fut inauguré en février 2015, soit trois ans après
la fin de l’année culturelle à Tallinn. Des événements y sont organisés, des salles sont
disponibles à la location. Reste à savoir si ce lieu deviendra à terme un centre de la création
culturelle à Tallinn ou si l’investissement fut vain.
Photo 32 L'ancienne centrale électrique rénovée
(photo : Liis Treimann, Postimees, 18/02/2015)
Photo 33 L'intérieur du Chaudron de la Culture
(photo : Liis Treimann, Postimees, 18/02/2015)
Toutefois, et malgré la résolution du conflit avec EAS, la ville semble avoir été
contrainte de condamner une partie des projets du quartier en vendant les terrains voisins du
Chaudron afin d’assurer le financement du projet. De plus, les projets d’aménagement de
l’espace public se sont transformés en projet d’immeuble de bureaux. Les difficultés
financières obligent la municipalité à se séparer du peu de capital foncier dont elle jouissait à
proximité du littoral et à laisser un promoteur immobilier construire un nouvel immeuble de
bureaux en lieu et place des projets culturels.
Les questions financières mettent à mal la construction du futur hôtel de ville de
Tallinn. Prévu au sud de Linnahall, elle est menacée après que la ville et le cabinet
d’architectes ont cessé leur collaboration suite à un désaccord concernant le financement du
pré-projet.
210
Pourtant ce projet semblait avoir franchi les principales difficultés. Initialement prévu
sur les friches situées à l’est du Vieux-Port, ensuite on a pensé l’installer sur les terrains
localisés au sud de Linnahall ce qui a nécessité des négociations pour déplacer la station-
service présente sur les terrains choisis.
Malgré cela, la construction du nouvel hôtel-de-ville semble menacée alors qu’elle
apparaissait dans le programme de développement de Tallinn 2006-2015. Aucun élément
n’indique que les travaux commenceront dans les années à venir. Les difficultés rencontrées
par la municipalité avec les autres projets évoqués rendent les autres investissements
illusoires.
Alors que la municipalité souhaitait réorganiser ses services en les regroupant, la
construction d’une nouvelle place centrale à Tallinn demeure à l’état d’utopie. On se trouve
en présence d’un nouvel élément qui témoigne des difficultés de l’aménagement du littoral à
Tallinn faute de ressources financières.
Parfois, les investisseurs doivent eux-mêmes reporter la réalisation de projets. La crise
économique de la fin des années 2000 a freiné les ambitions des années précédentes. Des
choix ont dû être faits afin d’étaler les dépenses. C’est notamment le cas pour le projet de port
de plaisance aux abords de Linnahall. Le plan d’urbanisme initié par la municipalité existe en
bonne et due forme après avoir été voté par le conseil municipal en juin 2010, mais rien n’a
été entrepris depuis. L’entreprise chargée des travaux, Logi tn OÜ, filiale d’AS TTP, a dû
renoncer à la mise en chantier après que la Fondation pour le développement de l’entreprise
eut choisi d’attribuer des financements à d’autres projets. Alors que le chantier devait être fini
pour l’année culturelle en 2011, les reports ont fait perdre à la capitale estonienne un autre
élément de sa politique urbaine.
Sans financements extérieurs, les projets du littoral tallinnois sont clairement
compromis, qu’ils soient portés par des acteurs publics ou privés. Cette difficulté n’est pas
insurmontable, les ressources financières pourront être trouvées plus tard. Cela ne remet pas
en cause les aménagements, mais les décale uniquement dans le temps, si d’autres alternatives
ne sont pas adoptées entre temps. Les projets à l’arrêt au début des années 2010 pourraient
bien voir le jour dans les années à venir, mais on note clairement une difficulté majeure dans
l’aménagement urbain tallinnois. Les moyens ne sont malheureusement pas à la hauteur des
ambitions.
211
2.3.4. L’ouverture du littoral, une vraie priorité ?
L’observation des évolutions urbaines sur le littoral tallinnois amène une question : les
autorités municipales font-elles réellement de l’ouverture du littoral une priorité ?
Malgré l’aménagement du port de Muuga, les activités portuaires demeurent très
présentes à Tallinn et empêchent l’élargissement de l’espace public à une portion plus
importante du littoral. Depuis 1991, le développement du transport de passagers (lignes
régulières et croisières) a renforcé le rôle du Vieux-Port limitant le déplacement des ports.
Si le schéma directeur prévoyait le maintien des ports, la municipalité, alors dirigée
par Tõnis Palts (Res Publica), tenta par exemple en 2005 de faire déplacer le port militaire de
Miinisadam, sans succès. Le ministère de la défense s’y opposa et l’arrivée d’une nouvelle
majorité a définitivement mis un terme à cette hypothèse.
Unique base de la marine estonienne, ce port nécessitait des rénovations importantes.
Néanmoins, bien que le port soit propriété de l’État, ce dernier devait obtenir un permis de
construire, que la mairie rejeta dans un premier temps. Autoriser la construction
d’infrastructures nouvelles sur le port de Miinisadam aurait contraint la municipalité à
renoncer à mettre en place ses projets d’ouverture du littoral. La position de l’équipe
dirigeante de la capitale estonienne est claire en 2005 : « La municipalité souhaite le départ
de Miinisadam du seul port militaire estonien actuellement entre les mains de la marine. De
plus, l’équipe municipale veut que l’administration maritime quitte le port d’Hundipea et que
l’activité industrielle diminue dans les ports marchands.310 »
Les projets de l’État en collaboration avec l’OTAN empêcheraient pour longtemps
l’accès au littoral. « Le développement du port de Miinisadam comme objet militaire de
l’OTAN ferme de manière certaine et pour longtemps l’accès des personnes à la mer et il ne
correspond pas aux projets municipaux.311 » Selon Tõnis Palts, « si ce plan était réalisé,
l’armée resterait dans le centre-ville pour l’éternité. Fermant l’accès à la mer et maintenant
le risque d’explosion au cœur d’une ville de 400 000 habitants!312 » C’est dans ce contexte
que le plan d’urbanisme adopté par la ville en août 2005 réaffirme la volonté de la ville, avec
la prolongation de deux ans de l’interdiction de construire autour du port.
Devant le refus de la mairie de donner les permis nécessaires au développement du
port, le ministère de la défense, qui avait l’assurance d’un financement de l’OTAN (290
310 Urmas Seaver, « Keskerakond ei pruugi volikogus sadamaala ehituskeeldu toetada », Postimees, 16 juin
2005 311 Urmas Seaver, « Linn tõrjub mereväge kesklinnast », Postimees, 17 mai 2005 312 Tõnis Plats, « Kaitseminister, armasta oma merelinna! », 6 juillet 2005 http://www.palts.ee/kaitseminister-
armasta-oma-merelinna/
212
millions de couronnes – 18,5 millions d’euros) a aussitôt porté l’affaire devant les tribunaux
administratifs. Une première plainte déposée en août 2005 fut jugée en faveur du ministère, le
tribunal jugeait les décisions du département de l’urbanisme illégales et Tõnis Palts
incompétent juridiquement313. Le conflit entre les parties qui devait se poursuivre devant les
tribunaux à la suite d’une seconde plainte déposée par le ministère de la défense a pu
s’achever rapidement avec le changement de majorité et de maire, à la faveur des élections
municipales d’octobre 2005. L’arrivée au pouvoir du Parti du Centre, également membre de la
coalition gouvernementale, a supprimé l’opposition politique entre ville et gouvernement.
Alors que la ville avait déjà perdu la première bataille judiciaire, le nouveau maire, Jüri Ratas
(Parti du Centre) a immédiatement entamé des pourparlers avec le ministère : « quelle que soit
la solution à laquelle nous arrivons, nous travaillerons en coopération avec le ministère de la
défense, qui dirige la politique de défense de l’Estonie.314 » Par cette décision, la ville a
renoncé au départ du port de Miinisadam de son emplacement actuel et les plans ultérieurs
intègrent de manière claire la présence de ce port, supprimant automatiquement la possibilité
de réaliser les projets initiaux, et impose à la ville d’utiliser ses seules ressources et de réduire
l’ampleur territoriale de ses projets.
Densification, résidentialisation et espace public
Dans ce contexte d’ouverture du littoral, les projets défendus mettent d’abord en avant
un processus de densification urbaine avec la planification de nombreux immeubles
(résidentiels et de bureaux) à la rentabilité certaine.
L’aménagement du littoral tallinnois fait alors apparaître l’impossibilité de conjuguer
diverses fonctions. Si les projets culturels de 2011 indiquaient une volonté de mettre la culture
en avant, avec un espace public ouvert réservé aux déplacements piétons entre les différents
sites, le soutien accordé à la construction d’immeubles de bureaux et d’immeubles résidentiels
montre une autre approche. Bâtir autant que possible aux abords du bassin de l’Amirauté ou
de Kalarand témoigne d’une orientation antagoniste aux discours entendus sur l’identité
maritime tallinnoise. Comment espérer rendre l’accès à la mer en comblant les interstices
disponibles et en ne laissant qu’une étroite bande accessible ?
Les dernières évolutions au sud du bassin de l’Amirauté renforcent cette idée avec le
lancement des travaux d’immeubles de haut standing. La construction de bâtiments ne serait
313 Küllike Rooväli, Triin Olvet, « Ratas lepiks Miinisadama asjus kohtuväliselt kokku », Postimees, 17
novembre 2005 314 Ibid.
213
pas en soi une mauvaise chose si les futures activités permettaient de créer un lien entre
vieille-ville et port. Malheureusement, ce sont immeubles résidentiels et de bureaux (hauteur
supérieure à 20 m) ainsi qu’un imposant complexe commericial qui sont privilégiés. Dès lors,
on peut regretter l’établissement d’une barrière entre le port et la ville médiévale, comme on
peut déjà le voir avec le premier bâtiment achevé en 2013 (hauteur 24 m). À terme, la vieille-
ville, à l’exception de la tour de l’église Saint-Olaf pourrait être invisible depuis le bassin de
l’Amirauté315. Ainsi, les passagers débarquant des ferries ne seraient plus accueillis par les
tours des remparts, mais par une ligne d’immeubles modernes, une situation bien éloignée de
l’objectif initial de liaison entre ville et mer. De même, les Tallinnois qui n’auront pas le
privilège de résider dans ce quartier de standing se retrouveront coupés des espaces littoraux
par cette même barrière d’immeubles qui va enserrer le bassin de l’Amirauté.
Photo 34 Friche et parkings entre bassin de l'Amirauté et Vieille Ville de Tallinn avant leur comblement par des
immeubles. (03/06/2010)
Photo 35 Densification urbaine au sud du bassin de l’Amirauté
À gauche, le Navigator, le premier des bâtiments érigés au sud du bassin de l'Amirauté (22/08/2015), à droite, le projet
architectural d’aménagement des espaces voisins dévoilé à l’automne 2015.
315 Un corridor libre de construction haute est prévu dans l’axe en provenance du terminal D, mais sa largeur
est réduite ce qui n’offrira qu’une vue partielle sur la ville médiévale. Document « Põhijoonis » relatif au
plan d’urbanisme « Admiraalteedi basseini ja Mere pst vahelise ala detailplaneering », K-Projekt, 2007
214
Plutôt que de développer des activités publiques et de réunir ville et littoral,
l’urbanisation massive autour du bassin de l’Amirauté va renforcer la fonction commerciale
du lieu (ventes de produits aux touristes de croisière) et les espaces littoraux accueilleront un
nouveau centre commercial comme on peut en rencontrer d’autres ailleurs à Tallinn. Certes le
littoral est désormais accessible, mais le particularisme du lieu n’est en rien exploité dans
l’optique d’un développement de l’image de marque de la ville. Si l’inauguration d’un
quartier moderne à Tallinn va probablement attirer un intérêt, celui-ci sera passager et le
littoral tallinnois se banalisera rapidement, faute de marqueur distinctif fort.
Alors que la ville a perdu la main avec la privatisation des terrains, il semblerait que
les rares parcelles disponibles puissent subir un sort identique, condamnant par la même
occasion les projets d’aménagement urbain initialement prévus. Les terrains situés au nord du
Chaudron de la Culture qui accueillent depuis quelques années des activités culturelles sont
désormais au cœur d’un projet d’immeuble de bureau, empêchant alors l’extension d’autres
structures, comme le musée d’art contemporain. Cette évolution est critiquée de toute part, à
l’exception du pouvoir municipal. Ancienne membre du Parti du Centre, devenue directrice
de la Fondation du Chaudron de la Culture grâce au soutien d’Edgar Savisaar, Evelyn Sepp
n’hésite pas aujourd’hui à critiquer les choix faits sur le littoral. Elle regrette l’abandon de
l’aménagement initié dans le domaine de la culture et appelle à prolonger les efforts.
Se pose néanmoins la question de l’équilibre de la ville. Des efforts ont été faits pour
développer d’autres quartiers. La construction du musée d’art estonien (KUMU) à Kadriorg
va dans cette optique de faire sortir les activités du seul centre-ville. Les appels à maintenir la
culture sur le littoral soutiennent alors un renforcement de l’hyper-centre au détriment
d’autres quartiers tallinnois. Mais il est vrai que l’espace public du littoral gagnerait à être
développé pour le public et non dans l’intérêt de quelques entreprises du bâtiment promptes à
engranger le maximum de profits.
215
Carte 36 Densification urbaine entre port et Vieille Ville à Tallinn
Après la forte croissance urbaine des années soviétiques dont le symbole est la
construction de grands ensembles (Lasnamäe, Õismäe, Mustamäe), les deux décennies qui
suivent le retour à l’indépendance sont marquées par une forte résidentialisation des espaces
non-bâtis. Les lotissements de maisons individuelles et de petits immeubles sont construits à
Pirita, Haabersti, les districts périphériques de Tallinn. Forts de leur potentiel économique, les
espaces littoraux n’échappent pas à cette tendance, même si la législation de protection du
216
littoral empêche une urbanisation totale. Les projets comme le TOP de Pirita ou Kalarand sont
des exemples de la concurrence qui existent face au maintien d’un littoral public. Le contexte
de l’économie libérale fait de ces espaces une source de revenus facile au détriment de
l’intérêt général des Tallinnois. La limitation des espaces réellement attractifs rend cette
concurrence d’autant plus sensible. Les espaces littoraux à construire ne sont pas légion en
raison de la loi de protection du littoral, des zones protégées et de conditions de géographies
physiques parfois contraignantes. Le littoral de la baie de Kakumäe n’est pas constructible à
cause du sol instable – le quartier de Tiskre a été développé à plus de 200 mètres de la mer. La
géographie physique empêche316 également un aménagement littoral autour de l’embouchure
de la Mustjõgi. La rive sud-est de la baie de Kopli est escarpée, ce qui, là aussi, limite les
aménagements. Dans la baie de Tallinn, le littoral est dans l’ensemble urbanisé (ports, routes)
ou protégé (plages).
Dès lors, les investissements lucratifs potentiels sont limités à quelques espaces du
littoral et les propriétaires ne veulent pas abandonner les profits possibles au nom de l’intérêt
général. La construction d’un immeuble de bureaux est un investissement moins risqué :
malgré des prix plus élevés qu’ailleurs, les surfaces proposées à la location une fois le
bâtiment achevé trouvent toujours preneurs. Même si l’économie moderne se développe en
dehors du centre-ville (Ülemiste, Mustamäe), s’installer à proximité de la Vieille Ville et du
bord de mer reste un atout incomparable.
On peut objecter aux défenseurs de l’espace public que Tallinn ne manque pas
d’espaces littoraux. Son état naturel, rare dans une ville, mais bien présent dans la capitale
estonienne (Pirita, Haabersti, Paljassaare), offre un cadre dont les habitants peuvent jouir
aisément. Toutefois, il est vrai que l’accès n’est pas aisé, voire limité afin de préserver cette
nature. On peut s’interroger sur l’adéquation de ces projets avec la volonté d’ouverture sur la
mer. Ouvrir la ville à la mer peut-il se traduire par le remplissage des espaces non bâtis et
réserver le luxe de la proximité du littoral aux seuls futurs résidents ? D’un certain point de
vue, construire des immeubles de bureaux et d’appartements sur le littoral va dans le sens
d’une ouverture de la ville à la mer. Il sera désormais possible de résider et de travailler sur le
front de mer de la baie de Tallinn. Rien n’indique toutefois que tous les Tallinnois pourraient
avoir un accès au littoral. Le retour de la ville à la mer devient effectif par l’implantation de
316 Les techniques d’aménagement existantes pourraient faire de ces espaces des terrains constructibles, mais
dans le cas tallinnois (et estonien), les frais nécessaires rendent cette option sans intérêt. Tallinn ne manque
pas de terrains constructibles pour devoir investir dans une conquête de ces espaces-là.
217
nouvelles fonctions alors que les terrains militaires fermés la tenaient à l’écart. La politique
urbaine menée sur le littoral tallinnois ne se distingue pas de celle conduite dans les autres
quartiers ; les terrains sont aménagés de la même manière. Dès lors, on cherche « ce retour à
la mer » tant promu au cours des années 2000. On peut néanmoins fortement douter de la
constitution d’une identité plus maritime à Tallinn après la réalisation des projets proposés.
Un littoral dédié à la circulation automobile
L’une des difficultés du schéma directeur des espaces littoraux est qu’il pose les bases
de futurs axes routiers majeurs pour la ville de Tallinn. La croissance du nombre de véhicules
individuels, le développement de nouveaux quartiers résidentiels ont pour conséquence la
saturation du réseau routier. Dans le centre-ville, la situation est d’autant plus difficile que la
Vieille Ville et le littoral limitent les possibilités d’aménagement viaire. La liaison entre le
district de Põhja-Tallinn et l’Est de Tallinn (Kadriorg, Pirita, Lasnamäe) ne se fait
actuellement que par un seul axe par lequel transite la circulation locale ainsi que les
marchandises à destination des ports de la presqu’île (cf. carte suivante).
Le schéma directeur propose l’aménagement d’un nouvel axe entre le quartier de
Kalamaja et le littoral, en empruntant l’ancienne voie ferrée. Les quartiers de Karjamaa, Siitsi
et Kopli seraient alors accessibles sans devoir traverser Kalamaja. À l’est, c’est la route de
Narva qui doit être dédoublée afin de supprimer le goulot d’étranglement entre Russalka
(jonction des routes de Pirita et Narva) et l’Université de Tallinn (d’où part l’ébauche de
boulevard de contournement). Une nouvelle route doit être construite entre Russalka et la rue
Ahtri en longeant les terrains du Vieux-Port. Même si on ne parle pas d’un axe à grande
vitesse, force est de constater que l’axe en question va s’imposer dans le paysage urbain et
former une nouvelle rupture. Alors que la promenade existant entre 2011 et 2014 sur le tracé
de l’ancienne voie ferrée servait de lien entre les différents points du littoral – sans être elle-
même sur le littoral – une route destinée aux véhicules motorisés rendra immédiatement
l’accès au littoral plus complexe en raison du flux de véhicules. Alors que l’ouverture du
littoral prônée est censée permettre un accès depuis Kalamaja et la Vieille Ville, la nouvelle
rue va organiser un flux parallèle au littoral, contraire à l’objectif recherché.
Les projets culturels se trouvent alors en concurrence avec les activités portuaires
maintenues dans la baie de Tallinn. Alors que le nord de Kalamaja semble évoluer en nouveau
pôle culturel de Tallinn et que le littoral pourrait être intégré à cette évolution, l’aménagement
de routes de contournement ne va-t-il pas mettre à mal l’unité du quartier et la transformation
urbaine souhaitée ? La construction de la rue Kalaranna crée un séparateur physique entre le
218
littoral et les quartiers résidentiels. Il en va de même à l’est du Vieux-Port. La construction
d’un axe parallèle à la route de Narva aura pour conséquence de réduire la largeur des espaces
aménageables. Dès lors, le littoral entre Russalka et le Vieux-Port s’inscrira dans le
prolongement des pistes cyclables aménagées entre Russalka et Pirita, certes d’une largeur
suffisante pour empêcher la circulation automobile, mais trop limitée pour en faire un espace
dynamique nouveau.
Les activités de transit marchand sont essentielles pour les ports de Tallinn, mais les
activités se déroulant principalement à Maardu, ne faudrait-il pas achever leur déménagement
plutôt que de voir un espace urbain dans l’impasse en raison des conflits potentiels entre
secteurs d’activités ?
La géographie de Tallinn rend la cohabitation difficile. L’aménagement du littoral
peut-il se faire au détriment des populations de Põhja-Tallinn dont une partie travaille dans les
chantiers navals locaux ou faut-il accroître la crise sociale commencée dans les années 1990
sur la presqu’île ?
219
Photo 36 Transformation du Kilomètre de la Culture en rue Kalaranna
2.3.5. Des projets mis en péril par une contestation multiforme
L’UNESCO et l’Hôtel-de-Ville
La proximité entre le littoral et la Vieille Ville a conduit à l’intervention de
l’UNESCO dans le débat sur le futur hôtel-de-ville. Le classement de la ville médiévale au
220
patrimoine mondial de l’humanité implique des règles strictes en matière d’urbanisme à
l’intérieur et à l’extérieur des remparts. L’inquiétude de l’organisation onusienne provient
essentiellement des modifications que le futur hôtel de ville va apporter dans la ligne
d’horizon depuis la mer et les plages de Pirita.
Le projet indique que le futur complexe administratif atteindra une hauteur de 64,6 m.
Ainsi, une partie de la Vieille Ville sera obstruée par les sommets du nouveau siège de la
municipalité. Un bâtiment moderne s’imposera au regard devant les tours médiévales. Jusque-
là, les constructions de la fin du XXe siècle avaient été érigées à l’écart, formant d’ailleurs un
second ensemble de tours, tel un miroir. Dans le même temps, le panorama sur la ville
médiévale reste vide de modernisme hormis l’ancienne centrale électrique, les bâtiments
portuaires et les ferries. Mais ces derniers ne s’élèvent pas à une hauteur équivalente.
L’extension de la zone protégée et de la zone-tampon implique un contrôle plus strict
de la part de l’UNESCO qui craint la construction de tours qui modifieraient la ligne
d’horizon si particulière de Tallinn. L’institution critique les limites du schéma directeur
autour des bâtiments élevés. Les zones délimitées se situent en dehors de la zone-tampon,
mais pourraient toutefois former des obstacles aux secteurs panoramiques.
Si le rôle de l’UNESCO et ses avis sont pris très au sérieux par la municipalité et les
représentants de l’Estonie au siège de l’organisation, c’est en raison du précédent de la Vallée
de l’Elbe à Dresde. Classée au patrimoine mondial de l’humanité en 2004, la vallée en fut
retirée en 2009 après la construction du pont de Waldschlösschen, un pont routier de 635 m.
L’UNESCO avait dans un premier temps placé la Vallée de l’Elbe sur sa liste rouge des sites
en péril, en 2006. Le maintien du projet et sa réalisation a mené l’UNESCO à franchir l’étape
du déclassement lors de son congrès de Séville en 2009. Le précédent dresdois est désormais
analysé par les autres lieux classés de peur de perdre le précieux titre. Ce fut notamment le cas
à Bordeaux pendant la construction du Pont Jacques Chaban-Delmas sur la Garonne. Le
nouveau pont se situe à la limite de la zone classée du centre bordelais et des rives du fleuve.
Son design imposant, choisi pour laisser un accès au port pour les navires, rompt la ligne des
quais de Garonne.
À Tallinn, l’UNESCO est déjà intervenue dans un projet de construction à proximité
de la Vieille Ville. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, un projet
d’aménagement de la Place Viru intégrait notamment une extension de l’Hôtel Viru. Baptisé
« Viru poeg » (Fils de Viru), cet hôtel devait atteindre 17 étages. En 2006, l’UNESCO émit
un rapport qui préconisait l’abandon de ce projet.
221
Du côté de la municipalité et de l’État estonien, le projet est défendu : certes le
bâtiment est imposant, mais il va aussi permettre de dynamiser des espaces intégrés dans la
zone-tampon de la Vieille Ville. Le projet « donne une nouvelle identité visuelle à toute la
zone-tampon de la Vieille Ville de Tallinn et densifie la structure urbaine existante. Cela
génère bien sûr des obstacles visuels pour certains points de vue d’observation lointains,
mais cela sera compensé par une quantité de changements qui influenceront tout Tallinn, y
compris dans le développement social et urbain de la Vieille Ville », explique Marten Kokk,
le représentant permanent de l’Estonie auprès de l’UNESCO en 2012317.
Dans le cas précis de l’hôtel de ville, deux secteurs seront affectés par la construction
de l’hôtel de ville : le secteur de la jetée de Merivälja et celui de Maarjamäe. Dans les deux
cas, le bâtiment municipal s’élève devant Paks Margareeta, la tour nord de la Vieille Ville.
Néanmoins, Paks Margareeta est pratiquement invisible car déjà située derrière les terminaux
du port passagers. Et les ferries accostés font déjà écran. Enfin, l’emplacement de l’hôtel de
ville reste à l’écart des principaux angles de vue.
L’opposition de type NIMBY
Les phénomènes d’opposition apparaissent toutefois principalement dans le cadre de
projets résidentiels. Les populations locales refusent l’arrivée de nouvelles populations dans
leur quartier, luttent contre une densification urbaine maximale et défendent une autre vision
de l’aménagement urbain de l’espace littoral.
Deux projets sont particulièrement concernés par des conflits NIMBY : les abords de
Kalarand et les terrains non-bâtis du TOP de Pirita. Dans chaque cas, les projets portés par la
municipalité et/ou le propriétaire foncier ont provoqué un rejet de la part des habitants, avec le
soutien ou non des autorités locales, des experts.
Kalarand est actuellement une friche, suite à la destruction de petits bâtiments
soviétiques, située entre la baie de Tallinn, le port de Kalasadam, l’ancienne prison de Patarei
et la voie ferrée qui menait au Vieux-Port. De l’autre côté de la voie ferrée, sur le promontoire
situé 10 m au-dessus des terrains concernés, s’étend le quartier résidentiel de Kalamaja, lieu
très prisé par les jeunes familles, de bobos et autres artistes. Propriété de Kalaranna AS, filiale
de Pro Kapital, cette friche doit devenir un espace résidentiel par la construction de petits
immeubles (plan d’urbanisme DP002040).
317 Tuuli Jõesaar, « UNESCO veab superkalli raehoone sobivust vanalinna külje all », Eesti Päevaleht, 3 mars
2012
222
Au sud du TOP à Pirita, les vastes parkings sont en permanence vides, de quoi aiguiser
l’appétit des promoteurs immobiliers. Propriété d’AS TOP, les terrains offrent une position
idéale en bord de mer, avec un accès rapide au centre-ville à moins de cinq kilomètres par
l’avenue côtière (route de Pirita).
Carte 37 Le projet d'aménagement du TOP dans le conteste de l'est tallinnois
223
Carte 38 Le projet du TOP dans le quartier de Pirita
224
À Kalarand et Pirita, l’opposition est menée par les associations de quartier :
l’Association de Telliskivi dans le premier cas et l’Association de Pirita dans le second. Elle
se fait tout d’abord sur l’ampleur des projets en termes de hauteur de bâtiments et d’emprise
au sol. Les habitants de Pirita et de Kalamaja refusent une densification à outrance et
l’érection d’un « mur » sur le littoral. Ils préconisent la réduction de la hauteur des bâtiments
prévus et la limitation du nombre de bâtiments. À Pirita, cette position est un temps partagée
par les autorités locales dont le maire de Tallinn Tõnis Palts, et l’Union des architectes318.
De plus, ils s’opposent à la construction d’immeubles résidentiels qui auraient pour
conséquence l’arrivée massive de populations nouvelles à Pirita. On observe là un cas
classique des conflits NIMBY où les habitants déjà présents ne veulent pas perdre leur confort
et leur cadre de vie. Pirita s’est constituée en cité-jardin et les opposants ne souhaitent pas voir
de bouleversements architecturaux, pourtant Pirita a connu des transformations récentes sans
qu’elles n’aient suscité de contestation comme la construction du vaste lotissement de
Padriku.
Le conflit va au-delà. Des habitants mettent en avant l’utilité publique du lieu pour les
résidents locaux et les Tallinnois en général. Si on peut y voir une position égoïste de la part
des résidents de Pirita, ils avancent néanmoins des arguments plus solides. Selon eux,
implanter de nouvelles populations est un non-sens. Pirita étant déjà un quartier résidentiel,
l’arrivée de nouvelles populations augmenterait encore les difficultés en termes de circulation
entre Pirita et le centre de Tallinn. Ces habitants arguent que l’implantation de fonctions
économiques au sud du TOP permettrait de créer de nouveaux flux dans Tallinn et
dynamiserait Pirita. Cette idée est également défendue par Tiit Terik, le maire de district
(linnaosavanem) : de Pirita, qui regrette le peu de surfaces à fonction commerciale319 et
Endrik Mänd, l’architecte en chef de Tallinn320.
Les opposants, par la voie de l’Association de Pirita, placent le cas du TOP dans le
contexte global de croissance démographique à Pirita et dans la commune de Viimsi. La
situation est suffisamment tendue sur la route de Pirita, seul axe qui mène à Tallinn, qu’il est
absurde d’ajouter de nouvelles populations. De plus, le manque d’infrastructures (services) est
pointé du doigt. Le projet du TOP ne s’inscrit pas dans un cadre plus global. Il ne fait
qu’accroître la fonction résidentielle de Pirita alors que la population a déjà doublé depuis la
chute de l’URSS. Ne serait-il pas plus judicieux de diversifier le territoire plutôt que de
318 Urmas Seaver, « Pirita rahvas eelistab madalamaid elamuid », Postimees, 26 janvier 2005 319 Piret Reiljan, « Pirita TOPi hotelli müük võib tuua kahjunõude », Äripäev, 10 juin 2008, p. 4 320 Piret Reiljan, « Arco Vara kempleb linnaga magusa arenduse pärast », Äripäev, 1er avril 2008, p. 6
225
renforcer un phénomène qui atteint un stade critique ? De ce point de vue, la municipalité,
dirigée par E. Savisaar depuis 2007, ne semble pas prête à défendre un intérêt autre que celui
du promoteur immobilier, mettant alors à mal la volonté de retour vers la mer. Les opposants
n’hésitent pas à y voir une question politique et les liens entre le maire de Tallinn et les
acteurs impliqués dans le projet. Si Irina Raud, l’architecte en chef du bureau chargé du plan
d’urbanisme fait effectivement partie du Parti du Centre, aucun lien politique officiel ne lie ce
parti et Aivar Tuulberg, directeur de l’entreprise de construction Rand&Tuulberg, membre du
conseil administratif d’AS Tallinn Olümpiapurjespordikeskus et chargé du développement du
TOP. Néanmoins, le journaliste Aivar Hundimägi explique en 2009 que la réussite de
Rand&Tuulberg à Tallinn (par exemple la construction d’un millier d’appartements à
Lasnamäe, loués par la ville) ne peut provenir que d’un soutien au sommet du pouvoir
municipal321.
Après une décennie de combat, les opposants au projet ont été finalement déboutés par
la Cour suprême d’Estonie, qui a validé le plan d’urbanisme en mars 2015 en déclarant qu’il
était conforme au schéma directeur du district de Pirita, ce que les opposants contestaient. Il
faut désormais attendre la construction du nouveau quartier pour savoir quels seront ses
véritables impacts. Symbole de la lutte des habitants contre un projet immobilier, le TOP
marque une victoire de la municipalité. Il faudra observer à l’avenir si celle-ci conserve la
même approche face aux habitants ou si les tensions ne sont liées qu’à un cas particulier.
À Kalamaja, les opposants au projet actuel soulignent les transformations récentes
avec l’intégration de cet espace dans les lieux fréquentés par les Tallinnois. La municipalité
oserait-elle détruire un espace nouvellement adopté alors qu’elle prône elle-même le retour
des habitants de la ville sur le littoral ?
Dans ce cas précis, l’action des opposants diffère de celle menée à Pirita. Si les
habitants de Pirita utilisent avant tout l’échange de lettres et la contestation lors des réunions
publiques, les opposants au projet de l’entreprise Pro Kapital sur Kalarand pratiquent plus des
actions de sensibilisation. Persuadés que Kalarand mérite autre chose que de simples
immeubles résidentiels, les opposants, dont une part d’experts en urbanisme, cherchent à
développer des alternatives en termes d’aménagement.
Alors que Kalarand ne faisait pas partie des lieux fréquentés, les efforts de
l’Association de Telliskivi et des autres mouvements tels Linnalabor ont progressivement fait
321 Aivar Hundimägi, « Rikaste TOP : Arendajad Tartust, kellest Tallinn hoolib –Rand ja Tuulberg »,
Aripaev.ee, 7 décembre 2009
226
de cette plage un nouveau lieu public dans la capitale estonienne et souhaitent que la
municipalité intègre cette nouvelle donnée dans sa politique urbaine. La plage ne présente
aucun charme en raison des gravas présents sur place, mais la mise en place d’installations
urbaines (cabines de plage, espaces de bronzage en bois, etc.) ont progressivement modifié
l’image du lieu. Si on reste dans l’ordre de l’éphémère, les campagnes de sensibilisation ont
peu à peu fait venir les Tallinnois sur cette portion du littoral.
Photo 37 Installations urbaines sur la plage de Kalarand (Festival LITF11) (16/07/2011)
Un travail de négociations est mené par les opposants qui souhaitent faire comprendre
aux défenseurs du projet l’intérêt des alternatives proposées. Dans le cas de Kalarand, les
relations semblaient plus constructives qu’à Pirita, où aucun dialogue ne transparaissait,
même si les dernières évolutions montrent un dialogue de sourds entre les parties. En août
2015, Pro Kapital a entrepris d’entourer les parcelles concernées par des grilles, bloquant ainsi
l’accès à la plage de Kalarand. Pointant l’illégalité de l’action – la bande littorale doit
demeurer accessible au public – les habitants ont lancé diverses actions (pétition, lettre à la
chancelière du droit) et espèrent toujours éviter la réalisation des ambitions de Pro Kapital.
Dans les deux cas, la municipalité ne semble faire aucun véritable effort pour concilier
partisans et opposants du projet. Il faut sûrement y voir l’absence d’enjeux électoraux pour le
Parti du Centre. Pirita et Kalamaja sont des quartiers acquis à l’opposition municipale (IRL,
Parti de la Réforme) donc ignorer leur volonté d’amélioration des projets n’engendre pas de
conséquences politiques négatives pour le pouvoir en place.
227
Si le phénomène NIMBY est très fort pour les cas présentés ci-dessus, d’autres projets
d’aménagement sont restés sans réelle opposition. La construction du quartier de Liivaoja, le
projet d’île-casino322 ou encore le réaménagement du port de Lennusadam n’ont pas provoqué
de mobilisation particulière alors qu’on touche également à des territoires littoraux.
En ce qui concerne le port de Lennusadam, l’absence de contestation s’explique par
l’existence préalable de structures portuaires. De plus, les zones d’habitation sont plus
éloignées. La dimension de proximité, essentielle dans la définition des conflits de syndrome
NIMBY, est alors absente. La même situation se retrouve également dans les aménagements
du port de Noblessner. De plus, l’espace public est conservé, voire valorisé. Le cas de
Noblessner se distingue d’autres projets par une gestion différente. Alors que les habitants
n’ont été généralement associés qu’après la conception du projet architectural, ils ont été ici
invités à prendre part à la réflexion initiale en vue de la transformation de Noblessner323.
Ainsi, les habitants n’ont pas le sentiment que le projet leur est imposé par un promoteur et
sont donc moins enclins à s’opposer aux solutions adoptées.
322 Lancé en 2008 par Märt Sults, un directeur d’école de Põhja-Tallinn et membre du Parti du Centre, ce
projet a pour objectif de bâtir trois îles artificielles dans la baie de Tallinn pour y implanter espaces
récréatifs, espaces de spectacles et casinos. Devant être financé par des fonds privés, le projet a été validé
par la municipalité et obtient progressivement les autorisations de l’État. 323 Riin Aljas, « Kalajama promenaadil saab jalutada aasta pärast », Eesti Päevaleht Online, 16 mai 2013
228
Carte 39 Associations de quartier à Talllinn
Le développement du quartier de Liivaoja, entre la route de Narva et la rive de la baie
de Tallinn n’a pas eu d’effets auprès des habitants du quartier de Kadriorg. Il faut tout d’abord
souligner que ce quartier n’est pas directement situé sur le littoral, l’accès à la mer est
conservé. Ensuite, on n’a pas affaire à un espace où les Tallinnois ont des habitudes liées à
leur vie quotidienne. Bâti en lieu et place d’un ancien terrain de sport, le quartier de Liivaoja
ne contient pas de dimension symbolique.
L’absence d’opposition s’explique surtout par l’absence d’association de quartier
(l’association de Kadriorg n’a été fondée qu’en 2010). Si un conflit d’aménagement peut être
à l’origine d’une structuration en association, le cas de Liivaoja n’a pas provoqué de
229
mobilisation dans le quartier de Kadriorg. En revanche, les terrains voisins pourront-ils être
densifiés de la même manière alors que Kadriorg a désormais son association de quartier et
que les résidents de Liivaoja pourraient eux-mêmes s’opposer à l’obstruction de la vue sur la
mer et à la réduction de l’espace public ?
Plus étonnante est l’absence de réactions à propos d’un projet d’aménagement d’îles
artificielles dans la baie de Tallinn. Hormis la présence de quelques défenseurs des oiseaux, le
projet est situé à quelques centaines de mètres de la réserve Natura 2000 de Paljassaare, les
réunions publiques ont été marquées par l’absence de réel débat. Malgré une couverture
médiatique importante, le projet n’a pas provoqué de réel intérêt localement. À l’instar du
nouveau quartier de Liivaoja, aucune structure de résidents pouvant regrouper les mécontents
n’existe sur la presqu’île de Paljassaare. De plus, le littoral est principalement occupé par les
activités portuaires aussi, les habitants de Tallinn ne fréquentent-ils pas ce territoire.
Enfin, l’opposition aux projets urbains ne se traduit pas toujours par une véritable
mobilisation. Sur la baie de Kopli, le petit port de Kakumäe présente des atouts pour y
développer des activités de plaisance jusque-là limitées à la baie de Tallinn voisine (Bassin de
l’Amirauté, Noblessner, port de Pirita). Un port, un centre d’accueil dédié au nautisme et des
immeubles résidentiels et de bureaux sont prévus. Rapidement, les habitants de Kakumäe
s’opposent à l’ampleur du projet et rejettent l’arrivée de nouvelles populations résidentes en
raison des nuisances potentielles en termes de circulation. Il faut souligner que les opposants
sont eux-mêmes des résidents récents puisque les immeubles concernés n’ont pas dix ans. Les
habitants défendent ainsi un cadre qu’ils étaient venus trouver et qu’ils ne souhaitent pas
partager, position typique du conflit NIMBY. Toutefois, le projet de port verra le jour. Les
pelleteuses sont déjà entrées en action au cours de l’été 2014 pour déblayer les ruines
d’anciens bâtiments industriels et le port devrait voir le jour au cours des prochaines années.
L’opposition, relayée en partie par les élus sociaux-démocrates, n’a pas réussi à faire échouer
le projet. L’une des raisons est l’absence d’association réellement active au plan local,
contrairement à l’opposition menée contre les projets de Kalarand et du TOP à Pirita. Enfin,
ce conflit a peu suscité de couverture médiatique. Le combat des résidents voisins du futur
port n’a pas eu l’écho nécessaire pour mobiliser au-delà du seul quartier concerné. Et, le
projet – privé – ne répond pas au seul intérêt d’un promoteur immobilier. L’aménagement
d’un port de plaisance va dans le sens d’une ouverture du littoral au public, contrairement à la
construction d’immeubles résidentiels.
230
Lutte contre l’abandon de la promotion de la culture
La contestation de la politique de la ville en matière d’aménagement est
particulièrement sensible dans le cas des espaces compris entre Linnahall, le Chaudron de la
Culture et le port Kalasadam. Initialement pensé pour devenir un pôle culturel, ces espaces
sont désormais menacés : plutôt que d’étendre les espaces dédiés à la culture, les terrains
disponibles doivent désormais accueillir de banals immeubles de bureaux et de nouveaux axes
de circulation automobile.
Condamnant ce revirement, l’Association de Telliskivi conduit la contestation aux
côtés du Musée d’Art contemporain (EKKM) dont les projets d’extension sont remis en
cause. Les experts à la tête de la mobilisation, par exemple les architectes Toomas Paaver,
Veronika Valk, rejettent les changements opérés par la municipalité au cours de l’été 2014,
arguant que l’unité territoriale initiale était désormais menacée. Les opposants regrettent que
la ville limite au maximum les espaces disponibles pour les activités culturelles au profit
d’opérations immobilières plus rentables. Ils dénoncent le retournement de la municipalité
qui, après avoir défendu l’ouverture de la ville à la mer, propose de bâtir les rares espaces
disponibles sur le littoral du centre-ville.
Conclusion
Alors que de grandes idées ont été avancées au début des années 2000 pour
moderniser le littoral tallinnois, l’absence de réalisations d’ensemble oblige à faire un constat
d’échec. L’ouverture de la ville au littoral ne se trouve qu’en de rares points. Ailleurs, le
manque de fonds, publics ou privés, les conflits entre visions divergentes de ce que devrait
être le littoral tallinnois et la défense d’intérêts particuliers font que l’espace urbain libéré
après 1991 se trouve dans une situation d’attente.
Certaines difficultés évoquées sont surmontables. L’absence de fonds financiers n’est
pas éternelle et les projets seront certainement réalisés dans les années à venir. Seule la date
demeure inconnue. Les oppositions seront également réglées à moyen terme lorsque la justice
tranchera. Reste à savoir quelles options architecturales sortiront vainqueurs de ces conflits.
Les espaces littoraux seront aménagés, on peut en être sûr, mais de quelle manière, difficile de
prévoir l’issue du long parcours qui s’achève généralement devant la Cour d’État.
Le projet ambitieux des années 2000 a perdu de sa superbe et il est peu probable que le
littoral tallinnois devienne l’un des flambeaux de l’identité de la capitale estonienne sur la
scène internationale. Alors que les regards étaient tournés vers Tallinn en 2011, la crise
économique, les batailles judiciaires et la lenteur administrative ont empêché Tallinn de
231
présenter un nouveau visage. Malgré les discours de satisfaction à propos de tel ou tel projet
ponctuel, l’absence d’unité globale gâche les investissements faits au cours des dernières
années.
232
2.4. Faire de Tallinn une ville verte
Pour faire parler de Tallinn, l’intégration économique et le patrimoine architectural ne
suffisent pas. Une image de marque originale doit permettre à la capitale estonienne de faire
parler d’elle autrement. Initiatrice du projet de titre de « capitale verte européenne » en 2005,
la municipalité souhaite montrer l’exemple et obtenir cette distinction afin de placer Tallinn
parmi les pionniers européens en matière d’écologie en milieu urbain. Pour atteindre son
objectif (en 2018), la municipalité souhaite notamment faire de Tallinn un exemple en matière
de transports publics et innover en adoptant une politique originale.
Ce projet est lancé alors que Tallinn souffre d’une combinaison de facteurs négatifs
liés à l’héritage de la période soviétique et aux conséquences du développement de nouvelles
logiques urbaines. Les infrastructures de transport sont vieillissantes, les réseaux ne répondent
plus totalement aux besoins actuels et l’étalement urbain provoque une hausse rapide de la
circulation automobile. Progressivement, cette dernière devient un frein à des déplacements
rapides entre les différents quartiers.
Le modèle international est Singapour. L’est-il également en termes de politique locale
et de transport ? Les autorités de la ville asiatique ont fait le choix de limiter drastiquement
l’augmentation du parc automobile par la mise en place de taxes à l’importation de véhicules,
de certificats de circulation, de péages. Comment celles de Tallinn réagissent-elles ?
2.4.1. Hausse du parc automobile et étalement urbain
Figure 18 Évolution du nombre de voitures à Tallinn et dans la région de Harjumaa
0
50000
100000
150000
200000
250000
300000
350000
1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012
Région de Harju (hors Tallinn) Tallinn
233
Après plusieurs décennies de croissance urbaine selon les règles d’urbanisme d’une
ville communiste (grands ensembles, réseau de transports publics dense), Tallinn et sa région
entrent, au cours des années 1990 et dans les années 2000, dans une nouvelle phase. Les
habitants s’équipent de véhicules personnels et privilégient désormais ce moyen de transport
par rapport aux transports publics.
De plus, après les années de collectivisme symbolisées par la construction des grands
ensembles, les Tallinnois aspirent à un habitat individuel. La construction massive de
lotissements de maisons individuelles dans les quartiers vierges de Tallinn et dans les
communes voisines provoque un étalement urbain que la municipalité et l’État doivent
désormais gérer.
Les maisons de campagne parsemées autour de Tallinn deviennent progressivement
des maisons principales en remplacement des appartements détenus dans les grands
ensembles soviétiques. L’aménagement des infrastructures collectives (amélioration de l’état
des routes, viabilisation) permet ensuite une agrégation de nouveaux quartiers résidentiels,
sous la forme de maisons isolées ou par lotissements entiers (maisons ou petits immeubles)324.
Mais les nouveaux habitants conservent leurs activités professionnelles et de loisirs à Tallinn,
ce qui implique migrations pendulaires et hausse des déplacements en voiture sur le territoire
de Tallinn325.
On observe depuis deux décennies un processus de mitage de l’espace autour de
Tallinn, avec une diminution de la densité à mesure que l’on s’éloigne de la capitale.
L’analyse des statistiques du bureau national estonien cache ce phénomène. Sur les deux
décennies qui suivent la chute de l’URSS, on note surtout la baisse de la population dans
Tallinn, mais pas d’explosion dans les communes voisines à l’échelle régionale.
324 Sur la suburbanisation et la rurbanisation dans la région de Tallinn, voir Kadri Leetmaa, Residential
suburbanisation…, Op. Cit. 325 Rein Ahas, Siiri Silm, « Tallinna tagamaa uusasumite elanike ajalis-ruumilise käitumise analüüs », Tartu,
2006
234
Figure 19 Évolution démographique de Tallinn et de la région de Harjumaa
Si la population tallinnoise diminue entre les recensements de 1989 et 2011, quelques
districts connaissent néanmoins une croissance démographique. À Pirita, la population a
doublé, alors qu’Haabersti et Kesklinn sont les seuls autres quartiers dans lesquels le déclin
des années 1990 a été suivi d’un gain de population dans les années 2000. La hausse à
Haabersti est moins importante proportionnellement qu’à Pirita – la présence de Väike-
Õismäe, très peuplé, fausse la donne – mais les effets sont tout aussi visibles avec la
croissance rapide de la population de certains quartiers. Tiskre, dont l’urbanisation débute
dans les années 1990 atteint désormais 1 692 habitants en 2012. Il en va de même à Pikaliiva
où la population est en croissance constante. Déjà de 1 429 habitants en 2008, on compte
désormais 2 148 habitants dans ce quartier (2012).
La croissance apparaît clairement dans les communes limitrophes. Entre 2000 et 2013,
la population a augmenté à Saue-Ville (+11,5%), Harku (+117%), Jõelähtme (+25%), Kiili
(118%), Rae (+103%), Saku (+33%), Saue (commune rurale) (+48%), Viimsi (+137%). Les
villes de Keila et Maardu connaissent une croissance démographique de +2,9% et 3,3%.
Toutes les autres communes de la métropole tallinnoise subissent une perte démographique
sur la même période, comprise entre -1,8% (Kuusalu) et -48,9% (Vasalemma).
0
100000
200000
300000
400000
500000
600000
Région de Harjumaa Tallinn
235
Carte 40 Évolution démographique à Tallinn par quartier entre 2008 et 2012
Carte 41 Évolution démographique dans la région de Harjumaa entre 2000 et 2013
236
Le phénomène rurbain se retrouve essentiellement à faible distance de Tallinn, dans
les limites de la route nº 11, la rocade tallinnoise : dans les quartiers de Viimsi (Pärnamäe,
Viimsi, Miiduranna), le long de la route côtière qui relie Tallinn au cap de Suurupi dans la
commune de Harku (Tabasalu, Rannamõisa), à l’extrémité sud de Tallinn à Laagri (Saue) et
dans la commune de Rae (Peetri, Jüri)326.
Certains lieux accueillent désormais plusieurs milliers d’habitants, dans des
lotissements modernes. On peut mentionner les transformations à Peetri, dans la commune de
Rae, aux abords de la route de Tartu. Hameau en 2002, Peetri est devenu une banlieue
résidentielle de Tallinn, avec ses immeubles neufs d’appartement de deux ou trois étages.
Photo 38 Urbanisation du village de Peetri sur la rive droite du lac Ülemiste, commune de Rae
(Images satellite Google Earth)
Photo 39 Immeubles récents rue Raudkivi tee à Peetri, commune de Rae (12/02/2013)
326 Kadri Leetmaa, Op. Cit., p. 112
237
D’autres lotissements, composés essentiellement de maisons individuelles, sont
aménagés à l’ouest de Tallinn, à Tabasalu notamment. L’urbanisation est également visible
dans les espaces boisés à l’ouest de Tallinn, par exemple Rannamõisa, où on note la présence
de gated-communities. Plus loin encore, l’urbanisation se fait de manière linéaire, le long de
quelques routes par en exemple la route de Kadaka (à proximité d’Ilmandu, commune
d’Harku) où les maisons neuves ou en construction sont alignées les unes après les autres,
avec vue sur la baie de Kakumäe. Ailleurs, ce sont les maisons secondaires qui sont rénovées,
aménagées pour qu’elles répondent aux exigences d’une résidence principale comme Luige,
dans la commune de Kiili où un vaste lotissement d’environ 1 000 habitants s’étend sous les
pins à l’intersection de la route Tallinn-Viljandi et de la rocade de Tallinn.
De plus en plus de Tallinnois cherchent à quitter la capitale pour profiter d’un cadre de
vie plus agréable, que ce soit dans des lotissements ou dans les bourgs déjà constitués (tel que
Saku ou Saue). Toutefois, le phénomène de la rurbanisation demeure difficilement
quantifiable, car les statistiques démographiques ne rendent que partiellement compte de cette
nouvelle réalité. La difficulté première réside dans le fait que les données sont obtenues à
partir des registres de domiciliation. Or, ils sont seulement indicatifs, car nombreux sont les
habitants qui sont inscrits dans une autre commune, le changement d’adresse n’étant que
théoriquement obligatoire. Aussi, la population des villages et bourgs de la campagne proche
de Tallinn est-elle souvent largement sous-estimée. À Peetri, la population était, au 1er janvier
2012, de 3 012 habitants, or selon la page Internet du bourg, la population serait
vraisemblablement plus proche de 3 800 – 4 000 personnes327. La croissance exceptionnelle
de la population tallinnoise au début de l’année 2013 illustre le flou sur le véritable nombre
d’habitants dans les communes. La hausse de 5 000 habitants en l’espace de quatre mois ne
correspond sûrement pas à l’installation de 5 000 personnes dans la capitale. Il s’agit plutôt de
l’enregistrement a posteriori d’une population par encore en compte dans les registres de la
ville.
C’est dans ce contexte démographique que les autorités municipales doivent réduire
l’emprise de la circulation automobile sur le territoire de leur ville. Quels sont les moyens
dont elles disposent et avec quels effets ?
327 « Alevikust », sur le site Peetri alevik, Pealinna värav, www.peetri.ee, consulté le 7 août 2012.
238
2.4.2. Améliorer l’offre des transports publics
Afin d’attirer les automobilistes vers les transports publics, les pouvoirs publics
peuvent avoir recours à plusieurs outils, incitatifs et/ou coercitifs : améliorer la qualité des
infrastructures (réseaux, matériel roulant), inciter financièrement (baisse des tarifs des
transports et hausse de stationnement) et rendre difficile la circulation automobile au profit
des véhicules de transport public. La politique des transports à Tallinn utilise l’ensemble de
ces outils.
La modernisation des véhicules
L’action municipale de Tallinn se concentre avant tout sur la modernisation du
matériel roulant (tramways, bus et trolleybus). Proposer de meilleures conditions de trajet est
un argument central de la qualité d’un réseau de transport public. Les efforts sont visibles :
plus aucun bus de l’époque soviétique ne circule dans les rues tallinnoises, mais le processus
demeure inachevé. Malgré l’achat de nouveaux véhicules, notamment des tramways (2014-
2015), le parc roulant conserve quelques vestiges du passé empêchant Tallinn d’afficher un
système de transports publics totalement moderne et écologique.
Après une période de transition au cours de laquelle le parc autobus fut rénové par
l’achat de véhicules d’occasion puis neufs venus de Suède, on observe à partir de 2012,
l’arrivée de bus plus modernes, répondant aux normes environnementales européennes en
vigueur les plus récentes, en achetant 75 nouveaux véhicules. Ceci rééquilibre le parc
d’autobus, mais 60% des bus demeurent trop anciens en termes de respect de
l’environnement. Les efforts faits devraient être poursuivis au cours des prochaines années.
Les tests réalisés avec des bus à motorisation hydride indiquent la volonté de moderniser
davantage les transports en commun.
Les trolleybus se trouvent dans une situation mitigée du point de vue de leur état. Sur
les 89 véhicules en circulation à Tallinn, 38 ont été fabriqués dans les années 1980 et 1990 et
51 ont été fabriqués à partir de 2002. Le renouvellement se fait progressivement, même si la
disparition de ce mode de transport propre est en partie envisagée. Contraints par un réseau
électrique fixe, les trolleybus offrent moins de flexibilité que les bus, dont la nouvelle
génération garantit une protection environnementale similaire.
En ce qui concerne les tramways, la situation est plus complexe. Si certains tramways
anciens ont été modernisés328, le parc se compose jusqu’à fin 2014 uniquement de rames
328 Les tramways construits pour Tallinn entre 1985 et 1990 ont vu leur intérieur modernisé au début des
années 2000, ceux construits entre 1980 et 1984 ont tous été retiré de la circulation, sauf cinq. En revanche,
239
construites dans les années 1980 et ne répond plus aux besoins actuels. L’arrivée de vingt
nouveaux tramways à partir de 2015 a fait entrer Tallinn dans une autre ère, mais sans
vraiment permettre de tourner la page des tramways de l’ex-bloc communiste. Jusque-là
contrainte de « moderniser » ses tramways en récupérant des véhicules de l’ex-Allemagne de
l’Est, la municipalité de Tallinn voit une porte s’ouvrir avec l’utilisation d’une partie des
fonds obtenus par la vente de quotas d’émission de CO2 à l’Espagne actée par le
gouvernement estonien en 2011. Cette transaction permet à l’État de financer l’achat de vingt
tramways pour un coût de 53,4 millions d’euros. Outre l’achat de nouveaux véhicules, la
modernisation du tramway tallinnois passe par une rénovation des infrastructures grâce à une
collaboration rare entre le gouvernement et la municipalité de Tallinn. Acté par le
gouvernement en 2011, le projet devrait aboutir au cours de l’année 2016.
Un bémol subsiste toutefois : la rénovation des infrastructures ne concerne pas
l’ensemble du réseau. Seules trois des quatre branches du réseau de tramway sont aujourd’hui
concernées. L’axe entre le centre-ville et Kopli, qui dessert le district de Põhja-Tallinn, n’est
pas à l’ordre du jour et le nombre de véhicules achetés n’est pas suffisant pour remplacer
l’ensemble du matériel roulant. Ainsi, Tallinn va présenter un double visage avec la
cohabitation entre vieux et nouveaux tramways, lançant un sentiment d’inachevé dans la
politique menée. On touche l’une des principales difficultés des politiques urbaines à Tallinn
où l’ampleur des efforts à faire dépasse largement les moyens à disposition. Seul un étalement
dans le temps peut permettre à Tallinn de se moderniser.
Séduire les automobilistes financièrement
Avec un réseau général relativement correct, puisque les quartiers les plus peuplés
(Lasnamäe, Mustamäe, Väike-Õismäe, Pelguranna) sont les mieux desservis, la politique
municipale souhaite s’appuyer sur des moyens incitatifs pour limiter le nombre de véhicules
en circulation. Trois éléments sont privilégiés : le développement des parcs-relais, l’extension
du stationnement payant, mais aussi et surtout l’instauration de la gratuité des transports
publics.
Afin de proposer le lien entre la voiture individuelle et les transports en commun, la
municipalité de Tallinn a adopté la solution du parc-relais, avec l’idée du P+R (de l’anglais
park and ride, littéralement traduit en estonien en « Pargi ja Reisi »). Ce système implanté
les tramways achetés (date de construction entre 1981 et 1990) à différentes villes allemandes (Cottbus,
Gera, Erfurt) à partir de 2004 ne l’ont pas été. (http://tramway.ertas.eu/tatra/index.php?lng=est)
240
tout d’abord en Amérique du Nord, puis plus tard en Europe se veut incitatif. L’idée centrale
est d’offrir aux conducteurs la possibilité de stationner à l’écart des centres-villes, mais à
proximité d’une desserte publique, qu’il s’agisse d’une station de métro, de tramway ou d’un
arrêt de bus par lequel ils peuvent se rendre en centre-ville. La circulation individuelle du
cœur des villes peut alors diminuer, offrant une meilleure fluidité pour les trajets de courte
distance. Le système P+R mise sur l’association de deux modes de déplacement, avec pour
inciter son utilisation, des mesures compensatoires sur les tarifs. À Tallinn, le parking est
gratuit si un titre de transport validé est présenté.
Si des projets existent sur le long-terme, le P+R demeure encore embryonnaire dans la
capitale estonienne puisque le site Internet de la ville ne fait état que de quatre parkings
P+R329 pour un nombre de places très limité330. Présents sur les principaux axes menant au
centre-ville (à l’exception notoire de l’avenue de Tartu qui en est dépourvue), les P+R
demeurent peu efficaces. Outre le nombre de places, l’interconnexion avec le réseau de
transport public n’est pas toujours assurée ou peu efficace. L’un des principaux reproches
tient au fait que les parkings aménagés sont desservis par des lignes de transport public qui se
prolongent vers les quartiers de résidence des automobilistes ciblés. Ainsi, si une personne
souhaite vraiment utiliser les transports publics, elle a la possibilité de le faire sur l’ensemble
de son trajet.
329 http://www.tallinn.ee/est/Pargi-ja-Reisi 330 Le P+R de Pirita contient 56 places, celui de Kalev (quartier de Kitseküla) 88 places, celui de Väike-
Õismäe 39 places et celui d’Oru (quartier de Kadriorg) 40 places.
241
Carte 42 L'implantation d'un réseau de parkings P+R à Tallinn
Un autre écueil de certains P+R de Tallinn concerne leur emplacement. Plutôt que
d’être localisés dans les quartiers les plus distants, les parkings sont situés en périphérie
immédiate du centre-ville. Dès lors, les automobilistes doivent utiliser les axes routiers
pénétrant au cœur de Tallinn pour rejoindre les lieux de stationnement. Trop proches du
centre-ville, les parkings ne sont alors pas aussi incitatifs et les automobilistes préfèrent
effectuer les derniers kilomètres avec leur véhicule personnel.
Quand les parkings sont idéalement situés, leur efficacité est limitée. Avec seulement
39 places, le parking de Väike-Õismäe n’offre pas un potentiel suffisant pour avoir une
véritable influence sur la circulation. D’autres parkings pourraient s’inscrire dans ce réseau,
mais les autorités n’ont pas jugé bon d’y développer un P+R car « trop éloigné » du centre-
242
ville pour que les automobilistes poursuivent leur route en transport en commun331. À six
kilomètres de la place Viru, le parking de Vesse (115 places) présenterait pourtant l’avantage
d’éviter aux véhicules de pénétrer plus loin au cœur de Tallinn, et notamment d’emprunter
l’intersection d’Ülemiste, qui, malgré de nouveaux aménagements récents (voir ci-après),
demeure l’un des points noirs de la capitale en termes de circulation. Mais avec une seule
ligne de bus relativement peu fréquente (un bus tous les quarts d’heure), il est vrai qu’il ne
serait pas très incitatif et donc inutile pour la ville d’investir dans un tel P+R en ce lieu.
La pertinence des aménagements actuels peut être mise en doute. La faiblesse du
système s’explique avant tout par une politique partielle, peu innovante. Les quatre parkings
existaient avant la création du système P+R et les aménagements réalisés sont minimes
(malgré l’existence de plans d’envergure332). Aucun nouveau parking n’a été aménagé en
banlieue de Tallinn alors qu’il s’agirait justement du premier objectif d’une politique de
parkings P+R. On peut enfin souligner que l’avancée proposée par l’instauration de la gratuité
du stationnement n’est pas très incitative car seul le P+R Kalev est situé dans un quartier où le
stationnement est payant !
Afin d’attirer les automobilistes vers les transports en commun, la municipalité a
surtout mis en place deux mesures particulières : l’une contraignante avec l’aménagement des
couloirs de bus, l’autre incitatrice avec la gratuité des transports publics. L’une comme l’autre
ont provoqué une forte opposition et une large couverture médiatique.
La politique des transports en site propre (couloirs de bus) existe depuis 2001 en étant
incluse dans le schéma directeur de la ville de Tallinn. Les exemples les plus anciens se
retrouvent au niveau de la route de Pirita, ainsi que le long de l’avenue de Paldiski. D’autres
voies réservées existent à Mõigu ou sur l’avenue de Narva à proximité de l’esplanade des
Chants. Environ 20% des 23,5 km de voies réservées prévues en 2001 ont été réalisés avant
2004. Toutefois, ce choix urbain se trouve au cœur de l’actualité au cours de l’été 2012
lorsque la municipalité lance un vaste plan d’aménagement dans le centre-ville (avenue de
Narva, avenue de Pärnu, avenue Estonia et place Viru) sans réelle étude préalable en termes
de bus utilisés, d’horaires, etc. Des couloirs de bus sont apparus littéralement du jour au
lendemain sur les principaux axes du centre-ville provoquant la colère des automobilistes.
Toutefois, cette opposition active est rapidement retombée.
331 Uwe Gnadenteich, « Uus Pargi&Reisi süsteem käivitub visalt », Tallinn City, 17 décembre 2014 332 Dago Antov, Tiit Metsavahi, Marek Rannala, Lähtekohad “pargi ja reisi” süsteemi rakendamiseks
Tallinnas, Tallinn, 2007
243
Annoncée le 11 janvier 2012 par le maire de Tallinn, la gratuité des transports prit
effet le 1er janvier 2013 et concerne toute personne dont le lieu de résidence est Tallinn333.
Cette politique s’appuie sur l’expérience de villes françaises, américaines et belges,
mais relève aussi d’un défi particulier puisque aucune capitale ou ville de la taille de Tallinn
n’a jusque-là adopté une telle politique. On retrouve ici le goût pour l’innovation de la
municipalité qui tente d’aller de l’avant. C’est à ce propos le principal élément mis en avant
par les autorités locales dans leur projet de devenir la capitale verte de l’Europe.
L’exemple de la ville belge de Hasselt revient régulièrement dans l’argumentaire des
tenants du projet. Cette ville de la province du Limbourg de 75 000 habitants fut l’une des
pionnières en matière de gratuité des transports. À partir de 1997, l’ensemble de son réseau
public municipal, constitué de neuf lignes de bus, est accessible gratuitement à tous. Elle est
l’une des villes les plus importantes à avoir franchi ce pas. En France, plusieurs communes
ont adopté cette politique, mais rares (5 sur 18) sont celles qui dépassent 50 000 habitants. On
peut citer les agglomérations d’Aubagne (100 000 habitants, toutes les lignes gratuites),
d’Aurillac (55 000 hab., une navette gratuite), de Châteauroux (70 000 hab., 18 lignes
gratuites), de Compiègne (70 000 hab., six lignes gratuites), de Castres-Mazamet (85 000
hab., neuf lignes gratuites). Les villes franciliennes de Levallois-Perret et de Boulogne-
Billancourt proposent des petites navettes gratuites334, mais leur inscription dans le vaste
réseau de la RATP en font des cas à part.
Les conséquences de la gratuité des transports à Hasselt sont probantes. Les
statistiques présentées par le site de la ville indiquent que seulement 365 000 personnes
circulaient avec le bus avant le 30 juin 1997. Au cours du second semestre de 1997, le nombre
de passagers a atteint 1,5 millions et dix ans plus tard, ce sont près de cinq millions de
personnes qui empruntent chaque année les bus gratuits de la ville, soit 13 000 personnes par
jour. Le corollaire de cette augmentation a été la baisse sensible du nombre de véhicules dans
la ville.
Afin de financer sa politique (un total de 14 millions d’euros), la municipalité
tallinnoise mise principalement sur la réalisation d’économies grâce à la fusion des entreprises
municipales de transports publics existantes jusque-là et surtout sur l’augmentation des
recettes fiscales liée à l’arrivée de nouveaux habitants dans la capitale, attirés par la politique
333 Par la suite, le système est étendu aux résidents estoniens depuis de 65 ans et aux écoliers. 334 Article « Transports en commun gratuits », Ekopédia
http://fr.ekopedia.org/Transports_en_commun_gratuits#cite_note-apinc-16, données de l'année 2010.
244
municipale. En effet, les municipalités estoniennes reçoivent 55,2% des recettes fiscales de
l’impôt sur le revenu de leurs habitants. L’arrivée de 10 000 personnes supplémentaires
équivaut à environ un million d’euros de recettes supplémentaires.
Dès son annonce, le projet reçoit un accueil très mitigé : l’efficacité, le coût et le bien-
fondé de la mesure sont remis en cause. L’opposition centrale au projet ciblait son coût
économique pour la municipalité de Tallinn, qu’il s’agisse du manque à gagner généré par le
projet en termes de recettes ou des moyens alloués pour promouvoir le projet335. Outre la
contestation d’une manœuvre politicienne de la part de l’équipe d’Edgar Savisaar avant les
élections municipales de l’automne 2013336, les opposants (élus de l’opposition municipale337,
associations ou experts), estiment préférable que la municipalité investisse dans la rénovation
du réseau de transport (véhicules338 ou couverture de la ville) plutôt que d’offrir des
déplacements gratuits aux Tallinnois. Dago Antov, professeur à l’Université technique de
Tallinn, déclare que « [s]i le but est d’amener les personnes à voyager en bus plutôt qu’en
voiture, la qualité doit être préférée à la faiblesse du prix. Le prix du billet est important,
mais pas autant. Si la qualité n’est pas sensiblement améliorée, je doute que les
automobilistes actuels se mettent à utiliser les transports en commun, même dans le cas où ils
seraient gratuits.339 »
Cet argument se retrouve également dans les premières analyses réalisées après la
mise en place du nouveau système tarifaire. Une étude menée par Oded Cats, de l’Université
technique royale de Suède, estime que le gain en termes de passagers après la mise en place
de la gratuité n’est que de 1,2%. Elle conclut dans le même temps que l’aménagement des
couloirs de bus et une meilleure fréquence des bus ont permis une augmentation de 2,8% du
335 Pour s’assurer le soutien de la population, la municipalité de Tallinn organise un référendum (21-25 mars
2012) dont le coût d’organisation (campagne publicitaire) s’éleva à 259 000 euros. Dans un premier temps,
la municipalité avait annoncé un montant global de 31 000 euros prélevés sur le budget annuel de la ville.
Le surcoût de la campagne atteint 228 000 euros prélevés dans le fond de réserve de la ville. (Uwe
Gnadenteich, « Tallinna korraldab tasuta ühistranspordi asjus rahvaküsitluse », TallinnaPostimees.ee, 11
janvier 2012 et Uwe Gnadenteich, « Tallinn kulutab hiigelsumma naiivse küsimuse esitamiseks »,
TallinnaPostimees.ee, 2 mars 2012) 336 Voir l’article du conseiller municipal de l’opposition Ants Leemets, « Ants Leemets : näiliselt tasuta buss ei
too edu », Postimees.ee, 21 mars 2012 337 Uwe Gnadenteich, « Pillak : tasuta ühistransport tuleb kellegi arvelt », TallinnaPostimees.ee, 11 janvier
2012 338 Selon l’association MTÜ Kodaniku Hääl (La voix du citoyen) les 20 millions d’euros correspondent à 80
nouveaux bus, 44 trolleybus ou à six tramways (Uwe Gnadenteich, « Kodaniku Hääl protestib Tallinn
raharaiskamine vastu », TallinnaPostimees.ee, 16 mars 2012) ou, selon l’association de Telliskivi à
l’ensemble des salaires de 1 400 conducteurs de bus (Juho Kuulberg, « Juho Kuulberg : tahaks lõpuks ka
midagi läbimõeldut », TallinnaPostimees.ee, 21 mars 2012). 339 Uwe Gnadenteich, « Dago Antov : tasuta ühistranspordi idee on õilis, kuid läbimõtlemata »,
TallinnaPostimees.ee, 12 janvier 2012
245
nombre d’utilisateurs. Comparée à deux autres villes par l’étude suédoise, la situation
tallinnoise s’explique par l’absence d’une amélioration du réseau (création de lignes), par un
taux d’utilisation antérieur élevé (40% des habitants de Tallinn) et un gain économique limité.
À titre de comparaison, la mise en circulation de nouveaux trains à partir de juillet
2013 sur les lignes régionales a permis une hausse de 20% du nombre de passagers (+18 000)
par rapport à juillet 2012. La hausse inclut, certes, une part de curieux désireux de découvrir
les nouveaux trains, mais elle montre toutefois une attractivité bien meilleure du réseau
équipé de nouveaux véhicules, en remplacement du vieux matériel roulant.
Cet élément est confirmé depuis que la municipalité a étendu la gratuité au réseau
ferroviaire au sein des limites administratives de Tallinn. Selon Norbert Kaareste, directeur
des ventes et des marchés d’Elron, la société de gestion des trains régionaux, la mise en place
de la gratuité a fait tripler le nombre de passagers, principalement sur le tronçon Tallinn-
Laagri340, tendance confirmée un an plus tard : de 75 000 en novembre 2013, le nombre de
voyages effectués a atteint 201 000 en septembre 2014341. Au-delà de l’état des véhicules, la
politique de gratuité dans les trains présente de meilleurs arguments que le bus. Le trajet sur
rail présente un gain de temps certain par rapport au bus ou à la voiture. Le trajet Laagri –
centre-ville dure 40 min en bus le matin contre 20 min en train. Le trajet en voiture n’est
équivalent au train que si le trajet est fluide. La gratuité vient donc s’ajouter à des conditions
favorables.
Malheureusement, la refonte du réseau, vieux de 30 ans, n’est pas à l’ordre du jour à
Tallinn. De nouveaux quartiers sont pourtant nés tant dans Tallinn qu’aux limites extérieures
de la ville et le réseau n’est plus suffisant pour les desservir. Les populations de ces quartiers
sont certes des adeptes de la voiture et des déplacements individuels, mais ne serait-ce pas
vers eux que la politique devrait d’abord être destinée plutôt que vers des populations de toute
façon dépendante des transports publics ?
Aller à Kakumäe et Tiskre nécessite une certaine patience compte tenu de la faible
fréquence des bus et des changements de ligne nécessaires. D’autres districts, comme Pirita,
ont connu une croissance démographique importante, générant alors une surcharge de
passagers pour les lignes de bus existantes. Le réseau demeure en revanche correct pour les
populations qui vivent dans les quartiers construits à l’époque soviétique. Gratuits, les
transports publics constituaient un pilier de la ville soviétique. Dès lors, Mustamäe, Lasnamäe
et Väike-Õismäe sont correctement reliés au centre-ville, par le trolleybus ou le bus.
340 Uwe Gnadenteich, « Tasuta sõit kolmekordistas rongisõijate arvu », Tallinncity.ee, 6 novembre 2013 341 Delfi.ee, « Tallinn vahetas nelja aastaga välja ligi pooled bussid », 18 novembre 2014
246
L’héritage soviétique est de ce point de vue positif pour Tallinn aujourd’hui. Les habitudes
des transports publics ne se sont pas perdues après 1991 et la situation des grandes banlieues
ex soviétiques est satisfaisante.
Réorganiser l’ensemble des lignes est un projet qui effraye plus qu’il ne rassure. En
2012, Andres Harjo, directeur du service des transports de Tallinn déclare que la
transformation du réseau des transports en commun était un sujet sensible, car électoralement
risqué342. A. Harjo pointe les habitudes des voyageurs et craint des levées de boucliers si
chacun voit ses trajets bouleversés. On peut objecter que l’amélioration du réseau ne signifie
pas supprimer tout ce qui existe, mais d’ajouter de nouveaux composants pour rendre l’offre
plus attractive.
Une idée à approfondir serait par exemple d’unir certaines lignes qui ont un terminus
dans le centre, afin que les voyageurs qui doivent traverser la ville n’aient plus à changer de
ligne pour aller de banlieue à banlieue. De plus, il serait nécessaire de développer les lignes
transversales qui relient les différents quartiers tallinnois en contournant le centre-ville. Ce
type de lignes demeure rare. Seules trois lignes relient des quartiers situés de part et d’autre (à
l’est et à l’ouest) de la Vieille Ville sans passer par les quartiers centraux.
Une explication politique et électoraliste peut être avancée ici. La gratuité des
transports et l’amélioration du réseau de bus ne répondent pas aux mêmes logiques. Rendre
les transports gratuits a un effet immédiat sur les usagers de ces transports et ils seront les
premiers à vouloir remercier de cette décision E. Savisaar et son équipe.
En revanche, repenser tout le réseau tallinnois pourrait jouer à court terme contre la
municipalité en place en générant une contestation massive face au changement. Pour
l’instant, aucune mesure ne semble donc venir améliorer le réseau, laissant un sentiment
d’inachevé dans la politique conduite depuis plusieurs années. Seules quelques évolutions à la
marge – mais essentielles tout de même – apparaissent : le développement du quartier
d’Ülemiste a poussé les autorités à modifier le trajet de certaines lignes afin de permettre aux
employés résidant ailleurs de pouvoir utiliser ce moyen de transport.
Enfin, les premières analyses soulignent que la hausse du nombre de passagers n’est
pas uniforme dans la capitale. Dans deux districts (Kristiine et Mustamäe), l’étude suédoise
montre même une diminution des trajets effectués sur la période analysée, respectivement -
1% et -1,1%. À l’opposé, dans les districts de Lasnamäe et de Pirita, le nombre d’usagers des
342 Urmas Tooming, « Ühistranspordi liinivõrgu muutmine on hell teema », TallinnaPostimees.ee, 13 août
2012
247
transports publics a augmenté de 11,7% et de 10,8%. Pour les quatre autres districts, la hausse
est plus faible : 3,4% pour Kesklinn, 2,5% pour Nõmme, 1,8% pour Haabersti et 0,8% pour
Põhja-Tallinn. Nõmme et Haabersti font partie des trois districts où le nombre de véhicules
par habitant est le plus élevé. Dès lors, l’impact de la gratuité n’a pas réellement été efficace
là où cela serait nécessaire.
Effets secondaires et limites de la gratuité
Comme souhaité par les autorités municipales, la gratuité des transports a eu un impact
clair sur le nombre d’habitants dans la capitale. Les mois qui ont suivis la mise en place de la
gratuité des transports se distinguent par une hausse exceptionnelle de la population
enregistrée à Tallinn343.
Figure 20 Évolution démographique mensuelle de Tallinn (janvier 2012 - décembre 2014)
La gratuité des transports pour les seuls résidents tallinnois pose la question de la
gratuité à l’échelle de l’aire urbaine. De nombreux résidents des communes voisines viennent
à Tallinn en bus. La situation ne va donc pas évoluer pour eux. Certains, comme Jaak Juske
343 Le système d’enregistrement est relativement souple et permet un enregistrement à une autre adresse que
son logement réel, par exemple en déclarant son adresse chez un parent. De plus, il suffit également de
louer un appartement à son nom pour une courte période, de s’enregistrer comme résident tallinnois et de
quitter cet appartement. La presse s’est fait l’écho de certaines difficultés rencontrées par les propriétaires
qui souhaitaient « désenregistrer » un ancien locataire auprès de la municipalité. (Cette difficulté a
désormais levée depuis que l’État offre aux propriétaires la possibilité de « désenregistrer » un ancien
locataire sur les sites Internet de l’État.)
-500
0
500
1000
1500
2000
2500
3000
3500
Évolution démographique mensuelle (janv. 2012 - oct. 2014)
248
(Parti social-démocrate), s’interrogent à propos de futures hausses des tarifs pour les non-
Tallinnois, avec une arrière-pensée, la gratuité des transports pour les Tallinnois va-t-elle se
répercuter sur les non-Tallinnois qui vont payer pour ce cadeau électoral ?
La réponse de la mairie, par l’intermédiaire de Taavi Aas est sans équivoque. « Les
communes rurales ont la possibilité de conclure un accord avec la ville de Tallinn, sur la base
duquel la commune compense une partie du prix du billet qui donne la possibilité à un non-
Tallinnois de voyager pour moins cher ou, pourquoi pas, si le budget communal le permet,
d’utiliser les transports gratuitement.344 » La municipalité tallinnoise n’entend donc pas
dépenser son budget pour les résidents d’autres communes. Si cette position est
compréhensible, toutefois, on peut s’interroger sur l’efficacité de la mesure pour diminuer le
trafic automobile des communes limitrophes vers Tallinn. Vouloir se distinguer en Europe en
tant que capitale verte devrait inciter à dépasser les limites administratives et penser l’aire
urbaine dans son ensemble plutôt qu’à l’échelle de la commune.
Le seul moyen de bénéficier de transports gratuits à Tallinn est de déménager, ou plus
exactement d’enregistrer son lieu de vie à Tallinn. La nette croissance démographique de
Tallinn inquiète les opposants à Savisaar qu’ils accusent de mener une politique dangereuse
pour l’équilibre territorial de l’Estonie. En incitant les résidents à s’enregistrer dans la
capitale, Edgar Savisaar prive les communes voisines de ressources fiscales essentielles.
Ainsi, accroître la population enregistrée sur la commune entraîne automatiquement une
hausse des recettes issues de l’impôt. Mais les communes de résidence effective se trouvent,
elles, privées des ressources nécessaires pour leur développement. De plus, ces changements
d’adresse posent des difficultés en termes d’aménagement du territoire faute d’une
connaissance précise de la population réelle sur chaque commune.
Originale et avant-gardiste pour une ville de plus de 400 000 habitants, la gratuité des
transports n’a cependant pas diminué la circulation automobile en provenance de l’extérieur et
un conflit entre Tallinn et les communes voisines s’est instauré alors que l’amégament et le
développement de la métropole nécessiteraient des actions concertées.
Cette gratuité des transports a tout de même eu un impact clair pour Tallinn. Cette
mesure a été plus efficace que n’importe quelle campagne publicitaire des services chargés du
tourisme. Les choix du maire ont fait parler de la capitale estonienne. Deux ans après une
année culturelle dans l’anonymat, la gratuité dans les transports a attiré le regard des
344 Alo Raun, « Tallinn : vallad maksku enda elanike bussisõitise kinni », TallinnaPostimees.ee, 8 avril 2012
249
journalistes et des élus. La mesure fut présentée dans les médias, sur les blogs spécialisés et
les projets similaires prennent désormais Tallinn en exemple. Et Edgar Savisaar parcourt le
globe345, de congrès en conférence où il présente sa politique audacieuse. Si cela n’assure pas
le titre de capitale verte européenne, la gratuité des transports a créé un nouveau marqueur
pour la capitale estonienne.
2.4.3. La nécessité de faire des choix : l’exemple du tramway
Si les transformations du réseau de bus ne sont pas à l’ordre du jour, l’extension des
lignes de tramway est un sujet que l’on observe depuis le début des années 1980. Essentiel
pour les déplacements en lien avec le centre-ville, le tramway reste néanmoins incomplet. Si
Tallinn, comme de nombreuses villes du Bloc de l’Est, a conservé son réseau pendant tout le
XXe siècle, contrairement aux villes occidentales, cet atout n’a pas été modernisé et ne répond
plus aux besoins contemporains. Le réseau n’a subi aucune modification depuis 1955 et
nécessite donc une rénovation intégrale. Une base existe (tracé des lignes notamment), ce qui
supprime les débats qu’on peut rencontrer dans les villes qui avaient supprimé leur réseau
avant de réintégrer ce mode de transport.
Le réseau s’organise clairement autour de la Vieille Ville et ne permet d’atteindre que
certains quartiers de la banlieue proche. La branche de Kadriorg, qui longe l’avenue de Narva,
permet de desservir plusieurs hauts lieux, comme l’Université de Tallinn ou le parc de
Kadriorg (et au-delà le Musée d’art KUMU). Il dessert les quartiers résidentiels de Sadama,
Kompassi, Raua et Kadriorg. La branche vers Ülemiste relie le quartier peuplé de Sikupilli,
ainsi que les ensembles bâtis à proximité de l’avenue de Tartu (quartiers de Juhkentali,
Torupilli, Keldrimäe, Maakri). C’est la ligne qui permet d’accéder à la gare routière et elle
longe les gratte-ciels bâtis depuis la fin des années 1990. La branche sud, à destination de
Tondi, suit le tracé de l’avenue de Pärnu en longeant la Vieille Ville par l’est. Elle dessert les
quartiers d’Uus-Maailm, de Veerenni, et après le franchissement des voies ferrées, Kitseküla,
Luite et Tondi. La quatrième branche, vers Kopli, divise la presqu’île de Kopli en deux et
dessert l’ensemble des quartiers qui bordent la rue de Kopli. Ainsi, les quartiers résidentiels
de Pelgulinn, de Pelguranna, de Sitsi et de Kopli ont un bon accès au cœur de Tallinn, via la
gare ferroviaire.
345 Le dernier voyage d’Edgar Savisaar en Thaïlande à un sommet du Dialogue Asie-Europe en mars 2015 a
failli lui coûter la vie. Infecté par une bactérie, Savisaar fut hospitalisé quelques jours après son retour en
Estonie et fut amputé d’une jambe. Conjuguée à des problèmes de santé récurrents depuis les années 1990,
cette opération risque de compromettre de nouvelles interventions du maire de Tallinn sur le thème de la
gratuité des transports.
250
Les évolutions démographiques et les nouveaux besoins imposent des aménagements
qui vont au-delà des quartiers centraux de Tallinn, qu’il s’agisse des quartiers construits à
l’époque soviétique ou après le recouvrement de l’indépendance.
Construits à l’époque soviétique, les grands ensembles (Mustamäe, Õismäe et
Lasnamäe) ne sont pas desservis par le tramway. Pour les deux premiers, un autre mode de
transport a été adopté : le trolleybus. Le réseau de sept lignes permet aux habitants de ces
quartiers un accès rapide au centre-ville. En ce qui concerne Lasnamäe, le réseau de transport
public ne s’appuie, lui, que sur un réseau de bus (14 lignes directes vers le centre-ville), les
deux lignes de tramway prévues n’ont pas pu être construites dans les années 1980.
Ce manque s’inscrit aujourd’hui dans la politique de transports de Tallinn. Avec plus
de 110 000 habitants, Lasnamäe fait partie des priorités en termes de transport en site propre.
Si ce grand ensemble fut contesté au cours de la Révolution chantante346, la réalité s’impose :
il est nécessaire de le desservir convenablement. Lorsque l’actuel district de Lasnamäe a été
bâti, l’idée d’un tramway à grande vitesse était déjà défendue. Élaboré entre 1979 et 1982 et
adopté en mars 1983, le projet prévoyait 7,28 km de ligne de surface et 1,72 km de ligne
souterraine à Lasnamäe et dans le centre de Tallinn. Toutefois, en concurrence avec le projet
de port à Muuga, le tramway à grande vitesse ne vit jamais le jour. L’absence de prise
d’initiative claire de la part des plus hautes autorités de l’Estonie soviétique ont d’emblée mis
à mal le projet347. Les années suivantes et la lutte contre le pouvoir soviétique en Estonie ne
furent évidemment plus propices à de tels projets, avec un pouvoir politique avant tout
mobilisé par la lutte contre le pouvoir central de Moscou.
Il ne faut pourtant pas attendre longtemps pour que l’idée de tramway refasse surface.
Deux entreprises néerlandaises s’intéressèrent de prêt à ce projet au milieu des années 1990
grâce aux fonds du programme UE PHARE348. Si l’aménagement d’une ligne de tramway
reste à l’ordre du jour, la problématique de la vitesse est rapidement tranchée : inutile de se
lancer dans un projet trop ambitieux.
En 2003, SYSTRA, une filiale de la SNCF et de la RATP, propose ses services pour la
construction du tramway tallinnois (après avoir tenté sa chance à Vilnius et à Riga). Le
346 Symbole de l’arrivée massive de populations russophones venues des autres républiques d’URSS, la
construction du quartier de Lasnamäe fut constestée par les opposants au pouvoir soviétique. Cette
opposition se retrouve dans la chanson « Mingem üles mägedele » écrite par Alo Mattiisen en 1988 et
chantée par Ivo Linna, dont le refrain scande « Arrêtez Lasnamäe ! » (Peatage Lasnamäe !). Elle est l’un
des composantes des « Cinq chansons patriotiques » d’A. Mattiisen qui constitue le cœur du répertoire de la
révolution chantante en Estonie. 347 Reedik Võrno, Miks Tallinna kiirtramm valmis ei saa, Tallinn, 2011, pp. 116-117 348 Reedik Võrno, « Tallinna kiirtrammi minevik ja tulevik », Eesti Päevaleht, 16 juillet 2005
251
modèle économique à mettre en place est le suivant : SYSTRA construit la ligne à grande
vitesse grâce aux fonds européens dans le cadre d’un contrat « clé en main ». Les tramways
sont achetés sans concours de marché public à l’entreprise Alstom et la gestion de tout le
réseau de transport public tallinnois est transférée à une entreprise européenne, type RATP.
Si ce type de procédure n’était plus la norme, les projets imposaient transparence et
concurrence349, la coopération entre SYSTRA et la ville de Tallinn ne fut pas interrompue
pour autant avec la conduite d’études de faisabilité.
La question du tramway devient un sujet central à travers un point figurant dans
l’accord de la coalition municipale formée en octobre 2004 entre le parti Res Publica, le Parti
de la Réforme et l’Union populaire. L’accord signé le 13 octobre 2004 stipule que la coalition
« [demandera] des fonds auprès de l’Union européenne pour ouvrir la ligne de tramway à
grande vitesse de Lasnamäe »350. Au moment de la signature de l’accord de coalition au
Conseil municipal, les tenants du projet imaginent une mise en service au bout de cinq ans351.
Conformément à cet accord de coalition, le Conseil municipal lance les procédures
afin d’obtenir des soutiens financiers pour la construction de cette nouvelle ligne de tramway.
Le 22 juin 2005, la municipalité entérine le lancement du projet avec financement étranger352.
Le 8 septembre 2005, la municipalité décide de la participation de Tallinn dans le projet
« Tallinna tramm », d’une étude de faisabilité et de la mise en forme de la demande d’aide
auprès du Fond de Cohésion de l’Union européenne353.
Après une étude préliminaire de faisabilité conduite en 2004 par SYSTRA, en
collaboration avec l’entreprise estonienne AS ETP Grupp, le projet d’extension du tramway
est confié en 2006 à SYSTRA, dans un partenariat avec les entreprises estoniennes AS ETP
Grupp et Hendrikson&Co. L’étude de faisabilité se déroule du 1er septembre 2006 au 15
octobre 2007. Alors que l’étude de faisabilité vient d’être lancée, le tramway éveille l’intérêt
des différents acteurs locaux. Les élus de Maardu et de Viimsi comptent profiter de l’arrivée
du tramway à leurs portes pour tenter d’en tirer les bénéfices et faire prolonger les lignes
jusqu’à leurs zones résidentielles. Maardu compte 16 500 habitants, dont un nombre
important travaille à Tallinn. Viimsi est un territoire en pleine croissance démographique,
349 Aare Olander, « 125 aastat tramme 51 aastat muutumatult », Postimees.ee, 23 août 2013 350 « Res Publica Reformierakonna ja Rahvaliidu koalitsioonilepe », 13 octobre 2004, publié dans Pealinn,
http://veeb.tallinn.ee/ajaleht-pealinn/?lang=&newspaper_id=132&category_id=460&article_id=2435 351 EPLO, « Lasnamäe kiirtramm võib tulla viie aasta pärast », Eesti Päevaleht, 15 octobre 2004 352 Tlv 22.06.2005 k nr 1294 « Välisrahastusega projekti Tallinna tram algatamine » 353 Tvk 08.09.2005 o nr 218 « Projektis Tallinna tramm osalemine ja projekti teostatavus-tasuvusuuringu
läbiviimine ning taotluse koostamine projektile toetuse saamiseks Euroopa Liidu Ühtekuuluvusfondist »
252
notamment autour de Pärnamäe. L’arrivée d’un tramway résoudrait en partie les difficultés de
circulation aux heures de pointe.
Malgré les promesses électorales de 2005, l’extension concrète des lignes de tramway
n’est toujours pas d’actualité. La première phase de travaux devait correspondre au budget
2007-2013 du Fond de Cohésion, mais rien n’a été fait. L’aspect financier joue un rôle
majeur. Le manque de fonds a notamment retardé le projet en 2008, lorsque le gouvernement
n’a pas inclus les lignes de tramway dans ses demandes de fonds européens. Les raisons de
cette décision sont, selon Eero Pärgmäe, le secrétaire général adjoint aux transports du
ministère de l’économie, le besoin d’analyses plus poussées tant sur le schéma de circulation
de Tallinn que sur la compatibilité des différents modes de transport, ainsi que la prise en
compte des évolutions démographiques. Le ministère de l’économie estime que le projet
présenté par SYSTRA reste imprécis354. Sans les quatre milliards de couronnes (environ 256
millions d’euros) demandés par la ville, le projet de tramway fut, comme le note la journaliste
Linda-Mari Väli, « remis à un futur abstrait »355.
Il est possible de s’interroger sur le bien-fondé de la position gouvernementale. Le
projet fut relancé par une coalition dont le Parti de la Réforme était partie prenante. Une fois
au pouvoir à Toompea, le Parti de la Réforme ne semble plus aussi volontaire que quatre ans
auparavant. Il est vrai que le Parti du Centre a reconquis la mairie de Tallinn en 2005 et qu’il
est passé dans l’opposition gouvernementale après les élections de 2007. Ainsi, il ne serait pas
surprenant de voir dans l’opposition du gouvernement une posture purement politique pour
bloquer les décisions d’E. Savisaar.
Au début de l’année 2009, sans pour autant renoncer à obtenir des fonds européens par
l’intermédiaire du gouvernement, la municipalité explore des pistes parallèles, notamment
auprès d’entreprises de transports russes356 ainsi qu’auprès du ministre russe des transports357.
La situation se débloque en partie le 3 février lorsque le ministère de l’économie propose de
soutenir le projet à hauteur de 1,9 millions d’euros. Cette somme, aussi limitée soit-elle,
permet de couvrir les frais de la constitution de l’avant-projet technique, dont la date limite de
dépôt était le 24 février de la même année.
Malgré les difficultés financières, le ministère de l’économie n’a pas non plus inclus le
projet dans ses demandes de financement européen à l’automne 2009, alors que le maire-
354 Urmas Tooming, « Tallinn loodab trammid käima panna Hiina rahaga », TallinnaPostimees.ee, 9 avril 2010 355 Linda-Mari Väli, « Lasnamäe kiirtrami tulek lükkub tulevikku », Eesti Päevaleht, 22 décembre 2008 356 Kertu Kalmus, « Tallinn otsib Lasnamäe trammiliini rajamiseks endiselt abi Venemaalt », Eesti Päevaleht
Online, 24 janvier 2009 357 Kertu Kalmus, « Riik on nõus Lasnamäe trammiliini eelprojektiks raha andma », Eesti Päevaleht Online, 3
février 2009
253
adjoint Jaanus Mutli estimait pourtant que le tramway de Lasnamäe pourrait naître dans les
quatre ans. Avec le recul, on comprend que l’espoir exprimé était vain.
La fin de l’année 2009 marque un nouveau tournant en matière de financement. La
municipalité perd espoir d’obtenir de l’aide en provenance de Russie, comme l’annonce
Jaanus Mutli en marge d’une visite de représentants de la ville de Moscou le 2 octobre
2009358. L’expérience de Moscou en matière de construction de tramway demeure en
revanche d’actualité. Moins d’une semaine plus tard, la municipalité annonce des pourparlers
avec des investisseurs et des banquiers chinois. La création d’un groupe de travail entre la
ville de Tallinn et des organisations chinoises est décidée pour faire avancer le projet359. La
coopération chinoise prend forme de manière plus précise en 2010 au cours d’un voyage
d’une délégation composée d’Edgar Savisaar, Taavi Aas (maire-adjoint chargé des
transports), Andres Harjo (directeur du service des transports de la ville de Tallinn) et Jaanus
Mutli, entre-temps devenu membre de la direction de Tallinn 2011, la fondation de gestion de
l’année européenne de la culture360. Le maire de Tallinn est mandaté par la municipalité pour
signer un protocole d’accord entre la ville de Tallinn, les régies de transports tallinnoises, OÜ
RAILCAR et le groupe chinois CCOEC361 Genertec. Il explique que le « but est de faire
ressortir les solutions possibles, techniques et financières, et le planning possible de la mise
en œuvre du projet. »362 Que le protocole ait été signé, cela ne signifie absolument pas que le
projet se fera. Il s’agit avant tout de réfléchir au modèle économique possible. La visite en
Chine permet aussi aux Estoniens de se familiariser avec les rames de tramway chinoises.
Pendant ce temps, le gouvernement de la République reste plutôt dans une position
d’observateur, laissant parfois l’impression d’attendre que le projet échoue. Le ministre de
l’économie Juhan Parts craint surtout que le tramway subisse le même sort que le
développement de Linnahall, à savoir un financement incertain, qui tombe à l’eau363. L’État
souhaite clairement jouer un rôle d’appui, si l’on reprend l’expression de Philippe Subra364,
mais cet appui au projet se veut très prudent. Il n’est pas incitatif, c’est-à-dire que l’État ne
358 Kertu Kalmus, « Tallinn otsib uue trammiprojekti ellu viimisel abi Moskvast », Eesti Päevaleht Online, 2
octobre 2009 359 Eesti Päevaleht, « Linn otsib Hiinast kiirtrammile abi », 8 octobre 2009 360 La fondation chargée d'organiser les événements de Tallinn, Capitale européenne de la Culture 361 China National Corporation for Overseas Economic Cooperation, organisation qui chapeaute les grandes
entreprises de l'État chinois 362 Urmas Tooming, « Urmas Tooming : unistus Lasnamäe trammist », TallinnaPostimees.ee, 9 avril 2010 363 Urmo Soonvald, « Juhan Parts : Tallinna trammil ei tohi olla linnahalli saatust », Delfi.ee, 4 avril 2010 364 Philippe Subra, Géopolitique de l'aménagement du territoire, A. Colin, coll. Perspectives Géopolitiques,
Paris, 2007, p. 81
254
vient pas aider à ce que le projet avance plus rapidement, mais attend des garanties avant de
s’engager pleinement.
La question du tramway tallinnois réapparaît finalement en 2012 lors de la visite d’une
délégation chinoise composée de membres de CCOEC et de la plus grande entreprise de
matériel ferroviaire China CNR Corporation. Les émissaires chinois ont annoncé qu’ils
étaient prêts à construire le tramway en 18 mois. Malgré ces bonnes dispositions, les travaux
n’ont pas débuté à l’automne 2012 et aucun signe tangible n’annonce un lancement proche de
la construction. La collaboration avec l’Empire du milieu semble même compromise si l’on
en croit le maire Edgar Savisaar. Selon lui, l’accueil en grandes pompes du Dalaï-lama à
Tallinn en août 2011 a clairement entraîné un retrait des Chinois du projet de tramway. « En
Estonie, Tallinn a valorisé les relations avec la Chine, et pas seulement en fêtant le Nouvel-
An chinois, la construction du nouveau tramway de Lasnamäe serait un grand pas pour la
coopération sino-estonienne. Nous en étions même très proches, mais ce n’est pas un secret
que les rencontres démonstratives du Dalaï-lama avec les dirigeants de l’État ont gâché les
bonnes relations.365 » Le Dalaï-lama effectua une visite de trois jours en Estonie du 16 au 18
août 2011. Il put s’entretenir dans le cadre de rencontres non officielles avec le président
Toomas Hendrik Ilves, le ministre de la défense Mart Laar, le ministre de l’éducation Jaak
Aaviksoo, ainsi qu’avec des parlementaires estoniens et personnes politiques de Lettonie et de
Lituanie.
Rien n’indique que ce projet verra le jour dans les années à venir. Depuis dix ans, la
date de réalisation du projet est sans cesse reportée, laissant peu d’espoir de voir un jour un
tramway relié le centre de Tallinn et Lasnamäe. En 2013, le ministère de l’économie a
clairement indiqué qu’il ne soutenait pas la réalisation d’un tel projet estimé à 240 millions
d’euros, préférant l’investissement d’une telle somme dans d’autres projets. Le principal
argument tient au fait que le gain obtenu ne serait pas à la hauteur des dépenses engendrées
compte tenu de l’état du réseau de bus actuel366.
Parallèlement au tramway de Lasnamäe, d’autres projets plus ou moins concrets
d’extension de ligne sont en discussion. Compte tenu du peu de moyens financiers, des
arbitrages sont nécessaires. Malgré l’existence de cartes présentant des plans d’ampleur, il est
certain que la mise en œuvre de toutes les idées ne pourra se faire que sur du (très) long terme.
365 Edgar Savisaar, Op. Cit., p. 70 366 Rivo Veski, « Ministeerium : Lasnamäe kiirtramm riigi toetust ei saa », Postimees.ee, 3 avril 2013
255
On constate avant tout deux logiques concurrentes : faut-il assurer les déplacements
des Tallinnois par la desserte de nouveaux quartiers résidentiels ou privilégier les structures
d’accueil des étrangers en prolongeant le tramway vers l’aéroport et le port ?
La volonté d’attirer touristes et hommes d’affaires impose la mise en place d’un
système d’accueil efficace aux portes d’entrée internationales de la capitale, le port et
l’aéroport. Dans l’état actuel des choses, l’aéroport de Tallinn n’est relié au centre-ville que
par une ligne de bus, dont la fréquence de trois bus par heure ne permet pas d’assurer un
service suffisant. Le port, plus proche du centre-ville, souffre moins du manque de transport
fréquent, mais une meilleure desserte pourrait avoir son utilité lorsque les conditions
météorologiques ne permettent pas de faire le trajet à pied. Les deux lignes (nº 2 et nº 20) ont
une faible fréquence et délaissent plusieurs districts tallinnois (Põhja-Tallinn, Pirita,
Lasnamäe, Haabersti et Kristiine, ainsi qu’une large partie de Nõmme).
En ce qui concerne les quartiers résidentiels, les besoins concernent avant tout
Kesklinn, Kristiine, Mustamäe, voire Pirita. Prévue dès l’époque soviétique en tant que
seconde phase de la ligne à grande vitesse, une ligne de tramway est envisagée vers
Mustamäe. Ce projet peut se faire de deux manières, soit via le district de Kristiine, soit par le
prolongement de la ligne sud (Tondi).
Les tracés des lignes semblent toujours incertains, comme le prouvent les différentes
cartes disponibles dans la presse ou dans les documents officiels. Datées de 2008-2010, elles
indiquent des visions à long terme plutôt que des projets concrets. Au fur et à mesure, les
délais sont allongés et l’on n’évoque plus que la vision générale, sans réelle avancée
matérielle. Lors de la conférence sur la vision du Tallinn de l’avenir, tenue en septembre
2009, l’architecte Ignar Fjuk estime que 75% des projets seront réalisés dans un délai de 15
ans367.
Cinq ans après, les idées sont toujours à l’état de projet. Un temps en suspens, il
semblerait que le prolongement du réseau de tramway jusqu’à l’aéroport soit clairement
intégré. Toutefois, nul ne peut dire quand les passagers arrivant à Tallinn pourront rejoindre le
centre de Tallinn par ce mode de transport. La nécessité de construire soit un tunnel soit un
pont pour franchir les voies ferrées présentes à Ülemiste entraîne inévitablement des coûts
supplémentaires que l’État et la municipalité vont devoir lever.
On peut se demander si l’option choisie, le prolongement au-delà du quartier de
Sikupilli, est la plus judicieuse puisqu’elle impose un ouvrage d’art coûteux. Le prolongement
367 Postimees.ee, « Kiirtramm võib tulla 15 aasta pärast », 29 septembre 2009
256
via l’avenue de Tartu, tel qu’il était imaginé en 2007, aurait clairement évité des dépenses trop
importantes. Ce tracé plus direct ne dessert en revanche pas le technopôle d’Ülemiste dont le
développement a été accéléré depuis, même si rien n’empêche un détour. La future dimension
internationale que devrait prendre la gare d’Ülemiste – en tant que terminus de la Rail Baltica
– joue en faveur du tracé le plus coûteux. Les nouveaux besoins locaux s’imposent au tracé
entre centre-ville et aéroport.
De manière générale, les prises de parole concernant les possibilités d’extension de
lignes ne provoquent pas de débat public. Si experts et fonctionnaires partagent des visions,
on ne relève que très peu de requête dans tel ou tel quartier ou dans les communes voisines.
Quelques exemples existent du côté de Viimsi et Maardu, mais cela demeure limité à des
prises de parole ponctuelles.
Il faut souligner que les quartiers potentiellement concernés ne possèdent pas
d’association qui porterait la volonté des résidents locaux. L’émergence de mouvements
citoyens visibles dans d’autres quartiers tallinnois n’a pas encore atteint Mustamäe, Väike-
Õismäe ou Lasnamäe368. Quand ces mouvements émergent, ils se concentrent avant tout sur la
vie communautaire du quartier, le développement des activités culturelles. De plus, le pouvoir
politique local (les mairies de district) est une émanation directe de la municipalité
tallinnoise ; les prises d’initiative demeurent très limitées. La situation actuelle avec les huit
maires de district affiliés au Parti du Centre d’Edgar Savisaar n’est pas propice au débat, les
décisions étant de manière générale prise au sommet du pouvoir local.
Mustamäe et Väike-Õismäe sont suffisamment bien reliés au centre-ville (trolleybus).
Un tramway serait-il vraiment nécessaire ? Haabersti (hors Väike-Õismäe) est mal desservi
par les transports publics et les populations locales sont avant tout utilisatrices de véhicules
individuels. La même situation se retrouve pour Pirita. L’investissement en vaut-il toutefois le
coût ? Vouloir faire de Tallinn une ville verte devrait être une raison de privilégier les
quartiers en manque d’alternative à la voiture, mais atteindre des populations qui ont fait un
choix de vie différent sera-t-il vraiment efficace ?
368 Dans le cas de Lasnamäe, la situation a commencé à évoluer en 2014 avec la prise d’initiatives de la part de
quelques personnes déjà impliquées dans d’autres mouvements. Le projet Lasnaidee lancé en mars 2014
vise à développer l’initiative citoyenne dans le district de Lasnamäe, la prise de conscience des habitants
vis-à-vis des potentiels locaux.
257
Carte 43 Projets d'extension des réseaux de transport public à Tallinn
258
Tallinn se trouve face à un dilemme entre proposer de nouveaux services à des
populations (moins nombreuses369) qui ne sont pas usagers réguliers des transports publics et
améliorer les services offerts aux usagers fréquents. Faire de Tallinn une ville durable devrait
inciter les autorités locales à privilégier la première solution, mais toutes les propositions
faites depuis une décennie misent d’abord sur la desserte du plus grand nombre avec la
modernisation du réseau existant.
Enfin, la politique d’investissement dans les transports publics se trouve également en
concurrence avec la nécessité d’assurer le bon état du réseau routier. Les bus, tramways et
autres trolleybus ne peuvent pas résoudre toutes les difficultés présentes à Tallinn et la voiture
ne pourra pas disparaître des rues de la ville. La circulation est particulièrement
problématique aux points de rencontre des axes régionaux : le carrefour d’Ülemiste370, celui
d’Haabersti371 et celui de Russalka372. Dans ces trois cas, l’effet de goulot d’étranglement rend
l’entrée dans Tallinn particulièrement difficile aux heures de pointe. Afin d’améliorer la
fluidité du trafic au niveau de ces trois points, de lourds investissements sont nécessaires.
Ponts et tunnels sont planifiés pour éviter le croissement des voies de circulation. Un des
projets, le carrefour d’Ülemiste, a été achevé à l’automne 2013. Désormais, la circulation
entre Lasnamäe et l’ouest de Tallinn se fait sans difficulté grâce à l’aménagement d’un
échangeur. En parallèle, les travaux ont permis d’assurer de nouveaux liens entre quartiers,
complétant le second axe de contournement du centre-ville373. D’un coût de 90 millions
d’euros, cette réalisation a été rendue possible par l’investissement de fonds européens.
Les carrefours d’Haabersti et de Russalka vont eux être transformés à partir de 2016
grâce au financement conjoint de l’État et des fonds européens ce qui reporte de plus amples
investissements dans les transports publics, d’autant que les prochains efforts seront
369 Haabersti, sans Väike-Õismäe ne compte que 14 000 habitants et Pirita n’en compte que 16 200
(recensement de 2011). 370 Le carrefour d’Ülemiste se situe au nord du lac Ülemiste à l’intersection de l’avenue de Tartu (route
estonienne nº 2), la route de Saint-Pétersbourg (route estonienne nº 1), les rues Järvevana et Suur-Sõjamäe.
De plus, l’intersection est enjambée par la voie ferrée à destination de l’est, du sud-est de l’Estonie et de la
Russie. 371 Le carrefour d’Haabersti se situe à l’intersection de l’avenue de Paldiski (route estonienne nº 8), les routes
Rannamõisa et Ehitajate. Les deux premiers axes sont les routes en provenance des régions orientales de la
métropole tallinnoise, notamment les quartiers résidentiels en plein développement d’Haabersti et de la
commune de Harku. 372 Le carrefour de Russalka est le point où la route de Pirita rejoint l’avenue de Narva. 373 Un premier axe de contournement est formé par les rues Suur-Ameerika, Liivalaia et Jõe et relie le quartier
de Kassisaba au Vieux-Port. Le second axe relie Kassisaba à la route Laagna qui traverse Lasnamäe via les
rues Tehnika et Filtri.
259
apparemment concentrés sur la rénovation de la dernière branche du tramway (vers Kopli)374.
Un ordre de priorité doit être établi pour transformer progressivement la ville. Plutôt que de
vouloir tout modifier en peu de temps, les autorités estoniennes (étatiques et municipales)
avancent prudemment (sans avoir réellement d’autres choix). Certains projets ne seront pas
réalisés avant une décennie et la capitale estonienne est assurée d’être au cœur de vastes
chantiers au cours des années à venir.
374 Déclaration d’Enno Tamm, président du directoire de Tallinn Linnatranspordi AS en septembre 2015. Risto
Veskioja, « Kadrioru elanikud imestavad : miks sõidavad sügisest Tallinnas uued trammid vaid Lasnamäe
vahet ? », delfi.ee, 21 septembre 2015
260
CONCLUSION
Tallinn ne deviendra pas le Singapour de la Baltique. L’ambition affichée par Mihhail
Bronštein il y a quinze ans est devenue clairement utopique. Force est de constater que la
capitale estonienne n’a pas les armes pour s’imposer face à ses concurrentes et sans la
découverte d’un « Nokia estonien »375, elle demeurera la petite capitale qu’elle est
actuellement. Les progrès réalisés en 25 ans ont été phénoménaux, mais rien n’indique que la
ville estonienne arrivera à s’imposer globalement. Les médias internationaux placent souvent
Tallinn parmi les villes les plus innovatrices, le savoir-faire estonien en matière de nouvelles
technologies de l’information a clairement faire connaître l’Estonie, mais cette aura reste
infime par rapport aux obstacles qui se dressent, tant sur le plan international que sur le plan
national. Membre de toutes les institutions européennes, Tallinn souffre de sa petite taille et
de son éloignement du cœur de l’Europe. Au sein d’une région baltique, certes en devenir,
mais aux contours flous, la capitale estonienne peine à s’affirmer au-delà des cercles initiés.
Désormais détachée politiquement, militairement, culturellement de la Russie, les
autorités estoniennes ne peuvent toutefois pas tourner le dos à l’ancien occupant, faute de quoi
les projets de collaboration internationaux seraient irréalisables. La situation géographique
s’impose à l’Estonie pour tout ce qui touche l’économie du transport. Ainsi, Tallinn subit la
politique de contournement menée par les autorités russes. Héritière de la glorieuse Reval,
ville hanséatique, Tallinn ne bénéficie plus de l’avantage que lui conférait sa situation
géographique au sein de l’Europe médiévale, et dans une moindre mesure au sein de l’Empire
russe, et les tentatives de développement se sont plus la plupart soldées par des échecs face
aux villes concurrentes. L’orientation vers l’Europe et la fermeture progressive des débouchés
russes s’inscrivent dans la lignée des difficultés tallinnoises après la période hanséatique et le
XIXe siècle. Toutefois, la Russie demeure un débouché essentiel pour l’économie estonienne
qui n’arrive pas à diversifier ses activités.
Les espoirs affichés au début des années 2000 et ce jusqu’au début de la crise
financière mondiale en 2008 ont constitué un leurre : la croissance économique estonienne ne
pouvait pas durer indéfiniment. Une fois la transition économique achevée, l’Estonie se place
en retrait sur le continent européen, face à des villes et des États mieux armés.
375 Nokia fut pendant longtemps le fer de lance de l’économie finlandaise. L’expression « Nokia estonien » est
apparue dans le vocabulaire estonien pour désigner l’entreprise qui portera, un jour, l’économie estonienne.
261
Le développement urbain de Tallinn au cours des 25 dernières années confirme les
avancées réalisées par ce pays après la chute de l’URSS. Si elle fut douloureuse, la
reconversion économique a été conduite avec succès et on observe encore aujourd’hui des
symboles de cette transition. Toutefois, les ambitions dépassent largement les moyens locaux.
L’État et la municipalité ne jouent qu’un rôle mineur dans l’aménagement urbain. Quand les
autorités locales ont le pouvoir de décision, les considérations politiques prennent souvent le
dessus, gâchant de fait la réalisation des projets nécessaires. L’opposition politique qui règne
entre gouvernement et municipalité rend difficile une collaboration efficace dans de
nombreux domaines. Si des réussites sont à l'ordre du jour comme la modernisation d’une
partie du réseau de tramway, d’autres projets demeurent à l’état de projet faute d’accord.
Cet état de fait s’est surtout installé depuis 2007. Peut-il en être autrement une fois
Edgar Savisaar éloigné de la politique ? Son état de santé fragile et des poursuites judiciaires
lancées à l’automne 2015 pourraient rebattre les cartes rapidement et engendrer quelques
changements dans les relations entre les différentes formations politiques estoniennes.
Face aux oppositions politiques, la naissance d’une société civile modifie la donne de
l’aménagement urbain. Si cette opposition peut être parfois particulièrement stérile et
inappropriée, elle pourrait jouer un rôle essentiel dans le développement d’une ville par ses
habitants. Malheureusement, l’absence de dialogue constructif avec les autorités locales
empêche la création d’une dynamique positive et l’élargissement des moyens financiers,
humains. L’étude de l’aménagement du littoral montre clairement le décalage qui existe entre
les discours et les réalisations, le plus absurde étant celui du Kilomètre de la Culture qui,
après avoir été achevé en retard, laisse place à un autre projet.
L’absence de moyens financiers est sûrement l’un des points centraux des difficultés
urbaines tallinnoises. Sans la participation d’investisseurs privés, peu de projets voient le jour.
Seuls ceux pour lesquels un financement extérieur, européen, a été demandé, ont le plus de
chance de voir le jour rapidement. De ce point de vue, la municipalité n’a pas les moyens des
ambitions affichées. Les élus n’ont pas les capacités pour conduire une véritable politique
ambitieuse et d’ampleur. Des priorités doivent être établies car plusieurs projets ne peuvent
être menés simultanément.
Les années 1990 avaient permis de redorer le patrimoine tallinnois avec la remise en
état de la Vieille Ville. Les années 2000 devaient être la décennie de la réouverture du littoral.
Malheureusement, les discours n’ont pas été suivis d’effets : Tallinn ne jouit pas encore de ce
nouvel atout touristique tant souhaité. Des projets ont certes été menés à leur terme, mais
262
l’absence d’unité, les conflits locaux et le manque de fonds financiers repoussent sans cesse la
naissance d’un front de mer propre, attractif, ouvert à tous.
Si Tallinn ne devient pas le Singapour imaginée, la capitale estonienne est au moins
devenue en vingt ans une ville pleinement européenne. Au-delà des intégrations
institutionnelles, on observe le tissage de liens de plus en plus denses dans la région baltique
mais pas seulement. La rupture de la plupart des liens orientaux ancre Tallinn en Europe.
D’un certain point de vue, Tallinn a trouvé une position intermédiaire, entre Europe et
Russie. Grâce à la politique menée par Edgar Savisaar au niveau municipal, le lien entre
l’Estonie et la Russie n’est pas totalement rompu. Si le Tallinn international est plutôt tourné
vers l’Europe, le Tallinn local conserve un certain nombre de liens orientaux. Pleinement
intégrée à l’Europe, la capitale estonienne est également maintenue dans le voisinage russe.
Elle se situe alors sur une ligne de contact entre deux univers sans qu’il y ait toutefois de
nombreux échanges entre ces deux ensembles, l’objectif pourtant central de l’idée de
Singapour de la Baltique.
Abordant de nombreuses thématiques, cette thèse apporte un éclairage sur les
changements qui ont marqué l’Estonie depuis son indépendance. Toutefois, les processus
analysés vont continuer d’évoluer dans les années à venir. Tallinn restera un sujet de
recherche pertinent dans plusieurs domaines.
L’année 2018 sera pour l’Estonie une occasion à ne pas manquer pour se faire
connaître. Comme ses voisines lettone et lituanienne, la République d’Estonie fêtera le 100ème
anniversaire de l’indépendance de 1918. De plus, l’Estonie sera la présidente du Conseil de
l’Union européenne au premier semestre de 2018. Toutes les composantes de la société
estonienne sont déjà mobilisées pour les festivités à venir. On peut penser que l’implication de
l’État permettra un meilleur succès que pour l’année culturelle 2011 à Tallinn. De futurs
succès sont peut-être alors à venir pour l’Estonie et les aléas des premières décennies après
l’indépendance seront effacés par les effets de processus de plus long terme.
263
ANNEXES
Annexe 1 Répartition démographie en Estonie
Annexe 2 Densité de population en Estonie (2011)
264
Annexe 3 La domination de Tallinn dans la production estonienne (2009)
265
Annexe 4 Les structures de coopération transfrontalière autour de la Baltique
266
Annexe 5 Évolution du territoire de la ville de Tallinn (Reval)
267
Annexe 6 La diffusion institutionnelle de la culture et de la langue estoniennes
268
Annexe 7 Chronologie des jumelages et accords de coopération de la ville de Tallinn
Villes partenaires Chronologie des relations
Kotka (Finlande)
1955 : Jumelage officieux
1978 : Traité d’amitié
1992 : Accord de Coopération
Kiel (RFA, Allemagne)
1972 : Début des relations bilatérales
1986 : Accord de partenariat et de coopération
1992 : Accord de coopération
Schwerin (RDA, Allemagne) 1972 : première coopération
1993 : Accord bilatéral de coopération
Gand (Belgique)
1982 : Traité d’Amitié
1988 : Protocole de coopération
2010 : Mémorandum de Coopération
Venise (Italie) 1984 : Protocole de coopération
Malmö (Suède) 1989 : Accord de Coopération
Recouvrement de l’indépendance de l’Estonie
Dartford (Royaume-Uni) 1992 : Accord de Coopération
Pékin (Chine) 1992 : premières relations
1998 : Accord de coopération amicale
Vienne (Autriche) Début des relations
2006 : premier accord de coopération
Groningen (Pays-Bas) 1993 : Déclaration de coopération amicale
2008 : Déclaration de coopération
Vilnius (Lituanie 1993 : Accord tripartite de coopération
2005 : Accord de coopération (Forum des Capitales des États baltes)
Riga (Lettonie) 1993 : Accord tripartite de coopération
2005 : Accord de coopération (Forum des Capitales des États baltes)
Kiev (Ukraine) 1993 : Accord de Coopération
Toronto (Canada) 1997 : Accord bilatéral de Coopération
Odessa (Ukraine) 1998 : Traité d’Amitié
Saint-Pétersbourg (Russie) 1999 : Protocole de coopération
2011 : Accord bilatéral de coopération
Helsinki (Finlande) 1999 : Euroregio Helsinki-Tallinn
2003 : Accord-cadre de coopération
Stockholm (Suède) 2000 : Déclaration d’intérêt commun
Annapolis (États-Unis)
2002 : Jumelage
2006 : Mémorandum de coopération entre le Maryland et l’Union des
municipalités d’Estonie
Newcastle/Gateshead
(Royaume-Uni)
2002 : Accord stratégique de coopération (disparait après l’obtention du titre
de Capitale européenne de la Culture 2008 par Liverpool)
Florence (Italie) 2005 : Liens officiels de coopération
2009 : Mémorandum de coopération
Turku (Finlande) 2006 : Mémorandum de coopération
Moscou (Russie) 2008 : Programme de coopération culturelle (2008-2009)
2009 : Protocole de coopération dans le domaine de la gestion municipale
Skopje (Macédoine) 2008 : Protocole de coopération
Hanghzou (Chine) 2008 : Mémorandum de coopération
269
Annexe 8 Accords de coopération et relations internationales des districts de la ville de Tallinn
District tallinnois Partenaires, date des accords Domaine de coopération /
État des relations
Haabersti Gladsaxe (Danemark), 1993
Līvāni (Lettonie)
Culture et jeunesse
En projet
Kesklinn Riga-Est (Riga), 2013
Carcassonne (France), 2013
Kristiine
Surakhani, Bakou (Azerbaïdjan), 2008
Zamoskvoretchie, Moscou (Russie), 2006
Economie, environnement,
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Jeunesse, organisations
citoyennes
Peu actif
Economie, tourisme, art,
culture
Pirita Kungälv (Suède), 1994
Kauniainen (Finlande), 1998
Peu actif
Peu actif
Põhja-Tallinn
Kronstadt, Saint-Pétersbourg (Russie), 2012
Kotka (Finlande), 2003
Economie, sciences et
techniques, culture et social
Annexe 9 Limites administratives internes de Tallinn : découpage par asumid
270
Annexe 10 Réseau de la compagnie Singapore Airlines depuis Singapour (2016)
(Capture d’écran du site de Singapore Airlines)
271
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SEAVER, URMAS, « Finantskeskuseks pürgiv Tallinn tahab Singapurist eeskuju võtta »
[Souhaitant devenir un centre financier, Tallin veut s’inspirer de Singapour],
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SEAVER, URMAS, « Tallinn postitas inimestele Keskerakonna manifestiga Pealinna » [Tallinn
a distribué le manifeste du parti du Centre avec Pealinn], tallinn.postimees.ee, 16 octobre
2009
ŠMUTOV, MARTIN, « Toomla: parteide populaarsus on venekeelse valija silmis peaaegu
olematu » [Toomla : la popularité des partis auprès de l’électeur russophone est presque
inexistante], Postimees.ee, 11 mars 2011
SOONVALD, URMO, « Juhan Parts : Tallinna trammil ei tohi olla linnahalli saatust » [Juhan
Parts : le tramway tallinnois ne doit pas connaître le même destin que Linnahall], Delfi.ee, 4
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SOONVALD, URMO, « Ossinovski: mõistmatuid Keskerakonna valijaid me endale ei ihka »
[Ossinovski : nous ne cherchons pas à attirer les électeurs incompréhensibles du parti du
Centre], Delfi.ee, 11 décembre 2011
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SOONVALD, URMO, « Arnout Lugtmeijer : investeerima peab Peterburi, mitte Haapsalu
rongiliini » [Arnout Lugtmeijer : il faut investir sur la ligne ferroviaire de Saint-Pétersbourg,
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SULBI, RAUL, « Eesti kandideerib Euroopa IT-agentuuri asukohamaaks » [l’Estonie candidate
pour accueillir l’agence européenne du numérique], Postimees.ee, 25 juin 2009
SULBI, RAUL, « Läti toetab Eestit IT-agentuuri asupaigana » [La Lettonie soutient l’Estonie en
tant que pays d’accueil de l’agence européenne IT], e24, 15 octobre 2009
SULBI, RAUL, « Austria toetab Eestit IT-agentuuri asukohamaana » [L’Autriche soutient
l’Estonie en tant que pays d’accueil de l’agence IT], e24, 8 février 2010
SULBI, RAUL, « Sloveenia välisminister toetas IT-agentuuri loomist Eestisse » [Le ministre
slovène des affaires étrangères soutient la création de l’agence IT en Estonie], e24, 9 février
2010
SULBI, RAUL, « Savisaar : Euroopa rööpmelaius poleks meile kasulik » [Savisaar :
l’écartement européen ne nous serait pas utile], e24.ee, 9 février 2010
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bronze pourrait déboucher sur un Premier ministre social-démocrate et un maire du Parti de la
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TOOMING, URMAS, « Tallinn loodab trammid käima panna Hiina rahaga » [Tallinn espère
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de tramway de Lasnamäe], TallinnaPostimees.ee, 9 avril 2010
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Tallinn City http://tallinncity.postimees.ee
Eesti Päevaleht www.epl.ee
Delfi www.delfi.ee
Pealinn www.pealinn.ee
The Baltic Times www.baltictimes.com
The Baltic Course www.baltic-course.com
Sirp www.sirp.ee
Ärileht www.arileht.ee
e24 www.e24.ee
Äripäev www.aripaev.ee
Eesti Ekspress www.ekspress.ee
Administrations et services d’État
Ville de Tallinn, www.tallinn.ee
Registre des plans urbains de la ville de Tallinn, http://tpr.tallinn.ee/tpr/
Système d’information de Tallinn AKTAL, https://aktal.tallinnlv.ee/
Parlement estonien, www.riigikogu.ee
Commission électorale de la République d’Estonie, www.vvk.ee
Service estonien de la statistique, www.stat.ee
Centre des registres et des systèmes d’information, https://ariregister.rik.ee/
Banque d’Estonie, www.eestipank.ee
Fondation estonienne pour le développement de l’entreprise, www.eas.ee
Secteur des transports
Port de Tallinn, www.ts.ee
AS Tallink Grupp, www.tallink.com
Eckerö Line, www.eckeroline.fi
Viking Line, www.vikingline.fi
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Stena Line, www.stenaline.nl
St.Peter Line, https://stpeterline.com
Aéroport de Tallinn, http://www.tallinn-airport.ee/
Aéroport de Riga, http://riga-airport.com/
Aéroport d’Helsinki-Vantaa, www.finavia.fi/en/helsinki-airport
Aéroport de Stockholm-Arlanda, www.swedavia.com/arlanda/
Aéroport de Vilnius, www.vilnius-airport.lt
airBaltic, www.airbaltic.com
Finnair, www.finnair.com
Scandinavian Airlines, www.flysas.com
TransEstonia, http://www.transestonia.ee
Structures autour de la Baltique
Assemblée balte : www.baltasam.org
Conseil nordique : www.norden.org
Conseil des Etats de la mer Baltique : www.cbss.org
Baltic Metropoles : www.baltmet.org
Union des Villes de la mer Baltique : www.ubc.net
Die Hanse : www.diehanse.org
Baltic Sea region, programme 2007-2013 : http://eu.baltic.net/
Interreg Central Baltic, http://centralbaltic.eu/
Secteur des nouvelles technologies
Technopôle de Tallinn, www.tehnopol.ee
Ülemiste City, http://ulemistecity.ee/
E-estonia, www.e-estonia.com
Associations de quartier
Linnaidee www.linnaidee.ee
District de Kesklinn
Vanalinna Selts www.vanalinnaselts.ee/
Uue Maailma Selts www.uusmaailm.ee
Juhkentali Selts www.juhkentaliselts.ee
Luite Selts https://sites.google.com/site/luiteasumikoduleht/home
Kassisaba Selts http://www.kassisaba.org/
District de Põhja-Tallinn
Telliskivi Selts http://www.telliskiviselts.info
Professorite Küla Selts http://www.professoritekyla.info
Pelgulinna Selts www.pelgulinnaselts.ee
Kopli Selts http://kopliselts.weebly.com
Kalamaja Selts www.kalamaja.ee
District de Pirita
Pirita Selts http://www.piritaselts.ee [Association dissoute en 2015]
Mähe Selts www.maheselts.ee
Maarjamäe Selts www.maarjamäe.ee
288
District de Lasnamäe
Lasnaidee http://lasnaidee.wix.com/lasnaidee
District de Nõmme
Mödre Tee Selts http://moldretee.selts.eu
Nõmme Tee Selts www.nommeteeselts.ee
Loov Nõmme www.loovnomme.ee
Liiva Külaselts www.liiva.ee
Nõmme Heakorra Selts www.nhs.ee
Travaux de terrain principaux :
Février – mars 2007 (travaux de terrain de master 1)
Février – mars 2008 (travaux de terrain de master 2)
Mars 2009
Mars – juin 2010
Juillet – août 2011
Février 2013
Janvier 2014
Entretiens
Toomas Paaver, architecte, membre de l’association Telliskivi Selts, septembre 2011
Martti Preem, directeur du service des schémas directeurs de la municipalité de Tallinn, 29
août 2011
Liina Guiter, chef de projet, SA Tallinn 2011, septembre 2011
Lea Nilson, membre du bureau de l’association Pirita Selts, septembre 2011
Margarita Jefimova, Bureau de la coopération territoriale européenne, département du
développement régional, Ministère de l’intérieur estonien, 29 février 2008
Documents d’urbanisme
Décision du Conseil municipal de Tallinn nº 273 du 15 novembre 2007 « Kontseptsiooni
“Tallinna avamine merele” heaks kiitmine » [Validation de la conception « Ouverture de
Tallinn à la mer]
Strateegia « Tallinn 2025 », adoptée par le règlement nº 23 du Conseil municipal de Tallinn
du 10 juin 2004
Strateegia « Tallinn 2030 », adoptée par la décision nº 255 du Conseil municipal de Tallinn
du 4 novembre 2010
Tallinna Arengukava 2009-2027 [Plan de développement de Tallinn 2009-2027], adopté par
la décision nº 129 du Conseil municipal de Tallinn du 19 juin 2008
Tallinn Development Plan 2014-2020, adopté par le règlement nº 29 du Conseil municipal de
Tallinn du 13 juin 2013
« Tallinna välissuhtluse prioriteedid 2012-2018 » [Priorités des relations internationales de
Tallinn 2012-2018]
http://www.tallinn.ee/est/valissuhted/Valissuhete-prioriteedid-2012-2018
289
Principaux plans d’urbanisme étudiés
AS Entec, Schéma directeur Paljassaare ja Russalka vahelise ranna-ala ülplaneering, 2004,
110 p. http://www.tallinn.ee/rannaala/ranna_web/
Schéma directeur Kõrghoonete paiknemine Tallinnas, entré en vigueur le 16 avril 2009,
http://www.tallinn.ee/est/ehitus/Korghoonete-paiknemine-Tallinnas
DP011480, Regati pst 1 // 3 // 5 kinnistu ja lähiala detailplaneering [Plan d’urbanisme des 1, 3
et 5 Regasti pst]
https://tpr.tallinn.ee/DetailPlanning/Details/DP011480
DP002040, Tallinna Kalasadama ümbruse detailplaneering kruntide positsioon 15, 16 ja 40
osas [Plan d’urbanisme des alentours du port de Kalasadam],
https://tpr.tallinn.ee/DetailPlanning/Details/DP002040
DP033820, Kultuurikatla, linnahalli ja mere vahelise ala detailplaneering [Plan d’urbanisme
des espaces entre le Chaudron de la culture, Linnahall et la mer]
https://tpr.tallinn.ee/DetailPlanning/Details/DP033820
DP011450, Admiralteedi basseini ja Mere pst vahelise ala detailplaneering [Plan d’urbanisme
des espaces entre le bassin de l’amirauté et Mere pst]
https://tpr.tallinn.ee/DetailPlanning/Details/DP011450
DP023650, Logi tn 8, 9 ja 10 kinnistute ning lähiala detailplaneering [Plan d’urbanisme des
parcelles 8, 9, 10 rue Logi]
https://tpr.tallinn.ee/DetailPlanning/Details/DP023650
DP32210, Paljassaare tehissaare detailplaneering [Plan d’urbanisme de l’île artificielle de
Paljassaare]
https://tpr.tallinn.ee/DetailPlanning/Details/DP032210
DP019130, Töötuse tn 48 kinnistu ja lähiala detailplaneering [Plan d’urbanisme du 48 rue
Tööstuse]
https://tpr.tallinn.ee/DetailPlanning/Details/DP019130
DP013620, Kopli liinide ja lähiala detailplaneering [Plan d’urbanisme des Lignes de Kopli]
https://tpr.tallinn.ee/DetailPlanning/Details/DP013620
Autres
Memorendum on the European Green Capital title, Tallinn 15th May 2006,
http://ec.europa.eu/environment/europeangreencapital/wp-content/uploads/2011/06/Tallin-
Memorandum.pdf
Débat au Parlement européen de Strasbourg, 18 mai 2010,
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-
//EP//TEXT+CRE+20100518+ITEM-006+DOC+XML+V0//FR
290
LISTE DES CARTES
Carte 1 Tallinn et le réseau hydrographique à l'est de la Baltique ........................................................ 18
Carte 2 L'intégration de l'Estonie dans les grandes organisations internationales depuis 1991 ............ 19
Carte 3 Implantation territoriale des langues finno-ougriennes et samoyèdes ...................................... 20
Carte 4 L'Estonie dans les différentes conceptions de l'Europe centrale et orientale ............................ 23
Carte 5 La Baltique : une région aux dimensions multiples .................................................................. 26
Carte 6 L'extension des structures de coopération autour de la Baltique .............................................. 27
Carte 7 Coopération régionale de Tallinn en Baltique centrale ............................................................. 28
Carte 8 Coopération à la frontière orientale de l'UE en région baltique ................................................ 29
Carte 9 Tallinn dans la Ligue hanséatique ............................................................................................ 32
Carte 10 Transport maritime international de passagers en Baltique centrale ...................................... 37
Carte 11 Évolution du réseau aérien ancré sur Tallinn entre 1991 et 2014 ........................................... 42
Carte 12 L'ancrage aérien de Riga début 2015 ...................................................................................... 44
Carte 13 Le projet de Rail Baltica I : connecter les États baltes à l’Union européenne ........................ 51
Carte 14 Le projet de Rail Baltica II : implantation de la grande vitesse dans les États baltes ............. 52
Carte 15 Principaux partenaires commerciaux de l'Estonie depuis 1991 .............................................. 63
Carte 16 Investissements étrangers en Estonie et investissements estoniens à l'étranger (2012) .......... 67
Carte 17 Produit intérieur brut des pays riverains de la Baltique (2013) .............................................. 69
Carte 18 Jumelages et coopérations bilatérales de la ville de Tallinn ................................................... 71
Carte 19 Die Hanse, la nouvelle hanse .................................................................................................. 74
Carte 20 Origine des touristes logeant à Tallinn (2003-2012) .............................................................. 76
Carte 21 Les capitales vertes européennes ............................................................................................ 83
Carte 22 Répartition de la population russe en Estonie (2000) ............................................................. 97
Carte 23 Évolution du transit cargo dans les ports de la Baltique orientale (2004-2013) ................... 101
Carte 24 Le projet Belkomour ............................................................................................................. 105
Carte 25 Les lignes régulières ferroviaires ancrées sur la rive orientale de la Baltique ...................... 121
Carte 26 Lignes régulières maritimes ancrées sur le port de Tallinn .................................................. 126
Carte 27 L’atout de la situation géographique de Tallinn entre Europe et Asie .................................. 132
Carte 28 Répartition géographique des Russes (ethniques) à Tallinn (2008) ..................................... 150
Carte 29 Résultats du Parti du Centre aux élections municipales de 2009 à Tallinn .......................... 152
Carte 30 Quartiers industriels et pôles de l’économie numérique ....................................................... 171
Carte 31 Ülemiste : futur hub de l’Estonie et de Tallinn ..................................................................... 176
Carte 32 Maakri-Kompassi, le quartier d'affaires de Tallinn .............................................................. 179
Carte 33 Découpage spatial selon le schéma-directeur des espaces littoraux Paljassaare-Russalka
(Tallinn) ............................................................................................................................................... 184
Carte 34 Les différentes formes d'ouverture de Tallinn à la mer ........................................................ 186
291
Carte 35 Le projet de contournement Põhjaväil à Talllinn .................................................................. 189
Carte 36 Densification urbaine entre port et Vieille Ville à Tallinn ................................................... 215
Carte 37 Le projet d'aménagement du TOP dans le conteste de l'est tallinnois .................................. 222
Carte 38 Le projet du TOP dans le quartier de Pirita .......................................................................... 223
Carte 39 Associations de quartier à Talllinn ....................................................................................... 228
Carte 40 Évolution démographique à Tallinn par quartier entre 2008 et 2012 ................................... 235
Carte 41 Évolution démographique dans la région de Harjumaa entre 2000 et 2013 ......................... 235
Carte 42 L'implantation d'un réseau de parkings P+R à Tallinn ......................................................... 241
Carte 43 Projets d'extension des réseaux de transport public à Tallinn ............................................... 257
LISTE DES FIGURES
Figure 1 Évolution du trafic passagers des aéroports de Tallinn et de Riga (1993-2014) ..................... 43
Figure 2 Destination des exportations estoniennes (1993-2013) ........................................................... 60
Figure 3 Origine des importations estoniennes (1993-2013) ................................................................ 61
Figure 4 Part de la Russie dans le commerce extérieur de l’Estonie ..................................................... 62
Figure 5 Produits exportés et importés par l'Estonie (2012, en millions d’euros) ................................. 62
Figure 6 Investissements directs étrangers en Estonie et de l’Estonie (1998-2013) ............................. 64
Figure 7 Évolution du nombre de personnes logées dans les établissements d'Estonie ........................ 75
Figure 8 Fret total des principaux ports de la Baltique orientale ......................................................... 103
Figure 9 Volume de fret et part de Tallinn dans la Baltique ............................................................... 106
Figure 10 Évolution de la part des marchandises russes dans l’activité du port de Tallinn ................ 107
Figure 11 Volumes de fret transportés par Eesti Raudtee ................................................................... 108
Figure 12 Évolution du nombre de touristes russes logés à Tallinn (2002-2015) ............................... 119
Figure 13 Évolution du nombre d'EVP transportés par Eesti Raudtee et LDz .................................... 124
Figure 14 Résultats électoraux d'Edgar Savisaar à Lasnamäe ............................................................. 151
Figure 15 Évolution du taux de chômage des Estoniens et des non-Estoniens (1997-2014) .............. 156
Figure 16 Évolution de la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté relative selon la
nationalité (2004-2011) ....................................................................................................................... 156
Figure 17 Évolution de la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté relative selon la
citoyenneté (2004-2011) ...................................................................................................................... 156
Figure 18 Évolution du nombre de voitures à Tallinn et dans la région de Harjumaa ........................ 232
Figure 19 Évolution démographique de Tallinn et de la région de Harjumaa ..................................... 234
Figure 20 Évolution démographique mensuelle de Tallinn (janvier 2012 - décembre 2014) ............. 247
292
LISTE DES PHOTOS
Photo 1 File de poids lourds avant le poste-frontière estonien de Koidula (01/03/2008) ................... 110
Photo 2 Poids-lourds en attente à l'entrée de Narva (26/02/2008) ...................................................... 110
Photo 3 Carte publiée dans le magazine de la compagnie Finnair (02/2013) et publicité Finnair dans le
hall de l’aéroport de Tallinna appelant à utiliser Finnair pour se rendre en Asie (16/02/2013) .......... 134
Photo 4 Le Soldat de Bronze avant son déplacement (02/2007) ......................................................... 143
Photo 5 Monument de la Guerre de Libération sur la place de la Liberté à Tallinn (03/06/2010) ...... 147
Photo 6 "Vive le PCUS !", vestige soviétique sur un bâtiment industriel à Ülemiste (02/01/2014). .. 149
Photo 7 Edgar Savisaar lors de l'inauguration de la rue Punane rénovée à Lasnamäe (29 août 2014) 155
Photo 8 Edgar Savisaar lors de l'inauguration du Magasin municipal à Lasnamäe (21 mai 2014) ..... 155
Photo 9 Les gratte-ciels tallinnois (vue depuis Linnahall, 07/2011) ................................................... 164
Photo 10 Friche dans le quartier de Loopealse (Lasnamäe), vue sur celui de Laagna (26/07/2011) .. 165
Photo 11 Zone d'activité Tähesaju dans le quartier de Tondiraba (31/08/2011) ................................. 165
Photo 12 Quartier de Padriku (Pirita) (22/07/2011) ............................................................................ 166
Photo 13 Etalement urbain sur la presqu'île de Kakumäe entre 2002 et 2011 .................................... 167
Photo 14 Le district de Mustamäe, premier quartier d'immeubles soviétiques de Tallinn .................. 169
Photo 15 Le technopôle de Tallinn ...................................................................................................... 170
Photo 16 De Dvigatel à Ülemiste City : le passage de l'industrie ferroviaire à l'économie numérique
............................................................................................................................................................. 174
Photo 17 La maison Walter Zapp et le complexe Ragnar Nurkse, symboles architecturaux d'Ülemiste
City (01/2014) ..................................................................................................................................... 175
Photo 18 Bâtiment Johannes Käisi et les bâtiments jumeaux Ludivg Puusepp (Ülemiste City)
(01/2014) ............................................................................................................................................. 175
Photo 19 La Maison de l'Union européenne à Tallinn ........................................................................ 178
Photo 20 Ports et espaces littoraux en friche à Tallinn........................................................................ 183
Photo 21 Tallinn, un littoral en grande partie non-bâti........................................................................ 187
Photo 22 Le port Lennusadam lors des Journées de la mer (07/2011) ................................................ 192
Photo 23 Les hangars à hydravion en rénovation (07/2011) ............................................................... 193
Photo 24 Inauguration du nouveau Musée de la mer. ......................................................................... 193
Photo 25 Le marché au poisson en hiver (12/02/2013) ....................................................................... 194
Photo 26 Le littoral à l'est de Linnahall (07/2011) .............................................................................. 195
Photo 27 Le littoral derrière l'ancienne prison de Patarei (07/2011) ................................................... 195
Photo 28 Baraques abandonnées à Kopli ............................................................................................ 202
Photo 29 Linnahall, complexe bâti au début des années 1980 sur la baie de Tallinn (12/08/2009) .... 203
Photo 30 Linnahall, une structure délabrée (17/07/2011) ................................................................... 203
293
Photo 31 L'accès public à la mer limité par les infrastructures de transport aux abords de Linnahall
(17/07/2011) ........................................................................................................................................ 204
Photo 32 L'ancienne centrale électrique rénovée ................................................................................ 209
Photo 33 L'intérieur du Chaudron de la Culture .................................................................................. 209
Photo 34 Friche et parkings entre bassin de l'Amirauté et Vieille Ville de Tallinn avant leur
comblement par des immeubles. (03/06/2010) ................................................................................... 213
Photo 35 Densification urbaine au sud du bassin de l’Amirauté ......................................................... 213
Photo 36 Transformation du Kilomètre de la Culture en rue Kalaranna ............................................. 219
Photo 37 Installations urbaines sur la plage de Kalarand (Festival LITF11) (16/07/2011) ................ 226
Photo 38 Urbanisation du village de Peetri sur la rive droite du lac Ülemiste, commune de Rae ...... 236
Photo 39 Immeubles récents rue Raudkivi tee à Peetri, commune de Rae (12/02/2013) .................... 236
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1 Les différents groupes de Russes en Estonie selon le journaliste Artemy Troitsky) ............ 97
Tableau 2 Résultats des partis russes lors des élections législatives estoniennes depuis 1992 ............. 98
Tableau 3 Évolution du nom de districts à Tallinn 1945-1993 ........................................................... 139
Tableau 4 Les gratte-ciels du CBD de Tallinn .................................................................................... 163
Tableau 5 Bâtiments dédiés aux scientifiques estoniens à Ülemiste City ........................................... 173
LISTE DES ANNEXES
Annexe 1 Répartition démographie en Estonie ................................................................................... 263
Annexe 2 Densité de population en Estonie (2011) ............................................................................ 263
Annexe 3 La domination de Tallinn dans la production estonienne (2009) ........................................ 264
Annexe 4 Les structures de coopération transfrontalière autour de la Baltique .................................. 265
Annexe 5 Évolution du territoire de la ville de Tallinn (Reval) .......................................................... 266
Annexe 6 La diffusion institutionnelle de la culture et de la langue estoniennes ................................ 267
Annexe 7 Chronologie des jumelages et accords de coopération de la ville de Tallinn...................... 268
Annexe 8 Accords de coopération et relations internationales des districts de la ville de Tallinn ...... 269
Annexe 9 Limites administratives internes de Tallinn : découpage par asumid ................................. 269
Annexe 10 Réseau de la compagnie Singapore Airlines depuis Singapour (2016) ............................ 270