Krzysztof Pomian

TotalitarismeIn: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°47, juillet-septembre 1995. pp. 4-23.

AbstractTotalitarianism, Krzysztof Pomian.Italian Fascism, German Nazism and Russian Bolshevism, considered as ideologies, mass movements and Systems of powerunder Mussolini, Hitler and Lenin-cum-Stalin, were original political phenomena with features unknown to the classical theories ofdictatorship. Despite all differences, they had also significant similarities with far reaching historical effects. They may thereforelegitimately be considered as three different manifestations of a single category, totalitarianism. This word was not a product ofthe Cold War — it results from the attempts made during the interwar period, to find a new name for a new political phenomenon.

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Pomian Krzysztof. Totalitarisme. In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°47, juillet-septembre 1995. pp. 4-23.

doi : 10.3406/xxs.1995.3177

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1995_num_47_1_3177

TOTALITAmSME

Krzysztof Pomian

Les historiens se méfient du mot totalitarisme pour désigner un phé

nomène politique nouveau il faut pourtant nécessairement nommer Le fascisme italien le nazisme allemand et le bolchevisme russe pris comme idéologies mouvements de masse et systèmes politiques sont des phénomè nes originaux mais en dépit de leurs différences nous dit Pomian il est permis de les considérer comme trois réalités du même type que on peut raisonnablement qualifier de totali taire

adjectif

totalitario apparaît en italien au début des annéees 1920 de notre siècle il désigne abord la tendance proclamée par le mouvement fasciste emparer pour les orienter vers ses fins de tous les aspects de la vie de chaque individu et de la nation tout entière puis la tendance analogue de tat accaparé par ce mouvement et il mis son service1 Dans les mêmes années total Quand au printemps 1993 Fran ois Bédarida proposé de rédiger article totalitarisme du Dictionnaire critique des années de violence 1938-1948 Paris Flammarion 1995) je me suis dit que était là une occasion idéale de clarifier enfin ma propre position face au problème de pertinence et de la légitimité de ce concept dont on sait elles sont vivement contestées Pour ma part ai fait appel plusieurs reprises en dernier lieu dans Europe et ses nations Paris Gallimard 1990 219 et suiv.) afin de désigner innovation politique

acquiert en allemand une signification similaire dans les expressions telles que totale Krieg guerre totale) totale Mobil machung mobilisation totale) totale Staat Etat total Mais la différence des fascistes qui accueillent totalitario dans leur terminologie officielle ces expres sions sont peu utilisées par les nazis

la fin des années 1920 totalitaire et totalitarian appliqués désormais tant au fascisme italien et au nazisme allemand au bolchevisme terme que nous pré férons celui de communisme car il appartient en exclusivité au langage poli tique du 20e siècle sont présents en fran ais et en anglais chez des hommes politiques et des journalistes Le substantif totalitarianism entre en anglais dans le courant des années 1930 son équivalent

majeure caractéristique de la période consécutive la première guerre mondiale et rendue possible par celle-ci Mais je ai jamais essayé de justifier une telle démarche article que ai remis Fran ois Bédarida en janvier 1994 est avéré deux fois trop long pour le Dictionnaire Et il était pas assez concentré sur les années il agissait de couvrir en ai donc rédigé un nouveau conforme aux exigences Quant au résultat de ma tentative de répondre la question concernant la per tinence et la légitimité du concept de totalitarisme on la trou vera dans ce qui suit origine de cet article et objectif il vise expliquent pourquoi il ne comporte pas de notes Le lecteur intéressé trouvera dans mon article du Dictionnaire les titres de principaux ouvrages ayant traité du sujet Il faut ajouter hui le livre de Fran ois Furet Le passé une illusion Essai sur idée communiste au 20e siècle Paris Laffont- Calmann-Lévy 1995

TOTALITARISME

fran ais naît la fin de la même décennie pour se propager après la deuxième guerre mondiale

TOTALITAIRE ET TOTALITARISME LES MOTS

Auréolés de leur nouveauté et faisant surgir en vertu de leur transparence éty mologique les images une domination totale prophétisée dans le Talon de fer de London 1907 ou une surveillance totale telle que Zamiatine évoque dans Nous autres 1920 et Orwell avec encore plus de force dans 1984 1949) les mots totalitaire et totalitarisme de même que leurs traductions dans toutes les lan gues donnaient impression de nommer de fa on adéquate ce on apprenait abord sur Italie fasciste Allemagne nazie et Union Soviétique puis sur cette dernière et sur les pays elle dominés ou auxquels comme la Yougoslavie ou

la Chine elle servi exemple Aussi furent-ils mis fréquemment contribution par les propagandes antifasciste et sur tout anticommuniste

De ce fait Us se sont enracinés dans le langage de la politique et du journalisme tandis que les efforts qui visaient leur donner un sens précis et les faire dura blement entrer dans la terminologie des sciences sociales bien ils eussent émané des auteurs prestigieux ont pas été couronnés de succès Dès la fin des années I960 on posait la question de leur utilité pour analyse et la comparaison des entités politiques et on prévoyait leur proche effacement de la liste de termes auxquels les historiens et les sociologues ont droit avoir recours afin de décrire des idéologies des partis ou des systèmes exercice du pouvoir est ce qui semble être en train de se produire

En effet ils reviennent constamment chez les journalistes qui en servent plus souvent tort raison les mots tota litaire et totalitarisme sont rares de nos jours dans le vocabulaire des historiens du temps présent et dans celui des pra

ticiens des sciences sociales il agisse des pays anglophones de Italie et de Allemagne la France semble faire cet égard figure exception On ne les appli que presque plus et depuis longtemps Italie fasciste Et ceux minoritaires qui

leur concèdent encore une certaine per tinence agissant de Allemagne nazie les entourent de réserves si graves et si nombreuses elles les vident de presque tout contenu

Même Union Soviétique est plus évoquée comme un pays totalitaire par excellence Ouest où une fraction considérable de opinion de gauche toujours refusé de la condamner en la qualifiant de la sorte plusieurs spécialis tes tiennent les mots totalitaire et tota litarisme* pour des vestiges de arsenal verbal de la guerre froide inaptes faire partie du matériel conceptuel de la recher che Quant leurs défenseurs ce sont pour la plupart des ex-militants anticom munistes ou des ex-dissidents qui don nent impression de poursuivre un combat privé désormais adversaire

Les anciens pays du bloc soviétique Russie comprise sont les seuls où des uni versitaires admettent encore comme une évidence que le totalitarisme est non pas une fiction idéologique mais une réalité historique Partout ailleurs les mots tota litaire et totalitarisme enfoncent dans un discrédit dont il risque être difficile de les sauver Au demeurant il est loisible de se demander si cela en vaut la peine Ces mots dénotent-ils des faits que his torien est en mesure de constater Et même si était le cas sont-ils vraiment indispensables Ne peut-on pas en pas ser en traitant histoire du 20e siècle moins ils soient les seuls dire quelque chose que les mots du langage tradition nel de la pensée politique restent incapa bles exprimer Mais alors que disent-ils

Un argument non négligeable plaide en faveur du sauvetage apparition un nouveau terme du lexique politique sa

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propagation et son installation dans dif férentes langues ne sont pas des phéno mènes fréquents Or nous savons grâce aux travaux de sémantique historique ils signalent en général des change ments qui se sont produits dans ordre des faits eux-mêmes et dont la prise de conscience aboutit la création des neo logismes Les premiers auteurs qui utili saient le mot totalitaire exprimaient ailleurs avec beaucoup de force le sen timent avoir affaire une innovation une rupture avec le 19e siècle il agisse des idéologies professées de la nature des mouvements politiques ou de organisa tion des tats En quoi ils pouvaient se tromper encore faudrait-il montrer que ce qui leur paraissait neuf avait en réalité un long passé Toujours est-il que les mots totalitaire et totalitarisme- surtout le

premier ont acquis droit de cité pour dési gner quelque chose censé être sans pré cédent bien avant la guerre froide

Quand après la fin de la deuxième guerre mondiale les théoriciens commen cent approfondir la réflexion sur le tota litarisme le définir en scruter les ori gines en confronter les différentes espèces le sentiment de sa nouveauté est déjà largement estompé Italie fasciste et Allemagne nazie appartiennent his toire Union Soviétique tout en restant un ennemi virtuel est un pays reconnu avec lequel on coexiste pacifiquement et on croit appelé durer la fin des temps est époque où on tente de présenter le totalitarisme comme un phénomène trans-historique et enrôler sous cette bannière les pharaons les rois mésopotamiens et les empereurs de la Chine ancienne le Grand Inca Jules César Ivan le Terrible et Louis XIV parmi autres comme si les mots tels que despotisme dictature autocratie et monarchie absolue ne suffisaient pas

pour décrire leurs pouvoirs respectifs Des tentatives qui procèdent de erreur que commet tout historien quand au lieu de

faire ressortir les différences entre les épo ques et les lieux et de dégager ensuite si cela impose des similitudes toujours partielles et limitées il postule emblée des identités Des tentatives dont pour cette raison nous ne tiendrons pas compte dans ce qui suit

LE PROGRAMME DISTINGUER MAIS COMPARER

Nous avons commencé par les mots totalitaire et totalitarisme car exis

tence même de ce ils sont censés dési gner est éminemment sujette caution Et ce est pas partir de ces mots que nous parviendrons établir La démar che que on adopte parfois pour arri ver consiste définir le totalitarisme pour chercher ensuite des régimes politiques des partis ou des idéologies qui satisfont aux critères ainsi introduits et qui peuvent donc être qualifiés de totalitaires Mais une telle démarche malgré son appa rence de scientificité ne mène nulle part abord parce que toutes les définitions du totalitarisme on trouve dans la lit térature sont vagues et que leurs inter prétations divergent si tant est elles ne excluent Ensuite parce on les for mule partir exemples choisis au préa lable et on montre dans un deuxième temps que ce sont ces mêmes exemples qui leur correspondent autant dire on sait quels régimes partis ou idéologies sont totalitaires avant même avoir défini le totalitarisme Et enfin parce on pré suppose ce qui est précisément en ques tion savoir intérêt même utiliser le terme totalitarisme ou de qualifier un régime un parti ou une idéologie de tota litaire est pourquoi nous essaierons de par

courir ici une voie différente Laissons les mots en paix Ils nous ont donné ce ils ont pu en nous orientant vers le fascisme italien le nazisme allemand et le bolche- visme pris chacun dans sa triple dimen sion idéologie de mouvement politique

TOTALITARISME

et de système exercice du pouvoir En nous conduisant aussi nous demander si le fascisme le nazisme et le bolche- visme étaient vraiment aussi neufs on le croyait quand ils se sont manifestés autrement dit ils résultent vraiment une rupture avec les idéologies les mouvements politiques et les systèmes exercice du pouvoir du 19e siècle Et nous demander dans affirmative en quoi consistait cette rupture

Mais une réponse affirmative et argu- mentée ces questions ne suffit pas Encore faut-il se demander si le fascisme le nazisme et le bolchevisme présentent des similitudes non triviales qui permet tent de les tenir pour les espèces un même genre sans nécessairement nier pour autant importance de multiples dis semblances et oppositions qui les ont dif férenciés et des conflits qui les ont vus affronter est seulement si nous étions en droit de tenir le fascisme le nazisme et le bolchevisme pour trois espèces un même genre il aurait lieu de se deman der si celui-ci peut-être pertinemment dési gné par les mots totalitaire et totalita risme étant donné histoire qui est la leur Et est seulement une réponse affir mative et argumentée cette dernière ques tion qui aurait pu redonner ces mots la validité ils semblent avoir perdue

Un gros livre serait nécessaire pour réaliser pleinement un tel programme Dans espace limité qui nous est imparti nous ne pourrons en donner une première ébauche Au préalable il importe cependant de répondre des questions préjudicielles on ne man quera pas de nous poser Est-il recevable de mettre ensemble trois phénomènes aussi profondément différents que ont été le fascisme le nazisme et le bolche visme En particulier est-il recevable en chercher les similitudes Une telle démar che admet-elle pas emblée ils agit de trois espèces un même genre ce il faut précisément démontrer

Pour répondre ces questions en fait des objections déguisées sous une forme interrogative il faut distinguer trois types de recevabilité auxquels on fait ici réfé rence idéologico-politique philosophi que et méthodologique est la première qui nous retiendra le plus longtemps

Quiconque tient pour politiquement irrecevable la comparaison même entre fascisme nazisme et bolchevisme adopte la position de ceux qui arguaient on ne saurait sans faire un amalgame inad missible placer sur un même plan extrême gauche et extrême droite la révolution et la réaction le prolétariat et la bourgeoisie ou dans la perspective opposée les forces nationales et les cos mopolites Les deux perspectives ont en commun le présupposé que espace poli tique est dichotomiquement divisé de telle manière il épuise dans ses extrêmes lesquels sont radicalement hétérogènes un par rapport autre Cela revient exclure toute position médiane

Or si nous récusons ce présupposé et nous avons on le verra de bonnes rai sons de le faire nous constatons que pour qui croit occuper dans espace poli tique une position médiane il est parfai tement recevable de comparer les deux extrêmes acharnés pour des raisons mutuellement exclusives la détruire Au demeurant placé devant des textes qui procèdent de telles comparaisons pour aboutir des identifications et devant autres qui en contestent le principe un historien aujourdhui ne doit pas repren dre son compte les discours des acteurs sur eux-mêmes Ces discours il doit les soumettre tous la critique ce qui signifie il ne saurait écarter priori idée de comparer les idéologies les mouvements politiques ou les systèmes exercice de pouvoir dont les porte-parole ne vou laient surtout pas on les compare mais aussi il ne saurait postuler leur identité

Le programme proposé ici peut être rejeté aussi pour des raisons philosophi-

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quês au nom du caractère non répétitif des faits historiques qui oblige historien il veut être fidèle son objet de se don ner pour tâche prioritaire la mise en lumière de unicité de ce il étudie où le refus de la recherche des simili tudes et des répétitions et de utilisation dans histoire des concepts généraux On retrouve ainsi le vieux débat concernant la validité de histoire comparée et de la comparaison en histoire Sur ce sujet tous les arguments de part et autre semblent avoir déjà été échangés On se limitera donc remarquer que historien qui aurait appliqué la lettre les préceptes de histoire idiographique serait condamné

décrire un après autre chaque instant dans la vie de chaque individu

Reste enfin une question de méthode le seul fait de comparer le fascisme le nazisme et le bolchevisme équivaut-il emblée les tenir pour trois espèces un même genre En termes purement logiques certes oui ils sont compara bles est ils ont quelque chose en commun En termes historiques cela est bien plus compliqué Car abord il agit nous avons dit des similitudes non triviales spécifiques aux trois idéo logies mouvements politiques et systè mes exercice de pouvoir que nous étu dions ici éventuellement aussi quelques autres mais pas tous Et ces similitudes il faut les confronter avec les différences pour essayer de jauger importance res pective des unes et des autres partir de leurs effets Pour un historien inclusion dans un même genre est fondée que si les similitudes portent conséquence autrement elle ne sert rien

ITALIE FASCISTE ET ALLEMAGNE NAZIE

Quiconque au début des années 1920 intéressait Italie ou Allemagne ne pouvait pas ne pas être frappé par appa rition dans leurs rues des partis politiques tels que le parti fasciste ou la NSDAP dont les membres portaient des uniformes dis-

tinctifs et se comportaient comme ils for maient une armée Les réunions de ces partis ne délibéraient pas afin élaborer une position commune elles acclamaient celle que le chef Duce ou Führer pré sentait ses troupes qui avaient passer action Car le chef était supposé infaillible on ne discutait pas avec lui on obéissait Quant action elle consis tait pour essentiel dans usage de la vio lence De la violence verbale dans la presse les tracts les affiches les discours Et de la violence physique embrassant les tentatives de putch les intimidations les agressions les assassinats

idéologie de ces partis fournissait la justification de leur pratique Elle réduisait en effet la politique un affrontement avec ennemi il agit éliminer par tous les moyens une guerre contre les libéraux les démocrates les syndicalistes les socialistes les communistes et pour la NSDAP en premier lieu contre les juifs Le but visé était le pouvoir sans partage obtenu moyennant la conquête de tat Elle abouti tant en Italie en Allema gne dans le respect de la légalité Mus solini été appelé former un gouver nement par le roi et Hitler est devenu chancelier du Reich sur proposition du président La transformation du régime politique est donc faite par en haut en utilisant la fois les institutions et auto rité de tat mises au service du parti et de son chef et les organes du parti lui- même

Cette transformation consistait dans abolition du Parlement des instances élues en général et de indépendance de la justice Dans la liquidation de tous les partis politiques autres que le vainqueur devenu parti unique ainsi que de toutes les associations toutes les organisations et tous les syndicats qui ont pas accepté de se soumettre ce dernier avec la seule exception des glises condition elles bénissent le nouveau pouvoir Dans abrogation de la liberté de la presse du

TOTALITARISME

droit de grève de autonomie des uni versités et établissements de recherche Dans la prise en main de éducation des jeunes et du temps libre des travailleurs dans insistance sur le rôle de la famille centrée autour des valeurs patriarchales dans les mesures visant favoriser la nata lité Dans importance accordée la pro pagande officielle et dans la surveillance de accès la presse écrite la radio et au cinéma afin assurer au parti le mono pole de la parole publique Dans le contrôle de économie et dans les inter ventions de tat en vue en provoquer la croissance moyennant un programme des travaux publics et un développement des industries armement

Tout cela accomplissait dans un climat de terreur exercée par la police tat et par les troupes de choc du parti en Italie les squadre en Allemagne les SA avec pour objectif de casser toute résistance et de liquider tous ceux on tenait pour des ennemis en les contraignant rémi gration en les emprisonnant en les envoyant en résidence surveillée Italie ou dans les camps de concentration Alle magne Et tout cela avait pour aboutis sement un nouveau système exercice du pouvoir caractérisé par la coexistence tous les niveaux de appareil tat et appareils du parti Le premier restait dans la mesure du possible respectueux des règles et des routines bureaucrati ques Le second agissait en fonction de ses principes idéologiques Le premier conformément ses traditions tenait la population écart de ses affaires Le second effor ait de mobiliser les masses de susciter leur enthousiasme de rendre manifeste leur appui au régime mais aussi en Allemagne attiser et de laisser exprimer leur haine des juifs est pour quoi la coopération de la bureaucratie éta tique avec celle du parti allait pas sans frictions ni conflits des compétences

Les deux appareils se rencontraient au sommet en la personne de Duce ou de

Führer premier personnage la fois de tat même si en Italie le protocole

réservait cette place au roi et du parti qui tranchait en dernière instance tous les litiges et prenait les décisions ultimes Si est souverain celui qui décide de la situa

tion exceptionnelle Carl Schmitt) alors dans Italie fasciste et le Troisième Reich nazi toute la souveraineté était concen trée en la personne du chef source des lois tête de exécutif et commandant suprême des forces armées Tributaire de la volonté du chef pleinement souveraine en théorie et très largement dans la pra tique le régime politique instauré par les fascistes et les nazis dans leurs pays res pectifs était un régime exception au sens où toute loi et toute règle pouvait être

tout instant suspendue ou abrogée par le chef au nom des exigences supérieures il était le seul connaître

Si la politique suivie après la prise du pouvoir ne se laisse jamais déduire de idéologie elle en est pas moins un pro longement adapté aux circonstances idéologie du fascisme comportait les mêmes ingrédients que celle du nazisme des emprunts au nationalisme radical un côté et de autre au socialisme révolutionnaire Mais spiritualiste chez les fascistes idéologie était imprégnée chez les nazis du darwinisme social et des préoccupations eugéniques est pour quoi le fascisme était ni raciste ni anti sémite tandis que le racisme et antisé mitisme se trouvaient au ur même de la doctrine nazie Cela avait pour corol laire absence chez les fascistes de idée de la destruction autres peuples tandis que les nazis souscrivent dès le début au projet une élimination des juifs et une réduction des Slaves état des sous- hommes présenté par Hitler et qui sera mis en application la faveur de la guerre moyennant organisation un système concentrationnaire et en particulier des camps extermination où périront des millions de victimes

LE BOLCHEVISME

Les fascistes et les nazis représentaient extrême droite et est extrême droite que se recrutaient leurs alliés Le bolche- visme lui incarnait extrême gauche et est extrême gauche que se situaient les partis communistes bolchevisés Tout au long des années 1920 et 1930 les uns étaient en lutte ouverte avec les autres La Troisième Internationale communiste émanation des bolcheviks appelait les masses la lutte contre le fascisme terme qui recouvrait dans cette acception en dehors du parti et de tat de Musso lini ceux de Hitler ainsi que les différents régimes autoritaires et parfois aussi les démocraties Allemagne nazie signait de son côté avec le Japon un pacte anti- Komintem auquel est jointe aussi Ita lie La stupeur fut donc grande la nou velle de la signature entre URSS et Alle magne un traité qui ouvrit la voie la deuxième guerre mondiale Mais la lune de miel entre Hitler et Staline duré moins des deux ans Et si Italie est entrée en guerre aux côtés de Allemagne Union Soviétique attaquée par celle-ci est retrouvée dans le camp des démocraties

Commencée bien avant les années 1920 histoire du bolchevisme est ses débuts celle un parti marxiste apparte nant la tendance socialiste révolution naire au sein du mouvement ouvrier et faisant sienne idée de la solidarité inter nationale des prolétaires Les réunions des instances du parti bolchevik sont remplies longtemps par les débats et les votes Lenine qui en est le dirigeant le plus important loin être un chef dont les opi nions seraient acceptées sans contesta tion se voit parfois mis en minorité

Même si les bolcheviks pratiquent occasion le terrorisme individuel leur doctrine le condamne fermement qui tient pour seule légitime une violence exercée par les masses que le parti orga nisées et il dirige Et pendant la pre

mière guerre mondiale ils adoptent une position pacifiste Leur arrivée au pouvoir dans ex-Empire russe fait suite la révo lution qui aboli le régime tsariste et ins tauré un gouvernement chargé assurer la transition vers la démocratie est ce gouvernement que les bolcheviks renver sent par un coup tat pour instaurer leur dictature le prolonge la conquête du pays

Elle va de pair avec le bouleversement du régime de propriété avec une pénurie des biens de consommation même les plus élémentaires dont les bolcheviks ont utilisé la répartition pour faire accepter le nouvel ordre avec une féroce lutte anti religieuse et avec une terreur encontre de membres des couches privilégiées de ancien régime et de quiconque oppose ou résiste décidée par le gouvernement bolchevik et appliquée par une police politique créée dès la prise du pouvoir et qui sous diverses appellations restera le bras armé du parti Tout cela est soldé par les destructions massives les millions de morts et une importante emigration

partir de son installation au pouvoir le parti bolchevik commence changer de nature Les opposants la ligne de la direction sont éliminés de la vie politique avant de se voir accusés des pires crimes dans des procès grand spectacle et être liquidés ou emprisonnés dans les camps du Goulag Dans les réunions la délibé ration cède la place unanimité le débat

acclamation Les votes se font main levée Et la direction se réduit pas pas

la personne du secrétaire général pour enfin identifier complètement lui Commencé de son vivant et intensifié après sa mort le culte de Lenine embrasse la personne de son successeur Staline acquiert ainsi le statut un chef infaillible dont la parole est censée énon cer une vérité définitive sur chaque sujet sur lequel il trouve bon de prendre posi tion

La doctrine bolchevik appelée désor mais marxisme-léninisme est codifiée

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TOTALITARISME

sous forme un bréviaire Elle inclut maintenant idée de la construction du socialisme dans un seul pays nouvel ava tar du messianisme national qui fait de Union Soviétique et donc de la Russie le porteur de avenir de humanité Elle inclut en outre idée de aggravation mesure que progresse édification du socialisme de la lutte des classes tant en URSS même échelle internationale qui réduit la politique un affrontement avec ennemi et justifie usage sans frein de la violence

édification du socialisme se fait dans un pays où le parti bolchevik déjà liquidé tous ses concurrents et avec eux le Parlement et les instances élues les élections ne font entériner les choix faits par appareil du parti unique Où les syndicats sont devenus des courroies de transmission de celui-ci et où ne sur vivent que des associations et des orga nisations il dirige Où il ni liberté de la presse ni droit de grève et où aucune institution compris la justice et les gli ses ne dispose une quelconque auto nomie Où il pas de place pour la vie privée le temps libre de travail étant rempli par des activités organisées Et où après une période plus tranquille on voit la terreur intensifier et devenir omnipré sente est dans une telle ambiance que édi

fie un système où le pouvoir est exercé par quatre appareils différents La bureau cratie tat est chargée principalement de administration de économie complète ment étatisée tant dans les villes suite

la nationalisation de industrie du commerce des logements que dans les campagnes issue de la collectivisation qui aboli la propriété paysanne La police politique détient le monopole de la violence interne et administre la terreur qui fournit notamment la main-d uvre toute une économie concentrationnaire fondée sur le travail forcé des prisonniers du Goulag armée orientée en principe

vers extérieur aide la police si la situa tion exige Et appareil du parti tout en contrôlant et en dirigeant les trois autres occupe de la culture et des médias pla cés au service de la propagande et de la mobilisation des masses il agit de faire participer la vie publique dans les formes et avec des finalités prévues avance de manière convaincre chacun que la ligne suivie jouit de appui de tous même si quelques ennemis bientôt démasqués se cachent encore au sein de la population Au sommet de ces quatre appareils se trouve le chef qui décide en dernière instance et qui en tant que détenteur de la souveraineté imprime au régime son caractère de régime excep tion

FASCISTES NAZIS BOLCHEVIKS LES DIFF RENCES

Entre le fascisme et le nazisme les dif férences sont significatives Elles portent centralement on vu sur attitude face au génocide dont idée même est absente du premier tandis que le second en est imprégné au point de la traduire en acte Elles portent aussi un autre niveau sur la politique culturelle en Italie on ne lutta pas contre art dégénéré et on ne brûla pas de livres Elles portent sur les positions égard de la religion le fas cisme est anticlérical au nom de ce que le pape qualifié de statolatrie païenne le nazisme est fondamentalement anti chrétien Et elles portent sur la gestion de économie moins centralisée en Italie en Allemagne

Et pourtant les similitudes que nous avons relevées dans idéologie organi sation du parti le système exercice du pouvoir ne sont pas négligeables Elles le sont autant moins elles ont conduit

une alliance qui poussé Mussolini imposer en Italie les lois raciales et entrer en guerre aux côtés de Hitler pour se trouver entraîné dans sa chute Le fas cisme et le nazisme sont donc unis aussi

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par la quasi-identité de leurs destins his toriques nés un et autre peu après la première guerre mondiale et arrivés au pouvoir dans leurs pays respectifs dix ans de distance certes mais dans une conjoncture et par des voies similaires ils ont été vaincus et anéantis par la coalition qui gagné la deuxième guerre mondiale On ne voit vraiment pas arguments qui auraient permis de nier leur appartenance

une même famille idéologique et poli tique

Le bolchevisme une histoire tout fait différente Il naît au début du siècle conquiert le pouvoir par un coup tat

maintient issue une guerre civile et abandonne pacifiquement plus de quarante ans après la disparition violente du fascisme et du nazisme Même après la prise du pouvoir il traversé plusieurs phases le communisme de guerre la NEP la période stalinienne dont nous

avons déjà décrit les principaux traits la destalinisation jamais achevée les années de immobilité interne et de expansion extérieure la perestroïka Au cours de cette longue histoire ni le nom du parti ni son idéologie ni son fonctionnement interne ni son mode exercice du pou voir ne sont restés les mêmes

Deux tournants attirent plus particuliè rement attention car ils sont marqués par des événements spectaculaires révé lateurs des bouleversements tectoniques celui qui voit Staline devenir le chef tra vers les purges sanglantes les procès tru qués la terreur de masse et celui qui le voit détrôné titre posthume après une liquidation de ses lieutenants Autant dire que dans la longue histoire du bolche visme la période stalinienne occupe une place part Or elle coïncide dans le temps grosso modo avec celle où le fas cisme domine en Italie et le nazisme en Allemagne

Toutefois même pendant cette période les différences entre ces deux mouve ments un côté et le bolchevisme de

autre restent frappantes Cela vaut sur tout pour idéologie Le fascisme et le nazisme se présentent comme des natio nalismes radicaux le bolchevisme affiche son caractère internationaliste Il est vrai que la solidarité révolutionnaire était réduite dans les faits au rôle un instru ment de la politique étrangère de URSS et sacrifiée aux impératifs de celle-ci Mais URSS étant pour ses admirateurs le seul pays où édifie le socialisme ses intérêts sont ceux du prolétariat mondial tout entier dont elle prépare par ses avan cées la libération internationalisme était concilié de la sorte avec le messianisme soviétique sinon russe et les principes idéologiques pouvaient être réaffirmés tout en étant violés dans la pratique

autre part si le fascisme et le nazisme font apologie de la guerre le bolche visme prétend combattre pour la paix dans sa propagande la guerre est toujours présentée comme un mal jamais comme un accomplissement suprême de homme Cela pas empêché URSS de mener une politique de grande puissance quand ses dirigeants croyaient que les circons tance leur étaient propices Mais expan sion de URSS était pour ses thuriféraires celle du socialisme et de la paix elle dif férait donc par sa nature de celle de impérialisme fasciste Semblablement si le fascisme et le

nazisme ne manifestaient que du mépris pour la démocratie dont ils rejetaient les principes mêmes le bolchevisme lui condamnait la démocratie bourgeoise au nom une démocratie réelle qui dépasse les libertés formelles vers les droits économiques et sociaux et dont la démocratie soviétique est un exemple

En URSS la fa ade démocratique élec tions institutions représentatives fut en effet préservée la pratique de la coopta tion et de la nomination par appareil du parti était cachée derrière apparence des procédures électorales et les instances de différents échelons du local au central

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TOTALITARISME

se présentaient comme des instances élues La Constitution stalinienne été célébrée comme la plus démocratique du monde et les pays soumis de force la domination de URSS après la deuxième guerre mondiale ont re le nom des démocraties populaires* Le bolchevisme stalinien différait aussi

du fascisme et du nazisme agissant des rôles respectifs du chef et des masses Ces derniers tra aient en effet sans retenue le portrait un chef surhomme qui tou jours raison et qui entraîne derrière lui les masses auxquelles il désigne un but et impulse un élan Celui-là applique concilier le culte de plus en plus flam boyant du chef avec attribution par le marxisme aux masses du rôle du démiurge de histoire et importance limi tée il accordait individu où la trouvaille selon laquelle le culte du chef est un culte des masses car le chef tient sa sagacité un lien particulièrement intime il entretient avec elles où aussi les professions de modestie de la part du chef et toute une liturgie appelée

mettre en valeur la créativité des masses Tout cela accompagnait de références

historiques qui elles aussi opposaient le bolchevisme au fascisme et au nazisme Il proclamait en effet son attachement tout ce qui était pour eux le plus détes table aux Lumières la Révolution fran aise 1848 la Commune de Paris au

mouvement ouvrier et évidemment la pensée socialiste avec la prolongeant et la faisant passer de utopie la science Marx Engels et Lenine Cela allait de pair avec une rhétorique qui glorifiait la puis sance créatrice de homme érigeait les savants en héros de notre temps encen sait les écrivains et les artistes pourvu ils défendissent la cause de la paix et du progrès Cette rhétorique contrastait certes pour un esprit non prévenu avec la politique culturelle soviétique qui obli geait les créateurs se conformer aux canons du réalisme socialiste et qui au nom du matérialisme dialectique impo

sait des dogmes la biologie et essayait de corriger la physique la chimie la logi que même Mais dans ce domaine aussi on trouvait des arguments censés permet tre de réconcilier les paroles et les actes

Les discours explicites du fascisme et du nazisme un côté et du bolchevisme de autre sont donc manifestement contra dictoires Qui plus est pendant la plus grande partie de son histoire ce dernier se trouvait dans le camps opposé aux deux premiers en conflit ouvert avec eux si ce est carrément en guerre la période du pacte germano-soviétique est cet égard exceptionnelle Le choc provoqué par ce pacte parmi les communistes en Occident dont plusieurs quittèrent alors leurs partis ne explique que par leur très forte conviction entre le fascis me et le communisme il absolument rien de commun De cette conviction on pouvait trouver la confirmation dans la guerre qui vu Union Soviétique et Allemagne nazie affronter avec une vio lence et une cruauté extrêmes et qui semblé remettre les choses en place en faisant des deux pays incarnation des principes antagonistes

FASCISTES NAZIS BOLCHEVIKS LES SIMILITUDES

moins de faire preuve un aveugle ment partisan il en est pas moins impos sible de ne pas tenir compte des simili tudes entre le nazisme et le bolchevisme stalinien Car elles sautent aux yeux sans pour autant être superficielles dans la mesure où elles touchent la fa on exercer le pouvoir Parti unique qui contrôle tous les domaines de la vie sociale et la vie privée même des indivi dus idéologie officielle imposée tous et imprègne le culte du chef absence de légalité que remplace un régime exception terreur pratiquée grande échelle centralisation des décisions éco nomiques et subordination de la produc tion accroissement de la puissance

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tout cela se retrouve tant dans URSS de Staline que dans Allemagne de Hitler

Il existe aussi des similitudes moins visi bles Elles portent dans idéologie et la politique non sur ce que le nazisme et le bolchevisme stalinien prétendent pré coniser mais sur ce en commun ils refusent un et autre procèdent en effet de la conviction entre nous les nazis ou les bolcheviks et eux les bolcheviks ou les nazis il pas de troisième terme Ceux qui prétendent occuper une position médiane se trompent et trompent le monde ils agissent objectivement comme ils étaient alliés de nos enne mis Comme il était pas évident que nous avons rien de commun avec eux que nous sommes différents au

point de ne pas être comparables la limite si nous sommes des hommes eux ils ne le sont pas est pourquoi

entre nous et eux est la guerre Et notre victoire signifie leur disparition De cette manière de penser la politique

les bolcheviks et les nazis tirent des consé quences tout fait similaires objet pre mier et principal de leur refus est la démo cratie parlementaire telle elle est constituée dans le dernier tiers du 19e et le début du 20e siècle avec avènement du suffrage universel des partis de masse des syndicats de la presse populaire La démocratie fondée sur un principe absolument incompatible avec celui qui préside tant la politique bolchevik la politique nazie car il affirme que dans une nation moderne il existe toujours entre les extrêmes un troisième terme un espace commun où on peut trouver un modus vivendi Aussi est-elle con ue comme un régime politique qui admet inéluctabilité des conflits au sein une même nation et qui les laisse exprimer

condition que cela se fasse de fa on pacifique et dans le respect des lois en vigueur

Une telle démocratie met donc en uvre les principes opposés ceux qui

président au fonctionnement de tat pour autant il incame unité de la nation la nation comme une Aussi dans tous les pays où la démocratie existe une tension se manifeste-t-elle entre les insti tutions représentatives issues du suffrage universel et les institutions de tat qui tirent leur légitimité la fois de la tradition dans laquelle elles sont enracinées et de efficacité avec laquelle elles accomplis sent leurs tâches en premier lieu celle du maintien de ordre est-à-dire de la pré servation de unité nationale

Le nazisme et le bolchevisme admet tent un et autre que dans son état nor mal sain une nation ou une société telle que la société soviétique ne devrait connaître aucun conflit interne Pour un et pour autre le conflit est introduit en effet par les forces extérieures la nation con ue par le premier comme une ethnie fondée sur la communauté de sang et de ce fait racialement homogène et la société réduite par le second une alliance des classes aux intérêts conver gents au peuple travailleur des villes et des campagnes Selon le nazisme donc la responsabilité du conflit incombe aux éléments ethniquement et génétiquement allogènes en premier lieu aux juifs Et selon le bolchevisme elle incombe aux éléments socialement allogènes aux res sortissants des ci-devant classes possé dantes aux koulaks aux membres du clergé aux individus contaminés par les influences bourgeoises

Pour réaliser unité de la nation alle mande ou de la société soviétique il faut par conséquent les purifier en éliminant les éléments pathogènes les métapho res utilisées par la propagande égard des juifs en Allemagne et des ennemis de classe ou ennemis du peuple en URSS les présentent en effet comme des êtres nuisibles des empoisonneurs des parasites Cette purification est censée être le but de la terreur la mission des organes chargés de appliquer apparaît

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TOTALITARISME

dans cette perspective comme une véri table thérapie sociale Mais pour réaliser unité de la nation ou de la société il faut aussi abolir tout ce qui dans ancien régime sanctionnait la division et la ren for ait par un effet en retour la rivalité des partis et des hommes politiques la liberté de la presse et des associations le droit de grève afin de remplacer tout cela par les institutions intégratrices un seul parti une seule opinion un seul chef

Au ur de idéologie nazie tout comme au ur de idéologie bolchevik se trouve ainsi le refus de toute conflic- tualité politique et sociale qui débouche directement sur la terreur Cela vaut aussi pour le fascisme même si son orientation spiritualiste conduit situer la source des conflits dans les différences des opi nions ce qui entraînait une définition de ennemi différente de celles adop taient le nazisme et le bolchevisme et une pratique de la répression moins sangui naire Reste que dans tous ces cas la conflictualité est refoulée tandis est imposée une unanimité dans tout le domaine de la sphère publique

Tant en Italie en Allemagne et en URSS abolition des institutions démocra tiques ne laisse en place que les organes de tat administration la diplomatie la police armée tat semble donc sor tir renforcé de cette opération Tel fut effectivement le cas en Italie Mais en Allemagne et en URSS les choses furent beaucoup plus complexes car tat était subordonné au parti est appareil de ce dernier qui prenait les décisions les plus importantes et est idéologie qui avait la priorité sur les considérations juri diques ou techniques surtout agissant de la détermination des fins atteindre

tat donnait au pouvoir du parti une apparence de légalité et une respectabilité internationale de même il donnait au chef la position de chancelier ou de pré sident du Conseil des ministres Mais tat avait aucune légitimité propre Sa légi

timité lui venait du parti qui fondait la sienne sur son passé glorieux et sur sa capacité exclusive assurer la nation allemande ou la société soviétique un avenir de puissance et de prospérité grâce au pouvoir visionnaire de Hitler ou au génie créateur avec lequel Staline appliquait les lois de la science marxiste- léniniste

LES EFFETS DES DIFF RENCES ET DES SIMILITUDES

Le fascisme le nazisme et le bolche visme stalinien étaient-ils vraiment aussi neufs ils semblaient être leurs pre miers observateurs Représentaient-ils vraiment une rupture par rapport aux idéologies aux mouvements politiques et aux systèmes exercice du pouvoir du 19e siècle ces questions nous avons répondu par affirmative Au risque de quelques répétitions mettons les points sur les Ce qui caractérise ces trois idéo logies est que chacune est un mélange inédit du nationalisme radical et du socia lisme révolutionnaire dans des propor tions variables selon les cas Mélange qui accentue ce elles ont en commun la conviction il faut éliminer de la vie publique toute conflictualité Cette élimi nation doit se faire toutefois non pas au nom un restauration des autorités tradi tionnelles censées pouvoir réunifier la nation déchirée mais au nom un nou veau régime en rupture violente tant avec le passé avec le présent et il faut encore établir

En tant que mouvements politiques le fascisme le nazisme et le bolchevisme sta linien se dotent en accord avec leurs idéologies une organisation qui rem place la démocratie interne par unani- misme et le culte du chef deux traits étrangers sous une forme aussi exubé rante aux mouvements politiques du 19e siècle même quand il agissait des chefs dotés une très forte légitimité tra ditionnelle comme chez les bonapartistes

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KRZYSZTOF POMIAN

ou les royalistes une organisation cons truite encore une nouveauté sur le modèle militaire et orientée avant la prise du pouvoir vers une pratique de la poli tique qui identifie celle-ci une guerre civile larvée menée dans le but anéantir physiquement ennemi

Quant aux systèmes exercice du pou voir instaurés par les fascistes les nazis et les bolcheviks il est patent ils inno vaient par rapport ceux on connais sait auparavant Cela est vrai même du premier qui bouleversa pourtant moins que les deux autres les structures de tat Le rôle du chef et son mode de fonction nement le parti unique la terreur importance accordée la mobilisation des masses le contrôle par le parti ou par tat de tous les domaines de la vie sociale de économie de la culture des loisirs le fait de se donner une légitimité en renvoyant non au-delà ou au passé mais avenir quand on prend ces dif férentes institutions non une une mais ensemble comme autant de composantes un syndrome on constate que le régime il caractérise avait aucun précédent

Impossible donc éviter la conclusion que ceux qui dès les années 1920 sou lignaient irréductible originalité histori que du bolchevisme du fascisme et du nazisme avaient de bonnes raisons de le faire Aussi pouvons-nous passer la question des similitudes non triviales entre ces trois idéologies mouvements politiques et systèmes exercice du pouvoir Question laquelle nous avons déjà ce il nous paraît longuement répondu en répertoriant leurs similitudes manifestes et en faisant ressortir celles qui sans avoir été en avaient pas moins une incidence sur la politique avec cette réserve cependant que agissant du bolchevisme été prise en compte que sa période stalinienne

Le seul point qui reste concerne non pas le constat même des similitudes qui ne souffre aucun doute mais le poids de

celles-ci défini en termes efficacité his torique Les différences entre le fascisme le nazisme et le bolchevisme ont pesé très lourd on ne saurait négliger les effets humains et politiques des désaccords entre le premier et le second propos de la nature de ennemi et du génocide encore moins peut-on négliger les effets humains politiques culturels économi ques du conflit entre le nazisme et le bolchevisme qui culminé au cours de la deuxième guerre mondiale en est- il alors des similitudes Ont-elles pro duit elles aussi des effets historiquement significatifs

La réponse est oui On le voit abord dans les politiques intérieures de Alle magne nazie et de URSS stalinienne en particulier dans les techniques de mobi lisation des masses et dans organisation de la terreur chacun des deux pays entrepris exterminer certaines catégo ries de sa population chacun déve loppé un système concentrationnaire sans précédent chacun utilisé une grande échelle la main-d uvre servile Allemagne seulement pendant la guerre On le voit aussi dans le parallélisme des combats menés entre les deux guerres contre la démocratie par les fascistes et les nazis un côté et de autre par les partis communistes modelés sur le parti bolchevik la période des fronts populaires

Impossible donc éviter la conclusion que ceux qui dès les années 1920 atta chaient une importance aux similitudes entre le fascisme le nazisme et le bolche visme avaient de bonnes raisons de le faire Certes opération était pas inno cente et ne prétendait pas être il agis sait de combattre les ennemis de la démo cratie ils fussent de extrême droite ou de extrême gauche en montrant que les uns sont le reflet en miroir des autres Mais ce faisant on énon ait aussi un dia gnostic qui exige certainement des correc tifs que nous avons tenté introduire mais aucun argument sérieux ne

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TOTALITARISME

conduit récuser est pourquoi il est loisible de se demander si les mots tota litaire et totalitarisme inséparables sur tout le second une perspective démocra tique sur les idéologies les mouvements politiques et les régimes fasciste nazi et bolchevik ne peuvent pas réintégrer avec profit la terminologie de histoire du 20e siècle et des sciences sociales

Ces mots nous avons vu ont eux- mêmes une longue histoire Ils sont char gés émotion Ils comportent un juge ment de valeur tout fait explicite Ils ont été sur-exploités par les propagandes et la presse Et ils souffrent une poly sémie qui interdit de les utiliser sans pré cautions Autant arguments pour en passer Mais existe-t-il dans le langage des historiens fût-ce un seul terme on aurait pas pu critiquer de la même fa on Nous ne le connaissons pas Aussi le procès on fait totalitaire et au totalitarisme est-t-il nos yeux un mau

vais procès Il vise travers les mots la chose même Il entend bannir avec eux pour des raisons purement idéologiques idée des similitudes non triviales entre le fascisme le nazisme et le bolchevisme voire invalider pour ces mêmes raisons la démarche même qui consiste les comparer

En fait rien ne oppose utilisation de totalitaire et de totalitarisme par histoire et les sciences sociales Comme Marc Bloch le dit de féodalité et de société féodale condition de traiter

ces expressions simplement comme éti quette désormais consacrée un contenu qui reste définir historien peut en emparer sans plus de remords que le phy sicien en éprouve au mépris du grec il persiste dénommer atome une réalité il passe son temps découper

COMMENT LE TOTALITARISME FUT-IL POSSIBLE

la lumière de tout ce qui précède adjectif totalitaire applique pour

désigner ce ils ont de semblable des idéologies des mouvements politi ques et des systèmes exercice du pou voir fasciste nazi et bolchevik stalinien On notera la différence de plusieurs chercheurs nous incluons le fascisme ita lien dans la mouvance totalitaire parce que appartenance celle-ci est pas fon dée sur le degré de cruauté manifestée dans le traitement des ennemis du régime ou sur le nombre de victimes elle résulte de la présence de certains caractères qui étaient on vu incontestablement inhé rents au fascisme et qui apparentent au nazisme Des caractères qui loin être superficiels ou conjoncturels font partie de identité même du fascisme comme ils font partie de identité du nazisme et de celle du bolchevisme stalinien

Mais ces identités ils ne les épuisent pas Car elles comportent aussi autres caractères propres chacune et qui en déterminent la spécificité Puisque les malentendus abondent dans ce domaine soulignons en bonne logique voir dans le fascisme le nazisme et le bolchevisme stalinien trois variantes du totalitarisme ne signifie nullement effacer les différences entre le premier et le second et entre cha cun eux et le troisième Cela signifie seulement on tient compte la fois des similitudes et des différences approche bien plus intéressante que celle qui se limite envisager soit les unes soit les autres dans incapacité où elle est de sai sir les deux ensemble

Le concept de totalitarisme pousse ainsi sortir du cadre national et poser la

question des facteurs qui ont permis apparition et arrivée au pouvoir en Ita lie en Allemagne et dans le ci-devant Empire russe du fascisme du nazisme et du bolchevisme et qui sont responsables de leurs similitudes On constate alors que chacun de ces trois pays si différents par ailleurs est travaillé dès la fin du 19e siè cle par un conflit entre la démocratie et

tat entre les institutions représentatives

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KRZYSZTOF POMIAN

et la bureaucratie la police et armée avec leur tête un roi ou un empereur En Russie enjeu de ce conflit est le suf frage universel et existence même des institutions représentatives dotées une capacité de légiférer et une influence sur la politique du gouvernement En Italie et en Allemagne il agit centralement de la décision concernant la paix et la guerre dont les partis démocratiques veulent pri ver le roi ou empereur au bénéfice du Parlement

Le clivage de la scène politique passe dans chacun de ces pays entre les partis qui prennent position pour les institutions représentatives sans être accord entre eux sur leurs compétences et modes de fonctionnement et ceux qui tout aussi divisés défendent la monarchie et sa bureaucratie civile et militaire Les pre miers ne tiennent pour légitimes que les institutions sanctionnées par le suffrage universel pour les seconds il est de légitimité que fondée sur enracinement dans le passé voire sur les liens avec au-delà Des deux côtés il existe des par tis extrémistes la gauche socialiste rêve une révolution semblable la Révolu tion fran aise sinon plus radicale la droite nationaliste pense un coup tat qui aurait rendu la plénitude des pouvoirs au monarque Mais mis part quelques secousses italiennes et la période un intense mouvement social en Russie le conflit entre la démocratie et tat exprime sans troubler la paix civile

La première guerre mondiale porte un coup très dur la monarchie et la bureaucratie surtout militaire en Italie Elle débouche sur la révolution qui abolit le tsarisme en Russie et provoque la chute de Empire allemand suite la défaite Et elle renvoie dans leurs foyers des mil lions hommes qui ont fait dans les tran chées apprentissage de la violence et de obéissance Puis en réponse au coup de force bolchevik qui détruit les prémices de la démocratie en Russie éclate une

guerre civile les bolcheviks qui en sortent vainqueurs établissent un régime dictato rial tout en amor ant leur mue en parti totalitaire Une révolution conseilliste qui aurait entraîné une guerre civile semble menacer aussi Italie et Allemagne

Or tant en Italie en Allemagne les institutions qui incarnaient la légitimité traditionnelle ont été soit fortement dis créditées soit détruites Quant aux insti tutions démocratiques qui se sont mon trées incapables de rétablir la paix civile en Italie elles portaient en Allemagne les stigmates de la défaite et de amputation territoriale de hyper-inflation puis de la crise et du chômage Et elles étaient atta quées de surcroît tant par extrême gau che révolutionnaire qui ne saurait sans les abolir instaurer la dictature de pro létariat que par extrême droite devenue ouvertement putschiste partir du moment où tat fort de ses rêves ne pouvait être établi que sur les ruines de la démocratie

Italie et Allemagne étaient pas les seuls pays européens avoir vécu dans immédiat après-guerre des tentatives imiter les bolcheviks Ni les seuls voir se développer des mouvements politiques imprégnés par la mentalité totalitaire qui réduisait la politique la lutte mort contre ennemi conduite par un chef qui on doit une obéissance aveugle au nom une vision unanimiste de la société aux antipodes de celle où on vivait Mais ces deux pays étaient les seuls où ni les institutions traditionnelles ni les institu tions démocratiques étaient en mesure assurer la paix civile et ordre public

Là où les institutions démocratiques en étaient capables les partis totalitaires ont jamais réussi approcher du pou voir Au demeurant parmi les pays qui étaient dans ce cas seule la France avait un parti communiste fort et une extrême droite non négligeable Ailleurs les mou vements totalitaires ont pas dépassé le niveau des groupuscules Et là où les ins titutions traditionnelles sont restées légi-

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TOTALITARISME

times pour la majorité de la population et ont bénéficié de appui de armée de la police de glise furent instaurés issue des coups tat ou des guerres civiles des régimes autoritaires qui tout en restreignant ou en liquidant la démo cratie ont réprimé extrême gauche et contenu les émules de Mussolini ou de Hitler est donc effondrement simultané ou

érosion parallèle des institutions démo cratiques et des institutions traditionnel les qui en Italie et en Allemagne ouvert la voie la transmission du pouvoir au chef du parti totalitaire par les représen tants de tat porteurs ce titre de ce il gardait de légitimité est une situa tion analogue qui est produite en Russie où le tsarisme perdu sa légitimité et la démocratie pas eu le temps de acqué rir ce qui permis aux bolcheviks de conquérir le pouvoir Au demeurant les rapports du régime totalitaire avec la population et en particulier intensité de la terreur résultent non seulement des considérations idéologiques déjà mises en lumière et de acuité du conflit précédant accession au pouvoir mais aussi de la survie des institutions traditionnelles et de influence elles exercent est ce qui explique la relative retenue

du fascisme italien obligé de composer avec la monarchie et surtout avec

glise et donc de laisser une certaine autonomie aux organisations catholiques Et est ce qui explique la férocité du régime stalinien qui ne rencontrait lui en Union Soviétique rien qui eût été suscep tible de le freiner

LES CONTRADICTIONS INTERNES DES TOTALITARISMES

En réaction contre les usages abusifs du mot totalitarisme nous avons traité

maintenant que du fascisme ita lien du nazisme allemand et du bolche- visme stalinien en URSS auxquels ce mot fut initialement appliqué Une position

aussi restrictive est valable pour la période de entre-deux-guerres car il avait alors de régime totalitaire nulle part ail leurs même si les idéologies totalitaires trouvaient dans chaque pays des adhé rents qui les adaptaient aux exigences locales et même si dans chacun des mou vements totalitaires rêvaient de prendre le pouvoir et agissaient en conséquence

Après la deuxième guerre mondiale la carte du totalitarisme subi de profonds changements Tandis que Italie et Alle magne occidentale retrouvaient la démo cratie Union Soviétique fait installer un régime identique au sien en Europe de Est sans la Grèce et en Europe cen trale sans la Finlande et Autriche mais avec Allemagne de Est Le même régime implanta avec appui soviétique en Corée du Nord et issue une lon gue guerre civile doublée une guerre contre les Japonais en Chine parallèle ment il pris pied au Vietnam du Nord avant de conquérir après trente années de guerre le Sud du pays en entraînant dans son sillage le Cambodge Cuba est devenue la tête de pont du totalitarisme en Amérique latine et il pénétré dans quelques pays africains

Or pendant elle se propageait ainsi dans le monde entier une fa on appa remment irrésistible la variante soviétique du totalitarisme subissait des transforma tions qui sans la rapprocher de la démo cratie éloignaient néanmoins de son état originaire Des transformations qui ont abouti en fin de compte une chute du régime soviétique provoquée non pas par une intervention extérieure ni par une explosion de la violence interne mais par une sorte affaissement pacifique Et qui obligent de ce fait poser deux questions une sur les contradictions internes des régimes totalitaires et la dynamique elles déclenchent et elles alimen tent autre sur les effets long terme des spécificités du bolchevisme stalinien répertoriées plus haut et plus particuliè-

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rement sur le rôle dans son histoire de la composante marxiste de son idéologie

Selon une opinion assez répandue affirmer un régime il est totalitaire signifie assimiler un monolithe et exclure par conséquent la possibilité même un changement produit par des facteurs internes Les régimes totalitaires effor aient de créer une telle image eux-mêmes car admettre ils sont tra vaillés par des conflits eût signifié pour eux reconnaître la faillite de leur projet instauration une société unanimiste les écarts par rapport ce projet ils ne parvenaient pas cacher étaient donc présentés comme des vestiges du passé qui allaient disparaître avec le temps De leur côté ceux qui menaient le combat idéologique contre le communisme et contre URSS affirmaient la fixité absolue des régimes totalitaires pour justifier leur conviction que les changements on prétendait discerner étaient illusoi res équivalence ainsi établie entre tota litaire et monolithique donc très logi quement servi argument censé invalider idée même de totalitarisme chaque étude tant soit peu approfondie des ins titutions de Italie fasciste et de Allema gne nazie découvrant des tiraillements et des incohérences contraires image un bloc sans faille

De la description présentée plus haut de organigramme et du mode de fonc tionnement des pouvoirs fasciste nazi et bolchevik aussi sommaire soit-elle il résulte que les désaccords les luttes intes tines et un certain désordre sont les aspects inévitables un régime totalitaire Celui-ci en effet tout en refoulant les conflits sociaux et les divergences opi nion vit au quotidien la dissonance entre

tat et le parti un côté et de autre les masses auxquelles il faut inspirer la peur et dont il faut susciter enthou siasme autrement dit il agit la fois de terroriser et de mobiliser Selon les conjonctures en particulier selon la situa

tion économique accent tombe tantôt sur la répression tantôt sur la propagande Mais les deux sont constamment utilisées dans des proportions variables ce qui tra duit le conflit latent entre les bénéficiaires du régime et le reste de la population

Ni les uns ni autre ne constituent des groupes homogènes En Italie et en Alle magne les classes sociales de la société bourgeoise ont pas été abolies Elles ont été en URSS et dans les pays où elle

exporté son régime mais sans que cela éliminât les différences de revenu de prestige et des conditions de vie entre la ville et la campagne entre les ouvriers et intelligentsia entre les hommes et les femmes et entre les générations ou encore entre les nations dans les pays multinationaux Sur ces différences héri tées et pour certaines aggravées par le régime est greffé le clivage entre la population et la nomenklatura pour étendre tous les régimes totalitaires ce terme origine soviétique constituée en groupe part par les privilèges accordés

ses membres en fonction de leur posi tion hiérarchique et qui tranchaient sur la pénurie générale

Or la nomenklatura est elle-même répartie entre appareil Etat appareil du parti les différentes polices qui appar tiennent soit un soit autre armée enfin dont la position est distincte quoi ajoute en URSS et dans les pays sovié- tisés administration de économie Ces différents appareils forment ensemble une hiérarchie où les positions ne sont jamais acquises définitivement et que traversent les rivalités pour les crédits le pouvoir le prestige elles traduisent parfois les pro blèmes du pays réel mais toujours une fa on déformée par les jeux appareils et les ambitions de personnes Dans tous les régimes totalitaires les idéologues gardiens du dogme opposent ainsi aux politiques forcément plus réalistes Et dans les régimes de type soviétique les porte-parole de industrie lourde qui pro-

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TOTALITARISME

duit les biens équipement surtout de armement sont en concurrence avec les responsables de la production des biens de consommation Une des fonctions du chef est arbitrer entre les uns et les autres

Mais si le chef contribue de la sorte résoudre ponctuellement les problèmes il en est pour une bonne part globalement responsable Car il entretient voire attise les rivalités et empêche les victoires trop tranchées afin de maintenir équilibre des forces et déjouer les coalitions qui auraient pu obliger composer avec elles Placé par définition au-dessus de tous les appareils et de toutes les règles et investi un pouvoir de décision en der nière instance il efforce face chaque désaccord de ses subordonnés de rester au centre Il est donc un facteur largement autonome dont la personnalité une importance déterminante pour orienta tion de la politique du régime

Un monarque absolu devait respecter les commandements de la religion et un autocrate russe croyait en un Dieu qui il devrait rendre les comptes un et autre se sentaient en plus responsables devant leurs dynasties devant leurs ancê tres et devant leurs héritiers La légitimité traditionnelle mettait ainsi en place des garde-fous qui rendaient difficiles sans les exclure tout fait des décisions motivées uniquement par le caprice la peur les phobies ou les fantasmes du monarque Quant la démocratie elle sanctionne quiconque transgresse ses normes au moins par la perte des élections Dans un régime totalitaire qui ne connaît ni une ni autre le chef est limité que par les rapports des forces intérieur de la nomenklatura Aussi introduit-il dans le fonctionnement du régime une imprévi sibilité et un arbitraire qui en font un régime exception

LA FIN DES TOTALITARISMES

ces tiraillements internes propres tous les régimes totalitaires le bolche

visme superposait les contradictions qui lui étaient spécifiques entre la compo sante marxiste de idéologie il profes sait et sa politique Contradictions qui affectaient les membres du parti eduques dans le respect des enseignements des classiques du marxisme-léninisme et

même une fraction de la population obli gée en apprendre les rudiments et de les accepter comme un credo mais que du vivant de Staline on parvenait voiler Sa mort en ouvrant le problème de la succession les réactualisées

Staline régné longtemps la fin de sa vie son imprévisibilité semble être devenue mena ante pour les échelons supérieurs de la nomenklatura qui débarrassés de lui étaient accord sur au moins une chose ne plus avoir de chef dans son genre où insistance sur la direction collégiale et le rôle des mas

ses en prélude la reprise par appareil du parti avec aide de armée du contrôle de appareil policier alors au service de Staline Une fois liquidés les responsables de la terreur dont le can didat au rôle de nouveau chef ensuivit le démantèlement du système concentra tionnaire il pas disparu pour autant mais il était plus ce il fut sous Staline Parallèlement le pouvoir de appareil policier été affaibli car la terreur été retirée de ordre du jour avant être condamnée fût-ce une manière incon séquente On trouvé cela des justifi cations idéologiques en rejetant la thèse que la lutte des classes aggrave avec la construction du socialisme et en remettant en honneur idée de légalité socialiste

défaut de la terreur appareil du parti est rabattu sur la mobilisation les dix années consécutives la mort de Staline furent marquées par une série de tentati ves de mobiliser les masses

Le régime soviétique restait-il toujours totalitaire La seule réponse est que était un régime totalitaire en voie de décom position Il ne pratiquait plus la terreur

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KRZYSZTOF POMIAN

de masse et il avait pas de chef surtout après la destitution du successeur de Sta line au secrétariat général du parti trop imprévisible pour ses pairs partir de ce moment le régime soviétique était plus un régime exception Il gardait tou tes les institutions un régime totalitaire et il voulait toujours édifier une société sans conflits Mais la routine bureaucrati que rempla ait désormais la volonté du chef et le désenchantement un enthou siasme fût-il de commande Le fonction naire se substituait au militant argent idéologie la gérontocratie au culte de la jeunesse Les fanatiques de jadis versaient dans le cynisme

Cette évolution se faisait en réponse aux contradictions du régime aux révol tes dans les camps aux explosions socia les des conflits internes la nomenkla tura La dissidence aussi faible elle ait été traduisait par sa présence même un malaise que le pouvoir avait plus les moyens de cacher car face la dissi dence il ne parvenait pas définir une politique Il la réprimait certes mais en même temps il était sensible un degré beaucoup plus grand que par le passé aux pressions des démocraties en faveur des droits de homme Incohé rence qui résultait de la crise de identité idéologique du régime Il ne pouvait ni utiliser la rhétorique démocratique dont on se servait maintenant contre lui ni la rejeter complètement Il ne pouvait non plus ni se réaffirmer internationaliste ni opter carrément pour le nationalisme russe Quant la vision de avenir qui fondait sa légitimité elle cessé être crédible Aussi se tournait-il de plus en plus vers la tradition vers sa tradition et vers celle de Empire russe mais sans jamais abandonner la référence avenir

Le régime soviétique se transformait ainsi en un régime autoritaire mais qui gardait les institutions staliniennes et qui ne pouvait invoquer pour sa justification la menace une guerre civile Il serait

hors de propos en décrire ici les der nières années Et il est hors de nos compé tences de comparer évolution de URSS après Staline celle de la Chine après Mao dont il semble elle consiste elle aussi en une décomposition du régime totalitaire Est-ce là le destin de tous les régimes de ce type ou une telle décom position est-elle spécifique des totalitarismes bolcheviks

Italie fasciste et Allemagne nazie ont eu une existence trop courte pour servir de comparaison et elles furent détruites de extérieur Mais on peut se demander si les idéologies fasciste et nazie ne sont pas responsables du destin historique des régimes auxquels elles ont donné nais sance dans la mesure où elles poussaient

une expansion extérieure et la guerre idéologie bolchevique glorifiait on vu la paix elle permettait certes de jus tifier la guerre mais obligeait pas la faire autre part on vu aussi tandis que les idéologies fasciste et nazie étaient nettement hostiles aux démocraties elle adoptait face celles-ci du fait de son héritage marxiste une attitude ambiguë elles pouvaient être selon les circons tances alliées ou ennemies Et la guerre entre les totalitarismes bolcheviks soviétique et chinois et les démocraties

été une guerre froide qui jamais débouché sur un affrontement direct Tout porte donc croire que ce sont les composantes marxistes de son idéologie qui ont permis au bolchevisme de se maintenir longtemps et de mourir de vieil lesse

Son extension spatiale sa durée sa res ponsabilité dans le déclenchement de la deuxième guerre mondiale immensité de ses crimes les effets long terme de sa politique partout où il eut occasion de exercer tout cela fait du totalitarisme un des phénomènes majeurs du 20e siè cle Et un des plus caractéristiques hui il disparu de Europe et ailleurs il est en déclin Mais les temps ne

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TOTALITARISME

sont pas loin où il semblait voler de vic toire en victoire Est-il possible il se reproduise

Le totalitarisme nous apparaît en cette fin de siècle comme un produit de la conjoncture créé par la Révolution russe ou plutôt par le coup tat bolchevik intérieur de celle-ci et par la première guerre mondiale Le lien qui unit ces deux grands événements est un lien de la concomitance Le premier acte de la Révo lution russe est déroulé avant la guerre le second était une question de temps Avec ou sans la guerre le tsarisme aurait probablement été aboli Et il est pas exclu que même sans la guerre les bolcheviks se seraient emparés du pou voir Auquel cas ils auraient été condam nés établir un régime totalitaire non pas parce ils avaient con délibérément un tel projet ils ne rêvaient que de liberté

mais parce ils rejetaient la fois la tradition et le suffrage universel On peut affirmer en effet un des traits caracté ristiques des révolutions du 20e siècle est elles débouchent sur les régimes totalitaires dans la mesure où elles rejettent du même coup un ancien régime il soit russe chinois éthiopien ou iranien et la démocratie Dans la mesure autre ment dit où sans être des révolutions prolétariennes elles sont la fois

anti-absolutistes et anticapitalistes anti bourgeoises anti-occidentales

En fait est la première guerre mon diale qui sinon permis du moins facilité la victoire des bolcheviks Et qui affaibli en Italie et aboli en Allemagne les pou voirs traditionnels tandis que des circons tances créées pour une part par la Révo lution russe et pour une autre par issue de la guerre ont soumis une érosion rapide la légitimité de la démocratie en ouvrant le chemin du pouvoir devant les mouvements totalitaires violemment hos tiles aux bolcheviks mais fascinés par leurs succès On connaît la suite Or une telle configuration est hui en Europe rigoureusement impossible pour des raisons il ne vaut même pas la peine exposer Quelles que soient les menaces qui pèsent sur avenir de la démocratie on peut être sûr que le tota litarisme tel que nous avons connu appartient définitivement au passé

Directeur de recherche au CNRSet membre du comité de rédaction de Vingtième siècle Revue histoire Krzysztof Pomian travaille sur histoiresocio-culturelle de Europe et sur histoire de la Pologne après la deuxième guerre mondiale

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