Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992...

29
Donald Roy Un sociologue à l’usine Textes essentiels pour la sociologie du travail Traduit de l’anglais (États-Unis) sous la direction de Jean-Pierre Briand et Jean-Michel Chapoulie Introduction de Jean-Michel Chapoulie Postface de Howard S. Becker

Transcript of Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992...

Page 1: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

Donald Roy

Un sociologueà l’usine

Textes essentielspour la sociologie du travail

Traduit de l’anglais (États-Unis) sous la direction deJean-Pierre Briand et Jean-Michel Chapoulie

Introduction de Jean-Michel Chapoulie

Postface de Howard S. Becker

Page 2: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

Titres originaux : « Quota Restriction and Goldbricking in a Machine Shop » (American Journalof Sociology, 57, 5, 1952, Chicago, The University of Chicago Press) ; « Work Satisfaction andSocial Reward in Quota Achievment : An Analysis of Piecework Incentive » (American Sociolo-gical Review, 18-4, août 1953) ; « Efficiency and the Fix : Informal Intergroup Relations in a Pie-cework Machine Shop » (American Journal of Sociology, 40-3, novembre 1954, Chicago, TheUniversity of Chicago Press) ; « “Banana Time” : Job Statisfaction and Informal Interaction »(Human Organization, 18, 1960) ; « Manufacturing Consent : Changes in the Labor Process underCapitalism, by Michael Burawoy » (Berkeley Journal of Sociology, 24, 1980) ; « Sex in the Fac-tory. Informal Heterosexual Relations between Supervisors and Work Groups » (in BRYANT

Clifton D., Deviant Behaviour : Occupational and Organizational Bases, Rand McNally CollegePub., Londres, 1974) ; « Co-operation and Conflict in the Factory : Some Observations andQuestions Regarding Conceptualization of Intergroup Relations within Bureaucratic Struc-tures » (unpublished, undated typescript, Archives Donald Roy, Duke University, box L).

La réalisation de ce recueil a bénéficié du soutien financier du Centre de recherche socio-histo-riques sur l’éducation de l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud et du Groupe derecherche École, travail, institutions de l’Université Paris-VIII.

ISBN 2-7071-4584-X

Le logo qui figure sur la couverture de ce livre mérite une explication. Son objet est d’alerterle lecteur sur la menace que représente pour l’avenir du livre, tout particulièrement dans ledomaine des sciences humaines et sociales, le développement massif du photocopillage.

Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, souspeine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon, la photocopie à usage collectif sansautorisation des ayants droit. Or cette pratique s’est généralisée dans les établissementsd’enseignement, provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibi-lité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement estaujourd’hui menacée.

Nous rappelons donc qu’en application des articles L. 122-10 à L. 122-12 du code de la pro-priété intellectuelle, toute photocopie à usage collectif, intégrale ou partielle, du présentouvrage est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie(CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intégraleou partielle, est également interdite sans autorisation de l’éditeur.

Si vous désirez être tenu régulièrement informé de nos parutions, il vous suffit d’envoyervos nom et adresse aux Éditions La Découverte, 9 bis, rue Abel-Hovelacque, 75013 Paris. Vousrecevrez gratuitement notre bulletin trimestriel À La Découverte. Vous pouvez égalementconsulter notre catalogue et nous contacter sur notre site www.editionsladecouverte.fr.

© Éditions La Découverte, Paris, 2006, pour la traduction française.

Page 3: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

Introduction

JEAN-MICHEL CHAPOULIE

Le sociologue américain Donald Roy occupe dans la sociologie dutravail une place particulière. Son étude sur le freinage ouvrier réa-lisée à la fin des années 1940 reste un classique d’un domaine qui aété en partie déserté par la recherche. Les résultats n’en ont pas étésérieusement contestés, alors même qu’ils reposent sur une enquêtemenée dans un seul atelier au cours d’une période d’un peu moinsde onze mois. Cette recherche n’est connue que par les trois articlespubliés par Roy en 1952, 1953 et 1954 que l’on trouvera dans cerecueil, car la thèse dont furent tirés ceux-ci n’a pas été publiée 1.Une partie de la postérité des travaux de Roy est passée par l’ouvrageclassique — issu d’une autre thèse préparée trente ans plus tard àl’Université de Chicago et dont le travail de terrain fut réalisé dansl’usine où Roy avait travaillé — de Michael Burawoy : ManufacturingConsent 2. En France, les articles de Roy furent lus par les premierssociologues de l’après-guerre qui s’étaient orientés vers l’étude dutravail sous l’impulsion de Georges Friedmann 3 ; depuis cemoment, ils ont été constamment cités.

1 Donald ROY, Restriction of Output by Machine Operators in a Piecework Machine Shop,Ph. D. Sociology, University of Chicago, 1952. On trouvera à la suite de cette introductionla liste et les références des publications de Roy et de quelques inédits conservés dans lesarchives de Duke University (Durham, Caroline du Nord).

2 Michael BURAWOY, Manufacturing Consent, The University of Chicago Press, Chicago, 1979.

3 Jean-Michel CHAPOULIE, « La seconde fondation de la sociologie française, les États-Unis etla classe ouvrière », Revue française de sociologie, 1991, 32 (3), p. 321-364.

Page 4: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

Cette édition présente la traduction en français des trois articlesissus de la thèse de Roy, d’un autre article issu de la même recherchequi élargit l’analyse mais qui ne fut pas publié par l’auteur, ainsi quela traduction de deux autres articles ultérieurs sur le travail ouvrier,dont l’un, « Banana Time », est aussi devenu un classique de la socio-logie du travail. On trouvera également ici un texte beaucoup plustardif, où Roy développe ses réflexions sur le livre de Burawoy. Laquasi-totalité des textes publiés par Roy sur le travail ouvrier devientainsi accessible en langue française 4. Les autres publications de Royportent soit sur la syndicalisation des ouvriers dans le sud desÉtats-Unis, soit sur les problèmes du travail de terrain (fieldwork), ladémarche de prédilection de Roy.

La notoriété durablement maintenue en sociologie des résultatsdes recherches de Roy s’accompagne d’un paradoxe. À l’exceptionde Burawoy, aucun de ceux qui les citent ne semble s’être soucié ducontexte historique très particulier dans lequel prit place cetterecherche. Roy lui-même n’y accorde pas grande attention dans sesremarques ultérieures sur son travail. On peut y voir un exemple del’indifférence, fréquente en sociologie, au temps et aux lieux, et à laspécificité du réseau de relations sociales qui en découle. Il est égale-ment utile de lire les articles de Roy à la lumière de la trajectoiresociale personnelle de celui-ci et de ses rapports particuliers à ce qu’ilappelle le « rude univers des travailleurs manuels ».

Cette introduction se propose de fournir ces deux types d’élé-ments de compréhension et, à partir de ces travaux à bien des égardsexceptionnels, d’apporter des éléments de réflexion sur les réalisa-tions des sciences sociales.

Un sociologue d’inclination prolétariennedans les États-Unis des années 1940 et 1950

« Ma carrière académique, écrit Roy en 1970, a été en un sens,l’à-côté d’une progression horizontale à travers une série de métiers

4 La seule exception est la préface à la réédition de l’ouvrage de Stanley B. MATHEWSON, Res-triction of Output Among Unorganized Workers, Viking Press, New York, 1931 (réédition en1969, Southern Illinois University Press, préface p. XV-LII) qui recoupe largement lesthèmes des articles ici traduits.

UN SOCIOLOGUE À L’USINE6

Page 5: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

variés, mais de dernier rang. Lorsque je faisais des études en vued’une thèse, une recherche dans une usine me donna la possibilitéd’échapper à mon groupe de référence pour passer l’après-midi àobserver et à interviewer des opérateurs sur machine appartenant àla plèbe. Dans les entrailles de l’usine, nous étions tous des ratés ;j’étais le raté qui était venu pour faire un Ph. D 5. » Roy observe aussiun peu plus haut dans le même texte : « Je dois admettre que parleravec des travailleurs manuels est pour moi une façon de suivre mapente naturelle. Les syndicalistes qui font campagne pour organiserdes syndicats et que je connais sont pour l’essentiel des types amé-liorés du prolétaire ancien style, dur au travail et ayant une certaineexpérience des plaisirs et des difficultés de l’existence ; j’éprouve, aucours de nos relations qui sont d’une certaine façon profession-nelles, un agréable sentiment de confraternité, et corrélativement ilm’est facile de communiquer informellement avec eux. »

Donald Roy n’est pas le seul sociologue américain d’origine popu-laire dans sa génération, mais il est l’un des rares, et peut-être le seul,à avoir en quelque sorte poursuivi durablement l’étude ethnogra-phique des ouvriers d’usine, en cherchant à se situer de plain-pieddans l’univers de ces travailleurs, et en tournant quelque peu le dosaux obligations et aux profits d’une carrière « normale » dans lasociologie de son temps. On peut exclure que l’attrait pour l’analyseethnographique des classes populaires soit un choix par défaut et laconséquence d’une inaptitude à maîtriser d’autres approches plusvalorisées à cette époque. Selon les témoignages de certains de sesamis de jeunesse, Roy avait fait des études particulièrement bril-lantes dans une high school, en dépit de difficultés financières chro-niques. La manipulation des statistiques ne l’intimidait pas : il avaitd’ailleurs suivi l’enseignement du sociologue statisticien GeorgeLundberg et enseigna cette matière au moins une année à la fin deses études de maîtrise. Mais Roy mesura rapidement les avantages desa connaissance ethnographique des milieux populaires et les limi-tations qu’implique le respect des règles du milieu universitaire. Ilécrit par exemple en 1956, dans une lettre à Everett Hughes qui avaitdirigé sa thèse de sociologie à l’Université de Chicago : « Tantd’auteurs ont un petit domaine, ils font la mouche du coche

5 Donald Roy, « The Study of Southern Labor Union Organising Campaign », in RobertW. HABENSTEIN (éd.), Pathways to Data, Aldine, Chicago, 1970, p. 216-244 (voir p. 220).

INTRODUCTION 7

Page 6: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

— coupant les cheveux en quatre et se rongeant les ongles — maispersonne ne va jusqu’aux organes centraux […]. Ces types, qui déve-loppent une théorie des rôles, comme Sarbin, Newcomb, Parsons,etc., sont toujours à tourner en rond, à faire des passes — mais ilsne concluent jamais. Je me demande comment ils peuvent ne pasle voir. Je crois que c’est parce que l’expérience des comportementsdes classes populaires leur manque. Peut-être certaines expériencesleur ont-elles fait défaut dans leur enfance, ou peut-être les ont-ilsoubliées. Les techniques de l’enquête par questionnaires ne peu-vent les saisir. Cela ne peut être expliqué. Sapir aurait nommé celaune culture inconsciente ; seule l’observation peut les saisir, l’obser-vation précédée par l’expérience et la perspicacité 6. »

Donald Roy est né en 1911. Selon les indications données par Roylui-même et les documents et témoignages déposés après sa mortaux archives de Duke University, par sa seconde femme, le père deRoy, originaire d’Europe de l’Est, était coiffeur à Spokane dans l’Étatde Washington 7. Sa mère appartenait à une famille de fermiers desenvirons de Spokane. Roy manifesta un attachement sans équi-voque pour cette origine rurale, puisqu’il entretint jusqu’à la fin desa vie la velléité de reprendre l’exploitation familiale 8.

Après une scolarité brillante dans la high school de Spokane, Roypassa quatre années à économiser de l’argent pour payer ses étudessupérieures. Il semble avoir travaillé successivement commeemployé d’hôtel et de magasin, dans un camp de bûcherons, sur lechantier de construction d’un tunnel. Dans la période de la Grande

6 Lettre à Hughes, 5 mars 1956, Archives de Everett Cherrington Hughes, Joseph RegensteinLibrary, Université de Chicago, dossier 53, sous-dossier 6-7 (correspondance Roy) ; le motici en italique est souligné par Roy.

7 Archives de Donald Roy, Duke University, dossier M. Ce dossier comprend notamment unmémorandum de la seconde femme de Roy (qui se présente comme sa cousine), quelquestémoignages d’amis de jeunesse de Roy sollicités par celle-ci, et quelques lettres de Roy àcontenu autobiographique. On y trouve également un récapitulatif des activités et despublications de Roy établi par un sociologue anglais ami de Roy, Huw Beynon, qui a colla-boré au premier classement des archives de Roy. Ce matériel peut être complété par lesindications qu’une lecture attentive permet de découvrir dans la thèse de Roy, dans sesarticles, et dans quelques conférences. J’ai également utilisé la correspondance de Roy avecHughes, et notamment une lettre de Roy du 1er juillet 1946, ainsi que les témoignagesd’Howard S. Becker (qui fit une partie de ses études de thèse à côté de Roy) et d’EdwardTiryakan (qui fut son collègue à Duke).

8 Une confirmation de cette obsession se trouve dans l’article de Roy, « Banana Time »,puisqu’il rapporte que les ouvriers avec lesquels il travaille le plaisantent à propos de saferme.

UN SOCIOLOGUE À L’USINE8

Page 7: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

Dépression, cette situation n’était pas exceptionnelle pour un étu-diant, mais les ressources de Roy semblent particulièrement pré-caires. Aucun indice ne permet de deviner ce qui l’orienta vers lasociologie, une discipline qui était assez bien implantée à Was-hington University (à Seattle). Roy entra en 1929 comme undergra-duate à Washington University, et, après plusieurs interruptionsd’études, il soutint en 1936 une maîtrise de sociologie. Celle-ci portesur un quartier de Seattle baptisé Hooverville, comme d’autres quar-tiers similaires à l’époque, où résidaient dans des logements de for-tune des sans-domicile : travailleurs migrants, personnes isoléesdépourvues de ressources régulières, chômeurs ; les sans-domicile deSeattle étaient environ 55 000 à l’époque 9. Pour cette recherche,dirigée par George Lundberg, Stuart Queen et Norman Hayner 10,Roy bénéficia d’un soutien du bureau d’aide sociale de l’État (Was-hington Emergency Relief Administration). Il se fit enregistrer lui-même comme sans-domicile et procéda par observation directe ens’installant dans un logement de fortune du quartier ; il fit ensuitepasser des questionnaires au titre d’un recensement.

Comme l’a souligné Roy lui-même, sa maîtrise consiste essentiel-lement en une description du quartier considéré et de ses habitants.Elle ne comporte de référence à aucune analyse sociologique anté-rieure. La rédaction adopte parfois le même ton sarcastique et lamême complexité d’expression que l’on trouve dans les travaux pos-térieurs de Roy. Un article fut tiré en 1939 de ce mémoire.

En 1931, puis de 1933 à 1937, Roy affirme avoir apporté, contrerémunération, une contribution à la réalisation de plusieurs thèses,et avoir participé à différentes enquêtes. Il enseigna une année àl’université de l’Oregon, où il rencontra une étudiante qui devint unpeu plus tard sa première femme. Une partie de l’année suivante,dépourvu de ressources, il vécut avec celle-ci dans les bois de larégion de Spokane ; un peu plus tard, il vendit des cours par corres-pondance. Sur les conseils d’Edgar Thompson, Roy vint en 1941 àChicago pour reprendre des études de doctorat. « Possédé par l’idée

9 Je suis redevable à Howard S. Becker d’avoir pu disposer d’une photocopie de cette maîtrise.10 Lundberg et Queen sont deux des inspirateurs du courant dit opérationnaliste en socio-

logie. Hayner avait fait une thèse sur les habitants des hôtels de Chicago sous la directionde Robert Park et il poursuivit ultérieurement des recherches d’écologie urbaine. En 1937,Washington University comptait parmi ses enseignants de sociologie un autre ancien élèvede Park, Edgar Thompson, alors visiting professor.

INTRODUCTION 9

Page 8: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

de faire des recherches sur la mobilité sociale 11 », il devint un peuplus tard, selon l’expression de Thompson, un « étudiant deHughes ».

Le département de sociologie de l’Université de Chicago où s’ins-crivit Roy était alors le premier département dans cette discipline,tant par le nombre des thèses soutenues — cinq par an en moyennependant les années de guerre — que par sa réputation, même sicelle-ci semblait décliner depuis le milieu des années 1930 12. Si ceuxqui avaient établi cette réputation, comme William I. Thomas etRobert E. Park, n’y enseignaient plus, leurs successeurs et anciensélèves ou associés (en sociologie : Ernest Burgess, Louis Wirth, Her-bert Blumer et Everett Hughes ; en anthropologie : Robert Redfield)maintenaient la même orientation intellectuelle. Le département desociologie comprenait également, au début des années 1940, l’undes sociologues de grande réputation de la période précédente, lestatisticien William Ogburn, et, partageant ses activités avec ledépartement d’anthropologie, Lloyd Warner qui travaillait alors à lasérie des études de communautés sur Yankee City. Les études desociologie à l’Université de Chicago offraient ainsi l’occasion decontacts avec quelques-uns des chercheurs en vue des sciencessociales américaines de l’époque, et avec des personnalités intellec-tuellement originales, comme Blumer et Hughes.

Après 1943, un sujet de recherche acquiert une importance nou-velle pour les sociologues, à l’Université de Chicago et ailleurs : letravail, notamment le travail ouvrier, et y compris l’étude du syndi-calisme. Sous l’impulsion de Lloyd Warner, un comité réunissantuniversitaires (économistes, anthropologues, psychologues, socio-logues) et hauts dirigeants d’entreprise, le Committee on HumanRelations in Industry, fut créé à l’Université de Chicago en 1943pour recueillir des fonds et promouvoir des recherches dans cedomaine. Ce comité contribua aussi, après un certain délai, à faci-liter l’accès de chercheurs en sociologie et en anthropologie au

11 Lettre de Roy à Hughes du 1er juillet 1946, in archives Hughes, dossier cité.

12 Sur l’histoire de la sociologie à l’Université de Chicago et des recherches sur le travail, voirJean-Michel CHAPOULIE, La Tradition sociologique de Chicago, Seuil, Paris, 2001. Un chapitrede cet ouvrage examine la place de Roy dans la tradition de Chicago en la comparant aveccelle d’un autre sociologue de la génération précédente, lui aussi d’origine prolétarienne,Nels Anderson. Un autre chapitre porte sur le développement de la sociologie du travail.

UN SOCIOLOGUE À L’USINE10

Page 9: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

monde jusque-là fermé des usines et des entreprises 13. Ses princi-paux animateurs étaient deux proches de Warner, Burleigh Gardner,un anthropologue récemment recruté par la Business School del’Université de Chicago, et William Foote Whyte, qui venaitd’achever son étude sur les bandes de jeunes d’un quartier italien deBoston 14. En 1946, Burleigh Gardner quitta son poste à l’universitépour fonder un bureau d’études, Social Research Inc., travaillant surcontrat pour des entreprises. L’orientation de l’approche de SocialResearch Inc. relevait de l’anthropologie appliquée : il s’agissaitd’aider des entreprises à résoudre leurs « problèmes 15 ». Les étu-diants qui gravitaient autour de Warner et de Hughes bénéficièrentde ce système qui leur fournissait des emplois temporaires et leurassurait des entrées dans les entreprises. À l’occasion d’une de cesrecherches, Roy put réaliser des interviews auprès des personnelsd’encadrement — des catégories de travailleurs que les conditions deson travail de terrain pour sa thèse ne l’avaient pas conduit à fré-quenter. Le Committee on Human Relations in Industry ne fut quel’un des cadres institutionnels où se développèrent à l’Université deChicago des recherches en sciences sociales sur le travail : dans lesannées suivantes, un centre de recherche spécialisé dans le mêmedomaine fut créé, et un autre comité offrit un cadre pour la prépa-ration de thèses sur le travail. Ces créations institutionnelles don-nent la mesure de l’importance que prend à cette époque cedomaine pour les sciences sociales.

À partir de la fin de la guerre, les étudiants avancés (graduate) sontnombreux sur le campus de l’Université de Chicago. Une partied’entre eux sont des militaires démobilisés qui peuvent bénéficierdu système de bourses fondé par une loi fédérale, le GI Bill. Leurintérêt intellectuel pour la sociologie, comme celui de Roy, s’appuiesur leurs expériences antérieures. Certains d’entre eux ont décrit lecampus de l’université à cette époque comme un lieu de rencontres

13 Les résultats des premiers travaux réalisés dans le cadre du Committee on Human Relationsin Industry sont présentés dans un ouvrage collectif dirigé par William Foote WHYTE,Industry and Society, McGraw-Hill, New York, 1946.

14 William Foote WHYTE, Street Corner Society, The University of Chicago Press Chicago, 1943(2e édition en 1955) ; traduction française sous le même titre, La Découverte, Paris, 1996.

15 Voir Burleigh B. GARDNER, « Doing Business with Management », in E.M. EDDY et W.L. PAR-TRIDGE (éd.), Applied Anthropology in America, Columbia University Press, New York, 1978,p. 245-260.

INTRODUCTION 11

Page 10: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

intellectuelles stimulantes 16. À cette génération d’étudiants ensociologie appartient une poignée de chercheurs qui devaient inflé-chir l’orientation intellectuelle des analyses dans différentsdomaines : notamment Erving Goffman, Howard Becker, JosephGusfield, Eliot Freidson.

C’est vers l’étude du travail, l’un des domaines de prédilection decette génération de chercheurs, que s’orienta W. F. Whyte aprèsl’achèvement de sa thèse, en étudiant l’organisation du travail dansl’industrie de la restauration. Bien qu’il n’ait pas été présent tous lesans sur le campus de l’Université de Chicago, Roy participa untemps aux activités d’un petit groupe qui s’intéressait au travail etdans lequel W. F. Whyte joua le rôle d’un leader intellectuel. Cegroupe comprenait Melville Dalton, qui étudiait les cadres d’entre-prise 17, Orvis Collins, le fils d’un directeur d’usine, qui étudiait lesrelations entre groupes ethniques dans le travail, l’anthropologueBuford Junker, et Edith Lenz qui s’intéressait au syndicalisme 18. Royentretint également des contacts durables avec Robert Habenstein,qui étudiait les entrepreneurs de pompes funèbres, et avec WilliamLawson, dont la thèse — restée inédite pour des raisons trop évi-dentes — porte sur les activités d’entrepreneurs de la famille Du Pontde Nemours 19. On peut mentionner aussi les recherches sur le syndi-calisme, notamment celles de Joel Seidman 20.

Le travail était aussi de l’un des domaines auxquels s’intéressaitEverett Hughes. Celui-ci avait publié en 1943 une monographie cen-trée sur les conséquences de l’implantation dans une ville franco-phone du Québec d’une industrie dont l’encadrement étaitanglophone 21.

16 On peut trouver plusieurs témoignages dans l’ouvrage de Gary A. FINE (éd.), A Second Chi-cago School ? The Development of a Postwar American Sociology, The University of ChicagoPress, Chicago, 1995.

17 Melville O. DALTON, A Study of Informal Organization among the Managers of an IndustrialPlant, Ph. D. Sociology, University of Chicago, Chicago, 1949.

18 Collins, Dalton et Roy, mettant en commun leurs recherches de terrain sur le travailouvrier, publièrent ensemble un article sur le freinage en 1946 : « Restriction of Output andSocial Cleavage in Industry », Applied Anthropology, 5 (3), p. 1-14.

19 William C. LAWTON, The Du Ponts : A Case Study of Kinship in the Business Organization,Ph. D. Sociology, University of Chicago, Chicago, 1955.

20 Joel SEIDMAN, American Labor from Defense to Reconversion, University of Chicago Press, Chi-cago, 1953.

21 Everett C. HUGHES, French Canada in Transition, The University of Chicago Press, Chicago,1943 ; traduction française par Jean-Charles Falardeau, Rencontre de deux mondes. La crise

UN SOCIOLOGUE À L’USINE12

Page 11: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

Dans les années suivantes, Hughes étudia, avec une démarcheethnographique, les contacts entre groupes ethniques dans lesentreprises de Chicago 22. Un peu plus tard, un ensemble derecherches inspirées en partie par Hughes, auxquelles se rattachentles travaux de Roy, définit une perspective générale pour l’étude dela division du travail et l’étude des métiers 23. Roy a suivi les ensei-gnements dans lesquels Hughes présentait ses propres recherches,ainsi que l’enseignement d’initiation au travail de terrain qu’assu-rait chaque année celui-ci. Cette initiation conduisait les étudiantsà recueillir observations et entretiens, mais aussi à réfléchir sérieuse-ment sur l’usage de ces démarches, en s’appuyant sur la compa-raison des expériences de différents chercheurs, sociologues ouanthropologues 24. L’impact à long terme de cet enseignement sur lapartie de la sociologie américaine qui s’investit dans les recherchesde terrain fut considérable : la majeure partie des monographiesd’ethnographie urbaine des vingt années suivantes qui ont accédé àune notoriété durable — d’Outsiders et Boys in White d’HowardBecker, à Men Who Manage de Melville Dalton en passant par ThePresentation of Self in Everyday Life et Asylum d’Erving Goffman et parHustlers, Beats, and Others de Ned Polsky et par The Urban Villagersd’Herbert Gans — ont des auteurs qui furent initiés au travail de ter-rain par l’enseignement de Hughes 25.

d’industrialisation du Canada français, Parizeau, Montréal, 1945 ; réédition en 1972 par lesÉditions du Boréal Express, Montréal.

22 Un compte rendu partiel se trouve dans Everett C. HUGHES, « The Knitting of Racial Groupsin Industry », American Sociological Review, 1946, 11 (5), p. 512-519 ; traduit en françaisdans Everett C. HUGHES, Le Regard sociologique, Éditions de l’EHESS, Paris, 1996, p. 251-263.

23 Voir pour un historique de ces recherches Everett C. HUGHES, « The Humble and the Proud :The Comparative Study of Occupations », The Sociological Quarterly, 1970, 11 (2),p. 147-156 ; traduction française dans Everett C. HUGHES, Le Regard sociologique, op. cit.,p. 123-135.

24 Cet enseignement est décrit par Hughes dans un article « Teaching as Field Work », TheAmerican Sociologist, 1970, 5 (1), p. 13-18 ; traduit dans Everett C. HUGHES, Le Regard sociolo-gique, op. cit., p. 319-332. Le livre de Buford H. JUNKER, Field Work. An Introduction to theSocial Sciences, University of Chicago Press, Chicago, 1960, est issu de cet enseignement etde la réflexion sur les expériences du travail de terrain des étudiants qui le suivirent. Pen-dant une année, Roy fut l’un des assistants de Hughes pour l’enseignement d’initiation autravail de terrain.

25 Howard S. BECKER (1963), Outsiders. Studies in the Sociology of Deviance, The Free Press ofGlencoe, New York, 1963 ; traduction française, Outsiders. Études de sociologie de la déviance,A.-M. Métailié, Paris, 1985. Howard S. BECKER, Blanche GEER, Everett C. HUGHES et AnselmL. STRAUSS, Boys in White, Student Culture in Medical School, The University of Chicago Press,Chicago, 1961. Melville DALTON, Men Who Manage, Wiley, New York, 1959. ErvingGOFFMAN, The Presentation of Self in Everyday Life, Doubleday (NY), Garden City, 1959 ; tra-

INTRODUCTION 13

Page 12: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

Autre élément significatif de l’environnement intellectuel danslequel Roy a effectué ses recherches : l’enseignement d’HerbertBlumer. Blumer a été à la fois l’introducteur en sociologie de la pers-pective d’analyse élaborée par le philosophe pragmatiste GeorgeHerbert Mead et un critique acerbe et rigoureux des démarches derecherches qui se sont développées en sociologie après 1935. C’esten effet dans cette période que se diffuse la technique des enquêtesréalisées par questionnaires passés auprès d’échantillons (surveyresearch). Cette source documentaire, développée par Lazarsfeld àColumbia et par Samuel Stouffer à l’Université de Chicago puis àHarvard, apparaissait alors à une bonne partie des sociologuescomme la méthode scientifique par excellence, celle qui permettraitd’établir des résultats solides. Blumer attirait au contraire l’attentionsur les faiblesses des démarches dans l’exploitation de cette sourcedocumentaire : l’absence de variables génériques, l’évanescence desopinions et des « attitudes » — une notion explicative souvent uti-lisée dans l’interprétation de ces enquêtes 26. Roy a souvent appuyéson enseignement sur l’un des articles de méthodologie critique deBlumer et son appréciation réservée à l’égard des enquêtes par ques-tionnaires reprend des éléments de l’argumentation de celui-ci.

Blumer participa également aux débats sur l’orientation desrecherches sur le travail. Ayant servi d’arbitre à plusieurs reprisesdans les commissions d’arbitrage entre les syndicats et les grandesentreprises de la sidérurgie, il écrivit un article radicalement cri-tique à l’égard des recherches sur le travail menées à l’époque 27. Cetarticle, présenté en 1946 comme communication à une réunion del’Association américaine de sociologie, affirme que les actions essen-tielles ne se passent pas dans les ateliers, mais dans les négociationscollectives, et que les sociologues font fausse route en s’intéressant à

duction française : La Mise en scène de la vie quotidienne, 1. La présentation de soi, Minuit,Paris, 1973 ; Asylums : Essays on the Social Situation of Mental Patients and Other Inmates, Dou-bleday, Garden City, 1961 ; traduction française, Asiles, Minuit, Paris, 1968. Ned POLSKY,Hustlers, Beats, and Others, The University of Chicago Press, Chicago, 1967. Herbert GANS,The Urban Villagers, Free Press, New York, 1962.

26 Herbert BLUMER, « What is Wrong with Social Theory ? », American Sociological Review, 1954,19 (1) : 3-10 ; « Attitudes and the Social Act », Social Problems, 1955, 3 (2), p. 59-65 ; « Socio-logical Analysis and the “Variable” », American Sociological Review, 1956, 22 (6), p. 683-690(tous ces articles, ainsi que celui qui est cité infra, se trouvent dans un recueil : SymbolicInteractionism. Perspective and Method, Prentice Hall, Englewood Cliffs, 1969).

27 Herbert BLUMER, « Sociological Theory in Industrial Relations », American SociologicalReview, 1947, 12 (3), p. 271-278.

UN SOCIOLOGUE À L’USINE14

Page 13: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

ce qui se passe dans les ateliers. C’est, selon Blumer, le système denégociation collective qu’il faudrait étudier, et avec un point de vuemoins naïf que celui des chercheurs en sciences sociales, que Blumerqualifie encore dédaigneusement en 1969 de « point de vue d’uni-versitaire ». Le groupe d’étudiants en thèse que fréquentait Roy lutavec attention et discuta cet article, et, même si certains d’entre euxconclurent que Blumer était encore dans une phase de « nihilismeméthodologique », cet élément critique se trouve à l’arrière-plan desanalyses de Roy (qui cite d’ailleurs cet article au début de sa thèse).

Fort heureusement, l’article de Blumer ne convainquit pas Royd’abandonner son sujet de thèse. Mais cet épisode et l’influence del’enseignement de Blumer sur une partie des étudiants de l’époquerappellent les controverses intellectuelles dans lesquelles se sontdéveloppées ces recherches et l’influence du pragmatisme sur unepartie des sociologues de l’Université de Chicago. Les archiveslaissées par Roy, notamment ses préparations de cours, montrent eneffet que, plus que ses collègues de la même génération, Roy gardatoute sa vie parmi ses références principales les philosophes pragma-tistes, et en premier lieu John Dewey.

Roy n’était pas, comme on l’a vu, venu à Chicago avec le projetd’étudier le travail ouvrier. Afin de s’assurer quelques ressourcespour entretenir sa famille tout en travaillant à une thèse, Roy pritun emploi de serveur de restaurant, puis d’ouvrier dans une aciérie,travailla dans un chantier de prospection pétrolière en Californie etdans un chantier naval à Portland ; l’été 1942, il assura en compa-gnie de W. F. Whyte un stage pour enseignants du primaire financépar la fondation Kellogg. Roy a ainsi occupé au cours de ses annéesd’études de nombreux emplois, mais pour des durées souventréduites : en 1950, alors qu’il achève sa thèse, il comptabilise avecfierté 24 emplois différents dans 20 industries différentes. Autantque d’emplois ouvriers, il s’agit d’emplois dans les services, maisaussi parfois d’emplois intellectuels.

En 1944, Roy fut engagé comme opérateur sur machine dans uneentreprise métallurgique de la proche banlieue de Chicago. Ilaffirme qu’il prit sans intention particulière un emploi qui s’offrait.Un mois plus tard, il commença à prendre des notes sur ce qui sepassait dans l’atelier où il travaillait. Dans une conférence de 1956,il attribue à Hughes le mérite d’avoir transformé une circonstancefortuite en sujet de recherche : « Je n’ai commencé à remarquer des

INTRODUCTION 15

Page 14: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

choses que lorsque le professeur Hughes m’eut initié à l’observationparticipante avec attention constante à ce qui se passait autour demoi et prise quotidienne de notes sur ce qui se passait dansl’usine 28. » Ainsi commencèrent pour Roy les dix mois du recueil dedonnées pour sa thèse. Roy quitta son emploi d’opérateur lors d’uneréduction de personnel, bien qu’on lui ait proposé de la transférerdans un autre atelier 29. À la différence d’autres étudiants qui ontraconté plus tard n’avoir pas perçu sur le moment l’intérêt de l’ensei-gnement d’initiation au travail de terrain de Hughes, Roy se décou-vrit immédiatement un goût pour cette démarche. Jusqu’à la fin desa vie, il ne cessa de saisir les occasions de l’utiliser, en accumulantles notes détaillées sur les emplois qu’il occupa temporairement, etplus tard sur les campagnes de syndicalisation. La correspondancede Hughes et de Roy au cours des années 1950 fait apparaître la rela-tion d’affinité particulière qui les lie l’un à l’autre. Le socle de celle-ciest un commun intérêt pour la compréhension de l’intérieur — par letravail de terrain — des comportements des classes populaires 30. À sasoutenance en 1952, la thèse de Roy reçut une approbation enthou-siaste de Hughes.

À l’automne 1950, après avoir enseigné à la fois à l’Université deChicago et à Roosevelt College — une université récemment ouverteà Chicago et s’adressant à un public populaire —, Roy rejoignit lepetit département de sociologie de Duke University, à Durham entant qu’assistant (Instructor in Industrial Relations), sur la recomman-dation de Hughes auprès d’Edgar Thompson qui dirigeait à cemoment ce département. Dans une lettre à E. Thompson, Hughesfait preuve d’un enthousiasme chez lui inhabituel dans son appré-ciation des qualités de Roy : « Je ne pense pas que vous serez déçu parDon Roy ; j’ai repris le manuscrit de sa thèse, et elle s’approche du

28 Donald ROY, « Suggestions on Non-Academic Training for Industrial Research », Confe-rence of the Southern Sociological Society « Developing Industrial Sociological Research inthe South », Georgia Institute of Technology, Archives de Donald Roy, Duke University,dossier L.

29 Donald ROY, Restriction of Output by Machine Operators in a Piecework Machine Shop, op. cit.,p. 53.

30 Hughes était fils d’un pasteur méthodiste du Middle West. Sa sociologie est inspirée parune critique attentive de toute forme d’ethnocentrisme, en partie liée à une sensibilité auxdifférences de classe, qu’il attribuait lui-même à son expérience de fils de pasteur rural, puisà celle qui accompagna les différentes activités qu’il avait exercées dans les années 1920avant de devenir sociologue. Des éléments biographiques le concernant se trouvent dans lapréface au Regard sociologique.

UN SOCIOLOGUE À L’USINE16

Page 15: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

génie. En ce qui concerne sa suffisance [celle de Roy], je crois quec’est l’impression que donnent certaines de ses manières. Ce qu’il ya d’étrange, c’est qu’en réalité il est tout à fait timide 31. » Roy restaà Duke jusqu’à son passage à la retraite en 1979, mais cela nel’empêcha pas d’occuper occasionnellement divers emploismanuels : l’été 1953, il fut ainsi serveur dans un restaurant à Spo-kane, tenant un journal de terrain, peut-être avec l’intention decommencer une nouvelle recherche. Une lettre envoyée à Hughesindique qu’il souhaiterait, ainsi que sa femme, travailler de nou-veau en usine. De ces différentes indications biographiques, on peuttirer la conclusion que Roy avait une connaissance intime du tra-vail des classes laborieuses, et qu’il portait à la condition de celles-ciun intérêt dont sa correspondance indique le caractère passionné,et pas exclusivement intellectuel. Mais il faut insister sur le fait quecette connaissance se déploie à partir d’un point de vue extérieur :les notes de terrain de Roy ne témoignent pas d’une immédiatefamiliarité avec le monde des ouvriers, mais montrent une socialisa-tion progressive dans celui-ci, et parfois des étonnements devant cequ’il découvre.

Après l’achèvement de sa thèse, Roy entreprit de publier desarticles et d’en tirer un livre. Quatre articles furent rédigés par Roy.Le premier figure dans un numéro spécial organisé par Hughes del’American Journal of Sociology sur le travail. Le dernier (dont on trou-vera ici la traduction) ne fut pas publié. Hughes, alors rédacteur enchef de l’American Journal of Sociology, à qui Roy l’avait soumis, luiconseilla d’écrire un ouvrage sur ce qui était, selon lui, le sujet surlequel les recherches de Roy apportaient un nouvel éclairage : lecomportement des groupes d’ouvriers.

Le projet ne fut pas mené à bien par Roy, car celui-ci se tourna àpartir de 1956 vers un second sujet de recherche qui devait l’occuperjusqu’à la fin de sa vie. Il publia cependant encore les deux autresarticles sur le travail ouvrier que l’on trouvera ici. L’originalité del’interrogation du dernier article sur le travail ouvrier publié par Royune dizaine d’années plus tard — la sexualité à l’usine — ne peutmanquer d’échapper au lecteur actuel. Pour ces deux articles, Roy a

31 Lettre du 29 avril 1950, Archives de Donald Roy, Duke University, dossier M.

INTRODUCTION 17

Page 16: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

plongé dans le trésor de notes de terrain prises dans les années 1940ou au début des années 1950.

En 1956, un organisateur de campagne de syndicalisation pourles entreprises du textile du Sud entra en contact avec Roy parce qu’ilespérait par l’intermédiaire de celui-ci recruter un étudiant pour par-ticiper à l’une de ces campagnes. Ce fut finalement Roy lui-mêmequi vint faire cette observation. Comme lors de sa recherche précé-dente, Roy partit d’une question simple : comment expliquer lessuccès et les échecs des campagnes d’implantation syndicale ? Royn’ignorait pas que le sujet était délicat dans le contexte du Sud et deDuke, et un collègue l’avait mis expressément en garde. Il fit, ainsique l’un de ses proches, plusieurs expériences qui montrèrent lebien-fondé de cet avis. Sa correspondance suggère qu’il se sentitquelque peu mis à l’index dans le milieu de l’industrie et fut, àl’occasion, soupçonné d’être un quasi-communiste.

Les progrès de cette seconde recherche furent lents. Roy publiaplusieurs articles, mais une tentative pour écrire un livre, pendantune année sabbatique passée à l’Université Cornell auprès deW. F. Whyte, tourna court : Whyte manifesta des réticences à l’égardde l’insuffisante intégration du matériel dans un cadre analytiqued’ensemble. Dans les années suivantes, Roy se lança dans de nou-velles observations des campagnes de syndicalisation dans le Sud.En 1980, lors de son décès, peu après son départ à la retraite, il avaitpresque achevé un ouvrage sur les obstacles à la syndicalisation dansle Sud. Le manuscrit de celui-ci se trouve dans les archives de DukeUniversity. On peut y découvrir les mêmes qualités que l’on trouvedans les recherches de Roy sur le travail ouvrier, en particulier unevariété et une précision inhabituelles dans les notes de terrain.

Le travail ouvrier dans les usines autour de 1944

C’est dans la conjoncture économique et sociale très particulièrequi précède la fin de la Seconde Guerre mondiale que Roy a effectuéla recherche sur laquelle s’appuie sa thèse, entre octobre 1944 etaoût 1945. Depuis 1942, un mode particulier d’arbitrage des conflitssociaux dans les usines avait en effet été mis en place sous le patro-nage de l’administration fédérale. Mais il faut remonter un peu plus

UN SOCIOLOGUE À L’USINE18

Page 17: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

avant dans le temps pour avoir une vision précise de la situationdans laquelle se trouvent Roy et ses compagnons de travail.

À partir du déclenchement de la crise de 1929, la situation desouvriers américains a en effet connu une suite de changementsrapides et de grande ampleur. Il n’est pas nécessaire d’insister surl’omniprésence de la question du chômage au cours desannées 1930. À partir de 1933, l’administration Roosevelt acontribué à donner une importance nouvelle au syndicalisme, enfacilitant la création de syndicats et en mettant en place un sys-tème d’arbitrage dans les conflits entre employeurs et syndicats parle Wagner Act de 1935. Marquée par des conflits nombreux et unescission syndicale qui entraîne la création du CIO (Congress ofIndustrial Organizations), à côté de l’AFL (American Federation ofLabor), la période qui va de 1933 à 1945 a ainsi permis un dévelop-pement de la syndicalisation, sans précédent aux États-Unis. Le CIOsyndique notamment les ouvriers qui ne possèdent pas de métier,comme les travailleurs à la chaîne de l’automobile et généralementceux qui sont considérés comme des ouvriers semi-qualifiés. Ledéveloppement de l’implantation syndicale s’accompagne de mul-tiples conflits à l’intérieur des syndicats, mais aussi dans leurs rap-ports mutuels et dans ceux de leurs dirigeants avec l’administrationde Roosevelt 32.

La situation du marché du travail, jusque-là caractérisée par unfort chômage, se modifie brutalement à partir de 1940, avec lescommandes d’État pour les industries de guerre. Une partie de lamain-d’œuvre — les hommes qualifiés ou semi-qualifiés (catégorieà laquelle appartiennent les opérateurs étudiés par Roy) — estretenue à l’armée, alors que certaines usines se sont reconverties versde nouvelles productions pour la guerre. Dès 1942, le plein-emploiest atteint, et le déficit de main-d’œuvre s’accompagne de revendi-cations sur les conditions de travail et sur les salaires, qui sont ali-mentées par une inflation non négligeable. L’année 1941 estmarquée d’ailleurs aux États-Unis par un nombre de grèves sans pré-cédent depuis 1919.

32 Voir James R. GREEN, The World of the Worker. Labor in the Twentieth-Century America, Uni-versity of Illinois Press, Urbana, 1998 (2e édition), pour une vue d’ensemble de toute lapériode. On peut aussi se reporter au livre de Joel SEIDMAN, American Labor from Defense toReconversion, op. cit., ainsi qu’à l’ouvrage de Nelson LICHTENSTEIN, Labor’s War at Home : theCIO in World War Two, Cambridge University Press, New York, 1982.

INTRODUCTION 19

Page 18: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

La recherche d’une régularité dans la production pour la guerreentraîna une nouvelle intervention de l’administration Rooseveltdans les relations de travail. Un système de réglementation et d’arbi-trage est mis en place en mars 1941, et renforcé neuf mois plus tardaprès le bombardement de Pearl Harbor. Il reprend des éléments del’expérience antérieure de 1935, mais le nouveau dispositif régle-mentaire est plus contraignant. À une commission nationale, leNational War Labor Board, dans laquelle figurent des responsablessyndicaux des deux organisations syndicales, l’AFL et le CIO, des res-ponsables patronaux et des représentants du gouvernement fédéral,est confié un pouvoir d’arbitrage dans les conflits qui lui sontsoumis. Un compromis accepté par les syndicats limite les augmen-tations de salaire. Les syndicats s’engagent à ne pas organiser degrèves. Ils bénéficient en contrepartie d’une reconnaissance accruedans les entreprises (la syndicalisation des ouvriers est parfois quasi-ment imposée, avec des cotisations directement prélevées sur lespayes) 33. Un système compliqué est également mis en place pourlimiter la mobilité de la main-d’œuvre d’une entreprise à une autre :les ouvriers qui quittent une entreprise doivent, pour être engagésdans une autre, obtenir un certificat de la commission chargée decontrôler les déplacements de main-d’œuvre, ce qui suppose, en1944, un délai de soixante jours. Le manque chronique de main-d’œuvre décourage par ailleurs les directions de procéder à des licen-ciements. Ceux-ci ont été effectivement fort rares dans l’entrepriseétudiée par Roy : il note un jour en passant que tel travailleur, quisouhaiterait être licencié, est simplement transféré dans un autredépartement 34. Pour remédier au manque de main-d’œuvre, denombreuses industries firent appel à des types de travailleurs qui nepouvaient jusqu’alors accéder à ces emplois : des femmes et desNoirs principalement. Cette introduction, redoutée par les autrestravailleurs comme comportant une menace sur le niveau dessalaires, s’accompagne souvent de conflits. L’usine où travaillait Royne semble pas avoir été concernée par le recrutement de ces

33 Nelson LICHTENSTEIN, Labor’s War at Home : the CIO in World War Two, op. cit., p. 79-80.Cette situation résulte d’un système adopté par le National War Labor Board en juin 1942 :c’est seulement pendant les quinze premiers jours après son adhésion que le nouveaumembre d’un syndicat a la possibilité de s’en retirer.

34 Voir Donald ROY, Restriction of Output by Machine Operators in a Piecework Machine Shop,op. cit., p. 311.

UN SOCIOLOGUE À L’USINE20

Page 19: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

« nouveaux travailleurs » de l’industrie, qui constitue l’un desthèmes de recherche de Hughes à cette époque.

L’équilibre des relations entre les directions des syndicats, lesdirections d’entreprise et l’administration Roosevelt est fragile pen-dant toute la période qui précède la fin de la guerre. Le système denégociation entre syndicats et direction contribue à éloigner lesouvriers de base des syndicats — une caractéristique qui s’observedans l’usine étudiée par Roy où l’implantation syndicale remontait à1937. Les signes ordinaires de mécontentement ouvrier — l’absen-téisme, les grèves sauvages, etc. — sont nombreux après 1942 dansla grande industrie. En 1944, l’anticipation de la fin de la guerreentraîna des grèves particulièrement nombreuses, souvent consécu-tives à des revendications sur les salaires ou sur les conditions detravail.

Le mécontentement à propos des salaires, la difficulté pour lesouvriers de quitter leur emploi et, pour les entreprises, la difficultéde recrutement de la main-d’œuvre constituent l’arrière-plan descomportements dans l’usine où travaillait Roy en 1944. Un docu-ment, daté de 1946, rédigé par le responsable du personnel d’uneentreprise et cité par l’historien H. J. Harris, décrit, du point de vuedes directions, la situation de la main-d’œuvre à la fin de la guerre :« Il y avait un abaissement assez général du moral des travailleurs[…] qui se traduisait par l’absentéisme, les retards, les départs anti-cipés, le désintérêt pour le travail, une diminution de la fierté demétier, l’insubordination et la fainéantise 35. » Le même documentsouligne la perte d’efficacité des sanctions habituelles — la mise àpied provisoire et le licenciement — car le premier peut offrir unerupture dans la routine qui est bienvenue du point de vue du travail-leur, et le second fournit à celui-ci l’occasion de changer de travailen évitant les contrôles de la Commission de la main-d’œuvre. Pourcomprendre le comportement des ouvriers en 1944, il faut certaine-ment mettre en avant davantage que ne le fait Roy lui-même cer-tains de ces aspects : d’abord le manque de main-d’œuvre etl’absence de licenciements par l’entreprise après une longue périodede chômage ; ensuite, le blocage des salaires, accepté par les syn-dicats, et les obstacles administratifs qui rendent difficiles les

35 Howell John HARRIS, The Right to Manage. Industrial Relations Policies of American Business inthe 1940s, The University of Wisconsin Press, Wisconsin, Madison, 1982, p. 63.

INTRODUCTION 21

Page 20: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

changements d’employeur ; enfin, le mécontentement chroniquedes ouvriers de l’époque 36.

La situation des ouvriers se modifia rapidement après la fin de laguerre. Les grèves sont encore plus nombreuses en 1945 qu’en 1944,mais, à l’issue de la vague de grèves, les gains obtenus par les travail-leurs sont réduits. Cet insuccès ouvrit la voie au vote de la loi Taft-Hartley en 1947, qui limite le droit de grève des travailleurs, interditle système du monopole d’embauche accordé à certains syndicats(closed shop), et renforce la capacité des employeurs à recruter libre-ment leur personnel sur le marché du travail. Comme le suggèrel’ouvrage de Burawoy, qui fournit des indications sur l’évolution del’entreprise dans laquelle Roy a travaillé, la condition des ouvrierschange dans les années suivantes, avec des transformations de lapolitique suivie en ce qui concerne la main-d’œuvre.

L’usine dans laquelle a travaillé Roy 37 relevait du secteur de lamétallurgie et produisait en partie (au moins) pour l’armée 38. Crééeen 1881, l’entreprise avait commencé par fabriquer du matériel fer-roviaire, puis elle s’était lancée dans les moteurs d’automobiles etspécialisée dans les moteurs de camions et de bateaux ; au début dela Seconde Guerre mondiale, ses productions comprenaient desengins de forage, des wagons de chemin de fer, puis s’étendirent auxchariots élévateurs, aux moteurs de chars et d’avions, et aux valetsindustriels. Les effectifs du personnel passèrent de 750 personnesenviron en 1939 à 4 000 en 1944 ; la valeur de la production a crûau cours de la même période de 3,5 à 45,6 millions de dollars. L’ate-lier où travaillait Roy comprenait un peu plus d’une centained’ouvriers, répartis entre deux équipes de travailleurs (dans uneautre période deux équipes et demie, puis trois équipes). Roy travail-lait dans l’équipe du soir — entre 15 h et 23 h. Les conditions de tra-vail de cette équipe se distinguaient de celles de l’équipe du matinpar l’allègement de l’encadrement, au moins à certaines heures.Cette circonstance a probablement facilité l’enquête de Roy.

36 Celui-ci apparaît d’ailleurs clairement dans certaines notes de terrain reproduites par Roydans sa thèse ou dans l’article cosigné avec Collins et Dalton, en 1946.

37 Roy désigne cette entreprise par le pseudonyme de Geer. Plusieurs indices suggèrent qu’ils’agit de l’entreprise Buda.

38 Des indications complémentaires à celles, parfois lacunaires, que donne Roy, se trouventdans l’ouvrage de Burawoy.

UN SOCIOLOGUE À L’USINE22

Page 21: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

Les sciences sociales et le travail ouvrier de Mayoau mouvement des relations humaines

En 1944, quand Roy a commencé sa thèse, les questions liées autravail figurent, comme on l’a vu, parmi les sujets d’actualité auxÉtats-Unis. On a indiqué également qu’il s’agissait par ailleurs d’undomaine de recherche en plein développement dans les universitéset, depuis peu, en sociologie. Même si le choix par Roy de son sujetde recherche n’est pas en relation directe avec cette situation, sesanalyses s’inscrivent dans ce contexte. Par son thème principal, laquestion de la contribution des travailleurs à la définition du niveaude leur production, cette recherche s’inscrit en effet dans le prolon-gement — mais dans un prolongement critique — de la plus célèbreenquête sur le travail réalisée au cours de la période antérieure :l’enquête Hawthorne (du nom de l’usine étudiée, située dans la ban-lieue de Chicago).

Cette enquête avait débuté en 1924, dans la plus grande usine dela Western Electric 39. Il s’agissait au départ d’une étude, placée sousla tutelle de spécialistes d’ingénierie électrique, qui portait notam-ment sur les effets de l’éclairage sur la productivité des travailleurs.Elle visait à des applications « pratiques », c’est-à-dire au profit de ladirection de l’entreprise. Dès ses débuts, elle avait bénéficié d’unfinancement exceptionnellement important, notamment de la partdes fondations de la famille Rockefeller 40. Les premières investiga-tions invalidèrent les hypothèses initiales sur l’influence de l’inten-sité de l’éclairage des ateliers sur la productivité des ouvriers etl’enquête passa un peu plus tard sous le contrôle de nouveaux cher-cheurs qui l’orientèrent dans d’autres directions. Ce sont les der-nières phases, réalisées après 1928 sous la direction d’un philosopheet psychologue d’origine australienne, alors professeur à la BusinessSchool de Harvard et spécialisé dans l’étude de la fatigue, Elton

39 Une analyse historique de l’enquête Hawthorne et de ses retombées se trouve dans RichardGILLESPIE, Manufacturing Knowledge. A History of the Hawthorne Experiments, Cambridge Uni-versity Press, New York, 1991. Voir aussi la présentation très claire des enquêtes de Mayo etde leurs critiques par Bernard-Pierre LÉCUYER, « Rationalité et idéologie dans les sciences del’homme. Le cas des expériences Hawthorne (1924-1933) », Revue de synthèse, IVe série,juillet-décembre 1988, p. 401-427.

40 Entre 1923 et 1943, selon Gillespie (Richard GILLESPIE, Manufacturing Knowledge, op. cit.,p. 243), les fondations Rockefeller ont financé Mayo et ses collègues à hauteur de 1,52 mil-lion de dollars.

INTRODUCTION 23

Page 22: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

Mayo, qui devaient laisser une marque dans l’histoire des sciencessociales. Mayo contribua à réorienter l’enquête en cours vers l’étudedes facteurs extra-économiques, psychologiques et sociaux, de laproductivité et de la satisfaction des ouvriers au travail. À partir de1928, aux recherches reposant sur l’étude par observation desgroupes d’ouvriers au travail s’ajouta une campagne d’entretiensauprès des ouvriers, destinée à mettre en relation leurs plaintes àl’égard des conditions de travail et de l’encadrement avec les caracté-ristiques de leur personnalité. En 1930, Mayo introduisit dansl’usine Hawthorne l’anthropologue Lloyd Warner, alors enseignantà Harvard, et celui-ci contribua à orienter le programme derecherche vers l’observation directe des relations à l’intérieur depetits groupes d’ouvriers ou d’ouvrières. Les différentes enquêtesfurent brutalement interrompues en 1933, par suite de la crise quiavait entraîné dès 1932 le licenciement des ouvriers d’un des ateliersétudiés. La même année, Elton Mayo publia un premier ouvrage,mais la diffusion ultérieure des conclusions de ces recherches passaaussi par un compte rendu beaucoup plus détaillé publié en 1939 pardeux des associés de Mayo, Fritz Roethlisberger et William J. Dickson(un haut cadre de la Hawthorne), et par les publications d’un autreassocié de Mayo, le philosophe T. North Whitehead 41.

Au cours de leurs investigations, les chercheurs de l’enquête Haw-thorne avaient rencontré un phénomène auquel les dirigeantsd’entreprise avaient toutes les raisons d’être attentifs : la limitation« volontaire » de la production par les travailleurs — le freinage. Cephénomène — ou plutôt cet ensemble de phénomènes — n’étaitévidemment pas inconnu des dirigeants d’entreprise ni des sciencessociales. Max Weber est sans doute l’un des premiers à avoir étéattentif à la question de la « limitation de la production », à la suitedu livre d’une de ses relations, un étudiant de théologie qui avaitpassé quelques mois dans une usine en travaillant comme ouvrier 42.

41 Elton MAYO, The Human Problems of an Industrial Civilization, Macmillan, New York, 1933.Mayo publia un second ouvrage en 1945, mais, relativement âgé, il n’est déjà plus guèreprésent dans les sciences sociales à cette date. Fritz J. ROETHLISBERGER et William J. DICKSON,Management and the Worker : An Account of a Research Program Conducted by the Western Elec-tric Company, Hawthorne Works, Chicago, Harvard University Press, Cambridge, Mass.,1939. T. North WHITEHEAD, The Industrial Worker : A Statistical Study of Human Relations in aGroup of Manual Worker, Harvard University Press, Cambridge, 1938, 2 vol.

42 Paul Göhre a publié son journal de terrain : Drei Monate Fabrikarbeiter und Handwerks-bursche, Grünow, Leizpig, 1891.

UN SOCIOLOGUE À L’USINE24

Page 23: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

Cette question est aussi le point de départ des réflexions de Taylorau début du siècle. Dans le milieu des dirigeants d’entreprise améri-cains, l’un des ouvrages de référence est celui d’un ingénieur,Mathewson, connu de Roy dès les débuts de sa thèse, mais non citédans celle-ci 43. Mathewson rapporte, pour s’en démarquer, l’opi-nion fréquente des dirigeants d’entreprise qui attribue la limitationde la production à l’action des syndicats.

Au début des années 1930, il n’y avait aucun accord sur l’exten-sion, la nature, et la signification ou les causes du freinage. L’intérêtpour la compréhension de la limitation de la production se trouvederrière une bonne partie des investigations inspirées par Mayo.Parmi les principales « découvertes » de l’enquête — dans la vulgatequi s’en diffusa ultérieurement — figure l’importance du « facteurhumain » dans la détermination de la satisfaction au travail et duniveau de production des ouvriers. Mayo mit en évidence l’impor-tance des satisfactions sociales impliquées dans les relations entre lespersonnes, ainsi que l’existence d’une « organisation informelle »mise en place par les travailleurs dans les ateliers ; celle-ci s’oppose àl’organisation formelle mise en place par les directions. Pour Mayoet ses associés, qui acceptent sur le mode de l’évidence la rationalitédes comportements des directions, le comportement des travail-leurs se conforme à un « code social inférieur » qui entraîne leurincompréhension du comportement des directions. La limitation dela production est une conséquence parmi d’autres de cetteincompréhension.

Il faut souligner que les interprétations de Mayo débouchent surune conception des travailleurs qui s’oppose à celle que retiennentles économistes classiques : les travailleurs, selon Mayo, forment desgroupes relativement intégrés, dont les actions ne découlent pas del’intérêt économique individuel immédiat de leurs membres, et ilsne sont donc pas des individus isolés les uns des autres, soucieux deleurs seuls intérêts personnels. Cette conception ouvrait aussi laporte à la quête de solutions pratiques pour augmenter la produc-tion et limiter les antagonismes à l’intérieur des entreprises.

Les analyses de Mayo et de ses associés ne furent pas accueilliesavec un grand enthousiasme par les sociologues américains : les

43 Stanley B. MATHEWSON, Restriction of Output Among Unorganized Workers, op. cit.

INTRODUCTION 25

Page 24: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

comptes rendus dans les principales revues de sociologie témoi-gnent d’appréciations réservées qui anticipent largement sur les cri-tiques postérieures. Les uns relevèrent l’absence du syndicalismedans les analyses de Mayo (qui s’explique par son hostilité à celui-ci,mais aussi peut-être par son peu d’importance avant 1930 dansl’entreprise étudiée), d’autres, sa psychologisation des travailleurs etson ignorance des relations de pouvoir, ou encore son insistance surles problèmes de communication et sa minimisation des conflitsd’intérêts. Mais l’étude du travail est, après 1944, un domaine pourlequel des financements de recherche sont disponibles, et où se des-sinent des possibilités de carrière dans les universités parce quecelles-ci ouvrent des programmes d’enseignement sur ce sujet.L’accueil critique fait aux analyses de l’enquête Hawthorne par lessociologues perdit ainsi rapidement une partie de sa virulence, et cesanalyses, retraduites sous différentes formes, furent utilisées commeun point de départ pour l’enseignement, voire la recherche.

Avec le développement d’une activité de conseil pour les direc-tions d’entreprise et quelques cas de tentatives de « réformes »célèbres — comme celle, fréquemment invoquée par Roy, que miten place avec un certain succès en 1947 dans une entreprise sidérur-gique un ancien syndicaliste, Joe Scanlon —, un marché nouveausemble s’ouvrir pour les sciences sociales. C’est en relation avec cetteouverture que se développe, à l’intersection de plusieurs disciplinesuniversitaires, ce qui est désigné à l’époque comme le « mouve-ment des relations humaines 44 ». Les centres d’intérêt de ceux quiparticipent à ce mouvement vont de l’étude des organisations et desdéterminants de la conduite dans celles-ci à l’étude de leurs conflits,des déterminants du moral et de la motivation des personnels et àl’étude des moyens susceptibles d’augmenter l’efficacité des organi-sations. Mayo ainsi que le psychologue Lewin figurent parmi lesprincipales références d’un mouvement dont les participants ontpour objectif affiché de réduire les conflits sociaux dans le travail.B. Gardner — un ancien cadre de l’usine Hawthorne — etW. F. Whyte sont deux des figures de proue de ce mouvement. C’estévidemment aux directions d’entreprise qui financent leurs

44 Sur ce mouvement, voir Bruce E. KAUFMAN, The Origins and Evolution of the Field of IndustrialRelations in the United States, ILR Press, Ithaca (NY), 1993, p. 76-83 ; Richard GILLESPIE, Manu-facturing Knowledge, op. cit., p. 240-263.

UN SOCIOLOGUE À L’USINE26

Page 25: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

recherches que s’adressent ces chercheurs : l’ouvrage à succès deGardner, Human Relations in Industry, est d’ailleurs destiné à la for-mation des cadres dirigeants 45.

La position exprimée par Roy à l’égard de ce mouvement (qui sedissout au cours des années 1960 dans une autre spécialité pluslarge) est ambivalente : son expérience du travail ouvrier le dis-pense certes des naïvetés sur les objectifs et les actions des direc-tions, mais il resta aussi jusqu’à la fin de sa vie attaché à l’espoird’une amélioration de la coopération entre les travailleurs et lesdirections — plaçant dans ses dernières années ses espérances dansle développement du syndicalisme. C’est ce qu’indiquent du moinsles conférences qu’il donna sur les rapports entre travailleurs etdirections, généralement devant des publics comprenant syndica-listes et dirigeants d’entreprise. Roy resta durablement en contactavec Whyte (dont les interprétations connaissent aussi dans lesannées suivantes une évolution sensible).

Les réserves de Roy à l’égard des interprétations de Mayo sontclairement exprimées dans sa thèse. Elles portent sur ce qu’on peutdésigner comme l’ethnocentrisme du point de vue de Mayo et sonaffinité avec le point de vue des directions. Ainsi, comme l’écrit Roy,en ce qui concerne la limitation de la production, Mayo pense queles travailleurs sont récalcitrants mais que « la médecine des direc-tions est bonne 46 ». En se référant aux seuls comportements desouvriers dans les ateliers, la critique de Roy complète celle qu’avaitdéveloppée dès 1946 l’anthropologue noir Allison Davis (un élèvede Warner), dans le recueil des premiers travaux financés par leCommittee on Human Relations in Industry 47. Roy a régulière-ment cité cet article, qui explique que les conditions d’existence etd’emploi conduisent les travailleurs dévalorisés — les femmes et lesNoirs — à ne pas se conformer aux comportements que les direc-tions attendent des travailleurs.

45 Burleigh B. GARDNER, Human Relations in Industry, Richard D. Irwin, Chicago, 1945.

46 Donald ROY, Restriction of Output by Machine Operators in a Piecework Machine Shop, op. cit.,p. 17.

47 Allison DAVIS, « The Motivation of the Underprivileged Worker », in William Foote WHYTE,Industry and Society, op. cit., p. 84-106.

INTRODUCTION 27

Page 26: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

Une analyse centrée sur les groupes d’ouvriers ?

On voit comment les recherches de Roy s’inscrivent à la fois dansle contexte des relations sociales de leur temps qui définissent lacondition ouvrière et dans celui des recherches en sciences sociales.Mais ce ne sont pas leurs conclusions détaillées sur la limitation de laproduction par les ouvriers qui sont susceptibles d’être directementgénéralisées à d’autres ouvriers dans d’autres situations historiques,comme on l’a fait trop souvent. La diversité des formes que prendla résistance ouvrière aux organisations décidées par les directions,et surtout la diversité des fonctionnements observables des groupesd’ouvriers sont par contre plus facilement généralisables : on trouvepar exemple dans l’analyse minutieuse par l’historienne AiméeMoutet des résistances à la rationalisation pendant l’entre-deux-guerres dans les industries mécaniques françaises une grande partiedes mêmes éléments que ceux découverts par Roy 48.

Un autre thème sur lequel les analyses de Roy ont une portéegénérale est celui auquel Hughes lui conseillait de consacrer unouvrage. Le fonctionnement du groupe ouvrier est, comme on l’avu, le thème que développe le quatrième article non publié tiré parRoy de sa thèse, comme, un peu différemment, celui des deuxarticles ultérieurs de Roy sur le travail ouvrier. Examinant la collabo-ration entre divers groupes d’ouvriers pour augmenter la produc-tion en violant les règles édictées par les directions, Roy montrecomment la relation entre les opérateurs sur machine et le groupedes ouvriers chargés de surveiller la qualité de la production fluctueentre une hostilité ouverte et une sorte d’association harmonieusequand les intérêts des deux catégories ne s’opposent pas. Il souligneégalement qu’un antagonisme est susceptible de se développer parmoments, même entre deux catégories généralement proches etalliées, comme les opérateurs et les régleurs. À l’intérieur de chaquegroupe de travailleurs, des variations individuelles affectent aussi lesrelations avec les membres d’un autre groupe : les lignes de conflitentre groupes sont variables dans le temps, et elles passent à l’inté-rieur de chaque groupe. Là encore, sur la base d’observations de ter-rain qui témoignent d’une perception fine de la diversité des

48 Aimée MOUTET, Les Logiques de l’entreprise. La rationalisation dans l’industrie française del’entre-deux-guerres, Éditions de l’EHESS, Paris, 1997, p. 174-182.

UN SOCIOLOGUE À L’USINE28

Page 27: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

comportements, Roy s’écarte de la vision simpliste d’une oppositionunivoque et stable entre groupes de travailleurs.

On peut lire ainsi les analyses de Roy comme un exemple particu-lièrement convaincant des apports d’une approche ethnographiquevéritable — reposant sur une observation prolongée et, quand celaest nécessaire, comme dans le cas présent, « participante » — à l’ana-lyse sociologique. L’apport premier réside ici dans la récusation desinterprétations simples des actions et de leurs motifs, favorisée par lapropension inévitable des chercheurs à l’ethnocentrisme de classe.

Il est sans doute aussi utile de relever le contraste entre le longdébat sur la validité plus qu’incertaine des conclusions issues desenquêtes conduites par Mayo qui ont mobilisé des moyens d’uneimportance sans précédent, d’un côté, l’acceptation durable desrésultats de l’enquête d’ampleur limitée réalisée par Roy sans finan-cement, de l’autre.

Bibliographie de Donald Roy

La liste des publications est complétée par quelques conférencesinédites de Roy dont les textes se trouvent dans les archives de DonRoy, Duke University, Durham (Caroline du Nord), indiqué ici par lesigle ADR suivi du nom du dossier.

Hooverville. A Study of a Community of Homeless Men in Seattle, Masterof Arts Thesis, University of Washington, 1935.

« Hooverville. A Community of Homeless Men », Studies in Socio-logy, Southern Methodist University, Dallas, 1939, vol. IV (1-2),p. 37-45.

Orvis COLLINS et Melville DALTON (en collaboration avec), « Restric-tion of Output and Social Cleavage in Industry », Applied Anthro-pology, 1946, 5 (3), p. 1-14.

« Participation, the Key to Cooperation », Conference at the Univer-sity of North Carolina, in ADR, dossier L, 1950.

Restriction of Output by Machine Operators in a Piecework Machine Shop,Ph. D. Sociology, University of Chicago, 1952.

« Quota Restriction and Goldbricking in a Machine Shop », Ame-rican Journal of Sociology, 1952, 57 (5), p. 427-442.

INTRODUCTION 29

Page 28: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

« Work Satisfaction and Social Reward in Quota Achievment », Ame-rican Sociological Review, 1953, 18 (5), p. 507-514.

« Efficiency and the Fix : Informal Intergroup Relations in a Piece-work Machine Shop », American Journal of Sociology, 1954, 60 (3),p. 255-266.

« Cooperation and Conflict in the Factory : Some Observations andQuestions Regarding Conceptualization of Intergroup Relationswithin Bureaucratic Social Structures », article inédit, in ADR,dossier L, sd [1954].

« Suggestions on Non-Academic Training for Industrial Research »,Conference of the Southern Sociological Society « DevelopingIndustrial Sociological Research in the South », Georgia Instituteof Technology, ADR dossier L, 1956.

« “Banana Time”. Job Satisfaction and Informal Interaction »,Human Organization, 1959, 18 (4), p. 158-168.

« Unionization in the South. The Organizational Campaign in theSocial and Cultural Context of the South », Labor Law Journal,1964, 15 (7), p. 451-468.

« The Role of the Researcher in the Study of Social Conflict : ATheory of Protective Distortion of Response », Human Organiza-tion, 1965 (automne), 24, p. 262-271.

« Change and Resistance to Change in The Southern Labor Move-ment », in John MCKINNEY et Edgar T. THOMPSON (dir.), The Southin Continuity and Change, Duke University Press, Durham, 1965,p. 225-247.

« The Union Organizing Campaign as a Problem of Social Dis-tance : Three Crucial Dimensions of Affiliation-Disaffiliation », inHoward S. BECKER, Blanche GEER, David RIESMAN, Robert S. WEISS

(dir.), Institutions and the Person, Essays in Honor of Everett Hughes,Aldine, Chicago, 1968, p. 49-56.

« Introduction », in Stanley B. MATHEWSON, Restriction of OutputAmong Unorganized Workers, Carbondale and Edwardsville, Sou-thern Illinois University Press, Felter & Simons, Londres et Ams-terdam, 1969, p. xv-lii.

« The Study of Southern Labor Union Organizing Campaigns », inRobert W. HABENSTEIN (éd.), Pathways to Data. Field Methods for Stu-dying Ongoing Social Organizations, Aldine, Chicago, 1970,p. 216-244.

UN SOCIOLOGUE À L’USINE30

Page 29: Un sociologue à l’usine€¦ · Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément, sous peine des sanctions pénales réprimant la contrefaçon,

« Sex in the Factory : Informal Heterosexual Relations betweenSupervisors and Work Groups », in Clifton D. BRYANT (éd.),Deviant Behaviour : Occupational and Organizational Bases, RandMc Nally College Pub., Londres, 1974, p. 44-66.

« Book Review : Manufacturing Consent by Michael Burawoy », Ber-keley Journal of Sociology, 1980, 24, p. 329-339.

« Fear Stuff, Sweet Stuff and Evil Stuff : Management’s DefensesAgainst Unionization in the South », in Theo Nichols (éd.),Capital and Labour : Studies in the Capitalist Labour Process,Glasgow, Fontana, 1980, p. 395-415.

Sur Roy, on pourra aussi consulter la brève notice de Jason Ditton :

« Obituary Donald F. Roy, 1909-1980. One of the Boys on the Line »,Urban Life, 1981, 10 (3), p. 235-237, et l’article récent de MichaelBurawoy : « Donald Roy — Sociologist and Working Stiff »,Contemporary Sociology, 2001, 30 (5), p. 453-458.

INTRODUCTION 31